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Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 12 - Témoignages du 19 avril 2005


OTTAWA, le mardi 19 avril 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui, à 17 h 4, pour examiner les défis en matière de développement et de sécurité auxquels fait face l'Afrique; la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de ce continent; et la politique étrangère du Canada envers l'Afrique. Le sujet à l'étude est la paix et la sécurité.

Le sénateur Consiglio Di Nino (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Nous poursuivons notre étude sur les défis en matière de développement et de sécurité auxquels fait face l'Afrique. Nous sommes heureux de recevoir aujourd'hui des témoins qui vont sûrement contribuer à mieux nous faire comprendre et connaître une question des plus complexes.

Notre premier témoin est M. Adebayo Olukoshi, directeur général du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique, ou CODESRIA.

M. Olukoshi, qui est professeur de relations économiques internationales, a occupé le poste de directeur de la recherche à l'Institut des affaires internationales du Nigeria, à Lagos. Nous vous souhaitons la bienvenue au Canada.

Avant de commencer, j'aimerais remercier le Forum Afrique Canada du Conseil canadien pour la coopération internationale qui nous a signalé votre présence ici au Canada, pour que nous puissions vous inviter à venir nous rencontrer. Merci d'avoir accepté notre invitation.

Je vous cède la parole.

M. Adebayo Olukoshi, directeur général, Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique : Honorables sénateurs, je vous remercie de m'offrir l'occasion de témoigner devant vous. Je vais vous entretenir, pendant mon exposé de 10 minutes, des défis de l'édification de la paix et de la gestion des conflits en Afrique.

J'aimerais d'abord rappeler que la vague de violents conflits qui ravagent le continent africain depuis 15 ans retient beaucoup l'attention de l'Afrique et de la communauté internationale. C'est d'autant plus vrai dans le cas du Canada qui a contribué non seulement aux efforts de maintien de la paix, mais aussi aux activités de reconstruction menées dans différentes régions du continent après les conflits.

Je tiens à signaler que le génocide au Rwanda, dont on a beaucoup parlé dans le monde, a peut-être été le conflit récent le plus tragique, surtout en perte de vies humaines. Il reste que ce drame n'a rien d'exceptionnel et pratiquement toutes les régions du continent africain ont connu une crise sous une forme ou une autre au cours des 15 dernières années.

Il y a 15 ans, quand Mikhail Gorbachev est arrivé au pouvoir en Union soviétique et que la guerre froide a pris fin avec la dissolution du Pacte de Varsovie et de l'Union soviétique elle-même, on s'attendait vraiment à ce que les dividendes de la paix dans le monde se répercutent favorablement sur l'Afrique. L'Afrique, comme vous le savez, a été le théâtre d'affrontements entre les superpuissances, aux idéologies rivales, et ces hostilités se sont engagées en Angola, au Mozambique et dans des parties du Soudan.

La guerre froide, quand elle sévissait, a contribué à embourber et à entretenir certains des conflits qui déchiraient le continent africain. Malheureusement, la fin de la guerre froide n'a pas marqué la fin de ces conflits, dont certains se sont poursuivis assez longtemps, enlisés dans des considérations locales et régionales.

Les divers conflits que connaît le continent sont bien connus et largement décrits dans les médias. Si la situation en Angola et au Mozambique est réglée depuis un certain temps, la région des Grands Lacs est toujours en guerre. Il est à espérer que le Soudan s'engage vers la paix même si la situation au Darfour nous rappelle la fragilité des efforts de paix entrepris depuis deux ou trois ans.

Fait peut-être plus intéressant, c'est que la fin de la guerre froide a exposé les régimes des pays en guerre aux pressions populaires. Ces pressions sont venues de groupes marginalisés qui, auparavant, étaient incapables de s'exprimer ouvertement à cause des régimes au pouvoir qui étaient protégés par l'un ou l'autre des adversaires de la guerre froide ou soutenus par les bases militaires établies sur le continent. De nombreux régimes ont subi les pressions des populations locales et plusieurs d'entre eux n'y ont pas survécu. C'est ainsi que les gouvernements de pays aussi éloignés l'un de l'autre que la Sierra Leone et la Somalie sont tombés à la suite de soulèvements intérieurs et ces problèmes subsistent toujours dans bien des cas. Le Liberia, la Guinée et la Côte d'Ivoire sont au bord de la crise et montrent bien les problèmes que créent les pressions au sein des pays depuis la fin de la guerre froide.

Il est intéressant de remarquer que ces conflits se distinguent de ceux qui nous avons connus durant la guerre froide parce que ce sont, pour la plupart, des conflits nationaux et non internationaux.

Après que les pays eurent obtenu leur indépendance, il y a eu des affrontements à propos de la délimitation des frontières héritées de la période coloniale. Beaucoup de ces conflits étaient internationaux; aujourd'hui, les conflits sont bien souvent nationaux et opposent des populations et des groupes les uns aux autres ou aux autorités gouvernementales. Nombreux sont les membres des populations civiles qui sont mobilisés pour se battre avec des armes légères. Il existe un protocole international en vue de contrôler la prolifération de ces armes légères. Les groupes civils armés s'attaquent aussi à des armées de métier.

Les armées de métier se scindent souvent en factions, et il est de plus en plus difficile de les distinguer des insurgés locaux. C'est peut-être en Sierra Leone que ce phénomène est le plus connu. La population de Freetown dit que les forces armées sont composées de soldats le jour et de rebelles la nuit. Les soldats se joignent aux rebelles pour commettre des atrocités même si, le jour, ils font partie des forces armées de la République de Sierra Leone. Il se produit probablement la même chose en Somalie et au Liberia.

Une autre particularité des conflits de l'après-guerre froide, c'est que, plus que jamais auparavant, les populations civiles sont la cible directe d'actions et de considérations stratégiques militaires, ce qui a eu pour conséquence de causer des urgences humanitaires sans précédent en Afrique.

Une cinquième particularité de ces conflits est le recrutement d'enfants et de jeunes. En effet, des enfants, âgés de six à quatorze ans et des jeunes combattants de treize et quatorze ans prennent aujourd'hui les armes. De plus, les femmes sont plus que jamais touchées par ces conflits, victimes de viol et d'autres sévices comme des amputations, qui sont monnaie courante. La situation en Sierra Leone est peut-être très grave à ce sujet, mais son cas n'est pas unique.

Une septième caractéristique, c'est que les combattants, qu'on appelle les guérilleros, sont pour la plupart des conscrits d'origine urbaine, ce qui confère une dimension urbaine aux groupes armés. Ces groupes contestent l'autorité des États et des régimes politiques en place. Ils se retrouvent souvent dans des régions rurales alors qu'ils connaissent très mal la population ou le territoire de ces régions et ils commettent des actes de violence inhabituels et insensés à l'endroit des gens. La Sierra Leone est encore un très bon exemple de cette situation qui existe aussi au Liberia, en Somalie et en Côte d'Ivoire.

Le recours à la terreur pour soumettre la population semblerait avoir remplacé la sensibilisation politique qui était associée aux mouvements de libération armée de l'Afrique du Sud et de l'Afrique de l'Ouest dans les années 50 et 60. Au lieu de gagner la confiance des populations locales, on les soumet à la terreur.

Contrairement à ce qui se passait dans les années 50 et 60, les mouvements rebelles, et c'est la dernière particularité des conflits de l'après-guerre froide, n'ont à peu près aucune idéologie claire et compréhensible ni aucun programme qui les anime.

En Afrique, les jeunes représentent entre 50 et 70 p. 100 de la population. Les recherches ont montré que les jeunes africains désabusés adhèrent à ces mouvements. On ne sait trop s'ils y sont attirés par un programme politique pour mettre fin aux conflits ou pour bâtir une politique après le conflit.

Notre défi comme chercheurs est d'essayer de comprendre ce qui explique les conflits de l'après-guerre froide sur le continent. Comme je l'ai dit, certains de ces conflits sont indirectement reliés aux enjeux de la guerre froide, mais beaucoup d'autres sont la conséquence de facteurs uniques au contexte africain.

Pour la majorités des spécialistes, la principale explication est le caractère multiethnique et le fait que les relations interethniques restent somme toute assez limitées. Les spécialistes croient que c'est ce qui permet à divers intérêts, y compris les politiciens, de manipuler les groupes ethniques pour perpétuer les conflits. Cette explication de longue date, séduisante à bien des égards, ne suffit pas, à mon avis, à expliquer ce qui se passe ou à justifier une politique.

Les politiques de décentralisation préconisées par des pays comme le Canada pour gérer la diversité ethnique sont intéressantes, mais elles ne sont pas suffisantes pour bâtir une société multiethnique dans laquelle l'ethnicité devient un élément de l'identité civique et non une source de conflit.

Une nouvelle explication est apparue, qui est liée à la notion de « ressources conflictuelles » et à la théorie des guerres de récrimination et de cupidité. C'est une explication très attrayante étant donné que bon nombre des conflits en question font rage dans des pays riches en ressources. Il y a des réserves de diamant en Sierra Leone ainsi que des ressources forestières et un nombre incalculable de minerais au Liberia. La République démocratique du Congo possède des minerais de grande valeur qui constituent, apparemment, la prochaine ressource conflictuelle sur le continent africain. J'estime qu'il y a également des conflits dans des endroits où il n'y a pas de sources apparentes de richesse, et ce ne sont pas tous les pays riches en ressources, qu'on pense au Botswana par exemple, qui ont été témoins de l'effondrement total ou partiel de l'autorité gouvernementale centrale, comme l'ont vécu la République démocratique du Congo, la Sierra Leone ou le Libéria. En outre, les ressources comme telles ne sont pas la cause de conflits violents simplement du fait de leur existence.

La notion de ressources conflictuelles a tendance à nuire à une évaluation plus générale des politiques de développement et d'utilisation des ressources, y compris les nombreux conflits non violents qui font partie intégrante de la gestion des ressources. Malheureusement, les chercheurs s'inspirent de cette notion pour formuler des politiques.

Il me semble qu'il faut chercher ailleurs les explications aux conflits en Afrique. La stratégie que je proposerais à cet égard serait de réexaminer la question de la citoyenneté. C'est un aspect auquel les propositions de politique actuelles ne s'attaquent pas suffisamment.

La décentralisation, qui a été au cœur des politiques des dix dernières années, a suivi son cours en Afrique et les populations rurales et urbaines ont le sentiment d'avoir été privées de leurs droits.

Des réformes électorales, en vue d'une meilleure représentation proportionnelle, ont été mises en œuvre dans divers pays, mais la propagande électorale et la réforme électorale n'ont pas produit les dividendes démocratiques escomptés par la majorité des gens.

L'adoption de principes fédéralistes, en tout ou en partie, est une troisième forme d'intervention qui a été mise à l'essai mais, dans bien des cas, comme en Éthiopie, le fédéralisme a eu tendance à renforcer les divisions ethniques et a fait prendre a l'ethnicité des orientations que les partisans du fédéralisme n'auraient jamais pu envisager.

On a déjà mis en place à bien des endroits des systèmes internationaux de certification pour empêcher quiconque de tirer profit des diamants de la guerre, mais cela n'a pas empêché les pays non producteurs de diamant, comme le Burkina Faso, d'exporter principalement des diamants. Cela n'a pas empêché le Burkina Faso, le Libéria et d'autres pays de vendre des diamants volés à la Sierra Leone. C'est la même chose pour la République démocratique du Congo. Le processus de Kimberley peut être utile pour réglementer le marché international des pierres précieuses, mais il n'est pas suffisant pour prévenir les conflits et la violence liés aux ressources minérales du continent.

Je pense qu'il faut revenir à la question de la citoyenneté et s'intéresser à ce que les Africains désabusés pensent de leurs gouvernements et de leurs régimes politiques. Sur le plan socio-économique, le continent a connu 25 années de privations et d'appauvrissement qui sont associés aux mesures d'austérité imposées par le FMI et la Banque mondiale, à la perte massive d'emplois et de revenus et à l'effondrement des possibilités de subsistance. Il y a exode des cerveaux et fuite de capitaux depuis 25 ans en Afrique.

Sur le plan social, les problèmes de citoyenneté se sont manifestés par la disparition des dispositions sociales assurées par l'État et le déclin des services publics en général. La privatisation des réserves d'eau, dans un contexte où l'accès à l'eau potable est une priorité et un des objectifs de développement du millénaire, reste très problématique. Même dans des pays développés comme l'Afrique du Sud, pas plus de 60 p. 100 de la population a un accès régulier à l'eau potable. Ailleurs sur le continent, c'est beaucoup moins.

Sur le plan politique, les réformes établissant un nouvel électorat et un régime multipartite mettent plutôt l'accent sur la forme que sur le contenu. Ainsi, 10 ans après le rétablissement d'un régime multipartite, la population a le sentiment de ne pas avoir le contrôle sur ses élus et que le gouvernement n'est pas responsable.

Les crises économiques, le déclin social, l'effritement des institutions et l'autoritarisme politique érodent la légitimité du gouvernement et de l'État et posent des problèmes aux projets de l'État-nation postcolonial en Afrique. On peut peut-être associer ces problèmes à l'ethnicité, au régionalisme, à la religion et aux générations, surtout la question des jeunes, mais il ne faudrait pas les confondre ni les combiner avec la question de la citoyenneté qui est, d'après moi, le plus important problème sur le plan de la politique et du développement auquel chaque pays africain est confronté. Au moment où l'État en tant qu'institution connaît un creux historique, la question de la citoyenneté est indissociable du développement politique du continent.

Pour beaucoup d'Africains ordinaires, l'État est coercitif et retire des avantages financiers, surtout s'il est représenté par les services de police et de sécurité. Avoir accès à l'éducation et à des services sociaux est devenu un espoir inaccessible pour la plupart des citoyens du continent.

Qui veut se faire confiance en tant que citoyen dans ce contexte? Comme je le dis souvent à des collègues, il n'y a pas un bateau qui serait capable de contenir tous les Africains qui voudraient y monter pour fuir le continent. C'est dire combien l'absence d'un contrat social est importante.

Avec méthode et patience, il faut établir des politiques pour réinventer et renouveler l'État en tant qu'institution.

Le vice-président : Monsieur Olukoshi, j'aimerais vous demander de conclure. Les sénateurs n'ont plus qu'une vingtaine de minutes pour vous poser des questions, ce qui est une très bonne occasion d'échanger des idées. Je vous en serait reconnaissant.

M. Olukoshi : Merci. Je termine en formulant quatre recommandations à l'intention des sénateurs. Premièrement, il est urgent de collaborer avec les gouvernements africains pour réinventer et reconstruire l'État en tant qu'institution occupant une place légitime dans le processus de développement de la nation, en accordant une attention particulière aux entités qui jouent un rôle crucial dans la prestation de services publics dans l'intérêt général.

En deuxième lieu, il faudrait rétablir une relation entre l'État et la société qui soit plus favorable. En somme, il doit être avantageux d'être citoyen en Afrique. Aujourd'hui, l'avantage n'est pas évident. Il sera nécessaire de créer cet avantage en établissant un nouveau contrat social entre l'État et la société pour assurer la stabilité et la paix à long terme en Afrique.

En troisième lieu, il faudrait appuyer le renforcement des institutions publiques ayant pour mandat la responsabilisation ainsi que les institutions non gouvernementales chargées de la réforme de la gouvernance. J'insiste sur le renforcement des deux types d'institution qui sont capables de contrôler et d'imposer cette responsabilisation. On se démarquerait ainsi de la pratique actuelle qui consiste à s'occuper des unes ou des autres mais pas des deux à la fois.

Enfin, je recommande d'appuyer la recherche et les dialogues politiques sur l'Afrique et en Afrique portant sur les enjeux de la paix et de la sécurité, afin de nous permettre d'élaborer des stratégies d'intervention plus civilisées en vue de l'édification de la paix et de la gestion des conflits en Afrique et de suivre l'évolution rapide de cette question qui reste néanmoins cruciale pour le développement à long terme du continent.

Le sénateur Corbin : Je remercie le témoin de son impressionnant exposé. Il m'a fait reconsidérer certaines choses, surtout sur la question du tribalisme. Je ne devrais peut-être pas en parler, mais je me rends compte tout à coup que j'ai encore beaucoup à apprendre pour bien évaluer l'ensemble de la situation.

Au cours de nos nombreuses réunions, je crois que nous n'avons rien entendu de positif, ou à peu près rien, pour être honnête, au sujet des interventions du FMI et de la Banque mondiale. Vous avez abordé brièvement la question dans votre mémoire et dans votre exposé. Pourriez-vous nous en dire davantage là-dessus et nous donner un exemple pour confirmer vos propos?

Vous avez déjà expliqué ce qui se passe dans certains pays, mais j'aimerais que vous nous parliez de votre expérience concrète.

M. Olukoshi : À bien des égards, il est impossible de parler de l'Afrique des 25 dernières années sans faire référence au FMI ou à la Banque mondiale étant donné que ces deux institutions ont un droit de regard sur l'établissement de toutes les politiques dans pratiquement chaque pays d'Afrique. Même des pays comme l'Afrique du Sud et le Botswana qui ne mettent pas officiellement en œuvre des programmes du FMI et de la Banque mondiale se sentent obligés d'établir ce qu'ils appellent des « programmes-tests » approuvés par les deux organismes. C'est en fonction de ces programmes qu'ils élaborent et mettent en œuvre leurs politiques.

Dans les faits, l'ensemble des mesures adoptées par la FMI pour s'attaquer à la crise économique en Afrique était temporaire. Tous les rajustements structurels sont censés être une transition vers le développement.

Or, la tragédie, c'est que ces rajustements structurels sont devenus non seulement une caractéristique permanente de l'élaboration des politiques mais aussi l'essence du développement. Cela rend les choses complètement impossibles. L'échec des services publics, les dévaluations répétées des devises et l'effondrement de l'industrie ont rendu les conditions de vie désastreuses dans l'ensemble du continent. Le pouvoir d'achat des populations urbaines, qui constituent un élément crucial du marché dans la plupart des pays africains, est quasi nul.

Même la façon d'adopter les réformes, étant donné qu'il y a des mesures d'austérité qui prévoient la hausse des prix et des taux d'intérêt, n'a pas laissé place au dialogue nécessaire entre les gouvernements, les citoyens et les groupes d'intérêt.

Nous avons toujours comparé les représentants du FMI à des gens qui viennent faire signer leurs ententes au beau milieu de la nuit pour disparaître le matin venu en laissant les gouvernements aux prises avec des émeutes. Ces soulèvements provoqués par toutes sortes de groupes ont alimenté le cynisme à propos du régime politique et ont miné la légitimité des gouvernements.

Autant le FMI que la Banque mondiale ont reconnu que leurs politiques comportaient des anomalies. Ils l'ont écrit. Ils admettent avoir eu tort de restreindre les États. Le modèle macroéconomique qu'ils ont imposé et leur approche uniforme qui ne tenait pas compte de la nature de la crise ou de son importance ont laissé à désirer. Beaucoup d'autres erreurs commises au cours des 25 dernières années ont été reconnues.

Ce qui est étonnant, c'est que malgré cet aveu, leurs politiques restent pour l'essentiel encore les mêmes aujourd'hui. On dirait que plus ça change plus c'est pareil.

[Français]

Le sénateur Prud'homme : C'est un texte que j'apprécie beaucoup. Monsieur s'en est inspiré, mais il ne l'a pas lu au complet. Je souhaiterais, si c'est possible, que le document, par l'entremise de notre personnel très compétent, soit traduit en français. J'aimerais bien m'en servir pour faire un discours sur le sujet qui nous préoccupe, l'Afrique. C'est une requête de ma part.

J'appartiens à une vieille génération de gens qui en ont vu de toutes les couleurs — je parle de questions politiques. On entend souvent cette réponse facile, pour tout ce qui se passe dans notre chère et belle Afrique, soutenant que c'est la corruption. Je mets mes 41 ans de vie publique sur la table en vous disant que, partout où j'ai vu des corrompus — et mes collègues sont fatigués de me l'entendre dire — j'ai vu des corrupteurs. L'expérience m'a enseigné que les corrompus et les corrupteurs ne viennent pas très souvent des mêmes quartiers, régions ou continents, indépendamment de ce qui se passe actuellement au Canada; nous n'avons pas de leçon à donner sur la corruption, semblerait-il, aussi désagréable que cela puisse être à entendre. Je me demande s'il n'y aurait pas un effort supplémentaire pour faire ce rapprochement. Ce serait ma contribution au travail que mes collègues ont eu l'amabilité de nous confier. Peut-être qu'il n'y a pas assez de sévérité, de discours publics ou de rigueur dans notre monde, celui qui n'est pas l'Afrique ou l'Asie, pour ramener à l'ordre ces corrupteurs qui, souvent, quand ils ont la possibilité de corrompre, le font avec plaisir. Quand on est corrompu, on trouve toujours des gens qui sont prêts à se faire corrompre. Est-ce que vous auriez ne serait-ce qu'une suggestion pour me faire réfléchir? Comment arriver à développer ce thème, par exemple, de la folie monstrueuse des armements.

Il y a en Afrique des pays qui ont des armements plus modernes que les nôtres, au Canada. En passant, la raison pour laquelle je parle français — je suis passionné aujourd'hui — c'est qu'il y a eu un incident concernant le bilinguisme aujourd'hui sur la Colline. Alors je fonctionne en français jusqu'à ce soir.

Quand je vois cette folie monstrueuse de 476 milliards de dollars dans le budget d'un pays voisin et ami, je me pose de sérieuses questions. Et on nous donne comme réponse que les Africains ne nous aiment pas. Je comprends, si tout ce qu'on a à leur vendre ce sont des armes. Je pense à cette folie de vendre des armes incroyablement modernes au Pakistan; et pour faire taire l'Inde, on lui dit : Ne vous inquiétez pas, on va vous en vendre aussi. Et après cela, tapez- vous dessus.

J'essayerai de vous rencontrer après, parce que j'ai bien aimé lire votre texte, même si j'avais l'air un peu distrait.

[Traduction]

Le vice-président : Est-ce un commentaire?

[Français]

Le sénateur Prud'homme : Non, c'est une réflexion, s'il y a une suggestion...

[Traduction]

Le vice-président : Voulez-vous poser une question ou vais-je demander à M. Olukoshi de nous faire part de ces réflexions à ce sujet?

[Français]

Le sénateur Prud'homme : J'ai fini. Je pense que ma question était claire : avez-vous une suggestion à me faire?

M. Olukoshi : Je peux essayer en français même si ma maîtrise du français n'est pas très bonne.

Le sénateur Prud'homme : Ne vous inquiétez pas, venez à Ottawa, vous verrez qu'il est excellent.

M. Olukoshi : Je suis tout à fait d'accord avec la proposition qu'il n'est pas possible de parler d'une situation de corruption sans tenir compte du fait qu'il y a deux parties, toujours, celui qui est corrompu et celui qui est corrupteur. Et l'accent jusqu'à aujourd'hui a été mis peut-être un peu excessivement sur le côté corrompu.

Il y a des organisations internationales. Nous devons équilibrer un peu la situation en le soulignant dans les rapports publiés — qui jouent un rôle très important dans la définition des politiques — mondialement ou régionalement, afin qu'ils puissent nous aider à mobiliser la population contre les groupes corrupteurs, ceux qui donnent la possibilité d'être corrompus dans les pays africains. C'est très facile de corrompre quelqu'un en Afrique.

Le sénateur Prud'homme : Partout.

M. Olukoshi : Étant donné la baisse du niveau de vie, c'est devenu un grand problème. Les gens n'exigent pas beaucoup d'argent dans la majorité des pays pour donner un contrat ou bien un droit qui n'est pas vraiment mérité. Dans le passé, il y avait un code de comportement qui avait été suggéré. Je pense que c'était en 1977 ou 1978. C'était un code de comportement auquel toutes les grandes corporations, organisations et sociétés pouvaient souscrire. Elles pouvaient être évaluées par le gouvernement des pays du nord pour s'assurer qu'il y avait un suivi rigoureux de ce code.

Mais ce n'était pas accepté. Peut-être le moment est venu de reviser cela et de voir dans quelle mesure nous pouvons y arriver. La majorité des fonds transférés de l'Afrique sont des fonds qui viennent de la corruption ou des actes de corruption. Il y a, par exemple, les fonds de Mobutu, dans les banques suisses et d'autres banques, et cetera. Ces fonds sont donnés encore pour les prêts aux pays qui figurent comme des nouvelles dettes publiques. Ces pays doivent aussi jouer un rôle important pour rendre illégitimes ces types de fonds illégaux et inadmissibles. Ce sont des idées que je peux pour le moment partager avec vous.

Le sénateur Prud'homme : Merci.

Le sénateur Robichaud : J'ai trouvé votre présentation très intéressante. Vous avez fait quatre recommandations. Pourriez-vous nous dire s'il y a actuellement des interventions en Afrique, par les gens eux-mêmes ou par les gens de l'extérieur, qui essayent de faire ce que vous nous suggérez. J'aimerais qu'on puisse, à un moment donné, rapprocher vos recommandations des interventions faites là-bas.

[Traduction]

M. Olukoshi : Je dirais qu'il y a beaucoup d'interventions au niveau international. Les deux interventions de politique que nous avons jugé les plus importantes ont suscité peu d'attention. Il y a des éléments qui ont été mis à l'essai à l'échelle locale dans différentes régions du continent.

La troisième recommandation sur le renforcement des institutions publiques ayant pour mandat la responsabilisation et des institutions non gouvernementales chargées de la réforme de la gouvernance ont retenu plus d'attention que les autres.

Dans des pays aussi éloignés les uns des autres que l'Afrique du Sud, le Nigeria et le Sénégal, on a essayé de renforcer la présence des institutions publiques dans le but de développer un sentiment d'appartenance. Il y a des conflits dans la province de Casamance au Sénégal depuis presque 27 ans. Plus récemment, le gouvernement a décidé, avec l'appui des ONG locales et des gens d'affaires du pays, de renforcer la présence des institutions publiques dans les écoles et les établissements sanitaires mais aussi sur le plan industriel. Cette province est l'une des régions les plus fertiles et les plus riches en ressources du pays. Les gens ne pouvaient pas comprendre pourquoi tous les emplois se trouvaient à Dakar alors que toutes les matières premières à l'origine de ces emplois venaient de leur région.

L'État doit assurer une présence productive et utile et non pas agir de façon coercitive et aliénante pour la majorité des gens.

Pour ce qui est des relations entre l'État et la société, les plus beaux exemples viennent de l'Afrique du Sud où les employés de petits ateliers et les propriétaires de taxi se sont regroupés. Ces associations, surtout celles des propriétaires de taxi, sont souvent la cible d'actes violents dans le pays. Elles ont signé un pacte qui énonce leurs attentes, leurs droits et leurs responsabilités civiles. Ce modèle, s'il est appuyé à l'échelle nationale et continentale, pourrait contribuer à régler des problèmes comme la privation des droits et l'absence d'appartenance politique.

Le vice-président : Malheureusement, le temps est écoulé. Votre exposé a été intéressant et instructif. Vos sages réflexions vont nous aider dans notre étude sur ce problème complexe.

Nous vous remercions d'être venu nous rencontrer. J'espère que, si vous revenez dans notre région du monde, vous allez communiquer avec nous.

Nous allons maintenant entendre Mme Campbell, qui est professeure de sciences politiques à l'Université du Québec à Montréal.

[Français]

Madame Campbell est une spécialiste des Nations Unies et de l'Afrique; elle est présidente du conseil d'administration de l'Institut Nord-Sud ainsi que directrice du groupe de recherche sur l'activité minière en Afrique au Centre d'études internationales et de la mondialisation de l'Université du Québec à Montréal.

[Traduction]

Ensuite, ce sera au tour de M. Harker, qui est le président et vice-chancelier du Collège universitaire du Cap Breton. M. Harker est un expert de renommée mondiale dans le domaine du développement économique et social; il a une vaste expérience de l'enseignement, des questions de politique sociale et des relations internationales.

En 1990, à la demande de Nelson Mandela, il a présidé une étude du Commonwealth sur les besoins des universités d'Afrique du Sud après l'apartheid. Il a aussi travaillé aux Nations Unies et prononcé beaucoup de conférences dans les universités du monde.

Nous lui souhaitons chaleureusement la bienvenue. Nous avons jusqu'à 18 h 30, et le temps que nous aurons pour poser des questions dépendra de la longueur des exposés. Nous invitons nos témoins à faire une déclaration d'une durée raisonnable sur le sujet à l'étude.

La parole est à vous.

Mme Bonnie Campbell, professeure de sciences politiques, Université du Québec à Montréal, à titre personnel : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser au comité sénatorial pour examiner l'importante question des défis en matière de développement et de sécurité en Afrique.

Il existe une idée généralement répandue que l'investissement étranger dans les pays pauvres stimulera la croissance et le développement et réduira la pauvreté. Non seulement cette équation est beaucoup plus complexe qu'elle ne le paraît, mais, dans certains cas, l'investissement dans les pays riches en minéraux peut attiser des conflits violents et entraver le développement.

Cela a une importance particulière pour le Canada et ce, pour cinq raisons. Premièrement, le continent africain dispose d'énormes ressources minérales stratégiques et le Canada profite de cette richesse. Deuxièmement, l'industrie extractive prend de l'importance dans les recettes d'exportation que touchent de nombreux pays africains et occupe une place de plus en plus grande dans les relations d'aide, de commerce et d'investissement entre le Canada et l'Afrique. Parmi les derniers pays ciblés par l'aide canadienne, neuf étaient des producteurs de minéraux. Des quatorze pays africains nommés aujourd'hui, la grande majorité, y compris le Ghana, le Mali, la Tanzanie, le Sénégal et l'Éthiopie, sont tous de riches producteurs de minéraux.

Le Canada est un acteur international de premier plan, et les entreprises canadiennes sont à l'avant-scène des activités d'exploration et d'exploitation minières en Afrique. À la fin de 2003, les entreprises canadiennes détenaient des intérêts dans près de 515 propriétés minières réparties dans 36 pays africains, ce qui constitue une augmentation par rapport à l'année précédente. Le Canada compte un plus grand nombre de sociétés d'exploration minière en Afrique que tout autre pays du monde.

Bien que les compagnies minières canadiennes soient à l'avant-scène des activités d'exploration et d'exploitation minières, ce sont les petites sociétés minières qui représentent de loin la vaste majorité des entreprises canadiennes actives en Afrique. Cette situation pose certains défis puisque les petites sociétés minières sont moins sujettes aux contrôles, moins portées à appliquer des pratiques exemplaires et sont actives dans des régions à risque élevé, parfois dans des zones de conflit.

Les questions concernant la sécurité et les activités minières sont très importantes et le deviendront davantage. C'est ce que reconnaît le rapport de la Revue des industries extractives commandée par le groupe de la Banque mondiale, de même que le tout récent rapport de la Commission pour l'Afrique, le rapport Blair.

À l'heure actuelle, au lieu de prendre le devant comme on pourrait s'y attendre, le Canada semble se laisser distancer par d'autres pays et fait peu valoir sa position à l'égard de la responsabilité des compagnies minières canadiennes en Afrique.

On semble croire qu'il est suffisant de promouvoir les Principes directeurs pour les entreprises multinationales de l'OCDE. L'application de ces principes reste volontaire, ce qui est insuffisant, comme l'a fait remarquer la Commission Blair. Par comparaison, la Finlande, la Suède et la Norvège prennent des mesures beaucoup plus dynamiques par l'entremise de leurs points de contact nationaux.

Compte tenu des liens reconnus qui existent entre les ressources naturelles et les conflits violents en Afrique, il est important et urgent d'examiner la situation et de prendre position face aux défis que connaît l'Afrique aujourd'hui sur le plan du développement et de la sécurité.

J'aimerais proposer cinq recommandations. La première porte sur l'équilibre et la cohérence des politiques. Le rapport intitulé Dans l'intérêt de tous, Le rapport de la Commission pour l'Afrique, on peut lire ce qui suit :

Toutefois, s'ils se font sans égard à l'inégalité et à l'exclusion, le développement et la croissance ne réduiront pas les conflits violents. L'inégalité et l'exclusion sont les causes principales des conflits violents.

Notre équipe de recherche est d'avis que l'accent mis actuellement sur la création d'un environnement favorable à l'investissement étranger dans l'industrie extractive, par des mesures de libéralisation et de privatisation, pourrait nuire au développement. La recherche montre qu'on risque ainsi de contribuer à l'exclusion et à l'inégalité sociales dans les pays concernés, ce qui entraîne une instabilité accrue et la possibilité de conflits.

Le Canada doit porter une plus grande attention à la cohérence et à l'équilibre de ses politiques dans le secteur extractif et être conscient que les lois africaines actuelles sur les mines ne sont pas nécessairement compatibles avec le développement socio-économique; elles visent plutôt à encourager l'investissement étranger.

Le Canada doit reconnaître les avantages à long terme de renforcer la légitimité et la capacité des pays africains d'appliquer la réglementation existante et de surveiller et de faire respecter cette réglementation. Le Canada doit travailler avec les gouvernements locaux et d'autres intervenants concernés, que ce soit des institutions multilatérales, des entreprises privées ou des organisations non gouvernementales, afin de mobiliser les ressources financières et techniques nécessaires pour garantir que les États peuvent effectivement assumer la responsabilité de la sécurité et du développement de leur population. C'est là notre deuxième recommandation.

Concernant les activités des entreprises dans les zones de conflit, la Commission Blair dit ceci :

À eux seuls, les principes directeurs ne seront pas suffisants. Un organisme devra être chargé de surveiller leur efficacité, et des moyens devront être mis en place pour dissuader la non-conformité.

À l'heure actuelle, le rôle que joue le point de contact national du Canada semble limité à faciliter le dialogue entre ceux qui déposent des plaintes et les entreprises concernées. Ce n'est évidemment pas suffisant.

Lorsqu'une entreprise suédoise au Ghana a reçu une plainte concernant ses activités, le PCN suédois a chargé son ambassadeur au Ghana de mener une enquête sur les activités de l'entreprise. Le Canada n'agit pas ainsi.

Le Canada semble réticent à jouer un rôle aussi proactif, peut-être parce que le premier mandat de nos ambassades consiste à représenter les intérêts économiques et commerciaux du Canada. Nous sommes d'avis que ce mandat est contraire à l'obligation morale et à la responsabilité politique que nous avons d'assurer un suivi lorsque des plaintes sont portées à l'égard des activités des entreprises canadiennes à l'étranger.

Cet aspect est clairement ressorti dans la réaction qu'a eue notre PCN face aux conclusions du groupe d'experts établi par le Conseil de sécurité de l'ONU sur l'exploitation illégale des ressources naturelles au Congo.

Nous recommandons que les règles et le mandat du PCN du Canada soient clarifiés, officialisés et renforcés pour garantir qu'il peut surveiller et évaluer plus efficacement les plaintes en général et plus particulièrement dans les zones de conflit et, au besoin, appliquer les correctifs qui s'imposent. Compte tenu des conséquences de ces questions sur la réputation internationale du Canada, nous recommandons en outre que le PCN du Canada présente au Parlement un rapport annuel sur les plaintes portées à l'égard des activités des entreprises canadiennes à l'étranger.

Notre quatrième recommandation porte sur la responsabilité publique canadienne à l'égard des entreprises canadiennes et plus particulièrement des petites sociétés minières. Toute entreprise qui envisage d'investir dans un pays réputé être une zone de conflit devrait être tenue d'inclure dans son évaluation des risques une analyse des effets possibles de sa présence sur les droits de la personne et les questions humanitaires. Cette idée est déjà préconisée par la Norvège.

Notre cinquième et dernière recommandation concerne la gestion des ressources dans les zones de conflit. Pour affaiblir le lien qui existe entre les ressources naturelles et les conflits violents en Afrique, le Canada doit appuyer les recommandations formulées dans le document intitulé Dans l'intérêt de tous, Le rapport de la Commission pour l'Afrique.

Le Canada doit chercher à établir une définition commune des « ressources de conflit » qui sera acceptée par tous les pays, et il doit prendre les devants en vue de créer un groupe d'experts permanent au sein de l'ONU qui sera chargé de surveiller les liens entre l'extraction des ressources naturelles et les conflits violents, ainsi que la mise en oeuvre des sanctions. Ce groupe devrait être habilité à recommander des mesures d'exécution au Conseil de sécurité de l'ONU.

Comme on peut le lire dans le document intitulé Dans l'intérêt de tous, Le rapport de la Commission pour l'Afrique :

C'est aux Africains que la responsabilité première de résoudre les conflits en Afrique devrait incomber, mais le monde développé peut faire beaucoup plus pour renforcer la prévention des conflits.

Comme le Canada joue un rôle de premier plan notamment dans le secteur extractif en Afrique, il va de soi que nous devons faire montre d'un plus grand leadership qu'à l'heure actuelle.

M. John Harker, président et vice-chancelier, Cape Breton University, à titre personnel : Honorables sénateurs, je dois vous avouer qu'il y a déjà quelques années que j'ai été en Afrique. Je me suis beaucoup intéressé à ce continent avant de devenir président d'université. Je me suis penché entre autres sur la question des industries extractives et les conflits violents, notamment durant la guerre civile du Soudan.

Le représentant du CODESRIA a parlé du processus de paix de Naivasha. Avant ce processus, je crois qu'il y a eu environ 36 processus de paix consécutifs au Soudan. Aucun n'a tenu très longtemps. Quand aux plans de relance pour l'Afrique dans son ensemble, je crois que j'en ai compté une dizaine depuis 1960. Aucun de ces plans n'a vraiment résisté à l'épreuve du temps.

Il y a quatre ans, les dirigeants africains se sont entendus sur une nouvelle initiative africaine qu'on a appelée le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique, ou NEPAD. Cette initiative vise à vaincre la pauvreté et à placer l'Afrique sur la voie d'une croissance durable. On aurait tort de penser qu'elle a été pleinement mise en œuvre au cours de ces dernières années. Comme son nom l'indique, il s'agit d'un partenariat qui, pour s'établir, doit d'abord surmonter de graves obstacles : conflits, mauvaise gouvernance, corruption et maladies transmissibles. J'ai réfléchi un peu à ces questions.

J'aimerais d'abord dire qu'il est important de faire part aux autres de nos analyses et de nos connaissances, ce qui n'est pas monnaie courante, contrairement à ce que vous pourriez penser. J'en suis arrivé à cette conclusion après avoir travaillé pendant de nombreuses années sur le dossier de l'Afrique et en Afrique même, notamment au bureau du vice- président de l'Afrique du Sud.

Je crois que, trop souvent, les gens qui ont de l'information la garde pour eux et qu'ils ne disent pas aux dirigeants africains ce qu'ils doivent savoir, ce qu'ils ont besoin de savoir. Jusqu'à récemment, certains ont eu besoin qu'on leur dise combien le VIH/sida fait des ravages.

J'aimerais faire un commentaire sur le VIH/sida et l'affaiblissement que l'on trouve en Afrique. Dans l'annonce faite aujourd'hui, le Canada s'est engagé à doubler l'aide offerte à l'Afrique d'ici 2008. Il est clair que le VIH/sida est inclus dans les objectifs visés. Or, je crains que ce problème ne soit perçu uniquement dans une perspective médicale. À mon avis, il est essentiel de se rappeler que la pandémie du sida décime les rangs de ceux qui personnifient l'État, fonctionnaires, travailleurs de la santé, soldats et policiers. Déjà, la nourriture et la sécurité déclinent. Non seulement les fonds sont insuffisants, mais également le personnel.

De nombreux États d'Afrique aspirent à la démocratie, à la bonne gouvernance et à la sécurité des personnes, mais la capacité ne suit pas les intentions : elle est minée de l'intérieur. On peut aussi établir un lien avec les conflits, en l'absence de paix et de sécurité en Afrique.

Comme le premier témoin vous l'a dit, les conflits en Afrique sont attribuables à de nombreuses causes, qui parfois se chevauchent. C'est vrai tout particulièrement dans le cas de la guerre civile du Soudan. De nombreux États se remettent péniblement d'un conflit, national ou international. Les besoins en matière de police et de sécurité croissent, mais la capacité des États de répondre aux besoins s'effrite.

Le VIH/sida contribue aux conflits internationaux. Au sommet de leur participation militaire en RDC, les officiers de l'armée ougandaise ont utilisé des diamants illicites pour acheter des médicaments antirétroviraux en Afrique du Sud afin de combattre le VIH/sida.

Les dirigeants africains comprennent que la résolution des conflits et la sécurité sont essentielles au développement durable. On a mis l'accent sur le rôle que jouent les industries extractives dans ce développement. Vous avez beaucoup entendu parler des ressources naturelles.

Le Canada dispose de certains mécanismes comme le financement des chaires de recherche universitaire ici au Canada. L'Association des universités et collèges du Canada, en collaboration avec l'Association des universités africaines, a mis sur pied un programme semblable. En appuyant pareils programmes, le Canada pourrait contribuer à mieux faire comprendre l'interaction entre les ressources naturelles et les conflits ou la sécurité humaine. La question est complexe. Comme l'a dit le premier témoin, ce n'est pas seulement une question de pétrole, de diamants ou de bois d'œuvre. Il a mentionné l'eau également. Lorsque j'ai examiné l'impact du pétrole sur le Soudan et sa population, j'en suis arrivé à la conclusion que l'eau était tout autant source de conflits dans cette région. Nous faisons trop peu d'effort pour comprendre et trop peu d'effort pour aider les gens à s'attaquer à ces problèmes.

Le peuple africain a besoin que l'on prenne sa sécurité au sérieux. Le rapport sur le développement humain publié en 1999 par les Nations Unies définit la sécurité humaine comme la « sécurité devant les menaces constantes de la faim, de la maladie, du crime et de la répression ». Cet objectif est atteignable en Afrique, mais c'est un projet de longue haleine. Nous devons faire une analyse critique et éviter les solutions à court terme. Le chemin de la paix et de la démocratisation passe par une prise en compte de facteurs et de dimensions variés et exige à la fois créativité, temps et détermination. Il faut aussi un engagement à long terme. Il faut bâtir sur des réalisations locales et veiller à ce que l'intervention de l'extérieur serve de catalyseur des ressources locales au lieu de les émousser, comme c'est trop souvent le cas.

L'Afrique a été témoin d'une intervention de mercenaires, peu importe le nom ou l'étiquette qu'on leur donne. Je trouve déplorable que la convention des Nations Unies sur le recours aux mercenaires ne soit toujours pas exécutoire, faute d'avoir été ratifiée par un nombre suffisant de pays. J'aimerais penser que le Canada pourrait encourager les Nations Unies à chercher un moyen de faire progresser la ratification de la convention, soit par des discussions entre les intervenants et les acteurs importants, soit par le financement de la recherche.

Comme Mme Campbell l'a indiqué, le Canada est un acteur important dans l'industrie extractive et doit prendre les devants pour garantir que l'industrie n'a pas recours aux mercenaires qui ont causé tant de tort au développement de l'Afrique.

Toute recherche objective pourrait permettre de mieux comprendre comment le phénomène des forces de sécurité privées accentue la corruption dans les pays où elles sont déployées.

La corruption aux plus hauts échelons gouvernementaux en Afrique dépend de la faiblesse des institutions publiques. Sans institutions publiques fortes, la relance économique et sociale complète de l'Afrique demeurera chimérique. Ces institutions sont composées de gens, de gens exposés au VIH/sida, aux conflits et aux exigences et aux tentations de la corruption ou qui craignent de l'être un jour. Ces gens-là doivent être mieux équipés pour soutenir ces assauts.

Je vais conclure en disant que le NEPAD, qui a été mis sur pied par leurs dirigeants, permet d'espérer qu'on cherchera vraiment des moyens d'aider ces gens à soutenir ces assauts.

En juillet 2005, le G8 tiendra un nouveau sommet. Le NEPAD, ou du moins la relance de l'Afrique, sera à l'ordre du jour. Le Canada doit tenter de faire de cet événement un succès durable. La rhétorique ne suffit plus. En fait, elle ne peut que causer de l'embarras.

Au risque de causer moi-même de l'embarras, je vais terminer en invoquant un mot qui a aussi une certaine résonance au Canada, la souveraineté. Il y a quelques années, un certain nombre d'universitaires africains ont élaboré la notion de souveraineté en tant que responsabilité. Cette idée n'a pas vraiment été reprise par les gouvernements et les dirigeants de ce continent. Le Canada doit se pencher sur la signification de ce mot et faire du mieux qu'il peut pour promouvoir l'idée de la souveraineté en tant que responsabilité.

Le vice-président : Vous avez parlé d'un engagement à long terme, monsieur Harker. Le monde entier est en Afrique depuis longtemps. L'engagement pris envers l'Afrique date de plusieurs décennies. Il est clair que nous n'avons pas fait les bonnes choses. Combien de temps faudra-t-il pour corriger le tir et qu'est-ce qui ne va pas dans ce que nous faisons?

Permettez-moi de poser une autre question, après quoi je vais me taire et laisser mes collègues prendre la relève. La participation et l'engagement en Afrique se sont surtout concrétisés dans le cadre d'un programme quelconque de l'ONU.

L'ONU est-elle encore en mesure de diriger ou est-elle devenue à ce point dysfonctionnelle que nous devons trouver d'autres mesures pour aider les pays d'Afrique?

M. Harker : À l'époque où le Canada se préparait à participer au sommet de Kananaskis, un certain nombre de tables rondes ont été organisées partout au pays. J'ai eu le privilège de participer à l'une de ces rencontres au Nouveau- Brunswick. À ce moment-là, un Africain avait fait remarquer que le NEPAD était sur toutes les lèvres au Canada, mais que très peu de discussions avaient lieu entre les gouvernements et les peuples d'Afrique pour définir ce que le plan nécessitait réellement. J'étais d'avis que cette affirmation était vraie.

Le haut commissariat en Afrique du Sud a déclaré que ce pays travaillait avec la société civile pour voir comment on pouvait favoriser la relance proposée par le NEPAD. C'était, si vous me permettez une digression à la diplomatie, de la foutaise. Les efforts de développement en Afrique ont pris la forme d'un engagement presque paternaliste et trop peu d'efforts sont déployés pour permettre aux Africains d'articuler leurs propres besoins et d'obtenir satisfaction à leurs propres doléances.

À une certaine époque, les gens espéraient que les changements allaient se produire plus rapidement, mais je ne suis pas pessimiste. Je crois qu'il faudra un engagement à long terme pour sortir un État comme le Sierra Leone d'une guerre horrible, et c'est avec regret que je constate que ce pays ne fait pas partie de ceux que le Canada a maintenant l'intention d'aider; toutefois, je ne crois pas qu'il faudra attendre 20 ou 30 ans. Si les gens agissent ensemble comme de véritables partenaires, le processus sera plus rapide que ce que nous avons observé par le passé.

Enfin, je ne chercherais pas du leadership du côté des Nations Unies dans ces cas-là. Il faut que des États membres puissants amènent l'ONU à faire ce qu'elle est en mesure de faire, mais si l'on pense qu'elle assumera le leadership, nous irons tout droit à l'échec.

Mme Campbell : Il existe trois ambiguïtés dans notre politique qui donnent à penser que nous devrions peut-être examiner de plus près ce que nous faisons. Nous n'avons pas écouté comme il faut le peuple africain. Même si nous préconisons la participation et l'appropriation à l'échelle locale, en y regardant de près, on constate que nous avons imposé à l'Afrique des institutions bilatérales et multilatérales.

Deuxièmement, les politiques macroéconomiques actuelles dans le cadre desquelles nous menons des projets concernant l'environnement, la discrimination entre les sexes et à la diminution de la pauvreté n'ont pas changé. Je suis convaincue que nous devons examiner cela de très près. Au cours de la modification structurelle, les gens ont examiné le modèle et ont formulé les mêmes commentaires, mais pourtant nous ne mettons pas en doute le fait que nous imposons le modèle de la libéralisation en Afrique pour le bien de nos économies. Il s'agit d'une stratégie économique qui procède d'une vision à très court terme. Cette stratégie fait en sorte que les États sont moins en mesure de redistribuer et diminue leur capacité de d'établir une cohésion sociale et d'acquérir une légitimité. Nos stratégies constituent une partie du problème.

Troisièmement, des ambiguïtés ont été exposées dans le rapport Winegard publié en 1987, qui s'intitule Qui doit en profiter? Il est plutôt ambigu de donner à penser qu'en faisant la promotion de nos intérêts en Afrique, nous ferons la promotion des intérêts du peuple africain. Nous devons examiner cela de beaucoup plus près. D'ici là, et jusqu'à ce que nous soyons en mesure d'éliminer cette ambiguïté, nous continuerons à faire des erreurs.

Le sénateur Corbin : Par souci d'économie de temps, Mme Campbell n'a pas lu son mémoire. Cependant, elle y a consacré énormément de travail. Il s'agit d'un document extrêmement utile. C'est la première fois que ce sujet est abordé, et j'aimerais que son mémoire figure dans le compte rendu des délibérations d'aujourd'hui; c'est ce que je propose, à moins que cela ne pose un gros problème.

Le vice-président : J'appuie les commentaires de mon collègue. J'étais en train de lire le mémoire pendant que vous parliez. Il s'agit d'un document utile, dont nous ferons bon usage.

Le sénateur Andreychuk : Je tiens à signaler que, si nous faisons cela dans le cas d'un témoin, nous sommes obligés de le faire dans le cas des autres témoins. Nous devrions faire preuve d'uniformité et de respect.

Le vice-président : C'est pourquoi j'ai dit que nous en ferons bon usage. Je ne suis pas certain que nous puissions faire ce que notre cher collègue propose. Mais quoi qu'il en soit, nous atteindrons le même objectif, je vous l'assure.

Le sénateur Corbin : Il existe une autre raison pour laquelle ce mémoire devrait figurer au compte rendu. Il contient une quantité considérable de renseignements techniques et de faits incontestables qui sont essentiels à notre étude. Il ne contient pas seulement des commentaires. Il s'agit d'un document comportant des faits et des recommandations, et, jusqu'à maintenant, nous n'avons pas reçu beaucoup de recommandations.

Le sénateur Andreychuk : Ils pourraient devenir des annexes à notre rapport.

Le vice-président : Nous ferons en sorte que ce mémoire et d'autres excellents rapports trouvent une place appropriée dans nos dossiers et notre rapport.

Le sénateur Corbin : La préparation de ce mémoire a nécessité beaucoup de travail. Je ne veux qu'on s'en serve.

Le vice-président : Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Andreychuk : Je veux me faire l'avocat du diable. Bien que j'estime que votre mémoire contient de très bons renseignements, madame Campbell, vous y parlez de rapports qui ont été publiés et particulièrement de la nouvelle commission. Dans vos recommandations, vous utilisez des mots comme clair, efficace, clarifier et renforcer. Ce sont tous des mots que les politiciens ont utilisés en parlant de l'Afrique. J'aurais aimé que vous alliez davantage dans les détails quant à ce que le gouvernement devrait faire.

Est-ce un problème que nous n'ayons pas orienté nos dirigeants correctement ou est-ce un manque de volonté politique?

Je crois que le rapport Blair présente la bonne philosophie, mais il ne propose pas un plan de mise en œuvre.

Comment susciter la volonté politique? Comment obtenir une reddition des comptes et mesurer les résultats?

Mme Campbell : Vous avez demandé si c'est l'un ou l'autre; ce sont les deux. En raison de l'ambiguïté dont j'ai parlé plus tôt, nous n'avons pas voulu examiner les conséquences du manque de volonté politique.

Je passe beaucoup de temps en Afrique et je peux vous dire que, même si des entreprises canadiennes exploitent des mines en Afrique dans des zones de conflit, notre gouvernement ne fait rien pour les en empêcher.

Le Canada devrait faire comme le gouvernement suédois et effectuer un suivi de nos sociétés minières. Je ne sais pas pourquoi il ne le fait pas; nous avons pourtant un PCN.

Le sénateur Andreychuk : C'est ma question. Pensez-vous que vos recommandations pourraient amener le gouvernement à procéder à un suivi?

Mme Campbell : Je suis ici pour transmettre mes recommandations à votre comité et pour essayer de vous donner une idée de ce que j'ai vu en Afrique et des recherches que j'ai menées au cours des trois dernières années.

J'espère que notre entretien d'aujourd'hui fera en sorte que vous accorderez davantage d'attention à la politique du Canada à l'égard de l'Afrique.

Le sénateur Andreychuk : Estimez-vous que le Canada fait passer son propre avenir économique avant celui de l'Afrique?

Mme Campbell : C'est une grande question.

Le vice-président : Vous faites preuve de diplomatie.

Mme Campbell : J'ai fait référence à l'énoncé de politique de 1995 qui avançait l'idée que, en faisant la promotion de notre intérêt économique, nous pouvions promouvoir le développement social et l'accroissement des revenus, mais il faut le faire avec plus de précaution. Jusqu'à ce que nous soyons prêts à faire cela, nous allons maintenir une ambiguïté qui sert les intérêts du Canada et non pas ceux de l'Afrique.

Le sénateur Andreychuk : Monsieur Harker, à mon avis, le NEPAD sera un document constructif si le processus d'examen par les pairs fonctionne. Certains pays ont accompli un travail crédible en se soumettant à l'examen par les pairs, mais je constate qu'il y a une grande résistance à l'égard d'un véritable examen.

Nulle part dans le document concernant le NEPAD se penche-t-on véritablement sur les parlements. J'ai très grand espoir de voir la démocratie s'installer à l'échelle de l'Afrique.

Quels sont vos commentaires à propos d'une plus grande reddition des comptes aux parlements africains de sorte que les dirigeants n'auraient pas à rendre compte à des institutions internationales, mais bien à leur propre parlement?

J'entrevois que cela pourrait exister à l'échelle de l'Afrique. Je sais que des parlementaires commencent à assumer leur rôle en tant que vérificateurs du pouvoir exécutif.

M. Harker : Justement, les milieux des affaires du Royaume-Uni et de l'Afrique se sont réunis récemment pour discuter de leur réaction au rapport de la Commission Blair. Un grand nombre de dirigeants importants du monde des affaires ont ensuite rédigé une lettre qui a été publiée dans le Financial Times. Ils ont écrit ceci :

Les pays occidentaux doivent donner à l'Afrique une chance réaliste de devenir concurrentielle. Les pays du G- 8 doivent s'engager à faciliter l'accès aux marchés et à éliminer les subventions à l'agriculture et d'autres obstacles au commerce.

Ils ont ensuite écrit :

L'aide devrait servir à améliorer la gouvernance conformément aux dispositions du nouveau Mécanisme africain d'examen par les pairs.

On commence à penser que les intérêts internationaux ou nationaux en Afrique ne survivront pas à moins que nous travaillions tous ensemble pour résoudre les problèmes que connaît le continent.

On espère que le monde des affaires mené très solidement par les nouveaux gens d'affaires noirs en Afrique du Sud contribuera au façonnement d'une nouvelle approche par nos gouvernements occidentaux.

Le sénateur Mahovlich : Je sais qu'il existe de nombreuses sociétés minières en Afrique. Je suis originaire d'une collectivité minière. Toutes les mines de ma région ont laissé un héritage à la communauté, comme la mine McIntyre. Cette société minière a construit un aréna et un auditorium et elle a versé une contribution financière aux écoles et aux hôpitaux. Elle a laissé un héritage aux gens de la communauté.

Est-ce que l'une ou l'autre de ces sociétés minières a laissé une université ou autre chose aux Africains?

Mme Campbell : C'est une question intéressante. La situation est très différente là-bas; on investit dans les mines pendant de courtes périodes dans le but de faire rapidement un profit. La situation est différente. L'activité minière ne fait pas partie d'une stratégie régionale ou communautaire.

D'après ce que j'ai vu, les sociétés minières n'ont rien laissé de positif au Ghana. Une société minière canadienne a fermé ses portes, ce qui a laissé les gens endettés. La mine et les environs sont malpropres et rien n'indique que la société minière reviendra pour nettoyer.

Ce que je veux souligner, c'est qu'il existe deux problèmes. L'information à propos de ce qui se passe en Afrique n'est pas transmise aux Canadiens. Certaines entreprises canadiennes vont par contre apporter une contribution au sein des collectivités. J'ai visité les écoles qu'elles ont financées; elles existent véritablement.

Le problème, c'est que, lorsque la société minière ferme ses portes, tout s'effondre. Il faut adopter une vision à long terme pour voir comment les investissements que nous effectuons cadrent avec les stratégies à long terme qui englobent les collectivités et les gouvernements locaux.

Le sénateur Mahovlich : Il y a 25 ou 30 ans, mon neveu faisait partie des nombreux étudiants qui sont allés enseigner au Congo avant de poursuivre leurs études au Canada. Son expérience n'a pas été très positive.

Est-ce une bonne chose que nous avons faite à cette époque?

Mme Campbell : Vous posez-là une très grande question.

Faire des choses pour les autres a toujours été l'optique de l'aide internationale. Nous nous sommes rendus ailleurs pour faire des choses. En réalité, nous ne devrions pas faire des choses pour les autres. Il faut observer la mentalité avec laquelle nous allons en Afrique. Nous devons réfléchir à ce que nous apportons aux Africains. Peut-être que le temps est venu de nous pencher là-dessus encore une fois.

Le sénateur Mahovlich : Il faut leur enseigner pour qu'ils puissent s'enseigner à eux-mêmes.

Mme Campbell : Je suis de ceux qui croient que l'Afrique détient la plupart des solutions et est en mesure de définir ses propres problèmes. Mais nous ne cessons pas de faire des choses pour les autres.

J'enseigne dans une université où les gens utilisent des fonds provenant de l'ACDI pour enseigner à des personnes comment formuler des demandes de financement que nous administrons. Nous enseignons à des gens comment utiliser le langage technique que nous voulons qu'ils emploient. Nous faisons encore venir ces personnes chez nous.

Cela contribue-t-il à renforcer la capacité en matière d'éducation selon les valeurs, les objectifs et les rêves des pays africains?

Non, pas du tout.

Nous croyons que nous possédons la technologie, les connaissances et les compétences. Nous pensons de cette façon depuis 40 ou 50 ans. Nous voyons l'aide internationale comme une entreprise. Nous faisons des choses à la place des autres, mais nous devons nous interroger sur nos actions.

M. Harker : Je ne sais pas ce qui se passe à l'université où enseigne Mme Campbell, mais il est un peu précipité de conclure que tout type de transfert de compétences techniques et de savoir-faire ne vise qu'à servir nos propres intérêts et non ceux des Africains.

À l'université où j'enseigne, nous formons des Angolais dans le domaine de l'exploitation pétrolière et gazière. Ils ne pourraient pas obtenir ce genre de formation ailleurs. Nous félicitons les multinationales qui veulent amener les Angolais à prendre en charge l'exploitation du pétrole et du gaz. Nous félicitons le gouvernement de l'Angola d'insister pour qu'il en soit ainsi.

Aider un groupe d'Angolais à devenir maître de leur propre destinée, entièrement ou en partie, n'est pas une mauvaise chose. Je crois que c'est une bonne chose. Si nous pouvons le faire davantage, nous le ferons. Cela ne signifie pas que nous devions toujours assumer que nous détenons la réponse. J'ose espérer que nous pouvons apprendre autant des Africains qu'eux apprennent de nous.

Le sénateur Corbin : Je suis ravi que Mme Campbell ait parlé de l'attitude des pays scandinaves à l'égard de leurs bonnes actions en Afrique.

Je tente de convaincre mes collègues que nous devons rencontrer les Scandinaves, les Hollandais et les autres qui aident l'Afrique à améliorer sa situation. Leur approche est assez différente de celle du Canada dans de nombreux cas. À certains égards, je considère leur approche plus stricte en ce qui a trait à l'objectif qu'ils poursuivent en aidant l'Afrique.

Nous avons tendance à être les bons, et c'est ce que nous sommes partout dans le monde. Nous faisons des petites choses ici et là, nous tenons des conférences, et les Canadiens se félicitent et ils s'estiment bons dans ce qu'ils font.

Je pense que nous pourrions en apprendre beaucoup en nous entretenant avec d'autres nations à propos de leur expérience.

Avez-vous des commentaires?

M. Harker : Je pense que nous devrions nous entretenir avec n'importe quelle nation chaque fois que nous arrivons devant un chemin que nous n'avons jamais emprunté. Il ne faut pas penser que les pays scandinaves détiennent chaque fois la bonne approche. Souvent, ils poursuivent leurs propres intérêts avec une plus grande détermination que nous.

Nous devrions veiller à discuter avec des partenaires africains. Nous devrions discuter avec n'importe quel gouvernement qui s'intéresse à des domaines qui méritent d'être examinés. Je ne crois pas qu'il existe des modèles qui soient excellents. Il y a des choses que les Canadiens ont fait dont pourraient s'inspirer d'autres pays. Je ne suis pas d'avis que certains pays plutôt que d'autres sont un modèle de rectitude et de bonne conduite.

On dit que la Suède a demandé aux États-Unis de la débarrasser d'un certain individu; il s'agissait d'une allégation similaire à celle à laquelle le Canada a été confronté en ce qui concerne M. Arar. Je ne prends jamais à la légère la conduite de n'importe quel État, qu'il s'agisse du mien ou d'un autre.

Le sénateur Corbin : Je ne parle pas de conduite, je parle de la politique.

Mme Campbell : La Finlande possède un PCN beaucoup plus actif. Elle vient tout juste de créer un comité consultatif composé de représentants de sociétés, de syndicats et d'ONG qui ont le mandat d'effectuer le suivi.

Pourquoi ne pas nous inspirer de ce modèle ou d'un autre?

La méthode adoptée par la Hollande est beaucoup plus transparente. Ce pays demande à ses représentants de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international d'exécuter un mandat et, une fois qu'il est terminé, de faire rapport au Parlement.

Il faut veiller à ce qu'il y ait une cohérence entre notre politique d'aide et ce que nous promouvons auprès des institutions multilatérales.

Nous avons entendu des idées intéressantes à propos de la surveillance de l'aide. On a toujours pensé que nous devrions effectuer la surveillance et nous demandons aux gouvernements d'Afrique de faire quelque chose que nous exigeons de personne d'autre. Le système d'examen par les pairs qu'a mentionné Jeffrey Sachs exige une gouvernance beaucoup plus grande que celle que nous exigeons des pays que nous aidons de façon conditionnelle.

La question de la surveillance de nos propres politiques est très importante, mais on ne s'en préoccupe pas. Il serait intéressant de travailler avec les gouvernements des pays africains, maintenant qu'un examen a été mené. Il y a 25 pays.

Devrions-nous établir un système selon lequel les pays et leurs organismes civils surveillent les politiques canadiennes?

Le vice-président : Je remercie les deux témoins.

La séance est levée.


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