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Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 10 - Témoignages du 22 mars 2005


OTTAWA, le mardi 22 mars 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui, à 17 h 14, pour étudier les défis en matière de développement et de sécurité auxquels fait face l'Afrique; la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de ce continent; et la politique étrangère du Canada envers l'Afrique. Sujet : OMC, développement et agriculture.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères. Nous poursuivons notre étude spéciale sur l'Afrique comme le Sénat nous l'a ordonné le 8 décembre.

[Français]

Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui, dans un premier temps, des fonctionnaires de Commerce international Canada et, dans un deuxième temps, des représentants du Forum Afrique-Canada, de l'Institut Nord-Sud et de UPA Développement international.

Nous nous concentrerons aujourd'hui sur les négociations à l'Organisation mondiale du commerce et à la délicate question de l'agriculture.

[Traduction]

Nous entendrons aujourd'hui des fonctionnaires de Commerce international Canada, MM. Doug George, Bruce Christie et Charles La Salle. Monsieur George, à vous la parole. Je vous rappelle qu'après votre exposé, les membres du comité vous poseront des questions.

M. Doug George, directeur, Direction de la politique commerciale sur la propriété intellectuelle, l'information et la technologie, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international : Permettez-moi aussi de vous présenter M. Marcel Saucier, directeur adjoint de la Direction des droits de douane et de l'accès aux marchés.

Monsieur le président, mesdames et messieurs du Comité sénatorial des affaires étrangères, mes collègues ainsi que moi-même sommes heureux de comparaître devant vous pour décrire le travail que nous faisons actuellement en ce qui concerne le commerce international avec l'Afrique. Je vais décrire les répercussions des négociations actuelles de l'OMC sur l'agriculture et le développement africain, ainsi que d'autres activités commerciales qui ont des conséquences pour l'Afrique. Je suis accompagné d'autres fonctionnaires qui pourront m'aider à répondre à vos questions.

[Français]

Le sujet qui nous occupe aujourd'hui est stimulant. Je crois savoir que d'autres ministères se sont déjà présentés devant le comité. Le travail que nous accomplissons en ce qui a trait au commerce international et à l'Afrique se veut complémentaire au travail d'autres instances du gouvernement.

[Traduction]

En ce qui concerne les négociations de l'OMC en cours, nous estimons que l'atteinte des objectifs ambitieux relatifs à l'agriculture favorisera la croissance des pays en développement et la lutte contre la pauvreté, y compris en Afrique. Dans le cadre de ces négociations, le Canada travaille avec un vaste éventail de pays en développement en vue d'atteindre les objectifs suivants : premièrement, l'élimination complète des subventions à l'exportation d'ici une date réaliste qui reste à négocier, ce qui marquerait un tournant décisif dans le commerce agricole international; deuxièmement, la réduction substantielle des mesures de soutien internes qui faussent les échanges commerciaux, les réductions les plus importantes étant consenties par les pays qui accordent les plus fortes subventions; et troisièmement, l'amélioration marquée de l'accès aux marchés pour tous les produits.

L'atteinte de ces trois grands objectifs, qu'on pourrait qualifier de piliers, profitera réellement à l'Afrique. Elle éliminera la concurrence subventionnée par les pays développés pour des produits comme le coton; elle réduira les subventions intérieures qui limitent la taille des marchés; et enfin, elle apportera de nouveaux débouchés aux produits africains en réduisant ou en éliminant les tarifs qui entravent l'accès aux marchés.

Ces négociations tiennent aussi compte d'autres enjeux. Le 31 juillet 2004, le conseil général de l'OMC a pris une décision qu'on appelle « l'ensemble des résultats de juillet ». Par cette décision, l'OMC accorde aux pays en développement une flexibilité de désigner un certain nombre de leurs produits en tant que produits spéciaux essentiels pour répondre aux besoins en matière de sécurité alimentaire, des garanties des moyens d'existence et de développement rural. Cette décision comporte l'acceptation d'un mécanisme de sauvegarde spécial pour les pays en développement qui leur permettra de réagir aux fluctuations ou aux augmentations des importations d'un ensemble précis de produits. Elle exempte aussi les pays les moins avancés de prendre des engagements de réduction.

[Français]

J'ai mentionné plus tôt le coton. Cette question est d'un intérêt capital pour quatre pays de l'Afrique de l'Ouest, soit le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Tchad. Ces pays ont exprimé plusieurs inquiétudes quant aux pratiques commerciales qui limitent grandement leur capacité de croître et de commercialiser leurs produits avec succès. En novembre dernier, les membres de l'Organisation mondiale du commerce ont mis sur pied un sous-comité pour traiter de la question du coton avec ambition, rapidité et spécificité dans le cadre des négociations sur l'agriculture.

[Traduction]

Outre l'agriculture, les négociations de l'OMC en cours traitent des tarifs industriels. Ces pourparlers visent l'élimination des crêtes tarifaires, des tarifs élevés et de la progressivité tarifaire, y compris sur les produits d'exportation des pays en développement.

Les membres de l'OMC conviennent que les négociations doivent tenir compte de tous les besoins et intérêts spéciaux des pays en développement, notamment en n'exigeant pas la pleine réciprocité des engagements en matière de réductions tarifaires. Dans d'autres sujets de négociations, dont la facilitation des échanges, on devrait parvenir à une issue où tout le monde est gagnant. Si on réussit à prendre les bons engagements dans ce domaine, en tenant compte des niveaux de développement différents et des capacités différentes des pays en cause, et si on favorise l'aide technique et le renforcement des capacités, cela aura pour effet d'amener les pays africains à alléger leurs formalités douanières et de stimuler les échanges commerciaux à l'intérieur et à l'extérieur du continent.

En ce qui concerne la question plus large du développement, la déclaration ministérielle de Doha met le traitement différencié et spécial des pays en voie de développement au coeur même des négociations. Le traitement différencié et spécial permet de plus faibles engagements, de plus longues périodes de mise en application, une plus grande souplesse dans l'application de la réduction à la formule tarifaire et du traitement de certains produits, et améliore l'aide commerciale accrue en renforcement des capacités. Les négociations par rapport au traitement différencié et spécial portent sur toute une gamme de questions qui ont été soulevées par les pays en voie de développement, y compris l'Afrique.

Outre les négociations de l'OMC, j'aimerais parler de la façon dont le Canada assume un rôle de chef de file en ce qui concerne d'autres questions commerciales d'importance pour l'Afrique. Au sommet du G8 à Kananaskis en juin 2002, l'ancien premier ministre, Jean Chrétien, a annoncé les mesures que prendrait le Canada pour réduire la pauvreté dans les pays les plus pauvres. Parmi ces initiatives clés, mentionnons l'accès au marché du Canada pour les pays les moins développés, qui vise à renforcer la croissance économique par l'élimination des tarifs et quotas sur la majorité des exportations de ces pays vers le Canada.

Cette initiative a bénéficié à 48 pays les moins développés, dont 34 en Afrique, en prévoyant un contingent admis en franchise et un accès hors quota au marché canadien pour tous les produits issus de ces pays, à l'exception d'un nombre limité de produits agricoles à offre réglementée. Cette initiative est très ambitieuse comparativement au programme comparable offert par d'autres pays développés.

Plus tard en 2003, tous les membres de l'OMC ont convenu d'abolir certaines concessions de licences obligatoires dans le cadre de l'entente sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, l'entente ADPIC, ceci afin de permettre aux pays pauvres en voie de développement d'avoir un meilleur accès aux médicaments pour soigner des problèmes de santé publique graves comme le VIH, le sida, la tuberculose et le malaria. Le Canada a été parmi les premiers pays à prendre des actions concrètes pour mettre à exécution cette entente. La Loi de l'engagement de Jean Chrétien envers l'Afrique a reçu la sanction royale le 14 mai 2004, et on s'attend à ce qu'elle soit mise à exécution très prochainement, une fois la réglementation connexe promulguée.

C'est sous le leadership du Canada que les pays du G8, à Kananaskis, ont donné suite au nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique, partenariat conçu par les leaders africains. Le NEPAD est un engagement par les leaders africains d'éradiquer la pauvreté et de mettre leurs pays sur la voie de la croissance durable et du développement. L'intégration de l'Afrique à l'économie mondiale par la voie de l'investissement et du commerce est un élément central au programme NEPAD.

En réponse à cette initiative, le G8, sous la présidence du Canada en 2002, a lancé le Plan d'action du G8 pour l'Afrique. L'engagement du G8 dans ce partenariat avec l'Afrique sera renouvelé au sommet du G8 de Gleneagle, en Écosse, sous la présidence du Royaume-Uni. L'Afrique sera l'un des deux grands sujets abordés à ce sommet.

[Français]

Il est impératif d'agir en Afrique. Malgré son potentiel et l'importance de ses ressources humaines, l'Afrique se trouve toujours devant plusieurs défis. En dépit des efforts considérables des gouvernements africains, du G8 et d'autres partenaires depuis quelques années, il reste encore beaucoup à faire. Le commerce constitue un important levier pour le développement. Les communautés internationales doivent redoubler d'efforts pour intégrer l'Afrique dans le système commercial mondial et l'aider à développer sa capacité d'échanges. Bien que le commerce ne soit pas l'unique réponse à tous les problèmes, il joue néanmoins un rôle considérable dans le développement économique et dans la réduction de la pauvreté.

[Traduction]

Merci de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur Andreychuk : Vous dites que le gouvernement a répondu à l'initiative sur le VIH et le sida et à l'initiative ADPIC. On s'est fait dire en mai que c'était une initiative des plus urgentes, et c'était manifestement le cas, c'est pourquoi nous avons adopté la loi. Nous attendons toujours la réglementation; elle nous était promise pour le mois de février, et des vies en dépendent.

Nous sommes au courant du différend qui oppose les fabricants de médicaments génériques et les titulaires de brevet — on en parlait dans l'ADPIC — et pourtant nous en sommes à l'étape des négociations et des consultations sur la réglementation. Quand pouvons-nous attendre une action concrète de la part du gouvernement?

M. George : Le projet de réglementation a été publié, et la période des commentaires est terminée. Mes collègues des ministères de l'Industrie et de la Santé, chargés de la mise en oeuvre de la réglementation, me disent qu'ils en sont aux étapes finales. Nous espérons donc pouvoir mettre en oeuvre le projet de loi très bientôt.

Je vous ferais remarquer que le Canada devance toujours les autres pays en matière d'application de cette décision de l'OMC. La Norvège a également entrepris un processus de réglementation, l'Union européenne a élaboré une directive, mais je pense qu'ils sont encore loin de l'étape de la mise en oeuvre. Je pense que nous faisons des progrès et que nous faisons même preuve de leadership.

Le sénateur Andreychuk : Dans mes discussions avec des pays et parlementaires de l'Afrique, certains pays m'ont dit qu'ils estimaient que les ententes commerciales régionales étaient les plus souhaitables. Le problème, c'est que les pays les moins développés, ou les plus pauvres, jouissent d'exonérations qui donnent lieu à une distorsion commerciale régionale. Avez-vous étudié cette question? Lorsque nous accordons des exonérations à certains pays, cela a un effet de réverbération sur le commerce régional. Par exemple, en Afrique orientale, le Kenya estime subir un préjudice de par notre relation avec la Tanzanie. Qu'en pensez-vous?

M. Charles La Salle, agent de politique commerciale principal, Direction de la politique commerciale multilatérale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international : En effet, la question des relations commerciales régionales, qu'il s'agisse d'accords de libre-échange régionaux ou bilatéraux, peut poser problème. Le Canada a conclu plusieurs accords commerciaux régionaux, surtout avec des pays de l'hémisphère occidental. Par exemple, nos ententes avec le Costa Rica et le Chili, et bientôt, avec l'Amérique centrale.

En Afrique, toutefois, la situation est tout à fait différente. Le continent africain est divisé en divers pôles régionaux de commerce. Vous avez parlé du Kenya et de la Tanzanie. Les trois pays voisins de l'Afrique orientale ont conclu un pacte régional. Les défis pour l'ensemble de l'Afrique sont d'un tout autre ordre. L'intégration régionale comme première étape est certainement un pas en avant, mais de nombreux pays d'Afrique sont très petits et la variété de produits qu'ils ont à offrir à leurs voisins immédiats n'est pas très grande, ce qui a commencé à soulever des inquiétudes parmi les Africains.

Dès qu'on parle avec les pays africains de leurs liens commerciaux avec le monde entier, ils s'intéressent tout particulièrement aux pays du nord et à leurs relations avec les anciens pays colonisateurs de l'Europe. En effet, ils ont des liens commerciaux avec ces pays qui remontent à plusieurs centaines d'années.

Du point de vue du Canada, point de vue très général, nous ne sommes pas intéressés particulièrement à la question des ententes commerciales individuelles avec les pays les moins développés. Vous avez raison, sénateur, lorsque vous dites que de nombreux pays les moins développés, qui sont parmi les plus pauvres, ne représentent pas en soi des partenaires commerciaux des plus intéressants, ce qui bien entendu pose problème.

Nous croyons que dans le cadre du cycle de négociations de l'OMC, il nous faut une solution multilatérale qui tienne compte des besoins des pays d'Afrique et qui réponde à ses besoins de façon globale. Il s'agit là peut-être du meilleur moyen pour les pays développés de répondre aux besoins du continent africain de façon globale.

Le sénateur Andreychuk : À l'époque de l'apartheid et des restrictions liées à l'Afrique du Sud, d'autres pays étudiaient déjà leurs liens avec les anciens pays colonisateurs, ou encore étudiaient de nouvelles initiatives potentielles. Tous ceux qui ont cherché à travailler avec l'Afrique me disent qu'il est très difficile de le faire, car nous ne pouvons pas soutenir la concurrence de l'Afrique du Sud. L'Afrique du Sud investit les pays sub-sahariens et tire parti de nombreux avantages : proximité, similarité des profils commerciaux, et il est tout simplement trop difficile pour nous de faire le poids.

Est-ce que vous étudiez ce problème ou en connaissez l'existence?

M. La Salle : Le cas de l'Afrique du Sud est tout à fait unique. Les membres de votre comité savent peut-être que dans votre étude de l'Afrique en général certains joueurs se démarquent des autres. L'Afrique du Sud est le pays le plus riche du continent et possède l'économie la plus diversifiée. Votre question porte sur le rôle particulier de l'Afrique du Sud en tant que cheville ouvrière de la région sub-saharienne.

Si l'on divisait l'Afrique, on aurait la partie nord, soit les pays arabes, qui a des liens commerciaux et des relations bien établies avec l'Europe. L'Afrique du Sud, quant à elle, est un pôle commercial en soi qui a réussi à séduire des partenaires commerciaux en raison de la supériorité de son statut par rapport aux pays en voie de développement. L'Afrique du Sud a conclu des ententes bilatérales avec l'Union européenne et négocie avec les États-Unis.

Comme chef de file, l'Afrique du Sud a conclu des ententes commerciales bilatérales avec ses voisins les plus immédiats. Cela présente des avantages de part et d'autre; par exemple, ce sont des acteurs moins importants sur la scène internationale. Toutefois, l'Afrique du Sud a l'économie la plus diversifiée. Ses exportations incluent tout un éventail de produits agricoles et industriels. On ne peut sous-estimer son rôle de catalyseur pour la région immédiate, son influence économique sur ses voisins.

Bien qu'il y ait maints facteurs économiques qui favorisent l'Afrique du Sud, c'est un pays qui est particulièrement frappé par le VIH/sida qui aura des répercussions énormes. Comme moteur économique, ce pays va faire face à un défi énorme sur le plan de la santé qui aura de fortes répercussions sur son développement économique.

Le sénateur Grafstein : Je viens de découvrir que l'Afrique a une population de 600 ou 700 millions. Si l'on considère la façon dont le Canada s'est développé, il s'agissait au début d'une série de colonies. Un de nos plus grands défis, c'est que nous n'avons toujours pas entièrement réalisé l'intégration de notre marché intérieur à cause de barrières tarifaires. Si nous considérons les origines de la révolution américaine et les problèmes économiques qu'avait ce pays avec l'Angleterre, il s'agissait là encore d'intégration interne avant de parler de facteurs externes. J'ai l'impression que l'intégration régionale face à une population énorme, à des réserves agricoles énormes, à des réserves pétrolières et énergétiques énormes, et cetera, serait en fait l'idéal. Ce qui manque, c'est une direction et une volonté politique. Il me semble contre-productif que ce soit l'OMC, plutôt que la région elle-même ou les sous-régions, qui montre la voie. C'est donc la première question que je vous pose.

M. George : Je peux vous dire que l'OMC n'est pas le seul groupe qui essaie de travailler avec l'Afrique. Nous nous efforçons d'abaisser les barrières tarifaires partout. La démarche canadienne vis-à-vis des pays moins avancés est similaire à celle de l'Union européenne qui a une initiative « tout sauf les armes ».

Nous considérons que notre processus vis-à-vis des PMA comporte de meilleures règles quant à l'origine, qui permet aux pays moins avancés d'utiliser les précurseurs de produits d'autres pays, pour les transformer et les exporter au Canada. Ça les avantage.

Je reviens d'un poste à l'Union européenne. Celle-ci a une série d'initiatives régionales visant à encourager, en Afrique et dans d'autres régions, des regroupements régionaux pour améliorer le commerce régional. Cela donne quelques résultats mais il reste toujours difficile de développer le commerce régional. Si nous pouvions augmenter le commerce Sud-Sud entre les pays en développement, ce serait très précieux. C'est un des objectifs du Canada dans cette ronde de l'OMC.

Le sénateur Grafstein : Vous avez fait allusion au fait que les Européens ont examiné la question et partent d'une perspective régionale avant d'aborder la perspective OMC. Nous en resterons là.

Voyons ce qu'a fait le Canada et quel a été le résultat immédiat. Nous avons eu un programme très salutaire visant à réduire pour au moins 48 pays en développement, dont 34 pays africains, l'accès libre et sans quota au marché canadien, à l'exception de certains produits, auxquels je viendrai plus tard. Qu'est-ce que cela a donné? De bons, de mauvais résultats, autres choses, un changement? J'ai l'impression que c'est une initiative hardie. Est-ce que cela a aidé?

M. La Salle : Dans notre déclaration liminaire, nous avons fait allusion au fait que le programme préférentiel du Canada vis-à-vis des pays moins avancés existe depuis deux ans. Quand je regarde les chiffres africains, nous avons une tendance à la hausse pour le commerce africain. Si je vois les chiffres que j'ai ici, nos importations d'Afrique ont augmenté à un taux annuel qui est allé jusqu'à 20 p. 100 entre 1990 et 2004, ce qui est beaucoup mieux que le taux de croissance générale avec les autres pays du monde.

Dans le cas particulier des PMA, surtout des PMA africains, les importations, ces deux dernières années, ont augmenté d'environ 4,8 p. 100, notamment en 2003-2004.

Il faut considérer deux éléments : tout d'abord, le Canada offre l'élimination de tout tarif et quota aux PMA; ensuite, ces PMA profitent du programme. Pour ce qui est de notre politique commerciale, nous pouvons offrir d'ouvrir les marchés et un environnement plus accueillant. Le deuxième élément nécessaire est de mettre davantage l'accent sur le développement des marchés pour ces PMA.

Un organe du gouvernement canadien financé par l'ACDI, le Bureau de promotion du commerce, examine certaines possibilités qui permettraient de faire justement cela. C'est une initiative en cours, il y a certainement encore beaucoup à faire.

Le sénateur Grafstein : Vous dites qu'on a oublié un certain nombre de produits touchés par la gestion de l'offre. J'en donnerai trois qui rapportent beaucoup, pour lesquels, à l'exception d'un, nous ne sommes pas directement concernés. Est-ce que le café qu'offrent maintenant ces 34 pays est en franchise de droits? Qu'est-ce qui s'est produit à propos du café? C'est un produit que nous consommons. Je parle du café kenyan et d'autres.

M. Marcel Saucier, directeur adjoint, Direction des droits de douane et de l'accès aux marchés, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international : Les produits touchés par la gestion de l'offre en question sont des produits laitiers et avicoles, dont les œufs. Ce sont des produits touchés par la gestion de l'offre au Canada.

Le sénateur Grafstein : Qu'en est-il des produits de l'orge et des céréales?

M. Saucier : Non.

Le sénateur Grafstein : C'est entièrement libre.

Le sucre, le café et le coton rapportent beaucoup. Que s'est-il produit suite à cette offre généreuse que nous avons faite à ces pays africains pour leur permettre d'accroître leurs exportations vers le Canada, ce qui pourrait favoriser les consommateurs canadiens?

M. La Salle : Si l'on considère 25 des principaux produits que l'Afrique exporte au Canada, le café n'en fait pas partie. Évidemment, si l'on regarde le nombre de produits que l'Afrique vend au Canada, on peut les diviser peut-être en quatre catégories : tout d'abord, il y a le pétrole; deuxièmement, un éventail de minerais et métaux; troisièmement, différents produits agricoles tels que le cacao, la vanille, les mandarines; et quatrièmement, la dernière catégorie concernerait des produits divers et inattendus tels que vêtements et camions tout-terrain.

En Afrique, il faut considérer les possibilités de chacun des pays et vous avez parlé du café, en ce qui concerne le Kenya. Nous considérons l'Afrique comme un continent. Le café kenyan est importé au Canada et on peut trouver une tasse de café kenyan en ville à Ottawa, mais on a plus de chance de trouver une tasse de colombien.

Le sénateur Grafstein : On en trouve au Parlement.

M. La Salle : Cela ne veut pas dire que le café est un grand produit d'exportation.

Le sénateur Grafstein : Ce que je veux dire, c'est que nous avons fait là une offre énorme mais que nous n'avons pas de programme parallèle pour assurer que ces produits ont un marché intérieur capable d'exporter.

Par exemple, la Chine exporte maintenant au Canada des grandes quantités de fruits et de légumes en boîtes ou en bocaux et casse sérieusement le marché. On peut trouver un magnifique bocal de fruits au Canada pour 40 $ ou 50 $, mais la Chine en exporte au Canada que l'on trouve à moins de 15 $ chez Costco ou Wal-Mart, dans ces magasins que tout le monde déteste mais où tout le monde va. Y a-t-il quelque chose qui manque ici? Tout d'un coup, il y a un avantage énorme pour le Canada et un avantage pour ces pays appauvris. Ils ont accès à des produits qui coûtent moins cher qu'à d'autres qui exportent vers notre pays. Ils ne font pas concurrence à nos produits canadiens parce que nous ne les cultivons pas réellement. Le sucre est un autre problème, toutefois, avec la betterave à sucre, etc.

Pourquoi ne pas mettre en œuvre énergiquement cette idée, en commençant par le Kenya ou un autre, pour les amener à exporter leurs produits chez nous? Qu'est-ce qui nous en empêche?

M. Bruce Christie, directeur, Direction de la politique commerciale multilatérale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international : Du point de vue de la politique commerciale, nous décrivons certaines mesures que notre pays a prises pour faciliter le flux des produits et services provenant des pays les moins développés, dont des pays africains, vers notre marché. Pour faire la promotion de ces produits d'un point de vue africain, nous avons des programmes de l'autre côté de notre ministère qui visent à consolider la capacité qu'ont des pays comme le Kenya de faire connaître leurs produits sur des marchés comme le nôtre.

Il y a deux questions ici. La première, c'est que le Canada, du point de vue des pays africains, représente un marché relativement petit, ce n'est pas nécessairement leur débouché de choix. Ils cherchent à avoir un meilleur accès au marché européen et au marché américain, et à d'autres marchés qui sont plus proches d'eux en Afrique. Par le biais de notre Service des délégués commerciaux, et je crois que vous avez entendu les représentants du Service des délégués commerciaux dans des séances précédentes, nous tâchons de consolider la capacité qu'ont certains de ces pays d'exporter leurs produits vers le marché canadien et de faciliter la création de partenariats entre entreprises africaines et canadiennes. Nous essayons de faire cela, mais le lien n'est pas aussi fort que nous le voudrions.

Le sénateur Grafstein : Les Canadiens sont les plus grands consommateurs per capita de café au monde. Nous buvons plus de café que n'importe qui d'autre dans le monde. Le Kenya produit l'un des meilleurs cafés au monde. Je n'arrive tout simplement pas à voir pourquoi on ne peut pas opérer de convergence ici pour amorcer le flux.

Le président : Permettez-moi d'entrer dans le vif du sujet. Vous êtes du ministère du Commerce international, et les négociations de l'OMC sont en cours. En tant que débouché pour les produits africains, oui, il y a des limites en Europe. Nous savons cela. C'est une vieille histoire. Nous sommes membres de l'OMC, et nous sommes un membre important de l'OMC, et les négociations agricoles se déroulent en ce moment. Le comité sait parfaitement bien que 85 p. 100 des Africains travaillent dans le domaine agricole. Quel que soit l'accord que l'on conclura, il aura un effet profond, à tort ou à raison. Nous avons entendu des témoignages que je qualifierais presque de dramatiques à notre dernière séance, un témoin du Mali, un d'Éthiopie et un autre de la Zambie. Ils nous ont raconté plus ou moins la même histoire au sujet des problèmes qui accablent leur agriculture. Je crois que la question est la suivante : que faisons-nous pour ces 10 millions d'Africains qui dépendent de la culture du coton? Aux États-Unis, ils sont 25 000, et pourtant on y subventionne le coton, et je n'ai pas besoin de vous expliquer pourquoi. Et qu'en est-il du sucre? Que faisons-nous pour abolir les subventions à la production de sucre? En Europe, le prix du sucre est huit fois celui du prix mondial. Et ce sont les enjeux dont nos négociateurs vont débattre, et cela aura un effet profond sur 85 p. 100 de la population de ces pays.

Voilà ce que je voulais dire, et je vais céder la parole au sénateur Di Nino. Je pense que le problème est là, les détails qui concernent chaque produit, mais pour la première fois, on négocie les questions agricoles à l'OMC. Vous dites que nous voulons l'accès au marché, mais qu'avons-nous fait aux producteurs de haricots mexicains? Nous les avons ruinés. Nous savons ce qui s'est passé. Nous avons vu ces millions de personnes errer dans les rues, chassées de leurs fermes. Avons-nous une politique à cet égard? Nous en avons une pour le Canada, qui nous donne les offices de commercialisation. Est-ce qu'on est en train de dire qu'en Afrique et dans les pays en voie de développement, il y a place pour des programmes de transition dans les offices de commercialisation?

Le sénateur Di Nino : Je ne vais pas engager le débat avec les témoins. Je tiens à dire que, depuis des décennies, le monde, et le Canada compte parmi les premiers sur ce point, parle d'aider l'Afrique. Depuis des décennies. Or, nous avons été témoin de génocides et de famines. Nous sommes restés les bras croisés pendant que des despotes sanguinaires massacraient des citoyens innocents. Nous avons été témoins des pires violations des droits de la personne au cours des 50 dernières années, et nous causons toujours.

Messieurs, vous êtes des experts, que pourrions-nous faire selon vous pour changer cela. Oubliez ce qui s'est fait hier, oubliez tous les programmes qui semblent viser uniquement à nous faire plaisir à nous au lieu de voir si nous pouvons faire quelque chose pour résoudre certains problèmes. L'exposé qu'on nous a fait se terminait pas un paragraphe qui commençait par les mots : « Il est impératif d'agir en Afrique. » Je suis tout à fait d'accord.

Qu'avons-nous oublié? Aidez-nous à rédiger un rapport qui nous permettra de faire quelque chose d'utile.

M. George : La chose la plus importante pour nous, du moins dans notre domaine, c'est que les négociations actuelles à l'OMC portent sur le développement. Nous essayons de résoudre certains problèmes que nous ont signalés les pays en développement. Certains dirigeants d'Afrique nous ont dit : « Ne nous donnez pas de l'aide, donnez-nous plutôt du commerce. »

Relativement à ce que le président disait au sujet de l'agriculture, si l'on éliminait les subventions à l'exportation, les producteurs agricoles des pays en développement seraient sur un pied d'égalité avec ceux des pays riches au lieu d'avoir à lutter contre des produits hautement subventionnés. Ce serait le cas pour les producteurs de coton, mais il y en a bien d'autres. Dans le passé, l'Union européenne a donné à ses producteurs des subventions à l'exportation très élevées qui ont causé des distorsions sur les marchés mondiaux. Une chose que nous pouvons faire serait de revoir l'appui fourni aux producteurs et la création d'accès aux marchés.

Le sénateur Di Nino : C'est une chose que nous avons déjà entendue. Débarrassez-vous de votre aide-mémoire. Dites-nous où nous nous sommes trompés dans le passé. Vous ne serez pas congédiés pour autant. C'est de la critique constructive. C'est une chose qu'on nous a répétée à maintes reprises. Vu que nous entamons ce qui sera, je l'espère, une étude très importante de la situation en Afrique, comme le prévoit notre mandat, nous voudrions pouvoir formuler des recommandations utiles. Je ne veux pas participer à la rédaction d'un autre rapport qui ne fera que répéter ce que d'autres ont déjà dit.

Les trois messieurs mentionnés par le président du comité nous ont dit que le pire problème pour eux vient de la Banque mondiale et de l'IMO. On nous a dit que l'ONU est dysfonctionnelle. On nous a dit bien des choses de ce genre, ce qui nous donne au moins une idée de ce que nous devons faire. Je voudrais que vous nous indiquiez où nous pouvons trouver des solutions au lieu de répéter les choses que nous entendons depuis des années et des décennies. Je voudrais des solutions concrètes et je voudrais que vous nous aidiez.

Le sénateur Prud'homme : Provoquez M. Peterson, qui s'occupe de l'autre partie des Affaires étrangères.

Le sénateur Di Nino : Nous nous assurerons que vous ne serez pas congédiés.

M. George : Je n'ai pas peur d'être congédié. Ce que nous faisons... je sais que ce n'est pas vraiment controversé, mais nous prenons des mesures appropriées. Le VIH/sida représente un problème énorme à l'heure actuelle et c'est un problème à long terme. Nous avons pris des mesures à ce sujet. Le Canada donne vraiment l'exemple aux autres pays du monde pour essayer de résoudre le problème. On entend dire depuis longtemps que l'OMC n'aide pas vraiment les pays en développement et nous prenons des mesures à ce sujet. C'est un processus de longue haleine, mais nous prenons des mesures.

Le sénateur Di Nino : Comme vous l'avez entendu dire, on nous presse à adopter le projet de loi. Nous n'avons pas encore le Règlement et la loi n'a pas encore été mise en vigueur. C'est une honte. Ce n'est pas votre faute. Quelqu'un d'autre a-t-il des trésors de sagesse à nous donner?

M. Christie : Je ne sais pas si je peux vous donner des trésors de sagesse.

Nous n'essayons pas de résoudre les problèmes de l'Afrique, mais plutôt d'aider l'Afrique à résoudre ses propres problèmes. Comme vous le savez, les dernières conférences ministérielles de l'OMC, d'abord à Seattle et ensuite à Cancún, se sont soldées par un échec total. Cela vient en partie du fait que certains pays comme les membres de la Quadrilatérale, c'est-à-dire les États-Unis, l'Union européenne, le Canada et le Japon, tenaient à faire aboutir les négociations alors que cela peut souvent prendre jusqu'à 8 ou 10 ans. Cela nous permettrait d'essayer de convaincre les pays en développement qu'il serait à leur avantage de prendre ces engagements aux termes de l'OMC et que cela favoriserait leur développement. Ce n'est plus le cas. Nous devons négocier avec certains pays à l'OMC et, comme l'a signalé M. George tantôt, nous négocions maintenant un ensemble de mesures sur le développement depuis que nous avons annoncé l'ensemble de mesures reliées à l'agriculture en juillet.

Du point de vue de l'OMC, nous ne négocions pas aveuglément dans l'espoir d'obtenir de meilleurs débouchés dans les principaux marchés du monde occidental. Nous devons obtenir un ensemble de mesures équilibrées qui aidera aussi les pays en développement, surtout les pays d'Afrique. D'après ce que je sais de ce dossier, nous allons tenir une réunion des négociateurs en chef le mois prochain à Genève. Dix des 30 pays que nous avons invités à y assister sont des pays d'Afrique. Nous essayons d'obtenir une plus grande participation des pays d'Afrique. Non seulement leur demandons-nous ce qu'ils pensent de certaines propositions, mais nous les encourageons aussi à présenter eux-mêmes des propositions pour favoriser la richesse et la prospérité dans leur pays et nous discutons aussi d'aide financière. De son côté, le Canada fournit de l'aide technique dans le cadre de fonds de renforcement des capacités. Depuis trois ans, nous avons fourni environ 320 millions de dollars pour aider les pays d'Afrique à participer à ces négociations afin d'améliorer leur richesse et leur prospérité et d'avoir accès à plus de marchés. C'est l'une des choses que nous essayons de faire.

Certaines des initiatives canadiennes mentionnées par M. George relativement au VIH/sida et à l'accès aux médicaments sont des initiatives reliées à l'accès commercial des PMA. Nous ne sommes peut-être pas encore en mesure de dire que cela a eu des conséquences importantes au Canada, mais dans l'ensemble, ces initiatives vont aider la cause de ces pays. Nous jouons aussi un rôle de chef de file au niveau de l'OMC.

Ce ne sont sans doute pas les trésors de sagesse que vous recherchiez, mais nous essayons de faire notre part vu que nous exerçons pas mal d'influence sur le plan multilatéral.

Le sénateur Carney : Avant de parler des questions commerciales, je voudrais vous poser une question. Je sais que vous n'êtes que les messagers, mais pourquoi utilisez-vous le nom Commerce international Canada alors que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international n'est pas autorisé à s'en servir? On pourrait peut-être commencer par se pencher sur la propriété intellectuelle des noms de marque. Pourquoi utilisez-vous un nom si vous n'êtes pas autorisés à le faire? Cette question m'intéresse.

M. George : Depuis que les projets de loi C-31 et C-32 ont été rejetés, nous utilisons le nom ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et Commerce international entre parenthèses.

Le sénateur Carney : Vous utilisez le nom Commerce international Canada dans votre documentation. De quel droit utilisez-vous ce nom dans votre exposé au comité?

M. George : Je n'ai pas utilisé les mots « Commerce international Canada » dans mon exposé au comité.

Le sénateur Carney : C'est le titre donné dans notre ordre du jour. Vous avez raison de dire qu'il s'agit du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, mais pourquoi utilisez-vous cet autre titre?

Le président : Je vous signale que l'on dit bien ministère des Affaires étrangères au haut de la déclaration.

Le sénateur Carney : Je sais. C'est peut-être vous que je devrais blâmer, monsieur le président. Pourquoi les documents que nous avons sous les yeux contiennent-ils le titre « Commerce international Canada »?

Le président : Je l'ignore. Je ne connais pas la réponse.

Le sénateur Carney : Je voudrais savoir si vous utilisez ce titre au ministère.

Le président : Nous ne le ferons plus.

Le sénateur Carney : Merci. C'est un problème.

La question que je veux vous poser a trait aux problèmes commerciaux dont vous avez parlé. J'ai participé à une séance d'information il y a quelques jours avec notre ambassadeur auprès de l'OMC, à Genève. Il nous a dit à ce moment-là que les négociations ministérielles à Doha ne vont pas très bien et que l'on n'a pas accompli beaucoup de progrès jusqu'ici, même si l'on espère bien en accomplir plus tard. Vous n'en parlez pas vraiment dans votre déclaration liminaire. Vous parlez de convictions, d'espoir et d'attentes, mais ce n'est pas ce que nous dit l'ambassadeur.

Deuxièmement, vous dites que l'ensemble de mesures de l'OMC annoncées en juillet donnent plus de souplesse aux pays en développement et que ces pays peuvent désigner certains produits comme des produits spéciaux essentiels pour la sécurité alimentaire, la subsistance et le développement rural et vous dites que ces mesures comprennent un mécanisme spécial de protection et j'imagine que cela veut dire une disposition qui permet de ramener les tarifs à leur niveau de départ, ce qui veut dire, somme toute, que les mesures protectionnistes sont encore très présentes. C'est ce que nos témoins d'Afrique nous ont dit, soit qu'ils voudraient essentiellement une protection pour leurs produits, mais aussi une protection contre les subventions à l'exportation d'autres pays. Je voudrais que vous me donniez une meilleure idée de la position des pays d'Afrique que celle que vous décrivez dans votre document. Quelle est la réaction des pays d'Afrique à ces mesures?

J'ajoute aussi que je me rends compte que notre comité parle beaucoup du rôle de chef de file joué par le Canada, que nous faisons beaucoup de bonnes choses et que nous sommes aussi paternalistes, comme l'a signalé le sénateur Di Nino, notre dossier n'est pas tellement impressionnant compte tenu des chiffres mentionnés par le ministère au sujet du commerce mondial.

Nous jouons peut-être un rôle de chef de file, mais si nous examinons la classe du commerce mondial, je regarde maintenant les exportations du Canada, on voit qu'elles ont peut-être augmenté de 360 p. 100, dans le cas du Congo, mais d'après mes calculs, cela veut dire qu'elles sont passées de un million de dollars à environ 4,9 millions de dollars.

Trois pays sont mentionnés dans la déclaration, notamment le Bénin. En 2002, nos importations au Bénin étaient de zéro. Zéro est un chiffre que je comprends facilement, mais en 2003, elles étaient apparemment de 10 000 $. Ensuite, en 2004, elles sont retombées à zéro. Le changement est donc de moins 36 p. 100. Dans le cas du Mali, qui est aussi mentionné, le total a baissé de 62 p. 100 en passant de trois millions de dollars d'importations à 410 000 $. Ce sont des montants insignifiants. Dans le cas du troisième pays, le Burkina Faso, dont les représentants sont venus devant le comité, je pense, le montant des importations est passé d'environ 30 000 $ en 2002 à 120 000 4 et au chiffre faramineux de 190 000 $ en 2004.

Ce que je veux dire, c'est ceci. Si nous voulons vraiment le rôle de chef de file, si nous faisons toutes ces belles choses et si nous dépensons tous ces fonds et consacrons tous ces efforts pour l'Afrique, il me semble que ce pourrait être utile de réduire aussi nos propres obstacles aux importations ou d'acheter plus de produits de ces pays. Comme le demandait le sénateur Di Nino, que pouvons-nous faire pour y changer quelque chose?

Je voudrais une réponse. Que se passe-t-il vraiment à Doha? Notre propre ambassadeur nous dit qu'on n'accomplit pas tellement de progrès relativement aux problèmes de développement, pourquoi n'achetons-nous pas plus de produits de ces pays au lieu de parler de notre rôle de chef de file, qui me laisse quelque peu sceptique compte tenu de ces chiffres?

Peut-être que M. Christie voudra répondre. À vous de décider.

M. Christie : Je pourrais peut-être répondre à la première partie de votre question à propos des commentaires de l'ambassadeur sur les progrès accomplis. L'ambassadeur a tout à fait raison. Comme je le disais tantôt, nous avons surmonté un obstacle considérable en nous entendant sur un ensemble de mesures en juillet. Cela a permis aux négociations de reprendre alors que certains jugeaient qu'elles étaient vouées à l'échec total.

Les négociations vedettes sont celles qui portent sur l'agriculture. Pour la plupart des pays, y compris le Canada, ces négociations portent sur un secteur extrêmement délicat. Nous essayons depuis très longtemps de protéger nos marchés dans ces secteurs.

Si les négociations aboutissent comme on l'espère, certains aspects de notre système, comme la Commission canadienne du blé et nos systèmes de gestion de l'offre, seront compromis. Il sera de plus en plus difficile de défendre ces programmes.

Nous avons beaucoup de pain sur la planche. Nous espérons que les négociations aboutiront. Celles qui portent sur l'agriculture sont sans doute plus avancées que d'autres, mais il reste quand même plusieurs obstacles à surmonter.

Je suis d'accord avec l'ambassadeur qu'il ne se passe pas grand-chose. Pour l'instant, tout semble dépendre des négociations sur l'agriculture, même si l'on a accompli certains progrès dans d'autres domaines, notamment pour l'accès au marché des produits non agricoles et aussi, dans une moindre mesure, pour les services et les règlements, mais il reste beaucoup plus à faire que ce que nous avons réalisé depuis juillet.

Comment les choses vont-elles évoluer? Nous demeurons optimistes et pensons bien pouvoir arriver à notre objectif d'ici la fin de l'année lors de la prochaine conférence ministérielle à Hong Kong, mais nous ne sommes pas encore en mesure de dire jusqu'à quel point ces négociations aboutiront. Il n'empêche que nous restons optimistes.

Le sénateur Carney : Pour nous rafraîchir la mémoire, pendant les négociations vous devez tout parafer. Vous ne pouvez pas vous contenter d'accepter un seul volet mais pas les autres, de sorte que cela sera un processus de longue haleine. En second lieu, pourquoi n'aidons-nous pas ces pays, comme le disait le sénateur Di Nino, en leur achetant davantage? Pourquoi devons-nous penser que de tels totaux pour les importations sont simplement ridicules lorsqu'il s'agit d'échanges commerciaux en général?

M. Saucier : Madame le sénateur, ma spécialité est l'agriculture. L'accord cadre de juillet revenait essentiellement à dire que nous nous saisirions des problèmes propres aux pays en développement en accordant un traitement particulier aux produits tropicaux, aux produits spécialisés qu'ils jugent nécessaires pour leur développement rural, pour la sécurité de l'approvisionnement alimentaire et ainsi de suite avec, comme vous l'avez dit, la réintégration automatique des mécanismes de sauvegarde. C'est un peu comme une police d'assurance, en ce sens que s'il y a tout d'un coup importations massives, ils peuvent réagir. Nous sommes convenus en principe de nous saisir de cela, mais il faut encore en négocier les critères.

C'est relativement difficile parce que nous devons faire de la corde raide, d'une part en leur donnant les privilèges et les protections extraordinaires et d'autre part en n'entravant pas le commerce Sud-Sud, qui représente précisément le secteur des échanges commerciaux qui a connu la plus grosse augmentation pour les pays en développement, et c'est là que se trouve le potentiel le plus important. Ces pays veulent pouvoir se protéger autant qu'ils le peuvent contre les pays qui ont les poches les mieux garnies et qui pourraient les battre sur leur propre marché en les inondant des mêmes produits que ceux qu'ils produisent eux. En revanche, cette protection doit être bien conçue de manière à ne pas entraver le commerce Sud-Sud, et c'est précisément là que se trouvent les potentialités.

Pour ce qui est des exportations vers le Canada, il s'agit ici de produits agricoles qui sont des produits périssables. Ils doivent parcourir de longues distances. Nous protégeons la santé de notre population et il nous faut donc un accord phytosanitaire qui nous garantisse que ces produits ne présentent pas de risque pour la santé du consommateur canadien.

À mesure que les règles du jeu s'harmonisent et deviennent les mêmes pour tout le monde, les potentialités d'exportation de ces pays vers le Canada augmenteront. Par contre, il y a d'autres questions qui doivent appeler l'attention, par exemple les conditions d'hygiène et les conditions phytosanitaires.

Le sénateur Carney : Je comprends cela fort bien puisque j'ai moi-même eu à en traiter lors de négociations commerciales. Je signalais simplement que cette réalité ne se reflète pas dans cet exposé, de sorte que celui-ci ne nous est guère utile. Nous essayons pour notre part de faire notre travail, c'est-à-dire d'examiner la politique étrangère du Canada par rapport à l'Afrique. Je vous sais gré d'être venu mais je suis un peu déçue parce que j'avais espéré que vous nous auriez dit autre chose que le simple fait que nous jouons un rôle de leadership dans une partie qui, actuellement, ne débouche sur rien et que nous ne sommes pas, du point de vue des intérêts de l'Afrique, les principaux intervenants en raison de notre palmarès dans les dossiers commerciaux.

Le sénateur Mahovlich : Je voudrais commencer par vous demander si le VIH continue à se répandre en Afrique ou si sa propagation a été enrayée.

En second lieu, la production alimentaire africaine n'a pas suivi la croissance démographique. Le sénateur Carney vous a demandé comment ces pays pourraient exporter davantage s'ils ne produisent pas. Il faut assurément là une intervention d'ordre politique. Mais qui va intervenir? Qui va pouvoir leur dire qu'ils doivent changer leur mode de vie? En 2000, la production alimentaire africaine par habitant était inférieure à ce qu'elle était 20 ans plus tôt.

M. Saucier : Ce n'est pas l'ensemble de la production alimentaire qui pose problème. C'est plutôt le fait que les pays en développement sont majoritairement des pays tropicaux. Ces pays produisent des denrées tropicales, denrées dont le commerce fait l'objet de nombreux obstacles. S'il y avait harmonisation des règles, ces obstacles n'existeraient pas.

Le principe qui sous-tend l'OMC, c'est que plus il y a d'échanges commerciaux, plus il y a de richesses, cela étant dû au fait que ces pays peuvent à ce moment-là tirer parti de leur avantage comparatif dans le cas des produits pour lesquels leur chaîne de production est la plus efficace et la plus efficiente, des produits qui très souvent sont également de très bonne qualité, sans devoir pour autant subventionner la production parce que cela semble tout naturel dans ces pays-là. Or, il y a des pays qui ont un avantage comparatif moins grand et qui pourtant peuvent vendre à meilleur marché qu'eux parce que leur production est subventionnée.

C'est pour cela qu'il faut harmoniser les règles du jeu et permettre à ces pays de faire ce qu'ils font le mieux et de vendre ainsi ce qu'ils produisent.

M. George : Il est admis que le sida est un problème extrêmement grave en Afrique. Chaque jour, il y a plus de 8 000 personnes qui meurent du sida dans le monde, et la plupart des victimes sont en Afrique subsaharienne. Ce que nous faisons ne se limite pas à ce que nous avons déjà fait dans le cadre de l'OMC. L'ACDI conduit actuellement plusieurs projets en Afrique pour lutter contre cette épidémie. L'ACDI pourrait, j'en suis sûr, vous donner beaucoup plus de renseignements à ce sujet.

Le sénateur Mahovlich : Mais la maladie se propage toujours?

M. George : À ma connaissance, oui.

[Français]

Le sénateur De Bané : Si je comprends bien, 88 p. 100 de nos importations du continent africain viennent d'Algérie? Est-ce que j'interprète bien le premier tableau?

[Traduction]

Est-il vrai que 88 p. 100 de tout ce que nous importons d'Afrique vient d'Algérie?

M. George : Il s'agirait du pétrole.

Le sénateur De Bané : Ainsi donc, 88 p. 100 de tout ce que nous importons de ce continent est originaire d'un seul pays, et il s'agit en l'occurrence du pétrole et de ses dérivés.

Si je fais la somme des exportations originaires de tous les autres pays, je n'arrive pas à 12 p. 100, ce qui donnerait un total de 100 p. 100. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?

M. La Salle : Pour être très clair, sénateur, les chiffres que vous citez montrent plutôt que l'Algérie compte pour 0,88 p. 100 des importations du Canada. Mais vous avez parfaitement raison de dire que c'est l'Algérie qui est le principal fournisseur africain du Canada. Au total, sénateur, le Canada importe d'Afrique moins de un à 1,4 p. 100 du total de ses exportations.

Le sénateur Prud'homme : Je voudrais vous interroger au sujet d'un contrat en particulier. Si on regarde ce qu'il en est de l'import-export entre le Canada et la Libye, cela semble satisfaisant, mais il ne s'agit probablement que d'un seul contrat. Si on réduisait cela à des pourcentages, cela aurait bonne figure et on pourrait dire : « Eh bien, c'est toute une amélioration! » Or, il ne s'agit ici que d'une seule compagnie, pour laquelle je ne veux pas faire de publicité d'ailleurs, et d'un seul contrat, de sorte que la situation pourrait changer du tout au tout.

M. La Salle : Vous avez parfaitement raison, sénateur. Nous traitons ici avec un continent composé de 54 tout petits pays, toute proportion gardée, l'Afrique du Sud étant peut-être l'exception. Un contrat unique ou un produit unique peut tout faire basculer d'une année sur l'autre. Nous traitons essentiellement avec des tout petits pays dont les capacités d'exportation sont très maigres. La majorité des pays d'Afrique exportent un tout petit nombre de produits. Mon collègue M. Saucier vous a dit que la plupart des produits exportés par l'Afrique étaient des denrées et ce sont des produits qui sont extrêmement vulnérables aux fluctuations des prix sur les marchés mondiaux.

Le président : Je vous remercie beaucoup au nom du comité.

Nous allons maintenant commencer le second volet de la réunion en recevant Molly Kane, la coprésidente du Forum Afrique-Canada, qui est un forum du Conseil canadien pour la coopération internationale qui réunit plus de 40 ONG, églises, syndicats et mouvements de solidarité situés un peu partout au Canada et qui s'intéressent tout particulièrement à la question du développement et de la justice sociale en Afrique subsaharienne. Mme Kane est également la directrice générale d'Inter Pares, l'organisme qui nous a permis d'entendre il y a deux semaines ces trois témoins africains qui avaient été absolument fascinants.

Après elle, nous allons entendre Ann Weston, la vice-présidente et coordonnatrice de la recherche de l'Institut Nord- Sud. Mme Weston consacre actuellement ses travaux de recherche à l'Organisation mondiale du commerce et à son importance pour le Canada et pour les pays en développement. Avant d'entrer à l'institut, Mme Weston avait travaillé comme économiste principale à la Division des affaires économiques du Secrétariat du Commonwealth.

[Français]

Notre dernier témoin aujourd'hui sera M. André Beaudoin, directeur général de l'organisme UPA Développement international. Cet organisme a produit plusieurs études en ce qui a trait, entre autres, au positionnement de l'Afrique sur les marchés agricoles mondiaux.

[Traduction]

Bienvenue au Sénat du Canada, madame Kane. Vous avez maintenant la parole.

Mme Molly Kane, coprésidente, Forum Afrique-Canada, Conseil canadien pour la coopération internationale : Au nom de mes collègues que vous avez entendus la semaine dernière, permettez-moi tout d'abord de vous remercier parce qu'ils ont beaucoup apprécié cette rencontre avec vous.

Je suis heureuse d'être ici pour pouvoir vous parler de l'OMC. Cet organisme est indispensable pour le développement de l'Afrique, aussi bien pour ce qui est des questions de fond qui sont en négociation que parce qu'il représente une tribune pour le processus politique et la gouvernance planétaire. Il y a bien des obstacles qui empêchent les pays d'Afrique de faire partie de façon équitable de l'OMC.

Je vais vous raconter une petite histoire pour vous donner une idée de l'importance de certaines de ces questions. En 2001, lors des négociations de Doha, on avait clamé d'un peu partout que ces négociations seraient axées sur le développement dans l'intérêt des pays en développement. Nous avions chez nous des collègues africains qui travaillaient auprès des ministres du Commerce de leurs pays respectifs pendant ces négociations, ainsi que des organisations de la société civile actives auprès des gens directement touchés comme les cultivateurs, les travailleurs et les Africains en général.

On nous avait dit que, lors de ces négociations, les pays développés avaient fait preuve de beaucoup d'intransigeance à l'endroit des dossiers qui intéressaient vraiment les pays africains. D'ailleurs, ils employaient souvent, notamment en parlant du Canada, le terme « intimidation ». Voilà qui contraste nettement avec ce qui avait été proclamé à Gênes au sommet du G8 quelques mois plus tôt seulement, lorsque le G8 avait annoncé qu'il intégrait le développement de l'Afrique à son agenda et qu'il voulait travailler pour un nouveau partenariat en faveur du développement de l'Afrique.

Souvent, il y a un grand vide entre la rhétorique du développement et de l'aide à l'Afrique et ce qui se dit en réalité lors des négociations commerciales. Et c'est ce grand vide que nous essayons de combler.

En janvier 2002, j'ai assisté à une réunion de militants africains, le Forum social pour l'Afrique, qui était en l'occurrence le premier forum de ce genre à essayer de réunir des gens originaires de différentes parties du continent africain. On y trouvait des chercheurs, des cultivateurs, des étudiants, des universitaires et des représentantes de mouvements féminins. Chose intéressante pour quelqu'un travaillant pour une ONG se concentrant sur le développement, pendant toute la semaine personne n'a parlé d'aide. Personne n'a dit que l'Afrique avait davantage besoin d'aide. Ces gens ont parlé de démocratisation, d'autodétermination et du carcan dans lequel se trouvaient leurs pays respectifs et qui les empêchait de mettre en œuvre des politiques de développement adaptées à leur contexte national propre.

À l'époque, la conjoncture internationale la plus frappante et la plus importante pour ces pays africains était précisément les négociations de Doha et ce que ces négociations semblaient sous-tendre pour eux en fait de possibilités de développement futur. C'était les règles planétaires du développement et les problèmes internes de ces pays sur la voie de la démocratisation et de la responsabilisation de leur gouvernement. Ça ne veut pas dire qu'il n'y avait pas non plus de problèmes internes, mais la conjoncture planétaire était telle que le processus de démocratisation devenait très difficile.

Étant donné ce que nos collègues africains vous ont dit la semaine passée, je ne pense pas que cela doive beaucoup vous étonner. D'ailleurs, je pense que vous le reconnaissez vous-mêmes dès lors que vous avez convoqué cette séance pour parler de l'OMC.

Vous vous souvenez peut-être aussi que, la semaine dernière, c'était moi qui vous avais brossé le contexte dans lequel ces négociations ont lieu. Ce contexte est tel, du moins en partie, que le transfert net de ressources, aide, modalités du commerce, services de la dette et fuite des capitaux confondus, se fait de l'Afrique vers les pays industrialisés. C'est l'Afrique qui nous subventionne, cela apparaît clairement lorsqu'on regarde le tableau économique d'ensemble.

Un autre élément de ce contexte est la disparition de la souveraineté des pays africains en ce qui concerne leur propre planification économique, cela étant dû aux dons conditionnels et aux institutions financières planétaires qui font partie de la restructuration du service de la dette que nos collègues vous ont décrite lorsqu'ils ont comparu devant vous.

Par ailleurs, comme ces pays dépendent également de denrées dont le cours est très volatile, l'infrastructure marginale très faible de ces pays a toujours été axée sur l'extraction des ressources du continent. Ainsi, les structures du transport et des communications sont, en Afrique, au service de l'extraction des ressources mais non pas du commerce inter-pays, ni d'ailleurs de la consommation intérieure et des marchés nationaux.

Le régime commercial planétaire est hostile au développement de l'Afrique. Ce n'est pas simplement une question de marchés, il faut également permettre à l'industrie africaine de se développer. Depuis 20 ans, l'Afrique vit à l'ère de la désindustrialisation.

Je vais vous donner un petit exemple de la façon dont les tarifs s'appliquent au détriment de la production africaine dans le cas du Japon. Les fèves de cacao qui entrent au Japon se voient imposer un tarif de 0 p. 100. Le tarif passe à 5 p. 100 pour la pâte de cacao, à 10 p. 100 pour la pâte de cacao dégraissée, à 13 p. 100 pour la poudre de cacao et à 280 p. 100 pour le chocolat. Plus le produit est transformé, plus le tarif est élevé, ce qui confine l'Afrique au rôle de fournisseur de matières et de denrées brutes.

Les pays riches affirment que les échanges commerciaux entraîneront le développement et que tout le monde doit être soumis aux mêmes règles du jeu. Néanmoins, la question de savoir si c'est le commerce qui est le moteur du développement ou le développement qui est le moteur du commerce demeure controversée. Il est clair que la réponse ne se trouve ni dans l'une ni dans l'autre de ces hypothèses, mais nous ne devons pas perdre de vue les enjeux liés à la production et au développement pour ce qui est de l'offre.

Il ne s'agit pas simplement d'accès aux marchés. Il est également question de production et de soutien à la production, ce qui inclut la possibilité de nourrir nos propres industries naissantes grâce à des investissements du gouvernement et à des infrastructures de même qu'à des tarifs protecteurs au besoin. Pour les pays africains, l'idée même de vouloir uniformiser les règles du jeu est cruelle. Non seulement les pays riches sont en bien meilleure position, mais ils privent les pays pauvres des outils dont ils se sont servis. Si l'on applique les mêmes règles à des partenaires qui ne sont pas égaux, alors ces règles deviennent inéquitables.

S'agissant de l'agriculture, j'ai un mémoire plus détaillé rédigé à partir des travaux du groupe de réflexion sur la sécurité alimentaire du CCCI, dont je pourrais vous remettre un exemplaire. J'aimerais vous citer brièvement quelques chiffres en ce qui concerne la question critique du soutien des prix et des subventions. En 2002, les pays de l'OCDE ont consacré un total de 235 milliards de dollars au soutien des prix et aux subventions, ce qui leur a permis d'exporter des céréales à des prix de 40 p. 100 inférieurs au coût de production. Autrement dit, le soutien agricole versé dans les pays de l'OCDE représente 16 fois la somme allouée par ces pays à l'aide étrangère à l'Afrique. Ces chiffres sont tirés du rapport de la Commission pour l'Afrique rendu public la semaine dernière.

Par conséquent, à cause de ce soutien à l'agriculture et des subventions consenties dans les pays du Nord et à cause des répercussions de ces mesures sur la production alimentaire en Afrique, la faim fait plus de victimes en Afrique que toutes les maladies infectieuses réunies. Les pays pauvres sont inondés de produits importés subventionnés, à cause des conditions dont les prêts du FMI et de la Banque mondiale sont assortis, lesquelles imposent une baisse des tarifs, et à cause des règles de l'OMC qui interdisent l'augmentation des tarifs.

À titre d'exemple, le Ghana est un pays très fertile qui ne devrait pas éprouver de difficultés à produire des aliments. Pourtant ce pays importe des poulets et des tomates car ces produits sont lourdement subventionnés, et car le Ghana ne peut imposer de tarifs pour protéger sa propre production à cause des conditions liées à la restructuration de sa dette. Par conséquent, même les producteurs locaux de poulet et de tomate ne peuvent faire concurrence aux producteurs européens.

Les marchés sont beaucoup plus ouverts dans de nombreux pays pauvres que dans les pays riches. Ainsi, le Mozambique, la Zambie et le Mali sont beaucoup plus ouverts que le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne. Or, souvent, l'objectif de la politique canadienne n'est pas de protéger nos marchés de la concurrence africaine, mais plutôt d'avoir accès aux pays africains au moment où leur propre production et leurs propres industries sont affaiblies.

Pour que l'agriculture soit florissante, il faut que les agriculteurs reçoivent des prix qui dépassent leurs coûts de production. Si la production et la mise en marché des récoltes principales sont faussées par des produits importés à des prix inférieurs, alors les conséquences sont à la fois immédiates et graves, et ce n'est pas seulement la production alimentaire qui est touchée. À cause des pertes de revenu, des enfants cessent d'aller à l'école, des agriculteurs arrêtent de consommer d'autres produits et les liens entre les fermes et les villes s'amenuisent car les acheteurs et les fournisseurs d'autres services ne peuvent plus participer à la vie économique. Les gouvernements nationaux doivent disposer d'une marge de manœuvre leur permettant d'adopter des politiques qui favorisent le développement agricole local et régional. Les pays en voie de développement doivent avoir la possibilité de tracer leur propre chemin vers le développement et ne doivent pas se voir imposer d'échéancier qui retarde leur arrivée à la même destination.

Au CCCI, dans le secteur des ONG plus précisément, nous avons établi certains indicateurs que nous avons examinés pour constater les progrès qui ont été réalisés dans ce dossier en vue de la réunion ministérielle qui a eu lieu à Cancun à l'été 2003. Parmi ces indicateurs figurait l'absence de nouveaux points à l'ordre du jour de l'OMC. Il s'agissait de demandes claires émanant des pays africains. Il y avait un consensus entre les gouvernements et la société civile sur ces questions. C'est une rare manifestation de solidarité axée sur les besoins tels que définis par la population.

Parmi les autres indicateurs, on retrouve le fait d'aborder la question du dumping de produits agricoles et de militer en faveur d'un traitement spécial et différencié réservé aux pays en voie de développement afin qu'ils bénéficient de la marge de manoeuvre nécessaire pour adopter des politiques qui encouragent le développement rural et la salubrité alimentaire; le fait d'accorder à tous les gouvernements la souplesse nécessaire pour faire en sorte que les services essentiels ne puissent être privatisés; le fait d'adopter des dispositions relevant de la propriété intellectuelle afin de protéger la santé publique, les droits des agriculteurs ainsi que la biodiversité; l'adoption d'un plan en vue de démocratiser la prise de décisions et la gouvernance à l'OMC afin que tous les pays puissent participer aux négociations sur un pied d'égalité.

En conclusion, j'ai appris que le ministre Goodale viendra vous parler du rapport de la Commission pour l'Afrique. Il s'agit d'un rapport important qui mérite d'être examiné. En effet, plusieurs de ces recommandations sont regroupées dans le rapport qui reconnaît non seulement la nature des besoins en Afrique, mais aussi la mesure dans laquelle les politiques actuelles ont nui à ce continent. Il ne s'agit pas seulement d'intensifier les mesures que nous avons déjà prises, mais plutôt de modifier une bonne partie de nos pratiques actuelles et de donner aux pays africains suffisamment de souplesse et de ressources pour leur permettre de mettre en pratique leurs propres stratégies.

Sur le plan politique, lors de la prochaine réunion ministérielle de l'OMC qui aura lieu à Hong Kong, il est important que le Canada joigne le geste à la parole et montre qu'il est prêt à apporter des changements significatifs, pour ce qui est de sa relation avec l'Afrique mais surtout en ce qui concerne le rôle de premier plan que le Canada peut jouer parmi les pays industrialisés. C'est-à-dire que nous ne devons pas exercer de pression sur les pays africains afin qu'ils abandonnent une revendication au profit d'une autre. Il s'agit plutôt pour le Canada de faire preuve du même leadership qu'il a exercé au sujet de la réduction de la dette et du programme commercial de la Commission pour l'Afrique, que le Canada a contribué à recentrer autour du développement.

Mme Ann Weston, vice-présidente et coordonnatrice de la recherches, L'Institut Nord-Sud : J'aimerais ajouter quelques observations aux points soulevés par Mme Kane. Tout d'abord, j'insiste sur l'importance que revêtent les politiques intérieures dans les pays africains lorsqu'il s'agit d'appuyer le développement agricole. Je vais souligner qu'il est urgent que les pays développés cessent de fournir des subventions à l'exportation et un soutien intérieur à leur agriculture. En troisième lieu, je vais vous dire qu'il est important d'améliorer l'accès aux marchés des pays industrialisés et d'autres pays en voie de développement et ce, dans le contexte de l'initiative d'accès aux marchés des pays les moins avancés dont nous avons déjà entendu parler aujourd'hui.

J'aimerais souligner à quel point nos idées sur les meilleurs soutiens au développement agricole et sur la contribution potentielle de l'agriculture au développement, à la croissance et à la réduction de la pauvreté en Afrique comme dans d'autres pays, ont changé.

[Français]

Dans les années 1980 et 1990, les politiques du Consensus de Washington pour l'agriculture voulaient que l'ouverture des marchés et la réduction du rôle de l'État se réalise par le développement de l'agriculture dans les pays africains aussi bien que dans les autres régions en développement.

[Traduction]

En d'autres termes, bien que certains consommateurs africains aient bénéficié des tarifs plus faibles qui leur ont permis d'importer des aliments européens subventionnés, et bien que les exportateurs aient pu bénéficier de la réforme des commissions étatiques de mise en marché qui étaient inefficaces et coûteuses, on reconnaît maintenant de façon générale qu'il est important de protéger la production agricole intérieure en Afrique et que l'État joue un rôle déterminant dans le soutien à la production agricole. L'ensemble des mesures de protection combinées à d'autres formes de soutien étatique peuvent varier d'un pays à l'autre, ce qui reflète les différences dues à la nature de la production agricole dans chacun des pays, à d'autres facteurs et au choix politique des États concernés. Le défi auquel nous sommes confrontés consiste à faire en sorte que l'OMC et que les règles qui sont actuellement négociées dans le cadre du Programme de Doha pour le développement, accordent aux pays concernés la marge de manoeuvre nécessaire pour adopter de telles politiques. C'est ce que nous préconisons. Il faut s'assurer que les règles de l'OMC, renforcées par les politiques d'autres organisations, telles les politiques d'aide internationale de la Banque mondiale, permettent aux gouvernements africains d'intervenir en vue d'aider les petits agriculteurs à améliorer leurs conditions de vie.

Je vais maintenant vous parler des politiques de commerce intérieur qu'il faudra peut-être adopter, lesquelles font l'objet de négociations à l'OMC. Les gouvernements africains devraient avoir la possibilité de protéger leurs agriculteurs contre les produits agricoles qui font l'objet de subventions inéquitables, voire même qui sont plus concurrentiels. En effet, il se peut que certains produits ne soient pas subventionnés mais que leurs prix rendent impossible toute concurrence de la part des petits agriculteurs. Les gouvernements devraient se voir accorder le droit de refuser de s'engager à réduire les tarifs applicables aux produits agricoles importés. On nous a dit que le Programme de Doha pour le développement permettait aux pays les moins avancés de ne pas ouvrir leurs marchés, mais je soutiens, et la Commission pour l'Afrique soutient, que les pays africains à faible revenu devraient également avoir la possibilité de ne pas s'engager à consentir de nouvelles réductions des tarifs agricoles. Il est vrai que les pays africains peuvent dresser une liste de produits spéciaux, c'est-à-dire des produits qui revêtent une importance particulière sur le plan de la sécurité alimentaire, de la survie des agriculteurs et des besoins en matière de développement rural. Néanmoins, à l'heure actuelle, les pays africains doivent réduire les tarifs agricoles qui s'appliquent même à ces produits que l'on dit spéciaux. Je soutiens que cela ne devrait pas être le cas.

Il importe également de parler du rôle que les gouvernements peuvent jouer pour aider les paysans à négocier des prix équitables avec ces acheteurs étrangers qui sont de plus en plus imposants et dominants. Il faudra peut-être ici ressusciter des organismes publics de mise en marché ou consolider les coopératives de producteurs. L'accord-cadre de l'OMC conclu en juillet de l'an dernier stipule que seules les sociétés étatiques qui protègent les consommateurs et assurent la sécurité alimentaire seront autorisées à conserver leur monopole, ou alors elles n'y seront pas nécessairement autorisées mais elles bénéficieront d'une attention particulière.

Il faut s'interroger sur le fait que, après l'abolition des organismes étatiques de mise en marché, les paysans dans bon nombre de pays se retrouvent aujourd'hui devant des monopoles, non pas des monopoles d'État mais des monopoles privés. Ces entreprises sont souvent en mesure de maintenir les prix à la baisse. De même, elles s'aventurent rarement dans les régions éloignées de ces pays pour y acheter des denrées. Elles investissent très rarement dans la R et D qu'il faut faire pour hausser la productivité. Il faut permettre aux gouvernements africains d'aider leurs petits agriculteurs à obtenir des prix équitables.

Il faut aussi que ces gouvernements jouent un rôle dans la négociation des normes internationales établies par les acheteurs étrangers, qui ne sont pas nécessairement des gouvernements. De plus en plus, la concentration dans le secteur international du détail fait en sorte que les acheteurs sont à même d'établir les normes qui leur permettront de s'assurer une part du marché, mais les petits agriculteurs de l'Afrique ont souvent du mal à respecter ces normes. Un certain nombre d'études démontrent qu'un pays comme le Kenya, où les petits exportateurs horticoles étaient prospères, a aujourd'hui du mal à conserver sa place dans la chaîne d'approvisionnement. Les acheteurs internationaux préfèrent traiter avec les grands propriétaires fonciers, et en conséquence, les paysans se retrouvent exclus du marché de l'exportation. La question des normes est très importante, c'est-à-dire la façon dont les normes sont établies et ce que les autres gouvernements peuvent faire pour régler ces problèmes particuliers, qu'il s'agisse d'une aide du gouvernement canadien aux gouvernements africains ou d'une initiative des gouvernements africains eux-mêmes.

Quelques mots sur l'abolition des subventions à l'exportation et du soutien dans les pays développés; je ne veux pas m'attarder là-dessus. C'est une question importante; on l'a vu dans le cas du coton. Il y a d'autres produits, comme le sucre et le bœuf, où le problème demeure, mais celui-ci sera compliqué dans le cas de l'Afrique étant donné que ces exportateurs vers l'Union européenne ont profité des prix plus élevés du marché européen. Lorsque l'Union européenne réduira son soutien aux producteurs et que les prix vont tomber, il faudra songer à compenser les producteurs africains. La fin du soutien intérieur et des subventions à l'exportation est une chose compliquée pour l'Afrique.

Je vais maintenant vous parler d'un problème où le Canada peut faire quelque chose en modifiant sa propre politique, et je parle de l'accès aux marchés. On a entendu parler plus tôt de l'initiative d'accès aux marchés pour les pays les moins développés. J'avance ce qu'a déjà avancé la Commission pour l'Afrique, à savoir que cette initiative doit être élargie et doit inclure non seulement les pays les moins développés mais aussi les pays africains à faible revenu. Il s'agit de pays comme le Kenya et le Ghana dont on a parlé plus tôt. Cela permettrait à l'Ouganda et à la Tanzanie d'avoir un meilleur accès au marché canadien que le Kenya, qui fait également partie de la Communauté régionale de l'Afrique orientale.

La Commission pour l'Afrique invite également les pays comme le Canada à enchâsser cet accord dans les statuts de l'OMC — c'est-à-dire, l'initiative de l'accès aux marchés — et d'améliorer les règles d'origine, de les rendre plus généreuses, ce qui exigerait moins de valeur ajoutée dans les pays exportateurs d'Afrique de telle sorte que ceux-ci ne paieraient pas de droits sur les exportations vers le marché canadien. Ce sont là quelques suggestions qui permettraient au Canada d'aider ces pays, c'est-à-dire en modifiant sa propre politique commerciale, au niveau du tarif. Côté normes, il est également important que le Canada prenne l'initiative, particulièrement en ce qui concerne la souplesse.

Il y a certaines politiques commerciales où le Canada peut changer des choses, mais comme beaucoup le reconnaissent, il est important que le Canada démontre son leadership non seulement dans le domaine de la politique commerciale mais aussi dans sa politique d'aide au développement, et ce, afin d'accroître notre soutien au développement agricole en Afrique.

[Français]

M. André D. Beaudoin, directeur général, UPA Développement international : J'aimerais tout d'abord remercier le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères de son invitation à comparaître pour parler du contexte africain. Cette occasion me fait également réaliser un certain paradigme. Je me rends compte que dans le cadre d'un comité sénatorial on peut en venir à se poser certaines questions qui obligent un repositionnement. Je dois dire que j'ai beaucoup apprécié la première heure de cette rencontre.

Permettez-moi de vous exposer quelques données de base. En Afrique de l'Ouest, 65 p.100 de la population s'adonne à des activités agricoles. L'agriculture constitue 35 p.100 du produit intérieur brut et représente 30 p.100 des exportations totales. La gamme des produits exportés est très limitée. Il s'agit essentiellement du café, du cacao et du coton. Le taux d'importation est maintenant de 19 p.100 et la population s'accroît au rythme de 2,5 à 3 p.100 annuellement. Ces données auxquelles je fais référence se basent sur 15 ans d'intervention en Afrique, plus particulièrement dans les régions de l'ouest et du centre.

L'agriculture africaine est essentiellement une agriculture de subsistance. Cette activité emploie une importante main-d'œuvre. Même l'agriculture dite de rente, qui fournit les produits d'exportation, repose sur des exploitations de dimension très réduite.

Depuis 20 ans, le volume et la valeur des exportations africaines sont en chute constante. Les filières aux produits d'exportation sont relativement bien organisées et efficaces. À titre d'exemple, le coton représente actuellement 12 p. 100 du marché mondial. Il est reconnu comme étant un produit de qualité et son prix est compétitif. Par contre, les produits vivriers sont très peu organisés en filière. L'atomisation de la production, conjuguée à la faiblesse de la structuration de l'offre, laisse les paysans à eux-mêmes, incapables de rejoindre efficacement la demande solvable.

Les programmes d'ajustement structurel ont eu pour effet d'accentuer davantage la désorganisation des marchés. Les offices étatiques qui furent abandonnés dans le cadre de ces programmes n'ont, jusqu'à ce jour, pas été remplacés par des mécanismes pouvant répondre adéquatement aux besoins du marché. L'augmentation de la production vivrière fut légèrement plus rapide que la croissance démographique. Ce fait est attribuable à l'augmentation des superficies ensemencées et non à l'augmentation de la productivité.

Pour ce qui est de l'Afrique et de la conjoncture internationale, il est illusoire d'imaginer, dans l'état actuel des choses, que l'agriculture africaine puisse se positionner avantageusement sur les marchés internationaux. Tout d'abord, elle se trouve devant des problèmes exogènes. L'agriculture africaine doit concurrencer avec des produits qui sont bradés sur les marchés internationaux à prix de dumping. Il est difficile pour elle de rivaliser avec des subventions à l'exportation dont elle ne peut bénéficier. Le coton africain est un exemple parmi tant d'autres. Cette production doit rivaliser avec une agriculture de haute technologie souvent intégrée à des activités en amont et en aval.

L'agriculture africaine est aussi confrontée à des problèmes endogènes. Pour un grand nombre de produits, l'industrie est tout à fait désorganisée. Les principaux acteurs tels les producteurs et les opérateurs économiques ne travaillent pas ensemble.

L'Afrique de l'Ouest est le plus grand producteur de noix de karité au monde. Il s'agit d'un produit à très haute valeur ajoutée. Il existe un potentiel élevé sur les marchés internationaux pour le beurre de karité. On peut utiliser ce produit aussi bien pour la fabrication d'aliments que pour les produits de beauté et les produits pharmaceutiques. Pourtant, tout reste à faire pour que le potentiel de ce produit soit exploité.

Le renforcement de la capacité de production, de développement, de transformation et l'organisation de la mise en marché restent à faire. Ce n'est qu'avec une stratégie globale bien articulée, impliquant tous les acteurs de la filière, avec le support de politiques adéquates, que les producteurs pourront vivre de leur travail, que les pays bénéficieront de l'usufruit de leurs ressources et que finalement l'Afrique pourra véritablement se développer.

La poussée du libéralisme économique, traduite dans les politiques de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international et inscrite dans les règles commerciales internationales de l'OMC, a eu des effets dévastateurs sur les pays africains. D'une part, le prix des produits traditionnellement destinés à l'exportation n'a fait que chuter sur les marchés mondiaux. Par ailleurs, de nouveaux produits d'importation, tels que le riz et le poulet, sont venus inonder les marchés locaux. Ceci a eu pour effet de nuire à toute chance de développement pour l'agriculture domestique.

En d'autres mots, de victoire en victoire, l'Afrique recule. On a beau tenter de faire croire aux gens que le commerce créé une croissance économique et que cette croissance amène plus de richesse. Les statistiques révèlent qu'en réalité ce n'est pas ce que l'Afrique a vécu au cours des 15 dernières années, période durant laquelle le libéralisme économique a connu une véritable poussée.

Les principales productions africaines liées à l'exportation sont en chute libre au niveau des prix. En retour, l'Afrique se trouve inondée de produits de toutes sortes. On parle souvent de subventions, mais ce ne sont pas toujours des subventions monétaires. Le fait d'importer au Sénégal de la brisure de riz place indûment la production locale en compétition et anéantit la production de riz en Afrique de l'Ouest. Il existe malheureusement une multitude d'exemples de la sorte.

La dépréciation du prix des produits agricoles fut certes un facteur déterminant dans le déclin de l'agriculture africaine et de son développement. À ce facteur s'ajoute celui du manque de programmes permettant aux producteurs de se prémunir contre les risques inhérents aux activités agricoles. D'un côté, on retrouve les aléas du marché, de l'autre côté les aléas climatiques. Ces obstacles, entre autres, font partie des difficultés quotidiennes auxquelles doivent se heurter les producteurs agricoles en Afrique.

Il ne fait aucun doute que l'agriculture africaine et, par conséquent, l'économie africaine ne pourra se développer ni s'émanciper sans que des efforts concertés ne viennent changer la situation. Des mesures de protection de l'agriculture devront être définies et reconnues dans le cadre de toute négociation commerciale, aussi bien régionale qu'internationale. D'ailleurs, ce point a fait le consensus unanime lors du forum international Dakar Agricole 2005, organisé par le gouvernement sénégalais et présidé par Son Excellence M. Abdoulaye Wade, président de la République du Sénégal. Ce forum a réuni quelques 1 000 personnes, dont des spécialistes, universitaires, politiciens, technocrates et producteurs agricoles.

Plusieurs organisations, telles l'Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CDEAO), le Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles (ROPPA) de l'Afrique de l'Ouest et du Centre, la Plateforme appui au développement rural en Afrique de l'Ouest et du Centre, considèrent que l'Afrique est actuellement sur une voie d'évitement en ce qui a trait au commerce international.

Pour se sortir de l'impasse, il est nécessaire de saisir la vraie dimension des problèmes énumérés dans cet exposé et d'apporter les solutions pragmatiques à chacun d'eux. L'Afrique de l'Ouest compte plus de 300 millions d'habitants. Malgré le VIH et les conflits régionaux, l'Afrique comptera en 2020 environ 500 millions de personnes.

Le marché le plus sûr et le plus accessible est certainement le marché continental. Il est donc urgent de donner aux africains les moyens de protéger leur marché et de le développer. Il faudrait également hausser le prix des produits agricoles pour leur permettre de rencontrer les coûts de production des denrées alimentaires. Sans de telles mesures, 65 p. 100 de la population de ce continent se trouveront dans une impasse.

À cet effet, les six orientations retenues lors du forum international Dakar Agricole 2005 sont plutôt révélatrices. La première orientation vise l'organisation concrète de l'appropriation et de la maîtrise du progrès technologique par les acteurs du développement dans les pays du sud. La deuxième orientation vise l'adaptation de formes de soutien public et de services bancaires au développement agricole. La troisième vise une réflexion sur les régimes fonciers offrant un cadre stable et juste aux agriculteurs du sud. La quatrième recherche un équilibre dans l'approvisionnement du marché intérieur et dans les parts du marché, au sein d'un système équilibré et régulé d'échanges internationaux. La cinquième propose la mise en œuvre concrète et pragmatique des objectifs du cycle de Doha sur le développement des pays du sud. La sixième orientation vise la mise en œuvre effective de la souveraineté alimentaire, concept devant passer de la rhétorique internationale à un impératif d'action.

Pour notre part, nous estimons que le Canada a un rôle important à jouer pour le soutien de l'agriculture des pays du sud dans le cadre des négociations de l'OMC. Par la gestion de l'offre, le Canada peut présenter au reste du monde le moyen efficace de protéger les agriculteurs et l'agriculture familiale, tout en s'inscrivant dans une dynamique économique de marché. Au Canada, ce mécanisme de régulation de marché a fait ses preuves depuis 40 ans. Il a démontré son efficacité et sa capacité de répondre en tout point aux aspirations légitimes des Africains. D'ailleurs, ceux-ci sont les premiers à demander qu'une telle solution s'implante dans leurs pays.

On imagine que la gestion de l'offre pourra s'appliquer selon les pays ou les zones géographiques susceptibles de garantir des marchés stables aux agriculteurs. Ceux-ci pourront ainsi développer une agriculture durable. Le Canada, cherchant à augmenter son rayonnement international et jouissant encore d'une grande renommée, détient une solution efficace. L'expérience de son efficacité et de son succès est largement documentée. Le Canada possède aussi l'expertise scientifique, technique et pratique pour être en mesure de jouer un rôle de premier plan dans la mise en œuvre d'un tel outil partout dans le monde.

Sur le plan militaire, le Canada assume son leadership en préconisant la paix. Nous croyons que le Canada peut également s'affirmer sur le plan de l'agriculture, levier du développement africain. Principale source de sécurité alimentaire, l'agriculture telle que nous la concevons pourrait devenir un nouvel instrument de paix porté par le Canada.

[Traduction]

Le sénateur Carney : Vos exposés nous ont appris beaucoup de choses et nous ont sûrement donné un portrait plus réaliste de la situation. Vous avez tous les deux — je n'ai pas entendu Mme Kane — parlé du rôle que le Canada peut jouer. Vous avez mentionné plusieurs exemples dans vos exposés. Quelles seraient vos priorités, si vous deviez nous donner une liste courte à partir de vos exposés?

Le président : Mme Kane peut-elle répondre à cette question aussi?

Le sénateur Carney : Je n'ai pas entendu son exposé, mais si elle peut intervenir, qu'elle le fasse. Les témoins nous ont fait part de renseignements très utiles et nous ont dit ce que le Canada peut faire pour faciliter l'accès aux marchés, ce à quoi j'ai fait allusion avec nos témoins précédents. Je m'en tiens au thème général de mes questions. Si nous devions prioriser, étant donné que c'est un continent immense où il y a tant de problèmes, quelles seraient vos priorités en matière de commerce international?

Mme Kane : Je vais sembler m'écarter du sujet mais ce n'est pas le cas. Il y a la question critique de la gouvernance des institutions mondiales où le Canada peut saisir l'initiative en les rendant plus démocratiques. Au sein de l'OMC, ce problème est manifeste.

Les capacités commerciales de ces pays qui n'ont pas des équipes de 200 conseillers qui prennent part à ces négociations s'en trouvent réduites. Cela crée par conséquent des conditions défavorables à la participation à ces négociations. Le Canada pourrait démontrer son leadership ici.

Étant donné le lien qu'il y a entre les contraintes commerciales, telles qu'elles sont déterminées au sein de l'OMC, et la conditionnalité des autres institutions financières — qui créent également des barrières pour les pays africains qui veulent se doter de tarifs, par exemple —, la gouvernance de ces institutions est également au cœur du développement.

Le sénateur Carney : On nous a parlé beaucoup de cela, mais nous ne savons pas très bien comment nous y prendre. Quand vous parlez du déséquilibre dans la capacité de négociation, c'est un problème sérieux. Est-ce que le Canada peut former des négociateurs commerciaux? Auquel cas, l'argent ne serait pas la solution. Comment pouvons-nous aider ces pays sur le terrain?

Mme Kane : Je vais laisser à mes collègues le soin de parler plus précisément des exigences agricoles, mais les Africains nous disent souvent, en ce qui concerne le comportement du Canada ... l'une des exigences qu'on avait pour Cancun était de cesser d'ajouter de nouveaux points aux négociations. Les pays africains ont dit : « Nous n'avons pas la capacité pour discuter de ces choses maintenant; nous voulons ralentir le mouvement. Nous ne pouvons pas nous adapter à ce rythme rapide de libéralisation. » Ce serait une manière de régler la question de la capacité.

Ils résistent en fait à l'idée d'avoir des conseillers étrangers qui les aideraient à négocier parce qu'ils veulent négocier à leurs propres conditions. Il faut qu'ils aient du temps pour cela. C'est une chose que recommande le rapport de la Commission pour l'Afrique, à savoir, ralentir le rythme de la libéralisation et ne pas lier la libéralisation au développement comme on l'a fait par le passé.

[Français]

M. Beaudoin : On doit cesser de faire preuve de complaisance. Le Canada travaille en coopération avec l'Afrique depuis plus de 40 ans. Par conséquent, il connaît bien le continent africain et comprend les problématiques africaines.

Honorable sénateur, vous avez énuméré plus tôt un grand nombre de statistiques au sujet du commerce entre le Canada et l'Afrique. Toutefois, en réalité, tout le monde sait qu'actuellement ces chiffres sont négligeables.

À mon avis, le rôle le plus utile du Canada ne réside pas uniquement en une démarche destinée à accroître les échanges commerciaux avec l'Afrique. Soyons clairs. Je ne m'oppose pas à l'augmentation du commerce entre l'Afrique et le Canada. Toutefois, ce n'est pas ce qui, essentiellement, sauvera le continent africain. Le commerce n'est pas la contribution la plus importante de la part du Canada.

Plusieurs réalités échappent aux grandes puissances économiques, au profit d'enjeux économiques jugés plus importants. Le Canada est en mesure d'exposer cette problématique. D'ailleurs, les pays africains et le G90, lors de la réunion qui s'est tenue à Cancún, ont invité le Canada à se joindre au groupe. Il va sans dire que cette adhésion ne pouvait se faire sur le plan politique. Ce geste a toutefois témoigné de la grande crédibilité dont jouit le Canada. Mais cette crédibilité pourrait se voir compromettre si le Canada persiste dans sa complaisance et continue de se fermer les yeux sur plusieurs réalités évidentes.

Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international nous dit qu'il existe des perspectives d'avenir pour les Africains, entre autres, sur le continent nord-américain et en particulier au Canada. Tout le monde connaît la réalité actuelle en Afrique en ce qui a trait à l'atomisation de la production. De façon concrète, ces unités de production sont si petites, sans des mécanismes pour regrouper l'offre, jamais ces gens n'auront accès au marché.

En examinant de plus près la source de vos statistiques, vous verrez qu'elles s'apparentent principalement aux multinationales basées en Afrique qui utilisent les accords commerciaux pour envoyer des produits en territoire nord- américain.

Le Canada devrait cesser d'être complaisant. Il devrait plutôt aider les autres grandes puissances à s'ouvrir les yeux pour permettre au continent africain et à l'agriculture africaine de se sortir du modèle dans lequel ils se sont enfermés depuis leur indépendance.

[Traduction]

Le sénateur Carney : Si je vous comprends bien, vous dites que le Canada devrait défendre davantage certains de ces pays. Que pouvons-nous faire à propos des institutions internationales? On nous dit constamment au comité que les mesures que prennent la Banque mondiale et le FMI sont improductives, qu'elles font plus de mal que de bien, mais ce n'est pas nous qui nommons le président de la Banque mondiale, c'est le président Bush. Souvent, nous échangeons l'un des nôtres, par exemple Donald Johnston à l'OCDE, pour l'un des leurs de l'Union européenne. Comment pouvons-nous corriger ce problème très réel, à savoir le fait que les institutions internationales de développement étranglent l'économie de certains de ces pays? Que pouvons-nous faire, tout en restant réalistes, à part le très beau travail que vous faites?

Mme Kane : Au sujet de la nomination du président de la banque par le président Bush, le moment est peut-être venu de contester cette procédure étant donné les recommandations de la commission présidée par Tony Blair, qui préconisait un processus plus démocratique et fondé sur la sélection au mérite. Étant donné la composition particulière du leadership de la commission et cette nomination à venir, qui est tellement controversée, non seulement dans les pays en voie de développement mais en Europe aussi, le Canada pourrait dire que le moment est venu de réformer ce processus et de le rendre plus démocratique.

L'autre problème, c'est la mesure dans laquelle le programme d'aide du Canada est nécessairement lié à la conditionnalité de la banque et du fonds. On pense qu'il existe un consensus des donneurs, et il s'agit d'un consensus très partiel qui ne comprend pas bon nombre des représentants des pays en voie de développement. J'ai entendu dire aujourd'hui que la ministre de la Coopération internationale avait annoncé quatre priorités sectorielles, et l'agriculture n'y est même pas. Dans vos discussions futures, vous pourriez peut-être vous demander où est passé l'agriculture.

Le président : Je vous pris de répéter ce que vous venez de dire, je l'ignorais.

Mme Kane : Je n'étais pas à la conférence de presse aujourd'hui, mais la ministre Carroll a annoncé les quatre priorités sectorielles du programme d'aide du Canada et la décision qui a été prise de s'en tenir à 24 pays, et parmi les secteurs mentionnés, l'agriculture n'y était pas. Les secteurs sont les suivants : la gouvernance, le développement du secteur privé, la santé et l'éducation. On pourrait par conséquent en faire un autre secteur, si le Canada est le premier à reconnaître l'importance du développement agricole?

Le président : Les membres de notre comité doivent le savoir, nous avons demandé à la ministre Carroll de témoigner devant le comité. Nous y voyons. Je peux anticiper votre demande. Merci.

[Français]

Le sénateur Corbin : Le Canada n'est évidemment pas le seul joueur en Afrique. Plusieurs nations bien nanties sont sur le champ et contribuent de façon active au développement du potentiel africain. Il est évident que nous nous concentrons ce soir sur les politiques, les programmes, les efforts et les ambitions du Canada relativement à l'aide pour l'Afrique. Cependant, pouvez-vous nous dire quels sont les autres pays qui contribuent de façon « désintéressée » au relèvement de l'Afrique dans le domaine agricole? Cette information pourrait nous être utile.

Monsieur le président, ce comité devrait rencontrer les organismes sinon les gouvernements d'autres pays qui se sont joints à nous dans cet effort. Je trouve qu'on est parfois nombriliste dans notre évaluation des programmes.

Ne nous dites pas seulement ce qui ne marche pas bien au Canada, mais plutôt ce qu'on pourrait faire pour améliorer la situation. Pourriez-vous nous donner des exemples de contributions positives de la part d'autres nations dans cette campagne africaine? Est-ce que vous êtes en mesure de nous éclairer sur cette question?

Mme Weston : Prenons, par exemple, le programme d'aide de la Grande-Bretagne pour l'agriculture en Afrique. Ce programme ne semble pas tout à fait « désintéressé ». Plusieurs efforts ont été déployés pour aider l'agriculture africaine.

Bien que notre ministre de la Coopération internationale insiste plutôt sur le développement du secteur privé, n'oublions pas toutefois les programmes comme celui de l'UPA financé par l'ACDI. Il serait possible d'inclure le secteur de l'agriculture dans ce programme. Nous devrions insister sur ce point.

On doit donc considérer d'abord les programmes d'assistance de la Grande-Bretagne. D'autre part, il est clair qu'aux États-Unis il existe certains programmes. Toutefois, ces programmes sont vraiment désintéressés et il faut s'en méfier.

Le sénateur Corbin : Ma deuxième question s'adresse à M. Beaudoin — qui pourra également répondre à la première question s'il le désire. Monsieur Beaudoin, pourriez-vous nous dire ce que vous faites en Afrique depuis 15 ans?

M. Beaudoin : Pour répondre à la première question, je vous dirais que les coopérations complètement désintéressées sont relativement rares — du moins, parmi celles qui furent portées à notre attention. Une des coopérations dans le domaine agricole qui semble apporter des résultats intéressants est la coopération hollandaise. D'ailleurs, cette coopération a une façon d'intervenir plutôt originale. Les Hollandais ont une structure d'intervention en agriculture. Il n'existe, en fait, qu'une seule organisation aux Pays-Bas qui intervienne en agriculture. Cette intervention se fait à partir des deux plus grandes ONG et à partir d'une organisation agricole. En d'autres termes, le gouvernement a obligé une union des forces pouvant intervenir dans cette coopération afin de produire des résultats plus probants. Cette dynamique est plutôt intéressante.

Pour répondre à votre deuxième question, depuis une quinzaine d'années nous travaillons beaucoup à partir de mécanismes qui ont fait leurs preuves et qui ont été développés au Canada. J'ai parlé tout à l'heure de la gestion de l'offre. Nous n'avons pas la prétention de développer des filières à partir de la gestion de l'offre. Toutefois, on s'inspire largement de ce concept. Nous faisons en sorte qu'il y ait un regroupement de l'offre et qu'à travers ce regroupement on puisse aborder certains problèmes qui ne sont jamais pris en considération dans les grands débats internationaux. On aborde ainsi des problèmes tels que celui de l'accès au savoir, l'accès à l'information et l'accès au crédit, pour que ces gens puissent éviter d'être dans une situation où ils doivent brader leurs produits dès le moment de la récolte. Nous tentons donc de gérer ces problèmes à travers des mécanismes qui ont été mis à l'épreuve au Canada.

Depuis près de 40 ans, il existe au Canada ce qu'on appelle les paiements anticipés aux producteurs agricoles — on parle toujours de productions à cycle court, comme dans le cas de la production céréalière. Ce sont des choses qu'on a mises en place en Afrique de l'Ouest.

Le sénateur Corbin : Pourriez-vous nous donner un exemple concret qui illustrerait une situation où de telles mesures ont fonctionné?

M. Beaudoin : Au Mali, une organisation qui n'existait pas il y a 15 ans gère aujourd'hui un programme de 2,5 millions de dollars canadiens par année en opérations commerciales. Pour une organisation africaine, il s'agit d'un chiffre très significatif.

Le sénateur Corbin : Ces opérations commerciales visent quelles denrées?

M. Beaudoin : Elles visent les céréales sèches, dont le blé et le riz. Le Mali produit un blé panifiable de qualité.

Les projections se basent sur ce chiffre annuel de 2,5 millions de dollars. L'organisation finance actuellement 100 p. 100 des opérations commerciales. Elle autofinance 70 p. 100 de son personnel et est en voie de devenir une organisation pérenne, capable de voler de ses propres ailes.

L'OMC peut donner l'impression que l'organisation de la mise en marché des produits agricoles est chose facile, il suffit d'énoncer des statistiques. Toutefois, à la base se trouve une organisation qui doit être mise en place. Si on ne croit pas à l'agriculture familiale, ce sont les multinationales qui prendront leur place. On se retrouvera alors, dans 10 ou 15 ans, avec quelques travailleurs agricoles au service de multinationales et une population qui aura continué de s'appauvrir. Voilà pourquoi nous accordons une telle importance à l'organisation de la mise en marché en tenant compte des problématiques réelles de l'Afrique. C'est le genre de programme que nous faisons.

Nous avons aussi un programme de formation axé sur le renforcement des capacités des leaders agricoles, en vue de la présente ronde de négociations à l'OMC qui réunit une centaine de leaders agricoles de sept pays africains. Ce programme vise justement à leur procurer les outils pour mieux défendre leurs points de vue lors des négociations.

[Traduction]

Le président : Je crois que vous étiez ici lorsque je parlais aux gens du commerce international — et M. Beaudoin a dit ceci — qu'il serait irréaliste de penser que nous allons avoir très bientôt un effet marquant sur le marché africain. Nous aimerions bien, et je ne suis pas contre. Cependant, il me semble que notre importance dans tout cela tient au fait que nous sommes à l'OMC. Nous devons ratifier tout accord qui sera conclu sur l'agriculture. Nous faisons partie du processus. Notre influence ici est beaucoup plus considérable que l'effet que nous pouvons avoir comme consommateur de produits africains.

Lorsque je pose la question au ministre et à nos gens du commerce international, ils disent que notre but, c'est l'accès aux marchés et la réduction des subventions. Nous savons que dans l'Union européenne, près de 75 p. 100 du budget est destiné à 4 p. 100 de la population. C'est un fait. Par contraste, en Afrique, on nous dit que 75 à 80 p. 100 des gens vivent de l'agriculture de subsistance. Quand on parle d'agriculture familiale, je dis la même chose.

Si nous disons que nous voulons l'accès aux marchés, cela ne me semble pas suffisant. C'est insuffisant. Par exemple, si nous disons que nous voulons vendre, avec nos efficiences et tout le reste, du blé au Mali, nous allons mettre tous les producteurs de blé là-bas sur la paille. C'est ce qui est arrivé au Mexique avec les fermes familiales qui produisaient des haricots et du maïs. À votre avis, que devrait proposer notre comité? On ne peut pas simplement dire que nous voulons l'accès aux marchés, parce que, qu'en est-il des autres? Comment allons-nous hausser le niveau de vie au Mali ou au Kenya, ou ailleurs. Pour nous, il semble que l'accès aux marchés n'est pas suffisant.

Mme Weston : Je dirais que non seulement l'accès aux marchés n'est pas suffisant mais que c'est aussi improductif. Quand on parle des pays africains qui retiennent notre attention aujourd'hui, les pays les moins développés et les pays à faible revenu, nous disons que si le Canada insiste pour avoir l'accès aux marchés de ces pays, on va compromettre la production agricole de demain, laquelle a déjà été affaiblie à cause de divers facteurs. On dit que le Canada doit se montrer ambitieux sur les autres marchés. Cependant, dans le cas des pays africains, ce qu'il faut faire, c'est fermer l'accès aux marchés et permettre à ces pays de mettre en place et de maintenir les politiques dont on leur dit en ce moment, dans le contexte de la Banque mondiale et des programmes de soutien du FMI, qu'il ne leur sera pas permis de les maintenir. Dans certains cas, dans le contexte de l'OMC, on leur dit aussi qu'ils ne devraient pas épouser cette approche. C'est l'élément essentiel.

Le président : Au Canada, nous protégeons un secteur de notre activité, une partie importante de notre agriculture, avec les commissions de commercialisation. Nous voulons maintenir notre système de mise en marché. Nous pensons qu'il a bien fonctionné. Je sais que c'est compliqué; cette négociation n'est pas simple. Il me semble que la seule solution consiste ici à permettre à ces paysans qui pratiquent l'agriculture de subsistance, et la vaste majorité des gens exploitent des fermes familiales, de mettre en place un système de mise en marché quelconque — le même système que nous utilisons — pour la période de transition qui les mènera à une agriculture plus efficiente, où ce ne sera pas 85 p. 100 de la population qui pratiquera cette activité. Est-ce qu'il y a quelque chose de mal à cela?

[Français]

M. Beaudoin : Nous sommes tout à fait du même avis et pour une raison très simple. En examinant toutes les données, on constate que l'évolution rapide de l'agriculture dans les pays industrialisés a commencé lors de la deuxième guerre mondiale, quand a demandé à l'agriculture moderne de faire un effort supplémentaire pour palier aux difficultés européennes. C'est ce qui a permis à l'agriculture américaine et canadienne de se développer. Au même moment, plusieurs personnes ont quitté l'agriculture pour aller travailler dans les usines, un grand nombre de femmes furent recrutées par les usines. On a alors accentué les efforts d'industrialisation de l'agriculture pour palier à la pénurie de main d'œuvre. Ce n'est pas le cas de l'Afrique.

Le fait de retirer les gens du monde agricole et de les envoyer en ville alors qu'il n'y a pas d'industries n'est pas une solution durable. Pourquoi croyons-nous qu'il faille protéger le marché domestique africain? Il existe une multitude d'exemples pour répondre à cette question, dont celui de la production du blé.

Supposons que l'on permette au continent africain de cultiver le blé sur son territoire et que l'on fasse en sorte que des minoteries s'installent sur les territoires et soient en mesure de faire de la farine de qualité et du pain pour la population à partir de leur production. En faisant de même pour chacun des produits transformables, on risque de régler deux choses. D'abord, on va améliorer le sort des paysans et celui des producteurs agricoles.

Puis, on va créer une première industrie de transformation dans le pays, ce qui entraînera des emplois. On attirera donc un certain nombre de personnes des régions rurales vers la ville, ce qui créera une demande solvable.

Prenons l'exemple des jus transformés. Lorsqu'une compagnie désire se procurer de la pâte de mangue, d'orange ou n'importe quel autre produit exotique, le Canada pourrait militer pour qu'on exige que les usines de transformation s'installent dans les pays où l'on cultive ces matières premières.

Il fut démontré que les producteurs de coton les plus efficaces se trouvent en Afrique de l'Ouest. Par conséquent, si les usines de transformation de haut niveau pour le coton étaient installées en Afrique de l'Ouest, le premier producteur mondial de vêtement ne serait pas la Chine mais l'Afrique de l'Ouest.

Lorsqu'on dit que l'Afrique devrait avoir accès au marché extérieur, on oublie souvent que le principal marché pour l'Afrique est d'abord sa propre population. En Afrique, 65 p. 100 de la population travaille dans l'agriculture de subsistance, et il faut créer une demande solvable pour que l'agriculture puisse continuer d'évoluer.

En tenant compte de ces données, la solution se trouve effectivement dans l'approche canadienne qui consiste à protéger les marchés domestiques. Ces mécanismes de gestion de l'offre furent développés ici et démontrent, encore aujourd'hui, leur efficacité. Ils correspondent à la capacité des Africains de répondre à leur propre dynamique commerciale.

Pourquoi, donc, le Canada ne se ferait-t-il pas le défenseur de cet outil? Les Africains ne demandent pas mieux que d'utiliser ce mécanisme.

Le sénateur Corbin : Les mécanismes, les offices de commercialisation et de telles mesures ne vont-ils pas justement à l'encontre des démarches de la Banque mondiale et des autres institutions financières qui veulent imposer leur solution globale à l'Afrique? Vous dites que le Canada est un expert en la matière — et je partage votre opinion. Toutefois, ne risquons-nous pas de nous heurter à une certaine résistance de la part de ces grandes institutions financières qui veulent tout régir?

M. Beaudoin : Ma position sur cette question est relativement simple. Tant que le Canada fera preuve de complaisance et n'osera pas présenter à ces grandes puissances la solution éprouvée et documentée dont il dispose, le courant actuel lui fera ombrage.

Je ne comprends pas l'attitude canadienne. Le Canada se sent capable de défendre ses positions, par exemple, au niveau de la défense. Toutefois, en matière agricole, malgré les chiffres à l'appui, il ne tente pas d'expliquer ou de démontrer son savoir-faire. Il ne s'agit pas d'une simple théorie, mais d'une pratique depuis 40 ans.

Franchement, je crois que le Canada doit se lever et dire : « Nous avons un outil ici, laissez-nous au moins vous exposer son fonctionnement. » Après quoi, on pourra discuter à savoir si les institutions internationales retiennent ou non cet outil. Mais on ne fait même pas ce premier geste.

Le ministre des Affaires extérieures et du Commerce international nous demande d'aider le Canada à se sortir de son isolement. Il considère que le Canada est isolé dans sa position au niveau commercial. Mais pour sortir de cet isolement il faut faire un bout de travail, et nous sommes convaincus de ce que nous avançons. En même temps, il faut que les instances canadiennes fassent preuve de courage et de détermination pour défendre cet outil qu'elles ont mis en place et qui a permis à l'agriculture canadienne d'être ce qu'elle est aujourd'hui.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino : On a posé la question de savoir comment nous pourrions influencer ces institutions multinationales. Je tiens seulement à dire que nous devons nous rappeler, en ce qui concerne le FMI, la Banque mondiale et les autres institutions de cette nature, que nous sommes présents à la table, nous payons nos cotisations, nous avons une voix et nous avons un vote. Ce n'est pas la première fois que nous entendons dire que ces institutions, du moins dans de nombreuses régions de l'Afrique, font probablement plus de mal que de bien; chose certaine, elles n'améliorent pas la situation. Faisant suite à ce que les témoins nous ont dit, nous devrions recommander entre autres d'avoir plus d'influence auprès de ces gens-là dans ces institutions, ou à tout le moins de défendre plus courageusement les pays africains.

[Français]

Le sénateur Robichaud : On parlait de la gestion de l'offre. Je crois que le pays défend bien sa façon d'agir. Dans le cas de la Commission canadienne du blé, nous sommes sans cesse menacés de représailles pour tous les produits régis sous la gestion de l'offre. On doit continuellement défendre l'utilisation de ces programmes.

Je suis d'accord que ces moyens seraient certainement utiles si on pouvait les appliquer dans les pays d'Afrique. Toutefois, comme il a été dit, cela va tout à fait à l'encontre de l'idéologie, entre autres, du commerce libre que l'on veut mettre de l'avant. Je crois que nous défendons bien notre position mais que nous sommes les seuls à la défendre.

M. Beaudoin : Pour ma part, je trouve qu'on se défend plutôt bien. En effet, comme vous le dites, nous avons une attitude de défense. Toutefois, ce n'est pas avec une telle attitude que nous accomplirons le plus. Je crois plutôt qu'il faut prendre l'offensive. Il faut cesser de se justifier auprès de l'Organisation mondiale du commerce.

Vous avez sans doute raison, nous n'avons peut-être pas le choix d'agir ainsi. Mais il faut faire plus. Il faut aller devant l'Organisation mondiale du commerce non pas pour défendre mais bien pour expliquer pourquoi nous estimons que ces mécanismes constituent une solution pour l'avenir et pourquoi les systèmes de gestion de l'offre sont des mécanismes qui correspondent à une vision du développement de l'agriculture à l'échelle mondiale.

Le Canada défend très bien sa position dans les panels internationaux, mais il n'a pas encore décidé de prendre l'offensive et d'aller exposer ses points de vue sur le développement de l'agriculture mondiale à partir des mécanismes qu'il a mis en place depuis 40 ans.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein : J'ai une petite question pour Mme Weston. Je n'ai pas très bien compris si elle était en désaccord ou non avec la position que le gouvernement a déjà adoptée, ainsi que l'OCDE et le groupe des huit, à propos de la réduction des tarifs à zéro, en ce qui concerne les produits agricoles des pays les moins développés. Êtes- vous en désaccord avec cela?

En arrivant ici, j'ai cru vous entendre dire que nous ne devrions pas encourager cela, ou quelque chose du genre. Vous ai-je mal comprise?

Mme Weston : Non, mais c'est un peu plus compliqué que cela, dans la mesure où nous devons parler d'accès aux marchés des pays développés et de l'accès aux marchés des pays en voie de développement. Je traçais une distinction ici et je faisais valoir que, alors que l'accès aux marchés des pays développés est peut-être une bonne chose, si l'on veut de meilleurs débouchés et exporter des produits agricoles finis vers des marchés comme celui du Japon — comme on l'a dit plus tôt, ces marchés sont très fermés —, nous ne devrions pas exiger des pays en voie de développement le traitement réciproque de nos exportations. Autrement dit, nous ne devrions pas dire que l'accès aux marchés est une règle à laquelle les pays africains doivent aussi se soumettre.

C'est ce qu'on a dit à propos des exportations canadiennes. Normalement, le gouvernement canadien, lorsqu'il parle d'accès aux marchés, parle d'accès aux marchés des autres pays. Je dis que, dans le cas de l'Afrique, soustrayons la à cette obligation particulière parce que bon nombre de gens vous diront que ce n'est pas la façon de soutenir le développement agricole à ce moment.

Le développement agricole en Afrique a subi les effets de nombreuses politiques différentes, mais l'une d'entre elles consiste à les forcer à ouvrir leurs marchés. C'est partiellement parce qu'ils se retrouvent alors avec ce flux massif d'importations qui sont lourdement subventionnés, mais aussi, dans certains cas, même si ces produits ne sont pas subventionnés — le blé canadien, par exemple —, ces pays demeurent incapables d'être concurrentiels. Néanmoins, ils devraient pouvoir protéger leurs marchés et augmenter la production intérieure.

Le sénateur Grafstein : Avez-vous des analyses statistiques qui soutiennent cette position, ou des études qui ont été faites pour soutenir cette position?

Mme Weston : J'ai la certitude que nous pouvons vous envoyer des informations.

Le président : Personne ne dit que le système de mise en marché doit rester en place pour l'éternité, mais c'est absolument essentiel comme système de transition parce que, comme nous le savons tous, ces producteurs vont tous se retrouver sur la paille.

Je tiens à remercier nos témoins et à leur expliquer que nous avons étudié l'ALENA. Nous connaissons fort bien l'ALENA, et ce problème s'est posé avec l'ALENA, avec les producteurs de maïs et de haricots du Mexique. Ce n'est pas seulement un phénomène africain.

Au nom de mes collègues, je tiens à vous remercier. Vos exposés étaient extrêmement intéressants.

La séance est levée.


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