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Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 7 - Témoignages du 15 février 2005


OTTAWA, le mardi 15 février 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 17 h 4 pour étudier les défis en matière de développement et de sécurité auxquels fait face l'Afrique, la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de ce continent, et la politique étrangère du Canada envers l'Afrique.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, nous avons le quorum et je déclare la séance ouverte.

Au nom des membres du comité, j'aimerais souhaiter la bienvenue à M. K.Y. Amoako, secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique. M. Amoako est le sixième secrétaire exécutif de cet organisme. Il dirige la représentation régionale des Nations Unies en Afrique avec le rang de secrétaire général adjoint des Nations Unies depuis 1995.

En tant que secrétaire exécutif, M. Amoako s'est fixé comme priorité de lancer et de gérer un processus de réforme de grande envergure visant à transformer la Commission en un centre d'excellence rigoureux, mieux équipé pour fournir des services et des produits de grande qualité en réponse aux besoins complexes des gouvernements et des peuples africains.

Sous sa direction, l'organisation a restructuré son travail au niveau de la recherche et de la promotion des intérêts africains afin de maintenir sa pertinence et de rester un chef de file en ce qui concerne les perspectives de développement de l'Afrique.

Monsieur Amoako, je vous invite à présenter un exposé.

M. K.Y. Amoako, secrétaire exécutif, Commission économique des Nations unies pour l'Afrique, et secrétaire général adjoint des Nations Unies : Monsieur le président, honorables sénateurs, permettez-moi d'abord de vous remercier de m'avoir invité à venir vous rencontrer au moment où vous amorcez les audiences de votre étude sur l'Afrique. L'attention que vous accordez à l'Afrique cette année est un autre signe incontestable de l'engagement du Canada envers le continent africain. Et si 2005 est en train de devenir l'année de l'Afrique, c'est en partie parce que le Canada a placé cette région du monde au cœur de ses priorités il y a deux ans, lors du sommet de Kananaskis. Vos audiences publiques et le rapport final qui en découlera pourraient fort bien donner une nouvelle impulsion à plusieurs initiatives et ainsi stimuler le développement de l'Afrique cette année. Pensons par exemple à la Commission pour l'Afrique créée par le premier ministre Blair, à laquelle j'ai l'honneur de siéger, qui présentera son rapport dans quelques semaines. Nous ferons campagne en faveur de mesures pressantes dans des domaines névralgiques, entre autres, le commerce et la dette.

J'ai cru comprendre que votre comité s'intéressait en particulier aux problèmes de développement et de sécurité, au rôle de la communauté internationale en Afrique et à l'orientation à donner aux politiques et interventions du Canada touchant l'Afrique.

Bien sûr, la sécurité est un enjeu primordial. Et il ne fait aucun doute que les efforts de la communauté internationale liés au règlement des conflits ainsi qu'au maintien et à l'imposition de la paix en Afrique sont valables.

Toutefois, comme vous aurez sûrement l'occasion d'entendre nombre de spécialistes du domaine, je me concentrerai sur un autre secteur vital dans lequel les partenariats internationaux peuvent aussi jouer un rôle important, à savoir la gouvernance.

Je sais pertinemment que pour bien des gens, l'Afrique est un continent où il y a toujours des crises, où la corruption et la désorganisation gouvernementale sont chose courante, où les États frôlent l'échec et où le despotisme est répandu. Nul ne peut nier que ces idées préconçues sont parfois vérifiées depuis l'indépendance, mais la réalité est plus nuancée et souvent plus belle. Toutefois, les perceptions négatives à l'endroit de l'Afrique font souvent ombrage à ce qu'elle a de positif.

En conséquence, la Commission économique pour l'Afrique a décidé, il y a quelques années, d'amorcer une étude sur la gouvernance dans 28 pays, afin d'avoir une image nette de la façon dont l'Afrique se gère.

Le rapport connexe sur la gouvernance en Afrique, qui sera rendu public plus tard au cours de l'année, fournit des données fiables et fait clairement ressortir qu'un bon nombre de pays ont progressé dans des secteurs clés de la gouvernance politique et économique.

La démocratie s'affermit un peu partout; les élections et les systèmes politiques pluralistes sont maintenant la norme dans la majorité des pays étudiés. En outre, il y a plus d'ouverture à l'égard des diverses opinions politiques et la responsabilisation s'est améliorée. Bref, les États de l'Afrique sont de plus en plus capables de se prendre en main.

Par contre, notre rapport montre aussi que les pays d'Afrique ont encore de graves lacunes en matière de capacités institutionnelles et humaines, ce qui pourrait compromettre le meilleur rendement affiché. Six besoins ressortent plus particulièrement. Il faut offrir de la formation et des ressources aux parlementaires afin d'améliorer la qualité et l'efficacité des lois et de la surveillance. Les autorités judiciaires doivent être davantage appuyées et leur indépendance doit être préservée. Sur le plan de la gestion du secteur public, il faut améliorer la transparence et la responsabilisation grâce à des compétences professionnelles et aux technologies d'information et de communication. La prestation des services publics doit être améliorée dans des secteurs vitaux comme l'éducation et la santé. Il faut offrir de meilleures conditions au secteur privé, et les médias doivent devenir plus crédibles et responsables afin de pouvoir jouer leur rôle de défenseur d'intérêts dans la société.

Combler ces lacunes n'est pas une mince tâche, mais les résultats potentiels en valent le coût : plus de transparence, moins de corruption, conditions plus favorables à l'entreprise, politiques plus rationnelles, prestations de meilleurs services et recours à des procédures efficaces et efficientes.

Nous n'avons pas le temps aujourd'hui de parler de tout ce que suppose cette tâche, mais il faut de toute évidence adopter une approche systématique pour corriger ces lacunes. Voilà pourquoi nous estimons qu'il convient d'établir un mécanisme international de financement, par exemple un fonds d'affectation spéciale, à l'appui d'un plan d'action global pour le renforcement des capacités en Afrique.

Mesdames et messieurs, j'ai dit que l'Afrique manque de capacités et que le renforcement de celles-ci en vue d'assurer une meilleure gouvernance s'impose. Si c'était la seule tâche qui nous incombait, elle représenterait déjà tout un défi. Mais si nous ajoutons le problème du VIH-sida, nous voilà confrontés à une véritable crise. Il n'est nullement exagéré d'affirmer que, de nos jours, le sida représente la plus grande menace au développement de l'Afrique.

Habituellement, le VIH-sida est présenté comme un problème à régler dans l'immédiat, ce qui est évidemment le cas. Mais je vous demanderais à vous, les décideurs, d'approfondir votre examen de la situation dans vos délibérations de l'année à venir et de voir cette maladie comme une entrave majeure au développement des capacités.

La Commission sur le VIH-sida et la gouvernance en Afrique, constituée par le secrétaire général Kofi Annan et que je préside, présentera son rapport en juillet. Nous avons mis deux ans à examiner les répercussions possibles de la pandémie, en essayant d'oublier l'épouvantable tragédie du moment présent, pour nous concentrer sur ce qui nous attend dans dix ou quinze ans. Nous devons trouver les moyens d'administrer des traitements qui aideront plus de gens à rester en vie, et ce, le plus longtemps possible.

Partout en Afrique, le VIH-sida gruge systématiquement les ressources humaines essentielles dans tous les secteurs et à tous les niveaux. Sans programmes de traitement complets, les gouvernements verront leurs revenus fiscaux, l'épargne et la productivité décliner, tandis que la demande en services de bien-être social et de santé ne fera que croître.

Par exemple, lorsque les employés deviennent gravement malades et quittent la fonction publique, toutes les connaissances, les compétences et la formation acquises sont perdues. Les contraintes actuelles à la prestation des services prendront de l'ampleur. La productivité et l'efficacité des organismes gouvernementaux, des entreprises privées et de la société civile s'en ressentiront.

L'épidémie compromet aussi l'éducation, la santé et d'autres réalisations en matière de développement des dernières décennies. Comme votre comité s'intéresse également aux questions de sécurité, permettez-moi de vous rappeler que le VIH-sida peut aussi avoir une incidence sur la sécurité nationale. Bien que les recherches à ce sujet ne soient pas encore complètes, il ressort clairement que les conflits sont un terreau favorisant la propagation du virus. Les forces de sécurité elles-mêmes sont vulnérables, car elles connaissent un taux d'infection élevé, comme c'est d'ailleurs le cas dans les secteurs de la santé et de l'éducation. Tous ces éléments auront une incidence sur le développement des capacités et la gouvernance du continent africain.

Honorables sénateurs, j'ai souligné le besoin pressant d'obtenir l'aide financière de la communauté internationale pour assurer une meilleure gouvernance. J'ai également mis en relief la nécessité de garder en vie les personnes atteintes du VIH-sida afin de retarder la perte de personnes qualifiées, de leur expérience et de leur mémoire institutionnelle.

Le Canada a déjà manifesté son engagement envers les mesures prises pour offrir à prix raisonnable des traitements antirétroviraux aux Africains. Les pays de notre continent ont besoin de toute l'aide qu'ils peuvent obtenir pour faire face à la baisse de leurs capacités, que le sida ne fait qu'empirer.

Permettez-moi aussi de vous signaler un domaine où votre appui pourrait être bénéfique, soit l'expansion du secteur privé africain. Une intervention ciblée dans ce secteur pourrait être extrêmement profitable. Nous ne disposons pas du temps nécessaire pour discuter de cette idée aujourd'hui, mais la Commission économique pour l'Afrique sera heureuse de vous fournir des documents de fond à ce sujet.

Mesdames et messieurs, le Canada a été un chef de file au cours des dernières années pour aider l'Afrique à résoudre ses problèmes d'aide, de commerce et de dette. J'espère sincèrement que le Canada continuera de faire preuve de leadership au moment où nous entrons dans une période cruciale.

Le président : Je lisais l'autre jour un article sur un ministre britannique retraité qui est séropositif depuis 17 ans, ce qui ne l'a pas empêché d'être ministre. J'en ai été très surpris. Je n'aurais jamais imaginé une telle situation.

Cela signifie-t-il que le VIH/sida n'entraîne plus la mort à brève échéance si le patient est bien traité?

J'en ai été très étonné.

Est-ce de cela qu'il est question lorsqu'on parle de traitements antirétroviraux? Serait-il possible qu'un grand nombre de personnes atteintes survivent pendant très longtemps si le monde faisait ce qu'il faut?

M. Amoako : Sénateur, vous avez tout à fait raison. Aujourd'hui, l'Afrique compte 25 millions de personnes qui ont contracté le VIH-sida. Déjà, 19 millions d'Africains en sont morts. Cela montre bien que la population africaine est en train de mourir de cette maladie. Pourtant, nous savons aussi qu'il existe des médicaments qui assurent la survie des personnes atteintes. Vous venez de parler de quelqu'un qui est séropositif depuis 17 ans.

Le président : Apparemment, le VIH-sida n'a pas empêché ce ministre britannique d'assumer ses fonctions. Il a déclaré publiquement sa maladie l'autre jour.

M. Amoako : Une personne infectée peut être productive si elle suit un traitement. Malheureusement, un grand nombre d'Africains n'ont aucun traitement. Rares sont les Africains qui ont de quoi s'en procurer un. Et même lorsque les médicaments sont disponibles, les systèmes de santé ne sont pas en mesure d'assurer tous les services nécessaires. Il faut améliorer les traitements pour faire en sorte que les médicaments soient accessibles au plus grand nombre et que les systèmes de santé disposent des capacités nécessaires pour assurer ces services.

Il y a cinq ou six ans, un traitement coûtait de 5 à 6 000 $ par personne et par an. Les prix ont considérablement diminué depuis lors.

Le président : Quel en est le prix actuel?

M. Amoako : Le traitement pour une année coûte environ 200 $, et il peut même coûter moins cher avec des médicaments génériques. Il faudrait cependant améliorer les traitements et permettre aux pays d'Afrique de produire eux-mêmes certains médicaments. Voilà les questions à l'ordre du jour en ce qui concerne les médicaments et les traitements.

Le sénateur Andreychuk : Merci d'être venu nous faire part de vos réflexions. J'espère que nous réussirons à produire un rapport sur la gouvernance en Afrique, car cette information va être très utile.

Vous avez dit que six besoins ressortent dans votre rapport : il faudrait notamment offrir de la formation et des ressources aux parlementaires afin d'améliorer la qualité et l'efficacité des lois.

D'après mon expérience auprès des parlementaires africains, je crois que cette formation existe. Le Canada et de nombreux autres pays ont joué un rôle essentiel pour assurer cette formation. Nous avons des associations, notamment la Francophonie et le Commonwealth, ainsi que des associations bilatérales, qui s'occupent de la formation des parlementaires.

Ce qui, à mon avis, fait défaut, c'est la formation des parlementaires en matière de surveillance. Lorsque le NEPAD a été constitué, nous l'avons tous applaudi comme étant une initiative africaine. Or, un certain nombre de mes collègues africains ignoraient l'existence du NEPAD et n'ont pas compris l'évaluation par les pairs, ni le rôle qu'ils pouvaient jouer à cet égard. Autrement dit, le NEPAD a été constitué par des chefs de gouvernement africains et ne laissait aucune place aux parlementaires.

Lorsque le FMI ou la Banque mondiale négocie un prêt ou un crédit, elle négocie avec les gouvernements. Des parlementaires d'un pays d'Afrique ont déclaré qu'ils avaient été informés par courrier de l'entente conclue avec leur pays. C'était un fait accompli et ils ont dû signer la loi correspondante.

Il me semble que les parlementaires canadiens et africains ont encore bien du chemin à faire ensemble pour renforcer le rôle de surveillant des parlementaires afin de légitimer les parlements dans le cadre de la gouvernance.

M. Amoako : Sénateur, je suis d'accord avec vous. J'ai dit dans mon exposé qu'il fallait renforcer les parlements. Il faut améliorer la qualité et l'efficacité des lois et de la surveillance. La surveillance est une responsabilité très importante.

Dans notre étude sur la gouvernance, nous nous sommes intéressés à la façon dont les citoyens perçoivent le rôle des parlements et leurs limites. Dans les pays les plus démocratiques, les parlementaires s'expriment très librement et demandent des comptes au gouvernement. Cependant, on constate que la responsabilité de surveillance est très faible. Les parlementaires n'ont ni les ressources, ni la formation nécessaires pour approfondir les questions que pose la fonction gouvernementale. Ce sont ces questions qui nous intéressent.

J'ai parlé du NEPAD, vous avez parlé des programmes du FMI. Voilà des domaines auxquels les parlementaires devraient être formés et devraient recevoir les ressources nécessaires pour agir.

En Afrique, à l'heure actuelle, les stratégies de réduction de la pauvreté constituent l'un des principaux moyens d'action des gouvernements. Il est important que les parlements et les parlementaires interviennent davantage dans l'exposé des priorités des gouvernements africains. Je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce point.

Le sénateur Andreychuk : En fait, de nombreux parlements ne disposent pas de ressources autonomes.

M. Amoako : Ils n'ont pas de bibliothèques.

Le sénateur Andreychuk : Ils obtiennent leurs ressources du bureau du président. Comment peuvent-ils exercer un contrôle sur l'exécutif lorsque c'est ce dernier qui leur accorde des ressources ou qui les en prive?

Il faut du temps pour former un parlementaire. Nous avons bien des choses à apprendre, que ce soit par l'expérience du quotidien ou autrement, pour parvenir au poste que nous occupons. En Afrique, j'ai vu la prochaine génération de dirigeants décimée par le sida. Ceux qui auraient pu assumer un rôle de gouvernance ne sont plus là. De surcroît, la population des moins de 15 ans est en forte croissance, ce qui ne fait qu'aggraver le problème des orphelins.

Allez-vous aborder ces sujets dans votre étude? Comment surmonter le déficit de leadership provoqué par les ravages du VIH?

M. Amoako : C'est précisément pour cela que j'ai évoqué la Commission sur le VIH et la gouvernance, que je préside et qui doit présenter son rapport en juillet au secrétaire général des Nations Unies. Des hommes et des femmes de premier plan sur la scène internationale participent à cet exercice, notamment le Dr Peter Piot, qui dirige l'ONUSIDA, M. Richard Feachem, qui dirige le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ainsi que 17 autres commissaires.

Je pense qu'on ne mesure toujours pas parfaitement l'ampleur du problème du VIH-sida, notamment ses conséquences pour le PIB, les finances publiques, l'épargne et les institutions. Dans le secteur de l'éducation, par exemple, on perd des enseignants plus vite qu'on ne parvient à en former.

Certains pays perdent leurs principaux dirigeants qui occupent des ministères clés comme ceux des finances et de la planification. C'est un problème généralisé. Lorsqu'on considère le secteur privé de tous les pays d'Afrique, on commence à prendre conscience des conséquences du problème.

C'est une question à deux volets. Tout d'abord, qu'est-ce que cela signifie à long terme pour les sociétés? Le président de l'ONUSIDA dit qu'on peut vivre de 15 à 17 ans à condition de suivre un bon traitement. Il faut admettre que la crise du VIH-sida ne va pas disparaître avant longtemps, et qu'il faut donc en tenir compte dans notre planification, dans les stratégies de lutte contre la pauvreté et dans tout le reste.

Au Sahel, l'espérance de vie est de 47 ans. Sans le VIH-sida, elle serait de 62 ans. Le VIH/sida frappe ses victimes au printemps de leur âge, en particulier entre 19 et 49 ans, et c'est de ce groupe d'âge qu'est censée venir la génération suivante.

C'est donc dans une meilleure prévention et dans l'éducation qu'il faut chercher la réponse, mais il faut aussi maintenir les gens en vie afin de ne pas perdre leurs compétences, et le rapport que nous préparons abordera toutes ces questions.

Nous essayons également d'identifier des pratiques exemplaires, de voir ce qui donne les meilleurs résultats, pour essayer de faire la même chose ailleurs. En premier lieu, il s'agit de faire en sorte que l'ampleur du problème et ses répercussions soient bien mesurées et comprises par les décisionnaires africains et par nos partenaires gouvernementaux.

Le sénateur Corbin : Comment avez-vous choisi les 28 pays qui font l'objet de votre étude sur la gouvernance? Qui en fait partie, qui en est exclu et pourquoi?

M. Amoako : Nous avons amorcé cette démarche il y a deux ans. Tout d'abord, il a fallu régler les questions de méthodologie. Nous avons constitué une équipe qui a choisi les indicateurs et la méthode. C'est une étude objective et très complète. Nous avons fait des sondages dans 28 pays africains.

Dans chacun de ces pays, nous avons interviewé environ 2 000 personnes. Nous avons fait appel à des experts dans différents domaines et l'étude est très représentative quant aux pays qui ont été choisis. Nous avons retenu des pays de l'Afrique de l'ouest, du centre, du nord et du sud. Notre objectif initial était d'y inclure les 53 pays d'Afrique ou du moins le plus grand nombre d'entre eux. Il s'agissait de la première phase d'entrevues.

Nous avons terminé le travail dans 28 pays. Nous allons bientôt commencer dans 12 autres pays et nous espérons qu'à la fin de l'année prochaine, nous en aurons étudié une quarantaine. Notre objectif est d'inclure le plus grand nombre de pays dans cet exercice.

Le sénateur Corbin : J'ai pris bonne note de ce que vous avez dit sur les préjugés concernant l'Afrique. Vous êtes bien optimiste lorsque vous nous dites que la situation est plus nuancée et qu'elle n'est pas aussi désastreuse que le laissent entendre les médias.

Puis-je me permettre de vous demander si, dans ce premier groupe de 28 pays, vous avez trouvé certaines des situations les plus désastreuses ou les plus encourageantes?

M. Amoako : Sénateur, c'est une étude très complète. Nous avons établi un classement à partir de plusieurs catégories. Nous avons non seulement étudié les pays, mais nous avons fait également une étude comparative. Nous avons trouvé des pays qui se classent très bien dans certains domaines, et d'autres qui sont parmi les derniers. Par exemple, en ce qui concerne les médias et le rôle de l'ordre judiciaire, du moins en ce qui concerne l'idée que s'en font les citoyens et les experts que nous avons interviewés, certains pays réussissent mieux que d'autres. Certains pays obtiennent uniformément de mauvaises notes d'après toute une gamme d'indicateurs.

Le sénateur Di Nino : Monsieur Amoako, nous avons accueilli hier un témoin très intéressant, quelqu'un que vous connaissez certainement, le lieutenant-général Roméo Dallaire. J'aimerais aborder certains sujets dont il nous a parlé, puis je vous soumettrai brièvement une question d'ordre économique.

En réponse à la question que je lui posais, le général Dallaire a semblé très contrarié de voir que les Nations Unies étaient incapables de jouer leur rôle. Nous avons utilisé, je crois, le mot « dysfonctionnelle », à mon initiative plutôt qu'à la sienne, pour décrire la situation.

Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Amoako : L'ONU est une organisation très importante. J'en fais partie depuis dix ans. Avant d'y accéder, j'ai travaillé pour la Banque mondiale pendant une vingtaine d'années, et je connais donc assez bien le monde des organisations internationales.

Depuis plusieurs années, l'ONU essaie systématiquement d'imposer certaines réformes dans son processus budgétaire et dans sa planification. Lorsque le président du comité m'a présenté, il a signalé que je suis un réformateur, que j'essaie d'amener mon organisme au plus haut niveau en matière d'analyse des politiques et de préparation d'un programme de développement pour l'Afrique. Je crois que nous avons réalisé certains progrès.

De mon point de vue, l'organisme que je représente est en net progrès depuis dix ans. On peut le constater dans de nombreux domaines, en particulier dans celui du développement. Les Nations Unies ont fait un effort considérable au niveau des pays pour atteindre un degré plus élevé de cohésion et de cohérence.

Le Programme des Nations Unies pour le développement, ou PNUD, et l'UNICEF s'appliquent à mieux collaborer. Nous avons beaucoup progressé dans certains domaines. Cela étant dit, les Nations Unies, comme nous le savons tous, réunissent au total 198 États membres. Il est parfois très difficile de prendre des décisions et de se mettre d'accord par voie de consensus.

Nous avons récemment connu de terribles scandales, comme dans le programme Pétrole contre nourriture et avec les femmes qui ont été violées par des Casques bleus. C'est dans ce contexte que les projecteurs se braquent actuellement sur les Nations Unies. Comme l'a reconnu le chef de cabinet du secrétaire général, le profil actuel des Nations Unies n'est pas très avantageux, mais leur réaction sous forme d'aide humanitaire aux victimes du tsunami a partiellement contrebalancé l'image qu'elles projettent. On y trouve le bon, la brute et le truand. Tout dépend de l'endroit où on se trouve. Le secrétaire général reconnaît qu'il reste encore bien du travail à faire en matière de réforme.

Le sénateur Di Nino : Le général Dallaire a reconnu qu'il y avait des problèmes, comme il y en a dans toutes les situations normales que nous rencontrons quotidiennement. Il semble considérer que les pays se servent des Nations Unies comme d'un ballon de football politique, sans tenir compte de leur mandat initial. Est-ce aussi votre avis?

M. Amoako : Je ne souhaite pas me prononcer sur ce point.

Le sénateur Di Nino : Le général Dallaire a également affirmé que l'avenir de l'Afrique dépend essentiellement de deux choses : du rôle que joueront les femmes, et de l'éducation des jeunes.

Qu'en pensez-vous?

M. Amoako : Je suis tout à fait d'accord avec lui.

À la Commission économique pour l'Afrique, j'ai essayé d'inscrire la question des femmes à l'ordre du jour. Nous avons créé toute une division de professionnels qui travaillent sur le rapport entre la problématique homme-femme et le développement.

Il y a quelques années, on a axé le quarantième anniversaire de la CEA autour du thème des femmes et du développement économique. Nous avons institué plusieurs indices permettant de mesurer le rendement de la gouvernance africaine du point de vue du progrès vers l'égalité entre les sexes. Nous avons créé un organisme appelé African Gender and Government Index, qui s'efforce de classer les pays africains en fonction de leur réceptivité à la problématique homme-femme.

Je suis moi-même tout à fait convaincu de la nécessité, pour les économistes, de prendre en compte la problématique homme-femme.

Mais il y a d'autres éléments que les économistes et les décisionnaires politiques doivent prendre en compte. Par exemple, il faut veiller à disposer de données distinctes entre les hommes et les femmes, de façon à avoir une meilleure image des conséquences des décisions politiques pour les femmes. Cette question est très importante.

Dans le rapport sur la gouvernance en Afrique, nous avons étudié la problématique homme-femme dans les 28 pays, pour déterminer les pays qui obtiennent de meilleurs résultats en matière de représentation des femmes au gouvernement, au Parlement, dans l'enseignement, et ainsi de suite. Certains pays se placent mieux que d'autres. Il faut veiller à progresser dans cette direction.

En ce qui concerne les jeunes, l'un des sénateurs vient de signaler qu'une très forte proportion de la population africaine correspond à des jeunes de moins de 15 ans. Dans certains pays, ils représentent en moyenne de 45 à 55 p. 100 de la population. Nous avons une population très jeune, et la démographie évolue de telle sorte que la proportion des jeunes est encore appelée à augmenter.

L'éducation pose aujourd'hui un problème important. Il faut relever le défi du chômage des jeunes. Dans certains pays d'Afrique, 40 ou 50 p. 100 des jeunes citadins sont au chômage. Ceux qui ont un emploi sont sous-employés et la création d'emplois n'est jamais assez rapide.

Si l'on prend le cas de l'Égypte, dont je me sers dans nos études aujourd'hui, elle a besoin de créer 600 000 emplois chaque année pour éviter que le chômage ne s'aggrave, ou pour absorber la main-d'oeuvre active.

Je suis pleinement de votre avis : la jeunesse et les femmes sont le futur du continent.

Le sénateur Robichaud : Monsieur, vous avez dit que votre plus grand défi était le VIH-sida. Vous avez mentionné le rapport très détaillé qui montre l'impact du sida sur les gens et les pays.

Dans ce rapport, avez-vous l'intention d'étudier l'efficacité des programmes qui traitent du VIH?

Vous dites que votre plus grand défi est le VIH parce que les gens n'ont pas le temps de devenir productifs ou ne sont productifs que brièvement. Le rapport va-t-il envisager l'éventail de programmes qui sont en place et ensuite se concentrer sur le VIH?

M. Amoako : Nous comptons mesurer l'impact, pour mieux comprendre l'impact à long terme. Nous nous efforçons également de déterminer quelles sont les mesures les plus efficaces à adopter pour faire face au problème, tant sur le plan de l'économie que des institutions. Ce faisant, il est néanmoins nécessaire d'envisager tous les autres aspects : la prévention, le traitement et les soins. Quels sont les programmes qui fonctionnent bien? Quelles leçons avons-nous apprises? Certains pays et certaines interventions ont été plus efficaces que d'autres; comment donner une ampleur accrue à ce type d'interventions?

Nous nous intéressons spécialement au traitement du sida. Les efforts déployés actuellement sont considérables. Il existe un fonds global de lutte contre le sida; il y a l'initiative du président Bush; et la Banque mondiale a des programmes de traitement. Quant à l'Organisation mondiale de la santé, elle a mis sur pied un programme intitulé Trois d'ici 2005 : traiter trois millions de personnes d'ici 2005, c'est-à-dire essentiellement maintenant. La question est donc de savoir comment intensifier et décupler les efforts. Nous nous penchons sur toutes les facettes du problème.

Si j'ai bien compris votre question, sénateur, vous voulez savoir si nous comptons retirer des ressources et des mesures d'autres domaines afin de faire face au problème?

Il ne s'agit pas d'avoir soit une chose soit l'autre, à mon sens. C'est d'ailleurs le plus grand défi en matière de leadership. Si on approfondit la question, on constate que la pauvreté exacerbe le problème du VIH, si bien qu'il faut faire face au problème de pauvreté et au problème d'accès à l'éducation et à la santé, tout en traitant de la pandémie de VIH-sida.

Le VIH a un impact différent sur les hommes et sur les femmes; comme je l'ai dit, il a un visage féminin. Plus de femmes que d'hommes sont infectées. C'est pourquoi la question du sénateur sur la problématique homme-femme est très importante. Il nous faut considérer le tableau dans son ensemble. La réduction de la pauvreté et les liens ne font qu'un tout. Cela dit, le gouvernement doit établir des priorités et créer des liens entre tous ces problèmes.

Le sénateur Robichaud : J'ai encore une question. Et la FAO? Quel est son rôle en Afrique pour améliorer la production alimentaire et développer l'agriculture?

M. Amoako : Eh bien, je pense que c'est une institution importante. Elle dispose d'un réseau qui s'étend dans tous les pays africains. Elle a un mandat axé sur la recherche, l'extension, l'approvisionnement en intrants; elle travaille sur les questions de foresterie. La difficulté pour la FAO est de coordonner ses efforts avec d'autres organisations, avec la Banque mondiale. Car l'agriculture ne concerne pas seulement la FAO. Le secteur agricole des pays africains nécessite une forte impulsion, parce que la majorité de la population pratique l'agriculture. C'est dans l'agriculture qu'il faut créer des emplois; il faut que notre productivité augmente et que nous créions des liens, une bonne part du potentiel d'exportation reposant sur l'agriculture.

Hélas, au cours des 15 ou 20 dernières années, tant les gouvernements africains que leurs partenaires en faveur du développement n'ont pas mis l'accent sur l'agriculture. Dans les années 70, on consacrait beaucoup de ressources à l'agriculture; puis il y a eu un retour de balancier vers le secteur social, vers l'infrastructure. Maintenant, on commence à s'intéresser à nouveau à l'agriculture. La Banque mondiale, par exemple, commence à nouveau à militer fortement dans le domaine de l'agriculture.

La FAO a un rôle clé à jouer dans ce contexte, notamment dans des domaines comme la gestion des ressources en eau, où il existe des programmes d'irrigation à petite échelle. Ce sont des domaines où la FAO peut être particulièrement importante, particulièrement efficace. Remettre l'agriculture au centre du débat sur le développement est une entreprise majeure qui ne dépend pas seulement de la FAO mais de tous les partenaires du développement.

Le sénateur Carney : Monsieur, les défis dont vous parlez sont colossaux. Manifestement, on ne peut traiter de tout dans le cadre de votre témoignage d'une heure devant le comité. Mais il y a un domaine sur lequel vous insistez particulièrement dans votre liste de questions : le rôle que le Canada peut jouer dans le développement du secteur privé en Afrique. Vu le rôle de votre commission économique, j'imagine que c'est un sujet qui vous tient à coeur.

Nous avons conscience des efforts de l'OMC en matière de subventions et de l'impact des tarifs sur vous. Dans ce domaine, nous avons conscience d'une bonne part des problèmes qui existent, vous pouvez y compter. Qu'est-ce que le Canada peut faire d'autre, spécifiquement, pour, comme vous l'avez dit dans votre présentation :

l'expansion du secteur privé africain. Une intervention ciblée dans ce secteur pourrait être extrêmement profitable.

Pourriez-vous développer cette idée, à l'intention des représentants du commerce international qui sont des nôtres aujourd'hui?

M. Amoako : J'ai eu des discussions hier avec le ministre du Développement international et je me suis entretenu aujourd'hui avec le ministre des Finances. Lundi, très tôt le matin, j'ai rencontré des représentants du Conseil canadien pour l'Afrique, un groupe du secteur privé qui s'intéresse à l'Afrique. Nous avons eu un excellent échange d'idées.

En octobre, lors d'une réunion à Addis Ababa, j'ai pu réunir des ministres africains clés, tant dans le domaine des finances et de la planification que dans celui du développement et de la coopération. S'ajoutaient à ces personnes des personnalités en vue du secteur privé, tant de l'Afrique que d'ailleurs, ce qui a permis une discussion de deux jours au sujet du secteur privé.

Pourquoi ai-je pris cette initiative? Parce que je suis persuadé de la nécessité d'accorder une plus grande part au secteur privé, dans le milieu du développement. On parle en ce moment d'atteindre les buts du développement pour le millénaire et de doubler l'aide octroyée. Mais on ne parle jamais du niveau d'investissement requis par le secteur privé pour promouvoir la croissance. Dans le domaine de la croissance, dans celui de la réduction de la pauvreté et dans celui de la création d'emplois, j'estime que le secteur privé est la clé.

Cela étant, comment procéder? Je pense que ce que nous nous efforçons de faire dans le cadre de cette réunion est d'avancer systématiquement. Votre premier ministre a été coprésident ou membre de la commission qui a produit le rapport des Nations Unies sur le secteur privé, si bien qu'on y trouve de nombreuses idées auxquelles nous sommes tous favorables. Ce sont les gouvernements africains eux-mêmes qui devront donner l'impulsion voulue à l'élimination des entraves au développement du secteur privé, en créant une stabilité, un cadre, en relevant le défi de l'infrastructure — toute une gamme de problèmes, y compris la création d'un climat propice à l'investissement.

Lors des réunions d'Addis Ababa, nous nous sommes particulièrement intéressés à la petite et moyenne entreprise pour savoir où créer des emplois, où trouver le meilleur potentiel de croissance et comment l'accroître. Nous avons préparé le document cadre pour les secteurs de la petite et moyenne entreprise en Afrique. Nous ferons part des recommandations formulées dans ce cadre aux deux ministres que j'ai rencontrés, afin de déterminer quelles sont les meilleures modalités de coopération avec le Canada dans ce domaine.

Le sénateur Carney : C'est depuis peu seulement que les femmes jouent un rôle important dans des petites entreprises comme les coopératives ou les magasins, depuis peu de temps qu'elles travaillent ensemble. Les femmes font-elles partie de votre cadre?

M. Amoako : Oui. Sans connaître tous les détails, je peux vous dire que nous avons établi des centres de développement de l'entreprise pour les Africaines et que nous avons deux centres comme projets pilotes. L'un d'eux se trouve en Ouganda. Ce sont des réseaux de femmes entrepreneurs qui sont ensuite en mesure de partager leurs expériences. Nous pouvons les former et les mettre en contact avec Internet, par exemple, afin de leur permettre d'explorer le rôle des femmes dans le secteur de l'entrepreneuriat. Au Ghana, les femmes jouent un rôle clé dans la micro-entreprise. C'est un domaine où le rôle des femmes est très important.

Le sénateur Carney : Nous avons tendance à penser à l'Afrique en bloc, comme on pense à l'Europe ou à l'Asie. Mais nous avons conscience aussi des différences très marquées qui existent entre les divers pays d'Afrique, en matière de gouvernance et de possibilités économiques.

Compte tenu des défis auxquels vous faites face, qu'est-ce que vous offrez au secteur privé, si vous comparez l'Afrique à l'Inde, à l'Asie du Sud-Est ou à la Chine?

Lors de discussions avec des gens du secteur privé, que conviendrait-il de garder à l'esprit, vu la mosaïque de l'Afrique et la nature très diverse des occasions à saisir?

À votre sens, qu'est-ce qui fait défaut au secteur privé?

M. Amoako : L'une de nos conclusions est que la spécificité d'un pays est importante. Il convient d'envisager chaque pays individuellement. On peut s'entendre, au sens large, sur certains facteurs clés quand il faut se préoccuper d'un bout à l'autre de l'échiquier. Mais la gravité des entraves peut différer d'un pays à l'autre.

Le secteur privé n'est pas homogène. Il y a, dans chaque pays africain, différents niveaux, différentes grappes de secteurs de petites et moyennes entreprises. Dans certains cas, on produit pour le marché intérieur; dans d'autres, on vise l'exportation; et n'oublions pas non plus le secteur de la micro-entreprise. Dans chaque cas, les entraves sont diverses et il convient d'en tenir compte lorsqu'on envisage une intervention.

Il existe des entraves générales : notamment l'instabilité du marché; la réduction du déficit budgétaire et le contrôle de l'inflation; et toujours l'accès au crédit. Le secteur de la petite entreprise n'a généralement pas accès à un crédit à long terme. Il y a des services financiers que bien des pays africains ne sont pas en mesure de fournir : prêts bancaires, garanties, et toute la question des droits de propriété. Dans bien des cas, il n'est pas possible d'accepter un terrain en garantie. Il existe aussi toute une série d'entraves bureaucratiques.

Le sénateur Carney : Nous sommes au courant.

M. Amoako : C'est un problème sur lequel il faut se pencher. Il existe une publication annuelle, Doing Business, qui s'efforce de classer les pays. Dans certains pays, il faut cinq jours pour obtenir un permis, dans d'autres, 60. L'élimination des obstacles bureaucratiques est aussi importante que celle des entraves liées à l'infrastructure, problèmes majeurs auxquels doivent faire face tant le secteur de la petite entreprise que les grandes sociétés, notamment dans le secteur de l'exportation.

Il y a d'une part les politiques proprement dites du gouvernement, de l'autre la capacité d'un gouvernement à établir un dialogue, afin que, en matière d'élaboration de politiques, le secteur privé ait son mot à dire ou au moins une idée de ce qui se passe. Il est important d'élaborer des mécanismes permettant au secteur privé de comprendre les politiques. Ce sont là des défis d'ordre général qu'il convient de relever.

Le sénateur Carney : Je suis frappée par la façon dont le témoin a identifié tant de problèmes et de défis que doivent affronter les pays africains — des domaines où nous ne pouvons pas toujours apporter de l'assistance. Savoir que vous envisagez les choses ainsi est intéressant.

M. Amoako : Puis-je me permettre de réagir à ce que vous venez de dire? J'ai mis l'accent sur ce que doivent faire les pays africains, mais c'est aussi une question de partenariat. Même quand on envisage le secteur privé, un gouvernement peut jouer un rôle important; il y a aussi le renforcement des capacités et la formation. Au niveau de l'entreprise, le gouvernement peut jouer un rôle dans le domaine des investissements et de la technologie.

L'Afrique doit prendre l'initiative. Mais cela ne veut pas dire qu'elle puisse se passer d'une stratégie de développement du secteur privé ou du soutien du Canada.

Le sénateur Di Nino : Un témoin a parlé du rapport sur la gouvernance en Afrique publié cette année. J'espère, monsieur le président, que vous lui demanderez de nous en envoyer un exemplaire. Et je n'ai pas pu noter le nom du rapport sur les affaires que vous préparez; vous l'avez mentionné en parlant au sénateur Carney.

M. Amoako : C'est le rapport de la Banque mondiale.

Le sénateur Di Nino : Je pensais au rapport que vous prépariez, en plus du rapport de la Banque mondiale « Doing Business in 2005 : Removing Obstacles to Growth.» Vous aviez parlé, je crois, d'évaluer certaines occasions à saisir. C'est un rapport qui serait utile lors des délibérations du comité.

Pour la visite que nous prévoyons de faire en Afrique plus tard cette année, je vais suggérer, monsieur le président, qu'il serait utile de pouvoir compter sur l'aide de M. Amoako, pour les questions de régions et de géographie.

Le président : Le personnel du comité s'occupe activement de la question et se renseigne pour savoir où nous devrions nous rendre.

Le sénateur Corbin : Il est de notoriété publique que les gouvernements ne font pas grand-chose à moins d'y être poussés par leur électorat. Quant à moi, j'observe les médias depuis des années. Car j'étais autrefois, il y a longtemps, journaliste.

L'absence de nouvelles d'Afrique est l'un des obstacles majeurs à ce que le reste du monde aide le continent. Je ne parle pas là de guerres, mais de nouvelles sur l'Afrique qui s'aide elle-même. Il y a des réseaux qui accordent plus de place au soccer africain qu'à toute autre nouvelle.

Pourrais-je avoir votre sentiment sur ce point?

Il me semble que ce serait là une facette importante d'une opération de relations publiques que vous devriez envisager.

M. Amoako : Je vous remercie, sénateur. C'est effectivement une remarque importante.

J'ai derrière moi un de mes meilleurs experts en matière de média, mon spécialiste et conseiller en communication, qui travaillait autrefois pour la BBC et qui travaille maintenant pour www.ourafrica.com, qui paraîtra bientôt en ligne. Nous croyons fermement à la communication comme outil de développement.

L'un des médias se prononce sans équivoque en faveur d'un soutien à la gouvernance en Afrique. Le rapport complet paraîtra dans deux mois environ. Mais nous avons produit, en octobre, un sommaire que nous nous ferons un plaisir de vous transmettre et qui présente le grandes lignes du rapport. Nous veillerons aussi à ce que vous receviez les deux autres rapports.

L'une des conclusions de mon rapport a trait à la croissance de la société civile, des médias et à l'extraordinaire vitalité des médias dans de nombreux pays d'Afrique, ce qui est une des bonnes nouvelles de notre étude. Au Ghana et au Nigeria, il y a dix ans, existaient seulement une station de radio ou une chaîne de télévision et deux ou trois journaux, tous sous la houlette de l'État. Les choses sont à présent bien différentes, changement que nous avons constaté.

La question que vous avez soulevée porte spécifiquement sur les reportages et sur la façon dont l'Afrique est présentée au reste du monde. C'est un domaine où nous avons encore énormément de chemin à parcourir. Il nous faut former nos journalistes, pour qu'ils produisent un meilleur reportage. La Commission économique pour l'Afrique oeuvre activement dans ce domaine : chaque année, nous faisons venir des reporters africains à nos conférences de presse et nous les initions aux questions du VIH-sida, du développement et de la gouvernance, afin de leur permettre de produire des reportages plus efficaces. Il nous faut assurer un partenariat plus étroit entre les médias africains et les médias internationaux. Le site Web ourafrica.com est un outil de communication puissant.

Plus nous serons en mesure de couvrir nous-mêmes les nouvelles africaines, avec des reportages africains et un accès au système international, plus nous serons en mesure de faire entendre notre message. Il nous faut une voix africaine pour exprimer la perspective africaine; or, elle se fait attendre.

Le sénateur Di Nino : Quand j'étais à Lagos et au Ghana, je me souviens avoir vu les vendeuses du marché contrôler essentiellement les commerçants. Nous n'avons pas parlé des commerçants. La Russie est un autre pays où existent de tels marchés; les personnes qui ont des étals deviennent un jour ou l'autre propriétaires de magasins, puis lancent des entreprises commerciales d'envergure.

Est-ce un phénomène que l'on constate en Afrique de l'Ouest, où les commerçantes jouent un rôle si important et si influent depuis longtemps déjà?

Vont-elles plus loin que leur rôle de commerçantes?

Que deviennent-elles?

M. Amoako : Certaines vont plus loin, mais peut-être pas en nombre suffisant. C'est bien la question sur laquelle porte la discussion : passer au niveau d'une entreprise de petite envergure, puis à celui d'une entreprise de taille moyenne. Il faut que les maillons de la chaîne soient présents pour que les gens puissent effectuer ces passages.

J'ai parlé des droits de propriété et de l'élimination des contraintes financières, ainsi que du besoin en formation et en éducation. Hélas, les choses ne vont pas assez vite et il nous faut multiplier les efforts dans ces domaines si l'on veut donner au secteur privé et aux Africaines en général la possibilité de réaliser pleinement leur potentiel.

Le président : Monsieur Amoako, au nom du comité, je vous remercie de votre témoignage.

Madame Wood, bienvenue parmi nous. Voulez-vous commencer?

Mme Alexandra Wood, directrice adjointe et déléguée commerciale, Direction du financement international, Section d'appui aux affaires, Commerce international Canada : J'espère que vous avez reçu les dossiers que nous avons préparés pour vous; ils sont disponibles dans les deux langues officielles.

Dans ma présentation, je parlerai de la participation du secteur privé canadien en Afrique, avec le soutien du financement des institutions financières internationales ou IFI, et m'attacherai particulièrement au commerce et à l'investissement du Canada en Afrique.

Lorsque nous nous sommes renseignés sur notre commerce avec l'Afrique, nous avons constaté que nous avions une balance commerciale déficitaire, attribuable en bonne part à nos importations de pétrole d'Afrique. Je ne vais pas m'attarder sur la question, car je n'arriverai jamais au bout de ma présentation.

Le président : Il s'agit essentiellement de pétrole, n'est-ce pas?

Mme Wood : C'est exact. À l'exportation, nos principaux marchés sont l'Algérie, l'Afrique du Sud, le Maroc et la Tunisie, dans toute une gamme de secteurs. Nous avons un surplus commercial pour nos transactions de services; c'est là que réside notre force. Il est possible que certains des services étayent nos investissements directs. Nous avons plus de 2,4 milliards d'investissements en Afrique, notamment en Afrique du Sud et au Ghana. Je n'ai pas les détails des chiffres, une bonne part de ces transactions étant confidentielles.

Cela m'amène à un rapport provisoire publié par la Commission pour l'Afrique du Royaume-Uni, qui explique que, si le commerce africain est à la traîne du commerce dans le reste du monde, ce n'est pas à cause d'obstacles au commerce proprement dits, mais plutôt à cause de facteurs liés à l'offre, dont des problèmes de gouvernance, un climat peu propice à l'investissement, ainsi que la nécessité de développer les compétences et l'infrastructure. Les problèmes mentionnés dans ce rapport m'amènent à parler à présent du financement des institutions financières internationales.

Le financement des IFI joue un rôle clé : avancer des fonds et consentir des prêts aux gouvernements pour leur permettre de faire toutes sortes de choses. Veuillez regarder l'Annexe A, dans le dossier que nous vous avons remis. Vous y trouverez un graphique montrant que la Banque mondiale est le plus gros prêteur en Afrique, à hauteur de 4,2 milliards de dollars américains. Elle est suivie par la Banque africaine de développement, qui a prêté 2,2 milliards de dollars américains la même année. Ce sont deux institutions dont les prêts financent en priorité des améliorations de l'infrastructure, une réduction de la pauvreté, le développement humain et le développement durable.

Nous avons inclus des fiches d'information de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement qui montrent aux entreprises canadiennes comment se renseigner en matière d'approvisionnement. Vous pouvez constater la place qu'occupe l'Afrique dans leur portefeuille de prêts : environ 20 p. 100 dans le cas de la Banque mondiale.

Il existe d'autres sources d'approvisionnement en Afrique, une bonne part des projets en question étant cofinancés par des organismes tels que l'ACDI ou son équivalent britannique, le DFID. Les entreprises canadiennes peuvent de plus en plus avoir accès à ces sources de financement.

Comme certains d'entre vous le savent sans doute, en 2001, le Comité d'aide au développement de l'OCDE a recommandé l'élimination des conditions liées à l'assistance aux pays moins développés. Nous avons ainsi l'exemple d'entreprises canadiennes ayant obtenu des contrats financés, par exemple, par le DFID. Vous trouverez à l'Annexe A une fiche d'information sur le Department for International Development.

Le président : Excusez-moi, madame.

Le sénateur Corbin : Madame Wood, veuillez avoir l'obligeance d'éviter d'employer des sigles avec lesquels nous ne sommes pas familiers.

Mme Wood : Le Department for International Development ou DFID et la Bilateral Development Agency relèvent tous deux du Royaume-Uni. Comme vous le constaterez, 48 p. 100 de leur financement profitent à l'Afrique. C'est une source de financement importante pour nous, dans la mesure où les conditions liées à l'approvisionnement ont été éliminées, dans la plupart des cas. Comme je l'ai déjà dit, nous avons ainsi enregistré un certain succès, des entreprises canadiennes ayant obtenu des contrats cofinancés.

Citons parmi les organisations apportant un financement qui contribue au développement en Afrique une multiplicité de fonds et de banques arabes. Je n'en ai pas une liste ici, mais ce sont des renseignements dont nous disposons. J'en citerai deux, dont vous avez sans doute entendu parler : la Banque islamique de développement et les Fonds koweïtiens. Nous avons un guide sur la question, mais nous nous sommes abstenus de le joindre aux dossiers que nous vous avons remis, pour ne pas vous ensevelir sous un déluge de renseignements.

Mentionnons enfin que les agences des Nations Unies effectuent environ 7 milliards de dollars américains d'approvisionnement par an. Le chiffre est considérable, même si j'ignore quel pourcentage est consacré à l'Afrique. Il existe au sein du système des Nations Unies toute une série d'organisations effectuant des achats. Je vous ai fourni une fiche d'information sur le PNUD, le Programme des Nations Unies pour le développement. Présent dans la plupart des pays africains, le PNUD est souvent l'organisation qui coordonne diverses activités des Nations Unies dans un pays.

Il ne faut pas oublier que le financement des IFI contribue également à l'essor du secteur privé dans les pays qui en bénéficient. Ces occasions d'approvisionnement public s'accompagnent de financement (prêts, dette et garanties) pour des sociétés souhaitant investir dans les pays africains, dont des sociétés canadiennes. C'est une tendance qui s'est amorcée il y a quelques années; à titre d'exemple, j'ai inclus dans votre dossier une fiche que nous avons élaborée pour le Kenya.

L'exemple figurant à la page intitulée « Sources de financement des projets au Kenya » montre que de nombreuses organisations participent à des projets de financement dans des pays d'Afrique et ailleurs dans le monde. Commerce international Canada a élaboré des fiches d'information pour 21 pays africains, afin de montrer quelles sources de financement sont disponibles pour un projet. Y figurent, bien sûr, les guichets pour le secteur privé du Groupe de la Banque mondiale (Société financière internationale et Agence multilatérale de garantie des investissements) et la Banque africaine de développement. C'est une nouvelle tendance.

Récemment, nous avons collaboré avec l'ACDI pour faire venir au Canada une délégation du guichet pour le secteur privé de la Banque africaine de développement. Nous avons organisé des réunions avec des entreprises canadiennes à Montréal et Toronto et avons indiqué que nous avions besoin de leur aide pour développer des infrastructures et mettre en place des intermédiaires financiers nous permettant d'accroître notre engagement dans le secteur de l'énergie et des mines, où le Canada dispose d'atouts indiscutables.

En parcourant la fiche sur les sources de financement, vous constaterez que nous y avons inclus des institutions financières d'autres pays, comme la Overseas Private Investment Corporation des États-Unis et la Banque européenne d'investissement. Nous les avons incluses parce que, dès qu'il s'agit d'un projet lancé par le secteur privé, il est ouvert aux Canadiens. Il s'agit souvent d'exploiter un financement pour en obtenir un autre, ce qui échappe parfois à nos sociétés canadiennes.

Avec l'aide de notre Service des délégués commerciaux, nous avons pu réunir des renseignements sur des banques de développement locales, des fonds privés de capitaux propres et des banques commerciales locales susceptibles de fournir plus d'aide dans un pays donné. Nous précisons aussi quelle est la réglementation sur l'investissement étranger. C'est important, dans la mesure où la participation du secteur privé au développement des pays africains est une nouvelle tendance.

Il y a un hic cependant. Une société souhaitant collaborer avec ces institutions et profiter de leur financement doit respecter certaines règles. Elles sont positives. Il s'agit de responsabiliser les sociétés dans le domaine social et environnemental, ce qui est une bonne chose pour des pays où s'effectue l'investissement. Pour résumer, disons que ces institutions peuvent aider à réduire les risques non commerciaux liés à l'investissement dans leurs pays.

Le Service des délégués commerciaux fait partie de Commerce international Canada. Le nombre des sociétés canadiennes ciblant des pays africains s'élève à 1 300, dont 147 déjà actives dans ces marchés. Cela peut paraître minime, mais ce sont des compagnies sérieuses qui collaborent avec nos délégations commerciales. Nous sommes présents dans 21 pays, où nous employons à la fois du personnel recruté sur place et des personnes basées au Canada; s'y ajoutent deux agents de liaison. Faire affaires avec des institutions de financement internationales présente un défi particulier : on est sûr d'être payés, mais on ne sait pas quand. C'est pourquoi il nous faut un soutien, que nous pouvons obtenir grâce à nos contacts directs au sein des banques.

Le service que je représente offre conseils, renseignements et soutien. Nous avons un site web spécialisé, IFInet. Vous trouverez dans le dossier que nous vous avons remis la brochure détaillant les six services de base de notre délégation commerciale.

J'aimerais aborder rapidement les contrats qui ont été accordés à des entreprises canadiennes au cours des dernières années; vous trouverez cette information aux annexes B et C. N'oubliez pas que nous avons obtenu ces chiffres des banques et qu'elles ont probablement sous-estimé la réalité parce que certains contrats ne sont pas revus. Ce sont les gouvernements locaux du pays qui s'occupent de l'octroi de contrats. Les chiffres indiquent que l'Afrique arrive en deuxième place après l'Asie. Pour ce qui est des contrats que nous obtenons, nous nous débrouillons bien. Nous avons tendance à obtenir entre 2 et 3 p. 100 de tous les marchés dans ces régions.

Un aspect positif à ne pas perdre de vue, c'est que de plus en plus d'entreprises locales obtiennent ces contrats, ce qui crée de la concurrence pour nous. C'est une bonne chose dans une certaine mesure parce que cela signifie l'existence d'une capacité locale accrue, mais aussi que nos entreprises doivent modifier leur modèle de gestion; elles doivent travailler en partenariat et établir une présence locale. La concurrence locale provient de pays comme l'Afrique du Sud et la Tunisie. Même le Burkina Faso obtient un grand nombre de ces contrats. Pour ce qui est de la concurrence internationale, comme vous vous en doutez, ce sont les pays habituels : la France, la Chine, l'Allemagne et l'Italie.

En ce qui concerne les cas de réussite, nous considérons important que les entreprises canadiennes se rendent compte de ce que les entreprises canadiennes florissantes qui travaillent en Afrique grâce au financement des IFI et de l'ACDI ont été en mesure d'accomplir. Les principales réalisations se situent dans le domaine des services, du développement des infrastructures et de la gouvernance, autant d'initiatives que les banques appuient pour aider les pays africains à se développer.

Nous ne sommes pas seuls. Nous travaillons très étroitement avec le programme de coopération industrielle de l'ACDI et nous exécutons leur programme sur le terrain. L'Annexe C indique les statistiques sur le programme de coopération industrielle de l'ACDI en Afrique. Vous constaterez que le programme est assez important. Une autre organisation canadienne qui travaille en Afrique avec une certaine aide financière de l'ACDI est le Bureau de promotion du commerce du Canada. Ce bureau effectue un travail important pour contribuer à renforcer les capacités en Afrique afin que les pays africains puissent par la suite exporter au Canada. Les Fonds fiduciaires des consultants canadiens de l'ACDI est un autre mécanisme qui a permis d'aider nos entreprises à offrir des services pour améliorer la gouvernance, par exemple, de la Banque africaine de développement.

Les bureaux des directeurs exécutifs canadiens aux IFI sont d'une très grande importance pour nous parce que même si de grandes améliorations ont été apportées au niveau de la transparence et des marchés à la Banque mondiale, à la Banque africaine de développement et aux organismes des Nations Unies, il arrive que l'on se heurte à des problèmes. Les directeurs exécutifs canadiens offrent un service de dépannage, et nous travaillons en très étroite collaboration avec eux.

Un nouveau réseau a été créé : le réseau d'agents de liaison du secteur privé de la Banque mondiale. Il s'agit d'une initiative supplémentaire de la part de la Banque mondiale pour inciter le Canada à travailler de plus près avec les banques. L'un des membres de ce réseau est en train d'organiser un événement le 15 mars à Fredericton qui mettra l'accent sur l'Afrique.

À Commerce international Canada, nous travaillons en étroit partenariat avec tous ces intervenants, tant au Canada que sur le terrain, afin d'aider à appuyer et à protéger la participation du secteur privé canadien en Afrique grâce au financement des IFI, lequel contribuera à son tour, du moins nous l'espérons, au développement de l'Afrique.

Le sénateur Carney : Vous nous avez fourni un dossier très impressionnant et utile qui nous brosse le tableau général de toutes les sources de financement disponibles.

Comment la séparation de Commerce international Canada des Affaires étrangères a-t-elle influé sur l'exécution de ces programmes?

Les Affaires étrangères et le Commerce international ont été fusionnés suite à d'importantes dépenses et de grands efforts pour que tout le monde serve les mêmes clients d'une façon intégrée. Certains d'entre nous se demandent comment les choses fonctionneront dorénavant si on retire le service commercial canadien des Affaires étrangères.

Que se passera-t-il sur le terrain?

Quels changements seront apportés aux liens hiérarchiques?

Comment saurez-vous si les mesures que vous prenez en matière commerciale complètent les objectifs politiques du Canada et vice versa?

Mme Wood : Les choses n'ont pas encore beaucoup bougé sur le terrain. Nous sommes toujours dans les mêmes locaux. Nous n'avons pas encore déménagé à Ottawa. Depuis lundi, nous avons un nouveau sous-ministre adjoint pour les marchés mondiaux à Commerce international Canada, donc c'est tout nouveau. Comme vous vous en souvenez probablement, les directions géographiques actuelles sont des directions mixtes qui regroupent à la fois l'élément politique et l'élément commercial. Les agents commerciaux vont être relocalisés dans le même immeuble, probablement d'ici le 1er avril.

Nous sommes en phase de transition mais, comme je vous le disais, depuis lundi nous avons un nouveau SMA aux marchés mondiaux qui va, j'imagine, nous annoncer qui seront les directeurs généraux pour les zones géographiques secondaires.

Je crois qu'il va y avoir une certaine fusion de certains bureaux du côté des Affaires étrangères aussi bien que du côté du Commerce international. Il y aura un certain resserrement et une plus grande concentration sur les États-Unis et les marchés émergents.

Le sénateur Carney : Vous ne répondez pas à ma question.

Si vous vous occupez de réduire la dette des pays africains aux Affaires étrangères mais que vous transférez les agents commerciaux ailleurs et qu'ils relèvent désormais d'un sous-ministre chargé des marchés mondiaux, comment voulez-vous que le service commercial applique de façon cohérente la politique étrangère?

Cela doit être très difficile pour ces délégués commerciaux.

Expliquez-nous comment ils sont censés travailler sur le terrain.

Mme Wood : Je pense que ce n'est pas encore bien défini. Nous n'en sommes qu'au tout début.

Le président : Je pense que la réponse, sénateur Carney, c'est qu'ils ne le savent pas encore.

M. Bruce Rayfuse, directeur, Division des finances internationales et du développement, ministère des Finances Canada : Merci de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. Le ministère des Finances s'occupe directement de la politique à l'égard de l'Afrique du fait de la participation du ministre au conseil des gouverneurs du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale ainsi qu'au groupe des ministres des Finances du G-7. De plus, le ministre Goodale participe cette année à la Commission pour l'Afrique constituée par le premier ministre britannique, M. Blair. Le ministère représente aussi le Canada au sein des pays bailleurs de fonds du Club de Paris. Par conséquent, notre participation a surtout concerné le traitement de la dette des pays africains et c'est sur ce sujet que je concentrerai mes remarques.

Nous vous avons remis deux documents qui couvrent l'essentiel du contenu de mes remarques. Le premier, « Venir en aide aux pays les plus pauvres : Le point sur les efforts du Canada en matière d'allégement de la dette, » donne un aperçu de ce que le Canada a fait individuellement et dans le cadre des efforts internationaux d'allégement de la dette. Le second, « Le Canada annonce de nouvelles mesures d'allégement intégral de la dette des pays les plus pauvres de la planète, » est un communiqué de presse avec deux articles de fond concernant l'annonce par le ministre Goodale, le 2 février, d'une proposition canadienne visant à alléger considérablement le fardeau de la dette des pays pauvres auprès des institutions financières internationales.

Je vais rapidement faire trois choses dans mes remarques. Je vais tout d'abord vous donner un aperçu de la stratégie internationale à l'égard de la dette des pays pauvres et du rôle du Canada dans l'élaboration de cette stratégie. Je vais ensuite vous décrire les mesures que le Canada a prises de son côté pour aller au-delà de cette stratégie internationale, et je terminerai en mentionnant certaines questions en suspens et en abordant les orientations futures de la stratégie internationale.

Le principal mécanisme international d'intervention sur la dette des pays les plus pauvres est l'Initiative d'aide aux pays pauvres très endettés, ou Initiative PPTE. Cette initiative a été mise sur pied lorsqu'on s'est rendu compte vers la fin des années 80 et le début des années 90 que certains des pays les plus pauvres étaient tellement endettés qu'ils ne pourraient jamais rembourser leurs dettes ou qu'ils ne pourraient le faire qu'en imposant des sacrifices inacceptables à leurs sociétés. Les organismes ou les pays prêteurs ont élaboré au fil des ans, dans le cadre du Club de Paris, une série de dispositions d'allégement croissant du fardeau de cette dette bilatérale.

Toutefois, au moment du sommet du G7 à Halifax en 1995, il était devenu clair qu'il fallait une formule plus brutale, une formule qui ouvrirait sur une réduction de la dette beaucoup plus marquée, non seulement de la part des créanciers bilatéraux, mais aussi de celle des institutions financières internationales comme le FMI, la Banque mondiale et les banques régionales de développement.

Lors du sommet de Halifax, les chefs d'État et de gouvernement ont appelé le FMI et la Banque mondiale à préparer un plan complet qui permettrait d'aider les pays en proie à des problèmes d'endettement multilatéral, ce qui déboucha, pendant le courant de l'automne 1996, sur l'apparition de l'Initiative des PPTE. Pour la première fois, ce plan faisait intervenir les institutions financières internationales en leur demandant de consentir à une réduction de la dette de ces pays. Lors du sommet du G8 qui s'est tenu à Cologne en 1999, on produisit une version améliorée de cette initiative, laquelle allait être mise à exécution dès septembre de cette année.

Je ne veux pas pour l'instant entrer dans le détail de cette initiative destinée aux PPTE; son fonctionnement est d'ailleurs expliqué en partie dans le document « Aider les plus pauvres » que nous vous avons fait parvenir. Pendant les questions, vous pourrez d'ailleurs nous interroger sur le mode de fonctionnement de cette initiative. Je me contenterai pour l'instant de vous dire un mot au sujet des résultats qu'elle produira et du rôle que le Canada a joué dans la réussite de cette initiative.

Pour l'instant, 27 pays ont adhéré au processus PPTE et 15 l'ont déjà terminé, de sorte qu'ils ont pu bénéficier d'une réduction irrévocable de leur dette. Selon les calculs du FMI et de la Banque mondiale, ces 27 pays verront leur endettement réduit en moyenne de 60 p. 100 suite à l'Initiative des PPTE. Le fardeau que représente le service de la dette exprimé par le ratio entre le paiement de la dette et les exportations sera réduit de plus de la moitié d'ici 2006. Suite à cette réduction, les dépenses consacrées à l'éducation, à la santé et au développement rural dans les PPTE ont, par rapport au PIB, augmenté de 30 p. 100 depuis la fin des années 90 et représentent actuellement quatre fois plus que ce que ces pays consacrent au service de la dette publique. L'un des objectifs principaux de l'initiative était d'inciter ces pays à améliorer leur gouvernance, à la fois pour pouvoir promouvoir le développement mais aussi pour empêcher une récidive de l'endettement public.

D'après ce que nous pouvons voir, la gouvernance, qu'on peut mesurer par une série d'indicateurs des droits démocratiques et des droits civils, s'est effectivement améliorée. En faisant partie du G7 et du G8, mais également du FMI et de la Banque mondiale, le Canada a pris une part active à l'élaboration et à l'évolution continues de l'initiative. Le Canada, comme d'autres bailleurs de fonds, a également offert son concours financier à cette initiative.

L'initiative destinée aux PPTE comporte un élément clé : ce sont les différentes fiducies qui servent à financer la participation des institutions financières internationales. À ce jour, le Canada a déjà versé 312 millions de dollars à ces différentes fiducies qui interviennent dans le cadre de l'initiative.

Tout en apportant son concours à cette initiative, le Canada a également montré l'exemple par sa volonté d'en faire davantage de son côté. Depuis 1986, l'aide offerte par le Canada revêt exclusivement la forme de subventions et non pas de prêts. En mars 1999, le Canada est devenu le premier pays à déclarer qu'il offrirait une réduction de 100 p. 100 de la dette bilatérale des plus pauvres des PPTE au lieu des 80 p. 100 qui étaient alors exigés des pays désireux de participer à l'initiative.

Dans le budget de février 2000, le Canada est devenu le premier pays à offrir une radiation complète de leur dette bilatérale à tous les PPTE ayant bouclé l'initiative. Pendant la dernière année de l'initiative, nous avons ainsi complètement effacé les dettes de la Guyane, de l'Éthiopie, du Sénégal, du Ghana et de Madagascar. Avant cela, nous en avions fait de même pour plusieurs autres pays également.

En septembre 2000, le Canada a été le premier pays à préconiser un moratoire immédiat sur les paiements exigés de tous les pays qui faisaient sincèrement un effort pour améliorer leur gouvernance et la situation des droits humains et, en janvier 2001, nous avons mis en œuvre ce moratoire pour 11 des 16 pays qui, à l'époque, devaient de l'argent au Canada.

Dans le budget de mars dernier, deux nouveaux pays, le Rwanda et la République démocratique du Congo, ont été ajoutés à ce moratoire.

Ainsi, agissant indépendamment mais également dans le cadre de l'initiative destinée aux PPTE, le Canada a ainsi effacé environ 600 millions de dettes contractées par des pays pauvres, et il lui reste environ 600 millions de dollars de créances encore actives.

D'autres pays ont suivi, tout du moins en partie, l'exemple du Canada et adopté des programmes d'assistance bilatérale complémentaires. Si vous ajoutez cette assistance bilatérale complémentaire à l'initiative de réduction de la dette pour les pays pauvres très endettés, la réduction globale passe du chiffre de 60 p. 100 que je vous ai donné il y a quelques minutes à 68 p. 100 si bien que deux tiers de la dette des PPTE finiront par être radiés.

Même si les initiatives canadiennes et l'Initiative des PPTE ont permis de beaucoup accomplir, nous sommes loin d'avoir réglé définitivement le problème de l'endettement des pays pauvres. Permettez-moi de conclure par quelques mots sur ce qu'il reste encore à faire dans le contexte de l'Initiative des PPTE et ce qui se passera après.

Il y a encore un certain nombre de questions à régler avant qu'on puisse dire que cette initiative pour les PPTE a rempli ses promesses. Pour commencer, il faut que tous les créanciers participent. À l'heure actuelle, un nombre important de créanciers n'appartenant pas au Club de Paris et de créanciers du secteur privé ne participent pas. Certains de ces créanciers ont même été jusqu'à entamer des poursuites pour être payés. Cette initiative n'est donc toujours pas totalement financée. Les fonds fiduciaires n'ont pas encore atteint le seuil nécessaire. Il faut que les créanciers se mettent d'accord sur les radiations de dettes supplémentaires nécessaires lorsque les crises économiques font chuter le prix de certaines denrées ou font, par exemple, fluctuer les taux de change. L'initiative de réduction de la dette des PPTE semble souffrir de prévisions économiques exagérément optimistes. Les travaux du FMI et de la Banque mondiale montrent, par exemple, que sur les 15 pays qui ont atteint l'objectif fixé par l'initiative de réduction d'endettement, 12 sont arrivés avec des ratios dette-sur-l'exportation largement supérieurs à ce qui avait été prévu. Il semblerait en conséquence qu'il nous faudra envisager une annulation de la dette encore plus importante pour garantir le succès de cette initiative.

C'est une des raisons qui a incité le Canada à proposer le 2 février que les pays donateurs contribuent à l'annulation de la dette des pays pauvres contractée envers les trois principaux créanciers multilatéraux, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement.

Le traitement des dettes contractées auprès des institutions financières internationales a été une des questions majeures à l'ordre du jour de la dernière réunion des ministres des Finances du G7 à Londres et continuera vraisemblablement à l'être pendant le restant de la présidence britannique du G7, du G8.

Il faut aussi trouver le moyen d'empêcher les pays pauvres de s'endetter de manière excessive. C'est le travail qui doit suivre cette initiative de réduction de la dette des PPTE dont j'ai parlé tout à l'heure. C'est une tâche sur laquelle les bureaucrates du FMI et de la Banque mondiale se penchent depuis un certain temps. Ils ont fait dernièrement deux propositions. Ils ont proposé un nouveau cadre de soutenabilité de la dette qui a été adopté lors des négociations de l'Association internationale de développement. C'est le service de la Banque mondiale chargé des prêts aux pays pauvres. Ce cadre permet d'évaluer la soutenabilité de la dette en grande partie sur la base des atouts institutionnels et administratifs des pays bénéficiaires. Il ressort de cet exercice une volonté de la part des donateurs de voir l'Association internationale de développement et le Fonds africain de développement accorder une plus grande assistance sous forme de subventions, en particulier pour les pays courant le risque d'avoir de graves problèmes d'endettement.

Je m'arrêterai là pour répondre à vos questions.

Le président : C'est bien gentil de réduire leur dette, mais cela revient à les ruiner pour les désendetter. Quand vous parlez de réduction de l'endettement, je suppose que quand cet argent a été prêté, une évaluation a été faite. On ne leur a pas simplement apporté une valise pleine de billets en leur disant : servez-vous. Il est à supposer qu'une proposition a été faite et que des responsables l'ont étudiée et l'ont évaluée. C'est l'aspect qui me gêne le plus, d'une manière générale, dans le domaine du développement. Ils ont fait une évaluation et de toute évidence ils se sont trompés dans les grandes largeurs.

Cela ne me trouble pas outre mesure, mais quelqu'un, quelque part, ne s'est-il pas trompé dans les grandes largeurs en évaluant les chances de succès de ces projets et donc de leur remboursement?

M. Rayfuse : Les institutions financières internationales se sont largement trompées dans certaines de leurs projections.

Il y a aussi eu des problèmes économiques provoqués par l'effondrement du prix de certaines denrées créant d'énormes difficultés pour ces pays. Il y a aussi eu des défaillances gouvernementales dans certains de ces pays les plongeant parfois dans des conflits civils ou internationaux. Il y a eu toute une série d'événements au cours de toutes ces années qui ont rendu nombre de ces prêts insoutenables.

Le président : Je comprends. La question se pose de savoir si ces décisions seront désormais mieux prises.

M. Rayfuse : Il est admis qu'il y a eu des problèmes. C'est la raison pour laquelle nous optons de plus en plus pour le financement sous forme de contribution par opposition au financement sous forme de prêt.

Le président : Ils leur donneront le même argent en leur disant : « Tenez, nous vous le donnons. Ne parlons plus de prêt puisque nous nous sommes tellement trompés dans nos évaluations dans le passé. Nous vous donnons l'argent, un point c'est tout. » C'est comme ça que je le comprends.

M. Rayfuse : Ces prêts sont accordés dans des environnements très difficiles. Je vous ai cité l'exemple des institutions financières internationales. Il ne faut pas oublier qu'environ la moitié de l'endettement des PPTE est auprès d'agences de crédit à l'exportation. Ce sont des agences qui ont été créées pour prendre des risques que les banques commerciales ne prennent pas. Elles ne prêtent que dans des environnements à risque. Il s'est avéré que ces environnements étaient encore plus à risque que ces agences ne l'avaient supposé.

Le sénateur Andreychuk : J'aimerais oublier un instant ceux qui disent que cette initiative pour les PPTE récompense les mauvais élèves alors que les bons qui se battent, qui respectent les principes de bonne gouvernance, et cetera, n'en profitent pas autant. C'est un sujet de débat fréquent dans le domaine du développement.

Une des dilemmes est que la priorité est donnée à l'allégement de la dette. Comme nous avons pu le constater dans notre propre pays, ce n'est pas en allégeant l'endettement qu'on échappe à la pauvreté; il faut aussi avoir des moyens d'investissements commerciaux. Si l'OMC ne prend pas simultanément des mesures leur permettant d'accéder aux mêmes parts de marché, d'accéder aux mêmes genres de technologies, et cetera, cette initiative et cet allégement de la dette ne feront que les maintenir au niveau de subsistance. C'est le programme complet qui m'intéresse et je ne le connais toujours pas.

Quand nous aidons un pays en autorisant l'entrée de certains de ses produits au Canada à un taux différent de celui que nous faisons payer à d'autres pays africains, nous créons un déséquilibre entre des pays voisins d'une même région.

Je me suis rendue récemment en Afrique. Nous avons conclu quelques initiatives commerciales avec la Tanzanie que le Kenya dénonce car cela crée un déséquilibre qui incite certaines de ses entreprises à déménager en Tanzanie, ce qui n'était pas le but de l'opération.

Que faites-vous pour éviter ces déséquilibres?

Le débat à Londres a vu les plans d'allégement de la dette et les plans d'intégration de ces pays au marché mondial mis en concurrence.

M. Rayfuse : Vous avez parfaitement raison; la réduction de la dette n'est qu'un des éléments du programme de développement. La réduction de la dette ne peut que libérer les ressources. Des dispositions de l'initiative pour les PPTE veillent à ce que ces ressources financent les dépenses qui réduisent la pauvreté et les investissements. Toutefois, ce n'est qu'un élément. Beaucoup plus importantes sont les politiques de stimulation de la croissance, et des échanges commerciaux en particulier.

J'estime que les ministres des Finances du G7 ont bien soutenu la ronde de négociations de l'OMC de Doha. Je vous ai également dit que notre ministre, M. Goodale, participe aux travaux de la Commission pour l'Afrique. Les échanges commerciaux seront un élément clé du train de mesures que recommandera la Commission pour l'Afrique.

Personne n'a jamais prétendu — et nous ne prétendons pas non plus — que l'initiative d'aide aux pays pauvres très endettés ou toute autre initiative canadienne semblable soit la réponse. Ce n'est qu'un élément d'un train de mesures nécessaire.

Le sénateur Andreychuk : Je ne vois pas où se fait la coordination. Il y a ces initiatives pour les PPTE venant du gouvernement du Canada ou de celui de la Grande-Bretagne puis il y a eu les faux départs et certaines mesures prises au cycle de Doha. Où se fait la coordination? Pas dans le pays récipiendaire à moins que les questions de gouvernance et autres soient réglées et qu'il soit à la table de négociation avec les autres, ce qui n'est pas le cas. Vous demandez des gouvernements une tâche impossible et je ne crois pas que l'on emploie au mieux les sommes que nous dépensons.

M. Rayfuse : Encore une fois, il serait préférable que le système mondial des échanges soit libéralisé. Comme vous le savez, les négociations commerciales progressent à leur propre rythme, si elles progressent. On ne peut pas retarder l'application d'une solution ou l'allégement de la dette dans l'attente d'un déblocage du côté du commerce.

L'Initiative des PPTE donne à ces gouvernements des sommes qu'ils peuvent investir sur-le-champ là où ils en ont besoin. Oui, il serait bon que les échanges commerciaux se multiplient dans le même temps, mais il ne faut pas que le blocage du dossier commercial serve de prétexte pour retarder l'allégement de la dette.

Le sénateur Andreychuk : Ce sera ma dernière question. Il y a une quinzaine d'années, le président d'un de ces pays m'a dit : « Ne me donnez pas votre aide; laissez-moi commercer avec vous ». À l'époque, cela avait fait sourire. On commence à se rendre compte que ces initiatives sont des palliatifs. Si l'on ne réforme pas tout le système des échanges, l'Afrique va se retrouver dans cette situation dans 50 ans.

M. Rayfuse : Comme je l'ai dit, je ne sous-estime pas l'importance du commerce parce que vous avez tout à fait raison. Cela dit, l'Initiative des PPTE donne aujourd'hui des résultats et permet de faire des investissements socialement productifs qui, dans l'avenir, pourront rapporter le jour où le commerce sera libéralisé, s'il l'est jamais.

Par exemple, je ne sais pas si vous avez vu l'article de Stephanie Nolan dans le Globe and Mail du 29 janvier. Grâce à l'Initiative des PPTE, le gouvernement de la Tanzanie a pu abolir les frais de scolarité. Du coup, 1,6 million d'enfants peuvent désormais aller à l'école pour la première fois. Voilà un investissement qui, dans l'avenir, va rapporter. Le jour où le commerce sera libéralisé, cet investissement aura servi.

Le sénateur Downe : Concernant l'allégement de la dette que nous accordons à l'Afrique, je suis curieux de savoir en quoi il se compare à celui accordé dans d'autres pays.

En accorde-t-on ailleurs? De quel ordre?

M. Rayfuse : L'initiative s'adresse aux pays pauvres très endettés où qu'ils soient. Quarante-deux pays sont admissibles. La plupart d'entre eux se trouvent en Afrique, mais il y en a cinq ou six ailleurs.

Le sénateur Downe : Voici où je veux en venir. Il y a quelques semaines, le ministre chargé de l'ACDI nous a dit ici que la priorité, c'est l'Afrique. À y regarder de plus près, on s'aperçoit que l'Afrique est peut-être la priorité mais plus de fonds sont accordés à l'Afghanistan qu'à tout autre pays d'Afrique.

Quel est le ratio de l'allégement de la dette accordé aux pays africains par rapport au reste du monde, et comment cela se compare-t-il à la situation d'il y a 20 ans?

En pourcentage, faisons-nous plus pour l'Afrique ou moins?

M. Rayfuse : Pour la seule initiative des PPTE, 22 des 27 pays bénéficiaires sont en Afrique.

Le sénateur Downe : Avez-vous un montant?

M. Rayfuse : Un de mes collègues ou moi-même pourrons vous trouver le chiffre dans quelques instants. Sur les 600 millions de dollars de l'initiative canadienne d'allégement de la dette, jusqu'à présent, 580 millions sont allés à l'Afrique.

À l'extérieur de l'Initiative des PPTE, au Club de Paris, d'autres mesures d'allégement de la dette ont été accordées. En 1991, je crois, nous avons considérablement réduit la dette de l'Égypte et de la Pologne; cette année, le Club de Paris a négocié une réduction considérable de la dette de l'Irak.

Le sénateur Downe : Je me demande si vous pourriez donner au comité ces chiffres comparés; ce sont les montants qui m'intéressent.

Nous avons claironné les promesses que nous avons faites à l'Afrique et je suis curieux de savoir si les montants sont à l'avenant au Club de Paris et ailleurs.

Donnons-nous davantage à d'autres régions et avons-nous donné plus par le passé que nous n'en donnons actuellement à l'Afrique?

M. Rayfuse : Je peux vous trouver le chiffre exact. Toutefois, je peux vous dire que dans le cas de l'Irak, par exemple, la réduction de la dette est d'environ 580 millions de dollars. C'est une très grosse somme parce que son endettement était beaucoup plus lourd que la plupart des pays africains et c'est pourquoi le montant de la dette à annuler sera très élevé.

Le sénateur Downe : Ma dernière question, monsieur le président, s'adresse à Mme Wood. J'ai mal compris ce que vous avez dit. Les investissements directs de 2,4 milliards, est-ce pour la seule année 2003 ou s'agit-il d'un cumulatif jusqu'en 2003?

Mme Wood : C'est un cumulatif.

Le sénateur Downe : Merci.

Le sénateur Di Nino : Est-il possible d'avoir une idée de toutes les sommes que nous versons au reste du monde, que cela soit par l'intermédiaire de l'ACDI, de la Banque mondiale, du FMI, de l'Initiative des PPTE ou du Club de Paris.

Il serait intéressant de voir combien en tout va à chaque continent au lieu de prendre un programme ici ou là.

Comme c'est le cas du sénateur Downe, semble-t-il, je souhaite tout particulièrement comparer ce que nous donnons à la Chine plutôt qu'à l'Afrique aujourd'hui, au moyen de tous les programmes qui existent.

Je ne sais pas si vous pouvez nous fournir le renseignement, mais je vais demander au président, grâce aux bons soins de nos attachés de recherche, de nous obtenir le renseignement car il pourrait nous être très utile.

Je voudrais ensuite dire que le général Dallaire, notre témoin d'hier, nous a parlé en termes très vigoureux de la fureur qui balaiera un jour l'Afrique si la communauté internationale continue de l'ignorer. Je ne le cite pas textuellement, mais il a laissé entendre que le terrorisme peut ne pas découler uniquement de la religion ou d'autres facteurs. Ce sera le point de départ de certaines questions que je vais poser parce qu'il se trouve que je suis d'accord avec lui. Les gens ont faim et ne peuvent pas se retenir.

Madame Wood, j'ai peine à comprendre pourquoi l'Afrique a été ignorée alors que l'Asie a bénéficié de beaucoup d'attention, surtout sous forme d'investissements directs à l'étranger et d'importations.

Le premier ministre Chrétien a magnifiquement réussi à créer des emplois en Asie lorsqu'il s'y est rendu. Le déséquilibre de notre balance commerciale, surtout avec la Chine, s'est nettement accusé, mais là n'est pas mon propos.

Pourquoi ne peut-on pas en faire autant avec l'Afrique?

Mme Wood : Je comprends votre argument, sénateur. Il y a quelques années, M. Pettigrew a mené une mission commerciale au Nigeria et au Sénégal, je crois, et sans doute aussi dans un autre pays. Il n'était pas premier ministre mais bien ministre du Commerce international. On a fait des efforts pour déterminer ce qui se faisait là-bas et ce que d'autres programmes du gouvernement canadien, comme la SEE et l'ACDI, pouvaient offrir sur ces marchés. Nous avons ensuite examiné d'autres sources de financement pour nos entreprises sur ces marchés. Nous avons essayé.

Le sénateur Di Nino : Pourquoi n'avons-nous pas réussi?

Mme Wood : Comme vous le savez, nous importons davantage de produits de l'Afrique que nous en exportons.

Le président : On peut acheter du café kényan à la cafétéria.

Mme Wood : Aujourd'hui, pendant que je préparais mon témoignage devant ce comité, j'ai appris que l'initiative Accès aux marchés accordé aux pays les moins développés a été mise sur pied en janvier 2003. Trente-quatre des 48 pays les moins développés se trouvent en Afrique. Cela signifie que ces pays ont un accès exempt de droits à tous les produits provenant du Canada, à l'exception des produits agricoles soumis à la gestion de l'offre.

Le sénateur Di Nino : Ça, c'est une autre paire de manches. Moi je parle plutôt des gros détaillants au Canada. Je ne vais pas préciser les détaillants dont il s'agit, car je serais obligé de parler de « Chinese Tire », ce que je ne devrais pas dire. Or, sur les rayons des détaillants, il est difficile de trouver des produits qui ne sont pas fabriqués en Chine.

Pourquoi n'avons-nous pas aussi bien réussi par rapport au marché africain?

Je ne laisse pas entendre pour autant que nous ne devrions pas faire de même en Asie, mais peut-être que cela devrait être plus équitable. Vous traitez de cela tous les jours.

Quels sont les obstacles?

Vous avez parlé du développement des compétences, mais cette question peut être réglée sur un horizon de cinq à dix ans. Nous pouvons former des gens afin qu'ils puissent se servir d'équipement pour fabriquer des T-shirts, des chaussures, et cetera. Il s'agit simplement de technologie.

Parlons-nous de corruption? N'y a-t-il pas d'énergie? Je ne sais pas.

Mme Wood : Toutes les raisons que vous avez soulevées sont probablement valables. Ce que je trouve intéressant, c'est que les Chinois ont une présence forte en Afrique, partout. Comme je l'ai dit tout à l'heure, les Chinois sont l'un de nos concurrents clés en Afrique, tout comme les Français et les Allemands. Ils investissent dans l'élaboration de processus.

En effet, la corruption pose un problème, tout comme les bas salaires, la santé et l'éducation. Les institutions financières internationales doivent, selon leur mandat, tâcher d'améliorer ces conditions grâce à la fois à l'approvisionnement public et à l'aide apportée au secteur privé pour sa mise en valeur.

Le sénateur Di Nino : Votre réponse n'est pas celle que j'espérais entendre.

Les mêmes règles du jeu s'appliquent-elles pour ces deux différentes régions du monde?

Mettons-nous davantage de pression sur une région plutôt que l'autre?

Mme Wood : Commerce international Canada a affecté des délégués commerciaux dans 21 de ces pays. Nos services sont également disponibles aux entreprises canadiennes. Les programmes gouvernementaux sont destinés à aider ces entreprises, mais notre contribution doit s'arrêter là. Nous fournissons des renseignements et un contexte, mais nous ne pouvons pas faire plus. C'est au secteur privé canadien de décider s'il veut prendre le risque de faire des affaires dans les pays africains.

Le sénateur Di Nino : Monsieur le président, il y aura lieu de faire comparaître certains experts sur l'investissement provenant du secteur privé.

Il existe un problème fondamental. Si nous ne donnons pas le ton en matière de résolution de certaines questions économiques et commerciales, les autres questions ne seront pas réglées.

Le président : Les honorables sénateurs ont parlé du secteur privé, alors nous allons inviter des représentants à témoigner devant nous. Il s'agit d'une question compliquée, mais il ne s'agit pas pour autant d'une catastrophe totale; nous obtenons du café du Kenya, du vin de l'Afrique du Sud, et cetera.

Honorables sénateurs, au nom du comité, je tiens à remercier les témoins de leur comparution devant nous aujourd'hui.

La séance est levée.


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