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Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 16 - Témoignages du 31 mai 2005


OTTAWA, le mardi 31 mai 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 17 h 3 dans le cadre de son étude sur les défis en matière de développement et de sécurité auxquels fait face l'Afrique; la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de ce continent; la politique étrangère du Canada envers l'Afrique.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Je voudrais souhaiter la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères qui se tient dans le cadre de notre étude spéciale sur l'Afrique.

[Français]

La séance d'aujourd'hui sera divisée en deux parties. Nous nous concentrerons dans un premier temps sur le secteur de la science et de la technologie au Mozambique et en Afrique. Nous recevrons dans un deuxième temps des représentants du Centre de recherche pour le développement international.

[Traduction]

Aujourd'hui, nous avons l'honneur et le plaisir d'accueillir Son Excellence Vanâncio Massingue, ministre des Sciences et de la Technologie du Mozambique. M. Massingue est ancien vice-recteur de l'Université Eduardo Mondlane de Maputo. Depuis 2001, il a créé et continue de soutenir l'Institut des technologies de l'information et des communications du Mozambique. En 1998, il a remporté la médaille Albert Einstein de l'UNESCO pour les sciences et la technologie. Bienvenue au Sénat du Canada.

Avant de commencer, je voudrais saisir cette occasion pour remercier le CRDI, dont certains représentants sont assis au fond de la salle, de nous avoir avisés de la visite du ministre Massingue à Ottawa. Merci infiniment de votre aimable coopération.

Encore une fois, je voudrais rappeler aux membres du comité et au public qui suit nos délibérations que nous cherchons toujours à inviter des personnalités de passage à Ottawa. Évidemment, la nature de ces visites fait en sorte que nous n'en sommes pas toujours informés. Nous avons eu de merveilleux témoins, grâce à cette politique et à certains groupes qui nous tiennent au courant des visites à Ottawa de personnalités comme notre distingué invité.

Monsieur le ministre, vous avez la parole. Vous connaissez notre façon de faire. Je sais que votre langue maternelle est le portugais, mais que vous parlez aussi l'anglais et que vous allez faire votre témoignage en anglais. Les membres de notre comité sont très souples en ce qui concerne les langues. Nous en avons l'habitude au sein de ce comité, et au Canada en général, puisque nous avons deux langues officielles.

M. Venâncio Massingue, ministre des Sciences et de la Technologie, Mozambique : Monsieur le président, je voudrais vous remercier infiniment de votre présentation. Je voudrais aussi dire mon plaisir de rencontrer ce très important comité. Ma présence ici aujourd'hui est le résultat de l'excellente relation que j'ai avec le Canada par le truchement du CRDI.

En effet, c'est grâce au CRDI que nous avons pu mettre sur pied des programmes en technologies de l'information et des communications, TIC, pas seulement dans le domaine de la mise en œuvre de la technologie, mais aussi du perfectionnement des ressources humaines. Mon doctorat a d'ailleurs été pleinement financé par le Canada. Encore une fois, merci beaucoup de me donner l'occasion d'être ici.

Je suis ici à titre de ministre des Sciences et de la Technologie du Mozambique. Notre gouvernement est arrivé au pouvoir en février dernier à la suite des élections générales qui se sont déroulées au Mozambique. Je suis chargé d'un nouveau ministère. Au moment de sa création, le président Armando Guebuza m'a dit « Je m'attends à ce que vous nous aidiez à découvrir ce que les sciences et la technologie peuvent faire pour nos programmes en général et pour le développement en particulier, en vue de réduire la pauvreté. »

Ma tâche était donc très claire. Je suis ministre des Sciences et de la Technologie et je dois faire la promotion du message voulant que le transfert de la technologie contribuera à l'atténuation de la pauvreté. Notre objectif est de faire des sciences et de la technologie la force motrice du développement du Mozambique. À partir de là, nous avons mis en place des instruments qui nous permettront de faire contribuer le plus possible les sciences et la technologie. Comme nous le savons tous, les sciences et la technologie sont une question transversale. Elle touche tous les secteurs. Il s'ensuit qu'aucun secteur du développement aujourd'hui ne peut se dispenser de la technologie. Par conséquent, les différents acteurs devront faire preuve d'une grande coordination et coopération institutionnelles.

Dans le plan quinquennal du gouvernement pour 2005-2009, qui a été approuvé par le Parlement du Mozambique, nous avons défini trois grands axes relatifs à la science et à la technologie. Le premier est la recherche scientifique. En effet, nous voulons entreprendre des travaux de recherche scientifique qui nous permettront de donner une impulsion au développement de notre économie et des conditions sociales.

Le deuxième est le transfert de la technologie et l'innovation. Nous aimerions beaucoup faire la promotion de programmes qui mettront en place la technologie appropriée dans différents secteurs du développement, notamment la culture, l'éducation, l'énergie, l'agroalimentaire, la santé, les ressources naturelles et la construction à faible coût, pour ne citer que quelques exemples. Il est très important que ces secteurs aient une très grande incidence, surtout dans les zones rurales.

Le troisième axe est celui de la technologie de l'information et des communications. Nous considérons que cette technologie constitue un outil très important pour le développement du Mozambique. Dans un pays où le taux d'analphabétisme est de 60 p. 100, l'on pourrait se demander comment la technologie de l'information peut contribuer au développement et influer positivement sur le cours des événements. Nous pouvons chercher des réponses dans les secteurs de l'éducation formelle et des services qui peuvent être fournis, et en ciblant des groupes particuliers. À cet égard, nous collaborons déjà avec le CRDI à l'établissement de télécentres et de réseaux scolaires.

Étant donné qu'il s'agit d'un secteur nouveau pour notre économie et notre développement, notre gouvernement a dû prendre des mesures critiques. La première mesure consiste à intégrer la science et la technologie à tous les programmes de développement et à établir une stratégie nationale sur la science et la technologie en définissant des priorités et des secteurs de concentration. De fait, nous planifions déjà l'établissement de tels programmes dans le cadre de notre DSRP, qui sera lancé en janvier 2006. Nous voulons promouvoir l'indispensable coordination des donateurs et établir des mécanismes d'articulation avec des partenaires internes et externes. Nous estimons que tous nos projets n'apportent pas une valeur ajoutée au chapitre de la technologie, puisque nous ne suivons pas un plan d'action concret. Par conséquent, il est nécessaire que nous fassions la promotion de la coordination entre donateurs. Nous voulons aussi favoriser la création de partenariats avec le secteur privé, et ce, afin d'encourager la récupération des travaux de recherche précieux effectués par les établissements d'enseignement supérieur au Mozambique pour les commercialiser et établir des mesures d'incitation fiscales.

Par ailleurs, le gouvernement veut renforcer la capacité de gestion de la planification de la recherche et la surveillance du rendement au niveau institutionnel et systémique. En d'autres termes, nous voulons établir un système de recherche et d'innovation en technologie qui ne sera pas l'apanage d'un seul établissement mais plutôt de plusieurs. En outre, nous voulons mettre en œuvre des programmes de recherche à long terme de concert avec des institutions de recherche ayant fait leurs preuves dans le domaine. Nous ne cherchons pas à réinventer ce qui a déjà été inventé, mais nous voulons adopter la technologie appropriée pour faire en sorte que nous puissions en tirer avantage pour assurer le développement du Mozambique.

Nous voulons aussi nous doter d'une infrastructure de technologie de l'information et des communications, puisque c'est un élément très important qui touchera tous les secteurs de la société. Quand nous parlons d'utilisateurs de la technologie, dans bien des cas, les gens pensent que nous parlons uniquement des villes. Dans notre programme quinquennal, nous précisons que nous voulons donner la priorité au développement des zones rurales au niveau des districts. C'est pourquoi nous devons ériger l'infrastructure nécessaire à ce niveau pour permettre le développement et les potentialités de croissance dans le secteur agricole et d'autres.

Nous voulons aussi promouvoir la création de bases de données. On entend souvent dire qu'en Afrique il n'y a pas de contenu. Une des raisons est que nous n'avons pas de méthode systématique de convertir notre contenu dans un format électronique, et c'est pourquoi nous n'avons pas suffisamment de connaissances des différents niveaux et stades de la conception de bases de données.

Par conséquent, nous prévoyons la création de l'Institut des technologies de l'information et des communications du Mozambique, qui sera composé des trois éléments suivants : recherche et apprentissage, un incubateur technologique pour le développement de l'entrepreneuriat et le volet science et technologie. De plus, nous voulons établir des liens formels et opérationnels avec des centres du savoir internationaux au moyen de protocoles de coopération. Nous voulons accroître le potentiel des activités commerciales, industrielles et de recherche, et collaborer dans le but de résoudre de véritables problèmes et explorer davantage la technologie et les connaissances.

J'espère avoir exposé quelques-unes des grandes lignes de notre programme.

Le sénateur Grafstein : Bienvenue. Ce document est fascinant. Il est très moderne. J'ai presque l'impression de parler au conseiller de notre premier ministre en matière de sciences et de technologie, car votre plan serait bon pour le Canada aussi. Je vous en félicite.

Avez-vous rencontré le conseiller du premier ministre en matière de sciences et de technologie, M. Carty?

M. Massingue : Malheureusement, non.

Le sénateur Grafstein : Prévoyez une rencontre avec lui durant votre passage ici.

Le sénateur Prud'homme : Peut-être pourriez-vous faire les présentations.

Le sénateur Grafstein : Je vais rencontrer M. Carty demain, et je vais faire en sorte qu'il vous rencontre, si vous l'appelez d'ici là. Il part en voyage demain; en fait, il ne sera ici que pendant quelques heures demain, mais il se peut qu'il vous rencontre.

Je vous suggérerais aussi de rencontrer M. Phillipson, le PDG de la Fondation canadienne pour l'innovation, dont les activités ressemblent précisément à ce dont vous venez de parler. Vous constaterez que tous les objectifs que vous avez énumérés sont les mêmes que ceux que visent la fondation, qui est un organisme indépendant du gouvernement et qui finance des projets dans les domaines de la recherche et de l'innovation.

Je me ferai un plaisir de vous aider à organiser une rencontre avec ces personnes, car cela pourrait être très utile pour vous.

Notre comité étudie un modèle de développement qui permettrait aux pays sous-développés comme le vôtre, où le taux d'analphabétisme est élevé, de faire des progrès. Un modèle que vous pourriez peut-être étudier est celui de la Jordanie. Bien que la Jordanie ne possède pas de ressources naturelles, elle a décidé de faire des avancées plutôt que de suivre le cours normal du développement. Il y a cinq ou six ans, le gouvernement a distribué des ordinateurs sans fil dans des villages bédouins, surtout à des enfants, qui n'avaient jamais vu d'ordinateurs auparavant. On a découvert que dans l'espace d'une année ou deux, avec un minimum de formation, les enfants bédouins avaient appris à utiliser les ordinateurs et que leur niveau d'éducation s'était amélioré.

Quels sont les éléments constitutifs dont vous avez besoin pour extirper votre plan très ambitieux des problèmes auxquels vous faites face en termes de communication de base? Vous parlez, par exemple, de science, d'innovation et de technologie. La clé de ces questions est Internet et les communications numériques. Qu'en est-il du cadre numérique, sans fil ou Internet à large bande dans votre pays? Avez-vous investi dans l'infrastructure qui rendra votre plan possible?

M. Massingue : Merci de cette observation et de ce conseil. Les rencontres que vous avez suggérées nous seront d'une grande utilité. J'espère que nous trouverons un moyen de les rendre possibles.

Nous aimerions beaucoup établir des liens avec d'autres initiatives qui ont été mises en œuvre avec succès. Certaines des choses dont nous sommes en train de parler, d'autres pays les ont dépassées. La suggestion d'étudier le modèle jordanien, à tout le moins pour savoir comment on procède dans ce pays, est très utile. Je vais noter cela dans mon agenda. Cela étant, nous aurons peut-être besoin d'une aide quelconque pour être en mesure d'étudier ce modèle.

Nous devons intégrer tous les éléments constitutifs à notre plan. Nous devons faire en sorte que la science et la technologie soient visibles dans tous les secteurs du développement. Nous devons énoncer clairement ce à quoi la technologie peut contribuer. Nous avons également besoin d'esquisser une vision, et une stratégie. Nous avons l'intention d'élaborer une stratégie où certains de ces éléments seront clairement abordés. Cela étant, nous avons des plans qui sont déjà en cours. Malheureusement, ils en sont encore à leurs balbutiements pour ce qui est de leur incidence au niveau national. C'est pourquoi il est important que nous élaborions un plan de mise en œuvre de l'infrastructure. Je suis convaincu que dès que l'infrastructure nécessaire sera en place, l'essentiel du reste suivra.

Dans mon exposé, j'ai évoqué les zones rurales. Nous devons faire en sorte que les collectivités rurales aient accès à la radio, à la télévision et à Internet. C'est l'élément de l'infrastructure qu'il nous faut. Encore une fois, la conception des plans et la mise en œuvre exigeront de l'aide.

Le sénateur Di Nino : Monsieur le ministre, c'est bien de vous recevoir ici. J'espère que mes collègues pourront prendre les arrangements pour vous permettre d'avoir les rencontres en question demain matin. Ce serait utile. Franchement, je m'étonne que cela ne soit pas déjà fait. Peut-être que personne n'y a pensé.

Monsieur le ministre, je veux d'abord revenir sur les plans et les stratégies que vous avez évoqués. Est-ce que ces plans et stratégies sont à la grandeur du pays ou bien ciblent-ils seulement des régions particulières du pays à l'heure actuelle?

M. Massingue : La stratégie est nationale, mais elle met l'accent sur ce qui se fait dans chaque secteur. C'est important pour nous d'établir une infrastructure qui permettra au secteur de la santé de bien fonctionner. Dès que le secteur de la santé est branché dans une région donnée, pourquoi ne pas en faire profiter également l'éducation? Nous travaillons donc à la grandeur du pays, mais nous répondons aux besoins de chaque secteur.

Le sénateur Di Nino : Je crois savoir qu'à l'heure actuelle, la plupart des investissements dans votre pays viennent de l'Afrique du Sud. Pouvez-vous confirmer cela? De plus, Je crois que vous avez deux ou trois grandes entreprises prédominantes dans votre pays. Cela rend-il le transfert de technologies plus facile ou plus difficile?

M. Massingue : Nul doute que le fait d'avoir un grand frère près de nous est à certains égards un avantage.

Le sénateur Di Nino : Nous sommes dans la même situation vis-à-vis des États-Unis.

M. Massingue : D'après les statistiques, à l'heure actuelle, la plupart des investissements viennent d'Afrique du Sud. Nous pouvons obtenir les biens de consommation et certains services en Afrique du Sud. Cependant, quand il s'agit de technologie à faible coût appliquée aux différentes régions, nous devons nous tourner vers d'autres marchés, pas seulement l'Afrique du Sud.

Je ne peux pas discuter en détail de ce qui se passe en Afrique du Sud. Je sais toutefois que ce pays reçoit également de la technologie de l'étranger, bien qu'il en produise à l'interne. Nous chercherons à importer de la technologie pas seulement de nos voisins, mais aussi d'autres pays.

Le sénateur Di Nino : Ce n'est pas si mal d'avoir un grand frère; cela a donné de bons résultats au Canada. Comme vous le savez, nous avons nos problèmes, mais il y a des avantages extraordinaires si l'on réussit à établir des relations d'amitié et de respect.

Au sujet de votre mandat et de vos stratégies, est-ce que vous mettez également l'accent sur les femmes de votre pays? Nous avons entendu des témoins nous dire que c'est un mandant ou un objectif dans d'autre pays.

M. Massingue : Notre premier ministre est une femme. Cela indique clairement que notre gouvernement fait la promotion des femmes à différents niveaux.

Nous avons des programmes particuliers qui s'adressent aux femmes pas seulement dans le domaine de l'éducation, mais aussi dans les affaires et la politique. Les femmes participent à différents programmes. Dans mon ministère, je dirige des programmes spéciaux qui créent de l'intérêt chez les jeunes femmes et les incitent à participer dans le domaine du génie et des sciences. Nous avons des prix et nous offrons des encouragements.

Le problème ne se situe pas seulement au niveau auquel elles peuvent faire de la recherche; le problème est que la majorité de la population habite des régions rurales. On attend des femmes qu'elles fassent le travail, de sorte qu'elles peuvent commencer à aller à l'école, mais dès l'école secondaire, le nombre de femmes diminue considérablement parce qu'elles doivent se livrer à d'autres activités.

En mettant l'accent sur les régions rurales, nous voulons aussi créer des programmes spéciaux pour ces jeunes femmes — des programmes que l'on peut enseigner d'une manière différente. Elles peuvent devenir des professionnelles dans différents domaines sans nécessairement aller à l'école. Nous avons des programmes particuliers de téléapprentissage qui s'adressent aux femmes. Nous avons des programmes spéciaux pour elles.

Le président : Dans votre document, je lis ceci : « Ressources naturelles : charbon, titane, gaz naturel, hydroélectricité, tantale, graphite. » Qu'est-ce que le tantale? Est-ce que quelqu'un le sait? Est-ce un métal?

M. Massingue : Nous avons ce que nous appelons des sables lourds. Comme vous parlez portugais, monsieur le président, je vous dirai qu'en portugais, cela s'appelle areias pesadas.

Le président :C'est un minéral du groupe des terres rares utilisé dans les métaux de haute technologie. Je comprends.

Monsieur Massingue, vous êtes notre premier témoin du Mozambique. Étant donné que le Mozambique est limitrophe de l'Afrique du Sud, vous avez des possibilités d'investissement venant d'Afrique du Sud. Bien sûr, le Mozambique n'est pas seulement limitrophe de l'Afrique du Sud. Il s'étend le long de la côte de l'océan Indien jusqu'à la frontière de la Tanzanie.

Vous me reprendrez si je me trompe, mais le développement économique, bien que je n'aie pas visité la totalité du Mozambique, se situe principalement dans le sud. Cela va jusqu'à Beira, qui est le terminus du chemin de fer, vers le Zimbabwe et ensuite jusqu'à Pemba — vous avez une très bonne carte ici. Autrement dit, à moins de comprendre un peu la géographie et la nature du développement économique de votre pays, c'est difficile pour moi de comprendre dans quel secteur les sciences et la technologie auront les meilleures retombées ou la manière dont vous allez vous y prendre. Pouvez-vous me donner quelques détails là-dessus?

M. Massingue : Je vous remercie pour cette question qui est à la fois technique et politique.

Il est vrai que le sud a bénéficié davantage des programmes de développement, non seulement après notre indépendance, mais même avant. La capitale, Maputo, se trouve dans le sud. Il est évident que l'infrastructure est bien meilleure dans ce secteur.

Tout de suite après notre indépendance, il y a eu un changement complet en fait de planification. Bien sûr, cela prend du temps. Nous sommes devenus indépendants en 1975. En 1976, une guerre déstabilisatrice a commencé et a duré jusqu'en 1992. Pendant cette période, il était difficile d'entreprendre des programmes de développement le moindrement sérieux. C'est seulement après la signature de l'accord de paix en 1992 qu'il est devenu possible de revenir au plan qui avait été établi pour le développement du Mozambique.

Aujourd'hui, nous avons des centres de développement au Mozambique qui ont davantage d'incidence sur le plan économique et du bien-être social. Par exemple, Nampula, qui est la capitale du Mozambique septentrional, est très florissante sur le plan économique et du développement.

Le président : Pourquoi?

M. Massingue : La ville est florissante parce que nous avons quelques projets et programmes, principalement dans le domaine agricole. Comme je l'ai dit, nous avons aussi le secteur de production des sables lourds. Cependant, c'est surtout l'agriculture qui a des répercussions positives.

Le gouvernement a décidé de créer trois grands corridors. Le premier est le corridor de Maputo qui relie l'Afrique du Sud à Maputo. Nous avons un deuxième corridor qui relie Beira au Zimbabwe. Malheureusement, nous pensions que l'établissement de ces corridors servirait de porte d'entrée vers l'Hinterland, mais la situation au Zimbabwe à l'heure actuelle ne permet pas des échanges très nourris avec ce pays. Ensuite, nous avons l'autre corridor qui a été établi dans le Nord, celui de Nacala.

On apporte actuellement des améliorations à ces corridors au plan de l'infrastructure, en construisant des chemins de fer pour relier l'intérieur du pays au littoral. Cela donne un coup de pouce à l'économie. En fait, nous avons le barrage de Cahor Bassa dans le centre du pays où nous produisons de l'électricité, laquelle n'est pas seulement utilisée au Mozambique mais également exportée vers l'Afrique du Sud et le Zimbabwe. Il y a des négociations avec le Malawi, qui aimerait également bénéficier de cette centrale hydroélectrique.

Au niveau du ministère, la composante des sciences et de la technologie est un élément nouveau pour beaucoup d'économies africaines. En fait, nous n'avons aucune infrastructure dans ce domaine. Ce que nous avons décidé de faire, c'est d'établir ce que nous appelons trois centres régionaux, mais les centres ne sont pas encore établis. Ils existent sur papier. L'idée est de mettre en œuvre les programmes que nous avons au niveau régional. Il y en aura un dans le sud, un dans la partie centrale du pays et l'autre sera dans le nord.

Les centres vont aider rapidement les provinces dans lesquelles ils sont situés, mais aussi les provinces voisines. Selon nos plans, les centres eux-mêmes ne peuvent assumer l'entière responsabilité du développement scientifique et technologique. Nous devons créer ce que nous appelons un noyau provincial et de district. Nous créons donc un noyau au niveau du district ainsi qu'au niveau provincial et ce noyau va interagir avec les centres régionaux que nous allons créer.

Qu'allons-nous mettre dans le centre de la région? Nous voulons y mettre trois genres d'activités : tout d'abord, la recherche scientifique parce que nous avons déjà là une masse critique de locaux. C'est un petit nombre, certes, mais nous pouvons les situer dans les différentes provinces pour y faire de la recherche scientifique en partenariat avec d'autres pays. En second lieu, nous voulons également favoriser l'incubation d'entreprises. Nous voulons faire en sorte d'enseigner surtout aux jeunes gens comment ils peuvent utiliser leurs talents et leurs compétences pour gagner un revenu. En troisième lieu, nous avons utilisé cela comme un maillon entre l'industrie et le processus de recherche scientifique. Voilà donc les trois grandes activités que nous allons conduire dans le centre au profit de la région, de la province et des districts.

Le président : Voilà qui m'éclaire et qui vient en aide au comité. Si nous y réfléchissons un instant, dans le cas de pays comme le Zimbabwe, la Zambie et le Malawi, tous les ports sont situés au Mozambique. Pour que ces pays puissent exporter, il faut qu'ils passent par chez vous, ce qui représente, bien sûr, une source de rentrées importantes pour votre pays. Je voulais que la chose soit dite et dite clairement.

Le sénateur Downe : Merci, monsieur le ministre, de cet exposé fort impressionnant. Vous nous avez dit que cette proposition avait été acceptée par votre Parlement et que c'était, pour votre pays, une priorité.

Je constate que l'Agence canadienne de développement international a fait savoir qu'elle offrirait cette année à votre pays 42 millions de dollars en aide publique au développement, mais que par contre rien de cela ne serait affecté à la priorité dont vous venez de nous parler. Voudriez-vous que cet argent aille plutôt à la priorité que vous venez tout juste de nous exposer plutôt qu'à celles qui sont actuellement prévues?

M. Massingue : Madame le sénateur, je vous dirais pour commencer que lorsque le président m'a confié mon portefeuille et que j'ai jeté un coup d'œil sur le budget, j'ai découvert que pour l'ensemble de l'année, je ne disposais que de 1,3 million de dollars pour l'investissement, les frais courants et les salaires. Il serait certes impossible, dans ces circonstances, de mettre en œuvre ne serait-ce que 1 p. 100 de ces idées. Par conséquent, je vais avoir besoin pour le faire d'un appui absolument indispensable.

Je ne sais pas comment ces 42 millions de dollars ont été répartis, mais je voudrais également vous confier quelque chose qui est très vrai : les agences comme celle dont vous venez de parler n'ont guère été interpellées par la science et la technologie. C'est par conséquent un secteur tout nouveau, tout comme le leadership. Nous mettons cela au niveau du gouvernement, tout en haut de l'administration de notre pays, ce qui veut dire qu'il s'agit là d'un nouveau secteur à développer.

Certes, c'est avec prudence que je vous dis que j'aimerais déplacer ces 42 millions de dollars qui ont été annoncés, pour la simple raison que je ne sais pas à quoi ils ont été affectés. Par contre, j'aimerais énormément que la science et la technologie soient d'une façon ou d'une autre alimentées par le programme de coopération. J'ignore si cela signifiera qu'il faut accroître les ressources provenant d'autres sources ou distribuer une partie de ces ressources, mais ce sera utile parce que toutes ces idées que vous jugez positives ne pourront être concrétisées qu'à condition que j'aie des ressources pour le faire.

Le président : Ai-je bien compris, le budget de votre ministère est de 1,3 million de dollars?

M. Massingue : C'est cela.

Le sénateur Eyton : Monsieur le ministre, votre plan est impressionnant, formidable même, et vous ne nous avez donné que quelques chiffres, et d'ailleurs j'y reviendrai plus tard pour insister sur ce point. Pouvez-vous me parler du plan? Comment a-t-il été mis au point? Quels sont les appuis dont il a bénéficié qui lui ont permis d'être adopté par le Parlement? Est-il bien connu à l'échelle nationale? A-t-il fait l'objet d'une campagne de communication bien faite ou partielle seulement? Je voudrais savoir d'où vient ce plan et à quel point il en est rendu maintenant chez vous.

M. Massingue : Le processus de planification est le suivant : au début de chaque année financière, nous recevons certaines indications du ministre de la Planification et du Développement ainsi que du ministre des Finances pour ce qui est de la méthodologie à utiliser pour la planification.

Le sénateur Eyton : Je parlais du plan en question, de ce plan et de ce que vous venez de nous exposer. Comment ce plan a-t-il pris forme?

M. Massingue : Il a été élaboré au sein de mon ministère par mes collègues et par moi-même, après quoi il a été soumis à l'attention du conseil des ministres. Après cela, il a été envoyé au Parlement qui s'en est saisi et où il a été adopté en définitive.

Le sénateur Eyton : Ce plan est-il bien connu à l'échelle nationale? Vous avez un très grand pays, un pays très peuplé. Les gens connaissent-ils ce plan et savent-ils ce que vous essayez de faire?

M. Massingue : En effet. D'ailleurs, ce plan résulte du manifeste et du processus électoral qui l'a suivi, il n'a donc pas été élaboré puis dicté, il est plutôt le résultat des priorités qui ont été discutées depuis la base.

Il y a bien sûr certains éléments techniques qui sont ajoutés au niveau du ministère, mais les principaux points sont issus des communautés. Ainsi, celles-ci nous demandent quand nous allons ouvrir chez elles des établissements d'enseignement supérieur. D'autres collectivités nous ont dit qu'elles cultivaient la terre mais que les récoltes se perdaient parce qu'elles n'avaient pas la technologie nécessaire pour en assurer la conservation.

Par exemple, au Mozambique, on trouve des fruits pendant deux mois. Pendant deux mois, tout le monde peut en manger, mais sitôt les deux mois passés, il n'y a plus de fruits et la plupart de ceux qui restent se perdent parce que nous n'avons même pas les moyens de base nécessaires pour transformer les mangues en jus.

Je me suis rendu dans un secteur qui produit beaucoup de tomates. Les gens m'ont dit qu'ils perdaient 30 p. 100 de la production entre le moment de la récolte et le moment de la vente, ce qui veut dire qu'il y a un problème au niveau du traitement.

La plupart des problèmes auxquels nous apportons une solution grâce à ce plan sont nés des besoins qui existent.

J'ai donné aux sénateurs deux exemples qui montrent comment, en utilisant la technologie au niveau de la collectivité, on peut mieux tirer parti de ce qui y est produit.

Le sénateur Eyton : Je comprends facilement pourquoi la technologie et les nouvelles façons de faire sont nécessaires. Mais pour revenir à votre budget de 1,3 million de dollars, cela me semble extrêmement difficile.

Ce que nous savons du Mozambique ici au comité nous montre que le taux de pauvreté est extrêmement élevé. Je ne vais pas en parler, mais il y a donc une insuffisance de ressources sur le terrain.

Le taux d'analphabétisme est également très élevé. Pouvez-vous me dire ce que fait votre gouvernement pour améliorer la situation? Si les gens ne savent pas lire et écrire, il est difficile de faire avancer la science et la technologie. Pouvez-vous me dire ce que vous faites sur ce front et avec quels effets?

M. Massingue : Nous avons trois plans ambitieux à ce sujet.

Pour commencer, nous multiplions les établissements d'enseignement et nous formons davantage d'enseignants pour qu'ils aillent y travailler. En second lieu, nous avons décidé qu'entre 2005 et 2009, nous devions nous concentrer sur la formation professionnelle et technique. Nous sommes en train de mettre au point des programmes en ce sens afin que nos concitoyens puissent apprendre à travailler. En troisième lieu, nous lançons les plans que nous avons établis en matière de programmes de téléapprentissage comme nous l'appelons parce que nous ne pouvons déployer suffisamment d'enseignants dans toutes les régions pour couvrir toutes les matières afin d'arriver à accomplir ce que nous voulons. L'un des piliers sera donc le téléenseignement. C'est la raison pour laquelle nous avons un programme bien articulé pour promouvoir et développer l'enseignement en utilisant les technologies de l'information et des communications.

Nous parlons ici bien sûr de l'enseignement officiel, mais nous travaillons également sur des programmes qui permettront de former les gens afin qu'ils deviennent des professionnels. De cette façon, ils ne devront plus attendre quatre ou cinq ans pour pouvoir se livrer à des activités spécialisées. Nous avons des programmes précis dans ce sens. Bien sûr, c'est bien beau d'avoir des programmes, mais encore faut-il avoir les ressources nécessaires pour pouvoir les exécuter et c'est la raison pour laquelle nous aimerions pouvoir bénéficier d'un concours pour le faire.

Le sénateur Grafstein : Je vais aborder la question du plan de développement d'un point de vue différent. On nous a donné des statistiques qui sont un peu anciennes, mais elles indiquent que le revenu annuel par personne au Mozambique en 2001 était de 156 $. Quel est ce revenu aujourd'hui? Est-il beaucoup plus élevé? Je cite des statistiques fournies au comité qui remontent à 2001.

M. Massingue : Je peux vous fournir l'information la plus récente.

Le sénateur Grafstein : Je suppose que ce revenu est bien inférieur à 400 $.

M. Massingue : Oui.

Le sénateur Grafstein : Alors que 81 p. 100 de la population du Mozambique pratique l'agriculture, ce pays doit importer des denrées alimentaires. Y a-t-il une raison à cela? Le Canada, par exemple, a exporté du blé au Mozambique en 2001. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cette économie, agricole à 81 p. 100, a un si faible PIB par habitant et continue à dépendre des importations de l'étranger pour sa sécurité alimentaire?

M. Massingue : Tout d'abord, pour la plupart des 81 p. 100 de Mozambicains qui pratiquent l'agriculture, c'est une question de subsistance. Évidemment, ils pratiquent l'agriculture sans recourir à une technologie élémentaire qui pourrait augmenter la production. La situation est si mauvaise qu'un district de production peut prospérer une année et, deux ans plus tard, ne pas parvenir à assurer son autosuffisance; c'est pourquoi il faut aller chercher de l'aide à l'extérieur pour une telle région. L'agriculture doit être considérée en fonction des systèmes d'irrigation, de la nature des cultures, du besoin en engrais et des agriculteurs qui savent ce qu'il faut faire à chaque saison. Nous avons des déficits aussi bien au niveau des infrastructures que des connaissances.

Les 81 p. 100 d'habitants qui pratiquent l'agriculture produisent le minimum vital. J'entrevois des difficultés lorsque le président me dit que les sciences et la technologie du programme de développement vont permettre de remédier à la pauvreté. J'aimerais savoir ce que l'on peut faire grâce aux sciences et à la technologie pour promouvoir une augmentation de la production. La plupart des 81 p. 100 de la population qui dépend de l'agriculture occupent la partie la plus belle et la plus aride du pays. Si ces agriculteurs en avaient les moyens, ils pourraient produire davantage. C'est ce que mon ministère cherche à obtenir. Le ministre de l'Agriculture et moi-même aimerions savoir comment nous pouvons faire évoluer la situation.

Le sénateur Prud'homme : J'ai remarqué que vous faisiez de gros efforts pour promouvoir l'alphabétisation. Je travaille sur une idée qui me fascine toujours lorsque je lis les rapports des Nations Unies sur l'éducation. Prenons l'exemple de Cuba, qui atteint un taux d'alphabétisation de près de 100 p. 100. C'est tout à fait étonnant par rapport à Haïti, à la République dominicaine et à l'Amérique centrale, où les taux d'alphabétisation sont si faibles. Pourquoi est- il si difficile de faire augmenter ce taux d'alphabétisation? Serait-ce parce qu'on ne sait pas tirer parti de la technologie moderne? Au lieu de faire appel à de nombreux enseignants experts, un seul professeur pourrait enseigner dans plusieurs villages du Mozambique grâce à la télévision. L'enseignement pourrait se donner du matin au soir avec un seul surveillant par site d'enseignement — et n'importe qui pourrait assurer la surveillance.

J'ai déjà vu des situations de ce genre, où une maman canadienne-française ou canadienne-anglaise surveillait les étudiants. Nous savons que les enfants sont fascinés par le grand écran et il suffirait d'avoir dans chaque village un écran et un professeur qui sache s'y prendre avec les enfants. Le taux d'alphabétisation augmenterait très rapidement. Pourquoi est-ce si difficile?

J'ai fait exprès de prendre l'exemple de Cuba, parce que tout le monde s'en prend à Cuba ces jours-ci, et j'aimerais savoir s'il est possible d'atteindre le même taux d'alphabétisation que les Cubains.

M. Massingue : Lorsque nous avons accédé à l'indépendance en 1975, 90 p. 100 des Mozambicains étaient illettrés. L'Université du Mozambique ne comptait que cinq professeurs. Aujourd'hui, les chiffres ont évolué, malgré les 16 années d'hostilité déstabilisatrice qui ont empêché la plupart des écoles de fonctionner.

Ce que nous voulons faire, et je ne vais pas reformuler vos propos, je vais me contenter de les répéter tels quels, c'est d'introduire ces technologies pour atteindre les objectifs même que vous avez énoncés car nous sommes convaincus que nous pourrons rejoindre davantage de personnes et que nous pourrons ainsi fournir une éducation à un plus grand nombre de Mozambicains.

L'affirmation selon laquelle la technologie permet de supprimer les distances est particulièrement vraie dans le cas des technologies de l'information et des communications. Il est possible d'y parvenir. En deux ans, nous avons réussi à multiplier par deux le nombre d'usagers du téléphone en introduisant le téléphone cellulaire. Cet exemple montre à quel point la contribution des TIC peut être rapide.

Lorsque je me rends dans des écoles ou des collectivités, on me demande toujours si je peux faire don de deux ou trois ordinateurs. En fait, je souhaite constater des changements tout à fait différents dans deux ou trois ans, dès que nous aurons implanté ces technologies.

Oui, je suis tout à fait d'accord avec vous et je suis certain que cela suscitera une transformation. Les changements résulteront du fait que nous pourrons rejoindre des couches et des régions du pays que nous ne pouvons pas atteindre pour l'instant. Nous serons même en mesure de dispenser différentes formes d'éducation. C'est ce que nous voulons faire, au lieu de nous limiter à l'enseignement au sens strict.

À titre d'exemple, le MIT offre un programme dont les résultats semblent plutôt satisfaisants et qui permet aux étudiants de suivre leurs cours par l'entremise d'un site Internet. Selon un sondage, les étudiants préfèrent suivre des cours par Internet plutôt qu'en salle de classe. Cette préférence s'explique notamment par le fait que les cours par Internet permettent aux étudiants de revoir le contenu de leurs cours autant de fois qu'ils le souhaitent, car les documents sont disponibles sur le site Internet.

Bien entendu, notre problème réside dans l'étape initiale. Je souhaite former des employés, des superviseurs, de façon à ce que de nombreux étudiants puissent suivre un cours à l'écran et recevoir leur formation. Ainsi, notre plan, notre stratégie et notre objectif consistent à mettre à profit de telles possibilités technologiques.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre, de votre exposé extrêmement intéressant. Il est très clair pour nous tous que la technologie revêt une importance particulière dans le domaine de l'agriculture.

[Français]

La deuxième partie de notre séance d'aujourd'hui sera consacrée au CRDI, le Centre de recherche pour le développement international. À cet effet, nous avons le plaisir d'accueillir M. Rohinton Medhora, vice-président, Programmes et partenariats, ainsi que M. Gerd Schönwälder, chef d'équipe, Paix, conflits et développement. Je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

[Traduction]

Le CRDI est une société d'État canadienne qui appuie les efforts des chercheurs des pays en développement pour les aider à créer des sociétés plus saines, plus équitables et plus prospères. Le CRDI est étroitement lié à l'Afrique depuis 1971, et possède des bureaux régionaux à Dakar et à Nairobi.

Monsieur Medhora, vous avez la parole.

Le sénateur Di Nino : Monsieur le président, j'aimerais avoir un éclaircissement. Vous nous avez dit que le CRDI est une société d'État canadienne.

Le président : Oui, une société d'État.

Le sénateur Di Nino : Une société d'État.

Le président : Je crois que, d'un point de vue technique, le CRDI est toujours une société d'État.

Le sénateur Downe : L'ordre du jour indique que la présidente devait témoigner ce soir. La présidente est-elle absente?

Le président : Monsieur Medhora, pour quelle raison la présidente est-elle absente?

M. Rohinton Medhora, vice-président, Programmes et partenariats, Centre de recherches pour le développement international (CRDI) : Merci, monsieur le président, de nous donner l'occasion de témoigner devant vous. En effet, notre présidente est absente en raison d'engagements antérieurs à Montréal.

En moins de 10 minutes, je vous donnerai un aperçu de l'état du continent et des perspectives d'avenir pour ce qui est des enjeux importants. Je tracerai également des parallèles avec les points soulevés par le ministre Massingue.

Je suis accompagné de mon collègue Gerd Schönwälder, chef d'équipe, Paix, conflits et développement. Si vous avez des questions qui relèvent de son domaine, il sera ravi d'y répondre.

Le sénateur Downe : J'aimerais obtenir des précisions suite à la question du sénateur Di Nino : le CRDI est-il une société d'État?

M. Medhora : Oui.

Le sénateur Downe : La présidente de cette société d'État a été convoquée devant notre comité sénatorial et elle n'a pas pu venir témoigner en raison d'engagements antérieurs. Pouvons-nous avoir des détails sur ce conflit d'horaire et connaître les raisons qui l'ont poussée à respecter ses autres engagements au lieu de tenir sa promesse de comparaître devant notre comité, à moins qu'on lui ait demandé de venir témoigner et qu'elle n'ait pas confirmé sa présence?

Le président : Le greffier m'a indiqué qu'elle n'a pas été confirmée.

Le sénateur Downe : Merci, monsieur le président.

M. Medhora : L'an dernier, l'Afrique a connu une croissance qui varie entre 4,5 et 5 p. 100, selon les statistiques utilisées et la méthode d'analyse, ce qui est tout de même respectable en contexte.

Le président : Il doit y avoir d'énormes différences entre les régions.

M. Medhora : À l'échelle du continent, ce sont l'Afrique centrale et l'Afrique orientale qui ont connu la plus forte croissance, à savoir entre 6 et 7 p. 100. L'Afrique australe et l'Afrique occidentale, quant à elles, n'ont connu des taux de croissance que d'environ 4 p. 100. Par contre, la croissance moyenne était de 5 p. 100.

Cette statistique est intéressante pour deux raisons. D'abord, c'est le taux de croissance le plus élevé qu'ait connu le continent au cours des dix dernières années. De plus, il est intéressant de constater que les données macroéconomiques fondamentales du continent sont assez encourageantes. En effet, l'inflation a atteint son plus bas niveau des 25 dernières années. Pour ce qui est des taux de croissance, ils sont plus élevés que dans le monde industrialisé. Par contre, le problème c'est qu'ils sont moins élevés que ceux des autres pays en développement. Voilà donc la première chose. Deuxièmement, la croissance africaine dépend, dans une large mesure, des fluctuations des prix des matières premières. Troisièmement, les marchés intérieurs sont faibles et, ce qui est gravé dans ma mémoire, c'est que le PIB de l'Afrique subsaharienne ne dépasse pas celui de la ville de Chicago. Il suffit d'imaginer tous les processus multipliés par 50 en matière de relations étrangères et de médiation politique, pour un PIB de la taille de celui d'une grande ville nord- américaine, pour comprendre l'ampleur des coûts de transaction nécessaires au développement du continent.

Quatrièmement, comme M. Marcel Massé l'a dit devant ce comité il y a quelques semaines, un taux de croissance de 5 p. 100 permet de maintenir les niveaux de pauvreté, mais pas de les améliorer. Ces 5 p. 100 sont donc un point de départ et ne sont d'aucune façon un plafond.

Cinquièmement, c'est toujours en Afrique qu'on retrouve le taux de pauvreté le plus élevé. C'est effectivement sur ce continent qu'on retrouve la plus importante proportion de personnes ne disposant que de un dollar, ou moins, par jour. Cette proportion a augmenté au cours des dix dernières années, ce qui n'est vrai que pour cette région du monde.

Le taux de chômage n'a pas régressé et, par conséquent, il n'y a pas eu beaucoup de progrès pour ce qui est des objectifs de développement du millénaire. Voilà donc, en gros, où nous en sommes.

Que veut dire tout cela? Les institutions africaines étant faibles, les liens entre le progrès économique, politique et social sont inadéquats. Comme on vient de le dire, les problèmes locaux restent difficiles à gérer. Quand on étudie les indicateurs comme les dépenses en matière de recherche, le nombre de brevets accordés aux citoyens africains, on remarque que l'Afrique est sous-représentée, peu importe l'instrument de mesure.

Par exemple, les dépenses en R et D en Afrique représentent moins de 1 p. 100 des dépenses mondiales en la matière. Moins de 1 p. 100 des publications scientifiques à l'échelle mondiale sont africaines. Quant aux brevets, moins de 0,1 p. 100 sont accordés à des Africains. Comme l'a dit le ministre, le recours à la science pour résoudre des problèmes est minime.

En plus de tout cela, plusieurs indicateurs laissent entendre que le taux de connectivité sur le continent est bas. En d'autres termes, les Africains déboursent beaucoup plus que nous, des fois de neuf à dix fois plus, mais sont beaucoup moins branchés, c'est-à-dire utilisent le téléphone et Internet beaucoup moins. Ils ne sont tout simplement pas reliés entre eux et avec le reste du monde. Voilà la situation.

C'est en 1970 que le CRDI a été créé, par le biais d'une loi du Parlement. C'est une des seules institutions au monde à être vouées au renforcement des capacités des pays en voie de développement pour qu'ils puissent eux-mêmes régler leurs problèmes.

On peut d'ailleurs citer en exemple le ministre Venâncio Massingue, qui vient de prendre la parole. Nous avons travaillé avec lui pour la première fois il y a près de 10 ans, alors qu'il était professeur à l'Université de Maputo. Il a par la suite été vice-recteur, puis recteur et maintenant ministre. En fait, ce que j'essaie d'expliquer par là, c'est que la patience et les politiques axées sur le citoyen sont tout aussi importantes que les autres mesures pour assurer le développement. Voilà en gros ce à quoi je voulais en venir quand je parlais d'institutions faibles.

Le CRDI s'intéresse à quatre grands dossiers : les politiques sociales et économiques, l'utilisation des TIC dans le cadre du développement, la gestion de l'environnement et des ressources naturelles et les sciences et la technologie dans le cas du développement. Nous regroupons en général nos projets en fonction de ces quatre domaines. Nous avons six bureaux régionaux dans le monde, dont notre siège à Ottawa à partir duquel nous assurons l'exécution de nos programmes.

J'aimerais qu'on revienne à l'importance qu'on devrait accorder aux capacités au niveau local. Depuis longtemps, on considère en Afrique que les conseils qui viennent de l'étranger ne sont pas valables tout simplement parce qu'ils n'ont pas cette crédibilité qui caractérise les solutions élaborées sur place. D'ailleurs, les conseils étrangers, de par leur nature, sont souvent inadaptés et des fois même grossièrement inadaptés. Voilà pourquoi les capacités locales sont si importantes.

Prenons l'exemple de ce que font le Canada et le CRDI en matière de politique de soins de santé en Tanzanie. Nous travaillons dans deux districts tanzaniens afin d'évaluer la gravité de la maladie pour ensuite répartir les budgets locaux de santé proportionnellement. Nous avons découvert des choses intéressantes. En effet, quand nous avons mesuré la gravité de la maladie, nous avons découvert que la malaria ainsi qu'une série de maladies infantiles étaient responsables de la majorité des décès dans ces régions. Nous nous sommes ensuite rendu compte que les budgets les plus importants étaient affectés à la lutte contre la tuberculose et une série de maladies qui peuvent être traitées ou évitées en vaccinant la population. Les autorités locales ont pu modifier légèrement la répartition des budgets après avoir recueilli et analysé les données elles-mêmes, ce qui s'est traduit par une diminution de 40 p. 100 du taux de mortalité infantile dans les deux districts en question.

Le ministre a mentionné plusieurs utilisations intéressantes des TIC. En Ouganda, nous utilisons de petits dispositifs pour recueillir divers types de données socio-économiques, données qui sont ensuite regroupées et analysées grâce aux technologies sans fil. Ainsi, il y a moins de risque d'erreurs et les données sont disponibles plus rapidement, ce qui se traduit par des solutions mieux adaptées.

Nous avons parlé du fait que les taux de croissance ne s'accompagnent pas toujours de progrès en matière de développement social. Ce sont en partie les conseils étrangers qui sont responsables de ce phénomène. En 1989, le Canada a créé le Consortium pour la recherche économique en Afrique, où environ 700 personnes ont été formées, dont la plupart sont restées sur le continent. Il est essentiel que les institutions où travaillent ces personnes soient renforcées pour qu'on puisse réellement tirer profit des analyses économiques et des conseils émanant du continent.

Le dernier exemple vient de l'agriculture. Le ministre a parlé de l'utilisation de différents types de processus agricoles nationaux et internationaux qui permettent de concevoir des plantes qu'on peut faire pousser dans les hautes terres de l'Afrique orientale, de l'Afrique australe et de l'Afrique centrale, où se concentre la majorité de la population, ainsi que des plantes adaptées aux conditions climatiques du désert, parce que la désertification est indéniable. Je répète que ce qui fait toute la différence, c'est l'application judicieuse de compétences étrangères au niveau local.

Je vous laisse sur ceci. Les changements ne se feront pas du jour au lendemain. Il faudra savoir écouter tout autant que donner. Enfin, nos investissements devront être axés sur les ressources humaines et les institutions.

[Français]

Le sénateur Corbin : Monsieur le président, j'aimerais recourir au Règlement. Je viens d'apprendre qu'on nous a remis des cartes qui sont disponibles dans les deux langues officielles. On nous a remis un document, assez substantiel d'après ce que je peux voir, qui décrit le rôle du Centre de recherche pour le développement international en Afrique. On me dit qu'il n'est pas disponible en français. Cette société de la Couronne est régie par la Loi sur les langues officielles, comme tout le monde. Est-ce qu'on peut m'expliquer pourquoi le document n'est pas disponible en français pour les membres du comité?

M. Medhora : Le document vient d'être préparé et la version française sera disponible bientôt.

Le sénateur Corbin : Non, ce n'est pas acceptable; vous le remettez dans les deux langues officielles ou vous ne donnez rien. C'est l'esprit de la Loi sur les langues officielles. Je regrette de devoir insister pour vous le rappeler, mais je sais ce dont je parle. Je suis président du Comité sénatorial permanent sur les langues officielles du Sénat et j'ai été coprésident du premier comité sur les langues officielles établi à la Chambre des communes. Nous avons encore à faire avec des agences et des ministères qui ne se conforment pas à la loi; je tiens à le souligner, monsieur le président. Je ne veux pas être désagréable, mais les francophones en ont soupé de cette attitude. Voilà, je l'ai dit; j'espère que le message a été bien compris.

Le président : Oui, vous avez bien raison, sénateur Corbin.

[Traduction]

Je dois vous avouer qu'avant que vous n'en parliez, je ne m'en étais pas rendu compte, parce que quand nous nous sommes vus la dernière fois, nous n'étions pas certains que la Chambre siégerait cette semaine. Je n'ai rien d'autre à dire si ce n'est que le sénateur Corbin a entièrement raison.

Le sénateur Di Nino : Je suis d'accord avec mon collègue, le sénateur Corbin. Il est tout à fait inacceptable qu'une société d'État ne nous donne les renseignements qu'en une seule langue, d'autant plus que les renseignements en question sont disponibles dans les deux langues, du moins à ma connaissance. Je suis sûr que le sénateur Corbin s'en occupera. Je suis sûr qu'il peut compter sur l'appui de tous, et particulièrement le mien.

Monsieur le président, je vous remercie de me donner la parole. J'aimerais aborder le sujet sous un angle différent, si vous permettez. Cela fait à peine deux ou trois mois que nous étudions cette question.

Le président : Oui, et nous avons beaucoup appris.

Le sénateur Di Nino : Nous avons beaucoup appris, mais, pour ma part, l'une de ces choses que j'ai apprises, c'est qu'une pléthore d'organisations, non seulement du Canada, mais du monde entier, sont présentes en Afrique pour y fournir des conseils et de l'aide.

Savons-nous combien d'organismes canadiens se trouvent présentement en Afrique, y compris les organisations non gouvernementales, les organismes d'État ou para-étatiques? Savons-nous combien coûtent leurs activités? Est-ce qu'on peut conclure de cela qu'il y a probablement une multitude de groupes du monde entier à l'oeuvre en Afrique? Au cours de nos audiences, j'ai été frappé par le nombre et la diversité d'entre eux. Est-ce que l'un ou l'autre de nos témoins sait combien d'organismes travaillent actuellement en Afrique?

M. Gerd Schönwälder, chef d'équipe, Paix, conflits et développement, Centre de recherches pour le développement international (CRDI) : Je ne suis pas en mesure de vous fournir des chiffres, mais je sais que dans son livre le plus récent, qui traite de l'éradication de la pauvreté, Jeffrey Sachs fait quelques remarques là-dessus. Il plaide de façon très convaincante pour l'augmentation de l'aide à l'Afrique, car selon lui, en dépit de l'action des très nombreux donateurs, organismes, pays et autres, ce continent reçoit encore peu de ressources. Il serait donc utile de vérifier les chiffres qui figurent dans le livre à l'appui de sa thèse.

Le sénateur Di Nino : Notre personnel devrait réunir des données là-dessus.

Il y a donc d'innombrables organisations, et elles entraînent certains coûts. En avons-nous besoin d'autant, compte tenu des coûts inhérents à leur structure, aux voyages, à l'hébergement, et cetera? Je précise que je ne cherche nullement ici à nier leur travail exceptionnel. Je n'ai, jusqu'à ce jour, rencontré aucune organisation dont je ne louerais pas le travail.

Quoi qu'il en soit, a-t-on déjà envisagé de fusionner certaines d'entre elles, de manière à économiser des sommes considérables puis à les réaffecter?

M. Medhora : Dans un continent aux besoins aussi aigus que l'Afrique, le problème est plus vaste. L'essentiel, c'est d'abord de coordonner l'activité des donateurs et, ensuite, de veiller à ce que les gouvernements bénéficiaires soient en mesure d'absorber les conseils qu'ils reçoivent.

Jeff Sachs affirme que dans certains pays d'Afrique, certains fonctionnaires et dignitaires ne font rien d'autre que d'accueillir des missions de donateurs. La Tanzanie a même suspendu les visites de donateurs quelques semaines par année afin de permettre à ces gens de travailler. S'il existait une solution miracle, nous l'aurions trouvée. À mon avis, ce serait que les pays bénéficiaires aient la capacité de faire le tri parmi toutes les propositions qu'ils reçoivent.

Lorsque les institutions sont manifestement faibles, les organismes étrangers, qui peuvent totaliser des centaines, vont peut-être se contenter de mettre sur pied une usine d'extraction de jus. Elle fera partie des entreprises étrangères, mais après une génération, elle devrait être intégrée à la société locale. L'une des mesures de la question que vous soulevez, c'est l'assimilation progressive de la présence étrangère.

Le sénateur Di Nino : Dans le cadre de notre étude, nous avons vu qu'à part certaines exceptions remarquables, ce programme est un échec total. L'objectif est l'élimination à terme de la pauvreté, mais, je le répète, à part de merveilleuses exceptions, la plupart des gens nous ont dit qu'aujourd'hui, les Africains ne sont pas en meilleure posture qu'à la fin de la guerre, lorsque nous avons lancé cette avalanche de mesures d'aide et de conseils. Si j'ai bien compris, la plupart des dirigeants de ces organismes devraient relever de l'ONU. Toutefois, est-ce que l'ONU est en mesure d'assumer une telle responsabilité? A-t-elle déjà su orienter les choses de manière à améliorer la situation?

Le président : J'aimerais commenter la question du sénateur Di Nino.

La situation des pays d'Afrique ne s'est pas améliorée. Plusieurs témoins nous ont dit ici même que de nombreux pays africains sont moins prospères qu'ils ne l'étaient lors de l'indépendance en 1962. À cette époque, le Kenya était exportateur de denrées alimentaires. Nous savons ce que Jeffrey Sachs nous a dit. Des témoins remarquables ont comparu devant ce comité.

Il est bien dommage que la présidente du CRDI n'ait pas pu prendre le temps de comparaître devant notre comité, car nous prenons le projet très au sérieux. Il est également dommage que cette documentation ne soit pas présentée dans les deux langues.

Nous connaissons l'état de l'agriculture en Afrique. M. Massé nous a dit qu'en 1962, l'Afrique était autosuffisante au plan agricole. Cette époque n'est pas si lointaine. Le ministre que nous accueillons aujourd'hui a un budget de 1,3 million de dollars et il parle de faire du Mozambique un pays « branché ». C'est évidemment impossible à faire avec 1,3 million de dollars. On nous dit qu'un continent qui était autosuffisant au plan alimentaire il y a 40 ans doit maintenant dépenser autant d'argent qu'il ne reçoit d'aide étrangère pour importer des denrées alimentaires. Je pense que le CRDI devrait nous donner son point de vue sur ce qu'on pourrait faire pour remédier à cette situation dramatique. Il existe des plantes qui peuvent pousser au Sahel. On ne peut pas se satisfaire d'une telle situation. Je ne sais pas quel est le budget du CRDI pour l'Afrique, mais j'aimerais qu'on puisse nous annoncer une contribution plus généreuse.

M. Medhora : Comme je l'ai dit tout à l'heure, s'il existait des réponses faciles à mettre en œuvre, nous aurions déjà réglé le problème.

Tout d'abord, les taux de croissance de la population en Afrique sont les plus élevés du monde en développement. On pourrait régler le problème de la sécurité alimentaire en réduisant le taux de natalité. Si l'on considère les tendances dans les autres parties du monde, un tel résultat peut être obtenu par différentes interventions, notamment par l'éducation et par une augmentation des revenus.

Deuxièmement, si l'Afrique doit importer aussi massivement, c'est pour deux raisons. La première, c'est qu'il y a eu une détérioration des terres agricoles. Il faudrait soit une révolution verte en Afrique comme celle qui s'est produite en Asie du Sud, soit utiliser les technologies de façon novatrice pour augmenter la productivité des terres agricoles qui subsistent.

La deuxième raison pour laquelle les Africains doivent importer des denrées alimentaires, c'est que l'Occident subventionne son secteur agricole. En conséquence, comme vous l'avez signalé lors de votre séance précédente, les importations à bon marché des pays africains se sont traduites par un système d'incitatifs pervers. L'agriculteur ou l'éleveur d'Afrique occidentale n'a pas plus intérêt à produire sa propre nourriture ni à élever du bétail.

Vous avez parlé des Nations Unies. Il n'existe pas d'organismes ou d'institutions qu'on puisse tenir responsables d'une telle gamme de problèmes. Cependant, il appartient à la communauté du développement international, dont le CRDI fait partie, de faire connaître ces faits, d'intervenir à tous les niveaux, dans les domaines de l'éducation des femmes, de l'augmentation des revenus, de la réduction du subventionnement agricole et de la lutte contre la détérioration des terres agricoles. Ce ne sont pas des problèmes qu'on peut régler en un clin d'oeil. Ce sont des problèmes complexes, dans lesquels il faut investir à long terme.

Il y a aussi des réussites. Il y a beaucoup plus de démocraties en Afrique aujourd'hui qu'il n'y en avait il y a cinq ou 10 ans. On a progressé sur certains objectifs du millénaire pour le développement, et pas sur d'autres. Comme on l'a vu dans le cas du ministre, l'investissement que nous avons fait dans la population il y a une génération commence à porter fruits.

Si l'on cherche des solutions rapides, on n'en trouvera pas. Par contre, si l'on est prêt à consentir un effort prolongé, on verra que c'est la seule façon de réussir.

Le président : Jusqu'à maintenant, le long terme, c'est 40 ans; c'est très long. C'est au moins une génération ou deux.

Le sénateur Grafstein : Essayons d'approfondir l'analyse du sénateur Di Nino et du président. Le New York Times nous apprend qu'aujourd'hui, au Zimbabwe, des exploitations agricoles sont ruinées à cause des politiques de Mugabe. Ceux qui en assuraient l'exploitation, qui assuraient leur autosuffisance grâce à l'utilisation de techniques modernes, en sont expulsés et les terres sont mises en jachère. Voilà ce qui se passe depuis deux ou trois ans. Cela ne remonte pas à 1962; ça a commencé en 2004, et on le constatait encore ce mois-ci. La question est de savoir ce que font les institutions internationales. Nous ne vous posons pas cette question. Vous avez dit que les Nations Unies et d'autres institutions agissent, mais je ne les vois pas agir sur ce terrain-là, où des agriculteurs sont contraints à la pauvreté à cause de politiques désastreuses.

Je sais que le Canada a critiqué publiquement le gouvernement de M. Mugabe, mais à part ces critiques, je ne pense pas que la communauté internationale ni la communauté des ONG aient agi concrètement.

Si personne n'a à rendre compte de cette situation, le seul avis qu'on nous donne est de verser encore de l'argent dans ce qui ressemble à un puits sans fond, au lieu de décider de mettre l'accent sur le Mozambique, quitte à délaisser la plus grande partie de ce continent. J'ai demandé au Sénat que le Canada se concentre sur l'Afrique du Sud. Veillons à en faire un modèle de productivité.

Le problème du CRDI, c'est qu'il gère 177 projets, c'est-à-dire qu'il envoie des gouttelettes d'eau dans toutes les directions, au lieu de se concentrer sur un pays qui pourrait servir de modèle au reste de l'Afrique. Il faut absolument parler des réussites. C'est ainsi que le monde des affaires fonctionne. Les réussites alimentent les réussites. Avez-vous un commentaire à ce sujet?

M. Medhora : En ce qui concerne le Zimbabwe et la formule du puits sans fond, il y a plusieurs situations en Afrique où la communauté internationale ne dispose que de moyens d'action limités. C'est notamment le cas du Zimbabwe. Soit on continue à traiter avec un régime inefficace et autocratique, soit on s'en va. Dans un cas comme dans l'autre, l'argent consacré à ce pays ne sera pas utilisé à bon escient.

Le sénateur Grafstein : Avant de vous laisser continuer, je signale que la politique du Canada a été modifiée par le gouvernement actuel; elle est désormais alignée sur la nouvelle déclaration universelle concernant la responsabilité de protéger. Est-ce que la politique canadienne réussit à protéger ces agriculteurs qui sont dépossédés de leurs terres agricoles et acculés à la pauvreté? Comment les Nations Unies assument-elles leur responsabilité de protéger, selon la théorie de Kofi Annan, reprise par le Canada, alors que ces situations dramatiques se produisent sous nos yeux? Est-ce que la communauté des ONG et les gens qui dépensent tout cet argent y ont réfléchi?

M. Medhora : Je ne peux pas parler au nom de la communauté des ONG. Je sais qu'il y a actuellement un débat animé sur la portée de la responsabilité de protéger. Quand faut-il agir et quand faut-il s'abstenir? Le Zimbabwe en est un bon exemple.

Le sénateur Grafstein : Le Zimbabwe est un exemple d'inaction. Les inactions se poursuivent depuis trois ans.

M. Medhora : Je ne suis pas certain que ce soit un exemple d'inaction. Dans certains cas, il y a eu un dialogue actif qui a été rejeté par les autorités nationales. Il faut reconnaître que l'action des intervenants internationaux n'est pas toujours décisive. Lorsqu'on a affaire à un gouvernement particulièrement intransigeant, les moyens d'action sont limités.

Cela m'amène à l'autre argument concernant les secteurs auxquels il faut consacrer de l'argent et ceux où il ne faut pas intervenir. On aurait tort de croire que l'argent permet de résoudre tous ces problèmes. Dans le monde en développement, la tendance consiste à dire qu'il faut consacrer les ressources aux situations et aux pays où l'on sait qu'elles seront employées à bon escient. Depuis la publication du fameux rapport dollar de la Banque mondiale il y a cinq ou six ans, c'est de cette façon que fonctionnent les pays donateurs.

Que peut-on faire dans les situations où l'on sait que l'argent sera mal dépensé? On peut soit continuer à investir jusqu'à ce que la situation évolue, soit s'abstenir de toute intervention. Il y a des risques dans un cas comme dans l'autre, comme le montre votre exemple du Zimbabwe. Cela ne devrait pas nous empêcher d'agir dans certaines situations africaines comme celles du Sénégal, du Mali, de l'Ouganda et de la Tanzanie, où nous savons que nos interventions peuvent être décisives, où les autorités gouvernementales au pouvoir sont généralement fiables, comme nous l'a dit notre collègue du Mozambique, et où l'on constate de bonnes intentions et des besoins élevés.

Quand on a 1,3 million de dollars pour brancher le pays, il y a des limites à ce qu'on peut faire pour être plus efficace et pour lutter contre la corruption. En fin de compte, 1,3 million de dollars, ce n'est que 1,3 million de dollars.

Le président : Permettez-moi de dire au nom du comité que nous avons été très heureux d'entendre le ministre. D'après notre expérience, il est toujours extrêmement intéressant d'entendre des Africains nous expliquer leur propre situation. Nous avons tous été frappés d'entendre le ministre dire qu'il n'avait que 1,3 million de dollars pour brancher le Mozambique. Quelqu'un peut-il expliquer ce qu'il pourrait faire de cette somme? Je ne l'ai pas compris. Avez-vous des idées à ce sujet? De quoi s'agit-il? Le ministre a comparu devant notre comité et nous avons trouvé son exposé très intéressant. Nous comprenons tous ce qu'il essaie de faire. Que se passe-t-il maintenant?

M. Medhora : Il s'agit d'un processus d'attribution national. Au cabinet, le ministre a d'autres collègues qui ont eu aussi des besoins et des exigences.

Le président : Il ne dispose que de 1,3 million de dollars. Cela suffirait à peine à faire fonctionner un ministère, et c'est nettement insuffisant pour un investissement.

M. Medhora : Nous avons un programme de TIC. Comme le ministre l'a dit, il est difficile de convaincre les gens que les TIC ou la science puissent résoudre ce genre de problèmes. Certains demandent encore pourquoi ils devraient investir dans des ordinateurs quand, dans leur pays, il n'y a même pas de craie dans les salles de classe.

J'ai visité une école au Sénégal, en janvier. Ce n'était pas une école riche de la classe supérieure. Cette école était au centre-ville de Dakar, et les élèves étaient principalement des enfants de pêcheurs. Nous menons un projet pilote pour introduire les TIC dans le programme scolaire des écoles primaires. Les élèves utilisent des programmes axés sur des icônes pour améliorer leur grammaire, pour s'informer sur le monde, pour connaître les animaux, et cetera. Il s'agit d'un projet de démonstration. C'est un projet peu coûteux. Nous collaborons avec l'ONG d'éducation locale, ainsi qu'avec le ministère de l'Éducation du pays, afin que ce projet pilote puisse être étendu à l'échelle nationale.

Puisque le CRDI est une petite institution, nous avons besoin d'autres partenaires pour étendre le projet à l'échelle nationale. Ce dont nous avons besoin dans ce cas, c'est de la puissance de la démonstration. Est-il possible de changer les choses avec 1,3 million de dollars? Non. Mais si nous pouvons démontrer au gouvernement du Mozambique que nos projets de TIC sont la solution d'avenir, l'investissement de 1,3 million de dollars augmentera au fil des ans.

Le président : Le sénateur Grafstein a fait valoir qu'une bonne partie de l'argent que nous donnons est consacré à la santé. Le sénateur Downe a posé la question. La somme de 1,3 million de dollars visait son ministère. Il ne s'agissait pas du tout de l'argent nécessaire pour mettre le câblage en place. Cette somme est destinée à l'administration. Ces 1,3 million de dollars ne lui permettent pas d'administrer grand-chose.

Ce que vous dites, c'est qu'un petit projet de démonstration peut avoir un effet d'entraînement.

Le sénateur Downe : Je ne comprends pas très bien comment fonctionne votre société d'État. De quelle taille est-elle? Quel est votre budget annuel? Combien d'employés compte-t-elle en gros?

M. Medhora : En 2004-2005, le Parlement nous a consenti 119,1 millions de dollars. Cela représente environ 3,6 à 3,7 p. 100 de toute l'aide internationale du Canada.

Le sénateur Downe : Combien de vos employés sont en poste au Canada et combien à l'extérieur du pays?

M. Medhora : Nous comptons environ 250 employés au Canada. Nous en avons 100 autres dans nos bureaux régionaux de l'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique latine.

Le sénateur Downe : J'ai constaté dans votre exposé combien vous aviez de bureaux en Afrique. Combien en avez- vous en Asie et en Amérique latine?

M. Medhora : Nous avons des bureaux à Singapour pour l'Asie du Sud-Est et à New Delhi pour l'Asie du Sud. En Afrique, nous avons des bureaux au Caire, à Nairobi, à Dakar, ainsi qu'un petit bureau à Johannesburg. En Amérique latine, nous avons un bureau à Montevideo.

Le sénateur Downe : J'ai remarqué que l'ACDI avait décidé de concentrer ses investissements dans le développement dans un nombre plus petit de pays. En avez-vous fait autant?

M. Medhora : Non, parce que nous fonctionnons surtout en fonction de thèmes. Nous avons organisé nos programmes autour des quatre thèmes que j'ai mentionnés. À l'intérieur de ces thèmes, nous dépensons la majorité de notre argent dans environ 20 pays.

Le sénateur Downe : De ces 20 pays, combien sont en Afrique?

M. Medhora : Nous dépensons de 40 à 45 p. 100 de notre budget en Afrique. Plus de la moitié de ces 20 pays sont en Afrique.

Le sénateur Downe : Vous dépensez la majorité de votre budget à l'extérieur de l'Afrique?

M. Medhora : Oui.

Le sénateur Di Nino : J'ai une question supplémentaire à ce sujet. Vous avez dit que vous dépensez de 40 à 45 p. 100 de votre budget en Afrique et de 55 à 60 p. 100 à l'extérieur de ce continent. Quelle proportion de cet argent est dépensée au Canada?

M. Medhora : Environ 18 p. 100 de nos projets sont ce que nous appelons des projets de coopération avec des institutions canadiennes. Et même dans ce cas, l'argent qui passe par une institution canadienne est destiné à un pays en développement.

Le sénateur Di Nino : Quelle proportion dépensez-vous au titre de l'administration? Cet argent sert-il surtout à l'administration?

M. Medhora : Nous allons également chercher de 20 à 25 p. 100 du financement de notre programme par co- financement avec d'autres donateurs, y compris l'ACDI, les fondations américaines et d'autres ententes bilatérales. Sur l'ensemble de notre revenu annuel, nous dépensons environ 30 p. 100 au titre de l'administration.

Le sénateur Downe : Vous avez dit que votre Parlement vous avait attribué 119 millions de dollars. Une partie de votre financement supplémentaire vient-il d'organismes non gouvernementaux?

M. Medhora : Les fondations américaines sont-elles à votre avis des organismes non gouvernementaux?

Le sénateur Downe : Oui.

M. Medhora : Oui.

Le sénateur Di Nino : Ce sont les 25 p. 100 supplémentaires, n'est-ce pas?

M. Medhora : Oui.

Le sénateur Downe : Quelles sommes les fondations américaines fournissent-elles?

M. Medhora : Environ la moitié des 20 millions de dollars de financements externes que nous avons obtenus l'an dernier venaient de l'ACDI. Le reste venait d'autres ententes bilatérales signées entre autres avec les Pays-Bas, la Norvège, la Suède, ainsi qu'avec les fondations américaines.

Le sénateur Downe : Cet argent servait-il à des projets conjoints auxquels participaient ces fondations et ces pays?

M. Medhora : Oui.

Le sénateur Downe : Votre société est-elle assujettie à la Loi sur l'accès à l'information?

M. Medhora : Oui.

Le sénateur Grafstein : Je me demande si le gouvernement a envisagé une approche différente en matière de développement, une méthode axée sur notre avantage comparatif. Nous sommes le pays le plus branché du monde. C'est nous qui avons maintenant le plus grand nombre de stations pivot. Même si le gouvernement n'est pas encore efficace et efficient, d'après les statistiques des Nations Unies, nous sommes le pays le plus informatisé du point de vue du gouvernement. Nous sommes les chefs de file des télécommunications ou de la longue distance, du service fixe et du sans fil. Nous sommes des chefs de fil dans tous les types de communication. Les communications sans fil et les communications digitales sont la clé du nouveau monde.

Dans le cas de l'Afrique, la densité totale est d'environ 10 p. 100, ou mieux, à certains endroits. Elle est un peu plus élevée en Libye, ainsi qu'en Égypte, en Algérie et dans les états méditerranéens.

Le Canada devrait envisager de prendre des mesures efficaces plutôt que de dépenser des sommes minimes qui sont englouties dans le Sahara de la pauvreté de l'Afrique. Il devrait décider de brancher deux ou trois pays. Cela pourrait se faire pour 10 millions de dollars. Je pourrais le faire moi-même par téléphone en trois mois. Je pourrais brancher le Mozambique.

M. Medhora : Je ne sais pas pourquoi nous n'avons pas tout simplement choisi un pays et décidé de le brancher.

Après le Sommet des Amériques, à Québec, il y a trois ans, le gouvernement a créé l'Institut de connectivité des Amériques. Après le Sommet du G-8, à Kananaskis, il y a deux ans, on a créé un organisme semblable, appelé Connectivity Africa. Ces deux organismes reconnaissent l'avantage comparatif que vous avez mentionné, ils se trouvent tous les deux au CRDI et ils sont également cofinancés par d'autres donateurs. Pourrions-nous faire davantage? Bien sûr.

Le sénateur Grafstein : Dépensez-vous plus d'un million de dollars pour contrebalancer le million de dollars au Mozambique?

M. Medhora : Notre programme de TIC représente un tiers de nos dépenses. Et c'est peut-être une sous-estimation, car lorsque nous prenons des mesures dans le domaine de la politique sociale et économique ou de la gestion de l'environnement, il y a là aussi un élément important de TIC.

Le sénateur Grafstein : Faisons la ventilation. Nous parlons de l'infrastructure plutôt que des ajouts. Nous ne parlons pas des ordinateurs et des téléphones. Quel pourcentage sert à l'infrastructure?

M. Medhora : Je ne connais pas les chiffres au Canada. Dans le cas du CRDI, la proportion serait faible. Nous sommes un organisme de soutien à la recherche et non un organisme de construction d'infrastructure.

[Français]

Le sénateur Corbin : Je serai bref. Je voudrais clarifier davantage les sources extérieures de financement. D'après les chiffres que vous nous avez donnés, vous recueillez environ 10 millions de dollars de ce que vous avez appelé « des bilatéraux », oui ou non?

M. Medhora : Oui.

Le sénateur Corbin : Que sont les bilatéraux? Expliquez-moi ce terme.

M. Medhora : Ce sont les agences de développement des autres pays, par exemple, de la Suède ou des Pays-Bas. Ce sont les contreparties de l'ACDI au Canada.

Le sénateur Corbin : Il y en a seulement deux?

M. Medhora : Non, il y en a plusieurs.

Le sénateur Corbin : Qui sont-elles? Avez-vous une liste?

[Traduction]

M. Medhora : L'agence suédoise de développement international, l'Agence suisse de développement et de coopération, le ministère du Développement international du Royaume-Uni, le DFID, USAID, l'Agence d'aide américaine. Nous appelons agences bilatérales toutes les agences nationales d'aide.

[Français]

Le sénateur Corbin : Pourquoi sont-elles impliquées dans ce qui est fondamentalement une agence canadienne? Est- ce que nous n'avons pas les ressources nécessaires pour suivre seul notre propre chemin? En d'autres mots, expliquez- moi cette fonction de « bilatérisme » dans laquelle vous êtes impliqués avec des partenaires à l'étranger. Vous ne l'avez pas expliquée.

[Traduction]

M. Medhora : C'est là aussi la contrepartie de ce que nous venons d'entendre. Il faut tenir pour acquis qu'il y a en Afrique une foison d'agences. L'autre aspect de la coordination consiste à regrouper les donateurs, à choisir un problème commun et à investir ensemble pour le régler.

Le sénateur Corbin : S'agit-il d'un problème ou d'un projet? Ce n'est pas la même chose.

M. Medhora : Un projet qui règle un problème.

Le sénateur Corbin : Vous parlez comme un bureaucrate. Pourriez-vous parler en anglais simple et nous dire simplement de quoi il s'agit? Je ne vous comprends pas.

[Français]

En français ou en anglais. Vous employez un langage bureaucratique qui ne nous aide pas. On nous donne des statistiques à la tonne, jour après jour. On cherche des faits, des exemples, des activités, des résultats. Pouvez-vous nous en donner?

[Traduction]

M. Medhora : Le problème, c'est qu'il y a peu de capacité d'analyser la politique économique en Afrique. Nous avons créé le Consortium pour la recherche économique en Afrique, une agence de formation et de soutien des ressources dont le siège se trouve à Nairobi. Ce consortium a été créé par le CRDI. Au fil des ans, une douzaine d'autres donateurs se sont joints à nous depuis sa création, en 1989. C'est un exemple de mon propos.

Le sénateur Corbin : C'est ce que je demande depuis le début. Donnez-moi plus d'exemples. Je veux savoir ce qu'on fait de l'argent de nos contribuables. Je veux le savoir, et vous ne m'avez pas entièrement convaincu que nous ne pouvons pas faire cavalier seul. Plus particulièrement, je ne comprends pas...

[Français]

Pourquoi y a-t-il des fondations américaines impliquées avec le Canada?

[Traduction]

M. Medhora : Si nous reconnaissons ensemble qu'il faut résoudre un problème dans le pays en développement, et si la fondation américaine, par exemple la Fondation Ford, partage les mêmes objectifs que nous, pourquoi ne pas travailler ensemble, plutôt que de mettre sur pied des projets distincts pour résoudre le problème, comme vous l'avez dit?

Le sénateur Corbin : Je suis tout à fait d'accord avec cela.

L'argent que vous obtenez des fondations est-il réservé à des fins quelconques? Sert-il à des fins précises, ou cet argent est-il versé dans un fonds commun et utilisé par ceux qui sont chargés d'administrer un projet particulier? Les donateurs bilatéraux imposent-ils des décisions, par exemple?

M. Medhora : Cela dépend. Dans certains cas, des fonds sont réservés. Autrement dit, c'est ce que nous appelons le financement de base, ce qui signifie que l'argent est versé dans un fonds commun et géré par l'ensemble des participants. C'est un cas très particulier.

Le sénateur Corbin : Vous devez comprendre, monsieur, que lorsque vous vous présentez devant le Parlement, vous devez laisser votre langue de bois au vestiaire. Cela ne nous aide pas. Nous ne sommes pas stupides, mais nous sommes ici pour régler des problèmes précis.

Dans votre exposé précédent, vous n'avez fait aucune mention de l'effet insidieux des politiques du FMI et de la Banque mondiale sur la détérioration de l'approvisionnement en aliments en Afrique. Pourquoi n'en n'avez-vous pas parlé? C'est pourtant bien connu. En êtes-vous au courant?

M. Medhora : Oui.

Le sénateur Corbin : Pourquoi ne l'avez-vous pas mentionné?

M. Medhora : Je ne suis pas certain que le problème soit à sens unique. Par contre, j'ai mentionné que les conseils de l'extérieur n'avaient pas toujours été avantageux pour l'Afrique.

Le sénateur Corbin : C'est une affirmation générale.

M. Medhora : Dans le cas de la politique alimentaire, les pays ont appliqué des politiques biaisées contre le secteur rural. En fait, dans certains cas, le FMI et la Banque mondiale ont dit qu'il faudrait augmenter le prix des entreprises agricoles afin qu'une plus grande partie des aliments soient produits au pays. Ce qu'on peut reprocher à bon nombre d'agences de ce genre, c'est de ne pas avoir été plus franc quant aux effets des politiques agricoles du nord sur les systèmes agricoles du sud. La banque et le fonds se sont récemment attaqués à ce problème, mais il aurait dû être réglé il y a des années.

Le sénateur Corbin : Oui, ils se réveillent enfin après avoir appliqué leur politique de rasage. Et où étiez-vous durant tout ce temps? N'aviez-vous pas constaté ce problème lorsqu'il a commencé à se poser? En quoi consiste votre travail?

Je m'en tiendrai à cela, mais je suis loin d'être satisfait de l'approche de votre organisation à l'égard de problèmes humains graves.

Le sénateur Eyton : Dans vos remarques préliminaires, vous avez dit qu'à moins d'obtenir un taux de croissance de plus de 5 p. 100, vous perdez votre temps. Je suppose que c'est à cause des taux de naissance élevés et de l'augmentation de la population en Afrique et ailleurs, n'est-ce pas?

M. Medhora : Oui, et aussi des faibles taux de rendement sur l'investissement national.

Le sénateur Eyton : Le mandat du CRDI est très vaste. Avez-vous essayé de réduire les taux de naissance dans les pays d'Afrique?

M. Medhora : Pas directement, non. Nous avons plutôt essayé de rehausser les niveaux d'éducation, ce qui influe sur les taux de natalité. Nous avons également fait des efforts de sensibilisation à cet égard et enfin, nous avons simplement recueilli les statistiques pertinentes. Mais nous n'avons pas pris de mesure pour favoriser une baisse des taux de natalité.

Le sénateur Eyton : J'aurais cru que la communication et des conseils de ce genre seraient une bonne solution pour réduire les taux de naissance.

Permettez-moi de revenir à la demande du sénateur Grafstein au sujet des réussites. Je viens du monde des affaires et je sais très bien que ce qui est le plus important dans toute organisation, petite ou grande, c'est d'obtenir des réussites et de construire à partir de ces réussites. Dans votre brochure, j'ai vu une phrase que je trouve décourageante. On y dit que le CRDI appuie 138 projets différents et 116 institutions dans 22 pays, le tout représentant une somme de 45 millions de dollars. Pour cela, vous avez un effectif de 250 employés à Ottawa, soit deux fois et demie plus de gens que dans les bureaux régionaux qui travaillent sur le terrain. J'aurais crû que cette formule de petites subventions éparpillées un peu partout — c'est certes une façon de créer des emplois et des heures de travail ici à Ottawa, mais je ne crois pas que c'est ainsi qu'on peut obtenir des réussites qui puissent servir d'exemples vivants pour d'autres pays.

Avez-vous envisagé de modifier votre façon de fonctionner, de vous concentrer sur moins de projets dans moins de pays, d'employer plus de gens sur le terrain et moins de personnes ici? A-t-on examiné l'orientation fondamentale du CRDI?

M. Medhora : Tout d'abord, nous avons un conseil d'administration international composé de 21 membres, dont dix non Canadiens, qui a approuvé notre programme quinquennal en novembre 2004 pour la période de 2005 à 2010, lorsque cette question s'est posée. On a augmenté la taille moyenne de nos projets. Deuxièmement, il n'est pas nécessaire d'avoir un grand projet pour démontrer quelque chose. Certaines de nos réussites sont issues d'investissements relativement faibles, de 300 000 à 400 000 dollars. Troisièmement, pour ce qui est des travailleurs sur le terrain ou à Ottawa, il ne s'agit pas de faire réaliser les projets par les gens sur le terrain et de se tourner les pouces à Ottawa. Il y a un mélange de compétences dans les deux régions. Les coûts ne sont pas nécessairement vraiment différents et il arrive qu'il soit plus coûteux d'établir un bureau sur le terrain plutôt que de faire le travail au Canada. Nous examinons constamment notre présence dans les régions et nous avons un réseau.

Par exemple, M. Schönwälder dirige une équipe de huit ou neuf personnes qui travaillent dans nos bureaux régionaux et à Ottawa. Nous avons des spécialistes régionaux dans les régions et des spécialistes sectoriels à l'administration centrale. Nos projets sont menés par des équipes. Il est difficile de déterminer quelle doit être la composition optimale de l'effectif, entre le personnel des régions et celui de l'administration centrale.

Vous avez dit que dans une entreprise, on peut mesurer les résultats par le rendement. C'est beaucoup plus difficile quand le produit est de la recherche. Nous pensons toutefois que nous avons trouvé la bonne solution à cet égard.

Le sénateur Eyton : Je pourrais le croire si vous traitiez avec des pays industrialisés dotés d'économies bien développées. Je trouve cela difficile à comprendre puisque vous travaillez avec des pays en développement qui ont des taux de pauvreté et d'analphabétisation comme ceux que l'on constate en Afrique.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Lorsque vous établissez vos priorités, à savoir dans quels pays vous irez ou sur quels projets vous travaillerez, y a-t-il des consultations avec l'ACDI, lorsque vous en venez à cibler vos interventions? Ce sont des agences canadiennes. Lorsque l'on essaie d'amener les autres pays à cibler, est-ce que nous montrons l'exemple en essayant d'en arriver à une conclusion qui pourrait optimiser nos interventions en Afrique?

[Traduction]

M. Medhora : Nous entretenons d'excellentes relations avec l'ACDI à tous les niveaux, bien que le mandat des deux organisations soit très différent. Nous nous concentrons bien davantage sur la recherche et l'analyse ainsi que sur la création de capacité. Nous représentons une proportion relativement faible de l'aide canadienne officielle — de 3,5 à 4 p. 100 au cours des deux dernières décennies. Le président de l'ACDI siège au sein de notre conseil d'administration. Il est donc notre lien le plus immédiat. Au niveau de la direction, nous avons régulièrement des échanges sur des questions de ce genre, comme le font également les collègues et le personnel des programmes. Voici quelle est la séquence habituelle : le CRDI investit dans un projet pilote, à l'étape de la recherche, et lorsque le projet prend de l'ampleur, l'ACDI peut s'en occuper.

Prenons l'exemple de la santé en Tanzanie. Le CRDI et l'ACDI ont travaillé de concert pour mettre en place des projets d'intervention essentiels en santé en Tanzanie dans deux districts. Nous travaillons maintenant ensemble, sous la direction de l'ACDI, pour voir, compte tenu de la réussite que nous avons obtenue au cours des cinq dernières années, comment ce projet pourrait être étendu à l'échelle du pays et exporté ailleurs. Nous sommes en train de mettre au point un projet semblable au Nigeria. C'est de cette façon que nous travaillons au niveau des opérations.

Le sénateur Robichaud : Mais lorsque vous mettez un projet sur pied, cela ne signifie pas nécessairement que l'ACDI continuera de le mettre en oeuvre une fois que vous en aurez démontré les résultats? Ne vaudrait-il pas mieux avoir cette garantie avant que vous entrepreniez le projet?

M. Medhora : Oui, ce serait mieux, j'en conviens, mais les temps et les priorités changent et les projets ont de longues périodes de gestation. Je travaille au CRDI, et je ne pourrais pas dire de façon certaine que l'ACDI ou une autre agence s'engagera dans nos projets dans trois ans, quatre ans ou cinq ans. Je ne pourrais vous donner cette garantie au départ de quelque projet que ce soit, puisque la recherche est foncièrement une question de réussite ou d'échec. Les résultats des recherches vous orientent vers l'une ou l'autre. Il est bien difficile de faire accepter quelque chose qui n'est pas prouvé et dont on ne connaît pas la viabilité future.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Je crois qu'il serait facile de s'engager si les résultats sont positifs. Si les résultats sont négatifs, on arrête l'exercice. Il n'est pas question d'engager des fonds si les résultats sont complètement négatifs. Mais si l'expérience est valable, on aurait au moins la certitude qu'une agence pourrait continuer l'exercice, qu'elle ne sera pas complètement perdue.

[Traduction]

M. Medhora : Oui, je comprends. Je vous ai donné l'exemple de la Tanzanie, dans lequel l'ACDI nous a dit que si nous réussissons, il faudrait faire davantage de projets de ce genre ailleurs... et c'est ce que nous faisons.

[Français]

Le sénateur Corbin : Vous nous avez dit, monsieur Medhora, que vous avez tenu la réunion du Bureau des gouverneurs l'automne dernier. Il y a combien de gouverneurs?

M. Medhora : Vingt et un.

Le sénateur Corbin : Dont dix de l'étranger?

M. Medhora : C'est exact.

Le sénateur Corbin : Combien sont d'Afrique?

M. Medhora : Deux.

Le sénateur Corbin : Qui sont-ils?

M. Medhora : Il y a Mme Lalla Ben Barka, qui est l'ex-directrice adjointe de l'UN Economic Commission for Africa. Elle est maintenant la représentante de l'UNESCO au bureau régional.

Le sénateur Corbin : Je voudrais plutôt savoir si vous avez, à votre bureau de direction, des vrais Africains, des gens de carrière, pas des représentants des organismes des Nations Unies.

M. Medhora : Oui. Mme Ben Barka est du Mali ou du Burkina. Je pense que c'est du Burkina.

Le sénateur Corbin : Oui mais elle est employée par un organisme des Nations Unies, elle ne travaille pas dans son pays. Comprenez-vous la distinction? On sait que beaucoup de gens, aux Nations Unies, à New York, gravitent autour de ce satellite. Je vous parle d'Africains impliqués sur le terrain, en Afrique, pas des gens qui travaillent dans des tours. Est-ce qu'il y a en à votre bureau des gouverneurs?

M. Medhora : Je ne suis pas convaincu que quelqu'un travaillant pour les Nations Unies, basé en Afrique, ne soit pas au courant des problèmes de l'Afrique, mais je comprends votre point de vue.

Le sénateur Corbin : Vous êtes sûr que vous m'avez compris?

Monsieur le président, nous devrions songer sérieusement à convoquer à nouveau la présidente de cet organisme. Quelqu'un doit rendre des comptes, quelqu'un doit répondre politiquement des politiques et programmes de cet organisme. J'ai beaucoup de questions à poser à ce sujet.

[Traduction]

Le président : Je comprends très bien ce que dit le sénateur Corbin, tout comme d'autres membres du comité. Il y a deux réponses à cela. Le comité ne devrait pas s'en prendre à vous alors que ces questions devraient être posées à l'ACDI, ce qui n'a pas été fait. Les membres du comité savent que le plus énorme problème en Afrique est l'agriculture, et vous l'avez à peine abordé. On pourrait se demander pourquoi après tant d'années quelqu'un reconnaît subitement que ce problème est terrible.

Nous savons que les négociations de Doha visent à corriger ce problème, mais on peut se demander comment nous en sommes arrivés là. Nous avons des gens qui sont supposés faire de la R et D, et le plus grand sujet en matière de développement, c'est qu'un énorme pourcentage de la population travaille à l'agriculture de subsistance. Voilà soudain que ces gens se trouvent en pleine catastrophe. Pourquoi a-t-on permis que cela se produise?

Deuxièmement, pour ce qui est des témoins qui ont comparu devant notre comité, nous convenons pour la plupart — et je répète que nous ne tenons pas une inquisition — que ceux qui travaillent en Afrique, les ministres africains et les agriculteurs des différents pays que nous avons entendus, nous ont présenté d'excellents témoignages. Même le ministre que nous venons d'entendre m'a dit, lorsque je parlais avec lui, que le principal produit exportable au Mozambique — le produit qui leur rapporte l'argent nécessaire pour financer des projets, car on ne peut rien faire sans revenu — est le coton. Le Mozambique produit beaucoup de coton. Nous savons tous quel est le scandale du coton, que ses prix ont été détruits par la production subventionnée. Nous avons tous lu des documents à ce sujet.

Avant que je lève la séance, vous voulez dire quelques mots, sénateur Di Nino?

Le sénateur Di Nino : Avez-vous terminé?

Le président : Oui. Tout le monde sait de quoi je parle.

Le sénateur Di Nino : Monsieur le président, permettez-moi de dire à nos témoins, sous forme d'excuses, que nous sommes nombreux à être frustrés au sein de ce comité par ce que nous entendons. Nous essayons depuis très longtemps, nous avons beaucoup donné, et pourtant il y a peu de résultat, si même il y en a. En fait, on nous dit que la pauvreté est pire que jamais. Si nous nous sommes montrés agressifs envers vous, c'est que nous faisons partie de la même organisation, du même gouvernement, des mêmes structures, et que nous pouvons prendre des libertés que nous ne pouvons nous offrir avec un ministre ou le premier ministre d'un pays.

Mon collègue a demandé à ce que nous entendions de nouveau la présidente de votre organisation. Une idée m'est venue à l'esprit et j'en ai discuté en privé avec quelques-uns de mes collègues. C'est l'idée de jumeler des pays pour que les efforts soient plus ciblés, plutôt que d'avoir une gamme de 22 pays, 128 projets et tous ces groupes qui finalement font la même chose. Vous pouvez demander à votre présidente de répondre à cette question — j'espère qu'elle viendra nous rencontrer et nous avons bien hâte de la voir. A-t-on essayé le jumelage? Est-ce une solution avantageuse? Existe- t-il des renseignements qui pourraient nous aider à répondre à cette question, que je vais lui poser? Je vous remercie.

Le président : Merci. Je remercie nos témoins qui ont été ce soir l'exutoire de notre frustration. Nous serons très heureux d'entendre la présidente du CRDI lorsque notre horaire le permettra.

La séance est levée.


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