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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 28 - Témoignages du 18 octobre 2005


OTTAWA, le mardi 18 octobre 2005

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 9 h 35 pour examiner le Budget principal des dépenses déposé au Parlement pour l'exercice se terminant le 31 mars 2006.

Le sénateur Joseph A. Day (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Honorables sénateurs, je déclare ouverte la 42e réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Le comité a pour mandat d'examiner les dépenses effectuées par le gouvernement, soit directement en vertu du budget, soit indirectement en vertu des lois.

[Français]

Le lundi 7 mars 2005, notre comité a été autorisé à étudier, afin d'en faire rapport, les dépenses projetées dans le budget principal des dépenses pour l'exercice se terminant le 31 mars 2006.

[Traduction]

Il s'agit de notre dixième réunion depuis le 9 mars 2005 consacrée à l'examen du Budget principal des dépenses. Nous examinons les dépenses du gouvernement sous l'angle d'une plus grande reddition de comptes et d'une meilleure transparence. Le régime parlementaire canadien repose sur la convention et la pratique constitutionnelles de l'obligation ministérielle de rendre des comptes. Les ministres fédéraux sont responsables devant le Parlement et doivent lui rendre des comptes, collectivement à titre de membres du cabinet et individuellement à titre de ministres. Cette convention émane du principe démocratique selon lequel seuls les représentants élus, et non les fonctionnaires qui les assistent, doivent être tenus responsables du fonctionnement du gouvernement.

Pour discuter de ces questions et d'autres, nous accueillons aujourd'hui le professeur Peter Aucoin, l'un des politologues les plus respectés du Canada. Il a fait ses études à Halifax à l'Université Saint Mary's et obtenu une maîtrise à l'Université Dalhousie. Il a ensuite obtenu son doctorat de l'Université Queens à Kingston en Ontario. Originaire de Halifax, le professeur Aucoin enseigne au département des sciences politiques de l'Université Dalhousie depuis 1970. Il a été président du département de 1992 à 1995 et directeur de l'École d'administration publique de 1985 à 1990. Il est actuellement professeur titulaire de la chaire Eric Dennis, professeur en gouvernement et en science politique et professeur en administration publique à l'Université Dalhousie à Halifax.

Le professeur Aucoin est également senior fellow de l'école de la fonction publique du Canada et siège au conseil consultatif d'universitaires auprès du secrétariat du Conseil du Trésor. Il a aussi servi les trois paliers de gouvernement en qualité de conseiller et de chercheur. Tout dernièrement, il faisait partie du groupe consultatif externe du greffier du Conseil privé sur la modernisation de la gestion des ressources humaines dans la fonction publique.

Le professeur Aucoin est l'auteur ou le coauteur de plus d'une dizaine d'ouvrages et de monographies, d'une soixantaine d'articles et de chapitres d'ouvrage et d'une trentaine de documents de conférence. Un de ses ouvrages les plus récents s'intitule Moderniser l'obligation de rendre compte du gouvernement : un cadre de réforme, publié par l'école de la fonction publique du Canada et rédigé en collaboration avec Mark Jarvis.

Avant de donner la parole au professeur Aucoin, je souhaite la bienvenue aux sénateurs qui sont ici aujourd'hui : le sénateur Ringuette, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Ferretti Barth, du Québec; le sénateur Mitchell, de l'Alberta.

[Français]

De la Nouvelle-Écosse, le sénateur Comeau.

[Traduction]

Le sénateur Murray, de l'Ontario; le sénateur Harb de l'Ontario. Je suis le sénateur Joseph Day du Nouveau-Brunswick et je suis le vice-président du comité. Il n'est pas parmi nous aujourd'hui, mais c'est le sénateur Oliver de la Nouvelle-Écosse qui est le président du comité.

Professeur Aucoin, je vous cède la parole.

Peter Aucoin, professeur, Département des Sciences politiques et l'école de l'administration publique, Université Dalhousie, témoignage à titre personnel : Bonjour. J'ai préparé un canevas de mon allocution d'aujourd'hui.

Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant le comité pour débattre d'une question aussi importante. J'aborderai cinq point. Les grands principes de la responsabilité ministérielle dans notre régime de reddition de comptes publics; pourquoi le système est complexe au lieu d'être simple; les confusions et les mystères de la responsabilité ministérielle; la question de l'obligation redditionnelle des sous-ministres; et pourquoi l'obligation redditionnelle des sous-ministres est une question importante.

Il ne faut pas confondre la convention constitutionnelle de la responsabilité ministérielle et le régime de gouvernement responsable, même si les deux sont liés.

La convention veut que les ministres soient placés à la tête des ministères pour administrer les affaires publiques. Cela signifie que les ministres ont le pouvoir et la responsabilité, ce qui semble simple.

Le recours à un ministère remonte à la première partie du XIXe siècle, en Grande-Bretagne, lorsque les conseils des ministres dirigeaient les grands ministères d'État. De fait, le seul vestige de ce système qui me vienne à l'esprit dans le régime de Westminster est le Conseil du Trésor du Canada, qui constitue un conseil de ministres investi de pouvoirs conférés par la loi et de l'autorité d'agir. Aucun des autres régimes de Westminster n'a conservé de conseils de ce genre jouant ce rôle. Partout ailleurs c'est un ministre qui est la personne responsable. Par exemple, en Grande-Bretagne, les pouvoirs conférés au Conseil du Trésor sont en grande partie entre les mains du ministre responsable du Trésor. En Australie, ils sont confiés au ministre responsable du Trésor et au ministre des Finances et de l'Administration.

La question de la responsabilité individuelle ministérielle en qualité de ministre est en fait l'exécutif et, celui-ci doit rendre des comptes au Parlement. Dans le contexte canadien, cela signifie que le pouvoir et la responsabilité ministérielle découlent des lois, y compris des affectations budgétaires.

Il faut signaler que le Canada a incorporé dans les lois quantité de mesures qui se prennent en vertu de la prérogative royale, comme cela se fait en Grande-Bretagne. Par exemple, au Canada, les ministères sont créés au moyen d'une loi tandis qu'en Grande-Bretagne ils le sont en vertu de la prérogative royale. Cela a des répercussions importantes sur la notion d'un agent comptable, dont je vais parler dans un instant. Les ministres sont responsables, comptables, tant à la Chambre des communes qu'au Sénat pour ce qui est de l'exercice de leur pouvoir dans l'exercise de leurs fonctions. Le pouvoir émane du Parlement et c'est au Parlement que les comptes sont rendus. Le pouvoir ne provient pas exclusivement de la Couronne.

Les ministres doivent rendre des comptes au Parlement, ce qui signifie qu'ils doivent répondre et expliquer mais aussi au besoin justifier et défendre leurs actes et leurs décisions. Je le précise parce que beaucoup de gens viendront vous dire que rendre des comptes ce n'est que donner un compte rendu. Ce n'est toutefois que la moitié de l'équation et se contenter d'expliquer ou de répondre n'est également que la moitié de l'équation car il faut également justifier et défendre ce qui a été fait.

L'autre moitié de l'obligation de rendre compte c'est que le Parlement exige des comptes. Les ministres sont interrogés et c'est le Parlement qui juge. Il peut prendre une sanction mais il ne peut pas punir, comme je l'expliquerai tout à l'heure. Le Parlement peut se prononcer sur les actes commis et, comme on l'a vu tout récemment, les conséquences pour la réputation peuvent être immenses.

Le Parlement peut citer le nom d'un ministre ou le blâmer mais il ne peut pas le démettre ou lui donner des instructions. Certains vous diront que l'obligation redditionnelle ne signifie pas blâmer; autrement dit, ce n'est pas forcément quelque chose de négatif. Il reste néanmoins que le blâme existe. Quand quelqu'un a fait quelque chose qu'il n'aurait pas dû faire, et ne peut pas justifier son acte, son nom doit être mentionné et il doit être blâmé, ce qui est peut-être une façon péjorative de formuler la chose, mais c'est un élément essentiel de la reddition de comptes. Or, plusieurs personnes ont laissé entendre que ce n'est pas le cas.

Le Parlement ne peut pas démettre un ministre, le forcer à démissionner ou lui donner des ordres. C'est le premier ministre qui décide quand un ministre doit être démis ou doit démissionner. Le Parlement peut exercer des pressions très fortes sur un premier ministre et un premier ministre peut suggérer à un ministre de démissionner au lieu d'être congédié.

La question de la démission n'appartient pas au Parlement et ne lui a jamais appartenu. La seule fois où elle a appartenu au Parlement, c'est lorsque le Parlement a enclenché la procédure de destitution. Avec l'apparition du gouvernement responsable dans le système constitutionnel britannique du gouvernement de Westminster, la procédure de destitution a disparu. Elle existe toujours, mais c'est une pratique révolue. Évidemment, les Américains l'ont reprise. Nous n'y avons pas recours parce que nous utilisons le système de gouvernement responsable où c'est le gouvernement tout entier qui doit être défait.

Il s'ensuit naturellement que quand quelque chose doit être fait, c'est le ministre ou le gouvernement qui intervient ou qui décide de prendre des mesures, si besoin est. Le Parlement ne donne pas d'ordre. Tels sont les principes de base bien qu'il y ait certaines exceptions dont je parlerai tout à l'heure.

Le système, composé de deux éléments, n'est pas simple. La convention du gouvernement responsable peut l'être, mais le système du pouvoir est complexe. Il y a la responsabilité ministérielle individuelle et la responsabilité ministérielle collective, comme le vice-président du comité l'a fait remarqué ce matin.

La responsabilité ministérielle collective est reliée à la convention constitutionnelle du gouvernement responsable. Le gouvernement a besoin de la confiance de la Chambre. S'il la perd, ou bien il démissionne ou bien il déclenche des élections. Ce grand principe du gouvernement responsable est censé garantir que l'assemblée législative, composée des élus du peuple, a la haute main sur l'exécutif.

Comme je l'ai dit, le système est complexe et suppose une répartition ou une dispersion du pouvoir et de la responsabilité, outre une diffusion de l'obligation redditionnelle. Nous avons dit que les ministres sont les dirigeants des ministères et des portefeuilles. Il y a aussi le cabinet sous forme de gouverneur général en conseil, qui désigne le cabinet lorsqu'il porte sa casquette juridique.

Au Canada, si l'on se compare à d'autres systèmes de Westminster, nous faisons beaucoup plus de choses par l'intermédiaire du gouverneur en conseil à cause de la contrainte de la représentation régionale. C'est le cabinet qui prend des décisions qui dans d'autres systèmes seraient prises par un ministre.

Outre les ministres et le Cabinet, il y a aussi le Conseil du Trésor. Ce conseil est créé par une loi qui lui donne le pouvoir de prendre des décisions finales. Ses pouvoirs sont conférés essentiellement par la Loi sur la gestion des finances publiques, de sorte que ses décisions n'ont pas à être soumises au cabinet.

Outre le Conseil du Trésor, il y a la Commission de la fonction publique qui est un organisme exécutif indépendant — exécutif parce qu'elle possède le pouvoir exécutif de doter les postes de la fonction publique du Canada. La CFP doit rendre des comptes au Parlement par l'entremise d'un ministre, quoiqu'elle devrait probablement les rendre directement au Parlement.

Quoi qu'il en soit, les pouvoirs conférés à la CFP ne sont pas des pouvoirs conférés aux ministres. Les ministres n'ont pas le pouvoir de doter les postes de la fonction publique du Canada. Comme on l'a vu dernièrement, on a rencontré quelques difficultés à cet égard.

Les sous-ministres disposent d'un pouvoir légal. Vous constaterez en effet que la Loi sur la gestion des finances publiques confère des pouvoirs considérables aux sous-ministres dans certains domaines administratifs et de gestion, comme c'est le cas d'autres lois, notamment la Loi sur la modernisation de la fonction publique. Il existe des pouvoirs officiellement délégués par la Commission de la fonction publique et par le Conseil du Trésor, et non le secrétariat du Conseil du Trésor. Dans tous ces cas, les pouvoirs conférés au sous-ministre ne le sont pas à son ministre. Ils lui sont conférés directement sans passer par le ministre. C'est ce qui rend le système complexe.

En ce qui concerne la responsabilité ministérielle, la confusion et les malentendus règnent. Je suis certain que les sénateurs s'y sont confrontés souvent et ont essayé de les tirer au clair eux-mêmes. La première est l'assertion selon laquelle personne n'accepte la responsabilité.

Le fait est que le Parlement exige des comptes des ministres ou des sous-ministres et c'est cela qui a vraiment de l'importance. Le principe veut qu'une personne est jugée responsable si le Parlement peut exiger qu'elle lui rende des comptes; et c'est ce qui est important pour juger de l'application réussie du principe. Le fait que des ministres ou d'autres aient pu nier leur responsabilité est, dans un certain sens, sans pertinence. Des personnes comme les sénateurs sont censés exiger d'eux des comptes pour affirmer qu'ils sont responsables. Il arrive souvent que les ministres nient toute responsabilité.

Dans notre système, le postulat n'a jamais été que dès qu'une allégation est portée contre un ministre celui-ci s'empressera de commettre un hara-kiri politique et démissionner; non, le système présuppose plutôt un affrontement entre l'assemblée législative et le pouvoir exécutif. Le système n'a jamais prévu que les gens allaient se déclarer responsables et coupables. Cela n'a jamais fait partie du système britannique non plus.

Les anciens ministres ne sont pas responsables. C'est là que nous butons sur le mot « responsable ». S'il signifie simplement que les ministres possèdent cette responsabilité et ce pouvoir, alors, c'est exact. Toutefois, un ancien ministre n'est pas responsable puisqu'un ancien ministre n'est plus ministre. C'est une lapalissade. Cela ne signifie pas pourtant qu'un ancien ministre n'est pas responsable, en ce sens qu'il n'est pas coupable de ce qui s'est produit par le passé. On peut encore lui demander de rendre des comptes, on peut encore le blâmer ou le punir. Les anciens ministres ne s'en tirent pas impunément. Même s'ils ne sont plus ministres, même s'ils ont démissionné, même s'ils ne siègent plus à l'assemblée législative, les anciens ministres ont encore des comptes à rendre. S'ils sont morts, ils ont encore des comptes à rendre. Manifestement, en l'occurrence, on ne peut leur demander de rendre des comptes à leur posant des questions, mais leur nom et leur réputation peuvent en souffrir.

En ce sens, le système est étanche. La confusion règne au sujet du terme « responsable » parce qu'on s'en sert pour décrire à la fois une obligation et un pouvoir ou l'autorité, fait qu'on confond les deux, en anglais. On prend l'un pour l'autre, il n'y a pas moyen d'y échapper. Il ne faudrait pourtant pas laisser la langue nous empêcher de comprendre le principe constitutionnel.

Ensuite, on prétend que rien n'arrive, quand quelque chose ne va pas. Rappelons qu'il incombe au Parlement, en particulier à la Chambre des communes, de faire pression sur le premier ministre et le gouvernement pour qu'ils réagissent, qu'ils interviennent. La responsabilité ministérielle est une forme de responsabilité politique. Si la politique n'intervient pas, rien ne se produira quand les choses tournent mal. Il ne s'agit pas d'un tribunal. C'est, si l'on veut, le tribunal de l'opinion publique et il incombe donc au Parlement d'agir parce que, c'est très important, il en a la capacité : il a la capacité intellectuelle d'en venir au fait, de faire la recherche, de poser les bonnes questions pour s'assurer que quelqu'un s'acquitte de ses responsabilités.

Bon nombre de questions pointues doivent être posées. Premièrement, je tiens à dire que les ministres n'ont pas tout le plein pouvoir exécutif sur l'administration ministérielle des affaires publiques. Il y a des exceptions au principe de base. Il est absolument essentiel de bien le comprendre, puisqu'on se trompe un peu en pensant qu'ils détiennent le pouvoir en vertu d'un principe général. Il y a des nuances à apporter. Le Conseil du Trésor, par exemple, adopte toutes sortes de règlements concernant l'administration des ministères et les ministres doivent les suivre. C'est la loi de notre pays. La Commission de la fonction publique s'occupe de la dotation jusqu'au niveau du sous-ministre adjoint. Ce ne sont pas les ministres qui font la dotation à leur ministère. Le premier ministre nomme les sous-ministres avec lesquels chacun des ministres doit travailler et le Conseil du Trésor a les propres pouvoirs que lui confère la loi, sans oublier les pouvoirs délégués du Conseil du Trésor et de la Commission de la fonction publique. Je le répète, ces pouvoirs ne sont pas conférés au ministre, mais au sous-ministre.

On ne saurait s'attendre à ce que les ministres acceptent la responsabilité à titre de culpabilité personnelle pour des actes commis par les fonctionnaires du ministère, s'ils n'étaient pas au courant ou s'ils n'auraient pas dû être au courant, puisque les fonctionnaires ne sont pas nommés par les ministres. Voilà pourquoi on accepte qu'on dise que les ministres doivent réagir dès qu'ils entendent parler d'un problème dans leur ministère et décident soit de prendre des mesures ou de ne pas en prendre, mais ils ne sont pas personnellement coupables s'ils n'étaient pas au courant ou n'auraient pas dû l'être, ou s'ils n'étaient pas personnellement mêlés à l'affaire. Tout ça, parce qu'ils ne font pas la dotation de leur ministère. Il s'agit de fonctionnaires qui ont été recrutés par quelqu'un d'autre. C'est un élément important.

Par ailleurs, les ministres sont tout à fait responsables de tout ce que fait leur personnel politique, qu'ils soient au courant ou non. Si un ministre engage un membre de son personnel politique, comme adjoint ministériel, et que cet adjoint agit de manière répréhensible, le ministre doit en accepter la responsabilité, personnellement, à 100 p. 100. Autrement, il y aurait une échappatoire dans le système. Ce ne sont pas des fonctionnaires. S'ils l'étaient, le ministre pourrait dire : « Ce n'est pas moi qui l'ai fait, je vais me renseigner sur ce qui s'est produit et j'interviendrai au besoin ».

On en a vu un cas récent au ministère de l'Immigration. Sous un ancien ministre, deux groupes d'employés étaient en cause, d'une part, des adjoints politiques et de l'autre, des fonctionnaires. Dans le cas des fonctionnaires, il s'agissait de savoir si le ministre était au courant. Dans le cas des adjoints politiques, on a décidé qu'il s'agissait de savoir si le ministre était au courant ou pas, et il aurait dû en être autrement. Peu importe que le ministre soit au courant, en fait. Autrement, le système comporte une énorme lacune.

C'est une question qui donne du souci aux Australiens puisque dans leur régime, le personnel politique ne peut même pas comparaître devant des comités parlementaires. Je pourrai revenir là-dessus plus tard, si vous le souhaitez.

Un grave problème se pose avec le personnel politique, si on n'accepte pas le principe que je viens d'énoncer.

Enfin, les fonctionnaires qui comparaissent devant les comités parlementaires doivent dire la vérité, mais ne sont pas tenus de discuter de questions politiques.

Les fonctionnaires ne peuvent ni défendre ni critiquer les politiques, les décisions ou les mesures ministérielles. On les voit rarement formuler des critiques, mais nous avons récemment eu des problèmes parce qu'ils tenaient un peu trop à défendre ou vanter leur ministère. À l'exception des sous-ministres, les fonctionnaires n'ont ni pouvoir ni responsabilité propres. Ils n'ont que des pouvoirs délégués. C'est bien entendu vrai pour les sous-ministres, pour tout ce qui n'est pas un pouvoir conféré par la loi.

La responsabilité de la fonction publique, sauf pour certains aspects incombant aux sous-ministres, remonte jusqu'au sous-ministre. J'insiste sur le fait que cela relève du sous-ministre. Les fonctionnaires de rang inférieur à celui de sous-ministre n'ont pas de comptes à rendre au ministre mais à leurs supérieurs hiérarchiques, jusqu'au sous-ministre. Le sous-ministre doit rendre des comptes au ministre, mais pas les fonctionnaires qui eux, relèvent du sous-ministre. Ils disent éprouver une certaine responsabilité envers leur ministre, mais il est important de reconnaître qu'elle n'existe qu'envers leurs supérieurs hiérarchiques. C'est la raison d'être des hiérarchies.

Pour ce qui est de la responsabilité des sous-ministres, il faut rappeler qu'il s'agit de pouvoirs conférés par la loi, indubitablement. D'autres témoins l'ont dit clairement et vous pouvez vérifier vous-même dans nos lois. Ils ont des pouvoirs conférés par la loi pour des questions de gestion des ministères, sans qu'ils aient à s'adresser à leurs ministres respectifs.

À mon avis, les sous-ministres devraient rendre des comptes directement pour l'exercice de ces pouvoirs, du moins pour ceux qui émanent du Parlement. Je pense aussi que cela renforcerait la reddition de comptes, s'ils rendaient des comptes au Parlement pour les pouvoirs qui leur sont délégués par le Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique, même s'ils continuaient d'en rendre aussi à ces deux organismes.

Les sous-ministres ne peuvent rendre des comptes à leurs ministres ou au premier ministre pour ces pouvoirs, puisque le ministre et le premier ministre n'en sont pas la source. Ces pouvoirs viennent d'ailleurs. Le ministre et le premier ministre ne peuvent donner d'instruction aux sous-ministres pour ces questions, du moins pas officiellement. On ne peut leur donner des ordres. Ils peuvent leur dire ce qui doit être fait, comme vous ou moi pourriez le dire à un sous-ministre, mais ils n'ont pas le pouvoir de leur donner des ordres. C'est une question qui est très claire dans le scandale des commandites.

En ce sens, le ministre ne peut contredire le sous-ministre à propos de ces questions, puisqu'il n'a pas les pouvoirs du sous-ministre. C'est une question qui est clairement soulevée dans le régime de l'agent comptable, puisqu'on présuppose que le ministre est ultimement responsable. J'en reparlerai.

À mon avis, selon l'opinion du gouvernement actuel, notre système de responsabilité comporte une énorme lacune. Selon le Conseil privé, les décisions des sous-ministres pourraient être annulées par leurs ministres, et les sous-ministres doivent rendre des comptes à leurs ministres pour tous ces pouvoirs, mais comme les ministres ne peuvent leur donner d'ordre à propos de ces questions, ils ne pourraient les en tenir complètement responsables. À mon avis, cela crée une grave lacune dans le système.

Il est important de souligner, pour ceux d'entre vous qui s'inquiètent de la relation entre les ministres et les sous-ministres, que je ne parle pas de nouveaux pouvoirs. Ce sont des pouvoirs qui existent déjà, qu'ils possèdent déjà. Le système est déjà tel que je viens de le décrire.

Il est également important de souligner le fait qu'il ne s'agit pas de créer une distinction entre la politique et l'administration. C'est une question théorique qui n'a aucune pertinence ici. La loi accorde déjà aux sous-ministres des pouvoirs dans certains domaines, et c'est de cela qu'il s'agit. Peu importe que vous appeliez cela politique ou administration; le pouvoir d'agir existe.

À mon avis, les sous-ministres sont déjà obligés de rendre des comptes aux comités parlementaires, du moins dans certains cas, peu importe ce qui s'est produit. Voyez le Comité des comptes publics. À titre d'exemple, le Comité des comptes publics exige du sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux qu'il rende des comptes. Si ce n'est pas le tenir responsable, je ne sais pas ce que c'est. Ainsi, le système existe déjà et permet d'interroger, d'examiner, de juger, de faire des observations et d'imposer des sanctions.

Dans une certaine mesure, il s'agit d'un faux-fuyant. Ça existe déjà; nous ne voulons simplement pas le reconnaître.

Il est également vrai que les comités parlementaires ne peuvent pas donner d'instructions à un sous-ministre ni le discipliner; seuls d'autres ont le pouvoir de faire cela. Mais, ils ne peuvent pas non plus agir de cette manière à l'égard des ministres. L'argument selon lequel les comités parlementaires ne peuvent pas donner d'instructions ni discipliner un sous-ministre, ce qui laisse entendre qu'ils peuvent agir ainsi à l'égard des ministres, est tout à fait faux. Ils ne peuvent pas donner d'instructions à un ministre; ils ne peuvent pas discipliner un ministre.

Les comités parlementaires sont également politiques. On fait grand cas des différences entre le Canada et le Royaume-Uni à cet égard. Il y a des différences relatives entre les deux.

Les comités parlementaires sont politiques, mais le gouvernement l'est également. Un sous-ministre qui comparaît devant un comité parlementaire n'y est quand même pas exposé à la politique pour la première fois. Ils travaillent dans un système gouvernemental où ils sont pleinement exposés à la politique partisane.

À mon avis, il n'est nullement besoin de mettre en place un régime avec un agent comptable, comme au Royaume-Uni. Il suffit de reconnaître que les sous-ministres ont des pouvoirs légaux, qu'ils doivent rendre des comptes aux comités parlementaires et qu'il ne leur est pas permis de prendre refuge derrière la responsabilité ministérielle, dans les cas où ce sont eux qui ont les pouvoirs d'agir. C'est leur pouvoir, pas celui du ministre; ils doivent en rendre compte.

Je pense qu'il y a une différence importante entre le Canada et le Royaume-Uni. Au Royaume-Uni, comme tout se fait en vertu de la prérogative, le pouvoir ultimement appartient au ministre. Si un ministre souhaite annuler la décision d'un agent comptable, qui est soit un secrétaire permanent ou un dirigeant d'organisme, il peut le faire, car il en a le pouvoir.

Le secrétaire permanent détient ces pouvoirs en vertu des règles du Trésor. Ces règles sont établies par le Trésor, le ministère qui établit le système. C'est pourquoi Ned Franks mentionne que nos sous-ministres ont beaucoup plus de pouvoirs que les secrétaires permanents britanniques. Ils ont des pouvoirs légaux.

Par conséquent, je pense qu'il est presque inapproprié, à la limite peut-être même illégal, qu'un ministre impose sa volonté malgré l'avis du sous-ministre. Pouvez-vous imaginer un ministre qui se substituerait au sous-ministre dans un dossier de dotation? Ce serait illégal. Il en serait de même si un ministre voulait annuler la décision d'un fonctionnaire en matière d'administration financière ou de l'organisation des contrôles financiers du ministère. Il y a une importante distinction à faire entre la loi et la pratique britannique, d'une part, et la loi et la pratique canadienne, d'autre part.

Tout à l'heure, j'ai mentionné qu'il s'agit de malentendus et de questions difficiles à régler. La Nouvelle-Zélande et l'Australie ce sont engagées à fond de train dans ce que nous appellerions la reddition de comptes du sous-ministre envers le Parlement, mais sans dire qu'ils avaient modifié leur système de responsabilité ministérielle. L'équivalent de leurs sous-ministres — en Australie, on les appelle des secrétaires ministériels et en Nouvelle-Zélande, des sous-secrétaires d'État — ont plus d'autorité formelle que les sous-ministres canadiens. Ils ont une plus grande autorité financière en ce qui concerne la gestion et la dotation.

Dans les deux cas, et depuis peu de temps en Australie, les sous-ministres embauchent leur propre personnel. Ils sont comme des employeurs distincts. Le seul au Canada qui ait un tel pouvoir est le sous-ministre de l'Agence du revenu du Canada.

Dans ces deux pays, il est clair que les sous-ministres doivent rendre pleinement compte du rendement de leurs ministères au Parlement. Ils se font sérieusement cuisiner par les comités parlementaires. Ils permettent que ces deux systèmes de reddition de comptes coexistent. En d'autres mots, ils n'ont pas essayé de réaliser la quadrature du cercle.

Toutes ces questions sont importantes, car de fortes pressions politiques se sont exercées sur la fonction publique au cours du dernier quart de siècle. Je tiens à souligner qu'il ne s'agit pas d'un phénomène proprement canadien; c'est un phénomène international. Dans tout système politique, ces choses se produisent et évoluent graduellement dans la plupart des cas, particulièrement dans les systèmes de gouvernement britanniques depuis un quart de siècle. Il y a des hauts et des bas, mais le mouvement s'intensifie.

Les pressions découlent d'une concentration accrue des pouvoirs au centre, entre les mains du premier ministre, pas du Bureau du Conseil privé, qui est le ministère du premier ministre. Les aides politiques et le personnel ministériel deviennent plus nombreux et plus influents. On essaie de plus en plus de politiser la dotation à la fonction publique, à certains niveaux plus qu'à d'autres. On s'efforce de plus en plus de manipuler les communications gouvernementales à des fins politiques; la Grande-Bretagne en est le pire exemple. En outre, on exige de plus en plus que les fonctionnaires se fassent les champions enthousiastes des initiatives politiques du gouvernement — non pas d'être loyaux envers le gouvernement du jour, mais des champions enthousiastes des positions politiques du gouvernement. Toutes ces influences se font sentir en même temps. On en retrouve des éléments dans le passé, mais c'est de plus en plus intense.

À mon avis, le scandale des commandites et plusieurs autres débats plus récents sont le résultat de ces pressions. Certains cas sont bien sûr plus extrêmes et plus graves que d'autres, comme le scandale des commandites, mais il ne faudrait pas y voir un quelconque incident de parcours qu'on peut surmonter.

Parmi les questions à examiner, il y a l'indépendance de notre fonction publique professionnelle, non partisane et fondée sur le principe du mérite qui sert le gouvernement du jour, tout en étant dotée et régie sans l'intervention des ministres. Pour accorder à cette question l'importance qu'elle mérite dans le contexte actuel, nous devons nous interroger sur la place des sous-ministres au sein d'une fonction publique professionnelle axée sur le mérite. Ils doivent en faire partie — à l'heure actuelle, ils sont nommés par le premier ministre — et nous devons songer sérieusement au moyen de les intégrer. Je pense qu'il y a des solutions et je vous en parlerai plus tard.

Pour que les sous-ministres assurent la liaison entre les ministres et le reste de la fonction publique, il n'est pas nécessaire qu'ils soient nommés par le premier ministre et que celui-ci puisse les remplacer ou les réaffecter. À mon avis, il s'agit là d'un faux-fuyant. L'indépendance de la fonction publique dépend très étroitement de l'amélioration de la reddition de comptes de la fonction publique qui est à son tour intimement liée à l'amélioration de notre système de responsabilité et de reddition de comptes ministérielles.

Le vice-président : Merci beaucoup, professeur Aucoin. Vous avez utilisé le mot « responsabilité » et l'expression « exiger des comptes ». Qu'entendez-vous par cette expression?

M. Aucoin : Exiger des comptes est le deuxième terme de l'équation de la reddition de comptes. Ceux qui exigent des comptes sont ceux qui détiennent le pouvoir ultime dans le système. Par exemple, un supérieur exige des comptes de la part de son subordonné, comme le Parlement exige des comptes des ministres. Lorsque les fonctionnaires comparaissent devant vous, il vous appartient non seulement d'accepter leur rapport en disant merci beaucoup, monsieur le ministre, passez une belle journée, mais encore de les interroger. C'est votre responsabilité de les interroger, de vous préparer à poser les bonnes questions puis à déterminer si les comptes qu'ils vous ont rendus sont suffisants. Ont-ils suffisamment bien défendu les mesures qu'ils ont prises? Vous ont-ils dit toute la vérité?

Vous n'êtes pas un tribunal, mais vous jugez effectivement s'ils se sont acquittés de leurs responsabilités et ont exercé leurs pouvoirs comme ils auraient dû le faire. Dans le cas d'une relation de supérieur à subordonné, cela peut entraîner des mesures disciplinaires ou des sanctions ou, à l'inverse, des récompenses, une rémunération au rendement et des choses de ce genre.

Nous avons tendance à mettre l'accent sur l'aspect négatif parce que nous utilisons le régime d'obligation de rendre compte pour nous assurer qu'on n'abuse pas du pouvoir, mais cela comporte aussi un aspect positif. Demander des comptes, c'est l'autre aspect de rendre des comptes. Quelqu'un à qui des pouvoirs ont été délégués a l'obligation de rendre compte.

Le vice-président : L'expression « répondre de ses actes devant un supérieur » est-elle un synonyme?

M. Aucoin : C'est une expression que l'on utilise et qui à bien des égards est trompeuse. Dans une certaine mesure, c'est simplement une autre façon d'exprimer la même idée, c'est-à-dire rendre des comptes. Vous fournissez de l'information, une explication, mais « répondre » peut également signifier que vous défendez ou justifiez ce que vous avez fait.

Au Canada, nous utilisons l'expression « obligation de s'expliquer » pour décrire une situation dans laquelle un ministre était au courant ou non de certains agissements de la part de ses collaborateurs. Dans un tel cas, on s'attend à ce qu'il réponde à des questions à propos de la situation puis qu'il décide si ces agissements ont bel et bien eu lieu et si des mesures s'imposent.

Une fois qu'on leur a signalé l'existence de cette situation, il faut alors que les ministres en rendent pleinement compte, qu'ils la défendent ou la justifient ou prennent des mesures s'ils sont incapables de la défendre ou de la justifier. Nous avons tendance à utiliser la même expression en ce qui concerne les ministres à propos des sociétés d'État ou des instances de réglementation qui font partie de leur portefeuille, où ils sont responsables devant le Parlement mais n'essaient pas de défendre ou de justifier les agissements d'une société d'État, par exemple. Il s'agit de questions distinctes et nous pourrons en parler plus tard.

Nous utilisons aussi parfois l'expression en ce qui concerne des fonctionnaires qui comparaissent devant des comités. Ils fournissent une réponse. Mais il ne s'agit pas d'une reddition de comptes à proprement parler puisqu'ils ne devraient pas défendre ou promouvoir ce qui s'est passé, sauf peut-être dans les cas des sous-ministres qui doivent se défendre. Cependant, cette expression prête à confusion dans le contexte du système parce qu'elle crée une situation qui nous laisse entendre que les ministres ne sont pas entièrement responsables dans l'exercice de leurs pouvoirs.

Il y a eu un long débat à la commission Gomery avec le greffier du Conseil privé à propos de l'obligation de rendre compte et de l'obligation de s'expliquer. Il est clair que parfois la distinction existe et parfois elle disparaît complètement. Cela fait partie du problème d'une langue commune qui parfois nous divise. Si par « obligation de s'expliquer », on veut dire rendre pleinement compte de ses actes, alors c'est ce que cela signifierait dans la version anglaise qui est « answerability ». Pour ce qui est de la pratique, parfois ce n'est pas le cas.

Le sénateur Harb : Le terme « légitimité » m'intrigue un peu. En ce qui concerne non seulement la hiérarchie des pouvoirs mais aussi la reddition de comptes, à qui les ministres et les sous-ministres doivent-ils rendre des comptes?

La différence entre un sous-ministre et un ministre, c'est que les ministres ont beaucoup trop de patrons. Par exemple, les ministres sont responsables devant le premier ministre, qui les nomme. Ils sont responsables devant le Parlement parce que, que cela nous plaise ou non, par le biais du mécanisme de confiance ou de censure, le Parlement peut nuire à la réputation d'un ministre et par conséquent compromettre son poste. Au bout du compte, ils sont responsables devant les électeurs. Il arrive souvent que les électeurs soient intéressés par une position adoptée par un ministre sur une question.

Les sous-ministres n'ont que deux patrons, et au bout du compte ils n'en ont qu'un, le premier ministre. En cas de conflit entre un sous-ministre et un ministre, selon la nature du problème, il y aurait fort à parier que si le sous-ministre avait raison, c'est lui qui l'emporterait.

Au fur et à mesure que le gouvernement évolue en tant qu'instance démocratique, si le premier ministre devait nommer des ministres qui ne sont pas des parlementaires mais qui possèdent des connaissances dans un domaine en particulier, ceux-ci n'auraient pas à se préoccuper de tous les autres aspects qui pourraient parfois ne pas concorder avec leur poste de ministre. Cela permettrait aux ministres de se concentrer pleinement sur le travail. Quelle serait la légitimité de tels ministres? Est-ce que cela servirait les intérêts de la démocratie, telle que nous l'entendons?

M. Aucoin : Comme vous l'avez dit, les ministres ont un certain nombre de patrons : le premier ministre, le Parlement et leurs électeurs. Cependant, les sous-ministres ont plus de deux patrons. Il y a évidemment le premier ministre et jusqu'à un certain point leur propre ministre, bien que je sois d'accord avec votre interprétation. Ils doivent aussi rendre des comptes à la Commission de la fonction publique, si la Commission de la fonction publique leur délègue un pouvoir de dotation, ce qui est le cas maintenant et elle les obligera de façon beaucoup plus rigoureuse de rendre des comptes à cet égard. Ils doivent également rendre des comptes au Conseil du Trésor, qui leur confère leurs pouvoirs. Ils font l'objet d'examens minutieux de la part de divers organismes du Parlement, y compris le vérificateur général.

Il existe des variantes dans le système de gouvernement britannique. Certaines situations qui pourraient paraître semblables dans d'autres pays ne le sont pas. Le premier ministre canadien est le premier ministre le plus puissant de tous les régimes de gouvernement britannique. En Grande-Bretagne et en Australie, les ministres ont un plus grand pouvoir de décision pour ce qui est de la nomination et du renvoi de sous-ministres. Les situations qui existent dans d'autres pays diffèrent de celles qui existent au Canada.

La Nouvelle-Zélande a un processus indépendant pour nommer les sous-ministres. Le modèle en vigueur dans ce pays m'incite à soutenir que nous devrions avoir un processus plus indépendant pour la nomination des sous-ministres. Je ne recommanderais pas précisément le même processus, mais un processus qui s'en rapproche.

Dans certains pays, il y a des ministres qui ne sont pas des parlementaires. Il existe certains régimes parlementaires en Europe du Nord où les ministres ne sont pas des parlementaires. Ils exercent un rôle légitime en ce sens qu'ils sont nommés pour exercer cette charge et que le gouvernement continue de fonctionner selon le principe de la confiance, comme nous l'appelons. Il reste à savoir si cette façon de faire est efficace. Parfois, certains ministres sont des parlementaires sans être députés et ils n'ont par conséquent pas d'électeurs. Certains membres du comité ici présents ont été ministres, et cela est pleinement légitime dans le contexte de notre régime de gouvernement constitutionnel. Cela peut parfois présenter des difficultés pour ce qui est de rendre des comptes au Parlement, mais nous avons des moyens de les résoudre. En Australie, par exemple, il y a des ministres puissants du Sénat australien qui ont des moyens pour assurer la reddition de comptes aux deux chambres.

Dans le contexte de la culture politique canadienne pour l'instant, je crois que cela ne serait pas considéré légitime sur le plan démocratique que la majorité des ministres soient recrutés à l'extérieur de la Chambre des communes; c'est-à-dire qu'ils n'aient été ni député ni sénateur. Il est toujours possible que des premiers ministres soient des sénateurs, mais dans notre régime, cette tradition a disparu depuis longtemps et ne constitue pas une réelle possibilité.

Je ne suis pas sûr que ce que vous proposez éliminerait forcément certaines des tensions qui existent au sein du système. Nous avons déjà des cadres supérieurs et des sous-ministres.

Le sénateur Murray : Cela permettrait d'en ajouter de nouveaux.

M. Aucoin : Cela pourrait fort bien en ajouter de nouveaux.

La véritable difficulté que présente la nomination de spécialistes dans des domaines particuliers aux échelons supérieurs des organisations, c'est que, même s'il y a toujours des exceptions, ils ont tendance à devenir dangereux. Ils sont dangereux parce qu'ils pensent tout savoir à propos de leur organisation et tous les spécialistes savent qu'ils ont des connaissances limitées quant à la gamme complète des questions qui relèvent de leur spécialisation.

Il est nettement préférable d'avoir un généraliste aux échelons supérieurs d'une organisation, et c'est ce que sont devenus la majorité de nos sous-ministres. Ce sont des administrateurs généralistes. Ce ne sont pas de véritables spécialistes dans le domaine dont s'occupent leurs ministères. Cela crée parfois des problèmes parce qu'il faut alors descendre dans la hiérarchie pour trouver ceux qui connaissent à fond le ministère.

De nombreuses organisations ont des problèmes qui sont exacerbés dans une certaine mesure au Canada en raison de la fréquence avec laquelle, du moins par le passé, on a transféré les sous-ministres d'un ministère à l'autre. À peine ont-ils repéré les toilettes réservées à la haute direction dans un ministère, qu'on les transfère à un autre ministère. On a essayé récemment de remédier à ce problème, mais je n'ai pas vu de chiffres récents indiquant si le gouvernement y était parvenu.

Pour faire une réponse longue à votre question, une telle mesure est légitime sur le plan constitutionnel, mais serait suspecte sur le plan de la culture politique démocratique.

Le sénateur Harb : Parlez-moi un peu du régime américain où il y a des secrétaires non élus. Comment cela influe-t-il sur la légitimité de leur système démocratique?

En ce qui concerne votre argument selon lequel si le gouvernement nomme des personnes qui n'ont pas été élues, cela pose des difficultés au niveau de la reddition des comptes, mais ces personnes peuvent quand même comparaître devant les comités parlementaires et devant la Chambre à la suite d'une motion présentée par la Chambre, si c'est ce que décide la Chambre. Cela est tout à fait possible, et c'est ce que nous faisons de temps à autre. Dans l'autre endroit, nous convoquions parfois des représentants de la fonction publique pour répondre à des questions portant sur des lois.

Le leadership, c'est d'amener les gens là où ils ne veulent pas aller et non pas les amener là où ils veulent aller. La résistance n'est pas une raison qui doit empêcher le gouvernement d'envisager une telle possibilité, et cela ne vise pas à court-circuiter le Parlement. Le Parlement continuera d'être une entité législative qui s'occupe purement et simplement d'édicter des lois. Dans une grande mesure, les pouvoirs exécutif et législatif sont entremêlés, puisque dans un certain sens, le pouvoir exécutif se trouve également au Parlement. Certains diraient qu'il est en train de dominer le Parlement et de diminuer par conséquent le rôle des législateurs. Il y a ceux, sans doute une minorité, qui considèrent qu'il devrait exister une division complète entre les organes exécutifs et législatifs du gouvernement, de façon à susciter de véritables débats de fond.

Je sais que beaucoup de gens veulent abolir le Sénat et avoir un Sénat démocratique élu qui répond aux besoins de la population, mais compte tenu de l'absence de séparation entre les organes exécutifs et législatifs, je dirai que la seule instance légitime qui tient de véritables débats de fond est un Sénat, comme celui que nous avons maintenant.

J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

M. Aucoin : Le premier point, c'est que le régime américain ne représente pas une forme différente de régime parlementaire, c'est en fait un régime entièrement différent. Le Parlement n'est pas un faible Congrès, et le Congrès n'est pas un Parlement.

Dans le contexte canadien, nous élisons nos ministres afin qu'ils puissent pleinement participer au processus de reddition des comptes qui existe à la Chambre.

En ce qui concerne le régime américain, on constate très clairement à quel point les secrétaires n'ont pas à participer au processus de reddition des comptes dans l'une ou l'autre des chambres du Congrès. Cela est d'autant plus clair si vous comparez par exemple l'expérience de Tony Blair au Parlement britannique au moment de la guerre d'Irak et l'expérience du président Bush aux États-Unis. Le président Bush n'est absolument pas tenu de comparaître devant quelque instance que ce soit. Selon la tradition américaine, il n'est même pas obligé de tenir des conférences de presse.

La dynamique de la reddition des comptes est nettement absente du régime américain parce qu'ils essaient d'utiliser d'autres moyens pour obtenir le même résultat, et ces autres moyens, c'est le partage des pouvoirs exécutifs et législatifs.

Le régime américain prévoit la séparation des pouvoirs, et c'est ce qui prête à confusion, à savoir qu'il partage les pouvoirs plutôt qu'il ne les sépare. Lorsque le président nomme un secrétaire, le Sénat peut opposer son veto à la nomination. La situation est la même si le président nomme un juge à la Cour suprême. Le président peut opposer son veto aux lois adoptées par le Congrès. Ils partagent leurs pouvoirs respectifs d'une façon toute à fait différente et cela limite les pouvoirs du gouvernement. C'est dans cette perspective que fonctionne le régime constitutionnel américain plutôt que dans la perspective de la reddition de comptes.

Il est inexact de dire que dans le système parlementaire, l'exécutif l'emporte sur le législatif. En un certain sens, la dynamique politique du gouvernement par les partis a donné des différences importantes entre les différents systèmes de gouvernement britanniques, mais dans tous les systèmes parlementaires de tradition britannique, le gouvernement du jour est pleinement responsable devant la Chambre des communes.

De ce point de vue, je ne pense pas que la formule du gouvernement responsable soit remise en cause. On crée de toutes pièces un passé mythique qui n'a jamais existé lorsqu'on dit qu'autrefois, le Parlement exerçait davantage de contrôle. Nous avons eu des gouvernements majoritaires depuis 1867, et si vous pensez que le problème est dû aux gouvernements majoritaires, ce sont eux qui ont exercé le pouvoir depuis les origines.

Il y a eu en Grande-Bretagne une courte période, entre les années 1830 et 1860, où les gouvernements ont été continuellement battus sans qu'il y ait d'élections, et c'est donc le Parlement qui formait les nouveaux gouvernements. Néanmoins, on a remédié à la situation grâce à la solidification du régime des partis dans les années 1860, et particulièrement grâce à l'extension du droit de vote, qui a rehaussé l'importance des partis.

Il y a donc des différences importantes, et de ce point de vue, on considère que le Canada a été dans une certaine mesure pénalisé. L'Australie, par exemple, s'est dotée d'un Sénat puissant qui a exercé un contrôle important sur le gouvernement australien. La Chambre australienne des représentants est une institution faible par rapport au contrôle exercé par le gouvernement. En revanche, pour la première fois en près de 30 ans, le Sénat australien est actuellement placé sous le contrôle du gouvernement. Aujourd'hui, les Australiens s'inquiètent du fait que le gouvernement puisse contrôler les deux chambres et qu'en conséquence, certains avantages de la formule australienne d'un Sénat élu aient disparu lors des élections de juillet qui ont donné une majorité contrôlée par le gouvernement.

On a toujours considéré que la Nouvelle-Zélande avait un ordre législatif très faible, mais elle a modifié son système électoral pour adopter une formule de représentation proportionnelle mixte qui oblige les gouvernements à se démener. L'autre jour, par exemple, un nouveau gouvernement majoritaire de coalition s'est formé. Il y avait eu précédemment plusieurs gouvernements de coalition minoritaires et naturellement, une telle situation limite la marge de manoeuvre des gouvernements et ravive l'institution parlementaire. En Nouvelle-Zélande, où il n'y a qu'une Chambre, le Parlement est devenu une Chambre importante. Les comités législatifs sont importants parce que le gouvernement ne peut pas les contrôler.

En Grande-Bretagne, la tradition des comités parlementaires est restée plus vivace et les simples députés du parti gouvernemental ont fait preuve d'une plus grande indépendance parce qu'on supposait qu'ils pouvaient agir plus librement sans risquer de faire tomber le gouvernement. Margaret Thatcher a subi plusieurs revers législatifs qui n'ont guère suscité d'attention, du moins dans la presse canadienne, car on les considérait comme des phénomènes normaux en Grande-Bretagne. En revanche, le gouvernement de Tony Blair a imposé la discipline de parti et je ne pense pas qu'il ait subi de revers au Parlement, ou du moins, il en a subi très peu par rapport au gouvernement Thatcher.

Le système britannique évolue au niveau de la compréhension. C'est sans doute dû, naturellement, aux effectifs de la Chambre des communes. Un gouvernement qui dispose d'une bonne majorité parlementaire peut s'accommoder de 30 ou 40 « députés déviants ». Au Canada, la situation est différente.

Il se trouve également qu'en Grande-Bretagne, un plus grand nombre de députés occupent un siège sûr. Les premiers ministres ne peuvent leur imposer le même niveau de discipline, puisqu'ils vont être réélus quoi qu'il arrive.

Il se trouve également qu'en particulier du temps de Margaret Thatcher et dans le système australien, les caucus ont pu exercer un certain contrôle. On a tendance à oublier que dans le contexte canadien, nos premiers ministres sont puissants parce que leurs caucus ne peuvent pas se débarrasser d'eux. Ils pouvaient le faire autrefois, mais ils ne le peuvent plus aujourd'hui. Lorsque le gouvernement libéral a convoqué une convention nationale pour choisir Mackenzie King, celui-ci a dit immédiatement à son caucus : « Vous ne m'avez pas élu; vous ne pouvez pas me destituer ».

Margaret Thatcher n'aurait pas pu faire cela. Son caucus l'a destituée en 24 heures. En Australie, Bob Hawke, qui était aussi puissant que Thatcher l'était en Angleterre, a été destitué dans les années 80. Il n'a pas quitté le parti.

En Nouvelle-Zélande, le caucus de David Lange s'est débarrassé de lui.

Tony Blair survit en Grande-Bretagne, malgré toutes les difficultés qu'il a connues ces deux dernières années, parce que le Parti travailliste britannique applique une formule plus ou moins comparable à celle des partis politiques canadiens. Le parti ne pourrait se débarrasser de lui qu'au bout de huit mois et au prix de sanglantes manœuvres. Malgré la forte opposition suscitée par Blair au sein du Parti travailliste, son caucus n'a pas ce qu'il faut pour se débarrasser de lui en 24 heures, contrairement aux Tories qui ont pu se débarrasser de Margaret Thatcher.

Sur tous ces points, la dynamique est différente ici au Canada, tant au Parlement que dans l'exécutif. Dans le contexte canadien, la possibilité d'amener le gouvernement à rendre des comptes et la présence de personnes compétentes pour le faire ont joué un rôle clé.

Je voudrais signaler deux choses. Je sais que lorsque Jim Mitchell était ici, il a parlé de la possibilité d'améliorer le système des comités parlementaires. Il y a tout d'abord le recours aux questions pour obtenir quelque chose. Ceux d'entre nous qui ont comparu devant les comités de la Chambre y trouvent beaucoup de frustration; chacun a droit à ses deux minutes et dans ce contexte, on ne peut s'attendre à rien de bon. Dans le système britannique, c'est souvent le président qui pose l'essentiel des questions.

Le Canada a toujours souffert du fait que dans les comités parlementaires, en particulier du côté de l'opposition, les anciens ministres font trop souvent défaut. Selon la tradition canadienne, un ministre qui perd doit s'en aller. Par exemple, dans l'actuel Comité permanent des comptes publics, il n'y a, sauf erreur de ma part, pas un seul député qui ait l'expérience d'un poste gouvernemental. Personne n'a siégé de l'autre côté de la Chambre, du moins pas au niveau fédéral. Personne ne sait où les cadavres sont enterrés. Le Comité britannique des comptes publics, quant à lui, est présidé par un ancien ministre des Finances qui est parfaitement au courant de ce qui se passe au gouvernement.

Regardez le premier tour de questions posées au Comité permanent des comptes publics sur le scandale des commandites et vous verrez que les auteurs de ces questions ne connaissaient pas le mode de fonctionnement du gouvernement. À mon avis, les questions posées à Jean Pelletier trahissent une piètre connaissance des milieux ministériels. Et la capacité d'action de la Chambre s'en ressent. Dans les comités parlementaires, et particulièrement du côté de l'opposition, il n'y a pas d'anciens ministres. Les députés n'ont pas l'expérience nécessaire pour poser les bonnes questions.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Aucoin, je vous remercie pour cet exposé très intéressant et parfaitement équilibré. Je vous connais depuis des années. J'ai étudié les sciences politiques à l'Université Queen's après que vous y eûtes enseigné et j'ai étudié une bonne partie de vos écrits.

Je pense et je souhaite être d'accord avec vous, mais je me préoccupe de l'érosion des pouvoirs dans la sphère politique, compte tenu de la concentration des pouvoirs dans cette sphère et de l'érosion inégale des pouvoirs. Si on prive la classe politique de ses pouvoirs pour les confier à des individus qui n'ont pas de comptes à rendre à l'électorat, on risque de saper la démocratie.

Nous avons tendance à restreindre le pouvoir de certaines formes de reddition de comptes dans notre système. Nous restreignons le pouvoir de l'électorat de demander des comptes au gouvernement. Par exemple, les libéraux fédéraux viennent de perdre la majorité lors des dernières élections. Ce n'est pas négligeable. Le parti du gouvernement Mulroney s'est retrouvé représenté par deux députés. Il arrive couramment que des membres du Cabinet soient battus. Il en va de même des députés. En un sens, nous risquons de minimiser cette réalité parce que nous croyons que les comités et le Parlement n'obligent pas suffisamment les ministres à rendre des comptes. En fait, nous voudrions conférer aux comités et au Parlement des pouvoirs supplémentaires sur les sous-ministres, si c'est bien le sens de votre proposition.

Je conviens avec vous que nous ne voulons pas du modèle utilisé au Royaume-Uni mais qu'en fait il faudrait examiner effectivement le rôle du sous-ministre et son indépendance.

Comment embaucher le sous-ministre de façon à ce qu'il soit plus indépendant, qu'il n'y ait pas de risque de partisanerie ou d'ingérence politique? Comment le faire sans retirer au ministre ou au premier ministre la possibilité de gérer le sous-ministre?

M. Aucoin : Je suis entièrement d'accord avec vous quant à l'importance du contrôle démocratique, en particulier de celui qu'exerce l'électorat. Comme vous, j'insiste sur le fait que l'électorat, de différentes façons, oblige le gouvernement à rendre des comptes. C'est ce qu'a toujours fait l'électorat et ce qu'il continue de faire et c'est une des raisons pour lesquelles je dirais que notre système marche et ne présente pas de problèmes fondamentaux.

Je ne voudrais pas que vous croyiez que le système ne marche plus du tout à cet égard. Je ne recommande pas de modifier notre système de responsabilité ministérielle ou de gouvernement responsable.

Il est important de ne pas retirer aux politiques leur pourvoir à moins qu'il y ait de très bonnes raisons de le faire. Or nous leur retirons certains pouvoirs quand nous créons des organismes administratifs quasi judiciaires, pensant que c'est dans l'intérêt public. Ce sont habituellement les politiques qui les créent parce qu'ils pensent que c'est utile qu'ils s'en occupent.

Nous avons un système de dotation en personnel de la fonction publique indépendant parce que nous pensons que l'intérêt public veut que nous ayons une institution nationale. Or tout semble prouver que c'est bien le cas.

Les systèmes politiques qui dépendent de personnes nommées par les instances politiques courent de gros risques. Il suffit de regarder les conséquences de l'ouragan à la Nouvelle-Orléans pour voir ce qui se produit lorsque l'on nomme à la tête d'organismes tels que le FEMA des amis politiques plutôt que des fonctionnaires professionnels.

Il faut être très prudent quand on soustrait les pouvoirs au processus démocratique et il faut que cela soit pleinement justifié. Je ne pense pas avoir du tout dit qu'il faudrait retirer des pouvoirs aux politiques parce que je crois que les pouvoirs dont les sous-ministres doivent rendre compte au Parlement, ils les ont déjà. On a jugé qu'il était important que les sous-ministres détiennent ces pouvoirs sur les contrôles financiers.

Le sénateur Mitchell : Pourquoi dites-vous que les choses ont changé?

M. Aucoin : Ce qui est important, c'est de combler les lacunes. Dire que les sous-ministres rendent compte aux ministres de l'exercice de ces pouvoirs, c'est à mon avis créer une lacune. Le ministre ne peut rendre compte de l'exercice de ces pouvoirs par son sous-ministre à la Chambre. Il ne s'agit pas des pouvoirs du ministre; ce sont ceux du sous-ministre.

Nous avons créé une zone grise dans les responsabilités des sous-ministres si nous pensons que le ministre doit être tenu responsable de l'exercice des pouvoirs d'un sous-ministre. Je ne parle pas là de l'exercice des pouvoirs délégués par le ministre. Dans ces circonstances, l'ancien système demeure.

Il faut remédier à cette lacune. Elle n'est pas énorme, mais elle est importante. Si vous considérez la question du scandale des commandites, contrairement à ce que certains ont dit, non pas à vous mais ailleurs à ce propos, la responsabilisation du sous-ministre n'aurait pas évité cette situation. Le sous-ministre n'aurait pas dû autoriser l'organisation du ministère dirigée par Charles Guité à fonctionner de cette façon. Cela allait contre toutes les règles élémentaires d'administration publique. Il ne s'agissait pas des pouvoirs du ministre mais bien du sous-ministre.

Le sous-ministre n'aurait pas dû autoriser la nomination d'un adjoint politique. Le Globe and Mail d'aujourd'hui fait allusion à cette ingérence. Le sous-ministre aurait dû dire : «Non, c'est ma responsabilité et je tiens à faire cela différemment. » Avait-il le pouvoir de le faire? Oui. Si le ministre insistait, il ne pouvait toutefois pas passer outre à l'avis du sous-ministre sur ces questions. Il n'en avait pas le pouvoir.

Dans le système politique canadien, nous avons l'avantage d'avoir au niveau fédéral une fonction publique professionnelle qui a essayé d'être réceptive aux directives et au contrôle ministériels. Nous pouvons comparer notre système aux modèles britannique, australien et néo-zélandais où, traditionnellement, surtout en période d'après-guerre, la fonction publique se considérait presque comme indépendante.

Si vous connaissez la comédie télévisée britannique intitulée Yes Minister, vous savez que, dans une certaine mesure, il s'agit d'un documentaire sur la fonction publique britannique, ou encore australienne ou néo-zélandaise. Il ne s'agit pas d'un documentaire qui porte sur la fonction publique canadienne.

Certains hommes ou certaines femmes politiques ont eu des problèmes avec la fonction publique canadienne, mais celle-ci n'a jamais tenté d'être indépendante comme c'était le cas dans d'autres pays. L'avantage de notre système, c'est que la fonction publique est réceptive aux directives. Le désavantage, c'est qu'elle peut parfois dépasser les bornes. Nous sommes passés d'une fonction publique réceptive à une fonction publique qui fonctionne de façon adéquate, et c'est ce qui sort aujourd'hui au grand jour. C'est pourquoi je dis que ce sont les pressions de la nouvelle administration publique qui nous poussent à en arriver là.

Nous avons établi un système valable. Cependant, nous avons permis qu'il y ait une lacune dans ce système, et c'est ce qu'il nous faut à présent combler.

Comment faire en sorte que les sous-ministres soient plus indépendants du processus politique et, par conséquent, qu'ils envoient les bons signaux à la fonction publique?

Je pense que nous devrions transformer le greffier et le comité de hauts fonctionnaires, auquel on ajouterait quelques personnes de l'extérieur, en un comité ou une commission de qui relèverait la nomination des sous-ministres. Les personnes nommées viendraient de préférence de l'interne, mais aussi de l'externe, au besoin. En vertu du système actuel, on fournit des recommandations au premier ministre, qui sont généralement suivies. Voici la façon dont, selon moi, ce système devrait fonctionner : le greffier et le comité, qui est un comité de sous-ministres supérieurs, ainsi que certaines personnes de l'extérieur qui permettraient d'éviter le favoritisme et le copinage, devraient eux-mêmes procéder aux nominations, mais il devrait y avoir un veto démocratique. C'est-à-dire que le premier ministre et le cabinet pourraient refuser une nomination. Le cas échéant, il faudrait l'annoncer publiquement, mais cette possibilité devrait exister.

C'est le cas en Nouvelle-Zélande, sauf que là-bas, une seule personne est chargée de ces nominations. Aucun système n'est parfait, mais celui-là fonctionne bien en Nouvelle-Zélande. Ironiquement, la fonction publique de ce pays figure parmi les plus indépendantes. Partout, et à juste titre, l'on s'inquiète que la fonction publique devienne trop enthousiaste et soit emportée dans le tourbillon politique du jour. Ce sont les pressions dont j'ai parlé. C'est ce qui se produit à la fois en Grande-Bretagne et en Australie. Ces pressions existent également en Nouvelle-Zélande, mais les Néo-zélandais ont été capables de les contrecarrer dans une certaine mesure. C'est aussi ce qui se produit chez nous. Dans la mesure où nous voulons continuer d'avoir une fonction publique professionnelle à tous les niveaux — et nous avons toujours supposé que c'était le cas, traditionnellement, au fédéral mais pas toujours au provincial — alors, il nous faut penser à la façon d'institutionnaliser les conditions informelles qui existaient auparavant.

Le sénateur Mitchell : Dans cette discussion, on semble partir de la supposition suivante : à moins qu'une personne soit blâmée et renvoyée, il n'y a ni responsabilisation ni reddition de comptes. Pourtant, si un ministre ou un premier ministre, par exemple, découvre un problème et en assume la responsabilité, s'il décide de prendre des mesures pour résoudre ce problème, cela devrait être perçu comme une reddition de comptes et une responsabilisation.

Le scandale qui a mené à l'enquête Gomery en est sans doute un exemple extrême. Le problème a été découvert et a éclaté au grand jour, et le premier ministre a pris une série de mesures pour le régler. Il a donc rendu des comptes et a agi de façon responsable. Nous pourrions énumérer de nombreuses mesures, depuis la nomination du juge Gomery à la fin du programme, en passant par la mise en place de contrôleurs dans les ministères et la restructuration des lignes directrices en matière d'éthique et de conflit d'intérêts à la Chambre des communes.

Dans ce contexte, vous avez cerné le problème concernant le sous-ministre, dans la situation Gomery. Vous avez établi et soutenu que ce sous-ministre — et ce ne sont que des allégations à ce moment-ci — avait le pouvoir de faire ce qu'il y avait à faire, et que nous ne devons donc pas changer cela.

Que nous faut-il changer, dans ce cas? Êtes-vous en train de dire, dans ces circonstances hypothétiques, que le sous-ministre aurait dû être renvoyé? Êtes-vous en train de dire que si le ministre ou le premier ministre responsable n'a pas renvoyé le sous-ministre — et peut-être que quelqu'un perdra son poste après l'enquête Gomery — qu'à ce moment-là, le comité parlementaire devrait avoir la possibilité de renvoyer cette personne?

Dans ce cas, comment le public peut-il rendre un comité parlementaire responsable? Lorsque vous rendez un ministre ou un premier ministre responsable, vous pouvez voter pour ou contre lui. Dans un comité, pour qui ou contre qui allez-vous voter? Si vous n'aimez pas la façon dont un comité rend cette personne responsable, comment exprimez-vous votre responsabilité devant l'électorat?

M. Aucoin : La responsabilité devant l'électorat fonctionne par notre système électoral. Vous ne pouvez pas vous en prendre à un comité parlementaire, ni à un premier ministre. En revanche, vous pouvez vous en prendre à tout le gouvernement en votant la ligne de parti.

Le sénateur Mitchell : C'est ce que nous avons fait avec Brian Mulroney.

M. Aucoin : Oui, c'est ce que nous avons fait avec Brian Mulroney, en n'élisant pas les conservateurs. À moins de vivre dans sa circonscription, vous ne pouviez pas voter contre lui. C'est la même chose dans le cas d'un comité parlementaire.

Revenons un peu en arrière. Nous supposons qu'à moins qu'une personne ne soit blâmée et renvoyée, nous n'avons pas de réelle reddition de comptes. Je suis d'accord avec vous. On parle souvent de ce principe lorsqu'on veut résoudre un problème. Lorsque vous voulez rétablir une situation, c'est parce que vous vous rendez compte qu'il y a un problème d'administration ou de gestion qui doit être réglé. Cela ne veut pas forcément dire que quelqu'un a fait une erreur. Lorsque quelqu'un fait une erreur, la dernière chose que vous voulez faire, c'est de changer le système administratif. L'erreur est humaine. Trop souvent, nous réagissons spontanément; nous cherchons à améliorer un système, alors qu'il s'agit d'une simple erreur qui ne se reproduira pas.

Selon moi, il ne faut pas sous-estimer le besoin de trouver quelqu'un coupable et de le renvoyer, pour reprendre vos paroles, dans le sens qu'il faut mettre le doigt sur la personne responsable d'une situation précise et appliquer des sanctions, quelles qu'elles soient, comme la mise à pied ou une réputation ternie, ce qui peut être suffisant. Dans la mesure où le public ou d'autres s'inquiètent que nous ne parvenions pas à le faire, je pense que c'est une préoccupation légitime. Les gens veulent savoir non seulement que le système doit être changé et qu'il le sera, dans la mesure nécessaire, mais ils veulent également savoir comment cela s'est produit et qui en est responsable?

Dans ce cas précis, je crois que c'est légitime. En bout de ligne, si la reddition de comptes électorale fonctionne comme vous le dites, vous vous poserez la question : faut-il en vouloir au Parti libéral ou au gouvernement actuel?

La commission sera évidemment d'une aide précieuse, mais voici ce qui peut porter à confusion au sujet des sous-ministres et de la responsabilité ministérielle.

Le Comité permanent des comptes publics a publié un rapport dans lequel il déclarait qu'il y a un problème dans le système de reddition de comptes, mais qu'il n'était pas en mesure de déterminer à qui la faute. Mis à part le fait qu'ils ne pouvaient pas s'attaquer à certains problèmes mis en évidence par la commission Gomery, cette déclaration reste surprenante. Les rapports pointaient du doigt les personnes responsables. Le fait que personne n'ait déclaré publiquement « C'est moi qui suis responsable », ne devrait étonner personne. Le comité met en évidence le ministre, d'anciens ministres et d'anciens sous-ministres. Ils sont connus, de même que leurs actions. Le comité a jugé ces actions, dans ces circonstances. Il a dit « Il nous faut un système qui comprenne un agent de reddition de comptes, car nous ne pouvons tenir le sous-ministre responsable », ce qui est discutable. Je suis désolé, mais dans ce cas-ci, le sous-ministre et d'autres fonctionnaires ont été identifiés. On a dit qu'ils étaient en faute, ils ont été accusés et leur réputation en a souffert. Qu'est-ce que le comité peut faire de plus? Il ne peut renvoyer ces personnes. De toute façon, dans certains cas, ils sont à la retraite.

Qu'essaie-t-on de corriger à la commission Gomery?

Nous devons préciser que les sous-ministres rendent des comptes. Il n'est pas nécessaire de créer un poste d'agent responsable pour obtenir des comptes. Il faut cependant rappeler aux sous-ministres, aux membres des comités et au Parlement que ce système fonctionne. Lorsqu'un sous-ministre prétend avoir suivi les ordres que lui avait donnés le ministre, la réponse devrait être que le ministre n'avait pas le pouvoir au départ de donner cet ordre. Un ministre sans pouvoir est semblable à un simple citoyen. Si un citoyen donnait un ordre au sous-ministre, exécuterait-il cet ordre?

Si le sous-ministre exécute les ordres du ministre, qui, du ministre ou du sous-ministre, doit en être tenu responsable? C'est le sous-ministre qui est responsable, car il avait les pouvoirs nécessaires. Peu importe ce que le ministre lui a dit. C'est à cela que sert la reddition de comptes. Ceux qui ont le pouvoir doivent assumer la responsabilité de leurs actes. Si un ministre a les pouvoirs nécessaires et qu'un fonctionnaire agit à son insu, le ministre peut dire qu'il n'était pas au courant, qu'il va examiner la situation et qu'il prendra les mesures nécessaires s'il constate un problème. Une fois le ministre mis au courant, il devient pleinement responsable de tout ce qu'il fait par la suite. Mais on ne peut lui demander de comptes sur ce qui s'est fait auparavant puisqu'il n'était pas au courant et qu'on ne pouvait pas s'attendre à ce qu'il le soit.

Lorsqu'on sait ce qui s'est produit et qui était aux commandes, comme dans ce cas-ci, le sous-ministre ne peut pas simplement prétendre que le ministre lui a donné l'ordre, car cela ne voudrait rien dire et ne manifesterait aucune position constitutionnelle sur le sujet. Ou bien le sous-ministre avait le pouvoir de poser ces actes, ou bien il ne l'avait pas. Lorsque le sous-ministre a les pouvoirs nécessaires, il doit assumer la responsabilité. Quand c'est le ministre qui possède le pouvoir, c'est lui qui doit assumer la responsabilité.

Dans le cas qui nous occupe, nous essayons de préciser ce qu'il en est. Il me semble que nous devons établir des protocoles à ce sujet. Nous devons préciser quelles responsabilités les sous-ministres doivent assumer et quel comportement ils devraient justifier. Certains de ces éléments existent déjà dans le régime, mais il faut apporter des améliorations. Cela nous ramène au pouvoir des comités. Les présidents de comités, plus particulièrement, doivent apprendre comment empêcher les membres de leurs comités d'exiger des comptes complets de gens qui ne peuvent en fournir parce qu'ils ne sont que de simples fonctionnaires. Les comités doivent pouvoir donner des instructions à certains témoins, entre autres aux sous-ministres, et leur dire que pour les questions qui relèvent de leurs compétences, ils doivent rendre des comptes complets, car s'ils ne le font pas, cela sera retenu contre eux.

Le sénateur Comeau : Monsieur Aucoin, c'est toujours un plaisir d'entendre vos exposés.

J'ai parlé de « trou noir », et après avoir écouté votre témoignage, je constate qu'il s'agit effectivement d'un trou noir. Pendant des années, certains d'entre nous ont eu l'impression qu'il existait un concept de responsabilité ministérielle et que, dans le cas d'un scandale comme celui des commandites, un ministre prendrait les mesures nécessaires, entre autres en donnant sa démission, en renvoyant certaines personnes ou d'autres choses de ce genre. Par le passé, c'est ce à quoi on s'attendait. La population semble croire de plus en plus qu'une fois découvert le pot aux roses, personne n'assume la responsabilité ou ne rend de comptes. Souvent, les problèmes sont découverts soit par la vérificatrice générale, soit au moyen d'une demande d'information sous le régime de la Loi de l'accès à l'information, plutôt que par l'entremise du régime parlementaire.

J'ai l'impression que les parlementaires n'ont pas usé de leur pouvoir de demander des comptes aux ministres et aux sous-ministres. Au contraire, le gouvernement s'est délesté du concept de la responsabilité ministérielle pour adopter un système de gouvernement responsable. Autrement dit, le Parlement fait ce qu'il veut pendant trois ou quatre ans et après cette période, la population canadienne décide au moyen d'une élection s'il souhaite que le Parlement soit maintenu. Il s'agit davantage de gouvernement responsable que de responsabilité ministérielle, et les résultats semblent aller dans ce sens. Êtes-vous d'accord avec moi?

M. Aucoin : Non, ce sont des observations perspicaces, sénateur Comeau, comme on peut s'y attendre d'un concitoyen néo-écossais. Cela nuit grandement au régime dans la mesure où le processus parlementaire n'arrive pas à régler certains des grands problèmes auxquels nous avons été confrontés. Vous avez raison de dire que si les problèmes sont signalés par la vérificatrice générale, même si elle est une fonctionnaire du Parlement, ou s'ils sont signalés dans les médias en vertu de dispositions de la Loi antiterroriste, cela donne l'impression que la principale tribune de reddition de comptes, c'est-à-dire le Parlement, ne fait pas son travail. Cela nous amène à deux choses. La première est, comme vous l'avez dit, sénateur, qu'il est facile pour le gouvernement d'appliquer la convention de confiance du gouvernement responsable, selon laquelle c'est la population qui décide, puisque c'est elle qui a élu le Parlement; et entre les élections, il ne faut pas s'en mêler.

Cet élément s'insinue en partie dans le régime. Le problème, c'est que le gouvernement peut agir de cette façon tant qu'il est majoritaire. C'est un peu différent lorsque le gouvernement est minoritaire. Ce problème a été exacerbé dans la mesure où notre Parlement n'a pas augmenté sa capacité d'exiger des comptes des ministres. Par exemple, le processus d'examen des budgets des dépenses est devenu lettre morte au Canada. Il n'y a pas d'examen véritable des budgets des dépenses, d'examen sérieux de l'administration antérieure où bon nombre des problèmes trouveraient leur source.

Les autres systèmes politiques ne sont pas parfaits, mais les trois autres grands régimes du type Westminster s'en tirent mieux que nous à cet égard, et ce, pour différentes raisons. Il sera intéressant de voir si le nouveau Sénat australien, contrôlé par le gouvernement, fera une grande différence dans le régime de ce pays, dans lequel le comité d'examen des dépenses a joué un rôle essentiel. La Chambre des représentants de la Nouvelle-Zélande n'obtient pas de meilleurs résultats que notre Chambre des communes, mais le Sénat australien fait mieux que nous en matière d'enquêtes indépendantes sur des sujets que le gouvernement voudrait garder dans l'ombre. La semaine dernière, il a produit un premier rapport important dans lequel il critique l'équivalent de leur scandale des commandites, qui s'est produit dans leur ministère de l'Immigration. Les renseignements détenus par l'opposition ont été rendus publics par le Sénat. Un membre de l'opposition au Sénat a essayé d'obtenir une nouvelle enquête au sujet des questions entourant la nouvelle loi sur la main-d'oeuvre, et sa demande a tout simplement été rejetée par le gouvernement.

Si cette capacité n'existe pas, il y a une raison pour cela, et vous avez dit avec raison que le gouvernement ne peut pas ignorer le Parlement. Pour diverses raisons, le Parlement n'a pas été en mesure d'exercer son pouvoir de « mettre sur la sellette », si je puis dire, le gouvernement et ses ministres.

Le sénateur Comeau : J'ai parlé brièvement avec vous avant le début de la réunion, et j'ai dit qu'en ma capacité de sénateur, je consacre mes efforts dans deux domaines : les langues officielles et les pêches. Ce sont des dossiers dans lesquels je travaille depuis des années. Au fil des ans, j'en ai appris davantage sur les lois et les instruments statutaires que je n'aurais pu le faire si je n'avais travaillé qu'en comité à l'occasion. Et pourtant, j'ai parfois encore l'impression que je ne possède pas les compétences nécessaires pour demander des comptes à un ministre ou à un sous-ministre. Cela m'amène à poser la question suivante : les comités du Parlement devraient-ils pouvoir disposer de ressources comme, entre autres, un expert comme vous, monsieur Aucoin, pour examiner le système et aider les membres des comités à préparer leurs questions en prévision du témoignage d'un sous-ministre? Je pose ma question dans le contexte du scandale des commandites, car j'ai moi aussi écouté certaines des questions posées par le Comité permanent des comptes publics, et ces questions ne m'ont pas beaucoup impressionné. Si les membres du comité avaient pu consulter un expert dans le domaine, ils auraient pu produire une étude de meilleure qualité.

Devrait-on envisager d'engager un expert permanent pour chacun des comités, sans égard aux excellents services que nous recevons des attachés de recherche de la Bibliothèque du Parlement?

M. Aucoin : Il est très important que toute organisation qui fait des examens et pose des questions dispose de la capacité nécessaire, notamment d'un personnel suffisant. Dans le contexte du Canada, à peu près tout le monde est d'accord pour reconnaître la nécessité de renforcer le personnel et ses ressources. Il vaut mieux avoir du personnel à plein temps spécialisé dans ces domaines, mais il y a deux autres éléments importants.

Premièrement, si le processus n'est pas correct, le personnel ne sera pas exploité de façon optimale. Il faut un comité qui sache comment se servir de ce personnel et souvent, dans le processus législatif, les députés ou les sénateurs ne le savent pas. Il faut donc que le processus soit correct.

Deuxièmement, l'un des problèmes dans le cas du Canada, c'est le roulement important des députés canadiens. Cela remonte à la question de la démocratie électorale au Canada qui oblige les gens à rendre des comptes. Il y a eu des exceptions et un léger ralentissement récemment, mais globalement, le Canada est très loin des autres pour ce qui est des personnes qui ont une carrière parlementaire. Ce n'est pas que nous sommes quelque part dans l'éventail, nous sommes véritablement une exception. Nos députés ont une certaine ignorance parce que ce sont des amateurs, et ce sont des amateurs parce qu'ils ne font que passer brièvement. Dans tous les autres régimes, ce sont des gens qui sont là depuis longtemps qui font le travail important en comité.

Il y a une autre dynamique dans ce processus et c'est, bien que je n'aime pas utiliser le mot « culture », la culture interne à l'institution. Il y a en Grande-Bretagne une masse critique assez importante de députés qui ont bien assimilé depuis des générations l'idée qu'il est important d'exiger des comptes du gouvernement et que c'est pour cela qu'ils sont élus. Les députés canadiens n'ont pas cette vision des choses. Les enquêtes montrent les unes après les autres que c'est secondaire au point d'être insignifiant pour les députés canadiens. Ils estiment qu'il est plus important de travailler dans leur circonscription et de faire leur travail politique que d'exiger des comptes du gouvernement. C'est un point de vue qui a été remarquablement exprimé à un comité présidé, je crois, par Reg Alcock, qui envisageait de modifier les prévisions budgétaires. Un expert a expliqué aux députés pourquoi ils devaient examiner les prévisions budgétaires et se pencher sur les comptes antérieurs. Un député lui a demandé si cela voulait dire qu'il devait se pencher sur l'histoire. Cela en dit long. Cela ne les intéresse pas d'exiger des comptes du gouvernement; tout ce qui les occupe, c'est leur activité politique ou leur activité au service de leurs électeurs, c'est cela qu'ils considèrent comme important. La plupart des députés, dès qu'ils laissent de côté les questions de politique, s'occupent des gens de leur circonscription. Quand ils sont ici depuis un moment, ils se rendent compte qu'ils ne sont pas à Washington mais bien à Ottawa, et par conséquent, ils se retournent vers leur circonscription. C'est un rôle important mais minime.

Je ne vous ai pas donné beaucoup de détails sur le recours accru à des comités spécialisés pour exiger des comptes des fonctionnaires. Il faut faire deux choses importantes pour obliger les sous-ministres à rendre des comptes. Il faut avoir des comités capables de le faire correctement, notamment quand il s'agit de gestion de la fonction publique. Nous avons été pénalisés par l'absence de comités spécialisés dans la gestion de la fonction publique. Ce genre de comité existe ailleurs. Nous n'en avons pas, bien que certains comités essaient de le faire de façon fragmentaire. En particulier, pour ce qui est l'imputabilité des sous-ministres, il faut avoir des protocoles, autrement dit le comité qui s'en occupe doit être solide.

Il y a une chose qui permettrait de régler facilement un certain nombre des problèmes que j'ai évoqués, c'est le recours accru à des comités mixtes de la Chambre et du Sénat. Si l'on vient exiger des comptes des sous-ministres en préservant l'indépendance des députés, en ayant les bons protocoles, et cetera, il faut absolument mettre en place un comité mixte de la Chambre et du Sénat. On pourrait regrouper des gens ayant l'expertise et l'expérience nécessaires pour permettre à ces comités de jouer correctement leur rôle en mettant un bémol sur les partis pris politiques superflus. Cela nous permettrait de mettre sur pied un régime de reddition de comptes plus ou moins semblable à celui des Britanniques. Il ne faut pas surestimer le comité des comptes publics de la Grande-Bretagne, mais c'est tout de même un comité qui considère qu'il est important d'exiger des comptes des hauts fonctionnaires sans faire du grand spectacle, mais simplement parce que c'est une responsabilité publique importante pour les députés.

Nous avons pu créer ce type de culture dans un comité mixte du Sénat et de la Chambre, et je pense que cela serait très utile pour faire avancer la cause au Canada.

Le sénateur Ringuette : Il est très intéressant d'entendre votre point de vue, monsieur Aucoin. Vous vous êtes occupé davantage des aspects pratiques que des aspects théoriques.

Dans votre mémoire, vous dites que les ministres possèdent les pouvoirs et les responsabilités. Cependant vous dites également que les sous-ministres ont des pouvoirs conférés par la loi qui leur sont délégués par les lignes directrices du Conseil du Trésor. Vous nous dites que ces sous-ministres peuvent contredire les ministres.

J'ai entendu parler hier d'un cas à Pêches et Océans Canada. Les fonctionnaires de ce ministère ont pris certaines libertés avec les indemnités de déplacement. Cependant, parce que nous avons un système parlementaire, c'est au ministre de répondre de ces questions devant la Chambre des communes. Pourtant, les frais pour le personnel non politique relèvent de la responsabilité et des pouvoirs du sous-ministre.

Hier, les parlementaires et les journalistes qui posaient des questions n'ont jamais parlé de la responsabilité du sous-ministre, ni des pouvoirs délégués au sous-ministre adjoint, ou d'autres responsabilités dans le cadre de ce système de freins et contrepoids. La seule figure de proue dans ce cas est le ministre, qui comme vous l'avez dit plus tôt, n'a pas de véritable pouvoir, car toute l'autorité et tous les pouvoirs qu'il a dans ce cas-ci peuvent être contredits par le sous-ministre.

Comment concilier les deux? Je suis d'accord avec vous, il faut remédier à ces lacunes. Mais je pense que le problème vient de la reddition de comptes de la bureaucratie. La bureaucratie doit rendre des comptes. Je suis également plutôt d'accord avec vous sur le fait que dans le cas d'un gouvernement minoritaire, les comités pourraient ne pas demander aux sous-ministres de rendre des comptes, car cela ne leur permet pas de marquer des points politiques.

Je pense que nous devons réfléchir à la responsabilité des fonctionnaires, à l'obligation de rendre des comptes alors qu'il n'y a pas de méthodes pour le faire.

J'aimerais également faire une observation à propos de ce que vous avez écrit à la page 4 de votre mémoire, où vous dites que les pressions centralisent le pouvoir au sein du Bureau du premier ministre, et moi, j'ajouterais à cela le Bureau du Conseil privé et les conseillers politiques. Cependant, au point trois, vous dites qu'on essaye de plus en plus de politiser les nominations au sein de la fonction publique.

Je ne suis absolument pas d'accord avec vous car le rapport de la Commission de la fonction publique publié la semaine dernière ne trouvait aucune preuve d'intervention politique dans la fonction publique. En revanche, dans le cadre d'une vérification spéciale, le rapport a trouvé que le favoritisme bureaucratique se portait bien dans la fonction publique.

J'aimerais connaître vos observations à propos des différents points que j'ai soulevés.

M. Aucoin : Je vais d'abord répondre à votre premier point qui est très important. Je ne pense pas avoir dit que le sous-ministre contredit le ministre; je pense avoir dit que le ministre ne pouvait pas contredire le sous-ministre sur ces questions. Cependant, l'exemple que vous avez utilisé est un cas typique.

Si des fonctionnaires au sein d'un ministère abusent ou utilisent à mauvais escient les indemnités de déplacement, c'est quelque chose dont on pourrait certainement saisir le ministre, en lui demandant si les règles concernant les indemnités de déplacement, telles qu'énoncées par le Conseil du Trésor, sont suffisantes. Je pense que dans ce cas-ci, si vous examinez les règles, vous trouverez que le système est mal géré.

Cependant, il est clair qu'il faut également, dans ce cas-ci, s'adresser au sous-ministre. Il s'agit de questions de contrôle des finances dans un ministère, et cela relève clairement des responsabilités du sous-ministre. Les sous-ministres devraient rendre des comptes à propos du rendement de leurs ministères. Nous leur demandons de le faire dans une certaine mesure, mais nous ne leur en demandons pas assez. Dans d'autres systèmes, c'est beaucoup mieux fait, surtout avec des questions telles que les indemnités de déplacement, questions qui sont souvent populaires auprès des politiciens.

Dans la situation actuelle, le ministre est responsable de la gestion d'ensemble du ministère et des programmes, ainsi que le sous-ministre. Vous avez demandé comment concilier ces pouvoirs. Il y a deux façons de procéder : la première serait d'éliminer l'autorité du sous-ministre et de rendre les ministres responsables de tous les aspects des contrôles financiers et de l'administration. J'imagine mal l'élimination de l'autorité du sous-ministre en matière de dotation, mais ce serait une possibilité.

Vous pourriez me répondre que ce n'est pas une bonne idée, que, si nous avons confié ou délégué ces pouvoirs aux sous-ministres, en matière de gestion financière et de gestion des ressources humaines, c'est pour de bonnes raisons. Il conviendrait plutôt de mieux veiller à ce que les sous-ministres assument leurs responsabilités. Il ne s'agit pas de traîner tout fonctionnaire devant un comité; il faut une personne en mesure de gérer la question; on en revient à votre idée de réparer les choses.

Il existe dans le système des façons d'imposer des sanctions aux personnes qui se dérobent à leurs responsabilités. Comme vous le remarquerez, la nouvelle Loi sur la modernisation des ressources humaines retire le pouvoir de sanctionner au Conseil du Trésor et le donne directement aux sous-ministres.

C'est l'une des raisons pour lesquelles il est important d'avoir un bon comité de la fonction publique au Parlement, un comité qui pourrait être mixte vu qu'il serait parfois souhaitable que le comité se réunisse à huis clos. Rien n'empêche d'ordonner aux sous-ministres de comparaître devant le comité, de s'assurer que les mesures disciplinaires appropriées ont été appliquées et de garantir au sous-ministre que son témoignage restera confidentiel. De cette façon, vous pourriez assurer publiquement, devant le Parlement, que l'on s'est occupé de la question, sans vous attarder sur les détails.

C'est une façon de concilier les pouvoirs. Il y a déjà un mécanisme. Il ne s'agit pas de priver les ministres de certains pouvoirs. Si c'est la loi qu'il faudrait modifier, on peut toujours poser la question aux ministres. Comme vous l'avez souligné, si l'opposition s'en prend aux ministres, c'est parce que c'est payant d'un point de vue politique.

Dans notre système de gouvernement parlementaire, nous voulons deux choses : de bonnes politiques et un bon gouvernement. Nous avons tendance à oublier trop souvent l'importance d'un bon gouvernement, où le Parlement fait comparaître des fonctionnaires devant un comité afin d'assurer un bon suivi des questions administratives, sans que cela finisse étalé à la une du Globe and Mail en plein scandale. C'est important.

En ce qui concerne la question des pressions exercées pour politiser la dotation de la fonction publique, je vous signale que dans The Globe and Mail d'aujourd'hui, on souligne la politisation que constitue justement la nomination de M. Campbell en remplacement de M. Guité. C'est de la politisation de la plus pure espèce. La situation est compliquée par le fait que dans les démocraties parlementaires inspirées du système de Westminster, nous avons la possibilité d'accorder la priorité à un personnel politique pour des postes dans la fonction publique.

Comme le commissaire à la fonction publique n'a pas constaté ce problème, malgré les preuves de patronage bureaucratique ou de favoritisme, je suis contraint d'en arriver à la même conclusion que vous; vu ce qui a été dit, il me serait difficile d'avoir une autre opinion. N'empêche que si l'on s'entretient avec de hauts fonctionnaires, quel que soit leur domaine, ils s'entendent tous pour dire qu'il y a une pression accrue pour politiser les nominations.

Il ne s'agit pas vraiment de nominations politiquement partisanes, bien qu'il y en ait quelques exemples. Il s'agit plutôt essentiellement d'une personnalisation à la mode du premier ministre ou du ministre. Les ministres veulent des gens à eux dans les postes clés. Les personnes nommées viennent souvent de la fonction publique, mais ce sont des personnes avec qui le premier ministre ou le ministre se sent à l'aise. Dans des entretiens confidentiels, de hauts fonctionnaires me disent que tel est bien le cas et qu'il n'en a pas toujours été ainsi. C'est le cas pour ceux qui procèdent aux nominations aussi. Il y a toujours eu des pressions dans le système, et ce n'est pas là quelque chose de véritablement nouveau, mais, selon eux, il y a eu une énorme augmentation des pressions en question.

C'est une des raisons qui expliquent pourquoi ces personnes sont enthousiasmes à propos du gouvernement. Comme me l'a fait remarquer un ancien secrétaire du Conseil des ministres australien, le vrai problème c'est le nombre de fonctionnaires subalternes qui veulent montrer à quel point ils sont enthousiastes à propos des politiques gouvernementales afin que ceux qui font les nominations les choisissent. Très souvent, on n'a pas à s'en faire que les ministres veuillent des gens à eux; le système les a déjà clairement identifiés. Il faut s'attendre à ce type de pression tant que les premiers ministres et les ministres, de concert ou non, décident des nominations. C'est pour cela que je plaide pour que nous allions vers un système plus indépendant. Il est normal que les choses se passent ainsi, et de ce fait nous devons protéger la fonction publique.

La question de l'influence accrue des conseillers politiques complique la situation. Ils font partie des pressions — c'est tout à fait flagrant en ce qui concerne le scandale des commandites — mais ce n'est pas tout. D'ailleurs, on le constate pour tous les autres cas de figure qui ont pu être cernés ces dernières années.

Certains pays sont allés plus loin que d'autres. En Grande-Bretagne, Tony Blair est allé jusqu'à donner à ses conseillers politiques le pouvoir de donner des instructions aux fonctionnaires. Vous avez peut-être suivi un des incidents qui s'est déroulé là-bas, lorsque David Kelly s'est suicidé, il s'agissait de cette question. En fin de compte, Alistair Campbell, qui avait été le premier conseiller à obtenir le pouvoir de donner des directives à des fonctionnaires, a démissionné.

Dans cet exemple britannique, la délimitation entre employés politiques et fonctionnaires n'est plus claire et on se retrouve avec ces paradoxes dans le système. D'une part, vous avez ceux qui font pression pour une nouvelle gestion publique, ce qui signifie déléguer des responsabilités aux fonctionnaires, et d'autre part, il y a les partisans de ce que j'appelle la « nouvelle gouvernance publique », ce qui signifie la concentration et la recentralisation du pouvoir.

Le sénateur Ringuette : À titre d'observation finale, pour ce qui a trait aux nominations, de toute évidence vous ne parlez pas du même type de nomination que moi. Quand on parle de protéger la fonction publique, il faut savoir que l'année dernière, 35 000 nouveaux fonctionnaires ont été embauchés, mais seulement 26 p. 100 de ces nouveaux fonctionnaires venaient de l'extérieur et avaient réussi un concours. Ça veut dire que 74 p. 100 des nouveaux fonctionnaires embauchés l'année dernière, qu'ils soient employés occasionnels, à durée déterminée ou permanents, ont été recrutés par la porte arrière grâce au favoritisme bureaucratique qui existe au sein du système.

Comment sommes-nous censés protéger la fonction publique? Je suis d'accord que lorsqu'on la compare à d'autres pays, notre fonction publique est très compétente et fournit de bons services à la population. Cependant, il y a certaines faiblesses dans le système qu'il faut éliminer, et c'en est une.

Je souhaiterais également ajouter qu'il n'y a pas plus de conseillers politiques aujourd'hui qu'auparavant. Je me rappelle, en 1993, lorsque j'étais candidate à une élection, mon rival, qui était ministre, avait 56 personnes qui travaillaient pour lui. À l'époque, apparemment, c'était normal. Aujourd'hui, chaque ministre a droit à un maximum de neuf employés politiques. D'ailleurs, la pénurie d'employés qualifiés est probablement à l'origine de certains de ces problèmes.

Le vice-président : Merci beaucoup. Peut-on considérer que cette intervention était une observation, et ne pas demander à M. Aucoin d'y répondre?

Le sénateur Ringuette : Oui.

Le sénateur Murray : J'ai un certain nombre d'observations à faire, et le témoin pourra dire ce qu'il en pense, à son gré.

Tout d'abord, j'aimerais brièvement m'exprimer en faveur de la pratique qui permet d'accorder la priorité aux anciens employés politiques qui souhaitent intégrer la fonction publique. Certes, nous avons probablement besoin de balises et de procédures spéciales pour empêcher les abus. Cependant, j'estime, fondé sur ma longue expérience, que l'embauche d'anciens employés politiques a eu des résultats positifs dans ce pays et au gouvernement fédéral.

Il y a d'excellents hauts fonctionnaires qui servent actuellement le gouvernement du Canada qui sont entrés dans la fonction publique de cette façon, après avoir travaillé pour divers ministres au sein de gouvernements libéraux ou progressistes conservateurs. C'est pourquoi je ne voudrais pas qu'on s'en débarrasse tout simplement, contrairement à ce que certains proposent.

J'aimerais dire un mot à propos du caucus, puisque vous en parlez. Il est vrai qu'à partir de 1919, le Parti libéral d'abord et les autres partis politiques ensuite ont cessé de choisir leurs chefs par le biais du caucus parlementaire et ont commencé à utiliser la méthode du congrès national. Il y avait une très bonne raison à cela, c'est qu'il fallait que les chefs de parti donnent l'impression d'avoir le soutien d'une base nationale au Canada.

Cependant, nous ne devrions pas prétendre que le caucus a complètement perdu son autorité sur la direction du parti. Il reste toujours un pouvoir résiduel, si je puis dire. Si vous avez vu le documentaire, passé sur la CBC et sur Radio-Canada, concernant les circonstances du référendum de 1995, il est évident que des personnes influentes du Parti libéral et même des ministres influents étaient prêts, au cas où le « oui » ait gagné le référendum au Québec, de remplacer M. Chrétien par un premier ministre non québécois. Ils étaient même prêts à réorganiser le gouvernement en un gouvernement d'unité nationale.

Le pouvoir est très présent et aucun ministre qui perd la confiance de son caucus ne survivra très longtemps. Je dirais même plus, aucun ministre du cabinet qui se place du mauvais côté du caucus régulièrement ne pourra garder son poste très longtemps.

Il est vrai que ce que les gens voient dans notre système, c'est l'utilisation excessive de la discipline du parti. Les whips ont beaucoup trop d'influence et essaient, de façon trop rigide, à ce que chaque député vote en accord avec la ligne du parti, chaque fois qu'il y a un scrutin.

Ce que les gens ne voient pas cependant c'est qu'à tout moment dans cette ville, il y a probablement une demi-douzaine d'initiatives gouvernementales, de politiques ou de projets de loi gouvernementaux qui sont abandonnés, parce que le caucus n'était pas d'accord avec eux. Par conséquent, le caucus parlementaire a toujours un pouvoir considérable, mais la plupart de ce pouvoir est invisible. L'un des problèmes que nous avons ici, c'est ce que l'on appelle en Angleterre « the payroll vote », c'est-à-dire les votes assurés. C'est parmi eux que le premier ministre peut sélectionner non seulement les ministres et les secrétaires parlementaires, mais encore les présidents du caucus, et cetera. Si vous y regardez de plus près, vous verrez que les simples députés reçoivent des sommes supplémentaires pour ces tâches, et cela donne au premier ministre beaucoup de contrôle.

Troisièmement, il faudrait réexaminer sérieusement la question concernant le personnel politique, que vous avez mentionnée, et j'aimerais que quelqu'un puisse le faire. Je suis presque sûr que dans les instructions données aux ministres lorsqu'ils prêtent serment, il y a un chapitre sur les employés politiques, la façon de les recruter et les normes qu'ils doivent respecter. Le fait est que les ministres ont besoin d'un personnel politique. Ils ont besoin d'un personnel pour eux-mêmes, ne serait-ce que pour éviter que les fonctionnaires participent à des affaires qui ne touchent pas la fonction publique.

Il faut considérer la relation entre le personnel politique et les fonctionnaires, et comme vous le laissez entendre, c'est un problème au Royaume-Uni. Il me semble inacceptable que le personnel d'un ministre donne des directives aux fonctionnaires. C'est l'apanage du ministre et du sous-ministre uniquement.

Une autre question importante qui mérite considération est celle de savoir jusqu'à quel point les ministres peuvent partager les informations qu'ils ont avec leur personnel politique. Je ne parle pas seulement des secrets du conseil des ministres ou des affaires de sécurité, qui constituent aussi des problèmes, mais je parle d'autres informations de type concurrentiel. Le personnel politique reçoit les appels des groupes de pression, des lobbyistes, et cetera. Il nous faudrait codifier les limites et les attributions, du moins en général, du personnel politique de notre système. Dans certains cas, ce sont eux qui reçoivent les appels des lobbyistes. Il y a, comme vous le savez, un roulement rapide de personnel, tout un va-et-vient entre les cabinets des ministres et les firmes de lobbyistes, ce qui en soit constitue un problème.

Quatrièmement, il y a la question de la responsabilité des anciens ministres. Nous devons abolir cette simple convention interdisant de convoquer des anciens ministres ou sous-ministres à venir s'expliquer sur ce qu'ils ont fait lors de leur mandat. Je ne sais pas quelle est la règle. Je comprends pourquoi on ne peut pas leur poser de questions au cours de la période de questions, mais un comité devrait pouvoir les convoquer. Il faudra bien sûr établir des critères, de sorte que, en cas de changement de gouvernement, cela ne devienne pas une manie pour les nouveaux élus de convoquer les anciens ministres à des comités parlementaires. Cela pourrait durer l'éternité. Il nous faudra formaliser une partie de cette reddition de comptes des anciens titulaires d'importantes charges publiques, étant donné le va-et-vient au conseil des ministres et dans les rangs influents de la fonction publique. Sinon, nous n'arriverons jamais à avoir la vérité.

Cinquièmement, j'ai l'impression qu'au Canada, les sous-ministres ont davantage de comptes à rendre au Parlement que dans d'autres pays. Je crois qu'au Royaume-Uni, les hauts fonctionnaires comparaissent devant un comité très prestigieux, comme vous l'avez dit, le Comité des comptes publics de la Chambre des communes. Ici, nous avons des comités, et nous sommes l'un d'entre eux, nous voyons plus souvent les sous-ministres que les ministres, et nous les convoquons régulièrement. D'autres comités font de même, par exemple le Comité permanent des langues officielles le fait depuis 25 ans.

Je suis d'accord avec vous quand vous dites que les sous-ministres devraient rendre des comptes au Parlement, vu surtout les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi et les pouvoirs qui leur sont délégués. J'ai quelques difficultés avec ce que vous et le professeur Jarvis avez avancé, à savoir que les sous-ministres ne s'attendraient pas à ce que les ministres acceptent d'être responsables pour des décisions qui appartiennent à la sphère de responsabilité du sous-ministre.

J'ai des difficultés avec cette proposition, parce qu'on en viendrait vite à la situation où le ministre et le sous-ministre se passeraient la balle. Et je pense à l'exemple du Comité permanent sur les langues officielles.

Le sous-ministre dispose de responsabilités qui lui sont conférées par la loi, mais le ministre influence l'ensemble de l'atmosphère et de la culture du ministère. Je crois que le ministre devrait être tout à fait responsable dans un sens politique, et non seulement responsable de savoir si son sous-ministre s'est conformé à la lettre de la loi, mais plutôt pour s'assurer que l'esprit de la loi est respecté et pour s'assurer également que le climat politique général du ministère est acceptable.

C'est tout ce que j'ai à dire pour le moment. C'était probablement déjà trop. Je ne sais pas si vous voulez commenter.

Le vice-président : Merci, sénateur Murray. Je surveille l'heure, c'est intéressant que nous parlions justement de caucus, parce que nous devons nous y rendre très prochainement.

Honorables sénateurs, parce que nous manquons de temps et parce que les commentaires du sénateur Ringuette et du sénateur Murray étaient assez longs mais importants à consigner au procès-verbal, si le professeur Aucoin souhaite correspondre avec nous sur l'une ou l'autre de ces idées, nous en serions ravis. Vous avez sans doute déjà réfléchi à ces questions et vous pouvez faire des références au travail exhaustif que vous avez déjà fait.

Je voulais également mentionner que le sénateur Segal s'est joint à nous. Je suis désolé que nous n'ayons plus le temps pour vous permettre de poser une question. Sénateur Mitchell, vous étiez à un deuxième tour. Il va falloir sans doute demander au professeur Aucoin de revenir à une autre occasion. Pour aujourd'hui, monsieur, je voudrais vous remercier d'être venu. Nous avons tous beaucoup apprécié votre témoignage. Merci.

Honorables sénateurs, il n'y aura pas de réunion demain. Notre prochaine réunion aura lieu mardi prochain, à l'heure habituelle. En outre, il est possible que nous n'ayons pas de réunion mercredi prochain, puisque le président du Sénat nous a tous invités à une rencontre. Vous serez avisés en temps voulu.

La séance est levée.


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