Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères
Fascicule 2 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 1er décembre 2004
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 17 h 2 afin d'étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères en général.
Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous allons siéger pendant une heure et je lèverai la séance à 18 heures pour une foule de raisons.
Honorables sénateurs, mon introduction sera brève. Je voudrais souhaiter la bienvenue à Son Excellence Mykola Maimeskul qui est accompagné de M. Vadym Prystaiko et M. Andriy Yahodovskyi.
Nous sommes tous au courant de la crise actuelle en Ukraine. Du moins, cela semble en être une pour beaucoup d'entre nous. Son Excellence parle couramment le français et, comme nous sommes un pays et une institution bilingues, nous pouvons entendre des témoignages dans celle des deux langues officielles qui convient le mieux pour l'occasion. Nous avons des interprètes, de sorte que cela ne nous posera aucune difficulté.
Excellence, puis-je donc vous suggérer de nous faire pendant une dizaine de minutes un exposé de la situation, après quoi mes collègues et moi vous poserons quelques questions. Pour ne pas perdre de temps donc, je vous en prie, Excellence, vous pouvez commencer.
[Français]
Son Excellence Mykola Maimeskul, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire d'Ukraine au Canada, Ambassade d'Ukraine : Merci, monsieur le président, je souhaiterais saluer les représentants de la communauté ukrainienne. Il me semble qu'ils sont dans cette salle.
Monsieur le président, je vous remercie de l'invitation de prendre la parole devant vous. Avec votre permission, je profite de cette occasion pour rappeler, tout d'abord à nous-mêmes et ensuite à tous les autres, que c'est un honneur de prendre la parole à ce comité sénatorial. Mais s'ajoute à ce plaisir et à cet honneur le fait que le 1er décembre, il y a 13 ans, les Ukrainiens se prononçaient massivement, 93 p. 100, pour l'indépendance de l'Ukraine. Cette journée, c'est le 1er décembre du référendum historique en Ukraine.
Monsieur le président, ma patrie est dans une situation dramatique. Il est très important d'avoir le soutien du Canada, pays basé sur les valeurs démocratiques qui, vous l'avez bien vu ces derniers jours, sont tellement proches de mes compatriotes. À vrai dire, je ne me sens pas très à l'aise dans cette salle au moment où des centaines de milliers d'Ukrainiens sont au froid dans les rues de Kiev et des autres villes d'Ukraine. Pourquoi? Ils ne sont pas indifférents à tout ce qui se passe dans le pays, leurs principes ne leur permettent pas d'accepter la pensée même de la falsification de leur choix et ils veulent un meilleur avenir pour leurs enfants.
En disant ceci, je pense à tous mes compatriotes, à tous mes concitoyens. Je suis natif du sud de l'Ukraine, de la région d'Odessa, qui ces derniers jours s'est mise à parler et, ceci soudainement, de l'éventuelle séparation de l'Ukraine. C'est aujourd'hui, et j'en suis convaincu, la tendance la plus dangereuse, une spéculation très sérieuse pour mon pays.
On peut parler de possibles conséquences économiques, de tout ce qui se passe dans le pays. Mais je pense qu'on pourra les minimiser. Je crois que l'on va éviter la collision physique, la collision frontale. On connaît, en ce sens, la position de non recours à la force, la position pacifique des opposants orange, de l'armée et de la police.
Mais la menace de la division du pays est un danger sérieux, pour mon pays, pour l'Europe centrale et pour l'Europe en général. Nous sommes, bien sûr, conscients de notre responsabilité devant nos voisins et devant la communauté internationale. Je peux vous dire que le ministère des Affaires étrangères d'Ukraine prend très au sérieux ce genre d'incitation. Dans ce contexte, j'aimerais mentionner les derniers pas du président d'Ukraine, qui a prévenu les dirigeants de certaines régions de l'Est ukrainien de l'inacceptation des incitations séparatistes.
J'ai le plaisir de vous informer que la majorité de ces dirigeants locaux ont désavoué leur propre parole et ont motivé leurs appels par une politisation ou par des émotions excessives. Ils parlent toujours des référendums possibles sur le changement du statut de leur territoire en spéculant sur les sentiments des électeurs qui se sentent en quelque sorte trompés, volés. Il faut avouer que certains politiciens étrangers ont décidé de saisir le moment et essayé, comme on dit, de pêcher dans des eaux troubles en se positionnant comme soi-disant défenseurs des intérêts de la population russophone dans les régions de l'est de l'Ukraine. Nous estimons que c'est de l'aventure politique dangereuse. C'est pour cette raison que le ministère des Affaires étrangères d'Ukraine a émis, ce lundi, la déclaration en prévenant cela. Et c'est pour cette raison que le représentant de l'ambassade russe à Kiev a été convoqué au ministère pour recevoir les explications nécessaires à ce sujet.
Je pense que sur ces mêmes spéculations, la position ferme de la communauté internationale et des institutions législatives pourront jouer un rôle important.
Monsieur le président, je ne voudrais pas abuser de votre temps en vous présentant la chronologie des événements en Ukraine. Les médias canadiens, d'ailleurs, nous en informent en détails et ils le font avec une grande attention.
Je voudrais m'arrêter sur quelques éléments clés de la situation en Ukraine. Vous le savez certainement, le deuxième scrutin des élections présidentielles a eu lieu le 21 novembre. D'après le résultat annoncé par la commission centrale d'élections, c'est le premier ministre sortant, Ianoukovitch, qui a été proclamé vainqueur avec 3 p. 100 des votes de plus.
Je voudrais insister sur ce fait, disons formel, basé sur les données statistiques, sans même examiner les cas d'irrégularités. En même temps, l'opposition a des arguments sérieux prouvant la falsification qui n'ont pas été pris en considération par la commission centrale. Elle a décidé de ne pas reconnaître ces résultats.
Ainsi, le calcul parallèle des voix sur la place centrale de Kiev s'est transformé en une action immense de protestation civile. Aujourd'hui, dans les rues de la capitale, il reste presque un demi-million de militants qui soutiennent presque tous Viktor Iouchtchenko, le leader de l'opposition. Depuis plusieurs jours, ils bloquent les bâtiments des autorités centrales.
Un peu plus tard, un nombre assez important des supporters du premier ministre Ianoukovitch sont aussi arrivés à Kiev pour soutenir leur candidat. Jusqu'à ce moment, c'est deux phénomènes ne se croisent pas et coexistent presque pacifiquement, tant bien que mal, mais coexistent. J'espère de tout mon cœur et je suis confiant que cette situation reste sous contrôle jusqu'à la solution de cette crise politique.
Certains dirigeants régionaux, comme je vous ai dit il y a quelques instants, surtout à l'est de mon pays, ont profité de la conjoncture du moment pour soulever leur popularité ou bien pour satisfaire leur candidat et ont annoncé une sécession éventuelle de leur région, allant même jusqu'à créer une sorte de soi-disant république du sud-est ou quelque chose dans ce genre.
La vision de la souveraineté varie d'une région à l'autre. Je vous ai parlé de cette dangereuse tendance ainsi que du rôle de certains visiteurs, politiciens du pays voisin. En réagissant à ces actions massives, les autorités font des démarches nécessaires. Je parle du Parlement, de la Cour suprême d'Ukraine. Je voudrais tout de suite prévenir certaines questions dans ce contexte. Les mécanismes juridiques pour annuler les élections sont assez limités. À ce jour, la Cour suprême examine la plainte concernant les violations, les irrégularités du scrutin, et c'est avec une attention extrême que nous attendons sa décision. La Cour suprême va reprendre demain à dix heures ses travaux. Déjà ce sera la quatrième journée de séance dans les heures qui viennent.
En même temps, les compromis et autres solutions de la crise peuvent être trouvés dans le cadre politique. Vous savez que les premiers pas d'ordre politique ont déjà été faits. Je parle du Parlement. Le Parlement, lors de sa session extraordinaire, c'était le samedi 27 novembre, a adopté une motion qui ne reconnaît pas la légitimité du scrutin comme étant celui qui ne reflète pas la volonté du peuple ukrainien. Le président, quant à lui, a estimé possible de recompter les résultats dans les régions, de vérifier les falsifications ou même d'avoir de nouvelles élections, si les résultats sont, j'insiste sur ce fait, invalidés par la Cour suprême. On attend la décision.
Parmi les dernières nouvelles, je dois citer le refus, hier, de l'opposition de continuer les pourparlers, organisés comme nous le savons avec la contribution des médiateurs internationaux, argumentant ce refus par les tentatives des autorités de faire traîner la vraie solution du problème. Aujourd'hui même, les médiateurs internationaux sont venus à Kiev pour contribuer à la reprise des négociations.
Avec votre permission, monsieur le président, je sais que c'est très important, nous venons de recevoir l'information sur le résultat de la table ronde qui a eu lieu il y a deux ou trois heures. Il y a le texte coordonné entre les parties en négociation. Je vais insister sur quelques éléments importants des résultats de la table ronde.
Alors les parties, non seulement les deux opposants, Iouchtchenko et Ianoukovitch étaient présents mais aussi le président d'Ukraine, le président du Parlement, les représentants de l'Union européenne, M. Solanas, les présidents de la Pologne, M. Kwasnievski, de la Lituanie, M. Adamkus, et le secrétaire général de l'OSCE ont aussi participé à cette réunion.
Les participants se sont entendus sur ce qui suit. D'abord, exclure — je l'ai déjà dit d'ailleurs, mais ceci est dans le texte d'aujourd'hui — tout recours à la force. Deuxièmement, débloquer immédiatement le fonctionnement des organismes étatiques. Troisièmement, créer un groupe d'experts juristes pour analyser la situation et pour trouver comment accomplir le processus des élections, c'est-à-dire donner des propositions sur le deuxième scrutin si vous voulez, cela veut dire le troisième scrutin — on n'a pas cela dans les lois — ou encore avoir de nouvelles élections. Mais ceci sur la base de la décision de la Cour suprême qu'on attend avec impatience. Quatrièmement, chercher le paquet entre les amendements à la Loi sur les élections présidentielles, la formation du nouveau gouvernement et la réforme politique et constitutionnelle. Cinquièmement, appeler toutes les forces politiques à préserver l'intégrité de mon pays. En dernier lieu, reprendre la table ronde après la prise de la décision par la Cour suprême.
Les mêmes médiateurs étaient présents à la table ronde d'aujourd'hui. Je voudrais exprimer la ferme conviction, qu'à ce jour, c'est la seule voie de règlement de cette crise, et cela avec des pertes minimales pour nous tous. En anticipant des questions sur le rôle du Canada, sur son influence sur la course des événements en Ukraine avant, pendant et après les élections, je voudrais profiter de cette occasion pour remercier tout d'abord la communauté ukrainienne canadienne de son soutien et de son attention permanente envers sa patrie historique.
Je voudrais remercier le gouvernement du Canada qui, par l'intermédiaire du ministère des Affaires étrangères, a beaucoup fait pour attirer notre attention, ainsi que celle de la communauté internationale, sur les événements en Ukraine. L'ambassadeur du Canada, Andrew Robinson, mon collègue, a été coordonnateur du groupe de « monitoring » composé des ambassadeurs des pays occidentaux à Kiev. Tout spécialement, j'aimerais remercier les observateurs canadiens présents en grand nombre pour nous aider à voir ce qui s'est passé dans le pays pendant la procédure des élections.
Je voudrais que votre intérêt pour le processus très compliqué en Ukraine soit maintenu et que les relations entre nos deux États regagnent leur niveau de partenariat spécial, principe que les deux pays ont accepté avec enthousiasme, il y a tout juste dix ans.
Permettez-moi de vous remercier encore une fois, honorables sénateurs, de l'invitation à cette séance qui, à mon avis, est un exemple de plus de l'intérêt sincère du Canada envers mon peuple et mon pays.
Le président : Merci beaucoup, monsieur l'ambassadeur.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk : Je voudrais vous remercier, Excellence, d'avoir pris le temps de comparaître devant nous ce soir, d'autant plus que votre pays est en crise et que son ambassadeur doit représenter tous les citoyens.
Ce qui se passe actuellement en Ukraine intéresse beaucoup le Canada. Étant moi-même issue d'un milieu ukrainien, j'ai des liens privilégiés avec ce pays où j'ai d'ailleurs encore des parents, et une histoire aussi qui fait que ces liens sont extrêmement particuliers. Les Canadiens de toutes origines comprennent bien que l'Ukraine doit être indépendante et démocratique. On pourrait se demander, mais ce sera pour une autre fois, si le Canada est intervenu suffisamment et avec assez de vigueur depuis 11 ans, mais c'est là un débat qui devra attendre une prochaine fois.
Mon vœu, c'est que la volonté du peuple ukrainien soit au bout du compte respectée. La communauté internationale, en l'occurrence l'OSCE, l'OTAN, l'Union européenne ainsi que les gouvernements du Canada et des États-Unis, a proclamé sans exception que les élections n'étaient pas conformes aux normes internationales et que, par conséquent, les résultats ne sauraient être acceptés. Voilà donc quelque chose sur quoi nous ne pouvons revenir.
Ce que vous nous avez dit est certes important. Il faut une solution pacifique qui ne compromette pas l'intégrité de l'Ukraine. La plupart des Canadiens, sinon tous, se rangent à cette opinion. Et c'est d'ailleurs la position que tous les partis ont prise.
Vous nous avez donné les résultats des pourparlers de la dernière table ronde en faisant ressortir cinq éléments. J'aimerais personnellement savoir si le représentant de la Russie était à la table et s'il en a lui aussi convenu; par ailleurs, je voudrais également savoir si les deux candidats, M. Iouchtchenko et M. Ianoukovitch, étaient personnellement représentés à la table et s'ils ont eux aussi accepté ces cinq éléments.
Vous avez par ailleurs déclaré que les décisions de la Cour suprême étaient limitées. Selon moi, pourvu qu'elle puisse s'appuyer sur des preuves solides et agir en toute indépendance — et je souligne ici que toutes les parties permettent à la Cour suprême d'exercer son indépendance sans aucune ingérence — elle pourrait demander d'autres options si elle jugeait que les élections n'ont pas été conduites de façon démocratique et ne respectaient pas les normes attendues en pareille circonstance. Vous semblez dire que les résultats étaient limités. Personnellement, j'ai appris qu'il y avait assurément un petit nombre d'options aux termes de la Constitution, que la Cour suprême pourrait invoquer.
[Français]
M. Maimeskul : Dès le début de la première table ronde, sous la présidence du président d'Ukraine, je voudrais dire que c'est le président de la Douma, M. Gryzlov, qui était présent à la deuxième table ronde. D'après ce que je sais des médias, il était un peu en retard, mais il était présent pour la partie finale de la table ronde.
De toute façon, je n'ai pas entendu de contestations quelconques dans ce sens. Le président d'Ukraine, en lisant ce texte final, a dit qu'il s'est entendu avec toutes les parties et tous les participants de la table ronde. Ceci pour dire que M. Iouchtchenko et M. Ianoukovitch se sont commis. Il y a d'ailleurs dans ce document final des signatures de tous les participants, y compris celles de M. Iouchtchenko et M. Ianoukovitch. Ce que je vais vous dire me tient à cœur et je voudrais bien que ce soit une étape dans la solution; ils se sont serré la main à la fin.
En ce qui concerne la Cour suprême, je voudrais tout simplement souligner qu'on a quelques moments limités dans la solution. Je voudrais souligner le caractère unique de la situation au pays. La situation se développe de telle sorte qu'il faudra trouver des solutions politiques et juridiques pour sortir de la crise. Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne la compétence de la Cour suprême. On attend, bien sûr, comme je le dis, avec impatience. Il y a plusieurs options pour la décision de la Cour suprême : la première, si, après avoir terminé l'examen des plaintes sur les irrégularités massives, sur les violations massives, il est prouvé que la quantité ou le nombre des votes donnés à M. Iouchtchenko est plus important que celui accordé à M. Ianoukovitch, alors il pourrait être proclamé président de l'Ukraine.
La deuxième option : si la Cour suprême décide que le nombre de falsifications — en général, je ne vais pas les énumérer; les observateurs canadiens surtout en ont donné plusieurs preuves — a empêché les électeurs d'accomplir leur droit immanent d'élire le chef d'État, les élections pourraient être déclarées non valides. C'est la compétence de la Cour suprême, malgré toutes les rumeurs, toutes les explications par un expert, celui-ci ou l'autre.
Le pays, dans ce cas, fera face à de nouvelles élections. Il me semble qu'il est important de le souligner. Si le président actuel, le président sortant et le Parlement n'apportent pas des amendements ou des changements à la législation en cours maintenant qui pourraient permettre le deuxième tour ou le troisième tour des élections à la base du deuxième tour des élections, on ne pourra tenir des élections. Personnellement d'ailleurs, je suis pour. C'est ma réponse.
Le sénateur Prud'homme : Je pense que les questions de ma collègue ont été très précises et vos réponses aussi. Je ne prendrai pas le temps du comité, si ce n'est que pour vous dire que j'étais observateur en 1994, au premier et au deuxième tour de scrutin et je me suis adressé au Parlement de l'Ukraine à cette époque. Je ne peux faire autrement que conclure que le Canada a certainement un rôle d'amitié à jouer, étant donné la nature de notre pays. Je suis un nationaliste canadien-français du Québec. J'en suis fier, mais j'ai bien dit Canadien français.
Donc, je comprends un peu ces questions de majorités et de minorités. Tout ce que je peux souhaiter c'est que, étant donné les enjeux, que « les étrangers » ne profitent pas de la situation en Ukraine. Par exemple, d'une part, une majorité l'emporte sur une minorité ou une minorité qui se sente bousculée par une majorité. Alors si notre comité peut être utile, je pense que nous pourrions offrir nos services et trouver tous les éléments nécessaires. Nous pourrions puiser facilement au Canada des gens qui ont cette expérience et qui n'ont aucune honte à s'affirmer comme Canadien mais aussi comme nationaliste canadien-français, ce qui m'a permis de mieux comprendre la situation en Ukraine. Il y a une communauté ukrainienne au Canada. Je ne souhaite vraiment pas que tranquillement elle s'estompe. J'ai toujours rêvé d'augmenter l'immigration ukrainienne au Canada pour repartir toutes nos communautés ukrainiennes qui diminuent. Et c'est très malheureux. Je souhaite que vous nous aidiez à comprendre le rôle que le Canada pourrait jouer à cause de cette nature qui ressemble, très étrangement, à ce qui pourrait se produire.
M. Maimeskul : Naturellement, je réponds tout de suite. Toute votre expertise et un conseil d'experts juristes pourraient être naturellement très bienvenus. C'est la réponse immédiate de l'ambassadeur d'Ukraine.
J'ai essayé d'anticiper quelques questions de ce genre, c'est pour cette raison que j'ai remercié toutes les parties prenantes canadiennes qui ont participé pour voir de plus près ce qui se passe en Ukraine, mais je vais quand même donner un commentaire assez bref.
Tout d'abord, il me semble que cela concerne non seulement le Canada, cela concerne la communauté internationale en général, de contribuer à ce que l'atmosphère extérieure autour de l'Ukraine soit la plus favorable afin que le peuple ukrainien exprime son choix librement. C'est mon premier point.
Le deuxième point : je pense que nous allons nous avancer vers ou bien un nouveau scrutin, cela veut dire un troisième scrutin ou bien vers les nouvelles élections. Et ici, nous aurons absolument besoin des observateurs canadiens, observateurs amis, comme vous l'avez très bien dit, et des consultations d'une autre assistance concrète, lorsque le temps viendra. On est toujours près de ce temps.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je suis de très près les aiguilles de l'horloge, mais je dois rappeler aux membres du comité et aux sénateurs ici présents qui n'en sont pas membres pour l'instant que notre comité a effectué il y a un certain temps déjà une étude approfondie sur la Russie et l'Ukraine. Il se fait donc que certains d'entre nous connaissent assez bien ces deux pays et certains des problèmes évoqués aujourd'hui. Je pense qu'il fallait que je précise cela.
[Français]
M. Maimeskul : Grâce à votre invitation, comme vous le savez, j'ai été nommé il y a peu ambassadeur d'Ukraine au Canada, et j'ai eu la possibilité de voir de très près, en profondeur, le rapport sur l'Ukraine. Et je vais vous dire que le rapport du Comité des affaires étrangères du Sénat comporte des recommandations, des clauses qui sont très pertinentes aujourd'hui et qui le seront demain et après-demain.
[Traduction]
Le sénateur Poy : Merci d'être venu, Excellence. Vous avez parlé de la possibilité d'un troisième tour ou encore de la reprise des élections présidentielles, et j'aimerais que vous m'expliquiez la différence.
Y a-t-il actuellement un gouvernement provisoire? Et qui est à sa tête, le président sortant?
À votre avis, quel sera le poids du jugement de la Cour suprême? Le deux camps l'accepteront-ils?
[Français]
M. Maimeskul : Je vous remercie. La différence, entre guillemets bien sûr, parce qu'il n'y a pas de troisième tour dans la législation en cours en Ukraine, il y a une option politique mais il faudra la soutenir par un amendement. C'est sûr.
Alors, le troisième tour ou le deuxième deuxième tour, la différence est que cela pourrait avoir lieu très rapidement, dans deux semaines ou trois semaines. En ce qui concerne les nouvelles élections, il y a une procédure qui est prévue dans la loi sur les élections présidentielles; vous avez trois mois, la préparation législative de la procédure, la reprise de la procédure et c'est le dernier dimanche du troisième mois. Alors, cela va traîner naturellement. Et il y a encore une chose formelle, je ne pense pas que ce sera le cas, mais il y a un côté formel. Les candidats qui n'ont pas gagné ne reprennent pas leur participation lorsqu'il y a des nouvelles élections. Mais on tient compte de la spécificité unique de la situation actuelle dans le pays.
En ce qui concerne votre question sur le destin du gouvernement, le Parlement a pris position. Il a le plein droit de prendre cette position. C'est une position politique et juridique en même temps. Et c'est maintenant au président, d'ailleurs, selon la constitution, de répondre à la décision du Parlement. Il y a quelques détails, mais si on parle brièvement, c'est la situation, monsieur le président.
[Traduction]
Le sénateur Di Nino : À l'instar de mes collègues, je sais que c'est une période difficile pour votre pays. Nous vous sommes d'autant plus reconnaissants d'être venu aujourd'hui car nous comprenons fort bien que votre position n'est pas facile.
Je voudrais féliciter votre pays pour la façon dont il a accepté la diversité, ce qu'a d'ailleurs reconnu publiquement l'Union européenne. J'espère que cet élément continuera à être pris en compte pendant les pourparlers. Nous connaissons également fort bien cela au Canada.
J'aurais deux petites questions à vous poser. À votre avis, en quoi la résolution de la Verkhovna Rada de l'Ukraine pourra-t-elle influer sur les décisions qui s'annoncent, nous l'espérons tous, dans un avenir proche?
Ma seconde question portera sur les rôles joués par la Russie et par les États-Unis. En d'autres termes, ont-ils été invités ou se sont-ils invités eux-mêmes? Troisièmement, pensez-vous que l'attention accordée par ces deux pays ait un effet positif et ne craignez-vous pas que leur intervention influe sur l'indépendance du processus?
[Français]
M. Maimeskul : La deuxième question que vous avez appelée « petite » n'est pas petite, mais pas du tout. En ce qui concerne la résolution, plutôt les deux résolutions — celle dont le texte avec la traduction que nous avons faite dimanche, vous l'avez d'ailleurs, le texte en anglais — c'était la résolution politique. La deuxième résolution, qui a été adoptée en ce qui concerne la motion de défiance au gouvernement, elle est politique et juridique en même temps. Alors je suis sûr que ces décisions vont influencer le cours des événements dans notre pays. Ils vont en quelque sorte inciter les partis et les opposants qui ne sont pas à la table de négociation, d'être attentifs avant de prendre telle ou telle décision.
Si on parle du problème de séparatisme, c'est vraiment artificiel au pays. Toutes les régions du pays, pendant des dizaines et des dizaines d'années, pendant des centaines d'année, ont voulu être ensemble. Soudain, on comprend la raison, soudain, on a commencé à en parler. Ce ne sont pas les régions, mais les gouverneurs, leurs adjoints, certains d'entre eux ont commencé à jouer avec les mots. Alors, l'influence positive des décisions du Parlement, j'en suis sûr, aura lieu.
En ce qui concerne la Russie, vous avez bien fait attention, je n'ai pas parlé d'un État. Vous savez, entre voisins, chaque pays cherche ses intérêts, cherche à avoir une influence pour que ses intérêts soit respectés. Mais n'oublions pas que l'Ukraine avance vers la démocratie. Cette démocratie n'est pas sophistiquée ou parfaite mais elle s'avance. Naturellement, l'Ukraine démocratique voudrait que lors de ses tentatives de montrer ses intérêts, son influence soit inscrite dans le cadre des relations civilisées bilatérales entre les deux pays, pas n'importe quel pays voisin, y compris la Russie. Elle voudrait que cette influence soit inscrite dans le cadre, d'ailleurs, des accords bilatéraux entre les deux pays. C'est pour cette raison que je n'ai pas parlé de l'État de la Russie. Mais j'ai parlé des agissements, des instigations de certains politiciens russes.
C'est pour cette raison que le ministère des Affaires étrangères a prévenu ces soi-disant défenseurs de la population russophone ukrainienne. À vrai dire, en Ukraine, cette population n'a pas besoin d'être défendue.
[Traduction]
Le sénateur Smith : Excellence, je sais que vous êtes aux prises avec une situation difficile et je voudrais féliciter le peuple ukrainien pour avoir évité jusqu'à présent toute effusion de sang.
Il y a trois semaines, j'étais dans votre pays et je dois vous dire que cela a été l'une des expériences les plus émouvantes et les plus enthousiasmantes de ma vie. Ce n'était pas la première fois que j'allais en Ukraine car cela fait longtemps que votre pays m'intéresse. Je m'y étais rendu pour la première fois à la fin des années 60, et je dois vous dire que les choses ont bien changé depuis.
Pendant ce dernier voyage, nous avons sillonné tout le pays et nous avons parfois eu jusqu'à dix réunions par jour. En plus, nous avons pu nous entretenir avec des dizaines de chauffeurs de taxi, serveuses et serveurs de restaurants, pour pouvoir découvrir ce que pensait la population. On pouvait voir dans leurs yeux, et surtout dans ceux des jeunes gens, de l'espoir et de l'enthousiasme. Chez les plus vieux, il y avait aussi un peu de crainte, la crainte de voir peut-être la géographie du pays changer un peu.
Je sais bien qu'il y a des différences entre l'est et l'ouest de l'Ukraine et tout ce que cela représente. Mais plus que tout, le thème que nous avons sans cesse entendu — du moins à partir du moment où les gens se sentaient suffisamment à l'aise pour nous dire la vérité — c'est que ce n'était pas uniquement la vraie démocratie qui était en cause, mais plutôt la nécessité d'enrayer la corruption. Je pourrais vous relater toutes sortes d'anecdotes à faire frissonner. Vous en avez vous aussi entendu, et donc je n'en dirai pas davantage.
Par contre, la plupart des gens à qui nous avons parlé voulaient vraiment que la volonté du peuple soit clairement exprimée. D'ailleurs, je ne pense pas avoir rencontré qui que ce soit qui pensait que les résultats du premier tour étaient vraiment exacts, et cela venant même de la bouche des gens de la commission électorale. Ils étaient assis là et nous écoutaient. Nous avons rencontré plusieurs gouverneurs, de très nombreux fonctionnaires et des militants des deux camps. Je dois vous dire que j'ai participé à plusieurs réunions, sans vouloir dire précisément où, et qu'à plusieurs reprises, on nous demandait d'aller rencontrer quelqu'un un peu plus tard, quelqu'un qui nous disait : « Écoutez, je vais vous dire la vérité. Vous avez entendu la version officielle du parti, mais moi je vais vous dire la vérité. »
L'intimidation et la fraude systématique sont monnaie courante, surtout dans les régions orientales, à preuve certains chiffres comme le prétendu taux de participation de 97 p. 100. Je me souviens que dans un collège professionnel, il y avait eu au premier tour 1 896 bulletins de vote et, alors qu'il y avait 21 candidats, tous ces bulletins de vote étaient pour Ianoukovitch. Y a-t-il quelqu'un qui peut croire cela? Nous avons entendu parler de déclarations sous serment faites par des étudiants qui avaient été expulsés parce qu'ils arboraient un ruban orange, et d'autres choses de ce genre aussi.
Je sais que dans les régions orientales, l'attitude à l'endroit de ce genre de choses est différente et je le comprends fort bien. Mais ce que j'essaie de faire valoir, et j'aimerais beaucoup une réponse de votre part, c'est que j'ignore comment le gouvernement pourrait prétendre à la validité de son prochain gouvernement sans qu'il y ait de nouvelles élections. Je comprends les limites constitutionnelles de la motion de censure, que le Parlement a fini par adopter, ainsi que de la juridiction même de la Cour suprême. J'en suis conscient, mais quand on veut, on peut. Et on peut dire cela de façon à la fois positive et négative. D'un point de vue négatif, je dirais que le gouvernement avait la volonté de tout faire pour gagner, et il a gagné, certes, mais de tous les gens que j'ai rencontrés, pratiquement personne n'y croyait.
On pourrait arriver à une situation plus satisfaisante en multipliant les observateurs, par exemple des observateurs canado-ukrainiens. J'en ai rencontré tellement sur place, et tous étaient fort bien accueillis et beaucoup plus positifs ici que nos amis du Sud. Vous le savez fort bien. Au cas où cette solution serait retenue, je sais que nous serions nombreux à remuer ciel et terre, dans la mesure où le Canada pourrait offrir son concours, et cela est particulièrement vrai pour la communauté ukrainienne, afin d'arriver à une meilleure crédibilité. Est-ce possible?
[Français]
M. Maimeskul : Vous étiez très sincère et très émotif en présentant ces quelques jours de votre séjour en Ukraine, dans la belle ville de Mykolaïv, au sud de l'Ukraine, qui, jusqu'à l'indépendance de l'Ukraine, a été fermée au monde.
Je peux vous donner plusieurs autres exemples en tant que citoyen ukrainien, de violations et d'irrégularités. Je ne vais pas le faire parce que je vois que le temps court. La seule chose que je voudrais vous dire, c'est que tous ces cas d'irrégularités, de falsification et de violation sont examinés par la Cour suprême. Il y a des cas non seulement sur 97 p. 100 des votes mais de 100 p. 100 et plus de 100 p. 100 des votes. C'est inimaginable, mais selon les informations des observateurs, nous avons de ces cas.
En ce qui concerne les nouvelles élections, il me semble que vous avez bien fait attention en lisant la résolution du Parlement. Et j'ai été précis en vous l'indiquant aussi. Pour les nouvelles élections, il s'agit de la chose la plus difficile historiquement pour une nation, pour une population. C'est un changement de la mentalité. On a besoin d'un peu plus de temps en ce sens.
Pour faciliter aux électeurs l'exercice de leur libre choix, il faut les aider. C'est pour cette raison que le Parlement, après la décision de la Cour suprême, doit absolument apporter des amendements à la Loi sur les élections présidentielles, afin d'exclure les cas de vote par certificat d'absentéisme, les votes sur place et des cas de cette sorte, et tout cela doit être fait en même temps.
En ce qui concerne la confiance ou la non confiance envers le gouvernement, il me semble que la décision a été prise aujourd'hui. Naturellement, je vais chercher des éléments supplémentaires pour analyser à l'ambassade cette situation. Il me semble toutefois que la décision par le Parlement a été prise. Le président doit réfléchir maintenant, mais la solution est le gouvernement de coalition, — la consultation avec toutes les forces politiques présentes au Parlement — afin que ce nouveau gouvernement ne soit pas temporaire. Mais je vais vous dire franchement : il faut encore analyser cette situation.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, l'heure dite est maintenant échue. Je vais moi-même me plier à ma propre règle et donc m'abstenir de poser une question.
Messieurs, au nom du comité, je voudrais vous remercier pour cet excellent exposé. Je sais que je me fais le porte- parole de tous en vous disant que nous avons énormément appris aujourd'hui.
La séance est levée.