Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 4 - Témoignages du 8 mars 2005
OTTAWA, le mardi 8 mars 2005
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui à 19 h 10 pour examiner, pour en faire rapport, les questions relatives au nouveau cadre stratégique en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada.
Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bienvenue à tous. Honorables sénateurs, en octobre 2004, le Sénat a donné au comité un ordre de renvoi pour examiner les questions relatives au nouveau cadre stratégique du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans.
[Traduction]
Ce soir, le comité reçoit des représentants de la Area 23 Snow Crab Fishermen's Association. M. Gordon MacDonald en est le directeur général et M. Fred Kennedy est expert-conseil. L'Association désire nous donner son point de vue sur certaines des difficultés de la pêche au crabe des neiges dans l'est de la Nouvelle-Écosse, dont nous connaissons tous l'extrême importance. Nous porterons une oreille attentive à votre exposé préliminaire, après quoi nous passerons aux questions et réponses. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue au nom de mes collègues. Je n'ai aucun doute que nous passerons une soirée fort intéressante. Nous vous écoutons.
M. Gordon MacDonald, directeur général, Area 23 Snow Crab Fishermen's Association : Merci, monsieur le président. Je me nomme Gordon MacDonald. Je vais tout d'abord, si vous me le permettez, vous donner un bref historique. Je suis pêcheur. Je pêche le crabe des neiges depuis 1979, à bord du bateau de mon oncle, qui m'a transféré son permis depuis. À mes débuts, j'allais encore à l'école. J'ai tant appris de la pêche que j'ai réussi à obtenir un baccalauréat en sciences, avec double spécialisation en biologie et en chimie, ainsi qu'une maîtrise en sciences de l'Université de Waterloo.
Mon oncle, un grand sage, m'a convaincu de retourner à la pêche parce que, croyait-il, tout ce savoir scientifique conjugué à la connaissance de la pêche ferait un mélange de grande valeur. Ce soir, tout ce que je vous dirai sera en quelque sorte issu de mes connaissances « des deux mondes ».
La première page du document que nous vous avons remis donne une liste des zones de pêche au crabe, les ZPC. Nous pêchons dans la ZPC 23, au large du secteur est de la Nouvelle-Écosse. Il peut nous arriver de faire référence aux ZPC 17 et 16, situées dans l'estuaire du Saint-Laurent, ou à la ZPC 12, la grande zone de pêche au crabe des neiges dans le golfe du Saint-Laurent.
Comme toutes les autres pêches, la pêche au crabe des neiges dans l'est de la Nouvelle-Écosse a débuté à la fin des années 1970. Actuellement, pour l'ensemble du secteur est de la Nouvelle-Écosse, on compte environ 100 entreprises de pêche, 300 capitaines et leur équipage et, depuis l'explosion de la biomasse, environ 650 pêcheurs principaux — ou désignés — non-titulaires de permis participent également à la pêche. Je vous signale une petite erreur dans le mémoire : la pêche a été exercée dans un contexte concurrentiel pendant 15 ans, non pas pendant 25 ans. La pêche a été exercée sur une base concurrentielle jusqu'en 1994.
Les débuts et la croissance de ce secteur remontent à la fin des années 70 et au début des années 80, mais le déclin a commencé vers 1985. Même les scientifiques pensaient que les stocks avaient été épuisés. La pêche a cependant rebondi au début des années 1990. Grâce à l'activité de pêche en Alaska, le crabe est devenu très populaire et les prix ont monté en flèche. Au début des années 1990, l'attrait du gain a provoqué un accroissement sans précédent de l'effort, à un point tel que les pêcheurs redoutaient un effondrement qui nous ramènerait au même point qu'au milieu qu'en 1985. Nous nous sommes mobilisés pour prévenir la catastrophe. Nous avons demandé au ministère des Pêches et des Océans, le MPO, d'attribuer des quotas individuels, ce qui a été fait en 1994, afin de limiter les captures à un niveau permettant le maintien de la pêche. C'était le début de l'intendance de la ressource, sur laquelle nous reviendrons.
Bien entendu, au milieu des années 1990, dès que les quotas individuels ont été attribués, on a demandé aux sciences d'estimer l'état de la ressource et de fixer des quotas en conséquence. Auparavant, la pêche se faisait sur une base concurrentielle mais, quand les sciences ont produit des données fondées sur les prises par unité d'effort, soit la quantité de crabes capturés par casier levé, il a été établi que les stocks déclinaient. Ce n'était pourtant pas l'avis des pêcheurs. On nous présentait les résultats d'une méthode scientifique, le relevé au chalut, mais un navire de pêche permet en quelque sorte de faire une biopsie des fonds marins. Un échantillon est prélevé et on fait le décompte des crabes. À cette époque, des modèles mathématiques étaient utilisés pour estimer la biomasse. En tout, les pêcheurs permanents ont investi un peu plus de 250 000 $ pour améliorer les instruments scientifiques d'évaluation. Quand le relevé au chalut a été refait en 1997, les scientifiques ont réalisé que les stocks dépassaient de loin les estimations faites à partir des données sur les prises par unité d'effort. C'était le premier signe d'une croissance importante des stocks. Cependant, la méthode du relevé au chalut telle qu'elle était pratiquée était loin d'être parfaite. Dans la zone 12 du golfe du Saint-Laurent, où les échantillons avaient été prélevés, le fond vaseux est lisse, alors que le plateau à l'est de la Nouvelle-Écosse est constitué de falaises, de vallées et de trous boueux. Dans cette région, le fond est très accidenté. Il a donc fallu attendre l'année 2000 pour que les scientifiques jugent leurs données assez fiables pour autoriser l'augmentation des quotas. Nous y reviendrons.
La pêche a connu un tel essor que le MPO a ouvert la porte à des pêcheurs sans permis sur une base temporaire. Ces nouveaux venus sont tous des pêcheurs principaux titulaires d'un permis et qui possèdent une entreprise importante dans un autre secteur que la pêche au crabe des neiges. Cette décision mettait un terme à la Stratégie du poisson de fond de l'Atlantique, le programme LSPA. Une stratégie de conservation du homard a été adoptée en 1995, après la tenue du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, le CCRH. À ce moment, tout le monde parlait de la nécessité de partager la richesse dans toute l'industrie de la pêche, et le meilleur moyen d'y parvenir était de morceler l'accès. La Gestion des pêches a continué d'autoriser des prises élevées malgré le déclin annoncé ces quatre dernières années.
À la page 4 du document, un graphique illustre plus clairement le début, l'effondrement puis le point culminant de la pêche en 1994. Cette courbe correspond à l'époque où la pêche était concurrentielle. Le ligne pointillée après 1994 représente ce qui aurait pu advenir du maintien de la pêche concurrentielle, si les quotas n'avaient pas été imposés. Depuis, toute la pêche est régie par le Total autorisé des captures, ou TAC. En 2000, la biomasse s'était accumulée en raison du cycle de vie limité du crabe des neiges — il vit de 15 à 17 ans avant de mourir. Il était important d'exploiter ces stocks avant qu'ils ne perdent leur viabilité économique. Il fallait rehausser au maximum les niveaux de prises, et la répartition était le meilleur moyen d'y parvenir.
Cette augmentation apparaît en vert pâle, vis-à-vis l'année 2002, qui correspond à l'inclusion des Autochtones au titre du jugement Marshall de la Cour suprême. Au total, 13 participants autochtones ont reçu des permis. Nous témoignons aujourd'hui au nom des 37 titulaires de permis de notre flottille, dont 16 permis autochtones et 21 permis permanents traditionnels.
La bonne nouvelle est que la pêche au crabe des neiges a fait faire un bond annuel de 100 millions de dollars à l'économie du Cap-Breton et de l'est de la Nouvelle-Écosse. La mauvaise est que l'élargissement de l'accès accru et la multiplication des permis pour partager l'assiette au beurre ont fait disparaître l'abondance. La ressource est en péril, au bord de l'extinction. Les pressions viennent de toutes parts pour faire augmenter l'accès et les allocations. Ceux qui défendent cette position croient à tort que la ressource est infinie. C'est une grave erreur.
À la page 5, on parle de la biomasse totale des stocks exploitables, c'est-à-dire ce que nous pouvons pêcher. Vous pouvez constater une augmentation jusqu'en 2000. Entre 2000 et 2004, il y a eu décroissance, de l'ordre de 10 kilotonnes par année. Ces données scientifiques nous ont été transmises la semaine dernière. C'est une toute nouvelle méthode, dont nous venons tout juste de prendre connaissance. Le graphique qui suit, le taux relatif de mortalité par pêche, indique le taux de mortalité de la ressource halieutique, par cause naturelle ou par pêche. Ce taux a grimpé en flèche. Le graphique en jaune illustre en superposition le déclin de l'abondance par rapport à la flambée du taux de mortalité.
On constate que la diminution de la biomasse totale coïncide avec l'augmentation de la flottille, en 2002 — je rappelle qu'elle a augmenté de 54 p. 100. En 2004, une autre augmentation est annoncée. Nous avons comparu devant un comité indépendant sur le crabe des neiges. Il étudie la possibilité de donner aux 650 titulaires de permis temporaires de petites parts qui leur garantirait un accès permanent aux pêches. Bref, il est question d'élargir l'accès à cette pêche alors que les stocks sont menacés d'extinction.
À la page 6, il est expliqué que la flottille permanente traditionnelle partage cette biomasse dans une proportion de 60 p. 100. Les pêcheurs traditionnels capturent seulement 40 p. 100 du TAC, même en tenant compte de la réduction du TAC de 10 p. 100 l'an dernier. Selon le modèle financier que nous avons établi, qui indique notre structure de coûts, il est loin d'être certain que les stocks seront suffisants pour garantir la viabilité de notre exploitation. Les nouveaux arrivants et quiconque appareillera un nouveau navire à court terme aura également de la difficulté à se maintenir à flot si les niveaux actuels subsistent.
Notre lieu de pêche se situe à une distance de 10 à 140 milles de la côte, mais le plus gros se fait à 70 milles environ. Ce n'est pas si loin, penserez-vous, mais il ne faut pas oublier que la plupart des embarcations ne peuvent pas dépasser une vitesse de huit et demi ou neuf noeuds. Il faut naviguer huit heures dans l'immense océan Atlantique avant même d'atteindre nos engins. À cause de la météo, des règlements de Transports Canada en matière d'instabilité et de nombreux autres impératifs, la pêche n'est plus ce qu'elle était. Les coûts aussi ont énormément monté.
À la page 7, on fait état de multiples données scientifiques pessimistes sur le crabe des neiges. L'indice de biomasse exploitable est en chute libre. Le recrutement à la pêche aussi est en perte de vitesse. À ce stade-ci, la chute de 10 kilotonnes — on voit le point tournant de la baisse au bas. Normalement, il y a les stocks exploités, qui sont compensés par le recrutement à la pêche, qui garantit la relance et le maintien des stocks. Actuellement, selon les scientifiques, le taux de recrutement à la pêche est égal au taux de mortalité par pêche, qui gagne du terrain. Pratiquement, cela signifie que ce que nous pêchons n'est pas remplacé. Le recrutement ne suffit pas pour compenser ce que nous capturons. Dans notre région, le taux de recrutement est de 22 p. 100, mais le taux de mortalité par pêche est équivalent. Si on compare avec la situation dans le golfe du Saint-Laurent, le taux de recrutement y est de 80 p. 100. L'écart est considérable, et c'est mauvais signe pour nous.
On a aussi constaté l'effondrement de la population des crabes des neiges femelles. Elles sont plus petites que les mâles, de sorte qu'elles n'atteignent jamais la taille commerciale. Elles ne sont pas pêchées parce qu'elles n'ont aucune valeur commerciale. Elles peuvent s'enfuir les casiers, par les mailles des filets. De toute façon, nous ne voulons pas les capturer. Selon le relevé au chalut, elles étaient très abondantes en 1997 et 1998. Le déclin a commencé en 1999 et, entre 2002 et 2003, la population de femelles matures, qui assurent la reproduction, avait disparu.
C'est de très mauvais augure. Les données pessimistes se multiplient. On a pourtant constaté une flambée du recrutement il y a deux ans, puis de nouveau l'an passé. Il s'agit de mâles et de femelles immatures qui viennent augmenter la population. Le cycle de croissance dure au moins trois ans, et le personnel des sciences a estimé qu'il faudrait attendre cinq ans, si ces sujets immatures survivent... Nous avons déjà vu de pires échecs du recrutement.
Les fluctuations spectaculaires des stocks sont caractéristiques de la pêche au crabe des neiges. La page 8 en donne un exemple, mais l'autre document que nous vous avons remis en cite plusieurs autres. Les stocks peuvent augmenter de 620 p. 100, baisser de 72 p. 100, puis de nouveau grimper de 150 p. 100, puis c'est encore la dégringolade. C'est une pêche cyclique, mais on ne connaît aucune raison plausible de ces remontées et de ces chutes spectaculaires. Les autres pêches, la région 12 plus particulièrement, n'ont pas de problèmes de disparition des crabes femelles ou de chute du recrutement. Et un autre phénomène démarque encore plus le plateau à l'est de la Nouvelle-Écosse actuellement : malgré des cycles tout aussi marqués, le recrutement se maintient dans les autres pêches.
Monsieur le président, nous voulons déposer ce mémoire de la Area 23 Snow Crab Fishermen's Association au comité consultatif indépendant sur le crabe des neiges dans l'est de la Nouvelle-Écosse, dont le ministre Regan a la responsabilité. Il contient beaucoup plus d'information, qui sera fort utile à tous.
En matière d'accès et d'allocations, le MPO a diffusé des documents de grande qualité sur la gestion des pêches à l'avenir. La Révision de la politique sur les pêches de l'Atlantique est passée de l'étape de la révision à celle de cadre de travail, selon une annonce faite par le ministre du MPO, Geoff Regan. C'est un excellent document sur la gestion de la pêche. Nous avons également participé aux travaux d'un Groupe indépendant sur les critères d'accès. Il a étudié la question de la répartition de nouvelles ressources ou de ressources croissantes ou abondantes. Le document qui est issu de ses travaux explique comment procéder, et il est tout aussi excellent. Des liens sont établis avec les meilleures politiques sur les pêches en vigueur actuellement.
Le déclin de notre pêche a débuté en 2000. Nous avions escompté ce déclin parce que la biomasse s'était accumulée et qu'il fallait la réduire parce que, de toute façon, elle aurait péri. C'était nécessaire. En période faste, nous n'avons aucune difficulté à partager. Mais quand c'est terminé, le partage n'est plus possible. Malheureusement, nous nous trouvons au bout de nos ressources et personne ne parle d'abolir le partage. Au contraire, on parle de le rendre permanent. C'est un peu différent.
Selon la formule de partage recommandée, il y aurait 650 participants de plus à la pêche, des titulaires de permis temporaires dont 10 p. 100 seulement pêchent vraiment. Il en reste 90 p. 100 qui ne pêchent pas. Ils se contentent d'exercer leur droit à redevances sur la pêche.
S'ils obtiennent un accès permanent, ils auraient essentiellement droit à une partie des redevances ou à des parts dans une compagnie. Il pourrait y avoir plusieurs parts, mais un seul navire. Le navire serait utilisé pour la pêche et ces gens jouiraient d'une partie des droits de propriété sur la ressource, sans jamais pêcher eux-mêmes.
Si on examine de plus près cette politique du MPO... Le MPO veut établir une distinction entre propriétaire et exploitant d'une flottille, et interdire la propriété collective des ressources. Il crée en fait un mécanisme de constitution en société qui octroie des droits de propriété sur des parts minimes de la ressource, sur une base permanente. La politique contredit les objectifs du MPO.
L'an dernier, les TAC ont été réduits de 10 p. 100 parce que les scientifiques se sont ravisés, en déclarant que la biomasse avait subi une réduction relative. En l'absence de méthodes efficaces pour analyser les niveaux exacts de biomasse, ils font une comparaison d'année en année. Entre 2003 et 2004, il semblerait que la biomasse relative aurait subi une baisse de 10 p. 100.
Notre flottille, la flottille permanente, avait recommandé une réduction de 20 p. 100, soit 10 p. 100 pour tenir compte de la réduction relative et 10 p. 100 pour réduire l'effort de pêche. Malgré tout, la réduction a été fixée à 10 p. 100 seulement. Comme vous avez pu le voir dans le graphique précédent, sur la diapositive, cette mesure a été de peu d'efficacité pour empêcher la perte annuelle de 10 kilotonnes.
Pour la prochaine saison, les scientifiques ont indiqué des réductions importantes : de 50 à 70 p. 100, selon nos calculs, dans les zones plus au nord, soit les zones 20 à 22, et de 20 à 25 p. 100 — pour ma part, je dirais de 15 à 30 p. 100 — dans les zones au sud des zones 23 et 24. Soit dit en passant, le gros de la ressource est concentré dans le secteur sud. L'an passé, nous avons pêché près de 8 000 tonnes métriques en tout, dont 1 600 tonnes dans le secteur nord. Bien que le déclin semble minime, cela représente en fait des quantités énormes.
Et cette tendance devrait se maintenir. Comme je l'ai dit au début, si le taux de mortalité naturel dépasse le taux de recrutement, on parle d'un équilibre très précaire. Il faut attendre que le recrutement augmente, ce que seul le temps peut arranger. Quel que soit le niveau des captures, les stocks se vident. La biomasse estimée pour 2005 est de 27 kilotonnes et les pertes par pêche sont estimées à 10 kilotonnes par année. En moins de trois ans, nous aurons eu raison de la ressource si rien ne change.
À la page 10, il est question de l'entente de cogestion pluriannuelle qui a été en vigueur de la fin des années 1990 au début de 2000. La zone 23, incidemment, a été la première des ZPC de l'est de la Nouvelle-Écosse à signer un plan de gestion de 5 ans. Nous avons conclu un plan de gestion avec le ministre en 1998, et nous nous employons depuis à être des gestionnaires exemplaires de notre ressource.
Le ministre Regan s'apprête à annoncer une nouvelle entente de cogestion pour la saison 2005, un plan à long terme qui nous garantira une certaine stabilité. Le ministre a créé un comité indépendant l'automne dernier parce que les points de vue divergeaient sur la suite des choses. Je l'ai dit plus tôt, les participants temporaires n'ont aucun intérêt à donner raison aux scientifiques pour ce qui est du déclin parce que, s'ils le faisaient, ils devraient arrêter de pêcher. Les pressions pour maintenir les niveaux de captures ont été si bien orchestrées que nous avons été parmi les seuls à recommander une réduction de 20 p. 100 l'an dernier. La plupart des autres participants aux discussions ont demandé le maintien ou l'augmentation des niveaux, sans se soucier de la réduction des stocks.
Le président : Est-ce le comité indépendant qui a recommandé que les allocations de pêche temporaires deviennent des redevances de société?
M. MacDonald : Le comité n'a pas encore rendu son rapport, de sorte que nous ne le savons pas vraiment. Cependant, nous en avons déduit que ce sera probablement le cas. Nous ne sommes même pas certains de l'indépendance du comité. Le président est marié à la directrice des politiques maritimes du bureau régional du MPO, ce qui nous fait un peu douter de l'indépendance présumée.
Pour ce qui est du groupe indépendant sur les critères d'accès, il a été créé pour établir le processus général d'élaboration des critères d'accès. Il s'agit d'un groupe spécial, supposément indépendant et mandaté expressément pour étudier la pêche au crabe des neiges dans le secteur est de la Nouvelle-Écosse. Il n'a pas encore livré ses recommandations, de sorte que nous ne pouvons parler de ses intentions. Cependant, nous pouvons faire des extrapolations. Nous avons assisté aux comparutions devant le groupe et toutes, sans exception, donnaient l'impression que la ressource était illimitée.
Le bureau régional du MPO a proposé une augmentation de l'accès permanent de 30 à 40 p. 100 pour notre pêche. C'est nettement au-delà de l'expansion de 2002. La flottille avait été augmentée de 54 p. 100 afin d'autoriser la participation des Autochtones; la flottille permanente de l'époque n'y a trouvé aucun bénéfice, mais elle ne s'en est pas plainte. Il y avait alors, semble-t-il, de la place pour tous. Mais sachant ce que nous savons, nous avons du mal à comprendre cette nouvelle proposition d'expansion, même à des niveaux de 30 ou 40 p. 100.
Quand les ententes découlant de la décision Marshall ont été signées et que les Autochtones sont entrés dans le bal, les permis de pêche au crabe qui leur ont été octroyés ont servi de carotte pour les attirer à la table. Comment justifier la délivrance de nouveaux permis en sachant que les stocks sont en déclin et que l'ajout de 30 à 40 p. 100 de nouveaux joueurs permanents ne peut qu'accélérer ce déclin? C'est une base de négociation pour le moins douteuse. Peut-être aurez-vous l'occasion d'en reparler un jour.
La rumeur veut que le groupe indépendant favorise une formule d'octroi de 650 petites parts sous forme essentiellement de titres de redevances sur la pêche, ce qui peut avoir de très graves conséquences. Nous en parlons en détail dans notre document, en expliquant au groupe indépendant sur les critères d'accès pourquoi c'est un mauvais choix. Un principe veut en effet que celui qui pêche le poisson soit celui qui en tire un profit.
Le groupe a été désigné et informé par les mêmes gestionnaires régionaux qui nous ont menés à cette impasse. Nous comprenons bien que, au début de la remontée spectaculaire des stocks, tout justifiait de prendre des mesures pour le partager. Nous aussi, nous pensions que c'était une bonne idée. En période de vaches grasses, nous n'avons rien contre le fait de partager. Mais quand ce n'est plus le cas, il n'y a plus de raison que les nouveaux arrivés restent. Avant tout, il faut protéger la ressource. La conservation est la priorité absolue.
Le Groupe indépendant sur les critères d'accès définit la conservation comme étant un objectif actif et non passif de gestion. Il est primordial de nous protéger. Ce type de décision n'est pas conforme au mandat du groupe indépendant ni au cadre stratégique; c'est une menace pour les propriétaires exploitants.
Une capacité excessive n'est pas non plus souhaitable. Quand la capacité est trop grande, il devient extrêmement difficile de protéger la pêche. Par exemple, des mécanismes de vérification à quai sont en place en tout temps, mais un employé payé 6 $ l'heure pour surveiller des cargaisons qui valent des milliers de dollars est loin de faire le poids. Nous avons dû franchir un contrôle de sécurité beaucoup plus serré pour entrer ici que ceux qu'on impose à ceux qui font des débarquements de crabes.
Quand un pêcheur tire 40 cents la livre pour un produit qui lui donnait environ 3 $ l'année précédente — bien qu'on s'attende à une baisse importante de la valeur marchande, elle devrait s'élever à 2 $ cette année —, s'il peut passer une livre au noir pour 2 $, c'est 5 fois ce qu'il obtient dans le marché légal. Quelles que soient les méthodes de gestion adoptées, il faut absolument prévoir des mesures pour dissuader les gens de tricher. C'est un aspect qui relève ces gestionnaires et du cadre d'intendance.
Ceux qui protègent une ressource et qui contribuent à sa croissance doivent en recevoir le bénéfice. Les autres doivent être punis. C'est ce qu'on entend par intendance de la ressource.
Dans un autre ordre d'idée, si des actionnaires bien assis dans leur fauteuil se rendent compte qu'ils font moins de profits quand les captures baissent, tout en continuant de croire que la ressource est aussi abondante qu'avant, ils seront peu enclins à se responsabiliser pour le déclin. À leurs yeux, il n'est pas très grave de pêcher plus de crabes que permis s'il y en a des tonnes. Où est le problème?
Nous sommes en faveur du partage en période d'abondance mais, quand ce n'est pas le cas, les participants temporaires doivent se retirer. L'Institut d'administration publique du Canada (l'IAPC), a adopté une directive selon laquelle les décisions à l'égard de l'accès doivent favoriser plutôt que compromettre la viabilité économique des participants existants d'une pêche donnée, ainsi que la viabilité potentielle des nouveaux arrivés. Transports Canada nous impose de plus en plus de règlements et de préoccupations au sujet de la sécurité maritime, de l'indemnisation des accidentés du travail et de l'assurance-responsabilité, qui font monter nos coûts d'exploitation alors que la ressource, de nature très cyclique, ne cesse de diminuer. L'an dernier, le prix était supérieur à 3 $, mais nous nous attendons à peine à 2 $ cette année. C'est une perte de revenu de 33 p. 100, si on tient compte uniquement du prix et non des autres facteurs que je viens d'évoquer. Il faut ensuite multiplier ce nombre par une réduction de 30 p. 100 à cause du TAC. Il est impératif de maintenir la répartition de l'effort de pêche. Le personnel des Sciences a démontré que si l'effort de pêche n'est pas réparti, une surpêche localisée ne fera qu'accélérer la mortalité dans la population de crabes exploitable. Le mieux à faire pour éviter cette catastrophe est de répartir l'effort de pêche. Les coûts augmentent, mais le revenu est à la baisse. Il faudra trouver des moyens pour que l'activité de pêche couvre tout le territoire, qui s'étend à 140 milles au large et qui est extrêmement large et profond.
Le MPO a signé des ententes de cogestion avec les ZPC 12, 19 et 17, ententes qui établissent des seuils de protection. Toutes ces zones de pêche sont équilibrées, en ce sens que les recrues femelles dans le cycle sont en nombre suffisant pour assurer la croissance et une prospérité stable à l'intérieur du cycle naturel. Pour la zone 12, le seuil est de 500 000 $ par permis. Il est important de le mentionner parce que les distances parcourues par les embarcations de pêche dans la zone 12 sont semblables à celles parcourues dans la zone 23. Les zones 19 et 17 font également l'objet d'ententes de cogestion. Celle de la zone 17 vient tout juste d'être conclue cette année; elle prévoit une formule de partage temporaire seulement si les seuils viables sont atteints pour garantir une pêche équilibrée. Les ZPC 19 et 17, situées dans l'estuaire du golfe du Saint-Laurent, à la pointe de l'île du Cap-Breton, sont relativement près de la côte si on les compare à la ZPC 23. La distance par rapport à la côte influe énormément sur la viabilité de l'exploitation. Nous avons besoin d'une nouvelle formule pour tenir compte de l'augmentation de 50 p. 100. Nous ne pourrons pas nous contenter de reconduire ou de modifier le Plan de gestion intégrée des pêches (PGIP). Il faut faire les rajustements qui s'imposent après l'augmentation de 54 p. 100 de la flottille en 2002. Nous ne pouvons plus affirmer que les seuils et les niveaux sont conviennent parce que la baisse du nombre de femelles et des recrues rend le stock précaire. Le personnel des Sciences a affirmé qu'il fallait viser au plus bas pour maintenir la santé des stocks. Il serait tout à fait insensé de mettre en péril la viabilité de la flottille permanente en augmentant de moitié l'accès permanent. Vous en conviendrez, l'augmentation de l'accès permanent à un moment où la pêche est en déclin aura des répercussions graves à long terme. La notion d'intendance est née alors que la pêche était concurrentielle. Nous avons instauré les quotas individuels parce que nous voulions revigorer la pêche. Le MPO a par la suite décidé de réduire les quotas parce que les données scientifiques indiquaient une baisse du stock. Nous avons sorti 250 000 $ de nos poches pour approfondir la compréhension et le savoir scientifiques sur notre pêche.
Dans son dernier budget, le gouvernement invite d'autres secteurs à investir dans leur propre pêche. À notre avis, les investissements dans la conservation et la protection de la ressource n'ont eu d'autre résultat que de nuire aux pêches. Ce que nous avons mis sur pied nous a été enlevé ou donné à d'autres, et c'est maintenant la ruine qui nous menace. Nos efforts d'intendance n'ont pas été récompensés selon nos attentes.
Nous avons remis un exemplaire de notre mémoire au groupe indépendant du ministre; les membres du comité y ont accès. Notre exemple illustre bien la vision que prône le cadre de la Révision de la politique sur les pêches de l'Atlantique. Nous sommes les intendants de la ressource et nous continuons de collaborer avec les scientifiques afin de soutenir le partage en période d'abondance. Si nous sommes venus ici aujourd'hui, c'est pour vous faire comprendre que notre stock est en danger et que, par conséquent, nous sommes également en danger. Si nous poursuivons sur cette lancée, la pêche disparaîtra. Il ne faut pas oublier que cette pêche a été salutaire pour une collectivité en détresse. Agir ainsi au nom du partage des richesses n'a aucun sens. Au nom de nos 300 capitaines et de leurs équipages, je vous remercie, messieurs et mesdames, de nous avoir donné la possibilité de comparaître devant le comité.
On a toujours espoir que les erreurs du passé nous servent de leçon. Nous sommes engagés sur le même chemin qui a sonné le glas de la pêche à la morue, à cause de ceux-là même qui étaient alors les gestionnaires et qui ont invoqué un soi-disant désastre écologique. Jamais ils n'ont reconnu que les méthodes de gestion de l'industrie étaient en cause. Nous ne voulons pas que cela se reproduise.
Le président : Merci. Votre exposé était on ne peut plus sérieux. Vous nous avez donné matière à réflexion. Nous n'avions plus étudié cette question depuis un certain temps. Je crois que c'est la première fois que nous entendons des représentants de votre zone. Sénateur Mercer, à vous l'honneur de commencer la période des questions.
Le sénateur Mercer : Je suis intrigué, monsieur MacDonald, au sujet de l'absence de femelles. Ce phénomène est-il particulier à la ZPC 23 ou est-il présent dans d'autres zones?
M. MacDonald : L'absence de femelles est unique au plateau à l'est de la Nouvelle-Écosse. En règle générale, dans le sud du Golfe, les femelles ne sont pas pêchées, de sorte que le ratio est de dix femelles pour un mâle. Le dernier rapport scientifique fait état de 12 millions femelles par mâle, mais je ne sais pas si leurs calculs étaient exacts. Normalement, les populations de femelles vieillissent et meurent. Il y a des poussées parce que cette pêche est cyclique, et ce sont ces poussées qui alimentent la pêche. Pour une raison que j'ignore, il y a eu des ratés dans le cycle des poussées, ce qui a entraîné le déficit actuel. Jusqu'à maintenant, seule notre pêche semble avoir été touchée.
Le sénateur Mercer : Si j'ai bien compris, une recommandation qui émane du MPO à Ottawa peut-être renversée ou modifiée par un bureau régional du MPO pour ce qui est des quotas et du nombre de participants à une pêche?
M. MacDonald : Le ministre rend les décisions finales concernant une pêche, selon l'information que lui fournissent tous ceux qui travaillent pour lui. Le ministre s'occupe de nombreux dossiers et il s'en remet à ses fonctionnaires pour ce qui est de l'analyse professionnelle des dossiers. Leur travail consiste à interpréter les données scientifiques et à comprendre ce qui se passe. Beaucoup de décisions sont prises à l'échelon régional. Les conseils au ministre émanent de ce niveau. C'est là que les gestionnaires professionnels s'occupent des dossiers. La spécificité régionale est telle que ces professionnels peuvent décider de mettre de côté le cadre de la Révision de la politique sur les pêches de l'Atlantique ou les recommandations du Groupe indépendant sur les critères d'accès et appliquer leurs propres mesures. Ils sont responsables des recommandations définitives au ministre. Malheureusement, dans le passé, certaines recommandations étaient façonnées brillamment pour occulter tout un pan de la réalité sans que le ministre s'en rende compte.
Le sénateur St. Germain : Est-ce que le chiffre de 100 millions de dollars vaut pour la zone 23?
M. MacDonald : Il vaut pour tout le Cap-Breton, ce qui comprend la transformation et le transport par camion pour cette pêche.
Le sénateur St. Germain : Votre mémoire traite essentiellement de la zone 23, n'est-ce pas?
M. MacDonald : Il porte sur le secteur est de la Nouvelle-Écosse, et plus particulièrement sur la zone 23.
Le sénateur St. Germain : De ces 100 millions de dollars, quelle est la part attribuable au secteur est de la Nouvelle- Écosse?
M. MacDonald : Environ 50 millions de dollars, dont la principale partie est générée dans le sud. Quand je parle de la partie sud, j'entends les zones 23 et 24. Elles cumulent ensemble 80 p. 100, c'est-à-dire 40 millions de dollars pour les zones 23 et 24 réunies. Pour la zone 23, c'est 20 millions de dollars et des poussières.
Le sénateur St. Germain : Si j'ai bien compris, la rumeur veut que l'on accordera 650 permis supplémentaires?
M. MacDonald : Par permis, on entend de petits quotas individuels transférables, les QIT. Ils devront faire une liste, ce qui signifie qu'ils devront...
Le sénateur St. Germain : Est-ce en sus des permis existants?
M. MacDonald : Oui. Les allocations à la flottille permanente sont réparties également entre les 37 membres. On parle ici d'une allocation permanente d'une part à des participants temporaires, qui pourrait se traduire par 5 000 livres par unité. Ils devront faire une répartition à un niveau minimal, 55 000 ou 100 000 livres. S'il y a 5 000 livres par unité et que la limite est 100 000 livres, 20 unités seraient embarquées sur un navire. Un seul navire sera autorisé à sortir, mais l'usage bénéficiaire de la ressource serait en fait transféré aux actionnaires. Le navire de pêche appartiendrait à une société; ceux qui iront pêcher le feront contre un salaire négligeable.
Le sénateur St. Germain : Vous avez dit : « Au nom des 300 capitaines... » Est-ce qu'il s'agit de tout...
M. MacDonald : Pour le secteur est de la Nouvelle-Écosse, on compte 37 permis de pêche permanents.
Le sénateur St. Germain : Vous parlez d'une pêche cyclique. Vous êtes biologiste : est-ce que nous avons suffisamment de données historiques ou scientifiques sur la nature exacte des cycles du crabe des neiges?
M. MacDonald : Il n'y a pas suffisamment de données pour prévoir les cycles de notre pêche. Le déclin actuel peut se résorber de lui-même si on ne touche à rien. Nous savons qu'il y a une poussée et que le stock sera reconstitué si nous faisons attention. Nous avons des scientifiques de classe mondiale dans le domaine du crabe des neiges. Notre expertise dans ce domaine dépasse tout ce que j'ai jamais vu dans d'autres secteurs de la pêche. Mikio Moriyasu, Michel Biron, Bernard Saint-Marie, du sud du Québec, et dernièrement Jae Choi sont tous docteurs de très haut calibre. Nous disposons grâce à eux d'un puits de compréhension et de savoir, et tous s'inquiètent au plus haut point de l'état de la ressource, depuis des années.
Le sénateur St. Germain : Si les données scientifiques sont si fiables, ce secteur de la pêche réagira-t-il positivement à un ministre qui agit en conséquence? Peu importe qui est aux commandes, le poste de ministre des Pêches est l'un des plus exigeants au monde. Le ministre est toujours dans l'arène. De toute évidence, les pêcheurs se battent pour conserver leur capacité à créer et à générer leur richesse. De façon générale, le ministre des Pêches fait en sorte de garantir un niveau raisonnable de richesse générée et le maintien des stocks. Si les données scientifiques auxquelles vous faites référence sont si bonnes, l'industrie est-elle prête à coopérer avec le ministre Regan? Je crois que le ministre Regan est un homme de coeur et de raison, mais il a besoin de la coopération de l'industrie. Est-ce que vos 300 capitaines sont prêts à coopérer?
M. MacDonald : Dans le cas de la flottille permanente, c'est oui à 100 p. 100. Dans le cas de la flottille temporaire, qui sont des participants invités à partager la ressource, il ne faut s'attendre à aucune espèce de coopération.
Le sénateur St. Germain : Est-il obligé d'octroyé ces 650 permis?
M. MacDonald : Non, il n'a aucune obligation. Il est disposé à prendre de telles décisions. Il a créé un groupe qui a recueilli les points de vue de tous les participants, mais il n'a aucune obligation. Le groupe devait remettre son rapport avant le rapport scientifique que nous vous soumettons, et avant également l'étude du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, faisant état des méthodes à suivre pour assurer une gestion efficace de la pêche au crabe des neiges. Sans avoir pu bénéficier des meilleures données disponibles, le groupe devra faire des recommandations, mais c'est le ministre qui rendra les décisions finales. Ces groupes font beaucoup de lobbying. Ils sont comme un gros éléphant qu'il faudrait sortir de la pièce. À la base, ils ont invoqué le concept tout à fait honnête de la nécessité de partager, et maintenant ils ne veulent pas reconnaître que l'abondance s'est tarie. Les flottilles permanentes sont tout à fait disposées à collaborer avec le ministre.
La ressource sera-t-elle reconstituée? Je vous garantis que si elle est pêchée, jamais elle ne reviendra. Chaque fois que je sors un crabe de l'eau, il disparaît à tout jamais de la biomasse.
Le sénateur St. Germain : La biomasse a décliné et une limite a été imposée. Jusqu'où les niveaux ont-ils descendu?
M. MacDonald : La baisse a été de 10 kilotonnes par rapport à 2004, jusqu'au relevé au chalut. Au cours de la dernière année, la baisse a encore été de 10 kilotonnes, même si le TAC a été abaissé, le Total autorisé des captures, de 10 p. 100. Nous n'avons rien fait pour empêcher le déclin, et l'exploitation continue d'augmenter à une rapidité fulgurante. C'est peut-être dû à la mortalité et à la baisse des recrues, ce qui cause d'autres inquiétudes. Il y a une poussée. Est-ce que la réaction sera positive? Si nous pouvons nous maintenir jusqu'à ce que la poussée arrive à maturité et que le potentiel de reproduction du stock se réalise, alors les perspectives sont bonnes. C'est l'avis des scientifiques. Nous n'avons aucune garantie cependant et, même si la science est étonnante, elle n'est pas parfaite. Les zones grises restent immenses, mais ce n'est rien si on compare aux incertitudes dans d'autres secteurs de la pêche.
Le sénateur St. Germain : Le ministre est-il au courant de cette réalité?
M. MacDonald : Oui. Nous faisons tout pour que les décisions soient toujours prises en connaissance de cause. Voilà pourquoi nous nous présentons ici aujourd'hui. Nous avons également transmis l'information au personnel du MPO qui est chargé de passer au crible toutes les recommandations au ministre. Nous faisons de notre mieux pour informer toutes les parties visées. Si nous réussissons à transmettre l'information à tous ceux qui doivent la connaître, nous espérons que les décisions rendues iront dans le sens de la Révision de la politique sur les pêches de l'Atlantique et des recommandations du groupe indépendant sur les critères d'accès, que les bonnes décisions seront prises. Malheureusement, même si l'information manque pour prendre une décision, quand elle a été prise, il est trop tard.
Le sénateur St. Germain : J'espère que nous pourrons informer le ministre que nous avons reçu cette information.
M. MacDonald : Nous faisons confiance au ministre. Le ministre Regan fait de l'excellent travail. Le seul problème est que ses conseillers ne semblent pas lui avoir donné la bonne information.
Le sénateur St. Germain : Je pense aussi que c'est un excellent ministre.
M. MacDonald : Nous appuyons le ministre. Notre intention n'est pas de critiquer ce qu'il fait.
Le président : Je suis heureux que vous le mentionniez. Je suis plutôt d'accord avec le sénateur St. Germain sur ce point. La qualité des décisions d'un ministre est toujours conditionnelle à la qualité du travail de ses fonctionnaires.
Le sénateur Robichaud : Je ne crois pas que quiconque ici s'offusquera de vous entendre dire que le ministre doit agir de façon préventive.
Je viens du Nouveau-Brunswick, où la pêche au crabe a été assez lucrative ces dernières années. Je suis en faveur du partage. Nous avons eu beaucoup de mal à convaincre les pêcheurs en place de partager la ressource dans la zone 12. Dans cette zone, certains pêcheurs étaient devenus très riches et ils étaient assurés de le rester jusqu'à la fin de leur vie, parce que cette forme de pêche est extrêmement lucrative. Nous voulions qu'ils partagent avec les pêcheurs côtiers, et nous leur avons finalement obtenu 15 p. 100 du total autorisé des captures. Je leur aurais personnellement consenti plus, mais c'est déjà très bien.
Ces pêcheurs, très riches selon moi, ne voulaient pas partager. Mais si je me fie aux chiffres que vous avez donnés au sénateur St. Germain, il ne semble pas que ce soit le cas dans la zone 23. Est-ce exact?
M. MacDonald : En effet, c'est tout à fait différent. On nous a confondus avec les crabiers de la zone 12. On nous a étiquetés comme pêcheurs de crabe des neiges. Si j'étais aussi riche qu'on veut bien le prétendre, je n'aurais certainement pas les problèmes que j'ai aujourd'hui. Les difficultés que nous vivons me font penser, vous m'en excuserez, à une histoire que vous avez tous entendue quand vous étiez petits. Je parle de la petite poule rouge. Elle cultive du blé. C'est elle qui sème les graines, qui fauche le blé, qui le mout, qui cuit le pain. Et puis, tout à coup, tout le monde veut manger son pain. Il faut qu'un investissement rapporte. Ce qui n'empêche pas de partager quand une ressource devient tout à coup très abondante.
À notre avis, le partage est beaucoup plus une affaire d'argent que de capacité de pêche. Selon l'ancien modèle de gestion, le partage se faisait par une augmentation des pêcheurs autorisés, ce qui augmentait la capacité. Si la richesse est en cause, si ces gens sont tellement riches qu'ils doivent trouver des moyens de mettre leur argent à l'abri de l'impôt, le plus facile serait de fixer un niveau de capture et d'imposer les pêcheurs à un niveau supérieur au seuil que vous fixez — l'argent sera partagé, mais la ressource» sera protégée et pourra se multiplier. Au moins, la zone de pêche 12 est encore viable et saine. Ce n'est pas du tout le cas chez nous, où les stocks sont menacés d'extinction parce qu'on voulait à tout prix éviter de reproduire la situation de la zone 12. C'est du moins notre interprétation du problème.
Nous voulons bien partager en période d'abondance, et nous l'avons fait. Dans notre mémoire, nous avons intégré un graphique illustrant notre formule de partage, à la page 19. J'ai déjà dit que ce n'était pas si évident pour tous, mais nous sommes dans la zone verte. C'est très clair. La seule réduction a été imposée en 2002, parce que la flottille a été augmentée. Cette expansion n'a procuré, je le répète, aucun bénéfice à la flottille permanente. On peut dire que ces pêcheurs ont beaucoup partagé, plus que jamais. Mais l'abondance est terminée. Actuellement, notre ressource est menacée en raison de la pêche et d'autres facteurs, de sorte que nous devons être extrêmement prudents si nous voulons assurer notre avenir.
Le sénateur Robichaud : Je suis d'accord avec vous jusqu'à un certain point. Vous nous dites que vous êtes prêts à partager quand il y a abondance. Quel est le niveau moyen de capture pour un pêcheur de crabe des neiges — les 300 pêcheurs originaux?
M. MacDonald : Ils sont 37 dans notre zone. Quand vous parlez de niveau moyen de capture, voulez-vous des chiffres en livres?
Le sénateur Robichaud : Je parle du crabe des neiges.
M. MacDonald : L'an dernier, nous étions autorisés à capturer 150 000 livres.
Le sénateur Robichaud : Et quel est le profit approximatif?
M. MacDonald : À plus ou moins 3 $ la livre l'an dernier, on parle de 450 000 $.
Le sénateur Robichaud : Et à combien se chiffrent les dépenses d'équipage et autres?
M. MacDonald : À la toute fin du document, un modèle financier donne les coûts et les dépenses. Allez à la page 37 pour trouver cette information. Nous avons effectué une analyse financière. Cependant, elle ne rend pas compte des frais découlant des règlements de Transports Canada sur la sécurité des embarcations de pêche, la stabilité, le franc bord, la charge maximale et autres certificats de navigabilité, limites de distance, de sortie, les conditions météorologiques et toutes les autres considérations.
Nous pêchons très loin des côtes, et nos coûts sont très élevés, beaucoup plus que vous ne pouvez l'imaginer. Dans le modèle d'exploitation, nous parlons d'un navire de 500 000 $, mais c'est le plus petit modèle sûr dans un tel environnement. Nous nous sommes efforcés de donner des chiffres les plus conservateurs possible. Nous les avons soumis à l'examen du bureau régional du MPO, qui les a approuvés sans restriction.
J'ajoute que l'année dernière était exceptionnelle, alors que les prix étaient à 3 $. Cette année, ils ont baissé à 2 $. Par conséquent, le même pêcheur cette année obtiendra seulement 300 000 $, soit une perte de 150 000 $ si on tient compte seulement du prix. Nous sommes constamment à la merci des fluctuations des prix au quai et des facteurs biologiques qui influent sur le stock. Pris isolément, le chiffre de 450 000 $ peut sembler mirobolant, mais il est loin de donner l'heure juste sur les problème inhérents à une pêche aussi cyclique.
Le sénateur Robichaud : Le revenu projeté est de 380 000 $, n'est-ce pas? C'est une moyenne. Il y a de mauvaises années, alors pour les bonnes, il doit être supérieur.
M. Fred Kennedy, expert-conseil, Area 23 Snow Crab Fisherman's Association : Certains coûts d'exploitation, comme vous pouvez l'imaginer, dépendent du quota qui nous est octroyé. Par exemple, si le quota est très petit, le pêcheur ne sort pas aussi souvent et il brûle moins de carburant. En réalité, les coûts dépendent du quota. Il faut tenir compte du quota. Nous avons examiné les chiffres. Le seuil de rentabilité se situe à 152 000 livres par navire environ.
Pour renchérir sur ce que vous nous avez dit concernant la zone 12, les capitaines semi-hauturiers, comme on les appelle, naviguent sur de très grosses embarcations. Leurs navires ont 65 pieds de longueur, et ils valent plus de 1 million de dollars. L'an dernier, leur quota se situait en moyenne à 332 000 livres. Les captures génèrent donc aux environs de 1 million de dollars.
Comme vous pouvez le voir à la page 4, dans le graphique que nous vous avons montré, la pêche dans le secteur est de la Nouvelle-Écosse vivotait derrière, avec des quotas qui ont rarement dépassé les 50 000 livres pendant des décennies. Dans la zone 12, le revenu annuel s'est maintenu à 1 million de dollars pendant des années. L'écart est donc très important.
Notre association est très différente de celle des capitaines de la zone 12. Nous sommes disposés à partager mais, tout comme les capitaines de la zone 12, nous voulons assurer notre avenir. Nous voulons que cette pêche continue aussi longtemps que possible, pour toujours si vous nous demandez notre avis. Mais ce qui nous pend au-dessus de la tête pour l'instant, c'est sa disparition dans trois ou cinq ans.
Le sénateur Robichaud : Vous avez dit par ailleurs que vous n'avez pas tenu de registres pendant assez longtemps pour constituer une base suffisante, comme c'est le cas par exemple dans la zone 12, pour laquelle on a pu établir le cycle et fixer les TAC en conséquence. Ils sont assez constants pour l'ensemble du cycle parce qu'on connaît tous les facteurs qui influent sur les quotas. Cette prévisibilité n'existe pas pour la zone 23.
M. Kennedy : Non, parce que la biologie du stock est très différente de celle du golfe. Dans le golfe, le stock se régénère de lui-même. Quand nous avons commencé à reporter les données scientifiques sur des graphiques pour les intégrer au document — les cartes d'isolignes illustrent les populations de femelles. Dans les années 1990, les femelles se comptaient par centaines de millions. Cette année, nous en sommes plutôt à des centaines de milliers. Dans le golfe, elles sont toujours des centaines de millions, ce qui indique qu'elles ont un potentiel de régénération. Malgré le cycle naturel des populations de crabe des neiges, qui augmentent et qui diminuent, elles se maintiennent. La part de 15 p. 100 prévue dans la formule de partage ne menace d'aucune façon cette pêche. Elle ne disparaîtra pas. Nous avons soumis une recommandation au ministre Robert Thibeault il y a deux saisons, alors que nous tentions de conclure une nouvelle entente de cogestion. Il demandait aux membres de la flottille permanente d'accepter un partage de l'ordre de 10 à 20 p. 100. Après avoir fait nos propres calculs et avoir raffiné et réduit les résultats, nous avons offert de renoncer à 17,8 p. 100, pour toujours. Les joueurs temporaires — qui étaient autour de 600 — ont balayé notre offre du revers de la main. Nous n'étions pas opposés au partage puisque nous avons recommandé une part qui était très près du chiffre le plus élevé demandé par le ministre. Il a imposé 15 p. 100 seulement dans la zone 12. Il était prêt à descendre à 10 p. 100 pour conclure une entente, et nous le savions. Nous visions 15 p. 100. Le bureau régional des Maritimes du MPO nous avait confirmé, sur parole, que l'entente était scellée. Il est revenu sur sa parole à la dernière minute.
M. MacDonald : J'aimerais ajouter quelques éléments. Selon cette formule, le revenu projeté est fondé sur des chiffres de l'année dernière, qui sont plus élevés que ce que j'ai moi-même jamais connu. Les quotas étaient à 163 000, le maximum possible. Nous n'avons jamais obtenu 3 $ à ce niveau. Les années antérieures, les prix jouaient plutôt entre 2 et 2,25 $, de sorte que le revenu brut était de beaucoup inférieur. Nous nous sommes servis des chiffres disponibles aux fins de ce document, mais ce n'est pas une moyenne sur cinq ans, loin de là.
Quand on parle de cycles et de périodes, il est important de souligner que le golfe du Saint-Laurent est un système fermé, si on peut dire, parce qu'il est bordé par les côtes du Cap-Breton, de Terre-Neuve, du Québec, du Nouveau- Brunswick et de l'Île-du-Prince-Édouard. Les fonds vaseux lisses donnent au crabe un habitat optimal, avec des températures relativement constantes de 1 ou 2 degrés Celsius. Le crabe des neiges survit à des températures de 1 à 4 degrés Celsius. Sur le plateau à l'est de la Nouvelle-Écosse, des habitats optimaux côtoient des plus pauvres, on y trouve des estuaires et ils sont dépendants des cycles ainsi que des fluctuations alimentaires. Il s'agit d'un système très ouvert, soumis à beaucoup de facteurs environnementaux et à d'autres facteurs absents du Golfe.
Le sénateur Hubley : C'est un véritable cours. J'aimerais revenir à la page 2. J'ai deux questions. Quand vous parlez de 100 entreprises de pêche, de quoi parlez-vous au juste?
M. Kennedy : À la page 1, nous expliquons que la pêche du crabe des neiges dans l'est de la Nouvelle-Écosse couvre les zones 20, 21, 22, 23 et 24. Nous représentons exclusivement la zone de pêche au crabe 23, mais nous voulions vous donner un ordre de grandeur pour toute cette pêche, pour bien vous faire comprendre que les décisions rendues concernent toute la pêche, pas seulement notre zone. En fait, une entreprise est constituée d'un capitaine, d'un navire et d'un équipage. Un navire de pêche est appelé une entreprise. On en dénombre une centaine, qui chacune compte deux membres d'équipage.
Le sénateur Hubley : Ma prochaine question a trait aux 650 pêcheurs principaux sans permis. Est-ce que ce sont eux qui ont reçu les petites parts constituant les QIT?
M. Kennedy : Ces pêcheurs principaux — les pêcheurs du « noyau » — sont des pêcheurs individuels qui ont droit à une part de notre pêche au crabe des neiges. La plupart ont un permis de pêche du homard ou de quelques autres espèces mais, en règle générale, ce sont à la base des pêcheurs de homard, ce qui les qualifie pour recevoir une part dans la pêche du crabe des neiges.
M. MacDonald : Le ministère des Pêches et des Océans s'est ravisé, et il a décidé de restreindre le nombre d'entreprises de pêche. Le MPO a distribué des permis principaux, pour les principales espèces, et il a limité le nombre d'entreprises à ce noyau. Actuellement, une seule entreprise principale peut posséder des permis pour cinq espèces différentes, ou pour une seule espèce seulement. Quoi qu'il en soit, le nombre d'entreprises principales est limité. Quand le partage a été effectué, les permis principaux ont été répartis de Halifax à la pointe nord de l'île du Cap-Breton. Tous les titulaires peuvent participer à la pêche.
Le sénateur Hubley : Les 650 permis entreront en vigueur, non?
M. MacDonald : La zone 24 a été divisée en 3 sections, par comté, de sorte qu'il y a dorénavant 4 zones : Richmond, Guysborough et Halifax appartiennent à 2 groupes distincts. Pour la zone 23, que nous représentons, c'est un peu différent. Dans la zone 24, la ligne de contiguïté s'étend de la démarcation entre les ZPC 23 et 24 tout le long du littoral; c'est la ligne littorale qui parcourt cette zone qui définit la contiguïté. Dans la zone 23, vous remarquerez que la ligne littorale est très courte par rapport à la zone de pêche. Les quotas de la zone 23 sont, en termes relatifs, de peu supérieurs à ceux de la zone 24. La participation a été autorisé progressivement. Les pêcheurs principaux titulaires de permis qui pêchent à l'intérieur des frontières, ou dont le permis couvrait l'intérieur de la zone 23, sont appelés les pêcheurs principaux des secteurs limitrophes. À partir de la ligne qui sépare les zones 22 et 23 au nord, ce sont les pêcheurs principaux des secteurs non limitrophes. Et puis s'ajoute le groupe des « pêcheurs principaux dépendants du poisson de fond ». En 2000, on a séparé un groupe qui possédait encore un navire de pêche dépendant du poisson de fond, et les titulaires de permis principaux pour le poisson de fond ont reçu un avantage spécial, même si c'était six ans après la fermeture de la pêche du poisson de fond. Les niveaux d'accès étaient progressifs. Nous ne savons pas encore quelles seront les modalités établies dans le nouveau plan, mais en gros, on compte 650 participants environ pour les 2 zones. Il y en a 350 environ dans la zone 23 et 300 dans la zone 24.
Le sénateur Hubley : Vous avez indiqué que vous obteniez 3 $ la livre pour le crabe des neiges l'an dernier, mais que le prix a chuté à 2 $ cette année.
M. MacDonald : La lutte est serrée avec les transformateurs. Nous soupçonnons une collusion afin de manipuler les prix. Parfois, il y a de la concurrence, mais pas toujours. Comme nous collaborons avec les experts de la pêche, nous en savons beaucoup plus sur la pêche qu'il y a dix ans. Nous sommes aussi mieux informés sur tout ce qui entoure la vente et l'achat du crabe. Nous suivons le marché, les tendances et les prix pratiqués pour les sujets de cinq à huit onces. Aujourd'hui, par exemple, le prix est de 1,20 $ de moins environ par rapport à la même période l'an dernier. Chaque fois que le cours du dollar change, les prix s'en ressentent parce que nous sommes essentiellement un marché d'exportation, vers les États-Unis et le Japon principalement. C'est un plus pour notre économie parce que nos produits sont vendus à l'étranger. Je le répète, chaque fois que le dollar fluctue, il y a des retombées sur les pêches.
Le sénateur Hubley : Quel est l'écart entre les prix? Nous avons examiné le graphique qui illustre les flambées et les chutes — on peut dire que c'est par monts et par vaux. Les prix sont-ils restés relativement stables? Ils ne semblent pas être touchés par la disponibilité du produit.
M. MacDonald : M. Kennedy répondra à cette question après. Nous avons un graphique qui illustre les fluctuations de prix sur cinq ans. À l'ouverture de la saison, le prix baisse et, à la fermeture, il remonte. C'est intéressant parce que le crabe est conservé au congélateur. Il n'est pas vendu vivant. L'année passée, le prix a été meilleur que jamais. Il a dépassé le prix moyen sur 5 ans de 50 cents environ. L'année dernière a été bonne, meilleure que les autres années. M. Kennedy vous en dira un peu plus sur l'aspect économique.
M. Kennedy : Les prix fluctuent parce que c'est un marché concurrentiel. Pour des raisons que nous ignorons, la demande aux États-Unis est assez faible actuellement. Le dollar canadien étant fort, on peut imaginer l'effet cumulé de différents facteurs. La différence entre le bas prix du produit et la valeur élevée du dollar est de 27 p. 100 pour l'instant. Durant la saison, le prix est en fait plus bas qu'à ce temps-ci de l'année. Et nous nous attendons à ce qu'il baisse encore. Si nous enlevons entre 27 et 30 p. 100 ou un tiers de moins que le prix que nous recevions l'an dernier, soit 3 $ moins le tiers, nous arrivons à 2 $. Nous aimerions beaucoup que le prix ne soit pas 2 $. Les stocks de crabe diminuent et, selon les lois de l'offre et de la demande, quand les stocks baissent, les prix grimpent. Nous savons qu'à Terre-Neuve, ils ont réduit de 7 000 ou 8 000 tonnes. La seule augmentation dans la région Atlantique sera dans la zone 12. Dans leur cas, ils auront une augmentation de 6 000 tonnes cette année. Leur année sera excellente, mais tous les autres seront perdants. Je ne serais pas étonné que nos prises baissent de 12 000 ou 15 000 tonnes cette année, entre Terre-Neuve et l'île du Cap-Breton.
Le sénateur Mahovlich : Qui fixe le prix?
Le président : Le marché, bien entendu.
Le sénateur De Bané : Au début des années 1980, j'étais ministre des Pêches. Les biologistes ont un discours, puis les pêcheurs qui pêchent pour vivre font une toute autre évaluation de la situation. J'ai déjà demandé à un biologiste de renommée mondiale : « Quel est votre meilleur conseil? » Il m'a répondu : « Si j'étais dans vos souliers, j'en prendrais la moitié de chaque côté. »
J'ai compris avec le temps qu'on n'évalue pas des stocks dans l'eau de la même façon que des stocks visibles. Par définition, le résultat est imprécis parce que les stocks sont sous l'eau. Sur quoi appuyez-vous votre position? Faut-il interdire de nouveaux venus dans cette pêche parce que les stocks sont en péril actuellement ou quelque chose du genre? Quelle est votre position au juste?
M. MacDonald : Oui, actuellement, le stock est bas. L'abondance a été le résultat d'une sous-estimation. Toutefois, depuis que nous avons commencé à puiser dans cette abondance, nous avons épuisé le stock. Nous n'avons pas le choix d'être prudents quand on constate ce qu'il en reste. À cela s'ajoutent des mystérieux phénomènes comme la baisse des recrues et la disparition des femelles, qui auraient dû renflouer le stock, assurer une relance. Il faut prendre du recul et agir avec prudence. Il est hors de question de laisser entrer de nouveaux participants pour l'instant. D'ailleurs, nous n'avons aucune idée des répercussions qu'aura à long terme l'augmentation de 54 p. 100 de la flottille en 2002.
Nous venons tout juste d'augmenter la flottille, nous avons intégré des pêcheurs autochtones. Nos relations de travail sont uniques à l'intérieur de notre flottille, très différentes de celles qui régissent les autres flottes et les autres pêches. Les bénéfices sont importants pour les collectivités. À Millbrook, par exemple, 50 permis de pêche sont exploités. Si la pêche au crabe venait à s'effondrer, il resterait au plus six exploitations. Les revenus générés par un secteur de pêche permettent de soutenir les autres. Dans ma propre entreprise de pêche, parce que les saisons de pêche au homard et de pêche au crabe des neiges se chevauchent, nous avons deux navires et deux équipages. Nous employons six autres personnes. Nous leur fournissons des assurances dentaires et médicales. Ce sont les piliers de notre société. J'entends par là que ce sont ces gens qui payent pour l'entretien des salles communautaires et des églises de notre collectivité rurale. À deux quais à l'ouest de Louisbourg, la population a diminué. Ce sont ces gens qui forment les équipes de pompiers volontaires. Ils seront mis à pied si nous continuons à partager la richesse avec des bénéficiaires qui ne se donnent pas la peine de pêcher eux-mêmes. Il faut prendre du recul, attendre de voir comment le stock s'en tirera. Laissons aller la flottille permanente, maintenant formée de pêcheurs autochtones et traditionnels, pour voir comment nous ferons le passage.
M. Kennedy : J'ajoute que, du point de vue philosophique, nous sommes en faveur du partage en période d'abondance. Mais j'irai un peu plus loin en rappelant que le MPO a déjà conclu des ententes de cogestion, qui prévoient des modalités de partage fondées sur le principe des seuils. Notre document indique ce que sont nos coûts d'exploitation. Le seuil doit être fixé à partir des coûts d'exploitation de la flottille permanente traditionnelle, formée de ceux qui ont investi dans cette affaire, pendant une vingtaine d'années, qui ont payé de leurs poches le quart de million de dollars pour trouver d'autres crabes, entre autres. Nous avons déjà accepté de partager. Mais il faut créer une nouvelle formule, juste pour tous. Quand la biomasse ou les stocks seront de nouveau suffisamment abondants, alors nous pourrons les partager avec d'autres. Nous avons besoin d'une telle quantité. Tout ce qui est en sus pourra être partagé entre les autres parties. Nous serions ravis si cela se produisait. Quand il s'agit de protéger nos propres familles, nous affirmons que le MPO ne peut pas, logiquement, délivrer des permis à d'autres joueurs qui n'ont jamais investi dans la pêche. Ils sont là depuis 4 ans seulement, alors que les autres ont déjà 25 ou 30 années à leur actif. C'est tout simplement insensé.
Le sénateur De Bané : Qu'est-ce qui conviendrait pour les premiers venus, et qu'est-ce qui resterait à partager pour les nouveaux venus?
M. Kennedy : Dans le document que nous avons soumis au groupe indépendant, nous indiquons clairement le seuil que nous recommandons. Quand nous atteindrons une quantité donnée, nous cessons de pêcher et les pêcheurs temporaires se partagent ce qui est en sus. Nous parlons d'à peu près 20 p. 100. Une fois la quantité fixée atteinte, les participants temporaires et la flottille permanente se lancent ensemble et nous partageons moitié-moitié du stock exploitable qui reste.
Le sénateur De Bané : Selon vous, est-ce une étape vers l'établissement éventuel de quotas individuels, comme nous les connaissons en agriculture? Dans ce secteur, chacun est propriétaire de son quota et peut le vendre, à long terme.
M. Kennedy : Ce domaine est trop complexe pour qu'on puisse en discuter ici mais, bien entendu, la décision reviendra au ministre. C'est un sujet qui n'a pas encore été pleinement débattu. Nous aimerions avoir des droits sur une part précise, comme vous le dites, mais nous sommes encore loin d'une décision définitive sur ce point. Il faudra encore beaucoup de discussions.
M. MacDonald : Dans un monde idéal, il n'y aurait pas de partage temporaire. On développerait cette activité de pêche en fonction de l'accroissement de la capacité. Si ces participants peuvent maintenir leur viabilité à long terme, alors la flottille serait augmentée en conséquence. Le hic avec cette pêche est que nous oscillons constamment entre la prospérité et la débâcle, à quoi s'ajoutent les problèmes dont j'ai parlés plus tôt au sujet des recrues et des femelles. Le fondement du nouveau régime de gestion est l'intendance de la ressource. Il vise à créer un environnement dans lequel les pêcheurs sont prêts et disposés à protéger la ressource, au lieu de l'exploiter pour le bénéfice qu'ils en tirent aujourd'hui sans se préoccuper du lendemain. Nous devons promouvoir cette éthique de la conservation, mais le contexte actuel ne fait que déstabiliser notre démarche.
Nous avons posé les bons gestes, qui nous ont menés à la situation actuelle, et nous aurions dû poursuivre sur notre lancée. Si nous n'avions pas instauré les quotas individuels, nous serions rendus encore plus loin.
Il faut continuer de parler d'intendance et de la façon de la mettre en oeuvre, dans tous les secteurs de pêche. Le cadre de la Révision de la politique sur les pêches de l'Atlantique propose une voie d'avenir pour nous sortir de nos vieux schémas, pour penser la gestion des pêches à long terme.
Je sais qu'on a accusé les pêcheurs de la zone 12 de s'être remplis les poches, et je suis vraiment désolé pour eux. J'ai eu des réunions avec Robert Haché, qui représente la zone 12, et nous avons constaté que nous avons beaucoup de points en commun. C'est tout simplement la démarche qui est différente. Nous voulons collaborer avec vous. Eux, par contre, croient que tout ce qu'ils donnent... Ils ont peur qu'en vous donnant un pouce, vous prendrez un pied. Ils ne voient pas l'intérêt de travailler avec vous, parce qu'ils estiment que vous avez détruit leur relation de travail avec les sciences. Ils envisagent d'embaucher leur propre scientifique, un expert du crabe des neiges qui travaillait avant pour le MPO. Pour garantir une bonne gestion du stock, il faut une relation triangulaire formée des pêcheurs, des gestionnaires du MPO et des scientifiques. Les trois doivent travailler main dans la main, toujours avec la ressource en point de mire. Tant que cette relation de travail reste stable, et tant que les pêcheurs restent disposés à investir dans cette relation parce qu'elle leur rapporte, la ressource est protégée.
Toutes les options de gestion qui nous sont proposées actuellement préconisent de resserrer les règlements et les mesures de protection. Autrement dit, il suffit d'attraper les fautifs et tout ira bien. Ce n'est pas le bon moyen pour sauver la pêche. Elle ira à la débâcle et à la destruction bien avant qu'on trouve où la ressource a disparu. Il faut insuffler une éthique de la conservation, et le seul moyen pour y parvenir est de faire en sorte que ceux qui investissent en aient pour leur argent. Nous avons investi, mais nous n'avons rien obtenu en retour.
Le sénateur De Bané : Monsieur MacDonald, je suis ravi de vous l'entendre dire. Il est vrai que la seule approche sensée est d'éviter la surpêche, pour ne pas épuiser le stock. Je me souviens pourtant d'avoir expliqué qu'il fallait y aller avec prudence, ce à quoi des pêcheurs m'ont répondu que c'était notre problème. Laissez-nous pêcher et si jamais le stock s'effondre, cela deviendra notre problème, pas le vôtre. Quoi qu'il en soit, j'aime votre approche, la seule qui soit logique. Il faut penser à long terme, pour garantir la pérennité de la pêche.
M. MacDonald : Merci.
Le sénateur Johnson : Nous avons fait un bon tour des mers. Je viens des Prairies, mais j'en connais un peu sur les poissons — Terre-Neuve, la morue, et cetera. Je me demande si vous êtes les seuls à penser ainsi? N'y a-t-il pas unanimité autour de l'intendance de la ressource? Je ne peux pas croire, étant donné les pressions publiques, ce qu'on sait dans le domaine environnemental, ce qui s'est passé dans l'Atlantique, que vous n'êtes pas arrivés à un consensus sur la nécessité de coopérer ou, du moins, que vous ne progressez pas vers un tel consensus!
M. MacDonald : Nous travaillons d'arrache-pied. Je le répète, mon diplôme en sciences et mon expérience de la pêche me permettent de vulgariser une partie de l'information pour nos participants. Depuis des lustres que nous tendons la perche à la flottille de la zone 24, nous ne sommes pas parvenus à les rejoindre. Pour d'obscures raisons, ils ont toujours été hésitants. Le domaine des pêches a toujours été très atomistique, très individualiste. Chacun protège jalousement son information, ses profits. On n'aime pas beaucoup l'idée de partager et on se méfie de toute information qui vient d'ailleurs.
Les gestionnaires des pêches s'y sont pris maladroitement. Les accès sont octroyés sans notre consentement, et nous devons contribuer, renoncer à ce qu'on nous demande de laisser aller, en étant prêts à renoncer généreusement. Que nous soyons d'accord ou pas, c'est ce qui va arriver.
Nous avons accepté de négocier pour mettre au monde une nouvelle formule de partage pour notre pêche, comme M. Kennedy l'a mentionné tout à l'heure. Nous avons entamé des négociations avec les participants temporaires, en étant convaincus qu'un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Selon ce principe, l'accès permanent devrait valoir la moitié d'un accès temporaire, fugace par nature, non durable. Les négociations allaient bon train, jusqu'à ce que le MPO vienne, à la première réunion, parler de partage et leur offrir un nouvel accès permanent, au niveau où ils se trouvaient. Les ponts ont été coupés sur-le-champ. Le MPO leur a affirmé qu'il leur donnait 40 p. 100, offre finale et permanente.
Nous nous sommes entretenus avec le ministre qui était en poste à ce moment, Robert Thibault, qui nous a affirmé qu'il ne visait pas un accès permanent de 40 p. 100. Il visait entre 10 et 20 p. 100, ce qui était semblable à ce qui avait été réglé pour la zone 12. Ils ont obtenu 15 p. 100. Nous avons négocié avec le MPO, en sachant que la marge de manoeuvre se situait entre 10 et 20 p. 100. Quand j'ai informé les membres de la flottille que nous devions accepter de donner de nouveaux accès permanents, ils ont refusé catégoriquement, parce que le stock est en déclin. Ils ne voulaient rien donner.
Si le ministre nous demande d'accepter de partager entre 10 et 20 p. 100 pour octroyer de nouveaux accès permanents, nous n'avons pas le choix de négocier. Nous avons offert 10 p. 100, nous avons reçu une contre-offre à 20 p. 100, et nous nous sommes entendus pour 15. Nous nous sommes serré la main. La veille de la réunion de consultation, on nous a appelés pour nous informer que ce ne pouvait être 15 p. 100, qu'il fallait grimper à 20, et que l'annonce serait faite le lendemain. Nous sommes retournés à la table de consultation et nous avons offert de nouveau les 15 p. 100 négociés, mais on nous a rétorqué que ce devait être 20 p. 100. D'accord.
La réunion de consultation de la zone 24 était prévue le lendemain. Les pêcheurs ont planché sur la question pendant toute la soirée. Lors de la réunion du lendemain, ils ont offert les 20 p. 100 que le MPO nous avait offerts. Les représentants du MPO ont interrompu la réunion, ils ont fait un appel et, quand ils sont revenus, ils ont annoncé que ce devait être 30 p. 100. La salle a littéralement explosé. Les membres de la flottille permanente étaient renversés.
Quand j'ai transmis l'information à nos membres, vous ne pouvez imaginer leur réaction. Ils disaient qu'il ne fallait rien donner du tout, parce qu'ils prennent toujours plus. Nous avons transmis l'information par courrier électronique aux gestionnaires du bureau régional. Ils ont répondu que nous étions revenus à la case départ, et qu'il fallait tout simplement faire comme tel. Nous sommes alors retournés à la table de négociation et nous sommes arrivés à un arrangement. C'est à ce moment que nous nous sommes entendus pour 17,8 p. 100, c'est-à-dire 8 nouveaux permis permanents. Nous en sommes arrivés à une flottille unique de 45.
C'est ce dont je vous parlais plus tôt — une flotte unique au lieu d'accès temporaires, parce que la vie est déjà assez compliquée. J'y reviens toujours, si les coûts augmentent, nous ne savons pas encore dans quelle mesure, il faut que le stock suive. Nous avons offert le nouvel accès permanent sur la base de cette flottille unique de 45 membres. Notre offre a mené à une reconduction, parce que la proposition a été transmise au ministre par le bureau régional, qui a oublié de mentionner que nous avions consenti à la proposition de nouveaux accès permanents du ministre. Le bureau régional a transféré notre message électronique dans lequel nous disions que nous ne voulions rien donner par peur de tout perdre.
On aurait pu intituler ce chapitre Pax Romana, comme nous l'avons découvert après un certain temps. Selon la loi romaine, il faut diviser pour régner. Tout le monde est furieux. Ils ont offert 40 p. 100 à la flottille temporaire. Ils nous ont dit que l'offre avait été acceptée, et ils ont changé tellement souvent d'avis que nous étions tous au bord de la folie. Et puis la sanction finale : « Nous allons décider nous-mêmes et ce sera sans appel. »
Nous avons cherché tant et plus la meilleure façon d'aborder cette question. Nous convenons de l'urgence de trouver une solution. Nous admettons que c'est le chaos. Cependant, le fait est qu'une multitude de participants temporaires sont convaincus que le MPO leur a offert un accès permanent de 40 p. 100 et qui refusent d'admettre que le stock court à l'extinction dans des régions déjà faibles économiquement. Ils sont titulaires de permis de pêche d'espèces principales et oui, la pêche au homard a pris du mieux. Des mesures de conservation sont en place et leurs entreprises se portent mieux maintenant, et ils ont pris l'habitude de ces rentrées d'argent. Comme si on avait donné un bonbon à un enfant et qu'on essaie de le lui enlever ensuite. Une fois qu'ils y ont goûté, essayez toujours.
Les problèmes sont complexes dans un tel environnement. Le ministre aura de très difficiles décisions à prendre. Nous essayons de l'aider.
Le sénateur Johnson : Où pêche-t-on le crabe des neiges ailleurs dans le monde?
M. MacDonald : En Alaska, dans le golfe, au large de Terre-Neuve, au Japon et au Groenland.
Le sénateur Johnson : Et comment assure-t-on l'intendance de la ressource à ces endroits?
Le sénateur Mahovlich : Pêchez-vous du crabe royal?
M. MacDonald : Non, il n'y en a pas chez nous.
Le sénateur Mahovlich : Il s'en trouve seulement en Alaska.
M. MacDonald : C'est exact. Il y a également le crabe royal de roche, qui est sensiblement de la même taille que le crabe royal, mais nous n'avons pas trouvé beaucoup de spécimens. Pas suffisamment pour en faire l'exploitation commerciale. Mais il faut le voir. C'est un crabe très épineux.
Le sénateur Mahovlich : Sur la côte est, les espèces de crabe sont-elles toutes commercialisées?
M. MacDonald : Nous avons surtout du crabe des neiges, qui a une valeur commerciale, oui. On l'appelle aussi le crabe araignée. Sur le plan de la taille, le crabe royal est très gros, alors que le crabe araignée est plus petit.
Le sénateur Johnson : Pour ce qui est du crabe des neiges dont nous parlons depuis le début et qui est pêché dans ces autres pays, pouvez-vous me dire comment ils procèdent? Pouvez-nous nous inspirer des méthodes de gestion du stock d'autres pays, ou sommes-nous tous à la même enseigne?
M. MacDonald : En Alaska, je sais qu'ils ont pêché en énormes quantités et que le stock y est affaibli. Il n'a jamais pu retrouver les niveaux dont ils parlent. Seule la concurrence comptait.
M. Kennedy : L'industrie alaskienne de la pêche du crabe des neiges a suivi en gros le même parcours que la nôtre. Il y a 20 ans environ, leurs niveaux de captures avoisinaient les 380 millions de livres. La pêche s'est par la suite complètement effondrée, puis elle a connu un soubresaut, autour de 168 000 livres. Et depuis, c'est l'anéantissement total. Elle a pu tirer depuis entre 20 et 30 millions de livres, c'est tout. C'est très mince. Nous en sommes un peu au même point. Nous n'avons aucune explication scientifique de l'effondrement, et rien n'indique un rétablissement complet. Cependant, selon toute logique, Mère Nature devrait faire son oeuvre en ce sens.
M. MacDonald : En Islande, je sais que le nombre de pêcheurs est limité et qu'il y a un régime de taxation, un peu comme je l'ai suggéré plus tôt. Ils peuvent déduire une bonne partie des coûts. Si on en revient à la richesse et à la génération de richesse, il faut bien admettre que notre régime fiscal ne permet pas de gagner beaucoup d'argent légalement sans en remettre une bonne partie à l'Agence du revenu du Canada, l'ARC, qui ne réinvestit pas beaucoup en revanche dans la collectivité et son développement. Si nous faisons en sorte de préserver une industrie de la pêche, d'assurer sa viabilité à long terme, et de réinvestir cet argent dans les collectivités ou de le remettre au contribuable, tous les Canadiens y gagneront au change.
Le sénateur Johnson : J'ai entendu parler de l'industrie de la pêche en Islande. Comment y procède-t-on? Est-ce que les méthodes de gestion des pêches sont applicables au Canada? Comparativement à d'autres pays, je crois que l'Islande s'impose depuis un certain temps comme un modèle dans le domaine des pêches.
M. MacDonald : Au Canada aussi, en règle générale, nous avons fait du bon travail. Par contre, chacune des sous- zones de gestion, comme le secteur est de la région Scotia Fundy ou la région du golfe, sont des petits royaumes à l'intérieur de la gestion des pêches. Chacune peut gérer selon son bon jugement, chacune voit à la gestion de ses ressources. Ce qui est fait dans la région Scotia Fundy ne convient pas nécessairement pour le golfe. Même si la pêche est de compétence fédérale, chacune des régions a une marge de manoeuvre, pour tenir compte des spécificités. Dans notre cas, nous fonctionnons sous le régime de gestion de la région Scotia Fundy, de sorte que nous devons nous tourner vers d'autres pays pour trouver des stratégies de gestion décentes. Nous avons évoqué celles de notre pays, mais elles ne sont pas appliquées dans notre région.
Le sénateur Johnson : Je vous souhaite bonne chance. Je suis certaine que vous trouverez une solution.
Le président : Le temps file et nous devrons conclure sous peu. J'ai quelques questions à vous poser, pour bien comprendre votre position.
Si j'ai bien compris, il y a 16 participants autochtones, 21 traditionnels et 650 temporaires. Dans le cas des 16 permis autochtones, savez-vous s'ils font la pêche eux-mêmes ou s'ils fonctionnent par redevances?
M. MacDonald : À l'origine, deux permis autochtones ont été délivrés, tout de suite après l'établissement des quotas individuels, les QI. C'était au début des années 90. Dès que les QI ont été instaurés en application de la Stratégie des pêches autochtones, la SPA, la flottille originale de 22 membres a été divisée par 24. À ce moment, deux permis autochtones ont été établis, et la bande Millbrook en a acheté un. Il y avait donc trois permis autochtones avant le jugement Marshall. Quand la pêche a commencé, et même après le prononcé du jugement, elle était confiée à des bateaux autochtones dont les capitaines étaient des pêcheurs non autochtones. Mais depuis, toutes les bandes ont appris et continuent d'apprendre et, dans certains cas, elles pêchent elles-mêmes. Elles devaient passer par cet apprentissage pour devenir leurs propres maîtres. C'est, en ce sens, très salutaire.
Le président : En 1999, les femelles ont disparu. Pourtant, vous ne les pêchez pas. Avez-vous une petite idée de ce qui a bien pu se passer?
M. MacDonald : Nous n'avons aucune explication concrète. Je pourrais vous livrer le fruit de mes réflexions, mais...
Le président : Le ministère des Pêches et des Océans a-t-il cherché à le savoir ou a-t-il confié ce mandat à votre flottille? C'est un aspect qui me gêne depuis longtemps. Les budgets de recherche scientifique ont fondu comme neige au soleil, et j'ai horreur de m'entendre répondre par le ministère des Pêches et des Océans « qu'il ne sait pas ». Nous devons trouver le moyen d'assurer la pérennité, mais le ministère des Pêches et des Océans « ne sait pas ».
M. MacDonald : Je suis toujours étonné de voir à quel point le ministère dépend des avis de la communauté scientifique pour un secteur aussi important de notre économie.
Le président : Vous avez tout à fait raison. C'est typique du MPO. Si la flottille ne fait pas elle-même la recherche scientifique ou si elle n'a pas le budget nécessaire, qu'elle aille se faire voir ailleurs.
M. MacDonald : Rien de plus vrai. L'un des atouts de la pêche au crabe des neiges est qu'elle est lucrative. Nous avons réinvesti les profits dans la recherche. Les scientifiques associés à la pêche au crabe des neiges ont obtenu beaucoup de soutien de l'industrie. Dieu merci parce que le gouvernement a considérablement coupé tous azimuts, dans des secteurs qui constituaient l'épine dorsale du processus décisionnel. Sur la question des femelles, j'ai une réponse. On a fait beaucoup de recherches, mais on ne sait pas vraiment pourquoi elles ont disparu. Des prospections séismiques sont menées au Cap-Breton, du côté du golfe. Je crois qu'on a établi un certain lien entre l'activité sismique et la diminution de l'effectif des crabe des neiges femelles. Des secousses sismiques ont été enregistrées au large durant cette période, mais personne ne sait vraiment si elles sont responsables. Peut-être que oui, peut-être que non. Des facteurs environnementaux peuvent aussi être en cause. Quoi qu'il en soit, on fait beaucoup de recherches, qui sont rendues possibles grâce au soutien financier de l'industrie. Et l'industrie peut financer les travaux parce que la valeur de la ressource le lui a permis.
Le président : C'est vous qui payez. C'est une autre chose.
M. Kennedy : L'an dernier, nous avons investi 680 000 $ dans la recherche scientifique.
Le président : Le bureau du greffier m'a donné l'adresse d'un site d'où je peux accéder au Rapport sur l'état des stocks — Région maritime, produit par le MPO en 2000. On y relève deux grands problèmes. Premièrement, on utilise des termes comme tenir pour acquis, extrapoler, estimer, ne peut imputer uniquement, peut-être, hypothèses, et probablement inconnu. Les cheveux m'ont dressé sur la tête. Ils ne le savent pas, voilà la vérité. Nous avons une ressource si précieuse que des pays tout entiers donneraient le trésor royal en échange, et nous sommes là à répéter qu'il faudrait faire des études mais que nous n'avons pas l'argent.
M. MacDonald : Vous réaliserez sous peu à quel point nous en savons peu sur la pêche au crabe des neiges à Terre- Neuve. On n'y fait aucune recherche, personne ne cherche à comprendre ce qui se passe. Quand la débâcle sera imminente, ils crieront au loup. Le rapport de votre Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, le CCRH, pourrait en faire état. C'est vraiment un problème.
Le président : Dans un autre ordre d'idée, parmi les pêcheurs temporaires — les quelque 650 qui ont des parts —, certains sont des pêcheurs de homard, n'est-ce pas?
M. MacDonald : Pour faire partie des pêcheurs principaux, il faut être propriétaire d'une entreprise de pêche importante. Chacun de ces participants possède une entreprise de pêche importante dans un autre secteur de pêche.
Le président : Et comment obtiennent-ils leur petite part de la ressource?
M. MacDonald : Le MPO s'est octroyé la responsabilité de la répartition.
Le président : À qui?
M. MacDonald : Aux pêcheurs principaux.
Le président : À tous?
M. MacDonald : À tous. Les 650 parts sont réparties entre les zones 23 et 24.
Le président : Chaque pêcheur...
M. MacDonald : Pendant un moment, il y a eu tout un branle-bas autour de l'achat des permis principaux du sud- ouest de la Nouvelle-Écosse afin de les ramener dans notre zone, pour faire du profit. La valeur des permis principaux a monté en flèche. De 5 000 à 7 000 $, ils valent maintenant entre 50 000 et 60 000 $.
Le président : Chacun de ces titulaires de permis, les pêcheurs de poisson de fond et de homard, ont reçu leur petite part du gâteau?
M. MacDonald : C'est exact.
Le président : Si j'ai bien entendu, certains ont des bateaux de petite taille. La plupart, surtout ceux du secteur est, sont certainement trop petits pour parcourir les distances illustrées dans le document.
M. MacDonald : Vrai.
Le président : La plupart devront probablement se tenir à proximité de la côte.
M. MacDonald : Oui.
Le président : Ne risquent-ils pas de mettre en danger les stocks côtiers?
M. MacDonald : Oui, sans aucun doute. Il risque d'y avoir une surpêche localisée et les problèmes qui s'ensuivent. C'est sans issue. Ce système oblige à multiplier les permis sur une embarcation, de sorte que nous avons maintenant des capitaines en pantoufles. Ils n'ont pas eu le choix de fonctionner par droits de redevance, à cause du mode de répartition. Il n'y a rien à faire; le système crée le problème.
Le président : Un capitaine en pantoufles pêche en restant bien confortablement dans son fauteuil, à regarder Oprah.
M. MacDonald : Il n'a aucun effort à faire, ce qui selon moi déstabilise toute l'économie. Quand des gens sont payés à rien faire, toute la collectivité s'en trouve déstabilisée.
Le président : N'est-ce pas le modus operandi du MPO? Il a essayé de coincer tous les secteurs de pêche dans son système de quotas individuels transférables, les QIT. Si c'est impossible dans un secteur, le MPO essaie de lui créer un système pour lui imposer les QIT. Les pêcheurs ne sont pas payés pour pêcher leur petite part de crabe des neiges. Au lieu de vendre du poisson, ils vendent des droits d'accès à la ressource, et constitue en quelque sorte une société, n'est-ce pas?
M. MacDonald : Oui, et notre plus grande crainte est que ces petites parts ne tombent entre les mains de plus gros intérêts, parfois complètement étrangers aux pêches. Il pourrait s'agir d'une entreprise de transformation qui fait des profits en garantissant son approvisionnement...
Le président : Ou un dentiste de Toronto.
M. MacDonald : ... ou un dentiste de Toronto. Le cumul autorisé des parts risque de déstabiliser la commercialisation, comme nous l'avons évoqué plus tôt. Au départ, l'idée semblait lumineuse. L'idée était de ne pas reproduire les problèmes de la zone 12, où une immense richesse est réservée à une toute petite collectivité. Ils sont trop riches. C'est le fondement historique. Pour ne pas répéter l'histoire, on a dépassé les bornes. On n'a pas permis à la flottille de se développer à son plein potentiel, ce qui lui aurait permis de répartir l'effort de pêche pour contrer le déclin du stock.
Le président : Monsieur MacDonald, vous pêchez toujours, j'espère?
M. MacDonald : Oui, je vais à la pêche chaque année.
Le président : À titre de pêcheur, vous arrive-t-il parfois de ne pas dormir la nuit en pensant que ceux qui sont responsables de votre pêche au crabe des neiges, ceux qui prennent les décisions et qui conseillent le ministre, sont exactement les mêmes qui ont imposé des quotas pour la pêche à la morue à Terre-Neuve? Avez-vous peur parfois quand vous y pensez?
M. MacDonald : Je suis mort de peur. Nous nous trouvons ici aujourd'hui parce que, après avoir pris connaissance du rapport scientifique la semaine dernière — et des travaux du groupe indépendant que nous ne trouvons pas si indépendant ainsi que de ce qui pourrait advenir de ses recommandations... Il est déjà très difficile de composer avec les fluctuations du marché, avec la danse des prix qui peuvent passer de 2 $ à 1,60 $, puis remonter à 3,60 $ sans avertir. C'est toujours l'inconnu. C'est l'inconnu également du côté des stocks, qui connaissent des hauts et des bas. Nous ne pouvons jamais gagner à ce jeu. Si les prix grimpent, nous pouvons tout donner. S'ils baissent, tant pis. Nous pouvons fusionner nous-mêmes les activités. Nous pouvons répartir l'accès autant que possible, et permettre ainsi l'autofusion, à un point tel que les permis seront moins nombreux en 2010 qu'aujourd'hui, parce que nous les aurons donnés à n'importe qui et que nous les avons laissés se fusionner en une seule entité. Cela rend les choses plus acceptables.
Le président : À ce sujet, la semaine dernière, je lisais le compte rendu d'une entrevue que vous avez donnée à un journal d'Halifax. Vous y parliez de la concentration croissante de la propriété, un mouvement qui donne à ceux qui transforment le poisson plus de contrôle sur les prix à quai. Vous nous avez permis de passer une soirée instructive et très intéressante. Nous espérons vous revoir de nouveau, et que nous pourrons vous aider dans votre combat.
La séance est levée.