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Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 14 - Témoignages du 10 mai 2005


OTTAWA, le mardi 10 mai 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit ce jour à 17 h 30 pour étudier les décisions en matière de développement et de sécurité auxquelles fait face l'Afrique, la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de ce continent et la politique étrangère du Canada envers l'Afrique.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je souhaite la bienvenue à tous à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères. Cette réunion s'inscrit dans le cadre de notre étude spéciale sur l'Afrique.

[Français]

La séance d'aujourd'hui est consacrée à l'aide internationale, séance que nous tenons en prévision de la rencontre que nous aurons demain, ici même, à 15 h 30, avec la ministre de la Coopération internationale, Mme Eileen Carroll.

Notre premier témoin sera M. Gerry Barr, président directeur général du Conseil canadien pour la coopération internationale. Le CCIC est une coalition d'organisations du secteur bénévole canadien oeuvrant à l'échelle internationale et cherchant à mettre fin à la pauvreté dans le monde et à promouvoir la justice sociale et la dignité humaine pour tous.

[Traduction]

Le président : Je souhaite la bienvenue à M. Ian Smillie, coordonnateur des recherches de Partenariat Afrique Canada. PAC est une ONG canadienne qui travaille avec des ONG africaines dans le domaine des droits de la personne, de la sécurité humaine et du développement durable. PAC a déjà comparu devant notre comité pour parler du sida en Afrique.

Nous entendrons ensuite M. Peter R. Kieran, président de CPCS Transcom. M. Kieran a vingt ans d'expérience en qualité de consultant en gestion dans la direction de missions à l'étranger et au Canada. Le gouvernement du Canada, la Banque mondiale, les Nations Unies et les gouvernements de plusieurs pays en développement font partie de ses clients. Enfin, nous allons entendre M. George Ayittey, professeur de sciences économiques de la American University. M. Ayittey a écrit sur de nombreux sujets reliés à l'Afrique, notamment sur la politique et le développement économique. C'est l'auteur de Africa Unchained, The Blueprint for Africa's Future.

Je souhaite à tous la bienvenue au Sénat du Canada. Monsieur Barr, vous avez la parole.

M. G. Barr, président-directeur général, Conseil canadien pour la coopération internationale : Je sais que la question qui figure à l'ordre du jour aujourd'hui est quelque peu controversée. Dans l'ensemble, il semble que la question sur laquelle va porter notre discussion aujourd'hui concerne l'efficacité de l'aide au développement et la question de savoir si cette aide est utile ou non.

Ce n'est certainement pas l'absence d'aide internationale qui est à l'origine de la pauvreté et l'aide internationale ne la fera pas disparaître. La pauvreté est associée à la marginalisation et au manque de pouvoir. Elle est reliée aux décisions sociales que prennent les personnes qui occupent des postes de pouvoir à l'échelle mondiale et dans les différents pays, au sujet des personnes qui comptent et de celles qui ne comptent pas. Le remède contre la pauvreté n'est pas l'aide internationale; il faut plutôt faire de ceux qui vivent dans la pauvreté des citoyens dotés de pouvoirs qui obligent leurs gouvernements à rendre des comptes et à modifier la situation sociale.

L'aide peut être un outil important pour la suppression de la pauvreté mais si elle est mal utilisée, elle constitue plutôt un fardeau qu'un avantage. Il faudrait être assez stupide pour soutenir qu'il faut arrêter d'aider les autres pays, puisqu'il arrive que l'aide soit mal utilisée. Le montant annuel mondial de l'aide représente environ 60 milliards de dollars, ce qui est une somme assez faible et qui représente la contribution dérisoire des pays riches aux économies des pays les plus pauvres. Bien utilisée, l'aide est une bénédiction; mal dirigée, c'est une malédiction.

Quel est le dossier du Canada dans ce domaine? Tous ceux qui sont ici savent que M. Goodale a joué un rôle important dans la Commission pour l'Afrique. Les membres de la commission Blair soutiennent qu'une aide renforcée et mieux ciblée permettrait d'obtenir d'excellents résultats en Afrique. Cette commission a préparé un rapport volumineux qui aborde de nombreux sujets : la paix et la sécurité, l'éducation, la santé, la croissance économique, la gouvernance, le commerce, l'aide et la dette. Il est remarquable que dans leur rapport, les commissaires reconnaissent les maux qu'ont causés en Afrique le colonialisme, les politiques d'ajustement structurel imposées par les donateurs et les règles inéquitables. C'est un rapport qui s'inspire de l'idée que l'État doit être le moteur du développement. Il rejette l'idée que l'on peut obliger l'Afrique à accepter la libéralisation des échanges commerciaux en échange d'une aide ou de relations commerciales. Il invite les pays riches à annuler la dette des pays les plus pauvres et à assumer vraiment leurs obligations de donateurs en doublant d'ici 2008 l'aide qu'ils accordent à l'Afrique. Ce n'est pas un ton que l'on retrouve souvent chez les groupes de donateurs et il est très encourageant de voir qu'un groupe d'études dans lequel le Canada a joué un rôle aussi visible et aussi important en soit arrivé à de telles conclusions.

J'aimerais parler de certaines conclusions auxquelles en est arrivée la commission et de la réponse du Canada à ces recommandations et conclusions. La commission recommande le doublement de l'aide destinée à l'ensemble des pays africains d'ici 2008-2010 et un autre doublement d'ici 2015. Pour sa part, le Canada s'est engagé à doubler son aide d'ici 2008, ce qui l'amènera concrètement à faire passer ses dépenses annuelles dans ce domaine d'environ 1,1 milliard de dollars en 2002 à 2,8 milliards de dollars en 2008.

Le Canada n'a pas encore accepté de consacrer 0,7 p. 100 de son PIB, la cible reconnue internationalement pour les pays donateurs, à l'aide aux pays pauvres, décision que la commission Blair et tous ses commissaires, y compris le commissaire canadien, voudraient voir adoptée par les pays donateurs. Jusqu'ici, le Canada n'a pas bougé.

La commission a écarté l'idée selon laquelle l'investissement étranger direct peut être la solution à court terme qui permettrait le démarrage des économies des États nations d'Afrique. Pour la commission, les conditions préalables à la croissance sont l'aménagement d'un environnement fondé sur la prévisibilité politique, la responsabilité financière et la bonne gouvernance.

Le secteur privé est un élément clé de la vision de la commission à l'égard du développement de l'Afrique mais c'est au secteur privé africain auquel elle pense. Il est étrange de constater que le Fonds d'investissement pour l'Afrique a choisi l'orientation inverse puisqu'il s'est donné pour objectif de favoriser l'investissement étranger direct en créant un fonds d'investissement de 100 millions de dollars auquel vient s'ajouter un autre montant de 100 millions de dollars provenant d'investisseurs privés.

Sur le plan de la responsabilité, le fonds est bien équipé puisqu'il a adopté les conventions du BIT, les lignes directrices de l'OCDE et ce genre de choses. Quinze pour cent seulement des ressources consacrées à ce fonds sont destinées aux petites et moyennes entreprises; les petites entreprises que l'on retrouve habituellement dans le secteur informel et chez les plus pauvres sont donc oubliées. On a accordé très peu d'attention à l'effet qu'auront sur le développement les choix d'investissement décidés au nom du fonds d'investissement.

La commission Blair critique les pratiques adoptées par les donateurs antérieurs et fait remarquer très justement que les cibles des donateurs ne tiennent souvent pas compte des budgets nationaux, ont des objectifs flous et des frais transactionnels considérables. Les auteurs affirment très justement que l'aide est efficace lorsqu'elle vient appuyer les priorités nationales, s'appuie sur les connaissances et les systèmes locaux, renforce la capacité d'établir des orientations générales et oblige les décideurs à rendre des comptes à la population.

D'une façon générale, le Canada a adopté cette vision et a progressivement abandonné l'approche axée sur les projets pour adopter une approche axée sur les programmes. Le CCIC estime que 60 p. 100 de l'aide du Canada destinée à l'Afrique prendra principalement la forme, d'ici la fin de 2006, d'une aide sectorielle plutôt que d'une aide axée sur les programmes.

Le Canada a certes intégré l'idée de propriété de l'aide, qui est bien souvent un élément essentiel de son efficacité, mais il a sous-évalué le rôle que jouent les groupes de la société civile dans la réalisation de cet objectif. Ces groupes jouent un rôle essentiel lorsqu'il s'agit de demander aux décideurs, tant à ceux du sud qu'au palier international, de rendre des comptes. Ce sont eux qui sont à l'origine de modèles novateurs qui ont pour but d'aider les pauvres à faire valoir leurs droits. Les groupes de la société civile et les groupes de citoyens des pays riches ont joué un rôle stratégique dans l'attribution de ressources à leurs homologues des pays du sud et ont été des partenaires clés de leurs collègues des pays en développement.

Les fonds que consacre l'ACDI aux groupes de la société civile et aux groupes des citoyens, tant dans les pays du nord que du sud, ont diminué en quatre ans d'environ sept pour cent en général et d'environ dix pour cent pour ce qui est de l'aide bilatérale.

La commission Blair reconnaît que l'agriculture est le secteur clé des économies nationales des pays africains. Elle préconise des réformes agraires pour aider les agricultrices et les autres groupes vulnérables. Elle souhaite voir réapparaître en Afrique un mouvement de coopératives agricoles. Elle souhaite le doublement des terres arables d'ici 2015 mais l'aspect le plus frappant de l'énoncé de politique internationale qu'a adoptée récemment le Canada est qu'il ne reconnaît pas le rôle essentiel que joue l'agriculture dans la lutte contre la pauvreté, omission d'autant plus mystérieuse que l'ACDI avait lancé une nouvelle politique agricole en 2003, une politique d'ailleurs excellente, qui prévoyait, entre autres, la multiplication par cinq des dépenses dans le domaine de l'agriculture.

Comme le président me l'a dit avant le début de la séance, dans le monde, deux tiers des pauvres dépendent de l'agriculture pour leur subsistance. Il est plutôt étrange que ce secteur ne soit pas au cœur de l'action de l'ACDI dans le contexte du développement de l'Afrique.

Comment faut-il juger l'action du Canada? Eh bien, nous faisons certaines choses et nous reculons dans d'autres domaines. Nous voulons augmenter le montant de l'aide mais nous hésitons à respecter la cible internationale fixée pour les pays donateurs. Nous voulons appuyer le développement du secteur privé mais nous ne prenons pas en compte le fait que 60 p. 100 du secteur privé africain se trouve dans l'agriculture. Nous voulons très justement favoriser les objectifs centrés sur le transfert de la propriété de l'aide dans les économies en développement mais bizarrement nous ne travaillons pas sur les choses qui favorisent ce transfert de propriété; les impératifs publics qui découlent des demandes que formulent les citoyens actifs et la société civile en vue d'obliger les responsables à rendre des comptes.

M. Ian Smillie, coordonnateur des recherches, Partenariat Afrique Canada : Merci, monsieur le président, de m'avoir invité à participer à cette discussion. Je vais commencer par vous raconter une anecdote personnelle qui m'est arrivée au cours de ma première rencontre avec l'Afrique il y a 38 ans, lorsque je me trouvais en Sierra Leone pour enseigner au niveau secondaire comme volontaire de CUSO.

En 1967, nous pensions que nous savions ce que voulait dire le développement. On pouvait le voir dans les écoles, les routes et les cliniques que l'on construisait partout. On pouvait le voir dans les étudiants, les jeunes filles et les jeunes garçons qui devaient souvent marcher plusieurs kilomètres pour se rendre à l'école tous les jours, qui restaient jusqu'à la fin des cours et qui absorbaient avidement l'information et les idées qu'on leur présentait.

En fait, pour une bonne partie de ces jeunes, tout cela n'a pas servi à grand-chose. Aiah James est mort à 30 ans d'une maladie inconnue; Daniel Joe a été tué pendant la guerre civile; Kai Foday a eu une attaque de paralysie à 35 ans, peut-être causée par le fait qu'il avait été exposé très jeune à des pesticides ou à des produits chimiques non réglementés.

Écoutez ce que dit Esther Kaimachende qui avait alors 12 ans et qui en a aujourd'hui 49 :

Mon mari et moi savions que les rebelles allaient venir mais nous avions projeté de nous enfuir par en arrière, avec nos deux filles et de nous rendre à pied en Guinée. Ils sont arrivés par devant et par derrière la maison. La première chose qu'ils ont faite a été de couper la tête de mon mari. J'étais couverte de sang. Nous nous sommes enfuies pendant qu'ils fouillaient la maison. Il nous a fallu trois semaines pour arriver dans un camp de réfugiés en Guinée. Nous avons mangé des feuilles et des fruits. Aujourd'hui, nous n'avons plus rien.

Ces histoires ne reflètent que trop bien ce qui est arrivé à des milliers de personnes en Afrique depuis une quarantaine d'années. Le pays où nous étions en 1967 n'était pas en train de se développer mais plutôt de sombrer dans un tourbillon d'activités politico-criminelles, de mauvaise gouvernance, avec une aide étrangère mal conçue et des investisseurs étrangers qui cherchaient uniquement à s'enrichir le plus vite possible grâce à ce pays. Cela a débouché sur une rébellion, la guerre et l'effondrement des institutions.

J'ai apporté avec moi le rapport de la commission Blair. Je ne sais pas si vous l'avez vu; c'est une vraie brique. Je n'ai pas beaucoup de critiques à lui faire. Le problème ne vient pas de la liste des choses qu'il faut faire; le problème est de savoir si ceux qui ont le pouvoir de changer les choses, qu'ils se trouvent en Afrique ou à l'extérieur de l'Afrique, vont vouloir le faire.

Le second livre que j'ai avec moi aujourd'hui est Vers une action commune pour le développement du tiers-monde : Rapport de la Commission d'étude du développement international. L'ancien premier ministre Lester Pearson a présidé cette commission et le rapport a été publié en 1969. Ce rapport établissait à 0,7 p. 100 du PNB la cible pour l'APD, cible dont nous sommes toujours très loin.

La plupart des solutions proposées par le rapport Blair se trouvaient déjà dans le rapport Pearson et concernaient les domaines suivants : augmentation du montant de l'aide, aide mieux ciblée, commerce plus égalitaire, suppression des dettes, agriculture, infrastructure, santé, éducation, investissement étranger et aide liée.

Les éléments nouveaux qui figurent dans le rapport Blair sont une discussion approfondie de la gouvernance, de la paix et de la sécurité, des chapitres qui n'auraient peut-être pas leur raison d'être si nous avions mis en œuvre ne serait- ce que la moitié des recommandations du rapport Pearson.

Je vais parler de quatre domaines dans lesquels il est urgent de faire les choses différemment : l'aide d'urgence, le développement du secteur privé, la gouvernance et ce que j'appelle « l'apprentissage ».

Il faut absolument réformer la façon dont les pays répondent aux situations d'urgence, qu'elles soient naturelles ou causées par l'homme. La réponse qui a été apportée au tsunami illustre très bien ce qui ne va pas. La situation était grave mais elle n'était pas plus grave que la situation qui sévit au Congo. En fait, la situation du Congo est peut-être pire. Cependant, on ne parle pas du Congo et d'une douzaine d'autres situations d'urgence parce que les médias ne s'en occupent pas et parce que les gouvernements ont choisi de ne pas s'en occuper non plus.

Les pays réagissent aux catastrophes comme ils l'entendent. Nous modulons notre intervention en fonction de notre budget, de notre situation et des aspects politiques. Par exemple, au Kosovo, les réfugiés ont obtenu des téléphones portables et ceux du Libéria des demi-rations.

Nous ne réagirions jamais de cette façon à une catastrophe qui toucherait le Canada et le monde ne s'occupe pas non plus du maintien de la paix de cette façon. Lorsqu'on décide d'envoyer les troupes pour une opération de maintien de la paix, on prévoit un budget complet. Le budget est ensuite évalué et tous les membres des Nations Unies versent une contribution selon une formule fixée d'avance. Au moment où nous réfléchissons à la façon de réformer l'ONU, nous devrions également réfléchir à la façon de réformer notre façon de réagir aux catastrophes. Il est temps d'accorder à l'ONU un rôle beaucoup plus fort dans ce domaine et de créer un mécanisme de financement destiné aux catastrophes graves. Le Canada a les moyens d'inciter les autres pays à débattre de cette idée.

Lorsqu'il était ministre des finances, le premier ministre Martin a été membre d'une commission de l'ONU qui examinait le développement du secteur privé en Afrique. La commission a notamment constaté qu'il manquait un élément essentiel, à savoir une stratégie de diversification économique et le développement d'un secteur commercial indigène composé de petites et de moyennes entreprises. Ce manque s'explique pour de nombreuses raisons notamment le manque de capital, l'infrastructure, les routes, l'eau, l'électricité, les capacités de gestion, le principe de légalité et l'absence de réseaux en amont et en aval.

Les organismes d'aide ont connu des succès importants avec le micro-crédit et progressivement, on a créé de nombreux fonds destinés à favoriser sur une grande échelle l'investissement et le commerce en Afrique. Ce qui manque, ce sont les entreprises moyennes parce que nous ne prenons pas le temps de comprendre combien est difficile et complexe la création d'une petite entreprise productive. L'argent ne suffit pas; en fait, c'est peut-être l'élément le moins important.

Il nous faut préciser le rôle que le Canada veut jouer dans le développement du secteur privé. Si nous continuons à nous intéresser principalement à vendre des biens et des services canadiens, il faudrait rappeler que les pauvres, en particulier les pauvres qui sont morts, ne sont pas des débouchés intéressants.

Comme le suggère M. Barr, le Canada a beaucoup à offrir pour développer le secteur privé en Afrique, pour créer de petites et moyennes entreprises, et non pas des opérations basées sur le micro-crédit. Ces petites entreprises sont une excellente chose et il s'en crée un certain nombre mais ce sont les entreprises de production qui emploient entre cinq, dix ou quinze personnes, qui constituent le lien manquant et qui pourraient devenir le véritable moteur de la croissance économique et de la réduction de la pauvreté.

Dans l'énoncé de politique internationale du Canada, le développement des petites entreprises occupe un bon rôle. C'est par contre lorsque nous cherchons à mettre ces idées en œuvre que nous devons faire davantage. Nous devons continuer à agir en fonction des orientations choisies et réfléchir davantage à la façon de nouer des liens durables et concrets avec l'Afrique.

Nous parlons beaucoup de gouvernance et de valeurs canadiennes mais lorsqu'il s'agit de prendre des mesures concrètes, nous semblons vouloir faire jouer un rôle important à un organisme canadien qui n'a pas encore fait ses preuves ainsi qu'à l'idée que ce dont les Africains ont vraiment besoin, c'est que les Canadiens leur apprennent à lutter contre la corruption.

En fait, le Canada a participé à toutes sortes d'initiatives de gouvernance en Afrique. Bien souvent, nous ne les qualifions pas de cette façon parce que le mot « gouvernance » ne figure pas en toutes lettres dans le titre de ces initiatives. Le Canada a été, par exemple, un des leaders de l'adoption du processus de Kimberley aux fins du commerce international des diamants bruts. Quarante-quatre pays plus tous ceux de l'Union européenne ont aujourd'hui adopté des lois contraignantes qui régissent tous les aspects du commerce des diamants bruts. Cette initiative répondait à la recherche effectuée par des ONG, en partie par l'organisme pour lequel je travaille, Partenariat Afrique Canada, et à une campagne mondiale au sujet des diamants de la guerre mais il fallait que les gouvernements acceptent de négocier pour que les choses changent vraiment.

Le Canada a été et demeure un leader dans ce domaine. Le processus de Kimberley vise en fait la gouvernance d'une ressource naturelle et d'une industrie, combinée à une gestion gouvernementale, à une surveillance et à un contrôle dans les pays d'Afrique qui produisent des diamants ainsi que dans les pays du nord qui font le commerce, le polissage des diamants et qui les utilisent. Nous pouvons faire beaucoup de choses de ce genre.

La gouvernance va en fait dans les deux sens. Si nous voulons que les Africains nous prennent au sérieux lorsque nous parlons de corruption et de bonne gouvernance, alors il faudrait également que nous, les pays du nord, regardions vraiment ce que nous faisons. Le Canada pourrait, par exemple, donner l'exemple et faire une étude de la façon dont le protectionnisme et les subventions accordées par les pays du nord bloquent le développement des entreprises du sud. Nous pourrions appuyer les pays africains lorsqu'ils se plaignent à l'OMC. Les subventions laitières accordées par l'Europe ont bloqué pendant des dizaines d'années la production laitière locale dans de nombreux pays.

Le Sierra Leone était un exportateur de riz, le principal aliment de sa population. Aujourd'hui, alors que le pays connaît un taux de chômage désastreux, il doit importer la plus grosse partie de son riz. La raison en est que le gouvernement américain accorde des subventions considérables aux producteurs de riz américains. Si l'on modifiait ce système, on pourrait créer chaque année 5 millions de jours-personnes travaillés au Sierra Leone.

Je vais parler du sujet que j'ai appelé « l'apprentissage ». Dans le domaine du développement, il faut apprendre grâce à ses erreurs. L'ACDI a acquis la réputation d'être une des agences d'aide bilatérale les plus lentes au monde. Nous avons plus de listes de vérification, de formulaires, d'études, de consultants et d'évaluations que n'importe quel autre pays donateur. Nous avons une peur maladive du risque. Les hauts fonctionnaires de l'ACDI ont très peur du vérificateur général et cette agence, comme bien d'autres, tolère très mal les échecs.

Si nous savions vraiment comment créer des emplois en Afrique et comment supprimer la pauvreté, la guerre et la mauvaise gouvernance, nous l'aurions fait il y a 40 ans. Nous ne savons pas comment faire ces choses. Tous les investissements que nous faisons en Afrique comportent des risques. Il ne s'agit pas de faire des investissements imprudents mais plutôt de gérer les risques. Il faut apprendre aussi bien des échecs que des succès. Il est très grave de dissimuler les échecs mais si les échecs sont punis, c'est ce qui se passe et cela nous empêche d'apprendre de nos échecs.

J'ai commencé par vous livrer un souvenir personnel qui remonte à 1967 et je vais terminer en vous en racontant un autre qui s'est passé au début de l'année. Je suis retourné au Sierra Leone en février et j'ai rencontré un groupe de filles et de garçons de 15 ans dans une ville qui s'appelle Kambia près de la frontière de la Guinée. Ces enfants étaient membres des clubs qui ont été créés après la guerre civile de 10 ans pour faire comprendre aux enfants leurs droits et leurs responsabilités, parler des questions liées aux relations homme-femme, aux droits de l'homme, à la violence et au sida.

Cette discussion a été tout à fait spéciale parce que les enfants étaient intelligents, déterminés et exposaient très bien leurs idées. Ils m'ont raconté qu'ils tenaient des réunions, participaient à un parlement d'enfants, parlaient aux anciens et aux policiers. Ces enfants s'inquiétaient du trafic d'enfants et connaissaient plusieurs cas de ce type. Ils travaillaient sur la violence fondée sur le sexe « pour la présente génération et pour la suivante ». Un des enfants a dit que la violence fondée sur le sexe venait des Musulmans et un des garçons lui a répondu : « Non, cela vient de l'ignorance. » Il a cité une source que je ne connaissais pas mais qui était peut-être le Coran et qui disait « Il vaut mieux former les enfants que de soigner les hommes. »

À la fin de la réunion, les enfants ont dit ce qu'ils voulaient être lorsqu'ils termineront leurs études, et ils voulaient tous devenir des professionnels, des infirmières, des médecins, des comptables, des avocats et des travailleurs dans le domaine des droits de la personne. Ils semblaient tous absolument convaincus qu'ils pourraient avoir ce genre d'emplois.

Ils ressemblaient beaucoup aux étudiants que j'ai connus il y a 38 ans.

M. Peter R. Kieran, président, CPCS Transcom, à titre personnel : Honorables sénateurs, je suis le président de deux sociétés qui exercent leurs activités en Afrique. La première est CPCS Transcom, qui a été créée par le Canadien Pacifique au cours des années 1960. CPCS a un personnel composé de 30 professionnels et fournit des services spécialisés de consultants principalement aux organisations gouvernementales de l'Afrique et de l'Asie. Nous sommes spécialisés dans la privatisation et les investissements du secteur privé dans les infrastructures de transport.

Nous avons aidé des gouvernements africains à retenir les services de gestionnaires privés et à attirer des capitaux privés dans leurs sociétés de chemins de fer et leurs ports. Nous les avons aidés à privatiser des chemins de fer ou des ports au Mali, au Sénégal, au Ghana, au Nigeria, au Cameroun, au Congo, en Tanzanie, au Malawi, en Zambia et à Madagascar.

La privatisation de l'infrastructure a entraîné une augmentation considérable de la capacité et de l'utilisation des chemins de fer et des ports. Ce système donne d'excellents résultats et même si c'est un grand succès, il a suscité peu d'attention. Par exemple, dans le domaine des chemins de fer, les nouvelles sociétés de chemins de fer privatisées ont vu leur trafic augmenter de 19 p. 100 par an depuis leur privatisation.

J'ai quelques idées au sujet du programme d'aide du Canada. J'ai travaillé pendant 35 ans dans le domaine de l'aide au développement et passé la plus grande partie de ce temps en Afrique. Pendant cette période, j'ai vu, tout comme l'a fait M. Smillie, des changements et il y a aussi beaucoup de choses qui n'ont pas changé. La vie des gens n'a pas beaucoup changé, en particulier dans les régions rurales, mais il y a aujourd'hui une classe moyenne de plus en plus nombreuse. Par exemple, il est très courant aujourd'hui d'être propriétaire d'une voiture, ce qui malheureusement cause bien souvent des embouteillages, alors que ce n'était pas du tout le cas il y a 30 ans.

Le programme d'aide du Canada a évolué considérablement et change encore plus rapidement aujourd'hui. Je pense néanmoins que la plupart de ces changements ne vont pas dans la bonne direction.

Je ne suis pas d'accord avec certains des commentaires qui ont été faits au sujet du rôle de la dette. Au cours des années 1970, le Canada a supprimé tous ses programmes de prêts et il a décidé d'accorder son aide sous forme de subventions. Malheureusement, parallèlement, il a conservé les mécanismes d'acquisition pour les subventions et au lieu de prêter de l'argent aux pays en développement en laissant ces derniers prendre leurs décisions en matière d'acquisition et traiter directement avec les entreprises canadiennes, c'est le gouvernement canadien qui a repris ce rôle. Cela a entraîné un affaiblissement de la capacité des pays bénéficiaires ainsi qu'un affaiblissement des liens commerciaux qu'entretenait le Canada avec ces pays.

Je ne sais pas très bien comment le gouvernement fonctionne au Canada, mais je suis surpris de constater que la plupart des nouveaux ministres de l'ACDI ont tendance, dès leur arrivée, à réviser les programmes et à annoncer ensuite de nouveaux secteurs de concentration. Étant donné qu'il faut en moyenne cinq ans pour mettre sur pied un projet, c'est de la folie.

Les changements apportés aux orientations actuelles vont avoir pour effet de confier la mise en œuvre des projets d'aide aux ONG étrangères, aux pays bénéficiaires et à des institutions de développement multilatéral alors qu'auparavant c'était les ONG et les entreprises canadiennes qui s'en chargeaient.

Vous trouverez avec mon mémoire une liste récente des contrats et des ententes qu'a conclus l'ACDI pour l'Afrique et le Moyen-Orient, ainsi que les fonds consacrés actuellement par l'ACDI à l'Afrique. Certains de ces projets ne font que démarrer et d'autres sont pratiquement achevés; le montant total de ces contrats représente 955 millions de dollars. Le tableau montre que 37 p. 100 des fonds environ sont versés à des ONG canadiennes, 15 p. 100 au secteur privé canadien, 11 p. 100 aux organismes gouvernementaux canadiens, 16 p. 100 à des ONG étrangères, 15 p. 100 à des institutions de développement, comme l'ONU ou la Banque mondiale, et cinq pour cent est versé directement aux gouvernements étrangers. Cela représente tous les projets en cours aujourd'hui mais la situation évolue rapidement. Un examen des nouveaux engagements correspondant à 2003 montre que la part des ONG canadiennes est passée de 37 à 20 p. 100, et celle du secteur privé canadien de 15 à 6 p. 100.

Tous les pays donateurs progressistes ont commencé à délier leur aide. Même la France et les États-Unis ont commencé à délier une partie de leur aide. Je me demande si le gouvernement du Canada a réfléchi aux effets à long terme que cela aurait sur l'appui qu'accorde le Canada aux programmes d'aide et aux contacts personnels qui enrichissent tellement la vie des Canadiens et de nos amis à l'étranger.

La dernière tendance dont j'aimerais parler est le fait que notre programme d'aide qui était axé au départ sur le développement s'est transformé en une œuvre de charité qui accorde des fonds aux bénéficiaires méritants. Nous avons remplacé l'ancien objectif qui sous-tendait les programmes de développement durable et qui reflétait le proverbe qu'on attribue habituellement à Mao : « Apprends un homme à pêcher et il pourra se nourrir toute sa vie » par le souci de fournir des médicaments aux malades et de l'argent aux programmes gouvernementaux. Cela constitue peut-être de l'aide mais je ne pense pas qu'elle puisse être durable.

Je suis un partisan convaincu de la devise « du commerce mais pas d'aide » et mon deuxième amour est une entreprise qui s'appelle Giraffe The Africa Store. Depuis plus de 30 ans, ma femme Betty dirige Giraffe, qui a des magasins sur la rue St-Denis à Montréal et la rue Clarence à Ottawa. Nous nous occupons d'importer et de vendre des produits artisanaux de qualité fabriqués en Afrique.

Cette entreprise a créé l'équivalent de 150 emplois à temps partiel en Afrique. C'est une entreprise marginale, dont les employés canadiens sont peu payés et qui arrive tout juste à couvrir ses frais mais cela fait quand même 30 ans qu'elle existe. Elle offre une fenêtre sur la culture africaine au Canada et fournit un travail productif à de nombreux artisans africains.

Pour qu'il y ait du commerce, il faut qu'il y ait des exportations et des importations. Aucun programme gouvernemental n'aide les entreprises qui importent les produits des pays en développement mais si les pays en développement ne peuvent nous vendre nos produits, ils n'auront pas les ressources pour acheter les nôtres.

Depuis le 11 septembre, toutes les expéditions d'Afrique destinées à la Giraffe ont été inspectées au port d'entrée au Canada, ce qui coûte à la Giraffe près de 1 000 $ par conteneur, sans parler des dommages causés aux marchandises. C'est une mesure excessive, injustifiée et qui dépasse de loin les économies réalisées grâce à la réduction généreuse des droits d'importation qui s'applique aux pays les moins développés. Les douanes canadiennes devraient accorder plus d'importance à l'évaluation des risques et à l'expérience acquise avec les importateurs au lieu d'inspecter toutes les marchandises provenant de pays africains suspects.

L'invitation initiale parlait de recommandations et au risque de paraître quelque peu bizarre et de donner des recommandations en sept minutes, je vais vous faire part de quelques idées.

Nous recommandons de réduire les pouvoirs qu'a le ministre de l'ACDI de modifier les secteurs de concentration choisis par cet organisme. La deuxième recommandation est de créer un nouvel organisme relevant du ministre de la Coopération internationale qui serait chargé d'accorder des prêts à l'aide au développement axés sur le développement durable et la création d'une capacité de production. Je pense que l'idée d'être obligé à rembourser les fonds reçus oblige les bénéficiaires à mieux choisir leurs projets et à comprendre que cet argent doit être utilisé de façon productive.

Le Canada devrait préserver un contenu canadien important dans son programme d'aide destiné à l'Afrique, en ayant recours à des ONG, des entreprises privées et des personnes canadiennes. Je pense que les douanes du Canada devraient cesser d'obliger les expéditeurs à assumer le coût des inspections de sécurité.

Enfin, un dernier aspect concernant le déliement de l'aide, le Canada appuie, par l'intermédiaire des affaires étrangères, un organisme qui s'appelle le Bureau de liaison avec les institutions financières internationales. Je propose de remplacer ce bureau par un bureau de liaison avec les organismes d'aide au développement de façon à refléter l'importance croissante de l'aide bilatérale non liée. Cet organisme serait chargé d'aider les entreprises canadiennes à faire du commerce international et à établir des contacts avec des organismes d'aide au développement comme l'USAID et le DFIT.

M. George Ayittey, professeur, sciences économiques, American University, à titre personnel : Sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant votre comité.

J'aimerais mentionner que j'ai fait mes études supérieures au Canada, même si je vis maintenant aux États-Unis. J'ai obtenu une bourse de l'ACDI. J'ai fréquenté l'Université de Western Ontario dans les années 1970 et je suis ensuite retourné au Ghana. Je suis revenu au Canada, et j'ai étudié à l'Université du Manitoba à Winnipeg, où j'ai obtenu mon doctorat; je n'ai pas pu rentrer au Ghana à cause du coup d'État militaire. Je suis allé aux États-Unis et il a fallu attendre près de 20 ans avant que le régime militaire tyrannique soit renversé et que soit installée au Ghana une démocratie.

Mes collègues et les autres témoins ont parlé des programmes d'aide et en particulier, des programmes d'aide canadiens destinés à l'Afrique. Tout le monde reconnaît que l'aide accordée par les pays occidentaux à l'Afrique n'a pas été très utile et qu'elle a suscité de nombreuses critiques.

Mes collègues ont mentionné les problèmes du point de vue des pays donateurs et j'aimerais parler de ces problèmes du point de vue des Africains.

Tout le monde sait que le plan Marshall a réussi en Allemagne parce que les Allemands avaient la capacité institutionnelle et humaine de bien utiliser cette aide. Ce n'est pas le cas en Afrique, qui ne possède ni la capacité institutionnelle, ni la capacité humaine d'utiliser cette aide. De plus, le Canada ne peut concevoir des programmes d'aide visant à lutter contre la pauvreté et s'attendre à ce qu'ils donnent de bons résultats alors que règnent la guerre civile et la corruption. Les programmes d'aide ne peuvent être mis en œuvre dans des pays qui ne respectent pas le principe de légalité.

Les programmes d'aide occidentaux comportent deux lacunes fondamentales; la première est qu'ils ne font pas de différence entre les gouvernements et les chefs africains et la population. Bien souvent, les occidentaux ne veulent pas critiquer les dirigeants africains noirs parce qu'ils craignent qu'on les traite de racistes. Cette sensibilité apparente aux questions raciales n'aide aucunement les populations africaines, parce qu'elle vient renforcer indirectement des politiques mal conçues.

Deuxièmement, les politiques occidentales relatives aux programmes d'aide pour l'Afrique ont été principalement axées sur les dirigeants. Par exemple, pendant la guerre froide, l'Ouest a été séduit par la rhétorique fleurie des dirigeants africains. Tous ceux qui s'affirmaient pro-ouest ou anticommunistes recevaient immédiatement les bienfaits de l'aide occidentale. Mobutu en est un exemple. Sans parler des régimes oppressifs ou néo-communistes que ces dirigeants avaient mis sur pied dans leur propre pays, personne ne se souciait de ces choses, et encore moins des populations.

Les occidentaux naïfs partent du principe que la meilleure façon d'aider les Africains est d'accorder des fonds à leurs gouvernements, parce qu'ils pensent que l'institution qu'on appelle « gouvernement » est dans la plupart des pays africains une institution utile. Ce n'est pas le cas. Nous avons en fait des États mafieux ou des États « vampire », qui ont été pris en main par des escrocs et des bandits, qui utilisent les structures de l'État pour s'enrichir. Ils forment une bande de copains de la même tribu et ne s'intéressent qu'à eux. Les personnes les plus riches en Afrique sont les chefs d'État, les ministres, et bien souvent, le chef des bandits est le chef de l'État.

Ces gens s'emparent des principales institutions de l'État. Ils s'emparent de l'armée, des tribunaux, des médias et corrompent ces institutions pour servir leurs intérêts. Le principe de légalité ne protège pas la population. La transparence ne protège pas la population. Progressivement, ceux qui sont exclus du pouvoir finissent par se soulever et à chasser les élites vampires au pouvoir. C'est la raison pour laquelle la Somalie, le Rwanda, le Burundi, le Zaïre, le Congo, le Sierra Leone, la Liberia, la Côte d'Ivoire et maintenant, le Togo sont en train d'imploser.

La solution consisterait à réformer l'État en mettant en œuvre des réformes politiques, économiques et intellectuelles mais les dirigeants ne veulent pas en entendre parler. Si vous leur demandez de réformer le système, ils font un pas en avant et trois pas en arrière, et s'arrangent pour augmenter leur compte en banque, beaucoup de bruit pour rien. Ils ne sont aucunement motivés à procéder à des réformes.

Si vous leur demandez de couper les dépenses du gouvernement, ils vont mettre sur pied un ministère de la réduction des dépenses du gouvernement. Au Ghana, il y avait 5 000 personnes qui émargeaient sur les listes de paie du ministère de l'éducation et lorsque le gouvernement hollandais a demandé au gouvernement de supprimer ces employés fictifs, le Ghana a demandé de l'aide. Nous en sommes en fait arrivés à un point où ces pays demandent de l'aide dès qu'on leur demande de faire quelque chose. Ils ne sont absolument pas prêts à procéder à des réformes.

La tragédie est que si l'on ne réforme pas le système, d'autres pays africains vont imploser. À l'heure actuelle, les candidats à l'implosion sont, comme je viens de le mentionner, la Guinée équatoriale, le Cameroun, le Tchad, l'Ouganda, le Zimbabwe et la République centrafricaine. Tous ces pays vont imploser.

Qu'allons-nous faire?

Jusqu'ici, nous nous sommes toujours contentés de regarder, impuissants, ces pays imploser, après quoi nous donnions à la population des couvertures et des biscuits protéinés. C'est ce que nous avons fait lorsque nous avons abandonné la Somalie, par exemple. Nous restons dans les environs en attendant qu'un autre pays africain s'effondre, et ensuite, nous nous intéressons à un autre pays africain.

Monsieur le président, il est temps de redonner le pouvoir aux peuples africains et non pas à leurs gouvernements corrompus. La principale occupation des populations est l'agriculture et comme l'un des témoins l'a mentionné, c'est un secteur dont l'ACDI ne s'occupe pas.

Le NEPAD est à la recherche de 64 milliards de dollars dans les pays occidentaux. Le fait est que les ressources dont a besoin l'Afrique se trouvent déjà en Afrique. En fait, l'OUA a mentionné que la corruption coûtait à elle seule à l'Afrique 148 milliards de dollars par an.

Le NEPAD a besoin de 64 milliards de dollars. Tony Blair veut porter l'aide à l'Afrique à 50 milliards de dollars. Le seau dans lequel on verse l'aide pour l'Afrique est plein de trous. Si les dirigeants africains arrivaient à contrôler la corruption, ils auraient tout l'argent dont ils ont besoin. Je ne dis pas que le Canada ne doit pas aider ces pays mais il ne sert à rien d'essayer de remplir un seau percé. La responsabilité de réparer ce seau incombe aux dirigeants et aux gouvernements africains.

Il y a aussi d'autres crises. Il ne nous reste pas beaucoup de temps pour résoudre la crise humanitaire. Il y a une façon de mettre fin à toutes ces guerres stupides qui ravagent l'Afrique. Chaque fois qu'un pays africain s'effondre, que ce soit le Togo ou la Côte d'Ivoire, par exemple, des pays occidentaux bien intentionnés invitent les combattants à se rencontrer pour négocier une entente. C'est la méthode occidentale. Elle ne donne aucun résultat en Afrique parce que bien souvent, lorsque ces combattants se réunissent pour conclure une entente, ils se disputent pour savoir qui aura les postes du gouvernement. En fin de compte, personne n'est satisfait, alors ils rentrent dans la forêt et reprennent les combats.

Il existe une méthode africaine qui donne souvent de bons résultats. Selon cette méthode, lorsqu'il y a une crise dans un village, tous les intéressés participent à la recherche d'une solution. Le chef arrive, les combattants s'assoient et ensuite, l'aspect le plus important, la société civile, tous ceux qui sont touchés directement ou indirectement par le conflit, sont également invités. La société civile n'a pas été invitée à participer à l'élaboration de tous les accords de paix qui ont été conclus en Afrique et cela doit changer.

Le quatrième problème qui ravage l'Afrique est le virus du sida. Les donateurs occidentaux ont été généreux mais ils travaillent surtout sur le traitement. Il s'agit d'une maladie qui n'est pas guérissable; il faut donc tout faire pour empêcher la propagation de cette maladie. J'invite instamment le gouvernement canadien à s'intéresser à ce domaine particulier. Si l'on veut empêcher la propagation du sida, il faut inviter les chefs traditionnels, les dirigeants et les églises africaines à participer à cet effort. Nous devons nous intéresser à ce problème.

Enfin, monsieur le président, les programmes d'aide canadiens ont subi récemment certains changements, comme l'a mentionné notre premier témoin. La proportion de l'aide destinée au secteur privé en Afrique a été réduite. Voilà une décision troublante. De plus, le pourcentage de l'aide destinée aux gouvernements africains a été augmenté. C'est une voie sans issue. Les Canadiens sont en mesure de constater que les organismes de la société civile peuvent faire davantage.

Il y a une autre ressource, ce sont les exilés africains qui vivent au Canada et en Amérique du Nord, qui pourraient également jouer un rôle très utile pour concevoir de meilleurs programmes d'aide destinés à l'Afrique.

Le président : Voilà un exposé fort stimulant.

Le sénateur De Bané : J'aimerais adresser ma question à M. Kieran.

Monsieur Kieran, vous êtes très sincère, très honnête et très direct dans votre document et j'aimerais également être très sincère avec vous.

Vous déclarez : « Je ne connais pas suffisamment la façon dont fonctionne le gouvernement du Canada » mais à la cinquième ligne vous dites : « C'est de la folie ».

À la dernière page, vous dites dans vos recommandations que nous devrions « réduire les pouvoirs ministériels de façon à réorienter les zones dans lesquelles l'ACDI concentre ses efforts. »

Savez-vous, monsieur Kieran, que c'est le cabinet qui choisit ces pays de concentration?

Proposez-vous de réduire les pouvoirs ministériels, ce qui veut dire que le gouvernement nouvellement élu par la population du Canada ne devrait pas avoir le droit d'examiner ces orientations?

C'est la façon de voir le monde qu'ont les entreprises, et cela donne peut-être de bons résultats pour le Canadien Pacifique, mais ce n'est pas comme cela que fonctionne un gouvernement démocratique. Chaque nouveau gouvernement a le droit de réviser les politiques adoptées antérieurement.

Votre première recommandation consiste à réduire les pouvoirs ministériels. Cette recommandation me dépasse.

M. Kieran : La façon dont s'effectue le choix des pays à aider est tout à fait le contraire de ce que je dis. C'est une politique dont on discute depuis 25 ans. Il a fallu des années et des années de discussions et de consultations pour la formuler. Cependant, j'ai remarqué que chaque fois qu'arrive un nouveau ministre, il veut insister sur l'aide destinée aux femmes, ou sur la faim ou sur les enfants. Vous avez un programme avec lequel il faut des années pour élaborer un projet. Le nouveau ministre arrive et dit : « Eh bien, je veux que l'on aide les femmes. » Il ne dit pas : « Dans cinq ans, nous aurons beaucoup de programmes d'aide ciblant les femmes.» Il veut voir ces programmes immédiatement. Ces changements de direction constants ne peuvent que nuire à cette agence. Je n'ai jamais entendu un nouveau ministre du transport déclarer : « Nous allons détruire les routes. Nous allons nous servir des chemins de fer pour déplacer les gens. » Dans d'autres secteurs de l'économie canadienne, les ministres ne changent pas d'orientation chaque fois qu'il y a un nouveau ministre. Ce sont des ministères qui changent très souvent.

Le sénateur De Bané : Voilà une façon bien caricaturale de décrire ce que fait l'ACDI. Premièrement, ce n'est pas le ministre de l'ACDI qui prend ces décisions; c'est l'ensemble du gouvernement. Le ministre de l'ACDI ne fait que mettre en œuvre les orientations qui ont été fixées par le gouvernement.

Deuxièmement, ce n'est pas le ministre qui déclare : « Nous allons abandonner les routes et développer les chemins de fer. » Cela ne se fait pas ainsi. Les pays donateurs rencontrent des représentants de la Banque mondiale et s'entendent sur les différentes stratégies à adopter.

La façon dont le Canadien Pacifique voit ces choses est très jolie mais je peux vous dire que ce n'est pas de cette façon que l'on établit ces orientations.

Le sénateur Andreychuk : Monsieur Kieran, serait-il utile d'avoir un cadre législatif? J'ai tendance à convenir avec vous que ces politiques sont souvent modifiées. L'action de l'ACDI s'arrête lorsqu'elle procède à tous ces examens. L'Agence ne peut pas travailler en même temps à réaliser ses objectifs. Je ne sais pas si ces décisions sont vraiment prises par le Cabinet mais je constate que les orientations changent, même au sein du même gouvernement, dès que l'on déplace des ministres.

Les ministres ont tendance à vouloir faire leur marque, que ce soit en privilégiant l'aide aux femmes ou la pauvreté. On pourrait ne voir là qu'un simple infléchissement de la politique mais je sais que lorsque vous êtes sur le terrain, c'est beaucoup plus qu'un simple infléchissement. Tout d'un coup, il faut réviser et réajuster les programmes et il faut beaucoup d'efforts pour effectuer tous ces changements.

S'il y avait un cadre législatif pour l'ACDI, il devrait être soumis au Parlement, pensez-vous que cela serait utile?

M. Kieran : Cela me paraît être une excellente suggestion. Je crois qu'au Danemark, tous les programmes et projets d'aide sont effectivement soumis au Parlement.

J'accepte vos critiques; il est possible que je me trompe. Il n'y a pas le seul fait que les gouvernements changent mais il y a aussi qu'il faut beaucoup de temps pour faire toutes ces choses. Les ministres ont beaucoup de mal à changer les orientations. Cela exige beaucoup d'efforts dont la plus grande partie, c'est regrettable, consiste à changer des titres. Ils modifient la façon de décrire certaines activités, bien souvent dans le seul but de préserver leurs projets.

Votre suggestion me paraît intéressante.

M. Barr : J'aimerais appuyer les éléments utiles qu'il y a dans les commentaires de M. Kieran. Il est vrai que l'aide et le développement socioéconomique, en particulier dans le contexte des pays en développement, est nécessairement un processus à long terme qui doit être appuyé par des efforts constants et des objectifs clairs. C'est exactement pour cette raison que l'idée du sénateur Andreychuk est également intéressante.

Les chefs de l'opposition ont récemment proposé au premier ministre de fixer les objectifs de notre lutte contre la pauvreté. Ils ont déclaré qu'ils seraient favorables à une loi sur l'aide qui renforcerait la responsabilité financière du Parlement et fixerait les objectifs pour lesquels ces sommes sont dépensées. De cette façon, l'aide serait accordée dans un cadre conforme aux obligations du Canada dans le domaine des droits de la personne et en respectant les points de vue des personnes qui vivent dans la pauvreté. Cela serait un progrès considérable dans un dossier qui depuis 40 ans n'a jamais été encadré par des dispositions législatives.

Il est incroyable que le Canada n'ait pas encore adopté un tel cadre. M. Kieran a raison; il y a plusieurs pays européens qui ont adopté un cadre de ce genre. Au Royaume-Uni, il y a le DFID et la Suède a adopté un cadre particulièrement intéressant. De nombreux pays orientent ainsi leur action.

Avec un tel cadre, il faudrait rendre des comptes au Parlement en fonction d'objectifs précis; cela ne pourrait que renforcer l'appui que donne la population à l'aide internationale.

Les Canadiens sont très favorables à l'aide internationale mais ces mêmes Canadiens qui sont si favorables à cette aide se posent beaucoup de questions sur son efficacité. C'est en raison de la gravité des besoins que les Canadiens vont de l'avant et appuient les efforts déployés dans ce domaine. Cependant, ils le feraient avec encore plus de vigueur s'il existait un document encadrant ces dépenses.

Sénateur Andreychuk, vous avez fait une suggestion très intéressante et il conviendrait de l'appuyer. Le Conseil canadien pour la coopération internationale est très favorable à votre idée.

Le sénateur Andreychuk : Monsieur Ayittey, vous avez été fort critique et je reconnais avec vous qu'il faut que les populations participent à ces efforts.

Pourquoi n'avez-vous pas accordé plus d'importance au NEPAD?

Nous savons que les dirigeants en ont réduit la portée mais c'est une occasion pour les parlementaires africains d'obliger leurs gouvernements à rendre des comptes. Pour une fois, ils ont un cadre qui leur permet de mesurer l'action de leurs dirigeants. Cela était très difficile auparavant.

Ne croyez-vous pas du tout dans le NEPAD?

M. Ayittey : Non, je n'y crois pas parce que ce n'est pas la première fois que nous voyons ce genre d'initiatives. En fait, lorsque les dirigeants assistent à des sommets, ils annoncent de grandes initiatives comme le plan Lagos, par exemple. Il semble que tous les 10 ans ou presque la communauté internationale accouche d'un plan grandiose destiné à sauver l'Afrique.

En 1985, les Nations Unies ont tenu une session spéciale sur l'Afrique. Une dizaine d'années plus tard, elles ont lancé une initiative spéciale visant à recueillir 25 milliards de dollars pour l'Afrique. Les dirigeants font de grandes déclarations et à la fin du sommet, chacun rentre chez soi et oublie tout cela. Aujourd'hui, c'est le NEPAD.

Le sénateur Andreychuk : Le NEPAD a été adopté à l'initiative des dirigeants africains. Jusque-là, tous ces plans avaient une origine internationale ou nordique. Le NEPAD est une initiative africaine. La commission Blair a répondu à cette initiative et elle fait partie de la vieille école.

M. Ayittey : Ils essaient de la présenter comme une initiative africaine. Au départ, quatre chefs africains ont travaillé ensemble pour formuler le NEPAD sans consulter les peuples africains, les groupes de la société civile, ni les autres parlements africains. La plupart des Africains ont entendu parler du NEPAD à travers les médias occidentaux. Ils ont fait machine arrière et essayé de présenter le NEPAD sous un nouveau jour.

Très bien, ils ont fait une erreur au départ mais il faut les féliciter d'avoir lancé une initiative africaine. Il est toutefois impossible de parler d'« initiative africaine » parce que les dirigeants eux-mêmes reconnaissent que le NEPAD est calqué sur le plan Marshal.

Comment peut-on parler d'initiative africaine alors que le modèle est le plan Marshal?

Le NEPAD demande aux pays occidentaux de fournir 64 milliards de dollars d'investissement. Comme je l'ai indiqué dans mon exposé, il est possible de trouver en Afrique les ressources dont celle-ci a besoin. C'est ce que l'OUA a elle-même déclaré en août dernier. La corruption à elle seule coûte à l'Afrique 148 milliards de dollars par an. Obasanjo, le chef du gouvernement du Nigeria, a déclaré que depuis l'indépendance, les dirigeants africains avaient volé 140 milliards de dollars à leurs populations. Si ces dirigeants n'investissaient que la moitié de leurs rapines en Afrique, cela modifierait complètement la situation.

Nous ne voulons pas nous retrouver constamment dans la situation où nous demandons à l'Ouest de faire quelque chose pour nous, alors que nos propres dirigeants ne font rien pour nos peuples.

L'autre problème que soulève le NEPAD est le mécanisme d'examen par les pairs qui a été retenu. Ces dictateurs vont être amenés à juger d'autres dictateurs. Cela paraît de la folie. S'il faut les obliger à rendre des comptes, ce serait aux populations de demander à leurs dirigeants de rendre des comptes. C'est pourquoi j'ai indiqué dans mes commentaires qu'il faudrait redonner le pouvoir aux populations africaines. Les populations africaines parlent de ces idées, mais elles ne sont pas en mesure d'apporter des changements. Seul le changement qui vient de l'intérieur peut être durable.

Comment redonner le pouvoir aux populations africaines? J'ai mentionné dans mes commentaires qu'il conviendrait d'abandonner le modèle axé sur les dirigeants et adopter une méthode axée sur les institutions.

Six institutions jouent un rôle essentiel et la première est une banque centrale indépendante. La Banque mondiale ne devrait pas accorder de prêts à un gouvernement africain qui n'a pas mis sur pied une banque centrale indépendante.

La deuxième institution, ce sont des médias libres et indépendants. La radio est le média le plus puissant; c'est le média des masses en Afrique. Dans la plupart des pays d'Afrique, les États contrôlent les médias. Huit seulement des 54 pays africains ont des médias libres.

La troisième institution nécessaire est une magistrature indépendante chargée d'appliquer les lois. Nous pouvons bien parler de responsabilité financière et de corruption mais tant qu'il n'y aura pas de magistrature et de médias indépendants, l'Afrique ne pourra pas se développer. Ces sont là les deux antidotes les plus efficaces contre la corruption.

Il faut également une commission électorale indépendante, une fonction publique efficace et des forces armées professionnelles et neutres.

En Ukraine, la population a protesté contre les résultats des élections qui ont eu lieu récemment. Le Ghana a tenu les élections les plus calmes et les plus paisibles de toute l'histoire de l'Afrique parce que toutes les institutions que j'ai énumérées étaient là; il y avait une magistrature et des médias indépendants ainsi que des forces armées neutres et professionnelles.

En Ukraine, il n'y avait pas de médias indépendants, ni de commission électorale indépendante. C'est pourquoi les élections ont été contestées. C'est la raison pour laquelle il est essentiel qu'il y ait une commission électorale indépendante dans les pays d'Afrique.

Si vous regardez l'histoire de l'Afrique, l'implosion ou l'effondrement des pays africains a toujours commencé par des litiges concernant le processus électoral. En Côte d'Ivoire et au Togo, il y avait un conflit touchant le processus électoral. Il est absolument essentiel que les élections tenues en Afrique soient libres et équitables. Si l'on veut garantir des élections libres et équitables, il faut avoir une commission électorale indépendante.

Le président : Monsieur Ayittey, l'Ouganda, qui a une population de 25 millions de personnes environ, a 70 ministres.

Je suis allé quelquefois en Ouganda. Ce chiffre de 70 s'explique, et c'est la question que je vous pose, pour des raisons de tribalisme et de régionalisme. Il faut nommer cette personne et tous ces gens pour stabiliser le pays. C'est la seule justification que j'ai trouvée pour expliquer qu'il y ait 70 ministres qui reçoivent des salaires de ministres. J'ai pensé que c'était pour des raisons liées à l'existence de différentes tribus, ou d'intérêts régionaux. Que répondez vous à cela?

M. Ayittey : Je vous dirais que vous avez probablement raison, le tribalisme explique en partie ce nombre important de ministres. Le problème fondamental en Afrique, c'est l'État vampire. C'est l'État qui est le problème. La bureaucratie est pléthorique en partie à cause du tribalisme. Les dirigeants africains s'entourent de membres de leur propre tribu pour assurer leur sécurité. Ils confient à ces personnes les postes clés du gouvernement. Lorsqu'ils arrivent au pouvoir, ils apportent avec eux toute une série de copains, de membres de leur tribu et autres. Voilà qui explique en partie cette situation.

La deuxième raison est qu'en Afrique, si l'on veut s'enrichir, il faut aller dans le secteur public. Celui-ci attire beaucoup de gens. Tout le monde veut faire partie de la bureaucratie de l'État.

La troisième raison est le népotisme. Les dirigeants récompensent leurs partisans en leur accordant des postes dans le secteur public. C'est pourquoi il y a en Ouganda 70 ministres. Au Ghana, nous avons 88 ministres et sous-ministres avec une population de moins de 20 millions. Le ministre des finances a trois sous-ministres. Nous avons une fonction publique hypertrophiée et une grosse bureaucratie qui absorbe une grande partie des recettes. L'assiette fiscale est faible, les dépenses gouvernementales sont considérables, ce qui crée un déficit permanent. C'est pourquoi ces pays demandent de l'aide. Soixante-dix pour cent du budget de l'Ouganda dépend de l'aide. Au Ghana, ce pourcentage est de 60 p. 100.

La solution consiste à réduire les dépenses de l'État et la bureaucratie mais cela a un effet pervers en particulier à cause des programmes d'ajustement. Si l'on demande à un régime militaire de réduire les dépenses gouvernementales, il est certain qu'il ne touchera pas au budget de l'armée. Les fonctionnaires ne mettront pas en œuvre des projets qui auraient pour effet de réduire leurs salaires et leurs dépenses. Ils vont favoriser les ajustements. Ils vont couper dans l'éducation, l'entretien des routes, les soins de santé, des programmes qui touchent les pauvres.

Le sénateur Mahovlich : J'aimerais poser une question à M. Smillie. Il a mentionné qu'il se trouvait en Afrique pour enseigner pour CUSO il y a 38 ans. Qu'est-il arrivé au CUSO? Est-ce que cela a été un échec total?

M. Smillie : Non.

Le sénateur Mahovlich : Avons-nous fait des choses utiles?

M. Smillie : Oui, nous avons fait beaucoup de choses utiles. Le CUSO existe toujours et lorsque l'on compare ce que cela coûte d'envoyer une personne en Afrique par rapport à ce qu'il en coûte de creuser un puits, il paraît plus logique de creuser un puits.

Le sénateur Mahovlich : Mon neveu a été au Congo pendant deux ans. Il a vécu une expérience très difficile. Il enseignait le dessin industriel. Pensez-vous que ses efforts ont eu des résultats?

M. Smillie : Je le pense. Après avoir travaillé comme volontaire, je me suis occupé du programme CUSO au Nigeria. Bien souvent, après quelques mois, les volontaires étaient découragés. Ils disaient : « J'enseigne le français et l'anglais, ce n'est pas du développement ». Je leur répondais : « Eh bien, est-ce que ce serait du développement si vous enseigniez à Mississauga? »

Essayez de vous souvenir combien de professeurs vous ont vraiment influencé pendant vos études. Y en a-t-il eu un, deux ou trois? C'est peut-être vous qui serez ce professeur pour un étudiant de votre classe, et il ne faudrait peut-être pas penser que vous êtes venu ici pour sauver le monde. Je pense que c'est une partie de notre problème. Nous pensons tous que nous avons une contribution importante à faire, alors que nous sommes tout simplement des gens ordinaires qui essaient de résoudre toutes sortes de problèmes. C'est ce que je dis à propos de l'aide. Nous avons appris des choses mais nous en avons encore beaucoup à apprendre. Il n'est pas mauvais de faire preuve d'un peu d'humilité et ces professeurs ont fait de bonnes choses, peut-être pas pour tous les élèves mais pour quelques-uns, ils ont eu une grande influence.

Le sénateur Mahovlich : Vous avez mentionné que les églises africaines devaient participer à cette activité. Est-ce que les églises sont contrôlées par les gouvernements?

M. Ayittey : Non. Je parlais de la participation des églises aux efforts destinés à circonscrire et à prévenir le sida. Lorsqu'un pays africain s'effondre, il n'y a que deux institutions qui demeurent, les institutions tribales indigènes et les églises. Les églises ont les moyens de rejoindre la population et pour changer les comportements, il faut qu'elles participent à ces efforts. Les églises ont joué un rôle très important dans les médias, par exemple, pour rejoindre leurs fidèles. Les églises constituent une ressource ou un moyen que nous pouvons utiliser en Afrique.

Le sénateur Di Nino : Premièrement, j'aimerais féliciter les témoins, que nous sommes d'accord ou non avec eux. J'ai peut-être tendance à souscrire davantage à ce qu'ils disent que mes collègues.

Cela fait très, très longtemps que le monde envoie de l'aide à l'Afrique. Je ne pense pas qu'il serait injuste d'affirmer que nous avons échoué. Je pense, comme certains d'entre vous l'ont déclaré, que ce n'est pas en donnant de l'argent aux États africains que nous allons nécessairement régler ce problème. J'ai été heureux d'entendre certains commentaires très directs formulés par les témoins.

Il semble que Care, Plan de parrainage, Planned Parenthood et Vision mondiale Canada aient mis sur pied de nombreux programmes dans de nombreux pays d'Afrique. Ils estiment que les fonds consacrés à l'aide sont mieux dépensés lorsqu'ils sont confiés à des ONG et à des organisations locales qui ont établi des partenariats que lorsqu'ils sont remis à des gouvernements ou à des agences gouvernementales.

Est-ce que quelqu'un pourrait me dire si ces commentaires sont exacts ou si vous n'êtes pas d'accord avec ce commentaire?

M. Smillie : M. Barr, en tant que président du CCIC, représente tous ces organismes et d'autres encore; je suis donc sûr qu'il pourra faire un commentaire. Je pense que les ONG ont été des pionnières, non pas seulement en Afrique mais dans beaucoup d'autres pays, pour ce qui est de l'aide aux femmes, du micro-crédit, de l'éducation primaire non formelle. Elles ont été des leaders dans le domaine de l'environnement. Elles ont été des leaders dans toutes sortes de choses que nous tenons aujourd'hui pour acquises. Les gouvernements ont repris un bon nombre de leurs idées. Les ONG ont beaucoup de succès dans le domaine de l'expérimentation, de l'innovation et dans certains cas, avec les ONG plus importantes, dans la mise sur pied de grands projets. À partir de 1967, et jusque dans les années 1970 et 1980, nous avons fait beaucoup de bonnes choses en Afrique.

On constate aujourd'hui en Afrique l'émergence d'une société civile indigène. Elle existait déjà dans les années 1960 mais nous ne la voyions pas. Elle était là lorsque j'étais en Afrique mais nous ne la voyions pas. Il sera très important d'établir des partenariats et d'établir de véritables relations à long terme.

Pour répondre à votre question, oui, ces organismes font des choses importantes.

M. Ayittey : Je pense que le Canada a été un des premiers pays donateurs à envoyer la plus grande partie de son aide par l'intermédiaire d'organisations canadiennes de la société civile, ce qui était une excellente chose. Cependant, il est très difficile de travailler en Afrique. Bien sûr, lorsque l'on construit des partenariats avec des ONG africaines, les choses marchent mieux. Les ONG sont capables de réagir beaucoup plus rapidement que les gouvernements et elles connaissent les besoins de la population.

Je tiens à souligner que la société civile a besoin d'espace pour agir et s'organiser et que cet espace doit garantir certaines libertés fondamentales, la liberté d'expression, la liberté d'association et la liberté de mouvement. Ces libertés n'existent pas lorsque le gouvernement contrôle les médias et surveille tout ce qui se dit.

Au Zimbabwe, par exemple, il n'existe aucun espace pour la société civile. Nous n'avons rien fait parce que Mugabe contrôle les médias. Nous n'avons rien fait pour arracher les rênes du pouvoir à ce dictateur sanguinaire.

Il ne faut pas être présomptueux et penser que nous avons les solutions et que les Africains ne savent pas comment ils pourraient s'aider eux-mêmes. Ils connaissent fort bien les problèmes mais ils n'ont pas les moyens de mettre en œuvre les solutions. La radio leur donne du pouvoir et comme je l'ai mentionné, Radio Free Africa est le meilleur cadeau que le Canada puisse faire à l'Afrique.

Le sénateur Di Nino : J'ai beaucoup de sympathie pour le peuple du Zimbabwe, mais nous ne pouvons pas envahir leur pays. On a bien essayé et je pense que vous reconnaîtrez avec moi que nous n'avons pas fait suffisamment pour régler les problèmes de ce genre en Afrique. À moins d'envoyer des troupes, il est très difficile de régler ce genre de problèmes. J'aime votre idée de Radio Free Africa.

Avez-vous d'autres recommandations à nous soumettre? Que pourrions-nous mettre d'autre dans notre rapport pour diffuser vos idées?

M. Ayittey : J'ai écrit un livre appelé Africa Unchained, The Blueprint for Development et vous y trouverez la plupart des solutions que je propose. Je vais vous laisser un exemplaire de ce livre. Mugabe contrôle vraiment le Zimbabwe, il contrôle à peu près tous les niveaux de pouvoir. Ni l'opposition ni même la société civile ne peuvent manœuvrer. Il y a deux façons de faire. La première consisterait à exercer des pressions sur les dirigeants régionaux pour qu'ils incitent Mugabe à réformer certaines choses. L'autre serait de faire intervenir l'Organisation de l'unité africaine, qui a préparé le NEPAD. Le NEPAD contient un mécanisme d'examen par les pairs.

Lorsqu'il y a eu une crise au Togo, le président actuel de l'OUA a essayé d'empêcher le fils de l'ancien dirigeant du Togo de prendre le pouvoir. L'OUA est intervenue pour dire qu'elle n'allait pas laisser l'armée prendre le pouvoir au Togo. Tout le monde l'a félicitée parce que nous nous attendions à ce que cet organisme décide d'intervenir au Togo.

Malheureusement, cette organisation n'a pas adopté la même position à l'égard du Zimbabwe. On ne peut pas dire qu'il y a un changement de régime lorsque l'armée intervient. Cela est tout à fait exclu. Il serait par contre possible d'acheter les dirigeants. Si l'on prend le cas de la Somalie qui s'est effondrée en 1994, on constate que les Canadiens participaient à une mission humanitaire. La mission humanitaire en Somalie a coûté 3,5 milliards de dollars. On aurait pu utiliser des mots que comprennent les dirigeants, le mot argent par exemple, et les acheter. En fait, les États-Unis ont utilisé cette méthode au Panama. C'est une solution qu'il conviendrait d'envisager. Le Canada serait peut-être le meilleur pays pour mettre en œuvre cette solution parce qu'il est considéré comme étant beaucoup plus amical que les autres pays occidentaux.

Le sénateur Di Nino : Vous parlez de l'efficacité des fonds que nous envoyons. Bien évidemment, M. Ayittey a des opinions très tranchées sur cette question.

Est-ce que les trois autres témoins auraient des commentaires à faire sur la façon d'améliorer l'efficacité de l'aide que le Canada envoie en Afrique?

M. Barr : J'aimerais faire un commentaire au sujet de l'idée de M. Ayittey d'acheter les gouvernements. Je préférerais appuyer davantage la société civile que d'essayer d'acheter les dictateurs.

Le grand intérêt qu'offre les commentaires de M. Ayittey est qu'il parle d'aménager un espace pour la société civile. C'est de cette façon que l'on peut obliger les dirigeants à rendre des comptes.

Si vous me demandez s'il y a une chose utile que nous pouvons faire en matière de développement, je vous dirais que non, il n'y en a pas. Il n'existe aucune chose qui donnera de bons résultats. Il faut prendre un ensemble de mesures. Il faut qu'il y ait des institutions indépendantes. Il faut remplacer l'État vampire par un État axé sur le développement. Tout cela ne donnera rien s'il n'y a pas une population active, s'il n'y a pas une société civile, et une société civile autoritaire, qui exige certaines choses, qui créerait une situation où il est obligatoire de rendre des comptes. Il faut qu'il existe des cibles dans la lutte contre la pauvreté que les gouvernements doivent essayer d'atteindre au lieu de s'en mettre plein les poches comme cela se produit souvent.

On nous a parlé des organisations de la société civile et d'organisations non gouvernementales. Un des rôles clés que peuvent jouer les ONG des pays développés est d'accompagner à titre de partenaires les ONG, les groupes de la société civile et les organismes de citoyens des pays en développement. Ils doivent exercer leurs activités dans les pays en développement où une partie de l'espace dans lequel peuvent agir les organisations de la société civile vient de l'autonomie que leur donnent les ressources que leur transmettent leurs partenaires du Nord.

Un des ingrédients nécessaires du développement efficace est d'accepter qu'il faut du temps pour atteindre le résultat souhaité. Si nous ne faisons pas cet effort, nous connaîtrons encore des échecs sur le plan de la reddition de comptes, de la performance et de l'aide. La courbe d'apprentissage dont M. Smillie a parlé continuera à grimper sans que nous puissions jamais tirer les vraies leçons de tous ces efforts. Il faut que tous les éléments s'harmonisent pour connaître le succès.

Le sénateur Downe : Monsieur Smillie, vous avez déclaré dans votre exposé que « l'ACDI avait acquis la réputation d'être une des agences d'aide bilatérale les plus lentes au monde. »

Avez-vous des suggestions à faire pour améliorer la situation pour l'ACDI?

M. Smillie : Ces problèmes existent depuis très longtemps mais ils se sont aggravés en 1993, au moment où le vérificateur général a examiné les programmes de l'ACDI. La vérification a porté sur les programmes et je crois que c'est l'ACDI qui l'avait demandée. Cette vérification ne consistait pas à examiner si les voitures qui devaient être achetées l'avaient bien été, mais plutôt si les voitures étaient utiles.

Cela s'est effectué à une époque où le gouvernement des États-Unis commençait à s'intéresser à toute cette question de l'action axée sur les résultats. Le vérificateur général a déclaré à l'ACDI qu'elle ne tenait pas suffisamment compte des résultats. L'ACDI, qui est à l'origine un organisme d'apprentissage, est devenue du jour au lendemain un organisme axé sur les résultats. Cela s'est fait en un mois environ mais il a fallu près de 10 ans pour comprendre les résultats d'un tel changement. Ce nouveau processus axé sur les résultats a causé de graves problèmes.

Dans le temps, il y avait un programme de formation des professeurs, par exemple, qui visait à améliorer l'éducation et ce programme était évalué. C'est une excellente chose mais dans un régime axé sur les résultats, on regarde l'effet qu'a eu ce programme de formation sur les enseignants et sur les enfants. Bien souvent, il est difficile de mesurer cet effet. Il est possible de mesurer le programme de formation mais si on veut savoir ce qui est arrivé aux enfants, il faut revenir sur place un ou deux ans plus tard et il est parfois difficile de montrer quels ont été exactement les effets d'un tel programme.

La difficulté à laquelle font face les agences d'aide — et l'ACDI n'est pas la seule dans ce cas parce que les ONG et les autres gouvernements font face au même problème — est que les gens veulent obtenir des réponses immédiates. Ils veulent savoir ce qui a été fait. Cela les oblige à évaluer le programme de formation des professeurs et non pas les résultats à long terme sur les enfants.

Plutôt que d'attendre le jour terrible où le vérificateur général décidera de procéder à une vérification, ce serait peut- être une bonne chose d'inviter le vérificateur général à avoir une discussion au sujet des résultats, en particulier en ce qui concerne l'ACDI. Je ne sais pas si cela vaudrait également pour les autres ministères, mais pour le développement international, un domaine où il est très difficile d'établir les effets des projets et où les résultats, en particulier lorsqu'il s'agit de développement social et politique à long terme, ne se font pas sentir pendant que le projet est en cours, cela pourrait être utile. Je crois qu'il faudrait examiner ce processus d'un point de vue différent. Bien sûr, il faut pouvoir le mesurer et l'évaluer mais nous devons cesser de nous soumettre au dieu projet et à l'obligation de rendre immédiatement compte de tout ce qui se passe. Si nous pouvions rationaliser certains processus et parler avec le vérificateur général de ce que veulent dire les résultats dans le contexte du développement, nous pourrions alors peut- être commencer à améliorer les choses et à faire quelques progrès.

Le sénateur Downe : Si j'ai bien compris, vous soutenez que le vérificateur général et ses collaborateurs ne sont pas sensibles au fait qu'on ne mesure pas l'aide à l'étranger de la même façon que ce qui se fait au sein du ministère des travaux publics.

M. Smillie : Je ne connais pas grand-chose au sujet de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada mais l'ACDI a obtenu, ces dernières années, d'assez bonnes notes de la part du vérificateur général. La vérification de 1993 n'a pas critiqué sérieusement l'ACDI mais les ministères sont tellement sensibles aux commentaires du vérificateur général, et aujourd'hui encore plus, j'imagine, qu'ils essaient de tout prévoir et qu'ils multiplient les contrôles. C'est la raison pour laquelle ils se retrouvent, comme M. Kieran l'a mentionné, avec des projets qui sont déjà vieux de cinq ans avant qu'ils ne soient mis en œuvre. Ils ont beaucoup de mal à atteindre leurs objectifs parce que les ministères craignent beaucoup que des gens de l'extérieur viennent les critiquer.

Le sénateur Downe : Vous dites qu'obtenir des bonnes notes du vérificateur général pour ce qui est de l'ACDI n'est pas nécessairement une bonne chose parce qu'il faut appliquer d'autres critères à l'aide à l'étranger.

M. Smillie : Il est possible qu'on ne mesure pas les bonnes choses et n'utilise pas la période de référence qui convient.

Le sénateur Downe : C'est un excellent conseil, à moins que nous soyons prêts à demander au vérificateur général de se charger de l'aide extérieure.

Le président : La vérificatrice générale a offert de comparaître devant le comité pour parler de l'ACDI et du problème des passeports. Nous avons cependant du mal à trouver un moment pendant lequel nous pourrions entendre la vérificatrice générale.

M. Kieran : M. Smillie a mentionné il y a un instant que c'est une entreprise très risquée et très complexe. Nous parlons d'élaborer des programmes qui sont longs à mettre en œuvre et qui sont exécutés dans un pays situé à des milliers de milles d'ici dans une économie que nous comprenons mal. Les gouvernements et la situation changent parfois rapidement et les fonctionnaires ont par nature peur de l'échec. Si on les punit lorsque les choses vont mal, ils craignent encore plus d'échouer et cela prend encore plus de temps pour faire des choses. Il faut analyser les risques. Comme le fait le secteur privé, il faut forer le puits, même si on ne trouve quelque chose qu'une fois sur dix. Cela ne veut pas dire qu'on est renvoyé lorsqu'on ne trouve pas ce qu'on cherchait. Dans un environnement où il y a des risques, il faut prendre des risques et comprendre quels sont ces risques.

Le sénateur Andreychuk : Monsieur Smillie, vous avez insisté sur le rôle du vérificateur général. Je pense que les fonctionnaires ont peur de l'échec parce qu'ils doivent rendre des comptes à trop de maîtres — le public, le secteur privé, l'opposition, les ministres, et cetera.

Est-ce que cela est dû uniquement au vérificateur général ou également au fait que depuis une dizaine d'années l'aide a connu plusieurs échecs et à cause des commentaires des membres de l'opposition?

C'est la raison pour laquelle j'ai tendance à privilégier pour l'aide un cadre parlementaire et législatif mais vous avez plutôt parlé du vérificateur général.

M. Smillie : Le vérificateur général serait une façon de réduire la bureaucratie et le nombre des consultants auxquels on a recours pour veiller à ce que les projets soient bien conçus avant de dépenser quoi que ce soit.

Vous avez raison de dire que l'opinion publique joue un grand rôle et qu'il n'y a que deux genres d'histoires lorsque l'on parle d'aide extérieure. Il y a l'histoire rassurante de la petite dame qui réunit des fonds et part fonder un orphelinat au Cambodge. Il y a aussi les histoires d'horreur accompagnées de scandales. On ne voit pas beaucoup d'analyses rationnelles des programmes d'aide.

Il y a cinq ans environ, le PNUD a recommandé aux gouvernements de dépenser 2 p. 100 de leurs programmes d'aide pour informer leur population pour qu'ils se sentent autoriser à faire des choses qui comportent un certain risque. Cela devait permettre au public de comprendre que parfois les choses vont mal et que ce n'est pas par stupidité mais parce qu'on a pris un risque calculé qui méritait d'être pris. Au Canada, nous ne dépensons pas 2 p. 100 de cette aide pour informer le public. Je pense que nous dépensons plutôt 0,02 p. 100. Le budget des affaires publiques de l'ACDI est minuscule et il n'y a pas beaucoup d'argent pour les ONG.

Comment les ONG font-elles pour obtenir des fonds pour informer le public? Le public ne donne pas d'argent dans ce but mais il est prêt à donner de l'argent pour aider les autres. Il n'est certes pas facile d'essayer d'expliquer comment fonctionnent les programmes d'aide mais je pense que l'ACDI pourrait faire davantage dans ce domaine.

Le président : J'étais en Afrique lorsque les spécialistes du développement sont arrivés en 1959, 1960 et 1961, et de temps à autre, je me rends dans diverses régions d'Afrique. Les conversations que j'ai entendues dans les années 1959- 1960 semblent être les mêmes que celles que j'entends aujourd'hui. Il semble que l'on n'ait pas fait beaucoup de progrès même si je ne dis pas que certaines choses n'ont pas été faites.

Quelqu'un m'a demandé d'aller voir un four en Guinée espagnole. J'ai pensé que ces gens-là étaient en mesure de construire un four. C'était un projet modeste.

En 45 ans, nous avons fait certaines choses mais nous avons encore la même conversation. Le président de l'Ouganda m'a signalé que 86 p. 100 de la population de l'Ouganda travaillait dans l'agriculture. Ce pourcentage est probablement le même dans la plupart des pays de l'Afrique subsaharienne. Des témoins nous ont dit qu'au Kenya, par exemple, on exportait des produits agricoles en 1960 et que ce pays est maintenant obligé d'en importer.

Nous avons reçu le rapport Blair. Je ne dirais pas que j'ai lu cette brique parce qu'elle est assez volumineuse. Les gouvernements déclarent qu'ils doivent dépenser des fonds ou faire diverses choses dont ont parlé les témoins mais ce sont les mêmes gouvernements qui font la concurrence aux agriculteurs africains en subventionnant les produits agricoles. Le scandale du coton a touché des millions de gens. On tient la même conversation au sujet de la gouvernance, de l'infrastructure et de l'éducation mais il me semble que, si l'on ne s'intéresse pas à ce que fait 86 p. 100 de la population, il est certain qu'on n'arrivera jamais à améliorer le niveau de vie de ces personnes. Nos discussions doivent porter sur l'agriculture.

Je ne vais pas continuer parce que je sais que le temps passe. Mais je n'ai pas pu m'empêcher de faire cette remarque.

M. Ayittey : Nous parlons de développement depuis l'indépendance. L'économie africaine est composée de trois secteurs. Il y a le secteur traditionnel et le secteur moderne et entre les deux, il y a un secteur informel. Le secteur moderne est celui des élites, c'est-à-dire des personnes instruites, dont je fais partie. Le secteur moderne est dysfonctionnel et tous les problèmes de l'Afrique viennent de ce secteur. Ces problèmes débordent sur les secteurs traditionnels et informels.

Les vrais Africains, plus de 80 p. 100 d'entre eux, travaillent dans les secteurs traditionnels et informels. Il est impossible de développer l'Afrique si l'on ne tient pas compte de ces deux secteurs. C'est pourtant ce qu'ont fait les élites. Il est impossible de développer les secteurs traditionnels et informels si l'on ne comprend pas comment ils fonctionnent. C'est pourquoi nous sommes coincés.

Essentiellement, la stratégie de développement qui a été adoptée à l'époque de la décolonisation a consisté à construire des usines dans le secteur moderne. Nous avons négligé le secteur traditionnel parce que nous le considérions comme arriéré et primitif. Le secteur traditionnel englobe l'agriculture et c'est là que vivent la plupart des Africains.

C'est pourquoi l'Afrique a régressé. C'est pourquoi l'Afrique n'arrive plus à se nourrir. Nous avons négligé l'agriculture. L'agriculture est pour nous une forme de travail inférieur. Nous voulions les industries, les gadgets modernes, et non pas les ânes primitifs, les machettes et les seaux. C'est pourquoi nous n'arrivons pas à nous nourrir.

Aujourd'hui, l'Afrique dépense 18,9 milliards de dollars pour importer de la nourriture. Cela représente à peu près le même montant que l'Afrique reçoit de tous les pays en aide étrangère.

Le président : Merci beaucoup. Honorables sénateurs, nous allons suspendre la séance cinq minutes pendant que les témoins quittent la salle. Nous devons parler du rapport que nous a remis le comité de direction. Compte tenu de la situation politique, j'aimerais le faire immédiatement.

Je remercie les témoins, qui nous ont transmis énormément d'information.

J'aimerais dire à tous que le comité de direction s'est réuni le jeudi 5 mai. La prochaine réunion est fixée au jeudi 12 mai. Les sujets à l'ordre du jour sont très brefs.

Nous avons parlé de la délégation pour la ville de New York. La délégation sera composée des sénateurs Stollery, Di Nino, Andreychuk, De Bané, Eyton et Mahovlich. Tout va bien. Nous épargnons un peu d'argent.

Pour ce qui est de l'énoncé de politique internationale, le comité de direction a convenu — nous sommes tout au courant de la situation politique mais il faut continuer de travailler — de tenir une séance entre le 12 et le 14 juillet pour entendre des témoins au sujet de l'énoncé de politique internationale. Nous examinerons l'ébauche de rapport une autre fois. Cela ne se fera peut-être pas.

Pour ce qui est du bureau des passeports, le comité de direction a convenu que le président écrirait à la vérificatrice générale pour l'informer du fait que le comité essaierait d'examiner son rapport sur le bureau des passeports un peu plus tard cet automne.

Une délégation saoudienne arrive la semaine prochaine. Nous avons accepté de rencontrer une délégation de l'Arabie saoudite. Le greffier vous enverra une note de service à cet effet. J'ai parlé au sénateur Prud'homme pour voir s'il serait disposé à s'occuper de la délégation.

Le comité de direction a également convenu que j'assisterais à la Wilton Park Conference à laquelle je vais tous les ans, comme vous le savez, et au cours de laquelle nous essaierons de terminer le Programme de Doha pour le développement; cela a lieu du 18 au 21 juillet 2005.

La prochaine réunion aura lieu le jeudi 12 mai. Sénateur Downe, c'est votre projet.

Le sénateur Downe : Si nous le pouvons, nous devrions inviter Bono, s'il se trouve à Ottawa. Il connaît très bien le dossier de l'Afrique. C'est un homme impressionnant. Il utilise sa célébrité pour rencontrer tous les grands de ce monde, depuis Sa Sainteté le pape jusqu'au président Bush. Il s'exprime très bien. J'ai son adresse.

Le président : Nous nous occuperons de Bono.

Le sénateur Corbin : Quand allons-nous rencontrer la délégation saoudienne?

Le président : Cette délégation devrait être là les 17 et 18 mai.

Le sénateur Corbin : Qui représentent-ils?

M. François Michaud, greffier du comité : C'est une délégation du Conseil de la Shora qui est la chambre haute de l'Arabie saoudite. Les membres de ce conseil sont nommés par le roi.

Le président : Nous allons envoyer une note de service à tous les membres du comité. D'après les derniers renseignements que j'ai au sujet de la délégation saoudienne, la Chambre des communes va les rencontrer. C'est ce que j'ai appris à 15 heures cet après-midi et j'ai demandé au sénateur Prud'homme s'il ne voulait pas, avec les autres membres du comité que cela intéresse, déjeuner avec eux.

Le sénateur Andreychuk : Le Comité sénatorial permanent sur la loi antiterroriste et le Comité sénatorial permanent des droits de la personne ont été invités à les rencontrer. Ils pensent pouvoir le faire lundi mais d'après les dernières nouvelles, la délégation n'arrivera pas avant lundi en fin de journée. C'est une cible en mouvement.

Le président : C'est un travail en cours. Je vous remets le rapport. Voulez-vous adopter le rapport du comité de direction?

Le sénateur Di Nino : D'accord.

Le président : Notre prochaine réunion aura lieu demain à 15 heures. Nous allons entendre le président du Mali avec quatre de nos ministres. Ils doivent être là à 15 h 05. C'est l'information qui m'a été communiquée. J'espère que tout le monde sera là.

Le sénateur Downe : Est-ce que le bureau de la recherche a le temps de préparer une note d'information? Pourrait-on faire cela avant la réunion?

Le président : Oui.

Le sénateur Downe : Merci.

La séance est levée.


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