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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule 3 - Témoignages du 24 février 2005


OTTAWA, le jeudi 24 février 2005

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui à 10 h 53 pour examiner, pour en faire rapport, les questions relatives au nouveau cadre stratégique en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada.

Le sénateur Elizabeth Hubley (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Ce matin, nous entendrons des représentants du Conseil canadien des pêcheurs professionnels. Le mandat du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans est d'examiner, pour en faire rapport, les questions relatives au nouveau cadre stratégique en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada.

Le Conseil canadien des pêcheurs professionnels, le CCPP, est un organisme sans but lucratif fondé en 1995. La mission du Conseil est de veiller à ce que les pêcheurs possèdent les connaissances, les compétences et l'engagement nécessaires pour répondre aux besoins en main-d'œuvre des pêches canadiennes de l'avenir. Le Conseil poursuit les objectifs suivants :

... représenter les intérêts des pêcheurs professionnels de l'ensemble du Canada dans les relations avec les autorités gouvernementales fédérales, provinciales et territoriales sur les questions nationales d'intérêt commun;

... mettre en place, avec la collaboration des organismes représentant les pêcheurs professionnels partout au Canada, la structure organisationnelle et l'autorité nécessaires à l'établissement d'un programme de professionnalisation des pêcheurs;

... jouer le rôle d'un Conseil sectoriel de l'industrie nationale, dans le but de planifier et de mettre en œuvre des programmes de formation et d'adaptation de la main-d'œuvre pour l'industrie canadienne de la pêche.

Je vous souhaite la bienvenue à tous ce matin. Vous êtes très bien représentés aujourd'hui, et j'aimerais vous présenter; nous avons avec nous Earle McCurdy, Christine Hunt, John Sutcliffe, O'Neil Cloutier, Rachel Josée Chiasson, Ronnie Heighton, Rick Nickerson, Sandy Siegel et Keith Paugh. Je pense que ce sont M. McCurdy et Mme Hunt qui vont faire une déclaration.

M. Earle McCurdy, Fish Food and Allied Workers, président, Conseil canadien des pêcheurs professionnels : Madame le sénateur, merci de nous donner l'occasion de comparaître devant votre comité. Nous nous sommes déjà présentés devant votre comité à plusieurs reprises. Nous avons été très satisfaits de l'analyse de la privatisation du secteur des pêches effectuée par le Sénat il y a quelques mois. Nous avons trouvé très utile que l'analyse se fasse sur la scène publique.

J'aimerais vous dire que notre groupe ici présent aujourd'hui représente la Colombie-Britannique, le Québec et les quatre provinces de l'Atlantique, sans oublier le personnel de notre bureau d'Ottawa. C'est vous dire que notre groupe est pancanadien.

Je travaille pour l'Union, où l'ancienneté est respectée. S'agissant d'ancienneté, personne ne saurait contester les états de service des collaborateurs de Mme Hunt qui sont là depuis plus longtemps que mes collaborateurs à moi. C'est pourquoi nous demanderons à Mme Hunt de donner le coup d'envoi. Mme Hunt est membre de la Native Brotherhood of British Columbia, et elle vous parlera spécifiquement du rapport Pearse-McRae et de questions pertinentes pour le Pacifique.

Mme Christine Hunt, Native Brotherhood of British Columbia; vice-présidente, Conseil canadien des pêcheurs professionnels : Le 20 novembre 2004 à Nanaimo, un atelier a été organisé, auquel ont participé divers représentants et acteurs du secteur des pêches. Des membres de panels et des conférenciers invités ont notamment fait des exposés sur des questions se rapportant à la gestion du saumon du point de vue sectoriel, communautaire, autochtone, environnemental et théorique. L'atelier s'est terminé par un exercice de recherche de consensus en séance plénière dans le but de trouver des points de convergence et des actions prioritaires.

Voici ces points de convergence et actions prioritaires. Les quotas individuels transférables (QIT) ne sont pas justifiables en tant que mesures de conservation du saumon. Ils ne permettent pas de résoudre les problèmes de conservation de base, même qu'ils empirent les choses à certains égards, notamment dans la mesure où ils incitent à l'écrémage et au dumping de prix. En effet, les QIT sont associés à des hausses considérables de coût pour les entreprises de pêche au titre des mesures de surveillance et d'application de la réglementation et d'autres services. Ils compromettent en outre la viabilité de bien des exploitants indépendants. De plus, on doute sérieusement de la faisabilité technique de la gestion des QIT dans le cas du saumon, compte tenu des caractéristiques particulières de la pêche : stocks migrateurs, présence de sous-stocks multiples, périodes de pêche très courtes avec fermetures fréquentes causées par des mélanges de stocks, variation du prix des différents types et tailles de poisson, difficultés à établir l'historique de prises et nombres élevés de permis inactifs et de capitaines en pantoufles. Les capitaines en pantoufle sont des hommes et des femmes qui détiennent des permis de pêche mais qui ne pêchent pas eux-mêmes, se contentant de louer leur permis et de gagner beaucoup d'argent.

Les représentants des Premières nations vous diront que l'exigence relative à la consultation n'a pas été respectée par le processus Pearse-McRae. En effet, les Premières nations craignent la perte catastrophique d'emplois, de connaissances et de compétences de leurs collectivités. Le plan Mifflin a supprimé de nombreux permis et emplois à titre de pêcheurs, et on craint que les QIT n'aient des conséquences encore plus dévastatrices. Après la mise en œuvre du plan Mifflin, on a noté des suicides dans les collectivités côtières autochtones de la côte Ouest, où les jeunes hommes ont grandi pensant qu'il fallait suivre les traces de leurs père et grand-père, en s'adonnant à la pêche. Ne voyant plus de lumière au bout du tunnel, plus de permis ou de bateaux dans leurs collectivités, ils n'ont tout simplement pas pu supporter la perspective. Très récemment, dans une collectivité appelée Bella Bella, durant la période de Noël, trois jeunes hommes au début de la vingtaine se sont enlevé la vie.

Les Premières nations de la côte Ouest veulent un gel des QIT jusqu'à ce que l'on fasse une étude des impacts socio- économiques. C'est une position à laquelle adhère très clairement notre organisme, la Native Brotherhood of British Columbia. Le ministère des Pêches et des Océans, MPO, cherchera peut-être à s'assurer le soutien du secteur pour les QIT avec les conseils de pêcheurs nouvellement établis. Bien que les membres de ces conseils soient élus, les structures sont trop nouvelles et inéprouvées pour que l'on puisse prendre de telles décisions, n'ont pas le mandat de s'attaquer à des questions d'envergure et ne sauraient donc légitimer les QIT. Les représentants des collectivités côtières voient en l'instauration des QIT le glas possible pour les pêches locales. Le rapport Ecotrust confirme que la consolidation tous azimuts de la propriété des permis de pêche dans les zones urbaines depuis la mise en œuvre des rapports Mifflin et Pearse-McRae est encore une fois en train d'exacerber la tendance.

Une recommandation découlant de l'atelier a été que le comité directeur adopte une approche constructive dans ses communications avec le MPO et le grand public, pour bien signifier que la pêche au saumon connaît des problèmes qu'il faudra régler et en insistant sur le fait que les QIT ne sont pas un moyen efficace ou juste de résoudre ces problèmes. L'atelier a appuyé le principe suivant pour améliorer la gestion de la pêche au saumon. Les flottilles devraient contribuer davantage au coût de gestion et de recherche scientifique, et les acteurs sectoriels devraient participer aux efforts pour élaborer des options appropriées afin de générer les recettes voulues. En outre, les flottilles devraient promouvoir les arrangements plus exhaustifs et efficaces de cogestion, et on devrait trouver des solutions pour assurer le transfert approprié des responsabilités de gestion aux propriétaires de flottilles.

Les pêcheurs commerciaux comprennent qu'il y aura transfert d'un nombre considérable de droits et d'éléments d'actif en matière de pêche aux Premières nations, par voie de traité et acceptent de coopérer dans la conception et la mise en œuvre de tels transferts.

Il faudrait adopter des approches innovatrices pour améliorer la commerciabilité et la valeur des produits du saumon sauvage, et le secteur devrait participer activement à la création de liens améliorés entre la pêche, la transformation et le marketing. Les mécanismes stratégiques et réglementaires devraient être maintenus en place pour permettre aux collectivités côtières tributaires des pêches de conserver leurs acquis au moyen de banques de permis ou autres.

Une des choses qui inquiètent une communauté autochtone de la côte Ouest, c'est la présence d'une grande exploitation de poisson appartenant à Jimmy Pattison, du nom de Canfisco. Quatre-vingt p. 100 des capitaines travaillant pour cet exploitant sont issus des Premières nations, lesquels capitaines emploient à leur tour cinq ou six membres de leur famille ou bande. Si le régime des QIT était en place, l'exploitant en question préférerait alors utiliser 10 bateaux plutôt que 40. Par conséquent, il y aurait toute une vague de licenciements de pêcheurs commerciaux autochtones, et cela constitue une menace réelle pour nous.

Permettez-moi de vous lire un extrait d'une lettre écrite par le chef Bill Cranmer de la Première nation `Namgis d'Alert Bay, en réponse au rapport Pearse-McRae. Dans cette lettre, le chef Cranmer dit notamment ceci : « Le rapport recommande aussi que les changements soient mis en œuvre immédiatement. Cette recommandation est très troublante. Elle présuppose que le rapport a été précédé d'un processus de consultation publique adéquat. Or ce n'est pas le cas du tout. Le processus de consultation utilisé par les professeurs Pearse et McRae a été exceptionnellement sélectif. Le cycle de visites limitées entrepris par les fonctionnaires du MPO est également exceptionnel. Bien que nous ayons été invités à une réunion à Campbell River, nous n'avions pas reçu un préavis suffisant, et compte tenu de l'importance de cet enjeu pour notre collectivité et pour le patrimoine des pêches, nous avons donc demandé la tenue d'une réunion à Alert Bay. On nous a répondu que cela n'était pas possible en raison de la courte échéance du processus de consultation en cours. Cela montre à quel point les consultations sont loin d'être adéquates, notamment pour une question aussi importante pour les collectivités côtières rurales, et surtout pour les Premières nations. Étant donné les normes canadiennes en matière de consultation publique sur les questions stratégiques d'importance, et bien entendu à la lumière de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Haida sur la consultation et la prise en compte des Autochtones, nous sommes surpris, voire choqués, par cet état de choses. Nous ne pouvons nous empêcher de croire que les conseils que vous recevez de votre personnel laissent à désirer. » Cette lettre a été envoyée au MPO. On peut y lire encore : « Quoi qu'on vous ait dit, de très vives inquiétudes ont été exprimées au sujet de cette question, sans parler des obligations juridiques de consulter adéquatement les Premières nations côtières. »

La vice-présidente : Merci beaucoup, madame Hunt.

M. McCurdy : Je vais demander à M. Cloutier de prendre la parole maintenant.

[Français]

M. O'Neil Cloutier, Alliance des pêcheurs professionnels du Québec (AFPQ), secrétaire-trésorier, Conseil canadien des pêcheurs professionnels : En fait, un des moyens de convaincre le Sénat ou le gouvernement de la volonté des pêcheurs côtiers de maintenir leurs acquis, c'est probablement de faire comparaître un pêcheur. Je suis pêcheur de métier. Je suis directeur général d'une organisation régionale qui effectue ses opérations dans le sud de la Gaspésie, principalement dans la Baie des Chaleurs. Notre organisation a pour mandat de s'assurer que les revenus des pêcheurs de homards, que je représente, soient suffisants pour conserver une qualité suffisamment forte afin de maintenir l'économie régionale à un bon niveau.

Le principe du capitaine-propriétaire et celui de la séparation de la flotte sont les deux principes que nous défendons le plus. Il y a trois variables présentement qui modifient ou conditionnent, au gré des années, les revenus de ces pêcheurs. La première variable, à laquelle nous ne pouvons rien, concerne les conditions météorologiques. La deuxième variable, le prix pour le produit rapporté au quai et la troisième variable, le volume du produit amené au quai.

À cet effet, si jamais les deux principes que nous défendons chèrement depuis quatre ou cinq ans ne sont pas maintenus, enchâssés dans la loi sur le principe du capitaine-propriétaire et de la séparation de la flotte, nous allons malheureusement perdre ou ne plus avoir de contrôle sur les deux dernières variables, c'est-à-dire le prix et le volume. Par la privatisation de la ressource, nous allons perdre cet acquis. Nous allons assister à une diminution des revenus des pêcheurs, un recul au niveau social et économique pour les collectivités de pêche.

Il faut comprendre que la pêche aujourd'hui, c'est une culture pour nous. C'est un mode de vie. On vit de la pêche depuis des centaines d'années. En fait, depuis les premiers échanges avec le continent européen. On est profondément ancré dans nos régions. Si le gouvernement ne s'assure pas que ces deux principes sont maintenus dans la loi, nous allons assister malheureusement, comme d'autres groupes, à un effritement du tissu social en région.

Une fois de plus, les régions seront pénalisées par une volonté de réduire les coûts de l'État dans la gestion des pêches du gouvernement. On va assister à un énorme déménagement de l'ensemble des collectivités vers les grands centres puisque, comme en Gaspésie, c'est le seul moteur économique après le tourisme.

Je représente 212 pêcheurs de homards répartis sur 300 kilomètres de côte, qui maintiennent en vie ces localités. On juge inacceptable d'assister à une privatisation de la ressource par l'oubli de maintenir ces deux principes dans la loi.

Nous venons témoigner et nous espérons que vous comprendrez que c'est très important pour les régions, on ne parle pas que de la Gaspésie, mais de l'ensemble des collectivités autour du golfe Saint-Laurent. C'est cinq provinces. C'est tout ce qu'il nous reste. S'il vous plaît, gardez-nous en un peu. C'est le message que je passe par l'intermédiaire de mes pêcheurs qui m'ont demandé de m'investir dans différents groupes, notamment le Conseil canadien des pêcheurs professionnels. Passer le message est très important pour les régions. Laissez-nous respirer un peu. Évitons de concentrer les ressources dans les mains de quelques individus, pour prendre l'exemple de ce qui se passe en Nouvelle- Zélande ou encore dans l'Ouest canadien. Évitons cela si nous voulons maintenir un Canada fort, bien représenté régionalement. C'est le message que j'avais à vous passer.

[Traduction]

M. McCurdy : Je vous remercie. Je vais tenter à la fois d'être bref et de ne pas répéter ce qui a déjà été dit.

En ce qui concerne la question du renouvellement de la politique dont vous avez parlé, à savoir le cadre stratégique du MPO pour la gestion des océans, nous n'avons pas été pressentis directement par le ministère. Nous nous réjouissons de la perspective. Une des questions qui surgiront au cours de ce processus sera, je suppose, la réouverture de la Loi sur les pêches. Je ne serais pas surpris si nous décidions de vous demander l'occasion de comparaître de nouveau devant vous ici, pour solliciter votre aide sur certains points en rapport avec cette question.

Nous nous heurtons ces temps-ci à un problème : les actes de vandalisme commis contre la langue anglaise qu'il faut bien connaître pour se rendre compte de ces actes. En effet, un des nouveaux termes utilisés dans le domaine des pêches ces dernières années est le concept de « meilleure utilisation » des ressources halieutiques. Le terme « meilleure utilisation » semble relativement anodin. Naturellement, on a tous envie de faire la meilleure utilisation de quelque chose. Il est difficile de préconiser le contraire. Cette expression est un code pour signifier un changement des priorités en matière d'allocations. En Colombie-Britannique, on s'est aperçu que c'était un code pour désigner une inversion ou une modification et un remaniement des priorités traditionnelles, quant à savoir qui a accès aux ressources. En particulier, on a attribué au secteur commercial un statut inférieur au secteur récréatif, bien que la pêche commerciale jouisse d'une tradition et d'une histoire riches dans cette province. La meilleure utilisation, c'est ce que le ministère des Pêches et des Océans définit comme étant le moyen le plus convenable d'utiliser la ressource, par opposition à la reconnaissance des critères longuement établis de l'utilisation historique et de la proximité à la ressource, pilier de l'accès aux pêches.

Voilà donc un exemple — ce n'est certes pas le sujet immédiat de votre séance d'aujourd'hui, bien qu'il puisse l'être un jour —, des enjeux découlant de la Loi sur les espèces à risque. On utilise toutes sortes de terminologies en apparence anodines. Il y a eu des cas de stocks de poisson dont on a recommandé l'inscription sur la liste des espèces en péril. En vertu de la Loi, est en péril toute espèce qui est à risque d'extinction ou de disparition imminente, soit d'extinction au Canada. Il y a des espèces dont on a recommandé l'inscription sur la liste des espèces en péril dont il existe des dizaines de millions, voire des centaines de millions dans certains cas, d'individus, mais on en recommande l'inscription tout de même. Il se peut que les niveaux soient inférieurs à ce qu'ils ont déjà été, mais de là à parler de risque imminent de disparition, c'est un peu tiré par les cheveux. C'est pourquoi nous pensons que le processus comporte des déficiences.

Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, le COSEPAC, a dépassé le mandat prévu par la loi, qui est de protéger les espèces en danger de disparition. Le comité est en train de remplacer le MPO, sinon de faire son travail carrément. Il y a la Loi sur les pêches et la Loi sur les espèces en péril, et il y a beaucoup de conflits entre les deux, ce qui cause énormément de maux de tête aux groupes concernés.

J'ai lu quelque part qu'on ne dénombrait plus que moins de 300 spécimens de pédiculaires de Furbish au Canada. J'espère qu'elle continuera d'exister pour les générations futures de Canadiens. Il existe une différence entre les espèces, qu'elles soient végétales ou animales, qui ne sont pas réglementées par une instance quelconque et les espèces qui nagent dans l'océan et qui sont réglementées par un ministère situé au 200 de la rue Kent et qui emploie 11 600 personnes, avec un budget de 1,4 milliard de dollars et une division scientifique qui compte plus de 1 000 employés. Le COSEPAC compte quatre ou cinq membres qui ont une expertise en matière de poisson — et pourtant, c'est lui qui fait ces recommandations dont les conséquences sont à grande échelle. L'interaction entre la Loi sur les espèces en péril et la Loi sur les pêches revêt une importance capitale pour nous, et je comprends qu'elle ne soit pas directement en rapport avec le sujet de votre étude aujourd'hui.

M. Cloutier a évoqué les collectivités côtières, et le président du comité m'a indiqué que tel était l'objet de vos travaux. Nous avons entrepris une enquête approfondie auprès de 1 500 capitaines de bateau et 600 membres d'équipage. De plus, on a tenu des groupes de réflexion et mené des interviews. C'est vous dire que c'est plus de monde que les gens qu'on sonde habituellement sur ce qu'ils pensent du prochain premier ministre, par exemple. Notre sondage a été exhaustif. Une fois ce travail terminé, nous nous ferons un plaisir de faire part au comité des résultats. En fait, nous avons un résumé des résultats sous forme d'un document très bref que nous allons vous laisser ici.

S'agissant de l'impact sur les collectivités côtières, en l'absence du genre de politiques évoquées par M. Cloutier, notamment une politique faisant la distinction entre la flottille et le principe de capitaine-propriétaire, à l'heure actuelle en Colombie-Britannique, 40 p. 100 des permis et des quotas sont détenus pas des gens de Vancouver. Du point de vue purement technique, Vancouver est une collectivité côtière, mais disons qu'elle n'est pas tout à fait tributaire de la pêche. Le nombre de propriétaires de ce genre est à la hausse. Mme Hunt a parlé du désespoir qui règne dans les collectivités côtières, de suicide et ainsi de suite. Les petites collectivités côtières sont en train de s'éroder car elles n'ont pas de raison d'être outre leur relation avec la pêche. Ces collectivités ont de vives inquiétudes à ce sujet.

Nous avons déjà eu des discussions avec votre comité sur certaines de ces questions, et M. Cloutier a fait allusion aux politiques du capitaine-propriétaire et de la séparation de la flottille. Dans le passé, nous avons parlé d'un subterfuge juridique que certains ont trouvé pour subvertir efficacement la politique, à savoir le contrat de fiducie. J'ai été ravi de lire la transcription de l'échange avec le ministre Regan. Le sénateur Mahovlich a abordé ce sujet avec le ministre durant la période des questions. Il y a vraiment péril en la demeure.

Hier, nous avons eu une bonne rencontre avec le ministre sur ce sujet, et on nous a dit que des fonctionnaires y travaillaient. Cela étant, la situation s'érode quotidiennement. Ces subterfuges juridiques sont en train de saper la politique publique.

Permettez-moi de vous donner un bref exemple : la politique d'émission de permis du MPO stipule qu'en cas de décès du détenteur d'un permis, les héritiers disposent d'une période maximale de cinq ans pour prendre les dispositions nécessaires au sujet du permis. Cela donne à la famille suffisamment de temps pour faire son deuil, reprendre le dessus, obtenir des conseils et prendre une décision quant à savoir si elle souhaite confier le permis à un membre de la famille ou le vendre ou le transférer. J'ai lu des contrats de fiducie entre des détenteurs de permis et des sociétés de transformation du poisson en vertu desquels immédiatement après le décès du détenteur du permis, le pouvoir de jouir dudit permis est transféré à la société de transformation. Cela pourrait se faire avant même que les funérailles n'aient lieu. Cela sape complètement la politique publique, et cela fait cinq ans maintenant que nous tournons en rond. Nous commençons à en avoir assez. On devrait nous dire qu'on a changé la politique pour tenir compte de la réalité — ce n'est pas ce que nous recommandons bien entendu. Cela étant, on ne devrait pas prétendre qu'il y a une seule politique sachant très bien que quelque chose de complètement différent se fait en parallèle et se contenter d'imposer processus après processus. Nous avons besoin de changements sans plus tarder.

Il y a des questions qui entourent les possibilités de financement pour les nouveaux entrants et ce qu'il faut faire au sujet des contrats de fiducie existants. Nous avons dit à des représentants du ministère que nous avons là-dessus des idées et les avons invités à nous consulter. Nous leur avons proposé de mettre sur pied un comité mixte, une occasion pour nous de s'asseoir et de travailler sur cette question, mais qu'on le fasse! Dans l'intervalle, qu'on fasse comprendre aux gens clairement que nous n'allons plus tolérer cette pratique. Si les gens pensent qu'ils peuvent se cacher derrière des contrats qui sapent la politique publique, qu'ils sachent à quoi s'en tenir.

En toute justice, il y a certains fonctionnaires du ministère, notamment dans la région du Golfe, qui ont pris position et appliqué la politique en refusant d'honorer les contrats de fiducie. Cela étant, ce n'est pas répandu.

Par ailleurs, il y a la question de la fiscalité. Nous sommes en train de préparer des propositions sur des changements possibles aux politiques fiscales, changements qui permettraient le transfert intergénérationnel. Quand les baby- boomers ne seront plus là, le transfert se fera d'une manière qui n'imposera pas de fardeau d'endettement à la prochaine génération de détenteurs de licence à tel point qu'ils ne pourront plus générer de revenus de la pêche. C'est une question d'ordre fiscal, si on veut, mais nous avons néanmoins quelques idées à cet égard et nous entendons les explorer.

Voilà donc un bref survol de quelques problèmes. Il serait probablement plus utile que j'arrête là-dessus et que nous puissions lancer la discussion.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Vous avez certainement mis en relief la question qui intéresse le comité, à savoir l'effet de tout cela sur les pêcheurs des collectivités côtières.

Comme il y a d'autres membres de la coalition ici présents aujourd'hui, je me demandais si quelqu'un d'autre voulait ajouter quelque chose — peut-être quelque chose spécifique à votre région — ou si vous souhaitiez faire un commentaire; je vous invite à le faire. Préférez-vous intervenir ou attendre qu'on vous pose des questions? Quelqu'un voudrait-il faire un commentaire?

M. Sandy Siegle, Union des pêcheurs des Maritimes, Conseil canadien des pêchers professionnels : Le seul commentaire que je voudrais faire est que nous sommes venus ici il y a quelques années pour vous parler du principe du capitaine-propriétaire. Voilà que nous en parlons encore aujourd'hui, malheureusement, parce que nous n'avons pas pu obtenir satisfaction du ministère des Pêches ni du ministre sur cette question.

Le comité était préoccupé par un sujet en particulier, et vous avez produit un document, que j'ai lu d'ailleurs, sur la privatisation des pêches, soit une question qui nous est très chère. Je représente les pêcheurs de homard côtiers et l'Union des pêcheurs des Maritimes dans l'est du Nouveau-Brunswick.

Le président a mentionné que le comité s'intéressait aux conséquences de la politique publique pour les collectivités de pêcheurs. Pour ma part, je vous dirai une seule chose : il y a péril en la demeure, notamment pour l'organisme que je représente. Bientôt, il sera trop tard pour agir. Cela fait cinq ans que nous discutons de la même chose, à savoir l'effet préjudiciable de la pratique du capitaine-propriétaire sur les collectivités côtières. La privatisation de la ressource, comme l'a dit Mme Hunt, est aussi en train de dévaster les collectivités côtières.

Nous tentons actuellement, à notre propre façon à Terre-Neuve et au Nouveau-Bruswick ainsi que dans diverses localités des côtes Est et Ouest, de réfléchir à des options viables pour trouver de nouveaux moyens de régler les problèmes, options susceptibles d'assurer survie et durabilité aux collectivités. Ce qu'il faut retenir de la discussion d'aujourd'hui, pour revenir au sujet qui vous intéresse et qui nous intéresse aussi, c'est que nous avons besoin du soutien du gouvernement. En effet, nous avons besoin de l'appui de la classe politique et du gouvernement pour être en mesure de concrétiser quelques-unes de ces options.

Nous venons de terminer une étude sectorielle dans le cadre de laquelle 1 500 propriétaires d'entreprises et 600 pêcheurs ont été interviewés. Il s'agit d'une analyse du secteur des pêches la plus à jour au Canada. Un des principaux points qui ressortent de cette étude est que les collectivités côtières éprouvent d'énormes difficultés.

Il va falloir que le gouvernement adopte de nouvelles approches stratégiques à l'instar de ce que font d'autres pays, notamment la Norvège ou les pays de l'Union européenne, pour parvenir à des solutions nouvelles, créatrices et proactives qui permettent la mise en place d'approches communales qui permettent de gérer les questions de l'allocation des pêches et la poursuite des pêches, etc.

C'est un point extrêmement important. Par contre, il ne figure pas parmi les priorités. Peut-être votre comité pourrait-il faire en sorte qu'il devienne une priorité. C'est important, car le créneau se referme. Les pressions évoquées par M. McCurdy sont en train de limiter les options, et pourtant nous continuons de discuter. Il est temps de prendre une action quelconque, et j'espère que la discussion d'aujourd'hui facilitera cela.

M. Rick Nickerson, Union des pêcheurs des Maritimes, Conseil canadien des pêchers professionnels : Je suis du sud-est de la Nouvelle-Écosse, où l'on conclut probablement la plupart des contrats de fiducie. La semaine dernière, nous avons tenu une réunion à laquelle ont assisté 150 pêcheurs, et tous se sont prononcés en faveur du principe de capitaine-propriétaire.

Pour ce qui est des contrats de fiducie, le principal problème auquel fait face le secteur est qu'il n'y a pas moyen pour les nouveaux entrants de se lancer dans le secteur des pêches. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle beaucoup de ces contrats existent. Les pêcheurs croient au principe de capitaine-propriétaire. En effet, 90 p. 100 ont participé à la réunion, et certains d'entre eux étaient signataires de contrats de fiducie. Ils veulent absolument s'en débarrasser de sorte que l'on puisse donner la chance aux nouveaux entrants.

Quant à ce que M. McCurdy et tous les autres ont dit, nous ne participons pas au débat pour résoudre le problème. Nous en avons assez d'entendre les fonctionnaires du MPO nous dire que les pêcheurs ne savent pas ce qu'ils veulent. Quand 80 p. 100 des participants au secteur des pêches le plus lucratif du Canada vous disent « Débarrassez-vous des contrats de fiducie; nous voulons un régime de capitaine-propriétaire », le message peut-il être plus clair? Il n'existe pas de possibilité pour moi ou pour quiconque se trouve à l'âge de la retraite de transférer un permis aux nouveaux entrants. C'est là-dessus que nous avons besoin d'aide.

[Français]

M. Cloutier : J'avais oublié un message très important. On se rappellera qu'il y a quelques années, le ministère a commencé à nous parler de la nécessité de modifier cette vieille loi qui était devenue désuète, inactive et qui ne reflétait pas la réalité de la fin de l'an 2000. Pendant ce temps, les pêcheurs, par l'entremise de leurs organisations de pêcheurs, se sont beaucoup impliqués dans la gestion, dans la conservation et la protection des ressources. Le ministère a des modèles et des ententes de cogestion avec certaines flottilles. Il y en aura d'autres aussi. Certains secteurs entiers s'investissent dans la conservation. On n'a qu'à prendre l'exemple des pêcheurs de homards dans la région des Îles-de- la-Madeleine et de la Gaspésie. Quelques-uns l'ont fait en Nouvelle-Écosse et d'autres le feront bientôt au Nouveau- Brunswick. Différentes initiatives ont été prises par d'autres organisations pour demander au gouvernement d'apporter des modifications profondes quant à l'approche de leur propre gestion, tout cela dans le but de maintenir et de conserver le niveau des ressources tout en les exploitant à des niveaux décents. Si on veut faire une différence entre une pêche totalement privatisée et une basée sur les collectivités, on a qu'à revenir en 1972 lorsque le gouvernement a demandé à la flottille de l'Ouest de passer par le canal de Panama et de venir dans le golfe Saint-Laurent exploiter les stocks vierges de harengs. Après un ou deux ans d'intervention, ces stocks ont pris 25 ans à revenir aux Îles-de-la- Madeleine. Cette flottille a disparu tout bonnement. Elle est retournée en Colombie-Britannique et nous a laissé les problèmes. Pour nous, la privatisation veut dire exploiter à outrance sans tenir compte de la ressource.

C'est très important dans le projet de loi. On dit au gouvernement qu'il n'est peut-être pas nécessaire de modifier la loi en profondeur puisqu'on assiste déjà à des modifications sans avoir à modifier la loi. Les groupes de pêcheurs se sont adaptés. Ils se développent, ont de nouvelles connaissances et les appliquent avec les gestionnaires de Pêches et Océans. Il y a beaucoup de complicité entre les sciences et les pêcheurs. Il est faux de dire qu'il faut une nouvelle loi à tout prix pour tout chambarder et privatiser cette ressource. Vous devez vous rendre compte qu'on a des interventions, on fait des choses.

Je profite de l'occasion pour déposer un mémoire dans les deux langues officielles sur les sentences juridiques que le ministère de la Justice doit commencer à appliquer pour supporter les initiatives des groupes de pêcheurs qui veulent maintenir les ressources à tout prix tout en les exploitant convenablement. Il est du domaine public aujourd'hui puisqu'on l'a déposé auprès du ministre la semaine dernière.

Vous pourrez en prendre connaissance et voir comment évoluent des collectivités à travers le XXIe siècle en voulant maintenir à tout prix leur revenu, leur économie et leur collectivité. Il n'est pas vrai de dire que la loi est vieille et que rien ne se fait. Il y a beaucoup d'activité, il y a beaucoup d'activistes et on doit cela à toutes les organisations. Ce sont les propos que je voulais vous présenter.

[Traduction]

La vice-présidente : Si vous en laissez un exemplaire au greffier, nous en ferons des copies.

M. Keith Paugh, Prince Edward Island Fishermen's Association, Conseil canadien des pêchers professionnels : Nous avons 1 300 pêcheurs désignés à l'Île-du-Prince-Édouard provenant des petites collectivités de la province qui dépendent de la pêche. Je voudrais répéter ce que mes collègues ont dit aujourd'hui au sujet des principes de capitaine- propriétaire et de séparation de la flottille. Nous sommes tout à fait pour, et nous pensons qu'il est impératif d'agir immédiatement. Nous commençons à voir, même à l'Île-du-Prince-Édouard, une érosion dans la politique du capitaine-propriétaire.

Je voudrais dire un mot au sujet du MPO et des compressions faites dans les domaines relatifs à la protection et à la conservation. En effet, il y a eu de nombreuses compressions dans ce domaine, et c'est en train de porter préjudice aux pêches, car les contrôles ne sont plus aussi bons qu'ils devraient l'être.

Le sénateur Adams : Ma question s'adresse à Mme Hunt. Il y a environ quatre ou cinq ans, nous avons finalement commencé à voir un régime de quotas dans l'Arctique, mais le régime n'a pas vraiment bien fonctionné car il n'a pas émané de la collectivité. Tout a commencé avec le Conseil de gestion de la faune au Nunavut, puis le MPO, le NTI et la Nunavut Tunngavik Corporation ont décidé, ensemble, des quotas à attribuer aux gens de la collectivité. Les premiers quotas ont été appliqués au flétan et aux crevettes il y a environ quatre ans. Environ quatre ou cinq collectivités ont réussi à remplir certains quotas, mais des étrangers sont venus acheter le reste des quotas de la collectivité.

Il y a une organisation qui s'appelle la BFC, Baffin Fishery Coalition. Ce serait une bonne idée qu'elle se joigne à vous, car à l'heure actuelle, elle a de la difficulté à résoudre les problèmes auxquels on se heurte au Nunavut puisqu'elle regroupe principalement des gens de l'extérieur du Canada, notamment de l'Europe.

Nous avons eu 4 000 tonnes métriques de flétan dans la zone 0A, et dans la zone 0B, 1 500 tonnes, en plus de 2 500 tonnes de crevettes.

Ces organisations ont de la difficulté avec le MPO. Celui-ci n'avait effectivement aucune politique en place. Dès qu'on a transféré une partie des quotas— et pour ma part, je pensais que les quotas du Nunavut devaient profiter à la collectivité. Pas une livre de ces crevettes ni du flétan n'a contribué à l'économie de ces collectivités.

À un moment donné, nous avons eu des usines de transformation du poisson dans des collectivités côtières, et puis les QIT sont arrivés. Les gens ont alors commencé à vendre leurs quotas, et nous avons ainsi perdu des quotas qui revenaient à la collectivité. Avant les QIT, est-ce qu'il y avait des accords entre vos bandes qui se trouvent sur la côte et le MPO visant à garantir aux pêcheurs autochtones le droit de continuer à pêcher? Y a-t-il un accord entre le MPO et Ottawa?

Mme Hunt : Le paragraphe 35(1) nous garantit le droit de pêcher à des fins alimentaires, sociales et cérémoniales, et ces droits sont souvent exercés sur la côte. Je ne sais pas si c'était la réponse que vous escomptiez.

Je veux ajouter que notre organisation a un siège pour un représentant du Nord, et peut-être pourrions-nous parler plus tard de la manière d'entrer en rapport avec les gens que vous avez mentionnés.

Le sénateur Adams : Dans l'intervalle, pouvez-vous me dire si une partie des quotas auxquels a droit votre organisation a été attribuée par voie de revendication territoriale?

C'est ce que nous avons fait. Nous pensions que nous allions tout contrôler, or nous ne contrôlons rien du tout.

Mme Hunt : Le Traité nisga'a est le seul qui ait fait l'objet d'un règlement en Colombie-Britannique, et là, le programme des pêches a été bien établi. Apparemment, le programme fonctionne bien. Cela étant, aucune autre tribu le long de la côte n'a encore signé d'accord, quoique certaines soient près de le faire.

C'est une question très complexe faisant intervenir 182 bandes en Colombie-Britannique. Toutes les bandes qui vivent en amont du fleuve Fraser sur la côte vont réclamer leur part du gâteau, à l'instar des Nisga'as.

Le sénateur Adams : Il y a quelques années, le quota de saumon a été réduit en Colombie-Britannique. Nous avons parlé à quelques Autochtones de la région qui nous ont dit qu'ils avaient l'équipement et tout ce qu'il fallait, mais que pour une raison quelconque, les quotas avaient été réduits il y a cinq ou six ans. Les gens se plaignaient du fait que le MPO est arrivé et qu'il a mis fin à tout, saisi les filets et ainsi de suite. Je ne sais pas combien de pêcheurs ont souffert de cela.

Depuis, il y a la salmoniculture en Colombie-Britannique, et il en va de même pour la salmoniculture sur la côte Est. La salmoniculture nuit-elle à vos collectivités côtières en Colombie-Britannique?

Mme Hunt : Oui, dans l'archipel Broughton où se trouve mon territoire, il y a plusieurs centres de pisciculture, et cette présence a entièrement anéanti la migration anadrome de saumons roses dans la partie continentale où les alevins passent par des centres de pisciculture. De plus, les centres de pisciculture renferment beaucoup de poux du poisson. La pisciculture et les échappées posent de graves problèmes.

Il y a quelques années, je faisais de la pêche à la senne avec mon père quand nous avons eu une échappée. On a tenté d'en réduire l'ampleur, mais les senneurs ont sorti de l'eau un poisson d'apparence étrange et se sont mis à échanger des plaisanteries par radio en disant « Combien les conditionneurs de San Francisco paient-ils le saumon de l'Atlantique aujourd'hui? » L'exploitant les a payés un dollar la livre. Toutefois, un chercheur scientifique vivant dans la région est allé ce jour-là recueillir des échantillons de tous les bateaux et en les découpant, il s'est rendu compte qu'il y avait effectivement, entre autres choses, des alevins. Dans 14 rivières de l'île de Vancouver, il y a du frai.

Le sénateur Adams : Monsieur McCurdy, j'ai vu une étude sur l'avenir de la pêche commerciale au Nunavut. Vous devez livrer concurrence aux Européens et à d'autres qui ont des quotas et qui viennent pêchez chez nous. Comment fonctionne votre association?

M. McCurdy : Je ne connais pas tous les détails du secteur des pêches au Nunavut, mais je crois comprendre les enjeux généraux. Premièrement, il y a l'absence de règles claires régissant l'accès aux ressources. En l'absence de règles de priorité bien comprises, on laisse le champ libre à la course au profit. On a toujours eu l'impression — et les habitants du Labrador en ont vécu l'expérience pendant des années, sinon des générations — que les habitants du Sud pouvaient profiter des ressources du Nord et qu'il n'y avait pas, pour les habitants du Nord, ce genre de priorité, comme on aurait pu l'espérer.

En ce qui concerne le régime des QIT, si les quotas sont attribués à des intérêts privés — par exemple, si une société privée au Nunavut dispose d'un quota, une fois le quota attribué, ladite société peut en faire ce que bon lui semble. Quelqu'un du Sud pourrait arriver et faire une offre à la société privée qu'elle ne pourra pas refuser. À partir de là, le quota en question est exploité pour le compte des habitants de la région d'où l'acheteur est originaire, plutôt que les habitants de la région censés au départ profiter de sa proximité à la ressource.

Mon avis personnel sur les QIT est qu'on devrait contrôler les quotas attribués à des entreprises. On pourrait le faire sous forme de vérifications périodiques, mais il faut que l'utilisateur de la ressource assume une partie du fardeau et qu'il indique que l'usage qu'il en fait va dans le sens de l'intérêt général. Pour le moment, cet élément fait défaut. On ne devrait pas pouvoir tout acheter et vendre à la bourse de Toronto. Les droits de pêche devraient être considérés comme un héritage appartenant aux habitants des zones côtières et non pas comme une marchandise comme des options sur des contrats à terme de flancs de porc ou quelque chose du genre.

Le sénateur Watt : Je vais mettre l'accent sur un point que vous avez soulevé et que je pense avoir compris. Les choses sont en train de vous filer entre les doigts, si j'ai bien compris votre propos — et je pense au travail effectué par le ministère des Pêches et des Océans. Vous aimeriez que notre comité vous aide à établir un groupe de travail qui comprendrait des représentants de votre groupe et du MPO pour commencer à gérer la question à partir d'un point de vue qui ne serait pas forcément celui des objectifs du MPO; autrement dit, le MPO voudrait s'occuper de la question mais seulement si elle est viable sur le plan économique. C'est l'argument qu'on utilise au ministère, à savoir la conservation et la viabilité économique. Or les deux objectifs ne cadrent pas très bien à mon avis. Cela étant, le fait est qu'on s'éloigne de l'approche axée sur la collectivité, et c'est l'une des raisons pour lesquelles vous estimez que les collectivités ont besoin d'être relevées, et qu'on comprenne que celles-ci sont à la base de tout. C'est ce sur quoi on devrait mettre l'accent.

Vous souhaitez élaborer un mécanisme qui vous permette d'insister sur ce point directement auprès du MPO. En d'autres termes, ce que vous dites est que si le ministère veut abonder dans un sens qui s'éloigne des activités traditionnelles, où les collectivités sont perçues comme étant la base la plus importante, plutôt que de se contenter de voir la question des permis à travers le seul prisme de la viabilité économique — cette nouvelle orientation est en train d'imposer un lourd fardeau aux collectivités. Nous n'avons aucune idée de ce qui adviendra de ces gens qui vont perdre leur emploi et leur secteur, ni des fermetures et je ne sais quoi d'autre. Je ne pense pas que le gouvernement ait un plan clair qui lui permet de trouver une solution de rechange. Qu'adviendra-t-il de ces gens? Deviendront-ils des bénéficiaires de l'aide sociale après l'effondrement de leur secteur?

Si j'ai bien compris votre propos, vous voulez qu'on intervienne avant qu'il ne soit trop tard —, mais vous estimez qu'il est déjà trop tard. À mon avis, le concept de la privatisation, ce changement d'orientation au profit de la solution de la viabilité économique, a commencé à prendre forme en 1982. Nous sommes en 2005 maintenant.

Je suis surpris de vous entendre vous, qui êtes membres de cette communauté, me dire que vous n'avez pas été en mesure de faire des progrès et de convaincre le MPO de mettre l'accent sur ce sur quoi vous insistez. La responsabilité de notre comité est de prendre ce que vous nous dites au sérieux et de voir s'il est possible de parvenir à une solution avant qu'il ne soit trop tard, car chaque jour compte. Le ministère prend des mesures pratiquement tous les jours, et vous commencez déjà à en ressentir les effets dans vos collectivités. Il y a péril en la demeure, si j'ai bien compris votre position.

Êtes-vous en train de nous dire que, plutôt que de poursuivre notre étude sur cette question, il est temps que nous produisions un rapport provisoire? Est-ce cela que vous avez à l'esprit, que notre comité agisse avec célérité dans l'espoir que notre rapport aura un impact sur le MPO et que celui-ci reconnaîtra votre rôle et créera un groupe de travail? Est-ce que c'est cela que vous escomptez?

M. McCurdy : Le groupe de travail auquel j'ai fait allusion se rapportait spécifiquement à la question des contrats de fiducie et au fait que ceux-ci contribuent à saper une politique publique clairement énoncée. Les gens utilisent les arguments de la viabilité économique pour plaider une cause en particulier, mais majorer le prix des permis au-delà de ce que les pêcheurs peuvent payer et retirer à ceux-ci le contrôle au profit des sociétés de transformation, je ne vois pas en quoi cela assure la viabilité économique; dans bien des cas, c'est un argument bidon. Plusieurs organismes ont proposé des idées et des plans sur la manière de composer avec les circonstances, soit le déclin des ressources existantes, et suggéré des approches très novatrices. Il s'agit simplement de les examiner.

Toutefois, la question des contrats de fiducie qui, en réalité, ne font que contourner la politique sur la séparation de la flottille nécessite une action urgente et tout ce que le comité pourra faire pour mettre ce point en relief sera fortement apprécié. La question a été longuement débattue, et jour après jour, les choses empirent inutilement. Certains détails exigent plus de temps, mais nous demandons simplement à prendre part à l'examen de ces détails, car nous avons des idées à proposer. Après tout, c'est nous qui sommes obligés de vivre avec les conséquences.

J'espère que l'on pourra faire quelque chose rapidement, car on ne peut pas ne rien faire. L'inaction fait en sorte que l'autorité du gouvernement est constamment minée, comme c'est le cas à l'heure actuelle.

Mme Hunt : Sur la côte Ouest, il est extrêmement urgent que le MPO reconnaisse la récente décision concernant les Haidas et les Tlingits de la rivière Taku pour ce qui touche à la consultation. Ce n'est pas encore chose faite, d'après ce qu'a écrit un des chefs d'Alert Bay. Nous voulons un moratoire sur la mise en œuvre du système des quotas qui s'appliquerait jusqu'à ce qu'une étude sur les conséquences socio-économiques pour les collectivités côtières soit faite. La situation est urgente sur la côte Ouest.

M. Siegel : Les questions que vous nous avez posées m'ont rappelé la dernière fois que nous sommes venus témoigner devant vous — c'était il y a deux ans, je crois. Nous avions alors lu un extrait d'un précédent rapport du conseil, qui soulignait que la politique du propriétaire-exploitant et celle de la séparation des flottilles étaient parmi ce que l'on avait fait de mieux. Ces politiques étaient le fait de Roméo LeBlanc qui les avait instaurées à la fin des années 70. Il s'agissait d'un des meilleurs mécanismes pour assurer l'équité et pour faire en sorte que les avantages socio- économiques de la pêche reviennent aux collectivités — je sais que vous vous intéressez tout particulièrement aux collectivités; c'est notre cas aussi.

Nous disons essentiellement la même chose dans l'étude que nous allons publier prochainement. Les politiques du propriétaire-exploitant et de séparation des flottilles sont un élément clé pour résoudre la crise que vivent les collectivités côtières, car c'est ce qui permettra d'assurer l'équité et de faire en sorte que les ressources demeurent la propriété des collectivités au lieu qu'elles leur échappent au profit de quelqu'un d'autre. Si nous avons vraiment à cœur la survie de nos collectivités — c'est ce que nous voulons tous —, cette inaction dans le dossier du propriétaire- exploitant et de la séparation des flottilles est extrêmement dangereuse.

Le ministère signale qu'il y a un problème, mais il ne fait rien pour le résoudre. On s'empresse de signer quantité d'accords de fiducie, parce qu'on sait ce qui s'en vient. La centralisation et la concentration de la ressource continuent à prendre de l'ampleur, alors même que le MPO s'apprête à intervenir, ce qui n'est pas encore chose faite. Aussi le sol est en train de s'affaisser sous nos pieds.

Si nous tenons vraiment à assurer la survie des collectivités côtières, il faut agir du côté de ces deux politiques, et votre comité doit nous aider. Nous pouvons faire toutes les études que nous voulons et créer toutes les commissions que nous voulons, mais si nous n'agissons pas de ce côté-là, il ne restera plus rien avec quoi travailler. Ce qui restera ne sera pas suffisant pour faire quelque différence que ce soit quand nous aurons finalement trouvé les solutions qui pourraient assurer la viabilité du mode de vie communautaire.

L'intérêt collectif est tout aussi valable et réel que l'intérêt privé, mais pour le protéger, il faut du temps, de l'énergie, des modèles, des approches, des rencontres entre gouvernements, entre ministères, entre les provinces et le gouvernement fédéral. Il faut absolument que nous tournions notre attention vers cette crise qui frappe les collectivités côtières et que nous trouvions un moyen de la résoudre. Que la tâche soit confiée à un groupe de travail fédéral ou à un groupe provincial — c'est sans doute là une des recommandations que nous ferons dans notre étude —, ce qu'il faut pour résoudre le problème, c'est une démarche concertée. Sinon, les répercussions sociales seront désastreuses; elles se produiront lentement au début, puis elles prendront de l'ampleur, et nous aurons alors une véritable crise sur les bras. J'espère que nous n'en arriverons pas là. Il nous faut faire quelque chose de différent.

Pour ce qui est de ce que nous vous demandons de faire, eh bien, nous vous demandons de nous aider à amener le ministère et le ministre à passer à l'action. Deuxièmement, examinons ensemble ce que nous allons faire pour les collectivités côtières. Il faudra une démarche multipartite, sinon ce sera simplement les Pêches ou la Chambre des communes ou le Sénat. Nous allons devoir travailler ensemble.

[Français]

M. Cloutier : Nous croyons même qu'il y a un agenda caché à la nouvelle politique des pêches que veut mettre en place le ministre. Cet agenda est le fruit, évidemment, du lobbyisme qu'ont exercé les grandes sociétés sur le ministère. L'enjeu fondamental est l'accès à la ressource. Dès que l'accès à la ressource sera confirmé par les grandes industries, il n'y aura plus de petits pêcheurs, plus de pêcheurs côtiers. Nous devons protéger l'accès à la ressource pour les collectivités avec les deux principes énumérés tout à l'heure, soit le principe du capitaine-propriétaire opérant son bateau et le principe de la séparation de la flotte. C'est l'enjeu fondamental de la modification de la loi. D'un côté, il y a énormément de pression pour privatiser la ressource et donner accès à la ressource aux grandes industries et de notre côté, nous disons qu'on ne va pas dans le bon chemin. C'est là où se situe tout le débat.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Monsieur Cloutier, vous donnez l'impression qu'en Gaspésie, le secteur du homard est contrôlé et surveillé, que l'industrie fait ce qu'elle est censée faire et que tout va très bien, est-ce que je me trompe?

[Français]

M. Cloutier : Les stocks de homard sont relativement stables d'une année à l'autre. Je représente des pêcheurs qui gagnent, par bateau de pêche, 70 000 $ par saison. Ce ne sont pas des revenus énormes, mais ce sont des revenus stables qui sont redistribués dans les collectivités. C'est exact de dire que notre modèle fonctionne puisque les pêcheurs eux- mêmes s'investissent dans la gestion, dans la protection des ressources et dans la conservation. C'est un modèle social intéressant.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Est-ce que les collectivités s'en tirent bien? Les gens sont-ils heureux?

[Français]

M. Cloutier : Évidemment, nous en voudrions toujours un peu plus, mais les collectivités sont satisfaites du fait qu'elles réussissent à maintenir le tissu social et économique de la localité. Dans une localité où il y a 200 personnes et où il y en a 50 qui gagnent leur vie de la pêche, c'est très important de maintenir cela. À défaut d'avoir mieux, oui, les collectivités sont satisfaites.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Vous avez parlé de la Nouvelle-Zélande et du système qui existe là-bas. Pensez-vous que les Néo-Zélandais ont actuellement des problèmes ou pouvons-nous en toute bonne conscience nous comparer aux Néo- Zélandais étant donné que nous avons beaucoup plus de communautés qu'eux?

[Français]

M. Cloutier : Oui, strictement dans le sens où le modèle de la privatisation des ressources que tente d'implanter le gouvernement canadien est un modèle qui vient de la Nouvelle-Zélande où il y a beaucoup de communautés qui souffrent du fait qu'on a privatisé la ressource. D'ailleurs, nous avons ce même modèle dans l'Ouest canadien où des gens peuvent témoigner de l'effet de ce modèle sur les collectivités. C'est simple, il faut voir comment cela se passe. Tranquillement, on s'aperçoit que le nombre de collectivités et d'intervenants en pêche diminue au profit des corporations. C'est le modèle actuel de la Nouvelle-Zélande.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Est-ce que votre secteur est patrouillé par la Garde côtière?

[Français]

M. Cloutier : Oui, mais du fait que les budgets octroyés à la garde côtière sont très bas, nous les voyons très peu, si ce n'est qu'en cas de catastrophe.

Présentement, au niveau du contrôle de la ressource, c'est une section du ministère des Pêches et des Océans qu'on appelle « protection ». Là aussi les budgets sont réduits. L'autre mandat du ministre des Pêches et des Océans est de diminuer l'ampleur de ses dépenses. Nous assistons à des disparitions de postes au niveau de la protection. D'ailleurs, c'est pour cette raison que les pêcheurs innovent en s'impliquant davantage dans la protection par différents projets.

En fait, on doit remplacer le rôle du ministre puisque son budget est constamment coupé par le gouvernement. Ce n'est pas le privé qui pourra le faire. Ce sont les collectivités qui jouent ce rôle en se disciplinant, en s'autogérant et en s'autocontrôlant. Nous ne retrouvons pas cela dans le modèle de la privatisation parce que ce dernier est un modèle où l'argent est vite fait et bien fait.

[Traduction]

Je voudrais vous poser une question à propos de la côte Ouest et du contrôle qui y est effectué par la Garde côtière. Êtes-vous content de leurs services?

M. John Sutcliffe, directeur exécutif, Conseil canadien des pêcheurs professionnels : On me demande de répondre à cette question, mais j'en suis incapable. Cela fait trois ans que j'ai quitté la côte Ouest. Je travaille maintenant pour le Conseil canadien. Cela dit, j'ai pêché pendant 30 ans sur la côte Ouest mais, pour répondre à votre question, sénateur, je n'ai pas de données récentes à ce sujet. Je ne suis plus associé à cette pêcherie, si ce n'est que je lis et suis toujours avec beaucoup d'intérêt ce qui se passe au sujet de la privatisation de cette pêcherie, chose que je comprends fort bien.

M. McCurdy : Je voudrais dire un mot au sujet de la question du contrôle, parce qu'elle est essentielle. Depuis plusieurs années déjà, les Canadiens se plaisent beaucoup à parler de la réduction de la taille de l'État et à encourager ce genre de choses. C'est devenu comme un leitmotiv.

À l'origine, il était bien certain qu'il y avait du gras à couper, mais après un certain temps, il est devenu impossible d'aller plus loin faute de conséquences inévitables au niveau des services offerts. Depuis 10 ans, le budget de Pêches et Océans a sans cesse été réduit, de sorte que les activités essentielles de conservation et de contrôle effectuées par le ministère ont été sévèrement limitées. Le ministère n'a plus les moyens de faire le travail nécessaire parce qu'il est manifestement devenu impossible de couvrir les moindres coins et recoins. Par contre, il faut toujours qu'il y ait un niveau minimum de présence pour assurer le contrôle nécessaire. Il n'y a pas non plus de policiers à chaque borne kilométrique de l'autoroute transcanadienne, mais on en voit ici et là, suffisamment pour vous dissuader de rouler trop vite. Il faut une certaine dose de contrôle, mais les priorités en matière de contrôle et de conservation ont été dégradées par la réduction progressive des ressources du ministère, ce qui, dans certains cas, a amené celui-ci à répercuter une partie des frais sur les gens de l'industrie, ce que nous représentons par exemple.

Le sénateur Mahovlich : Quelqu'un a dit qu'on avait trouvé des spécimens de saumon de l'Atlantique dans 14 des cours d'eau de la côte de la Colombie-Britannique. Est-ce vrai?

Mme Hunt : Effectivement, sur la côte est de l'Île de Vancouver, on a trouvé des spécimens de saumon de l'Atlantique qui allaient frayer dans 14 cours d'eau.

Le sénateur Mahovlich : Y a-t-il des universités qui font des études à ce sujet et qui envoient des gens sur place pour faire des prélèvements?

Mme Hunt : La station biologique du Pacifique à Nanaimo, qui fait partie du ministère des Pêches et des Océans, travaille un peu là-dessus, de même que le ministère provincial des Pêches.

Le sénateur Watt : Je voudrais revenir encore une fois au même sujet. À votre connaissance, a-t-on tenté, dans les localités côtières, d'envisager la possibilité de contrer ce que fait actuellement le ministère lorsqu'il dit qu'il veut axer son effort sur la viabilité économique — faire passer cela à la collectivité? Quelqu'un a-t-il étudié les chiffres et s'est-il demandé ce qui se passerait si la collectivité prenait le relais? Quelqu'un a-t-il étudié la viabilité économique de la chose pour déterminer ce qui se passerait dans ces localités? Et dans la négative, cela serait-il important pour vous?

Vous allez axer votre attention sur une ou deux choses au lieu de parler de plusieurs problèmes différents — en d'autres termes, concentrer votre attention — et c'est ce qu'il faut faire si vous voulez avoir un impact. C'est comme cela que je vois les choses.

[Français]

M. Cloutier : Oui, le ministère des Pêche et des Océans fait une étude socio économique sur près de 40 p. 100 de l'ensemble des pêcheurs de tout l'Atlantique. C'est beaucoup de monde. Nous devrions avoir les résultats de cette étude l'automne prochain. Par contre, quand nous disons que nous voulons rendre les pêches viables, cela ne veut pas nécessairement dire que nous voulions qu'il ne reste qu'un pêcheur pour que ce soit viable.

Présentement, dans le sud de la Gaspésie, compte tenu des revenus que nous avons par entreprise de pêche, nous avons mis en place un mécanisme, un projet de restructuration de la pêche côtière, qui consiste à vouloir diminuer le nombre de pêcheur par un processus d'attrition. On achète le permis des pêcheurs qui se retirent. Nous voulons rendre les collectivités et les pêches viables. Cependant, il y a une différence entre 100 pêcheurs et un pêcheur. C'est cela que nous voulons éviter.

[Traduction]

M. Siegel : Dans la même veine que M. Cloutier, nous devons prendre l'initiative. Il faut de nouvelles options. Le ministère des Pêches et le gouvernement canadien ont stipulé, il y a environ deux ans, et je pense que vous le savez sans doute, que pour les pêcheurs non traditionnels, non pas les flottes classiques, les pêcheurs côtiers, la pêche au crabe des neiges allait nécessiter de leur part des plans de rationalisation, surtout dans le cas de la pêche au homard qui va moins bien que d'autres secteurs. Le ministère prétend qu'il y a trop de pêcheurs —ici encore, c'est un modèle économique — et il faut donc rationaliser, se débarrasser de la moitié d'entre eux, afin que le reste devienne viable. Pour pouvoir pêcher du crabe des neiges pour nos membres, et je parle ici de l'aspect politique de ce combat, nous avons dû accepter, et c'est ce que nous avons fait, de rationaliser nos plans, en d'autres termes trouver le moyen de nous attaquer aux problèmes dont nos pêcheries sont victimes et utiliser le crabe des neige dans ce contexte.

Nous sommes tous en cause ici, que ce soit au Québec ou au Nouveau-Brunswick ou encore dans le golfe ou à Terre- Neuve. La rationalisation est à l'ordre du jour. Par contre, nous avons essayé — et vous devriez faire un tour de table à ce sujet. Il y a toute une variété de plans dans lesquels nous attaquons les problèmes qui grèvent nos ressources et la demande de rationalisation — ce qui veut dire réduire le nombre de pêcheurs — pour transformer cela en plans de développement, en faisant en sorte que la rationalisation entraîne la viabilité de nos collectivités en faisant en sorte qu'elles investissent dans les projets, dans le développement et dans la diversification. Peut-être allons-nous faire disparaître quelques pêcheurs plus vieux — cela aussi est nécessaire, nous ne prétendons pas le contraire — afin de réduire les flottilles dans telle ou telle région, mais en même temps, nous allons diversifier la pêcherie afin de pouvoir créer de l'emploi dans les collectivités et assurer par là leur viabilité au lieu de les voir se dégrader et se marginaliser.

Cela est simplement pour dire que nous attaquons le problème et qu'il y a sur la table un certain nombre de solutions, de façons de procéder au niveau communautaire pour assurer la viabilité. Pour nous, c'est quelque chose de très réel.

Le sénateur Watt : J'imagine que cela vaudrait aussi pour les Premières nations de la Colombie-Britannique. Selon votre vision des choses, c'est la viabilité de la collectivité qui est l'élément le plus important. Vous avez parlé de ce que nous pourrions faire pour imposer un moratoire — c'est-à-dire arrêter le processus — afin de nous donner le temps nécessaire pour nous renseigner au sujet de ce dont vous nous avez parlé. Ce sont là les éléments clés.

Si nous persistons à parler de la foule de problèmes découlant de la relation entre le ministère et les pêcheurs, si nous nous laissons engluer dans les questions techniques, je crains qu'en fin de compte nous nous retrouvions perdants. C'est pour cette raison que je propose de regarder plutôt le tableau d'ensemble afin de voir ce que nous pourrions faire. Le comité pourrait peut-être s'en saisir dans l'urgence, dans l'espoir que nous puissions arriver à la conclusion qu'il faut produire un rapport provisoire dans les meilleurs délais possible.

M. Sutcliffe : Je vous écoute et je suis frappé par la différence entre les deux côtes. Il s'agit ici d'un agenda piloté par le ministère dans la région du Pacifique, un agenda qui a pour but d'assurer à toute vapeur la mise en œuvre, sous une forme ou une autre, d'un régime de quotas pour la pêche au saumon. Je serais ravi de passer à cela, mais alors nous dirions qu'il faut ralentir un peu les choses, ralentir les choses, procéder aux consultations réclamées par Mme Hunt et son peuple et, d'ailleurs aussi, par toute l'industrie, dans toutes les collectivités côtières, et sortir de cet atelier, et cela vaut pour le monde de la recherche aussi, au ralenti.

Du côté de l'Atlantique, c'est tout le contraire, il faut se presser de contrer la dégradation incessante et rapide de nos conditions et de celles de nos collectivités et faire valoir les accords de fiducie.

La vice-présidente : M. McCurdy nous a dit que les pêcheurs interprétaient différemment les codes, et une de ces interprétations parlait de la meilleure utilisation possible des pêcheries. Je voudrais vous demander si, dans ce que je vais vous lire, il y a un code qui devrait appeler notre attention.

Je vous lis un extrait du cadre stratégique du ministère daté de mars 2004. On y lit en partie ceci : « Le passage de la gestion directive à la gérance partagée suppose aussi que le rôle de Pêches et Océans Canada évoluera au fil du temps pour passer de la gestion courante des flottilles et des activités de pêche à un rôle davantage axé sur l'élaboration de politiques, l'établissement d'une orientation stratégique et l'évaluation du rendement. Afin de réaliser pleinement ces objectifs, certaines responsabilités de gestion des pêches seront déléguées aux utilisateurs de la ressource. »

J'aimerais savoir si, dans vos réunions, vous parlez aussi de gérance partagée et ce que cette expression signifie pour vous.

M. McCurdy : Effectivement, ce texte m'est très familier et il y a là un code parce que certaines des responsabilités que le ministère se propose de déléguer sont notamment la responsabilité de payer pour les services. Dans une certaine mesure, l'intérêt que le ministère manifeste depuis plusieurs années envers le partenariat ou la cogestion dépend beaucoup de ce dont je vous ai déjà parlé, c'est-à-dire de la disparition des ressources données au ministère pour faire certaines choses. En règle générale, lorsqu'on se cherche un partenaire commercial, c'est un bailleur de fonds qu'on veut. Cela était assurément un des éléments de l'équation.

Il pourrait y avoir une véritable coopération entre le ministère et les utilisateurs de la ressource, une coopération qui permettrait d'améliorer le sort de l'un et des autres et d'améliorer la gestion. C'est ce qu'on appelait jadis parfois l'attitude du papa qui a toujours raison, c'est-à-dire que les gens d'Ottawa savaient vraiment la meilleure chose à faire et disaient aux pêcheurs d'emboîter le pas alors même que ces derniers avaient leur propre opinion sur la question.

Chez nous à Terre-Neuve, des pêcheurs ont organisé une manifestation le long de la route transcanadienne parce qu'à leur avis, les quotas qui avaient été calculés pour la morue étaient trop élevés et que cela risquait de mettre la ressource en danger. Cela, c'était il y a près de quinze ans. À l'époque, les milieux scientifiques et les milieux administratifs avaient dit que la ressource pouvait être exploitée à un niveau jugé beaucoup trop élevé par les pêcheurs. Un an et quelque plus tard, la pêche à la morue allait être totalement fermée. Elle fut fermée et elle resta fermée pendant trois ou quatre ans et maintenant, progressivement, elle redevient une petite pêcherie.

Mais depuis lors, la situation s'est inversée. Ce que les pêcheurs savent par expérience — parce ce sont eux qui ont la relation la plus intime avec la ressource, car ils la voient, ils la sentent, ils la touchent, ils sentent le vent, ils regardent les nuages, ils surveillent les marées, ils ont toutes ces traditions qu'ils ont perpétuées — cette expérience les porte à procéder à leurs propres évaluations. Et il est certain qu'il faut améliorer les échanges entre les deux milieux.

Il y a des cas qui, petit à petit, viennent à être connus, où c'est précisément cela qui se passe, tout dépendant bien sûr du niveau d'activité de la personne compétente au ministère et de son interlocuteur dans la pêcherie, des cas où il y a un genre d'interaction. Mais il y en a d'autres aussi où la vieille attitude de papa qui a toujours raison s'est perpétuée.

Même avec les ressources qui existaient à la belle époque, ces gens-là n'étaient pas là sur le terrain, ils ne touchaient pas le poisson — on avait tendance à dépendre à l'excès des modèles informatiques, des modèles mathématiques et des calculs les plus divers, avec des extrants modulés par des intrants très subjectifs, sans aucune possibilité de corroboration sur le terrain. Pour moi, évaluer l'importance d'un stock de poisson tient plus de l'art que de la science, et peut-être qu'on fait trop confiance à la science pour nous dire combien il y a de poissons dans la mer. En fait, nous l'ignorons, tout le monde l'ignore. Au mieux, on peut arriver à une approximation grossière permettant de dire si le stock augmente, s'il diminue ou s'il diffère de ce qu'il était l'année d'avant. Même dans le meilleur des cas, c'est extrêmement périlleux. La nature change, les courants changent, la température de l'eau change, et tous ces éléments peuvent avoir un impact énorme. Il y a d'autres facteurs aussi comme l'interaction entre les différentes espèces et l'impact des ventes sur les stocks. Il y a une foule de facteurs qui entrent en ligne de compte.

C'est un secteur très complexe, et personne ne devrait avoir l'arrogance de croire qu'il connaît la réponse. Au mieux, on peut dire : « Nous pensons que les choses sont meilleures ou pires; il faut ajuster notre tir » - ou quelque chose du genre. J'espère que nous allons pouvoir changer toute l'approche.

J'ai entendu un commentaire intéressant lors d'une réunion où on discutait d'un sujet connexe. Un scientifique a dit à un autre, en parlant de qui aurait le dernier mot dans ce genre de situation : « C'était nous autrefois, mais ce n'est plus le cas. Nous sommes maintenant dans deux camps distincts. » Je ne sais pas s'il a raison, mais les pêcheurs voient et connaissent des choses dont on devrait tenir compte en évaluant la ressource. On pourrait apporter des améliorations à ce niveau-là.

La vice-présidente : Vous nous avez fait une belle description des pêcheurs, ceux qui vont en mer, qui font le travail, qui manipulent les poissons et qui pêchent. Le comité croit que c'est une sorte de pêche qui pourra se maintenir et qui sera aussi conviviale. C'est un mode de vie qui garantira des collectivités saines, des familles heureuses et un gagne-pain assuré, tout en assurant un avenir aux jeunes pêcheurs que nous espérons éventuellement attirer.

Au nom du comité, je tiens à vous remercier d'être venus de tous les coins du pays, pour nous faire part de votre expertise et de vos connaissances. Vos propos ont été des plus utiles. Nous ne pouvons que vous souhaiter la meilleure des chances dans le travail que vous faites, et nous vous sommes très reconnaissants de l'aide que vous nous avez offerte. Nous nous intéressons vivement à la position que vous avez adoptée.

Encore une fois, merci. Bon séjour à Ottawa, et bon retour. Monsieur Paugh, n'oubliez pas de saluer les gens de l'île, de ma part.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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