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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule 2 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 7 décembre 2004

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui à 19 h 9 pour examiner, pour en faire rapport, les questions relatives au nouveau cadre stratégique en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Nous nous réunissons aujourd'hui pour continuer à examiner, afin d'en faire rapport, les questions relatives au nouveau cadre stratégique en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada.

[Traduction]

Notre témoin ce soir est M. Garth Mirau, vice-président de la United Fishermen and Allied Workers' Union de Colombie-Britannique. L'UFAWU est une section locale des Travailleurs canadiens de l'automobile et représente les travailleurs des usines de poisson de la Colombie-Britannique. Les membres de l'UFAWU sont des propriétaires exploitants de navires indépendants, ils travaillent sur des bateaux comme capitaines ou matelots et ils travaillent aussi au déchargement et dans des usines de traitement. Ils ont toutes sortes d'activités de pêche et de transformation du poisson.

M. Mirau représente un vaste échantillon de nombreux secteurs de la pêche en Colombie-Britannique, et nous avons de la chance de le rencontrer aujourd'hui. Monsieur Mirau, allez-y.

M. Garth Mirau, vice-président, United Fishermen and Allied Workers' Union : Je vous remercie de m'accueillir ce soir. Je vais vous parler du rapport Pearse-McRae, de ses origines et de ses conséquences actuelles, ainsi que des inquiétudes que nous avons à ce sujet. Comme vous le savez, en 2002, il y a eu un retour en masse du saumon sockeye dans le fleuve Fraser, mais les possibilités de pêche étaient très limitées. La United Fishermen and Allied Workers Union, de pair avec la Native Brotherhood of British Columbia, la NBBC, et d'autres, a essayé d'organiser une campagne pour ouvrir la pêche. Cette campagne a débouché sur deux pêches que nous qualifions de « pêches de protestation ». Elles ont été suivies d'une autre pêche légale après coup, ainsi que d'une série d'audiences que le ministère des Pêches et Océans a qualifiées d'externes, mais qui ont en fait été dirigées par le sous-ministre adjoint, Pat Chamut. Ces réunions, ces consultations et le rapport qui en a suivi ont visé à modifier la façon dont fonctionnait le processus consultatif et à déterminer s'il y avait trop de bateaux pour trop peu de poissons. Comme vous la savez, le Plan Mifflin de 1996 avait entraîné une réduction d'au moins 50 p. 100 de la flotte de pêche au saumon. Nous sommes tombés de 4 400 bateaux en 1996 à 2 200 permis et seulement 1 700 bateaux qui pêchent le saumon en Colombie-Britannique.

Les gouvernements fédéral et provincial ont mis sur pied un groupe de travail composé de deux personnes, M. Donald McRae, de l'Université d'Ottawa, et M. Peter Pearse, de l'Université de la Colombie-Britannique, qui s'est décrit personnellement comme le parrain des quotas individuels transférables, les QIT. Ensemble, ils ont rédigé un rapport intitulé « Traités et transition : Vers une pêche durable sur la côte du Pacifique du Canada ». Ostensiblement, ils étaient censés rédiger un rapport sur la situation des pêches après les traités, mais ils sont allés au-delà de leur mandat, à notre avis. En fin de compte, ils ont présenté de nombreuses recommandations, qui se ramènent essentiellement à ceci : quotas pour toutes les pêches, privatisation de toutes les pêches, et aucune restriction au transfert de quotas. Bien que je n'aie pas eu connaissance de déclarations publiques du gouvernement provincial, le ministre de l'Agriculture, de l'Alimentation et des Pêches de la Colombie-Britannique, M. John van Dongen, a dit au syndicat, un mois après la publication de ce rapport, qu'il l'appuyait. Le ministre de Pêches et Océans Canada a déclaré que les prévisions du rapport pour la pêche au saumon commercial étaient réalistes. Les réformes recommandées représentent un changement radical, mais ce ne sont pas des demi-mesures qui rétabliront la rentabilité de l'industrie du saumon. Dans l'esprit du rapport qui insiste sur la nécessité pour l'industrie d'assumer plus de responsabilités, je vais demander aux intervenants de donner des conseils sur sa mise en oeuvre et je leur demanderai quel est à leur avis la meilleure solution pour régler les problèmes des pêches de la côte pacifique du Canada.

L'argumentation que je veux vous soumettre aujourd'hui, c'est que les QIT ne sont pas la bonne solution pour les pêches du Canada. Il faut adopter une démarche nouvelle. Or, je crois que le ministère des Pêches et Océans, le MPO n'a pas de vision d'une pêche durable, particulièrement dans la région du Pacifique. Je crois que leur vision ne va pas plus loin que l'espoir d'arriver à la fin de la journée ou à la fin de la réunion sans que le stock s'effondre. C'est ce que nous pensons, et toutes les actions du ministère des Pêches et Océans dans la région du Pacifique en témoignent.

Le ministre a dit qu'il recevait des conseils sur la mise en oeuvre du rapport Pearse-McRae, mais le directeur régional suppléant, Don Radford, nous a dit dans une lettre en date du 7 septembre :

Je vous assure que vous aurez largement l'occasion, ainsi que toutes les autres parties, de formuler vos conseils sur ce sujet cet automne aussi. Nous préparons un plan de consultations sur le rapport Pearse-McRae.

L'adjoint du ministre, M. Bilal Cheema, nous a assuré qu'il y aurait des consultations. Toutefois, le maire de Prince Rupert et d'autres personnes ont reçu des lettres leur disant que seules les parties intéressées seraient consultées. Nous estimons que la question ne doit pas être limitée aux détenteurs de permis qui pêchent aujourd'hui en Colombie-Britannique. Il s'agit d'un changement radical dans la pêche avec sa privatisation, c'est clair. Nous estimons qu'il est probablement illégal de mettre en place des QIT comme le gouvernement fédéral est en train de le faire, et que le ministre a été induit en erreur.

Depuis la publication en 1968 de l'essai de M. Garrett Hardin « Tragedy of the Commons », que les sénateurs connaissent certainement, certains ont dit que le problème central des pêches dans le monde venait des « parties communes ». Suite au rapport produit par la Commission royale d'enquête du Dr Peter Pearse, « Turning the Tide », paru en 1982, les fonctionnaires du MPO ont continué sur la lancée des théories avancées par des économistes tels que M. Pearse. En fait, en 1982, M. Pearse recommandait des transformations profondes dans la pêche en Colombie-Britannique, mais cette idée a été rejetée à l'époque. En conséquence, de nombreux documents de discussion ont été publiés au MPO et ont entraîné la situation que nous connaissons aujourd'hui en Colombie-Britannique. Beaucoup de nos pêches sont déjà sous quota, et cela a entraîné la mort de communautés côtières parce que les emplois ont disparu. Cela a fait aussi que 80 p. 100 de la valeur des pêches, contre 50 p. 100 auparavant, passent dans la poche des titulaires de permis avant que le moindre engin de pêche ne soit mis à l'eau. Les miettes qui restent pour les bateaux et leurs équipages une fois qu'on a partagé la pêche sont inacceptables. En outre, en 2004, les quotas ont amené le retour des navires de traitement étrangers qui transforment le merlu au large de la côte ouest de la Colombie-Britannique sur les conseils, encore une fois, des titulaires de quotas. Aujourd'hui, ce sont ces titulaires de quotas qui ont la haute main sur les pêches.

Nous estimons que cela n'est pas correct. Nous estimons qu'il est anormal de changer radicalement la pêche dans ce pays sans que le Parlement ait au moins l'occasion d'intervenir dans cette décision.

Si vous le voulez, je vais vous lire quelques petites prises de position du MPO pas plus tard qu'en 1988. Voici ce qu'on pouvait lire dans le premier paragraphe d'un document de 1988 intitulé « Rentabilité de la flottille de saumon en Colombie-Britannique — 1981 à 1985 » :

...les pêches au saumon de la Colombie-Britannique comptent parmi les plus importantes au monde. L'industrie apporte une contribution importante à l'économie de la province depuis longtemps. Ces pêches sont particulièrement importantes aux communautés côtières isolées, puisqu'elles représentent la principale source de revenu et d'emplois.

Un peu plus loin, à la section Remarques sur les revenus des membres de l'équipage, on précise que « le salaire moyen des membres de l'équipage réparti sur les quatre flottes est nettement supérieur au salaire moyen de la province ».

C'était en 1998. En 1996, on a mis en place le Plan Mifflin parce que le ministère des Pêches et Océans estimait qu'il y avait trop de bateaux pour trop peu de poissons et qu'il fallait changer la situation. On a donc réduit de 50 p. 100 la flottille de pêche au saumon.

Il y a eu tout un débat sur le saumon, car le saumon, c'est la définition même de la population de la Colombie-Britannique. C'est lui qui définit nos Premières nations, nos zones côtières. C'est incontestable.

Il y a bien d'autres pêches là-bas. En 1990, le MPO s'est occupé du flétan. Il a privatisé les pêches et modifié l'octroi de permis dans pratiquement toutes les pêches, par exemple en permettant à des personnes d'avoir plusieurs permis pour leur bateau et en mettant en place les QIT.

On commence maintenant à se demander si le MPO est capable d'avoir de bonnes informations scientifiques et de gestion sur des pêches comme la goberge. Le MPO prétend que c'est un exemple qui montre que les quotas sont une bonne chose. Pourtant, ce qui s'est passé, c'est qu'on a octroyé 48 permis et qu'il n'y a que 16 à 19 bateaux qui pêchent maintenant. Il y a environ 30 propriétaires. Cela a entraîné des bouleversements catastrophiques pour les gens qui travaillaient auparavant dans cette pêche, comme dans d'autres pêches.

J'ai pêché de 1972 à 1996, et je suis ensuite allé travailler au syndicat. Nous n'avons jamais été capable de gagner notre vie en pêchant simplement le saumon. Il y avait de bonnes années, mais dans l'ensemble nous avions besoin de perche et d'autres poissons pour gagner notre vie. C'était des gens comme moi, qui gagnaient leur vie en pêchant d'autres poissons, qui faisaient vivre les communautés côtières.

On nous a retiré ces pêches l'une après l'autre. Pearse et McRae disent, et le ministre fédéral a l'air d'avoir accepté leur opinion, qu'il faudrait imposer des quotas pour toutes les pêches.

Nous demandons au ministre de lancer une enquête judiciaire. Nous espérons sincèrement que votre comité va appuyer cette demande.

J'ai fait un exposé au comité de la Chambre des communes vendredi dernier. Les députés nous ont dit que nous ne serions peut-être pas très heureux du résultat d'une enquête judiciaire. Je leur ai répondu, comme je vous le dis ainsi qu'à toute la population du Canada, qu'il faut faire la lumière sur toute cette question. Un peu partout dans le monde, on est en train d'imposer des quotas sur les pêches. Nous n'avons pas encore atteint le point de non-retour, et nous pouvons encore sauver la pêche au Canada.

En général, les pêches de la région du Pacifique se portent assez bien. Il y a des problèmes. C'est certain, et personne ne le conteste. Mais dans l'ensemble, la situation est bonne.

Certaines des personnes qui travaillaient au MPO autrefois, qui ont recommandé la mise en place de quotas et qui ont permis à leurs amis d'obtenir certains de ces quotas, travaillent maintenant pour ces titulaires de quotas, en sont même les porte-parole et assurent la gestion des quotas pour ces titulaires. J'estime que cela n'est pas bien.

Dans un rapport que nous avons élaboré en 2003, on évaluait le montant total des permis dans la région du Pacifique à 2,1 milliard de dollars. Ce chiffre était fondé sur les ventes récentes, notamment 1,5 milliard de dollars de ventes de poisson régi par des quotas.

Nous estimons que ces quotas et ces permis devraient rester la propriété de la population canadienne. S'ils doivent être loués ou échangés, il faut que cela soit fait par notre gouvernement. C'est aux Canadiens qu'ils appartiennent, et ce sont les Canadiens qui devraient en profiter.

Nous ne sommes pas contre la propriété individuelle des permis. En appliquant le principe du propriétaire exploitant pour toutes les pêches, on résoudrait la plupart des problèmes. Quand les gens ont accès à toutes les pêches, ils pêchent pour vivre plutôt que pour de l'argent. Les investisseurs qui achètent ces permis pêchent pour se faire de l'argent, et la situation se transforme. Il y a beaucoup plus de pression sur la ressource.

Nous réclamons une enquête judiciaire du MPO dans la région du Pacifique. Nous demandons un moratoire immédiat aux changements apportés aux permis. Si cette enquête judiciaire a lieu, et nous l'espérons sincèrement, ce sont là les arguments que la United Fishermen and Allied Workers' Union souhaite faire valoir.

Nous estimons que le ministre devrait immédiatement annoncer un changement de politique au MPO en déclarant que les retombées socioéconomiques devront obligatoirement être prises en considération dans le processus de décision. Le ministre devrait immédiatement annoncer que l'octroi de permis par secteur pour le saumon de la Colombie-Britannique est annulé et que pour la saison 2005, les permis seront émis pour l'ensemble de la côte.

Le ministre devrait fournir un accès à des capitaux pour organiser des banques de permis communautaires pour remédier aux dépossessions qui se sont produites. Le ministre devrait immédiatement annoncer une politique de propriétaires-exploitants et de dégroupage de la flotte et entamer immédiatement un processus pour rendre aux pêcheurs autorisés les pêches qu'on leur a enlevées en donnant les permis à d'autres.

Le ministre devrait immédiatement intervenir auprès du Cabinet et de la Chambre des communes pour rétablir le budget des opérations du MPO qui permet au ministère de s'acquitter de son devoir de gérer et de protéger l'habitat halieutique.

Le ministre devrait immédiatement annoncer que le MPO va appliquer la Loi sur les pêches dans le secteur de l'aquaculture, en faisant passer les besoins du poisson sauvage avant tout le reste.

Voilà de quoi il faut parler. Nous avons évidemment de bonnes raisons de dire cela. Au ministère des Pêches et Océans dans la région du Pacifique, il y a des gestionnaires qui s'occupent de la pêche et qui nous appellent pour nous dire qu'il faut faire quelque chose. Les pêcheurs ordinaires vont perdre l'accès à la pêche, et nous n'obtenons pas les informations dont nous avons besoin sur la gestion ou les données scientifiques parce qu'on a privatisé ces pêches.

Il faut réapprovisionner les budgets pour permettre à ces gestionnaires de faire leur travail. Il y a des gestionnaires des pêches éminemment qualifiés qui n'ont même pas assez d'essence à mettre dans leurs bateaux bien souvent pour aller faire leur travail.

On leur demande de faire des quantités de choses dans toutes sortes de domaines sans les informations ou les budgets nécessaires pour le faire. Pour le saumon, on leur demande de livrer du poisson à beaucoup plus de destinations que jamais auparavant. Avec les traités, cela va devenir de plus en plus difficile pour eux.

Enfin, sur la question des traités, notre position est que nous appuyons ce processus des traités et que nous estimons que plus tôt on aura réglé cette question, notamment en ce qui concerne le poisson, mieux cela vaudra pour tout le monde. Je tiens à préciser que le rapport Pearse-McRae était censé porter sur les traités. En fait, le rapport du groupe de travail des Premières nations sur les pêches recommande de ne pas mettre en oeuvre les QIT pour l'instant.

M. Ron Kadawaki, directeur suppléant pour les Pêches de la côte sud, au MPO, a été chargé des consultations pour la mise en oeuvre. Dans leur spectacle, il n'est pas question de QIT. Ils parlent de « renouvellement des pêches du Pacifique ». J'ai rarement entendu quelque chose d'aussi trompeur.

En 1998, le Comité sénatorial permanent des pêches et océans a publié un rapport cinglant sur les QIT. Si les recommandations de votre comité avaient été mises en oeuvre, nous aurions des pêches saines et prospères au Canada aujourd'hui. Nous avons aussi un document qu'on avait rédigé pour nous qui s'intitulait « Une pêche riche ou une pêche pour les riches ».

C'est une critique du rapport McRae-Pearse qui remet en question la légalité des QIT que ce rapport recommande, en disant que le ministre procédera à des consultations pour leur mise en oeuvre.

Nous avons un document intitulé « Catch 22 » d'Ecotrust Canada qui a été publié il y a environ trois semaines. Nous avons le seul document élaboré dans la région du Pacifique en 1991 et mis à jour en 1995, le rapport Cruickshank. Il a été accepté par pratiquement tous les représentants du secteur à l'époque, à de rares exceptions près.

J'aimerais déposer ces documents, le rapport Pearson-McRae et le rapport Cruickshank. Je voudrais vous parler du premier quota de pêche imposé en Colombie-Britannique au milieu des années 1980. C'était pour la pêche à l'ormeau. Elle a été définitivement fermée en 1990; mais je pense que cela valait mieux. Cela m'étonnerait que cette pêche reprenne de notre vivant, et c'est un exemple de pêche régie par un quota qui a duré moins de six ans. On parle maintenant d'arrêter le braconnage. Voilà où on en est. Je ne crois pas que je verrai un retour à la pêche à l'ormeau de mon vivant.

Enfin, j'ai pris une coupure du Vancouver Sun de la semaine dernière, qui parle de discrimination et de harcèlement au ministère des Pêches et Océans. J'ai amené cet article simplement pour montrer que la Commission des droits de la personne a porté des accusations de discrimination, de harcèlement et d'intimidation. Le MPO l'a reconnu tout en disant que c'était exagéré. Tout ce que je veux dire, c'est qu'à chaque fois que quelqu'un n'est pas d'accord avec la position du MPO sur quelque chose, que ce soit majeur ou mineur, le ministère ne tient pas compte de cette opinion et essaie de marginaliser son auteur ou l'organisation qu'il représente. Il est clair que quand on est prêt à faire ce genre de choses à ses collègues, on va certainement le faire aussi à des gens qu'on ne connaît pas et avec lesquels on n'est pas d'accord.

Le président : Merci, monsieur Mirau pour cet excellent exposé et pour le leadership dont vous faites preuve constamment depuis des années sur ce dossier important. Nous sommes très admiratifs. Faites part de cette remarque à vos membres.

M. Mirau : Certainement.

Le président : Êtes-vous d'accord pour annexer les documents au procès-verbal de comité, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Le président : Nous allons passer à notre première liste d'intervenants.

Le sénateur Watt : Je vais plonger tout droit dans vos recommandations. Pourquoi? Vous dites que le ministre devrait immédiatement lancer une enquête judiciaire sur des régions précises du MPO.

Vous dites aussi à la page suivante qu'il faut avant tout imposer un moratoire avant que des changements n'interviennent.

Pourriez-vous nous dire si cette question de la privatisation a été abordée à la Chambre des communes à votre connaissance?

M. Mirau : Je ne crois pas qu'elle ait été mentionnée à la Chambre des communes. C'est ce que vous me demandez?

Le sénateur Watt : Oui. La question n'a pas été portée devant la Chambre des communes, donc c'est au niveau ministériel que cela se passe. C'est bien ce que vous pensez?

M. Mirau : C'est ce que nous pensons.

Le sénateur Watt : Vous dites aussi que le ministre est induit en erreur par les hauts fonctionnaires du MPO. C'est exact?

M. Mirau : Oui.

Le sénateur Watt : La personne qui encourage ces privatisations?

M. Mirau : Oui.

Le sénateur Watt : Pourquoi, d'après vous? Cela m'intrigue car il me semble que nous devrions au contraire resserrer les boulons, puisque les ressources ne sont plus si abondantes partout au Canada, là où les gens pêchent. La privatisation ne va pas aider les choses, je pense au contraire qu'elle va les aggraver. Il n'y aura plus quelqu'un pour gérer les pêches, les surveiller à distance pour le bien du pays et de ses habitants. Ce sont eux qui sont — à juste titre — les propriétaires des ressources. Si on les confie aux détenteurs de permis, comment pensez-vous que ces détenteurs de permis vont s'occuper de la réglementation? Comment vont-ils concevoir la gestion? Quelles seront les relations entre les titulaires de licences et le MPO?

M. Mirau : Ce sont les détenteurs de licences qui vont gérer la pêche. C'est certain. Je disais tout à l'heure qu'on a autorisé des navires de traitement étrangers à revenir au Canada cette année à la demande des titulaires de licences pour les quotas de merlu. Quand nous avons protesté contre leur retour, l'un de ces titulaires de contingent nous a dit de façon très éloquente : « C'est notre poisson et nous en faisons ce que nous voulons ». Je pense que cela résume bien la situation. Quand la ressource devient propriété privée, les propriétaires ont tendance à croire qu'ils peuvent en faire ce qu'ils veulent et ils pêchent non plus simplement pour gagner leur vie, mais pour avoir le plus gros chiffre possible au bas de leur page.

Je devrais peut-être citer M. Daniel Pauly, un économiste des pêches de renommée internationale qui travaille à l'Université de la Colombie-Britannique. Lors d'une récente conférence en Nouvelle-Zélande, L'économiste auquel il parlait à cette conférence a dit : « Ne vous inquiétez pas pour notre pêcherie. Nous avons des quotas et donc nous n'avons plus à nous inquiéter de ce genre de choses ». Il parlait de conservation. Nous savons qu'une fois qu'on impose des quotas, on ne s'inquiète plus, parce qu'on laisse de côté les problèmes de gestion et de conservation et qu'on ne s'en occupe plus jusqu'au jour où il n'y a plus de poissons. En fait, nous savons que certains stocks en Nouvelle-Zélande sont problématiques. Mais on ne s'en occupe pas parce que le gouvernement a renoncé et a confié la gestion et la conservation à des détenteurs de quotas. Voilà la conséquence de la privatisation.

Le sénateur Adams : Je vis au Nunavut et nous avons réglé une revendication territoriale il y a un peu plus de 10 ans. Depuis quatre ou cinq ans, le MPO et le ministre des Pêches ont commencé à établir certains quotas du Territoire du Nunavut jusqu'à la limite des 200 milles entre le Groenland et l'île de Baffin.

Depuis deux ans, j'étudie certaines de ces ententes sur des revendications territoriales entre le gouvernement du Canada et nous. À l'avenir, l'économie va évoluer chez nous. Au début, certaines organisations ne se préoccupaient pas de la population locale. Certaines collectivités ont des quotas. Il y a une politique au MPO et des accords sur les revendications qui donnent des quotas à des organisations du Nunavut, et nous avons 4 000 tonnes métriques pour le flétan noir. Plus haut, dans le détroit d'Hudson et jusqu'au détroit de Baffin, nous avons des quotas de 1 500 tonnes de flétan noir et d'environ 2 500 tonnes de crevettes.

J'ai commencé à aller voir ces collectivités jusqu'à l'île de Baffin il y a environ deux ans. J'ai découvert que le plus gros quota était un quota de 330 tonnes octroyé au Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut. Le nouveau conseil fonctionne depuis trois ans. Nous avons 11 organisations membres qui viennent de toutes les communautés et un administrateur de Terre-Neuve pour voir comment fonctionne le régime de pêche.

Trois communautés, Pond Inlet, Clyde et Barton Island veulent avoir une usine de poisson à Pangnirtung depuis 20 ans. On a construit là-bas une usine de poisson toute neuve il y a 10 ans. Depuis qu'on l'a construite et qu'on a constitué l'organisation, on n'a pas demandé à une seule personne de la communauté comment se porte la pêche dans cette région.

Un administrateur avait été engagé par une organisation; il est venu du MPO ici à Ottawa pour travailler au Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut. Il y avait 11 membres inuits à ce conseil, par le biais de la Baffin Fishery Coalition, la BFC. Pas une seule fois au cours des cinq dernières années on n'a demandé aux gens de la communauté s'ils étaient intéressés à l'avenir de la pêche commerciale. Pourtant, depuis cinq ans, on a engagé quelqu'un à Terre-Neuve pour amener des navires là-bas et y pêcher le flétan noir.

Nous nous occupons de Clearwater et du détroit de Davis depuis 10 ans, et certaines communautés ont des quotas. Je constate cependant que les gens du Conseil de gestion des ressources faunique du Nunavut sont tous des locaux payés par le MPO. C'est le MPO qui paie leur traitement. Dès qu'ils ont les quotas du ministre, ils les donnent à la Baffin Fisheries Coalition, la BFC. La coalition de Baffin avait 11 membres inuits et aucun d'entre eux n'a dit qu'il était intéressé à l'avenir de la pêche commerciale.

Vous avez travaillé pour le syndicat pendant un certain temps. Est-ce que c'est comme cela que les autres pêcheurs gèrent la pêche?

M. Mirau : Il est vrai que les pêches appartiennent de moins en moins aux communautés. On retire de plus en plus de ressources aux communautés pour les envoyer à la ville, avec la perte d'emplois que cela entraîne pour les communautés. C'est ce qui se passe en Colombie-Britannique.

Comme la flottille de petits bateaux se fait évincer, les gens qui vivent dans ces communautés n'ont plus accès au poisson ni aux emplois dans la transformation. C'est très clair.

Le sénateur Adams : Pendant ce temps, ces communautés sont intéressées à travailler de cette façon-là. Nous avons le gouvernement du Nunavut qui est censé aider les gens à faire de la pêche commerciale dans la communauté. Il ne fait pas beaucoup d'efforts pour cela.

Vous avez des quotas en Colombie-Britannique qui viennent du MPO pour les pêcheurs de la Colombie-Britannique. Nous nous attendions à la même chose. Tous les ans en février, le ministre nous envoie les quotas du Nunavut. Je me dis que cela devrait être avantageux pour les gens de la communauté. Ce serait mieux pour nous si le ministre disait au Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut qu'il va donner tant d'autorisations aux gens de la communauté pour pêcher. Actuellement, ce qui intéresse les gens, c'est ce que coûtent un bateau et une entreprise, et cetera. Mais le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut ne leur dit pas comment gérer une entreprise, alors que la BFC leur dit qu'ils doivent apprendre à pêcher. Votre union a-t-elle une politique pour les gens qui veulent faire de la pêche commerciale, pour leur permettre d'obtenir un certificat pour ce genre de pêche?

M. Mirau : Avant le passage aux quotas, nous avions une collectivité de pêcheurs prospères en Colombie-Britannique. Nous croyons toujours que nous pourrions avoir une pêcherie prospère en Colombie-Britannique, une pêcherie pleine de dynamisme qui permettrait aux gens des Premières nations et aux autres de gagner leur vie et aux collectivités de survivre.

J'appartiens à une organisation d'organisations appelée Conseil canadien des pêcheurs professionnels. Nous représentons fondamentalement les propriétaires exploitants de petits bateaux et nous nous occupons de former les gens qui veulent pratiquer ce genre de pêche.

Un de nos grands problèmes actuellement, c'est le transfert de permis d'une génération à l'autre, c'est-à-dire quelque chose de différent de ce que vous dites, mais qui est en même temps la même chose. Nous sommes préoccupés par le transfert de permis d'une génération à l'autre par des gens qui étaient compétents et qui savaient quoi faire de ces quotas et de ces permis; mais que se passe-t-il quand on les transfère à la génération suivante, surtout quand on peut louer ces choses-là? Les prix grimpent et les propriétaires n'ont aucune incitation à vendre leurs licences, donc les jeunes des communautés ne peuvent plus continuer à faire de la pêche. C'est lamentable.

Le sénateur Adams : Je n'ose pas parler des millions de dollars qu'on donne à la BFC, qui jusqu'à présent n'a toujours pas formé de gens là-bas. L'été, ces navires étrangers arrivent dans le Nord et l'équipage qui est censé former ces Inuits qui travaillent sur les bateaux est composé de Danois et d'Islandais. Ils ne parlent même pas anglais et ils sont censés apprendre la pêche commerciale à ces gars-là. C'est difficile.

Il faut que le gouvernement réfléchisse au genre de personnes ou de capitaines ou d'équipages qui est capable de former des pêcheurs locaux, et qu'il débloque les fonds pour apprendre aux locaux à pêcher. Ils n'ont même pas posé la question. Ils leur ont simplement donné l'argent et les gens doivent se parler par signes parce qu'ils ne se comprennent pas.

M. Mirau : Je ne connais pas bien cette situation, mais je comprends bien ce que vous dites. Ce qu'il faut, c'est donner de l'emploi aux gens dans les communautés.

Le sénateur Adams : Oui. J'ai d'autres questions. Je ne veux pas en parler à la télévision. Je vous donnerai certains renseignements personnellement. Il s'agit surtout du MPO et de la façon dont il traite certaines personnes et les pêcheurs, notamment les Autochtones. Mais je pourrais vous donner cela plus tard et vous pourrez me répondre par écrit.

M. Mirau : Avec plaisir.

Le président : Avant de passer au sénateur Hubley, vous avez dit qu'il y avait des problèmes de stocks en Nouvelle-Zélande et que certains de ces stocks étaient en voie de disparition depuis la mise en place des QIT. À l'époque où le stock de morue du Nord s'est effondré, cette espèce était régie par un système d'allocations aux entreprises, ou CI. Il y a donc des antécédents historiques.

Le sénateur Hubley : Bienvenue. Combien de membres avez-vous à la United Fishermen and Allied Workers' Union en Colombie-Britannique?

M. Mirau : Nous en avons plus de 3 000 dans le secteur de la pêche, du traitement et de l'emballage.

Le sénateur Hubley : Et cela représente quel pourcentage de l'ensemble des pêcheurs, emballeurs et gens qui travaillent sur les bateaux?

M. Mirau : Nous sommes clairement la plus grosse organisation de pêche de Colombie-Britannique. Je ne connais pas exactement le pourcentage. Le nombre de personnes qui continuent à gagner leur vie avec la pêche s'est effondré depuis 10 ans à cause des changements du système d'octroi de permis et de la consolidation dans le secteur de la transformation. Je ne sais pas exactement combien de personnes continuent à travailler dans ce secteur, mais c'est probablement dans les 12 000.

Nous travaillons aussi en collaboration étroite avec la Native Brotherhood of British Columbia. Nous négocions ensemble des conventions collectives dans le secteur de la pêche et leurs membres travaillent dans les usines où nous avons une accréditation. Je ne sais pas combien de membres ils ont, mais ensemble nous représentons environ 35 p 100 de cette industrie. L'adhésion à toutes les conventions collectives est volontaire et nos membres sont volontaires. Ils ne sont pas obligés d'y adhérer pour pouvoir travailler dans ce secteur.

Le sénateur Hubley : Vous avez bien dit que vous représentiez la pêche autochtone?

M. Mirau : Nous avons de nombreux membres des Premières nations et nous travaillons en collaboration étroite avec la Native Brotherhood of British Columbia.

Le sénateur Hubley : Dans votre exposé, vous avez mentionné plusieurs problèmes importants au MPO. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ces problèmes?

Vous avez dit que le ministère n'avait pas de vision pour la pêche durable sur la côte ouest. Quelles informations avez-vous pour appuyer cette affirmation? Quels exemples pouvez-vous me donner de décisions qui vont remettre en question les pêcheries de la côte ouest?

M. Mirau : Toutes les pêcheries de la Colombie-Britannique sont gérées par le ministère des Pêches et Océans. Les pêches qui sont en difficulté et qui ont servi d'exemple pour mettre en place des QIT étaient toutes gérées par le MPO dans le passé. Pas plus tard qu'il y a un an et demi, le directeur général suppléant de la Région pacifique, quand on lui a demandé quelle était sa vision de la pêcherie, a répondu qu'à part la conservation et le caractère durable de la pêcherie, il n'avait pas de vision. Il n'y a pas de vision pour l'emploi dans les collectivités ni pour la question de savoir s'il faut prendre et transformer les ressources dans ces collectivités. Tant que le Parlement ne s'attaquera pas au problème des pêches dans son ensemble, il y en aura de plus en plus qui seront en difficulté. Le MPO n'a pas de politique et n'a plus les ressources pour les gérer.

Le sénateur Hubley : S'agit-il d'un défaut d'exécution? Est-ce que c'est de cela qu'il s'agit?

M. Mirau : Tout à fait. La non-application de la loi est due en grande partie au manque de ressources. Si on n'applique pas la loi, c'est la même chose que s'il n'y a pas de policiers dans la rue. Des mesures d'exécution sont indispensables.

Le sénateur Hubley : Pouvez-vous nous parler de la manipulation de toute la question des permis de quota par le personnel du MPO?

M. Mirau : Nous pensons que nous pourrions montrer qu'il y a eu des malversations de la part d'anciens hauts fonctionnaires du MPO qui ont attribué des quotas à l'époque et qui, s'ils ne sont pas directement responsables des conseils qu'ils ont donnés, ont fait cadeau de quotas aux gens qui les possèdent maintenant. Certaines de ces personnes travaillent maintenant pour les propriétaires de ces quotas, travaillent pour leurs organisations et en sont même les porte-parole. Nous estimons que ce n'est pas bien.

Le sénateur Hubley : Merci.

Le président : Nous pourrions peut-être avoir un entretien privé à ce sujet après la réunion, monsieur Mirau. J'ai toujours été fasciné de constater que nous, les parlementaires, nous n'avons pas le même pouvoir que certains bureaucrates pour accéder à l'information et négocier, et cetera. Nous nous faisons un point d'honneur d'imposer des codes d'éthique aux sénateurs, alors que nous sommes loin d'avoir un accès aussi poussé que ces gens-là. Il est aberrant que des choses pareilles puissent se produire de nos jours, alors que nous sommes en train de nous autoflageller en nous imposant des codes d'éthique quand nous sommes loin d'avoir des pouvoirs aussi importants.

J'aimerais aborder un autre point. Nous parlions tout à l'heure du saumon et de la proposition du rapport Pearse-McRae de préparer des QIT pour le saumon. J'ai examiné la réponse du ministère, signée par le ministre. Je vais vous en lire la dernière ligne :

Le ministère a aussi reconnu que les quotas individuels ne convenaient peut-être pas pour toutes les pêcheries, par exemple pour des espèces à caractère fortement migrateur telles que le saumon.

Autrement dit, le ministère, pas plus tard qu'en 1998, reconnaissait que les QIT n'étaient pas souhaitables pour le saumon. Il a dû se passer quelque chose depuis.

M. Mirau : Oui. En 1996, M. Paul Sprout, directeur régional suppléant pour la région du Pacifique, a rédigé pour le Fraser Institute un document qui disait la même chose : on ne peut pas gérer le saumon avec des quotas.

Le président : La lettre a été écrite en avril 1999. En cinq petites années, les choses ont changé.

M. Mirau : Oui.

Le sénateur Downe : Monsieur Mirau, je m'intéresse à une remarque que vous avez faite ce soir à propos des compressions budgétaires du ministère des Pêches et Océans. À votre avis, combien des problèmes actuels sont le résultat direct de ces réductions budgétaires?

M. Mirau : Je crois que la plupart d'entre eux sont le résultat direct à divers titres de ces réductions budgétaires. Il y a avait des gens qui se souciaient vraiment du poisson, que je connais et avec lesquels j'ai travaillé en collaboration étroite quand j'étais pêcheur, qui étaient respectés au MPO et qui ont quitté le ministère en partie parce qu'ils constataient qu'ils ne pouvaient plus faire leur travail. De plus, quand le ministère et ses gestionnaires passent leur temps à déplacer des dollars, leur préoccupation principale, au lieu de protéger le poisson, devient simplement d'arriver au bout de la réunion et au bout de la saison par tous les moyens possibles. Je crois que la plupart des problèmes du MPO sont le résultat des coupures budgétaires, notamment avec le recouvrement des coûts, qui envahit tout au MPO. Les quotas sont l'outil naturel de la récupération des coûts; je crois que les deux sont absolument liés.

Le sénateur Downe : Comme vous le savez sans doute, le gouvernement procède actuellement à un examen des dépenses en vue de réaffecter 12 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années, de domaines faiblement prioritaires à des domaines hautement prioritaires. Ce qui m'inquiète en particulier, ce sont les institutions et les ministères comme les Pêches qui sont situés au 200 rue Kent, au centre d'Ottawa. Les gens qui viennent des régions, y compris la région du Pacifique, n'ont souvent jamais entendu parler du bureau d'Ottawa. Certaines personnes estiment qu'il serait plus utile de décentraliser le ministère car les gens verraient les répercussions directes de leurs politiques sur la communauté et sur les pêcheurs concernés, au lieu de se contenter de lire des coupures de presse dans leurs immeubles de bureaux au centre d'Ottawa. Que pensez-vous de cela?

M. Mirau : Je pense que la décentralisation, c'est très bien, mais il faut des politiques nationales, c'est clair. Il faut qu'il y ait une vision nationale de l'avenir des pêches au Canada. Pour ce qui est des politiques, notamment dans la région du Pacifique, il y en a beaucoup mais elles ne sont jamais écrites. Ajoutez à cela le fait qu'il y a toute une gamme de règlements inconnus parce qu'ils changent constamment, et vous avez toutes sortes d'autres problèmes.

Dans la Région pacifique du MPO, je dirais qu'il y a eu un règne de la terreur et que le MPO dans la région du Pacifique fait déjà cavalier seul. La coupure de presse que je vous ai lue en parle et le confirme. À mon avis, c'est probablement pire dans la région du Pacifique qu'ailleurs.

Je vais vous donner un exemple. Un femme, qui est gestionnaire du ministère des Pêches et Océans dans la Région pacifique, m'a dit récemment lors de conversations à propos des QIT et des consultations ou leur absence, qu'on lui avait dit qu'elle ferait mieux de se taire sinon on allait l'enterrer à Ottawa et plus personne n'entendrait jamais parler d'elle. C'est le risque quand on n'a pas un ensemble de politiques nationales et qu'on confie la gestion aux régions.

D'un autre côté, si vous avez un directeur général comme Jim Jones au Nouveau-Brunswick, la situation est totalement différente. Peut-être que certains d'entre vous le connaissent. Il s'implique dans sa communauté et se préoccupe de ce qui se passe dans la pêcherie. S'il n'y a pas de politiques nationales, tout dépend des personnalités, et ce n'est pas comme cela qu'on fait fonctionner un ministère.

Le sénateur Downe : Que pense votre association de la pêche sportive au saumon?

M. Mirau : J'ai été pêcheur sportif longtemps et j'aimerais avoir le temps de pratiquer encore maintenant ce sport. Nous travaillons avec des pêcheurs sportifs. Nous avons travaillé avec le Sport Fishing Institute of British Columbia. Eux aussi sont contre les quotas. Tout le monde a le droit et le privilège d'attraper du poisson quand il y en a.

Le président : Avant de passer au second tour, j'aimerais revenir sur plusieurs points.

Vous avez dit que la pêche était en grande partie privatisée en Nouvelle-Zélande. La Nouvelle-Zélande est comparable au Canada à certains égards. Elle a une importante population maorie. Le gouvernement de la Nouvelle-Zélande a dû procéder au moyen de traités, comme le Canada l'a fait, en particulier sur la côte ouest.

Je crois savoir qu'il y a eu énormément de dialogue de ce genre là-bas et qu'il y a des contingents. Vous êtes au courant?

M. Mirau : Vaguement. Je crois savoir que les Maoris possèdent maintenant une bonne partie de la ressource. On leur a donné de l'argent pour acheter des quotas importants.

Le président : Votre groupe a-t-il examiné les retombées de cette privatisation massive en Nouvelle-Zélande? Avez-vous cherché à savoir si elle avait eu des répercussions sur les communautés et ce que cela avait entraîné?

M. Mirau : Monsieur le président, toutes ces informations sont de seconde main. Elles ne donnent pas vraiment une idée de la situation. Nous espérions, il y a un an environ, aller en Nouvelle-Zélande voir de nos propres yeux ce qu'il en était.

Apparemment, les communautés ne savent même plus qu'il existe des pêcheries dans certains cas. Elles ont déjà perdu le contact avec la pêche.

Comme l'a dit M. Daniel Pauli, la pêche existe et quelqu'un d'autre s'en occupe. Il y a des quotas, ce n'est plus notre problème et tout va bien. Personnellement, je ne trouve pas que tout va bien.

Le président : Nous nous disions l'autre jour au comité qu'il y a probablement deux pays au monde qui pourraient pratiquement nous donner une idée de ce que sera devenu le Canada dans cinq ou six ans si la tendance actuelle à la privatisation se poursuit. Si nous allions voir ce qui se passe en Nouvelle-Zélande ou en Islande, ce serait comme si nous montions dans une machine à explorer le futur du Canada. Nous pourrions demander aux maires, aux gardiens et aux gens de la communauté comment se passaient les choses quelques années avant et comment elles se passent maintenant.

Au Canada, beaucoup de nos communautés ont encore d'importants quotas qui n'ont pas encore été privatisés. Ne serait-il pas utile que des Canadiens embarquent dans cette machine à explorer le futur? Ne devrions-nous pas aller voir en Nouvelle-Zélande et en Islande?

M. Mirau : Si, je crois que ce serait très utile. Vous avez parlé de l'Islande. M. Arthur Bogason, le président de l'Association nationale des propriétaires de petits bateaux de l'Islande, m'a dit que quand ils ont mis en place les quotas de petits bateaux en Islande, qui étaient transférables, 70 p. 100 de ces quotas ont été perdus au profit des gros navires de transformation. Les collectivités ont été obligées de s'endetter pour racheter certains permis et survivre. C'est une honte.

Sur la côte ouest de l'île de Vancouver, il y a une communauté des Premières nations qui n'est pas accessible par la route. Cette communauté a toujours dépendu de la pêche. Elle n'a plus accès au flétan. Il ne reste plus qu'un seul permis de pêche au flétan dans cette communauté. Il y a peut-être quatre permis de pêche au saumon pour le village tout entier. Il n'y a pas d'autres emplois. Cela donne une bonne idée de ce qu'entraînera la privatisation des pêches pour la côte ouest de la Colombie-Britannique.

D'après ce que me disent mes collègues de la côte est, là aussi c'est la même tendance qui se dessine, comme vous le savez.

Le président : Je n'ai pas souvenir que le Parlement ait abordé le rapport sur les QIT, excepté probablement notre comité en 1998. Mais je ne me souviens pas qu'il y ait eu une discussion de ce genre au Parlement.

C'est un problème public. De quel droit le MPO applique-t-il une telle politique si elle n'a pas été sanctionnée par le Parlement?

M. Mirau : Nous estimons qu'ils n'ont pas le droit de le faire. Il est clair que les pêcheries sont une ressource qui appartient à la communauté. En fait, dans l'Angleterre médiévale, il y a eu un soulèvement quand on a supprimé certaines pêcheries.

Le président : La période du roi Jean.

M. Mirau : C'est cela, vers 1200. Privatiser la pêche, c'est voler les Canadiens. C'est clair. La pêcherie appartient aux gens qui se promènent dans la rue autant qu'à moi ou à mes voisins. Le détournement de cette ressource qui est une propriété collective, c'est du vol pur et simple.

Prenons l'exemple des politiciens que vous êtes, même si vous n'avez pas à vous présenter à des élections. Si un politicien se mettait à dire : « Je veux vous représenter au prochain Parlement, mais je vais supprimer tous les emplois de votre communauté. Je veillerai à ce que rien ne vienne les remplacer. Et à propos, ne vous attendez pas à recevoir de l'aide du gouvernement », pensez-vous que ce politicien se ferait élire? Je peux vous garantir que pas un seul des députés qui siègent à la Chambre aujourd'hui n'oserait dire une chose pareille à ses électeurs, mais c'est pourtant ce qui se passe dans l'industrie de la pêche, c'est certain.

Le président : Des hauts fonctionnaires du MPO sont allés il y a quelques années en Islande, en Nouvelle-Zélande et dans d'autres pays pour vanter les merveilleux avantages des QIT. D'ailleurs, je crois que c'est en grande partie pour cela que ces pays ont adopté les QIT, parce que nos propres hauts fonctionnaires du MPO leur avaient présenté ces QIT de façon tellement élogieuse. Pour ceux, c'était la panacée.

Depuis quelques jours, je lis des coupures de presse d'un peu partout dans le monde. Dans certaines, on parle de la privatisation dans des régions comme la côte de l'Afrique et dans certains des pays les plus pauvres qui vendent leurs ressources au plus offrant en Europe et ailleurs. La privatisation n'est donc peut-être pas un problème local du Canada, elle semble être une tendance mondiale.

J'ai lu que le prince Charles, croyez-le ou non, avait dit que le fait d'acheter le droit de pêcher aux Îles Salomon dans le Pacifique constituait une menace pour des gens qui sont parmi les plus pauvres sur la planète et qui ont besoin de la pêche pour se nourrir. Il y avait un autre article qui parlait d'une flotte industrielle qui ratisse tout le poisson d'une population locale misérable en Afrique.

En fait, la Commission des droits de l'homme de l'ONU à Genève se penche sur la question, sur cette tendance croissante à la privatisation des ressources halieutiques, en tant que problème de droit humain.

Est-il sage que le Canada s'embarque là-dedans? Si nous faisons cela au Canada, est-ce qu'ils vont commencer à vendre à travers le monde entier? Est-ce que cela ne va pas contribuer à donner une image négative du Canada? Nous aimons nous présenter comme des gens qui défendent les peuples autochtones, les plus pauvres des pauvres. Est-ce que nous risquons d'avoir une image négative que nous voulons éviter à tout prix? Pardonnez-moi ce discours.

M. Mirau : Non, c'est vrai. Nous faisons de beaux discours, mais nous sommes moins forts sur les actions, et c'est ce qui se passe ici. Quand la Nouvelle-Zélande a privatisé ses pêches, par exemple, c'est M. Peter Pearse qui les avait conseillé. Il a conseillé l'Islande et divers gouvernements dans le monde pour privatiser leurs pêches. Je crois néanmoins qu'aucune de ces pêches ne s'est révélée plus durable avec les QIT qu'auparavant, et dans la plupart des cas il y a au contraire des signes de problème.

Notre propre pêche au flétan qu'ils érigent en exemple a bien fonctionné parce que c'est une pêche internationale régie par un accord international. Mais le résultat, cela a été la suppression d'emplois et de salaires et la mort des communautés.

Le président : J'ai encore beaucoup d'autres questions que je voudrais vous poser et je le ferai probablement à mon deuxième tour, mais le sénateur Watt veut revenir avec d'autres questions.

Le sénateur Watt : Je les ai déjà posées à peu près toutes. Il y a cependant un domaine que j'ai laissé de côté. Ce qui est en train de se produire dans notre pays est scandaleux. C'est déjà arrivé dans au moins un autre pays. Si le gouvernement continue dans cette direction alors qu'il se rend bien compte qu'il fait des erreurs, quel autre motif peut-il avoir de privatiser et de renoncer à son contrôle? Quel est l'autre motif? Quel autre motif peut-il y avoir à part la volonté de réduire le budget? Tout cela est complètement absurde.

M. Mirau : C'est absurde. Non, je voudrais croire que le Canada est un meilleur pays qu'il ne semble l'être dans le secteur des pêches. En fait, je crois que tout cela vient de la bureaucratie, et pas du ministre. Je ne suis pas sûr que le ministre soit même conscient du problème, et on change sans arrêt de ministre dans ce pays. En fait, il y a eu 20 ministres depuis que la question a été abordée en 1968 dans le Plan Davis. Il n'y a pas si longtemps, j'ai demandé à M. Robert Brown, le directeur de l'Institute of Fisheries Analysis à l'Université Simon Fraser, lors d'une réunion sur les espèces menacées, qui réclamait des coupures dans les budgets des pêches. Il m'a répondu qu'à part les bureaucrates, il n'y avait personne.

Je ne sais pas ce que cela veut dire, mais pour moi cela n'a aucun sens.

Le sénateur Watt : Cela veut dire que ce sont les petits, les plus vulnérables qui vont être les plus durement touchés. La grande entreprise va avoir tendance à dire merci beaucoup, c'est une excellente politique. C'est une action à courte vue, qui n'entraîne pas de stabilité à long terme pour l'industrie de la pêche. Autrement dit, une fois que ce sera fait, ce sera terminé. On ne pourra pas revenir en arrière car les dégâts, l'impact sur le stock de poisson quel qu'il soit seront énormes.

M. Mirau : Oui. Il est clair, sénateur, qu'avec les quotas individuels transférables, il y a une concentration de la propriété. Il y a déjà une concentration de la propriété au Canada qui devrait tous nous inquiéter.

En Colombie-Britannique, comme je vous le disais, il y a moins de 2 200 permis de pêche au saumon. J'ai vu un document du MPO l'autre jour. C'était à propos de la Loi sur les espèces en péril, et on disait que ces 2 200 permis étaient entre les mains de 902 propriétaires seulement. Cela a déclenché un signal d'alarme dans ma tête. Je ne m'étais jamais rendu compte de cela avant.

Les informations sur la propriété ne sont pas publiques, mais cela devrait nous inquiéter. Je sais que le ministre a un pouvoir absolu et qu'il peut prendre toutes les décisions qu'il veut dans le cadre de la Loi sur les pêches. Il peut revenir sur n'importe quelle initiative prise par le ministre précédent. La privatisation de la pêche et la distribution de quotas se sont faites au fil des ans sous l'égide de divers ministres conseillés par toutes sortes de bureaucrates. Le ministre pourrait annuler tout cela s'il en avait la volonté politique. Mais je me demande si quelqu'un a vraiment la volonté politique nécessaire pour le faire.

Tant que nous n'aurons pas un ministre qui a une volonté politique, nous allons nous enfoncer de plus en plus. Toutefois, si les législateurs de la Chambre des communes pouvaient se saisir de ce problème, les choses n'évolueraient peut-être pas comme elles l'ont fait jusqu'à présent et il y aurait peut-être une possibilité de renverser la vapeur. Je crois que les gens qui siègent à la Chambre ont foi dans le Canada, et je crois que tout le monde devrait avoir le droit de gagner sa vie.

Le sénateur Watt : Si notre comité rédigeait un rapport intérimaire, sur quoi devrions-nous nous concentrer essentiellement, d'après vous? Vous dites que c'est le ministre qui peut faire des changements s'il en a la volonté politique. Il peut arrêter tout cela, lancer des enquêtes publiques et imposer un moratoire. Est-ce que ce sont les deux domaines sur lesquels nous devrions nous concentrer au départ?

M. Mirau : Oui. Je pense qu'on ne va jamais au fond d'une question avec de simples enquêtes. Nous en avons une actuellement en Colombie-Britannique où l'on a chargé un ancien juge de voir ce qu'était devenu 1,8 million de saumons sockeye cet été. Selon certaines personnes, ce sont 600 000 ou 900 000 saumons, mais de toute façon il y en a beaucoup qui ont disparu. Ce juge ne pourra jamais aller au fond de la question à moins de pouvoir convoquer des témoins et les faire témoigner sous serment. On ne pourra jamais comprendre ce qui s'est passé au ministère des Pêches et Océans, en particulier dans la Région pacifique, s'il n'y a pas une enquête judiciaire. Les employés du MPO ne vous diront jamais ce qu'ils savent sur ce qui se passe parce que ce serait leur emploi qui serait en jeu.

Le sénateur Watt : Vous ne voulez pas nous dire exactement sur quoi nous devrions nous concentrer?

M. Mirau : J'aimerais que vous appuyiez notre demande d'enquête judiciaire sur le ministère des Pêches et Océans.

Le sénateur Watt : Comme vous l'avez dit, cela prendra longtemps. Nous n'arriverons jamais au fond de la question. C'est un autre problème. C'est peut-être vrai aussi pour l'enquête.

M. Mirau : Il faudrait certainement imposer un moratoire à l'octroi de nouveaux permis jusqu'à ce que la Chambre des communes tire un peu les choses au clair ou qu'il y ait une enquête judiciaire.

Le sénateur Watt : Je parie que le premier ministre ne sait même pas ce qui se passe à Pêches et Océans Canada.

Le président : Laissons cela de côté.

Parfois, nous avons le tort de ne pas faire la distinction entre le gouvernement et le MPO. Vous avez très bien fait cette distinction en disant qu'à votre avis tout cela vient surtout du MPO et non pas du gouvernement, et je suis bien d'accord avec vous.

Tout cela semble avoir commencé sous les gouvernements et les ministres précédents et se poursuivre avec le gouvernement et le ministre actuels. C'est comme un engrenage qui broie les choses de plus en plus, quelle que soit la personne responsable. Mais vous avez bien fait la distinction entre le MPO et le gouvernement.

Avant de donner la parole au sénateur Hubley, je voudrais poser une petite question. Savez-vous si la Nouvelle-Zélande débat activement de la question de la propriété étrangère de ses stocks, et savez-vous où ils en sont dans cette vente de leurs stocks de poissons?

M. Mirau : Je sais qu'il en était question. Je ne sais pas s'ils autorisent la propriété étrangère. En tout cas, ici, on n'a pas besoin d'être Canadien pour être propriétaire d'un permis.

Le président : C'est une des questions que le comité veut soulever, la question de savoir comment, une fois qu'on confie des quotas à des propriétaires privés, on peut empêcher des étrangers de devenir propriétaires de ressources qui appartiennent en fait aux Canadiens. De façon détournée, ou en fermant plus ou moins les yeux, nous avons créé cette privatisation. Comme peut-on empêcher des étrangers de devenir propriétaires de ce qui est fondamentalement un patrimoine canadien?

M. Mirau : Il y a un moyen très simple de bloquer la propriété étrangère, c'est d'exiger que tous les permis soient vendus à des propriétaires exploitants. Pour obtenir un permis de pêche personnel, il faut être Canadien, mais pour avoir le permis de récolte du poisson, on n'a pas besoin d'être Canadien. N'importe qui peut acheter ce permis.

Le président : Bonne remarque. Sénateur Hubley.

Le sénateur Hubley : Je voudrais vous demander de parler des banques de permis communautaires. Le MPO veut se retirer progressivement du processus de décision sur les allocations commerciales parce qu'on accuse ses décisions d'être politiques. Sur la côte est, le nouveau cadre de politique du ministère datant de mars 2004 laisse entendre que les commissions de planification des flottilles pourraient aussi émettre des permis et des quotas.

S'il y avait des banques de permis communautaires, de qui relèveraient-elles, des organisations de pêcheurs ou du MPO? À votre avis, qui s'en occuperait?

M. Mirau : Il existe plusieurs modèles qu'on peut envisager, mais la première fois qu'on a parlé de banques de permis communautaires, c'était — du moins quand j'en ai entendu parler — dans l'idée d'octroyer des permis aux gens de la collectivité en période d'abondance, s'il y avait une banque de permis communautaires. Le poisson suit des cycles, c'est certain, et la collectivité pourrait se réserver le droit de ne pas activer ces permis, mais en les conservant pour une utilisation ultérieure.

Dans certains cas, une banque de permis communautaires signifie simplement que ce sont les gens de la collectivité qui sont propriétaires des permis et qui s'en servent pour pêcher. Il y a toutes sortes de modèles. En Colombie-Britannique, en 1998, nous avons conclu une entente avec les détenteurs de quotas de pêche au chalut en vertu de laquelle la communauté contrôlerait 20 p. 100 des débarquements dans le cadre de leurs quotas. Cela a fonctionné un peu — vous vous souvenez peut-être de la Groundfish Development Authority — mais il y a maintenant un mouvement pour supprimer cela, maintenant que le poisson est sous quota. Après tout, il y a du poisson. Pourquoi quelqu'un nous dirait-il ce que nous devons en faire?

À mon avis, les collectivités, même s'il est clair qu'elles ne sont pas propriétaires des quotas, devraient pouvoir dire si elles sont d'accord ou non pour les laisser partir.

Le sénateur Hubley : Est-ce que c'est l'organisation des pêcheurs de la communauté qui devrait gérer cela? J'essaie simplement de savoir comment cela serait administré.

M. Mirau : Je n'ai aucune expérience dans ce domaine, mais dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, je crois qu'il y a quelques banques de pêche communautaires qui ont divers modes de fonctionnement. Toutefois, je n'ai jamais eu l'occasion d'aller voir sur place.

Le sénateur Hubley : Est-ce que des coopératives fonctionneraient?

M. Mirau : Oui. Je crois que oui. Nous avons essayé les coopératives en Colombie-Britannique. En fait, l'une de celles qui ont le mieux réussi au Canada était une coopérative de pêcheurs de Prince-Rupert, et j'ai eu le plaisir d'y travailler pendant quelque temps.

Cette coopérative marchait très bien. Elle reversait ses profits à la collectivité et elle a créé des emplois à long terme et bien payés à terre. Le problème, c'est que certains pêcheurs sont devenus très riches avec la pêche au hareng et au saumon dans les années 1970. Ils ont alors commencé à se préoccuper plus de leurs gains que du bien de la coopérative. C'est mon commentaire personnel, mais je connaissais bien la situation à l'époque. Ils ont commencé à gérer la coopérative comme une entreprise commerciale et quand les conditions sont devenues difficiles, elle a coulé. Ils ont fait faillite parce qu'ils n'avaient pas fait de réserves pour l'avenir. Au fond, c'est le conseil d'administration qui a coulé la coopérative.

Cependant, les coopératives peuvent certainement fonctionner mais il faut certaines mesures de contrôle.

Le sénateur Adams : En Nouvelle-Zélande, savez-vous quelles sont les relations entre les Maoris et le gouvernement néo-zélandais — dans quelle mesure peuvent-ils utiliser les eaux territoriales après leur privatisation?

M. Mirau : Non, je ne suis pas sûr. Je sais que les problèmes liés au règlement des pêches avec les Maori ont été exacerbés par le système de quotas parce que ceux-ci sont devenus tellement précieux. De par leur nature, les quotas ont tellement de valeur qu'il devient difficile de conclure des traités. Si l'on parle du Canada, le fait même que les quotas de flétan se vendent maintenant à 40 $ la livre en Colombie-Britannique rend les choses très difficiles. Il faut beaucoup d'argent pour obtenir des quotas suffisants pour les villages qui en cherchent. Avec les quotas, ce n'est pas plus simple de conclure des traités, c'est plus difficile.

J'ai eu le plaisir de parler au chef Bill Kramer de la bande des Namgis lors de mon départ de Colombie-Britannique hier. Il s'occupe des traités, et on offre maintenant de l'argent plutôt que du poisson, parce que le poisson devient trop cher pour que le gouvernement fédéral le rachète et c'est lui qui a créé le système au départ.

Le sénateur Adams : Si les quotas sont privatisés, dans ma région, nous avons 26 communautés. Toutes sont sur la côte, sauf une — Baker Lake qui est sur le continent. Depuis le règlement des revendications territoriales, nous sommes propriétaires de 60 p. 100 des eaux côtières; en Colombie-Britannique, au Yukon et en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve, la proportion n'est que de 40 p. 100. C'est une grande zone là-haut pour le Nunavut. Nous n'avons pas d'eau libre comme le reste du Canada. À l'avenir si le gouvernement nous écoutait, surtout depuis que nous avons réglé les revendications territoriales, nous vivons là depuis des milliers d'années avec les poissons, alors pourquoi faut-il nous apprendre à pêcher?

Chaque fois que nous voulons nourrir notre famille, nous allons attraper du poisson. Ce n'est pas différent de la pêche commerciale.

D'après la politique du MPO, nous devons apprendre à pêcher. Si j'ai faim, je n'ai pas besoin de demander comment attraper du poisson. Je peux en attraper n'importe où.

À l'avenir , surtout au Nunavut, le gouvernement du Canada pourrait régler une revendication territoriale. Pourquoi privatiser quelque chose et l'enlever des quotas? Ne serait-il pas préférable d'avoir une politique à l'avenir? Toutes les collectivités autochtones devraient avoir des quotas.

Je viens d'acheter du turbot. Je ne sais pas combien de kilos, mais trois morceaux me coûtent 30 $. Ce n'était même pas une livre de poisson.

M. Mirau : À propos des banques de permis communautaires, je veux remercier le sénateur Hubley d'avoir soulevé la question, et j'aurais dû dire ceci. Le problème c'est qu'il n'y a aucun endroit pour discuter de cette question au ministère des Pêches. Il n'y a aucun forum pour le faire. Cela pose un autre problème. Si les gens ont des idées, on ne peut absolument pas en discuter au MPO.

Le sénateur Adams : C'est le problème. C'est là qu'est le problème.

M. Mirau : C'est le problème auquel nous nous heurtons.

Quelqu'un qui a travaillé un peu avec nous autrefois a dit : « Pourquoi ne pas simplement s'entendre avec le MPO plutôt que de toujours devoir se battre? » Je réponds à cela qu'il n'y a personne avec qui s'entendre. C'est ça le problème.

Le sénateur Watt : Je crois que vous avez fait allusion à la Loi sur les espèces en péril dans votre exposé. Savez-vous si les poissons sont couverts par cette loi?

M. Mirau : Oui.

Le sénateur Watt : Comment cette loi peut-elle être utilisée en ce qui concerne le poisson? Je ne parle pas d'autres espèces animales, seulement du poisson.

Lorsque l'on privatise, c'est au secteur privé d'assurer la gestion et de surveiller l'évolution de la situation. Va-t-on laisser les stocks s'effondrer? Cette loi ne sera jamais utilisée pour cela dans le domaine du poisson.

M. Mirau : Non. Certaines personnes qui connaissent bien le poisson essaient de déterminer actuellement si le poisson relève de la Loi sur les espèces en péril. C'est une autre question.

Vous avez certainement raison en ce sens que si les pêches sont privatisées que l'on perd le contrôle de la gestion et des données scientifiques, rien n'est prévu dans la Loi sur les espères en péril. Ça peut poser d'autres problèmes.

Le sénateur Watt : Non seulement nous avons perdu le MPO, mais nous avons perdu tout le reste aussi.

M. Mirau : C'est vrai.

Le président : J'ai une petite question rapide concernant les communautés et leur participation et les décisions qui doivent être prises au cours des années à venir. Avez-vous réussi à faire participer davantage les communautés? Je sais que sur la côte ouest, les résultats ont été un peu meilleurs que sur la côte est dans ce domaine.

M. Mirau : Oui. Jusqu'à il y a trois ans environ, les communautés participaient nettement plus que maintenant. L'ancien gouvernement de Colombie-Britannique encourageait les consultations avec les communautés au sujet des ressource. Nous avons changé de gouvernement, comme vous le savez. Le gouvernement actuel a supprimé le financement et ne nous permet plus d'avoir des consultations.

Je regrette de ne pas avoir commencé à m'occuper de tout cela il y a longtemps. Il ne m'est jamais venu à l'idée lorsque j'étais pêcheur que les communautés auraient le droit de me dire où je peux pêcher et où c'est interdit.

Le président : C'est juste.

M. Mirau : Je pensais que j'avais moi-même des intérêts dans la pêche, et je savais ce qui était mieux pour le poisson. Je pêchais pour vivre. Je n'ai pas enlevé d'emplois aux communautés. En fait, pendant les 15 ans où j'ai été capitaine de bateau, il n'y a pas eu plus de 10 personnes qui ont traversé le pont de mon bateau. Il n'y avait pas beaucoup de gens, mais au moins la moitié étaient des membres des Premières nations. Ils ont apporté quelque chose à ces communautés.

Je suis devenu mieux informé depuis, je l'espère. D'après moi, à moins que les communautés ne participent et n'aient l'occasion de s'exprimer sur le fait qu'on veut leur enlever leurs ressources et d'expliquer ce que cela signifie pour elles — qu'il s'agisse de poisson, de bois ou d'autres choses — nos communautés rurales sur les deux côtes sont certainement en péril.

Le président : Vous avez pris la route de Damas, et vous trouvez un Canso au bout du chemin. Au fait, c'est un original.

Le sénateur Hubley : Ça pourra resservir!

Le président : Je vous remercie de votre temps, monsieur Mirau. Cette réunion nous a appris beaucoup de choses. Vous nous avez beaucoup aidés ce soir. Nous vous remercions d'avoir été aussi franc et direct et d'avoir pris le temps de nous faire partager ce que vous savez des problèmes de la côte ouest après toutes ces années comme représentant syndical et comme pêcheur. Nous avons pu voir les choses de l'intérieur dans les deux domaines.

Vous nous avez remis des recommandations utiles, qui seront examinées dans le cadre du témoignage de ce soir. Au début de votre exposé, vous avez présenté plusieurs recommandations que le comité va examiner attentivement.

Merci encore. Transmettez nos meilleurs souhaits à vos collègues de Colombie-Britannique. Nous espérons que nous pourrons être utiles.

La séance est levée.


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