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Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 9 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 8 mars 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui, à 17 h 4, pour étudier les défis en matière de développement et de sécurité auxquels fait face l'Afrique; la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de continent; la politique étrangère du Canada envers l'Afrique. SUJET : Agriculture et questions connexes.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, comme il est déjà 17 heures, je déclare la séance ouverte. Je vous inviterais à rester dans la salle à la fin de notre réunion parce que nous devons discuter à huis clos d'une question importante relative au budget. Nous devons régler cette affaire avant le 10 mars à cause du système budgétaire.

Honorables sénateurs, soyez les bienvenus à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères. Nous poursuivons notre étude spéciale sur l'Afrique, comme l'a ordonné le Sénat le 8 décembre.

[Français]

Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui trois témoins de l'Afrique qui nous parleront d'agriculture, une question centrale qui touche à plusieurs autres thèmes, tels le commerce international, les questions sociales, la nutrition, et cetera.

Tout d'abord, nous entendrons M. Ibrahima Coulibaly qui est originaire du Mali. C'est à titre de producteur agricole qu'il a commencé sa carrière. Il est maintenant chargé des relations extérieures à l'Association des organisations professionnelles paysannes du Mali. Il est aussi membre du Comité exécutif du réseau d'organisation paysanne de l'Afrique de l'Ouest et président de la Coordination nationale des organisations paysannes, une organisation œuvrant à l'élaboration d'une nouvelle politique agricole.

[Traduction]

Nous allons maintenant entendre M. Regassa Feyissa, fondateur et directeur général de l'Ethio-Organic Seed Action, une ONG éthiopienne spécialisée en agrobiodiversité et oeuvrant pour la promotion de modes de gestion et d'utilisation durables des sols. Il est connu pour ses recherches et ses collaborations avec les paysans en vue de protéger la biodiversité agricole de l'Éthiopie et de trouver des débouchés pour leurs produits agricoles. Il est aussi le lauréat du Slow-Food Award, prix qui lui a été décerné en 2003.

Je connais très bien l'organisme Slow-Food, puisque j'en suis moi-même membre.

Enfin, nous entendrons M. Lewanika, directeur général du National Institute for Scientific and Industrial Research de la Zambie. Il est président du South African Development Community Advisory Committee on Biotechnology and Biosafety. Il a été membre des délégations du gouvernement zambien aux conférences des ministres de l'Organisation mondiale du commerce. Il était également le représentant zambien lors des négociations qui ont mené à l'adoption du Protocole de Cartagena sur la biosécurité. Messieurs, soyez les bienvenus au Sénat du Canada.

J'aimerais également remercier l'Organisation Inter Pares et sa directrice exécutive, Mme Molly Kane, qui nous a informés de la visite à Ottawa de nos trois témoins. Merci de votre collaboration.

[Français]

J'invite maintenant M. Coulibaly à prendre la parole.

M. Ibrahima Coulibaly, gestionnaire, Relations extérieures, Association des organisations professionnelles paysannes du Mali : Merci, monsieur le président, merci à vous, honorables sénateurs, qui avez accepté de venir écouter notre témoignage. Comme monsieur le président l'a rappelé tout à l'heure, je viens du Mali, un pays situé dans la région du Sahel, une vaste région de l'Afrique de l'Ouest caractérisée spécifiquement par une grande diversité, mais dont le trait principal est l'instabilité pluviométrique, autrement dit nous sommes dans une région où il ne pleut pas souvent. C'est une région qui dépend énormément de la production agricole. Entre 60 et 70 p. 100 de la population vit du secteur agricole, toutes activités confondues.

Dans cette région dont je suis originaire, nous sommes aujourd'hui dans une situation qui est de plus en plus difficile. Depuis le milieu de la décennie 80, nos pays ont entamé des programmes d'ajustement structurel sous l'impulsion du FMI et de la Banque mondiale. Au cours de ces programmes, nos pays ont été obligés de libéraliser les économies. Avec cette libéralisation, tous les soutiens à l'agriculture ont été éliminés. L'agriculteur est devenu très fragile du fait de cette nouvelle situation, ce qui a entraîné que les productions alimentaires, qui sont la base de nos productions, ont commencé à connaître beaucoup de problèmes, car dans le même temps nos économies ont été ouvertes aux importations alimentaires, ce qui a fait que les revenus de beaucoup d'exploitation agricoles ont été diminués.

Nous avions aussi des cultures autres que la culture vivrière, comme le coton. C'est ainsi que beaucoup d'exploitations agricoles se sont réfugiées dans le coton, qui était une culture différente dont la production est exportée sur le marché mondial. Cependant, depuis quelques années, ce coton a commencé à avoir d'énormes problèmes sur le marché mondial à cause des subventions des pays développés comme les États-Unis, la Grèce et l'Espagne.

Nous sommes dans une situation d'impasse aujourd'hui; nous ne pouvons plus vivre dignement de la production vivrière et nous ne pouvons plus vivre avec les productions différentes comme le coton. C'est la situation dans laquelle nous nous retrouvons actuellement, où l'agriculture est faite par des petites exploitations familiales, qui font entre cinq et dix hectares maximum. On nous dit aujourd'hui d'aller vers les biotechnologies.

Pour vous donner un exemple, une exploitation agricole au Mali n'a pas accès au crédit agricole, donc elle n'a pas accès aux commodités de production ni accès à un marché sûr pour écouler sa production. Cela veut dire que nous sommes dans une situation d'instabilité chronique de nos revenus. Nous ne savons absolument pas ce que nous devons gagner en faisant nos activités. Nous sommes sujets aux fluctuations climatiques.

Aujourd'hui, nous sommes envahis par des pressions qui viennent des pays développés comme les États-Unis, qui ont installé un bureau de lobbying dans notre pays pour que nous adoptions les OGM, notamment le coton transgénique, qui n'est pas adapté à nos conditions simplement parce que nous n'avons pas la quantité d'eau requise pour pouvoir développer le potentiel de ces semences. Nous n'avons pas accès au crédit agricole pour que ce coton transgénique puisse développer son potentiel. Nous ne comprenons pas pourquoi on veut nous obliger, dans une situation où le prix du coton est divisé sur le marché mondial, à aller vers ces technologies qui ne sont pas adaptées à nos situations.

C'est pour témoigner de cette situation que nous avons voulu venir ici aujourd'hui et vous dire que nous sommes des paysans et que nous voulons continuer à faire notre métier et vivre dignement. Pour cela, nous avons besoin d'élaborer des politiques qui protègent les intérêts de la majeure partie de notre population qui sont des paysans. Cela ne peut pas se faire si nous ne protégeons pas les productions alimentaires, qui sont aujourd'hui en compétition illégale avec des denrées alimentaires importées qui envahissent nos marchés suite aux politiques libérales prônées par la Banque mondiale et l'OMC.

Les OGM représentent un danger énorme pour nous parce que nous n'avons aucun moyen de préserver notre diversité biologique autrement qu'en la mettant en culture année après année. Nous n'avons pas de banque de gènes. Nous allons perdre toute cette diversité biologique si nous allons vers une technologie pour laquelle nous n'avons aucune maîtrise. En outre, ces biotechnologies, notamment le coton transgénique, sont brevetées par des multinationales et risquent d'augmenter énormément le coût de production de nos exploitations agricoles.

C'est donc pour toutes ces raisons que nous ne voulons pas que cette technologie nous soit imposée. Nous voulons disposer de notre capacité à choisir nos politiques et préserver les intérêts de la majeure partie de notre population. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons demander au gouvernement et aux parlementaires que vous êtes de nous aider afin que nous ne soyons pas obligés de faire des choix qui rendront encore plus pauvre la majeure partie de notre population.

Je m'arrête ici. Je suis disponible pour toutes les questions que vous souhaitez me poser.

Le président : Je veux expliquer aux sénateurs qui ne connaissent pas très bien le Mali que ce pays borde le Sahara près de la boucle du Niger. C'est le domaine de l'élevage nomade. C'est de l'autre côté du Sahara, à l'intérieur de l'Afrique occidentale.

C'est dans le sud que l'on retrouve vos productions de coton et c'est dans le nord que vivent les nomades. C'est cela?

M. Coulibaly : Oui.

[Traduction]

Le président : C'est simplement parce que certains d'entre nous ne connaissent pas très bien ces pays. M. Feyissa, vous avez la parole.

M. Regassa Feyassa, fondateur et directeur général, Ethio-Organic Seed Action, Éthiopie : Merci de me donner l'occasion d'aborder avec vous quelques questions relatives à la biodiversité et à la sécurité alimentaire. Comme chacun le sait, et particulièrement nous des pays en développement, nos vies sont étroitement liées aux ressources. Les liens sont si étroits qu'ils déterminent entièrement la vie quotidienne de notre société à tous les niveaux. Permettez-moi de rappeler que le Canada a joué un rôle important dès le départ dans la fondation de la Convention sur la biodiversité biologique, et insister sur la nécessité de placer l'être humain au centre de cette convention. Nous avons réussi d'ores et déjà à instaurer cette convention dont les pays signataires ont la responsabilité de mettre en œuvre les exigences.

Dans le cas des pays en développement, où la vie de la société est étroitement liée aux ressources naturelles, il y a toujours des manques qui ne sont pas analysés à fond et qui finissent par perturber les systèmes en place dans lesquels nous essayons de lier la biodiversité à la sécurité alimentaire.

Il faut promouvoir, améliorer et étendre à toutes les régions du monde les outils technologiques dans le domaine de l'agriculture et de la production, de manière à cibler les problèmes fondamentaux qui se posent à cet égard. Malheureusement, depuis des décennies et encore aujourd'hui, on use de méthodes inconsidérées pour accroître la production agricole et combattre la pauvreté. Il est malheureux qu'en raison de la perturbation du système et de l'adoption d'approches inappropriées, nous ayons créé une situation où, dans la plupart des cas, les options qui existaient auparavant ont disparu. Aujourd'hui, les régions comme l'Afrique qui ont perdu toutes leurs options subissent les conséquences de la promotion fortuite mais inconsidérée d'outils technologiques ou d'autres moyens visant à surmonter ces problèmes.

Par exemple, l'Éthiopie se caractérise par la diversité de ses cultures, mais la famine y sévit également. En Éthiopie, plus de 85 p. 100 de la population vit de l'agriculture, qui est cependant pratiquée selon des méthodes traditionnelles. Ces méthodes ne sont pas toujours les meilleures et peuvent être perçues comme arriérées, mais elles permettent quand même aux paysans de subvenir à leurs besoins.

L'association que l'on fait entre la productivité et les technologies modernes ne tient pas compte des bases sur lesquelles repose le système de production agricole tout entier.

En tant que technicien, je suis peut-être de ceux qui, faute de connaissances appropriées, subissent les conséquences d'une faible productivité, en raison de la méconnaissance de la véritable nature des problèmes. Dans un pays où les problèmes, les ressources et les pratiques culturelles sont si divers, il faut s'attendre à ce que les moyens qu'on prend pour surmonter les problèmes soient aussi variés. Les points d'entrée varient d'un endroit à l'autre. Je ne suis pas convaincu que cette réalité soit bien comprise depuis des années, particulièrement dans des pays comme le Canada qui ont toujours soutenu l'application de moyens visant à surmonter des problèmes comme la famine, la sécheresse ou la pénurie alimentaire.

Le phénomène n'est peut-être pas unique à l'Éthiopie, mais j'insiste sur le fait que la biodiversité met l'accent sur l'être humain. Les relations entre les populations et les ressources qui les entourent sont très fortes et pour utiliser judicieusement ces ressources, il faut bien comprendre cet attachement. Nous croyons que les technologies qu'on nous propose avec insistance ont créé certains décalages. Nous craignons que l'application d'autres méthodes inconsidérées ou mal planifiées, que certains préconisent pour l'Afrique et d'autres régions, n'engendrent d'autres problèmes, compte tenu de la situation actuelle.

En terminant, je souligne qu'il serait très utile, en ce qui concerne particulièrement les politiques, de faire en sorte que les ressources et les capacités locales que nous soutenons à l'aide de mécanismes externes tiennent compte de la situation sur le terrain, y compris les politiques et lignes directrices en vigueur dans chaque pays. Ce serait là à mon avis la bonne façon de contribuer à la sécurité.

Le président : Permettez-moi une brève question. On sait qu'au Mali, l'agriculture s'exerce sur des terres qui commencent au désert et vont jusqu'aux forêts. Dans le nord, on fait de l'élevage et dans le sud, on cultive le coton. Pourriez-vous nous dire quels sont les principaux produits agricoles de l'Éthiopie? Le pays se situe dans une région de hautes terres. Auriez-vous l'obligeance de donner quelques explications à ce sujet aux honorables sénateurs?

M. Feyissa : L'Éthiopie comprend les pâturages qui se situent dans la région des basses terres et s'étend jusqu'aux hautes terres dont l'altitude peut atteindre 4 500 mètres. Les systèmes agricoles sont complexes et peuvent être regroupés en trois grandes catégories, correspondant aux hautes terres, aux zones intermédiaires et aux basses terres, où l'élevage domine. On peut aborder ces questions de diverses façons.

Le président : Je ne veux pas vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, mais d'après mes souvenirs, il y a dans votre pays beaucoup de rizières. J'ai vu beaucoup de rizières et de plantations de café dans les régions que j'ai visitées. Pourriez-vous nous donner des exemples de denrées que vous produisez? Je sais que la géographie de l'Éthiopie est complexe. Quelles sont les trois principales cultures de l'Éthiopie?

M. Feyissa : Le blé, particulièrement le blé dur, est l'un de nos principaux produits agricoles, parce que notre pays est un centre de diversité; depuis des décennies, il est durement touché par le problème des déplacés. On cultive aussi l'orge sur les hautes terres et le café dans l'ouest et le sud-ouest du pays. Il s'agit d'une zone tropicale et humide. Le sorgho et le maïs sont d'autres cultures très répandues.

M. Mwananyanda Mbikusita Lewanika, directeur général, National Institute for Scientific and Industrial Research, Zambie : Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler du développement de l'Afrique. Je reconnais que la responsabilité de développer l'Afrique incombe aux Africains, mais de temps à autre, tout le monde a besoin d'aide.

Je reconnais aussi que les efforts déployés jusqu'à maintenant pour favoriser le développement de l'Afrique n'ont pas été très fructueux. Cela s'explique par différentes raisons, dont la gouvernance même. Maintenant, on s'attaque aux problèmes de la gouvernance. Si on regarde l'Afrique, on voit qu'il y a très peu de gouvernements militaires ou de dictatures. Les problèmes que nous éprouvons au chapitre de la gouvernance sont l'héritage de la guerre froide, pendant laquelle certains pays étaient soutenus par l'Union soviétique et d'autres, par l'Occident. Même si les gouvernements étaient corrompus, on les maintenait au pouvoir tant qu'ils acceptaient l'idéologie de ceux qui les soutenaient. Puis, tout à coup, on nous dit « Vous devez être démocratiques ».

L'autre problème tient aux organisations multilatérales qui ont aidé l'Afrique jusqu'à maintenant, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. L'intention était de nous aider, mais la méthode s'est avérée inefficace. Par exemple, jusqu'au début des années 1990, la Zambie était autosuffisante sur le plan alimentaire, mais quand nous avons commencé à mettre en oeuvre les prescriptions de la Banque mondiale et du FMI, à réduire les subventions à l'agriculture, à réduire les sommes que nous consacrions aux services sociaux comme la santé et l'éducation, le niveau de pauvreté a commencé à grimper. Même si les ententes reposaient sur un consensus, notre voix n'était pas aussi influente que celle d'un pays comme le Canada ou le Royaume-Uni, si bien que dans la plupart des cas, les organisations multilatérales n'ont pas servi nos intérêts.

La délégation zambienne qui prenait part aux négociations ne comptait dans la plupart des cas que deux ou trois personnes. Les délégations des pays développés comprenaient des avocats et des spécialistes; nous étions donc désavantagés dès le départ. Il faut bien sûr nous aider, mais même dans les cas où nous sommes censés avoir tout autant que les autres voix au chapitre, nous avons besoin d'une aide supplémentaire parce que nous sommes des partenaires, mais des partenaires plus faibles.

L'aide qu'on nous donne pose aussi un autre problème, du fait qu'elle vise habituellement à soigner les symptômes et non les causes. Les symptômes, ce sont la maladie et la dégradation de l'environnement, mais le problème réel, c'est la pauvreté et aussi le peu de place faite aux sciences et à la technologie. Si l'aide s'attaque aux véritables problèmes, nous serons peut-être autosuffisants dans l'avenir. Mais si elle ne vise que les symptômes, les problèmes persisteront et la situation sera sans issue.

Je voulais également vous dire qu'en 2002, la Zambie a connu une crise alimentaire. Au plus fort de cette crise, le gouvernement a refusé l'aide alimentaire qui contenait des organismes génétiquement modifiés.

Ce refus s'explique par différentes raisons. La première, c'est qu'on ne nous a même pas dit au départ qu'on allait nous donner des aliments contenant des organismes génétiquement modifiés. Cette façon de faire va à l'encontre des normes internationales et de la Convention sur l'aide alimentaire.

Ensuite, après avoir évalué nos capacités, nous avons constaté que nous n'avions pas, contrairement à beaucoup de pays, de mécanismes permettant d'évaluer les OGM dans chaque aliment. Nous avons examiné ce qui se passait à l'échelle mondiale et constaté que les scientifiques étaient divisés sur cette question. Certains scientifiques disent que les OGM sont inoffensifs, mais d'autres croient qu'ils recèlent des dangers.

Les groupes de personnes auxquels l'aide alimentaire est destinée sont les plus vulnérables de la société. Certaines de ces personnes ont un système immunitaire affaibli à cause de la malnutrition et parfois, du VIH-sida. Si les OGM causent des problèmes de santé, ces problèmes seraient plus graves chez ces catégories de personnes.

L'autre raison qu'a invoquée le gouvernement pour justifier son refus c'est que si l'on donne de la nourriture sous forme de grains à un paysan, il aura naturellement tendance à en manger une partie et en garder une autre partie pour les semis. Or, cela aurait pu compromettre les cultures de maïs locales.

La troisième raison invoquée par le gouvernement est que lorsque la crise alimentaire a éclaté et que le gouvernement a exprimé ses craintes à ce sujet, il y aurait eu assez de temps pour recueillir des aliments exempts d'OGM à l'intérieur même de la Zambie, puisque certaines parties du pays avaient un surplus alimentaire. D'autres pays africains avaient également un surplus alimentaire. Cependant, les autorités du Programme alimentaire mondial ont fait savoir qu'en vertu de leur règlement, elles ne pouvaient acheter des aliments qu'auprès du fournisseur le moins coûteux, même si celui-ci se trouvait aussi loin qu'aux États-Unis. Nous avons eu l'impression qu'on nous forçait à accepter des aliments contenant des OGM en nous disant, ou vous les prenez, ou vous mourrez de faim.

À la suite de ces événements, le gouvernement a redoublé d'efforts pour améliorer la production alimentaire. Depuis, nous avons des surplus alimentaires.

En terminant, j'aimerais dire qu'il existe une école de pensée selon laquelle les organismes génétiquement modifiés permettront de vaincre la famine. C'est tout à fait faux. Bien au contraire, ils contribueront à l'insécurité alimentaire.

Le sénateur Carney : Je vous félicite tous les trois d'avoir présenté des exposés fort clairs sur un sujet pourtant très complexe. Je vous avoue que j'ai dû consulter une carte géographique pour savoir où se trouve le Mali. Je suis allé au Kenya à plusieurs reprises, mais beaucoup d'entre nous ne connaissent pas l'Afrique aussi bien que vous. Je suis reconnaissante au président d'avoir essayé de nous renseigner davantage.

Vous devez être intéressés à nous connaître. Je vous assure que la plupart des Canadiens sont des descendants d'agriculteurs; ils n'ont quitté la ferme que depuis deux ou trois générations tout au plus. Je ne sais pas si je peux parler au nom de mes collègues, mais si on interroge un Canadien, on apprendra généralement que son père, sa mère ou ses grands-parents étaient agriculteurs.

Vos expériences m'intéressent beaucoup. Certains d'entre vous peuvent traire les vaches et planter des pommes de terre, comme moi, parce que je suis une Canadienne d'origine irlandaise et c'est ainsi que nous gagnions notre vie.

Si je vous dis tout cela, c'est pour vous expliquer que, même si nous vous paraissons être des étrangers incapables de comprendre l'ampleur de votre problème, nous voulons apprendre de vous.

Je ne sais pas par où commencer parce que vous avez été tellement clairs dans vos exposés. Je m'adresse tout d'abord à M. Lewanika. Nous sommes troublés d'apprendre que la Banque mondiale et les organismes internationaux n'ont pas pu vous aider. Nous mettons beaucoup d'argent et de bonne volonté dans ces organismes. Vous nous avez donné des exemplaires clairs, entre autres celui des aliments génétiquement modifiés. Que pourraient faire ces institutions pour vous aider? La culture qui y a cours est-elle si toxique et si nocive pour votre agriculture qu'elles ne peuvent pas vous être utiles?

Nous ne pouvons pas changer la culture du FMI ou de la Banque mondiale, qui exigent l'abolition des subventions, la réduction des dépenses, l'établissement de budgets équilibrés, et ainsi de suite. Mais que pouvons-nous faire en tant que pays qui contribuent financièrement à ces organisations pour vous aider sur le terrain?

M. Lewanika : Tout d'abord, il faut que les projets partent de la base. On ne doit pas nous imposer des projets. Par ailleurs, il faut cesser d'imposer à tous les pays la même approche. Même si nous vivons sur le même continent et éprouvons parfois les mêmes problèmes, nos pays ont tous des caractéristiques qui leur sont propres. Si on veut nous aider, il vaut mieux s'adresser aux gens de la base pour savoir en quoi consiste le problème.

On a tendance à nous envoyer des experts. Certains d'entre eux n'ont jamais mis les pieds en Afrique auparavant. Nous avons nos experts locaux auxquels les organisations pourraient faire appel.

Le sénateur Carney : Vos collègues ont-ils des exemples?

[Français]

M. Coulibaly : La Banque mondiale a financé le secteur du coton au Mali. Le Mali est devenu, en l'espace d'une vingtaine d'années, le premier producteur de coton en Afrique en empruntant à la Banque mondiale. Récemment, avec les problèmes de la baisse des prix, nous nous sommes organisés au sein de nos syndicats. Nous avons commencé à négocier des prix avec la société cotonnière qui appartient à l'État malien et ce, avant de faire les semis. Avant chaque campagne, nous négocions d'abord le prix. Nous avons fait la grève de la production et maintenant le gouvernement discute avec nous.

Cette année, nous avons négocié un prix avec les producteurs. Avant la campagne ce prix était de 210 francs CFA le kilo. Mais au moment où le coton arrivait à maturité, le prix était trop bas sur le marché mondial et la Banque mondiale a exigé que le gouvernement du Mali renégocie le prix avec nous. S'il ne le faisait pas, la Banque mondiale menaçait de couper le crédit au gouvernement du Mali. Le gouvernement savait que s'il faisait cela, cela amènerait des problèmes graves dans les zones de production du coton. Il a donc tenu bon. La Banque mondiale dit lutter contre la pauvreté et exige qu'on coupe les revenus des gens les plus pauvres. Cela se passe et vous pouvez le vérifier.

Le gouvernement du Mali a eu des problèmes graves avec la Banque mondiale cette année parce qu'il a refusé de renégocier le prix déjà négocié avec les syndicats des producteurs de coton.

[Traduction]

Le sénateur Carney : Vous dites que la Banque mondiale et les autres institutions sont trop rigides, qu'elles imposent les mêmes approches à tous les pays. Elles doivent faire preuve de plus de souplesse et tenir compte davantage des gens de la base. Je comprends.

Au Canada, notre programme d'aide est conçu de telle façon que nous répondons aux demandes d'autres pays. Pourquoi alors vos pays ne demandent-ils pas le genre d'aide qu'ils souhaitent recevoir? Me suis-je bien exprimée?

Le président : Il semble y avoir un manque de concordance.

Le sénateur Carney : De notre côté, nous ne faisons que ce que vous nous demandez, mais vous affirmez que beaucoup des choses que nous faisons ne vous sont pas utiles. Quelle est la solution?

M. Lewanika : L'aide bilatérale est très utile et on en voit les résultats. Cependant, l'aide qui nous vient par l'entremise de la Banque mondiale et du FMI est en réalité difficile à...

Le sénateur Carney : Voilà qui est utile. J'ai une autre question à vous poser. D'après mes notes, M. Coulibaly est un producteur agricole. Après avoir fait des études d'ingénieur en agronomie, vous vous êtes installé à votre compte comme producteur agricole. Pouvez-vous nous décrire la vie d'un producteur agricole au Mali?

[Français]

M. Coulibaly : Je voudrais d'abord vous décrire la vie d'une exploitation familiale parce qu'il n'y a pas de paysan individuel au Mali, comme c'est certainement le cas dans les pays développés. Ce sont des familles qui travaillent ensemble, des exploitations agricoles familiales.

Dans une famille, vous pouvez trouver jusqu'à 100 personnes qui exploitent une superficie agricole. Il y a des foyers, bien sûr, à l'intérieur de ces grandes familles et généralement, ces familles exploitent des superficies assez limitées parce que nous n'avons pas une agriculture très mécanisée.

Nous avons des instruments aratoires qui sont les charrues tirées par une paire de bœufs; en général c'est ce que nous avons. Au Mali, 55 p. 100 des familles agricoles possèdent ce genre d'équipement. Les autres familles, soit 45 p. 100 d'entre elles, n'ont même pas une charrue et une paire de bœufs. Cela vous montre à quel point la situation de ces familles est difficile et ce, malgré toute l'aide dont bénéficie le pays. En 2005, le Mali est encore dans cette situation.

La plupart de ces familles produisent d'abord des céréales. C'est une agriculture vivrière. Nous produisons pour manger d'abord et non pour le marché. Le marché représente l'activité complémentaire après les besoins alimentaires. Nous faisons la culture du coton parce qu'elle représente une source de revenu plus élevée que les céréales, dont le prix est généralement trop bas pour couvrir les besoins monétaires. C'est pourquoi beaucoup de familles ont commencé à faire du coton.

Pour vous donner un exemple, une famille qui fait trois hectares de coton, dans un cas où la famille a mis la bonne quantité d'engrais nécessaire, suite à une bonne saison des pluies, gagnera au maximum 400 $ canadiens. Tout cela couvre les besoins monétaires des familles pour les 12 mois de l'année. C'est le revenu d'une famille moyenne parce que les superficies moyennes sont de trois à cinq hectares.

Mais il y a des cas où les familles se retrouvent avec des dettes. Dans la majeure partie des cas, c'est ce qui arrive. Lorsque la saison agricole n'est pas bonne, qu'il n'y a pas une bonne pluviométrie, la plupart des familles ne gagnent absolument rien. Il y a eu des cas où la Société, à travers les systèmes qui donnent l'engrais à crédit aux familles — a saisi le seul moyen aratoire des familles : les bœufs de labour.

Globalement, c'est la situation dans laquelle nous vivons et c'est dans cette situation qu'on nous demande encore de réduire nos revenus en coupant le prix au producteur. Heureusement, nous avons actuellement des syndicats bien organisés. En 2000, nous avons fait une grève parce que le gouvernement voulait couper nos revenus sur le coton. Depuis lors, nous avons pu commencer à négocier assez équitablement avec le gouvernement du Mali.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein : Je souhaite moi aussi la bienvenue à tous les témoins. Mes questions portent sur la politique agricole. Jusqu'à maintenant, nous avons parlé de cas particuliers et j'aimerais à présent aborder la politique agricole systémique.

Dans le passé, nous avons étudié différents modèles de politique agricole. Je suis allé en Chine pour étudier la politique agricole de ce pays, le régime d'exploitation familiale. J'ai étudié la formule de la commune israélienne et le modèle coopératif. J'ai aussi examiné les modèles cubain, chilien et costaricain. Les témoins nous ont décrit les problèmes particuliers de leur pays, mais ont-ils examiné les politiques agricoles qui ont donné de bons résultats dans divers pays pour déterminer lesquelles conviendraient le mieux au leur?

Permettez-vous de vous donner l'exemple de l'Éthiopie. Comme le témoin le sait sans doute, l'Éthiopie produit probablement le meilleur café au monde après le Kenya. C'est un produit commercial de classe mondiale. On peut obtenir une tasse d'excellent café kenyan ou éthiopien à deux ou trois comptoirs de café dans cet immeuble. Avez-vous envisagé d'autres formules et songé à les adopter?

Bien sûr, il y a aussi le modèle canadien, mais il a connu des problèmes pendant presque un demi-siècle. Après la guerre, les gouvernements successifs se sont attaqués au problème en transformant le système agricole; les changements ne touchaient pas seulement les producteurs mais aussi le système, la taille des exploitations agricoles et la coopération entre agriculteurs.

J'adresse donc ma question aux trois témoins. Avez-vous étudié d'autres systèmes et conclu qu'un ou deux modèles s'étaient avérés des grandes réussites et avaient bénéficié aux collectivités agricoles auxquelles ils s'appliquaient? On peut penser à des pays comme le Chili ou Israël, par exemple, où l'agriculture a prospéré malgré l'aridité des terres.

Le président : Monsieur Feyissa, souhaitez-vous intervenir?

M. Feyissa : Oui, brièvement. Malheureusement, je ne suis pas très renseigné au sujet des politiques agricoles d'autres pays. Je peux cependant décrire certains problèmes que nous éprouvons dans notre pays et qui expliquent le retard qu'accuse notre agriculture et signaler les lacunes de la politique.

Il est largement admis que le régime foncier est un des problèmes graves qui nuit à la viabilité de la production agricole. Les agriculteurs n'ont pas un droit incontestable d'utiliser ou de posséder la terre. Cela les a toujours découragés de faire les investissements nécessaires pendant au moins cinq, six ou sept ans. C'est une des graves lacunes qui nous afflige. Il y a des lacunes de politique et de la confusion.

Selon un modèle, le développement du pays dépendra de l'orientation de l'agriculture ou de l'agriculture industrielle. Le problème, c'est que nous ne pouvons les différencier; nous ne savons pas par où commencer. Nous connaissons le point de départ de cette politique, mais son orientation n'est pas bien définie.

Le régime foncier est le principal obstacle. Aujourd'hui, il entrave la productivité et le bon fonctionnement des institutions traditionnelles, en l'absence d'une politique bien pensée.

Voilà, en un mot, la situation actuelle en Éthiopie.

M. Lewanika : Premièrement, les fermiers doivent avoir accès aux marchés et pouvoir obtenir un bon prix pour leurs produits. Ils ont également besoin des intrants requis, c'est-à-dire les semences et les engrais. Ils devront aussi passer de la culture pluviale à l'irrigation. Cependant, en optant pour l'irrigation on se trouve à écarter un certain segment de producteurs agricoles qui n'ont pas les moyens d'acheter l'équipement nécessaire.

[Français]

M. Coulibaly : Le seul moteur de la réussite d'une politique agricole est le prix que le producteur gagne. Aucune politique ne peut se bâtir quand on vend à perte ce que l'on produit. C'est le cas dans tous les pays africains. Il n'y a pas de secrets miracles. C'est pour cela que les pays développés comme le Canada accordent des subventions aux agriculteurs afin qu'ils puissent continuer à vivre dix mois de leur travail. La Banque mondiale a clairement interdit à nos pays de donner des subventions depuis les années 80. On ne peut pas soutenir l'agriculture.

En même temps, on nous a imposé des politiques libérales, d'ouverture de nos marchés aux importations alimentaires. Nous sommes donc en compétition avec des produits alimentaires importés qui sont les surplus alimentaires des pays développés. Dans ces conditions, comment voulez-vous qu'on s'en sorte?

Nous vous demandons de nous permettre de faire des choix qui préservent l'intérêt de la majorité de nos populations afin de pouvoir protéger nos frontières des importations alimentaires et des surplus des pays développés. De plus, nous voudrions avoir accès à nos propres marchés parce que nous sommes marginalisés sur nos propres marchés. Je vous assure qu'en Afrique de l'Ouest, c'est le blé qui progresse le plus dans les habitudes alimentaires. Pourquoi? Parce que le blé et le pain coûtent moins cher, même s'ils ne sont pas vendus à leur vrai prix. Le pain est plus cher au Canada qu'au Sénégal et qu'à Bamako. Est-ce normal? C'est pourtant la situation. C'est pour cela que nous ne pouvons pas nous en sortir.

[Traduction]

Le président : On nous a dit que la situation est très semblable au Mexique, où les importations subventionnées de fèves et de maïs ont obligé des millions de paysans à quitter leur terre.

Le sénateur Grafstein : Le Canada, la Chine et Cuba, trois pays dotés de systèmes politiques différents, appliquent essentiellement le même principe; ils recourent à des offices de commercialisation de différents produits agricoles. En Chine, le gouvernement garantit à tous les producteurs agricoles, quel que soit le produit qu'ils cultivent, un prix fixe pour une certaine quantité de leurs produits; au-delà de cette quantité, les agriculteurs sont libres de vendre leur production aux prix du marché. La même formule a cours en Israël, à Cuba et au Canada.

Existe-t-il dans votre pays des offices de commercialisation des produits agricoles qui permettent aux agriculteurs de produire une quantité donnée de denrées, leur garantissant ainsi un revenu fixe à faible taux, et qui les incite à dépasser leur quota pour pouvoir écouler leurs produits sur le marché?

[Français]

M. Coulibaly : Jusqu'en 1985, il y avait un bureau des céréales au Mali. C'est la Banque mondiale qui a demandé la dissolution de ce bureau. Cela n'existe plus. C'est à partir de ce moment que la pauvreté a commencé à augmenter en milieu rural. Tout soutien ayant été enlevé, l'instabilité des prix s'est installée. Dans une telle situation, aucun producteur ne peut avoir un revenu maîtrisable. Je ne sais même pas que ce genre de bureau existe dans des pays développés comme le Canada où l'État intervient dans la commercialisation. Dans nos pays, que l'État puisse intervenir et qu'il y ait de grandes entreprises d'État qui soient dans la commercialisation est un sujet tabou. Cela peut paraître aberrant de parler de cela dans nos pays aujourd'hui.

[Traduction]

M. Lewanika : La situation est la même en Zambie. Jusqu'en 1990, nous avions un office de commercialisation des céréales, mais nous avons dû le dissoudre quand nous avons instauré le programme d'ajustement structurel exigé par le FMI et la Banque mondiale. Ces deux institutions comptent aussi exiger que le gouvernement ne donne aucune aide à l'agriculture, que celle-ci soit livrée aux forces du marché.

M. Feyissa : C'est également le cas en Éthiopie.

Le sénateur Di Nino : Merci, et je vous remercie d'être des nôtres aujourd'hui.

Nous espérons que ce que nous apprendrons de vous nous aidera à formuler des recommandations à l'intention de notre gouvernement.

Dans vos pays, la plupart des exploitations agricoles appartiennent-elles aux agriculteurs ou à des particuliers qui les louent aux agriculteurs? Appartiennent-elles au gouvernement qui permet aux paysans de les cultiver? Veuillez nous expliquer la situation dans vos pays?

M. Feyissa : La politique foncière de notre pays repose sur le principe que la terre appartient au gouvernement et au peuple. Quand il s'agit d'interpréter cette politique et de prendre des mesures concrètes, c'est le gouvernement qui décide, pas le peuple, ce qui cause un problème. Il y a actuellement une controverse au sujet de cette déclaration car elle ne précise pas clairement dans quelle mesure la terre appartient au gouvernement et selon quelles conditions; elle ne précise pas non plus de quelle façon la terre appartient au peuple ni les liens entre le peuple et le gouvernement pour ce qui est de décider de l'usage et de la propriété des terres. La confusion règne à ce sujet.

Or, cette confusion a des répercussions pour les investissements des agriculteurs. Ceux-ci investissent pendant cinq à sept ans dans des plantations et dans la conservation des sols ou le maintien des éléments nutritifs du sol. Cette confusion est devenue un facteur de dissuasion qui finit par détruire le capital de l'agriculteur, parce que si personne ne s'occupe du sol, il s'épuise et ne sera d'utilité pour personne, ce qui aura des répercussions sur la production alimentaire générale.

M. Lewanika : En Zambie, on part du principe de base que la terre n'a aucune valeur. C'est la mise en valeur de la terre qui lui donne de la valeur. Nous avons deux genres de terre : les terres traditionnelles, qui ne peuvent faire l'objet d'un titre de propriété, et les terres non traditionnelles, pour lesquelles on peut obtenir un titre de propriété. Celui qui détient un titre de propriété possède la terre pendant 99 ans, après quoi la terre redevient la propriété du gouvernement.

[Français]

M. Coulibaly : Au Mali, il y a un code domanial et foncier qui dit que la terre appartient à l'État, mais qui reconnaît aussi le droit coutumier qui est le droit d'usage des communautés. Chaque village a un terroir et chaque famille du village a le droit de cultiver de la terre sur ce terroir. En théorie, on ne peut pas prendre la terre aux familles qui l'exploitent.

Actuellement, avec la nouvelle politique agricole que nous sommes en train de construire, le gouvernement est d'accord avec nous pour qu'on sécurise le droit d'usage des exploitations familiales. Nous ne sommes pas encore entrés dans les détails mais nous avons proposé que les exploitations soient sécurisées, qu'on donne aux familles un titre de propriété pour qu'elles puissent se sentir sécurisées. Il y a aussi des terres aménagées qui sont la propriété de l'État; sur ces terres, c'est l'État qui a la maîtrise de la situation.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino : C'est très utile.

Par ailleurs, il semblerait d'après vos propos, comme l'a signalé le président, que la Banque mondiale, le FMI et d'autres organisations semblables créent plus de problèmes qu'ils n'en règlent en imposant leur approche. On comprend aisément que le fait d'exiger de vos agriculteurs qu'ils vendent leurs produits aux cours mondiaux crée des problèmes dans certains pays.

Si vous pouviez écrire la partie de notre rapport qui traitera de ces deux institutions, la Banque mondiale et le FMI, quels changements proposeriez-vous? Que feriez-vous autrement, sachant qu'une partie de l'aide doit passer par ces institutions? Si possible, j'aimerais que vous répondiez tous les trois à cette question.

M. Lewanika : Le problème tient, entre autres, au fait qu'il n'existe pas de mécanisme transparent permettant d'évaluer dans quelle mesure les approches dictées par la Banque mondiale et le FMI portent fruit dans différents pays. Ces organisations évaluent bien les projets, mais nous ne sommes jamais informés des résultats de cette évaluation. Il serait bon qu'un organisme indépendant soit chargé de surveiller et d'évaluer les projets mis en œuvre par l'entremise de la Banque mondiale et du FMI. Il serait également utile que ces institutions se mettent à l'écoute des habitants de ce pays au lieu d'imposer la même stratégie à tous.

M. Feyissa : Il arrive que les approches proposées ne tiennent pas compte des conditions locales. Je vous donne un exemple. Il y a quelques années, le gouvernement subventionnait les intrants parce que les cultivars à faibles intrants que les producteurs pouvaient cultiver étaient découragés par le régime fiscal; on a déconseillé aux agriculteurs de les cultiver, afin d'accroître l'approvisionnement alimentaire, et le gouvernement a fait de même.

Récemment, on a décrété que le gouvernement ne devait pas subventionner les producteurs agricoles. À ce moment- là, les agriculteurs n'avaient pas de semences pouvant être cultivées sans intrant. Il n'y avait pas d'intrant non plus. Le prix des intrants a augmenté parce qu'on a privatisé les exploitations agricoles et qu'il n'y avait pas de marché où les fermiers auraient pu écouler leurs produits afin de rembourser leurs dettes.

Dans ces circonstances, la condition imposée a fortement découragé les producteurs agricoles. C'est là un des rôles qui n'ont pas été pris en compte dans le cas de l'Éthiopie.

[Français]

M. Coulibaly : Je pense que si l'on veut réellement améliorer la situation de l'intervention des institutions financières et internationales dans notre pays, on ne peut pas faire l'impasse sur le bilan de ce qu'elles ont fait. Il faut qu'on essaye d'évaluer ce qui a été fait et voir où il y a eu des problèmes et même situer des responsabilités. Nous ne pouvons pas comprendre qu'on fasse de nos pays des laboratoires de ce qui ne se fait même pas dans les pays qui détiennent le capital de ces institutions. Ce n'est pas acceptable.

En fait, nous sommes un laboratoire d'expérimentation de modèles économiques qui n'existent nulle part ailleurs. Il faut situer les responsabilités de cela. Des gens sont pauvres à cause de cette situation. La pauvreté qui existe dans nos pays aujourd'hui n'existait pas il y a 20 ans. Il y a plus de pauvreté aujourd'hui qu'avant que la Banque mondiale n'entre dans nos pays. Mais qui est responsable? Il faut situer ces responsabilités.

Le président : Nous allons poser des questions à la Banque mondiale nous-mêmes. Vous nous donnez des questions à poser.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino : J'aurais quelque chose à demander aux témoins. Pour compléter les réponses que vous nous avez fournies ce soir, j'aimerais que vous puissiez faire parvenir au greffier vos réflexions notamment sur la façon dont les problèmes pourraient et devraient être résolus à votre satisfaction. Ce serait utile. Quand vous rentrerez chez vous d'ici un mois ou deux, si vous pouviez nous faire parvenir de l'information, nous vous en serions reconnaissants. Merci beaucoup.

Le sénateur Mahovlich : De quelle façon les pays donateurs peuvent-ils le plus efficacement contribuer à l'amélioration de l'agriculture et du développement en Afrique? Que pouvons-nous faire au Canada pour aider l'Afrique? Devons-nous envoyer des paysans ou des avocats? On a l'impression qu'il s'agit d'un problème politique. Quand la Banque mondiale intervient, elle change les principes d'action. C'était politique, n'est-ce pas? Est-ce là ce que nous devons changer pour régler le problème de la faim en Afrique?

[Français]

M. Coulibaly : Ce que des pays donateurs pourraient faire, effectivement, ce serait de nous donner une assistance judiciaire aujourd'hui pour attaquer la Banque mondiale devant les tribunaux. Ce serait, je pense, utile également, car nous pensons que nous avons été victimes de préjudices. Nous pensons qu'on doit réparer les préjudices que nous avons subis. À mon avis, c'est peut-être quelque chose d'envisageable. La seconde chose, ce n'est peut-être pas d'envoyer des experts ou des agriculteurs; mais si vous demandez à un paysan malien de quoi il a besoin, il va vous répondre qu'il a besoin d'une charrue, d'une paire de bœufs et d'eau pour irriguer son champ. Il ne va pas vous dire qu'il a besoin de semences transgéniques. Si vous pouvez nous aider pour qu'on ne nous impose pas des semences transgéniques. Nous subissons une forte pression aujourd'hui de la part des pays développés et des multinationales pour qu'on adopte les OGM. Ce n'est pas une demande des paysans.

[Traduction]

M. Feyissa : Il n'est peut-être pas nécessaire d'y envoyer des avocats. Il n'est peut-être pas non plus nécessaire d'envoyer quelqu'un dire aux paysans comment cultiver la terre, parce que les pratiques culturales sont très diversifiées et que le savoir-faire est tellement vaste. L'agriculture est pratiquée de façon très diversifiée d'une région à l'autre. Ce qui est important notamment, c'est que la règle fonctionne de telle sorte qu'on est parti du mauvais point. Nous avons encore des séquelles de la révolution verte. En tant que technicien, je ne suis pas contre. Les rationalités posent maintenant un problème. La guérison ne s'est pas faite encore. On n'utilise ni les ressources ni les capacités locales; on les rejette. Les choses sont imposées à rebours. C'est ainsi qu'on a fonctionné. Il semble qu'il faille accorder un soutien pour permettre la réalisation de la capacité d'exploitation des ressources locales, d'amélioration, d'avancement et de promotion de la technologie de pair avec l'amélioration de la capacité locale, et combler les écarts quand les capacités et les ressources locales ne correspondent pas. C'est là qu'il faut concentrer son attention.

M. Lewanika : Ce que nous demanderions, c'est d'avoir des chances égales. Si entre le moment de la plantation et de la vente, des subventions sont autorisées à un moment ou l'autre, qu'on en accorde tout au long du processus. Que les négociations sur l'agriculture se déroulent au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Si elle refuse toute subvention, que ce soit refusé à tous. Ne permettons pas que ceux qui sont plus puissants trouvent des moyens de contourner cette règle, parce que nous, nous ne pouvons pas le faire.

Le président : Je rappelle aux membres, certains l'ont peut-être oublié, que des représentants de la Banque mondiale ont comparu devant nous au cours de notre étude sur l'ALENA, et que nous n'avions pas été impressionnés. Ils nous ont dit des choses qui se sont révélées ne pas être exactes.

[Français]

Le sénateur Corbin : Je suis tenté de qualifier M. Coulibaly comme le Jose Bove de l'Afrique. Ce n'est peut-être pas juste, mais vous êtes très enthousiaste et je vous admire. Il est clair que vous aimez votre pays.

J'écoute toujours attentivement les discours; le choix des mots et le langage. La langue est porteuse de culture et si on ne comprend pas la culture des peuples, quelque chose fait défaut dans nos programmes d'aide. La Banque mondiale et les autres organismes financiers ont tendance à vouloir vous imposer des concepts, un langage et des gabarits tels que paramètre d'évaluation, rendement, croissance annuelle, croissance annuelle moyenne et remède stratégique.

Si je vous ai bien compris monsieur Coulibaly, il me semble que cela n'a aucune application chez vous. Avant de prétendre pouvoir vous aider, il nous faudrait apprendre votre langage, votre façon de faire. C'est ce qui manque à la base de tous nos programmes d'aide. Cela me paraît évident. Même les institutions financières auxquelles nous participons semblent manquer de respect fondamental vis-à-vis votre mode de vie et les objectifs que vous vous êtes fixés. Non seulement ils vous imposent des politiques, mais elles s'ingèrent dans l'administration interne de votre pays, et comme vous l'avez dit, le peuple est appauvri en conséquence.

Deuxièmement, un point très important, aujourd'hui est la Journée internationale de la femme, du moins, c'est le cas au Canada et je pense partout au monde. Pourriez-vous parler du rôle des femmes dans l'agriculture chez vous parce que je crois qu'elles ont un rôle prédominant?

M. Coulibaly : Je vais peut-être commencer par la dernière question à savoir quel est le rôle des femmes. Les femmes dans nos familles ont un rôle central. En regardant la situation en Afrique de l'extérieur, généralement on ne voit que la polygamie, l'excision et que la femme n'a pas de droits. En réalité, si on regarde de très près, on se rendra compte qu'effectivement, la femme, surtout la femme rurale, a un rôle très important. Tout tourne autour de la femme. Une famille ne peut pas exister chez nous sans femme. Ce n'est pas possible. Elle a des rôles non seulement en matière de production agricole — et elle intervient énormément dans la production — et elle maintien le foyer. Tout le centre économique d'une famille tourne autour de cela. Je vous assure que beaucoup de femmes, même en milieu rural, font des activités économiques agricoles autonomes et les revenus leurs sont propres, avec lesquels elles sont libre arbitre et peuvent en faire ce qu'elles veulent. Toutefois, il est vrai qu'il y a encore énormément de choses à faire pour que la femme africaine en général puisse parvenir au niveau d'émancipation que l'on connaît dans les pays développés. C'est l'émancipation économique de la femme qui est importante. Dès qu'une femme devient indépendante économiquement, elle a tous les autres droits automatiquement. C'est là qu'est le vrai combat. On ne pourra pas changer les mentalités par rapport à la question de l'excision ou la polygamie tant que la femme n'est pas indépendante économiquement. Dans beaucoup d'endroits, on ne peut pas empêcher la femme de faire des activités économiques. Même en milieu rural elle a le libre arbitre et peut faire des activités économiques.

Pour ce qui est de la liberté des choix qui nous est aujourd'hui complètement refusée sur le plan des politiques, je pense que c'est ce qui a été le point déclencheur de la pauvreté. Si vous prenez les chiffres mêmes de la Banque mondiale, avant le programme, la pauvreté n'augmentait pas autant. À partir du moment où on a disloqué le système d'appui, tout le système d'aide à l'agriculture, tous les soutiens à l'agriculture ont été démantelés. Cela était, semble-t-il, trop coûteux dans l'équilibre des budgets de l'État.

On a démantelé tout le système de santé parce qu'il était coûteux. On a démantelé le système d'éducation parce qu'il était coûteux. Aujourd'hui, je vous assure que l'école publique existe que de nom; en réalité. Si vous voulez apprendre quelque chose, vous êtes obligé d'aller à l'école privée. Les pauvres sont donc encore plus marginalisés qu'avant l'arrivé de la Banque mondiale. Il n'y avait pas d'école privée au Mali avant l'arrivée de la Banque mondiale. Ce sont les enfants de l'élite qui ont accès à l'éducation aujourd'hui.

La même chose se produit en ce qui a trait à la santé. Si vous n'allez pas dans une clinique, vous ne vous ferez pas soigner. Il n'y avait pas de cliniques privées au Mali avant l'arrivée de la Banque mondiale. Avant l'arrivée de la Banque mondiale, je vous assure qu'un producteur de céréale savait ce qu'il gagnait parce que le prix des céréales était fixé par l'Office des produits agricoles du Mali, qui était une société d'État. Elle achetait les céréales aux mêmes prix sur toute l'étendue du territoire et le revendait ensuite aux consommateurs. Tout cela a été disloqué.

Le Mali ne peut plus revenir à des choix pareils; ce n'est plus possible. Effectivement, le fait d'aligner des chiffres, des tableaux ou des graphiques ne règle absolument rien à nos problèmes. Bien au contraire, cela ne signifie absolument rien.

On a beau dire que tous les programmes d'ajustements qui ont été faits, n'ont absolument rien apportés de positif dans la mesure où c'est l'endettement qui a augmenté. En 1980, le Mali n'avait pratiquement pas de dette. Aujourd'hui, nous avons environ 3 000 milliards de francs CFA de dette. Ce qui veut dire que chaque Malien est endetté de plusieurs centaines de millions de francs CFA. Pourtant chaque Malien ne vit pas dans des conditions de centaines de millions de francs CFA. Cette situation est révoltante. C'est la raison pour laquelle l'annulation de la dette doit être un combat des pays développés aujourd'hui. Nos paysans sont en train de rembourser cette dette aujourd'hui parce que nous payons les impôts pour le remboursement de cette dette. Nous sommes à payer des sommes qui ne nous ont pas servis, mais qui nous ont appauvris. Nos revenus sont très faibles à cause de l'ouverture de nos marchés. Nous ne pouvons pas vendre à des prix rémunérateurs nos produits agricoles, nous payons des impôts qui rembourse la dette qui ne nous a pas servis.

[Traduction]

M. Lewanika : Puisque vous venez dire que c'était aujourd'hui la Journée internationale de la femme, je dirais que le meilleur professeur que j'ai eu, dont l'enseignement m'a le plus marqué, c'était ma mère. Vraiment, on ne peut pas faire mieux. La majorité des petits paysans sont des femmes. Elles ne font pas l'objet de discrimination pour l'obtention de titres de propriété. Là où elles avaient habituellement des difficultés, c'était pour obtenir des prêts agricoles, mais on est en train d'y voir. Il se pose un problème en matière d'éducation. Quand les enfants entrent à l'école, on compte presque le même nombre de garçons que de filles. Mais au fil du temps les filles commencent à quitter l'école, et on doit donc examiner cette question de l'éducation des filles.

M. Feyissa : Comme des collègues l'ont dit, c'est un grand jour pour les femmes. Les femmes en Éthiopie sont celles qui savent le mieux sélectionner les variétés et assurer la conduite des troupeaux d'animaux d'élevage. C'est grâce aux femmes en Zambie qu'existent aujourd'hui une telle variété et diversité de cultures. C'est important pour nous et je suis très heureux de pouvoir le dire, monsieur.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Vous dites que c'est depuis que le FMI et la Banque mondiale ont placé sur vous certaines exigences que la pauvreté a augmenté dans vos pays respectifs, n'est-ce pas?

M. Coulibaly : Absolument.

Le sénateur Robichaud : C'est certainement quelque chose qu'on peut observer, mais lorsque vos gouvernements soulèvent ces points auprès du FMI et de la Banque mondiale, que leur répondent-ils au fait que la pauvreté a augmenté — parce que vous devez vous plier aux exigences de ces institutions? Ne le constatent-ils pas?

M. Coulibaly : Nos gouvernements savent que la pauvreté a augmenté depuis l'avènement de l'ajustement structurel, mais un pays qui n'a plus les moyens de payer le salaire mensuel de ses fonctionnaires n'a aucune marge de manœuvre. C'est la situation de nos pays. C'est la Banque mondiale qui paie les salaires.

Voyez-vous une administration fonctionner quand les fonctionnaires ne sont pas payés? Comment voulez-vous que dans ces conditions ces hommes politiques posent ces problèmes! Ils ne les posent jamais. C'est nous qui vivons ces problèmes et qui sommes obligés de les poser aujourd'hui. Les hommes politiques le savent, mais ils ne posent jamais ces problèmes. La preuve : la Banque mondiale est aujourd'hui le champion toutes catégories de la lutte contre la pauvreté encore dans nos pays. C'est la Banque mondiale qui a créé des programmes de cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté. Pourquoi? Parce que la Banque mondiale sait qu'elle est responsable. Elle prend le devant justement pour qu'on ne les attaque pas devant la justice peut-être.

C'est pour cela que la Banque mondiale a créé dans tous les pays africains aujourd'hui le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté, mais je vous assure que si vous lisez ce cadre stratégique de lutte contre la pauvreté, vous ne verrez nulle part le revenu de l'agriculteur. On ne parle pas des revenus. Vous allez voir n'importe quoi, mais vous n'allez pas voir cela. Le paysan a le droit d'améliorer ses revenus à travers ce qu'il vend, c'est la base de tout. Nous représentons 70 p. 100 de la population.

Nous n'avons jamais été associés à ces cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté qui ont été faits sans consulter les paysans. Nous ne les reconnaissons pas. Nous pensons que ce n'est qu'un moyen de faire durer les choses pour la Banque mondiale et pour ses experts.

[Traduction]

M. Feyissa : Honorables sénateurs, je peux vous dire qu'il est difficile pour les citoyens de beaucoup de pays africains de comprendre la structure des gouvernements dans leurs pays respectifs. Toutes les ententes qui sont conclues avec quelque palier de gouvernement que ce soit, constituent, dans une certaine mesure, des questions internes qui concernent uniquement la Banque mondiale, ou d'autres organisations, et de petits bureaux qui représentent les échelons supérieurs du gouvernement.

Trois ou quatre arrangements institutionnels ont été conclus en Éthiopie dans le domaine de l'agriculture à cause des directives imposées par le ministère et par des organisations spécialisées. Avec de telles ententes, les décisions qui portent sur les politiques locales sont prises par de grandes institutions mondiales. Ce sont les citoyens qui en subissent les conséquences néfastes. Il est malheureux qu'un tel regroupement mondial des nations et d'institutions n'offre, aux citoyens de nos pays, aucune tribune qui leur permettrait de se tenir au courant de tous les nouveaux développements. C'est ainsi que les choses fonctionnent.

M. Lewanika : La relation entre la Banque mondiale et la plupart des pays repose sur le fait que cette institution assure le financement d'une grande partie de leurs budgets. À titre d'exemple, 80 p. 100 du budget de la Zambie est financé par l'entremise de la Banque mondiale, aussi, la relation qui existe se poursuit. Comme on dit dans les films de cow-boys, celui qui a l'or fixe les règles.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Vous êtes en train de nous dire que vous êtes captifs d'un cercle vicieux, n'est-ce pas? Ce qu'on vous propose, basé sur l'expérience vécue, ne fera que vous appauvrir encore plus, n'est-ce pas? Vous parlez du haut pourcentage de votre population qui dépend de l'agriculture. L'agriculture se fait, bien sûr, en milieu rural. Vous nous dites aussi que ces gens-là ne peuvent plus subsister de l'agriculture. Il y aura sans doute un problème de dépopulation des régions rurales où les gens qui ne peuvent plus suffire à leurs besoins vont se diriger vers des centres urbains. Est-ce que c'est en train de se produire? On va transporter le problème ailleurs.

M. Coulibaly : C'est exactement cela. Et c'est pour cela que nous tirons la sonnette d'alarme. La population agricole est d'environ 70 p. 100, c'était peut-être 85 p. 100, il y a quelques années. Cela veut dire que ceux qui ne peuvent plus y vivre, abandonnent et viennent grossir les villes. Aujourd'hui, nous avons de très grandes villes au Mali, un pays qui a à peine 11 millions d'habitants. Nous avons une ville qui atteint presque 2 millions de personnes aujourd'hui. C'est une aberration. Mais dans cette ville, il n'y a pas de travail, pas d'usines ni de secteur économique viable. Cela veut dire que c'est vraiment des mégapoles invivables qu'on est entrain de bâtir là aussi, parce que si les gens quittent la campagne et ne sont pas absorbés par un autre secteur économique comme l'industrie ou d'autres secteurs, ils ne pourront pas vivre décemment. Cela veut dire que nous sommes devant une situation explosive à moyenne échéance. Et les hommes politiques le savent. Cela revient toujours dans leurs discours. Ils ont peur de cette urbanisation incontrôlée avec ces gens qui quittent les campagnes pour venir dans les villes.

[Traduction]

M. Feyissa : Ce problème va continuer, et, parallèlement, les intervenants qui sont à l'extérieur demeurent pour la plupart silencieux. Ceux d'entre nous qui ont eu l'occasion d'assister à diverses réunions ont été très surpris par ce silence. Il n'y a pas de marché, pas d'infrastructure, pas d'appui offert aux producteurs, pas de promotion des produits. En outre, il n'existe aucun incitatif à quelque niveau que ce soit, par exemple, dans le cas du café, dont vous avez parlé. En Europe et en Amérique du Nord, on dit que personne ne distribue notre café. Les agriculteurs produisent du café mais il n'y a pas de marché pour cette denrée. Par conséquent, les producteurs déracinent leurs plants de café et les remplacent par d'autres cultures. Telle est la situation.

M. Lewanika : La migration vers les zones urbaines a créé un autre problème, car les villes ne peuvent offrir de services à ces squatteurs dont l'arrivée n'était pas prévue. Ce phénomène est à l'origine d'une augmentation du taux de criminalité qui pose maintenant de très sérieuses difficultés.

Le président : Au nom des sénateurs, je vous remercie pour vos témoignages intéressants et importants. Le problème de l'exode rural est un fléau qu'ont subi beaucoup de pays. Par exemple, à Bogota, en Colombie, trois millions de personnes vivent dans des taudis. Il est possible de voir la limite à partir de laquelle la ville a cessé de fonctionner dans les années 50 alors que de plus en plus de gens quittaient les régions rurales. L'Afrique connaît le même problème.

La séance est levée.


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