Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères
Fascicule 14 - Témoignages du 11 mai 2005
OTTAWA, le mercredi 11 mai 2005
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15 h 13 dans le cadre de son étude sur les défis en matière de développement et de sécurité auxquels fait face l'Afrique; la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de ce continent; la politique étrangère du Canada envers l'Afrique.
Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, bienvenue à notre séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères qui se tient dans le cadre de notre étude spéciale sur l'Afrique.
La séance d'aujourd'hui sera divisée en trois parties. Nous nous concentrerons dans un premier temps sur le Mali. Nous recevrons ensuite la ministre de la Coopération internationale et nous nous pencherons finalement sur la Banque mondiale.
Nous avons aujourd'hui l'honneur et le plaisir d'accueillir le président de la république de Mali, Son Excellence Amadou Toumani Touré, accompagné de M. Moctar Ouane, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Mme Fanta Sylla, ministre de la Justice et Garde des Sceaux, M. Ousmane Thiam, ministre de la Promotion des investissements et des petites et moyennes entreprises, et Porte-parole du gouvernement; et M. Badi Ould Ganfoud, ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l'État et des Relations avec les institutions.
Je souligne également la présence de Son Excellence M. Diawara, ambassadeur du Mali au Canada, ainsi que de Son Excellence Mme Louise Ouimet, ambassadeur du Canada au Mali. Bienvenue à tous au Sénat du Canada.
Puisque nous n'avons que 25 minutes, monsieur le président, je vous cède immédiatement la parole en expliquant que nous avons quelques questions à vous poser. Je sais que nous sommes pressés par le temps. Ici on est très bilingue, vous avez la traduction, nous sommes bien organisés pour cela. On nous a donné des questions sur les institutions mondiales, comme la Banque mondiale et le Fonds international monétaire. Dans vos commentaires, vous pouvez peut-être donner votre opinion sur les problèmes du Mali avec les institutions mondiales, comme la Banques mondiale et le Fonds monétaire international.
S.E. Monsieur Amadou Toumani Touré, président de la république du Mali : Je vous remercie, monsieur le président. Je voudrais d'abord me soumettre à une tradition qui est bien de chez nous. Il s'agit de vous exprimer toute notre gratitude et, à travers vous notre gratitude envers le Canada, pour l'invitation que nous avons reçue à cette période, il faut reconnaître, qui est difficile. Nous avons mesuré à leur juste valeur les points concrets de cette coopération excellente que nous entretenons avec votre pays. Le Mali fait partie des 25 pays cibles retenus par le Canada. Le Mali, en quatre ans, a vu tripler sa part de la générosité du Canada. Je vous avoue que tous les points de développement importants que notre pays traite aujourd'hui sont soutenus par le Canada, que ce soit l'éducation, la santé, l'environnement, le développement rural, nos institutions — car nous avons entamé une phase particulièrement importante de décentralisation — et, surtout, la justice qui est quand même un point extrêmement important, non seulement pour l'équité mais également pour l'expression des droits des uns et des autres.
Monsieur le président, comme vous l'avez dit, le Mali aujourd'hui entretient des relations très bonnes avec les institutions, notamment le Fonds monétaire et la Banque mondiale. Cependant, l'honnêteté m'impose également, dans certains cas, de revenir sur certains points qui nous gênent.
D'abord, pour ce qui concerne la Banque mondiale, certains types de conditionnalités nous sont proposés, à la limite ils nous sont intelligemment et amicalement demandés. Je voudrais aller, par exemple, dans le cas plus concret du secteur du coton. Le Mali est le premier pays producteur de coton au sud Sahara et le second pays producteur en Afrique après l'Égypte, pour une moyenne d'à peu près 600 000 tonnes par année. Le coton, c'est près de 3,5 millions de Maliens qui en vivent directement ou indirectement.
Toutefois, monsieur le président, imaginez-vous qu'aucun T-shirt ne se fait pas à Bamako au Mali. C'est 98 p. 100 du coton malien produit qui est presque totalement exporté. Nous n'avons aucune valeur ajoutée qui puisse non seulement promouvoir les revenus de nos producteurs de coton, mais ce qui est plus grave encore, c'est qu'aucune valeur ajoutée ne vient nous permettre de créer des emplois pour nos jeunes qui sont de plus en plus nombreux.
Pourquoi cela? D'abord à cause des subventions de certains pays et surtout à cause également d'une production extrêmement importante. Quelque part, à l' OMC, on nous parle d'une concurrence libre. On nous parle de la vérité et de la réalité des prix. Nous ne sommes pas là où on fixe les prix. Par contre, la Banque mondiale nous dit : Nous dégageons des programmes de lutte contre la pauvreté. Pour ma part, je dis que la meilleure manière de lutter contre la pauvreté c'est d'acheter aux pauvres ce qu'il vous vendent à un juste prix.
Ces subventions nous tuent, nous déstabilisent totalement. En plus de cela, le dollar perd de la valeur. Quand les produits sont vendus un dollar, lorsque le dollar perd près de 30 p. 100 de sa valeur, cela nous crée des problèmes économiques extrêmement importants. La Banque mondiale ajoute au comble en se retournant vers nous pour exiger d'autres conditions sur les déficits occasionnés par le coton malien, par exemple. Pourtant, nous ne sommes pas responsables de la plupart de ces déficits.
Nous acceptons nos responsabilités lorsqu'il y a eu de la mauvaise gestion qui aurait pu influencer ce déficit. Nous sommes prêts à faire les corrections nécessaires lorsque cela arrive, cependant, nous ne voyons pas de façon tangible l'intervention de la Banque mondiale vis-à-vis certains autres pour les amener à accepter le fait que leur coton, qui n'est pas de même qualité que le nôtre, puisse nous déstabiliser.
Avant, nous surnommions le coton malien « l'or blanc ». Aujourd'hui, c'est devenu « l'or cauchemar ». Non seulement le coton ne rapporte rien, mais il hypothèque totalement notre développement. Tout ce qui devrait être consacré à d'autres secteurs de croissance est utilisé pour combler le déficit du coton. Comment voulez-vous qu'il n'y ait pas d'injustice lorsque certains, grâce aux grands moyens qu'ils ont — tant mieux eux pour eux — subventionnent 25 000 cotonculteurs à des milliards de dollars. Alors que nous, lorsque nous avons un déficit, subissons toute la foudre de la Banque mondiale et de certains partenaires au-dessus de nous et parfois pour des responsabilités dont nous ne sommes pas totalement imputables. Dans certains cas, nous éprouvons des conditions difficiles.
Dans d'autres cas, la Banque mondiale ne nous consulte pas suffisamment. Comment voulez-vous que quelqu'un qui n'a jamais vu une tige de coton se permette d'élaborer une politique contonnière et qu'il vienne nous la proposer. Qu'il vienne nous voir avant, qu'il voie le cotonculteur, qu'il visite au moins un champ de coton afin qu'il sache comment cela pousse. Parfois, nous pensons qu'il y a un décalage assez important entre des décisions qui nous sont imposées par la banque et certains de nos partenaires par rapport à la réalité.
Par contre, sur d'autres points également, il faut être juste. La banque a contribué de manière extrêmement importante au développement de notre pays. Mais nous avons été surpris de voir que des réalités qui étaient tout à fait tabou à la Banque mondiale, il y a seulement 15 ans, soient aujourd'hui des réalités importantes.
Je prends pour exemple les infrastructures. Mon pays mesure 1 200 000 kilomètres carrés. Cela ne veut rien dire au Canada, mais il est parmi les quinze plus grands pays d'Afrique. Avant, pour construire une route, on se disait : Nous ne pouvons pas construire cette route tant qu'on n'en voie pas l'utilité, à savoir : combien de camions l'emprunteront. Mais pour que vous vous en rendiez compte, il faut la construire d'abord. C'est le genre de réflexions que nous faisons, qui sont totalement déconnectées — bien que l'analyse intellectuelle soit correcte — de la réalité.
D'autre part, nous vivons un certain type de contradictions. Notre pays est en voie de développement. Notre population est particulièrement jeune. L'infrastructure pédagogique fait défaut. Nous manquons d'écoles, de maîtres, de livres. Aujourd'hui, le Canada a engagé un vaste programme pour donner des livres à nos enfants parce qu'ils représentent une richesse dans certains de nos villages. Des étudiants n'ont jamais vu un livre, car seul le maître les détient. Aujourd'hui, grâce au Canada, des millions et des millions de livres sont distribués à travers notre pays et nos enfants ont la chance d'avoir un livre. Mais qu'est-ce qui se passe?
Avec le programme d'ajustement structurel, la fonction publique nous imposent des limites. Des milliers de nouveaux magistrats, professeurs, médecins, ingénieurs de toutes spécialités, musiciens, qui ont fait les grandes écoles du Canada ou d'ailleurs, reviennent au pays. Ils sont plus nombreux que ceux que nos universités peuvent produire, c'est-à-dire près de deux à trois mille jeunes qui sortent de nos écoles. Et aucun n'a une chance d'être recruté, parce que tout simplement la banque n'accepte pas que certains paramètres n'y soient pas.
Nous vivons dans une contradiction extrêmement importante. On ne recrute pas et, pourtant, nous sommes en manque. Nous avons des villages et des hôpitaux qui n'ont pas de médecins; on ne peut pas en recruter parce qu'il y aura en plus une masse salariale que la banque n'accepte pas, car nous risquons de créer des problèmes selon certains paramètres économiques.
Si on engage un maître dans une classe, sa charge salariale sera ajoutée à la charge salariale générale et le Mali ne doit pas dépasser un quota à l'intérieur duquel sont contenus tous les salaires. Parfois, nous vivons véritablement un supplice de Tantale. Nous avons l'eau à hauteur de la bouche, mais nous ne pouvons pas nous baisser pour boire.
C'est le genre de contradictions que nous rencontrons souvent. Par contre, je reconnais que la Banque mondiale a parfaitement passé par certains de ces programmes de lutte contre la pauvreté, certains de ces programmes d'infrastructure, ils ont compris et ils ont accepté. Ils ont participé de manière efficiente au développement de notre pays. Il faut le reconnaître. Nous souhaitons que la banque soit beaucoup plus proche de nous et que la banque participe et nous aide, et nous écoute surtout, pour que vraiment nous puissions aller dire quelles sont nos difficultés propres et qu'ensemble nous puissions élaborer des politiques correctes. Mais nous avons des hôpitaux qui n'ont pas de médecins, des jeunes médecins sortis des universités du Canada, de Moncton ou d'ailleurs. À Bamako nous ne pouvons pas les recruter parce que la fonction publique malienne ne recrute pas. Et pourtant les médecins manquent. Nous sommes parfois dans une situation extrêmement difficile. Mais nous saluons quand même l'action de la Banque mondiale. Avec elle et d'autres partenaires, nous avons engagé un vaste programme de lutte contre le VIH/sida. Il faut remercier la Banque mondiale, parce qu'elle a élaboré un programme multisectoriel sur le VIH/sida.
Dans notre pays, heureusement encore aujourd'hui, notre prévalence est moins de deux pour cent. Cependant, l'Afrique du Sud avait le même pourcentage il y a dix ans, ce qui ne les a pas aujourd'hui empêché d'avoir une explosion exponentielle du sida. Des projets de ce genre ne peuvent qu'être salués et soulignés. La Banque mondiale s'intéresse aujourd'hui à l'agriculteur, ce qu'elle ne faisait pas avant. Un pays comme le Mali est traversé par les deux plus grands fleuves de l'Afrique de l'Ouest : le Niger et le Sénégal. Le Niger fait 4 200 kilomètres sur l'ensemble de son parcours de la Guinée au Nigeria où il se jette dans l'océan Atlantique. Il fait 1 780 kilomètres au Mali.
Aujourd'hui, nous sommes obligés de nous tourner vers le Canada pour pouvoir recevoir de l'aide parce que l'instabilité alimentaire est là. Notre agriculture est totalement soumise aux éléments climatiques. L'année où il pleut, nous avons une bonne croissance et l'année où il ne pleut pas, la croissance est pratiquement négative.
La Banque mondiale — nous ne serons pas ingrats — apporte quelques solutions, mais elle doit nous écouter plus. La banque a besoin d'aller vers plus de développements et elle a besoin de nous accompagner parfois plus que de nous imposer certaines conditions. Pour ce qui est du Fonds monétaire international, avec le programme d'ajustement structurel, tout se passe bien. Nous sommes même sortis du programme d'ajustement structurel classique. Mais cependant, nous avons demandé au Fonds monétaire de continuer à nous accompagner pour deux ou trois ans encore. C'est librement consenti par nous afin de pouvoir consolider les acquis que nous connaissons aujourd'hui.
Quel est le leitmotiv au Fonds monétaire international? Privatisation. On vient de privatiser la filière du coton, le transport, et cetera. Cela devient des conditions parfois dans certains cas. Nous avons privatisé et cela n'a pas marché. Nous avons été obligés de nationaliser encore. Aujourd'hui, on nous redemande de privatiser encore les mêmes entreprises. C'est pour vous dire que cela a créé des problèmes souvent importants.
Nous ne serons pas des ingrats. Je pense que la Banque mondiale ainsi que le Fonds monétaire international jouent aussi quelque part un rôle important qui nous aide dans notre développement.
Le président : Merci, votre présentation est bien intéressante et bien importante pour notre comité. Vos commentaires sur la Banque mondiale et le Fonds monétaire ont été très instructifs. Je vous remercie de la part des membres du comité. Je vous laisse car je ne veux pas interrompre votre programme.
M. Touré : Je vous remercie de l'honneur que vous me faites.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous débutons la deuxième partie de notre réunion de cet après-midi. Nous accueillons quelques vieux amis, puisque M. Hunt a déjà comparu devant nous dans le passé. Monsieur Cameron, je ne sais pas si c'est aussi votre cas. Oui, vous aussi.
[Français]
Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir l'honorable Aileen Carroll, ministre de la Coopération internationale. Madame la ministre est accompagnée de Ric Cameron, vice-président principal et de Paul Hunt, vice-président, Direction générale de l'Afrique.
[Traduction]
Bienvenue au Sénat du Canada. Mes collègues se souviendront que la ministre est déjà venue en décembre nous parler du rapport de rendement de son ministère. Aujourd'hui, elle est là pour nous parler de la nouvelle orientation du programme d'aide de l'ACDI, des retombées du budget de 2005-2006 sur son ministère et du rapport de février 2005 de la vérificatrice générale, tout cela dans le contexte de notre étude sur l'Afrique.
Madame la ministre, vous avez la parole.
L'honorable Aileen Carroll, ministre de la Coopération internationale : Merci, monsieur le président. Je suis désolée d'arriver en retard, nous avons pu quitter la Chambre il y a quelques instants seulement. Je vous remercie de votre patience.
Je suis ravie de vous rencontrer aujourd'hui. J'ai bien apprécié notre dernière rencontre et j'ai hâte de discuter avec vous de nouveau cet après-midi. Je vais vous parler de l'incidence du budget de 2005 sur l'ACDI. Je parlerai aussi d'un passage clé du rapport de la vérificatrice générale qui porte sur l'ACDI.
Je commencerai par vous dire que ces dernières années, en particulier depuis le Sommet du G8 tenu en 2002 à Kananaskis, en Alberta, le gouvernement du Canada a fait de l'Afrique une priorité dans le cadre de ses programmes de développement international. Au nom de tous les Canadiens, nous nous sommes engagés à redoubler d'efforts pour aider les pays africains à se sortir de la pauvreté, et ce, dans le contexte des objectifs du développement du millénaire, qui représentent un plan d'action ambitieux visant à réduire de moitié la pauvreté dans le monde d'ici 2015.
Je suis fière d'affirmer que le budget de 2005 permettra de respecter ces engagements. Tout d'abord, le gouvernement du Canada majorera l'aide internationale de 3,4 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années. Grâce à cette augmentation, nous sommes en voie d'atteindre notre objectif, qui est de doubler l'aide par rapport au niveau de 2001-2002 d'ici la fin de la décennie. La majeure partie des nouvelles ressources sera affectée à l'Afrique, le continent le plus pauvre. En fait, l'aide canadienne accordée à l'Afrique doublera d'ici 2008-2009 par rapport au niveau de 2003-2004.
L'énoncé de politique internationale que le gouvernement a rendu public récemment fait encore davantage ressortir notre engagement envers l'Afrique. L'ACDI a sélectionné 25 pays partenaires du développement qui recevront au moins les deux tiers de notre aide bilatérale d'ici 2010. Il s'agit de pays qui peuvent utiliser l'aide de façon efficace et avec prudence, et où les compétences et les ressources canadiennes peuvent vraiment faire avancer les choses. Quatorze de ces pays se trouvent en Afrique subsaharienne. C'est plus de la moitié du groupe.
[Français]
En plus de concentrer notre énergie et nos ressources dans un certain nombre de pays, nous augmentons l'incidence de notre aide au développement en mettant l'accent sur cinq secteurs prioritaires qui sont directement liés à la réalisation des objectifs du développement du millénaire : la promotion de la bonne gouvernance, l'amélioration de la santé, particulièrement la lutte contre le VIH/sida, le renforcement de l'éducation de base, le soutien au développement du secteur privé et la promotion de la viabilité de l'environnement.
Comme toujours, l'égalité entre les sexes sera un thème transversal systématique dans l'ensemble des programmes, en fonction de chacun des cinq secteurs prioritaires. Le Budget de 2005 accorde une place de choix au secteur de la santé. Il prévoit un montant supplémentaire de 340 millions de dollars pour lutter contre les maladies infectieuses comme le VIH/sida, la tuberculose, le paludisme, la polio et d'autres.
L'Afrique, qui subit le fardeau de ces maladies plus que toutes les autres régions, bénéficiera directement de ces nouvelles ressources. Cela dit, je tiens à souligner que le Canada continuera de venir en aide à des pays dans d'autres régions. Le tiers du budget bilatéral de l'ACDI pourra servir à soutenir les pays qui revêtent une importance stratégique et ceux où le Canada peut continuer de jouer un rôle déterminant.
Il faut reconnaître que l'amélioration de notre aide en quantité et en qualité ne pourra pas à elle seule permettre à l'Afrique d'atteindre des objectifs de développement du millénaire. C'est pourquoi l'énoncé de politique internationale mise sur une vaste approche à l'échelle du gouvernement.
Cet énoncé nous permet de mettre à profit tous les outils et instruments à notre disposition comme ceux qui servent à promouvoir un accès accru aux marchés, à alléger davantage les dettes des pays en développement et à mieux soutenir le secteur privé.
Par ailleurs, dans le Budget de 2005, le gouvernement du Canada a adopté un nouveau cadre pour la gestion de l'enveloppe de l'aide internationale. Il a mis en place cinq comptes distincts; un pour le développement, un pour les institutions financières internationales, un pour la paix et la sécurité, un pour la recherche et le développement et un pour les crises.
Le but visé est d'améliorer la souplesse, la coordination et la transparence dans l'affectation de notre budget, en plus d'assurer un financement stable pour des programmes et des développements de l'ACDI.
[Traduction]
J'aimerais maintenant faire le point sur une question particulière concernant l'affectation du budget de l'ACDI. L'ACDI utilise deux mécanismes pour verser des fonds : les subventions et les contributions. Quand une organisation reçoit une subvention, elle n'a généralement aucune obligation à remplir par la suite. En revanche, les contributions sont assujetties à des conditions de rendement. Autrement dit, le bénéficiaire doit respecter certaines conditions tout au long de l'entente pour obtenir le remboursement de coûts particuliers. Dans son rapport « Le Point » de février 2005, la vérificatrice générale a soulevé des questions concernant le recours accru aux subventions de l'ACDI et son incidence possible sur la capacité de l'Agence à exercer un contrôle et une surveillance sur la façon dont les bénéficiaires dépensent les sommes versées.
Il est vrai que l'ACDI a davantage recours aux subventions. Dans le cadre de sa démarche visant à assurer une aide plus efficace, l'ACDI a regroupé ses ressources avec celles d'autres donateurs afin d'atteindre des objectifs communs. Pour ce faire, nous offrons souvent des subventions à des organisations multilatérales, à l'OMS ou au PNUD. En harmonisant nos efforts avec ceux d'autres donateurs, nous réduisons les doubles emplois et renforçons l'incidence globale de nos interventions. Ces subventions ne réduisent pas la responsabilisation. En réalité, je suis persuadée qu'elles l'améliorent. Pourquoi? Pour deux raisons.
Nous versons des subventions uniquement à des partenaires multilatéraux ayant fait leurs preuves dans la région ou le secteur visé. Et nous choisissons seulement des organisations multilatérales ayant des normes de gestion et de surveillance rigoureuses, qui concordent avec les besoins de tous les donateurs participants, y compris le Canada. C'est pourquoi l'ACDI estime que le risque de mauvais rendement est, en fait, très faible dans le cas des subventions versées aux organisations multilatérales, par comparaison avec les projets autonomes faisant appel à plusieurs organismes qui exécutent des travaux en vertu de contrats ou d'accords de contribution. Cela dit, la vérificatrice générale souhaite que l'ACDI justifie plus clairement le recours aux subventions, et nous en prenons acte. À cette fin, l'Agence a précisé et renforcé les critères qui régissent l'utilisation des subventions. Nous traitons maintenant de ces lignes directrices dans les cours de formation donnés au sein de l'ACDI. Je ne doute pas qu'elles aideront l'Agence à continuer d'améliorer son efficacité en général, et en tant que présidente, j'approuve totalement cette orientation.
Monsieur le président, j'ai signalé quelques-uns des effets qu'aura le budget de 2005 sur le programme canadien de coopération au développement, et en particulier sur les activités de l'ACDI. De toute évidence, la coopération internationale traverse actuellement une période très stimulante. L'énoncé de politique internationale a été quelque chose de passionnant et je peux vous dire que nous avons mis sur pied un ensemble excellent et que j'ai hâte de voir l'ACDI faire sa part dans cet ensemble. Nous avons évidemment déjà commencé. Je suis convaincue que l'ACDI a trouvé un créneau qui nous permettra vraiment de contribuer à un monde meilleur, en collaboration avec nos partenaires canadiens et étrangers, et d'atteindre l'objectif du rapport, c'est-à-dire de vraiment faire changer les choses dans le monde.
Le sénateur Andreychuk : Comme vous l'avez dit, madame la ministre, notre horaire est extrêmement chargé en ce moment. J'aimerais que vous m'expliquiez un peu mieux comment vous avez choisi les 25 pays et ce que vous entendez par « importance stratégique pour le Canada ».
Mme Carroll : Nous avons consacré beaucoup de temps à élaborer un ensemble approprié de critères. Vous vous doutez bien que nous n'avons pas fait cela à la légère. Nous nous sommes appuyés sur notre expérience et celle d'autres organismes de développement. Nous avons utilisé trois critères.
Premièrement, nous avons défini le niveau de pauvreté des pays qui deviendraient des partenaires du développement à part entière. Il fallait que ce soit un maximum de 1 000 $ par an. C'était donc le premier critère, la détermination d'un niveau de pauvreté.
Deuxièmement, nous avons examiné dans quelle mesure les pays étaient capables d'utiliser efficacement l'aide qu'ils reçoivent et de quelles capacités ils s'étaient dotés pour exploiter efficacement l'aide au développement. Cet examen comportait entre autres une analyse approfondie des pratiques de gouvernance. Nous n'avons évidemment pas la naïveté de demander aux pays de s'engager à pratiquer une bonne gouvernance ou à atteindre un niveau de bonne gouvernance, mais nous voulions tout de même que ces pays nous confirment que c'était pour eux un élément important pour se sortir de la pauvreté. C'était le deuxième critère.
Le troisième critère concernait ce que le Canada avait à apporter. De quel type d'expertise ou d'expérience pouvions-nous faire profiter ces pays? Quelle était la place du Canada dans la liste des pays donateurs? Étions-nous douzièmes ou treizièmes sur la liste ou, comme vous le verrez dans le cas de notre relation avec ces partenaires, étions- nous seconds, troisièmes, quatrièmes ou cinquièmes? En l'occurrence, cette présence était l'expression d'une relation de longue date.
C'est comme ça que nous avons choisi ces pays. Si vous appliquez ces critères, vous verrez que nous en avons sélectionné 25 parce qu'ils étaient 25 à répondre à ces critères. La dernière fois que je suis venue ici, nous disions que le Canada apportait une aide à environ 155 pays. De tous les pays donateurs de la communauté internationale, c'est le Canada qui verse le plus largement son aide.
Le sénateur Andreychuk : Il y a toujours un débat sur les définitions des termes « assistance » et « aide », et de plus en plus depuis une dizaine d'années, on constate que ce que l'on appelait traditionnellement l'aide inclut maintenant des choses comme le maintien de la paix, l'aide d'urgence humanitaire, les contributions à des institutions financières internationales, ce genre de choses. Pour le peuple canadien, cela n'a jamais fait partie de l'aide. Nous considérions qu'il s'agissait plutôt d'une contribution de pays à pays. Quel poids le Canada peut-il avoir sur la communauté internationale? On entend de plus en plus dire que le changement doit venir de l'intérieur, qu'il ne doit pas être imposé. Dans ce cas, notre rôle a un maximum d'efficacité lorsque nous nous associons à d'autres pays et à des institutions multilatérales pour élaborer des normes internationales, par exemple une législation internationale des droits de l'homme, que ce soit la Déclaration universelle, le Pacte politique et civil, le Pacte économique, social et culturel ou toutes sortes d'autres instruments comme la Convention sur les droits de l'enfant. Le Canada semble maintenant parler de projeter les valeurs canadiennes à l'étranger. Nous envoyons des juges, des avocats et d'autres experts, comme si ces experts étaient le meilleur moyen de gérer le développement et la croissance. Or, les détracteurs de cette aide commencent à dire qu'il existe des valeurs culturelles, des réponses indigènes et que ces pays n'ont pas besoin que nous leur envoyions nos experts. Ce qu'ils veulent, c'est une aide au développement qu'ils pourront utiliser pour élaborer leurs propres solutions de l'intérieur. À cet égard, le meilleur exemple que pourrait présenter le Canada ne serait-il pas d'atteindre l'objectif de 0,7 p. 100 que nous avons énoncé il y a bien longtemps déjà? N'aurions-nous pas un rôle de chef de file beaucoup plus clair si nous nous fixions un échéancier, comme l'a dit la commission Blair et comme le font d'autres pays? Nous aurions un bien meilleur cadre de reddition de comptes, au lieu de nous contenter de déterminer si tel ou tel projet a plus ou moins bien fonctionné.
Hier, nous avons entendu un excellent témoignage concernant les risques considérables du développement. Le taux du succès n'est pas le même qu'au Canada. Ne vaudrait-il pas mieux décider de respecter une norme internationale et de fixer un calendrier?
Le président : Puis-je vous interrompre, madame la ministre, pour donner une explication? Je viens d'apprendre que vous devez partir à 16 h 15 parce qu'il y a un vote à 16 h 20.
Mme Carroll : J'aimerais bien pouvoir rester.
Le président : Nous n'y pouvons rien. Je voulais simplement apporter cette précision.
Mme Carroll : Vous m'avez posé tout un tas de questions, et je vais commencer par le 0,7 p. 100. Il s'agit d'un jalon établi par Pearson et dont on parle souvent. Je vous répondrai que le gouvernement s'est engagé sur une augmentation de 8 p. 100 au moins l'an dernier et cette année. Notre enveloppe d'aide internationale va doubler d'ici 2010, comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires. Il est clair, et nous l'avons dit publiquement, que nous accélérerons notre aide là où nous le pourrons, et que nous sommes déterminés à atteindre cet objectif. Nous n'avons pas fixé de date, mais le premier ministre et moi-même avons clairement dit que c'était notre objectif.
Disons qu'on entend parfois parler de 8 p. 100. Je tiens à préciser que la hausse de notre budget l'an dernier et cette année a été de 21 p. 100, sans parler de l'aide aux victimes du tsunami. Si je l'incluais, cela nous donnerait environ 30 p. 100.
Je suis bien d'accord avec vous. La quantité d'aide est certes importante, mais je crois que ce qui est également important, c'est l'efficacité de cette aide. C'est cela qui nous a amenés à rédiger l'énoncé de politique internationale, et vous avez fait allusion dans vos remarques à certains des éléments d'une aide efficace.
Premièrement, je reconnais comme vous que le fait d'envoyer des Canadiens à l'étranger ou d'essayer d'exporter des valeurs canadiennes n'est pas la bonne formule. Je tiens à vous assurer que le travail de gouvernance que nous faisons est guidé essentiellement par la demande et non par l'offre. Nous travaillons dans le cadre de stratégies de réduction de la pauvreté élaborées par les pays eux-mêmes. Je vous ai dit la dernière fois que j'avais travaillé pour l'ACDI quand j'étais étudiante dans les années 60. Au cours des 40 années qui ont suivi, nous avons suivi des démarches très différentes, appris de nombreuses leçons et acquis beaucoup de maturité.
Nous répondons donc à la demande et je vous assure que je n'ai pas assez d'experts pour répondre à cette demande. Que ce soit l'Association du Barreau canadien qui aide des pays à se doter d'une structure d'aide juridique, qu'il s'agisse de mettre sur pied des services d'aide communautaire pour les femmes, pour les plus pauvres, pour les plus démunis, ou qu'il s'agisse de consolider les systèmes de santé, qu'il s'agisse d'organiser la fonction publique en Georgie — où je sais que nous assurons une formation en apportant les ressources dont a besoin une jeune démocratie et que nous avons tendance à trouver parfaitement banale dans notre Chambre des communes abondamment pourvue en ressources — tout cela est une question de gouvernance. Il s'agit d'aider les pays non pas à copier notre façon de résoudre les problèmes au Canada, mais à atteindre les normes internationales que suit une société fondée sur les règles et sur le respect des droits de la personne.
Le président : Je vous prie encore de m'excuser. Je dois constamment adapter le programme. Nous accueillerons M. Massé à 17 heures.
Mme Carroll : C'est parfait. Je viendrai l'écouter.
Le président : Vous pourriez peut-être revenir — si cela ne vous pose pas de problème — à 16 h 45 pour un quart d'heure supplémentaire.
Mme Carroll : Avec plaisir. Ce ne sera pas un problème.
Le président : Cela nous donnera un quart d'heure supplémentaire, avant d'entendre notre témoin suivant à 17 heures.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Madame la ministre, il est toujours bon de vous recevoir comme témoin. Nous avons entendu hier des témoins nous dire que lorsque la vérificatrice générale avait souhaité que l'ACDI ait un processus plus clair et peut-être plus orienté vers des résultats; le processus de subvention avait été alourdi, il prenait plus de temps. On semblait se diriger vers des programmes qui allaient livrer des résultats à court terme plutôt qu'à moyen terme, disons cinq ou six ans. Elle déplorait le fait que l'on s'était éloigné de ces programmes. Dans les programmes de développement au Canada, les résultats n'arrivent pas après la première année et la deuxième année, c'est souvent de longue durée. Est-ce que vous êtes consciente que le processus a changé et que certaines personnes le déplorent?
Mme Carroll : C'est probablement plus facile pour moi de m'exprimer en anglais parce que les détails sont très importants et un peu complexes. Est-ce possible de savoir qui était votre témoin hier?
Le président : C'était M. Kieran.
Mme Carroll : Du secteur privé.
Le président : Oui.
[Traduction]
Mme Carroll : Je vous en remercie. Vous mettez les choses en contexte. Tout d'abord, je ne comprends pas très bien pourquoi il dit que la vérificatrice générale nous accuse d'avoir eu une réaction exagérée. Je vais laisser cela pour l'instant. J'ai lu un témoignage très intéressant d'une autre personne, M. Ian Smillie, que vous avez entendu le 10 mai.
Le président : Si vous me le permettez, je crois que ce qu'il a dit, et je ne voudrais pas lui faire dire ce qu'il n'a pas dit, mais je crois que ce qu'il a dit, c'est que la vérificatrice générale a appliqué des lignes directrices trop rigides. C'est bien cela?
Le sénateur Andreychuk : Non, il y a au moins une personne, et sans doute d'autres qui ont dit que le problème de l'ACDI actuellement, c'est que ses employés ont peur de prendre des risques à cause des rapports de la vérificatrice générale. C'est un peu gênant.
[Français]
Mme Carroll : Je suis d'accord avec ce point de vue.
[Traduction]
Mme Carroll : Je reconnais que les fonctionnaires de l'ACDI hésitent à prendre des risques. Je pense que nous avons tendance à nous enliser dans la procédure. J'ai effectivement lu le témoignage de M. Smillie, je crois, quelqu'un de très brillant et au jugement très pénétrant, qui disait que nous avions une crainte maladive de prendre des risques à l'ACDI. Les fonctionnaires de l'ACDI ont une peur panique de la vérificatrice générale. C'est peut-être un peu exagéré. L'Agence tolère mal l'échec. Comme nous voulons être les meilleurs, nous ne sommes pas très attirés par les risques d'échec.
Je suis bien d'accord avec ce qu'il dit, et je pensais que nous en avions déjà parlé quand je suis venue ici la dernière fois, mais je me ferai un plaisir de le répéter. Quand on se fait constamment critiquer — et il y a eu un rapport de la vérificatrice générale sur l'ACDI — on obtient une agence qui a tendance à se replier en multipliant les paliers de vérification, d'évaluation, de reddition de comptes et de procédure. Cela ne nous aide certainement pas à être plus souples ou plus rapides et ce n'est certainement pas un état de choses qui nous réjouit.
J'ai très hâte de passer à la mise en œuvre de nos projets, et d'ailleurs l'Agence a déjà commencé. Quelqu'un a parlé de la façon dont nous nous évaluons. Nous sommes en train de mettre en place une gestion axée sur les résultats, ce qui est une bonne façon de réagir, au lieu de multiplier les paliers de contrôle qui compliquent énormément la tâche non seulement pour nous, mais aussi pour les pays avec lesquels nous travaillons et les partenaires que nous apprécions et dont nous dépendons énormément.
S'il y a une marque que je voudrais laisser derrière moi, ce serait d'avoir mis fin au caractère procédurier de cette merveilleuse agence, en laissant plus la place à l'action.
J'ai eu un entretien très intéressant aujourd'hui avec le sénateur George Mitchell des États-Unis qui prépare, comme vous le savez, un rapport pour le gouvernement américain sur la réforme de l'ONU. Ce que je lui disais, c'est que j'aimerais que beaucoup plus de nos décisions se prennent sur le terrain dans les pays auxquels nous apportons notre aide.
J'aimerais que le personnel de l'ACDI soit plus en mesure de prendre des décisions sur place sans que tout doive automatiquement passer par l'administration centrale du lundi au vendredi, et il me disait que de la même façon il pense que tout ne devrait pas nécessairement passer par l'administration centrale de l'ONU. Vous avez tout à fait raison, sénateur.
[Français]
Je suis d'accord avec votre point de vue, et j'espère que nous pouvons améliorer la situation, mais nous avons besoin d'un peu plus de temps et j'espère que nos partenaires auront assez de patience.
[Traduction]
Le président : Nous allons interrompre la séance car le vote est imminent. Mme Carroll doit nous quitter. Nous vous reverrons dans une demi-heure.
La séance est suspendue.
La séance reprend.
Le président : Honorables sénateurs, nous reprenons nos délibérations. La ministre, Mme Carroll, est revenue et nous en sommes enchantés.
Je souhaite signaler au comité la présence d'une délégation parlementaire du Koweït dirigée par M. Basel Saad Al Rashed, député. Les délégués sont M. Abdulah Youssef Al Roumi, M. Adel Abdelaziz Al Sarawi et M. Ali Fahed Al Rashed. Ils sont accompagnés de Son Excellence le Dr Musaed Rashed Al Haroun, ambassadeur du Koweït au Canada.
Nous vous souhaitons la bienvenue à notre comité.
Je vais maintenant donner la parole au sénateur Nancy Ruth.
Le sénateur Nancy Ruth : Ma question porte sur l'égalité des sexes. Votre ministère a insisté sur des histoires particulières. Je vais vous en présenter trois pour vous donner le contexte.
Au cours de la dernière quinzaine, une femme du Soudan a comparu le jour même où l'on annonçait que le Canada avait donné au Soudan un demi-million de dollars pour aider un tribunal pénal à juger des criminels de guerre. Je me disais que si le Canada se soucie vraiment d'égalité entre hommes et femmes, il devra aussi verser un demi-million de dollars aux victimes de ces auteurs de violence qui doivent être jugés.
Ma deuxième histoire concerne le logement. Si le Canada se préoccupe sérieusement d'égalité entre les sexes et si nous voulons vendre des produits utilisés pour le logement ou donner de l'argent pour les victimes de zones ravagées par la guerre ou d'autres victimes, pourrions-nous donner cette aide en priorité aux femmes avec des enfants, deuxièmement aux femmes handicapées avec des enfants, troisièmement, aux familles avec des enfants et quatrièmement aux hommes? Ce serait une façon d'affirmer que nous comprenons le principe de l'égalité entre les sexes sur lequel le Canada s'est engagé par un programme d'action positive.
Ma troisième histoire concerne la capacité des ONG à intégrer la structure en place. Venant moi-même du secteur des ONG, je sais qu'il est très difficile d'apprendre la langue et les coutumes d'un pays, d'apprendre à travailler avec les fonctionnaires du gouvernement ou les organismes multilatéraux. Je sais aussi par expérience que quand on parle de pauvreté, on parle au premier chef de femmes et d'enfants. Je me demande donc si la structure que vous nous avez présentée dans votre exposé n'aliène pas une bonne partie de la créativité et des initiatives des femmes.
Ma question porte donc globalement sur l'égalité hommes-femmes.
Mme Carroll : Je suis très heureuse que vous m'ayez posé cette question, madame le sénateur. Je n'imagine rien de plus pertinent que votre étude sur l'Afrique ou une bonne partie de ce que fait votre comité. Je commencerai par répéter ce que j'ai dit dans mes remarques liminaires, à savoir que la notion d'égalité entre les sexes est présente partout à l'ACDI. On la retrouve dans nos cinq secteurs prioritaires. Nous parlions juste avant que je parte voter de notre excès de procédures, mais en revanche notre réputation internationale en ce qui concerne l'égalité entre les sexes est excellente. Nous sommes considérés comme des leaders. Mes collègues m'ont déjà entendu dire qu'à mon avis, les politiciens ne devraient pas exagérer la nécessité pour nous d'être des leaders dans toutes sortes de domaines, mais je n'hésite pas à dire cependant que nous sommes des leaders sur cette question de l'égalité entre les sexes. C'est un aspect fondamental de la lutte contre la pauvreté mondiale. Je vous citerai par exemple ce que nous faisons dans le domaine du VIH/sida, une intervention qui est le fer de lance de notre présence dans le domaine de la santé.
Je plaisante parfois à ce sujet, mais je ne me suis jamais considérée comme une féministe dans les années 60. J'ai participé à un mouvement d'opposition à la guerre et à divers groupes de militants, mais je ne me suis jamais considérée comme une féministe. J'ai été la première étudiante dans une université où il n'y avait que des hommes, mais pour reprendre le slogan de l'époque, je ne suis pas allée là-bas pour brûler mon soutien-gorge, j'y suis allée pour étudier la politique, qui n'était pas considérée comme un domaine d'étude pour les femmes.
Ma présence à l'ACDI m'a amenée à faire une conversion considérable, je le reconnais. La pauvreté a trop souvent un visage féminin. Le VIH/sida a un visage féminin.
J'approuve entièrement tout ce que notre agence a fait et notre engagement à poursuivre sur cette voie. Je vous garantis que nous examinons chaque programme dans cette optique. Dans chaque note concernant une décision qui me parvient du ministère, on me précise ce qu'il en est à ce sujet et en quoi la décision aura des répercussions positives sur les femmes et les enfants et tous les problèmes que vous avez mentionnés.
Vous voulez que je vous parle du Soudan?
Le sénateur Nancy Ruth : C'était un exemple pour montrer que les contribuables canadiens appuient, par le biais de leur gouvernement, la mise en place d'un système juridique pour juger des criminels de guerre, mais néglige l'autre facette de ce même problème, c'est-à-dire l'aide aux personnes qui ont été victimes de ces crimes, et qui sont en l'occurrence bien souvent des femmes et des enfants.
Mme Carroll : C'est juste.
Le sénateur Nancy Ruth : Notre gouvernement ne pourrait-il pas diviser ce montant en deux et donner un quart de million au système de justice pénale et un quart de million à ces victimes? Pourquoi ne pas faire les deux? Pourquoi ne finançons-nous qu'un seul côté? Expliquez-moi cette politique.
Mme Carroll : Je ne suis pas bien au courant de cette annonce de M. Pettigrew, le ministre des Affaires étrangères, au sujet d'un demi-million de dollars au Soudan pour juger des criminels de guerre à la Cour pénale internationale. Je suis au courant des 90 millions de dollars que nous nous sommes engagés à verser à la conférence d'Oslo et que nous verserons pour le Soudan. Je sais que nous avons jusqu'ici consacré environ 27 millions de dollars à l'aide humanitaire, à l'aide à l'Union africaine et à ses forces, et aux hélicoptères. La sécurité, la sécurité des femmes dans les camps et à l'extérieur, est fondamentale. Je ne suis pas au courant de ce demi-million de dollars, mais je sais quel effet positif les millions de dollars que nous versons pour le Soudan auront. C'est tout ce que je peux dire.
[Français]
Le sénateur Corbin : Cela fait toujours plaisir de vous entendre, madame la ministre. Vous avez, dans vos remarques, énoncé un objectif qui vise à concentrer plus d'énergie et de ressources dans cinq secteurs prioritaires, y compris celui du soutien au développement du secteur privé, que je considère très important, et souvent négligé dans la conception des programmes d'aide. Pouvez-vous élaborer davantage sur les objectifs spécifiques que vous visez dans ce secteur?
Mme Carroll : Je suis d'accord, je pense que vous avez raison, comme toujours. En particulier à ce sujet, c'est-à-dire le développement du secteur privé.
[Traduction]
Comme vous le dites, sénateur, c'est une de nos cinq priorités. Nous nous sommes appuyés sur le rapport Martin- Zedillo intitulé « Libérer l'entreprenariat », rédigé pour les Nations Unies, et dont les deux auteurs sont notre premier ministre et l'ancien premier ministre du Mexique, M. Zedillo. Naturellement, tout cela s'appuie sur les théories de De Soto. Si nous ne développons pas les économies des pays que nous essayons d'aider, je dirais comme les Jeffrey Sach que malgré tout l'argent du monde — et d'ailleurs il ne demande pas des montants d'argent énormes, ce qui est un argument en soi — si l'on ne développe pas ces économies, ces marchés, on n'obtiendra pas le développement durable que nous souhaitons.
Nous encourageons beaucoup le développement du secteur privé. Nous avons organisé un excellent colloque avec d'éminents experts. Ils ont publié un rapport sur lequel le ministère s'est mis au travail très rapidement. Nous avons un bilan — et cela va d'ailleurs devenir une spécialité ou une priorité de plus en plus importante — dans le domaine du microfinancement qui a donné des résultats fantastiques en Afrique, notamment auprès des femmes qui sont souvent les personnes qui amènent des choses à vendre au marché.
Nous avons un excellent bilan sur ce plan. Les pays donateurs ont commencé à vénérer cette idole du microfinancement et nous en sommes peut-être au point mort. Cela ne veut pas dire que nous n'apprécions pas ce principe ou les résultats, c'est simplement que l'ACDI a au contraire l'intention de développer considérablement ce genre d'activité.
Nous avons actuellement des programmes d'aide aux PME, mais nous envisageons d'aller encore plus loin. Nous travaillons aussi sur la notion de système de réglementation qui peut dans bien des cas créer un obstacle pour les entrepreneurs qui veulent aller vendre leurs produits sur le marché. Nous en revenons toujours au problème des femmes qui ne sont pas propriétaires et qui ne sont pas bénéficiaires lors d'un décès. Quoi qu'il en soit, nous nous occupons du développement du secteur privé au sein de notre organisation et en collaboration avec les autres bailleurs de fonds. C'est d'ailleurs une démarche à l'échelle du gouvernement tout entier, si vous considérez les retombées du cycle de Doha sur ces économies, qui sont énormes, je le vois dans mon travail avec le ministre Peterson.
Nous sommes fiers du lancement le 25 avril à Toronto du FICA, le Fonds d'investissement du Canada pour l'Afrique. C'est un fonds exceptionnel et il nous a fallu deux ans, depuis Kananaskis, pour l'organiser correctement. Il s'agit de créer un partenariat public-privé avec un gestionnaire de fonds. Cela montre que nous ne tournons pas totalement le dos au risque, mais nous avons établi très soigneusement un devoir fiduciaire en prenant toutes les précautions nécessaires tout en laissant ce fonds fonctionner sans lien de dépendance avec le gouvernement, comme il se doit. Cette initiative a été bien accueillie par la communauté des investisseurs ici et à l'étranger. Nous avons un partenariat avec Montréal et des organismes britanniques. Je crois que c'est l'un des résultats de nos engagements de Kananaskis. C'est aussi une initiative qui s'inscrit dans le cadre des priorités du NEPAD, de ce que veulent les pays africains eux-mêmes, et cela devrait ouvrir la porte à des investissements dont l'Afrique a besoin aujourd'hui.
Donner naissance à ce bébé fut merveilleux et je puis vous dire que M. Hunt y a travaillé extrêmement dur avec ses collègues et mérite toutes nos félicitations. Les remerciements ont eu lieu à Toronto et nous nous réjouissons à l'avance du succès de cette excellente entreprise.
Le sénateur Prud'homme : Vous serez tous surpris d'apprendre que j'ai l'intention d'être extrêmement bref. Je tiens simplement à répéter, ce que je ne fais pas habituellement, que je vous admire beaucoup, madame, en tant que personne et en tant que ministre. Je voulais qu'on le sache.
Deuxièmement, je pense que l'on ne se trompe jamais en écoutant les bons conseils du sénateur Ruth car, en 41 ans, j'ai appris qu'il y a des limites à ce que l'on peut faire en matière de développement. On peut obtenir plus de résultats en prenant un peu de temps avec ceux qui sont directement impliqués. Je l'ai constaté au Pakistan; je l'ai déjà dit la dernière fois que j'étais ici. J'y suis allé quand certains, et je n'en faisais pas partie, n'étaient pas trop satisfaits de M. Musharraf. J'ai vu deux ou trois millions de réfugiés d'Afghanistan et personne n'avait été envoyé du Canada. Qui s'en occupait? C'était des femmes. Où qu'on aille en Afrique, la pauvreté est immense. Les femmes ont un sens de l'organisation qui nous échappe quelquefois à nous, les hommes.
Si vous avez jamais besoin d'encouragements ou de gens pour défendre votre politique, vous pourrez toujours compter sur moi.
Mme Carroll : Merci beaucoup.
Le président : Madame la ministre, je tiens à vous remercier au nom du comité. Vos collègues des Affaires étrangères et vous-même nous avez écrit pour nous demander d'examiner l'énoncé de politique étrangère en prenant particulièrement soin, pour votre ministère, d'examiner le livret développement que j'ai sur mon bureau. Nous essayons de trouver le temps de le faire. Le comité de direction a annoncé que, si nous sommes toujours là, nous le ferons en juillet. Je tenais à vous le dire personnellement au nom du comité. Nous vous enverrons une lettre, mais vous aurez la primeur de cette nouvelle.
Merci beaucoup.
Mme Carroll : Je vous en prie. J'aimerais revenir, car j'aimerais beaucoup avoir la possibilité, sans être continuellement interrompue par des votes et de telles considérations démocratiques, d'explorer avec vous ce que nous essayons de faire. Nous avons très brièvement abordé un certain nombre de choses. Actuellement, les programmes de développement canadiens sont un domaine passionnant et des tas de choses se préparent.
Le président : Le comité a entendu des témoignages très intéressants durant son étude sur l'Afrique et c'est dans ce contexte que nous examinons ces différentes questions et que nous parvenons à un éventail assez large d'opinions. Je ne veux pas dire qu'il y a de grandes divergences entre les membres de notre comité, mais que nous avons découvert tout un éventail de choses.
[Français]
La troisième partie de notre séance d'aujourd'hui sera consacrée à la Banque mondiale. À cet effet, nous avons le plaisir d'accueillir l'honorable Marcel Massé, directeur général de la Banque mondiale depuis 2002. Monsieur Massé a été élu à deux reprises dans le comté de Hull-Aylmer, en 1993 et en 1997. Il a été, entre autres, ministre des Affaires intergouvernementales et président du Conseil du Trésor.
[Traduction]
Avant de se lancer en politique, M. Massé a eu une carrière impressionnante dans l'administration, entre autres à titre de greffier du Conseil privé, président de l'Agence canadienne de développement international et membre du conseil d'administration du Fonds monétaire international représentant le Canada.
Bienvenue au Sénat, monsieur Massé. Nous avons quelques questions à vous poser suite à certains témoignages que nous avons reçus.
M. Marcel Massé, directeur général, Banque mondiale : Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis ravi d'être à nouveau parmi vous. C'est comme se retrouver en famille, parce que je connais personnellement pas mal des sénateurs qui sont ici et que je me sens toujours chez moi au Parlement. À certains égards, cela me manque, quoique ce ne soit pas vraiment le cas ces jours-ci.
Mon introduction sera très brève car je voudrais prendre le temps de répondre à vos questions. On m'a dit que vous vouliez discuter du rôle de la Banque mondiale en Afrique — de ce que nous faisons, de ce que nous pouvons faire, et cetera.
Je vais d'abord vous parler de statistiques et je serai bref car vous les connaissez. L'Afrique subsaharienne compte 47 pays, ou peut-être 56, si l'on compte le Maghreb, et cetera. C'est la région du monde qui a eu le plus de difficultés ces 40 dernières années.
La première fois que je suis allé en Afrique remonte au début des années 60 quand j'ai écrit une thèse sur le développement de l'industrie manufacturière au Sénégal. Quand j'y suis retourné il y a quelques années, j'ai réalisé que le revenu par habitant avait à peine augmenté, malgré les centaines de millions de dollars qui avaient été dépensés là- bas. On peut donc se poser un certain nombre de questions sur ce que nous avons fait et sur cet échec.
Le nombre de pauvres a à peu près diminué de moitié dans le monde; quand je dis pauvres, je parle de ceux qui vivent avec moins de 2 $ par jour depuis 1981. Or, en Afrique, c'est presque le double de ce que c'était. Ce sont les pays d'Asie, en particulier, comme la Chine et, dans une bonne mesure, l'Inde, qui ont réduit considérablement le nombre des plus pauvres parmi les pauvres. En Afrique, cela n'a pas diminué.
Je passerai immédiatement à un point sur lequel vous voulez peut-être vous attarder. La population africaine était, en mars 2005 — j'ai demandé à la Banque mondiale de me donner les tout derniers chiffres — d'environ 702 millions d'habitants. Elle augmente de quelque 2,1 p. 100 par an. Cela signifie qu'une augmentation de 2 p. 100 du PNB par an laisse la population avec exactement le même revenu par habitant. La population augmentant, le nombre de pauvres croît.
Le taux de croissance annuel en Afrique, ces 25 à 30 dernières années, se situe aux alentours de 3 p. 100, ce qui, en soi, n'est pas mal mais qui, évidemment, pour un continent pauvre, ne suffit pas.
Nous calculons que le taux de croissance réel devrait être de 5 p. 100 par an simplement pour que le nombre de pauvres n'augmente pas et ça n'a évidemment pas été le cas. Comme nous l'a prouvé la Chine, il faut un taux de croissance annuel de 7 p. 100 pour pouvoir réduire sensiblement le nombre de pauvres dans un pays. Pourquoi l'Afrique n'a-t-elle pas réussi à atteindre un taux de croissance supérieur à 3 p. 100?
La Banque mondiale effectue des prêts mais, dans les pays très pauvres, on ne peut pas prêter aux taux du marché. Aussi recourons-nous essentiellement depuis 50 ans à l'une des branches de la Banque mondiale, l'Association internationale de développement, pour faire des prêts sans intérêt, et avec 10 ans de grâce, autrement dit, des semi- subventions. Même avec cet argent, même en investissant dans un grand nombre de secteurs où c'est nécessaire, nous n'avons pas mieux fait ici que les donateurs bilatéraux puisque les résultats indiquent qu'en fait l'Afrique ne s'est pas vraiment développée au cours des 40 dernières années.
J'ai lu certains des témoignages que vous avez reçus. On se demande si la Banque mondiale s'est adaptée à ses clients, aux besoins, a tiré des leçons de l'expérience, et cetera. Je vous ai envoyé — et j'espère que cela a été distribué — quelques pages, ce que nous appelons un dossier sur les questions d'actualité, à propos des changements des 10 dernières années à la Banque mondiale.
Monsieur le président, je laisserai les sénateurs poser leurs questions et j'y répondrai tout en parlant des changements qu'a apportés la Banque au cours de ces années. Comme tout le monde, elle a tiré des leçons de ses erreurs et s'est beaucoup efforcée de changer. Peut-être que le changement n'est pas suffisamment rapide, mais il a été suffisant pour qu'on continue de la considérer comme la meilleure entité au monde pour le développement, la connaissance et les leçons apprises en matière de développement.
Le sénateur Di Nino : Bienvenue, monsieur Massé.
Le terme « ajustement structurel » semble créer des problèmes, du moins c'est ce que nous ont dit un certain nombre de témoins. Pourriez-vous nous dire ce que l'on entend par ajustements structurels. Est-ce que cela a en fait contribué à la pauvreté en Afrique, comme nous l'ont laissé entendre certains témoins, plutôt que d'aider?
M. Massé : C'est une question extraordinairement complexe. En termes macroéconomiques, c'est-à-dire pour ce qui est des politiques financières et monétaires fondamentales qui relèvent davantage du Fonds monétaire international, ajustement structurel signifie mettre en place les politiques voulues pour permettre à un pays de commencer à se développer. Le FMI est une institution assez conservatrice. Aussi, les politiques qu'il préconise ont consisté à essayer de réduire considérablement et, si possible, à éliminer le déficit. En termes de politique monétaire, c'est le contrôle strict de la masse monétaire, si bien que l'on réduit et, si possible, élimine l'inflation, et cetera.
Pour ce qui est des politiques microéconomiques, qui sont sectorielles et autres, cela relève davantage de la Banque mondiale. Cela signifie que nous avons habituellement recommandé l'ouverture de l'économie au commerce extérieur et, donc, le démantèlement des barrières qui protègent un certain nombre d'industries dans les pays en développement.
En agriculture, nous avons essayé de laisser de côté le contrôle des prix et d'accroître la capacité des agriculteurs à mettre eux-mêmes en marché leurs productions selon le principe de l'économie de marché. Il s'agit évidemment d'ajustement structurel parce que si l'on a un commerce d'exportation très contrôlé et protectionniste, il faut revenir sur un certain nombre de politiques afin de libéraliser les échanges. Nous savons ce que cela veut dire au Canada parce que nous avons dû, dans le cadre de l'ALENA, par exemple, revenir sur un certain nombre de nos politiques et que nous continuons de le faire chaque fois que nous signons une entente commerciale internationale.
Il est extrêmement difficile de savoir si c'est bon ou mauvais parce qu'il y a un aspect idéologique. Certains estiment que le marché libre est préférable et poussent cela à l'extrême, dans certains cas, en disant qu'il faut qu'il soit totalement libre. D'autres estiment qu'il faut contrôler les marchés et les prix. On l'a essayé et, dans la plupart des cas, cela n'a pas marché. Je pense que la solution se trouve quelque part entre les deux mais plus près de marchés plus libres.
Il ne fait aucun doute que lorsqu'on introduit la concurrence, en particulier dans un pays pauvre, les gens qui produisaient à un prix protégé sont touchés. Prenons l'exemple d'un produit vendu dans le monde entier.
Le président : Le coton.
M. Massé : Le coton est un bon exemple. Si l'on paie les producteurs plus que le prix mondial et qu'ils ne peuvent vendre, s'ils sont dans un petit pays africain, que sur le marché international, il est évident qu'il faut subventionner ce prix.
Qui va payer? Ma foi, c'est une opération budgétaire. Qui paie le budget? Les électeurs.
Prenons par exemple le prix du coton au Mali. On sait que le prix accordé aux producteurs est supérieur au prix international. Pour le Mali, cela a coûté 100 millions de dollars dans son budget. C'est énorme. Nous lui avons conseillé très clairement de réduire le prix payé à ses producteurs. Les élections approchaient et le gouvernement ne l'a pas fait.
Je comprends parfaitement qu'ils disent que cela provoque la misère parmi des producteurs pauvres car il est vrai que lorsque l'on réduit le prix accordé aux producteurs de coton, on les appauvrit encore. Toutefois, ils ne pourront faire face à la concurrence mondiale si l'on ne supprime pas cette subvention.
Le président : N'est-il pas vrai que le prix du coton sur le marché international est artificiellement manipulé, en particulier par le coton américain subventionné, si bien que ce prix que doivent concurrencer les Maliens est totalement truqué?
M. Massé : Il y a du vrai là-dedans, mais il faut savoir ce que l'on entend par « totalement truqué ». Il ne fait aucun doute que les Américains subventionnent leurs propres producteurs de coton, ce qui fait que le prix du coton sur les marchés internationaux est inférieur à ce qu'il devrait être.
À mon avis, les Américains ont tort. Toutefois, nos experts calculent que l'effet des subventions américaines, si l'on considère l'ensemble du commerce mondial du coton, diminue le prix de 10 à 12 p. 100. Les Maliens ont payé leurs producteurs cette année environ 210 CFA par kilo de graines de coton. Ce prix aurait été de 180 à 190 si le marché n'avait pas été truqué.
Il nous faut continuer à insister auprès des Américains, comme nous le faisons dans les négociations de Doha, pour qu'ils réduisent ou, mieux, éliminent ces subventions mais je vais vous donner un exemple du prix de production au Mali. Le Mali produit du coton à 731 $ la tonne. Le Brésil produit le même coton pour environ 450 $ la tonne. Vous voyez immédiatement qu'il faut accroître la compétitivité de la production du coton et qu'on ne peut pas le faire par des subventions. Il faut utiliser ses atouts.
Bien que je ne sois pas un expert du coton, de ces questions, en particulier dans un contexte de commerce international, il faut examiner tous les facteurs de distorsion. Pour l'agriculture, il est absolument certain que les subventions que versent les États-Unis et les Européens pour les produits agricoles qui sont également vendus par les Africains doivent être éliminées. Le Canada s'efforce de faire baisser ou d'éliminer ces tarifs sur les produits agricoles, notamment sur le coton. C'est la voie à suivre parce que ceux-ci ont un effet de distorsion sur les marchés internationaux. En fait, les Africains bénéficieraient davantage de l'élimination de tous ces tarifs que de toute l'aide que nous leur apportons par ailleurs.
Le sénateur Di Nino : Je suis d'accord.
Le président : Nous sommes tous d'accord.
Le sénateur Di Nino : Nous parlons de la concurrence de certains des pays les plus développés et habiles du monde, qui recourent à des lobbyistes, à toutes sortes de pressions politiques, et cetera. Les pays africains ont-ils les moyens de faire face à la concurrence des Européens, des Américains et des Canadiens ou est-ce que le monde occidental, avec ses économies développées, crée un déséquilibre en recourant à des lobbyistes et autres ordures? Je sais que certains de mes collègues vont critiquer mon choix de mots.
Où ces ajustements structurels que demande la Banque mondiale ont-ils réussi en Afrique?
M. Massé : C'est là encore une question difficile à laquelle on ne peut répondre catégoriquement.
Il est certain que dans des tas de domaines, les progrès réalisés par les pays développés sont tellement importants que les pays africains ne pourront faire face à leur concurrence pendant encore longtemps, à moins d'avoir un avantage comparé spécial. Pensons par exemple aux faibles salaires. Comme vous le savez, environ 45 p. 100 de la population africaine a actuellement moins de 15 ans. Cela veut dire que le rapport de dépendance est extrêmement élevé mais également que lorsque ces gens commencent à travailler dans un marché du travail où il y a peu d'emplois, ils acceptent des salaires bien moindres. C'est malheureusement un avantage comparatif des pays en développement et une bonne part du commerce de la Chine repose sur ce genre d'avantage.
Le deuxième avantage comparatif touche au principe du commerce international. Par exemple, si vous êtes patron et que vous avez une secrétaire, il est très possible que vous puissiez faire le travail de réceptionniste aussi bien que votre secrétaire, avec la formation voulue. Toutefois, si vous êtes tous les deux au bureau, il est plus avantageux pour vous de laisser votre secrétaire faire ce travail, même si vous pouvez le faire aussi bien qu'elle, parce que vous êtes bien plus capable de faire des choses qu'elle ne peut faire. C'est un avantage comparé. En matière de commerce international, cela signifie que les prix reflètent non le fait que les pays développés peuvent pratiquement tout faire de façon plus rentable — peut-être pas tout — mais qu'il est plus avantageux pour chaque économie de se spécialiser dans ce qu'elle fait le mieux. C'est la loi de l'avantage comparé. Cela signifie que même si les Africains ne peuvent pas faire face à la concurrence sur certaines choses, en matière de commerce international, il sera plus avantageux pour les pays développés de leur laisser faire un certain nombre de choses, même si en investissant, ils pourraient leur damer le pion. Le capital étant toujours une denrée rare, les pays développés ont avantage à l'investir dans une production à plus forte concentration de capitaux.
Ce n'est peut-être pas tout à fait clair car c'est un sujet très difficile, même pour les économistes, mais la réponse à votre question est que l'on peut être plus concurrentiel que les Africains dans pratiquement tous les domaines sauf lorsqu'ils ont un avantage dû à une richesse naturelle, un avantage salarial évident ou un avantage climatique propice, par exemple, au tourisme. Toutefois, même s'ils ne peuvent soutenir la concurrence, il reste pas mal de domaines dans lesquels ils peuvent se développer.
D'autre part, avec la technologie de l'information, on peut sauter certaines étapes de développement. Les Africains ne seront pas forcés de passer par tous les stades par lesquels sont passés les pays développés. Avec Internet et l'éducation, ils peuvent faire des bonds impressionnants et les physiciens nucléaires d'Afrique peuvent être aussi bons, sinon meilleurs, que tous ceux des pays développés. Avec l'instruction, ils peuvent faire face à la concurrence.
Vous pouvez craindre un exode des cerveaux. Cela se produira en effet. Beaucoup de gens instruits des pays en développement émigrent dans des pays où ils peuvent obtenir des revenus supérieurs. Toutefois, nous nous apercevons aujourd'hui que les envois d'argent sont l'une des meilleures exportations des pays en développement parce que l'on utilise les ressources humaines formées dans un environnement où elles sont les plus productives et celles-ci renvoient une partie de leurs salaires à leurs familles.
C'est un jugement d'économiste. Il faut tenir compte des conséquences sociales et la question devient alors plus complexe.
Le sénateur Mahovlich : Monsieur Massé, nous avons reçu un témoin il y a quelques jours qui a parlé d'un système dysfonctionnel de gouvernance en Afrique, de corruption et d'un manque de transparence, de responsabilisation démocratique et de primauté du droit.
Comment la Banque mondiale traite-t-elle avec des gens aussi dysfonctionnels? Si vous traitez avec 47 pays, y en a-t- il certains dont la gouvernance est convenable?
M. Massé : Je répondrai par oui à votre deuxième question.
Le sénateur Mahovlich : Pouvez-vous en nommer quelques-uns?
M. Massé : L'Ouganda, maintenant, le Mozambique, le Sénégal. Il y a à l'heure actuelle 15 pays africains qui ont un taux de croissance supérieur à 5 p. 100 depuis 1996. Cela fait huit ans de suite. Ces pays ont amélioré leur gouvernance et leurs politiques, qu'il s'agisse de politique fiscale, de politiques macroéconomiques ou d'exportations. Il y a eu une amélioration. Il y a de l'espoir et il y a des pays qui fonctionnent bien.
Votre première question à propos de la gouvernance est en effet élémentaire. Je vais vous répondre en un mot. Je faisais partie du personnel de la Banque mondiale à la fin des années 60. Quand j'ai commencé à travailler dans ce secteur à l'époque, pour nous, le développement, c'était une question de revenu par habitant et nous calculions le rendement des projets. Nous investissions essentiellement dans l'infrastructure. Si une route a un taux de rentabilité de 13 p. 100, on peut emprunter à 9 p. 100, ce qui permet de réaliser un bénéfice et d'obtenir un prêt de la Banque mondiale.
À l'époque, on estimait que les investissements dans les secteurs de la santé et de l'éducation étaient des dépenses sociales qui n'avaient pas une grande valeur économique. Dans les années 60, le monde a compris qu'en fait, les investissements en matière de santé et d'éducation ne sont pas simplement une dépense sociale. C'est une dépense économique fondamentale et essentielle si l'on veut espérer une croissance économique.
Lorsque l'on a commencé à investir dans la santé et l'éducation, des investissements qui mûrissent lentement, on a compris qu'un certain nombre de pays qui avaient de bons programmes d'éducation, comme le Sri Lanka, n'obtenaient pas les résultats escomptés.
C'est là qu'on a commencé à parler d'ajustements structurels et de conditionnalité des politiques macroéconomiques. On ne verserait pas d'argent au gouvernement local s'il n'administrait pas son budget convenablement et s'il n'avait pas de bonnes politiques monétaires et financières. On peut avoir une bonne éducation, un bon système de santé et des gens productifs, mais l'économie ne peut se développer si le gouvernement gaspille l'argent.
Nous en sommes finalement arrivés à la conclusion que l'on peut avoir une série de bonnes politiques macro et microéconomiques qui sont des facteurs de croissance et toutefois des résultats peu brillants.
Ce n'est que dans les années 90 que l'on a finalement conclu que les institutions étaient importantes. En fait, si l'on n'a pas un gouvernement démocratique ou non corrompu, on peut avoir de bonnes politiques mais il n'y aura pas d'investissements privés, on ne créera pas d'emplois, on n'exportera pas et on ne se développera pas, surtout s'il y a démographie galopante qui exige davantage de dépenses. Rappelez-vous qu'il faut une croissance de 5 p. 100 pour que le nombre de pauvres n'augmente pas.
Afin d'accélérer la croissance, il faut avoir une bonne gouvernance, terme vague qui signifie qu'il faut un gouvernement honnête, transparent, qui repose sur la primauté du droit. La corruption signifie que les contrats sont octroyés en fonction de contacts personnels plutôt qu'en fonction de ce qui est le plus rentable pour l'État.
Nous sommes actuellement dans la décennie de la gouvernance, domaine dans lequel il faut dépenser beaucoup d'argent pour amener ces pays à effectuer les réformes nécessaires. Les pays qui ont de bonnes institutions et une bonne gouvernance vont pouvoir réussir.
Puisqu'il y a 40 ans que je suis dans ce domaine, vous me permettrez d'être un peu sceptique. Nous n'avons pas forcément découvert la solution ultime. Toutefois, il ne fait aucun doute que nous utilisons les connaissances acquises au cours de ces décennies de développement et que nous nous servons des leçons apprises pour aider ces pays à améliorer leur économie, leurs politiques et leurs dirigeants, en réduisant la corruption, en améliorant la qualité des institutions, le niveau d'instruction et la santé de la population afin de relever le taux de croissance des pays en développement.
Comme je le disais, entre 1981 et aujourd'hui, le nombre de pauvres absolument pauvres dans le monde a diminué de moitié. Il ne faut pas seulement considérer le négatif. On a obtenu des résultats en Afrique qui indiquent que ces politiques marchent. Cela signifie une transformation profonde des gouvernements, de la population, de l'éthique et des valeurs.
Le sénateur Andreychuk : Monsieur Massé, je suis contente de vous revoir et de savoir que vous êtes à nouveau en Afrique, que vous parlez aux gens et que vous êtes réellement dévoué à cette tâche. Je repense souvent à cette époque.
Vous avez été deux fois à la tête de l'ACDI et vous avez occupé d'autres postes. Je crois que la difficulté que l'on a face aux ajustements structurels est qu'il s'agit de politiques et de théories économiques. Nous décidons que la santé est essentielle, que la primauté du droit est essentielle et quand cela vient à manquer, ceux qui en souffrent le plus sont les gens ordinaires.
On fait des expériences dans le monde entier. L'Union européenne fait des expériences avec toutes sortes de pratiques économiques. Le résultat de ces expériences sur l'Africain moyen est horrible.
Je me demande en quoi la Banque mondiale a changé. Je sais que c'est elle qui a préconisé des ajustements structurels du point de vue économique. On avait dit qu'on réajusterait les choses si cela ne fonctionnait pas. Peu à peu, les bons gouvernements d'Afrique et des gens dans le monde entier se sont braqués et ont déclaré que la Banque mondiale devait tenir compte de l'incidence que cela pouvait avoir sur les plus vulnérables. Quand on vit avec moins de 1 $ par jour, on est vulnérable à tout changement. Je sais que l'on a mis des groupes parlementaires pour collaborer avec la Banque mondiale et je sais que l'on s'efforce de faire participer les pays récipiendaires aux décisions. Comment la Banque mondiale tient-elle compte des situations et réalités sociales? C'est là ma première question.
Le deuxième point reste valide, même si c'est quelque chose que l'on défendait il y a 15 ans. L'Inde a choisi une voie. L'Afrique a choisi la voie du FMI et de la Banque mondiale. La différence est évidente. Y a-t-il une leçon à tirer de cela?
Enfin, vous avez parlé de la Chine et de son avantage comparatif que sont les bas salaires.
Un des problèmes est que la Chine a des répercussions sur l'Afrique et sur beaucoup des produits, les bols et tasses en plastique qui auraient pu être fabriqués en Afrique et offrir des emplois, sont maintenant remplacés par des produits meilleur marché venant de Chine. L'autre volet est que les zones de libre-échange ont eu des conséquences pour le reste du continent. Les zones de libre-échange sont-elles une bonne idée pour l'Afrique?
M. Massé : Il faudrait des heures pour répondre à chacune de ces questions. Je vais essayer d'en faire la synthèse. Le sénateur Mahovlich a posé une question qui m'a obligé à revenir sur toutes les grandes leçons que nous avons apprises en commettant des erreurs. L'ajustement structurel est une composante nécessaire de l'économie qui fonctionne bien, mais ce n'est pas une composante suffisante, et nous sommes allés d'une certaine façon trop loin sur ce plan. Par exemple, les conséquences sociales des premières politiques macroéconomiques imposées notamment par le FMI ont été tellement énormes qu'il n'a pas fallu bien longtemps pour en tirer les leçons, car une dizaine d'années dans ce genre de situation, ce n'est pas grand-chose. Cela fait 220 ans que nous nous développons et nous sommes en train de demander à ces pays de le faire en 30 ou 40 ans.
Les conséquences sociales ont été énormes. Ce sont surtout les pauvres qui en ont été victimes, et c'était manifestement une erreur. Désormais, le FMI et la Banque mondiale analysent les conséquences sociales de ce qu'ils font ou de ce qu'ils veulent faire. C'est comme pour l'environnement : jadis, nous n'y faisions pas attention, mais nous avons vu que les conséquences de nos actions étaient inacceptables et nous avons maintenant des mesures d'atténuation. Nous prévoyons des mesures d'atténuation partout et toujours. Nous avons appris notre leçon et nous ne faisons plus les mêmes erreurs que dans le passé. Si vous me dites qu'il y a encore de nombreux pauvres qui sont victimes de cette situation, je vous dirai que c'est vrai, mais on ne peut pas réaliser les changements nécessaires pour susciter un taux de croissance plus élevé, pour avoir assez d'argent pour financer l'éducation et la santé et construire à long terme une société dans laquelle la pauvreté reculera considérablement sans qu'il y ait certaines victimes au passage.
Je vais vous donner l'exemple d'une activité à laquelle j'ai participé. Quand nous avons fait l'examen des programmes au Canada parce que le gouvernement était hypertrophié et dépensait trop, je me souviens des moments pénibles qu'il y a eus quand nous avons supprimé un certain nombre d'installations militaires dans des régions pauvres du pays, en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, et cetera. Nous avons supprimé la principale source d'emplois dans des régions du pays où il n'y avait guère d'autres sources d'emplois.
Au Canada, c'est probablement le meilleur exemple de mesures d'ajustements qui ont dû être prises pour le bien public, mais dont les malheureuses victimes ont été des gens qui n'avaient pas les moyens de se défendre. Nous avons créé des emplois de remplacement ou aidé les gens à prendre leur retraite par anticipation, et le gouvernement a payé pour tout cela. Nous avons dû le faire au Canada, et il y a probablement des gens qui en ont souffert injustement. Mais tous les gouvernements sont confrontés tôt ou tard au problème de l'ajustement, et la réponse, c'est qu'on ne peut pas y échapper, mais qu'il faut simplement prévoir des mesures d'atténuation pour permettre aux perdants de s'adapter.
Je n'ai pas de meilleure réponse à votre question, car il est vrai que les pauvres souffrent et que nous avons modifié l'ajustement structurel pour atténuer ses répercussions. Néanmoins, si vous voulez créer des économies qui vont croître, il faut imposer un changement qui est souvent coûteux.
Pour ce qui est de l'Inde et de l'Afrique et des leçons que nous avons tirées, j'étais président de l'ACDI quand cette agence a commencé à être présente en Chine. C'est moi qui ai créé le premier programme que nous avons eu là-bas. Même si les Chinois ont l'impression de tout savoir, ils se sont dit que même s'ils étaient probablement les plus sages — c'est mon impression que je vous donne — ils avaient quand même des leçons à apprendre du point de vue de la croissance économique. Ils ont donc appris ces leçons auprès d'organismes extérieurs, notamment la Banque mondiale et l'ACDI. Ils sont maintenant prospères au point de nous poser des problèmes, de même qu'à l'Afrique et à l'Amérique latine aussi d'ailleurs. Vous avez bien raison.
L'Inde a été beaucoup plus lente à adopter ce que nous appellerions désormais les réformes nécessaires. L'Inde a progressé très lentement, par exemple quand il s'est agi de permettre des investissements étrangers alors que la Chine, une fois qu'elle a décidé de s'ouvrir, s'est ouverte très largement, contrairement à l'Inde. Actuellement, l'Inde s'ouvre lentement. Par conséquent, son taux de croissance cette année est de l'ordre de 6,7 p. 100 alors qu'il était de 3,5 ou 4 p. 100 auparavant. Elle se hisse petit à petit. L'Inde est capable tout comme la Chine de croître à un rythme de 9, 9,5 ou 10 p. 100 par année. Je ne dis pas que c'est une bonne chose. Je dis qu'elle en est capable.
L'Inde aurait pu croître beaucoup plus rapidement si elle avait retenu certains des conseils qu'on lui donnait sur le plan de l'orientation. L'Afrique semble accepter ce genre de conseils mais ne les met pas à exécution. Pourquoi? À mon avis — et le sujet est controversé — c'est parce qu'en Afrique il n'y a pas eu renforcement des capacités. En d'autres termes, en Inde, le système d'éducation produisait un grand nombre d'ingénieurs et d'autres diplômés. Avec une population actuellement d'un milliard, on peut désormais compter sur un groupe considérable de gens bien instruits.
Les pays africains étaient dispersés. Il y a 47 petites populations, et pour la plupart, elles n'ont jamais eu la masse critique de gens instruits pour entreprendre le processus d'autocroissance. Par conséquent, les réformes qu'on leur recommandait ont été rarement retenues par manque de personnel formé pour les mener à bien. Vous pouvez me dire qu'on aurait dû reconnaître cela bien avant et vous avez raison, mais ces dix dernières années, l'expression « renforcement des capacités » a commencé à faire partie du discours et vous constaterez que désormais la Banque mondiale y consacre beaucoup d'argent.
Au Canada, on nous a recommandé d'utiliser une bonne part de l'argent de l'ACDI à cette fin. De fait, beaucoup de l'argent provenant de l'ACDI sert au renforcement des capacités et cela participe nettement de l'instruction. Depuis quelques années, la totalité des projets de l'ACDI comporte une composante de renforcement des capacités.
Au moins nous avons appris cela. Les choses ont démarré sur un bon pied et nous créons désormais plus de capacité de rendement pour l'Afrique. Je pense que c'est la raison pour laquelle depuis huit ans, 15 pays africains ont connu une croissance de plus de 5 p. 100 car ces efforts-là commencent à produire leurs fruits.
[Français]
Le sénateur De Bané : Monsieur Massé, j'ai été tenté de dire monsieur le ministre parce que vous avez occupé des postes tellement importants dans mon pays et vous avez été également le plus haut fonctionnaire du gouvernement, secrétaire général, vous avez remis de l'ordre dans les dépenses du gouvernement. Je sais qu'une grande partie de votre vie a été consacrée au développement des pays qui souffrent. Je voudrais vous rendre hommage et vous dire combien je suis heureux que vous soyez notre représentant à la Banque mondiale parce que des hommes de votre compétence, il n'y en a pas beaucoup.
M. Massé : Vous me faites rougir.
Le sénateur De Bané : Vous le méritez. Je suis très heureux que les circonstances fassent en sorte, qu'au moment où vous nous rendez visite, une autre compatriote canadienne, également directrice à la Banque mondiale comme économiste, soit ici avec nous. Elle aussi a consacré beaucoup de temps et d'efforts à étudier les problèmes de ce continent qui est le mandat de notre comité cette année.
[Traduction]
Votre opinion et vos conseils là-dessus nous intéressent vivement. Comme vous le savez, le moteur de l'économie africaine, ce sont les produits de base. Beaucoup d'économies africaines en sont intensément tributaires. Pour bien des nations africaines, ils représentent 80 p. 100 de l'apport de devises étrangères et pour certaines, en particulier les plus pauvres, cela va jusqu'à plus de 90 p. 100. Toutefois, le prix des produits de base est très imprévisible et il est fixé par les grandes bourses de marchandises à Londres, à New York et à Chicago. Que peut faire la Banque mondiale pour aider ces pays à gérer de telles incertitudes, en l'absence d'une institution « mondiale » qui stabiliserait le prix des produits comme cela avait été envisagé lors de l'établissement du système de Bretton Woods? Ce genre d'institution n'a jamais été créée, comme vous le savez.
N'y a-t-il pas une lacune à cet égard? La Banque mondiale ne peut-elle pas faire quelque chose pour protéger ces pays contre les soubresauts du prix des produits de base?
[Français]
M. Massé : Je vous remercie de vos bons mots. Nous avons combattu ensemble et nous avons, dans beaucoup de domaines, exactement les mêmes préoccupations.
Sur la question des matières premières, c'est un problème avec lequel la communauté internationale se débat depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Je suis toujours convaincu que la véritable réponse serait dans des institutions globales qui s'assurent que le prix au producteur n'est pas aussi en dents de scie que le marché le commande. Le marché, je pense, doit avoir des prix qui reflètent l'offre et la demande et, par conséquent, les prix doivent varier.
C'est un peu le même problème qu'on a essayé de régler pour nos propres producteurs agricoles. Et dans beaucoup de ces domaines, maintenant, on ne protège plus les prix. On le fait encore dans certains domaines comme le lait, par exemple, parce qu'il faut que les prix mondiaux puissent varier pour s'adapter à la demande. On protège les revenus des agriculteurs. Et on les protège, soit avec l'argent général des payeurs de taxes, soit avec une institution qui prend une partie du prix lorsqu'il est très haut et qui donne une espèce d'assurance aux revenus lorsque les prix sont plus bas.
À mon avis, c'est la solution. Pourquoi n'a-t-elle pas été employée? Et qu'est-ce que la Banque mondiale peut y faire? D'abord, la Banque et le Fonds ont essayé de créer pendant de nombreuses années sur le principe de l'assurance un fonds qui permettrait aux pays producteurs de s'adapter à l'évolution, à l'incertitude et aux changements des prix. Cela n'a pas réussi parce que la plupart des pays ne voulaient pas avoir un fonds aussi grand parce que la tentation est toujours de le dépenser, surtout dans des pays en voie de développement où vous avez toujours besoin d'argent. Les programmes du Fonds monétaire n'ont pas réussi à égaliser les revenus des producteurs. On a considéré à la Banque, pendant des années, et l'on considère encore, s'il était possible d'utiliser le marché d'assurance privé, que les pays donateurs et la Banque paieraient les primes de façon à ce que le marché lui-même, lorsque les prix sont extrêmement bas, fournisse la différence aux pays producteurs qui pourraient le donner eux-mêmes à leurs fermiers qui produisent. C'est un projet encore à l'étude.
À mon avis, c'est un projet que l'on doit appuyer parce que, dans notre propre pays, on a vu, je crois, que c'est la meilleure façon de permettre aux agriculteurs d'avoir un revenu beaucoup plus stable et, par conséquent, de pouvoir planifier eux-mêmes leurs investissements et ne pas être ruiné par quelques années de récolte où les prix sont trop bas. C'est une proposition qui a du sens, que l'on doit appuyer et que nous appuyons maintenant. La communauté internationale procède lentement à ce sujet et il faut l'encourager.
[Traduction]
Le président : Je surveille l'horloge car une autre séance est prévue dans quelques minutes ici même. Elle sera dans le même ordre d'idées, car rappelez-vous que nous nous intéressons à l'Afrique et que nous recueillons ici des témoignages importants.
Un des secteurs est celui de l'agriculture — 80 p. 100 de l'Afrique subsaharienne s'adonne à l'agriculture. Le président de l'Ouganda dit que dans son pays c'est 86 p. 100. Par conséquent, si on ne règle pas les questions d'agriculture, on ne pourra jamais relever le niveau de vie des populations africaines vivant au sud du Sahara. Toutefois, d'après les témoignages que nous avons entendus, l'agriculture est un sujet extrêmement complexe. On peut se demander si on en viendra un jour à un véritable libre échange de produits agricoles car chaque pays trouve le moyen d'accorder des subventions ou de jongler avec les prix. Votre réponse au sénateur De Bané m'a rappelé les tentatives de stabiliser le marché du café qui s'était effondré parce que les Américains n'acceptaient pas les offices de commercialisation.
J'ai eu l'impression, d'après votre témoignage, et je comprends assez bien Keynes pour dire cela, que la Banque mondiale est un fonds et que le Fonds monétaire international est une banque et qu'essentiellement, la Banque préconise la déréglementation.
Je ne voudrais pas vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, mais cela a été mon impression. Je sais qu'il y a deux types d'agriculture — l'agriculture internationale et l'agriculture locale. Quand je vivais en Afrique, la population était de 100 millions d'habitants et elle était autosuffisante. C'était il y a seulement 45 ou 50 ans.
On ne pouvait pas concevoir qu'il y aurait des disettes en Afrique. Toutefois, on nous a dit encore hier que le prix des aliments importés correspond à toutes les sommes d'aide étrangère fournies à l'Afrique. Au Canada, nous avons des offices de commercialisation et 4 p. 100 de notre population s'adonne à l'agriculture.
Dans l'Union européenne, 4 p. 100 de la population s'adonne à l'agriculture et ils versent aux producteurs de sucre, dans certains cas, sept fois le prix mondial avant d'exporter ce produit. Nous connaissons les distorsions du marché du coton aux États-Unis.
Quatre pour cent de notre population vit de l'agriculture et nous affirmons que nous allons défendre nos offices de commercialisation au cycle de Doha. Pourtant, nous affirmons que des pays où 80 p. 100 de la population est tributaire de l'agriculture n'ont pas le droit légitime de s'offrir des offices de commercialisation, droit que nous nous réservons à nous-mêmes. Je trouve cette contradiction renversante.
Qu'avez-vous à dire là-dessus?
M. Massé : Si j'ai appris quelque chose quand j'étais au Conseil du Trésor, c'est bien que le monde de l'agriculture est extraordinairement complexe.
Le président : Ne sommes-nous pas en train d'affamer ces pays? Ce n'est pas une exagération quand on parle de l'Afrique.
Le sénateur Di Nino : Monsieur le président, c'est une bonne question.
M. Massé : La population africaine est désormais sept fois plus élevée qu'elle ne l'était en 1960. Pour nourrir cette population, il faudrait que la productivité des agriculteurs augmente considérablement. Vous ne pouvez pas augmenter la productivité en agriculture, vous le savez, à moins d'investir sur le plan des connaissances fournies aux agriculteurs et sur le plan des immobilisations, des intrants, et cetera.
Dans n'importe quel pays, que ce soit le Japon, la Chine ou même le Canada, le développement passe par l'amélioration de la productivité en agriculture, et cela n'a pas besoin de se faire à un rythme délirant. Dans notre pays et au Japon, nous avons vu une augmentation régulière de la productivité en agriculture, de l'ordre de 3 à 5 p. 100 par année. Avec le temps, on en arrive au point où le gros de la population travaille dans d'autres secteurs.
S'il y a augmentation de la productivité en agriculture, il y a un glissement lent de la population active vers d'autres secteurs, au départ le secteur manufacturier et ensuite les services. Si l'Afrique avait connu la même croissance de sa productivité en agriculture que les pays développés, ce glissement aurait été constaté. Toutefois, cela n'a pas été le cas. Est-ce le fait que le prix des produits agricoles sur le marché mondial a été maintenu bas grâce à des subventions dans les pays développés qui explique cela? Oui, en partie.
Je suis fermement convaincu que ces subventions dans le secteur agricole des pays développés doivent être supprimées. Vous avez parlé du prix du sucre. Il est tout à fait injustifié de la part des pays riches de protéger leurs agriculteurs riches, en les payant parfois pour qu'ils cessent de produire des betteraves, quand on pourrait obtenir ce produit à meilleur prix, sur le marché mondial, auprès de producteurs qui peuvent le produire. Je pense que vous avez entièrement raison à cet égard. Les pays développés doivent renoncer à leurs intérêts politiques à court terme afin de faire du monde un endroit où les pays pauvres peuvent produire des produits qu'ils peuvent vendre à un prix inférieur aux pays développés.
[Français]
Le sénateur Corbin : Monsieur Massé, vous étiez peut-être ici lorsque Mme Carroll nous a dit qu'elle avait un certain penchant pour la décentralisation des services en les situant sur le terrain, en Afrique ou ailleurs. Dans le feuillet d'information que vous nous avez fourni, j'ai constaté avec beaucoup d'intérêt, sous la rubrique « Nous sommes plus près de nos clients et répondons mieux à leurs besoins », des statistiques tout à fait révélatrices. La plupart de nos directeurs de pays, dites-vous, sont sur le terrain. En 1996, il n'y en avait pas, alors qu'en 2004, 73 p. 100 de vos directeurs de pays sont sur le terrain.
Mme Carroll a exprimé, comme je viens de le dire, un vif intérêt pour décentraliser les services de l'ACDI, afin d'assurer une meilleure livraison et une meilleur qualité de services auprès de la clientèle.
Pouvez-vous nous dire quel effet cela a eu sur la politique générale de la Banque mondiale, en termes de productivité, de qualité de services et de satisfaction de votre clientèle?
Je pense qu'il serait important pour notre comité — et pour l'ACDI — de connaître votre expérience, dans ce domaine. Il est sûr que la livraison à distance des services, sans la proximité de la clientèle, peut, très souvent, laisser à désirer. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.
M. Massé : C'est une réforme qui a payé énormément, en termes de satisfaction des clients et en termes de qualité et de suivi des projets. Il y a un élément additionnel. Ce que j'ai appelé la « création de capacité », la formation est définitivement meilleure parce que vous avez des gens de la Banque mondiale, qui ont appris des leçons dans plusieurs autres pays, et qui viennent dans le pays, qui sont là tout le temps, qui créent des amitiés avec les fonctionnaires et les ministres, et qui sont capables de leur dire : Cette politique, on l'a essayée dans 15 pays différents et cela ne marchera pas. Voici comment vous pouvez la vendre.
Cela a été une réforme importante que la Banque mondiale a trouvée psychologiquement difficile. Cela veut dire que les gens qui restaient au chef-lieu et qui créaient leurs contacts, qui avaient leurs amis et qui vivaient dans un pays développé ont dû apprendre à vivre dans un environnement de pays en voie de développement où leur famille n'avait pas du tout la même vie que dans les pays développés. Ils ont dû apprendre à donner eux-mêmes les ordres aux gens de Washington pour leur dire : le projet que vous voulez faire, dans ce pays que l'on connaît bien, maintenant, où on a appris comment les gens vivent, quelles sont leurs pratiques, et cetera, il faut le modifier afin qu'il colle à la peau des clients.
Je n'ai aucun doute qu'un mouvement qui a été très difficile, au début, a maintenant produit des résultats extrêmement productifs et que les clients en sont davantage satisfaits. Ce qui est encore plus important, les projets sont meilleurs et ils sont mieux adaptés à l'environnement local. Mais cela coûte beaucoup plus cher. Heureusement que la révolution de l'information est arrivée en même temps que la décentralisation parce qu'autrement, cela aurait été probablement impossible à faire.
Dans le monde moderne où on recherche l'harmonisation des politiques, un canal qui communique avec les pays en voie de développement, on devrait avoir un groupe pour la Banque mondiale qui vit surtout dans le pays que l'on sert. Les agences bilatérales devraient utiliser beaucoup plus ce qui a été créé comme capacité dans le pays.
C'est toute la question de l'harmonisation pendant les cinq à dix prochaines années. Vous verrez que ce sera une des réformes à faire dans les relations entre les banques multilatérales, les banques régionales — comme la Banque asiatique — et les agences bilatérales. Il faut garder en tête que ce que je viens de dire sur les bienfaits de la décentralisation ne s'applique pas nécessairement entièrement aux agences bilatérales.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup pour un exposé très intéressant. Les membres du comité vous en savent gré.
La séance est levée.