Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 24 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 7 juin 2005
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 9 h 35 pour examiner le budget principal des dépenses déposé au Parlement pour l'exercice se terminant le 31 mars 2006.
Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, j'ai le plaisir de déclarer ouverte notre trente-deuxième réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Ce comité a pour mandat d'étudier les dépenses effectuées par le gouvernement, soit directement en vertu du budget, soit indirectement en vertu de lois.
[Français]
Le lundi 7 mars 2005, notre comité a été autorisé à étudier, afin d'en faire rapport, les dépenses projetées dans le Budget des dépenses pour l'exercice se terminant le 31 mars 2006.
[Traduction]
Il s'agit, depuis le 9 mars 2005, de notre huitième réunion consacrée à l'étude du budget principal des dépenses. Nous avons examiné les dépenses du gouvernement sous l'éclairage d'une intensification de la reddition de comptes et de la transparence et, dans ce comité, ce sont deux termes que nous utilisons constamment : « reddition des comptes » et « transparence ».
Le régime parlementaire du Canada repose sur la tradition constitutionnelle et la pratique de l'obligation ministérielle de rendre des comptes. Les ministres fédéraux sont responsables devant le Parlement et doivent lui rendre des comptes, collectivement, à titre de membres du Cabinet et, individuellement, à titre de ministres. Cette convention émane du principe démocratique selon lequel seuls les représentants élus, et non les fonctionnaires qui les assistent, doivent être tenus responsables du fonctionnement du gouvernement.
Pour parler de cette question, ainsi que d'autres enjeux, nous avons la chance d'accueillir aujourd'hui M. C.E.S. Franks, professeur émérite. Né à Toronto, le M. Franks a fréquenté l'Upper Canada College et a obtenu un baccalauréat ès arts et une maîtrise ès arts à l'Université Queen's (Arts) en 1959, ainsi qu'un doctorat en philosophie à l'Université d'Oxford. Il a travaillé pendant quatre années pour le gouvernement de la Saskatchewan, notamment, pendant une certaine période, en qualité de greffier adjoint de l'assemblée législative de la Saskatchewan. Il a enseigné à l'Université Queen's pendant plus de 35 ans au département de sciences politiques, où il demeure professeur émérite.
En plus de la centaine d'articles et de chapitres qu'il a publiés dans des livres et des revues spécialisés, M. Franks est l'auteur ou l'éditeur de 13 livres, notamment The Parliament of Canada, The Canoe and White Water et Dissent and The State. Ses travaux comprennent des recherches sur l'administration publique, sur la reddition de comptes des gouvernements, sur l'autonomie gouvernementale des Autochtones, sur les relations entre les gouvernements et les peuples autochtones, ainsi que sur la fonction publique.
Honorables sénateurs, je suis ravi que M. Franks soit ici avec nous. J'aurai plaisir à écouter son exposé.
Après celui-ci, monsieur Franks, nous vous poserons des questions.
M. C.E.S. Franks, à titre personnel : Merci, monsieur le président. J'ai distribué des documents sur le concept d'agent comptable en Angleterre, concept qui, comme vous le savez, a récemment été proposé par le Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes dans un rapport.
Aujourd'hui, j'aimerais tout d'abord présenter une courte introduction sur le concept d'agent comptable et, en second lieu, examiner certains des arguments qui sont formulés contre ce concept et donner des exemples sur les points où, selon moi, les membres du comité se trompent. Je dirai clairement dès le début que j'appuie ce système et que je continuerai à le faire, malgré la forte opposition de certains milieux.
La vérificatrice générale Sheila Fraser a indiqué, dans son rapport de novembre 2003, que les parlementaires ont « un rôle primordial à jouer » dans le processus visant à définir plus clairement les responsabilités des ministres et des sous-ministres et dans leurs obligations vis-à-vis de la reddition de comptes. Dans un rapport récent, le Comité des comptes publics recommandait que « les sous-ministres soient désignés agents comptables chargés de responsabilités semblables à celles qui incombent aux agents comptables en Grande-Bretagne ». C'est dans cette voie que le Comité a continué depuis lors.
Je suis d'avis que la remarque de Sheila Fraser est la plus importante, pour les résultats que s'efforcent d'obtenir ce comité et le Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes. Jusqu'à maintenant, au Canada, c'est le gouvernement qui définissait l'interprétation de la doctrine de la responsabilité ministérielle, en ce qui a trait à la reddition de comptes des ministres, par opposition à celle des fonctionnaires, ainsi que l'interprétation du rôle du Parlement dans le processus de reddition de comptes. Cette interprétation a d'abord été définie par le Bureau du Conseil privé dans ses documents, le premier de ces documents étant « La responsabilité constitutionnelle, » qu'ils ont préparé pour la Commission Lambert, il y a 25 ans.
J'étais préoccupé par le fait que le Parlement lui-même n'avait pas formulé son avis : en effet, cet avis pourrait ne pas être le même que celui du Bureau du Conseil privé — et, dans ce processus, le Parlement est plus important que le Bureau du Conseil privé.
Je le dis après être récemment revenu d'Angleterre, où le Parlement s'est engagé à fond pendant plusieurs années dans la discussion sur les responsabilités et l'obligation des ministres et des sous-ministres de rendre des comptes. La discussion en est à un point où les universitaires disent que la doctrine de la responsabilité ministérielle, en Angleterre, ne relève plus du gouvernement, mais bien du Parlement.
J'espère voir le Parlement du Canada reconquérir ses droits sur la doctrine de la responsabilité ministérielle. Après tout, c'est précisément devant le Parlement que les ministres sont responsables et qu'ils doivent rendre des comptes. C'est au Parlement qu'il revient de définir les termes de cette responsabilité et de cette reddition de comptes.
C'est là que le concept d'agent comptable intervient. J'aimerais formuler quelques remarques d'ordre général à ce sujet. Mon mémoire écrit présente plus de détails à ce sujet. J'aimerais toutefois simplement vous présenter certaines idées.
En 1865, deux ans avant la création du Canada, Gladstone a présenté l'Exchequer and Audit Act, qui a été adopté par le Parlement britannique. Cette loi créait le poste de contrôleur et vérificateur général, dont les fonctions étaient équivalentes à celles de notre vérificateur général. Il s'agissait d'un vérificateur externe qui présentait au Parlement, au nom de ce dernier, des rapports sur les comptes du gouvernement.
Peu après, un comité des comptes publics a également été mis sur pied. Quelques années plus tard, le comité des comptes publics de Grande-Bretagne a eu un débat sur les personnes qu'il désirait tenir responsables et astreintes à la reddition de comptes : d'une part les ministres et, d'autre part, ce que l'on désigne en Angleterre comme les fonctionnaires titulaires. Ils ont tôt fait de décider que les fonctionnaires titulaires devaient rendre des comptes, et non pas les ministres. L'une des raisons invoquées était que les ministres passent d'un service à l'autre et sont remplacés lors des changements de gouvernement, tandis que les fonctionnaires conservent leur poste. Ils voulaient que les personnes qui demeuraient en poste aient l'obligation de rendre des comptes : le comité pourrait ainsi entretenir avec les fonctionnaires un dialogue soutenu. L'autre raison, c'était qu'ils croyaient que l'administration relevait de la responsabilité de leur fonction publique professionnelle, dont les rangs s'accroissaient alors, et que les ministres intervenaient plutôt dans le domaine des grandes orientations que de l'administration.
Ce régime a été instauré en 1872. Depuis lors, il a été décidé que les secrétaires permanents, qui sont l'équivalent dessous-ministres au Canada, deviendraient les agents comptables qui allaient rendre compte au Parlement des dépenses et de la gestion financière. Pour cette raison, en Grande-Bretagne, le concept d'agent comptable remonte pratiquement à l'époque de la Confédération et il a subi des modifications au fil des ans.
La première chose que le comité des comptes publics a exigée des agents comptables, c'était que le gouvernement rende compte des fonds dont il disposait; autrement dit, que le gouvernement présente des comptes appropriés. Ceci était désigné comme une vérification de la reddition de comptes. Quelques années y ont été consacrées. Au XIXe siècle, le gouvernement de Grande-Bretagne n'était pas bien organisé. En fait, certains domaines de l'administration étaient dans un état chaotique.
Après avoir obtenu une assurance raisonnable de la qualité des comptes, ils ont demandé une vérification de la légalité,c'est-à-dire une assurance que les dépenses avaient été faites uniquement dans le cadre de la loi et en respectant les montants que le gouvernement avait approuvés.
C'est une chose similaire à ce qui, au Canada, est appelé la « vérification d'attestation ». La vérification d'attestation garantit que les comptes représentent avec exactitude les fonds qui ont été dépensés et que ceux-ci ont été dépensés d'une manière légale pour atteindre les objectifs prévus par le Parlement. J'abandonnerai maintenant ces considérations pour passer aux circonstances d'aujourd'hui.
Le troisième type de vérification que le Parlement britannique a entreprise à la fin du XIXe siècle était celle de la « propriety », c'est-à-dire du bien-fondé. Ce sont des expressions anciennes. Elle visait à garantir que l'argent était dépensé d'une manière appropriée, avec un souci d'économie et d'efficacité, et qu'il n'était pas gaspillé.
Les choses ont changé. De nos jours, les règles que le Trésor a définies pour les agents comptables britanniques sont, tout d'abord, qu'ils doivent s'assurer de la rectitude et de la régularité. Le mot « propriety » est encore utilisé. La vérification de la régularité porte sur l'imputabilité et la légalité. Deuxièmement, ils doivent respecter les principes d'économie, d'efficacité et d'efficience, ce qui est également désigné comme l'« optimisation des ressources ». Dans mon mémoire écrit, j'ai inclus des extraits de documents du Trésor britannique dans lesquels ces responsabilités sont définies.
Les agents comptables britanniques étaient presque entièrement le fruit des travaux du comité des comptes publics. Ils n'ont pas eu de statut officiel avant 2000, année où le Parlement a adopté une loi stipulant que le Treasury devait établir un agent comptable pour chaque crédit parlementaire. Depuis, le conseil du trésor et le comité des comptes publics définissent ensemble les fonctions et les responsabilités des agents comptables.
En 1979, au Canada, la commission Lambert a recommandé que le Canada adopte le principe de l'agent comptable. Le gouvernement avait, à cette époque, refusé énergiquement cette recommandation et persiste dans son refus qui, à mon avis, vient en partie d'une mauvaise compréhension de la position britannique. J'aimerais consacrer le reste de mes remarques à l'examen de trois principaux malentendus — bien qu'il y en ait d'autres.
Le premier malentendu, c'est l'idée selon laquelle le régime des agents comptables oblige les sous-ministres à rendre des comptes aux comités parlementaires et que cette obligation donnerait aux comités parlementaires le pouvoir de donner des directives aux sous-ministres — et peut-être à d'autres fonctionnaires aussi — de les récompenser et de les punir. Ce malentendu trouve son origine dans un document publié en 1979 par le Bureau du Conseil privé et intitulé « La responsabilité constitutionnelle. » Gordon Osbaldeston, ancien greffier du Conseil privé, l'a alimenté dans Raffermir la responsabilité des sous-ministres, et il perdure, comme en fait foi certain témoignage présenté il y a quelques mois devant le comité des comptes publics de l'autre Chambre.
La Commission Lambert a recommandé que les sous-ministres rendent des comptes devant le Comité des comptes publics, mais pas à celui-ci. C'est une distinction importante. « Devant » signifie qu'ils prendraient la parole en leur propre nom, en leur qualité de titulaires de pouvoirs conférés notamment par la loi plutôt que de parler au nom de leurs ministres. Ceci ne signifiait pas que le comité pourrait les récompenser, les punir ou leur donner des instructions. Il faut comprendre cette distinction très clairement. Lorsque les sous-ministres, en leur qualité d'agents comptables, comparaîtraient devant le Comité des comptes publics, ils rendraient des comptes à l'égard de leurs propres responsabilités, et non pas au nom du ministre.
En vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, les sous-ministres ont beaucoup plus de pouvoirs que les agents comptables de la Grande-Bretagne.
En fait, à presque tous les égards, sauf quelques exceptions mineures, le texte actuel de la Loi sur la gestion des finances publiques donne aux sous-ministres le pouvoir, l'autorité et la responsabilité de prendre en charge l'ensemble de l'administration financière. Au Canada, cette loi est interprétée de manière telle que sous-ministre rend des comptes à son ministre, au Cabinet du Premier ministre et, bien que dans une moindre mesure, au Conseil du Trésor, mais non pas au Parlement. Nous pouvons accepter que ce soit « non pas au Parlement », mais c'est également « non pas devant le Parlement ».
Même lorsque les sous-ministres détiennent en leur propre nom ces pouvoirs conférés par la loi, le Bureau du Conseil privé insiste sur le fait que les sous-ministres parlent au nom ministre, et non pas en leur qualité de titulaires de pouvoirs. C'est sur cette question que la commission Lambert ne partage pas l'opinion divergente du Bureau du Conseil privé, que je ne la partage pas non plus, et le Comité des comptes publics, dans son dixième rapport, a exprimé une opinion divergente de celle du Bureau du Conseil privé. Si les sous-ministres possèdent en leur propre nom des pouvoirs conférés par la loi, ces pouvoirs sont accordés par le Parlement et attribués par le truchement d'une loi adoptée par le Parlement. Le Parlement comprend le Sénat et la Chambre des communes, ce qui signifie certainement que la Chambre des communes en particulier, mais aussi le Sénat, peut préciser les modalités selon lesquelles les individus auxquels elle a accordé des pouvoirs doivent comparaître devant elle.
À ce jour, il est généralement accepté que les sous-ministres parlent au nom de leur ministre lorsqu'ils se présentent devant des comités parlementaires. C'est une chose que le Comité des comptes publics suggère de changer; selon moi, il s'agit d'un changement essentiel. Si nous arrivons un jour à clarifier les responsabilités et l'obligation de rendre compte des ministres et des sous-ministres, ce sera en nous assurant que les sous-ministres parlent en leur propre nom.
Le deuxième malentendu vient du point de vue selon lequel le régime des agents comptables enfreint le principe de la responsabilité ministérielle parce que, dans ce régime, ce sont les agents comptables qui prennent les décisions. Ils sont responsables des décisions et, à cet égard, ils doivent rendre des comptes en leur propre nom devant le Comité des comptes publics, au lieu d'avoir la responsabilité que le Bureau du Conseil privé souhaiterait qu'ils aient.
À ce sujet, il y a deux faits qui doivent être biens compris. Tout d'abord, en Grande-Bretagne, le ministre conserve le droit d'infirmer les décisions de l'agent comptable. Il doit le faire par écrit, d'une manière conforme aux règlements du Conseil du trésor. Le secrétaire permanent du sous-ministre indique les raisons pour lesquelles il ne peut pas être d'accord avec les mesures proposées. Ensuite, s'il n'accepte pas les arguments du sous-ministre, le ministre indique qu'il n'est pas d'accord avec le sous-ministre et qu'il tient à ce que sa décision soit mise en application.
Cette correspondance est remise au vérificateur général et au ministère des Finances britannique; le vérificateur général évalue ensuite la question. Cela garantit que le sous-ministre est bel et bien responsable, sauf si le ministre infirme sa décision par écrit, auquel cas c'est le ministre qui est responsable et non l'agent comptable, et ce dernier est exonéré de tout blâme.
Sur ce dernier point, je citerai un haut fonctionnaire britannique, Robert Armstrong :
Le chef permanent d'un ministère qui témoigne devant le comité des comptes publics le fait en vertu de ses devoirs et de ses responsabilités à titre d'agent comptable, tels que les définit la note de service du ministère des Finances intitulée « The Responsibilities of an Accounting Officer. » Toutefois, cela ne limite pas la responsabilité du ministre ni son obligation de rendre des comptes au Parlement à l'égard des politiques, des activités et de la conduite de son ministère. [Traduction]
J'insiste là-dessus parce qu'il est clair, en Grande-Bretagne, que c'est le ministre qui porte la responsabilité définitive; si le ministre omet d'annuler la décision d'un agent comptable, la responsabilité incombe alors à l'agent comptable parce que c'est lui qui a pris la décision et il aura à en rendre compte.
C'est un principe important, sauf qu'il n'enfreint aucunement la doctrine de la responsabilité ministérielle, selon les Britanniques, et je crois que c'est aussi le cas au Canada. Il va à l'encontre de l'interprétation que fait le Bureau du Conseil de la responsabilité ministérielle dans la pratique et, comme je l'ai déjà souligné, le Parlement peut accepter cette interprétation ou en adopter une autre qui lui semble mieux adaptée aux circonstances.
Le malentendu numéro trois, c'est que le régime des agents comptables mènerait à d'innombrables objections officielles de la part des sous-ministres et annulations de décisions de la part des ministres, ce qui serait improductif.
J'ai examiné cette question. En Grande-Bretagne, ces annulations de décisions par des ministres sont appelées des directives ministérielles et elles sont relativement rares. En 23 ans, de 1981 à 2003 inclusivement, il n'y en a eu que 37, soit une moyenne de 1,6 par année. La plupart de ces annulations concernaient des questions relativement mineures et elles n'ont pas fait examinées par le comité britannique des comptes publics.
C'est ici que nous abordons l'une des chevilles ouvrières de ce système. Le ministre et l'agent comptable savent très bien que si leurs désaccords ne sont pas résolus, ils seront portés à l'attention du vérificateur général et du comité des comptes publics, qui procéderont peut-être à une enquête à ce sujet. Il s'agit là d'une incitation à trouver un compromis. En politique, le risque de recevoir mauvaise presse peut être un incitatif puissant à bien se comporter. La menace de se retrouver dans la mire des médias et de subir des critiques incite à tenir des discussions sérieuses et à faire un effort pour en trouver des solutions acceptables à la fois pour le ministre et pour le fonctionnaire. Ce système fonctionne, comme l'attestent le nombre limité d'annulations de la part des ministres et les normes généralement strictes de l'administration financière britannique.
Dans mon mémoire, j'ajoute, à titre de remarque, qu'il y aurait eu beaucoup moins d'annulations, sauf que, en Grande-Bretagne, environ 75 p. 100 de la fonction publique a été cédée à des organismes de direction. Ce sont des organismes quasi autonomes au sein des ministères, et bon nombre des annulations de décisions pendant cette période de 23 ans procédaient de désaccords entre le ministre et les chefs de ces organismes de direction à savoir quels individus avaient droit aux prestations des programmes de sécurité sociale. Ces désaccords ont été réglés.
Ce grand changement administratif a produit beaucoup de choses. Pendant toute cette période, il n'y a eu qu'un seul problème important. C'était un cas où le ministère voulait appuyer un projet de barrage en Malaisie. Les études économiques laissaient supposer que le projet aurait un effet négatif sur le produit intérieur brut.
Je laisserai cette question de côté car j'y ai déjà consacré beaucoup trop de temps. J'avais d'autres remarques à faire sur la distinction entre les politiques et l'administration.
Monsieur le président et honorables sénateurs, j'attirerai maintenant votre attention sur la dernière partie du rapport contenu dans mon mémoire, dans laquelle je propose des principes fondamentaux de la responsabilité et de la reddition de comptes pour la gestion et l'administration dans le système parlementaire du Canada. Cette partie m'a donné beaucoup de mal. J'ai tenté de penser aux principes qu'il fallait observer si nous ne voulons pas, au Canada, utiliser le terme « agent comptable » pour désigner ce que nous voulons faire et si nous ne voulons pas suivre le modèle britannique au pied de la lettre. J'ai dressé cette liste.
Je souhaite souligner que, à mon avis, le fait que la notion d'agent comptable soit d'origine britannique n'est pas un bon argument pour justifier un refus. Notre régime parlementaire est britannique et la Constitution stipule que notre régime gouvernemental doit être semblable au régime britannique. Au Canada, jusqu'en 1931, le vérificateur général effectuait les dépenses et n'était pas un véritable vérificateur externe. Nous avons copié le système britannique en 1931 et nous avons opté pour le système que les britanniques utilisaient déjà depuis 1865.
En 1958, le premier ministre John Diefenbaker a fait en sorte que le Comité des comptes publics ait, pour la première fois, un membre de l'opposition comme président. Nous n'avions jamais eu ça au Canada, mais nous reproduisions un modèle que la Grande-Bretagne utilisait depuis 1865.
À cette époque, en matière de reddition de comptes, la seule chose que nous avons rejetée du modèle britannique, c'était la définition claire des responsabilités et de la reddition de comptes des sous-ministres, par opposition à celles des ministres. Je crois qu'il est possible de nous en inspirer. Merci.
Le président : Merci beaucoup, M. Franks. Avant de passer aux questions, je vous serais reconnaissant d'examiner avec nous les principes fondamentaux que vous proposez et de souligner certains des principes les plus importants sur lesquels vous souhaitiez attirer notre attention.
Il y en a 12 en tout. Y a-t-il deux ou trois principes sur lesquels vous voulez insister?
M. Franks : Je résumerai les quelques premiers principes.
Les premiers indiquent que, dans un système de gouvernement responsable, le Parlement a deux fonctions. Tout d'abord, il attribue des pouvoirs à l'exécutif par l'entremise des lois. En deuxième lieu, il tient le gouvernement responsable de l'application des lois. Le Parlement n'administre pas.
J'indique ensuite qu'il y a une distinction entre la fonction publique et le ministère : la fonction publique est politiquement neutre et, en son sein, le recrutement et les promotions sont fondés sur le régime du mérite. Je ne veux pas dire par là que les politiciens n'ont pas de mérite, mais bien qu'ils ne sont pas neutres sur le plan politique. Ils ne sont pas nécessairement nommés selon le mérite. La fonction publique doit pouvoir — et doit être perçue comme pouvant — servir avec une efficacité égale les gouvernements successifs de diverses allégeances, tout en maintenant les principes de la neutralité, du mérite et de l'anonymat.
Le point 10 se lit comme suit :
En administration des finances et des ressources humaines, les pouvoirs conférés par la loi qui procèdent des principes de la neutralité, du mérite et du bien-fondé administratifs, sont délégués aux sous-ministres.
Je crois que c'est un élément déterminant.
La dernière chose que je souhaite dire, c'est que nous devons créer un système où le Parlement veille à ce que la fonction publique soit soustraite aux pressions politiques et qu'elle puisse être administrée en vertu des principes du mérite et de la neutralité; de plus, nous ne voulons pas dériver vers un système où l'application partisane des pouvoirs de l'État est confondue avec les devoirs de la fonction publique vis-à-vis des lois, des règlements, du Parlement et du pays.
Le président : Merci beaucoup, M. Franks. Je sais que vous avez beaucoup écrit sur ces questions et que vous présentez vos idées depuis plusieurs années.
Avez-vous eu l'occasion d'examiner ce concept de l'obligation ministérielle de rendre des comptes du point de vue d'autres pays, comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou les États-Unis? Outre le modèle de reddition de comptes du Royaume-Uni, y a-t-il des leçons qui peuvent être tirées de l'expérience d'autres pays? Selon vous, quels pays serait-il utile d'étudier? Outre le modèle britannique, y a-t-il autre chose d'intéressant?
M. Franks : La Nouvelle-Zélande a suivi le chemin britannique en créant des organismes directeurs séparés ou en faisant en sorte que l'équivalent de nos sous-ministres soient astreints à des contrats avec des responsabilités et obligation de rendre des comptes clairement définies. C'est un pays beaucoup plus petit. Là-bas, les choses marchent d'une manière différente — mais c'est une région intéressante.
La Grande-Bretagne elle-même, en créant ses organismes directeurs, s'est inspirée du modèle suédois, dans lequel la majeure partie de l'administration est située dans des organismes directeurs séparés, dirigés principalement par des conseils ou des commissions. Pour la plupart, les ministères du gouvernement sont relativement petits et axés sur les politiques. Ce n'est pas le cas pour tous les ministères.
En général, la France et les pays du continent ne sont pas des exemples très utiles car la doctrine de la responsabilité ministérielle n'y fonctionne pas de la même manière.
Le président : Et l'Australie?
M. Franks : Je ne me sens pas apte à répondre. Je n'ai pas encore été capable de démêler l'écheveau de la reddition de comptes et des responsabilités. Les Australiens ont choisi une voie qui ressemble au modèle britannique mais je ne sais pas jusqu'à quel point.
À mon avis, les États-Unis n'offrent pas un exemple utile car, tout d'abord, ils n'appliquent pas la doctrine de la responsabilité ministérielle. Ensuite, les pouvoirs administratifs sont souvent attribués à des services précis du gouvernement, plutôt qu'au secrétaire d'État qui est chargé d'un ministère.
J'en suis resté à la Grande-Bretagne car c'est l'exemple le plus utile, en partie parce qu'il offre la distinction la plus claire, parmi tous les pays, entre la responsabilité et la reddition de compte d'un ministre d'une part et, d'autre part, la responsabilité et la reddition de compte d'un sous-ministre.
Le président : Vous avez évoqué quelques-uns des pays du Commonwealth, notamment l'Australie et la Nouvelle- Zélande. Y a-t-il d'autres pays du Commonwealth qui suivent le modèle de Westminster et qui se sont inspirés du régime des agents comptables, outre ceux dont vous avez déjà parlé?
M. Franks : Je crois comprendre que c'est le cas de l'Inde — mais la gestion financière indienne n'est pas un modèle que j'aimerais voir adopter par le Canada.
Le sénateur Banks : C'est un oxymoron.
M. Franks : En effet!
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Banks : Vous conviendrez que si nous avons un système parlementaire fondé sur le modèle de Westminster, la responsabilité ministérielle est un concept fondamental. Ça ne marche pas sans responsabilité ministérielle.
M. Franks : Oui, monsieur.
Le sénateur Banks : Je n'ai pas compris clairement : dans le modèle dont vous avez parlé, où les agents comptables rendent des comptes devant le Parlement, mais pas au Parlement, le ministre est-il libéré de sa responsabilité tant qu'il ou elle n'annule pas une décision de l'agent comptable?
M. Franks : Oui. C'est exact.
Le sénateur Banks : Si quelque chose tourne mal et si le ministre l'a permis en n'annulant pas une décision de l'agent comptable, ce dernier est alors responsable et le ministre est protégé contre cette responsabilité?
M. Franks : C'est exact.
Le sénateur Banks : Parce qu'il n'a pas annulé la décision de l'agent comptable?
M. Franks : C'est exact.
Le sénateur Banks : Le ministre ne devrait-il pas continuer à être responsable pour n'avoir pas empêché une chose inappropriée?
M. Franks : Cette question comporte deux aspects. Le premier, c'est de donner aux responsabilités de l'agent comptable une portée relativement restreinte, et j'en ai déjà énuméré les paramètres : la régularité, le bien-fondé et l'optimisation des ressources. Dans un spectre qui comprend à l'une de ses extrémités les politiques, les éléments qui relèvent clairement des politiques, et, à l'autre extrémité, les éléments qui relèvent clairement de l'administration, il y a une zone de flou au milieu. Toutefois, les responsabilités de l'agent comptable ont tendance à relever de la zone assez claire de l'administration, et non pas des politiques.
Si le gouvernement adopte une politique, par exemple un approvisionnement en armes pour les militaires, qui se révèle inefficace ou qui comporte des irrégularités qui sont dénoncées, la responsabilité est ministérielle, même s'il est possible de dire que le programme d'approvisionnement lui-même est du domaine administratif.
Pour ce qui est des conflits importants, il n'y en a eu qu'un seul. Il remonte à 25 ans. Pour ce qui est des conflits mineurs, ils ont été assez nombreux. Ce serait le cas où un ministre dirait : « Je veux que l'administration centrale soit installée ici. » ou « Ne croyez-vous pas que telle personne devrait obtenir un contrat? », ou quelque chose dans ce genre-là.
Permettez-moi de vous expliquer cela autrement. Si l'on pense à la question de Développement des ressources humaines Canada dont le Parlement a débattu avec beaucoup de sérieux il y a quelques années, la majeure partie du débat portait sur le fait que l'argent était gaspillé à l'échelon des subventions. Cette question devait relever des responsabilités de l'agent comptable. D'autres personnes ont dit que tout le programme était un gaspillage d'argent parce que ce n'était pas le genre de choses auxquelles il fallait consacrer de l'argent et que le programme n'avait pas été organisé selon les vœux du Parlement. C'est là une responsabilité du gouvernement.
Dans le Programme canadien de contrôle des armes à feu, qui est un autre exemple où le Parlement n'a pas reçu les renseignements appropriés et n'a pas maintenu un contrôle sur le programme, la politique a été approuvée par le Parlement. C'était une responsabilité ministérielle mais, si les ministres n'avaient pas annulé les décisions du sous- ministre responsable, le fait que les dépenses aient atteint des milliards plutôt que les millions prévus aurait mis en cause la responsabilité et l'obligation de rendre des comptes du sous-ministre. Le sous-ministre aurait dû signaler le problème au ministre et dire : « Nous devons régler ça ».
Le sénateur Banks : En général, ce dont vous parlez aujourd'hui s'applique-t-il uniquement aux questions financières?
M. Franks : Oui, bien que l'optimisation des ressources soit un concept assez vaste. Là où cela importe au Canada, c'est dans le domaine de l'administration du personnel, où les sous-ministres reçoivent de vastes pouvoirs exclusifs, sans référence au ministre. Toutefois, il est convenu que, même dans ce domaine, lesous-ministre parle au nom du ministre. Cette convention me trouble car elle implique une capacité politique de responsabilité vis-à-vis de la gestion des ressources humaines, ce qui permet de douter du faut que ces décisions reposent sur la neutralité et le mérite, comme ce devrait être le cas.
Le sénateur Banks : Ceci ne change aucunement... Le meilleur exemple qui me vient à l'esprit, c'est le cas où Lord Carrington a démissionné du ministère des Affaires étrangères duRoyaume-Uni. Tout le monde lui demandait de ne pas le faire. Son argument, c'est qu'il ne pouvait pas se contenter de dire : « Mes sous-ministres ont manqué à leur responsabilité. » Il était d'avis que puisque tout s'était produit pendant son mandat, il était responsable et il devait démissionner.
M. Franks : En Grande-Bretagne, tout comme au Canada, les démissions comportent des enseignements contradictoires. En Grande-Bretagne, les démissions remontent jusqu'à l'époque de l'affaire Crichel Down, dans les années 50, et, pendant des années, l'interprétation officielle voulait que Sir Thomas Dugdale, en tant que ministre de l'Agriculture, avait démissionné parce qu'il n'était pas d'accord avec une décision prise par des fonctionnaires. En fait, plusieurs années plus tard, on a constaté qu'il était bel et bien d'accord avec cette décision. La raison pour laquelle il avait démissionné était que cette décision qu'il appuyait, la décision Crichel Down, se heurtait à l'hostilité des députés conservateurs du Parlement qui étaient propriétaires fonciers. C'est donc le manque d'appui au sein du caucus, plutôt que les erreurs de fonctionnaires, qui avait mené à sa démission.
Il y a plusieurs exemples en Grande-Bretagne, et le cas de Lord Carrington en est un, où des ministres ont démissionné et où ils ont accepté la responsabilité. Toutefois, il y en a tout autant où ils ne l'on pas fait. Après avoir examiné l'ensemble des démissions, j'hésite à dire que les ministres démissionnent invariablement ou qu'ils doivent invariablement démissionner lorsque le ministère commet une faute grave.
En Grande-Bretagne, les choses en sont venues au point où Robin Butler, un chef récent de la fonction publique — et qui est maintenant Lord Butler — faisait, entre la responsabilité et la reddition de comptes, une distinction qui était très différente de celle que fait le Bureau du Conseil privé du Canada. Il disait que la reddition de compte et l'obligation de rendre des comptes signifient la même chose, qu'ils impliquent l'obligation de répondre de ses actes. Il disait que la responsabilité entraîne l'acceptation du blâme. Il disait aussi que les ministres doivent rendre compte au Parlement des activités de leur ministère, en ce sens qu'ils doivent en répondre, mais qu'ils ne doivent accepter un blâme que s'ils ont personnellement pris part à une décision. Ceci n'a pas plu à la fonction publique, comme vous pouvez l'imaginer, ni même au Parlement. L'un des comités de la Chambre des communes britannique était en profond désaccord avec cette interprétation. Comme je l'ai déjà dit, celle d'un haut fonctionnaire de ce pays.
Ce que je veux dire, c'est que ce sont des questions controversées. Les démissions ministérielles sont l'un des plus faibles indicateurs de ce qui constitue ou non la responsabilité d'un ministre : il y a des précédents pour toutes les interprétations disponibles.
Le sénateur Banks : Y a-t-il des précédents de démission d'agents comptables en Angleterre?
M. Franks : Là-bas, la mauvaise presse fonctionne d'une manière quelque peu différente. Il y a un précédent où un agent comptable qui avait commis une erreur grave a été muté à un autre ministère.
Le sénateur Banks : Ce n'est pas la même chose qu'une démission.
M. Franks : À certains égards, les Britanniques sont comme les Japonais pour ce qui est du crime et du châtiment : la dignité est un concept extrêmement important. C'est une perte de dignité terrible que d'être muté d'un poste d'agent comptable pour avoir commis une faute. Cela se produit très rarement. L'autre facteur qui entre en ligne de compte, en Grande-Bretagne, c'est que les agents comptables sont, en général, à leur dernier poste avant de quitter la fonction publique. Autrement dit, ils sont nommés à des postes de sous-ministres plus tard dans leur carrière que les sous- ministres canadiens. Ils risquent la retraite anticipée. Ce qui se produit, c'est que tout le monde sait qu'ils ont commis une erreur. Ils risquent de ne pas obtenir l'anoblissement qu'ils croient mériter.
Il est pertinent de souligner que l'agent comptable qui a pris parti contre le barrage de la rivière Pergau, qui est devenu un important enjeu politique, a été anobli un an plus tard en récompense de ses services — non pas pour cette affaire en particulier, mais pour ses services.
Il y a des châtiments, mais l'important, c'est que l'effet dissuasif de la menace d'une mauvaise presse et de la perte de dignité, de la bonne réputation et de la situation est suffisamment important pour que le système puisse fonctionner. Quant à savoir si, au Canada, ceci peut fonctionner de la même façon, c'est une autre histoire.
Le sénateur Banks : J'aime bien la partie sur l'obligation de répondre de ses actes.
Le président : Vous avez répondu au sénateur Banks qu'il y a des circonstances où le sous-ministre peut être responsable et le ministre non responsable. En droit, nous avons l'habitude de dire que l'expression « l'ignorance de la loi » n'est pas une excuse. Ce que vous nous dites en réalité c'est que, dans un ministère, un ministre peut dire « eh bien, je suis désolé, je n'étais pas au courant de cela, » et c'est bien une excuse valable; est-ce exact?
M. Franks : Pas tout à fait, sénateur. La dénégation plausible fonctionne également au Canada, comme nous avons vu pour le programme des commandites. C'est l'une de ces expression américaines élégantes signifiant : « Ne me dites rien et je pourrai alors dire que je ne savais rien. »
Cette interprétation selon laquelle vous ne pouvez être blâmé que si vous êtes responsable, et vous n'êtes responsable que si vous avez pris la décision vous-même ou si quelque chose que vous avez appuyé n'a pas été acceptée par le Parlement, et l'ignorance ne peut servir d'excuse là-bas; la responsabilité de l'agent comptable est légèrement différente. Si un agent comptable dit : « M. le Ministre, voici comment je vais organiser ce programme, et je vais effectuer ces dépenses, ou voici les règles que je vais suivre. » et que le ministre n'y fait pas d'objection, alors l'agent comptable est responsable. Il pourrait être dans l'ignorance, comme il le serait au sujet de plusieurs décisions précises, car le ministre a la responsabilité du bien-être général de son département. Il doit être convaincu que les règles et les principes très généraux qui sont appliqués aux programmes répondent à ses exigences. C'est pourquoi Robert Armstrong était en mesure de dire que les responsabilités des agents comptables ne portent pas atteinte à la responsabilité du ministre. C'est une marge de manoeuvre relativement étroite.
Je souhaiterais attirer votre attention sur le fait que, même en examinant l'affaire des commandites, nous parlons ici, en termes de dépenses de gouvernement, de montants relativement faibles dans chaque cas, et d'un programme assez petit. Ce montant représente environ 0,01 p. 100 de la dépense du gouvernement du Canada. À ce palier, il est normal de s'attendre à ce que les fonctionnaires effectuent les dépenses. Il est certain que selon la Loi sur la gestion des finances publiques, ce niveau de dépense pour ce type de contrats relève du sous-ministre. C'est une question d'administration et non de politique. La confusion entre la politique et l'administration au Canada a permis qu'un tel problème se produire.
Le président : Nous en prenons bonne note, monsieur.
Le sénateur Ringuette : J'aimerais revenir sur un commentaire que vous avez fait en ce qui concerne la politique et l'administration à DRHC. Selon la procédure qui a cours, les sous-ministres et leur personnel fournissent les données et les analyses des options aux ministres et donc au Cabinet. Les ministres doivent alors faire une recommandation au Cabinet.
La politique de DRHC que vous avez mentionnée a été conçue par la bureaucratie de l'époque. Malheureusement, le sous-ministre et son personnel ont oublié qu'ils avaient à fournir une formation au personnel des régions pour que le programme puisse fonctionner.
Vous avez dit que cette politique était erronée. Cependant, le sous-ministre a présenté des options au ministre, et quand le ministre a approuvé une certaine option proposée par le sous-ministre, ce dernier n'avait pas pris en compte tous les besoins en ressources humaines pour assurer le bon fonctionnement du programme.
La différence entre la politique et l'administration n'est pas aussi distincte parce que l'administration courante fournit les analyses et les options afin que le gouvernement puisse concevoir une politique adaptée à l'option recommandée par l'administration.
M. Franks : Je ne souhaite pas faire de verbiage, et j'espère que cela ne paraîtra pas comme tel, mais, dans l'ensemble, vous avez raison, à quelques précisions près. D'après ce que je comprends, il y avait de très fortes objections au sein du ministère concernant l'administration de la manière qui était préconisée, parce que les gens sentaient que les mécanismes de contrôle financier n'étaient pas adéquats. Comme vous le dites, la formation dont avaient besoin les employés qui accordaient les subventions n'a pas été pas fournie.
Le sénateur Ringuette : En fin de compte, ils ont approuvé une politique du gouvernement et, au palier administratif, ils n'ont pas fourni les conseils appropriés à leur personnel pour mettre en oeuvre ces programmes.
M. Franks : À ce moment-là, le gouvernement du Canada était entiché d'une doctrine appelée la « nouvelle gestion publique, » selon laquelle on autorise des personnes à l'échelon le plus bas à prendre des décisions, comme ce fut le cas dans ce programme. Le vrai problème qui est apparu n'est pas nécessairement que les subventions accordées dans le cadre du programme étaient mauvaises, mais que les pièces justificatives étaient absentes. Dans l'enthousiasme qui entourait la nouvelle gestion publique, le programme a été interprété à l'échelon inférieur comme signifiant, « nous n'avons pas besoin de documents. » Gardez à l'esprit que chaque subvention accordée dans le cadre de ce programme a été appuyée par un député en tant qu'élément d'attribution. Cela ajoute une complexité laquelle, je pense, n'a jamais été suffisamment examinée.
La question pourrait être : qui est responsable, le ministre ou le sous-ministre? Ma réponse est qu'il faut être deux pour danser le tango, mais qu'en fin de compte, le sous-ministre aurait dû approuver ou démissionner. Il ne pouvait pas dire, « Monsieur le ministre ou madame la ministre, je ne suis pas d'accord » et ensuite voir sa décision infirmée. En d'autres termes, la responsabilité était floue. La démission, particulièrement quand les raisons, par tradition, doivent être maintenues secrètes, est un fardeau terrible à imposer à une personne, lorsqu'il s'agit d'un désaccord avec les volontés d'un ministre.
L'autre chose qui aurait pu se produire avec ce programme — on m'a dit que cela s'était produit, mais je ne connais par les détails — est que les personnes qui se sont placées dans une position de refus ont été mutées à d'autres ministères. Cela fait partie du problème auquel nous devons faire face au Canada. Nous avons besoin de règles de base pour nous assurer que des procédures financières appropriées sont respectées.
Le président : Un agent comptable n'aurait pas résolu ce problème, celui du pouvoir du ministre ou du sous-ministre de transférer des personnes.
M. Franks : Sénateur, c'est l'un des grands problèmes, et il en est question dans le rapport de notre Comité des comptes publics, mais il me semble qu'en général, un sous-ministre est en poste pendant deux ans ou deux ans et demi, parfois moins. Les données que j'ai examinées divergent, et je n'ai pas vu de données récentes.
D'après ce que je comprends, les agents comptables britanniques tendent à rester en poste environ cinq ans. Dans tous les travaux que j'ai faits en Grande-Bretagne, je n'ai eu connaissance qu'une seule fois d'un agent comptable muté parce qu'il avait maintenu une position intransigeante vis-à-vis de son ministre. L'agent comptable pourrait avoir eu tort dans ce cas. Je ne saurais le dire.
Au Canada, le fort roulement des sous-ministre signifie, selon moi, que la majeure partie du temps notre Comité des comptes publics examine les problèmes qui se sont produits pendant le mandat d'un sous-ministre précédent, parce qu'il faut environ deux ans pour que quelque chose se passe, soit décelée par le vérificateur général, et signalée au Parlement. C'est un point sur lequel le système devra se pencher.
Le sénateur Ringuette : Ma grande préoccupation à l'égard du concept que vous semblez préférer, le système britannique, est que dans le système courant il n'y a pas de démarcation claire entre ce qui est politique et ce qui est administratif. Je vous donne un exemple.
À l'époque Mulroney, chaque ministre avait un effectif politique de 50 à 60 personnes pour analyser toutes sortes de propositions présentées par la bureaucratie de chaque ministère. De nombreux individus au sein de cet effectif politique étaient des experts et pouvaient présenter une opinion pondérée à l'administration et, en conséquence, au Cabinet, à savoir s'il fallait ou non adopter telle politique et tel programme, et pouvaient s'assurer, en s'adressant aux à la hiérarchie administrative, que ces politiques et programmes étaient correctement mis en oeuvre.
Depuis 1993, comme les Libéraux veulent se montrer plus blancs que blancs, on permet aux ministres un effectif politique maximum de 10 employés, avec un budget de ressources humaines qui ne permet pas d'embaucher ou de retenir des services pour obtenir une analyse pondérée de la production du personnel d'un ministère.
Par conséquent, au Canada en ce moment, il n'y a aucune démarcation entre la politique et l'administration parce tout provient du même endroit.
M. Franks : Il y a ici plusieurs questions. Dans son livre Gouverner du centre, Donald Savoie aurait dit que cet endroit est le même endroit, à savoir le centre.
Le sénateur Ringuette : C'est-à-dire le Bureau du Conseil privé.
M. Franks : Oui, je partage cette préoccupation parce qu'au Canada je pense que nous n'avons jamais résolu de manière satisfaisante la question des employés exonérés des ministres. Ils font partie de l'effectif politique plutôt que de la fonction publique. C'est particulièrement important dans le domaine des politiques, où le ministre a besoin d'entendre des points de vue différents.
Si je devais citer l'exemple d'un programme que je n'ai regardé que brièvement, celui de la pêche, j'offrirais comme contrepoids à la position du ministère les rapports du comité du Sénat sur la question, rapports que je considère les documents les plus utiles que j'ai pu lire.
Le président : Le sénateur Comeau sera heureux d'apprendre cela. Il est membre du comité, mais il n'est pas présent aujourd'hui.
M. Franks : J'ai le plus grand respect pour le sénateur Comeau.
J'ai peur que nos commissions parlementaires tendent à s'agiter à propos de détails plutôt que de grandes choses, et c'est là où je trouve le Sénat extrêmement utile. Cependant, cela concerne la politique, ce qui n'est pas qui vraiment ce dont je parle. J'essaie de répondre à votre commentaire.
Le sénateur Ringuette : Je pense que vous comprenez ma remarque. Étant donné le système actuel et les énormes pouvoirs qu'il comporte, compte tenu des sous-ministres et des sous-ministres adjoints, il n'y a aucune démarcation entre les domaines politique et administratif.
Je suis originaire du Nouveau-Brunswick; depuis 30 ans, la fonction publique fédérale recrute ses effectifs dans une région qui se limite à un rayon de 50 km autour de la région d'Ottawa. Nous avons une bureaucratie centralisatrice qui ne comprend pas les régions de ce pays et qui propose aux ministres des politiques empreintes de cette mentalité centralisatrice.
À mon avis, les sous-ministres doivent être responsables. Je veux souligner le fait que l'ensemble de la bureaucratie doit être remodelée et réalignée en fonction d'une démarcation claire entre les orientations, l'administration, et la politique.
M. Franks : Je suis entièrement d'accord. Vous essayez de repérer des lignes de faille dans l'exécutif. Vous en avez mentionné une précédemment, celle du centre dans le ministère, et c'est bel et bien une ligne de faille.
Les sous-ministres qui ne font que passer et qui n'ont pas beaucoup d'expérience du ministère sont une ligne de faille. La brèche entre l'administration centrale et le terrain est une ligne de faille.
Nous devons nous montrer plus souples à cet égard. Ce qui m'étonne en Grande-Bretagne — pardonnez-moi de donner un autre exemple britannique ici — c'est qu'environ un tiers des nouveaux titulaires des postes supérieurs — sous-ministre adjoint, commissaire délégué et sous-ministre — proviennent de l'extérieur de la fonction publique. La fonction publique britannique exerce un recrutement ouvert; il y a des comités qui déterminent ce que la commission de la fonction publique fait, et le recrutement repose sur le mérite. C'est une façon de rendre les niveaux supérieurs accessibles aux personnes des régions.
Le sénateur Ringuette : Ce système que vous mentionnez et que nous n'avons pas au Canada constitue est une prise de pouvoir par la bureaucratie pour maintenir son propre pouvoir.
M. Franks : Vous voulez dire au Canada?
Le sénateur Ringuette : Oui.
M. Franks : Je vous offre un système qui a une approche sensiblement différente à ce niveau.
Le sénateur Day : Monsieur Franks, merci de votre commentaire en ce qui concerne la différence d'approche entre les comités du Sénat et ceux de la Chambre des communes. Nous avons également constaté cela. D'autres témoins ont aussi fait ce commentaire.
L'une des questions que ce comité a débattue il y a environ deux ans est l'application du projet de loi C-25. C'est une nouvelle loi sur l'administration publique.
M. Franks : La Loi sur la modernisation de la fonction publique?
Le sénateur Day : Le projet de loi C-25.
M. Franks : J'ai témoigné devant le comité à l'époque.
Le sénateur Day : Effectivement. L'un des enjeux était de donner plus de pouvoirs aux sous-ministres dans la loi et de s'attendre à plus à une reddition de comptes plus stricte en contrepartie des pouvoirs accrus qui leur étaient confiés. Des témoins ont appuyé ce concept et d'autres non.
Il y a deux points sur lesquels j'aimerais connaître votre opinion. Premièrement, on nous a dit qu'en donnant plus de pouvoirs et en exerçant une surveillance plus stricte, nous ne verrions pas à l'avenir tous les hauts fonctionnaires obtenir une prime. Cependant, selon le rapport publié la semaine dernière, pratiquement tous obtiennent une prime. On nous avait dit que cela ne se produirait pas, qu'avec des pouvoirs et des responsabilités bien définis, nous pourrions contrôler le rendement et l'efficacité.
Est-il trop tôt pour commencer à contrôler l'efficacité et le rendement de ces pouvoirs étendus?
M. Franks : Je ne pense pas qu'il soit trop tôt. La question qui doit être posée est celle-ci : dans le système, qu'est-ce qui fait que tout le monde obtient une prime? Cela me paraît être comme dans le secteur privé où peu importe ce qui arrive à la valeur des actions d'une société, il semble que le président-directeur général et les administrateurs soient récompensés.
Il se peut que le système de primes soit mauvais. C'est quelque chose qu'il sera intéressant d'examiner. Peut-être devrions-nous supposer que tous obtiennent les mêmes récompenses. La récompense additionnelle, non financière, c'est la reconnaissance du travail bien fait. C'est là où le système britannique de l'anoblissement, par exemple, sert à quelque chose. Il joue un rôle important dans la fonction publique.
Le sénateur Banks : Je suis pour.
Le sénateur Day : Sir Tommy.
M. Franks : Le système français fonctionne selon un principe qu'on appelle l'ascenseur, où chacun monte d'un échelon à la fois. Il n'y a pas de prime.
C'est une chose que nous avons importée du secteur privé. Quand je regarde ce qui est arrivé aux sociétés, à leurs bilans et à leur comptabilité au cours des dernières années, je me demande à quel point cette prime est utile.
Le sénateur Day : Vous dites que ce n'est peut-être pas le bon moyen de déterminer si l'efficacité et le mérite font l'objet d'un contrôle en dehors de la fonction publique.
Connaissez-vous une autre méthode de contrôle ou des éléments que nous pourrions examiner pour déterminer si un sous-ministre fait un meilleur travail qu'un autre?
M. Franks : Je suggère qu'il y a deux mandataires du Parlement, ou presque, entre autres, à qui il vaudrait la peine de poser la question. L'un est le vérificateur général et l'autre, le président de la Commission de la fonction publique. Je ne suis pas certain de connaître la portée de leurs pouvoirs et de leur mandat, mais nous semblons avoir un problème à résoudre. Beaucoup de choses sont cachées dans le gouvernement, dont nous ne comprenons pas comment et pourquoi elles se produisent. Ce me semble être l'une d'entre elles. Je dois dire que nous nous éloignons beaucoup de la question des agents comptables ici.
Permettez-moi de répondre de manière légèrement différente. La Commission de la fonction publique est une création de la loi et, en théorie, elle rend des comptes au Parlement et non à un ministre précis. Elle fait rapport au Parlement par l'intermédiaire du ministre du Patrimoine — je crois que c'est ça — et je me suis souvent demandé si elle ne devrait pas être plus autonome et rendre directement des comptes. Je me demande si cette fonction ne devrait pas consister davantage à surveiller et à qualifier la façon dont les sous-ministres s'acquittent de leurs responsabilités en vertu de la loi — la nouvelle Loi sur la modernisation de la fonction publique — et moins à être un ministère qui gère des activités au jour le jour.
J'ai déjà témoigné en ce sens devant le comité. Cependant, c'est un domaine qui, je pense, vaut la peine d'être examiné, et il est certainement au coeur de la préoccupation de ce comité en ce qui concerne la responsabilité et la bonne gestion au sein du gouvernement.
Le sénateur Day : Là où je veux en venir, c'est aux pouvoirs additionnels que nous avons confiés, au moyen de cette loi et par d'autres moyens, aux sous-ministres. Je me demande si nous allons dans le sens que vous préconisez — sans les appeler agents comptables — ou si nous devons réfléchir à un changement plus fondamental que l'augmentation des pouvoirs?
M. Franks : C'est une bonne question. Les agents comptables en Grande-Bretagne sont véritablement responsables sur le plan financier, et non celui des ressources humaines. Je ne suis pas absolument certain de la façon dont ils fonctionnent. Je ferai deux remarques; premièrement, puisque les trois quarts des fonctionnaires placés dans ces organes de direction, les administrateurs de ces organes ont la responsabilité de la gestion des ressources humaines. Cela varie d'un organe à l'autre, selon les taux salariaux, les conditions de travail et ainsi de suite. C'est ce que l'on appelle aujourd'hui une fonction publique « unifiée mais pas uniforme ». Autrefois, elle était unifiée et uniforme.
Il y a eu beaucoup de questions, particulièrement si on embauche un cadre supérieur du secteur privé et qu'il faut lui verser un salaire beaucoup plus élevé que ceux de la fonction publique; les salaires inférieurs ont alors tendance à monter. Il y a ici des problèmes qui n'ont pas été résolus.
L'autre point qui m'intéresse davantage se situe aux échelons supérieurs, où il y a un apport significatif de l'extérieur de la fonction publique et où la Commission de la fonction publique surveille le procédé de recrutement pour s'assurer qu'il est neutre, fondé sur le mérite et que tous les principes sont pris en compte — application régulière de la loi et tout le reste — lors des nominations...
Le sénateur Day : Parlons de l'administration financière. Il y a environ un an, on a créé le ministère du Contrôleur général, et un employé de ce ministère, un contrôleur, a été placé dans chacun des ministères. Ce contrôleur à un double rôle : il relève dusous-ministre mais aussi du contrôleur général, afin que ce dernier, siégeant au Conseil du Trésor, puisse garder un oeil sur ce qui se passe là-bas. Cela pose-t-il des problèmes à votre avis? Voyez-vous ceci comme une mesure positive ou non?
M. Franks : Je vais reformuler la question. D'une part, le représentant du contrôleur dans le ministère doit-il être l'agent comptable? Ma réponse est : certainement pas; c'est lesous-ministre qui est responsable de la totalité des activités et il doit porter cette vaste responsabilité dans ce cadre.
Nous avons un problème au Canada dans le rapport des administrations financières des ministères avec le Conseil du Trésor. En d'autres termes, la Loi sur la gestion des finances publiques permet au Conseil de Trésor d'attribuer des pouvoirs aux sous-ministres et elle permet au Conseil du Trésor, au besoin, d'assumer le contrôle si l'administration financière du ministère est très mauvaise. La même chose est vraie pour la Commission de la fonction publique et la gestion des ressources humaines.
Mon impression, que je pense être correcte, est qu'en fait le Conseil du Trésor n'a pas fait grand chose pour s'assurer que l'administration financière dans les ministères répond aux normes de régularité et d'intégrité — si je peux les désigner ainsi, par les termes britanniques; en d'autres termes, ils suivent les règles — et le Conseil du Trésor ne se préoccupe pas plus que ça de vérifier si le gouvernement en a pour son argent.
Je considère que le rôle du contrôleur est de s'assurer que quelqu'un de son service vérifiera dans les ministères départements, dans la mesure du possible, que les règlements du Conseil du Trésor sont observés et que les principes de bonne gestion financière sont suivis. Le contrôleur devrait être prêt à sonner l'alarme s'ils ne sont pas suivis.
Je pense également, pour ce qui est des contrôles parlementaires, que la personne devrait relever du sous-ministre et lui rendre des comptes. Puis, à son tour, le sous-ministre est responsable devant le Parlement. Autrement, nous sommes dans la position terrible au sein du Parlement où un conflit existe entre les contrôleurs et les sous-ministres, ce qui je pense n'est pas nécessaire.
Le sénateur Day : Ce n'est probablement pas souhaitable. Si vous voulez que quelqu'un rende des comptes, vous ne voulez pas qu'il puisse dire que quelqu'un d'autre était responsable.
M. Franks : Les sous-ministres doivent estimer que leur responsabilité s'étend au bien-être du ministère, à son intendance, pour s'assurer que ce ministère est bien géré et qu'il suit les règlements, et qu'il projette une image du gouvernement dont les Canadiens peuvent être fiers — pas le gouvernement du parti au pouvoir, mais bien celui des Canadiens. Ce n'est pas à dire que le gouvernement du jour n'est pas responsable au bout du compte, mais la fonction publique et les sous-ministres en particulier, compte tenu des responsabilités que la loi et d'autres instances leur confient, ont le devoir de respecter ces règles du Parlement et ces lois au delà de leurs seules responsabilitésvis-à-vis du gouvernement du jour. Finalement, ils rendent des comptes au peuple canadien.
Là encore, une chose qui s'est perdue dans notre système, c'est le sentiment de propriété à l'égard de l'administration gouvernementale, au sein du Parlement et de la population canadienne. C'est eux qui sont responsables. Ce n'est pas notre gouvernement. C'est le leur. Je pense que c'est une perte terrible.
Le sénateur Day : Cet aspect général dont vous avez parlé plus tôt a soulevé une question que nous avons constatée. Je souhaite en parler, et c'est le domaine de la séparation de la responsabilité de l'administration de la responsabilité de la politique.
Certains ont dit craindre, parce que nous ne les démarquons pas de manière claire — l'administration et la politique — que nous permettions Vérificateur général de ratisser très large lorsqu'il examine les questions qui avoisinent ou même recouvrent des aspects politiques. Avez-vous reçu des commentaires sur ce ministère en pleine croissance qui compte maintenant plus de 500 employés?
M. Franks : Il est plus petit que le même ministère enGrande-Bretagne.
Le sénateur Day : Y a-t-il un parallèle en Grande-Bretagne?
M. Franks : Le British National Office de Grande-Bretagne compte plus de 1 000 employés et il est également responsable de la vérification de l'optimisation des ressources.
Je pense qu'il est tout à fait juste de dire que, à certains égards, vous ne pouvez pas faire la distinction entre la politique et l'administration. Par exemple, qu'appelez-vous la politique de l'administration? Est-ce du ressort de la politique ou de celui de l'administration? Ce n'est pas une question idiote parce que c'est le genre de question dont nous avons discuté aujourd'hui.
En général, j'éviter de m'engager sur ce terrain, parce que je pense que c'est au Parlement de trancher. Pour la plupart, les vérificateurs généraux que nous avons eus ont été extrêmement compétents et particulièrement au courant des limitations et des points forts de leur position. Quand ils s'aventurent dans le domaine des politiques, ils ont tendance à éviter la partisanerie. Curieusement, quand le vérificateur général ose s'engager dans des sujets qui deviennent des enjeux partisans, ce n'est vraiment pas la politique qui pose problème. Le scandale des commandites en est un exemple. Il est clair que c'était l'administration du programme, pas la politique, qui est à l'origine du problème. Je vois le gouvernement défendre la politique, et il l'a fait très vigoureusement, mais je ne vois pas comment l'administration peut se défendre de ne pas avoir appliqué les normes de saine gestion.
Le sénateur Day : Au Royaume-Uni, le ministère semblable à celui de notre vérificateur général est au moins deux fois plus grand que le nôtre, ce qui fait supposer que si nous mettions en oeuvre un système d'agent comptable au Canada, nous pourrions prévoir un groupe de surveillance beaucoup plus grand?
M. Franks : Je vous ai probablement induit en erreur. En Grande-Bretagne, il y a des agents comptables, et 37 ou 38 d'entre eux sont pour le ministère. Les principaux agents comptables sont nommés par le ministère des Finances. Dans certains ministères, il y a des agents comptables subalternes nommés par le secrétaire permanent. Ils ont un pool d'activités, comme ils l'appellent, ou quelque chose qui est considéré en tant qu'activité à part. Ils sont une trentaine.
Puis, il y a les organes exécutifs, qui ont un agent comptable chacun. Je ne me souviens pas exactement, mais je pense qu'ils sont plus de 100. Puis, ils ont des agents responsables. Dans un État unitaire comme celui-là, quand vous observez le système national d'assurance-maladie, il y a toutes sortes d'organismes privés, d'agences locales de santé, d'hôpitaux, et cetera. Chacun possède un agent comptable, et le National Audit Office les passe tous au crible. Le National Audit Office est très occupé entre l'examen des activités du gouvernement local, quelques activités régionales, et les activités fédérales, Rien que de les regarder demande plus de personnel que nous en avons au Canada.
En fait, le Comité des comptes publics examine de temps en temps les activités de tous ces agents comptables. Dans un exemple intéressant, le vérificateur général a cité un agent comptable, qui était directeur d'un hôpital, et le rapport a complimenté cet agent comptable pour avoir pris de bonnes décisions sur l'utilisation de l'hôpital et de ses disponibilités. Ce n'est pas toujours un processus hostile ou négatif.
Le sénateur Day : Au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense — et cela peut être particulier à la psychologie militaire — nous avons constaté que les hauts fonctionnaires et le personnel militaire de ce ministère estiment souvent qu'ils ne sont pas en mesure de dire à une commission parlementaire ce à quoi ils pensent, ou de répondre aux questions. Cela ne se limite pas aux questions délicates. De mon point de vue, il peut s'agir de questions administratives. Ils disent qu'ils ont l'occasion dans leur ministère de régler ces choses-là. Quand ils viennent au comité, ils sont là au nom du ministre, et ils ne veulent pas faire ou dire quoi que ce soit pour embarrasser le ministre.
Je ne pense pas que cela soit exclusif au ministère de la Défense nationale, mais cela a certainement été souligné lors des audiences du comité de la défense. Si nous étions en mesure de mettre en application un système plus proche du système britannique des agents comptables, ici au Canada, éviterions-nous ce problème particulier qui fait obstacle au rôle du comité parlementaire?
M. Franks : La nouvelle loi de 2000 au Royaume-Uni prévoit qu'il y a un agent comptable pour chaque crédit du budget des dépenses. Je n'ai pas regardé le budget militaire, mais il doit bien y avoir cinq ou dix crédits dans le ministère.
Le sénateur Day : Au moins!
M. Franks : Il y aurait donc un agent comptable pour chacun. Cet agent comptable serait responsable de la régularité, du bien-fondé, et de l'optimisation des ressources en regard d'un crédit budgétaire.
Le sénateur Banks : Devrait-il en répondre?
M. Franks : Tout à fait.
Un autre facteur entre en ligne de compte. Le Royaume-Uni a eu des problèmes avec des ministres, qui ne mentaient pas au Parlement mais, pour citer un autre haut fonctionnaire, « étaient parcimonieux dans leur manière d'aborder la vérité. » En d'autres termes, ils ne fournissaient pas toute l'information en leur possession.
Ceci aboutit à l'enquête Scott en Angleterre, au terme de laquelle il a été conclu que la responsabilité ministérielle ne signifie pas qu'un ministre doit démissionner ou se lever et déclarer : « Je suis responsable et j'appuie la décision. » Ce n'est pas la solution. La solution, c'est que le ministre doit veiller à ce que des données exactes et complètes soient fournies au Parlement. Il y a eu une longue série de très bons rapports du comité spécial sur l'administration publique à la Chambre des communes britannique, dans lesquels on recommandait fortement d'appliquer cette exigence et de veiller à ce que les ministres rendent des comptes. Les comptes qu'ils rendent doivent être exhaustifs, exacts, pertinents, et comprendre tout renseignement que le Parlement est en droit d'obtenir.
Nous n'avons pas encore imposé cette discipline aux ministres ou aux fonctionnaires du Canada.
Le président : Si le Canada devait adopter le modèle britannique d'agent comptable que vous avez brièvement décrit aujourd'hui, quel serait le rôle continu du Conseil du Trésor et du Bureau du Conseil privé? Ces organes centraux contribueraient normalement impliqués à corriger les comportements indésirables des sous-ministres à l'égard des directives, des règlements et des politiques de la fonction publique, qui sont les trois aspects dont s'occupe l'agent comptable britannique.
Eu égard à l'obligation ministérielle de rendre des comptes, quelle serait la responsabilité du Bureau du Conseil privé? Quelle serait la responsabilité du Secrétariat du Conseil du Trésor?
M. Franks : Le plus grand changement interviendrait au Conseil du Trésor, parce qu'il aurait alors vis-à-vis du Parlement la responsabilité de s'assurer que les lois et les règlements sont observés, et que les recommandations faites au Comité des comptes publics sont mises en application ou prises en compte.
Si je voulais montrer du doigt un organisme central pour avoir péché par omission, ce serait le Conseil du Trésor, qui n'a pas respecté son engagement au sein du gouvernement; en toute justice, le Parlement, ni qui que ce soit d'autre, n'a exercé aucune pression en ce sens.
Le Bureau du Conseil privé devrait réexaminer ses procédures pour ce qui est de recommander des changements et des nominations aux échelons supérieurs. Il faudrait examiner cela.
Vous n'avez pas parlé du Bureau du premier ministre. D'après ce que j'ai compris du scandale des commandites, il y avait des gens au Bureau du premier ministre qui donnaient des instructions directement aux fonctionnaires des ministères. Il faut mettre un terme à cela. Il devrait y avoir une barrière beaucoup plus étanche entre le personnel du bureau du ministre et l'administration aux échelons inférieurs des ministères.
Le président : Le temps a passé si vite qu'il ne nous en reste plus. Nous vous demanderons peut-être de revenir à une date ultérieure. J'ai encore de nombreuses questions que je voudrais vous poser sur ce concept fascinant qui pourrait peut-être être adopté ici au Canada, mais avec une saveur canadienne. Nous ne nous contenterions pas de reproduire le modèle britannique, parce que nous avons adopté un certain nombre de choses en provenance de Westminster. Nous les avons rendues canadiennes, et peut-être pouvons-nous faire de même avec ce concept.
Honorables sénateurs, notre prochaine réunion aura lieu mercredi soir. Nous discuterons alors du rapport préliminaire à soumettre au Parlement.
La séance est levée.