Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères
Fascicule 4 - Témoignages du 1er février 2005
OTTAWA, le mardi 1er février 2005
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour étudier les défis en matière de développement et de sécurité auxquels fait face l'Afrique; la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de ce continent; la politique étrangère du Canada envers l'Afrique.
Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, il y aura une réunion de l'Association parlementaire Canada- Europe demain, à 15 h 30. Puisque certains de nos membres participeront à la réunion de l'exécutif, nous ne commencerons pas nos travaux avant 16 h 30.
Notre comité se réunit pour la première fois conformément à l'ordre de renvoi adopté par le Sénat pour étudier les défis en matière de développement et de sécurité auxquels fait face l'Afrique; la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de ce continent; la politique étrangère du Canada envers l'Afrique.
Je voudrais dire à nos témoins que lorsque nous avons un mandat, nous essayons d'être le plus exhaustif possible; il ne faut donc pas vous sentir limités par le libellé de notre mandat. Ceci est la première d'une série de rencontres qui, selon moi, donneront lieu à un examen assez approfondi de la question.
Bienvenue. Vous avez la parole.
M. Philip Zachernuk, professeur, département d'histoire, Université Dalhousie, et président, Association canadienne des études africaines : Monsieur le président, je voudrais soulever trois grandes questions dans mon témoignage devant ce comité. Premièrement, les forces de l'histoire en Afrique depuis au moins le XIXe siècle — plus particulièrement les forces étrangères — ont été plus perturbatrices que constructives, mais leur incidence est loin d'être simple ou entièrement négative. Deuxièmement, notre compréhension de ce chapitre de l'histoire demeure incomplète et partielle. Troisièmement, compte tenu de ces éléments, quiconque souhaite s'attaquer aux problèmes de l'Afrique doit être bien conscient du fait que notre compréhension est limitée et fragmentaire et consulter divers experts.
Un survol rapide de l'histoire africaine des deux derniers siècles révèle d'abord des perturbations profondes causées par des forces historiques étrangères. L'abolition de l'esclavage, au début du XIXe siècle, a semé le désarroi chez les États et les marchands qui s'étaient adaptés avec un certain succès aux exigences de la traite atlantique. Les nouveaux régimes apparus par la suite, qui exportaient les ressources africaines vers une Europe en pleine révolution industrielle, utilisaient souvent une main-d'œuvre locale, abondante et réduite à l'esclavage, créant ainsi en peu de temps l'une des plus vastes économies esclavagistes au monde.
Cependant, avant même que cette transformation ne soit complétée, les Européens sont débarqués à la fin du XIXe siècle pour conquérir les territoires africains. Guidés par leurs préjugés racistes, ils ont utilisé des stratagèmes politiques pour écarter la main-d'œuvre locale et exploiter directement le territoire africain. Pendant les années 1940, les puissances européennes ont intensifié leur ingérence dans la vie des Africains dans l'espoir d'augmenter la production; elles ont alors rapidement provoqué des changements socio-économiques qu'elles ne pouvaient maîtriser, ce qui les a conduit à accéder aux demandes d'autonomie gouvernementale des Africains. La brusque fin de l'époque coloniale a été tout aussi perturbatrice que ses débuts.
Les nouveaux dirigeants africains ont accédé au pouvoir remplis d'ambition, mais ils ont été freinés par des gouvernements et des idéologies totalement inadéquats pour faire face aux difficultés. Ces faiblesses sont devenues de plus en plus évidentes à partir des années 1960, et les tentatives pour trouver de meilleures solutions ont été minées par des bouleversements externes : l'ingérence de stratèges américains et soviétiques lors de la guerre froide, les chocs pétroliers, la dette croissante, l'ajustement structurel et l'effondrement du secteur agricole. C'est peut-être dans les années 1980 que le déclin a été le plus profond.
En résumé, l'Afrique est une région troublée non seulement depuis des décennies, mais depuis des siècles. Le continent n'a pas échappé aux nombreux événements de l'histoire moderne, mais il n'en a pas vraiment bénéficié non plus. Il est cependant très important de dépasser ce discours simpliste selon lequel les Africains ne sont que des victimes ou des dominés. Tout d'abord, nous devons nous rappeler que la domination coloniale était sous-financée et incomplète. La plupart des réalisations des puissances coloniales étaient très loin de correspondre aux intentions. Le pouvoir de ces puissances était limité en partie parce que les Africains, de diverses façons et organisés sous différentes formes, se sont constamment efforcés de rester maîtres de leur destinée. Ils ont évidemment résisté aux changements qui leur étaient préjudiciables, mais ils ont fait beaucoup plus. Plusieurs voulaient obtenir le plus de pouvoirs possible dans les processus de modernisation et d'intégration économique en cours. Atteindre ce but, ou même savoir comment s'y prendre, n'était jamais facile, mais cela se traduisait par l'adoption enthousiaste de nouvelles pratiques, l'adaptation de pratiques établies et, assez souvent, la résistance.
Deux choses me viennent à l'esprit lorsque nous parlons des diverses façons dont les Africains ont influencé le cours de leur histoire. La première : les survols généralisés de l'histoire récente de l'Afrique, qui tentent de présenter la version des occidentaux plutôt que celle des Africains, ne suffisent pas à nous faire comprendre ce qui s'est passé ni la situation actuelle. Tous les Africains n'ont pas répondu de la même manière. La deuxième : l'histoire récente de l'Afrique abonde d'exemples, certains plus heureux que d'autres, illustrant les tentatives concrètes et les démarches intellectuelles des Africains pour modeler leurs propres sociétés modernes. Il faudrait en tenir compte et s'en inspirer dans tous les efforts destinés à régler les problèmes auxquels l'Afrique fait face.
Autre question importante : notre compréhension de l'histoire de l'Afrique a pris des tournures particulières, et nous devons nous méfier de certaines interprétations. Nous nous sommes basés sur les écrits d'étrangers, surtout ceux d'Européens de l'ère coloniale, dans lesquels les Africains étaient toujours considérés comme inférieurs. C'est pourquoi l'Afrique a souvent été perçue comme un continent dépassé par l'histoire, incapable d'évoluer sans une aide extérieure.
Depuis des dizaines d'années, les intellectuels et historiens africains tentent de changer cette perception, mais celle-ci continue de nuire à notre façon d'aborder les questions qui ont trait aux Africains. Parfois, on attribue encore la violence populaire, par exemple au Rwanda, à d'anciennes rivalités entre tribus. En fait, même ces soi-disant tribus sont le produit de forces politiques modernes. De plus, les Africains sont souvent traités comme des victimes passives ancrées dans les traditions et qui ont besoin de notre aide pour régler leurs problèmes, lesquels sont souvent inexplicables jusqu'à ce qu'on comprenne dans quelle mesure ils sont inhérents aux forces historiques plus grandes qui nous influencent, nous aussi.
Pour comprendre ce qui s'est passé dans les sociétés africaines, nous devons comprendre leur histoire, et pas seulement à la lumière des bouleversements externes, mais aussi en tenant compte des multiples efforts déployés par les Africains eux-mêmes. Cependant, notre capacité à le faire reste défaillante; nous tentons toujours de sortir du profond fossé qu'a creusé notre refus pas si lointain de croire que les Africains pouvaient écrire leur histoire. Afin de favoriser une approche des problèmes susceptible de souligner les efforts des Africains et de mettre un terme aux préjugés qui perdurent, j'encourage les membres du comité à consulter des experts de différents courants de pensée et, surtout, des spécialistes des affaires africaines bien enracinés sur le continent noir. Il existe aujourd'hui une diaspora dynamique d'experts et d'universitaires africains formés par des Africains, dont plusieurs représentants ont développé des liens avec des institutions canadiennes. Leurs connaissances devraient être mises à profit et leurs points de vue, parfois divergents, mis en valeur.
Le président : Merci.
Monsieur Stapleton, la parole est à vous.
M. Timothy Stapleton, professeur agrégé, département d'histoire, Université Trent : Je vous parlerai surtout de l'Afrique australe, mon domaine de spécialité. J'y ai vécu et j'y retourne à peu près toutes les années. Mon domaine de compétences est surtout axé sur l'Afrique du Sud et le Zimbabwe. Je passerai en revue quelques facteurs historiques et actuels importants que le comité devrait connaître et considérer lors de son étude.
Règle de la minorité blanche et colonialisme ont marqué l'histoire de l'Afrique australe. Le racisme extrême, la ségrégation raciale et la violence étatique étaient la norme. On n'y a pas mis fin il y a de cela des dizaines d'années, mais seulement récemment, et on en voit encore les traces.
Puis a suivi la confiscation des terres. Dans presque tout le sud de l'Afrique, les populations étaient systématiquement forcées d'abandonner leurs terres, lesquelles étaient cédées aux colons exploitants agricoles. Au début du XXe siècle, les régimes mis en place par les colonisateurs, par exemple en Afrique du Sud et en Rhodésie du Sud, ont adopté des lois visant à subventionner et à soutenir l'agriculture commerciale, portant ainsi un dur coup à l'agriculture africaine. Encore une fois, 50 ou 60 ans auparavant, rien n'avait changé. Des gens ont été déplacés de force dans les années 1980 en Afrique du Sud et durant la guerre qui a eu lieu dans les années 1970 au Zimbabwe. C'est donc très récent, voilà pourquoi c'est encore frais l'esprit des populations.
Le système de travail migrant, qui s'est développé en Afrique australe, a surtout profité à l'industrie minière. Il a pu fonctionner grâce aux mécanismes d'imposition et d'aliénation des terres que j'ai mentionnés. Les Africains devaient donner de l'argent à leurs gouvernements, mais n'avaient pas de terres pour faire la culture commerciale qui leur permettrait d'en gagner. Ils ont donc dû aller travailler dans les mines et ont intégré la classe des travailleurs sous- payés, exploités et vulnérables, ce qui a entraîné des cassures sociales, et cetera.
Il y a, en Afrique australe, une longue histoire de lutte pour la libération. La guerre, le nationalisme extrême et l'esprit de lutte sont courants et, malheureusement, dans quelques cas, ils ont mené à des gouvernements post- coloniaux autoritaires. L'état d'esprit qui prévaut est que si vous n'avez pas participé à la lutte, vous ne faites pas partie de la nation et vous n'avez donc pas votre mot à dire en politique, et cetera.
L'héritage de la guerre froide est important. Les gens n'oublient pas qu'en général, les pays occidentaux ont appuyé des gouvernements coloniaux. Les gens sont généralement méfiants envers l'Occident, bien qu'ils veuillent tous avoir le niveau de vie de la classe moyenne occidentale. Nombreuses sont les théories de la conspiration qui ont tendance à tenir l'Occident responsable de tous les problèmes. Quiconque est en conflit avec l'Occident est souvent considéré comme un héros, c'est pourquoi les communistes sont perçus comme de braves gens qui ont fait bonne oeuvre.
Je n'oublierai jamais que lorsque j'étais au Zimbabwe durant la première guerre du Golfe, beaucoup de gens portaient des tee-shirts à l'effigie de Saddam Hussein, même s'il n'y avait aucune présence évidente de l'islam dans la région. Beaucoup croyaient que si Saddam Hussein combattait l'Occident, il devait être bon. Bien entendu, toutes ces choses peuvent être manipulées à des fins politiques. Nous avons pu être témoins de ce phénomène récemment dans quelques cas, particulièrement au Zimbabwe. Il est facile de cataloguer les politiciens de l'opposition comme des gens qui veulent revenir aux jours sombres du colonialisme. La pauvreté extrême est, bien sûr, une réalité inexorable. Le sentiment d'impuissance, le désespoir et la criminalité sont assez courants. Naturellement, tout cela est rattaché à beaucoup d'autres problèmes.
Le dernier point que j'aimerais aborder concerne un sujet dont je voudrais que nous discutions et que le comité prenne en compte. Je veux parler de la pandémie du VIH/sida qui a dévasté l'Afrique australe en touchant son groupe le plus productif. Bien sûr, je ne voudrais pas donner l'impression qu'il s'agit d'un problème ou d'une maladie de pauvres. La plupart des séropositifs sont pauvres, mais c'est parce que la majorité des habitants de cette région sont pauvres. Cette pandémie a également frappé autant les riches que les intellectuels et elle s'est révélée destructrice pour la société. De nombreux professionnels de la santé, enseignants et gens d'affaires ont été emportés par la maladie. La pandémie a empiré à cause de la pauvreté. Assurément, le taux de mortalité pourrait bien s'expliquer par la pauvreté, mais il y a plus. Je m'arrêterai ici.
Le président : Merci.
Monsieur Cooper, veuillez poursuivre.
M. Frederick Cooper, professeur, département d'histoire, Université de New York : Merci, monsieur le président.
Deux points de vue sur les malheurs de l'Afrique s'affrontent. D'un côté, il y a ceux pour qui l'Afrique est victime du colonialisme et, de l'autre, ceux qui croient que l'Afrique est aux prises avec ses propres incapacités culturelles. Permettez-moi plutôt de souligner que ce sont les décideurs africains et européens qui sont ensemble responsables des situations actuelles en Afrique, et il faudra qu'ils trouvent aussi ensemble les solutions. L'Afrique n'est pas un bloc figé, mais un continent en mutation qui interagit avec le reste du monde. Les États coloniaux ont fait face au même dilemme que les rois africains, c'est-à-dire, comment exercer leur suprématie sur les populations locales quand la répartition géographique et la décentralisation ont créé une nouvelle situation? Dans la colonisation, ce qui était facile, c'était la conquête; ce qui était difficile, c'était de maintenir le pouvoir. Les colonisateurs modernes ont fait ce que les créateurs d'empires ont fait il y a longtemps : ils ont assimilé les peuples indigènes en leur donnant des rôles de subordonnés au sein des empires, de sorte que la confiance qu'ils avaient dans les chefs exacerbait le caractère ethnique. C'est de là, d'ailleurs, que viennent beaucoup de clivages ethniques.
Sur le plan économique, l'Afrique coloniale est devenue une mosaïque de zones agricoles, de colonies de Blancs, de villes minières, toutes entourées par de plus grandes régions où l'on pouvait puiser temporairement de la main-d'œuvre, mais où les États n'avaient ni la volonté ni le pouvoir d'entreprendre des changements systématiques.
Les régimes coloniaux pouvaient contrôler des villes portuaires, créer des axes de communication étroits et percevoir des taxes à l'importation et à l'exportation. Des experts colonialistes ont proposé des programmes de développement plus ambitieux au cours des années 1920, mais les gouvernements français et britannique ont refusé de financer ces projets parce qu'ils ne voulaient pas dépenser l'argent des contribuables métropolitains dans les colonies ni compromettre les accords fragiles conclus avec des chefs africains. De là sont nés ce que l'on appelle les États gardiens, capables de gérer les échanges entre le territoire colonial et le marché international et d'en profiter, mais limités dans leur capacité à contrôler et à transformer les espaces intérieurs.
La plupart des Africains avaient tout à fait raison de se distancier de l'économie coloniale. À la fin des années 1930, à la suite d'une multitude de grèves et d'émeutes urbaines, les Britanniques ont pris une nouvelle initiative : ils ont adopté la Colonial Development and Welfare Act en 1940. Les Français ont fait de même en 1946.
Vers 1955, la France et la Grande-Bretagne, prises entre des mouvements anti-coloniaux radicaux, des revendications de leurs citoyens et sujets pour assurer l'égalité au sein de l'empire, ont commencé à songer au bien- fondé du colonialisme. Des débats sur un colonialisme renouvelé ont aidé à convaincre les dirigeants coloniaux que bon nombre d'Africains croyaient à la modernisation et souhaitaient garder des liens avec les anciennes puissances coloniales. La décolonisation est alors devenue envisageable.
Ce processus a transformé le développement colonial en projets de développement nationaux. La première génération de dirigeants africains a été confrontée au pouvoir de revendication des citoyens de leur pays, qu'ils soient travailleurs, étudiants ou fermiers. Deux politiciens africains qui ont mobilisé leur population et éveillé leur intérêt, Kwame Nkrumah, du Ghana, et Sékou Touré, de la Guinée, ont été les premiers à imposer des mesures draconiennes contre les organisations de travailleurs et de fermiers aussitôt qu'ils ont accédé au pouvoir. Ils sont ensuite devenus de plus en plus autocratiques.
Pour le dirigeant d'un nouvel État, le dilemme est compréhensible. Le nationalisme né de la lutte pour l'indépendance était modéré. Ce dirigeant avait raison de craindre d'autres politiciens ou des entrepreneurs indépendants. Chez les citoyens, l'insécurité a mené à une stratégie que les économistes appellent « système D ». Différents membres d'une famille passaient de l'une à l'autre des activités suivantes : agriculture locale, travail peu rémunéré dans les villes, maintien de réseaux sociaux dans les villages et établissement de relations de clients avec les dignitaires municipaux. Cela ne reflète pas une culture archaïque où la collectivité prime sur l'individu, mais plutôt des efforts déployés pour préserver une série de liens sociaux.
Les coups d'État qui ont commencé dans les années 1960 laissent à penser que les dirigeants n'étaient pas paranoïaques. L'instabilité était caractéristique de l'État « gardien ». Puisque les gens disposaient d'options pour s'enrichir, le jeu en valait la chandelle.
Cela étant dit, les différences sont grandes, et ce serait une erreur de penser que le Congo des années 1960 et le Soudan d'aujourd'hui sont représentatifs du continent tout entier. Dans les années 1960 et 1970, le Kenya et la Côte d'Ivoire ont réussi à maintenir le cap assez bien. L'Afrique du Sud est le meilleur exemple d'une économie suffisamment complexe pour éviter de devenir un État « gardien ». À l'opposé, certains dirigeants sont incapables de gouverner un quelconque État, comme c'est le cas en Somalie.
Étant donné que les États « gardiens » avaient des faiblesses, le développement de 1940 à 1970 a été une réussite : les taux de croissance annuels moyens des revenus par habitant ont augmenté de 2,4 p. 100 entre 1950 et 1975, le pourcentage des enfants inscrits à l'école primaire a doublé et l'espérance de vie est passée de 40 ans à 52 ans. Certains pays ont fait pire que d'autres, mais l'image négative générale que nous avons des économies africaines reflète surtout les années 1970 et les années 1980 et ne tient pas compte des progrès de développement de la fin de la période coloniale et du début de la période d'indépendance.
L'incapacité des États africains de minimiser leur vulnérabilité face à l'économie mondiale leur a coûté cher, surtout lors des chocs pétroliers et de la récession mondiale des années 1970. Le remède prescrit par les institutions financières internationales n'a pas réussi à guérir le patient. Peu importe les mérites des plans d'ajustement structurel, les compressions budgétaires ont entraîné une érosion des acquis en matière d'éducation et de santé.
Sur le plan politique, les contrecoups étaient pires. Les jeunes mouvements démocratiques des années 1990 n'avaient pas les ressources nécessaires pour démontrer qu'un gouvernement honnête pourrait satisfaire le citoyen moyen.
Le développement est de nouveau à l'ordre du jour international. Face à l'avenir, il est important de se rappeler à la fois des difficultés qu'ont connu les Africains au cours de leur histoire et du fait que les efforts de développement ont parfois amélioré la vie des gens. Sur le plan politique, il ne faut pas oublier le moment où les Africains ont adopté la politique de la citoyenneté.
Dans les années 1940 et 1950, des mouvements politiques et sociaux ont transformé le besoin de légitimité des puissances impériales en revendications en matière d'égalité, de salaires, d'éducation, de services publics et de politique. Dans les années 1990, les mouvements démocratiques se sont élevés contre les dictateurs du Nigeria, de la Zambie et du Kenya. Pendant des décennies, un mouvement, essentiellement, a lutté contre l'apartheid en Afrique du Sud.
Tous ces mouvements combinaient l'activisme africain et le soutien étranger. Inversement, la résistance de Mobutu au Zaïre ne peut s'expliquer que par la façon dont ce dirigeant a su allier favoritisme et répression dans son pays, tout en bénéficiant de l'appui de l'étranger.
Est-ce que la mise en œuvre complète d'un effort de développement international pourra sortir l'Afrique des clivages ethniques et la mettre sur la voie de l'intégration économique? Cela ne peut se produire que si l'on tient compte de la spécificité complexe et variée des sociétés africaines et de leurs relations changeantes avec le reste du monde.
En conclusion, je tiens à souligner qu'il n'est pas seulement question de mesures spécifiques, mais de savoir comment nous concevons l'avenir à la lumière du passé. Premièrement, si nous voulons être réalistes, nous avons besoin de connaissances et de contexte pour comprendre les contraintes sous lesquelles les dirigeants et les gens ordinaires agissent, et leur besoin de sécurité. Nous ne devons pas nous laisser aveugler par une image unique de l'Afrique lors de l'analyse des problèmes et des trajectoires spécifiques.
Deuxièmement, nous devons accepter que l'État « gardien » n'est ni un fléau africain ni une imposition européenne, mais une création à la fois européenne, africaine et américaine. Nous ne devons pas être critiques uniquement à l'endroit des États africains, mais aussi envers les institutions qui sous-tendent l'économie mondiale.
Enfin, à l'époque des mouvements anti-esclavagistes et anti-coloniaux, l'efficacité de l'action politique dépendait de l'intérêt que suscitaient les préoccupations des gens du pays à l'étranger. Les changements politiques ne viennent pas simplement de bienfaiteurs étrangers ou de collectivités locales authentiques. L'histoire nous montre clairement que la possibilité de changer des structures puissantes n'est pas entièrement utopique.
Le président : Cela fait un mois que je discute de la question avec le personnel de recherche. L'Afrique est un continent très vaste. J'ai passé une grande partie de ma jeunesse dans de nombreuses régions d'Afrique. M. Zachernuk nous a parlé de l'Afrique dans son ensemble, et M. Stapleton s'est concentré sur l'Afrique australe qu'il connaît bien. Vous avez fait des observations importantes et intéressantes, notamment à propos de la fin de la période coloniale. Il y avait une époque où les choses ne semblaient pas aller si mal. La période coloniale n'était pas partout pareille. Elle a duré longtemps et il y a eu des changements.
L'Afrique est immense. Le continent s'étend de l'océan Atlantique à l'océan Indien et de la mer Méditerranée à l'Atlantique Sud, bien qu'ici nous nous intéressions généralement à ce qui se passe au sud du Sahara. Divisez-vous le contient dans votre esprit? Pour ma part, j'ai tendance à faire certaines divisions. Par exemple, je traite l'Afrique occidentale séparément, et c'est probablement parce qu'il n'y a eu aucun mouvement colonisateur dans l'Ouest.
Comme l'a dit M. Stapleton, l'Afrique australe — principalement l'Afrique du Sud et l'Afrique centrale — a une histoire très longue et complexe, très différente de celle de l'Afrique occidentale. Je ne commencerai même pas à parler du Congo et de l'Afrique orientale.
Pouvez-vous nous présenter une analyse plus facile à assimiler pour le comité? J'estime qu'il est difficile de considérer l'Afrique comme un tout en raison de l'énorme complexité de ce continent.
Est-ce que quelqu'un voudrait tenter une réponse?
M. Stapleton : J'ajouterais qu'il y a une grande diversité, même au sein des pays africains. L'Afrique du Sud compte 11 langues officielles et plusieurs dialectes. Le Zimbabwe, quant à lui, en a moins. Il reste qu'il y a tout de même beaucoup de diversité au sein de ces pays.
Le président : Nous avons ensuite les régions où les musulmans côtoient les chrétiens et les animistes. Ces divisions revêtent une importance énorme. Est-ce que quelqu'un voudrait se prononcer sur le sujet?
M. Cooper : Pour approfondir le point que vous venez de soulever, examinons une des crises les plus graves à l'heure actuelle : la situation en Côte d'Ivoire. Il ne s'agit pas d'une crise destinée à diviser le pays, mais plutôt à préserver son unité. La richesse de la Côte d'Ivoire et de l'industrie du cacao s'est développée en grande partie grâce à la main- d'œuvre du nord musulman. L'interdépendance entre les propriétaires du sud et les ouvriers du nord a propulsé l'économie ivoirienne au rang des meilleures économies d'Afrique au cours des années 1980. Toutefois, c'est au sein de cette microsociété que les choses se sont détériorées de façon terrible.
Vous pourriez dire la même chose à propos du Rwanda, un pays où les victimes et les bourreaux du génocide partageaient essentiellement la même culture. Par conséquent, la conclusion que je tirerais pour répondre à votre question est que nous devons prendre les régions comme elles sont, et ne pas en parler en termes d'est, d'ouest, de nord et de sud, tout en comprenant ce type de dynamique. Sinon, les gens pourraient se tromper lourdement.
Les événements survenus au Rwanda en 1994 constituent un exemple illustrant à quel point les gens de l'extérieur n'ont rien compris; c'était facile de dire que des tribus africaines « s'affrontaient ». Pourtant, il ne s'agissait pas de tribus, et ces groupes n'étaient pas distincts sur le plan culturel. L'explication de cette confusion était très complexe, et la situation politique à laquelle le monde faisait face en 1994 était encore plus compliquée.
M. Zachernuk : Je ne crois pas qu'il y ait de réponse simple à votre question. Vous devez admettre que nous voyons l'Afrique seulement de l'extérieur. Bien que ça n'ait pas été apparent jusqu'à récemment dans l'histoire, les Africains se percevaient seulement comme des Africains lorsqu'ils étaient à l'extérieur du continent.
N'importe quel type de regroupements que vous voudriez faire ou de frontières intérieures que vous voudriez tracer devrait dépendre de la question que vous posez et du contexte. Parfois, vous pouvez parler de l'Afrique dans son ensemble comme, par exemple, lorsque vous faites référence à des initiatives, des déclarations et des politiques de l'Union africaine. À d'autres moments, vous voudrez peut-être examiner les frontières linguistiques ou les différents types d'économie. Vous voudrez peut-être aussi mettre en relief les appartenances religieuses.
Je crois qu'il existe différentes façons de diviser l'Afrique. Tout dépend de ce que vous voulez savoir, de ce que vous recherchez, car une situation donnée ne peut s'appliquer à tout le continent.
Le président : Nous nous limitons à ce qui est énoncé dans notre mandat. Les problèmes de développement et de sécurité préoccupent la communauté internationale. Nous devons y voir clair. Lorsque les tenants du développement parlent de l'Afrique, selon moi, ils font état du chaos qui y règne. Cela n'a rien arrangé. Je sais aussi que des religieux fomentent les divisions. Nous devons également savoir quels pays étaient colonisés et lesquels ne l'étaient pas. Tout cela est clair dans mon esprit. Je ne crois pas que vous m'ayez réellement aidé.
M. Stapleton : Dit simplement, vous devez comprendre que beaucoup de pays d'Afrique ont certains problèmes communs. Et puis, il y a beaucoup de régions très particulières, qui parfois couvrent un seul pays et parfois plusieurs. Certaines zones sont aux prises avec des difficultés spécifiques. Il faut être souple.
Le président : Vous avez bien raison et nous essayons de l'être.
Le sénateur Grafstein : Je crois que le président a tenté de formuler une question que la plupart des membres du comité se posent, tout comme vous, et qui est la suivante : Comment nous informer pour être en mesure de bien conseiller le gouvernement canadien, ce qui est notre devoir, en matière de politique étrangère?
Historiquement, nous avons élaboré notre politique étrangère de deux façons. Notre mandat l'a élargie. Celui-ci porte sur les aspects politiques des relations étrangères et du commerce international. Ce comité est expert en matière de commerce. Il y a ensuite un nouvel élément, concernant la sécurité, qui se traduit par la responsabilité de protéger un ensemble de nouvelles notions de politique étrangère qui n'ont pas encore été pleinement développées.
Ce qui caractérisait notre politique étrangère traditionnelle, c'étaient les aspects politiques en matière de diplomatie et de commerce international.
Je pourrais vous être utile dans cette analyse. Nous ne disposons pas d'énormément de temps. Nous devons faire des choix et décider de l'attention que nous accorderons aux questions qui peuvent nous sembler les plus pertinentes, c'est- à-dire celles qui servent les intérêts du Canada. Il s'agit là de notre principale préoccupation — du moins c'est la mienne.
Permettez-moi de vous proposer trois façons différentes de voir l'Afrique. Je veux séparer l'Afrique du bassin méditerranéen. Je crois qu'il y a une dynamique tout à fait différente en Afrique subsaharienne. Occupons-nous du sud, de l'ouest et de l'est, mais laissons de côté le nord.
La première façon de procéder est d'examiner les États prospères — et il y a eu des réussites — qui cherchent à transformer leur société pour relever le niveau de vie. Mais quelles sont ces réussites?
La deuxième façon de faire est de déterminer quels sont les avantages comparatifs naturels sur le plan économique qu'ont les différents États avec lesquels nous faisons affaire. Nous savons que bon nombre de pays africains ont beaucoup de ressources et de terres agricoles. Qu'en est-il de notre commerce et de nos perspectives d'investissement dans ces pays?
La troisième façon d'aborder le sujet est sous l'angle de la politique de l'espoir ou de la politique du désespoir. Laquelle des deux prévaut? Il s'agit là d'une toute autre question.
Voilà trois exemples, et il y en a d'autres. Nous essayons de voir à travers un prisme afin de canaliser nos activités et d'informer notre gouvernement.
M. Zachernuk : Ces questions sont davantage d'ordre contemporain qu'historique. En ce qui a trait à la politique de l'espoir, nous pourrions, bien entendu, donner l'exemple de l'Afrique du Sud de 1994 à nos jours; pour ce qui est de la politique du désespoir, nous pourrions aussi donner l'exemple de l'Afrique du Sud depuis 1994, à cause de la pandémie du VIH/sida qui sévit dans ce pays.
Au lieu d'essayer de dresser une liste impromptue des façons dont on pourrait caractériser les États, je préférerais revenir à une question que le professeur Cooper a soulevée. Les choses peuvent changer. La Côte d'Ivoire a connu des périodes plus faciles que d'autres, tout comme le Kenya, qui était très prometteur, mais qui, aujourd'hui, ne l'est plus. On ne peut se fier à des modèles historiques. Nous sommes face à des conditions modernes.
Cela étant dit, les ressources, à certains endroits, comme les minéraux trouvés en Afrique du Sud, ont été à la fois une bénédiction et une malédiction pour les gens qui étaient là avant l'arrivée des mineurs blancs.
On peut voir que la partie sud du continent est capable d'assumer d'énormes investissements industriels, ce qui est impossible en Afrique occidentale. Ce qui se fait est étroitement lié aux phases d'ascension et de déclin. Comme je l'ai mentionné, mon expertise ne me permet pas de dresser immédiatement une liste des États que je peux insérer dans cette catégorie pour 2005.
M. Stapleton : Quant aux États prospères d'Afrique australe, je ferais mention du Botswana. Je le répète, certains ont eu du succès et d'autres pas. Toutefois, dans l'ensemble, je dirais que ce pays a mieux réussi que la plupart des autres. Ce succès repose sur l'industrie des diamants. Sans cela, il n'y aurait rien. Ce pays redeviendrait insignifiant comme il l'était avant l'extraction des diamants.
Il est intéressant de noter qu'alors que les diamants ont accompli un miracle économique au Bostwana, dirait-on, dans d'autres régions d'Afrique, ça n'a été que malheur. On parle de la « malédiction des ressources » en Afrique parce que lorsqu'un État en débâcle dispose de ressources naturelles de grande valeur, certains y voient des occasions de s'enrichir en faisant usage de la violence, et cetera.
Le Botswana a réussi parce que c'était un État très fort, comme la plupart des pays d'Afrique australe, ce qui n'est pas le cas pour d'autres États ailleurs en Afrique. Cela peut parfois être un avantage et parfois un inconvénient.
Il m'est difficile de répondre à votre seconde question, qui traite des avantages comparatifs de ces États. Je crois que j'ai effleuré le sujet. Comme l'a dit le professeur Zachernuk, l'Afrique du Sud est à la fois une réussite et un échec.
Quant à la politique de l'espoir versus celle du désespoir, c'est partout pareil. Si vous appartenez à l'élite du Botswana, vous avez de l'espoir, mais si vous faites partie des 25 à 30 p. 100 de gens séropositifs, alors vous serez peut- être désespéré. Le Botswana a pu se payer des médicaments antiviraux.
M. Cooper : Les trois volets de votre intervention nous forcent à aborder les questions centrales. Pourquoi les pays qui ont un avantage comparatif sur le plan géologique — comme le Congo (Zaïre) avec ses minéraux et le Niger et l'Angola avec leur pétrole — ont tant de problèmes? Pourquoi un pays comme le Sénégal, qui a trois fois rien, a-t-il un régime politique stable? Nous nous devons de réfléchir à ces questions.
Cela rejoint ce qu'a dit M. Stapleton à propos du Botswana. Les diamants sont une bonne chose pour ce pays parce que ses institutions étatiques de base fonctionnent, ce qui n'est pas le cas pour la Sierra Leone et l'Angola. C'est ce à quoi nous devrions réfléchir, soit à la manière dont un pays peut soutenir les structures gouvernementales de base qui fournissent des services à la population, comme en matière d'éducation, de santé et de sécurité. C'est peut-être ce qui fait toute la différence.
Quand les ressources sont disponibles, la tentation est très grande de les distribuer à des clients plutôt que de les répartir selon un autre principe. Si nous réfléchissons d'un point de vue politique aux positions extrêmes prises par des États pour contrôler leurs frontières et garder jalousement leur capacité à exporter les ressources et ainsi participer à l'économie mondiale, nous pourrons alors poser les questions importantes auxquelles s'intéressent les membres du comité.
Le sénateur Di Nino : Vous avez probablement le sentiment que nous ne savons pas très bien comment nous acquitter de cette tâche énorme que nous avons entreprise. Je ne fais pas exception. Moi aussi, j'essaie de déterminer par quoi nous devrions commencer.
J'emprunterai un chemin différent du vôtre en me référant à notre mandat. Une de nos préoccupations est la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de ce continent. Comment le monde a-t-il répondu aux demandes de l'Afrique? Vos réponses à cette question nous mèneront peut-être à nous concentrer sur certains points pendant les prochains mois. Quelqu'un pourrait-il s'attaquer à cette question d'ordre général?
M. Zachernuk : Une partie de la réponse concernant l'Afrique — quelque chose que nous préférons oublier, mais qui ne l'est pas — se trouve dans les manifestations du racisme. Le refus absolu de reconnaître l'humanité même des Africains, attitude pas si lointaine dans le contexte de l'Afrique du Sud où elle a perduré jusqu'à la fin du XXe siècle, met du temps à s'effacer.
Même si nous, nous pensons avoir fait face au problème et l'avoir réglé, les Africains, eux, ont un autre point de vue. L'aide humanitaire récente envoyée aux victimes du tsunami, comparée à l'absence d'aide pour lutter contre la pandémie du VIH/sida, est perçue par mes étudiants africains comme un déni profondément ancré de la situation ou un refus de faire face à la réalité de l'Afrique, ce qui est considéré comme une manifestation de racisme. On préfère renoncer; ce n'est pas important. On ne peut résoudre le problème puisqu'on ne s'en préoccupe pas. Voilà une attitude qui doit être combattue de front. On a l'impression que le problème est permanent. Plusieurs éminents universitaires demandent que l'Occident dédommage l'Afrique pour les tords causés par l'esclavagisme, le colonialisme, et cetera. Tout ceci conforte beaucoup de gens dans leur attitude envers le continent africain dans son ensemble fondée sur le fait que les Africains seraient différents. Il ne faut pas laisser cette question de côté comme si elle était réglée.
M. Stapleton : Je suis entièrement d'accord là-dessus. Le monde n'a pas bien réagi face aux crises en Afrique. Les exemples sont innombrables. En 1998-1999, l'intervention massive au Kosovo a dû coûter des milliards de dollars. Au même moment, faisait rage une guerre civile comparable, voire pire, en Sierra Leone. Il n'y a eu aucune réaction; les gens l'ont simplement oubliée.
Cela tient aussi à la façon dont les médias, essentiellement les médias occidentaux — puisque, reconnaissons-le, la plupart des grands médias sont établis dans des pays occidentaux — voient ou ignorent l'Afrique et tendent à considérer normal que l'Afrique soit en crise; ils croient que les Africains sont comme ça. Dans leur couverture des événements, les médias parlent d'actes de sauvagerie et de conflits ethniques majeurs. Mais, parfois, il n'y a aucune couverture médiatique, et les Canadiens ne savent alors même pas ce qui se passe.
Je terminerai en donnant un autre exemple. Nous venons de souligner le 60e anniversaire de la libération d'Auschwitz, un chapitre de l'histoire d'une horreur indescriptible. Le gouvernement allemand a participé à ces cérémonies, et je pense que son président est demeuré silencieux pendant la commémoration à cause de la responsabilité de son pays dans ces événements. L'Allemagne a aussi été impliquée dans le génocide du sud-ouest africain, en Namibie, entre 1904 et 1907. C'était bel et bien un génocide. Il y avait, entre autres, des preuves documentaires d'officiers allemands qui avaient ordonné à leurs soldats d'éliminer les Herero et les Namas. Or, le gouvernement allemand a récemment refusé de présenter des excuses. Il y a clairement deux poids et deux mesures.
M. Cooper : Je tiens à insister sur l'idée que mes collègues ont développée, soit la nécessité de lutter contre la politique du déni — la vision d'une Afrique sans espoir, définie par son appartenance raciale. Ce concept du renoncement et la volonté d'utiliser les réalités africaines sans y faire face occupent une grande place dans les perceptions que l'Afrique a du reste du monde.
Permettez-moi de souligner une autre facette de l'histoire qui montre comment la politique donne lieu à un grand nombre d'interrelations entre l'Afrique, l'Europe, l'Amérique du Nord et d'autres régions du globe, ce qui a en fait eu pour effet de changer les événements et les perceptions dans le monde.
Autrefois, le colonialisme était une réalité banale. Un empire était un empire. On n'y voyait rien d'inhabituel ou de problématique. Le fait que ce ne soit plus vrai aujourd'hui tient à la politique menée pendant de nombreuses décennies. Depuis quelque temps, un peu partout dans le monde, on a une autre vision de l'apartheid en Afrique du Sud. Tout cela s'explique par des mouvements politiques qui ont eu lieu en Afrique et ailleurs sur la planète.
Depuis les années 1940, le concept de l'aide au développement est présent dans les agendas mondiaux. Il est remarquable que le développement soit discuté, débattu et qu'il fasse appel à la conscience et à l'action politique d'instances comme celle-ci. Cependant, les Africains continueront à demander : « Qu'en est-il vraiment? Comment cela va-t-il se concrétiser? Est-ce que ces types de mesures, qu'ils soient d'ordre économique ou moral, seront appliqués avec le même sérieux qu'ils l'ont été ailleurs dans le monde? »
Le sénateur Di Nino : Pourriez-vous me donner votre opinion sur la réponse du Canada en particulier?
M. Cooper : Selon moi, le Canada a mieux fait que les États-Unis pour ce qui est de prendre au sérieux certains dossiers comme celui de l'aide. En effet, l'aide au développement du Canada jouit d'une réputation internationale de qualité, mais mes collègues canadiens peuvent avoir une opinion différente.
M. Zachernuk : Je ne peux répondre à cette question que d'une façon anecdotique, en m'appuyant sur mon expérience personnelle; je ne sais pas si ce sera utile. Je suis toujours accueilli et reconnu comme Canadien plutôt que comme Américain par les Africains.
Le Canada demeure attrayant pour les étudiants africains, mais en ce qui concerne les politiques et la perception générale, je ne peux rien dire.
M. Stapleton : Je me ferai plus critique. Je pense que nous pouvons faire mieux. En effet, le Canada a en général la réputation d'être généreux, bon et moins raciste que d'autres pays occidentaux, mais nous exploitons cette perception à outrance et elle ne se vérifie pas toujours. Il ne faut pas oublier que les Casques bleus canadiens ont battu à mort un Somalien et que le Canada a envoyé un général au Rwanda sans lui fournir une feuille de route adéquate pour diriger sa mission de paix. Notre dossier n'est pas sans taches.
[Français]
Le sénateur Losier-Cool : Merci messieurs. Il est vrai que c'est très complexe. J'étais un des sénateurs qui, pendant plusieurs années, talonnaient le président de ce comité afin que l'on étudie la question de l'Afrique. Aujourd'hui, à la lecture de l'ordre du jour et en étudiant le mandat que le Sénat nous a donné, on constate qu'il s'agit d'une tâche assez difficile.
On vous a demandé des suggestions pour savoir comment encadrer notre étude. Vous nous avez donné des points de vue historiques et politiques sur le sida, et cetera. Je voudrais avoir votre avis sur la façon dont on pourrait intégrer dans notre étude la situation de la femme en Afrique. En effet, on dit souvent que si l'Afrique s'en sort un jour, ce sera grâce aux femmes. Connaissant de nombreuses femmes africaines, je leur fais confiance. Maintenant, j'aimerais avoir votre avis à ce sujet. On parle d'un développement durable et il n'y a pas de développement durable sans les femmes. Alors, comment inclure la femme africaine dans notre étude?
[Traduction]
M. Zachernuk : Je crois que vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que les femmes doivent jouer un rôle important. En tant qu'historien, je voudrais ajouter que l'histoire des femmes des deux derniers siècles n'est pas aussi connue qu'elle le devrait. Elle a été remarquable, remplie de hauts et de bas. Il y a eu des moments où les femmes ont saisi leur chance en ayant recours, par exemple, aux lois coloniales pour défendre efficacement leurs droits contre les changements sociaux qui leur étaient préjudiciables, même si ces droits sont souvent bafoués.
Cela fait bien longtemps que les femmes s'adaptent aux changements pour essayer de régler les problèmes qu'ils amènent. Le rôle des femmes sera important en ce sens. Il faut reconnaître les difficultés du passé, les solutions qui avaient été trouvées et peut-être rejetées par la suite. Aujourd'hui, les femmes peuvent à la fois apprendre et s'inspirer de cet examen dans leur travail. Une vision du passé qui tient compte de la place respective des hommes et des femmes, des gens et des solutions de cette époque ainsi que des souvenirs joue un rôle à cet égard. Heureusement, un ensemble de recherches menées rondement remplit exactement ce mandat, c'est-à-dire écrire l'histoire des luttes de femmes en Afrique contre les régimes coloniaux, les hommes et bien d'autres problèmes. Au moins, les historiens remplissent leur rôle qui est de donner un sens au passé pour construire l'avenir.
M. Stapleton : Je crois qu'il devrait y avoir une séance consacrée à ce sujet. Vous pourriez inviter de nombreuses Africaines expertes dans le domaine.
Pour ma part, je vous dirai qu'il y a beaucoup de stéréotypes de la femme africaine et de sa place dans la société, surtout en Afrique australe. Un de ces stéréotypes est celui de l'Africaine oppressée par une société patriarcale pendant l'époque coloniale, victime des lois définies par les hommes. N'oublions pas que les colonisateurs étaient paternalistes dans leur propre société à forte domination masculine. Ce n'est pas aussi simple, même si certains éléments sont vrais, comme on peut le constater dans le dossier du VIH/sida. L'impossibilité des femmes à affirmer leur sexualité est souvent évoquée au Zimbabwe dans les discussions sur le VIH/sida. Or, ces stéréotypes sont démentis par de nombreuses femmes dynamiques qui essaient de changer les choses.
M. Cooper : Le point de départ est la présence d'activistes et de féministes en Afrique qui attirent l'attention sur l'existence réelle, mais facilement stéréotypée, du sexisme et du patriarcat dans les sociétés locales.
Selon moi, l'approche à éviter est celle des hommes blancs qui sermonnent les hommes noirs sur la façon dont ils traitent les femmes noires. La méthode la plus susceptible de donner des résultats est le dialogue avec les femmes noires, et je crois qu'il y a des possibilités de coopération politique avec les mouvements féministes dans les différents pays africains.
Le sénateur Losier-Cool : Je suis entièrement d'accord avec vous. Rappelons-nous la Kényane qui a remporté le Prix Nobel.
Je voudrais revenir à ce qu'a demandé le sénateur Di Nino à propos de la direction que devrait prendre l'aide canadienne au développement. S'il y a des progrès du côté de la condition féminine, et je sais qu'il y en a beaucoup, une des recommandations de ce comité ne pourrait-elle pas être de mettre l'emphase sur les programmes d'éducation pour les femmes et sur les expériences positives? Est-ce une orientation que le comité devrait prendre?
M. Zachernuk : Il est essentiel de ne pas nous concentrer uniquement sur les femmes, mais plutôt de tourner notre attention vers les efforts locaux et les groupes organisés de toutes sortes sur place. Il est primordial de chercher les solutions africaines déjà à l'oeuvre sur le terrain, d'essayer de les comprendre et de les soutenir plutôt que d'imposer des idées de l'extérieur, inadaptées aux plans des Africains. Les organisations de femmes sont l'exemple parfait de ces groupes qui travaillent à partir de la base et qui méritent de l'aide.
M. Stapleton : C'est devenu la norme pour les ONG de développement et d'autres organismes du genre. Des initiatives comme celle-là existent.
M. Cooper : Je n'ai rien à ajouter.
Le président : Il me semble que ce que nous voulons, et je suis certain que les Africains le veulent aussi, c'est la prospérité. Nous aimerions voir des pays prospères dotés de systèmes sociaux adaptés à leur population.
Nous parlons d'États et d'économies qui s'effondrent. Comme je l'ai dit, l'Afrique est un continent complexe. Il ne correspond pas à l'image que les gens s'en font.
Pour ma part, je me suis penché sur l'agriculture. Comme j'habite le centre-ville de Toronto, qu'est-ce que je peux bien savoir de l'agriculture? En fait, je m'y connais un peu parce que pendant des années je me suis promené dans les régions agricoles pour observer un groupe représentatif de fermiers, de paysans et de propriétaires et pour discuter avec eux. L'autre jour, j'ai assisté à une rencontre à Dar es Salaam où le président de l'Ouganda, M. Museveni, a dit que 86 p. 100 de la population de son pays, qui devrait être immensément riche du point de vue agricole puisqu'il a de bonnes terres, pratique une agriculture de subsistance. Je sais que les chiffres concernant ce type d'agriculture ne doivent pas être très différents de ceux relevés dans de nombreux autres pays.
Si 86 p. 100 des gens pratiquent l'agriculture de subsistance, comment pouvons-nous espérer une amélioration quelconque du niveau de vie des Ougandais tant que ceux-ci n'auront pas accès aux marchés? Je ne suis pas un économiste agricole, mais s'il n'existe pas de structures qui permettent aux petits fermiers de réussir, comment l'Ouganda le pourrait-il?
M. Zachernuk : Je ne suis pas très au fait de l'histoire économique de l'Ouganda, mais je crois que ces chiffres portent sur une période récente. Je suis certain que le pourcentage était plus bas pendant les bonnes années de l'économie ougandaise, soit avant l'arrivée au pouvoir d'Idi Amin. Il y avait certainement des marchés et des mécanismes en place, et les fermiers réussissaient à écouler leurs récoltes sur le marché en Ouganda.
Nous devrions réfléchir aux conditions historiques qui ont conduit à cette situation, plutôt que de penser qu'il s'agit d'un problème ancien qui doit être réglé. À mon avis, nous pourrions trouver dans un passé récent des systèmes meilleurs ou pires au chapitre de la création d'économies de cultures commerciales en Ouganda. Je suis certain que ce qu'a déclaré Museveni est exact pour l'époque contemporaine, mais cela n'a peut-être pas toujours été ainsi.
Le président : J'ai été en Ouganda et au Congo en 1959. Il y avait des colons belges au Kivu, mais pas en Ouganda. Si je me souviens bien, la plupart des Africains pratiquaient une agriculture de subsistance. Je ne connais pas les chiffres, mais je crois qu'ils n'étaient pas très différents de ce qu'ils sont aujourd'hui, exception faite du Kivu où il y avait quelques producteurs de café belges. En outre, il y avait des cultivateurs de thé d'Asie en Ouganda. Le long des routes, on voyait des milliers d'Africains qui pratiquaient l'agriculture de subsistance, tout comme aujourd'hui.
Il me semble qu'en Afrique, à l'image de nombreux endroits du monde, l'économie est fondée sur l'agriculture. S'il n'y a pas de politique agricole, on ne peut espérer une quelconque amélioration.
Qu'en pensez-vous?
M. Stapleton : Oui, les pays africains ont surtout des économies agricoles. Au Zimbabwe, un pourcentage semblable, ou peut-être un peu plus petit, de la population pratique l'agriculture de subsistance.
Vous devez vous souvenir que chez les Mayas, la méthode d'extraction de la richesse pour l'économie d'un État colonial était basée sur un certain type de production agricole — la culture commerciale. À cause des taxes, les Africains ont pratiquement été obligés de passer de diverses formes d'agricultures de subsistance à une sorte d'agriculture capitaliste fondée sur la vente de cultures commerciales, ce qui s'est parfois fait à leur détriment puisqu'il est impossible de se nourrir de coton, par exemple.
La création de monocultures, soit la spécialisation dans certaines cultures, était dangereuse aussi parce qu'en cas d'effondrement du marché mondial du café, par exemple, comme juste avant le génocide rwandais, la région qui le cultivait serait durement touchée. Il faut redéfinir notre rôle dans le développement de l'agriculture africaine, question évidemment centrale.
Au Zimbabwe, il existe un programme de redistribution très critiqué, qui comporte certainement de multiples défauts. En ce moment, un groupe assez important d'agriculteurs qui possèdent chacun des terres de 100 hectares veut faire de l'agriculture commerciale, mais la plupart des liens économiques et de développement avec le Zimbabwe ont été coupés à cause de la façon dont tout cela s'est fait. Or, c'est la situation actuelle. On ne peut retourner en arrière. Les Canadiens devraient peut-être aider les Zimbabwéens à mettre en oeuvre un secteur d'agriculture commerciale plus acceptable pour eux, qui ne serait pas dominé par une très petite élite.
Le président : Y en a-t-il parmi vous qui ne sont pas du tout d'accord avec moi lorsque je dis que sans politique agricole — sujet discuté à l'OMC pendant la ronde de Doha, qui est celle de l'agriculture — permettant aux petits agriculteurs de partout de se développer, d'une certaine manière, il n'y aura pas de hausse du niveau de vie?
M. Cooper : En ce qui concerne l'importance de l'agriculture, vous avez absolument raison. Par contre, pour l'agriculture de subsistance, c'est plus compliqué. Le terme est ambigu : il signifie que les gens essaient de faire quelque chose d'autre, mais qu'ils en sont incapables. De plus, les historiens ont découvert que la mise en marché de produits agricoles se fait depuis très longtemps. Et je ne fais pas seulement allusion à l'ère coloniale, mais à une époque encore plus lointaine. L'idée selon laquelle les Africains cultivent leur terre pour leur propre consommation est en général un mythe. C'était déjà un mythe au XVIIIe siècle.
Le terme « agriculture de subsistance » se définit souvent par opposition à l'agriculture de plantation, que pratiquent les exploitants de grandes plantations de thé, par exemple. D'ailleurs, il y a une grande différence entre ce genre de plantations et la culture du manioc.
Le président : Dont les récoltes sont aussi vendues sur le marché. Je suis d'accord avec vous que le mot « subsistance » peut être mal interprété. J'entends par là qu'ils font des cultures sur de petits lopins de terre et qu'ils écoulent leurs produits dans les marchés.
M. Cooper : En effet, la plupart produisent à petite échelle et font appel à des travailleurs pour les aider. Parfois, ce sont des parents, mais il reste que c'est de la main-d'œuvre.
Voici un exemple de changement agricole qui semble avoir réussi. À la fin des années 1950 et dans les années 1960, les exportations du Kenya ont monté en flèche. À quoi cela tenait-il? Cet essor n'était pas attribuable au vieux secteur des colons blancs, qui s'effondrait, mais aux petits et moyens producteurs africains. À ce moment-là, il y avait des mesures incitatives pour encourager ces agriculteurs à produire pour les marchés. Cela concernait en partie la culture du maïs et des fèves destinée à approvisionner la capitale, mais aussi du café, qui était exporté. La production de ces fermiers augmentait à un rythme de plus en plus rapide. Ils profitaient d'un ensemble de mesures incitatives et d'institutions qui les aidaient. Les mécanismes de commercialisation ont permis ce changement.
D'un côté, cette tendance se poursuit aujourd'hui au Kenya, mais d'un autre, la situation se détériore à cause de politiciens comme l'ancien président Moi, qui voulait essentiellement supprimer tout ce que ses clients ne voulaient pas. Ce qui soulève une question : quelle sorte de structures disposant de mécanismes capables d'intégrer les petits fermiers dans les marchés — puisque nous savons que ceux-ci peuvent le faire et qu'ils y sont déjà parvenu — pouvons-nous appuyer? Nous savons aussi qu'ils ont essayé de ne pas se laisser happer par le marché lorsque celui-ci leur était défavorable.
Comment pouvons-nous faciliter l'intégration? Qu'est-ce qui pourrait les aider à trouver l'équilibre entre la culture pour eux-mêmes — puisqu'ils ont toutes les raisons de ne pas vouloir dépendre du blé du Kansas ou de l'Alberta pour survivre — et la production de quelque chose qui sera acheté par un Canadien ou un Américain, comme le café? Voilà le genre de dynamique à laquelle il faut penser.
Manifestement, cette vision de l'économie a un lien avec la structure du marché mondial, dans lequel les gens des pays comme ceux de l'Amérique du Nord ont des intérêts. Il y a eu beaucoup de discussions — et je crois qu'il doit y en avoir — à propos des subventions agricoles dans les pays riches qui rendent très difficile, pour les fermiers africains, la possibilité de briser l'équilibre bloqué à un niveau anormalement bas dont parlent les économistes. Il y a quelque chose qui relève des politiques des pays comme le vôtre ou le mien.
Nous devons considérer l'influence générale de la structure étatique sur l'économie; un État doit pouvoir fonctionner autrement que par des mécanismes de pillage et de vol. La situation est aussi reliée à l'éducation et à la santé. Pour toutes ces raisons, favoriser la création d'institutions qui travaillent et fonctionnent d'une façon raisonnablement transparente aura des répercussions majeures sur les fermiers.
Le président : Je crois que c'est essentiel, mais comme mon avis importe peu, je vais demander au sénateur Robichaud ce qu'il en pense.
Le sénateur Robichaud : Monsieur Cooper, vous avez mentionné l'éducation. En avons-nous suffisamment tenu compte dans toutes nos interventions? Vous nous avez donné des leçons d'histoire sur l'Afrique en général, mais ne sommes-nous pas allés trop vite lorsque, par exemple, nous avons voulu parler d'économie et de développement avant même d'avoir donné à ces gens les outils nécessaires pour y faire face? Avec un peu d'argent, aurions-nous pu en faire beaucoup plus?
M. Cooper : Les progrès réalisés en éducation au début de la période d'indépendance ont été considérables. Bon nombre de pays ont pu voir leur taux d'alphabétisation doubler en l'espace de 20 ans. Cependant, ces progrès ne tenaient qu'à un fil. En effet, la participation à l'éducation a beaucoup stagné dans les années 80. Ce n'est pas surprenant puisque c'est à cette époque qu'a éclaté la crise économique, que les gouvernements ont dû réduire leurs dépenses pour arriver à un équilibre budgétaire. Dans ce genre de situation, on ne réduit pas les dépenses utiles à la clientèle, mais plutôt les postes budgétaires importants tels que l'éducation.
Ce sont des progrès fragiles, mais je le répète, ils peuvent s'avérer être très importants si l'on s'en tient à l'expérience passée. On a aussi observé une hausse considérable de l'éducation chez les femmes dans bien des parties d'Afrique. Ce sont donc des progrès importants, mais qui restent fragiles.
En fait, lorsque les ressources étaient disponibles, bien des choses ont été réalisées. Les progrès ont été constants, mais pas spectaculaires, tout en étant suffisants pour donner une chance aux gens. Les Africains, particulièrement ceux de ma génération, viennent de milieux très modestes et l'éducation est en péril : elle se fait rare et ainsi, tend à reproduire des classes privilégiées plutôt que de s'ouvrir aux gens de tous les milieux. Il s'agit en réalité de continuer à fournir les ressources, en particulier durant les périodes difficiles. Si le Sénégal compte sur la vente d'arachides pour assurer l'éducation de ses enfants, il ne pourra bientôt plus le faire. Au fil des ans, ce pays a accompli bien des choses, mais il est considérablement limité par ses ressources.
M. Stapleton : Je crois que le Zimbabwe est un bon exemple. Après l'indépendance, en 1980, ce pays a fait de grands progrès dans l'éducation. Grâce aux importants investissements du gouvernement au cours de ces années, les taux d'alphabétisation ont grimpé pour rejoindre certains des taux les plus élevés du continent. Cependant, à cause de la mauvaise situation économique actuelle, en particulier l'hyperinflation — elle a atteint 400 p. 100 durant l'été — le système d'éducation a commencé à se dégrader et aller à l'école coûte toujours plus cher. Les gens sont incapables de payer pour envoyer leurs enfants à l'école. On ne peut avoir un bon système d'éducation sans une situation économique stable.
J'ajouterais que tout ce que le Canada entreprend doit être opportun et durable, comme c'est le cas pour toute action de développement.
M. Zachernuk : L'éducation devrait effectivement être prioritaire.
Monsieur Cooper nous a parlé des progrès observés dans les années 50 et 60, particulièrement dans les colonies et les États bien nantis d'Afrique de l'Ouest, où les taux d'alphabétisation ont doublé et triplé. Les Africains ont tiré bien des leçons de ce qui se produit lorsque les gens sont éduqués, mais qu'ils ne peuvent se trouver un emploi, surtout lorsque les campagnes se vident au profit des villes. Les politiques sur l'éducation ont entraîné, entre autres choses, la migration d'Africains hautement instruits hors du continent, vu qu'ils ne peuvent pas faire le travail de recherche qui les intéresse dans leurs universités. Ils veulent en effet faire de la recherche sur l'Afrique en Afrique, mais doivent s'exiler pour ce faire.
Cependant, tout en reconnaissant qu'il faut se pencher sur l'éducation et la promouvoir, il faut aussi tirer des leçons de ce que l'on a déjà essayé de faire, c'est-à-dire, ce qui s'est passé et ce qui n'a pas fonctionné. Les Africains sont les mieux placés pour savoir ce qui s'est passé lorsque l'éducation était la grande priorité, bien qu'ils n'aient aucune idée de ce qui pourrait se passer si l'alphabétisation des jeunes se généralisait.
Nous devons nous pencher là-dessus et garder en tête les progrès réalisés dans le passé ainsi que leurs résultats, car il est possible de tirer les leçons de l'histoire.
Le sénateur Robichaud : Je suis tout à fait d'accord pour dire que les Africains sont les mieux placés et nous devrions nous assurer qu'ils prennent part au processus plutôt que simplement leur proposer quelque chose qu'on avait de toute façon déjà prévu leur proposer. Si quelque chose ne convient pas, ils doivent en être mis au courant.
Monsieur Cooper, l'avant-dernier paragraphe de votre présentation se lit comme suit :
L'Afrique se fait dicter depuis toujours que faire pour se conformer aux lois du marché mondial; le plus difficile consiste à savoir restructurer les institutions qui constituent le marché mondial pour donner une meilleure chance aux peuples exclus et démunis.
Croyez-vous que nous puissions y arriver?
M. Cooper : Vous connaissez ce sujet beaucoup mieux que moi. Pensez à l'exemple des subventions agricoles versées aux pays d'Europe et d'Amérique du Nord et à l'incapacité des Africains à soutenir la concurrence qui en découle. Est- ce que ça peut changer? En ce qui concerne les agriculteurs Africains, le rapport de forces qui existe s'en trouverait équilibré. Est-ce politiquement viable aux États-Unis, au Canada et dans l'Union européenne?
Le sénateur Robichaud : Si je peux me permettre, monsieur Cooper, nous nous battons depuis longtemps avec les États-Unis et l'Union européenne au sujet des subventions pour la production de céréales et autres produits. Il s'agit d'un problème de taille pour nos agriculteurs. Croyez-vous qu'il soit possible de changer l'attitude des responsables à l'égard des subventions? Le Canada pourrait en tirer profit, tout comme d'autres pays qui ont besoin de tels changements.
M. Cooper : Je suppose que ce serait possible, mais seulement, d'une manière coordonnée, sans quoi, vous vous retrouveriez avec un problème de resquilleurs. Le pays occidental qui ne changerait pas son comportement récupérerait l'avantage destiné à l'Afrique.
Cependant, le fait que la question ait été soulevée avec tant d'énergie sur la scène politique mondiale me laisse espérer que ce soit possible. Les leaders politiques auront beaucoup plus à dire qu'un simple professeur d'histoire de l'Afrique.
Le président : Le cycle des négociations de Doha est censé porter sur ce point. Selon les experts, le processus devrait durer 10 ans.
Le sénateur Robichaud : La question qui se pose est la suivante : est-ce en train de changer?
Le président : C'est justement de cela dont nous discutons ici en ce moment même, et je présume que c'est aussi le sujet des négociations de Doha, à Genève.
[Français]
Le sénateur Prud'homme : Je relis l'objet de notre étude qui concerne les défis en matière de développement. Pour quiconque a relu un peu le document qu'on nous a procuré, cela fait une bonne lecture car le document est très volumineux : il y a 67 chapitres à absorber en trois jours.
J'ai 41 ans de vie politique publique à mon actif. Lorsque j'étais étudiant, dans les années 1950, je m'occupais de ce qui s'appelait le « World University Service of Canada ». Nous nous concentrions beaucoup sur l'Afrique à cette époque. Au cours des années, j'ai remarqué qu'on parlait beaucoup de corruption en Afrique. J'ai lu vos documents et d'autres; on y parle toujours de corruption.
En tant qu'ancien président du comité de la défense nationale à la Chambre des communes, la sécurité m'a toujours intéressé. Est-il possible d'être si corrompu sans qu'il y ait de corrupteurs? J'ai souvent remarqué que les corrupteurs n'habitaient même pas les pays ou le continent où la corruption sévissait. Suis-je dépassé pas les événements? Tout a-t- il soudainement changé et la corruption sévit-elle seulement à l'intérieur?
Il existe des sensibilités, des difficultés et ce racisme toujours présent. J'espère que la sécurité qui amène la stabilité fait partie de notre mandat. Peut-être le temps est-il venu d'avoir une force interafricaine vraiment bien équipée, menée et composée d'Africains, pour assurer la stabilité et la protection et non pas un régime militaire.
Le président : Ils l'ont déjà.
Le sénateur Prud'homme : Oui, mais elle est plus ou moins armée. Le tout est mal organisé, c'est un début. Somment- nous sur la bonne voie? Oui, nous sommes sur la bonne voie.
[Traduction]
J'emploie souvent des expressions imagées et je choisis, après mûre réflexion, le terme « dégoût ». Quand je vois des gens qui sont affamés dans un pays qui possède de meilleures armes que les Forces armées canadiennes, je suis dégoûté. Je sais que ces armes ne sont pas fabriquées en Afrique et je sais aussi qu'elles n'apparaissent pas comme par magie dans tous ces endroits d'Afrique que vous connaissez mieux que moi.
Ceci doit faire partie de notre réflexion. Vous êtes les premiers témoins que nous entendons sur le sujet, et c'est pour moi un honneur de vous rencontrer tous les trois. Je suis heureux d'être sous la présidence du sénateur Stollery, mon ancien collègue de la Chambre des communes.
Qu'avez-vous à dire au sujet de ces deux points : la corruption et les corrupteurs d'une part et d'autre part, les forces armées censées assurer une meilleure stabilité et un plus grand contrôle des armes, c'est-à-dire, vérifier, entre autres, d'où elles proviennent? Cela fait-il partie du problème?
M. Zachernuk : La question de la corruption est l'un de ces clichés à propos de l'Afrique véhiculé par bien des gens afin de balayer le sujet du revers de la main. Je crois que vous avez absolument raison lorsque vous dites qu'il faut un corrupteur. Par exemple, pendant la guerre froide, des candidats ne manquaient pas pour jouer ces rôles; Mobutu au Zaïre, et d'autres, pendant la libération, dans le sud de l'Afrique, en Angola et ainsi de suite.
S'il est vrai que la corruption est un problème endémique en Afrique, et je crois qu'on peut le prouver, il faut en connaître la raison. Est-ce qu'elle fait partie de la culture Africaine? Non. Les Africains en sont-ils la source? Non. C'est le système qui l'est. Il a été analysé sous tous ses angles selon le concept auquel s'est référé le professeur Cooper : l'État gardien. C'est ce que l'on pensait dans les années 60 et 70, lorsque l'État est devenu le seul point de convergence du pouvoir. Quand on se prête au jeu où tout le monde essaie de contrôler l'État, lequel possède des capacités limitées et peu de pouvoirs pour faire changer les choses sur le terrain, au pays, mais qui, en revanche, détient tous les pouvoirs pour influer sur tout ce qui y entre et tout ce qui en sort, c'est le meilleur moyen d'aboutir à la corruption des affaires publiques. Il faut analyser la source historique de la corruption et s'abstenir de dire qu'elle est ancrée dans la culture africaine. Selon moi, la corruption pourrait être éliminée par l'instauration d'une nouvelle forme de pouvoir où la population, et non les États gardiens, aurait prise sur les affaires publiques.
La seule chose que j'ai à dire au sujet des forces de sécurité, c'est que des gens comme Thabo Mbeki et les autres sentent qu'il est maintenant très urgent de promouvoir la nouvelle Union africaine qui remplacerait l'Organisation de l'unité africaine; en effet, les Africains devraient être en mesure d'intervenir sur leur continent sans avoir à se fier à l'intervention de l'extérieur.
Peu importe les incidences stratégiques ou militaires éventuelles, la participation politique et culturelle des Africains est d'une grande importance. Elle fait partie intégrante du programme de l'union africaine et du rêve qu'il inspire et devrait être appuyée. Bien qu'elle soit pour d'autres raisons peu judicieuse, elle mérite d'être prise en compte. C'est en fait une réaction face au sentiment qu'ont les Africains d'être tenus à l'écart de leur histoire, comme je l'ai dit plus haut. C'est un sujet auquel les cercles dirigeants d'Afrique s'intéressent vivement.
M. Stapleton : En ce qui concerne la corruption, je suis d'accord qu'il s'agit d'un cliché, mais c'est aussi la réalité dans bien des régions et c'est un concept dont peuvent se servir les politiciens pour manipuler les gens. Ainsi, au Zimbabwe, il suffit d'accuser ses opposants politiques de corruption pour s'en débarrasser. Pour comprendre la corruption en Afrique, il faut aussi savoir que le régime colonial était foncièrement corrompu et arnaquait les gens. Les gouvernements subséquents ont adopté le même système qu'il faut changer, tout comme la tradition. Je ne crois pas que la culture africaine ou quelque chose du genre puisse l'expliquer, c'est plutôt ce système qui en est la cause.
Je ne cherche pas à tout mettre sur le dos des colonisateurs. Les Africains doivent être responsables et on devient de plus en plus sensibilisé à cet égard.
Parlons des corrupteurs; qui achète, par exemple, les diamants illicites? Les Nations unies se sont déjà penchées sur la question. Il existe un marché mondial des diamants illégaux de la Sierre Leone, de Mbuji-Mayi au Congo et de l'Angola; et ce ne sont pas les Africains qui les achètent. Il existe aussi un marché des espèces en péril ou des parties de ces animaux, par exemple, les parties du gorille, les cornes de rhinocéros et l'ivoire, et ce trafic ne se fait pas habituellement en Afrique même.
L'idée d'une force africaine est encore à l'état embryonnaire, mais elle existe. Le problème, cependant, c'est que la plupart des forces armées africaines n'ont ni l'argent ni les infrastructures voulus pour l'avancer. Les soldats rwandais qui partent, au Darfour, par exemple, doivent utiliser des avions de transport américains ou britanniques étant donné qu'aucun gouvernement africain ne possède de flotte pour aéroporter les compagnies ou bataillons. Je pense aussi que c'est quelque chose qu'il faudrait mettre en place.
Les anciens pays coloniaux qui veulent se faire gardiens de la paix ne sont pas bien reçus. Des parachutistes belges ont été tués au Rwanda. Il suffit de lire le livre de Roméo D'Allaire pour connaître les problèmes auxquels il a été confronté, parce que certains soldats placés sous son commandement faisaient partie de l'armée belge. Comme la Belgique est une ancienne puissance coloniale, ces soldats se sont heurtés à l'hostilité des Rwandais. Les Belges agissaient mal envers les Africains, se montrant racistes et condescendants.
Dans l'éventualité d'une telle force africaine, il ne faut pas oublier que les intérêts des divers gouvernements africains sont différents. Trop longtemps, entre 1998 et 2002, l'Ouganda et le Rwanda ont fait la guerre au Zimbabwe, à l'Angola et à la Namibie à cause du pillage des ressources de la République démocratique du Congo. Personne ne s'est déclaré la guerre, mais tous se sont battus pour l'une ou l'autre des parties.
Nous parlions des armes, juste avant la séance. Des armes ont été introduites en très grand nombre dans certains secteurs, ce qui a accentué les possibilités de destruction. Voilà ce que nous a légué la guerre froide. J'ai été professeur à l'Université de Fort Hare en Afrique du Sud, véritable creuset de la lutte. Des gens célèbres l'ont fréquentée, Nelson Mandela en a été expulsé en 1940 et Robert Mugabe y a étudié. Pendant longtemps, elle a été la seule université ouverte aux Noirs d'Afrique du Sud. Les étudiants ne pensaient qu'à se battre; dans les résidences universitaires, on pouvait se procurer un AK-47 pour 50 rands, ce qui équivaut à environ 10 dollars d'aujourd'hui et 20 d'il y a dix ans. Je ne crois pas que ce soit encore possible, mais cela prouve tout de même que les armes à feu ne manquaient pas.
Je ne dirais pas que les armes à feu sont modernes à l'échelle du continent africain; elles sont particulièrement vieilles et proviennent essentiellement de l'ancien bloc de l'Est, mais les trafiquants d'armes empochent tout de même beaucoup d'argent en vendant ces surplus de la guerre froide; il faut y mettre un terme.
La meilleure façon de maintenir la paix consiste à éliminer les armes; il ne suffit pas de d'arriver à des compromis, il faut récupérer ces armes.
M. Cooper : Je suis tout à fait d'accord avec mon collègue et je tiens à souligner que c'est à cause des structures en place que sévit la corruption et que c'est à cause du trafic d'armes que l'on aboutit à une énorme disparité des ressources; les Africains se rendent bien compte qu'ils sont du mauvais côté de la barrière et sont conscients de ce qui est offert ailleurs. Les différences sont tellement énormes que les possibilités d'opérations douteuses se multiplient. Disposer des ressources d'une autre façon permettrait sans doute de redresser la situation.
Ce que vous avez dit sur les forces de sécurité africaines est intéressant. La CEDEAO est intervenue à Sierra Leone et même si elle s'est butée à quelques problèmes, elle a tout de même permis de montrer que tous ensemble, les Africains peuvent faire des choses qu'un pays seul est incapable d'accomplir. C'est une autre manière de voir les choses.
Le sénateur Losier-Cool : Conseilleriez-vous au comité de se pencher sur la transparence des rapports internationaux? C'est tout de même une façon de déterminer quels pays sont les plus corrompus. Croyez-vous que ce serait utile?
M. Cooper : Ce serait un bon point de départ, mais on peut être corrompu de diverses façons. Quelles sont les véritables interactions? Il faut aborder la question des diamants sous un certain angle. En ce qui concerne l'oléoduc en construction au Tchad, on tente non seulement d'en surveiller de près le déroulement, mais on veut aussi savoir ce qu'il va advenir des revenus que génère le pétrole afin d'assurer que le tout se fasse selon des normes plus internationales. Il faut s'attaquer à ces questions, tout en plaçant les corrupteurs et la corruption dans le même cadre. Comment sortir de ce cercle vicieux?
Le président : Je voudrais ajouter que la corruption qui sévit en Afrique n'est rien d'autre qu'un cliché. Je suis tout juste de retour de mon 24e voyage en Colombie et j'ai passé beaucoup de temps en Amérique du Sud. Je ne donnerai pas d'exemples spécifiques, puisque tous nos propos sont consignés au compte-rendu, mais d'après mon expérience, la corruption découle de la pauvreté. Ceux qui n'ont pas d'argent, qui n'ont rien, deviennent corrompus.
Le sénateur Mahovlich : Dans l'histoire de l'Afrique, les pays ont-ils jamais tenté de s'unir pour former une confédération? Ont-ils jamais tenté de le faire?
M. Stapleton : Il en a été question dans les années 50 et 60. Le concept du panafricanisme remonte au XIXe siècle ou au début du XXe, et peut-être plus haut encore; il a été mis de l'avant par des Afro-américains tels W.E.B. Dubois et Marcus Garvey, lesquels voulaient dénoncer le racisme chez eux, aux États-Unis et en Jamaïque coloniale. Pour eux, retourner en Afrique était une solution à ces problèmes et ils s'en sont fait une idée romantique; pour eux, tous les gens de descendance africaine, les Africains et les Afro-américains devaient s'unir et former les États-Unis d'Afrique.
Ces idées ont mené à la création d'une organisation de l'unité africaine au début des années 60, mais plusieurs facteurs militaient contre elle. Le groupe Monrovia était aussi contre les intérêts acquis de certains États locaux. Je crois que le panafricanisme n'a jamais été pris au sérieux et que trop de facteurs jouaient contre lui.
M. Cooper : On a assisté à une autre tentative en Afrique francophone, plus solide sur le plan institutionnel, juste après la Deuxième Guerre mondiale. Certains des chefs politiques ne voulaient pas d'une indépendance où chaque petit territoire colonial serait devenu un État nation; ils voulaient plutôt voir une Afrique francophone devenir une fédération. C'est dans ce sens que Leopold Senghor, l'un des leaders politiques de ce mouvement, a tenté d'orienter la transition. S'il avait réussi, les choses auraient été plutôt différentes, mais tous les intervenants n'étaient pas du même avis. Ainsi, la France ne voulait pas d'une force aussi puissante et unie et ne pouvait imaginer un tel rassemblement d'États égaux. Elle aurait plutôt souhaité que tous relèvent d'elle.
Outre la France, quelques-uns des leaders des colonies françaises à la tête de mouvements ou de réseaux politiques et ce, parfois même sur leur propre territoire, craignaient qu'une fois englobés dans une fédération, ils ne se fassent couper l'herbe sous le pied. Les territoires plus riches que d'autres n'avaient pas autant d'intérêt à appuyer la fédération. Voilà donc ce qui a joué contre elle.
N'est-il pas intéressant que Senghor ait tenté pendant 15 ans de bâtir les institutions qui auraient permis de créer la fédération? Cet échec fut pour Senghor une des grandes tragédies de sa vie.
Le président : Au nom de tous mes collègues, je vous remercie. Comme je l'ai mentionné, nous n'en sommes qu'au début de notre étude, et nous avons beaucoup de choses à cerner. Si je vous semble décontenancé, c'est que je le suis.
La séance est levée.