Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 29 - Témoignages du 26 octobre 2005
OTTAWA, le mercredi 26 octobre 2005
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 18 h 18, pour étudier le Budget principal des dépenses déposé au Parlement pour l'exercice se terminant le 31 mars 2006.
Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette quarante-quatrième séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Le rôle de notre comité est d'étudier les dépenses gouvernementales, soit directement par l'entremise des budgets des dépenses, soit indirectement par l'intermédiaire de projets de loi.
[Français]
Le lundi 7 mars 2005, notre comité a été autorisé à étudier, afin d'en faire rapport, les dépenses projetées dans le Budget principal des dépenses pour l'exercice se terminant le 31 mars 2006. Il s'agit, depuis le 9 mars 2005, de notre douzième réunion consacrée à l'étude du Budget principal des dépenses.
[Traduction]
Nous examinons les dépenses du gouvernement dans le contexte d'une plus grande reddition de comptes et d'une transparence accrue. La convention et la pratique de la responsabilité ministérielle sont au cœur du système parlementaire canadien. Les ministres sont tenus de rendre des comptes au Parlement de façon collective, en tant que membres du Cabinet, et individuellement, en tant que ministres responsables d'un ministère en particulier.
Cette convention procède du principe démocratique selon lequel seuls les élus — et non pas les fonctionnaires qui travaillent sous leur gouverne, devraient être tenus responsables du fonctionnement du gouvernement. Afin de discuter entre autres de cette question, nous avons l'honneur de recevoir MM. David Good et Paul Thomas.
M. Thomas est actuellement professeur Duff Roblin au Département des études politiques à l'Université du Manitoba. Il a fait carrière pendant 35 ans dans l'enseignement et l'administration publique. Il a fondé le Programme de stages à l'Assemblée législative du Manitoba dans les années 1970 et a aidé à établir et à gérer le programme conjoint de maîtrise des universités du Manitoba et de Winnipeg.
Tout au long de sa carrière, le professeur Thomas a fait des analyses et des observations qui ont été largement citées et a travaillé pour les trois niveaux d'administration publique au Canada, ce qui lui a valu de recevoir, en 1994, le Prix du lieutenant-gouverneur pour services publics distingués. En août 2003, l'Institut d'administration publique du Canada lui a décerné la Médaille Vanier pour saluer sa contribution remarquable à la fonction publique.
M. David A. Good est actuellement professeur auxiliaire d'administration publique à l'Université de Victoria. Il a 30 ans d'expérience en tant que fonctionnaire, dont 15 ans d'expérience à titre de sous-ministre adjoint de différents ministères et organismes centraux, notamment Ressources humaines et Développement des compétences Canada ainsi que Pêches et Océans Canada et en tant que secrétaire adjoint de la Gestion des dépenses au Secrétariat du Conseil du Trésor.
Il a également travaillé au Bureau du Conseil privé, où il avait la responsabilité d'élaborer et de mettre en œuvre des politiques et des systèmes de gestion des dépenses.
M. Good a écrit deux livres et huit articles sur l'administration publique et la politique sociale.
David A. Good, professeur, École d'administration publique, Université de Victoria, à titre personnel : Je vous suis reconnaissant de me donner l'occasion de m'adresser à vous.
Je sais que beaucoup de témoins vous ont parlé de l'importance et du caractère opportun de la question de la responsabilité ministérielle. D'après ce que j'ai lu, vous avez entendu une vaste gamme de points de vue et de suggestions d'amélioration du système.
Il est intéressant de constater que chaque témoin qui a comparu devant le comité a formulé des suggestions d'amélioration. Cela est révélateur à mon avis, étant donné surtout nos longues et importantes traditions en tant que gouvernement parlementaire. Personne n'a recommandé de maintenir le statu quo en ce qui a trait aux questions touchant la reddition de comptes.
Je n'ai pas l'intention de discuter des propos qu'ont tenus les autres témoins. Ce que je veux faire, c'est énumérer les questions sur lesquelles le comité devrait se concentrer selon moi et proposer certaines améliorations.
Au cours de ma carrière au gouvernement, j'ai appris des leçons à la dure. La plus évidente est que la reddition de comptes au sein du gouvernement est une question complexe qui devient de plus en plus compliquée à mesure que la prise de décision et la responsabilité sont davantage prépondérantes dans l'ensemble du gouvernement. Avant de prescrire quoi que ce soit, il faut établir un diagnostic, et en ce sens, je veux commencer par définir quatre termes clés : la responsabilité, la reddition de comptes, l'obligation de rendre des comptes et le blâme.
Ces termes ont des significations distinctes dans notre régime parlementaire.
De plus en plus, ces termes sont utilisés de manière interchangeable.
On les emploie davantage lorsque les choses vont mal au sein du gouvernement, et, quand c'est le cas, un nombre croissant de personnes ne cherchent plus à savoir d'abord qui est responsable, qui doit rendre des comptes et qui a l'obligation de le faire; elles s'attardent simplement à la question de savoir qui est à blâmer.
La responsabilité concerne la prise en charge. Lorsque le Parlement accorde un vote de confiance à un ministre, c'est qu'il confère une responsabilité au gouvernement et à ses ministres. Quand un ministre est responsable d'un ministère, c'est lui qui en a la charge. Quand un ministre est chargé d'un ministère, il a la responsabilité et l'obligation de surveiller et de diriger ce qui se fait dans son ministère.
Lorsque des problèmes surviennent, et nous savons que cela se produira toujours, le ministre est contraint de déterminer les causes, d'expliquer au Parlement ce qui s'est passé et d'établir ensuite des mesures correctives. Assumer la responsabilité ne signifie pas connaître et contrôler tout ce qui se passe dans le ministère.
La responsabilité n'implique pas non plus que le ministre sera automatiquement blâmé pour un problème qui est survenu. Le blâme dépend de ce que le ministre a fait ou n'a pas fait par rapport à ce qu'il aurait dû faire, de façon raisonnable, avec l'information qu'il détenait à ce moment là. Déterminer ce que le ministre savait et ce qu'il a fait en fonction des attentes raisonnables à son égard constitue l'importante tâche que le Parlement et les comités doivent accomplir.
Le fait que le ministre soit responsable ne signifie pas qu'il doive démissionner en raison de certaines actions ou inactions de la part de fonctionnaires. Cette convention est claire et elle est nécessaire, car si elle n'existait pas, les ministres pourraient être anéantis par des actions inappropriées et des inactions des fonctionnaires. D'un autre côté, cette convention ne vise pas à fournir une protection aux fonctionnaires qui commettent des erreurs. C'est tout le contraire. Elle vise à préserver l'autorité des ministres et à faire savoir clairement aux fonctionnaires et aux parlementaires qui est responsable, comme l'a déclaré le président au début de la séance.
La responsabilité concerne tous les fonctionnaires. La chaîne de responsabilité commence au niveau du ministre, mais la responsabilité s'applique à l'ensemble des fonctionnaires, à tous les échelons, du sous-ministre à Ottawa jusqu'à l'agent des pêches sur le terrain.
Un directeur est responsable du programme dont il assure la prestation. Si un problème survient, c'est lui qui doit déterminer ce qui s'est produit, en faire part à son superviseur et prendre des mesures correctives. Des sanctions et des pénalités peuvent être imposées à des fonctionnaires qui commettent des erreurs. Bien qu'elles ne soient généralement pas rendues publiques, je peux vous dire d'après mon expérience qu'elles sont efficaces.
La reddition de comptes concerne la mise en application et l'explication de la responsabilité. Elle signifie qu'une personne a l'obligation d'expliquer à une autorité comment elle s'est acquittée, d'une bonne ou d'une mauvaise façon, d'une responsabilité conférée par cette autorité. La reddition de comptes suppose une obligation de la part de deux parties. Elle impose à ceux qui exercent l'autorité l'obligation de rendre des comptes à leurs supérieurs. Elle impose aussi aux supérieurs l'obligation de demander des comptes, d'examiner, d'évaluer et d'effectuer un jugement. Lorsque le jugement est négatif, les supérieurs prennent des mesures ou imposent des sanctions.
Le terme « reddition de comptes » a acquis une signification plus large dans la société contemporaine, qui est aussi un peu différente de son véritable sens. Par exemple, les citoyens s'attendent à ce que les ministres, les députés et les fonctionnaires leur rendent directement des comptes. Ainsi, les dirigeants, dans le secteur privé ou public, sont régulièrement appelés à expliquer et à justifier leurs actions et leurs inactions. Ce genre d'obligation de la part des dirigeants de justifier leurs actions à des personnes qui ne leur ont pas directement conféré la responsabilité est ce qu'on appelle l'obligation de rendre des comptes.
Il ne s'agit pas d'un point de vue purement théorique. La distinction entre la reddition de comptes et l'obligation de rendre des comptes, comme vous le savez, s'est exprimée dans le cadre de la relation qui existe entre les fonctionnaires et le Parlement. En somme, on considère que les fonctionnaires ont l'obligation de rendre des comptes au Parlement et aux comités parlementaires.
L'obligation de rendre des comptes au Parlement ne comporte pas les conséquences personnelles rattachées fondamentalement à la reddition de comptes. L'obligation des fonctionnaires de rendre des comptes aux comités parlementaires est importante et essentielle. Pour que le Parlement puisse fonctionner, il doit pouvoir avoir accès à l'information et aux connaissances que détiennent les fonctionnaires, et cette information et ces connaissances sont nécessaires au Parlement pour qu'il puisse tenir les ministres responsables à juste titre.
Je vais faire valoir un dernier point avant de formuler deux suggestions visant à améliorer la reddition de comptes.
La reddition de comptes, selon notre forme de gouvernement responsable, est, de par sa nature, politique. Elle est propice à la partisanerie et à l'adversité. Elle suppose qu'il n'existe aucun substitut pour la politique démocratique. Autrement dit, la reddition de comptes ne peut pas simplement être transformée en une profession de gestion ou un processus de vérification et d'établissement de rapports fondés sur des résultats qui concernent uniquement des questions techniques et objectives. Bref, la reddition de comptes est inhérente à la politique.
La reddition de comptes doit donc être assortie d'un mécanisme de freins et contrepoids. Cela signifie qu'il faut surveiller les pouvoirs qu'exercent le gouvernement et ses ministres et surveiller également la fonction publique et ses dirigeants. Cela signifie aussi qu'il faut établir un équilibre entre les critères concurrents d'un gouvernement efficace et le contrôle démocratique de l'administration publique. Dans ce contexte, la confiance et l'autodéclaration ne suffisent jamais; des vérifications et des rapports indépendants ainsi qu'un examen rigoureux par le Parlement sont nécessaires. Les vérifications et les rapports sont utilisés à des fins administratives, mais aussi à des fins politiques.
Je sais que le comité a entendu beaucoup de témoignages à propos du concept britannique d'agent comptable. Je crois savoir que vous allez vous rendre en Grande-Bretagne pour observer directement comment cela fonctionne. Je crois que nous pouvons nous appuyer dans une certaine mesure sur ce concept pour améliorer la reddition de comptes au Canada, mais je crois fermement qu'il ne s'agit pas du modèle approprié pour la situation au pays. Ce concept se fonde sur l'idée qu'il est possible de séparer l'administration de la politique, de confier aux sous-ministres la responsabilité pour la réduction des coûts et pour l'efficacité et de les rendre directement responsables devant le Parlement.
J'estime que l'adoption en entier de cette pratique britannique, avec toutes les dispositions concernant les instructions écrites à l'intention des sous-ministres, qui seraient rendu publiques, créerait des problèmes considérables pour les fonctionnaires, les ministres et le Parlement. Au fil de ma carrière dans le domaine de la politique et de l'administration publiques, j'en suis venu à mieux comprendre ce que j'appelle la loi des conséquences non voulues. D'après mon expérience, je peux vous dire que toute réforme au sein de l'administration publique créera de nouveaux problèmes, et qu'il faut veiller à ce que ces problèmes soient moins importants que ceux que l'on a réglés.
J'ai trois suggestions à formuler. Premièrement, on devrait faire davantage pour renforcer la reddition de comptes chez les ministres et l'obligation des dirigeants de rendre des comptes aux comités parlementaires. Cela nécessitera l'amélioration de la capacité d'analyse et de recherche des comités parlementaires. En outre, les parlementaires devront interroger de manière plus ciblée et plus systématique les ministres et les dirigeants, et les comités parlementaires devront trouver des moyens d'être plus objectifs.
Deuxièmement, je ne pense pas par contre que de renforcer simplement l'obligation des dirigeants de rendre des comptes sera suffisant. Je crois qu'on peut faire plus pour clarifier la reddition de comptes et ainsi la renforcer. Selon moi, nous devons reconnaître de façon explicite et claire que les sous-ministres ont des responsabilités et des pouvoirs qui leur ont été confiés et délégués personnellement par le Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique. Une reconnaissance officielle et explicite de ces pouvoirs et responsabilités contribuerait à clarifier la reddition de comptes chez les sous-ministres.
Je propose l'établissement d'un poste d'agent comptable principal version canadienne. Je propose précisément que les sous-ministres soient tenus de rendre des comptes publiquement uniquement en ce qui a trait aux pouvoirs et aux responsabilités conférés par des lois ou délégués par le Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique.
En outre, les sous-ministres ne devraient pas s'attendre à ce que les ministres acceptent d'assumer la responsabilité des décisions qui relèvent de leur domaine d'autorité et de responsabilité.
Selon moi, cela définit clairement les limites de l'autorité, de la responsabilité et de la reddition de comptes des sous-ministres. En établissant cela clairement et de façon explicite, on enverrait un message important aux autres dirigeants, aux ministres et aux parlementaires.
Par le passé, nous avons reconnu des erreurs par action commises par des ministres et des fonctionnaires, mais nous n'avons pas très bien réussi à faire face à ce qu'on pourrait appeler des erreurs par omission, c'est-à-dire le fait de ne pas avoir pris les mesures qui s'imposaient dans certaines situations.
Ainsi, je suis d'avis que la lettre de nomination que le greffier du Conseil privé adresse aux sous-ministres et les protocoles connexes doivent être considérablement améliorés. Il faut expliquer clairement et de façon explicite aux sous-ministres leur double devoir. Leur premier devoir est de s'informer à propos de ce qui se passe entre les dirigeants qui doivent lui rendre des comptes et les ministres et le personnel politique. Leur deuxième devoir est d'informer le greffier du Conseil privé des situations lors desquelles l'exécution appropriée de leurs tâches va à l'encontre des points de vue des ministres ou du personnel politique. En faisant en sorte que les obligations des sous-ministres soient décrites de façon claire et explicite, la reddition de comptes sera meilleure.
Il y aura toujours des erreurs au sein du gouvernement; il ne peut en être autrement. Cependant, nous devons trouver de meilleures façons de corriger les erreurs sans détruire la confiance fragile du public qui sous-tend les rapports entre les fonctionnaires, les ministres et les parlementaires et qui soutient l'intégrité de nos institutions publiques.
Je serai ravi de répondre aux commentaires et aux questions des sénateurs.
Le président : Je vous remercie pour cet excellent exposé. Certaines de vos suggestions d'amélioration ont un aspect pratique, alors je suis certain que les sénateurs auront des questions à vous poser.
Paul G. Thomas, professeur, Département des études politiques, Université du Manitoba, à titre personnel : C'est un privilège et un honneur pour moi d'être ici. J'ai suivi les travaux du comité au fil des ans. Vous ne saviez probablement pas qu'il y a un adepte de votre comité à Winnipeg. Vous avez accompli du travail constructif dans de nombreux domaines — la politique publique et l'administration publique — ce qui ne s'est pas fait dans l'autre Chambre ni au sein d'autres comités. Dans un livre qu'a écrit le sénateur Joyal, j'ai rédigé un chapitre qui peint un portrait flatteur du Sénat. Je voulais lui donner le titre suivant : « À la défense de l'indéfendable : la cause du Sénat canadien », mais le sénateur Joyal n'était pas d'accord.
Mes propos ressembleront à ceux qu'a tenus M. David Good. C'est un pur hasard; ce n'est pas une conspiration. J'aimerais faire valoir qu'il serait utile aux fins du débat d'utiliser les termes plus clairement et plus précisément. Je ne cesse de me battre pour tenter de restreindre la signification, qui s'élargit toujours, du terme « reddition de comptes », mais sans grand succès. Ce terme est employé dans le combat que se livrent les partis politiques de la Chambre des communes et il est devenu un mantra au sein de la population, alors nous n'effectuons pas de distinction précise entre les termes responsabilité, reddition de comptes, obligation de rendre des comptes, transparence et réceptivité.
Je ne vais pas répéter certains des propos de M. Good, mais je peux dire qu'il est certain que chacun de ces mots a sa propre signification. Ils sont de toute évidence étroitement liés, mais ils ne devraient pas être considérés comme des synonymes, car ils concernent différents types de relations. Je veux faire valoir que l'emploi du terme « reddition de comptes » devrait être limité à une situation particulière, c'est-à-dire dans le cas d'une relation d'autorité appuyée par un quelconque processus interactif. Je dirais que cette relation comporte quatre éléments.
Il y a l'octroi d'une responsabilité à des personnes ou des institutions, y compris le transfert d'un pouvoir et l'attribution d'un mandat et de ressources. Idéalement, ce transfert s'accompagne d'une sorte d'entente qui précise les attentes et les normes de rendement. C'est le premier élément.
Le deuxième élément, celui dont on parle le plus, est l'obligation par les personnes auxquelles on a délégué une responsabilité de répondre de la façon dont elles se sont acquittées de cette responsabilité. On présume que cela se fera sur la base de renseignements raisonnablement complets qui seront valides, fiables et objectifs, de sorte que la divulgation d'information soit au cœur de la reddition de comptes.
Troisièmement, et il s'agit-là d'un élément qu'on néglige, selon moi, il existe une obligation de la part d'une autorité mandataire de suivre le rendement, d'orienter et de prendre des correctifs en cas de problème. Il peut y avoir des lacunes au niveau de la reddition de comptes non pas seulement parce que les gens font abstraction de leur obligation de s'acquitter de façon appropriée de leurs responsabilités, mais aussi parce que les ministres ne portent pas suffisamment attention à ce qui se passe dans leur ministère, ou les sous-ministres ne sont pas au courant de tout ce qui s'effectue. Il s'agit d'une lacune sur le plan de la reddition de comptes comme il en existe ailleurs.
Enfin, en théorie, la reddition de comptes comporte l'octroi de récompenses ou l'imposition de punitions. La plupart des fonctionnaires vous diront qu'en pratique il y a davantage de punitions que de récompenses. Très peu de fonctionnaires me racontent des situations dans lesquelles ont les a tenu responsables de leur réussite. Habituellement, on les a tenu responsables des échecs.
Je tiens à dire à ce sujet qu'il ne s'agit pas toujours de sanctions extrêmes. Il n'est pas nécessaire qu'il s'agisse d'un renvoi ou d'une démotion. Nous sous-estimons l'importance de la réputation, précisément du risque de la perdre et du tort qui peut être causé à la carrière d'une personne comme moyen d'amener les gens à prêter attention à leurs responsabilités et à leurs obligations.
Je sais que le public souhaite habituellement qu'une personne paie un prix considérable lorsqu'un grave problème survient au sein du gouvernement. Le fait qu'une sanction ne soit pas rendue publique, comme l'a mentionné M. Good, porte souvent à croire qu'il n'y a eu aucune conséquence. En fait, des sanctions sont bel et bien imposées, mais ce n'est tout simplement pas annoncé.
Mes prochains commentaires portent sur la pertinence, l'importance et surtout, l'efficacité de la responsabilité ministérielle. Je voudrais d'abord revenir en 1996. Cette année-là, un groupe de travail important, dirigé par le regretté John Tait, a été mis sur pied pour étudier les valeurs et l'éthique au sein de la fonction publique. Il a amené le gouvernement Chrétien à publier un guide à l'intention des ministres et des secrétaires parlementaires, en 2002. Il s'agissait-là d'une tentative utile de codifier les principes régissant la responsabilité ministérielle et la responsabilité administrative. Il ne répond pas à toutes les questions parce qu'aucun guide concis ni aucune déclaration de principe ne peut le faire, mais c'est un point de départ. C'est ce qu'avait demandé le groupe de travail Tait, c'est-à-dire une déclaration concise et claire visant à aider les parlementaires et le public à comprendre les rouages complexes de la reddition de comptes au sein du gouvernement.
Je vais aborder en premier lieu la responsabilité ministérielle collective. Il faut penser au fait que, en vertu de notre régime de gouvernement, nous mettons clairement l'accent sur la responsabilité. Nous concentrons les pouvoirs de légiférer, de taxer et de dépenser au sein du groupe de politiciens partisans qui forme le Cabinet. Nous cherchons ensuite à les tenir responsables devant le Parlement de manière permanente. C'est de cette façon que fonctionne notre système.
En raison de la façon dont ces pouvoirs sont structurés, il est difficile pour le premier ministre et ses collègues du Cabinet de ne pas assumer leurs responsabilités. Même durant l'époque difficile des années 1990 et du gouvernement Mulroney, marquée entre autres par une réduction d'effectifs et des contraintes budgétaires, on ne pouvait pas attribuer le blâme au Parlement ni à un parti. De son côté, le système américain est plutôt un système où on refile presque systématiquement les responsabilités. Les pouvoirs sont divisés et il existe un mécanisme de freins et de contrepoids, de sorte que, même si le Congrès est sur la même longueur d'ondes que lui, le président peut déclarer que c'est le Congrès qui l'a forcé à agir d'une telle manière, et il n'est donc pas tenu responsable. Par contre, il est extrêmement difficile pour le premier ministre, étant donné surtout la concentration actuelle des pouvoirs, de se soustraire à sa responsabilité.
La responsabilité ministérielle collective fonctionne de concert avec la responsabilité ministérielle individuelle. Dans l'un des documents publiés par le Conseil du Trésor, je crois qu'on n'a pas suffisamment accordé d'attention au fait que l'accent qui est mis sur la responsabilité ministérielle collective, par l'entremise de la solidarité ministérielle et de la confidentialité des travaux du Cabinet, limite la mesure dans laquelle on peut tenir un ministre individuel responsable, car il arrive parfois qu'un ministre doive appliquer une politique qu'il n'avait pas entièrement appuyée. Comme il doit respecter la confidentialité des travaux du Cabinet, il ne peut pas exprimer son désaccord à moins qu'il ne soit prêt à démissionner.
La responsabilité ministérielle individuelle continue d'avoir une grande valeur au sein de notre système politique, car elle permet l'interrogation d'une personne précise quand un problème survient au sein du gouvernement — une personne à laquelle vous pouvez transmettre les doléances des gens que vous représentez dans votre région ou votre circonscription. Les ministres doivent continuellement se vanter de ce qu'ils ont accompli grâce aux pouvoirs et aux ressources qui leur ont été conférés, et la responsabilité ministérielle individuelle focalise la reddition de comptes.
Je dirais que la responsabilité ministérielle individuelle se décline en cinq points. À l'heure actuelle, le ministre doit répondre de tout ce qui se passe dans son ministère — répondre dans le sens qu'il a le devoir de rendre compte des politiques et des agissements de son ministère et de la conduite de ses représentants et d'indiquer les mesures prises pour corriger les erreurs. Il a le devoir de remédier à la situation, ce qui ne signifie pas pour autant qu'il sera toujours forcé de démissionner, mais il a l'obligation de corriger le problème.
Comme l'a mentionné David Good, le fait d'accepter la responsabilité ne veut pas dire qu'on prend le blâme quand vient le temps d'appliquer le principe de la responsabilité ministérielle. Il arrive que des ministres répondent pour d'anciens ministres de choses qui se sont produites avant qu'ils n'assument la responsabilité du ministère. Ils répondent des activités et des actions des fonctionnaires, mais ils ne devraient pas nécessairement accepter le blâme s'ils n'étaient pas déjà au courant.
C'est le premier principe. Le deuxième est celui selon lequel le ministre assume la responsabilité s'il y a des problèmes persistants de mauvaise administration au sein du ministère. Cependant, il n'est pas toujours nécessaire que le ministre démissionne.
Lorsque le Parlement adopte une motion de blâme, ou qu'il propose de le faire, ou bien qu'il décide de baisser le salaire d'un ministre, cela constitue l'expression d'une opinion parlementaire. Le Parlement ne peut pas faire démissionner un ministre, contrairement à ce que d'autres témoins vous ont affirmé. Au bout du compte, que le ministre reste ou démissionne, cela relève d'un jugement politique. C'est une décision qui est prise par le premier ministre, parfois d'après les conseils du Cabinet. Elle s'appuie davantage sur des calculs politiques que sur des principes juridiques ou constitutionnels.
Ce que je veux faire valoir, c'est que trop souvent nous sous-évaluons le rôle que le Parlement peut jouer en vue d'amener les ministres à assumer leur responsabilité individuelle, d'exiger d'eux qu'ils portent davantage attention aux activités de leur ministère et qu'ils prennent des mesures correctives lorsqu'un problème survient. Je crois que nous allons trop loin en essayant de jeter le blâme sur un ministre en particulier, et nous ne voyons pas la valeur corrective que revêt un examen rigoureux par l'entremise du processus parlementaire.
Enfin, en vertu de leur devoir de divulgation, les ministres doivent fournir de l'information exacte et vraie au Parlement. Lorsqu'ils induisent le Parlement en erreur, je considère qu'il s'agit de l'infraction la plus grave dont ils peuvent être reconnus coupables. S'ils ne prennent pas immédiatement les mesures nécessaires pour corriger l'erreur, ils devraient être forcés de démissionner. Le Parlement est au cœur du processus de reddition des comptes, et il devrait le demeurer.
Quant au concept britannique d'agent comptable, je crois que le gouvernement n'a pas encore une opinion claire à ce sujet. Le guide dont j'ai parlé plus tôt, qu'a publié M. Chrétien en 2002, préconisait l'importation de ce concept britannique. M. Franks a déclaré qu'il avait pris connaissance du point de vue du Conseil privé sur la question, et il a précisé que cet organisme n'était pas en faveur. Mais d'après ce que j'ai lu dans les documents que le ministre Alcock a publié ces derniers jours, il me semble que l'idée soit mieux acceptée. Selon moi, je ne crois pas que cela ferait une grande différence. M. Franks a cité les rares cas de dirigeants qui n'ont pas suivi les directives ministérielles et qui ont publié leur propre déclaration de désaccord. Il y en a eu très peu.
Au Canada, un sous-ministre a le droit de refuser de respecter les directives du ministre à moins que celui-ci l'oblige explicitement à les appliquer. Il a le droit de s'adresser au greffier du Conseil privé et d'informer le Conseil du Trésor d'infractions à la Loi sur la gestion des finances publiques. Dans le cadre du programme des commandites, il se pourrait qu'un sous-ministre ait refusé de respecter les directives du ministre. C'est ce qu'il aurait pu faire, et c'est probablement ce qu'il aurait dû faire.
Je crois que l'exemple du Royaume-Uni mérite d'être étudié. Si nous importons ce concept au Canada, il faut tenir compte de notre contexte différent. Maintenant, les sous-ministres comparaissent régulièrement devant les comités parlementaires. Ils sont très conscients — certains d'entre eux sont des amis à moi — qu'il s'agit d'une séance visant à évaluer leurs qualités de chef et la gestion du ministère. Quant aux effets psychologiques, un bon bout de chemin est fait, qu'il y ait ou non un agent comptable. Si vous choisissez d'adopter le concept, vous risquez d'affaiblir l'autorité qu'exercent le premier ministre et les ministres sur les sous-ministres.
En Nouvelle-Zélande, lorsque des CEO, comme on les appelait là bas, sont devenus des employés à contrat, on a tenté de déterminer où se terminait la responsabilité du ministre et commençait celle de ces personnes, et il est arrivé souvent que le blâme soit rejeté sur quelqu'un d'autre. Dans un excellent ouvrage publié par Robert Gregory, de Nouvelle-Zélande, intitulé Tragedy At Cave Creek, un ministre déclare que c'est la faute du sous-ministre. Le sous-ministre affirme qu'il n'avait ni l'autorité ni les ressources pour effectuer le travail.
Il est risqué d'établir une ligne de démarcation qui devient floue dans la pratique. Notre Comité des comptes publics est un organisme beaucoup plus partisan que son homologue britannique. Il tient beaucoup de séances publiques, tandis que le comité britannique se réunit à huis clos lorsque des fonctionnaires comparaissent devant lui. Il cherche moins à épater la galerie et à tenter de marquer des points sur l'échiquier politique.
Enfin, il faut discuter d'un nouveau paradigme de reddition des comptes. Il faut d'une certaine façon changer la culture parlementaire, en mettant moins l'accent sur la détection des erreurs et le blâme et davantage sur la prévention des erreurs et l'apprentissage. Ce changement de culture n'est pas aussi nécessaire au sein de l'institution à laquelle je m'adresse ce soir qu'il l'est à la Chambre des communes. Quoi qu'il en soit, je crois qu'une approche plus constructive s'impose.
Par ailleurs, les gouvernements adoptent de plus en plus une approche qui vise à englober l'ensemble du gouvernement et d'autres paliers de gouvernement, et ils ont davantage tendance à confier la prestation de leurs programmes à des tierces parties, de l'extérieur du gouvernement. L'approche traditionnelle individualiste et verticale en matière de reddition de comptes ne convient pas aux réalités changeantes de la gouvernance, qui est plus horizontale et collective. Il faut élaborer des approches collectives de reddition de comptes et se détacher de l'idée qu'il faut trouver une personne précise qui passera à la planche lorsqu'une erreur sera commise. Le problème, c'est que cela est lié à l'approche négative et théâtrale qui prévaut à la Chambre des communes selon laquelle il faut trouver quelqu'un qui paie le prix, ce qui a pour effet que le public s'attend à ce que quelqu'un subisse les conséquences lorsque les choses vont mal.
Nous vivons en ce moment au pays une période où nous cherchons des coupables. J'ai fait une étude sur la tragédie qui a eu lieu au Manitoba concernant le décès de certains bébés dans le cadre du programme pédiatrique de chirurgie cardiaque. Il y avait suffisamment de blâme à jeter. De nombreuses personnes n'ont pas assumé leurs responsabilités. On peut dire que le système a eu des ratées, mais le public n'acceptera pas cela quand des familles souffrent de la perte d'un enfant ou d'un bébé. La population veut que quelqu'un soit blâmé et couvert de honte. Il faut aller au-delà de cela si nous voulons utiliser la reddition de comptes à des fins plus positives, à savoir pour apprendre comment rendre le gouvernement plus efficace. Je vais m'arrêter là.
Le président : Je vous remercie tous les deux pour vos excellents exposés. Monsieur Thomas, dans un document que vous avez rédigé et que nous avons reçu, intitulé « The Swirling Meanings and Practices of Accountability », vous expliquez très en détail dans quelles situations un ministre devrait démissionner. Il s'agit d'une analyse utile que nous allons lire.
Le sénateur Day : Je vous remercie à mon tour pour vos exposés. Ils étaient clairs et pertinents dans le cadre de notre étude. À de nombreuses occasions, j'ai demandé à d'autres témoins de définir ces termes, car j'estime que c'est par cela que nous devons commencer. Je ne veux pas dire qu'il y a un mauvais emploi de ces termes, mais il y a tout de même de la confusion entre les termes responsabilité et reddition de comptes, alors il a été très utile que vous expliquiez la différence.
Ma question porte sur le nouveau paradigme. Monsieur Thomas, un autre témoin nous a donné une description pas tout à fait pareille, mais il a aussi fait valoir que le public cherche à jeter le blâme sur quelqu'un et que l'opposition est menée par l'opinion publique ou bien elle dicte cette opinion. Il a fait valoir également que les médias jouent un grand rôle. Les médias britanniques s'attendent à ce que des problèmes surgissent de temps à autre et ils n'en font pas tout un plat, tandis qu'ici, les médias ont tendance à mettre l'accent sur les erreurs. Avez-vous des commentaires à cet égard? Avez-vous déjà effectué une réflexion là dessus? Cela fait-il partie du changement de paradigme sur lequel il faut se pencher?
M. Thomas : Le sénateur Oliver a parlé de ce document plus volumineux. Il y a une section dans laquelle j'explique que le processus parlementaire lié à la reddition de comptes s'entrecroise avec le processus médiatique. Les médias prétendent maintenant qu'ils sont pratiquement le quatrième ordre de gouvernement. Étant donné surtout la fragmentation qui existe au sein de l'opposition, il semble que les médias assument le rôle de l'opposition et s'emploient à critiquer le gouvernement. M. Good a bien entendu fait l'expérience de la frénésie médiatique au cours de sa brillante carrière en tant que fonctionnaire.
Il est vrai que les médias mettent l'accent sur les mauvais coups du gouvernement; ils diffusent rarement les bons coups. Même le travail de votre comité, qui consiste à interroger des fonctionnaires et à aller au cœur de ce qui fonctionne bien et de ce qui pourrait être mieux, est souvent passé sous le silence. Les médias jouent un rôle essentiel à cet égard. C'est au journal télévisé de la CBC qu'on nous brosse un tableau du fonctionnement du gouvernement. La majorité du temps, nous sommes pour la plupart des spectateurs du processus gouvernemental. C'est ce que nous présente tous les soirs Peter Mansbridge qui résume le gouvernement.
Dans un excellent ouvrage qu'il a rédigé, intitulé The Case for Bureaucracy, Charles Goodsell, qui utilise malheureusement des données américaines, prétend que nous avons une image négative de la fonction publique.
Cependant, quand on interroge les gens au sujet de leur satisfaction à l'égard de la fonction publique, ils répondent généralement de façon positive. Mais ils estiment néanmoins que le service qu'ils ont reçu n'était pas typique. Ils sont convaincus que la personne suivante obtiendra un mauvais service de la part d'un fonctionnaire zélé qui applique les règles à la lettre et qui ne reconnaîtra pas la nature particulière des préoccupations de cette personne.
Cela est également vrai dans le domaine de la santé. J'effectue en ce moment beaucoup de travail sur la reddition de comptes dans le milieu de la santé. Il y a là un problème. Les médias ont contribué à façonner une fausse image de la fonction publique, que l'on imagine inefficace, inefficiente, arrogante, lourde, et cetera.
C'est pour cette raison que l'autre endroit fait l'objet d'une grande couverture médiatique. Les partis se livrent à des jeux politiques durant la période des questions.
Le sénateur Day : Je ne veux pas vous interrompre, mais je dois dire que si vous voulez savoir quelles questions seront posées lors de la période des questions, vous n'avez qu'à lire le Globe and Mail le matin. Vous saurez sur quoi porteront les questions de l'opposition.
M. Thomas : En décidant des reportages qu'ils présenteront et du degré d'importance qu'ils leur accorderont, les médias jouent un rôle important dans l'établissement des priorités en matière de reddition de comptes. Ils font en sorte que l'objet de ces reportages surgisse ou non au Parlement. Cela se joue dans les deux sens, j'en conviens.
Le sénateur Day : Cela fait partie du changement de paradigme dont vous avez parlé.
M. Thomas : Oui.
M. Good : Permettez-moi d'ajouter un commentaire concernant les propos de M. Thomas à l'égard du rôle des médias. Nous devons trouver un moyen de défendre nos processus et traditions démocratiques dans un monde où la fonction des médias a fondamentalement changé.
Pour traiter des situations données, les médias recourent aujourd'hui à une variété de procédés. L'un d'eux est la simplicité; la sobriété. Un autre est la dramatisation. Celle-ci revêt une grande importance, et on juxtapose les confrontations entre fonctionnaires et ministres, les prises de bec entre ministres, les critiques à l'endroit des premiers ministres, et ainsi de suite.
Il y a ensuite la personnalisation. Ce procédé soulève d'intéressantes questions à propos du rôle des fonctionnaires. En effet, s'ils demeuraient autrefois généralement anonymes, les fonctionnaires sont maintenant de plus en plus exposés, étant donné que le travail de l'administration publique se fait au grand jour, d'où les demandes croissantes de transparence.
Le dernier point à propos des médias est que ceux-ci recourent beaucoup à un modèle préétabli de traitement des nouvelles. Afin de conserver leur clientèle, ils utilisent ce modèle pour rapporter un problème particulier. Ainsi, un paiement excédentaire de 85 000 $ peut se transformer en un gaspillage d'un milliard de dollars.
Dans ces circonstances, ce qui me vient à l'esprit, au sujet des termes de la responsabilité définis par M. Thomas, c'est l'obligation, pour ceux à qui l'on a confié le mandat de scruter et d'examiner en profondeur le processus, de faire leur travail consciencieusement pour éviter de prêter le flanc aux médias. Dès lors, quel est le rôle du Parlement, du Sénat et des comités?
Je dois ajouter que lorsque j'étais fonctionnaire au Conseil du Trésor, je me réjouissais toujours de rencontrer le Comité sénatorial permanent des finances nationales. Contrairement à d'autres comités, nous avions immanquablement des échanges très approfondis sur des sujets concernant le Conseil du Trésor. Cela oblige les gens chargés de la vérification à garder en tête que ce qu'ils cherchent n'est pas nécessairement simple, ni même dramatique ou personnalisé, et ne fera pas obligatoirement les manchettes. Aller au fond des choses requiert une certaine expertise de la part des comités et de leurs membres, entre autres. Je souhaiterais seulement que nous puissions le faire davantage et de manière mieux organisée pour faire contrepoids aux médias.
Le sénateur Day : J'ai d'autres questions à vous poser concernant ce que vous avez dit à propos des erreurs par action versus par omission. Je suis heureux que vous ayez abordé la question de l'évaluation du travail des sous-ministres et autres fonctionnaires. Il me semble qu'il s'agit là d'une chose importante à laquelle nous n'avions jamais songé jusqu'à présent.
Vous avez souligné que l'un des rôles du sous-ministre est de s'informer des contacts qui ont lieu entre le personnel politique et le personnel du ministère. Mais est-ce que cela ne place pas le sous-ministre dans une position délicate? Ne se retrouve-t-il pas ainsi à épier les faits et gestes de son supérieur? Cela ne crée-t-il pas un climat de travail difficile pour lui?
M. Good : Je ne crois pas que cela crée nécessairement un environnement de travail difficile. Le sous-ministre joue un rôle d'administrateur en chef permanent. Il est également un conseiller de premier plan pour le ministre sur des questions de politique. Il doit aussi rendre des comptes directement au ministre; c'est absolument essentiel. Le sous-ministre doit avoir une large vue d'ensemble et doit être informé des interactions qui ont lieu.
N'oubliez pas que le système en vigueur comporte une voie hiérarchique et une chaîne de commandement en vertu desquelles chaque fonctionnaire a des comptes à rendre à ses supérieurs. Si un fonctionnaire en particulier traite avec le personnel politique d'autres ministères ou d'ailleurs dans le système, c'est la responsabilité du ministre de s'informer de la nature de ces relations et de ce qui se passe exactement.
La dernière chose qu'un sous-ministre désire se faire demander par un ministre est « Pourquoi n'ai-je pas été informé? » Le devoir d'information est absolument essentiel. C'est facile d'en parler, mais c'est plus difficile à appliquer. Cela nécessite de la confiance et une bonne compréhension des fonctions respectives du ministre, du sous-ministre et du personnel exonéré au sein du ministère. C'est primordial.
Le sénateur Day : Puisque vous soulignez cet aspect, croyez-vous que ces fonctions ne sont pas clairement établies ni exercées comme elles devraient l'être au Canada à l'heure actuelle?
M. Good : Cela dépend. Étant donné que durant la période Mulroney, les bureaux des ministres ont été renforcés par des chefs de cabinet, cela a créé une relation trilatérale et une certaine ambiguïté dans le système. Je crois qu'il faut toujours clarifier cette situation. Le chef de cabinet travaille à la fois pour le ministre et les fonctionnaires.
Vous devez comprendre que le personnel du ministre et le ministre lui-même ne font qu'un, comme l'a dit l'un de vos témoins. La responsabilité de tout ce qui se passe dans un ministère demeure donc exclusivement imputable à son ministre.
Cet aspect est directement lié à la question du respect des directives. Au cours d'une journée bien remplie où de nombreux événements se succèdent, quelle est la différence entre une suggestion et une directive? Il y a beaucoup d'interaction entre les fonctionnaires et les bureaux des ministres. En réalité — tout personnel de ministère qualifié et tout ministre compétent le savent —, les fonctionnaires n'obéissent pas au personnel du ministre, mais plutôt au ministre, comme il se doit, par l'intermédiaire de la chaîne de commandement. Il est important que chacun sache à quoi s'en tenir lorsque de telles discussions surgissent.
Je ne crois pas que l'on puisse nécessairement codifier de telles règles. Cela requiert beaucoup d'interaction et de discussions — particulièrement lorsque les ministres et sous-ministres sont nouveaux — de même qu'une compréhension des rouages du système. Il faut rester très vigilant face aux soi-disant erreurs par omission, qui peuvent être bien plus dommageables que les erreurs par action. C'est à ce type d'erreurs qu'il faut prêter attention.
M. Thomas : J'irais même plus loin que M. Good. Je dirais qu'étant donné le pouvoir accordé au personnel ministériel, et particulièrement au chef de cabinet, si l'on tente de rédiger un énoncé de principe faisant autorité, on devra absolument déclarer que le personnel relève de la responsabilité des ministres. Il faudrait que ce soit clairement défini.
Il y a les fonctionnaires, puis il y a les ministres. On ne peut laisser ces gens payés par le gouvernement exercer une influence de par leur position sans leur demander des comptes d'aucune façon. Il y a une lacune. Cela nous ramène à l'ère Pearson, lorsque le personnel ministériel était impliqué dans des magouilles, mais que le ministre s'en lavait les mains. C'est un comportement inacceptable. Il doit être clairement établi que cela fait partie de la responsabilité ministérielle.
Le sénateur Stratton : Cette discussion est passionnante. Pour les Canadiens qui la suivent, nous devons toujours faire un lien entre les événements passés et présents.
Vous avez peut-être constaté, à la lecture des délibérations de nos séances précédentes, que ce qui préoccupe les gens est la possible répétition de fiascos comme celui du registre de contrôle des armes à feu. Nous en avons discuté ici, heureusement de manière apolitique. Peu importe le parti au pouvoir, cela concerne le gouvernement lui-même. C'est la responsabilité ministérielle qui est visée, puisque année après année, au sein de ce comité — et j'en suis membre depuis très longtemps — cela revient sur le tapis. On nous a déjà assurés qu'il s'agissait de la dernière hausse, mais chaque année par la suite, les coûts ont explosé sans que rien ne soit fait, malgré notre vive opposition et nos protestations.
Deuxièmement, vraiment, ce qui mené à la commission Gomery ne devrait plus se produire. J'aimerais que vous preniez ces deux exemples, car nous les connaissons tous, et j'aimerais que vous me décriviez comment nous pouvons appliquer ce que vous proposez, car c'est ce que les gens veulent savoir. Comment pouvons-nous prévenir ce genre de choses?
M. Good : Bien, je ne peux pas vous garantir que ce genre de choses ne se reproduira plus jamais. Comme je l'ai dit dans mes commentaires, je crois qu'il y aura encore des erreurs.
Ce qu'il faut se demander, c'est si les erreurs qui se sont produites sont des erreurs humaines ou des erreurs dans la structure du système. Je ne crois pas que le système est défaillant ni qu'il doit être revu de fond en comble. Je crois qu'il faut apporter des corrections et des rectifications. Avouons-le : si nous apportons des changements dans ce système, c'est comme un mécanicien qui essaie de réparer un moteur pendant qu'il est en marche. C'est difficile à faire. Cependant, c'est ce que vous et nous essayons de faire.
Dans le cas du contrôle des armes à feu, il est important, évidemment, de faire des estimations prudentes des dépenses et d'être clair au sujet de ces dépenses. Il est également important de comprendre le contexte politique et stratégique dans lequel les choses sont effectuées. Si on travaille à un dossier politique pour lequel il y a énormément de résistance, alors cela coûtera plus d'argent. Si l'on ne reconnaît pas cela, le niveau de résistance peut changer. Si on assume que les gouvernements des provinces vont coopérer, cela modifiera le processus de prévision des dépenses. Si un organisme a peu d'expérience à titre de ministère opérationnel — dans le cas présent, le ministère de la Justice — cela change également les choses.
Je suis heureux de savoir que le Sénat et que d'autres instances travaillent à faire avancer cette question et que l'on demande aux ministres combien cela coûtera-t-il et quelles sont les prévisions financières. Avec chacune des prévisions à la hausse, il faut se demander si nous devons continuer ou non. Faire des prévisions à la hausse afin qu'elles reflètent bien les coûts réels, cela permet de montrer que de bons calculs ont été effectués, c'est-à-dire des calculs qui tiennent compte des facteurs politiques, stratégiques et gouvernementaux. Cela permet de dire qu'au lieu de coûter tant d'argent, le programme coûtera en fait tel montant. Regardons les avantages par rapport aux coûts. Cela comporte certains avantages.
En ce qui a trait à votre deuxième question, je serai bref. Si, comme je l'ai suggéré, nous mettions en place un concept de comptabilité fait au Canada et modifié, qui reconnaît les responsabilités juridiques et déléguées dans le cadre des lois des députés et qui rendraient les députés responsables de ces lois, cela reconnaîtrait en partie — d'après ce que M. Thomas a dit — ce qui était déjà en place. Lorsque les sous-ministres se présentent devant un comité, ils se préparent bien. Le concept tiendrait compte de cela de manière explicite, ce qui aurait alors l'effet supplémentaire de faire avancer les choses du côté de la bureaucratie afin de rendre les choses plus claires. Lorsqu'un sous-ministre dit à son adjoint « Je suis maintenant personnellement responsable; alors, par définition, vous êtes responsable ». Cela peut aider les personnes à savoir ce qu'il en est afin d'éviter ce genre d'erreurs.
Je ne crois pas qu'il y ait un remède universel. L'idée est d'effectuer des changements qui ne causeront pas d'autres problèmes, mais qui régleront d'une manière chirurgicale certaines lacunes qui existent actuellement dans le système.
M. Thomas : À propose de ce que vous venez de dire, il est important que le Parlement ait l'occasion de questionner les ministres et les fonctionnaires fédéraux, car cela renforcit les normes de responsabilité et d'imputabilité au bureau du ministre, et à tous les niveaux du ministère. Cela attire l'attention des gens. Les ministres n'aiment pas être embarrassés devant un comité. Ils n'aiment pas que le vérificateur général écrive des choses négatives à leur sujet.
Premièrement, je crois que la surveillance parlementaire des opérations du gouvernement est très importante. J'aimerais que davantage de députés se consacrent à cette activité. Ils se voient comme des législateurs. En fait, ce ne sont pas eux qui font les lois, car ce ne sont pas eux qui les formulent, ils font plutôt seulement les approuver. Lorsque vous les interrogez, ils parlent comme si c'était eux les législateurs, mais ce n'est pas le cas. Ils devraient accepter que la plupart des lois seront adoptées sans être modifiées. S'ils veulent influencer les futures lois, ils devraient étudier les politiques précédentes pour voir ce qui n'a pas fonctionné. C'est de plus en plus à partir de cela que les nouvelles lois émergent, il faut apprendre à partir des anciennes lois.
Deuxièmement, nous essayons souvent de mettre l'accent sur l'imputabilité des fonctionnaires à l'endroit de politiques mal conçues. Même avec la meilleure gestion du monde, si la politique est mal conçue, vous n'obtenez pas les résultats voulus. M. Good a vécu cela, contrairement à moi. Pour ce qui est de la question de DRHC, il s'agissait d'une politique élaborée par des ministres. L'idée était de transférer l'argent le plus vite possible vers des groupes communautaires et d'obtenir le crédit politique. Il y avait peut-être de bonnes intentions derrière cette politique, mais en réalité, les politiciens ont participé à l'administration des programmes. Lorsque je siégeais au comité consultatif du Bureau du vérificateur général du Canada, j'ai examiné cette question de DRHC, et j'étais le seul à dire que le vérificateur général d'alors plaçait trop le blâme sur les fonctionnaires, à qui l'on avait simplement demandé d'exécuter un programme qui avait un contenu politique.
La réponse du vérificateur général a été la suivante : « Je dois arrêter de critiquer la politique. Je dois commenter sur la gestion des programmes ». Je m'excuse, mais ces deux éléments sont intimement liés. En voyant les choses de cette manière, on ne blâme pas les ministres, mais plutôt les fonctionnaires pour avoir fait ce qu'on leur a demandé. Au moins dans ce cas, il y avait des personnes identifiables, car elles étaient présentes dans les médias. Je crois que c'est un problème.
Finalement, au sujet de la Commission Gomery, cela va au-delà de la responsabilité administrative et de la capacité de répondre des adjoints ministériels. Il s'agit d'une contravention à la Loi électorale, une violation de la Loi sur la gestion des finances publiques, d'une politisation inappropriée de la fonction publique et d'un délégué qui n'a pas eu le courage de parler et de mettre fin à une pratique. C'est probablement injuste pour la personne en cause. Cependant, nous ne pouvons pas dire que nous n'avions pas de dispositions prévues par la loi ou de procédures administratives pour mettre fin à ceci. Des personnes ont enfreint la loi. Je crois que c'est ce que nous dira le juge Gomery mardi prochain.
Le sénateur Downe : Je m'intéresse, monsieur Good, à ce que vous avez dit au sujet du registre des armes à feu, et je désire faire un suivi au sujet du commentaire du sénateur Stratton. Dans le contexte actuel, je ne vois rien qui empêcherait qu'un problème similaire se reproduise, car les règles n'ont pas changé.
Comme vous l'avez dit, un des problèmes était que le ministère n'avait pas l'habitude d'exécuter des programmes opérationnels. Il y avait beaucoup d'autres problèmes. Il me semble qu'aucun ministre ne viendrait devant un comité du Sénat ou de la Chambre des communes pour présenter un budget des dépenses sous-estimé à chaque année, à moins qu'on lui donnait de l'information fausse quelque part dans le système. Je suis certain que ce n'est pas le système qui générait de l'information erronée, mais ce sont les faits. Pendant des années, on a dit aux Canadiens que les coûts allaient être de X. Ces montants ont été excédés grandement. Il n'y a eu aucun changement apporté dans le système. Cela pourrait se produire encore avec un autre programme, dans un autre ministère. Je me demande si vous êtes d'accord avec ce que je dis.
M. Good : Je ne suis pas tout à fait en désaccord. Je sais que lorsqu'on fait un budget des dépenses, les hypothèses peuvent changer radicalement et alors, les fonds d'urgence ne suffisent pas. Je vais prendre des exemples hypothétiques, car je ne connais pas les détails de ce dossier.
Si l'on suppose que les gens vont s'inscrire à quelque chose et que cela s'avère faux, cela pourrait faire augmenter les coûts de manière importante.
Je ne pense pas que les budgets des dépenses sont effectués de manière aussi scientifique que l'on pourrait croire. Nous voyons cela dans ce que nous pouvons appeler les budgets des dépenses qui prévoient combien le gouvernement collectera de revenus et comment il dépensera. Il y a beaucoup d'incertitude, et on fait des prévisions sur ce qui se passera dans l'économie, la croissance économique, l'inflation, le chômage, et on tient compte d'autres hypothèses sur les imprévus à inclure dans le cadre financier. Nous avons presque eu des commissions royales au sujet de cette importante question financière, car c'est important.
Selon mon expérience, les prévisions des revenus ou des dépenses, ou l'estimation des coûts d'un projet, ne sont pas toujours aussi simples à faire que ce que l'on croit. Vous dites que ces budgets deviennent de plus en plus compliqués, car nous les mettons au point avec des tierces parties, dans le cadre d'accords d'approvisionnements, avec les secteurs privé et public et dans le cadre d'autres dispositions, exigées, et je suis d'accord qu'il faut davantage effectuer du travail analytique pour obtenir les bonnes informations. Je conviens que c'est un travail important pour la fonction publique, particulièrement dans un monde où les chiffres sont importants. La première impression vient des chiffres et c'est à partir des chiffres que l'on commence à examiner les choses.
M. Thomas : Cette question met en lumière les faiblesses du processus parlementaire, notamment l'examen des budgets des dépenses et du processus d'approvisionnement, particulièrement à la Chambre des communes. Il y a un certain nombre d'années, le Secrétariat du Conseil du Trésor m'a demandé d'interroger des députés de la Chambre des communes pour leur demander ce qu'ils feraient pour améliorer le processus d'approvisionnement. J'ai lu un bon nombre de comptes rendus de comités pour connaître dans quelle mesure les documents disponibles étaient utilisés. Ils étaient très peu utilisés. J'ai intitulé mon rapport : « Pourquoi les députés sont-ils plus intéressés à revendiquer qu'à utiliser des indicateurs ». L'orientation partisane qui prévaut à la Chambre ne s'envole pas lorsque les députés siègent aux comités. Les députés ne s'intéressent pas vraiment à la signification des chiffres. Ils peuvent être intimidés par les chiffres de nombreuses manières.
Il y a de la place pour un comité distinct — et je recommanderais un comité conjoint — qui étudierait les dépenses du gouvernement du Canada et comporterait une capacité importante. Lorsque le Conseil du Trésor ou le ministère des Finances viennent, ils devraient répondre à des questions importantes. J'ai récemment examiné les processus d'élaboration des budgets des dépenses en Australie, et les comités du Sénat australien, avec l'aide de leur personnel, questionnent les ministres et les fonctionnaires sérieusement. Les témoins disent comment ils utilisent les fonds publics. C'est une pratique saine. Cela amène les autres à être plus attentifs. C'est ce qu'il nous faut. C'est pourquoi le Parlement est important en bout de ligne. Si le Parlement est faible dans ce domaine, qui est la base fondamentale de l'imputabilité; c'est ainsi que l'on récolte de l'argent et que l'on dépense l'argent. C'est ainsi que commence le processus et c'est ce qui devrait être examiné. Le système s'est affaibli avec le temps et maintenant, c'est une vraie farce. Il ne fait rien de très bon.
Le sénateur Segal : M. Good a parlé des lettres de confirmation pour les adjoints. Une des choses auxquelles nous devons faire face, c'est ce que j'appelle le sous-ministre en visite. Il est en poste pour 18, peut-être 36 mois ou plus. Cette pratique était acceptable à l'époque où il y avait beaucoup de sous-ministres adjoints qui étaient en poste longtemps, qui connaissaient leurs dossiers et qui connaissaient bien le ministère.
Aujourd'hui, dans bien des secteurs du gouvernement — c'est difficile pour moi de dire cela — lorsqu'on dit de quelqu'un qu'il est un « condamné à perpétuité », c'est vu comme une insulte, plutôt qu'un compliment, lorsque l'on parle de quelqu'un qui s'est hissé au sommet à partir de la base du système.
Nous nous souvenons tous de l'époque où le sous-ministre des Ressources naturelles, ou du ministère de la Santé ou des Services communautaires devait émaner de la base; il provenait des agents sur le terrain et de la gestion intermédiaire et il avait une certaine expérience. Puis, la nouvelle gestion publique a été mise en place, une notion selon laquelle il est possible de transférer et d'appliquer les compétences en matière de gestion.
La rotation des adjoints est un des problèmes. Les adjoints devraient être nommés pour une longue période; un adjoint est nommé pour deux ou trois ans au lieu de cinq ou six ans, sauf s'il y a une raison.
Un sujet qui, en général, ne fait pas l'objet de discussions dans le secteur public, c'est les lettres de référence. Lorsque le Bureau du Conseil privé rédigeait une lettre à un ministre, signée par le premier ministre — et cela se produit avec les gouvernements de tous les partis — cela précise la portée de ses responsabilités. Bien souvent, pour des raisons politiques ou d'équilibre, de partisanerie, ou pour les intérêts nationaux, un ministre d'État se voit confier une responsabilité au sein d'un ministère — le ministre d'État pour les aînés, par exemple — et une lettre de référence est rédigée pour ce ministre. Dès qu'il y a deux ou trois ministres qui s'alimentent à la même source, une obligation en vertu de la loi, c'est là que l'on commence à avoir des problèmes d'imputabilité qui émanent du système.
Il existe actuellement une pratique normale et obligatoire dans le secteur privé; si vous êtes à la tête d'une corporation publique, une société cotée en bourse sur la TSX ou sur d'autres bourses, il faut produire un rapport semestriel détaillé. Ce rapport doit répondre à des normes précises et obligatoires au sujet du rendement financier, de l'argent dépensé et de l'argent reçu, des modifications de personnel; il faut avoir une discussion avec les gestionnaires. En ce qui a trait au registre des armes à feu, cette pratique aurait permis au ministère de la Justice d'être très franc quant aux difficultés rencontrées avec l'argent dépensé, car ils auraient été obligés de le faire en vertu de la loi. Cela aurait-il permis d'être imputable et transparent?
Le dernier sujet dont je veux parler porte sur les derniers commentaires de M. Thomas en réponse aux questions du sénateur Downe. Il est juste, selon vous, de conclure que lorsque le Parlement du Canada, qui comprenait tous les partis politiques, a abandonné au début des années 1970 son droit à contrôler les budgets des dépenses et a accepté le fait que si un comité n'avait pas fait un rapport sur le budget des dépenses avant une certaine date, on estimait que le budget était déposé à la Chambre, cela a créé des conditions qui permettaient aux médias et à d'autres intervenants de décider ce qu'ils avaient à faire, car il n'y avait pas de contrôle efficace fondé sur les principes de Runnymede et de Magna Carta, sur les règles fondamentales des dépenses publiques. C'était évident pour quiconque se penchait sur la question. Je dis cela pour me porter à la défense des fonctionnaires et des médias, qui ne pensaient pas mal faire, au contraire. Les politiciens ont pris la décision — tous les partis l'ont fait, pas seulement un — de se retirer de ça; c'était trop complexe, le Livre bleu était trop gros. Il y avait un million de raisons de ne pas le faire. Nous voyons aujourd'hui les conséquences de cette décision. Je demanderais à nos invités de réfléchir à ces questions.
Le président : Il y a quatre grandes questions. Posez une question à la fois, et M. Good pourra y répondre, suivi de M. Thomas, puis nous passerons à la question deux, trois et quatre.
M. Good : Nous serons brefs dans nos réponses, mais pas nécessairement avec la vérité.
Pour ce qui est de la question des sous-ministres, la durée moyenne d'une nomination était d'environ 18 mois, à son plus bas, il y a environ 25 ans ou plus. Depuis ce temps, les nominations durent plus longtemps, je crois qu'elles durent deux ou trois ans. Je suis d'accord avec le sénateur Segal. Je ne sais pas quel est le chiffre, mais cela devrait être plus de deux ou trois ans.
Il faut reconnaître également que la responsabilité d'un adjoint est double : il doit être conseiller politique et s'occuper de la gestion. Il ne s'agit pas uniquement de conseils politiques; il s'agit aussi de gestion. Il faut comprendre la nature des activités du ministère, pas uniquement les changements politiques qui s'y produisent. Si l'on accorde de l'importance à l'aspect de la gestion et si l'on établit les exigences en fonction, il faudra que les adjoints restent en poste plus longtemps afin de faire leur travail d'une manière efficace, particulièrement s'il s'agit d'évaluer le mode de gestion.
M. Thomas : Je ne sais pas s'il faut un certain nombre d'années pour réussir. C'est un peu comme le gruau pour bébé : pas trop chaud, pas trop froid, juste au milieu.
Les ministères qui embauchent des sous-ministres les embauchent pour quatre ou cinq ans, afin de correspondre avec le cycle électoral. Tout nouveau gouvernement peut remplacer la totalité ou une partie de ses sous-ministres.
Pour ce qui est de la question de l'imputabilité des sous-ministres, il faut tenir compte du problème de la politique et de l'administration et de leur rôle entre le ministre et le ous-ministre. D'une certaine manière, cela signifie qu'il y a une relation contractuelle qui n'est pas fondée sur la confiance. Elle est davantage fondée sur des considérations juridiques.
Le problème, c'est que les ministres ont tendance à changer en même temps. Il y a un jeu de chaises musicales dans le ministère, et tout le monde arrive avec de nouvelles idées sur la façon d'organiser le ministère ou sur les priorités à établir. Cela crée des remous, alors que nous avons besoin d'une certaine continuité.
Je pense qu'il nous a été utile d'avoir une fonction publique professionnelle et impartiale en mesure d'aider les gouvernements au moment de leur arrivée en fonction. Elle s'est avérée d'une aide précieuse pour les nouveaux gouvernements.
Le sénateur Downe : Trouvez-vous qu'il y a une différence entre les ministères, comme les ministères responsables et les organismes centraux? De fait, tous les ministères ne sont pas égaux. Celui qui travaille dans un ministère depuis cinq ou six ans a plus de responsabilités que son collègue, au même niveau, en poste dans un ministère moins complexe sur le plan de la taille, du budget, des responsabilités, de l'examen politique, et le reste. Devrait-il y avoir plusieurs niveaux pour les sous-ministres?
M. Good : C'est une très bonne question. J'ai appris que l'administration fédérale est très diversifiée. On commet une grave erreur en traitant tous les ministères sur le même pied.
Les gouvernements fournissent des services à toutes les sphères de la société, si bien que les défis auxquels ils sont confrontés — sans parler des considérations politiques — sont nécessairement variés et variables. La diversité devient donc importante.
C'est la raison pour laquelle je n'aime pas les règles. Dans certains cas, on pourrait dire que, dans un ministère moins complexe, la tâche est plus facile.
On veut aussi qu'il y ait compatibilité entre le sous-ministre et le ministère. Nous savons que le ministère des Finances établit des politiques et que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux gère des programmes. Cela ne veut pas dire que les sous-ministres des Finances ne connaissent rien à la gestion, parce qu'ils doivent s'y connaître là-dedans, ou que ceux de Travaux publics et Services gouvernementaux ne connaissent rien aux politiques.
Il faut tenir compte de la durée des nominations. Dans le cas de celles de plus courte durée, la courbe d'apprentissage peut être moins longue.
Le président : On vous a aussi posé une question sur les lettres de délégation, avez-vous l'un et l'autre des commentaires à faire là-dessus?
M. Good : On parle normalement de lettres de mandat. Ce sont les lettres envoyées par le premier ministre aux nouveaux ministres et ministres d'État.
Mon point de vue est conforme à la règle à ce sujet. Normalement, la lettre de mandat doit indiquer que la responsabilité incombe au ministre. Le secrétaire d'État, qui n'est pas membre du Conseil privé ni du Cabinet, est au service du ministre à cet égard.
Le problème survient quand un ministre d'État est aussi membre du Conseil privé et membre du Cabinet avec des responsabilités déléguées. Dans ce cas, il est important d'appliquer une règle fondamentale. Si un ministre d'État est aussi ministre responsable, il doit remplir les responsabilités prévues par la loi et en rendre compte. Il ne peut y avoir de moyen terme. Ce n'est tout simplement pas possible dans notre régime parlementaire.
M. Thomas : D'abord, j'aime bien l'idée des lettres de mandat. Elles confirment que le programme du gouvernement est le résultat d'une décision prise en collégialité par le Cabinet sous la gouverne du premier ministre.
Je ne crains pas, contrairement à ce qu'on a souvent dit publiquement, que le premier ministre ait trop de pouvoir. Dans un pays difficile à gouverner comme le Canada, le premier ministre a besoin de détenir d'importants pouvoirs. C'est différent en Grande-Bretagne ou en Australie. L'unité du gouvernement est difficile à maintenir dans notre pays. J'aime bien l'idée, mais cela veut dire que les ministres jouissent d'une moins grande latitude au sein de leur ministère parce qu'ils respectent le programme commun du gouvernement.
Chaque année, les sous-ministres sont évalués par le Comité des hauts fonctionnaires. Ils reçoivent plus fréquemment des directives sur la façon dont leur travail au sein du ministère va contribuer à la réalisation du programme général du gouvernement.
Dans une certaine mesure, les sous-ministres n'ont pas à faire preuve d'une loyauté indéfectible à l'égard de leur ministre ou de leur ministère. Ils sont évalués en partie en fonction de leur contribution aux objectifs communs du gouvernement.
Le sénateur Mitchell : J'aimerais avoir des précisions sur ce que vous avez dit à propos du pouvoir du premier ministre et des ministres. Ce débat me fait craindre que nous affaiblissions le pouvoir politique sous prétexte que les choses vont mal et qu'en faisant cela, nous fragilisions la démocratie.
Dans notre discussion d'aujourd'hui, que je trouve extrêmement utile, nous avons insisté sur certains modes de reddition des comptes, comme fournir de bonnes informations.
Pouvez-vous faire le lien avec la responsabilité politique ou électorale? C'est important quand on commence, comme vous l'avez fait, à évaluer le pouvoir d'un premier ministre.
M. Thomas : La semaine prochaine, je vais présenter un document pour l'Institut de recherche en politiques publiques, dont le sénateur Segal a déjà été président. La dernière partie du document explique pourquoi la politique de qualité totale est plus importante que la gestion de qualité totale. Les nouveaux gestionnaires publics ont énoncé des principes infaillibles, avec la liste de leurs avantages et de leurs inconvénients. D'après moi, il y a dix principes que doit appliquer la politique de qualité totale.
Dans un message antipolitique clair, la nouvelle gestion publique veut éloigner la responsabilité et la gestion du terrain marécageux de la politique. Je crois que c'est une grave erreur, et qu'il ne faut pas confondre les réponses de gestion avec les problèmes politiques inhérents.
Si le gouvernement est critiqué et a perdu la confiance de la population, c'est lié davantage aux faiblesses des politiciens et au processus politique qu'à une piètre gestion. Le gouvernement peut ne pas être réélu.
On ne veut pas court-circuiter la responsabilité du gouvernement en essayant de trouver des solutions de gestion. Évitons ce que j'appelle le durcissement de la part des vérificateurs. Les vérificateurs sont des comptables et des gestionnaires, mais ils ne peuvent répondre à des questions délicates sur la valeur des programmes publics. Ce n'est pas une opération comptable.
Le président : Étant donné que la Chambre des communes a renoncé à son droit d'examiner ces questions, est-il légitime de se plaindre maintenant?
M. Thomas : J'ai été stagiaire parlementaire en 1971-1972. J'ai travaillé avec un homme charmant, Gordon Fairweather, et j'ai pu faire la connaissance de Robert Stanfield. Des membres du caucus de M. Stanfield croyaient qu'il avait cédé aux partis d'opposition une arme formidable, le contrôle sur le temps de la Chambre des communes.
Le sénateur Segal a raison, parce que cela a eu pour effet de changer la culture de l'institution. C'est une forme de capitulation; nous renonçons parce que c'est trop difficile. Nous demandons à plus de vérificateurs généraux et de hauts fonctionnaires du Parlement de faire le travail que les parlementaires faisaient auparavant. C'est une philosophie de la capitulation, et je pense qu'on fait fausse route.
Il faut plus d'organismes et d'employés pour aider le Parlement à faire son travail. En bout de ligne, cependant, c'est aux politiciens à prendre leurs responsabilités et à agir.
J'aimerais qu'on ait la possibilité de retenir des crédits à certains moments au cours de l'exercice, pour qu'il n'y ait pas de crise de dernière minute. On peut concevoir un modèle hybride qui exigerait que le gouvernement soit plus attentif et plus responsable. Ce sera ensuite à lui à s'en attribuer le mérite ou à en assumer le blâme.
Ils peuvent bien ne pas tenir compte du Parlement. Ils vont finir par gagner, mais faisons-les hésiter et réfléchir davantage sur la façon d'utiliser les fonds publics.
Le sénateur Ringuette : C'est intéressant. Merci beaucoup. Parmi tous les témoins que nous avons entendus dans le cadre de cette étude, je trouve que vous êtes ceux qui examinez la question avec le plus de réalisme, de simplicité et de pragmatisme.
Vous avez employé des termes clés dans vos deux mémoires : information et sens des responsabilités, confiance, élaboration des politiques et des programmes et administration. Concrètement, dans le milieu gouvernemental, ce sont les politiciens qui élaborent les politiques, ou du moins les lignes directrices — peut-être pas dans les détails, mais ils donnent les grandes orientations. Ce sont eux qui conçoivent les politiques d'ensemble. Ensuite, les fonctionnaires les étudient pour proposer des programmes, en prévoir les budgets, les résultats et l'application. Je pense que c'est M. Good qui a dit qu'il ne devrait pas y avoir une distinction marquée entre qui est responsable de la politique et qui est responsable de l'élaboration et de l'application des programmes. J'aimerais avoir des précisions là-dessus.
M. Good : C'est une question pertinente. C'est un sujet qui revient souvent et qui a toujours dérouté les praticiens et les théoriciens.
Le rôle du sous-ministre est de dire la vérité aux élus, de parler en connaissance de cause et de fournir aux ministres des options et des conseils sur les politiques. Ce ne sont pas les seuls conseils que les ministres vont recevoir, mais ils ont un programme à élaborer et à présenter. Par conséquent, les sous-ministres jouent un rôle dans l'établissement du programme. C'est ce qu'on attend d'eux.
Une fois que la question a été discutée avec le ministre, que le cabinet s'est réuni à ce sujet, et que le gouvernement a décidé de la politique à suivre, du genre de programme qu'il veut, c'est au sous-ministre, qui n'a pas eu peur d'offrir ses conseils, de s'occuper de sa mise en oeuvre en toute loyauté.
Il reste que, et c'est particulièrement important au Canada, les ministres aiment bien intervenir dans les questions d'ordre administratif, en grande partie pour être en contact avec les gens. Dans un pays aussi vaste que le nôtre, il est crucial que les ministres fédéraux entretiennent le contact avec les gens. Pour préserver l'unité du pays, tenir compte des différences régionales et de toute une série de dispositions, ils veulent se rapprocher des gens, s'assurer qu'ils sont utiles et compétents.
Où finit la politique et où commence l'administration? Les décisions concernant l'organisation des unités de service et le nombre de bureaux sont de nature administrative, mais elles ont aussi des répercussions sur le plan politique. On peut s'attendre à ce qu'il y ait des problèmes et à ce que des discussions soient nécessaires. Il est donc important de discuter franchement et ouvertement de la nature des coûts additionnels qui pourraient être associés à telle ou telle façon de faire pour que tous les aspects de la question aient été pris en considération.
En général, vous avez raison, les ministres s'occupent des orientations politiques et les fonctionnaires s'occupent de mettre en oeuvre le programme du moment. C'est ce que dit la théorie. Dans la réalité, il y a interaction entre les uns et les autres. C'est pourquoi il est extrêmement important de bien définir les responsabilités, mais elles sont partagées. En bout de ligne, le ministre doit demander à son sous-ministre de lui rendre des comptes.
Le sénateur Ringuette : Merci. Monsieur Thomas, voulez-vous réagir?
M. Thomas : J'aimerais brièvement revenir sur les termes clés qui, comme vous l'avez dit, sont au cœur de ces questions que j'ai examinées, et surtout sur leur sens qui évolue. J'ai produit un document, qu'on peut consulter sur le site Web du Forum sur le rendement et la planification, dans lequel j'examine comment le sens des mots contrôle, confiance, rendement et responsabilité dans le fonctionnement de l'appareil gouvernemental canadien a évolué au cours des années 1990. Il a été question de responsabiliser les fonctionnaires pour qu'ils soient plus efficaces ou qu'ils puissent échapper à la paperasserie et aux formalités administratives. En décembre 2003, au lendemain de la crise qui a secoué DRHC, de l'affaire Radwanski, du dossier du registre des armes à feu et d'autres problèmes, les agents financiers du Canada, par l'entremise de l'Association des gestionnaires financiers de la fonction publique, ont affirmé que les mesures de contrôle se relâchaient et qu'il fallait resserrer les vérifications financières dès le début, au lieu de mettre l'accent seulement sur les résultats.
Ils ont peut-être exagéré en disant que les gestionnaires pouvaient dépenser à tort et à travers ou que la fonction de vérification interne avait disparu. Quoi qu'il en soit, ils ont fait valoir que nous étions allés trop loin, que nous leur avions trop rapidement délégué des pouvoirs. Nous leur avions fait trop confiance, sans vérifier suffisamment.
Le mot d'ordre en matière de la responsabilité, c'est de faire confiance, mais de superviser.
Vous avez parlé du contrôle. C'est un mot dont le sens a maintenant une connotation plutôt péjorative. On l'associe à la surveillance policière, au fait de pincer les gens en train de commettre des erreurs. Pourtant, contrôler une situation, l'avoir bien en main, ce peut être constructif. Maîtriser une situation peut faciliter les choses. Si je connais bien mon ministère et que j'ai le pouvoir voulu, des ressources et des conditions favorables, je peux faire bien des choses positives. Il ne faut pas seulement voir l'aspect négatif.
Enfin, plus de 80 plans de rendement sont déposés au Parlement au printemps, et à l'automne, ce sont des rapports sur le rendement. Ces documents aident les parlementaires à comprendre comment l'argent est dépensé et s'il est utilisé de façon optimale. On a examiné attentivement leur utilité dans le processus budgétaire, étant donné qu'on y a fait référence deux fois sur une période de plus de deux ans. Il faut se demander s'il est efficace sur le plan des coûts de produire tous ces documents. Même s'ils existent seulement sur support électronique, il faut réunir les informations et les analyser, et il faut les faire imprimer pour beaucoup de députés qui ne vont pas les consulter à l'ordinateur.
Cela coûte cher et il faut se demander si la reddition des comptes et le rendement en sont améliorés. Ce sera ma dernière observation là-dessus. Les universitaires comme moi présument qu'une meilleure reddition des comptes améliore le rendement. Cette hypothèse est à vérifier. Est-ce que le simple fait d'augmenter les mesures de reddition des comptes entraîne effectivement une amélioration du rendement? Cela peut autant être un acte de foi qu'un fait démontré.
Le sénateur Ringuette : Vous m'amenez à ma troisième question.
Le président : Avant que vous passiez à votre troisième question, je pense que M. Good voulait intervenir au sujet de votre deuxième question. Le sénateur Downe a également une question complémentaire à poser là-dessus.
M. Good : Merci, monsieur le président. Je veux profiter de l'occasion que m'offre le sénateur Segal pour faire le lien avec une question dont on ne parle pas assez, à savoir l'utilité des rapports trimestriels de tous les ministères. Je voulais dire — et je suis désolé qu'il ne soit pas ici maintenant — qu'il y a à peu près 1 000 rapports qui sont présentés au Parlement chaque année. Ces rapports sont exigés par la loi. Je voudrais demander au sénateur Segal s'il veut qu'à ces 1 000 rapports s'en ajoutent 320 autres, selon mes calculs, c'est-à-dire 80 fois 4. C'est une question légitime. Je réponds, quant à moi, qu'il faut plus d'informations.
Le sénateur Downe : Ma question fait suite à ce que vous avez répondu à la dernière question qui vous a été posée. J'aimerais savoir ce que vous pensez des fonctionnaires, dans la situation actuelle de la reddition des comptes, des rapports et des examens. Dans ce contexte, un fonctionnaire prudent va vouloir en faire le moins possible. Cela nous ramène au rôle du gouvernement qui est de servir les Canadiens.
J'en parle parce qu'aux nouvelles ce soir, on nous a dit que les dépenses de l'ancien dirigeant de la Monnaie royale étaient apparemment légitimes, selon un cabinet d'experts-comptables. Cependant, je pense que, pour éviter toute controverse, le nouveau président de la Monnaie royale choisirait de ne pas voyager. J'ai lu dans le journal que le syndicat des employés de la Monnaie royale était satisfait de la gestion de M. Dingwall parce qu'il avait accru les activités. Apparemment, l'ancienne direction avait mis à pied un certain nombre de travailleurs. Il a parcouru le monde et, comme les médias nous l'ont dit, il a décroché des contrats en Thaïlande et ailleurs. Le nombre d'employés, particulièrement à Winnipeg, a augmenté. Les employés étaient satisfaits du travail de M. Dingwall et déçus d'entendre qu'il partait. Il me semble que le prochain dirigeant va vouloir faire preuve de prudence. Il serait moins dérangé par le licenciement de 60 travailleurs à Winnipeg que par le fait de faire scruter à la loupe ses déplacements dans le monde à la recherche de contrats. Je vous pose la question suivante : Avons-nous trop de mises en gardes dans le système lié à la reddition des comptes?
M. Good : Nous pouvons, si nous voulons, avoir un gouvernement sans bavure. Nous bureaucratisons le gouvernement. Nous suivons toutes les règles, parce que nous sommes obligés de le faire. Nous avons mis en place tellement de règlements, d'exigences, de lignes directrices et de procédures que le gouvernement n'arrive plus à fonctionner, à répondre aux attentes des Canadiens de manière responsable. C'est inquiétant. J'ai appris, à mes dépens, qu'un grand nombre d'initiatives, de réformes administratives fondamentales sont mises en œuvre en période de crise. Or, quand on traverse une crise, il est important de rétablir la stabilité, la crédibilité. On a souvent tendance à réagir de façon excessive, ce qui est tout à fait normal. Je comprends pourquoi les gouvernements et les bureaucraties agissent de la sorte. Or, il est nécessaire, après quelques années, d'éliminer certaines de ces mesures excessives au motif qu'elles ne sont plus requises. Il faut que cela se fasse de manière transparente, afin que le comité des comptes publics, le Parlement, les comités sénatoriaux, les ministres, les sous-ministres et les vérificateurs sachent que les procédures ont été modifiées et que le régime très restrictif qui avait été instauré pour des raisons d'ordre politique, administratif et autres n'a plus sa raison d'être. Ces changements, qu'on appelle « aménagements », doivent se faire progressivement. Il faut suivre la situation de près, afin que tout se fasse dans la transparence.
Les fonctionnaires avaient l'habitude d'effectuer ces aménagements de manière tacite, dans le passé, afin d'assurer le bon fonctionnement du système. Comme ils font l'objet d'une surveillance plus étroite depuis quelques années, en raison de l'attention plus soutenue des médias, entre autres, il est peu probable qu'ils prennent l'initiative de le faire, aujourd'hui, à moins que cela ne fasse partie d'un plan bien défini. Or, il faut parvenir à rétablir un juste équilibre entre l'innovation, la flexibilité, l'imputabilité, la prestation de services et la responsabilité.
M. Thomas : Les ministres et les commentateurs politiques insistent pour dire qu'il faut mettre l'accent sur la créativité, l'innovation, la prise de risques. Il faut également mettre l'accent sur la rigueur et l'imputabilité. M. Good a dit qu'il fallait éviter les erreurs. Or, on ne peut pas gagner sur les deux tableaux. Des erreurs vont être commises. Vu la complexité du système, des situations embarrassantes vont se produire. Elles devront être expliquées et corrigées.
J'ai écrit, dans un de mes articles, que le fait de dire aux fonctionnaires de prendre des risques équivaut à dire à la personne qui fait un saut en bungee que le prochain saut va être gratuit si la corde se brise. Certains fonctionnaires ont vu leur carrière sérieusement compromise parce qu'ils ont suivi les ordres reçus — prenez des risques prudents, mais calculés.
L'imputabilité n'est pas la seule valeur qui compte, même dans une démocratie : il y a également l'efficience, l'efficacité, la réceptivité, l'équité. On peut exagérer et accorder trop d'importance à l'imputabilité : le danger, c'est que l'on risque de se retrouver avec un gouvernement qui n'est pas aussi innovateur et efficace que nous le souhaiterions. On va réclamer, dans la foulée du rapport Gomery, la mise en place d'un plus grand nombre de mécanismes de responsabilité. J'en propose plusieurs dans mon document. Je qualifie ce phénomène de « troubles multiples de responsabilité » — ou de folle maladie. Il existe toute une gamme de mécanismes de responsabilité. Il s'agit d'un monde flou et confus et pour ceux qui évoluent dans celui-ci, et pour le public qui voit les choses de l'extérieur.
Le sénateur Ringuette : À mon avis, le gouvernement n'est pas différent du secteur privé : il aime mettre au point des programmes administratifs nouveaux, à la mode. Nous en avons adoptés beaucoup au fil des ans. Cela ne fait qu'ajouter au sensationnalisme médiatique. C'est l'argent qui compte.
On a procédé à des vérifications de l'optimisation des ressources, ce qui semble étrange pour une entreprise — le gouvernement — qui fait partie de l'industrie des services, de l'industrie du facteur humain. D'après un récent rapport, cette souplesse accrue que l'on observe au niveau de la bureaucratie et de la prise de risques fait que 73 p. 100 des fonctionnaires embauchés tous les ans sont recrutés par des moyens autres que les concours. Il s'agit là d'un point important, car l'optimisation des ressources est synonyme d'argent. L'industrie des services devrait mettre l'accent sur les ressources humaines, parce que ce sont les gens, non pas les machines, qui fournissent les services. Or, il y a certaines personnes qui n'arrivent pas à organiser et à gérer leurs effectifs. Je me suis peut-être écarté du sujet, étant donné qu'on parlait d'imputabilité, mais je trouve que cela fait partie du problème.
M. Thomas : La vérification de l'optimisation des ressources comporte des limites. Il est vrai que la vérificatrice générale m'a demandé, à l'occasion, d'agir comme conseiller. Les comptables peuvent en effet apporter une contribution importante aux débats entourant les deniers publics. Toutefois, il y a des limites à leur savoir-faire disciplinaire, comme il y a des limites à tout. Il ne faut pas prendre les rapports de la vérificatrice générale pour argent comptant. Ces rapports servent uniquement de point de départ aux discussions que suscitent les constatations, les irrégularités qui ont été relevées. La vérificatrice générale soutient qu'elle fait preuve d'objectivité. Elle agit, en fait, en toute indépendance. La vérification et la comptabilité sont des fonctions intrinsèquement subjectives chargées de valeurs, bien qu'elles comportent un volet scientifique. L'objet de la vérification, la méthode utilisée, l'interprétation des résultats font intervenir le jugement. Nous ne devons pas « vénérer » la vérificatrice générale. Certains politiciens à Ottawa veulent augmenter considérablement le budget de son bureau. On pense pouvoir pallier l'absence de résultats au gouvernement en donnant plus de pouvoirs à la vérificatrice générale. Franchement, il y a des limites à ce que l'on peut faire. Sans l'aide de la vérificatrice générale, le rôle de surveillance du Parlement serait grandement affaibli. Je ne dénigre pas le bureau. Je le ramène tout simplement à ses véritables dimensions, en tenant compte des limites qui existent.
M. Good : Le Bureau du vérificateur général du Canada est considéré comme étant le plus indépendant, crédible et influent au monde, et ce, pour plusieurs raisons : mentionnons la nature et la durée du mandat, l'indépendance dont il jouit, les antécédents, les traditions, ainsi de suite.
Je suis du même avis que M. Thomas : le vérificateur général doit être perçu comme un agent du Parlement, un agent qui opère à l'intérieur du régime démocratique.
Nous devons faire attention à la terminologie que nous utilisons. Les gens assimilent la vérification aux dollars, aux questions d'ordre financier. Or, la plupart des vérifications du rendement ont pour objet non pas l'utilisation des fonds, mais les pratiques de gestion. Il s'agit tout simplement d'études de gestion. Ce ne sont pas de véritables vérifications. Je recommande fortement, dans mon ouvrage, qu'on utilise la bonne terminologie. J'ai dû mal à faire passer mon message. Si on appelait les études, les examens de rendement, les vérifications financières par leur nom, il n'y aurait pas de problèmes. On pourrait utiliser le mot « vérification judiciaire », qui consiste à examiner des chiffres. On a tendance à se cacher derrière la rhétorique qui entoure la vérification. C'est un problème qu'il faut corriger.
J'aimerais qu'un plus grand nombre d'examens, d'analyses, d'évaluations indépendantes soient effectuées par des gens de l'extérieur, et non par un seul agent.
Le président : Que voulez-vous dire par des « gens de l'extérieur »?
M. Good : Je fais allusion aux groupes de réflexion, aux instituts de recherche, ainsi de suite. Ils pourraient participer aux travaux des comités parlementaires et examiner une multitude de décisions, de choix politiques, en effectuant des évaluations sur l'efficacité et l'efficience, les ressources humaines.
Le sénateur Ringuette : Vous avez dit que les médias avaient besoin de dramatiser les choses, de trouver un responsable. Malheureusement, aux yeux du grand public, seuls les politiciens sont responsables. Les médias ne font jamais l'objet de sanctions disciplinaires. Nous ne savons pas vraiment tout ce qui se passe au sein du gouvernement, de la fonction publique. Ce sont toujours les politiciens qui sont ciblés. Les fonctionnaires, eux, restent à l'arrière plan, mais nous savons que ce sont eux qui fournissent et gèrent les services.
Le président : M. Thomas a abordé ce point dans le document qu'il a fait circuler et dans celui qui traite des démissions. Il a également abordé la question des sanctions imposées aux sous-ministres.
Le sénateur Ringuette : Je n'en ai pas reçu de copie.
Le président : C'est celui qui porte sur la reddition de comptes au gouvernement.
M. Thomas : La responsabilité ministérielle a toujours existé, tout comme les conventions connexes qui prônent une fonction publique neutre, professionnelle, relativement anonyme. Les ministres recevaient des conseils stratégiques judicieux, et les programmes et politiques qu'ils adoptaient étaient mis en œuvre par les fonctionnaires. En retour, ils s'attribuaient tout le mérite ou assumaient la responsabilité quand quelque chose ne tournait pas rond. Nous sommes en train de devenir de plus en plus laxistes. Les ministres veulent se décharger de leurs responsabilités et se servir des fonctionnaires comme boucs émissaires quand il y a des problèmes. Nous n'en sommes pas encore au stade épidémique, et je n'exagère pas, mais cette tendance est de plus en plus fréquente. Le public veut être en mesure d'identifier la personne ou l'institution qui va répondre des erreurs commises et en payer le prix. Ce désir est encore plus fort quand les problèmes ou les erreurs sont encore plus graves. Où tout cela va-t-il nous mener? Si les fonctionnaires doivent rendre davantage de comptes aux comités parlementaires, comment vont-ils réagir? Nous ne respectons pas l'entente qui a été conclue. Nous n'avons pas inventé de nouvelles règles du jeu.
Le Bureau du Conseil privé devrait adopter des règles à l'intention des fonctionnaires qui comparaissent devant les comités parlementaires, établir des protocoles qui serviront de guide aux fonctionnaires qui seront appelés à témoigner devant le Parlement. Les règles qui régissent la façon dont les parlementaires traitent les fonctionnaires, surtout du côté de la Chambre, ne sont pas les mêmes. C'est injuste. Il n'y a pas de règles qui s'appliquent aux fonctionnaires. Ils peuvent, selon la question du jour, être la principale cible des attaques.
Le sénateur Ringuette : Il ne semble pas y avoir de règles qui s'appliquent aux politiciens qui comparaissent devant les comités.
M. Thomas : Cela fait partie des risques du métier. Le fonctionnaire peut se retrancher derrière le principe de la responsabilité ministérielle. Quand il assiste à des réunions partisanes, c'est en tant que fonctionnaire qu'il le fait. Il doit faire preuve de loyauté, de confidentialité. Il ne peut dévoiler ce qui s'est passé derrière les portes closes si le ministre lui dit de faire quelque chose qui va à l'encontre de son jugement professionnel.
M. Good : Le fait qu'on ne voit pas les mesures disciplinaires qui sont appliquées ne signifie pas qu'il n'y en a pas. On ne voit pas ce qui se passe dans le secteur privé, ni dans le secteur public. On ne peut pas considérer cela comme un jeu. Ces situations ne se prêtent pas toujours à ce genre de chose. Il y a toute une gamme de mesures disciplinaires qui peuvent être prises : les réprimandes orales, écrites, le renvoi, la suspension sans salaire, ce qui a un impact sur la pension et, plus important encore, sur la réputation. Ces mesures sont toutes, en fait, des peines sévères. Fait étonnant, les gens doivent voir pour pouvoir croire. Or, nous devons respecter la dignité des personnes, l'importance d'avoir une fonction politique neutre sur le plan politique et quelque peu anonyme, tout comme nous devons respecter certaines règles dans le secteur privé. Il est important de traiter les gens correctement. Nous n'aimons pas les exécutions publiques. Cela ne fait pas partie de notre nature.
Le président : Vous avez dit, plus tôt, en réponse à une question posée par un sénateur, que le ministre ne devrait pas accepter la responsabilité des fautes qui ont été commises dans le passé. Qu'arrive-t-il lorsqu'un ministère éprouve des problèmes financiers et que son ministre et sous-ministre sont transférés ailleurs? Une fois que la chose devient publique, les nouveaux ministre et sous-ministre sont déjà en poste. Dans le régime canadien, les ministre et sous-ministre qui sont affectés ailleurs ne peuvent être rappelés pour expliquer ce qui s'est passé. Les personnes nouvellement nommées seront certainement mises au courant, très vite, de la situation. J'aimerais savoir ce que vous pensez des règles de responsabilité actuellement en vigueur.
M. Good : Vous posez une question intéressante. Bien entendu, le nouveau ministre a une certaine responsabilité, en ce sens qu'il doit prendre des mesures pour corriger la situation. Les anciens ministre et sous-ministre ne sont plus là. Ils n'ont plus le pouvoir de le faire.
Le président : Vous avez utilisé le mot « responsabilité ».
M. Good : Il doit prendre des mesures pour rectifier la situation. Le problème existe toujours, et le nouveau ministre est saisi du dossier. Des irrégularités sont survenues pendant que les anciens ministre et sous-ministre étaient en poste. Un problème grave doit être réglé. Le nouveau ministre est la seule personne qui est en mesure de le faire. Toutefois, il y a de plus en plus de sous-ministres, et dans certains cas, de ministres qui sont convoqués devant les comités dans le but de fournir des explications. Je songe au cas de DRHC. L'ancien sous-ministre de DRHC, qui était en fait le greffier du Conseil privé, a été convoqué devant le comité parlementaire alors qu'il n'était plus sous-ministre.
Les deux formules sont acceptables. L'important, c'est d'établir une distinction entre la personne qui doit régler le problème aujourd'hui, et la personne qui en est responsable.
Le président : Ce n'est pas compliqué. À mon avis, les personnes chargées de régler les problèmes, aujourd'hui, sont le ministre et le sous-ministres du ministère concerné.
M. Good : Je suis d'accord.
M. Thomson : Nous pouvons nous montrer plus souples à l'égard des conventions qui entourent la responsabilité ministérielle et la question de savoir si les ministres, soit de leur plein gré, soit par contrainte, peuvent parler de ce qui s'est passé dans leur portefeuille. Ils n'occupent plus le poste, mais ils possèdent des informations qui pourraient nous aider à comprendre ce qui s'est passé. Ils peuvent nous aider à cerner et corriger les problèmes. Il est peut-être temps de faire montre d'une plus grande flexibilité et d'abandonner une procédure parlementaire qui existe depuis longtemps. Le gouvernement de cabinet ou le gouvernement parlementaire a ceci de positif : c'est un système souple qui n'est pas aussi réglementé que le système américain.
Le président : C'est ce que je pense aussi.
M. Thomson : M. Good a parlé du cas de DRHC. J'ai toujours pensé que la dernière chose que le ministre Stewart devait faire, c'était de démissionner et de céder sa place à un ministre inexpérimenté qui aurait la responsabilité de régler les problèmes. Les problèmes n'ont pas été créés sous sa direction; elle en a toutefois hérités. Nous nous sommes retrouvés avec un ministre inexpérimenté qui a dû prendre connaissance du dossier et trouver des solutions. Nous avons parfois tendance à exagérer, sauf que nous attachons une valeur symbolique au fait d'avoir quelqu'un que nous pouvons blâmer, que nous pouvons sacrifier au nom du principe de responsabilité. À mon avis, nous devrions concentrer nos efforts sur la responsabilité réparatrice, et non sur la responsabilité punitive.
Le président : Monsieur Good, vous proposez, à la page 5 de votre mémoire, des changements fondamentaux. Toutefois, vous ne recommandez pas que soient crées des postes d'agents comptables. Vous dites que les sous-ministres ne devraient pas s'attendre à ce que les ministres acceptent la responsabilité des décisions qui relèvent du domaine de compétence du sous-ministre. Comme vous le savez, il y a certaines lois au Canada qui précisent que le sous-ministre est la personne responsable.
Comment pouvons-nous, sur le plan juridique, apporter des changements de manière à empêcher les sous-ministres de s'attendre à ce que les ministres acceptent la responsabilité des décisions qu'ils prennent? Devons-nous adopter une nouvelle loi, de nouveaux règlements? Comment devons-nous procéder?
M. Good : Il n'est pas nécessaire d'adopter une nouvelle loi. Il suffit tout simplement de l'indiquer clairement dans la lettre de mandat, dans les protocoles. La première chose qu'il faut faire, c'est de modifier les règles qui régissent la comparution des sous-ministres devant les comités parlementaires. Ces règles doivent être clarifiées, que ce soit dans le communiqué ou dans le protocole qui s'applique dans ce cas-ci.
Il est important que les parlementaires, les ministres et les sous-ministres comprennent clairement ce protocole. S'il n'est pas bien saisi par tout le monde, cela ne fonctionnera pas. Il faut qu'il soit accepté par toutes les parties que la gamme de responsabilités directes du délégué au comité soit assujettie à la loi. Ce protocole pourrait codifier la pratique actuelle, en partie, et décrire clairement son fonctionnement, mais il n'est pas nécessaire de modifier les lois pour cela.
M. Thomas : Il s'agit de ce que j'appellerais une loi non impérative. Ce sont des directives aux ministres et sous-ministres. Il s'agit de codes d'éthique et de valeurs qui ont été adoptés comme des conditions à l'emploi dans la fonction publique. Il s'agit de la charte de la fonction publique que ce gouvernement a promis de promulguer un jour. C'est ce genre de documents. Si on commence à codifier les choses trop étroitement dans la loi, les choses peuvent devenir compliquées quand il y a ambiguïté. L'ambiguïté reflète la réalité.
Le professeur Good disait que si nous avions des protocoles qui décrivaient en termes généraux, certes un peu vague, des modalités des relations entre les ministres, les fonctionnaires et les parlementaires, ils seraient compris et acceptés. J'ajouterais seulement à cela, pour compléter la trilogie, la volonté de respecter les règles du jet. Comprendre et accepter, c'est une chose, mais décider, dans le feu de l'action, que les fonctionnaires sont des mécanismes utiles pour marquer des points contre le gouvernement, c'est mauvais.
Le président : Comme vous le savez, nous avons entendu le témoignage de plusieurs professeurs, anciens sous-ministres et d'autres, qui sont venus parler de cette étude. Vous avez tous les deux laissé entendre, tout comme plusieurs d'entre eux, qu'il y a moyen de consolider les comités parlementaires pour qu'ils puissent s'acquitter de leurs fonctions. En ce qui concerne le budget des dépenses, vous avez suggéré de renforcer la capacité d'analyse et de recherche à l'appui des comités parlementaires. Nous avons des attachés de recherche de la Bibliothèque parlementaires, qui sont de merveilleuses personnes-ressources pour le comité. Qu'aviez-vous d'autre à l'esprit?
Le sénateur Downe : J'ai un autre petit commentaire à faire — vous avez fait allusion à l'expérience de l'Australie. Je ne connais pas très bien la situation là-bas, alors peut-être pourriez-vous expliquer leurs ressources et leur fonctionnement?
M. Good : Je vais parler surtout des budgets. Nous avons déjà parlé de l'approbation, en tant que telle, du budget des dépenses, et des besoins sur ce plan. Si on regarde l'histoire des budgets des dépenses dans les régimes législatifs en remontant jusqu'à la Grande Charte, et je pense que nous le devrions, on constate que les assemblées législatives ont toujours adopté des budgets vers la fin de l'année. C'est parce qu'elles voulaient que l'État annonce tout ce qu'il avait dans la caisse et le dépense avant d'affecter des fonds des Communes. C'est un mode de fonctionnement qui date de très longtemps. Cela semble une façon de faire prudente et compréhensible.
Notre dilemme, c'est que nous demandons aux parlementaires d'adopter quelque chose sur quoi ils n'ont aucune influence. D'après mon expérience au gouvernement, si on veut parler de budgets, se concentrer sur des budgets, à partir du moment où on dit que quelqu'un peut changer ou modifier ce budget, c'est là que les gens vont y porter attention. Les comptes rendus après le fait, c'est très difficiles.
J'appuie sans réserve une analyse plus approfondie, et je tiens à féliciter la Bibliothèque parlementaire pour tout le travail qu'elle a fait, mais cela ne suffit pas. Ce n'est pas une condition nécessaire et suffisante. Il ne suffira pas de rédiger plus de rapports. La réalité, c'est que le genre de rapports qui existent fonctionnement d'après une dynamique fondamentale.
Les rapports que les fonctionnaires préparent pour les ministres ne sont pas conçus pour les mettre dans l'embarras. Le genre de rapports que les comités parlementaires veulent utiliser sont de ceux qui mettraient les ministres dans l'embarras.
Le président : Ou qui leur ferait assumer leurs responsabilités.
M. Good : D'accord. Peut-être est-ce que j'exagère un peu.
On s'est demandés s'il serait possible, dans certaines circonstances, de permettre aux comités parlementaires de définir certaine mesure non pas comme un vote de confiance, mais plutôt pour permettre une modeste modification de la répartition dans certains éléments du budget. Cela permettrait au comité de dire que, pour de bonnes raisons stratégiques, ou de bonnes raisons objectives, on pense que l'argent de ce ministère et son budget d'exploitation seraient mieux employés dans un secteur particulier. Il faudrait imposer des limites rigoureuses, il faudrait avoir de solides motifs, et il faudrait qu'il y ait des mécanismes pour permettre au Parlement de neutraliser cette décision s'il le voulait, mais on peut comprendre que cela pourrait arriver.
Je ne voudrais pas donner à croire que c'est là une panacée. Nous avons eu cela, un peu, à la dernière législature, avec un gouvernement minoritaire, mais nous avons constaté l'intérêt beaucoup plus vif des parlementaires pour le budget des dépenses. Il est évident qu'il y a eu certains méfaits, mais en même temps, l'intérêt a été beaucoup plus vif parce que les gens savaient que dans la situation actuelle, ils pouvaient réellement avoir une influence sur le budget des dépenses.
Il nous faut réfléchir à la manière dont nous pouvons permettre aux parlementaires d'influencer plus directement le budget.
M. Thomas : Dans le document que vous avez mentionné, je dirais que le Parlement assume un double rôle. L'un est d'appuyer l'existence de gouvernements solides et souples, de les engager à adopter des lois, à faire approuver les dépenses et à exécuter le mandat qui leur a été donné quant ils ont été élus. D'un autre côté, le Parlement est aussi censé assurer l'imputabilité de l'exécutif politique, soit le premier ministre et le Cabinet, et insister pour qu'ils motivent et défendent leurs actions, et pousser les gouvernements à être plus attentifs à la société. Il y a contradiction entre le fait d'appuyer un gouvernement solide et celui de lui faire assumer ses responsabilités, et cette contradiction ressort avec plus d'évidence dans le rôle que les députés du parti au pouvoir jouent au sein des comités. Il y a des dilemmes parce qu'il n'y a pas beaucoup de ministres qui encouragent leur député d'arrière-ban à assister aux réunions des comités et à découvrir des choses qui les plongeraient dans l'embarras.
Je peux remettre au comité un document de trois ou quatre pages. Les gens du bureau de Paul Martin, alors qu'il s'apprêtait à devenir le premier ministre Paul Martin, m'ont demandé de rédiger un document de quatre pages pour un discours sur le déficit démocratique. Je ne suis partisan de rien, et encore moins du Parti libéral; cependant, j'ai rédigé un discours que j'ai intitulé « Comment renforcer les comités parlementaires, en supposant qu'on le veuille », et il renferme plusieurs idées. J'y dis entre autres que les députés doivent modifier l'idée qu'ils se font qu'il y a peu de chance qu'ils changent grand chose aux lois importantes qui leur sont présentées.
Pour bien des textes de loi, ils devraient avoir des débats très animés et partisans et le public devrait être alerté des implications de ces lois, mais bien des lois, maintenant, sont de nature administrative. Il s'agit seulement de modifier des lois existantes, ou des lois cadres. Il y a bien plus à faire sur le plan du rôle d'examen, et les députés le négligent. C'est attribuable en partie au fait que nous avons eu une opposition fragmentée et un groupe de députés de l'opposition officielle qui viennent de mouvement antipolitique, et ils sont arrivés ici en se faisant peu d'illusions sur le processus parlementaire, et non pas pour changer les choses ou avoir un parti pris sur la question.
Le président : À propos de ce rapport de quatre pages, est-ce que vous êtes disposé à le mettre à la disposition du comité?
M. Thomas : Absolument, avec plaisir.
L'autre document que le camp Martin m'a demandé de rédiger concernait ce qu'il fallait faire avec le Sénat, et comment arranger la situation du Sénat sans toucher à la Constitution. Le Sénat n'est pas parfait, mais c'est une institution qui vaut beaucoup mieux que sa réputation.
Le Sénat de l'Australie est intéressant parce que maintenant, pour la première fois en 25 ans, le gouvernement a la majorité au Sénat, parce qu'ils appliquent une formule d'élection par représentation proportionnelle. John Howard a la majorité au Sénat. J'y étais cet été, avant juillet, avant que le gouvernement soit en position majoritaire, parce que les sénateurs n'étaient pas encore en poste. J'ai observé le processus budgétaire et interviewé une quinzaine de personnes. Le processus budgétaire devant le Sénat est très impressionnant. Il se poursuit tous les jours pendant des semaines. C'est le principal sujet de l'actualité. Les fonctionnaires arrivent chargés de gros cahiers à anneaux, et ils savent qu'ils vont se faire poser des questions difficiles. Ils doivent être efficaces. Ils n'ont pas de mécanisme de défense des ministres, parce qu'il y a très peu de ministres au cabinet qui viennent directement du Sénat, alors il n'y a pas ce genre de protection. Ils ne recourent pas aux secrétaires parlementaires pour protéger les fonctionnaires comme nous le faisons ici.
Le ministre y assiste, mais répond à très peu de questions, lorsque le ministre répond pour le compte d'un autre ministre, qui est à la Chambre des représentants. Ils sont en train de changer la procédure parlementaire pour que les ministres qui siègent à la Chambre des représentants puissent, eux aussi, comparaître devant les comités.
Ils mènent d'énormes enquêtes sénatoriales. Je pense que cette institution a fait d'admirables choses, en fait d'enquêtes générales sur les questions de politique publique, mais eux, ils font des enquêtes de grande envergure. J'ai interviewé le personnel parlementaire de là-bas, et ce sont des titulaires de doctorats en économie et en administration publique. C'est un personnel de haut calibre, et c'est une institution qui a du poids politique. Cela compte. D'une façon ou d'une autre, il faut créer suffisamment d'incitatifs pour que les députés n'aient pas l'impression — et que les gouvernements les y autorisent — de manquer de loyauté lorsqu'ils se présentent devant un comité et soulèvent des questions potentiellement gênantes. C'est tout un changement de culture. On peut y arriver, en partie, au moyen de modifications procédurales et organisationnelles, mais en fin de compte, il faut dire à la ministre, « Madame la ministre, vous seriez en bien meilleure posture si vous aviez des députés fouineurs qui vous aident à orienter le ministère et à trouver où sont les problèmes, parce que vous ne pouvez pas le faire seule, alors autorisez-nous à aller voir les comités pour le faire ».
Le président : C'est effectivement un gros changement culturel. Ce pourrait être plus facile pour un comité comme le Comité des comptes publics ou celui des finances nationales, qui examine le budget des dépenses et les chiffres, plutôt que pour des comités sur la santé ou sur les transports; je ne sais pas.
M. Thomas : C'est depuis longtemps l'un de mes dadas. J'avais pris l'habitude de lire attentivement les transcriptions du Comité d'examen de la réglementation, particulièrement à l'époque d'Eugene Forsey, parce que je m'intéressais à la délégation de la compétence législative. Ce comité n'aurait pas pu être efficace sans le contingent du Sénat et, plus particulièrement, le président, évidemment, et l'avocat qui conseillait le comité. Il nous faut un comité mixte sur la fonction publique, avec un contingent de députés qui s'intéressent à la mécanique de la fonction publique, qui veulent faire une contribution constructive à l'amélioration de la fonction publique pour qu'elle puisse, à son tour, contribuer à un bon gouvernement, et qui veulent comprendre ce que sont les implications et les compromis. Je ne trouve pas qu'il y a assez de députés qui s'y consacrent constamment, et étant donné l'énorme roulement d'effectifs parmi eux, il y faut un noyau de sénateurs. J'ai observé ce groupe. J'ai lu à son sujet. Il fait un bon travail, il pose de bonnes questions, et c'est constructif. Il n'est pas pressé de marquer des points, et c'est ce qu'il nous faut.
Il nous faut un comité mixte sur les dépenses pour examiner le budget des dépenses, un comité mixte sur la fonction publique pour examiner les aspects de la mécanique du gouvernement, et pour continuer le travail sur la réglementation. Je pense que cette trilogie est un bon plan pour nous attaquer à des questions difficiles et cachés d'imputabilité dont il faut débattre sans les déchaînements hystériques de la Chambre des communes.
Le président : C'est très intéressant.
Voilà deux heures que nous sommes ici, et chaque instant a palpitant, intéressant et hautement instructif. Je vous remercie tous les deux d'avoir bien voulu partager avec nous ce trésor de renseignements recueillis en bien des années d'études. Cela a été très utile au comité.
Honorables sénateurs, notre prochaine réunion le 1er novembre.
La séance est levée.