Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 9 - Témoignages du 24 octobre 2005 - Séance du matin
VANCOUVER, le lundi 24 octobre 2005
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit ce jour à 8 h 31 pour examiner, pour en faire rapport, les questions relatives au nouveau cadre stratégique en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada.
Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos premiers témoins de ce matin. Il s'agit d'Eric Enno Tamm, directeur des communications, et de Danielle Edwards, directrice d'EcoTrust Canada. Le comité a entrepris d'examiner l'incidence des plans et des politiques que le ministère des Pêches et des Océans souhaite mettre en œuvre. Le comité est en train de se pencher sur l'incidence de ces plans sur les localités côtières, les membres d'équipage de navire et de pont, et ainsi de suite — autant de personnes qui, pour quelque raison, semblent être négligées lorsque des décisions sont prises du fait que le ministère a tendance à regarder strictement les détenteurs de licence. Je devine qu'EcoTrust a étudié la question, compte tenu de vos travaux passés que j'ai eu l'occasion de voir. Vos études livrent des statistiques intéressantes. Vous abordez le problème d'une façon qui nous intéresse en tant que comité, et c'est pourquoi nous envisageons avec plaisir d'entendre votre exposé et peut-être de vous poser des questions. Je crois comprendre que vous avez une déclaration liminaire à nous faire.
Eric Enno Tamm, directeur des communications, EcoTrust Canada : Pour vous situer un petit peu qui nous sommes, EcoTrust Canada est une organisation sans but lucratif qui a son siège ici, à Vancouver. Notre objet est de bâtir une économie de conservation, en d'autres termes une économie dans laquelle le développement économique améliore au lieu de dégrader les conditions sociales et économiques. Nous parlons de l'enjeu triple — valeurs sociales, économiques et écologiques — et nous nous efforçons d'intégrer cette perspective dans tout notre travail.
Il y a environ un an, nous avons, avec notre organisation sœur américaine qui porte elle aussi le nom d'EcoTrust, publié une étude intitulée Catch-22 : Conversation, Communities and the Privatization of B.C. Fisheries, dont je sais que le comité sénatorial est au courant. Depuis sa parution, le rapport attire beaucoup d'intérêt. C'était véritablement une étude pionnière.
Beaucoup de nos travaux de recherche sont toujours en cours, et Mme Edwards pourra vous en entretenir davantage. Ils ont attiré de l'intérêt à l'échelle du Canada et même, en fait, aux États-Unis. Le 12 octobre, j'étais à Washington pour faire un exposé à un caucus du Congrès sur les océans, car il est question que les Américains imposent des normes nationales en matière de gestion des quotas de pêche. Ils sont en train d'examiner ce qui se fait dans d'autres pays et notamment au Canada. Je pense que ce que notre travail de recherche a d'unique est que nous sommes l'une des seules organisations qui s'efforcent de quantifier l'incidence sociale et économique, ainsi que les effets sur les collectivités, de nombre de ces changements survenus dans les pêcheries.
J'aimerais maintenant céder la parole, pour la suite de notre exposé, à Danielle Edwards, qui est consultante indépendante et biologiste de la vie marine, et qui est également un génie des données et des statistiques. Elle va donc passer brièvement en revue certaines de nos découvertes ainsi que certaines des recommandations contenues dans le rapport.
Danielle Edwards, consultante indépendante des pêches, EcoTrust Canada : Je vais vous parler aujourd'hui d'un projet lancé il y a trois ans et visant à quantifier les effets de la politique en matière d'octroi de licences en Colombie- Britannique. Nous nous sommes concentrés sur les changements survenus dans le nombre et la distribution des licences. Nous avons constaté que les collectivités rurales sont en train de perdre des licences au bénéfice des zones urbaines. Voilà un constat qui ressort tout de suite de l'étude. Entre 1994 et 2000, toutes les collectivités de pêche rurale de la Colombie-Britannique ont perdu des licences, plus de la moitié dans certains cas. À titre d'exemple, Ucluelet, ma ville natale — je viens d'une famille de pêcheurs là-bas — avait 80 permis en 1994 et 32 en 2002. Dix d'entre eux étaient des permis de pêche au saumon à la traîne, et depuis, nous en avons perdu encore trois. Nous n'en avons plus que sept. C'est un mouvement permanent à sens unique de fuite de licences de ces petites localités vers les centres urbains, et aux mains d'un nombre de plus en plus petit d'intervenants.
Une politique d'octroi de licences qui exige des pêcheurs qu'ils fassent des investissements supplémentaires afin de pouvoir continuer de pêcher résulte en une concentration et un déplacement vers les centres urbains. Ce mouvement est directement fonction des possibilités d'accès au capital, et les entreprises établies en zone urbaine sont sur ce plan favorisées. Les localités côtières rurales affichent des revenus moyens moindres, des taux de chômage supérieurs et des valeurs foncières sensiblement inférieures, et les gens n'ont donc pas suffisamment de biens contre lesquels emprunter pour acheter davantage de permis. Il existe peu d'autres possibilités d'emploi lorsque la pêche diminue.
Les quotas ne sont pas la seule cause du problème. De nombreux problèmes ont commencé avec la multiplication des licences, et notamment des licences spécialisées. Ils ont été aggravés encore par la Stratégie de revitalisation du saumon du Pacifique, connue plus communément comme le détestable Plan Mifflin, qui a réduit l'accès et exigé des pêcheurs qu'ils achètent des licences supplémentaires s'ils voulaient continuer de pêcher. La concentration des permis aux mains du petit nombre installé en zone urbaine a été possible du fait qu'il n'existe presque pas de règles régissant la propriété et qu'il n'y a ni plafond limitant la concentration, ni disposition visant les propriétaires-exploitants.
Je pense qu'il nous faut déterminer ce que nous voulons en ce qui concerne nos pêcheries puis évaluer les politiques en vue de la réalisation de ces objectifs. Nous n'avons pas d'orientation ou d'objectif de gestion clair en ce qui concerne les pêcheries propres au Canada. Dans quel but les gère-t-on? La question est juste, mais ce n'est pas souvent que l'on entend des réponses, car le ministère nous livre des idées très différentes, mais aucun message uniforme. Nous entendons parler d'efficience économique, de revenu par tête d'habitant, de facilité de gestion et de vagues objectifs en matière de conservation. Nous n'entendons pas parler de la santé des localités côtières. Nous n'entendons pas parler de ce que cela signifie pour une communauté qui dépend de la pêche lorsqu'elle perd son accès. Nous n'entendons pas parler de continuité et de l'idée que les localités situées à proximité de ces ressources doivent avoir un accès et un rapport à ces ressources. Nous n'entendons pas dire que lorsque ces localités adjacentes sont séparées de la pêche, et souffrent, nous ne pourrons jamais prétendre que la gestion des pêches est une réussite. Or, chaque politique à ce jour a semblé favoriser cette concentration urbaine.
La poursuite de la mise en vigueur de quotas ne fera qu'accuser cette tendance vers la concentration d'entreprises et l'absentéisme des propriétaires, cédant ainsi les ressources publiques du Canada à une petite poignée de personnes qui pourront ainsi devenir riches. Voilà ce que font les quotas, en tout cas de la façon dont ils ont été appliqués jusqu'ici au Canada. Nous n'avons pas d'objectifs de gestion régissant la politique qui soient clairement énoncés, et nous n'avons pas non plus de normes régionales ou nationales devant veiller à ce que ces objectifs, quels qu'ils soient, soient atteints.
Plus de 80 p. 100 du flétan proviennent de la région de la côte Nord de la Colombie-Britannique; or, seuls 9 p. 100 du quota appartiennent aux gens du coin. Les trois quarts du quota de flétan sont loués annuellement, et jusqu'à 70 p. 100 de la valeur des prises débarquées reviennent au propriétaire du quota. Les nouveaux entrants dans la pêcherie se voient écraser par un endettement énorme à cause du prix d'achat des licences et des quotas, à un point tel que la pêcherie n'accueille presque plus de nouveaux entrants. Une récente étude menée par le Conseil canadien des pêcheurs professionnels a établi à 55 ans l'âge moyen des skippers. Ce n'est pas une industrie en bonne santé. Cela n'augure pas bien pour son avenir.
Il nous faut des objectifs de gestion clairs et des objectifs qui apprécient les rôles joués par les localités en matière de pêcheries durables, et il nous faut des politiques qui permettent de réaliser ces objectifs. Il nous faut des propriétaires- exploitants, des limites à la concentration d'entreprises et des limites au louage. À court terme, il nous faut des programmes qui atténuent les dommages déjà causés, ce afin de rendre des possibilités de pêche à ces localités qui en ont si désespérément besoin et à une génération de jeunes désenchantés, tenus à l'écart dans ces localités.
Il importe que ce processus soit transparent, car un développement inquiétant de ces dernières années a été la privatisation des données sur les prises. Le MPO, invoquant la nécessité de protéger les entreprises, refuse de diffuser la moindre donnée détaillée sur les prises des pêches contingentées, et nous ne parvenons même pas à savoir où les poissons sont pris ni quand. Cela s'inscrit dans un mouvement dangereux visant à cacher les renseignements du public canadien, à empêcher des chercheurs indépendants d'évaluer l'activité de pêche et l'état de santé des stocks de poisson. Cette pratique vient solidifier encore la position voulant que le poisson relevant de la compétence du Canada peut être cédé et appartenir à des particuliers et à des entreprises, et que tous les renseignements concernant ces poissons appartiennent à ces gens-là et non pas aux Canadiens.
L'un des grands avantages des quotas est l'idée que ce sont des moyens formidables de promouvoir la conservation et la responsabilité. L'idée que la propriété engendre nécessairement l'intendance est fausse. Nous avons constaté cela dans d'autres endroits du monde, comme en Nouvelle-Zélande, avec des espèces à longue durée de vie qui se reproduisent lentement, comme c'est le cas de nombre de nos poissons de fond et du scorpène. Il est plus logique, d'un point de vue financier, de pêcher les stocks jusqu'à extinction à court terme que de les maintenir pour le long terme avec des taux de pêche très réduits. Voilà ce que choisira de faire une entreprise pour gagner beaucoup d'argent en peu de temps, pour ensuite le réinvestir dans une autre activité.
Nous ne pouvons pas compter qu'un système économique comme celui des quotas puisse satisfaire tous nos objectifs de gestion, à moins que ceux-ci ne se résument à la maximisation du gain financier à court terme. Les quotas ne remplaceront jamais les sciences et la gestion halieutiques. Nous n'aurons jamais une durabilité à long terme pour notre secteur des pêches si les quotas sont mis en œuvre en l'absence d'objectifs sociaux et de conservation clairement énoncés et de politiques visant à veiller à ce que ces objectifs soient atteints.
D'autres pays ont reconnu cette nécessité d'équilibrer objectifs économiques et objectifs sociaux. L'Alaska compte de solides pêches contingentées de morue charbonnière et de flétan, mais cet État a aussi des propriétaires-exploitants. Les gens prennent cela au sérieux. Les règles sont imposées et les amendes sont lourdes si vous désobéissez. Ils ont également le privilège d'avoir des lois sur la concurrence qui sont vraiment musclées et qui, elles aussi, sont appliquées.
Dans la Région du Pacifique, non seulement les objectifs sociaux sont passés à l'arrière-plan, mais ils sont carrément tombés de la table. Il nous faut faire en sorte que les pêcheries fonctionnent, et qu'elles fonctionnent pour la population canadienne et pour ceux et celles qui en dépendent. Si le système de quotas fonctionne pour une pêcherie, ce pourrait être une option, mais cela ne va certainement pas bien marcher pour l'ensemble des pêcheries. Les quotas amènent la concentration d'entreprises et un décalage entre propriété et intendance, ainsi que la perte de la contiguïté. Il importe d'écouter et d'entendre les communautés. Je tiens à ce qu'il soit clair que lorsque je parle de communautés, j'entends par là des communautés de lieu. Je ne parle pas de groupes d'intérêt, ni de groupes de parties prenantes. Les communautés de lieu doivent être habilitées à faire du travail. Un bon exemple est le West Coast Vancouver Island Aquatic Management Board. Ce conseil doit se voir donner la possibilité de travailler. Il est entravé depuis le tout début et le MPO s'est démené pour le marginaliser et, en bout de ligne, le détruire. Cela ne peut pas être toléré, car nous avons besoin de cette organisation, et d'autres encore du même genre, le long de la côte.
Il nous faut des politiques qui assurent la promotion de pêcheries saines et de communautés côtières saines. Cela peut passer par des seuils en matière de propriétaires-exploitants et de concentration d'entreprises, la transparence dans la gestion des pêches, et la diffusion au public de données sur la propriété des licences et sur les prises. La recherche indépendante doit être encouragée et non pas étouffée. J'entrevois un avenir prometteur pour nos collectivités et nos pêcheries, et je sais que nous avons un long chemin à parcourir pour y parvenir, mais je pense que nous réussirons si les politiques dont je viens de vous entretenir sont mises en œuvre.
Le sénateur Hubley : En remontant assez loin dans votre exposé, j'ai entendu « normes nationales en matière de politique des pêches », et vers la fin de votre déclaration, vous en avez énumérées certaines. Comment envisagez-vous l'élaboration de telles normes? Qui devons-nous commencer par convaincre, qui devons-nous convaincre de changer et qu'est-ce qu'il faudrait changer avant que d'inscrire ces valeurs dans une politique en matière de pêches?
Mme Edwards : Pour commencer, le rôle des propriétaires-exploitants doit faire l'objet d'une politique. Nombre des pêcheurs qui sont aujourd'hui actifs en Colombie-Britannique sont très en faveur de cela. Cette idée est très populaire parmi ceux que le MPO n'écoute pas : les gens qui pêchent en vertu de leur permis, les membres d'équipage, les gens qui pêchent le quota d'autres et les propriétaires d'embarcation. L'élargissement du cadre de consultation pour y englober ces personnes serait un début. À l'heure actuelle, si vous êtes propriétaire du permis vous avez une voix, et si vous ne l'êtes pas, alors vous n'existez pas. C'est là l'une des premières étapes en vue de la tenue d'une discussion au sujet des genres de normes à mettre en place et de donner à ces gens-là la voix dont ils ont besoin pour vous dire à vous, au MPO et au gouvernement ce dont ils ont vraiment besoin.
M. Tamm : Il y a eu un débat vigoureux au sujet de normes nationales aux États-Unis, mais cela a plutôt été le silence et le vide total ici au Canada. Les objectifs sociaux ne font pas partie de la gestion des pêches. Il ne se déroule aucune discussion sur l'idée d'essayer d'intégrer également ces valeurs-là. D'après ce que je comprends, le ministère envisage de revoir la Loi sur les pêches, et il y aurait alors des possibilités de mettre en œuvre certains types de normes nationales ou d'objectifs fondamentaux. Quels sont les objectifs des pêches canadiennes? Voilà le genre de travail que mènent à l'heure actuelle les États-Unis. Le pays est en train de revoir ce qui est en définitive sa loi sur les pêches, qui a pour nom la Magnuson-Stevens Fishery Conservation and Management Act. Congressman. Tom Allen, un membre du Congrès du Maine, a proposé un certain nombre d'amendements en vue de la mise en œuvre de normes nationales. Aux États-Unis, il semble que ce soit une question interpartis. Les Démocrates, en Nouvelle-Angleterre, font pression pour obtenir des normes nationales. Pour revenir à ce que disait Mme Edwards au sujet de l'Alaska, un grand nombre de Républicains poussent pour des choses comme des quotas communautaires et des propriétaires-exploitants, car il s'agit pour eux d'une question de petite entreprise, d'individualisme.
Les politiciens au Canada pourraient faire leur part pour donner le coup d'envoi au débat. C'est une chose qui revient au Parlement. Les gens élisent les parlementaires pour que ceux-ci fixent les normes nationales et nous guident quant à l'utilisation que nous faisons de nos ressources publiques. J'aimerais peut-être bien voir et le Sénat et la Chambre des communes prendre en mains cette question.
Le sénateur Hubley : Un segment important dont je ne vous ai pas entendu parler trop clairement dans votre exposé est celui de la transformation. Serait-il possible que la désignation de quotas pour des localités vienne alors appuyer les usines de transformation que nous voyons, dans notre coin du pays, décliner et fermer, éliminant ainsi de nombreux emplois locaux? Les pêcheurs sont touchés, mais de nombreuses femmes et de nombreux jeunes gens travaillent dans ces usines. Ce sont des emplois saisonniers, ce qui est le propre de notre partie du monde. Auriez-vous des idées au sujet de l'octroi de quotas à des localités et à l'incidence que cela pourrait avoir sur le plan revitalisation de ces villages de pêcheurs?
Mme Edwards : Un bon exemple de l'incidence que cela a eu sur nous nous est encore une fois livré par ma ville natale d'Ucluelet, qui comptait trois usines de traitement de merlu mais dont une seule a survécu, les deux autres ayant fermé il y a deux ans. Pour une localité de 1 600 âmes environ, cela représentait à peu près 300 emplois. Ce n'était pas qu'il n'y avait plus de poisson, et ce n'était pas qu'il n'y avait personne pour le pêcher. Le MPO a autorisé que ce poisson soit débarqué dans le cadre d'une initiative en copropriété avec des transformateurs étrangers. Ce qui s'est passé en fait, c'est que certains pêcheurs propriétaires de quotas ont dit, « Nous pourrions faire plus d'argent en envoyant le poisson là-bas, car leurs coûts sont moindres et leurs normes d'emploi sont moins élevées. Ils peuvent le faire meilleur marché et nous empochons ainsi davantage d'argent ». Or, un gros élément a été laissé pour compte : la communauté.
Le président : Où le poisson était-il envoyé pour être débarqué ou transformé?
Mme Edwards : Le poisson était débarqué à Ucluelet.
Le président : Et où va-t-il maintenant?
Mme Edwards : À des navires de pêche hauturiers : oui, des navires.
M. Tamm : Les navires étaient étrangers. Ce n'étaient pas des navires canadiens. J'ajouterai que du côté de la pêche des poissons de fond, nous constatons un nouveau développement : l'avènement de superchalutiers, de navires-usines, qui battent pavillon canadien. Et cette année, un ancien chalutier danois, l'Osprey I, a été amené en Colombie- Britannique et on l'exploite aujourd'hui pour la pêche et la transformation en mer. Il est cinq fois plus gros que le prochain plus gros chalutier de toute la flotte de pêche britanno-colombienne, et il fait de la transformation en haute mer. Un grand nombre de femmes, d'Autochtones et de gens dans la quarantaine et la cinquantaine travaillent dans le secteur de la transformation à terre. Une femme autochtone de 55 ans ne peut pas partir en haute mer travailler à bord d'un navire-usine. Ce n'est pas réaliste. Or, c'est la tendance que l'on voit se dessiner avec ces gigantesques chalutiers, tout cela sans discussion publique. Le navire est si grand que l'on ne comprend même pas comment son propriétaire a fait pour obtenir une licence. Clairement, le MPO a peut-être trafiqué un petit peu le règlement ou alors le propriétaire a obtenu une exemption d'un genre ou d'un autre, car je ne pense pas qu'il existe de permis de pêche de poisson de fond au chalut de pareille envergure. Peut-être que Mme Edwards est au courant.
Mme Edwards : Ils ont la capacité d'ajouter des choses, comme par exemple une augmentation de jusqu'à 25 p. 100. Je pense qu'ils ont dû trouver le plus gros permis de pêche en Colombie-Britannique et qu'avec cette marge supplémentaire ils ont pu se lancer, mais ce n'est pas très clair. Surgit ici encore la question de la transparence — il est difficile pour nous de savoir exactement ce qui s'est passé parce que cela nous est caché.
Le sénateur Hubley : Revenons un petit peu là-dessus. S'ils ont reçu ce permis, cela signifie-t-il que d'autres communautés ont perdu les leurs? Vous avez mentionné que dans votre localité, des licences ont été perdues. Sont-elles allées ailleurs? Était-ce pratique pour les gens de chez vous de vendre ces licences? Vous dites qu'ils ont perdu des licences, mais en ont-ils retiré quelque chose en les vendant? Expliquez-nous ce qui se passe dans pareille situation?
Mme Edwards : Cela fait plusieurs années que la montaison du saumon est triste, et le revenu des gens très limité. Lorsque les gens vivent cela année après année, ils se trouvent confrontés à un choix : ou ils perdent tout au profit de la banque ou alors ils vendent une licence pour 100 000 $ et ils essaient de faire autre chose, souvent à l'âge de 50 ans. Ce n'est pas un très joli choix. Ou vous perdez tout ou vous avez quelque chose. Lorsque nous perdons des licences, c'est que les gens sont obligés de vendre, et ce n'est pas par choix. Je connais nombre de ces gens, qui ont eu à prendre cette difficile décision, et c'est le cas de certains membres de ma propre famille. Mon père a dû vendre son permis de pêche du saumon l'an dernier. Cela a été pénible pour nous tous : pour moi et pour mon frère qui pêche toujours, car cela fait des générations que nous pêchons le saumon. Alors nous vendons, nous obtenons un peu d'argent, mais ce n'est pas ce que nous voulons faire. Nous n'avons pas d'autre choix.
Le président : J'aimerais vous demander un éclaircissement au sujet de la transformation en navire-usine en mer. Les gens qui font la transformation à bord du navire sont-ils des Canadiens ou bien suivent-ils le modèle néo-zélandais, en utilisant des gens d'ailleurs, des étrangers?
M. Tamm : À ma connaissance, les équipages sont canadiens et il n'y a pas de travailleurs migrants. Il me faudrait également ajouter une petite précision. À ma connaissance, il y a des restrictions en matière de transformation en mer. Vous ne pouvez pas fileter un poisson en mer. Cependant, vous pouvez en couper la tête et le vider : couper la tête, le vider et même l'emballer et le congeler à bord. Tout ce qu'il vous reste alors à faire lorsque vous arrivez à quai c'est le mettre dans un conteneur et l'expédier, alors tout le travail de transformation est à toutes fins pratiques effectué en mer. Je crains maintenant que certains de ces gros navires-usines fassent du lobbying pour obtenir le droit de fileter à bord et de faire encore plus de transformation. Peut-être qu'il est normal qu'il se fasse de la transformation en mer, mais il faut qu'il y ait une discussion publique là-dessus. Peut-être qu'il existe des raisons économiques à cela, peut-être pas. Il n'y a aucune discussion publique. Ces choses arrivent et personne n'en est même au courant.
Le sénateur Adams : Cela m'est très familier. Au Nunavut, nous avons réglé la revendication territoriale en 1993. Je siège au Comité sénatorial des pêches depuis environ 20 ans. Au début, avant que nous ne réglions la revendication territoriale, les politiques pour le Nunavut et l'Arctique étaient établies au ministère de Pêches et des Océans. Nous vivons aujourd'hui les mêmes difficultés que l'Arctique. Les étrangers ont pris tout ce qui est censé revenir dans l'économie et bénéficier à la communauté. Votre organisation sans but lucratif s'intéresse aux gens, aux pêcheurs, à l'économie et à la collectivité. C'est pourquoi je dis que la même chose est en train d'arriver dans les localités du Nunavut. Nous comptons au total 26 localités, avec une seule sur le continent. Le reste des localités sont toutes parsemées le long de la côte, le long de la baie d'Hudson et de l'île de Baffin, côté ouest. Les Inuits n'aiment pas vivre sur l'intérieur, car nous nous intéressons aux mammifères que nous mangeons, aux phoques, aux poissons et au caribou. Il arrive que le caribou s'approche des collectivités. Le MPO a établi deux zones appelées OA et OB. Dans la zone OA, Ottawa et le ministère nous ont fixé un quota de 4 000 tonnes métriques, et dans la zone OB, nous avons un quota d'environ 1 500 tonnes métriques et un quota de 2 500 tonnes métriques pour la crevette nordique. Je pense qu'au début, en 2002, seules trois localités avaient des quotas qui avaient été fixés conjointement par le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut, le MPO et la Nunavut Tunngavik Incorporated, ou NTI. La NTI s'occupe du fonds de fiducie de 500 millions de dollars en provenance du règlement intervenu entre Ottawa et le Nunavut. Nous avons parfois des difficultés. Les bureaucrates à Ottawa ne savent même pas comment fonctionne l'accord de revendication territoriale et ce sont eux qui sont censés l'administrer.
Au début, on a créé une organisation appelée Baffin Fisheries Coalition, ou BFC. La BFC compte 11 administrateurs inuits choisis par les associations communautaires de chasseurs et de trappeurs. Par on ne sait trop quel moyen, suite au règlement de la revendication territoriale, le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut a obtenu du MPO une licence pour 4 000 tonnes métriques dans la zone OA et entre 1 500 et 2 500 tonnes métriques dans la zone OB, licence qu'il a ensuite remise à la BFC. La BFC, avec ses 11 administrateurs inuits, a embauché quelqu'un de l'extérieur de la communauté pour gérer la pêcherie. Le type que la BFC a embauché s'occupait de la pêcherie de Terre-Neuve. Aujourd'hui, les gens font venir des étrangers d'Islande, du Danemark et d'autres pays d'Europe pour attraper leurs quotas. Chaque fois, le ministre dit que ces quotas sont des quotas du Nunavut. S'il y a des plans pour les quotas du Nunavut, alors ces plans doivent être discutés avec les localités. Ces organisations sont les seules qui réalisent un profit et les quotas ne font rien pour l'économie des localités. Votre organisation est-elle en mesure d'aider les gens dans les localités à empêcher que des étrangers viennent leur prendre le poisson? Comment allons-nous faire entre-temps pour arrêter ces gens? Les localités n'ont pas de licence. Le MPO accorde les licences à la BFC, et la BFC fait appel à des étrangers pour remplir les quotas de flétan. Le flétan est un bon poisson d'eau froide. Il est très pénible de regarder ce qui se passe. Nous avons au Nunavut les mêmes problèmes que ceux que vous avez en Colombie-Britannique. Comment faire pour que la ressource bénéficie à davantage de gens de la localité par opposition à des étrangers? Nous avons réglé la revendication territoriale dans le but d'être en mesure de contrôler notre économie et les pêcheries. Nous ne les contrôlons plus aujourd'hui du fait de la mainmise des étrangers. Quel est votre sentiment en la matière? Est-ce la même chose qu'en Colombie-Britannique?
M. Tamm : Je pense que vous avez mis le doigt sur une tendance dangereuse dans les pêches. Il y a environ trois semaines, j'ai eu un breffage du ministère au sujet de certaines de ses idées en vue de corriger la Loi sur les pêches. Il me semble que le ministère souhaite déléguer la responsabilité ou octroyer des licences à des groupes de l'industrie, qui pourraient dans certains cas être des groupes de Premières nations, qui délègueraient à leur tour. Pour moi, il n'y a pas de normes quant à ce que devraient être les objectifs des politiques en matière d'allocation ou des politiques de gestion et ainsi de suite. Je pense également qu'il nous faut nous rappeler qu'il ne s'agit pas ici de localités, dans le sens localités rurales versus localités urbaines. Il est question d'assurer la viabilité économique de ces localités. Cela ne veut pas dire que les localités auront tout le poisson, mais il faut qu'il y ait un moyen pour elles de participer à l'exploitation, à la propriété et à la gestion de la ressource.
Sur la côte Ouest de l'île de Vancouver, le MPO, aux côtés des Premières nations, du gouvernement local et de la province, a créé le West Coast Vancouver Island Aquatic Management Board, qui n'a jamais été en mesure d'exécuter son mandat, en partie parce qu'il a été entravé par le ministère. Il existe pourtant quantité de mécanismes qui permettraient d'accroître la responsabilité et la propriété par les communautés. Ces mécanismes doivent être clairement énoncés par le Parlement. Il me semble que les bureaucrates sont en train de se promener sans compas. Ils font ce qui correspond à leurs objectifs. Mais il importe qu'il y ait une surveillance exercée par le Parlement du Canada, ce afin que soit clairement explicité qui doit bénéficier des pêcheries. Est-ce une priorité nationale, une norme nationale qui veut que les équipages se fassent payer correctement pour leurs sorties de pêche? S'agit-il là de quelque chose que devrait appuyer et inscrire dans une loi le Parlement canadien? Peut-être que oui. Il vous faut un objectif de base, et il y a tout un tas de moyens d'y parvenir. Mme Edwards a mentionné le principe du propriétaire-exploitant, des limites à la concentration d'entreprises et des quotas pour les collectivités. Il existe quantité d'options de conception du système de sorte qu'il fonctionne pour les communautés, les entreprises, voire même les habitants de collectivités urbaines.
Le sénateur Cowan : D'après ce que j'ai lu et entendu, il nous faut revenir à la question de savoir quel est le mandat du MPO. Pour dire les choses simplement, il me semble que le MPO a une vision étroite de son mandat, qui semble exclure les communautés et la viabilité économique des localités côtières, des plus petites collectivités, non seulement le long de cette côte-ci, mais également le long de la côte Est. Il se penche sur la conservation mais non pas sur l'emploi ni la viabilité de ces localités. Lorsque vous parlez du manque de consultation, cela ne nous ramène-t-il pas au mandat? Si le MPO, à tort ou à raison, considère son mandat comme étant aussi exagérément simplifié que je l'ai dépeint, alors c'est là la raison pour laquelle il ne consulte pas plus largement s'agissant de son mandat étroit, tel qu'il l'envisage. Il doit voir — et vous avez parlé il y a un instant de délégation — qu'il est sans doute plus facile de traiter avec un seul groupe et de lui dire, gérez vos membres et nous vous tiendrons responsables du système. Si vous n'incluez pas ces bases plus larges... car il me semble que si le ministère des Pêches et des Océans exclut de son mandat et de son travail toute considération relative à la viabilité des collectivités, alors un autre bras du gouvernement, et nous tous en tant que contribuables, devons intervenir et être responsables, par le biais de quelqu'autre organe gouvernemental, de ceux qui sont défavorisés lorsque les collectivités s'écroulent, lorsque les usines ferment, et ainsi de suite. Ai-je raison de dire que la base de votre préoccupation est l'étroitesse du mandat, tel qu'il existe peut-être bel et bien ou tel qu'il est interprété par le MPO? Si ce mandat était élargi, ou si le MPO acceptait une interprétation plus large de son mandat, alors certains des partenaires et des parties qui sont par la force des choses touchés par ses décisions pourraient participer à la discussion, n'est-ce pas?
Mme Edwards : Je pense que cela recouvre une grosse partie du problème. Le mandat est, à bien des égards, très étroit. Je ne pense pas que vous ayez simplifié exagérément l'interprétation faite du mandat par le ministère. Il a une interprétation simple, et je pense que c'est en grosse partie là le problème. Certaines choses ne sont pas couvertes par le mandat, comme par exemple la reconnaissance des pêches comme étant une ressource publique. Un gros souci récemment a été le contrôle des données et la dissimulation de ce qui se passe dans les océans pour que le public canadien ne soit pas au courant. Il n'y a aucun mandat clair s'agissant des données. D'après ce que nous avons pu apprendre, il n'existe même pas de politique en la matière. Une partie du problème est l'interprétation étroite du ministère de son mandat, et une autre partie est que le mandat, à certains égards, n'existe même pas. Je pense que c'est une combinaison des deux choses.
M. Tamm : Je pense que les pêches fonctionnent en ce qui concerne le ministère des Pêches e des Océans et ses fonctionnaires. Depuis le début des années 90, le budget du ministère a été sabré. Le MPO a fusionné et réduit les flottes de la Garde côtière canadienne et des pêcheries. Il compte moins d'employés. Nous sommes tous au courant des problèmes d'application de la loi qui ont fait la une des journaux l'été dernier. En conséquence, le ministère s'est efforcé de gérer de façon plus efficiente, en réduisant le coût de l'administration de la loi et les coûts administratifs.
Et comment y parvenir? En rationalisant la flotte de pêche. En la consolidant aux mains de petits groupes et de petits joueurs. En éliminant toutes les petites embarcations. Vous n'avez alors pas besoin de navires qui sillonnent les eaux pour les surveiller. Vous consolidez, donc, et non seulement cela, mais vous rehaussez la viabilité économique de ceux qui restent. En fait, vous leur donnez un bénéfice fortuit, puis vous récupérez une partie de ce revenu au moyen des nouveaux droits de gestion et d'une récupération intégrale des coûts côté science et surveillance. Le ministère non seulement réduit son coût de gestion de la pêcherie, mais récupère tout un tas d'argent. Je suis certain que le Conseil du Trésor du Canada considère le ministère comme étant l'un de ses préférés à Ottawa, vu tout ce qu'il a fait pour se décharger du fardeau de la récupération des coûts et tout le reste.
Une question qui est rarement discutée est celle des objectifs et des motifs véritables des bureaucrates des ministères. À certains égards, le ministère ne fait que réaliser les objectifs fixés par le Conseil du Trésor et le Parlement du Canada. Il y a eu beaucoup d'inquiétude, et je pense que certains des autres groupes de conservation que vous allez entendre aujourd'hui vont peut-être parler de science et de budgets et d'autres choses du genre.
Le sénateur Cowan : J'ai une autre question, portant sur tout à fait autre chose. Vous avez parlé de la difficulté d'accès au capital et du fait que cela alimente la concentration d'entreprises et l'urbanisation. Je peux comprendre pourquoi les plus grosses sociétés ont un accès plus facile au capital et que la situation est sans doute difficile pour les propriétaires-exploitants indépendants, mais je ne vois pas très bien le rapport avec l'urbanisation. Quel est le rapport à ce niveau-là? Est-ce tout simplement que les plus grosses boîtes ont tendance à s'établir en zone urbaine?
Mme Edwards : Non, il y a en fait deux aspects. Tout d'abord, il y a les possibilités d'emploi. Si vous avez une mauvaise saison de pêche et que vous êtes installé dans une ville, alors il s'y trouve beaucoup plus de possibilités d'emploi. En octobre, dans un grand nombre de petites localités, il n'y aura aucune possibilité de trouver le moindre emploi dans quelque industrie que ce soit. Une autre réalité existe dans les villes — la possibilité de se recycler dans une autre industrie lorsque les temps sont durs. L'autre gros élément est celui des valeurs foncières. Nous avons relevé deux phénomènes. Premièrement, les gens qui habitent Vancouver, par exemple, possèdent, en moyenne, une maison d'une valeur de 400 000 $.
M. Tamm : La valeur moyenne est plutôt de 500 000 $ aujourd'hui.
Le sénateur Cowan : C'était la semaine dernière.
Mme Edwards : Ils peuvent faire un emprunt en utilisant la maison comme garantie, pour réinvestir dans l'industrie et augmenter leur rentabilité, alors que dans nombre de petites localités, la valeur moyenne d'une maison n'est que de 80 000 $, alors vous n'avez pas les mêmes possibilités de financement. Dans le cas des membres de Premières nations vivant en réserve, la situation est bien pire encore, car la propriété foncière en fief simple n'y est même pas reconnue, alors vous n'avez rien à offrir en garantie pour un prêt. Ce sont ces éléments qui ont favorisé la propriété urbaine par opposition à la propriété rurale.
Le sénateur Cowan : À un moment donné, quelqu'un a laissé entendre que c'était aussi simple que d'être assujetti au régime d'entreprise de la Colombie-Britannique — en vertu duquel les entreprises sont enregistrées — et cela ne m'a pas paru logique du tout.
Mme Edwards : Non, en effet.
Le sénateur Cowan : Ce n'est pas juste une question d'enregistrement — d'enregistrement formel du siège social de la société — mais bien de lieu d'activité.
Le président : J'aurais quelques remarques à faire, puis quelques questions à poser. Premièrement, en ce qui concerne la question des normes, nous avons dit ceci dans notre rapport de 1998, intitulé Privatisation et permis à quotas dans les pêches canadiennes :
Des pêcheries fondées sur des droits de propriété semblent être l'option de gestion privilégiée par le gouvernement fédéral; or, il n'existe aucune politique nationale (ou ensemble de lignes directrices) quant à leur conception ou mise en œuvre, et il n'y a pas non plus eu de débat public ou parlementaire en la matière.
Vous avez donc tapé dans le mille en mentionnant cela.
En mai 2005, une deuxième recommandation du comité a été la suivante :
Le comité recommande que le ministère des Pêches et des Océans tienne compte de l'incidence socio- économique de sa principale décision.
Nos propres commentaires de 1998 et de mai 2005 correspondent parfaitement aux propos que vous nous tenez ce matin.
J'aurai quelques questions à vous poser. Elles ne sont peut-être pas toutes interreliées. En ce qui concerne le prétendu processus de consultation du ministère des Pêches et des Océans, entrepris récemment et, je pense, toujours en cours, votre groupe a-t-il été consulté? Votre groupe a-t-il été contacté?
M. Tamm : J'ai participé à une séance d'information au sujet, par exemple, de changements possibles à la Loi sur les pêches. EcoTrust Canada est par ailleurs membre du Marine Conservation Caucus, qui reçoit un financement du ministère en vue de la tenue de consultations auprès de la communauté de défense de l'environnement et de la conservation, un peu à la manière du Sports Fishery Advisory Board, qui bénéficie, je pense, lui aussi d'une aide financière du ministère.
Le président : Je songe tout particulièrement à la question de la politique telle que proposée dans le rapport Pearse- McRae, qui disait en gros qu'il fallait privatiser toute l'affaire et en finir une fois pour toutes. Avez-vous été consulté au sujet de cet aspect particulier de l'orientation du ministère, côté incidence sur les collectivités?
M. Tamm : Je dirais que non. Par exemple, Peter Pearse et Don McRae n'ont, à ma connaissance, pas parlé aux gens du mouvement écologiste. J'ai assisté à la conférence de presse au cours de laquelle le ministère a répondu au rapport Pearse-McRae. Jusque-là, mon organisation n'avait pas été consultée.
Le président : Ma deuxième question concerne l'option privilégiée par le ministère, qui semble être la privatisation et des quotas individuels transférables ou QIT. Votre groupe a-t-il envisagé une solution de rechange, et je ne parle pas ici uniquement du Conseil de gestion des ressources aquatiques, mais d'autres solutions de remplacement des QIT pour les pêches?
Mme Edwards : Nous avons fait beaucoup de travail. Je ne travaille en fait pas pour EcoTrust, mais avec lui. Je travaille également aux côtés d'autres groupes de l'industrie. Comme je l'ai dit, ma famille est une famille de pêcheurs, alors nous avons au cours des deux dernières années œuvré auprès d'EcoTrust en vue d'élaborer des modèles de banques de licences et de rapports de collaboration avec l'industrie et le mouvement écologiste. Je me suis occupée de certaines initiatives intéressant les poissons de fond. Je travaille aux côtés de la British Columbia Dogfish Association. Nous avons été actifs s'agissant d'explorer des façons de mettre en œuvre et de faire fonctionner différentes politiques.
Le président : Des solutions de remplacement aux QIT?
Mme Edwards : Des solutions de remplacement, voire même des processus pouvant inclure des quotas et peut-être différents paramètres.
Le président : Le comité ici réuni voudrait peut-être en discuter plus avant avec vous, car nous sommes tout particulièrement intéressés par les modèles de rechange. Il est facile d'établir un QIT; cela ne demande pas dix phrases. Même le National Post y réagit très vite et semble y prendre plaisir, mais il est beaucoup plus difficile d'expliquer des modèles de rechange au QIT et il est, partant, beaucoup plus difficile pour les gens d'en cerner le concept. Nous voudrons peut-être faire davantage de travail avec vous, si la chose est possible. Je sais que nous n'en aurons vraisemblablement pas le temps ce matin.
M. Tamm : S'agissant de modèles de rechange, je pense qu'il nous faut également reconnaître que 60 p. 100 des pêcheries de la Colombie-Britannique, par volume, sont gérées en vertu d'un système de quotas. Dans la nouvelle année, quelques pêcheries de fond supplémentaires vont être versées au modèle de quotas. Une fois que vous avez en place un modèle de quotas, il est difficile de renverser les choses, car les gens commencent à investir très lourdement dans les quotas, et ainsi de suite. Dans le contexte de certaines des solutions de rechange, l'on est amené à se demander comment on fera pour que les modèles de quotas soient plus sensibles à la viabilité des localités, au bien-être économique des équipages, etc. Il y a toute une série d'options : quotas de développement communautaire, entités de quotas communautaires et principe des propriétaires-exploitants.
Le président : Je suis d'accord, et je ne me suis sans doute pas très bien exprimé au départ. Vous avez tout à fait raison de dire qu'une fois un plan de gestion et un système de gestion de quotas en place, vous ne pouvez pas tout simplement vous lancer dans l'arène et commencer à renverser les choses. Ce n'est pas pratique. Je comprends très bien cela. Cependant, nous voulons tenter d'envisager un modèle différent pour intégrer et ce qui est en place et ce qui pourrait être en place.
Une autre question que j'ai concerne la cogestion. J'entends de plus en plus cette expression, et je ne sais trop si votre interprétation de la cogestion correspond à la mienne. La cogestion sonne comme quelque chose de doux et de rassurant, et semble supposer que le MPO est en train de dire, nous sommes ici pour vous en tant que partenaire, et marchons donc main dans la main vers le futur. Est-ce cela qui est proposé avec la cogestion, ou bien est-ce une façon pour le MPO de dire, nous aimerions nous retirer de la gestion de la pêcherie et vous transmettre cela à vous, comme dans le modèle néo-zélandais?
Mme Edwards : Je pense qu'il y a beaucoup de confusion quant au sens à donner à la cogestion. Il y a de ces termes qui sont lancés et jamais définis par le ministère, et je pense que la cogestion figure parmi leur nombre. Le ministère en parle, et nous pouvons avoir une idée de ce que cela pourrait ou devrait signifier, mais ils peuvent en définitive parler de tout à fait autre chose. Côté application, il semble que le ministère tende vers le modèle néo-zélandais, où l'industrie est responsable de la prise des décisions. Il s'agit moins d'avancer ensemble avec, en tête, des objectifs clairs, ce que nous visons nous. Je pense qu'il est important que l'industrie fasse partie de la gestion, mais l'autre partie de la cogestion est qu'il semble que ce soit souvent une affaire de l'industrie et du MPO. Un gros élément est ainsi laissé de côté, en l'occurrence les collectivités et les autres intervenants qui ont des intérêts dans l'affaire.
M. Tamm : Je pense que c'est encore plus étroit que l'industrie. Il s'agit en fait des détenteurs de quotas. Ceux qui détiennent les quotas peuvent voter sur les règles en matière de politique d'octroi des licences et ainsi de suite. Il n'y est jamais question des équipages, des skippers, des groupes voués à la conservation ou d'autres, alors le ministère a une définition incroyablement étroite de ce qu'est la cogestion.
Le président : Le détenteur de quotas, d'après ce que je comprends, peut vivre à des milliers de kilomètres du lieu de pêche.
Mme Edwards : Il peut vivre en Australie, qui sait? Il n'y a rien qui l'empêche de quitter le pays et de vivre ailleurs tout en détenant son quota et de le louer à un coût exorbitant.
Le président : Merci à tous les deux. Si vous êtes d'accord, j'aimerais bien revenir sur ce modèle auquel vous travaillez. Je suis certain que notre greffière, Jessica Richardson, suit l'affaire, alors nous communiquerons avec vous prochainement. Le comité souhaite depuis quelque temps élaborer un modèle, et c'est une chose à laquelle nous tenons beaucoup.
Le groupe de témoins suivant représente la David Suzuki Foundation : il s'agit d'Otto Langer, de Bill Wareham, de Jay Ritchlin et de David Peterson. Bonjour.
Bill Wareham, directeur intérimaire, Programme de conservation marine, David Suzuki Foundation : Nous vous sommes reconnaissants de l'occasion qui nous est ici donnée de comparaître devant vous et nous sommes heureux que vous ayez pu vous rendre ici. Je pense que votre présence ici tombe à point nommé. Il y a eu toute une série de questions intéressant le ministère des Pêches et des Océans et les pêcheries proprement dites. Selon nous, cela fait deux ou trois ans que les problèmes vont s'aggravant. À notre avis, il nous faut engager la discussion à un niveau supérieur pour trouver des solutions à ces problèmes.
Nous aimerions vous soumettre aujourd'hui un résumé d'un rapport que nous avons parrainé, An Assessment of Fisheries and Oceans Canada Pacific Region's Effectiveness in Meeting its Conservation Mandate. Nous avons commandé cette étude pour deux ou trois principales raisons. Premièrement, nous envisageons nos pêcheries depuis plusieurs angles, mais il y en a trois principaux. Il s'agit clairement d'une ressource économique, et le ministère des Pêches et des Océans, en tant que structure de gestion des pêcheries, a reflété cela au fil des ans. La communauté en bénéficie, comme nous l'a déjà dit EcoTrust plus tôt ce matin, mais la pêche, le poisson et tout ce qu'ils signifient pour l'écosystème sont des éléments importants pour les régions côtières de la Colombie-Britannique. Les valeurs environnementales qui sont propres au poisson dans le maintien de l'écosystème sont multiples. L'un des problèmes qui se posent à l'heure actuelle est celui du changement climatique. Quelles que soient les raisons de ce changement, nous savons qu'ils s'opèrent. Nous constatons des changements importants dans les températures de l'océan, ce qui amène des changements dans le dessin des courants. Nous constatons également des changements dans la configuration des vents, qui viennent à leur tour changer les comportements des vagues et réduire les apports d'éléments nutritifs dans l'océan. Nous constatons de gros changements dans la productivité, ce qui influe sur la productivité des pêches. Si nous continuons de pêcher, en supposant que la situation est dans l'ensemble stable, nous aurons un gros problème.
Nous sommes d'avis que la gestion des pêcheries requiert un niveau de réaction beaucoup plus aigu. Nous croyons que nous avons une sérieuse obligation envers la gestion de ces pêcheries, pour toutes les raisons que j'ai mentionnées. Si le Canada doit se tenir debout et dire au monde entier que nous faisons les choses d'une façon durable, alors il nous faut beaucoup changer nos façons de faire, car, comme vous l'avez peut-être vu la semaine dernière, la David Suzuki Foundation a publié un rapport comparant le Canada à d'autres pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, en fonction de plusieurs indicateurs de durabilité. Le pays s'est classé 28e sur 30. Nous n'affichons pas un très bon rendement. Ce même message a été repris par la vérificatrice générale dans son rapport l'an dernier. Cette année, le rapport de la Commissaire à l'environnement et au développement durable a lancé un défi au gouvernement en disant que l'on dit beaucoup de choses, que l'on écrit beaucoup de rapports, mais que notre rendement est vraiment très médiocre.
J'aimerais vous lire quelques déclarations faites par la commissaire, Johanne Gelinas, dans un rapport rendu public à Ottawa, en septembre :
En fait, le thème en filigrane tout au long de mon rapport est qu'il y a une incapacité chronique de la part du gouvernement fédéral de faire aboutir ses initiatives [...] C'est pourquoi, en 1996, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux du Canada ont endossé la Stratégie canadienne de la biodiversité. Mais depuis, il n'y a eu aucune mesure et la stratégie est en panne. La situation n'est pas meilleure s'agissant des océans. Près d'une décennie après l'élaboration de la Loi sur les océans par le ministère des Pêches et des Océans, nos océans ne sont toujours pas gérés de façon durable. Aucun plan d'action sur les océans n'a été finalisé pendant ces dix années et les progrès en matière d'établissement de zones de protection marine ont été très faibles. Les océans du Canada sont toujours en péril. Nous constatons un déclin régulier des stocks de poissons, l'introduction continue de polluants et d'espèces envahissantes, ainsi qu'un déclin général de la biodiversité et de la productivité.
La commissaire conclut en disant : « La vérification de cette année fait ressortir un problème chronique : l'incapacité du gouvernement fédéral de mener à bout ses initiatives ». Et elle ajoute : « Les annonces faites autour de ces programmes semblent être oubliées dès l'instant où les confettis touchent le sol ».
Ce sont là des propos plutôt forts venant du bureau de la vérificatrice générale, mais nous sommes tout à fait du même avis. Otto Langer, qui est avec nous aujourd'hui, a travaillé avec le ministère des Pêches et des Océans pendant 32 ans avant de se joindre à la David Suzuki Foundation. Il a vu nombre de lancements et d'échecs de programmes et d'initiatives qui n'atteignaient pas le but visé. Nous voyons ces échecs comme étant une perte économique pour le Canada — le fait d'investir dans des choses qui ne produisent pas de résultats — et une vraie perte pour l'environnement, car ces problèmes doivent être résolus, mai ce n'est pas ce qui se passe.
Nous avons décidé de commander ce rapport et nous avons utilisé ce que l'on appelle la méthode Delphi, David Peterson et d'autres consultants du cabinet Dovetail Consulting ayant réuni tout un groupe d'experts. Le groupe a commencé par définir le mandat du ministère des Pêches et des Océans. Pour ce faire, il lui a fallu examiner des éléments de la Loi sur les pêches, de la Loi sur les océans, de la Loi sur les espèces en péril ainsi que de conventions internationales comme par exemple celle sur la biodiversité, et c'est ainsi qu'il a pu décrire le mandat du ministère en matière de conservation. Il l'a d'ailleurs fort bien expliqué.
Le groupe s'est ensuite tourné vers les experts leur disant, voyons 12 études de cas correspondant chacune à un aspect du mandat du ministère. Dans le cadre de chaque étude, ils ont analysé ce qui s'était passé, et des échecs ont été relevés de bord en bord. Les différentes versions de l'ébauche ont sans cesse fait l'aller-retour entre le groupe et les experts. Il y a eu des entrevues d'autres personnes, ainsi qu'un examen de la documentation existante sur les sujets à l'étude.
À la fin du processus, ils ont fait une distillation de toutes ces analyses d'études de cas dans le but de relever les principaux problèmes récurrents. Je vais vous en faire une lecture rapide. Cela figure dans la chemise de documentation qui vous a été remise.
Renseignements insuffisants : On compte gérer un grand nombre de stocks de poissons alors que tout ce que l'on en sait c'est le nombre de poissons pris l'an dernier et l'année d'avant, et l'on suppose que l'on continuera de prendre les mêmes quantités, mais l'on ne sait que très peu de choses au sujet du cycle de vie, de l'histoire écologique de nombre de ces espèces. L'on connaît les tendances générales en matière d'abondance des stocks, mais l'on ne sait rien des chiffres absolus des stocks. Comme je l'ai déjà mentionné, nous disposons de très peu de données scientifiques sur l'incidence de ces changements dans la productivité des océans et des importants changements dans la température de l'eau au large de la côte Ouest.
Il y a un manque de transparence et de reddition de comptes : rapports constants et répétés faisant état de difficultés d'obtention de renseignements auprès du ministère des Pêches et des Océans. Certains de nos collègues essayaient de faire du travail sur l'incidence de la pêche à la traîne sur les coraux et les éponges de la côte Ouest. Il a fallu des années et des années pour arracher ces renseignements au MPO. Ce n'est que grâce à l'erreur de quelqu'un qui leur a fourni un autre jeu de données, auquel étaient jointes des données sur les coraux, les éponges et les prises, qu'ils ont pu obtenir ces renseignements. Encore une fois, à notre avis, si l'on veut pouvoir régler ces problèmes, alors le ministère ne peut pas cacher ces renseignements du public.
Des questions de budget ont été soulevées à répétition. La commissaire à l'environnement et au développement durable a dit la même chose. Elle a déclaré ceci : « Les plans que le gouvernement est aujourd'hui en train d'essayer de mettre en œuvre ont été élaborés à partir d'hypothèses budgétaires de beaucoup plus importantes que celles qui sont présentement en place pour ces initiatives ». Cela inclut les espèces en péril ainsi que la Stratégie sur les océans du Canada. Notre estimation quant à ce qu'il faudrait selon nous pour la Stratégie sur les océans était un montant de 500 millions de dollars sur cinq ans. Il existe un groupe d'organisations non gouvernementales qui s'est constitué en Coalition du budget vert. Nous soumettons chaque année un rapport au Comité des finances. Nous lui avons dit : si vous voulez mener à bien la Stratégie sur les océans, il vous faudra 500 millions de dollars. Or, le gouvernement y a alloué 28 millions de dollars sur deux ans dans le dernier budget, ce qui est très largement insuffisant. Comme l'a dit la vérificatrice, il est impossible de gérer le plan tel que prévu.
Influence politique : Ce thème revient dans presque tous les cas. La pisciculture est un bon exemple, et Jay Ritchlin va vous parler de ce cas particulier.
Complexité bureaucratique : Il existe au sein du ministère et de ses programmes des mandats et des orientations contradictoires et changeants. Une chose que nous aimerions souligner est que nous acceptons que nous vivons peut- être une période de budgets rétrécissants et que cela ne va peut-être pas changer, mais il y a des efficiences, des gains sur les plans productivité et résultats qui seraient réalisables si l'on redéfinissait la façon dont le ministère gère et administre ses programmes. Un exemple serait d'avoir en place un mécanisme de reddition de comptes afin d'être en mesure de veiller à ce que des initiatives comme la Stratégie sur les océans puissent véritablement donner des résultats. La Politique concernant le saumon sauvage est un autre exemple. Cette politique n'énonce pas d'objectifs précis et ne prévoit pas non plus de mécanisme de reddition de comptes qui nous permettrait de vérifier et de contrôler la situation dans le temps. Malheureusement, le passé du ministère des Pêches et des Océans est tel que dans de nombreux cas il n'y a jamais eu de résultat en bout de ligne.
Exécution de la loi insuffisante : Dans bien des secteurs, l'on a constaté une réduction du personnel affecté à l'exécution au fil des ans. Plus récemment, nous avons vu les ministères opter pour des politiques axées sur les résultats, comme Eric Tamm l'a expliqué plus tôt ce matin, ce en vue de partenariats et d'ententes en vertu desquels l'industrie est mesurée par rapport à certains résultats, mais le travail d'exécution et d'examen de l'élaboration de projets amène souvent de mauvais résultats.
Nous avons récemment vérifié nos hypothèses en nous rendant dans le district de la forêt de Kalum le long de la côte Nord pour y examiner des blocs de coupe. Nous avons relevé de nombreuses violations de la Loi sur les pêches : des ruisseaux qui débordaient sur la route, des ponceaux bouchés et le blocage de passes à poissons. Nous avons rapporté nos constatations au ministère. Trois mois plus tard, nous sommes retournés vérifier et presque rien n'avait changé. Les autorités fédérales ont cédé la responsabilité à la province en vertu de la Forest and Range Practices Act, et le ministère des Forêts de la Colombie-Britannique a quant à lui cédé cette responsabilité aux entreprises pour qu'elles se surveillent elles-mêmes. C'est ainsi qu'au bout du compte les problèmes ne sont pas réglés. Tout le monde se renvoie tellement la balle que plus personne n'est redevable, et nous estimons qu'il importe d'apporter des correctifs dans le système et de le remanier.
J'aimerais maintenant céder le micro à Jay Ritchlin, qui vous expliquera en quoi la situation en ce qui concerne la pisciculture est l'illustration parfaite de certains des problèmes que nous avons relevés dans le cadre de ce rapport.
Jay Ritchlin, militant, Programme de conservation marine, David Suzuki Foundation : Un certain nombre de résultats clés correspondant aux principaux défis que nous avons relevés sont bien illustrés par l'exemple de la pisciculture : plus particulièrement, renseignements insatisfaisants, influence politique, mandats contradictoires et changeants, et travail d'exécution insuffisant. Il nous semble tout à fait contradictoire que le mandat du ministère des Pêches et des Océans englobe l'adoption d'une politique de promotion de l'aquaculture en cage en filet alors que les preuves scientifiques quant aux conséquences néfastes de ce type d'aquaculture pour le poisson sauvage, notamment le saumon et son habitat, ne cessent de s'accumuler et que l'on dispose de preuves parlantes du problème dans d'autres pays qui ont autorisé cette pratique. Il y a donc au sein du ministère un conflit d'intérêt qui pose problème pour les fonctionnaires du ministère qui essaient de faire leur travail.
Il y a également une insuffisance de renseignements. S'agissant du problème du pou du poisson, celui qui a peut-être bénéficié de la plus grande couverture publique, nous ne savons même pas combien de poux se trouvent dans les pisciculture pendant les périodes critiques de la migration des salmonidés juvéniles. Le ministère lui-même prétend ne pas le savoir et a laissé la province de la Colombie-Britannique prendre en mains cet aspect-là et, comme l'a souligné M. Wareham, la province a à son tour délégué cette responsabilité aux entreprises. Les seuls qui semblent savoir combien de poux du poisson se trouvent à tout moment dans les eaux des piscicultures sont les membres de la B.C. Salmon Farmers Association.
La capacité des chercheurs indépendants de recueillir ces données, de faire de la recherche dans le but de quantifier le problème et de faire des recommandations indépendantes est presque nulle. Lorsque nous tentons de faire des recommandations sur la base des données dont nous disposons, on nous accuse de ne pas savoir de quoi nous parlons, nos recherches étant insuffisantes. C'est une situation sans issue, pour reprendre un slogan de certains de nos amis.
Un ministère qui souffre d'une sérieuse compression de ses ressources est en train d'agir en tant que promoteur actif d'une industrie. Il m'est arrivé, lors de grosses conférences, d'entendre le ministre prononcer des discours qui n'étaient rien de moins que des numéros de vente en faveur de l'aquaculture. Une délégation de 100 personnes s'est récemment rendue en Norvège pour un salon promotionnel de l'industrie, mais nous ne parvenons même pas à obtenir des données de base au sujet de l'impact sur l'habitat et des pressions exercées par les poux du poisson sur la ressource sauvage que le ministère est chargé de protéger.
Enfin, nous avons un ministère qui ne fait pas le travail scientifique devant être fait en vue de répondre à ces questions cruciales. Le ministère fait de la recherche en bordure du dossier, présente des données en guise de réponse aux questions soulevées et discrédite activement, ou en tout cas tente de discréditer, les chercheurs œuvrant dans le domaine en vue de l'aider à prendre les bonnes décisions.
Nous avons ici un microcosme des problèmes que nous avons relevés dans ces 12 études de cas. Cette situation est particulièrement préoccupante parce que l'industrie espère s'agrandir et est en train de faire pression sur les gouvernements fédéral et provincial pour qu'ils l'y autorisent, et dans bien des cas nous ne parvenons pas à obtenir auprès des fonctionnaires les données requises pour faire de bonnes recommandations.
Le président : J'imagine que vous avez été heureux d'entendre l'autre jour le discours provocateur de Bill Shatner?
M. Ritchlin : C'était du bon divertissement télévisé, et je pense que son histoire de capture-remise à l'eau avec son affaire de calibre 12 a besoin d'un petit peu de travail. Nous sommes sur le point de répéter à nouveau ces mêmes erreurs. Et voici que l'industrie est en train d'envisager de nouvelles espèces, comme la morue charbonnière/morue noire, le flétan et la morue, toutes espèces carnivores. L'industrie a suffisamment de permis pour produire plus de morue charbonnière le long de la côte britanno-colombienne que le saumon qu'elle produit déjà. Pourtant, aucun des travaux de recherche de base ne nous dit quelle incidence cela pourrait avoir sur nos écosystèmes et nos pêcheries existantes. Et je parle ici et du point de vue scientifique biologique et du point de vue économique, pour ceux qui pêchent à l'heure actuelle la morue charbonnière.
Le président : Je suis étonné que vous n'ayez pas parlé du Klingon.
M. Ritchlin : J'avais mis en garde certains de mes collègues contre le recours à une comédie de situation de type tarte à la crème pour valider notre travail scientifique, mais cela a été amusant. Merci.
Le président : Excusez-moi.
M. Ritchlin : Ce n'est pas un problème.
David L. Peterson, Devon Knight Events, David Suzuki Foundation : J'aimerais ajouter encore quelque chose au sujet de la question de la morue charbonnière. Il importe de souligner que l'élevage de morue charbonnière a été lancé alors qu'il existe une pêche contingentée à la morue charbonnière bien établie et relativement conséquente, et c'est là l'une des études de cas qui figurent dans notre rapport.
Le président : Oui.
M. Wareham : En fin de compte, notre propos n'est pas de critiquer le ministère et de souhaiter que le monde soit autre, mais il nous faut trouver des solutions et des recommandations. Nous faisons nous aussi partie du Marine Conservation Caucus qu'Eric Tamm a mentionné ce matin. En tant que membre de ce groupe, nous participons à des consultations dans le cadre desquelles le MPO tente de rejoindre le public, et nous avons eu un certain nombre de réunions avec lui. Nous sommes à la recherche de solutions. Beaucoup de gens au ministère partagent nos opinions quant à ces solutions, mais pour ce qui est de la province, comme nous l'avons souligné, il semble qu'il y ait un décalage entre ce que les gens du ministère peuvent faire et ce qu'Ottawa pense vouloir faire avec le ministère des Pêches et des Océans.
Voici donc quelques rapides recommandations. Premièrement, il importe que soient établis annuellement des objectifs et des mesures de rendement transparents et que le public puisse comprendre, et ce pour l'ensemble des programmes du ministère.
Il faudrait également veiller à ce que tous ceux qui sont touchés ou intéressés ou qui utilisent les pêcheries et les ressources marines soient tenus de payer, de surveiller ou de participer à la recherche sur l'incidence de leurs activités sur ces ressources, et d'atténuer leurs effets.
Il nous faut adopter une approche plus coopérative avec le gouvernement provincial. La relation entre le ministère fédéral des Pêches et des Océans et le gouvernement provincial a été difficile dans un très grand nombre de dossiers. Si nous ne parvenons pas à trouver le moyen de collaborer autour des objectifs visés et de partager la charge de travail s'agissant de la surveillance, de l'exécution de la loi et de la réalisation des objectifs, alors nous allons avoir bien du mal à progresser. Un bon exemple est le plan de gestion intégrée pour la région de la côte Pacifique en vertu de la Loi sur les océans. La mise en œuvre de ce plan dépend de la ratification d'un protocole d'entente entre le gouvernement provincial et le ministère des Pêches. Cela fait environ un an et demi qu'ils y travaillent. Ce protocole d'entente comporte six ententes auxiliaires en matière de planification de gestion intégrée, de zones de conservation et de toutes sortes d'autres choses. L'on n'a pas encore franchi ne serait-ce que le cap de la signature de ces ententes. En conséquence, l'argent prévu dans le budget fédéral pour la mise en œuvre du plan de gestion intégrée de la Stratégie pour les océans cette année ne sera pas dépensé là-dessus, étant donné qu'il n'y a pas en place d'accord permettant d'avancer. Bien d'autres ressources encore seront nécessaires pour remettre cette relation d'aplomb.
Nous aimerions voir des fonds supplémentaires et, idéalement, un processus de reddition de comptes indépendant en vue de la surveillance et du suivi des objectifs de conservation et de gestion, notamment en ce qui concerne l'habitat des poissons et les pêcheries. Nous avons une politique de zéro perte nette de la capacité productive des habitats, mais notre analyse montre qu'il s'opère une perte continue d'habitat. Enfin, nous aimerions voir établi et maintenu un programme cohérent de contrôle des eaux et des habitats de poissons. Le personnel responsable de l'exécution ne cesse de rétrécir, tout comme les budgets. Vous avez sans doute tous entendu parler du saumon du Fraser, mais ce n'est là que la pointe de l'iceberg lorsque vous regardez toutes les initiatives de développement à l'échelle de la province qui bénéficieraient de surveillance et de contrôle supplémentaires.
Je vais maintenant faire appel à David Peterson ou Otto Langer, s'ils ont quelques commentaires finaux à faire, au cas où j'aie oublié quelque chose ou qu'ils aient des remarques à faire en guise de conclusion.
M. OttoLanger, directeur en congé, Programme de conservation marine, David Suzuki Foundation : Pour comprendre à quel point le ministère des Pêches et des Océans est devenu politisé au cours des 10 ou 12 dernières années, il suffit de songer à l'incident Klingon dans l'émission de télévision Boston Legal de l'autre jour. Tourisme Canada voulait commander des annonces pleine page dans le New York Times pour encourager les gens à se rendre en Colombie- Britannique pour y admirer sa côte magnifique — publicité formidable. Le porte-parole de l'opposition en matière de pêches et, nous dit-on, le bureau du ministre sont intervenus et ont imposé leur veto. Les publicités ont été annulées parce que ce n'aurait pas été flatteur pour les saumons d'élevage de la Colombie-Britannique et la côte. Vous voyez donc à quel point la politique vient s'ingérer dans ces choses, presque personne ne voulant faire quoi que ce soit pour bâtir la transparence le long de la côte, même pas au moyen d'une simple annonce touristique dans un journal américain.
Le sénateur Hubley : Un thème auquel je suis très sensible est cette incapacité d'obtenir des informations et de partager des informations qui sont essentielles non seulement au travail que vous faites, mais également au travail du MPO. Dans vos recommandations, vous avez fait état d'un processus de reddition de comptes indépendant. Cela me paraît bien, mais avez-vous une idée de la façon dont cela fonctionnerait? Qu'aimeriez-vous voir instaurer pour veiller à ce que l'on écoute et tienne compte de vos préoccupations lors de l'élaboration de politiques de pêche?
M. Wareham : Une chose que j'aimerais voir est ce rapport sur Pêches et Océans Canada par la commissaire à l'environnement et au développement durable. Il nous faudrait ce genre de rapport annuellement. Le rapport devrait être élaboré à l'issue d'un ensemble de consultations auprès de groupes d'intérêt et de groupes du secteur clairement définis. Je pense que le processus est juste, étant donné qu'ils offrent au ministère l'occasion de réagir à l'analyse et d'expliquer le travail qu'il fait en vue de l'atteinte des objectifs. Il nous faut ce genre d'encadrement à un niveau supérieur chaque année. Le ministère doit savoir qu'il fait l'objet d'un examen public et que ses objectifs et plans annoncés seront passés à la loupe. À l'heure actuelle, ce rapport ne sort peut-être que tous les trois ou quatre ans. Nous avons eu deux rapports à la suite l'an dernier parce que la vérificatrice générale s'était également penchée sur le MPO, mais cet effort a été sporadique sur une période de dix ans. Il nous faut un examen annuel.
M. Langer : Lorsqu'un ministère fédéral a totalement perdu la confiance du public et que son mandat ou plutôt la ressource dont il s'occupe ne se porte pas très bien, le vérificateur général devrait charger un vérificateur d'aller enquêter. Le vérificateur pourrait commencer par des évaluations de rendement annuelles avec le personnel pour déterminer ce que fait et ne fait pas le MPO et pourquoi il continue d'y avoir un problème. Il s'agirait de surveiller le ministère jusqu'à ce qu'il améliore son rendement. Comme l'a dit M. Wareham, de temps en temps, il sort un petit rapport au hasard. Il est facile pour un gouvernement qui travaille de répondre à toutes ces critiques et de dire que les renseignements sont dépassés et qu'il est en train de faire toutes sortes de choses, mais c'est là la réponse typique du MPO.
Le sénateur Hubley : Ce sont là de bonnes suggestions. M. Ritchlin ou M. Peterson souhaiteraient-ils ajouter quelque chose?
M. Ritchlin : La publication d'objectifs clairs et mesurables par le ministère est une chose importante. L'on nous sert quantité de propositions qui sonnent merveilleusement bien. Comme l'a mentionné M. Langer, tous les cinq ans, ils ont un plan de revitalisation ou de renouveau, mais il faudra attendre cinq ou dix ans pour voir quelque chose. Dans le court terme, d'une année sur l'autre, qu'essaie de réaliser le ministère? C'est à ce moment-là que l'on peut regarder en arrière et voir si les objectifs annoncés ont été atteints. Et s'ils ne l'ont pas été, on peut demander pourquoi et ce qu'il faudrait faire pour faciliter les choses.
M. Wareham : Ce rapport devrait être lié, dans le temps, au processus budgétaire, de telle sorte qu'à cette époque-ci de l'année, en octobre, un rapport semblable à celui de la vérificatrice générale sorte avec des recommandations sur les échecs qui ont été essuyés. Ces recommandations devraient également en contenir une pour le gouvernement, portant sur les considérations budgétaires et les exigences financières correspondant à ses obligations. Sans cela, ma crainte est que cette année encore, comme cela a été le cas avec le Programme des aires marines nationales de conservation ou la Stratégie sur les océans du Canada, il n'y ait pas d'argent pour faire le travail. Lorsque le ministère détermine qu'il lui en coûtera 25 à 35 millions de dollars pour mener à bien un processus de planification de gestion intégrée et qu'il ne dispose pas de cet argent, alors cela ne se fera pas. Le problème ne fera donc que persister s'il n'y a pas une communication retour avec le gouvernement, à un niveau politique hiérarchique élevé, et avec le ministère des Finances.
M. Peterson : Le MPO sait comment faire cela. Si vous regardez certains des plans de gestion de pêcheries, notamment pour le saumon, vous verrez des documents de planification et d'information à court terme et bien affinés, mois par mois, pour toute la saison. Ce n'est pas comme si le concept leur était étranger. Ils l'appliquent dans certains domaines, mais pas dans de nombreux autres pour lesquels ce serait nécessaire. Nous préconisons donc ce genre de réflexion précise à court terme de haut en bas, chez tous les intervenants, d'un bout à l'autre.
Le président : Avant de donner la parole au sénateur Adams, je tiens à signaler que nous étions sur la bonne voie en mai lorsque nous avons fait certaines recommandations. La première recommandation du comité à l'époque était que le gouvernement du Canada accorde au ministère des Pêches et des Océans un financement suffisant pour qu'il puisse exécuter son mandat en matière de pêche. Nous étions sans doute sur la bonne voie à cette époque-là, car nous avions déterminé que l'insuffisance du financement était un problème. Cependant, le mot clé ici est le terme « mandat ».
M. Langer : J'ai quitté le ministère fédéral des Pêches il y a environ quatre ans, mais à l'époque, la question d'un financement suffisant était une chose, mais l'organisation en était une autre, et le personnel me dit que c'est toujours un problème. Si un financement suffisant est consenti, le problème est souvent que les plans de programme ne sont pas préparés et que le financement n'est pas en place à temps. Les ministères sont censés obtenir leur financement le 1er avril. Il leur faut savoir dès janvier ou février ce qu'ils vont obtenir afin de pouvoir planifier l'année à venir. Souvent, le financement n'est pas là en juillet, août et septembre, et arrive le mois d'octobre et il y a un gel sur l'essence. Il y a un an, le ministère n'était pas en mesure d'enquêter sur les piscicultures avant de donner son approbation parce qu'il n'avait pas de carburant pour ses bateaux ou ses véhicules, et c'est ainsi que les fonctionnaires ont approuvé les piscicultures sur la base de documents. Cette solution est tout à fait irresponsable. Vous ne pouvez pas planifier un programme, même si vous disposez de fonds suffisants, si l'organisation n'est pas là pour déterminer ce que vous allez faire. Lorsque vous planifiez quelque chose, il vous faut le financement bien avant que l'année ne commence. C'est presque de l'anarchie.
Le président : Très intéressant. Je suis heureux que vous ayez souligné cela.
M. Peterson : Oui, nous appuyons la recommandation en vue d'un financement suffisant, mais même si un financement suffisant ne peut pas être assuré, il importe de surveiller de très près la façon dont le ministère utilise l'argent qu'il a.
Le sénateur Adams : J'ai un jour eu l'occasion de rencontrer David Suzuki; je le connais. Je siège au Sénat depuis 28 ans — cela fera 29 ans en avril. J'ai vu beaucoup de choses : beaucoup de politiques gouvernementales, surtout celles qui nous touchent du fait de leur incidence la faune, etc. Bien des fois je ne suis pas en faveur de tout ce que le gouvernement veut faire, mais il arrive souvent que les gens élaborent des politiques qui ne sont pas inspirés par la communauté concernée. C'est nous qui vivons là-haut, et c'est parfois difficile pour les décideurs et les gens œuvrant du côté des organisations qui s'intéressent aux mammifères. Cela fait plusieurs années que nous constatons des changements climatiques. Nous avons une pêche commerciale là-haut, dans l'Arctique, autour du détroit de Baffin, entre le Groenland et l'île de Baffin. D'une certaine façon, c'est difficile, car nous avons réglé la revendication territoriale.
Ce qui nous intéresse, c'est l'avenir. La pêche commerciale dans l'Arctique se limite à l'heure actuelle plus ou moins au flétan noir et à la crevette nordique. Nous chassons depuis que nous sommes nés et nous ne voulons pas détruire notre avenir. À l'heure actuelle, il y a des dragueurs qui montent chez nous dans l'Arctique et dans le Grand Arctique et qui y pêchent au chalut. J'ai vu certains des rapports. Vous vous inquiétez des dommages qui ont été causés le long de la côte Est et de la côte de la Colombie-Britannique et vous vous interrogez sur la migration des poissons. Là-haut, nous nous penchons sur les changements de température et sur l'incidence que cela peut avoir sur le temps qu'il faut aux poissons pour grandir. Le MPO ne peut pas nous le dire — surtout pas dans le cas du flétan noir. Peut-être que le saumon pousse un peu plus vite. Nous avons également l'omble de l'Arctique et le MPO nous a, il y a quelques années, dit que ce poisson ne grandit que d'environ un pouce par an. J'ignore quelle est la différence entre l'omble de l'Arctique au Nunavut et le saumon en Colombie-Britannique. Dans le Nord, il y a un quota pour l'omble de l'Arctique, parce qu'il remonte chaque année dans les lacs et les rivières pour frayer et seul un petit nombre survivent, et il y a également le fait qu'ils ne grandissent que d'un pouce par an. Si nous pêchions x tonnes dans un tronçon de la rivière, tout le poisson pourrait être parti en l'espace d'un été.
Que pensez-vous de la politique pour l'avenir? Devrions-nous avoir en place maintenant une politique visant les dragueurs et la pêche? Nous ne voulons pas détruire l'avenir et l'économie axée sur le poisson. Les méthodes qu'ils utilisent pour la pêche commerciale ne sont pas bien. Beaucoup de gens ont été pris en train de prendre certains des petits poissons au chalut. J'ai discuté avec certains des locaux là-haut qui travaillent à bord de navires, de dragueurs, et si les poissons ne sont pas assez gros, ils les jettent tout simplement. Ce n'est pas bien. Les seules pêches aujourd'hui devraient être celles que recommandent nos collectivités : seulement la pêche avec ligne et hameçon et au filet maillant, mais pas de pêche au chalut. Je ne sais trop quelle politique pourrait amener cela. J'espère que le MPO ne dira pas qu'il ne peut pas changer la politique en matière de pêche au chalut parce que c'est ce que pratiquent les pêcheurs commerciaux. Les pêcheurs commerciaux diront qu'ils ne peuvent pas travailler parce qu'ils ne vont pas faire d'argent. Ils ne peuvent pas attraper suffisamment de poissons s'ils ne pêchent qu'avec des hameçons et des filets maillants. Certaines des plus petites embarcations qui pêchent au filet maillant et avec ligne et hameçon sortent suffisamment de prises par jour. C'est ce à quoi réfléchissent à l'heure actuelle certaines des organisations communautaires : comment faire pour empêcher les dragueurs d'aller dans l'Arctique.
M. Wareham : C'est une question importante. Nous y œuvrons et dans le contexte international et dans le contexte canadien. Le premier ministre et le ministre Geoff Regan ont fait un certain nombre de déclarations courageuses à St. John's cette année au sujet de ce qui doit être fait en haute mer, déclarant qu'il nous faut stopper le viol et le pillage des pêcheries hauturières. Je pense que lors de la réunion de cette semaine de l'Assemblée générale des Nations Unies, la première question à l'ordre du jour sera l'examen d'une résolution en vue d'un moratoire sur la pêche au chalut au- dessus des monts sous-marins. Nous avons présenté des instances au premier ministre, demandant que le Canada adopte une position ferme et montre la voie en recommandant l'adoption de cette résolution, mais nous avons le même problème à l'intérieur de notre propre zone économique. Nous sommes consternés d'entendre le ministre des Pêches dire que les engins de chalutage n'ont pas une plus forte incidente inhérente que les autres types d'engins de pêche et que cette pratique peut se poursuivre, alors que la science et les analyses disent clairement que l'incidence de ces engins sur les prises de poissons — poissons juvéniles, espèces non recherchées, coraux et éponges — est extrême le long des côtes Est et Ouest. Comme vous l'avez mentionné, la fonte de la glace dans le Nord a ouvert des possibilités de pêche intensive dans l'Arctique et je ne voudrais pas que l'on y commette la même erreur. Il s'agit d'une de ces questions de politique de niveau macro où vous vous demandez quel est réellement le moteur derrière tout cela. Nous savons ce que l'intensification du chalutage a amené pour la pêche de la morue de la côte Est. La question est de savoir combien d'autres pêcheries devront être condamnées au même sort. Nous aimerions voir un examen formel rigoureux de cette politique de pêche au chalut au Canada.
M. Langer : Le chalut est sans doute l'un des engins de pêche les plus efficients mais les plus barbares qui soient, et il est très destructeur. Bien franchement, je ne pense pas qu'il y ait de place pour lui dans une pêcherie durable. En ce qui concerne le problème de l'omble de l'Arctique, je peux vous dire que nous avons sur cette côte-ci environ 30 espèces de poissons eux aussi à croissance lente, de la famille du scorpène ou encore de la guite de Patagonie. Ces poissons doivent attendre jusqu'à 20 ans avant de pouvoir se reproduire et ils peuvent vivre jusqu'à l'âge de 70 ou 80 ans. Nous les avons presque totalement décimés dans le détroit de Georgie, adjacent à Vancouver, avec la surpêche. Ce qui est vraiment important, et c'est l'un des points qui a été soulignés plus tôt, c'est qu'il vous faut savoir à quelle vitesse le poisson croît et combien il y en a. Il vous faut de la bonne science, et le MPO n'a pas cela pour de nombreuses espèces. Lorsque je travaillais au MPO, il y a eu une grosse poussée pour que l'on s'intéresse aux espèces sous-exploitées. Là où il n'y a pas de pêcherie, qu'on en lance une. Que l'on crée davantage d'emplois et que l'on attrape davantage de poissons. Au fur et à mesure que l'on massacre une région, on se met à la recherche de zones nouvelles, comme par exemple l'Arctique ou l'Antarctique. Cette pratique doit être stoppée. Qu'il s'agisse du scorpène ou des poissons de l'Arctique, il vous faut savoir à quelle vitesse ils poussent et combien ils sont. C'est alors que vous déterminez votre taux d'exploitation. Dans le cas du scorpène, il aurait sans doute dû être de 1 p. 100. Pour le poisson de l'Arctique, ce devrait sans doute être aussi bas que 1 p. 100, ce qui élimine vraisemblablement toute possibilité d'une pêche commerciale. Il ne devrait y avoir qu'une pêche avec ligne et hameçon, une pêche vivrière et peut-être une petite pêche sportive. C'est le maximum que peut subir ce poisson. Dès l'arrivée des chalutiers, la partie est presque déjà perdue.
Le sénateur Cowan : L'un des inconvénients d'être le dernier est que vos questions ont déjà été posées avant que ce ne soit votre tour. J'avais deux questions, l'une ayant à voir avec le financement, dont le sénateur Hubley a parlé, et l'autre visant à savoir si le fait de changer ou d'interdire certains types d'engins réglerait le problème, et le sénateur Adams s'est occupé de cet aspect-là.
M. Peterson : Sénateur, j'ai une réponse pour le sénateur Adams. Votre question et vos commentaires au sujet des changements dans l'Arctique soulignent, je pense, la nécessité de disposer d'informations à jour et de solutions qui correspondent aux problèmes d'aujourd'hui à court terme. Le changement climatique est en train de créer toute une nouvelle série de problèmes et de pressions là où vous vivez et dont il faudra s'occuper d'une façon qui n'était peut-être même pas dans l'esprit des gens il y a de cela trois ou quatre ans. Nous vivons ce même genre d'accélération et d'augmentation de la pression, par exemple, lorsque les acheteurs japonais décident d'aimer l'une de nos espèces qu'ils n'achetaient pas auparavant. Qu'il s'agisse de changements climatiques ou de changements dans les préférences des acheteurs étrangers, les choses peuvent changer rapidement et il faut pouvoir y réagir rapidement.
Le président : Ma question s'écarte un peu de l'évaluation des pêches et des océans et de l'efficacité et des motifs du Canada s'agissant de l'exécution de son mandat en matière de conservation. Cependant, je suis convaincu que la David Suzuki Foundation a des idées sur ceci. Je veux revenir à la question des allocations, des licences et de tout le reste dans le contexte des localités ou des détenteurs de licence. Tout récemment, les États-Unis ont révisé leur position sur la question de l'octroi de licences et de la privatisation des pêches. Le Royaume-Uni poursuit la privatisation depuis maintenant deux ou trois ans, et la Nouvelle-Zélande a presque déjà tout privatisé à l'heure qu'il est. Chacun de ces pays a reconnu qu'il faut qu'il y ait un certain contrôle, ou un moyen d'évaluer l'incidence de cette privatisation sur les collectivités. Même l'administration Bush a reconnu cela, alors que George Bush est parfois brandi comme étant l'agent de privatisation de droite par excellence. Le Canada est quant à lui signataire d'une convention des Nations Unies qui dit que si un pays va apporter des changements à ses pêches, il lui faut en étudier l'incidence sur les localités côtières. Votre fondation a-t-elle entrepris du travail sur l'incidence de la privatisation sur les localités côtières?
M. Ritchlin : Nous sommes depuis quelque temps déjà préoccupés par cette question. Selon nous, les arguments de conservation qui sont proposés relativement aux quotas sont, au mieux, non prouvés. Cela varie en fonction de la catégorie du stock, de son emplacement et de la mise en œuvre. Clairement, l'incidence sociale des quotas est importante. Nous avons appuyé différents membres au sein de la communauté de conservation et au sein de la communauté des usagers de la ressource halieutique pour opposer la mise en œuvre formelle de quotas individuels transférables, ou QIT. Le Comité sénatorial des pêches mérite d'être félicité pour le travail qu'il a fait au sujet des quotas et pour le rapport qu'il a publié. Notre impression est que le passage à des quotas individuels transférables viendra exacerber certains des problèmes que connaissent déjà les localités côtières qui se battent pour leur survie, ainsi que d'autres relativement à la conservation et à la privatisation de données.
Il a plusieurs fois déjà ici ce matin été question de cogestion. Pêches et Océans Canada vient tout juste de nous faire un breffage sur son projet de plan de renouvellement des pêches et certains des changements proposés à la Loi sur les pêches. Le ministère nous a livré ce qu'il a reconnu comme étant un cliché pris à 30 000 pieds d'altitude. Malheureusement, il n'a pas fourni de parachute, mais le libellé n'est pas encore définitif, alors je suppose que la chose doit jusqu'à un certain point rester confidentielle.
Le président : Est-ce une enclume que l'on vous a donnée?
M. Ritchlin : Oui, en quelque sorte. Pour ce qui est de la privatisation des données, lorsqu'ils parlent de cogestion, ils ne font état que des détenteurs de quotas qui feront partie de la gestion. Nous avons, le long de la côte Ouest de l'île de Vancouver, un conseil de gestion aquatique qui a été créé avec les meilleures intentions du monde. Avec la Loi sur les océans et la Stratégie sur les océans du Canada, nous avons des engagements envers une cogestion intégrée fondée sur l'écosystème. Ce qui suscite chez nous de vives inquiétudes est la question de savoir comment réaliser cela tout en adhérant en même temps à des ententes particulières à caractère confidentiel avec des exploitants de ressources, notamment des associations de détenteurs de quotas qui considèrent que leurs données et leurs recherches doivent demeurer des renseignements commerciaux privés et confidentiels. Ajoutez à cela les preuves qui émergent de pays comme l'Islande et la Nouvelle-Zélande, où les quotas sont en haut de la liste des soucis de conservation entourant l'écrémage du poisson que vous prenez et la sous-déclaration des prises accessoires, et vous avez vite le tableau d'un système qui augmentera la capacité des parties prenantes autres que les détenteurs de quotas d'avoir leur mot à dire. Superposez là-dessus le potentiel de conditions économiques extrêmes pour les localités côtières. Nous avons, par ailleurs, de sérieuses inquiétudes en ce qui concerne les recommandations du rapport Pearse-McRae qui dit, en gros, comme l'a souligné le Sénat, qu'il y aurait lieu de tout privatiser et de passer à autre chose. Nous ne savons pas très bien comment vous pourriez avoir une gestion des pêches fonctionnelle axée sur l'écosystème avec, en place, ce genre de recommandations.
Le président : C'était là ma deuxième question. La Loi sur les océans et le MPO lui-même parlent de la gestion fondée sur l'écosystème comme étant l'option préférée. Je pense que le West Coast Vancouver Island Aquatic Management Board a fait du travail là-dessus. Dans mon esprit, il s'agit là de systèmes mutuellement exclusifs, la gestion axée sur l'écosystème ne pouvant pas fonctionner avec des quotas d'espèces. Il s'agit de deux systèmes distincts. Ou vous avez une gestion fondée sur l'écosystème ou vous avez une gestion particulière à chaque espèce, ce qui semble être l'option que privilégie à l'heure actuelle le ministère. Votre fondation s'est-elle penchée sur ce genre de contradiction? Par exemple, si l'on m'accorde un quota pour la limande-sole ou la morue charbonnière, je ne suis pas intéressé par les autres espèces de poisson, et mon intérêt est extrêmement étroit. Dans une pêche fondée sur l'écosystème, je m'intéresserais à toutes les espèces, depuis le début de la chaîne alimentaire jusqu'à la pêche des différentes espèces. Vous êtes-vous penchés là-dessus?
M. Ritchlin : Si le sénateur est à la recherche d'un nouveau poste en tant que ministre des Pêches, je serais tout à fait pour.
Le président : Je ne pense pas que j'appartienne au bon parti.
M. Ritchlin : Peut-être bien.
Oui, la réponse rapide est que la gestion fondée sur l'écosystème doit être le facteur déterminant dans les décisions en matière de prises admissibles pour les différentes espèces, au lieu que ce soit l'inverse. D'après les différents mécanismes qui ont été établis en vue de la gestion fondée sur l'écosystème, de l'approche de gestion intégrée, il n'existe pour le moment aucun moyen clair d'intégrer ces deux éléments distincts. Lorsque vous interrogez directement là-dessus les responsables au MPO, la réponse a toujours été : nous nous efforcerons de faire fonctionner ensemble ces deux choses. M. Wareham a peut-être quelque chose à dire au sujet du travail en matière de gestion écosystémique. Il s'y est intéressé de très près.
Le président : Sifflotant en passant à côté du cimetière.
M. Wareham : Oui, s'agissant des pêches contingentées, il est absolument essentiel d'avoir en place une exécution et une surveillance rigoureuses, un cadre de gestion adapté et le travail scientifique de contrôle et d'examen régulier du statut des stocks. Le statut des stocks est l'épreuve ultime pour déterminer si vous êtes engagés dans une voie durable s'agissant des prises annuelles totales que vous pouvez accorder dans le cadre de quotas. Cette conclusion a été rapportée dans d'autres pays, ainsi que dans les rapports de la U.S. Ocean Commission on Policy. Le problème, qui a été relevé partout dans le monde, est que les pays n'ont pas instauré ces conditions de filet de sécurité avant de donner le feu vert aux pêches contingentées. Comme l'a dit M. Ritchlin, ils disent qu'ils feront de leur mieux pour toutes ces choses, mais ce n'est pas le cas. À notre avis, si nous empruntons cette voie, nous allons tout simplement jouer un jeu de roulette russe très risqué avec nos pêches.
M. Langer : Nous voyons s'opérer un certain nombre de changements importants dans la façon dont les poissons sont gérés ou dont leur habitat est protégé. Il y a dix ans, certains d'entre nous avons constaté ces changements et certains des employés du MPO avaient dit : nous aimerions bien que le maudit ministre nous dise dans quelle galère il nous entraîne, car il semble que le poisson ne soit plus une priorité à Ottawa. Jusqu'à un certain point, je ne pense pas que cela soit jamais arrivé, mais cette vision n'est pas là du côté du public et de nombre des employés du MPO. Ils ne pensent plus jouir de l'appui d'Ottawa. C'est ce que me dit le personnel depuis une semaine ou deux. Ils ne veulent plus que nous fassions certaines choses.
Il faut qu'il y ait un dialogue au Parlement ainsi que dans le secteur public. Beaucoup de cela ne se fait pas. Peut-être qu'il y a un dialogue au sujet des quotas, mais ce n'est pas le cas lorsqu'il est question de la modernisation du programme sur les habitats. Il y a un an, le MPO signait un accord de fait avec les sept plus importants groupes de lobbying industriels du Canada. Cet accord a été caché du public. Les groupes environnementaux, des groupes très connus comme le nôtre et EcoTrust Canada et le Sierra Club, n'ont jamais été consultés. Pourquoi le MPO aurait-il un partenariat de fait avec les sept plus gros groupes de lobbying qui détruisent la plupart de l'habitat sans avoir des discussions semblables avec les groupes environnementaux qui, en théorie, devraient être du côté du MPO? Il y a vraiment quelque chose de pourri dans la façon dont le MPO fait affaire. Le ministre veut faire plaisir à tout le monde, surtout lorsqu'il est question de créer un autre emploi ou de faire les choses pour moins cher. C'est là le vrai programme à Ottawa et ce n'est pas ainsi que l'on peut gérer une ressource vivante. Cela ne fonctionne pas. Au cours des 25 dernières années, chaque fois que les pêches ont été en difficulté, le MPO a pondu un nouveau programme aux cinq ans, un programme de renouvellement, un programme de revitalisation, un programme à orientation nouvelle. Avant que les cinq années ne se soient écoulées, ces programmes sont oubliés et un autre programme quinquennal est lancé. Ce n'est pas en procédant ainsi que l'on aura du poisson à pêcher dans 25 ans. Les pêches continuent de décliner et le dossier du gouvernement en la matière est tout à fait honteux.
M. Peterson : J'aimerais souligner ce qu'a dit Bill Wareham au sujet de l'importance de la mécanique de la mise en œuvre des systèmes de quotas. Je vous renvoie à l'annexe 8 de notre rapport, qui renferme justement un certain nombre de suggestions en matière de lignes directrices.
Le président : Très bien. Quelqu'un aimerait-il faire quelques dernières remarques avant que nous ne bouclions cette partie de la réunion pour faire une courte pause-café?
M. Wareham : J'aimerais vous dire merci et j'espère que vous vous joindrez à nous dans notre projet de faire en sorte que les pêches canadiennes soient véritablement durables à l'échelle mondiale.
M. Ritchlin : Nous avons beaucoup parlé pêches et gestion des pêches, mais je tiens à souligner l'importance de l'aspect habitat, et dans notre rapport et dans une part importante de notre travail. Il est clair que cela vaut tout particulièrement dans le cas de l'habitat d'eau douce du saumon. Il existe à ce niveau-là un vrai tiraillement entre les gouvernements fédéral et provincial. Le gouvernement fédéral répugne manifestement à l'idée de marcher sur les plates-bandes de la province, mais la gestion, la préservation et la protection de cet habitat, et les systèmes les sous- tendant, sont aussi importants que la gestion de la pêcherie elle-même s'agissant d'assurer la durabilité de la ressource à long terme.
Le président : Nous avons le bonheur d'accueillir de nouveau Garth Mirau et Irvin Figg. Si je comprends bien, vous avez une déclaration, après quoi nous passerons aux questions et réponses.
Garth Mirau, vice-président, United Fishermen and Allied Workers' Union : Merci d'être venus à Vancouver. Un grand nombre de personnes qui travaillent dans l'industrie apprécient ce que fait le comité sénatorial et je tiens à vous en remercier en leur nom.
J'ai maintes fois rédigé dans ma tête un mémoire en prévision d'aujourd'hui, et je me demandais toujours dans quelle direction me lancer. Nous avons écrit plusieurs mémoires au sujet des pêches ces derniers temps, surtout ces trois dernières années, y compris un mémoire à McRae et Pearse, un mémoire au Comité permanent de la Chambre, un ou deux mémoires au ministre et un mémoire que nous avons l'an dernier présenté au comité sénatorial. Il me faut avouer que nous ne savons pas très bien ce que nous pourrions encore ajouter à ce que nous avons fait et à ce que nous avons dit, sauf souligner que nous partageons les opinions exprimées dans les deux exposés que vous venez d'entendre. Notre position est claire. Il nous faut des changements dans la région du Pacifique si nous voulons qu'il y ait encore une génération de pêcheurs. Si nous poursuivons notre route vers la privatisation comme le recommande le rapport Pearse- McRae, et il semble que le ministre, ou en tout cas la bureaucratie de la région du Pacifique l'ait accepté, alors nous avons aujourd'hui devant nous la toute dernière génération de pêcheurs.
Nous avons corédigé avec la Native Brotherhood of B.C. une étude intitulée, A Rich Fishery or A Fishery for the Rich?, et je pense que vous en avez des copies. Cette étude décrit clairement la situation dans laquelle nous nous trouvons à l'heure actuelle. Nous voyons disparaître le petit propriétaire de petite embarcation en Colombie- Britannique. Je pense que la situation dans laquelle se trouve le syndicat illustre bien ce que vivent les pêches en Colombie-Britannique, les localités et les gens qui pêchent pour gagner leur vie.
Lors d'une réunion interne l'autre jour, et je ne connais pas les chiffres exacts, l'administrateur de notre bureau nous a dit que cette année nous avons perdu 1 000 membres. Ces gens habitent les localités dont nous parlons, les localités côtières qui comptent sur le poisson pour vivre. Ils ne sont pas tous pêcheurs. Un grand nombre d'entre eux travaillent à terre, travaillent à salaire, mais ils font tout autant partie de cette industrie que tous les autres, et on leur fait la sourde oreille.
Les pêches sont gérées de telle façon que seuls les détenteurs de licence, les détenteurs de quotas, ont leur mot à dire. Le MPO vous dira qu'il a lancé une ronde de consultations des localités, mais la réalité est que les vraies décisions sont prises ailleurs. Vous avez parlé de cogestion et de ce que cela signifie. Tout ce que veut dire cogestion c'est que les seules personnes qui ont l'occasion d'intervenir sont celles qui possèdent un permis. Ces permis sont de plus en plus détenus non pas par ceux qui pêchent, mais bien par des investisseurs et des transformateurs.
J'ai le procès-verbal ou plutôt le compte rendu d'une réunion que vous avez eue l'autre jour avec Paul Sprout et Kevin Stringer du MPO. Je me demande si le comité sait ce que veut dire le mot communauté. Je suis certain que si je demande à l'un quelconque d'entre vous qui siégez au comité ce qu'est une communauté, vous répondrez que c'est un endroit où vivent des gens, un endroit où les gens s'attendent à gagner leur vie, et c'est vraiment cela : des gens qui vivent ensemble. La réponse de M. Sprout à cette question était que ce pourrait être une communauté d'intérêts, une communauté d'investisseurs ou une communauté de ceci ou de cela. Je pense que cela en dit long sur la façon dont Pêches et Océans gère à l'heure actuelle la région du Pacifique. C'est comme si le ministère ne connaissait d'autre loi que la sienne, si vous voulez, et qu'il n'avait de comptes à rendre à personne. J'ai une lettre du ministre des Pêches et des Océans datée de février dernier et il comprend clairement ce que sont les communautés, mais je ne suis pas convaincu que le ministre reçoive le genre de contribution ou de conseils dont il a besoin pour maintenir les pêches. La réponse à nombre des problèmes auxquels se trouvent aujourd'hui confrontées les pêches en Colombie-Britannique et les petits slogans qui sortent du bureau du directeur général de la région du Pacifique sont à mon sens une véritable honte.
Paul Sprout vous a parlé de la pêche du saumon, et il a dit que le gros de ce que vous entendrez dans le cadre de vos audiences portera sur la pêche du saumon. Cela est sans doute vrai. Il a dit que 95 p. 100 du temps du MPO dans la région du Pacifique est accaparé par des questions relatives au saumon. C'est sans doute vrai. Il a dit que le saumon est une icône dans la région du Pacifique. Je suis d'accord avec cela, absolument. Cependant, voyons ce qui se passe avec les autres pêcheries, car il n'y a pas que le saumon. Il y a toute une gamme d'autres pêcheries qui sont toujours possibles dans la région du Pacifique. Cette région compte certains stocks sains même si de plus en plus de pressions s'exercent et s'exerceront sur eux du fait de la multiplication des quotas. Étant donné les systèmes de quotas qui sont en place à l'heure actuelle — les rapports étant faits par ceux qui détiennent les licences, et ils sont d'ailleurs seuls à être consultés -, il est clair que nous mettons en danger l'ensemble de nos stocks. Lorsque vous avez un quota, l'on sait qu'il y a plus de pressions sur l'espèce que s'il y avait une pêche ouverte.
Peut-on revenir en arrière, à ce qu'étaient les pêches autrefois? Probablement pas, mais il nous faut, en tant que Canadiens, être au courant de ce qui se passe avec les pêches dans la région du Pacifique. Lorsque le ministère des Pêches et des Océans brandit les quotas qui sont en place dans la région du Pacifique en tant qu'exemple d'une bonne gestion des pêches, il y a lieu de s'inquiéter lorsqu'on sait qu'il y a environ 535 licences pour la pêche du flétan mais seulement une centaine de navires environ qui pêchent en vertu de ces licences. J'ai pêché sur un bateau de pêche du flétan. J'ai été membre d'équipage sur un navire de pêche du flétan et j'ai gagné des revenus corrects lorsque je pêchais dans cette industrie. Les matelots de pont ne peuvent plus gagner leur vie. Tout l'argent aboutit dans la poche des détenteurs de licence. Jusqu'à 70 p. 100 de la valeur du poisson va à quelqu'un qui n'est même pas à bord du navire, et c'est dommage. Ces titulaires de licence ont une licence pour pêcher du poisson, non pas pour louer la licence à quelqu'un d'autre qui fera le travail à leur place.
La pêche de la morue charbonnière, que le ministère vante comme exemple de bonne gestion, compte environ 50 licences. À l'heure actuelle, moins de 20 embarcations pêchent sous ces licences. C'est tout un commerce. La valeur du poisson est partie avant même que le bateau ne quitte le quai.
Je constate que le comité va se rendre à Tofino et à Ahouset. Je suis convaincu que l'on vous y ouvrira les yeux. Ces deux localités comptaient autrefois sur le poisson. Le poisson est toujours là. Il y a certains stocks qui nous inquiètent, bien sûr. Le poisson est dans l'ensemble toujours là, mais la communauté de pêcheurs — et je sais dans quel contexte j'emploie le terme communauté — n'est plus là.
De prime abord, Tofino ressemble à une localité économiquement viable, durable et prometteuse, et c'était le cas autrefois. Cependant, les gens qui dépendent aujourd'hui d'emplois dans l'aquaculture ou l'industrie du tourisme dans ces localités n'ont plus les moyens d'y vivre. L'immobilier est en train d'être acheté par des gens d'ailleurs, et c'est ainsi que les locaux se voient poussés dehors.
Vingt-cinq milles plus loin, de l'autre côté de la péninsule, se trouve un village du nom d'Ucluelet. Il y a trois ou quatre ans, c'est lui qui comptait les plus gros volumes de prises au Canada. Deux usines de conditionnement du poisson ont fermé et une autre tourne à mi-temps. Quatre ou cinq plus petites usines ne sont plus en activité et ne rouvriront jamais. Comment cela se fait-il? Cela est directement lié au système de quotas pour les poissons de fond. Il n'y a aucun doute là-dessus. La propriété étrangère a été un problème là-bas bien que la plus grosse usine active ait depuis été reprise par des Canadiens.
À Ahouset, vous verrez une communauté à genoux, une communauté des Premières nations qui dépend du poisson pour vivre, pour sa survie même. Lorsque j'ai commencé à pêcher en 1972, j'ai passé un peu de temps à Ahouset. C'était alors une collectivité dynamique qui était durable et qui dépendait du poisson, mais il ne s'y trouve plus du tout de licences aujourd'hui. Vous constaterez la même chose tout le long de la côte. Chaque localité le long de cette côte se trouve confrontée à la même chose. Les licences sont parties en ville et appartiennent maintenant à ceux qui ont les poches les plus profondes. Le rapport Pearse-McRae, s'il est adopté, viendra accélérer ce processus.
Le MPO a dit qu'il est à la recherche d'autres options. Nous lui avons soumis deux autres options. Il ne les a pas prises au sérieux. L'étude intitulée Our Place at the Table, rédigée par des Premières nations, est à l'opposé du rapport de McRae et Pearse, mais le MPO et la région du Pacifique essaient de dire que les deux rapports concordent, correspondent. Cela est absolument faux.
J'ai fait distribuer, et ceci est un résumé, croyez-le ou non, une étude sectorielle qui vient tout juste d'être terminée. Elle a été préparée par le Conseil canadien des pêcheurs professionnels. Je ne sais si vous avez eu l'occasion de la regarder, mais cette étude est sans doute la plus exhaustive qui ait jamais été faite de l'industrie des pêches sur les deux côtes, pour ce qui est des ressources humaines. J'aimerais vous lire un demi-paragraphe tiré de la page 61. Je pense qu'il explique bien ce qui ne va pas dans la région du Pacifique et pour quelles raisons nous en sommes arrivés là. Cela commence ainsi :
Il y a eu une consultation considérable dans le contexte de Pearse-McRae et de la restructuration de la gestion du saumon, mais il demeure toujours un manque manifeste de confiance et de compréhension mutuelle. Certains des grands groupes de pêcheurs sont convaincus que le MPO a un programme qu'il est déterminé à imposer quels que soient les opinions et les intérêts de l'industrie. Les gestionnaires du MPO qui ont été interviewés ont dit n'être tout simplement pas en mesure de travailler avec les organisations de pêcheurs établies et que de nouvelles structures de consultation et de cogestion sont nécessaires.
Ils sont en train de parler de nous. Ils parlent de la United Fishermen and Allied Workers' Union, des Travailleurs canadiens de l'automobile et d'autres alliés que nous avons dans l'industrie. Nous n'avons, certes, jamais été favorables à l'orientation suivie par le ministère des Pêches et des Océans dans la région du Pacifique, alors celui-ci est tout simplement parti créer dans la région d'autres groupes qui se plieraient à leur volonté, si vous voulez.
Enfin, nous avons votre rapport qui parle des mêmes choses que celles qui nous préoccupent. Nous avons un rapport que nous avons rédigé et dans le cadre duquel nous formulons des politiques en matière de pêche dans le contexte de revendications territoriales et traitant de ce dont nous pensions que Pearse et McRae allaient parler. Nous avons le document de discussion sur les pêches de Pêches et Océans Canada, qui parle de réforme des pêches ou de je ne sais trop quoi qui doit se passer ici, et de toute une gamme de rapports. J'en ai une mallette pleine, et en fait, la dernière fois que j'ai comparu devant le comité, le président me les a toutes fait déposer ces études, et je lui en suis très reconnaissant.
Je devrais vraisemblablement boucler en soulignant que nous aimerions faire d'autres recommandations et que j'aimerais bien les lire afin qu'elles figurent dans le compte rendu. Les voici : le ministre devrait ordonner au MPO d'établir un cadre stratégique de gestion national des pêches, englobant vision et principes, devant être appliqué de façon uniforme dans toutes les régions régies par le MPO. Ce processus pourrait être rattaché à des consultations et le processus décisionnel devrait être transparent et multipartite pour ce qui est de l'élaboration d'une nouvelle Loi sur les pêches.
Le ministre devrait établir un groupe de travail interministériel chargé de contrôler l'intégration des éléments politiques et de programmes au sein de la stratégie nationale, avec la participation des ministres responsables de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, du régime d'assurance-emploi, de l'Agence du revenu du Canada et du Secrétariat rural d'Agriculture et Agroalimentaire Canada. J'ai eu l'occasion d'assister la semaine dernière à Twillingate, à Terre-Neuve, à la conférence qui s'y tenait sur les Collectivités rurales et l'agroalimentaire, et ce qui me frappe ce sont les parallèles qui existent entre les petits agriculteurs et les petits pêcheurs dans ce pays.
Environnement Canadas, les agences fédérales de développement régional — l'Agence de promotion économique du Canada atlantique, ou APECA, l'Agence de développement économique du Canada pour les régions du Québec, ou BFDR(Q), et le ministère de la Diversification de l'économie de l'Ouest — Transports Canada et le ministre devraient établir un groupe de travail fédéral-provincial chargé de promouvoir et d'assurer la coordination des initiatives politiques et de programmes fédérales et provinciales découlant de la stratégie nationale.
Le ministre des Pêches et des Océans devrait constituer un groupe de travail d'experts indépendants jouissant de crédibilité dans tous les secteurs de l'industrie et auprès du gouvernement fédéral, et le charger d'effectuer un examen exhaustif des ramifications sociales et économiques des politiques et pratiques actuelles en matière de gestion des pêches dans la région du Pacifique. Ce groupe de travail devrait conseiller le ministre sur les questions qui suivent : premièrement, un cadre stratégique en vue de mécanismes plus efficaces de consultation et de prise de décisions, dans le but de rétablir des rapports de confiance et de collaboration entre les gestionnaires des pêches du MPO et les principaux groupes de l'industrie, ainsi qu'entre ces derniers; deuxièmement, faire une évaluation de l'incidence socio- économique et de gestion des ressources du cumul et de la location de licences; troisièmement, réaliser une évaluation des ramifications socio-économiques et de gestion des ressources de l'introduction de QIT dans la pêcherie du saumon et, enfin, élaborer des stratégies à court, à moyen et à long terme en vue du renforcement des pêcheries communautaires de propriétaires-exploitants dans la région du Pacifique.
Il nous faut une politique des pêches pour le Canada. Nous n'en avons pas. C'est une honte. Lorsque je regarde le bourbier dans lequel se trouvent à l'heure actuelle les pêches d'un bout à l'autre du pays, mais tout particulièrement dans la région du Pacifique, je me demande comment le ministre peut continuer de prendre conseil auprès de ceux qui nous ont plongés dans ce pétrin.
Irvin Figg, président, United Fishermen and Allied Workers' Union : Mon collègue, M. Mirau, s'occupe du côté exploitation de notre syndicat. Je suis ici et je n'ai même pas eu à lui donner un seul coup de pied sous la table jusqu'ici. La courbe d'apprentissage ici est très ardue.
Je viens pour ma part du volet transformation. Comme l'a dit M. Mirau, les gens sont nombreux à penser que ceux qui travaillent dans les usines de transformation du poisson n'ont pas d'intérêt direct dans cette histoire, en dehors de leurs relations avec leurs confrères et leurs consœurs qui pêchent, mais nous ne sommes pas de cet avis. Nous croyons que la concentration qui viendra du fait de tout le capital qui est investi là-dedans et que les sommes d'argent que rapporte aujourd'hui la location de quotas sont telles que le volet exploitation de la ressource est mal équilibré.
Si ceux qui possèdent les licences devaient largement se concentrer dans des entreprises, notre crainte est qu'il ne faudrait pas attendre bien longtemps avant qu'il y ait plus d'argent à faire côté vente d'actions, c'est-à-dire de quotas, que côté transformation du poisson en Colombie-Britannique. Nous savons qu'il s'annonce déjà une autre ronde de restructuration d'entreprises dans les localités côtières. Nous avons déjà vécu cela pendant mes 25 années d'activité, et nous nous y attendons, comme faisant partie du cours normal des affaires. Nous ne voulons pas voir les quotas devenir les gros méchants loups et connaître une concentration telle que toute activité de transformation sera balayée, ailleurs que dans les grands centres urbains.
Le sénateur Hubley : Nous sommes aujourd'hui confrontés à la privatisation d'une ressource qui est une ressource canadienne. Elle appartient à la population. Je ne saurais être davantage d'accord là-dessus. Non seulement j'aimerais que la population s'y intéresse, mais je crois que s'il y a de la richesse à en tirer, cela devrait revenir au peuple canadien. Lorsque je dis peuple canadien, je songe aux localités côtières, non pas parce qu'elles sont jolies et non pas parce qu'elles contribuent au tourisme, mais bien parce que les habitants de ces localités ont historiquement gagné leur vie d'une certaine façon. Ils ont le droit de continuer de faire de même. S'agissant de veiller au maintien de leur droit de participer à cette pêcherie, si nous envisageons un système de quotas, et les QIT ont certainement été mis sur la table, envisageriez-vous la possibilité de quotas communautaires pour veiller à ce que les pêcheurs de ces localités retrouvent la possibilité de gagner leur vie de la pêche, ou bien avons-nous dépassé cela? Y a-t-il moyen de retourner ne serait-ce qu'un tout petit peu en arrière?
M. Mirau : Les gouvernements peuvent faire ce qu'ils veulent, et je pense que la chose est possible. Je ne pense pas que l'on puisse retourner à la situation que l'on a connue il y a 20 ans, mais je pense qu'il est possible de retourner en arrière. Les quotas communautaires sont un des outils que le gouvernement pourrait utiliser pour remettre une partie des ressources aux mains de ces localités. Sénateur, nous avons beaucoup bougé là-dessus. Il n'y a pas si longtemps que cela, je pensais que les localités ne devaient rien avoir à dire au sujet des possibilités de pêche pour leurs habitants ou de la possibilité que le poisson soit transformé chez elles. Notre position a de beaucoup changé depuis.
Nous avons insisté pour avoir une discussion au sujet de l'incidence socio-économique des QIT, mais également de l'incidence socio-économique des quotas communautaires, de la rétention des licences dans les collectivités et de la façon dont cela pourrait fonctionner. Je n'ai pas fait beaucoup de travail là-dessus. Nous travaillons un peu avec le réseau de localités côtières qui ont fait beaucoup de travail en la matière, et je pense que ce serait faisable.
Le sénateur Hubley : Il y a encore toute une discussion qui doit avoir lieu au sujet des quotas communautaires et des changements à apporter au système en place. Nous nous penchons donc sur les QIT, mais si nous pouvions proposer des idées novatrices quant à la façon de mettre en œuvre le système de quotas, alors nous pourrions peut-être venir en aide aux localités. Je suppose que nous faisons aujourd'hui appel à vos lumières. Pouvons-nous lier le système de quotas aux capacités de transformation d'une localité ou à un engagement du gouvernement d'améliorer l'infrastructure, car je suis convaincue que l'infrastructure n'a pas été bien entretenue au fil des ans. Le régime de pêche axé sur les propriétaires-exploitants semble être la formule qui viendrait appuyer les localités. Pourriez-vous faire quelque commentaire là-dessus? Auriez-vous quelque chose à ajouter à cela ou des suggestions quant à d'autres possibilités à envisager?
M. Mirau : Premièrement, je ne pense pas que le système des quotas soit intrinsèquement mauvais, bien qu'il y ait des dangers. C'est la partie transférable des quotas qui est le mauvais élément. C'est cet élément-là qui enlève les possibilités de pêche et de transformation aux localités. Les collectivités devraient tirer les bénéfices des ressources qui y sont extraites, qu'il s'agisse de bois, de poisson ou d'autre chose encore. C'est la seule façon dont le Canada rural puisse survivre. Même dans le cas de la céréaliculture, les collectivités doivent retirer un certain bénéfice.
Je ne suis pas certain de répondre à la question que vous m'avez posée. Je pense qu'il est important de ce rappeler ce que Pat Shermoot, alors sous-ministre adjoint des pêches, a déclaré en 1988 au sujet de la pêche dans les collectivités de la Colombie-Britannique. Je paraphrase, mais il a dit que la pêche était un important employeur dans les localités, et que les pêches étaient un important moteur économique, non seulement pour ces localités, mais pour toute la Colombie-Britannique. Les gens qui travaillaient dans ces pêcheries gagnaient en moyenne 20 p. 100 de plus que le salarié britanno-colombien moyen. Voilà ce qu'il a dit en 1988. Cela n'est plus vrai aujourd'hui. Il n'y a plus d'emplois dans les localités, et le revenu des gens qui travaillent à bord des navires a chuté de façon très marquée. De fait, la United Fishermen and Allied Workers' Union et le Native Brotherhood of British Columbia sont en train de lancer une campagne pour se faire dédommager pour les possibilités perdues cette année.
Le gouvernement fédéral refuse. C'est le gouvernement provincial qui se voit obligé d'essuyer les plâtres du fait de la gestion catastrophique du saumon cet été. Tous les autres intervenants qui ont quitté la pêcherie — certains d'entre eux habitent Ucluelet, d'autres Ahouset, certains Tofino et d'autres encore certaines autres localités côtières — sont toujours là, mais ils ne contribuent plus à ce qui servait autrefois tous les Canadiens. Ils sont aujourd'hui des usagers, car ils n'ont pas d'autre choix.
Le sénateur Adams : J'habite une localité qui a le même problème, mais à l'époque du règlement de la revendication territoriale, nous avions demandé de contrôler la pêcherie; or, nous avons toujours un problème aujourd'hui. Nous avons un accord depuis 1993 et une pêcherie a été établie au Nunavut en 2002. Au début de cette année, le programme triennal a expiré à Nunavut, et il nous a fallu embaucher quelqu'un qui comprend la pêche commerciale. Nous n'avons pas dans la localité de navire, d'embarcation autochtone. Des organisations ont été créées on ne sait trop comment et elles ont pris une partie du quota de la communauté. J'habite la partie principale de la communauté. Le gros de la population vit le long de la côte, et la plupart des gens s'occupent de pêche. Nous étudions la situation depuis le règlement des revendications territoriales entre le Nunavut et la baie d'Hudson et entre l'île de Baffin et le Grand Arctique, entre les îles et la côte habitée par les Inuits. Le Nunavut est composé à 60 p. 100 d'eau. Entre la Colombie- Britannique et la côte Est, vous avez 40 p. 100, et entre les deux, les gens n'ont rien à dire.
Je vais vous expliquer un petit peu de quelle façon ces quotas sont établis. Les trois localités étaient Pond Inlet, Clyde River et l'île de Baffin. Pond Inlet et Clyde River avaient chacun un quota de 45 tonnes de flétan. L'île de Baffin avait un quota de 330 tonnes. Ces localités touchaient des royalties des entreprises comme Clearwater Seafoods qui pêchaient là-haut. Nous avons découvert après trois années ininterrompues de travail qu'une localité avait un contrat pour 45 tonnes et que l'autre avait un contrat pour 330 tonnes. Le contrat pour 45 tonnes se chiffrait à 20 000 $ par an. Ces chasseurs et trappeurs pensaient qu'ils touchaient des royalties du gouvernement et ils ont appris que c'était un contrat. Le contrat pour la localité de l'île de Baffin avec un quota de 330 tonnes correspondait à environ 110 000 $ à 120 000 $ par an. Voilà qu'une localité de l'île de Baffin a dit qu'elle n'allait pas renouveler le contrat. La société Clearwater a déclaré qu'elle allait la poursuivre. C'est le genre de chose que l'entreprise menaçait de faire aux localités. À un moment donné, le ministre des Pêches et des Océans s'est rendu au Nunavut et je lui ai demandé s'il y avait pour le Nunavut un avenir dans la pêche commerciale. Le ministre a dit que le ministère achetait des filets maillants, des hameçons et des navires et qu'il allait les mettre à la disposition des gens pour qu'ils se lancent dans la pêche. Il a dit, sénateur Adams, nous allons verser des royalties de 20 p. 100 à la localité. J'ai demandé au ministre responsable du Trésor à quoi correspondaient les 20 p. 100 et où l'argent était allé. Il ne le savait pas non plus. Peut-être que c'est allé au ministère des Affaires indiennes et du Nord. Cet argent, ces royalties avaient été recueillis auprès du ministère ou de l'entreprise.
Nous avons décidé de faire avec la pêche ce que nous avons fait avec les chasseurs et les trappeurs, mais un type de l'entreprise, et le gars de Terre-Neuve, ont dit, vous allez être membres de la Baffin Fishery Coalition, ou BFC, et ils nous ont donné une part chacun. Ils ne nous ont jamais dit qu'ils accordaient une part à chacune de ces 11 localités de l'île de Baffin. Ils n'ont aucune action donnant droit de vote. Nous avons à l'île de Baffin une usine de transformation du poisson et chacune des localités a des actions dans l'affaire et jouit d'un certain contrôle. Pour l'ensemble de la zone OA, nous avons un quota de 4 000 tonnes métriques pour le Nunavut. Ce devrait être bien pour la communauté. Chaque année depuis que je siège au Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut, celui-ci demande des quotas au ministre. Il envoie la demande à Ottawa, avec copie confidentielle au ministre du Nunavut. Mais chaque année, le ministre revient avec les mêmes quotas. Il les donne à la Baffin Fisheries Coalition. Entre-temps, la BFC n'a pas de licence pour pêcher ces poissons. La BFC a embauché un gars de Terre-Neuve qui recrute des gens d'Europe pour faire venir pêcher ces poissons des bateaux et des travailleurs étrangers.
À l'avenir, les quotas devraient être répartis entre toutes les communautés dans l'organisation, et à partir de là, les pêcheurs de l'organisation pourraient acheter auprès du gars du coin, au lieu de s'adresser à l'organisation. Voilà pourquoi nous connaissons aujourd'hui autant de problèmes. Nous perdons au Nunavut pour 60 millions de dollars de poissons que nous avions avant le règlement de la revendication territoriale. Après le règlement, le ministre a dit, vous aurez entre le flétan et la crevette nordique 65 et 45 p. 100 de l'autre compagnie de Terre-Neuve. Tout comme mon ami de Halifax, en Nouvelle-Écosse, les gens là-bas ont obtenu 45 p. 100. Il y a chez nous une localité qui a fini par établir un partenariat avec les gens de Terre-Neuve. Ils ont maintenant trois navires pour la localité, mais ils ne parviennent pas à obtenir de licence ni les quotas appartenant au Nunavut. Ce sont des étrangers qui obtiennent des quotas. La façon dont le système fonctionne et dont le MPO l'a établi me pose beaucoup de problèmes. Nous vivons là-haut depuis si longtemps et nous voulons développer la pêcherie. Or, nous ne parvenons même pas à contrôler les poissons qui sont censés être les nôtres. C'est exactement la situation que vous vivez à l'heure actuelle. Nous avons beaucoup entendu parler de la côte de la Colombie-Britannique. Paul Sprout, du ministère des Pêches et des Océans, a la semaine dernière dit au comité qu'il est bon de faire le travail avec la localité. Je n'étais pas d'accord avec lui dans beaucoup de ce qu'il a dit, s'agissant de la façon dont il travaille avec les Autochtones dans les localités. Je ne sais pas ce que vous en pensez.
M. Mirau : Une chose qu'ont en commun les localités côtières de part et d'autre du pays, qu'il s'agisse de localités des Premières nations ou de localités non autochtones, est que les décisions du MPO, aujourd'hui comme par le passé, leur nuisent beaucoup. J'ai eu l'occasion au cours des deux dernières semaines de visiter la côte Est de la Nouvelle- Écosse et de remonter jusqu'à Canso — il y a une localité qui était autrefois entourée de richesses halieutiques et qui est aujourd'hui en train de devenir un village fantôme — et de visiter également des collectivités un peu partout à Terre- Neuve. Il peut sembler, à première vue, que quotas communautaires et dispositions en matière de propriétaires- exploitants ne vont pas de pair, mais je pense que si. Je pense qu'ils peuvent fonctionner ensemble et ramener certains emplois dans les collectivités.
Une chose dont je n'ai jamais parlé, c'est la conservation, mais j'estime que la conservation est elle aussi essentielle. Les gens qui ont des attaches avec les pêches sont plus susceptibles de se préoccuper de la conservation des pêches que quelqu'un à Ottawa, Toronto ou Vancouver, qui n'y a qu'un investissement et dont l'intérêt est purement monétaire.
Le sénateur Cowan : Comme je l'ai expliqué plus tôt à l'un de nos invités, je suis tout nouveau au comité, et je suis donc en train d'apprendre beaucoup de choses au fil de nos travaux. Je pense que tout le monde convient que l'incidence sur les travailleurs des pêches, qu'il s'agisse de transformateurs ou de pêcheurs travaillant à bord de navires, est telle qu'ils ont tous souffert des développements constatés dans l'industrie depuis quelque temps, et qu'il en est de même des communautés locales, des localités côtières le long de toutes les côtes. Je suis en train de me demander si l'évolution technologique dans les pêches, si la nécessité d'acheter du matériel de plus en plus coûteux, ne sont pas des facteurs qui alimentent en partie cela. Peut-on dire qu'en l'absence de la capacité de mettre en commun des licences, d'échanger des licences, de concentrer la capacité aux mains de quelques gros joueurs, l'industrie ne pourra pas survivre à l'échelle mondiale? Y a-t-il du vrai là-dedans? Si ce n'est pas le cas, alors il me semble que tout le monde conviendrait qu'il nous faut revenir au genre de choses dont vous avez parlé au début. Il nous faut mettre davantage l'accent sur l'aspect emploi dans les pêches, sur le développement communautaire et sur la mise en valeur des localités côtières. Je me demande si la technologie, si c'est là le bon terme, a évolué à un point tel que la pêche ne saurait survivre autrement.
M. Mirau : Comme je l'ai dit au début, l'on ne peut pas revenir complètement en arrière, mais l'on peut faire un petit peu marche arrière. La technologie qui a évolué autour des pêches a amené des navires plus gros et la capacité de pêcher du poisson que l'on n'aurait peut-être pas pu prendre auparavant. Je ne suis pas convaincu que ce soit là une bonne chose pour le poisson. Pour mettre les choses en contexte, il y a un vieux dicton chez les agriculteurs — et je suis un gars de la Saskatchewan : plus le cochon est gros, plus il faut lui donner à manger. Vous n'obtiendrez pas forcément plus de viande, mais il y a un orifice, à l'arrière, qui vous livrera de grosses quantités d'autre chose. Je pense que c'est cela qui est en train de se passer ici. Les plus grosses embarcations et toute la technologie ne contribuent rien sauf l'incapacité du MPO de gérer les pêches de façon rationnelle du fait de la vitesse à laquelle tout évolue : il y a des pertes d'opportunité et des gains pour l'investisseur. Nous sommes aujourd'hui confrontés à des navires de plus en plus gros. En Colombie-Britannique et dans la région du Pacifique, nous avons cette année deux navires-usines qui sont des navires de pêche-transformation. J'aimerais demander au ministre ce qui se passe, pour l'amour de Dieu. Ne s'intéresse-t-il plus le moindrement aux localités? Ne se préoccupe-t-il de personne? Ne fait-il qu'écouter les investisseurs?
Le sénateur a dit qu'elle pense que nous devrions gérer les pêches pour le bien de tous les Canadiens : il s'agit d'une ressource qui est un bien commun et dont devraient bénéficier tous les Canadiens, et c'est ainsi que devraient être gérées les pêches.
Le sénateur Cowan : Serait-il souhaitable de limiter la taille des navires? Nous avons, par exemple, entendu parler de l'incidence des dragueurs. Pourquoi ne pas dire tout simplement, écoutez, vous n'avez pas le droit de pêcher en utilisant les dragueurs?
M. Mirau : Vu le délestage de plus en plus poussé de la responsabilité à l'égard des pêches, le résultat inévitable est une consolidation de la propriété, une consolidation des licences autour d'un nombre de plus en plus restreint de navires, et les navires seront de plus en plus gros. Est-ce que je pense qu'il serait faisable de retourner à l'ancienne façon de pêcher avec de plus petits navires? Je pense que c'est là la question que vous posez. Franchement, je ne sais pas ce que nous ferions de tous ces navires que nous avons maintenant. La situation est telle que les licences ont été consolidées autour de ces navires, que l'on a ainsi accès à des volumes de plus en plus importants, mais il y a aussi tout ce commerce des licences. Il se trouve aujourd'hui que ces navires paient de moins en moins d'argent à l'équipage, en pourcentage, et qu'ils partent en mer avec moins de personnel parce qu'il n'y a pas assez d'argent pour tout le monde.
L'an dernier, nous avons eu en Colombie-Britannique trois accidents qui ont résulté en des pertes de vies parmi la flotte de dragueurs, et dans tous les cas, il y avait trois personnes à bord des navires. Il s'agit là d'un énorme dossier qui devrait, je pense, être examiné par un autre comité, un groupe de travail. Il nous faut quelqu'un qui n'a pas de préjugés en faveur de la cogestion, des propriétaires-exploitants ou de quotas, quelqu'un qui puisse examiner la situation de l'extérieur et dire, cette partie-ci fonctionne, cette partie-là ne fonctionne pas et cette autre partie doit être supprimée. Je suis vraiment convaincu de cela.
Que faire maintenant de ces navires dans lesquels les gens ont investi? Peut-être que nous pourrions donner à ces gens cinq ou sep ans ou autre pour se départir de leurs investissements, mais je pense que le gouvernement fédéral a une responsabilité s'agissant de prendre des mesures maintenant. Je sais qu'il est à l'heure actuelle en train d'examiner la situation le long de la côte Est, et j'en parle dans mon court mémoire. John Hanlon, directeur général du MPO pour la côte Est, a fait une tournée des localités de la côte Est et a parlé aux gens qui sont actifs dans les pêches, et je pense qu'ils sont prêts à recommander des politiques en matière de propriétaires-exploitants et de séparation de la flotte. Ces gens qui ont investi dans des quotas et des contrats de fiducie se verront accorder trois ou cinq ans ou autre pour se départir de ces investissements. J'estime que cela est juste. Ils se sont assez bien débrouillés ces derniers temps grâce aux dons de quotas — et il s'agit bien de dons, il n'y a aucun doute là-dessus. Il est temps de remettre certaines de ces pêcheries aux mains des exploitants de petites embarcations.
Le sénateur Cowan : Dans ma vie antérieure, j'avais quelque chose à voir avec l'industrie du transport routier. À cette époque, il y avait beaucoup de règles. Les gens obtenaient des permis d'exploitation de véhicules de transport de marchandises et de véhicules de transport de passagers. Bien sûr, les permis appartenaient au conseil et non pas aux particuliers. Ils étaient achetés et vendus. Puis, le gouvernement est arrivé et a déréglementé, et ces permis que de nombreuses sociétés avaient payés très cher n'avaient plus de valeur. Vous ne pouviez pas en acheter, vous n'en aviez pas besoin. Il n'est pas impossible de changer une industrie pour laquelle des licences étaient octroyées et étaient un avoir pouvant être vendu, négocié, loué et transmis de génération en génération. Cette industrie n'a clairement pas la même importance économique que celle des pêches, mais tout d'un coup, d'un trait de plume, ces licences n'avaient littéralement plus aucune valeur, et c'est ainsi que l'industrie a changé du jour au lendemain en vérité. J'imagine qu'il n'y a aucune raison pour laquelle la même chose ne pourrait pas arriver à une industrie comme celle des pêches.
M. Mirau : Je suis convaincu que le président et que le sénateur Hubley sont très au courant de la question des pêcheurs de homard de la zone 34. Leurs licences ont atteint une valeur, si j'ai bien compris, de 2 millions de dollars, ou en tout cas c'était le cas il y a environ un an. Une partie de la raison à cela c'était les contrats de fiducie et le commerce de licences, qui n'aurait sans doute jamais dû avoir lieu. Ces gens se sont rendus compte que des changements doivent être apportés pour éliminer ces contrats de fiducie et refaire de la place pour les propriétaires-exploitants. Certaines personnes qui auraient clairement été les bénéficiaires d'un énorme gain fortuit, un peu comme gagner à la loterie, ont clairement dit au MPO qu'il est temps d'abandonner ces pratiques. Il est temps de revenir à un système de propriétaires-exploitants. Il est temps d'appuyer les localités. Ces gens ont clairement dit cela, et c'est ce que nous entendons également en Colombie-Britannique.
Ron Kadowaki, qui est la commission à commissaire unique qui se penche sur le rapport Pearse-McRae, que l'on appelle aujourd'hui plan de renouvellement des pêches ou autre chose du genre, ne trouve aucun appui pour ce qu'ils sont en train de faire. Ils ont fait le tour de toutes les localités. Le seul appui, ce qui était prévisible, leur vient des investisseurs et de ceux qui sont déjà de gros propriétaires de quotas. L'industrie elle-même et ceux qui y travaillent sont en train de dire clairement au ministère des Pêches et des Océans, région du Pacifique, qu'il fait ici fausse route. Ils disent qu'ils veulent que le ministère fasse marche arrière, qu'il revoie toute cette affaire. Qu'ils lui disent quelles seront les ramifications socio-économiques de ces décisions. Puis, une fois que nous aurons tous ces renseignements, disent-ils, peut-être que nous verrons les choses autrement. Peut-être que nous conviendrons que c'est la façon de procéder—- au lieu des 140 ou 150 dragueurs qui étaient là il y a quelques années, il n'y en a plus que 70, et peut-être qu'il n'y en aura plus que 50 l'an prochain, et Dieu sait combien d'ici deux ans. Si vous regardez ce qui s'est passé avec la pêche du flétan, peut-être que nous conviendrons que c'est la façon de faire, mais je pense qu'il nous faut ces renseignements, renseignements qui ne sont pour le moment pas disponibles.
Le président : J'aimerais vous poser quelques questions.
Vous avez prononcé le mot cogestion, et j'ai soulevé cette question ce matin. Il est souvent question dans les publications gouvernementales de cogestion. Le terme cogestion est un joli mot, bien sympathique, qui rassure tout le monde. Cependant, la cogestion, comme beaucoup d'autres termes, doit être définie, et la plus proche définition que nous ayons trouvée à ce jour est celle contenue dans le cadre stratégique pour les pêcheries de l'Atlantique. Ce document définit la cogestion comme étant le partage des responsabilités et de la reddition de comptes en matière de résultats entre Pêches et Océans Canada et les usagers de la ressource, c'est-à-dire les détenteurs de licences. Plus loin, ce cadre d'action pour les pêcheries de l'Atlantique parle des usagers de la ressource et d'autres qui ont un intérêt dans la pêche. En d'autres termes, d'après ce que nous savons, la cogestion, pour le MPO, est un arrangement entre les détenteurs de licences et le MPO, ce qui, par définition, exclut les groupes de M. Figg, les travailleurs des usines de conditionnement du poisson, les transformateurs, les localités et les gens qui ont investi dans ces dernières. Je me plais toujours à dire que, oui, les usagers de la ressource ont des intérêts dans la pêcherie. Ils ont payé pour leur licence, ils ont payé pour un navire, et ainsi de suite. Cependant, les habitants des localités ont eux aussi investi dans la pêcherie, parfois en construisant des fabriques de glace, en investissant dans des restaurants, en investissant dans des taxis pour faciliter les déplacements des gens, en investissant dans des hôpitaux, et ainsi de suite. Une communauté, une localité, c'est beaucoup plus que des détenteurs de licence. Par définition, le terme cogestion est en fait, d'après ce que je vois, presque une chose négative. Seriez-vous d'accord avec moi là-dessus, ou bien ai-je tout faux là-dessus?
M. Mirau : Je suis d'accord. Le matelot qui vient à bord du navire chaussé de ses bottes en caoutchouc a autant d'investi, si vous voulez, dans l'industrie que le propriétaire de ce navire.
Le président : Et peut-être même plus, par tête, car il a moins d'argent et il a investi dans une maison, dans ses enfants, dans les écoles locales, et ainsi de suite.
M. Mirau : C'est exact. Et j'ai le même sentiment à l'égard de ceux qui travaillent dans les usines de transformation du poisson, dans les quais de ravitaillement, dans les ateliers à filets et dans les épiceries de ces localités.
Le président : C'est un pourcentage du revenu du ménage.
M. Mirau : Oui, et, parlant de cogestion, Daniel Pauly, président du département des pêches à l'Université de la Colombie-Britannique, lors d'une visite en Nouvelle-Zélande, a parlé de cogestion avec le ministre des Pêches, et il a dit, « Alors quels problèmes avez-vous dans les pêches? » La réponse a été, « Nous n'avons pas de problème. Tout les pêches sont contingentées, et les gens règlent les problèmes entre eux ». Nous savons aujourd'hui combien de stocks de poisson néo-zélandais sont en péril, et c'est ainsi que le pays s'en occupe. Voilà ce que je pense de la cogestion.
Je pense, contrairement à l'impression que je vous ai peut-être donnée aujourd'hui, qu'il faut qu'il y ait un gestionnaire des pêches, et que ce devrait être le ministre des Pêches. Franchement, bien que je ne sache pas quels changements sont envisagés au libellé de la Loi sur les pêches, je ne comprends pas pourquoi le ministre ne voudrait jamais céder son droit d'être responsable des pêches.
Le président : Je ne vais pas spéculer là-dessus non plus. J'ai mes idées en la matière. Pearse, celui du rapport Pearse- McRae, il y a quelques années, dans les années 90, je pense, a déclaré que le saumon n'était tout simplement pas compatible avec les QIT. Selon lui, cela ne pouvait pas se faire pour plusieurs raisons. Si je me souviens bien, les saumons ont tendance à nager ensemble, et certaines espèces de saumon ne peuvent tout simplement pas être ciblées du fait que les poissons nagent en groupe. Une autre raison est qu'il vous faut pouvoir apporter des rajustements à mi- saison, et il y avait tout un tas d'autres raisons. Il a, depuis, ravalé tout cela et il prétend aujourd'hui que la chose est possible. J'imagine qu'une fois que vous êtes convaincu de quelque chose, autant aller jusqu'au bout, et je dis cela sans vouloir offenser Pearse, car il croit profondément et sincèrement dans la privatisation. Je vous demande à vous, M. Mirau, qui êtes pêcheur depuis longtemps, si le saumon est compatible avec des QIT?
M. Mirau : Je ne le pense pas. Cette année, il y a eu ce que l'on appelle une pêche expérimentale avec une flotte de pêche à la traîne dans le nord de la Colombie-Britannique, pêche qui pourrait être qualifiée de réussie, selon la méthode de mesure employée. Cependant, il est clair que même avec cette pêche-là le MPO s'est écarté des règles et des objectifs en matière de conservation qu'il avait instaurés pour la pêche ouverte pour que cela puisse fonctionner. Compte tenu des quantités variables de poissons, des différents habitats et du coût énorme, je ne pense pas que l'on puisse faire fonctionner un système de quotas avec le saumon. En fait, Paul Sprout a, en juillet, écrit une lettre au conseil tribal Nuchalnuth disant la même chose, soit qu'il ne voit pas comment cela pourrait fonctionner. Or, la région du Pacifique, dont il est responsable, est en train d'aller de l'avant avec les quotas.
Le président : Dans le cas de certaines espèces de saumon, comme par exemple le saumon rouge, il peut y avoir des centaines de populations biologiques distinctes. Si vous essayez de cibler ou de sauver un certain nombre d'entre elles du fait du fléchissement de leur nombre, c'est presque impossible, et il vous faut donc trouver autre chose. Le ministère est bien sûr en train de se pencher sur les QIT. Savez-vous si le ministère est en train d'envisager d'autres moyens de gérer et de protéger certaines de ces populations plus à risque?
M. Mirau : D'un point de vue commercial, oui, il est en train d'envisager d'autres choses, mais il s'agit en fait de quotas auxquels on donne un autre nom : pêches par petits prélèvements, pêches en petits bassins et ainsi de suite. La vision qu'a Pearse... et soyons francs, c'est Pearse qui a écrit le rapport. Il parle comme un grand-père, et il le dit lui- même. Il a rédigé le rapport. Sa vision voulant que vous puissiez sortir pêcher le poisson dès que le marché le permet, et que vous puissiez obtenir un meilleur prix et faire toutes sortes de choses est bien jolie, mais elle ne tient pas compte du fait que le poisson, le saumon ne reste pas longtemps dans le système. Il ne se comporte pas comme le flétan. Il ne ressemble pas à la morue charbonnière. Il ne ressemble à aucun autre poisson. Il est là, puis il disparaît. Si vous prenez la pêche au saumon cette année, que se serait-il passé si le MPO avait eu raison, et je ne suis pas prêt à lui donner raison s'agissant de la gestion faite cette année de la pêche au saumon. J'estime que des erreurs énormes ont été commises. Bien des fois il aurait pu y avoir une pêche au saumon visant les stocks de saumon rouge du Fraser. Nous avons plusieurs fois fait des déclarations publiques en ce sens. Au bout du compte, ce qu'il y a de fou dans l'affaire est que nous avons pêché les stocks dont le MPO a dit qu'ils étaient préoccupants dans une pêcherie dont il a prétendu que c'était une pêche au saumon rose à la fin de la saison, et nous avons pêché le poisson de la montaison vers le lac dont le MPO a dit qu'il était préoccupant. Cependant, s'il y avait eu une pêche contingentée, et s'il avait eu raison au sujet des stocks préoccupants, et si j'étais parti acheter ce quota, comment quelqu'un aurait-il pu m'empêcher de prendre ce poisson? Je ne suis pas prêt à dire que le MPO a eu raison avec sa gestion du poisson le long de la côte Sud cette année, mais s'il avait eu raison, comment aurait-il pu contrôler la situation? Cela lui était absolument impossible. Une impossibilité totale.
Le président : Nous allons boucler cette partie de la séance de ce matin. Auriez-vous quelques commentaires à faire en guise de conclusion?
M. Mirau : Merci de l'intérêt que vous portez aux pêches et au Canada rural dans son ensemble.
Le président : Avant que vous ne partiez, je ne peux pas résister à la tentation de soulever un dernier point. La semaine dernière, j'ai demandé aux fonctionnaires du MPO pour quelle raison ils avaient choisi M. Pearse comme chercheur principal. Sauf tout le respect que je dois à M. Pearse — il a connu une longue et distinguée carrière comme chercheur et je ne mets pas du tout en doute ses compétences, et il fait du bon travail — mais l'on sait qu'il a des idées bien arrêtées s'agissant de la question de la privatisation. Je leur ai demandé en blaguant pourquoi ils n'avaient pas choisi quelqu'un comme Parzival Copes, auquel cas on aurait parlé de l'étude Parzival Copes-McRae, mais cela ne les a pas beaucoup fait rire. Cependant, votre choix de responsable envoie un message, et le MPO a envoyé un message en choisissant Pearse. Bien sûr, il blâme la province du choix de Pearse.
Le sénateur Cowan : Je pensais qu'ils avaient dit qu'ils avaient proposé un nom et que la province en avait proposé un autre.
Le président : Si le MPO avait voulu envoyer un message différent, je pense qu'il aurait pu dire à la province, non, il nous faut une personne moins favorable à la privatisation. Je pense que la province aurait été réceptive à une telle requête de la part du MPO. Cependant, il a bel et bien envoyé un message et cela fournit donc des munitions aux gens qui, comme moi, s'inquiètent de l'orientation du MPO et de ce qu'il vise pour les pêches de la côte Ouest, car le message a été fort et clair.
M. Mirau : Je pense que oui. En prenant sa décision, c'était comme si vous aviez besoin d'un mécanicien pour réparer votre moteur mais que vous étiez aller chercher quelqu'un qui peint les carrosseries dans un atelier de débosselage.
Le président : Tout à fait.
M. Mirau : Le ministère est allé chercher un partisan de la privatisation, sans vouloir offenser Pearse.
Le président : Sans vouloir l'offenser.
M. Mirau : C'est un économiste bien respecté. C'est un économiste des pêches, ou plutôt des forêts. Voyez les difficultés que connaît l'industrie forestière dans ce pays, et Peter Pearse a écrit plusieurs rapports là-dessus. Je pense qu'ils ont obtenu le rapport qu'ils voulaient. Il est important pour le comité de se rappeler que le titre du rapport était Traités et transitions, mais l'on n'entend pas beaucoup parler de traités ou de transitions avec les Premières nations dans les discussions entourant le rapport Pearse-McRae. Le seul débat en cours concerne la façon d'en arriver au plus bas dénominateur commun et de laisser les investisseurs s'accaparer le tout.
Le président : En passant, nous vérifierons auprès des Premières nations pour savoir si M. Sprout avait raison de dire qu'il y avait un appui général de la part de la communauté autochtone en faveur du rapport Pearse-McRae. Nous vérifierons cela.
M. Mirau : Merci.
Le président : J'aimerais maintenant faire appel à notre dernier témoin, Kathy Scarfo, de la West Coast Trollers Association.
Kathy Scarfo, présidente, West Coast Trollers Association : J'aimerais tout d'abord m'excuser auprès de vous. Je ne me sens pas très bien, alors si je pars sur une tangente ou si je commence à perdre le fil, faites-moi signe et ramenez-moi à la réalité.
Le président : Nous vous ramènerons.
Mme Scarfo : J'aimerais commencer par vous remercier pour toutes les questions que vous avez posées ces dernières années au sujet des politiques en matière de pêche. J'avais d'une certaine façon envie de vous dire merci d'être venus ici, puis une autre partie de ma tête a pris peur, car dès qu'un politicien, un bureaucrate ou un quelconque responsable des pêches traverse les Rocheuses, il semble qu'ils perdent certaines des choses le long de la côte Est, soit des principes s'agissant de ce que sont censées être les pêches, alors j'espère que vous ne resterez pas si longtemps ici que vous perdrez ces principes.
Le président : Nous représentons ici le Parlement et nous sommes venus pour vous aider.
Mme Scarfo : Comme vous le savez, je représente la flotte de pêche à la traîne de la côte Ouest, une petite flotte de propriétaires-exploitants indépendants. Je ne représente pas le gros des prises de poisson de la Colombie-Britannique, mais je représente un groupe de pêcheurs qui travaillent fort et que je suis fière de représenter, car non seulement ce sont des familles actives, mais elles représentent plus que des pêcheurs qui travaillent pour gagner leur vie. J'ai un petit problème car nous tenons des réunions de façon régulière. Nous avons des réunions ouvertes avec la flotte tous les deux mois, et nous allons à ces rencontres et parlons aux gens de ce que fait le MPO. Nous avons des réunions avec le MPO, et ici j'ai un groupe d'entrepreneurs indépendants qui devraient être là pour défendre leurs propres intérêts en tant que gens d'affaires et en tant que groupe directement intéressé. Au lieu que ce soit le gouvernement fédéral qui représente l'intérêt public et le bien public, j'ai tout un groupe de pêcheurs qui luttent pour leur survie en parlant d'intérêt public. Cela me fait peur, et je trouve la situation parfaitement injuste, mais c'est pourquoi je suis fière des gens que j'ai l'honneur de représenter.
J'aimerais maintenant vous parler un petit peu des problèmes dans les pêches : où nous en sommes et ce à quoi ressemblera l'avenir, car si vous ne savez pas quel avenir vous espérez réaliser, alors comment pouvez-vous penser y parvenir? J'ai écouté plus tôt les porte-parole de la Suzuki Foundation parler de leur examen du mandat du MPO et du fait qu'il ne soit pas clair. Autant vos recommandations donnent de l'espoir aux gens, autant l'industrie retire, je pense, de l'espoir de certains des documents et des belles paroles rassurantes qui sortent du ministère des Pêches et des Océans. La Loi sur les océans a été une indication claire qu'en 1996, alors que nous faisions nos études en matière de pêches — réforme, renouvellement et revitalisation —, la flotte de ligneurs de la côte Ouest se lançait dans cette décennie en tant que flotte indépendante, autosuffisante, viable et relativement économique qui rapportait certains des meilleurs revenus de la côte. Ce n'est plus notre situation aujourd'hui, mais nous sommes restés engagés du fait d'une illusion quant à l'orientation future que nous donnait le gouvernement fédéral. Chaque fois que l'on se retourne, on nous donne quelque chose qui paraît bien sur papier, présenté lors de conférences internationales, dans de beaux dépliants en papier glacé, mais lorsqu'il s'agit vraiment de faire quelque chose et que l'on s'asseoit dans ces salles de réunion et que l'on produit chaque année des régimes, des plans et des allocations de prises, ces principes sont tout à fait balayés et on ne les revoit plus jamais. Il y a un décalage incroyable entre la bureaucratie dans la Région du Pacifique et ce que le ministre espère réaliser. Je ne rejette aucun blâme sur le ministre lorsque je parle du MPO. J'espère qu'il ne prendra pas cela personnellement. Je ne connais pas cet homme. Je suis convaincue qu'il a de bonnes intentions, mais je vais vous parler de ce que je sais, c'est-à-dire de la région du Pacifique et de cet incroyable décalage entre ce que nous sommes censés voir se passer et ce qui se passe vraiment sur le terrain.
En 1996, lorsque nous avons vécu la restructuration, nous avions une bonne flotte fonctionnelle le long de la côte Ouest de l'île de Vancouver. Nous avions l'un des ports de pêche les plus actifs de toute la côte Ouest, Ucluelet. Depuis, nous avons constaté une érosion continue de la communauté des pêcheurs de là-bas et de la flotte de pêche. J'avais autrefois 1 800 ligneurs qui pêchaient le long de la côte Ouest de l'île de Vancouver. Nous avons aujourd'hui une flotte de 232 licences, chaque ligneur de la côte Ouest ayant la sienne, et seuls 125 d'entre eux pêchent activement à un moment ou à un autre à l'heure actuelle.
Nous ciblions autrefois principalement le saumon coho et le saumon kinnat. Vous entendrez probablement d'autres — les gens du secteur de la pêche sportive — vous dire que c'est là aujourd'hui leur principale pêcherie. C'était la nôtre. C'était notre pêcherie traditionnelle et elle nous a en gros été enlevée par expropriation.
Nous pêchions autrefois pendant les mois d'été, lorsque les journées étaient longues et le temps agréable. Aujourd'hui, nous pêchons du début du mois d'octobre jusqu'à la fin du mois de mai, et nous avons tendance à nous éloigner davantage des côtes et à braver des conditions climatiques pires que ce n'était le cas autrefois. Je suis fière de certaines des choses que nous avons faites. Il y a quelque temps, vous avez entendu des porte-parole de la Pacific Seafood Alliance et un représentant de la Gulf Troll Association, qui représentait en fait la pêche du saumon kinnat de la côte Ouest, ce qui m'a étonnée. Je ne me permettrais pas de vous parler de sa pêche, mais je vais tenter de tirer au clair certaines choses relatives à nos pêches. Il se déroulait à l'époque d'importantes discussions canado-américaines et nous savions qu'il allait nous falloir restructurer la façon dont fonctionnaient nos pêches.
En 1996, on nous a dit, réduisez votre flotte de 50 p. 100, vous prendrez les mêmes quantités de poisson, et vous serez ainsi viables. Nous avons dépensé une quantité considérable d'argent des contribuables pour veiller à ce que l'industrie soit viable. Nous l'étions déjà, mais nous sommes ressortis à l'autre bout en ayant perdu cette viabilité. Une partie de la raison à cela est qu'en dépit du fait que nous ayons réduit de plus de 50 p. 100 nos flottes, le gouvernement fédéral a, depuis, réduit les prises commerciales de plus de 85 p. 100. Il ne faut pas être un génie pour conclure que si vous n'avez pas de poisson, vous n'allez pas être viable.
Nous avons vécu tous ces processus. Nous étions en train de développer une pêcherie, ce que nous avons fait d'une façon globale, conformément à la Loi sur les océans. Nous avons travaillé étroitement avec les communautés de lieu des Premières nations, c'est-à-dire les communautés adjacentes, le conseil tribal Nuchalnuth et ses comités des pêches ainsi qu'avec un nombre considérable d'ONG. Nous avons essayé d'élaborer une pêcherie modèle, de façon à pouvoir dire au monde entier voici, dans l'industrie du saumon, comment vous pouvez avoir une très bonne pêche qui remplit tous les objectifs : sociaux, de conservation et économiques.
Nous avons tenté de faire la transition à une pêche de 12 mois par année. Cela faisait partie de la stratégie prévue par la politique de pêche sélective du gouvernement fédéral : si vous parvenez à trouver de nouvelles façons sélectives de prendre votre poisson, vous aurez des possibilités supplémentaires. Nous avons ainsi créé une pêche d'hiver. La flotte avait dû s'engager sur cinq ans à sortir chaque semaine prélever des échantillons dans différentes zones au large des côtes, à ses frais et par tous les temps. Nous avons ainsi investi des millions de dollars afin de pouvoir nous tenir debout, résister à l'examen par les pairs à l'échelle internationale et nous lancer dans cette pêcherie. L'objectif était de livrer du saumon sauvage frais au marché toute l'année, car l'industrie piscicole nous avait pris tous nos marchés. Malheureusement, lorsque nous avons développé cette pêcherie, au lieu que cela nous procure des possibilités supplémentaires, toutes les possibilités que nous avions nous ont été enlevées. La seule pêche qui reste maintenant à notre flotte est la pêche d'hiver du saumon kinnat. Une partie de la raison pour laquelle nous l'avons est sans doute qu'il s'agit d'une pêche canado-américaine et qui ne relève donc pas strictement du contrôle du gouvernement fédéral en Colombie-Britannique.
Je pense que nous avons fait un certain nombre de bonnes choses. Il semble que nous ayons suivi notre petit bonhomme de chemin en faisant toutes les choses belles et rassurantes que nous étions censés faire. Là où nous avons échoué, c'est que nous n'avons pas gagné des revenus suffisants pour nous lancer dans des arrangements de partage des coûts avec le gouvernement fédéral. Je ne vais pas appeler cela de la cogestion, car je ne suis pas d'humeur belle et rassurante aujourd'hui. La flotte a donné de son temps, de son énergie et de son argent pour sortir chercher ces échantillons et faire ce travail pour bâtir la pêcherie, mais nous n'en tirons pas suffisamment pour pouvoir y remettre certaines des choses qu'on nous demande. On ne nous demande pas. En gros, on nous fait du chantage pour obtenir qu'on les y remette. Par exemple, vous ne pouvez pas aller pêcher à moins de payer pour les observateurs. Il vous faut trouver l'argent pour cela. C'est là un gros problème, alors cela ne fonctionne pas.
Cependant, nous avons réalisé certaines choses que les pêches contingentées sont censées faire pour nous. Le marché, la valeur débarquée de nos prises, est le double de ce qui a été obtenu cette année du côté des quotas de la pêche expérimentale à la traîne. On nous dit qu'il nous faut adopter des quotas à cause des marchés. Nous avons déjà fourni la preuve que nous pouvons surmonter cela avec un poisson plus petit, de qualité inférieure et qui est de valeur inférieure. Nous affichons déjà deux fois la valeur débarquée par livre de la pêche contingentée, alors cet argument ne tient pas.
Une pêche contingentée : je suis censée représenter ma flotte et la plupart des membres de la flotte ont plus de 50 ans. Les transferts intergénérationnels ne nous procurent aucun avantage fiscal, alors à qui vais-je vendre ma licence? J'ai droit à moins de poissons au titre de cette licence, alors quel fou va venir m'acheter ma licence en ce moment? Il n'existe à l'heure actuelle pas un bien gros marché, en dehors de la spéculation autour de la possibilité de QIT ou de règlements de traités de Premières nations.
Devrions-nous, dans l'intérêt de notre flotte, envisager des quotas, ce qui viendrait artificiellement augmenter la valeur de notre licence, pour ensuite liquider? Pourtant, à la plus grosse réunion de pêcheurs titulaires de licences que nous ayons jamais eue, en mars dernier, la flotte a dit non. Les gens ont soulevé le fait qu'ils veulent voir une autre génération de pêcheurs vivre le long de cette côte et pêcher avec ces licences. Ils veulent que ce transfert intergénérationnel se fasse. Ils aimeraient que les intérêts bénéficiaires de cette pêcherie demeurent dans ces localités.
Comment allons-nous réaliser cela? Comment pourrons-nous être autosuffisants? Il me faut gagner de l'argent pour être autosuffisant. Si je n'ai pas de poisson et pas d'accès à du poisson, peu importe que je pêche en vertu d'un quota, d'une pêche modifiée ou d'une pêche contre la montre, je ne gagnerai pas ma vie. Il faut que nous ayons un accès au poisson et non pas une réallocation sans dédommagement. Vous ne pouvez pas réduire mes prises puis me dire de me lancer dans une pêche contingentée. Ceux d'entre nous qui y demeureront iront louer une licence à quelqu'un d'autre et augmenter ainsi nos coûts, sans la moindre garantie que nous aurons une quantité de poisson stable.
Nous avons posé cette question lors de certaines des réunions de consultation avec le MPO tenues la semaine dernière. Pouvez-vous me garantir une quantité de poisson stable dans ma pêcherie? Et la réponse catégorique a été que non. Nous continuerons en fait de voir une baisse. Il y a encore la loi sur les espèces en péril qui s'en vient pour nous. Nous avons les règlements avec les Premières nations et certaines incertitudes entourant ces pêches-là. Et, ce qui est le plus important pour notre flotte, c'est la pêche sportive qui a la priorité. Bien que nos prises aient diminué de 83 p. 100 ou plus, le volet sportif, lui, a doublé ses prises. Elle continue de pêcher les stocks préoccupants à l'époque de l'année où ils sont les plus prévalents. Au fur et à mesure que l'on voit se multiplier les espèces en péril et les stocks préoccupants, l'industrie commerciale en paie le prix, et voici que l'on bâtit une nouvelle industrie sur le dos d'un grand nombre de personnes et sans le moindre dédommagement.
De quelle manière la réforme me touchera-t-elle? Nous avons posé beaucoup de questions et je vous ai remis un document dans lequel figurent certaines des questions posées par les propriétaires de la flotte. Avant que l'on ne procède à la réforme, on aurait pu penser qu'il aurait été raisonnable de nous fournir certaines réponses. Je n'y compte pas. Nous ne les avons pas vues, ces réponses.
Dans vos recommandations, vous disiez que le MPO devrait consulter. Je me suis rendue à certaines de ces consultations et, je regrette, mais je suis fatiguée des consultations qui ne débouchent sur rien. Nous avons eu une série de réunions où toutes sortes de problèmes étaient soulevés et les propositions semblent disparaître de la table dès la réunion terminée et l'on n'en parle plus. La consultation doit être véritable.
La pêche commerciale du saumon, grâce à un pêcheur qui a fait une grève de la faim de 60 jours il y a quelques années, a vu la mise en place d'un nouveau mécanisme consultatif. C'était suite aux recommandations de l'Institute for Dispute Resolution, dont Stephen Owen était membre à l'époque avant d'en démissionner. L'Institut a présenté tout un livret de recommandations, dont la première était de les considérer toutes comme un tout et de ne pas en choisir une de-ci de-là et de partir avec. Or, le MPO en a choisi juste une et est parti avec.
Nous avons eu une élection. Un comité consultatif élu a été mis en place. Parmi ses membres, 50 p. 100 aujourd'hui n'ont plus de mandat. En effet, lorsqu'est venu le moment de tenir une nouvelle élection, quelqu'un a décidé que la démocratie était bien jolie, mais que les choses allaient tellement bien qu'on allait remettre l'élection à plus tard, une fois tous ces changements massifs introduits. Nous avons donc aujourd'hui un comité consultatif qui n'est même plus élu, et pourtant le MPO continue à se fier à ces conseillers. Ce comité consultatif ne s'est plus jamais montré le nez dans notre région, et pourtant nous organisons des réunions tous les deux mois et nous demandons à ces conseillers d'y assister. Seuls deux sur les neuf sont jamais revenus rencontrer les pêcheurs et pourtant ils continuent à recommander tous ces changements massifs.
Que faisons-nous à partir de maintenant? Nous avons d'autres formes de pêche que les quotas individuels transférables. Je suis d'accord avec M. Mirau, les quotas ne sont pas le problème. Le problème, c'est la transférabilité et la possession de ces quotas. Si vous permettez à des sociétés ou des investisseurs de devenir les courtiers de la ressource et d'en contrôler l'accès, vous ne pouvez plus introduire d'avantages sociaux dans le système. Si le gouvernement canadien reste le courtier des stocks de poisson au Canada, alors on peut intégrer ces principes. Je pense que le gouvernement canadien a la responsabilité et la capacité de bien faire ce travail, s'il veut bien l'assumer.
Nous avons proposé toute une série d'idées aux comités de la réforme portant sur différentes modalités de pêche, notamment des quotas modifiés mensuellement, sans qu'aucune ne soit retenue. Pourtant, toutes sortes de pêcheries contingentées ont été mises à l'essai. Nous n'avons qu'une confiance marginale à ce stade dans tout ce qui n'est pas une pêche contingentée. Nous n'avons aucune raison de faire confiance aux mécanismes que nous avons vus jusqu'à présent. Notre grande crainte c'est que l'on mette en place des contingents, non seulement pour le saumon mais aussi d'autres espèces, telles que les poissons de fond, et que nous soyons exclus. Les pêcheurs en activité craignent énormément que leurs prises historiques ne soient pas prises en compte, comme on l'a vu dans d'autres pêcheries. Nous craignons un partage du tonnage à parts égales, ce qui va pénaliser les pêcheurs qui restent en activité et accroître leur coût.
Vous entendrez d'autres qui disent que la pêche va bien et que tout est pour le mieux — introduisez des quotas et tout ira bien. Mais si vous prenez la morue noire et le flétan comme modèles, ces espèces n'ont pas été touchées par l'aquaculture et l'impact sur le marché des poissons d'élevage comme dans le cas du saumon. Peut-être faudra-t-il attendre dix ans pour voir le marché de ces espèces avant de se précipiter dans un contingentement.
Un autre souci concerne la confidentialité de l'information et l'accès à l'information. C'est pour moi une très grosse préoccupation. Des accords de cogestion sont conclus mais on ne sait pas par qui, ni comment ni où ces accords de cogestion sont mis en place. Il n'y a pas un point central où l'on peut en prendre connaissance. Pourtant, des millions de dollars de revenus de la pêche sont prélevés par le ministère des Pêches et Océans sans jamais parvenir jusqu'au Trésor. L'information recueillie est absolument vitale pour la gestion des pêches, mais jamais divulguée à moins que l'entité qui détient cette information veuille bien la communiquer. Que les groupes qui la possèdent veuillent la communiquer ou non, c'est pourtant bien le public canadien qui en est le propriétaire. Le public canadien ne devrait pas être à la merci d'une quelconque entité qui n'a pas les mêmes obligations de transparence et d'ouverture que le gouvernement fédéral. Le type d'accords de gestion que nous voyons en ce moment n'apportera pas cette transparence.
L'approche suivie par le MPO de la rationalisation de l'industrie est le résultat direct de la recherche d'économies budgétaires et de la sécurité de l'emploi. Le gestionnaire de mon secteur de pêche est engagé pour des contrats de trois mois successifs depuis deux ans. Si j'étais lui, et si je regardais la situation, j'encouragerais cette flotte à opter pour des quotas avec accord de cogestion, car ainsi je m'assurerais un bon emploi pour l'avenir. Je suis sûre que vous recevrez des gens ici qui ont fait cela. C'est positif pour eux, mais je ne pense pas que cela soit dans l'intérêt de la population de la Colombie-Britannique, des Canadiens dans leur ensemble ou de la ressource à long terme.
Je vais m'en tenir là pour vous permettre de poser des questions.
Le sénateur Hubley : Est-ce que votre organisation en est une parmi beaucoup d'autres, une association de pêcheurs à la traîne?
Mme Scarfo : Il y a trois districts de pêche à la traîne en Colombie-Britannique aujourd'hui. Chacun a sa propre association. La nôtre a été formée en 1996 après l'introduction des permis de zone. Nous ne représentons pas les pêcheurs à la traîne de toute la côte.
Le sénateur Hubley : Si nous posons des questions un peu pointues, c'est pour nous instruire. Comme le sénateur Cowan l'a mentionné, nous ne sommes pas tous aussi expérimentés que notre président et le sénateur Adams. J'ai été surprise d'entendre que la pêche sportive est relativement privilégiée par rapport aux autres pêcheries. J'aurais pensé qu'elle serait placée un peu moins haut sur le totem, car j'essaie de voir qui mérite le plus l'accès à cette ressource. Nous avons une pêche sportive sur la côte Est, nous aussi, et il en existe aussi une dans le Nord. Est-ce que cela est dû à un lobbying réussi ou bien quelle est la raison?
Mme Scarfo : C'est dû à une bonne campagne de lobbying, sans aucun doute. On vous parlera probablement de la meilleure exploitation du poisson et de toutes sortes de statistiques sur ce que la pêche sportive contribue à l'économie de la Colombie-Britannique. Je ne vais pas contester ces chiffres car on peut en débattre sans fin. Le fait est que la pêche sportive est en expansion. Il y a en fait deux pêches sportives en Colombie-Britannique et au Canada. Il y a vous et moi, qui pouvons décider d'emmener nos petits-enfants pour attraper un poisson. Je suis moi-même pêcheuse à la ligne et j'ai un permis de pêche sportive depuis de nombreuses années. Je n'aimerais pas priver quiconque de ce droit. Cependant, il y a une industrie de la pêche sportive qui n'est astreinte à aucune limite. L'entrée n'est pas limitée et il n'y a pas de permis. Elle n'est pas assujettie au même genre de critères que les autres industries. Elle est en expansion et jouit du même niveau de priorité que la pêche des Premières nations en vertu de l'article 35 de la Constitution, qui vient en sus de la pêcherie commerciale des Autochtones. Chez nous, dans bien des cas, l'accès prioritaire des pêcheurs sportifs retarde la négociation de traités. Pendant des années on nous a répété en Colombie-Britannique qu'il n'y aura jamais de stabilité dans les pêcheries de la province tant que les traités n'auront pas été conclus. Vous devriez en parler avec les Premières nations. Il est difficile pour une collectivité autochtone de se voir dire à la table de négociation : nous vous offrons un montant X pour acheter des permis de pêche commerciale, et vous aurez donc votre accès économique à la pêche commerciale — si vous prenez une pêcherie commerciale aujourd'hui comme celle des Nuchalnuth dans notre zone — pour être bloqué à quai avec votre permis commercial pendant que les pourvoyeurs commerciaux pêchent. C'est insensé. Il est plutôt ridicule d'offrir des gros montants pour acheter des permis de pêche commerciale si ces permis ne vous donnent pas un avantage économique. Pourquoi échanger son accès prioritaire autochtone contre quelque chose qui est placé plus bas sur le totem que la pêche sportive en expansion? Je ne le ferai pas, et je ne crois pas que la plupart des Autochtones soient assez stupides pour s'embarquer là-dedans.
Le sénateur Hubley : Nous n'avons pas examiné d'autres modèles. Le système QIT est mis à l'essai et il y a eu une pêcherie expérimentale ou restreinte dans le secteur et il y aurait lieu d'examiner d'autres modèles. En tout cas, tous les renseignements que vous nous avez apportés aujourd'hui montrent bien les répercussions négatives sur votre association de la politique suivie. Pouvez-vous nous parler d'autres modèles sur lesquels nous pourrions nous pencher?
Mme Scarfo : Nous pouvons vous envoyer quelques-unes des présentations que nous avons déjà faites au MPO et à Ron Kadowaki. Mais surtout, lorsqu'on envisage différents modèles, il faut commencer par savoir quels objectifs on vise et quels sont les obstacles qui existent actuellement dans la pêcherie considérée. La nôtre fonctionnait relativement bien, même si elle était du type course contre la montre. Nous n'avons pas dépassé nos limites de prises, il n'y a pas chez nous de crise environnementale où nous irions violer et piller la ressource parce que nos prises sont si faibles. Nous sommes passés aujourd'hui aux prises mensuelles. La prise mensuelle ce mois-ci est de 2 000 poissons. Nous microgérons cette pêcherie, avec des variations minimes de prises et nous nous en tenons strictement à ces chiffres bien que la prise mensuelle ne soit pas critique. On pourrait bien pêcher plus ou moins mais nous fixons ces chiffres pour des raisons commerciales, à l'intérieur de certaines lignes directrices fixées pour des raisons écologiques. Nous pourrions probablement aller jusqu'à 10 000 poissons ce mois-ci. Il serait assez difficile, vu les conditions météorologiques, de prendre 10 000 poissons ce mois-ci, il vaut donc mieux les garder pour une période plus favorable. Les choses que nous faisons marchent bien. Nous n'avons pas assez de poisson pour faire vivre la flotte, ce qui oblige à se demander si l'on nous donnera plus de poisson ou si nous devons réduire la flotte? Je m'attends à un rachat du gouvernement fédéral. Vu les problèmes et le tollé concernant ce qui se passe chaque été sur le Fraser, je pense que nous verrons un rachat massif. Je ne m'attends pas à ce que les pêcheurs soient adéquatement indemnisés pour cette redistribution. Je pense que l'on va mettre en place des quotas par espèces, avec le rachat d'une partie de la valeur des permis et les pêcheurs se retrouveront à quai avec un énorme capital immobilisé et de moins en moins de poisson pour gagner leur vie. Je pense que l'intention derrière les quotas, c'est de mettre en place un tel système où l'on aura non plus des quotas pour du saumon en général mais des espèces individuelles. Dans le cas du poisson de fond, la prise accessoire rapporte en fait plus que l'espèce visée elle-même.
Le sénateur Adams : Est-ce que votre organisation représente principalement des pêcheurs sportifs ou des pêcheurs professionnels?
Mme Scarfo : Non, professionnels.
Le sénateur Adams : Pas de sportifs?
Mme Scarfo : Non
Le sénateur Adams : J'aimerais déterminer quel est votre pouvoir. Je pense, moi-même, qu'il faut empêcher les pêcheurs commerciaux étrangers de venir pêcher chez nous. Je ne suis pas un politicien, j'ai été nommé par le premier ministre. Ce n'est pas facile, mais j'aimerais un règlement qui interdise, pas totalement, aux étrangers de pêcher chez nous. Ce devrait être la politique suivie. C'est peut-être un peu différent dans votre cas, parce que vous en vivez, mais nous avons réglé les revendications territoriales de manière à protéger notre faune et faire ce qui s'impose — pas seulement attraper le poisson, le vendre et empocher l'argent. Pour nous, l'enjeu c'est l'avenir de l'économie et de la collectivité. Nous sommes un peu différents de vous, dans le sud, car nous vivons dans un endroit où le coût de la vie est élevé et c'est réellement difficile. Aujourd'hui, notre organisation est gérée par quelqu'un de l'extérieur. Elle formule des politiques qui devraient fonctionner. Il est difficile pour moi de dire aux miens : vous ne comprenez pas, allez chercher quelqu'un ailleurs qui comprend. Il faut être présent dans l'organisation qui prend la décision.
Comment votre association est-elle structurée? Êtes-vous élus? Cherchez-vous à protéger toute la collectivité, est-ce ainsi que fonctionne le système ou votre organisation?
Mme Scarfo : Nous sommes un groupe de pression. Nous représentons les pêcheurs commerciaux. Lorsque nous avons rédigé notre mission, nous avons reconnu que nous faisons partie d'une collectivité géographique. Je ne vis pas à Ucluelet. Je ne vis pas sur la côte Ouest de l'île de Vancouver. Je vis sur une petite île ailleurs, plus proche de Victoria. Cependant, ma collectivité et celles qui dépendent de moi et dont je dépends à long terme doivent se concerter. C'est pourquoi, lorsque nous travaillons sur des projets, nous veillons toujours à avoir une représentation de la collectivité autochtone locale et habituellement aussi des groupes locaux de protection de l'environnement.
En réponse à l'annonce de la réforme par le ministre des Pêches où il indiquait la création de ce processus, nous avons formé un comité régional de réforme de la pêche qui englobe tous ces groupes car nous sommes tous interdépendants et nous en avons pris conscience. Si l'on va opter pour les quotas et que je deviens un simple courtier de licences de pêche, mon intérêt pour la collectivité locale sera diminué. Je ne serai plus sur place, assise sur le quai.
Le sénateur Adams : Nous commençons nous aussi à avoir des pêcheurs commerciaux. Là où nous vivons dans l'Arctique, nous ne pouvons pas utiliser des bateaux de 16 pieds, ou même de 65 pieds en certains endroits, parce qu'ils sont trop petits. Certains endroits de l'Arctique sont comme la côte du Pacifique. Dans votre organisation, est-ce que vous contrôlez les pêcheurs, décidez qui va prendre le poisson et quelle société? Je ne sais pas si ce sont les élus fédéraux ou provinciaux qui ont le plus de poids à ce sujet. Est-ce que vous pouvez contrôler les quotas et les avantages que retire la collectivité, plutôt que quelqu'un d'autre, comme les grandes sociétés?
Mme Scarfo : À ce stade, notre flotte est faite de pêcheurs indépendants. Les permis sont donnés aux navires, et donc si votre bateau ne sort pas pêcher, vous ne pêchez pas. Le permis vous donne le privilège de pêcher. Si vous voulez sortir attraper un peu de poisson et gagner votre vie ce mois-ci, vous avez le permis, vous avez l'option. Si vous ne pêchez pas, vous ne touchez pas d'argent. Nous ne vendons pas aux grosses sociétés, et donc lorsque les grosses sociétés vous parlent de pêche, elles ne représentent pas du tout notre pêcherie. Nous vendons à des petits acheteurs indépendants. Nous sommes le modèle d'une flotte indépendante. Nous sommes principalement des exploitations familiales. Nous habitons presque toujours dans les régions où nous pêchons. Nous vendons à des petits acheteurs indépendants, pas aux grosses sociétés de conditionnement, les cinq grosses sociétés de Colombie-Britannique.
Mais, justement, par volonté de contrôler qui reçoit les avantages la pêche et qui pêche, un quota expérimental a été instauré cet été dans la pêcherie à la traîne du secteur nord. La prévision de revenu avant-saison pour cette région était la plus forte de la Colombie-Britannique. Dès le départ, avant même de sortir de chez soi, on savait que cette pêche contingentée serait bonne car il y avait du poisson. L'une de nos préoccupations, et cela a été démontré avec cette pêcherie — et c'est pour moi un facteur négatif — c'est que pour la toute première fois, ce n'est pas le gars en bottes de caoutchouc sur son bateau qui décidait qui allait pêcher, quand et où. Bien souvent, un accès supplémentaire au poisson a été acheté, le privilège a été acheté, les quotas transférables ont été achetés par la compagnie et c'était donc elle, l'acheteur, qui détenait les droits. Ensuite, cet acheteur décidait si vous pouviez ou non sortir pêcher. C'était la toute première fois, avec ce projet pilote de cette année, que cela se produisait dans la pêche à la traîne. Pour moi, c'était l'annonce des conséquences négatives d'un changement massif qui pourrait intervenir du fait de la transférabilité des quotas.
Le sénateur Adams : Pour ce qui est de la limite des 12 milles, je crois que cela devrait fonctionner de la même façon au Nunavut. Nous avons essayé une limite des 12 milles. Les autorités du Nunavut étaient censées contrôler ces eaux, jusqu'à une limite de 200 milles, après la limite des 12 milles. C'est le MPO qui a décidé qui aurait le contrôle, car le poisson appartient à tout le monde au Canada au-delà la limite des 12 milles. Le ministre a accordé des quotas au Nunavut jusqu'à la limite des 200 milles et, comme c'est typique chez nous, quelqu'un dans la compagnie veut se battre. Après la limite des 12 milles, nous n'avons plus le pouvoir. Ensuite, cette autre organisation arrive et donne l'autorisation à des étrangers de prendre les contingents du Nunavut. Combien de pouvoir détenez-vous dans votre organisation?
Mme Scarfo : Si nous en avions, nous ferions probablement faillite vu ce qui se passe.
Le sénateur Cowan : J'aimerais revenir sur les propos du sénateur Hubley, sa surprise devant l'impact de la pêche sportive sur votre pêcherie. Comme elle, je n'aurais pas cru cela. Est-ce que les pêcheurs sportifs ne sont pas limités à pêcher aux mêmes périodes que vous, ou bien utilisent-ils du matériel différent? Vous avez dit, je crois, qu'il n'y a pas de quota et pas de limite au nombre de personnes qui peuvent s'établir dans cette pêcherie. Est-ce exact?
Mme Scarfo : En fait, vu qu'ils ont maintenant accès prioritaire au saumon rouge et au saumon quinnat, qui sont l'essentiel de notre prise, nous avons été évincés de la mer pendant nos mois traditionnels. À ce stade, les pêcheurs sportifs ont accès prioritaire pendant ces mois-là. Nous ne pouvons pas mettre un hameçon dans l'eau en juillet et août parce que la pêche sportive a l'accès prioritaire à la prise auxiliaire sur les stocks qui sont absolument essentiels pour préserver une pêche pendant ces périodes. Ce n'est pas seulement l'accès prioritaire au total, mais à la prise auxiliaire elle-même. Même si le MPO dit qu'il n'alloue pas la prise auxiliaire, il le fait quand même, et sur une base prioritaire. À moins que la pêche sportive ait saison ouverte toute l'année avec rétention maximale, nous ne pouvons pêcher pendant ces mois-là. Nous ne sommes autorisés à pêcher qu'une fois la saison sportive close, c'est-à-dire principalement pendant l'hiver lorsque les poissons sont plus petits, que le temps est mauvais, que la qualité du poisson n'est pas aussi bonne et que nos frais sont considérablement plus élevés. Nous le faisons, parce que c'est notre seule option. Je ne sais pas si cela répond à votre question.
Le sénateur Cowan : Oui, je comprends. Je ne savais pas comment cela fonctionnait et quels étaient les rapports entre les deux styles de pêche. Merci.
Le président : Nous avons entendu un exposé de la British Columbia Seafood Alliance le mois dernier et vous avez fait état du témoin qui a comparu avec ce groupe, Tom Kasmer. Je crois qu'il a mentionné spécifiquement votre flotte de pêche à la traîne et l'a utilisée comme exemple pour expliquer pourquoi la côte Ouest de l'île de Vancouver, votre secteur, devrait passer au quota individuel de bateau, le QIB. Sans entrer dans tous ces détails tout de suite, mais nous y viendrons, pourriez-vous lire son témoignage à la première occasion et nous faire part de vos réactions aux propos de M. Kasmer. Il a cité votre exemple pour sa démonstration et je pense que vous devriez avoir l'occasion de réfléchir à ce qu'il a dit afin que nous-mêmes connaissions votre réponse. Il a peut-être invoqué certains des problèmes que vous avez exposés aujourd'hui dans le but de promouvoir la privatisation d'une pêcherie. Pourriez-vous faire cela pour nous?
Mme Scarfo : Certainement.
Le président : Deuxièmement, vous avez dit dans votre déclaration que vous aviez formulé un certain nombre de recommandations au MPO au fil du temps et qu'elles ont été ignorées. En réponse au sénateur Hubley, vous avez dit que vous aviez réfléchi aux quotas communautaires. Pourriez-vous nous communiquer tout cela, soit vos recommandations au MPO et vos opinions sur les quotas communautaires, car nous nous penchons précisément là- dessus?
Mme Scarfo : Oui, nous pouvons faire cela.
Le président : Je n'y avais pas réellement réfléchi jusqu'à maintenant, mais la question de la cogestion vous inquiète du fait de la confidentialité qui serait déclenchée dès lors qu'un accord de cogestion est conclu entre le MPO et un groupe particulier. Cet accord empêcherait donc toute reddition de comptes au public. De nos jours, dès que l'on parle de supprimer l'accès public et la reddition de comptes, cela met en alerte les Parlementaires, surtout ceux de l'opposition, car nous avons vu les problèmes qui surviennent lorsqu'on cache aux Canadiens l'utilisation faite des ressources. Pourriez-vous nous parler un peu plus de cet aspect de la cogestion et est-ce que c'est là le but des changements proposés à la Loi sur les pêches, soit cacher les choses?
Mme Scarfo : Je ne puis dire quel est le but des changements proposés à la Loi sur les pêches, car je ne les ai pas vus.
Le président : Moi non plus.
Mme Scarfo : Nous avons demandé lors des réunions de consultation publique qu'un livre blanc soit publié sur ces changements, au lieu d'attendre simplement le débat à la Chambre. Ainsi, on pourrait avoir un examen public car toutes les questions que nous avons posées sont restées sans réponse. Selon quelques indications que nous avons eues du MPO quant aux modifications à la Loi sur les pêches, il s'agirait d'y inscrire la priorité donnée à la pêche sportive, à titre d'orientation générale, ce qui m'a complètement abasourdie.
Ma crainte concernant les accords de cogestion dérive en fait de ce qu'a dit M. Daniel Pauly lors du forum des pêches de l'an dernier, lorsqu'il a parlé de la Nouvelle-Zélande. Cela m'a donné à réfléchir, et effectivement le MPO n'a pas pu répondre à nombre de nos questions sur les accords de cogestion déjà signés par le ministère. Il nous demande de conclure des accords de cogestion, aussi je leur ai demandé quels types d'accords de cogestion ils ont déjà signés, afin que nous puissions voir à quoi ils ressemblent. Ils nous ont donné une quasi réponse, très générale. J'ai demandé à voir certains de ces accords de cogestion, car il y en a de différentes sortes. Certains prévoient des paiements en nature et d'autres des royalties. Il ne semble pas exister un point central où sont rassemblés ces accords pour qu'on puisse les consulter et voir ce qu'ils contiennent. Lorsque j'ai poussé mes recherches plus loin, j'ai découvert entre autres que les organisations sont fières du fait que les fonds levés par le biais de leurs accords de cogestion couvrent les salaires des biologistes du MPO qui supervisent leur pêcherie. Je regrette, mais cela me fait peur. C'est peut-être une bonne chose, économiquement, pour le ministère, mais comme citoyenne canadienne qui tient à ce que la pêche soit bien gérée à l'avenir, cela m'indique que le contrôleur ne contrôle plus grand-chose.
Où est passé cet argent? Un million de dollars prélevé sur la pêche a été englouti dans les accords de cogestion. Où est cet argent? Le voyez-vous? Si vous regardez d'autres entités juridiques mises sur pied par le gouvernement fédéral, et pas seulement dans les pêches, mais aussi avec les administrations aéroportuaires et autres, si les conseils d'administration ne sont pas nommés par le gouvernement fédéral, à mon sens ils n'ont pas la même responsabilité vis- à-vis du grand public que le gouvernement. Si je constitue un groupe de gestion de la pêche à la traîne de la côte Ouest, et si nous prenons X poissons, je peux inscrire dans un accord de cogestion que nous financerons des projets et peut- être même payer les biologistes, et alors les données recueillies nous appartiendront à nous, et non pas au MPO.
Le président : Et c'est ce qui se passe en Nouvelle-Zélande?
Mme Scarfo : Il me semble.
Le président : J'ai entendu dire la même chose. Étant donné que ces données sont payées par l'industrie, évidemment l'industrie ne souhaite pas que les renseignements soient fournis à ses concurrents et, par conséquent, est-ce qu'ils vont servir à protéger les stocks ou bien à protéger l'industrie? Il y a là des questions qui exigent réponse.
Mme Scarfo : Je ne peux réellement y répondre. Je ne peux dire que l'on fait mauvais usage des données. C'est l'absence de transparence qui est préoccupante.
Le président : Une dernière question : vous avez dit craindre que si votre flotte passe sous un QIB, les quotas pourraient être déterminés non en fonction de la prise historique mais d'une simple répartition arithmétique. Je ne veux pas vous faire peur, mais lorsque l'on utilise les prises historiques comme moyen de répartition, dès que circule la rumeur que le contingent global pour la flotte du Pacifique, par exemple, va baisser, des pressions s'exercent pour un système de QIT, car tout le monde va gagner moins d'argent pour survivre. Cette situation, en soi, met les stocks sous pression car aussitôt circule la rumeur que la pêcherie va passer sous QIT. Tous les participants se précipitent et cherchent à augmenter leur chiffre de prise historique, et l'on a donc une prophétie qui se réalise d'elle-même. Puisque tout le monde accroît la pression sur les stocks, le MPO n'a d'autre choix à ce moment que de passer à une pêcherie QIT. Les pêcheurs accueillent cela à bras ouverts car, à ce stade, rien ne va plus. Ce qui se passe dans un cas comme celui-ci, c'est qu'une fois que les quotas sont alloués en fonction de la prise historique, ils vont à ceux qui exercent le plus de pression sur les stocks. Les quotas vont à ceux qui s'intéressaient le moins à la viabilité à long terme de la pêche, autrement dit les tricheurs qui se souciaient plus de gonfler leurs chiffres que de la viabilité à long terme des stocks. Que répondez-vous à cela? Disons que je me fais l'avocat du diable en ce moment.
Mme Scarfo : Lorsque vous adoptez un contingentement, la manière de fixer la ligne de référence est absolument primordiale. Il faut être équitable, il faut faire preuve de considération et avoir conscience de certains moteurs qui sont sources de problèmes. Cette course pour accroître le total admissible des captures, le TAC — dans notre cas, nous avons droit cette année à 150 000 quinnats. Ce n'est pas comme si nous pouvions dépasser ce chiffre. C'est un chiffre fixe et nous gérons soigneusement en fonction de ce chiffre. Ce n'est pas comme si nous allions engendrer un problème de conservation de ce stock. Vous aurez davantage de participation une fois que l'on parle de passer à un système de QIT, mais cela, c'est déjà fait. Dès que Pearse a publié son rapport recommandant des quotas, cette discussion est intervenue, et vous aviez davantage de navires qui pêchaient le mois dernier et ce mois-ci pour se garder une place. Il faut tenir compte de cela, cela fait partie des problèmes du passage à un contingentement. C'est aussi un problème si vous n'avez pas assez de poisson, au départ, pour toute la flotte. Comment allez-vous répartir équitablement ce poisson? Allez-vous imposer aux pêcheurs actifs un fardeau plus lourd, un coût plus lourd, qu'ils ne sont pas en mesure d'absorber à ce stade? Le système ne marche pas.
Le sénateur Cowan : Il faut trouver une façon de régler ce problème de l'information disponible considérée comme la propriété privée de ceux qui la recueillent, sans obligation de la partager avec le MPO. Il doit exister un moyen qui permette au MPO de l'utiliser en premier, à des fins légitimes, et de la mettre à la disposition de ceux qui sont concernés, d'une manière qui protège les intérêts légitimes des pêcheurs individuels, des participants à cette industrie. Vous avez fait état des administrations aéroportuaires. Je les connais un peu. Les données sont recueillies par Transports Canada, par les administrations aéroportuaires, qui les utilisent pour leurs fins, que l'on espère légitimes, mais non communiquées aux compagnies aériennes : les données relatives à une compagnie aérienne ne sont pas communiquées aux autres compagnies aériennes. Je suis sûr que la même chose se passe dans l'industrie du camionnage et beaucoup d'autres : les données sont recueillies, utilisées aux fins nécessaires et non divulguées à ceux qui n'en ont pas le besoin légitime. Je ne dis pas que c'est de votre faute, mais je suis sûr que le problème pourrait être réglé.
Mme Scarfo : C'est un problème que l'on peut régler à condition qu'il soit identifié et il faut inscrire dans l'accord de cogestion une clause de divulgation, jusqu'à un certain niveau, de la propriété intellectuelle. Nous avons mené avec EcoTrust un projet sur le savoir écologique traditionnel et il nous a fallu deux mois pour rédiger cet accord, parce que la propriété intellectuelle est une considération importante. Il faut rédiger correctement les contrats, et en l'occurrence le gouvernement doit veiller à ce que ces contrats comprennent une telle disposition.
Le président : Merci beaucoup à tous. Nous allons lever la séance.
La séance est levée.