Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 5 - Témoignages du 21 avril 2005
OTTAWA, le jeudi 21 avril 2005
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui à 10 h 47 pour examiner, pour en faire rapport, les questions relatives au nouveau cadre stratégique en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada.
Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je déclare la science ouverte.
En octobre 2004, le Sénat a donné au comité un ordre de renvoi pour examiner les questions relatives au nouveau cadre stratégique du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans.
[Traduction]
Avant de donner la parole aux témoins, je voudrais faire quelques observations qui pourront être consignées au compte rendu. Que je sache, aucun des membres de notre comité ne siégerait à ce comité s'il était d'avis que nous étions là pour mettre encore plus d'argent dans la poche des investisseurs. Nous sommes là non pas pour aider les investisseurs à s'enrichir, mais pour améliorer la vie des gens. Nous avons une responsabilité envers les collectivités. Certaines collectivités côtières existent depuis des centaines d'années. Les habitants de ces collectivités doivent leur existence et leur survie principalement à la pêche. Tout gravite autour de la pêche dans ces collectivités où l'on a investi dans des écoles, des restaurants, des maisons, des services municipaux, et j'en passe.
La question est la suivante : le gouvernement a-t-il l'autorité morale voulue pour réaffecter les ressources de la pêche afin d'enrichir ceux qui n'ont aucun attachement à ces collectivités qui dépendent de la pêche? Nous nous demandons s'il est vraiment nécessaire de priver les habitants de centaines de collectivités, si bien que les gens seraient obligés de déménager et que leur mode de vie serait supplanté par une pêche industrielle dont la performance est loin d'être exemplaire. Il ne faut oublier que la morue du Nord était, dans l'ensemble, soumise à un modèle industriel quand les stocks se sont effondrés. Nous avons le devoir, dans l'intérêt de tous les Canadiens, de déterminer s'il n'y a pas d'autres modèles qui valent la peine d'être examinés.
Le Canada a en fait apposé sa signature à des documents internationaux qui l'obligent à tenir compte des conséquences socio-économiques de ses décisions pour les collectivités côtières. Il est notamment signataire du Droit international de la mer.
Cela dit, nous tenions à rencontrer des témoins des collectivités côtières, et nous sommes très heureux d'accueillir ce matin Son Honneur Allister H. Hann, maire de la municipalité de Burgeo, Terre-Neuve et Labrador. M. Hann est accompagné de George Reid, maire adjoint de Burgeo.
Comme le savent la plupart des Canadiens, la pêche du poisson de fond de l'Atlantique a connu un effondrement massif audébut des années 1990, que certains avaient qualifié à l'époque de « catastrophe de proportion biblique ». Le comité souhaite ardemment vous entendre nous parler de votre expérience et des mesures que nous pourrions prendre pour améliorer les choses et éviter ce genre de catastrophe à l'avenir. Nous pouvons peut-être tirer des leçons de votre expérience afin que nous, parlementaires, puissions mieux faire les choses et empêcher la répétition de ce qui s'est produit.
Votre honneur, nous vous souhaitons la bienvenue à notre comité. Nous attendons avec impatience de vous entendre etpeut-être de dialoguer avec vous au moyen d'une période de questions qui pourra suivre la présentation de votre exposé.
Son Honneur Allister J. Hann, maire, municipalité de Burgeo, Terre-Neuve-et-Labrador : Je tiens à remercier le comité d'avoir bien voulu nous permettre, au maire adjoint Reid et à moi-même, de venir vous rencontrer aujourd'hui pour vous aider à comprendre ce qui s'est produit dans la municipalité de Burgeo — je devrais peut-être dire, la belle municipalité de Burgeo, et avant 1992, j'aurais pu parler de la belle et prospère municipalité de Burgeo; mais j'ai dû en laisser tomber un depuis.
Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas Terre-Neuve, Burgeo se trouve sur la côte Sud. Les eaux y sont libres de glace à longueur d'année, et, pour vous aider à vous situer, nous ne sommes pas tellement loin des îles de Saint- Pierre et Miquelon. Nous partageons la même côte.
Avant 1941, Burgeo, comme la plupart des municipalités, vivait de la vente de poisson salé sous l'action du sel et du soleil. En 1941, Burgeo a toutefois commencé à se lancer dans la vente de poisson frais. Je tiens à vous expliquer tout cela parce qu'il est important à mon avis de décrire l'évolution historique de la pêche à Burgeo. Auparavant, des goélettes chargées de poissons salés partaient vers Madrid, Cadiz et les Antilles.
En 1941, Fishery Products a amarré un bâtiment qui est devenu la première usine de transformation de poisson frais de Burgeo. On s'est mis à y geler le poisson dans de la saumure. Mais le 5 novembre 1942, en cette nuit Guy Fawkes, le bâtiment a pris feu et a été détruit.
En 1943, Fishery Products a construit une usine sur terre. La compagnie est restée à Burgeo. Puis, pendant la période allant de 1943 à 1955, sont venus les chalutiers dits « otter trawlers ». Même à l'époque, Burgeo était déjà parmi les pionniers dans ce domaine.
En 1955, Fishery Products a toutefois décidé de regrouper ses activités. La compagnie s'est retirée de certaines villes, dont Burgeo. C'est Lake Group, mieux connu sous le nom de Spencer Lake, devenu plus tard président du Conseil canadien des pêches, qui a ensuite exploité l'usine de Burgeo de 1955 à 1971. Pendant cet intervalle, une autre usine a été construite à Burgeo, une importante usine de transformation du hareng construite par National Sea Products et Lake Group.
En 1971, le syndicat est arrivé à Burgeo. Une grève a ensuite été déclenchée qui a semé la discorde et conduit à des affrontements entre les habitants qui se sont poursuivis tout au long de l'année 1971 jusqu'à ce que M. Lake ferme l'usine et décide de se retirer. National Sea Products a ensuite repris l'usine et, en 1976, la compagnie a construit une usine ultramoderne à Burgeo.
Dès 1990, cependant, la National Sea Products a commencé à se retirer de la pêche en tant que telle pour se concentrer davantage sur le produit fini, si bien qu'elle a quitté Burgeo et que l'usine a été reprise en 1990 par Seafreez Foods Incorporated. Puis, en 1992, avec le moratoire sur la pêche de la morue, l'usine a fermé ses portes. Elle est restée fermée depuis, sauf pour une courte période en 1999, où nous nous en sommes servis pour la transformation de crabe.
Jusqu'en 1992, les travailleurs de l'usine de poisson de Burgeo, qui étaient plus de 400, travaillaient 52 semaines par an. L'usine n'était pas saisonnière; elle tournait à longueur d'année. Au moment de la fermeture de la pêche, notre collectivité dépendait des chalutiers pour 99 p. 100 de la matière première. C'est que nos pêcheurs avaient abandonné la pêche avec ligne et hameçon, s'adaptant à la nouvelle technologie du chalutage hauturier. À l'époque, Burgeo comptait quelque 75 pêcheurs sur chalutier à plein temps.
Les affaires allaient tellement bien qu'il y avait généralement un chalutier au quai de Burgeo même la veille de Noël pour nous approvisionner pendant le temps des Fêtes et après. Cela vous donne une idée de notre productivité à l'époque.
Le sénateur Watt : Vous avez bien dit en 1992?
M. Hann : Oui, jusque là.
Dans les deux années environ qui ont suivi le moratoire, les gens ne se rendaient pas vraiment compte de ce qui leur arrivaient. Ils s'imaginaient qu'ils se réveilleraient un beau matin et que le poisson serait de retour, que l'usine rouvrirait et que la vie continuerait comme avant.
Mais le 6 mars 1994, jour que l'on pourrait qualifier de « dimanche noir », les chalutiers qui restaient ont été remorqués à la ferraille, quittant Burgeo à tout jamais. Les gens se sont alors rendu compte que le secteur des pêches à Burgeo ne serait plus jamais ce qu'il avait été.
Nous nous sommes empressés de chercher à diversifier notre économie. Nous avons mis en place un programme de services de réadaptation industrielle; ce fut le branle-bas de combat. Nous cherchions des solutions de rechange à la pêche au poisson de fond. Nous avons regardé du côté de la chasse aux phoques; le propriétaire, M. Barry, était disposé à aménager à Burgeo une tannerie pour les peaux de phoque, mais il exigeait certains engagements. Il demandait notamment une augmentation du quota de phoque, et il exigeait aussi que les peaux soient traitées jusqu'à l'obtention du produit fini, sans quoi elles ne pourraient être exportées. Le gouvernement provincial a refusé de se plier à cette exigence, et le gouvernement fédéral a refusé pour sa part d'accroître le quota de phoque. Par conséquent, nous n'avons pas obtenu la tannerie.
Nous avons aussi cherché à obtenir le quota de sébastes pour la zone 30 de l'OPANO, où il y a de très petits sébastes, mais en vain. Le quota appartient à Fishery Products International, qui ne s'en servait pas depuis des années, mais qui pensait peut-être s'en servir un jour. La compagnie ayant refusé de nous céder son quota, nous n'avons pas pu nous lancer dans cette pêche.
Nous avons aussi essayé du côté d'Argentine. Encore là, il n'y avait rien à faire. Il y avait une petite population de myes dans la région de Burgeo, mais elles n'étaient pas assez abondantes pour qu'on puisse en faire la transformation sur place. Nous avons aussi tenté des expériences du côté du crabe et de l'aquaculture, mais en vain.
En septembre 1998, nous avons toutefois vu une lueur d'espoir, la plus encourageante depuis la fermeture de l'usine. Nous avons appris l'existence d'une énorme population de crabe à l'extérieur de la limite des 200 milles. Personne ne pêchait le crabe à cet endroit et nous pensions que ce serait peut-être là notre salut si nous avions assez de chance pour que le MPO nous écoute. Une délégation de représentants de Burgeo s'est rendue à St. John's à plusieurs reprises. Nous avons rencontré le ministre Dhaliwal et tous les autres avec qui nous avons pu obtenir un entretien. Nous avons fait du lobbying et avons eu beaucoup de rencontres à l'échelle provinciale et fédérale.
À l'automne 1998, une pêche exploratoire a révélé la présence d'importants stocks de crabe. En 1999, le MPO a augmenté le quota de crabe à l'extérieur des 200 milles de 3500 tonnes, et c'est ce qu'il nous fallait pour mettre notre usine en activité. Le syndicat, le MPO et les pêcheurs étaient bien conscients du fait que le quota avait été accru à cause des efforts des gens de Burgeo; cela ne faisait aucun doute.
Le maire adjoint Reid était là, lui aussi, et il peut le confirmer. Je crois que le MPO aurait préféré que le quota soit accordé à Burgeo, et c'est ce que nous voulions. Peu nous importait qui allait pêcher le crabe, dans la mesure où il serait transformé dans notre usine. Mais le 17 mars 1999, le syndicat et les pêcheurs se sont réunis à Gander et se sont réparti le quota supplémentaire de 3500 tonnes. Burgeo n'était pas représentée à cette réunion et nous n'avons même pas eu droit à une patte de crabe.
En 2000, le quota de crabe a été réduit et l'espoir que nous avions de nous lancer dans la pêche du crabe s'est évanoui. Les propriétaires de l'usine avaient investi près de 10 millions de dollars afin d'aménager l'usine pour recevoir le crabe que nous nous attendions de recevoir, mais en vain.
Le sénateur Watt : C'était toujours en 1999?
M. Hann : C'est en 1999 que l'usine a été rouverte. Le tout n'a duré que six semaines, je crois.
Voici ce que je retiens de tout cela. Dans la vision du MPO en vue d'assurer un développement durable, il est question de promouvoir un modèle de cogestion avec les intervenants. Le MPO devrait établir des partenariats avec les intervenants et il devrait les consulter, les intervenants étant, non pas seulement les syndicats, les transformateurs et les pêcheurs, mais aussi les collectivités et tout ceux qui y vivent. Les transformateurs et les pêcheurs se déplacent pour suivre leurs intérêts. Or, il y a des gens qui n'ont pas de lien direct avec la pêche, mais qui en dépendent néanmoins.
Les types de partenariats dont nous préconisons l'inclusion dans le modèle de pêche de l'avenir donneront aux collectivités une certaine influence, un outil de négociation qui leur permettra d'établir des relations avec les exploitants afin d'assurer la viabilité à long terme de leurs opérations. Tout cela aura aussi pour effet d'assurer la responsabilisation des propriétaires, la stabilité et la reddition de comptes.
La collectivité de Burgeo s'est vue privée de la capacité de capture de cinq chalutiers hauturiers sans qu'elle n'ait rien reçu en retour.
L'exploitant est parti à Canso, en Nouvelle-Écosse, avec notre quota de poissons de fond, et il semble qu'il se soit maintenant retiré de Canso. Même si les stocks de poissons de fonds atteignaient des sommets inégalés, nous n'aurions rien. M. Barry garde la mainmise sur le quota. Les usines traditionnelles comme celle de Burgeo ne devraient pas être laissées pour compte. Elles doivent pouvoir compter sur quelque chose. Il faut que les pêches soient gérées différemment, et ce, dans l'intérêt de tous ceux qui sont concernés.
Quand Burgeo a perdu ses chalutiers et, avec eux, la matière première, ce fut le début de la fin pour notre usine et sa capacité à s'approvisionner.
D'autres collectivités se sont retrouvées dans des circonstances semblables quand leurs usines hauturières ont fermé. Mais quelle était la différence? Elles ont eu droit à un généreux fonds de développement. Certaines ont reçu des quotas raisonnables, comme ce fut le cas pour St. Anthony Resource Incorporated. Nous avons cherché à obtenir la même chose, mais en vain. Sauf pour celles de Burin, beaucoup des usines en question étaient des nouvelles venues comparativement à celle de Burgeo. C'est un fait. Prenons le cas de Harbour Breton, Grand Bank, Fortune et Marystown; Atlantic Fish, la première à l'échelle provinciale, a réuni toutes ces usines qui continuaient à tourner et en a aménagé une autre dans une raffinerie de sucre. C'est notre poisson qu'on transforme maintenant dans cette usine. Voilà ce qui arrive parfois quand on est trop nombreux dans un secteur de pêche.
Quand Burgeo a tenté de se lancer dans le crabe en 1999, nous étions considérés comme les derniers venus. Par conséquent, nous avons été les premiers à être éliminés. Par contre, dans le cas du poisson de fond, nous étions les premiers arrivés, mais nous avons quand même été les premiers à être éliminés. Il y a là un déséquilibre.
Je vais simplement vous faire la liste de ce à quoi certaines municipalités ont eu droit. St. Anthony a eu une allocation aux entreprises de 3 000 tonnes métriques pour la crevette dans la région. Trepassy, qui se trouvait dans le comté de John Crosbie — je peux, moi aussi, faire des observations politiques — a obtenu un fonds de diversification de 7 millions de dollars. Burin s'est vu accorder un fonds de développement de 12 millions de dollars, en plus de l'installation de transformation secondaire et d'un centre de carénage des chalutiers. Grand Bank a eu droit à un fonds de diversification de 7 millions de dollars. La petite municipalité de Gaultois a reçu un quota de 3 000 tonnes métriques de sébaste, plus un fonds de diversification de 5 millions de dollars.
Les autres municipalités sont sorties de tout cela avec quelque chose. Je me souviens que, lorsque je suis devenu maire de Burgeo, une des premières choses que j'ai faites a été de saisir le gouvernement de ce dossier. J'ai reçu une réponse de M. Pettigrew, qui était le comble du ridicule à mon avis. Notre municipalité avait perdu 400 emplois, et il nous a répondu que nous avions eu droit à beaucoup de projets de création d'emplois pour l'aménagement d'un sentier de promenade. Comment peut-on comparer 400 emplois rentables avec un projet de création d'emplois? C'était insultant.
À Burgeo aujourd'hui, en 2005, nos principaux employeurs sont le Centre des soins de santé et l'école. Quelque 200 personnes travaillent maintenant sur les plates-formes pétrolières et sismiques de l'Alberta, de novembre à avril. Une cinquantaine de personnes travaillent dans les vergers et les usines de transformation de poisson de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de l'Île-du-Prince-Édouard. En 1991, nous avions une population de 2 400, mais au dernier recensement, en 2001, elle n'était plus que de 1 782. Je suppose que nous sommes rendus à 1 600 habitants maintenant.
Notre effectif scolaire était de 661 en 1992, mais il n'était plus que de 164 en 2005. En 1992, nous avions 56 diplômés, alors que cette année, il y en a 15, et la maternelle n'a accueilli que six enfants en septembre.
Je crois vous avoir présenté un tableau assez complet. Quand une municipalité est en train de perdre tous ses habitants, les conséquences sont bien visibles.
M. George Reid, maire adjoint, municipalité de Burgeo, Terre-Neuve-et-Labrador : Le maire Hann vous a essentiellement présenté l'historique de Burgeo et des efforts qui ont été entrepris depuis 1992 afin d'essayer de redresser la situation. Je voudrais me concentrer sur certaines des politiques en matière de pêche qui ont été mauvaises à notre avis. Je n'ai pas vraiment un talent d'orateur, alors je vais lire mon texte.
Le comité a pour mandat d'examiner les nouvelles politiques du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches du Canada. Avant d'élaborer des politiques pour l'avenir, il convient de se pencher sur les lacunes des politiques antérieures. Je vais me servir de l'exemple de Burgeo pour vous montrer à quel point certaines de vos politiques antérieures en matière de pêche étaient injustes.
En juin 1990, SeaFreez a obtenu 36 000 390 livres pourl'usine de Burgeo et 40 000 320 livres pour l'usine de Canso, en Nouvelle-Écosse. En outre, la compagnie a eu droit à 252 millions de livres d'espèces sous-utilisées.
Pour tout vous dire, en 1993, le gouvernement fédéral — je veux bien insister là-dessus — a accordé à SeaFreez le droit de transférer tout le quota de Burgeo à Canso. Cette décision de la part du ministre fédéral des Pêches a signé l'arrêt de mort de Burgeo. Les habitants de Burgeo avaient mis leur avenir entre les mains du gouvernement fédéral. La politique existante de gestion des quotas de poisson est mauvaise. Le gouvernement fédéral n'aurait pas dû donner à des compagnies des quotas dont elles pouvaient se servir à leur gré. Il ne devrait pas avoir le pouvoir de détruire des municipalités en les privant de leurs ressources.
Quand les quotas sont accordés, ils devraient être assortis de conditions, et la municipalité intéressée devrait avoir un rôle important à jouer avant que des changements ne puissent être apportés. Le poisson appartient, non pas au ministre fédéral des Pêches ni à la compagnie, mais à la population. Il s'agit là d'un principe fondamental qui n'est pas pris en considération par les décideurs.
Il en a toujours été ainsi, et j'espère que vous serez en mesure de faire quelque chose.
En 1990, quand elle a acheté les usines de Burgeo et de Canso, la compagnie Seafreez a acheté le quota, mais pas les autres éléments d'actif. Il a fallu trois ans à Burgeo pour donner raison aux détracteurs. Il en a fallu dix en Nouvelle- Écosse, car d'après les rumeurs, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse aurait versé 10 millions de dollars par an à Seafreez pendant les dix années où elle y a exercé son activité. Après, elle a quitté Canso.
En supposant que Seafreez reconnaisse avoir obtenu 0,50 $ la livre à Burgeo en l'espace d'un an, l'affaire qui avait été conclue valait 18 millions de dollars. Quand elle a retiré son quota de Burgeo, c'était comme si elle avait dévalisé la banque avec la bénédiction du gouvernement fédéral. Cela n'aurait jamais dû se produire. Je l'ai dit à maintes et maintes reprises : la GRC devrait enquêter là-dessus. C'est d'ailleurs un scandale qui, avec le temps, se révélera être pire encore que le scandale des commandites.Dix-huit millions de dollars en l'espace d'un an, c'était uniquement pour la morue, et c'était sans compter les 250 millions de livres d'espèces sous-utilisées.
L'affaire mérite de faire l'objet d'une enquête indépendante approfondie afin de déterminer qui sont les responsables. Car, il y a des gens qui ont perdu leur gagne-pain, et il y a des municipalités qui ont perdu une génération entière de jeunes.
Ce dont nous parlons ici, c'est d'une ressource renouvelable dans une collectivité où les gens ne souhaitent pas devenir millionnaires. Nous achetons tous des billets de loterie, mais nous ne voulons pas devenir millionnaire. Nous voulons simplement gagner notre vie. À Burgeo, c'est moi qui remplis les déclarations d'impôt des gens. Ceux qui gagnent 20 000 $ sont riches comparativement aux autres. La plupart gagnent 15 000 $ ou 12 000 $; à deux, ils ont un revenu familial de 20 000 $, et c'est avec cela qu'ils vivent. Ils veulent simplement gagner leur vie et rester dans leur collectivité.
D'après moi, le Canada rural existe bel et bien. Il me semble que Burgeo, avec toute son infrastructure, ne devrait pas être vouée à la mort. À Terre-Neuve, nous nous retrouvons coincés dans notre aquarium. C'est la comparaison que j'utilise. Nous ne pouvons pas gagner notre vie dans le secteur de la pêche. Nous vivons dans cette île de l'océan Atlantique depuis 1492, mais nous en sommes maintenant réduits à ne plus pouvoir gagner notre vie. C'est honteux.
Les politiques actuelles sont injustes. Si jamais le poisson de fond revenait, à quel quota Burgeo aurait-elle droit? Nous n'avons aucun espoir étant donné les politiques actuelles.
Il y a tellement de politiques fédérales en matière de pêche qui sont mauvaises. Jamais on aurait dû autoriser les chalutiers congélateurs. C'est là la première erreur qui a été commise. Les pêcheurs l'avaient bien dit, mais le gouvernement fédéral a autorisé la construction de ces chalutiers qui sont venus détruire la ressource.
Il ne devrait pas y avoir d'ententes permettant à des bateaux étrangers de venir pêcher à l'intérieur de la limite des 200 milles. J'ai ici des données statistiques pour vous. En 1968, il y a 30 ans, les pays étrangers capturaient pour 3,2 millions de livres de morue environ, alors que les captures canadiennes s'élevaient à peine à 600 000 livres. Cette politique est toujours en vigueur comme l'atteste le fait que 15 pays étrangers ont reçu des quotas du Canada cette année pour pêcher au large du plateau continental de Terre-Neuve. Je ne crois pas que nous ayons fait beaucoup de progrès pour ce qui est de protéger notre zone de 200 milles.
Les politiques qui sont adoptées devraient se fonder sur un parti pris en faveur des collectivités. Ceux qui veulent obtenir d'importants rendements devraient investir dans les banques, dans les sociétés pétrolières ou dans les compagnies d'assurance. Il y a bien des endroits où on peut investir son argent et s'assurer un rendement de 10 ou 15 p. 100. Ce n'est pas là ce que nous attendons de la pêche. Les gens veulent simplement gagner leur vie. Dans le cas de Terre-Neuve, le poisson devrait être considéré comme une ressource rurale. Il semble que nous nous occupons des pauvres de toutes les autres régions, mais charité bien ordonnée commence par soi.
Quand j'étais en train de rédiger mon texte, je discutais avec ma femme de cette affaire de quota, et elle estime que le Sénat n'a pas vraiment de pouvoir. Je me devais de vous dire cela, parce que c'est ce qu'elle m'a dit. J'espère sincèrement que, avec le processus que vous allez mettre en branle au cours de l'année à venir, vous allez lui montrer qu'elle a tort.
Je vous remercie d'avoir bien voulu m'entendre, et je serai heureux de poursuivre la discussion avec vous.
Le président : Merci à vous deux pour ces exposés émouvants où vous nous avez fait part de votre expérience. C'est précisément cette dimension que nous voulons explorer, à savoir les conséquences des décisions antérieures pour nos collectivités, pour les centaines de collectivités qui jalonnent la côte Atlantique et celle de l'Ouest, de même que les collectivités de l'intérieur, comme vous allez le constater plus tard. Nous voulons examiner les erreurs qui ont été commises afin de voir si nous pouvons à tout le moins éviter de les répéter, et nous voulons nous préparer pour les répartitions futures, si jamais il y en a.
Pour ce qui est de savoir si nous avons un certain pouvoir, c'est là un sujet dont nous pouvons débattre. Nous verrons bien, mais nous aimons à penser que nous pouvons influencer les décideurs. Je sais qu'il nous arrive d'être frustrés par la façon dont les décisions sont prises, mais nous ne jetons jamais l'éponge. Sinon, nous ne serions pas là.
Cela dit, je vais donner la parole à la première personne qui vous posera des questions, le sénateur Charlie Watt, qui est de la région du Nunavik, au Québec.
Le sénateur Watt : Bienvenue. Vous nous avez présenté un tableau qui montre très clairement ce qui arrive à votre collectivité et ce qui arrive peut-être aussi à d'autres collectivités. Je viens moi-même d'une collectivité isolée, alors je peux comprendre ce que vous avez vécu. Il n'est pas toujours facile d'assurer le dynamisme et la viabilité de la collectivité quand on manque de possibilités économiques qui permettraient de nourrir sa famille. Voilà ce à quoi nous nous heurtons ici.
Je peux comprendre quand vous parlez de ces gens qui ne cherchent pas à devenir millionnaires, mais qui voudraient gagner leur vie, pouvoir continuer à vivre dans leurs collectivités, tout en conservant leur culture et leur identité. Ce sont autant de facteurs qui influencent énormément l'état d'esprit des gens.
La description que vous nous avez faite de ce qui s'est produit de 1955 jusqu'à nos jours montre à mon avis que la collectivité connaissait des progrès et des succès intéressants et qu'elle était un exemple de réussite économique. Maintenant, cependant, c'est autre chose. Vous êtes rendus au stade, si j'ai bien compris, où les collectivités sont sur le point de disparaître. C'est là quelque chose qui m'interpelle puisque je viens d'une collectivité dont la population varie comme la vôtre selon ce qui se passe dans la collectivité.
Après avoir entendu ce que vous nous avez dit du stade où se trouve maintenant votre collectivité, si la politique actuelle est maintenue, la situation ne va pas s'améliorer, mais elle va plutôt empirer; et cette politique aura sûrement une incidence sur les autres collectivités aussi. Il y a peut-être aussi les privatisations et la concurrence avec les grandes sociétés qui entrent en ligne de compte et, si l'on met sans cesse l'accent sur la capacité des sociétés à atteindre leur potentiel économique, au lieu de tenir compte de l'intérêt de la collectivité, il faudrait revoir tout cela. En tout cas, certains des membres du comité s'interrogent sur lebien-fondé de cette politique.
Mais nous nous demandons si, en tant que sénateurs, nous avons le pouvoir de faire quelque chose. Reste à savoir si nous allons pouvoir capter l'attention des autorités pour leur dire : voilà ce qui se passe dans les collectivités côtières, et cela ne devrait pas se produire.
Il nous faut trouver une solution, surtout parce que les collectivités ne reçoivent rien pour remplacer ce qui leur a été retiré. Si j'ai bien compris, aucune solution de rechange n'a été proposée afin de ramener l'économie au niveau où elle était.
Pourriez-vous nous dire ce qui va arriver à votre collectivité? Si j'ai bien compris, elle existe toujours mais il y a de moins en moins de monde et les inscriptions scolaires déclinent chaque année.
Si cela arrive à une localité, cela arrivera également à d'autres, pas seulement à Terre-Neuve mais sur toute la côte parce que c'est là que la population trouve de quoi vivre. Cela s'applique aussi aux Inuits dans l'Arctique. Nous sommes dans une situation similaire à la vôtre. Nous aimerions que l'allocation soit donnée à la collectivité locale plutôt qu'aux entreprises. Comme vous le savez, une entreprise, appartenant à une personne, peut être propriétaire de beaucoup de quotas.
Je conviens que la politique devrait être davantage orientée vers la collectivité. Je ne sais pas si nous serons en mesure de le faire mais je crois que l'objectif du comité est d'insister davantage sur le besoin de la collectivité.
S'il n'y a pas de débouchés, que voudriez-vous que nous fassions? Nous pourrions demander au ministère des Pêches et des Océans de réviser sa politique. Pourrait-on sauver la localité ce faisant?
M. Hann : Si l'on ne fait pas quelque chose très vite, notre village va disparaître. C'est évident. Il n'est pas nécessaire d'être très malin pour le voir. L'erreur a été commise en 1992, quand a débuté la crise. Quand on a donné de l'argent aux gens pour les aider pendant un certain temps, on aurait dû donner la priorité aux pêches. La province et le gouvernement fédéral auraient dû dresser un plan directeur. Tout ce que l'on a vu dans le secteur des pêches a été fait au petit bonheur. Chaque fois qu'il y a eu un incident, le gouvernement a réagi mais il n'y a jamais eu de plan directeur. Les administrations municipales, provinciales et fédérale doivent insister davantage sur les pêches, étant donné l'importance que cela a pour la région de l'Atlantique. Il faut arrêter un plan.
Nous avons fait certaines suggestions. Nous en avions fait une à M. Dhaliwal, si je ne m'abuse. On vous a souvent dit que l'on pêche le crabe à carapace molle parce que c'est trop tard dans l'année. Je vous ai dit que Burgeo était une usine qui tournait toute l'année. Nous n'avons pas de glace sur notre côte. Nous avons suggéré à M. Dhaliwal que nous pourrions essayer une pêche au crabe d'hiver. Il a dit : « Cela veut-il dire que vous iriez sur les Grands Bancs l'hiver? » J'ai répondu : « C'est ce que nous faisons depuis 50 ou 60 ans. C'est la même chose d'aller sur les Grands Bancs pêcher les crabes que pêcher les poissons de fond ». Nous voulions faire cette expérience mais on a toujours l'impression que nos idées tombent dans l'oreille d'un sourd. Personne ne nous écoute; personne ne veut essayer quoi que ce soit.
Si l'on avait accepté cette suggestion, on pourrait probablement avoir une pêche d'hiver. Le crabe serait pêché au meilleur moment pour être meilleur marché. Débarrassons-nous des bateaux de 65 pieds. Nous avions toujours des bateaux de 125 et 150 pieds. Pour ceux qui ne connaissent pas les Grands Bancs, le seul problème, l'hiver, c'est d'y aller et de revenir. Quand on est là, il fait bon. On est plus près du Gulf Stream. Quand on revient, il arrive évidemment que l'on rencontre de la glace.
Mais Pêches et Océans aurait pu accepter. Certains des ports de l'île n'auraient peut-être pas emboîté le pas parce qu'ils ne connaissaient pas la pêche l'hiver. C'était une occasion pour M. Dhaliwal de faire quelque chose pour notre village.
Je ne comprends pas comment certains peuvent être propriétaires de ce qu'il y a dans l'océan. C'est un stock qui appartient à tous. Les terres agricoles c'est différent. L'agriculteur doit planter et récolter mais, dans l'océan, c'est le grand agriculteur d'en haut qui s'occupe de planter et c'est nous qui récoltons. Ça ne leur appartient pas. Il faut que les gens comprennent qu'ils ne sont pas propriétaires de cette ressource. Le gouvernement fédéral est gérant et doit prendre une position ferme.
J'ai ici un article que je vous laisserai. Vous l'avez peut-être lu, parce qu'il a été écrit par la fille du sénateur Baker. Il s'intitule « Changing the Water on the Beans » et c'est de Averill Baker. C'est un bon article.
Il y a beaucoup de produits mais nous devons prendre certaines mesures fermes.
M. Reid : Il me semble que la plupart des permis et quotas de pêche ont été distribués sur une base politique. On n'a jamais pensé à la population. Quand on quitte Port aux Basques pour aller vers la péninsule de Burin, Burgeo se trouve à peu près au milieu. Il y a une route qui nous relie à la Transcanadienne. Autrefois, il y avait 15 ou 16 usines le long de cette côte. Aujourd'hui, il y en a une petite à Port aux Basques. Celle de Harbour Breton vient de fermer. Vous devriez écouter ce qu'ils ont à dire. Il n'y a rien d'autre entre les deux. Toutes ces usines ont disparu. Elles ont disparu évidemment à cause du moratoire sur la morue mais plutôt que de donner à certaines des permis de pêche au crabe, on les a tous donnés à la côte Est. J'ai entendu dire l'autre jour que sur la côte Est de Terre-Neuve, il y a quatre usines de crabe sur 40 kilomètres. C'est ridicule.
Le président : Dans la stratégie canadienne concernant les océans, les villages côtiers doivent participer activement au développement, à la promotion et à l'exécution d'activités durables. C'est quelque chose qu'il ne faut pas oublier. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dont est signataire le Canada, reconnaît l'importance de l'attachement de la population côtière à la mer et demande aux États de prendre en compte les besoins économiques des villages de pêcheurs côtiers. C'est une autre chose qu'il ne faut pas oublier. Le code d'éthique de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture en matière de pêche reconnaît la contribution importante des petites entreprises de pêche pour l'emploi, le revenu et la sécurité alimentaire des populations qui dépendent de la pêche et qui devraient bénéficier d'un accès préférentiel aux pêches. Le Canada en est également signataire.
M. Hann : C'est la première fois que l'on nous demande notre avis sur les pêches. Jusqu'ici, il nous a fallu aller à chaque fois demander si nous pouvions avoir une rencontre. On vous accorde alors une demi-heure et c'est tout. C'est la première fois qu'un groupe nous ait effectivement demandé notre avis.
Le président : Toute notre étude porte en fait sur les populations touchées.
M. Reid : J'aurais un commentaire à faire au sujet de ces citations. Elles ne se tiennent pas. C'est comme si quelqu'un avait écrit quelque chose juste pour écrire. Quelqu'un d'autre le lit et déclare qu'il comprend. Ça s'arrête là. C'est ce que nous avons constaté.
Le président : C'est la raison pour laquelle ces documents ne devraient pas être signés si nous ne sommes pas prêts à les respecter.
Le sénateur Mahovlich : Je ne pense pas être jamais allé à Burgeo. Vous avez dit que St-Pierre et Miquelon n'est pas loin de votre région. Ces îles connaissent-elles les mêmes difficultés que vous? Je sais qu'elles font partie de la France. Sont-elles plus prospères que votre village?
M. Reid : Absolument. Nous savons qu'elles ont leurs propres quotas. Elles ont leurs propres frontières qui leur ont été rendues en 1993.
Le sénateur Mahovlich : Leurs quotas sont-ils différents des vôtres?
M. Reid : Oui, elles ont leurs propres quotas et leurs secteurs autour de leurs îles. Je crois qu'ils pêchent encore du saumon de l'Atlantique en mer. Cela fait dix ou quinze ans qu'on ne le fait plus à Terre-Neuve mais ils le font encore.
Le sénateur Mahovlich : Notre gouvernement le permet-il? Avons-nous une entente avec eux?
M. Reid : Je ne sais pas, monsieur.
M. Hann : Pour ce qui est de Terre-Neuve et de St-Pierre, il y a ce qu'on appelle une ligne équidistante puisque l'on ne pouvait avoir les 200 milles; il y a donc une ligne équidistante qui représente la limite de part et d'autre.
La France a mis beaucoup d'argent dans St-Pierre et Miquelon et son industrie touristique connaît une expansion incroyable. Il y a donc eu un complément. St-Pierre et Miquelon ne dépend plus autant du poisson qu'autrefois. Je sais qu'ils font pêcher beaucoup de leur poisson. La flottille de Nouvelle-Écosse, de Sambro, pêche le quota de flétan de St- Pierre, entre autres. Je ne sais pas comment cela marche. Je suppose qu'ils pêchent le poisson et renvoient un certain montant à St-Pierre puis débarquent le poisson en Nouvelle-Écosse.
Si j'ai bien compris, aujourd'hui, St-Pierre et Miquelon fait surtout du tourisme. Il y a un nouveau bateau qui vient d'arriver cette année et avec les vols qui viennent de Nouvelle-Écosse et les bateaux d'excursion, etc., tous ceux qui vont là-bas pensent avoir été en France. C'est une attraction et je les en félicite.
Le sénateur Mahovlich : Ont-ils toujours les gendarmes?
M. Hann : Oui.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce que les crustacés sont importants dans votre secteur?
M. Hann : Nous n'avons jamais beaucoup de homard. C'est essentiellement le poisson de fond. C'est ce que nous avons localement. Et encore, lorsque nous avons obtenu un quota nous permettant d'aller loin les dernières années où notre usine était ouverte, beaucoup de nos bateaux pêchaient au Labrador. Ils allaient pêcher sur les bancs de Hamilton.
Le sénateur Hubley : Je vous remercie beaucoup de nousavoir présenté cette perspective des petits villages de pêcheurs de Terre-Neuve. Ce qui arrive chez vous se produit probablement dans beaucoup d'autres villages des Maritimes.
Est-ce qu'il est préférable que le système des permis de pêche privilégie les villages, que les quotas soient répartis entre les villages plutôt qu'entre certains pêcheurs ou grosses entreprises? Quelle serait la façon la plus efficace de gérer les pêches pour les localités rurales?
M. Reid : Oui, c'est l'idée que nous avons suggérée. Nous pensons que si c'est rattaché aux villages, l'entrepreneur doit essentiellement rester là. S'il ne reste pas, c'est quelqu'un d'autre qui viendra et fera les choses. C'est ce que l'on peut espérer. Aujourd'hui, s'il y a quelque chose qui ne lui plaît pas ou s'il n'apprécie pas les résultats ou encore s'il sait qu'avec la technologie moderne, il peut obtenir davantage dans une autre usine, il peut décider de prendre ceci à tel endroit, cela ailleurs et fermer les usines.
C'est ce qui s'est passé dans le cas de Seafreez dont nous parlions. Ils ont acheté les usines partout, les ont gardées en activité pendant un an, les ont fermées et ont transférer le quota dans des secteurs plus productifs où ils peuvent se concentrer. Ils ne s'occupent pas de la population.
Le sénateur Hubley : Le quota devrait-il comporter une disposition touchant le traitement du poisson? Autrement dit, si un village reçoit une allocation, devrait-il avoir le choix de traiter son poisson avant d'aller ailleurs? Cela devrait- il entrer dans l'équation?
M. Reid : Nous ne voulons pas dire que le village doit absolument le traiter. L'entrepreneur peut avoir un rôle. Il peut toujours diriger son entreprise et en être assuré. Mais ce qu'il doit faire, c'est rester là. Tout ce que nous demandons est que la population ait son mot à dire; si le gars déclare qu'il ne veut plus s'en occuper, très bien, parfait; il ne s'en occupe plus et il ne peut plus l'avoir. À l'heure actuelle, s'il dit qu'il veut fermer, il peut emporter son quota et aller ailleurs. Ainsi, nous nous retrouvons sans rien. Il part avec notre gagne-pain. C'est cela la situation aujourd'hui. Il y a quelque chose qui ne va pas.
Le sénateur Hubley : Pour éviter cela, la population devrait donc pouvoir lui dire de s'en aller s'il le veut mais de laisser son quota ou son usine; c'est cela?
M. Reid : Exactement.
Le sénateur Hubley : Comment voyez-vous l'organisation qui administrerait le quota? Est-ce que ce serait par la municipalité ou auriez-vous une association de pêcheurs? Si le quota revient au village, serait-ce à lui de décider de la façon dont seront utilisés les quotas et quels seraient les pêcheurs locaux, ou que tous les pêcheurs devraient le partager? Qui prendrait ces décisions?
Je ne dis pas que c'est ce qui se produirait mais si les décisions ne sont pas prises localement, il y a un risque qu'elles ne servent plus la population locale. Avec les structures municipales que vous avez certainement, comment pensez-vous que cela pourrait se faire?
M. Reid : Je pense que le gouvernement fédéral pourrait donner le contrôle du quota à la municipalité. Dans toute la mesure du possible, il ne s'en occuperait pas. Un entrepreneur pourrait déclarer qu'il convient de faire tourner l'entreprise s'il obtient le quota. Nous aurions ce quota et lui dirions qu'il peut le faire avec ce quota mais qu'il ne peut emporter ledit quota. S'il reste 10 ou 20 ans, cela ne change pas grand-chose. Le quota lui appartient à toutes fins pratiques jusqu'à ce qu'il décide de s'en aller et qu'il réalise que le quota n'est plus à lui puisqu'il doit rester au village.
Le sénateur Hubley : Pour les pêcheurs eux-mêmes, pensez-vous que certains de vos pêcheurs locaux iraient eux- mêmes pêcher ce quota et le ramener? Est-ce la façon dont ça fonctionnerait?
M. Reid : Jusqu'ici, nous avons des pêcheurs côtiers dans la région de Burgeo et ils ont des QI. Quand notre usine de poisson tournait, nous avions cinq chalutiers. Aujourd'hui, la façon dont le poisson est pris et qui le prend ne nous préoccupent vraiment pas beaucoup.
Je suis sûr que si on le donnait aux pêcheurs côtiers qui iraient le pêcher, ce serait très bien. Si l'entreprise elle-même avait des petits chalutiers pour le prendre, pas de problème. Nous n'entendons pas en fait dicter qui le prendrait. Nous disons simplement qu'on ne peut emporter ce quota ailleurs.
Le sénateur Hubley : Dans votre cas, il est plus important de contrôler le traitement du poisson que de laisser pêcher les pêcheurs de votre village?
M. Reid : Oui.
M. Hann : Peu importe qui pêche. Par exemple, si le village de Burgeo recevait X tonnes de poissons à pêcher et qu'il y avait des pêcheurs, il pourrait demander d'aller pêcher ce quota et cela ne poserait pas de problème.
Cela dit à propos des quotas locaux, j'ajouterais qu'il faudrait que ce soit structuré de façon à ce que les villages ne puissent pas non plus se retourner contre les entreprises. Si une entreprise de traitement vient s'installer dans notre village en 2006 et qu'au milieu de l'année, le village lui dit : « On ne vous aime plus,allez-vous-en! » et aille ensuite chercher une autre entreprise, ce ne serait pas normal. Il faudrait qu'il y ait également certains contrôles parce que l'on peut passer d'un extrême à l'autre. Il y a un juste milieu à respecter et je suis sûr que l'on pourrait avoir une structure qui prévoit qu'avant de se débarrasser d'une entreprise de traitement, il faudrait que celle-ci par exemple n'ait pas respecté l'engagement qu'elle avait pris. Ouvrir ce genre d'installations coûte cher. Il ne serait pas normal que quelqu'un vienne investir dans une entreprise pour qu'ensuite la municipalité lui déclare au bout d'un an qu'elle ne le reprendra pas l'année suivante. Il faut prévoir certains contrôles. Je suis sûr que si l'on prenait la peine de réfléchir à ce problème, on pourrait le régler. C'est une simple question de logistique et je crois que cela ne devrait pas poser de problème.
Le sénateur Hubley : Quand vous parlez de trouver une solution, vous pensez aux autorités locales qui pourraient y réfléchir?
M. Hann : Elles pourraient y participer. Ce serait l'entrepreneur et le gouvernement fédéral. Toutefois, cela ne se fera jamais car il faudrait que le gouvernement fédéral déclare : « Nous reprenons tout notre poisson. Aucun d'entre vous n'a quoi que ce soit. Nous repartons à zéro. » Cela ferait certainement les manchettes! C'est pourtant probablement cela qu'il faudra faire, même si cela semble un peu tiré par les cheveux. Ces mesures successives, plus ou moins aléatoires, ne donnent rien. Cela ne peut marcher. Il faut instituer de bonnes structures.
Le président : Nous allons maintenant passer au sénateur Peterson. C'est un nouveau sénateur qui est également nouveau au sein de notre comité.
Le sénateur Peterson : Oui, je suis nouveau. C'est mon deuxième jour. Bonjour, messieurs. Je viens de la Saskatchewan et je comprends le désespoir que vous pouvez ressentir en voyant les villages disparaître petit à petit. Nous connaissons cela dans les régions rurales, nous avons eu des gelées, la sécheresse, les sauterelles, etc., la baisse des prix des produits agricoles et toutes les difficultés que rencontrent les agriculteurs pour essayer de survivre. Ce matin, nous avons eu une réunion avec des producteurs de bétail qui rencontrent aussi les mêmes problèmes et qui voudraient essayer de mieux contrôler le produit qu'ils ont, qu'il s'agisse des installations d'abattage ou du reste.
Vous avez dit tout à l'heure que même si le poisson revenait, Burgeo est toujours exclue de toute façon. Faisiez-vous allusion aux quotas dont nous parlions tout à l'heure? Pourriez-vous nous expliquer un peu mieux ce que l'on pourrait faire pour que vous ne disparaissiez pas ou pour que vous réapparaissiez?
M. Hann : Nous n'avons plus de quota. Le quota pour le poisson que nous produisions à Burgeo est à M. Barry. C'est lui qui était propriétaire de l'usine. Si M. Barry revient à Burgeo, il aura le quota. Le maire adjoint Reid a parlé de quelque 36 millions de livres de morue. Il est certain qu'il n'y a pas actuellement 36 millions de livres parce que tout a diminué lorsque l'on a imposé le moratoire mais le quota reste là. Si la pêche reprenait, d'après ce que je sais, le quota de M. Barry remonterait à 36 millions de livres. C'est à lui et non pas à Burgeo. Il peut l'emporter pour aller où il veut— à Canso ou à Lunenburg, et Burgeo reste sans rien. C'est ce que je disais. Il n'y a pas actuellement de mécanisme qui l'obligerait à le rapporter. Vous avez dit que vous étiez de la Saskatchewan. Je comprends ce que vous voulez dire. J'ai regardé une émission à la télévision où ils démolissaient les silos à grain. C'est le signe d'un village qui disparaît en Saskatchewan. C'est un gros problème. Imaginez qu'on laisse quelques Espagnols, Féroïens et Japonais venir en Saskatchewan, prendre la moitié de vos terres et commencer à les exploiter. La population saskatchewanaise serait-elle satisfaite? C'est ce que nous connaissons ici. Nous avons tous ces gens-là dans nos champs.
Le président : Merci de ces questions intéressantes. L'analogie est en effet intéressante.
Le sénateur Johnson : Bonjour. J'ai vécu à Terre-Neuve pendant des années et je sympathise donc beaucoup avec vous.
En 2000, vous avez remis un mémoire au ministre dans lequel vous indiquiez cinq villages qui avaient reçu des subventions aux fins de diversification. Pourriez-vous me dire comment ils s'en sont tirés? Par exemple, Trepassey a reçu 7 millions de dollars pour se diversifier. Il s'agissait de les aider à franchir un cap difficile. Savez-vous si cela a aidé et ce que cela a donné? Cela fait maintenant cinq ans.
M. Hann : Je vais commencer par les collectivités que je connais mieux. St. Anthony est juste au bout de la péninsule Nord. Ils ont une allocation de crevettes pour une entreprise de 3 000 tonnes métriques. St. Anthony s'en tire bien, ne vous y trompez pas, parce que le village avait cette espèce principale. Ce qu'il nous faut, c'est une espèce principale. Si on peut en avoir une qui fait tourner l'usine, ensuite on peut traiter ce que nous appelons les autres poissons et gagner de l'argent là-dessus aussi.
La municipalité de Trepassey, si j'ai bien compris, a obtenu un fonds de diversification de 7 millions de dollars. Elle a quelques industries mais n'a pas très bien réussi. Je crois qu'un des problèmes est que Trepassey n'est pas tellement loin de St. John's. La péninsule d'Avalon à Terre-Neuve est en pleine expansion. C'est certain. Quand on passe à l'est de Grand Falls, la situation est totalement différente. Ils peuvent aller et venir.
Burin, je l'ai dit, a eu 12 millions de dollars. Burin a un secteur manufacturier et s'en tire assez bien.
À Grand Bank, je crois que Clearwater Fine Foods est passée à l'exploitation de la mactre d'Amérique. Quand on a quelques millions de dollars, on peut aller inviter des gens à venir investir et ils acceptent souvent; mais quand je dis que je n'ai pas d'argent et que je leur demande de venir investir, j'ai moins de chance de réussir.
Gaultois n'est pas reliée par la route. C'est une île. Ils s'en tirent mieux que nous. Ils sont propriétaires de leur usine de poisson et ils ont un quota de 3000 tonnes métriques de sébaste. Évidemment, le sébaste n'est pas un bon poisson pour le moment parce que les Chinois, avec leur main-d'oeuvre bon marché, gorgent le marché de sébaste. Quand quelqu'un gagne 25 $ et30 $ la semaine, une entreprise qui paie 12 $ et 15 $ de l'heure ne peut faire face à une telle concurrence. Le marché du sébaste est actuellement très mauvais.
Dans notre dernière demande de fonds de diversification ou de développement, nous avons fait une proposition à nos députés Bill Matthews et John Efford. Nous les avons fait venir à Burgeo. Nous leur avons exposé les choses. Nous voulions un quota de crevette. Il y a beaucoup de crevettes, c'est une ressource saine et abondante. Nous avons dit que si nous ne pouvions pas traiter nous-mêmes la crevette, nous pourrions la vendre dans l'océan. Nous pourrions la vendre à la Chine. Peu importe à qui. L'argent reviendrait à Burgeo et nous essaierions ainsi de faire venir une autre industrie puisque nous pourrions la subventionner. J'ai souvent dit que même si nous ne pouvons pas construire une voiture, nous pouvons peut-être fabriquer une bougie, mais nous n'avons absolument rien.
Le sénateur Johnson : Burgeo n'a rien reçu pour la diversification?
M. Hann : Non.
Le sénateur Johnson : Dans The Western Star, le 22 février, le député provincial a déclaré que la côte Sud subissait les effets du chômage et que la migration avait ruiné de nombreux villages autrefois prospères. Il déclarait que si le premier ministre voulait essayer de trouver une solution pour Harbour Breton qui inclut un quota communautaire, il devrait également songer à d'autres villages, dont Burgeo. Il disait aussi que Burgeo est un village de pêche traditionnel qui devrait pouvoir bénéficier d'un quota de morue communautaire. Cela a-t-il eu une influence quelconque sur votre situation? Y a-t-il eu un mouvement dans ce sens, à votre avis, ou s'agit-il seulement de belles paroles?
M. Hann : Je n'ai rien entendu dire.
Le sénateur Johnson : Ça vient du...
M. Hann : Oui, c'est ce qu'a écrit le député provincial.
Le sénateur Johnson : Et l'institut des pêches pour l'Atlantique Nord qui a été récemment inauguré à St. John's? Espérez-vous qu'il va s'occuper des pêches de Terre-Neuve et en particulier des petites localités?
M. Hann : Je suis membre de cette organisation et je ne suis pas trop optimiste même si elle compte des gens bien comme Leslie Harris et Gus Etchegary qui m'a donné quelques documents à distribuer que vous pourrez lire plus tard. C'est quelqu'un qui s'y connaît beaucoup en pêche. Je ne sais pas si l'institut pourra faire quelque chose. Il s'y prend différemment en essayant de mettre de l'information sur Internet pour voir si nous ne pouvons pas émouvoir les gens qui sont au pouvoir. À l'heure actuelle, un gars comme moi peut venir ici, vous parler, passer à la radio. Toutefois, je ne parle qu'aux gens à ce niveau qui n'ont ni pouvoir décisionnel ni grande influence. M. John Joy est un spécialiste du droit maritime qui fait du bon travail. C'est une autre tribune mais je ne suis pas tellement optimiste.
Le sénateur Johnson : Allez-vous participer à la grande conférence qui aura lieu à St. John's au début du mois de mai?
M. Hann : Non, mais notre association y sera tout de même représentée, et je partage l'opinion de Gus. Si vous pensez qu'on va pouvoir convaincre tous ces pays étrangers que la situation de Burgeo n'est pas juste et que pour le bien des Canadiens il faudrait arrêter de pêcher, détrompez-vous. Pensez-vous vraiment que c'est comme ça que ça va se passer? Eh non!
Le sénateur Johnson : La situation actuelle de Burgeo est telle que vous l'avez décrite. Rien ne change et il n'y a que cinq ou six enfants à la maternelle.
M. Hann : L'économie de Burgeo dépend entièrement de la province de l'Alberta.
Le sénateur Johnson : Est-ce que la population rentrera?
M. Hann : Pour l'instant, les gens font des allers-retours, mais cela ne va pas durer et je peux vous assurer qu'un jour ils ne reviendront tout simplement pas.
M. Reid : La population de base n'est que de 1 600 âmes environ. Je pense qu'en janvier et en février, environ 200 personnes sont parties, ce qui veut dire qu'il n'en restait que 1 300.
Le sénateur Johnson : Vous avez réellement besoin du quota de morue communautaire.
M. Reid : Effectivement.
M. Hann : Il y a autre chose par rapport à l'exode. Actuellement, nous avons au moins 20 propriétés inoccupées à Burgeo. D'après nos estimations, dans 10 ans, si rien n'est fait, il y en aura 120. Comment voulez-vous qu'un village survive alors qu'il y a 120 propriétés qui sont inoccupées? Il n'y a plus d'impôt à percevoir. Les enfants sont passés à autre chose et les parents sont décédés. Les maisons sont tout simplement là, vides. On ne peut déconnecter l'eau, mais on ne peut pas non plus percevoir des impôts. Ces maisons vides sont un rappel constant du problème.
Comme je l'ai dit au président, c'est en 1968 que j'ai construit ma maison à Burgeo. On faisait la même chose un petit peu partout au Canada. Pour la plupart de ces gens, 90 p. 100 à l'échelle du Canada, la valeur de ces maisons bâties en 1968 a triplé, voire quadruplé, mais moi, j'ai plutôt connu le phénomène inverse. Ailleurs au pays, les septuagénaires se disent qu'ils pourraient peut-être vendre leur maison pour s'acheter autre chose qui leur permettrait de vivre de façon autonome parce qu'ils estiment qu'avec l'argent de leur maison, ils pourront se le permettre. À Burgeo, c'est impensable. Dans le meilleur des cas, je pourrais louer avec l'option d'acheter, mais ça, ça voudrait dire qu'il faudrait que je vive longtemps pour ne pas mourir avant d'avoir tout remboursé.
Le sénateur Johnson : Burgeo se dépeuple, vous l'avez dit. À part le quota de morue, y aurait-il moyen de diversifier? La région est magnifique. Y a-t-il toujours beaucoup de touristes qui viennent de St. Pierre?
M. Hann : Le tourisme se porte assez bien, mais pas aussi bien qu'il le devrait.
Le sénateur Johnson : Il vous faut le quota de morue, entendu. Mais y aurait-t-il moyen de diversifier vos activités?
M. Hann : Le problème, c'est qu'à Burgeo les gens avaient l'habitude de travailler 12 mois par année. Sur la côte Nord, on travaillait six mois par année et on était toujours impatient de travailler. J'ai l'impression que nos gens recherchaient du travail tangible. Il est difficile pour eux de s'adapter à un autre type d'activité. Pour tout vous dire, je ne sais pas vraiment comment vous répondre.
Le sénateur Johnson : Ça fait longtemps que ce problème perdure.
Le président : J'aurais quelques observations et questions. Traditionnellement, le MPO n'a que rarement, voire jamais, considéré les collectivités à titre de parties prenantes. Pour lui, les parties prenantes sont les détenteurs de permis ou, des fois, des syndicats. C'est tout. De plus, le ministère encourage activement la pêche industrielle, et ce depuis un certain nombre d'années déjà, pas seulement au Canada, mais également à l'étranger. L'excuse qui est avancée pour ne pas décerner des quotas aux collectivités, c'est que ça serait inefficace. Je trouve ça bizarre, parce que d'une part, on dit que ces quotas sont inefficaces, et d'autre part qu'ils sont efficaces pour les groupes autochtones. En d'autres termes, on dit que ça marche bien pour les groupes autochtones mais pas pour les autres collectivités.
Le sénateur Watt : Cela n'est pas tout à fait vrai.
Le président : Nous pourrions les considérer comme des quotas communautaires. C'est une solution utilisée par les collectivités. Nous avons développé un modèle de quota communautaire afin de déterminer s'il pourrait être efficace.
À l'heure actuelle, on semble préférer que les propriétaires de quota se déplacent, restent dans une collectivité quelques années, amortissent rapidement l'usine puis vont ailleurs dans une autre collectivité où le gouvernement injecte quelques dollars qui leur permet de construire une nouvelle usine, et ils restent là encore quelques années puis vont s'installer ailleurs à nouveau, en laissant ainsi les communautés en rade.
Le gouvernement doit alors intervenir, verser des prestations d'assurance-emploi aux employés pendant un certain nombre de mois puis mettre sur pied un programme d'adaptation. Au bout du compte, c'est de toute façon le contribuable qui doit payer la note. Cela ne semble pas être pris en compte dans la façon dont les gouvernements abordent les quotas.
Cela m'amène a la question que je veux poser : avez-vous commencé à envisager la façon dont les quotas communautaires pourraient fonctionner? Est-ce qu'à Burgeo on possède lesavoir-faire voulu, ou connaissez-vous d'autres endroits où on a mis à l'essai les quotas communautaires? Avez-vous examiné leurs modèles pour déterminer s'il comporte des lacunes?
Savez-vous comment les contrats ont été conclus avec les exploitants pêcheurs et les entreprises de transformation pour s'assurer que ces personnes ne sont pas traitées injustement?Avez-vous envisagé un réseau de collectivités qui pourraient tâcher d'obtenir leurs propres quotas afin que vous puissiez unir vos efforts et préparer peut-être un modèle qui pourrait être présenté au gouvernement et serait efficace sur le plan de la commercialisation et de la distribution du produit, entre autres?
Ce que je veux savoir en fait c'est s'il existe un modèle qui pourrait être efficace pour Terre-Neuve et qui permettrait de répondre aux besoins d'un certain nombre de collectivités?
M. Hann : Non, En ce qui concerne les détails d'un tel plan, non ne nous sommes pas réunis pour établir un plan détaillé à cet effet. Dans le cadre de certaines réunions de notre conseil, je suppose que vous pourriez les qualifier de séances deremue-méninges, on a discuté de la possibilité d'établir un conseil indépendant qui représenterait l'ensemble des secteurs.
Je considère parfois que le gouvernement fédéral devrait conserver le contrôle. Nous avons également considéré que si cela se faisait dans notre région générale, cela pourrait se faire de façon régionale. Je ne crois pas que chaque collectivité peut avoir un quota et une usine. Il faudrait régionaliser dans une certaine mesure. Dans notre région en particulier — je préférerais qu'on n'en parle pas trop — certaines municipalités pourraient fusionner; mais s'il existe une base économique quelque part, certains seraient disposés à déménager. Ce serait comme passer de cette salle à l'autre salle; cela ne représenterait pas une mesure draconienne pour eux. Je pense qu'il serait possible de réunir les collectivités. Je considère qu'il faudrait que cela se fasse sur une base régionale. Si les conditions voulues sont réunies, je crois que cela peut donner des résultats.
Un pays à mon avis dont l'industrie de la pêche est florissante, c'est l'Islande. Beaucoup de gens du Canada vont là- bas examiner leur industrie de la pêche. J'ignore s'ils vont examiner l'industrie de la pêche simplement pour pouvoir visiter l'Islande. Cependant, je me demande parfois si nous ne devrions pas inviter des Islandais à venir au Canada pour qu'ils examinent notre industrie de la pêche et nous disent ce qui ne va pas. De toute évidence, ils ont adopté la bonne stratégie. Ce qu'ils font, ils le font bien. Bien entendu, ils viennent ici pour y pêcher aussi.
Le sénateur Johnson : Je suis entièrement d'accord avec vous. Vous avez tout à fait raison.
Le sénateur Mahovlich : Nous avons quelqu'un de l'Islande ici même.
Le président : Il y a un ambassadeur de l'Islande assis à la table.
M. Hann : Peu importe d'où ils viennent.
Le sénateur Johnson : C'est ce qu'on a suggéré voilà plusieurs années pour Terre-Neuve; ils l'ont jamais fait. À l'heure actuelle, il y en a à Harbour Grace dans l'usine de transformation du poisson.
M. Hann : À Harbour Grace, ils viennent pêcher les poissons, les congeler en mer, pour ensuite les décharger à Harbour Grace et finalement entrer en Islande.
Le président : Nous connaissons bien le modèle de la privatisation. Nous l'avons examiné et nous sommes conscients des avantages et des inconvénients qui s'y attachent. Or, à ma connaissance, très peu de travail a été effectué au Canada afin de vraiment étudier le modèle communautaire et les améliorations qui pourraient y être apportées. Il y a vraiment très peu de faits. La répartition des poissons semble être de plus en plus axée sur le modèle industriel.
Cela dit, vous avez soulevé la question de l'Islande, que nous devrions évidemment étudier; mais qu'en est-il de l'Alaska? À ma connaissance, l'Alaska a adopté un système de quotas établis en fonction des besoins des localités. Il existe également un modèle autochtone communautaire selon lequel les quotas sont rattachés aux collectivités. Il faudrait examiner tous ces modèles de plus près afin de déterminer si on peut les rendre efficaces. Pour l'instant, c'est un geste qui n'a pas encore été posé.
Nous sommes impatients de travailler en étroite collaboration avec vous à l'avenir. Vous formulerez peut-être d'autres idées dont vous pourrez nous faire part dans le cadre de notre examen de ce modèle communautaire. Nous cherchons à juger de la pertinence de ce modèle comme éventuelle solution à l'avenir.
Le sénateur Watt : J'aimerais m'attarder encore un peu sur ce sujet. Vous avez parlé de réunir deux esprits afin de trouver une solution au problème. C'est donc le premier point. Le gouvernement a également tendance à préconiser une approche universelle sachant bien tout de même qu'une seule approche pour tous ne répondra pas aux besoins de tous et chacun. Certaines zones seront victimes de cette approche.
Alors ceci dit, il y a également un troisième problème : en accordant aux particuliers le droit de détenir un permis on leur donne trop de marge de manœuvre pour aller là où ils veulent, et là où les nouveaux débouchés se présentent. Alors, compte tenu de ces points, vous avez parlé de la régionalisation. Et même au sein d'une région, il existe des différences entre les diverses collectivités; la capacité de s'épanouir sur le plan économique varie de collectivité en collectivité.
On a une assez bonne idée de ce que les orientations actuelles ont comme incidence sur les collectivités côtières. Selon les témoins, et non seulement ceux de votre organisme, le cadre d'action actuel ne fonctionne pas. D'après votre description, votre collectivité a été durement frappée si bien qu'elle aura bientôt disparue de la carte.
Alors ceci dit, c'est bien beau d'avoir une règle qui impose une seule série de politiques mais il faut être conscient de ce qui se passe au niveau communautaire même et se rendre compte que même dans les régions il existe des variations qui doivent être prises en compte. Il est maintenant temps de faire quelque chose. Le comité pourrait peut-être relever ce défi afin de formuler des recommandations à l'intention du ministère. Ainsi, le ministère aurait une meilleure idée de l'impact sur les collectivités. En d'autres mots, il faudrait réunir les deux esprits, c'est-à-dire le ministère des Pêches et des Océans ainsi que les collectivités qui sont très actives dans le secteur des pêches. Il faudrait aussi faire participer les municipalités afin d'arriver à des solutions au problème auquel fait face chaque collectivité, et ceci plutôt que d'essayer de trouver une solution identique pour tout le monde.
Votre collectivité en est l'exemple parfait. Elle montre qu'on devrait procéder à l'essai dès maintenant. On ne peut pas permettre à la problématique actuelle de perdurer. Vous en êtes déjà victimes. Je suis sûr que d'autres collectivités en sont déjà victimes et qu'il y en aura d'autres. Il n'y aura aucune issue. J'exhorte votre collectivité à se pencher là- dessus.
Si une personne qui détient un permis peut pêcher là où elle veut, peu importe les répercussions sur le bien-être de la collectivité, eh bien, c'est accorder un peu trop de pouvoir à une seule personne. Je pense que le ministère des Pêches et des Océans doit s'en rendre compte et comprendre que c'est ce à quoi mène cette nouvelle série de politiques.
Vous avez parlé de la réponse autochtone au problème. Je dois avouer que c'est en partie une solution et non pas la solution intégrale. Comme vous le savez, lorsqu'il s'agit de collectivités autochtones, on peut penser que cela se passe au niveau de la collectivité, mais ce n'est pas nécessairement le cas pour autant que tout se passe au niveau communautaire. Il existe une structure organisationnelle et, là encore, cela pose certains problèmes.
Il faudrait trouver une bien meilleure solution pour nous permettre de reprendre ce que nous faisons avec cette politique globale. Allons-nous permettre au gouvernement de continuer à établir une politique susceptible de s'appliquer à tous les contextes, tout en sachant que ce n'est pas le cas? Il nous incombe plutôt de sensibiliser les décideurs au fait que si nous nous engageons dans cette voie, une telle approche ne sera pas utile aux collectivités côtières et ne favorisera pas non plus lebien-être économique et social du peuple canadien.
Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet ? S'agit-il là d'une piste de solution, que de rapprocher les deux points de vue. J'ignore si l'on pourra en arriver à une solution, mais il faut bien commencer quelque part.
M. Hann : Tout à fait. On ne résoudra pas le problème en faisant rien. Ça, c'est sûr. Je pense qu'il est temps que le ministère s'attaque à la question. Peut-être pourrait-on faire un essai dans une zone pour voir si la régionalisation donne des résultats. Franchement, je n'ai pas la réponse. Or, comme l'a dit le maire adjoint Reid tout à l'heure, nous avons quantité de poissons et pourtant, il semble que le Canada soit plus ou moins le seul pays qui ne parvient pas à rentabiliser le secteur des pêches. Tous les pays semblent tirer leur épingle du jeu, sauf le Canada. Pourquoi le Canada a-t-il bousillé ainsi le secteur des pêches? Voilà la question!
Nous en avions, des poissons. Nous les avons donnés à d'autres. C'était la pire chose que l'on puisse faire. On n'aurait jamais dû le faire. Et nous voilà maintenant avec toutes ces revendications. Je vous assure. À une époque où j'étais beaucoup plus jeune que je le suis maintenant — et M. Reid en témoignera — les plus grands chalutiers que vous ayez jamais vus circulaient pendant la nuit à trois ou quatre milles du littoral. Tout au long de l'hiver, on aurait dit une grande ville en mer. C'est ce que nous avons vu. Après un certain temps, on a établi une limite de 200 milles, mais c'était comme si on fermait la porte de l'écurie une fois que le cheval s'était enfui.
Bien entendu, il y a toute cette histoire au sujet du nez et de la queue des Grands Bancs. Ce que j'ai toujours dit, et je le répète, c'est que c'est comme avoir une piscine dans laquelle on a le droit de faire pipi d'un côté mais pas de l'autre. Mais cela n'a aucun sens, et pourtant c'est notre approche au Canada.
Mr. Reid : Je pense que vous soulevez un très bon point. Je ne pense pas qu'on puisse imposer un contingent à chaque collectivité. Burgeo se situe au bout d'une route de 146 kilomètres et rejoint l'autoroute transcanadienne. Nous voilà, sur la côte sud. Port aux Basques est là-bas; la péninsule Burin est ici; nous sommes ici. Il y a cinq villes. L'une d'entre elles, parmi les îles, s'appelle Ramea. Ils avaient une usine de transformation du poisson. Ils ont tout fait pour obtenir au moins quelque chose; l'usine, ils l'ont eue voilà plusieurs années mais elle leur cause des ennuis. La population est à la baisse.
Les autres collectivités sont isolées et reliées par le traversier. On se considère comme étant le secteur de croissance de cette partie de la côte, si jamais il devait y en avoir un. Si nous échouons, toute la côte échouera.
La péninsule nord a suffisamment de crevettes et de crabe pour faire fonctionner quatre usines. Quatre collectivités sont comprises dans le quota. Je pense qu'il s'agit de crevettes. Ils s'en sortent assez bien. C'est de quoi faire vivre quatre collectivités. Il s'agit d'un quota régional, comme ceux dont vous avez parlé. Dans notre cas, il faudrait qu'un quota de Burgeo soit associé à cette collectivité-là. Elle deviendrait alors le secteur de croissance pour les autres petites collectivités.
Une petite collectivité compte 30 habitants; une autre 120; encore une autre 95; et la dernière en a 600. Je peux vous dire que si nous avions un quota pour cette région associé à Burgeo, tous ces gens déménageraient là-bas, s'il y avait suffisamment d'emplois.
Le système serait parfait. Différentes approches seraient élaborées pour cadrer avec les diverses régions. D'un côté, il aurait des quotas régionaux; d'un autre côté des quotas communautaires. Ça dépend de quelle région de Terre-Neuve vous parlez. La région de la péninsule nord fonctionne assez bien et je ne pense pas qu'un quota communautaire tel que celui de Burgeo en est un bel exemple. Personne ne dira : « On va en faire l'essai. »
Ceci dit, si le comité décide de mettre à l'essai un quota communautaire, j'aimerais que vous exerciez des pressions pour que la région de Burgeo soit choisie. Les gens de la baie Breton qui vont peut-être comparaître devant vous la semaine prochaine sont plus ou moins dans la même situation que nous. Ils ont été laissés pour compte. On leur a dit que leur usine était délabrée, et que cela coûterait trop cher pour la remettre en état; eh bien, ils vont quitter la région et prendre le quota avec eux. La même chose va arriver. Ils ont le pouvoir d'emporter le quota avec eux lorsqu'ils partent.
Je pense que vous avez raison.
Le sénateur Watt : L'essentiel, c'est de mettre les bons mécanismes en place et puis de procéder au cas par cas, en essayant chaque fois de trouver un juste équilibre. Dans certains cas, il vaudrait mieux avoir des quotas régionaux; dans d'autres cas des quotas communautaires. Une étude de faisabilité en bonne et due forme doit être effectuée parallèlement. Mise à part la question économique, les activités culturelles des collectivités sont également importantes. Je parle également de questions sociales.
M. Reid : En 1992, lors du moratoire, j'avais cru que le gouvernement de Terre-Neuve allait s'attaquer véritablement à ces questions. Il y avait 300 usines dans la province. On a dit qu'il fallait en fermer la moitié. Je pensais qu'ils allaient demander à un comité d'examiner la question des secteurs de croissance de l'île, dont les régions rurales avec toutes leurs usines, pour enfin demander aux entrepreneurs quelles usines allaient fermer et lesquelles resteraient ouvertes. Ils auraient pu élaborer un système de répartition des quotas selon les secteurs de croissance.
J'en ai fait part au ministre du ministère des Pêches et Océans. Sa réponse était que, « Non, nous allons laisser aux entrepreneurs le soin d'en décider. Et si ces hommes d'affaires ne pensent qu'ils puissent rentabiliser telle ou telle usine, eh bien, ils la fermeront. » Ils se lavaient les mains de toute responsabilité. Ils voulaient se défendre auprès des commerçants et dire, « Ce n'est pas nous qui avons fermé votre usine; c'est lui qui l'a fait. »
Le président : C'est-à-dire, qu'il fallait s'en remettre aux caprices du marché.
Vous avez intérêt à poser des questions au sénateur Watt un de ces jours comme il a fait pas mal de travail dans ce domaine avec la société Makivik. Ce serait une excellente personne à consulter.
Le sénateur Watt : J'aurais quelque chose à ajouter. De temps à autre, j'entends parler des réussites d'autres pays qui arrivent à rentabiliser leur secteur de pêche. Alors, comme Canadiens, pourquoi ne pouvons-nous pas en faire autant? Eh bien, la taille des collectivités, de même que la superficie du pays, expliquent en partie les difficultés auxquelles nous faisons face. Dans ces autres pays, tels que l'Islande et la Norvège entre autres, le secteur des pêches constitue leur activité principale. Ils y consacrent toutes leurs énergies. C'est leur vie, leur gagne-pain. Et ils s'intéressent à très peu d'autres choses. Or, au Canada, nous avons des priorités concurrentes. Nous devons aborder la question sous un angle différent. C'est l'une des raisons pour lesquelles je pense qu'adopter une seule et unique approche pour tous n'est pas la bonne solution.
Le sénateur Hubley : On a déjà répondu à ma question. Je tiens à vous remercier. C'était fort intéressant.
Le président : Le sénateur Hubley est le vice-président de ce comité et s'intéresse énormément à la question.
Messieurs, ce fut une réunion très instructive. Votre contribution nous a été fort utile dans le cadre de notre étude sur les conséquences de ces politiques sur les collectivités. Ce matin, vous nous avez fait part non seulement de vos expériences mais aussi de celles des membres de vos collectivités. Cela a été fort utile.
Vous nous avez dressé un tableau fort peu réjouissant. Nous devons décider, en tant que pays, si c'est vraiment la façon dont on veut traiter nos collectivités côtières. Il faudra décider si nous voulons laisser au marché le soin de décider si oui ou non nos collectivités survivront et décider aussi si nous sommes prêts à accepter une certaine part de responsabilité pour ce qui est du sort de collectivités viables telles que Burgeo et autres.
Les membres de notre comité semblent être en faveur du maintien de collectivités viables, mais la partie n'est pas encore jouée.
Je vous remercie de votre temps.
La séance est levée.