Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 5 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 14 février 2005
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 16 h 5 pour examiner un rapport sur les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Certains sénateurs doivent bientôt arriver, il y a un autre comité qui chevauche celui-ci. Ils pourront lire le compte rendu des délibérations d'aujourd'hui.
Nous reprenons l'examen et le rapport sur les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Peter Dudding, de la Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada, et la Dre Claire Crooks, directrice adjointe du Centre scientifique de prévention du CTSM.
M. Peter M. Dudding, directeur général, Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada : Il me fait plaisir de vous rencontrer aujourd'hui et de présenter à ce comité un exposé sur les efforts et la conformité du Canada en ce qui concerne les droits et libertés des enfants et des jeunes.
C'est un sujet extrêmement important qui n'a pas reçu suffisamment d'attention.
En dépit de nos meilleures intentions, en tant que Canadiens et gouvernements, nous reconnaissons que les droits et libertés des enfants et des jeunes sont négligés, ignorés et bafoués chaque jour. Certaines de ces violations se situent à un niveau personnel ou individuel et beaucoup d'autres se situent à des niveaux systémiques et organisationnels, dans lesquels les gouvernements, les organismes gouvernementaux sont directement impliqués. Je compte, dans ma présentation d'aujourd'hui, fournir de brefs exemples de certaines de ces violations.
Je suis ici aujourd'hui pour représenter la Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada, ou LBEC. Nous sommes une organisation nationale vouée à la promotion du bien-être et de la protection de tous les enfants et des jeunes. Nous nous soucions particulièrement des enfants et des jeunes qui sont vulnérables, ceux qui sont bafoués, négligés et exploités. Ces enfants et ces jeunes qui connaissent l'exclusion, le rejet, la pauvreté, le racisme et qui ne sont pas en mesure de pleinement profiter des avantages et opportunités qu'offre la société canadienne. Nous nous intéressons particulièrement à ces enfants et ces jeunes pour lesquels sont conçus les systèmes de protection du bien-être, de l'enfance, de la santé mentale et de la justice pour les jeunes. Selon notre expérience, ces enfants sont extrêmement vulnérables.
Les droits des enfants et des jeunes sont la profession de foi qui guide notre organisation. Notre plan stratégique stipule clairement que les clauses de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant doivent être promulguées au Canada et à l'étranger afin de s'assurer que tous les enfants sont protégés et soutenus.
Les 102 organisations membres de la LBEC sont les agences de service pour l'enfance et la famille, des associations provinciales et nationales, des universités et des administrations provinciales, territoriales et fédérales. Nous avons des membres dans les 13 provinces et territoires et ensemble, nos membres servent plus de 500 000 familles chaque année.
La LBEC est membre du Forum international du bien-être de l'enfance, et de l'Alliance pour la prévention de la violence de l'Organisation mondiale de la Santé. La LBEC est aussi un des partenaires participants du Centre canadien d'excellence pour le bien-être de l'enfance.
Quels sont les problèmes? Aujourd'hui, je vais porter une attention particulière aux aspects précis touchant les enfants vulnérables et aux questions reliées aux articles 19 et 20 de la Convention relative aux droits de l'enfant, bien que mes recommandations soient d'une application plus vaste et aient une incidence sur les droits et les libertés de tous les enfants et les jeunes du Canada.
Bien que les gouvernements provinciaux, territoriaux et municipaux créent beaucoup de services pour l'enfant et à la famille, le gouvernement fédéral joue un rôle déterminant dans le financement, la législation et la politique qui ont trait à ces services. Le gouvernement fédéral a également des responsabilités exclusives et directes dans des domaines tels que la justice, l'immigration et les services aux Autochtones.
J'y reviendrai plus tard.
Maintenant, je vais brièvement vous décrire trois situations qui sont des exemples représentatifs de violations des droits qui surviennent tous les jours. Une fille de 17 ans a été battue sérieusement par un parent et été chassée de la maison. Cette jeune fille n'est pas considérée comme une enfant ayant besoin de protection par six provinces et territoires, qui n'offrent pas de protection après l'âge de 16 ans. Bien qu'elle puisse être admissible à une certaine forme de revenu de soutien par le truchement de l'assistance sociale des étudiants, si la jeune fille fréquente l'école, elle porte seule la responsabilité du logement, de ses soins et de son traitement.
Le demandeur d'asile âgé de deux ans avec sa mère, venant d'un pays de l'Afrique, à qui on a refusé, parce qu'elle est séropositive, une audience d'immigration pour motifs d'ordre humanitaire et de compassion; c'est exactement ce qu'on appelle de l'exclusion. Par la suite, elle est renvoyée à son pays d'origine sans avoir reçu de soins médicaux adéquats.
Un garçon de 12 ans atteint d'autisme profond et qui est abandonné par ses parents, parce qu'il a besoin de protection, à un organisme d'aide sociale de l'enfance. Les parents n'ont pas les moyens de lui fournir les soins spécialisés dont il a besoin et le comportement de cet enfant est tel qu'il est un danger pour ses amis, ses parents et lui- même.
On peut certainement dire que c'est ce genre de situation qui retient chaque jour l'attention des bureaux d'aide sociale pour l'enfance dans le pays. La dernière décennie a été difficile et a constitué un défi énorme pour les enfants et les jeunes vulnérables. Les services de soutien à cet élément de la population ont d'énormes difficultés à faire face à la fois au volume, au type et à la complexité des problèmes.
Le nombre estimé d'enfants et de jeunes entrant dans le système d'assistance publique a augmenté de plus de 50 p. 100 dans les 10 dernières années. Bien qu'il soit extrêmement difficile de réunir les données nationales sur les enfants confiés à des familles d'accueil, un problème auquel je reviendrai, la LBEC estime qu'ils étaient environ 40 000 en 1996. Ce chiffre avait augmenté à 66 000 en 2003. Cette tendance fait figure de baromètre du bien-être des enfants, des jeunes et des familles canadiennes, et est un indicateur de la nature des programmes sociaux de prévention du pays.
En 1998, l'« Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants », l'ECI, a été la première étude nationale sur la fréquence des cas rapportés de mauvais traitements envers les enfants, et sur les caractéristiques des enfants, des jeunes et des familles ayant été l'objet d'enquêtes des services à l'enfance et à la famille.
En bref, l'ECI a établi un chiffre estimatif de 136 000 enquêtes sur les mauvais traitements de l'enfant, ce qui donne un taux d'incidence annuel de 21,5 enquêtes par 1 000 enfants. Ce taux est nettement inférieur à celui des États-Unis, où il est de 46 sur 1 000 enfants, et supérieur à celui de la Grande-Bretagne, qui affiche un taux de 18 enquêtes par 1 000 enfants. Le type le plus fréquent de mauvais traitements était la négligence à l'égard des enfants.
Une nouvelle ECI a été menée en 2003, et nous en attendons les conclusions pour les communiquer au public, en 2005; ainsi nous pourrons déterminer la tendance nationale en matière de fréquence de mauvais traitements des enfants.
Les données publiées de l'étude complémentaire ontarienne sur la fréquence montrent qu'il y a eu 44 000 enquêtes en 1993, et elles ont atteint le nombre de 66 000 en 1998. Selon les premières constatations de l'étude de 2003, le nombre d'enquêtes a de nouveau augmenté, et considérablement. La principale catégorie recensée jusqu'à maintenant est celle des enfants témoins de violence familiale.
Le nombre d'enfants et de jeunes Autochtones placés en foyer d'accueil est disproportionné par rapport à la population. Le nombre d'enfants et de jeunes Autochtones en phase d'être placés n'a cessé d'augmenter, et la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières nations estime que ce nombre dépasse celui des enfants placés lorsque le programme des pensionnats était à son sommet. En clair, le problème du traitement des enfants, des jeunes et des familles autochtones dans le contexte de leur développement économique et social exige que le gouvernement fédéral y porte une attention particulière.
D'après la Campagne 2000, le taux de pauvreté infantile au Canada est en hausse, avec 1,065 million d'enfants qui vivent dans la pauvreté, et en 2004, le taux de pauvreté infantile a enregistré une hausse pour la première fois en six ans, atteignant 15,6 p. 100. En 2003, le gouvernement de la Colombie-Britannique a promulgué une loi permettant aux enfants de 12 ans d'avoir un travail rémunéré. Cette loi n'est pas conforme aux lois internationales qui fixent à 13 ans l'âge minimum pour avoir un emploi.
Dans cette analyse digne de foi de l'« Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes », la ELNEJ, J. Douglas Willms, de l'Université du Nouveau-Brunswick, a formulé un indice de vulnérabilité qui constitue une mesure sommaire en matière de vulnérabilité de l'enfance. Les données indiquent, selon l'ELNEJ de 1994, que 28,6 p. 100 des enfants canadiens sont considérés comme vulnérables et présentent des troubles comportementaux, affectifs ou psychologiques qui sont suffisamment graves pour susciter de l'inquiétude quant à leur fonctionnement actuel et leur développement futur. Comme l'a déclaré l'honorable sénateur Landon Pearson dans la présentation de cette étude, « nous savons que beaucoup d'enfants dans ce pays sont vulnérables et nous sommes inquiets de voir que ce chiffre semble augmenter ». Il n'y a aucune étude comparative courante basée sur des données plus récentes de l'ELNEJ pour indiquer quelle est la tendance actuelle.
En 2003, la Commission du droit du Canada a publié un rapport sur les coûts et les conséquences économiques des sévices infligés aux enfants au Canada. Selon ce rapport, d'après les données de 1998 de l'ECI, il en coûte par année à la société canadienne 15,7 milliards de dollars. Il est important de noter que c'est nettement plus que l'investissement total de 13 milliards de dollars que le gouvernement fédéral a prévu dans le Plan d'action national pour les enfants.
Enfin, le Canada n'a pas de politique nationale traitant des besoins des enfants séparés, les mineurs non accompagnés qui demandent le statut de réfugié. Bien que le nombre de demandes soit actuellement faible — il est estimé à 2 000 par année —, ce segment de la population connaît un nombre important de problèmes dont nous devons prendre conscience. Le traitement varie considérablement à travers le Canada quand il s'agit de choses comme la responsabilité de la tutelle et la prestation de services de soutien, comme le logement, la santé et l'éducation. Les chiffres augmentent chaque année au Canada et vont probablement continuer d'augmenter avec la mise en place de la nouvelle Entente sur les tiers pays sûrs entre les États-Unis et le Canada.
Ce qui est curieux, c'est qu'on remarque un taux d'abandon élevé entre la présentation d'une demande de réfugié à un point d'entrée et sa poursuite par une requête devant la Commission de l'immigration et de détermination du statut de réfugié, et personne ne sait ce qui arrive à ces jeunes qui « disparaissent ». Les 1 200 demandes dont on parlait tout à l'heure tombent à 25 ou 35 demandes faites à la Commission d'immigration, et personne ne sait ce qui est arrivé entre- temps.
Une question connexe concerne le moratoire actuel qu'applique le Canada sur l'admission des enfants et jeunes réfugiés en provenance de l'étranger qui n'ont pas de famille ou de proches parents. Dans le passé, la pratique humanitaire du Canada consistait notamment à assurer la réinstallation d'un bon nombre de ces enfants et jeunes qui sont les plus exposés aux risques, en coopération avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
La LBEC a été un intervenant dans la contestation devant le Cour suprême de la constitutionnalité de l'article 43 du Code criminel du Canada. La LBEC a fait valoir que le recours au châtiment corporel des enfants porte atteinte aux droits humains des enfants tels qu'ils sont clairement exprimés dans la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies. La décision de la Cour suprême de confirmer la constitutionnalité de l'article 43 tout en limitant les possibilités de dérogation a été une erreur. Au lieu de clarifier les choses et de fournir une protection efficace aux enfants contre les mauvais traitements, ce jugement a accru l'incertitude et causé des difficultés aux systèmes créés pour protéger les enfants contre la violence. Les résultats de recherches sur ce sujet sont clairs sur deux aspects importants. Dans les pays qui ont banni le châtiment corporel, les taux de mauvais traitement des enfants ont chuté. Par ailleurs, les enfants qui ont été élevés dans les foyers usant d'autres formes non physiques de discipline ont des conditions de vie nettement meilleures. C'est un fait scientifiquement établi.
Au cours de la dernière décennie, la réduction des capacités des programmes sociaux au Canada n'a fait qu'exacerber les inquiétudes. Les mesures d'austérité, l'absence d'objectifs et d'attentes bien définis posent problème. Le Régime d'assistance publique du Canada a été transformé en Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux en 1995, pour devenir le Transfert canadien en matière de programmes sociaux le 1er avril 2004. Cela n'a pas augmenté notre capacité de stimuler les déterminants sociaux de la santé et du bien-être pour nos enfants et nos jeunes. Aujourd'hui, nous avons beaucoup de terrain à rattraper en investissant judicieusement dans les programmes sociaux pour améliorer la qualité de vie des enfants et des jeunes. C'est maintenant notre défi le plus crucial.
Quelles sont les réussites? Il règne un climat de renouvellement et nous avons la possibilité au Canada de faire en sorte d'accorder plus d'attention et de ressources à nos programmes sociaux destinés aux enfants et aux jeunes vulnérables. L'élaboration de « Un Canada digne des enfants », le Plan d'action national du Canada pour les enfants, brosse une excellente perspective de ce qu'il est possible de réussir pour le compte de nos enfants.
Le document est complet et constitue un bon cadre pour définir les besoins à combler. Il est important que le Plan d'action national soit appuyé par le développement d'objectifs mesurables, limités dans le temps et étayés par des données, et d'en suivre la progression en se fondant sur des observations de recherches pour favoriser l'obtention des meilleurs résultats possibles pour nos enfants. Le gouvernement fédéral a engagé d'importants investissements dans ces domaines qui demandent plus de développement et de soutien et qui sont compatibles avec l'orientation nationale en matière de développement de nos enfants et de nos jeunes.
Le Projet canadien S'occuper des enfants, SOCEN, a eu l'appui de Développement social Canada. Son but est de fournir une évaluation et une planification complètes pour les enfants et les jeunes de l'assistance publique. C'est une approche du développement de l'enfant fondée sur des preuves, pour favoriser l'offre d'une bonne éducation aux enfants qui ont connu des difficultés exceptionnelles. Aujourd'hui, sept provinces et trois territoires y participent, et le Canada fait partie du groupe des 15 pays artisans de cette importante démarche.
Le SOCEN offre la possibilité de rassembler des informations extrêmement détaillées sur ce groupe de 66 000 enfants, et contrôle leur développement au fil du temps. L'« Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants » est financée par l'Agence de santé publique du Canada, l'ASPC. Ce programme crucial de contrôle et de surveillance médicale se fait sur la base d'une enquête tous les cinq ans. Cette initiative fournit des informations de base importantes pour mieux comprendre l'étendue et la nature des mauvais traitements de l'enfant au Canada. La possibilité d'accroître la fréquence de la surveillance, d'améliorer la capacité de présentation de rapports des organisations et d'établir des liens avec les systèmes d'information provinciaux, territoriaux et des collectivités contribuera à mettre fin au mauvais traitement des enfants.
Le Centre d'excellence pour la protection et le bien-être des enfants, le CEPB, est l'un des quatre centres de recherche financés par l'ASPC en vertu de son programme de Centres d'excellence pour le bien-être de l'enfant. Le Centre atteint sa dernière année de financement en 2005, et il demande un renouvellement pour cinq ans. Le Centre a assuré le leadership et il a innové pour le bien-être de l'enfant au Canada en créant une recherche sur un programme de « politiques et pratiques ». Cela a été une démarche novatrice en matière de protection de l'enfance au Canada, que de lier les universités aux organismes communautaires, d'identifier les approches fondées sur des observations et de créer la capacité de mesurer les résultats. Le CEPB a aussi créé le tout premier site de recherche des Premières nations au Manitoba. Ce projet pilote a eu beaucoup de succès et la planification pour son développement ultérieur et sa croissance se poursuivra avec l'ASPC en 2005.
Permettez-moi de parler maintenant de responsabilité et du rôle du gouvernement fédéral. À notre avis, le gouvernement fédéral joue un rôle vital dans la promotion de l'amélioration du développement des enfants et des jeunes vulnérables. Nous reconnaissons que le Canada est l'un des États fédéraux le plus décentralisés qui soient. Le rôle de leadership doit être assumé de concert avec les provinces et les territoires, et engager les gouvernements municipaux, les organisations de la société civile, les citoyens, les enfants et les jeunes ainsi que le secteur privé.
Le gouvernement fédéral a, à sa disposition, deux instruments déterminants, qui à notre avis devraient être renforcés et améliorés. Son premier rôle est d'assurer un leadership politique sur des questions importantes relatives aux enfants et aux jeunes. Ce rôle de leadership politique est la responsabilité de tous les membres du Parlement, du Sénat et du gouvernement. De plus, deux rôles de leadership spécifiques ont été identifiés : le secrétaire d'État pour les enfants et les jeunes et le conseiller spécial des droits des enfants auprès du ministère des Affaires étrangères. Le poste de secrétaire d'État a été aboli en juillet 2004. On ne sait pas exactement pourquoi le rôle de conseiller spécial des droits des enfants est limité aux Affaires étrangères et ne concerne pas les autres ministères fédéraux, et plus particulièrement ceux de la Santé, du Développement social, de la Justice, de la Citoyenneté et de l'Immigration, des Affaires indiennes et du Nord canadien, des Ressources humaines et du Développement des compétences ainsi que du Patrimoine. Il n'y a aucun ministre représentant directement les enfants et les jeunes au niveau du Cabinet. Je vais passer aux recommandations.
Quelles sont les recommandations? Tout d'abord, de créer un secrétariat pour l'enfance et la jeunesse au sein du gouvernement du Canada. Son but serait de défendre et de surveiller des dossiers particuliers, de coordonner les activités et le développement des politiques des ministères et des organismes fédéraux et d'offrir l'appui d'un secrétariat à la commission d'Un Canada digne des enfants.
La deuxième chose importante est de constituer une commission pour « Un Canada digne des enfants ». Cette commission serait composée de représentants des enfants et des jeunes, des gouvernements provinciaux et territoriaux, des ministères fédéraux, des organisations de la société civile, d'autres éminents Canadiens représentant les citoyens, ainsi que d'universitaires. J'insisterai sur une chose à ce propos : la commission aurait deux commissaires et au moins l'un d'eux serait un ou une jeune.
La troisième recommandation est de faire l'examen des rôles, des responsabilités, des mandats, du financement et du soutien pour les rôles de leadership politique en rapport avec les enfants et les jeunes au sein du gouvernement. La quatrième serait de développer une large campagne d'éducation publique pour promouvoir l'emploi d'une discipline positive et non physique dans l'éducation des enfants. Une cinquième serait d'étendre à tous les citoyens, sans distinction d'âge, la protection contre les agressions selon le Code criminel du Canada. La sixième serait d'augmenter le financement fédéral pour appuyer une grande variété d'initiatives basée sur des recherches en faveur des enfants et des jeunes vulnérables. La septième, c'est de développer des exigences d'imputabilité plus élevées pour le Transfert canadien en matière de programmes sociaux concernant les objectifs, le contrôle, les communications de rapports et les résultats. La huitième est de demander à ce que la Commission du droit du Canada mène une étude officielle sur l'application de la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies à la loi canadienne, y compris la Charte des droits et libertés et à toute législation provinciale et territoriale pertinente. Cette étude fournira des recommandations sur la manière d'intégrer le CDE dans la loi canadienne.
Mme Claire Crooks, directrice adjointe, Centre scientifique de prévention du CTSM, Centre de toxicomanie et de santé mentale, CTSM : Les observations de M. Dudding au sujet des groupes d'enfants vulnérables du Canada font une excellente toile de fond pour mon exposé. Il porte sur un groupe particulier de jeunes vulnérables du Canada, ce demi- million d'enfants canadiens qui vivent dans climat de violence familiale et qui en portent les séquelles, et met particulièrement l'accent sur ce qui arrive à ces enfants après le divorce ou la séparation de leurs parents.
Je vais brièvement parler du manque de cohésion entre l'orientation actuelle de l'approche concernant la séparation et le divorce et les besoins de ce groupe particulier d'enfants. Je proposerai ensuite trois types de solutions dont ce pays a besoin pour remplir ses obligations en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.
Les dispositions les plus pertinentes de cette convention sont le paragraphe 3.1, qui souligne les meilleurs intérêts de l'enfant comme étant un facteur principal à tenir en compte dans la prise de décision; le paragraphe 3.2, qui garantit la protection de l'enfant, et les paragraphes 9.1 et 9.3, qui protègent les rapports de l'enfant avec ses parents, sauf dans le cas de violence ou de négligence et quand les intérêts de l'enfant exigent qu'il en soit autrement.
L'une des complications que présente la prise de décision dans le contexte de la violence familiale, c'est que ces trois clauses sont mal soutenus, dans le même domaine, pour avoir de la force. C'est un domaine qui exige une analyse complexe et des solutions complexes, et des solutions trop simplistes continueront d'être mal pensées et mal administrées.
J'aimerais commencer par faire ressortir certains changements qu'a connus l'attitude générale des Canadiens à l'égard de la séparation et du divorce. En vertu de mesures adoptées par la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies, qui insiste sur les meilleurs intérêts de l'enfant et son droit de ne pas être séparé de ses parents, un virage s'est amorcé vers des mesures législatives plus axées sur la collaboration et des solutions plus amicales, un accent plus prononcé sur la médiation entre parents pour régler à l'amiable les questions de garde, et prévenir les répercussions émotionnelles et financières d'un procès.
Pour bien des enfants canadiens, ces solutions les ont aidés à préserver leurs relations avec leurs deux parents à la suite d'une séparation ou d'un divorce. Plus que jamais auparavant, on accorde aux pères la garde ou la garde partagée des enfants et ils continuent à s'impliquer activement dans la vie de leurs enfants après la séparation. Encore une fois, pour la plupart des enfants dont les parents se séparent, il y a de merveilleuses initiatives et une hausse réelle de leur qualité de vie après la séparation.
Les modifications proposées à la Loi sur le divorce, qui n'ont jamais été promulguées, affichent cette même tendance vers la collaboration et s'éloignent de la notion de garde pour la remplacer par un concept de rôle partagé des parents.
Bien que ces orientations soient, de façon générale, positives pour la majorité des enfants dont les parents se séparent, elles ne parviennent pas à protéger les intérêts des enfants dont les parents ont des antécédents de violence familiale.
Je vais brièvement parler de tout cet autre domaine de la recherche et de la sensibilisation clinique qui a pris de l'ampleur depuis une vingtaine d'années, et il s'agit des effets de la violence familiale sur les enfants. Les recherches ont démontré que malgré un éventail de résultats chez ces enfants, eu égard à leur exposition à la violence familiale, le résultat d'ensemble est négatif. Les enfants témoins d'actes d'agression d'un parent à l'égard de l'autre, et du climat qui s'ensuit, manifestent une gamme de symptômes négatifs, dont le trauma, la dépression, les troubles du comportement internalisé, comme l'anxiété et la dépression, les troubles du comportement externalisé, les troubles du sommeil, les difficultés à l'école et dans leurs relations sociales.
Nous en sommes venus à comprendre que bien de ces enfants s'en tirent tout aussi mal que ceux qui sont directement agressés. On a fini par reconnaître que ces enfants sont vulnérables, et qu'ils ont besoin de protection, et c'est en fait ce que leur promet la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies.
C'est là qu'apparaît une certaine incohérence. D'un côté, le divorce prend un virage vers des lois favorables à la collaboration, la médiation et la garde partagée. D'un autre côté on reconnaît, tant dans le milieu de la recherche que dans le milieu clinique, la dévastation subie par les enfants témoins d'actes d'agression physique d'un parent envers l'autre, et ces deux phénomènes ont été reconnus de façon indépendante.
De toute évidence, il faut tenir en compte le point de rencontre de ces deux phénomènes. Qu'arrive-t-il aux enfants qui ont vécu dans des familles où il y a de la violence familiale après la séparation de leurs parents? Dans l'état actuel des choses, une mère qui quitte un conjoint violent afin de protéger sa fille de huit ans, pour que celle-ci n'aie plus à s'enfermer dans la salle de bain pour composer le 911 pendant que sa mère est agressée pourrait négocier les responsabilités parentales avec l'auteur de la violence. Elle pourrait donc être exposée encore à d'autres actes de harcèlement et de violence tous les mercredis soirs et une fin de semaine sur deux lorsqu'elle accompagne sa fille. Ce sont ces enfants-là qui, je le soutiens, ont besoin de plus de protection si le Canada veut s'acquitter pleinement de son obligation dictée par la convention des Nations Unies.
Pour comprendre en quoi la violence familiale est un facteurs tellement pertinent au moment de prendre un décision au sujet de la garde d'enfants, il convient d'examiner deux mythes entourant la violence conjugale et la séparation. Le premier mythe est que la violence conjugale envers les femmes s'arrête après la séparation. On pense ceci : on sait qu'il y avait des abus et de la violence dans cette famille, mais maintenant que les parents sont séparés, pourquoi en parle-t-on encore? La réalité c'est que bien souvent, la violence familiale ne cesse pas après la séparation. Tout au contraire, ce peut-être un signal pour l'auteur des agressions d'intensifier ses tentatives pour contrôler ou punir une conjointe qui essaie de le quitter.
Selon Statistique Canada, environ une victime sur quatre affirme que la violence ne fait que s'aggraver après la séparation. La nécessité des rencontres entre les parents séparés, en vertu des droits de visite, peut offrir des occasions de harcèlement et d'agressions.
La séparation est aussi la période la plus dangereuse pour une femme qui quitte un partenaire agressif. La violence conjugale et les homicides sont intimement liés, et les statistiques nationales des États-Unis et du Canada démontrent que les femmes les plus à risque d'être tuées sont celles dont l'ex-conjoint a des antécédents de violence familiale.
Plusieurs comités de révision des crimes commis à la suite d'actes de violence familiale ont été créés aux États-Unis ainsi qu'au Canada, en Ontario, sous les auspices du Bureau du coroner en chef de l'Ontario. Ces comités passent en revue des tragédies familiales pour essayer d'en tirer des leçons et de trouver des moyens d'en prévenir d'autres. Il est incroyable que dans presque tous les dossiers examinés, les enfants sont en cause, soit comme témoins ou à tout le moins en perdant la personne qui s'occupe le plus d'eux, et dans certains cas, ils deviennent directement les victimes de meurtres liés à la violence familiale. Il arrive même que sans qu'il y ait eu des antécédent de violence à l'égard des enfants, ceux-ci soient tués, devenant un instrument de contrôle ultime sur un partenaire adulte.
Le deuxième mythe est que les enfants qui ne sont pas directement impliqués dans les actes de violence n'en sont pas affectés. On croit encore au mythe selon lequel une personne peut être un mauvais conjoint et bon parent. Toutes sortes de recherches menées démontrent que ce n'est tout simplement pas vrai.
Les enfants sont touchés de façon continue et de nombreuses façons. Ils peuvent continuer d'être exposés à diverses formes de violence et de harcèlement criminel quand ils sont raccompagnés chez l'autre parent. Ils peuvent vivre avec un parent qui est terrorisé par l'autre, ce qui se répercute sur leur sécurité émotionnelle. Ils peuvent continuer d'être exposés à l'auteur de la violence familiale, est un piètre exemple de rapports sains. En outre, ils peuvent servir d'instruments de violence continue. J'ai vu dans des évaluations cliniques que les enfants sont amenés à surveiller les allées et venues d'un parent pour le compte de l'autre et à lui faire des rapports. La violence émotive qu'exerce ce genre de comportement est terrible pour les enfants qui sont appelés à être des espions dans la maison d'un parent.
De plus, les enfants exposés à la violence conjugale risquent d'en devenir eux-mêmes victimes parce qu'il y a un grand chevauchement entre ces formes de mauvais traitements. Plusieurs études ont démontré que le degré de chevauchement est entre 30 et 60 p. 100, donc s'il y a violence dans la famille, il y a de 30 à 60 p. 100 de risques que les enfants soient aussi directement agressés.
Enfin, ces enfants vulnérables peuvent aussi subir des répercussions négatives sur une longue durée, découlant de leur passage dans la mécanique juridique. Bien des auteurs d'actes violents utilisent un procès devant un tribunal comme forme de contrôle et d'agression contre l'ex-partenaire.
J'ai décrit brièvement les façons par lesquelles notre système ne protège pas ces enfants vulnérables. Maintenant, je vais passer aux solutions. Il y a trois types de solutions nécessaires : les changements législatifs, la formation et les ressources de collaboration.
Actuellement, la Nouvelle-Zélande et la moitié des États des États-Unis ont conçu ce qu'on appelle une présomption réfutable contre l'attribution de la garde partagée ou exclusive à l'auteur de la violence. Cela veut tout simplement dire que le juge n'accorde pas le droit à la garde partagée ou exclusive aux conjoints violents, à moins qu'il y ait suffisamment de raisons pour infirmer la présomption. Le fardeau de la preuve se déplace vers le conjoint violent et c'est à lui de démontrer que les enfants seront en sécurité, quelle que soit l'entente parentale qui en découlera.
Bien que la présomption réfutable puisse être le scénario le plus optimiste, le Canada doit à tout le moins adopter des mesures législatives pour que la violence familiale soit obligatoirement un facteur examiné dans les décisions relatives à la garde des enfants. En faisant de la violence familiale une présomption réfutable ou un facteur qui doit être tenu en compte, nous éliminerons un élément aléatoire de la situation actuelle.
La sécurité des enfants ne devrait pas dépendre de l'intervention ou non dans leur cas d'évaluateurs de garde, d'avocats ou de juges qui comprennent les incidences de la violence familiale. Tel qu'est le système maintenant, l'assignation à un certain dossier se fait un peu à la courte paille.
L'une des inquiétudes exprimées, au sujet de l'adoption de quelque chose comme la présomption réfutable, c'est que dans une certaine mesure, on crée une arme trop puissante pour les différends relatifs à la garde des enfants, et les gens s'inquiètent des risques de fausses allégations. Je voudrais rappeler au comité que d'après les conclusions de notre enquête nationale, un tiers seulement des victimes de violence familiale le déclarent à la police, et tout porte à croire que la violence familiale est largement passée sous silence. M. Nicolas Bala, de l'Université Queen's, a aussi fait quelques recherches, dont la conclusion est que le nombre de véritables fausses allégations est infime.
Sans une formation et une planification adéquates, les nouvelles lois deviennent, au mieux, sans effet et, au pire, elles ont des résultats négatifs incompatibles avec les règlements de la Convention des États-Unis. Je peux donner, en quelques mots, l'exemple de l'État du Minnesota, qui a adopté une loi pour faire de l'exposition à la violence conjugale un motif de protection de l'enfant.
Reconnaissant que les enfants exposés à la violence conjugale peuvent être tout aussi perturbés que ceux qui sont eux-mêmes agressés, le Minnesota a adopté une loi qui en fait un motif suffisant pour justifier leur protection. Malheureusement, cela s'est fait sans constituer une capacité du système permettant de comprendre quels enfants et quelles familles devraient être intégrés au cadre de protection de l'enfant.
La loi a été promulguée. Le nombre d'enfants mis en foyer a doublé. Tout cela a complètement submergé le système et la loi a dû être révoquée, et alors ce qui peut sembler avoir été une mauvaise loi n'est peut-être qu'une loi qui a été promulguée sans le soutien d'une infrastructure pouvant assurer sa mise en œuvre de façon appropriée.
Il y a d'excellents exemples de bonne formation dans le domaine. La Californie impose 16 heures par année de formation sur la violence familiale à tout évaluateur de garde; c'est 12 heures de cours et quatre heures sous forme de service de visite des victimes, des agresseurs et des enfants. Aux États-Unis, le National Council of Juvenile and Family Court Judges offre régulièrement aux juges l'occasion de parfaire leurs compétences lorsqu'ils ont affaire à de complexes cas de violence conjugale. Tout cela doit se faire en même temps, parce que les dossiers sont très complexes, et sans un entendement complexe, les solutions seront sans effet.
Enfin, pour ce qui est des ressources de collaboration, les tribunaux ne sont efficaces que dans la mesure où des services communautaires essentiels sont fournis. Pour que les enfants puissent entretenir des relations saines et permanentes avec l'auteur de l'agression, il est indispensable d'avoir des centres d'accès surveillé, d'offrir un programme de traitement à l'agresseur qui aborde les problèmes de la perpétration de la violence familiale et du rôle de parent, et d'offrir aussi des programmes de consultation pour enfants. Sans ces services, les communautés font de leur mieux, mais ce sont les enfants qui écopent.
Dans mes travaux cliniques, en ma qualité d'évaluateur de la garde, j'ai vu des voisins, des proches ou des paroissiens remplis de bonne volonté tenter de combler les lacunes quand il n'y a pas de centres d'accès surveillé adéquats, mais ils n'ont ni la formation, ni l'information nécessaire. Dans certains cas, la famille ou les paroissiens supervisent un cas sans savoir ce qu'ils sont censés superviser, et les enfants et leur principal gardien sont exposés à d'autres actes de violence.
Pour terminer, le virage vers la médiation, l'éducation des parents, la loi de collaboration, la garde partagée et les arrangements de coopération entre parents ont été bénéfiques pour bien des enfants. Malheureusement, ce vaste mouvement laisse dans une situation très vulnérable un demi million d'enfants qui ont vu un parent agresser l'autre, particulièrement au moment de la séparation et par la suite. Quand il y a des antécédents de violence familiale, il faut pour y remédier des solutions très différentes, qui reconnaissent que les enfants peuvent se retrouver sur le front d'une guerre perpétuelle.
Bien trop souvent, les médias dépeignent la controverse sur les décisions liées à la garde comme une lutte entre les groupes de défense des droits des pères et les défenseurs des mères. Mon message, aujourd'hui, c'est que les décisions prises relativement à la garde dans le contexte de la violence familiale n'ont rien à voir avec les droits des mères ou des pères. Il s'agit du droit fondamental des enfants à la protection et à la sécurité, qui est inextricablement lié à la protection et à la sécurité de leur principal gardien. Ce droit fondamental est stipulé dans la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies, et j'espère que le comité saura en tenir compte lorsqu'il fera ses recommandations.
La présidente : Monsieur Dudding, vous avez parlé de plusieurs domaines et de plusieurs enjeux, notamment en ce qui concerne le Code criminel.
Nous essayons de déterminer comment les instruments internationaux, et la Convention relative aux droits de l'enfant, surtout, peuvent nous aider à défendre les droits des enfants au Canada. Bien que la Convention ait été signée et ratifiée, il n'y a pas de clause d'habilitation singulière lui donnant qualité de loi. Parfois c'est une directive morale et d'autres fois, c'est une disposition de la loi.
Est-ce que vous croyez vraiment que le fait d'imposer la Convention au moyen de la loi donnerait plus de pouvoir aux gens qui travaillent dans le domaine avec les enfants, aux défenseurs et, par leur biais, aux enfants? Parlons-nous ici d'éducation et de virage dans la culture et les valeurs de notre société pour mieux protéger les enfants et leurs droits? Est-ce que ce sur quoi vous voulez insister, c'est une structure légaliste ou médiatrice?
M. Dudding : Voilà une question très importante. Je répondrai, je pense, les deux. Certainement, lorsque je pense, par exemple, au type de violation fondamentale entourant ce problème des jeunes de 16 ans et à leur besoin de protection, c'est une situation qui, selon moi, exige une solution légaliste. Cependant, nous savons aussi que même dans certains territoires, par exemple, où la loi peut offrir une protection aux jeunes de 18 ou 19 ans, en général, la pratique consiste tout de même à dire non, débrouillez-vous seul ailleurs, parce que la réalité veut que le système manque soit de la formation ou du type de ressources approprié pour intervenir comme il le faudrait pour ces jeunes là.
Cela m'amène à suggérer, pour que toute loi ou concept juridique puisse se réaliser, que nous devons nous assurer de comprendre la situation comme il le faut, d'avoir la bonne attitude, une formation appropriée et des ressources suffisantes pour appuyer ce genre de chose.
Il faut un cadre. Au risque de répéter des témoignages antérieurs, je dirai que la question est de savoir comment nous allons appliquer la Convention relativement aux droits de l'enfant et la concrétiser dans notre pays; c'est un défi que nous devons affronter et relever plutôt que de tout simplement lever les épaules en disant : « Eh bien, c'est ainsi. »
Le sénateur Oliver : Je tiens à vous remercier toutes deux de vos excellentes présentations. J'avais une question à poser à chacun de vous. Tout d'abord, à la page 5, vous parlez du rôle du législateur fédéral. Vous finissez par dire qu'il n'y a pas de ministre dévoué aux intérêts des enfants. Cependant, plus tôt, vous avez parlé du fait qu'au Canada, dans notre régime fédéral, le gouvernement fédéral a autorité sur certaines questions, les provinces sur d'autres, et les municipalités sur d'autres encore. Il faut de la coopération et de la coordination pour que tous les trois parviennent à trouver une réponse définitive à bon nombre de préoccupations que vous avez soulevées.
Vous avez surtout parlé de ce qui est nécessaire pour assurer un leadership politique. Pouvez-vous mieux expliquer ce que vous entendez par leadership politique? Notre rôle principal, au Sénat, c'est de décider de politiques publiques. En quoi et comment est-ce que cela se rapporte-t-il à ce que vous appelez le leadership politique? De quelle façon voulez-vous que nous assurions un leadership, d'après ce que vous savez de notre principale fonction? Est-ce que vous suggérez de tout simplement créer d'autres lois? Est-ce que c'est ce que vous entendez par leadership politique, ou y a-t- il autre chose?
M. Dudding : La définition du leadership politique, telle que je la vois, tout d'abord, c'est qu'il est important d'investir certaines personnes de responsabilités au niveau politique. Je dirais qu'il y a deux rôles importants, celui du secrétaire d'État pour l'enfance et la jeunesse, et l'autre est celui du rôle de conseiller spécial. Cela n'enlève rien à la responsabilité des autres, mais il serait important d'avoir ce genre de rôle de leadership visible au sein du gouvernement.
Le deuxième élément, après réflexion, c'est, en raison de l'importance de constituer un cadre, la notion de la commission pour « Un Canada digne des enfants »; il faut ce genre de discussion continue et focalisée, et créer des mécanismes de surveillance et de reddition des comptes, si on veut, sur toutes les questions liées aux enfants et aux jeunes. Ce serait un autre moyen de démontrer ce genre de leadership.
Le sénateur Oliver : Je suppose que la création d'un comité comme celui-ci au Sénat et d'un autre du même genre à la Chambre des communes, pour surveiller cette situation et en discuter de façon continue, pourrait aussi être une autre démonstration de ce genre de leadership?
M. Dudding : Certainement, je suis tout à fait d'accord.
Le sénateur Oliver : J'aimerais passer à la question de la présomption réfutable, si vous permettez. C'est un concept intéressant, mais qui repose entièrement sur la preuve. Je m'explique. Si la présomption peut être réfutée, s'il y a assez de motifs pour réfuter la présomption, et l'une des présomptions est que les enfants seront en sécurité, ce que je voudrais savoir, c'est quel genre de preuve vous faudrait-il? Si un père a été agressif, par exemple, quel genre de preuve faut-il? Lorsque le père va à la barre et dit : « Je ne le ferai plus », est-ce que cela suffit pour réfuter la présomption? Quel genre de preuve faut-il pour la réfuter?
Mme Crooks : C'est une excellente question. Elle illustre vraiment bien la nécessité de renforcer la capacité du système. Il faut des juges et des évaluateurs de la garde qui peuvent composer avec des enjeux réellement complexes. La présomption réfutable peut être infirmée à la lumière des caractéristiques des actes d'agression. Par exemple, si quelqu'un a poussé l'autre au moment de la séparation, ça ne lui ressemble pas, et ça ne devrait pas se reproduire. Un agresseur admet sa responsabilité. Ce genre de chose peut être tenu en compte. Quelqu'un qui dit : « Non je ne le ferai plus », n'est pas forcément très convaincant.
L'autre chose, c'est qu'il faut un système où tout le monde peut faire une évaluation continue des risques. Le juge ou l'évaluateur de la garde doit connaître les grands facteurs de risque pouvant constituer un danger. Il faut des gens qui savent que lorsque quelqu'un enfreint une ordonnance de probation ou de protection, c'est sérieux et il faut traiter la chose comme telle. Si quelqu'un enfreint une ordonnance de protection, peu importe ce qu'il dit devant le tribunal. C'est vraiment un avertissement grave.
Le sénateur Oliver : Personne ne va prétendre le contraire.
Mme Crooks : Non, et il n'existe pas actuellement une capacité globale pour tenir ces délibérations complexes dans l'ensemble du système. Les gens ne sont pas à l'aise lorsqu'il faut se fier aux allégations de la personne se disant victime de mauvais traitements. Cela devient la parole de l'un contre celle de l'autre. On a besoin d'évaluateurs et de juges compétents pour appliquer un tel système.
Le sénateur Oliver : Monsieur Dudding, lorsqu'on effectue des recherches sur un sujet important, on commence par l'examen de la documentation disponible. On veut savoir ce qui s'est fait ailleurs dans des circonstances semblables et des choses de ce genre. Pour ce qui est du leadership politique et de la prise en charge de l'engagement par un ministre du Cabinet, quelles ont été les mesures prises par d'autres gouvernements? Lesquels devrions-nous chercher à imiter?
M. Dudding : Je n'ai pas une réponse toute prête pour vous. C'est une très bonne question, sénateur. Je peux seulement vous dire que j'ai l'impression que la plupart des gouvernements ont désigné un ministre responsable pour ces questions, mais je ne pourrais pas vous préciser quel ministre exactement et à quel titre.
Le sénateur Pearson : Monsieur Dudding, ma première question concerne votre exemple de cette jeune de 17 ans qui a été chassée de la maison. Je sais que c'est un phénomène qui préoccupe beaucoup les intervenants en service d'aide à l'enfance, notamment. Recommanderiez-vous que nous mettions tout en oeuvre pour favoriser l'adoption uniforme de l'âge de 18 ans pour assurer la conformité avec la Convention relative aux droits de l'enfant qui désigne comme enfant toute personne de moins de 18 ans? Le cas échéant, de quelle façon croyez-vous que nous devrions procéder?
M. Dudding : Je vais d'abord répondre à la portion simple de votre question. L'âge de 18 ans est effectivement celui fixé par la convention. Nous croyons que c'est l'âge qui convient.
Pour ce qui est de la portion plus complexe concernant la façon de procéder, nous sommes conscients que les gouvernements provinciaux ont leurs propres sphères de compétence à ce chapitre.
C'est pour cette raison que je préconise la création d'une commission pour « Un Canada digne des enfants » qui offrirait une tribune pour soumettre ce genre de questions et en débattre. Je ne crois pas qu'il soit très satisfaisant de compter sur la moralité, la pression des pairs et ce genre d'obligations pour faire avancer ces dossiers à l'échelon provincial. Cependant, compte tenu de notre situation d'état fédéral, il est probable que les choses se déroulent aussi bien que possible dans le contexte actuel.
Si on veut appliquer cette définition des moins de 18 ans, il faut également reconnaître que les ressources et les services nécessaires devront être mis en place pour venir en aide aux jeunes de 17 et 18 ans. Sinon, nous pourrions envenimer la situation.
J'ai vu bien des cas où des organismes locaux d'aide à l'enfance sont intervenus pour assister des adolescents en difficulté. Ces organismes n'offraient pas les services appropriés et se sont retrouvés à faire plus de mal que de bien.
Le sénateur Pearson : C'est un point qui a été soulevé également par la Dre Crooks. Lorsque nous proposons des modifications législatives ou réglementaires, nous devons nous assurer que les mécanismes sont en place pour venir en aide aux personnes visées par ces changements. Il est bien évident qu'à titre de coprésidente du Comité sur la garde et le droit de visite des enfants, je me suis intéressé de près à vos commentaires qui faisaient vraiment écho à quelques-unes des observations que nous avons entendues dans les différentes régions du Canada au sujet de cette question précise. À notre réunion de Stockholm, où il existe une présomption de garde partagée, nous avons été surpris de constater que les autorités se penchaient sérieusement sur la question pour déterminer si les meilleurs intérêts des enfants étaient bel et bien servis.
Je ne vais pas vous poser de question, mais je vais vous remercier pour votre exposé. On reconnaît de plus en plus les problèmes causés aux enfants qui sont témoins de violence. Peut-être pourrais-je vous poser une question en votre qualité de psychologue. Croyez-vous que l'âge minimal devrait être abaissé? Selon moi, tous les enfants, y compris les tout jeunes, devraient être inclus. Qu'auriez-vous à nous dire au sujet des très jeunes enfants qui sont exposés à ce genre de comportements?
Mme Crooks : Sénateur, vous me rappelez que je voulais demander l'autorisation de distribuer deux documents. J'ai apporté avec moi 25 copies de deux articles. L'un d'eux porte sur les répercussions juridiques et stratégiques des changements législatifs, mais ces documents sont en anglais seulement.
La présidente : Les témoins peuvent s'adresser à nous dans leur langue et vous pouvez nous fournir vos documents que nous allons faire traduire et distribuer.
Mme Crooks : Vous avez soulevé une question importante. Les enfants qui sont trop jeunes pour se rappeler ou comprendre ce qui se passe sont-ils affectés par la violence dans leur foyer ou dans leur communauté? Il ne fait aucun doute que la réponse est oui; le développement neurologique de ces enfants est affecté de différentes façons vraiment inquiétantes. Il existe des preuves probantes des effets ressentis par le cerveau d'un enfant qui est constamment en situation de stress et qu'on ne réconforte jamais. Du point de vue du développement, les enfants sont touchés différemment selon leur âge, mais ils sont tous affectés. Les très jeunes enfants ressentent également des effets au chapitre de l'établissement de liens sûrs et solides avec les adultes qui leur dispensent des soins. C'est d'ailleurs la tâche principale d'un jeune enfant. Ces liens solides sont le fondement de leur perception du monde et de la façon dont ils établissent d'autres relations. Pour créer de tels liens avec un jeune enfant, il faut répondre à ses besoins. Si un jeune enfant est exposé à beaucoup de cris et de disputes, il se retrouve en situation de détresse et éprouve de la difficulté à dormir, d'autant plus que le pourvoyeur de soins ne lui procure pas un réconfort suffisant. Il n'est pas nécessaire que les enfants se souviennent d'un événement pour que celui-ci les affecte.
Le sénateur Carstairs : De toute évidence, vos statistiques ne sont pas vraiment réjouissantes. Je me demande parfois si les statistiques ne s'aggravent pas uniquement parce que nous sommes davantage au courant des traitements infligés aux enfants, ou bien si la situation se détériore vraiment. Il y a actuellement plus d'enfants en famille d'accueil que jamais auparavant; cela ne fait aucun doute. Se retrouvent-ils en famille d'accueil alors qu'il y a 25 ans, on les aurait laisser, à leur détriment, au sein de leurs familles respectives, ou y a-t-il vraiment plus d'enfants qui ont besoin des soins d'une famille d'accueil? Comment peut-on y voir plus clair?
M. Dudding : Ma réponse est oui dans les deux cas. Il est bien certain que nos attitudes et nos points de vue relativement à ce qui constitue un risque ou un danger pour nos enfants a évolué et continuera d'évoluer. À bien des égards, nous voyons cela de façon favorable. Nous avons constaté et reconnu que le filet de sécurité sociale du Canada s'est effiloché. Cette détérioration a affecté beaucoup de gens mais, bien évidemment, ce sont les personnes vulnérables qui en ont proportionnellement le plus souffert. Cette affirmation est également vraie. Il s'agit de démêler tout cela, ce qui nous amène à nous interroger quant aux objectifs à viser. Le nombre croissant d'enfants confiés aux services publics nous place devant l'obligation de leur offrir une aide plus efficace.
Le nombre de foyers d'accueil n'a pas augmenté proportionnellement à la quantité d'enfants confiés à ces services. Il y a un fossé entre les torts causés aux enfants et notre capacité de mieux faire pour leur venir en aide. C'est une autre source de préoccupation.
Le sénateur Carstairs : Docteure Crooks, j'ai trouvé intéressante la brève analogie que vous avez faite entre les foyers où il y a violence familiale et les mauvais traitements qui en découlent pour les enfants. Avez-vous effectué, ou comptez-vous réaliser, d'autres recherches relativement à cette corrélation directe? Je crois que dans un foyer où il y a violence familiale, il y a très peu de chances que les enfants réussissent à l'esquiver, surtout s'ils s'y trouvent mêlés, et il est difficile pour les enfants de ne pas s'y retrouver mêlés. Les enfants ont la capacité innée d'être toujours présents au cœur des événements.
Mme Crooks : Il y a certains faits importants à connaître à ce sujet. Jeffrey Edleson, de l'Université du Minnesota, a réalisé quelques-uns des travaux les plus intéressants dans ce domaine en examinant les façons dont les enfants sont touchés, et les perceptions des parents à cet égard — les parents pensent le plus souvent que les enfants dorment. M. Edleson a mené un sondage téléphonique auprès d'enfants exposés à la violence familiale et découvert un large éventail de manières dont ils peuvent être touchés. Le recoupement se situant entre 30 p. 100 et 60 p. 100 est fondé sur l'examen de plusieurs études portant sur la violence physique. Bien des gens, et je m'inclus dans le lot, soutiendraient que les enfants sont victimes de mauvais traitements émotifs dans 100 p. 100 des cas où l'un des parents agresse l'autre. Toutes ces statistiques dépendent des faits rapportés et des instances qui en sont saisies. Je fais également partie d'un groupe qui a mis sur pied l'un des premiers programmes destinés aux pères violents. Un projet pilote est en cours dans différentes régions de l'Ontario et des États-Unis. Nous avons constaté que ces pères étaient généralement aiguillés vers le groupe par une Société d'aide à l'enfance en raison de leur comportement violent. Dans le contexte de notre travail, il apparaît évident que la violence n'est pas aussi différenciée que cela. Lorsqu'un incident est signalé, il devient clair qu'il existe également une différence entre les victimes officiellement reconnues et les événements qui se déroulent au sein de la famille. Tous ces éléments sont bien sûr interreliés.
[Français]
Le sénateur Losier-Cool : Ma question s'adresse à M. Dudding. Aux pages sept et huit de votre présentation on retrouve les recommandations au comité. Je ne sais pas si vous préféreriez que le comité choisisse une de ces huit recommandations, parce que bien souvent il faut se créer une priorité, si je puis dire. La recommandation que je préfère est certainement celle au numéro deux, qui mentionne la création d'une commission.
Je voudrais que vous me démontriez la différence entre la commission et le secrétariat. D'après ma lecture de la recommandation, le secrétariat pourrait alimenter la commission, lui fournir des services. Je préférerais la création d'une commission parce que celle-ci répondrait au Parlement et serait appuyée par une législation. Et étant appuyée par la législation, la commission serait soumise aux autres lois du Canada et à la Loi sur les langues officielles. Les jeunes enfants en situation minoritaire au Canada auraient droit aux commissions.
Le mandat de cette commission serait d'examiner tous les sujets concernant les enfants. Quand vous aurez examiné tous ces sujets, quels seraient les moyens de pression que la commission pourrait avoir?
[Traduction]
M. Dudding : Il y a deux parties à votre question; j'aimerais d'abord dire qu'à mon point de vue, la deuxième recommandation visant la création d'une commission est — je serais d'accord avec le sénateur à ce sujet — beaucoup plus importante si l'on veut donner la visibilité voulue à ce dossier primordial pour nous tous.
Selon moi, la première recommandation concernant le secrétariat est davantage d'ordre administratif. Je ne voudrais pas en diminuer l'importance, mais il s'agit de coordonner les interventions du gouvernement fédéral et de ses ministères et de prendre les mesures qui s'imposent dans les dossiers de défense des droits relevant uniquement des instances fédérales. En comparant les deux, on constate qu'une commission aurait un mandat législatif beaucoup plus large qu'un secrétariat.
La deuxième partie de la question est plus complexe. Soit dit en passant, si la commission se voyait confier le mandat prévu dans ce document, elle aurait du pain sur la planche au moins jusqu'en 2015. Je crois que c'est suffisant pour me permettre de travailler à mon aise. D'autant plus que je sais qu'il y aura encore du travail en 2016.
Plus important encore, il faut régler le principal problème qui se pose à nous dans le contexte d'un État fédéral quant à la façon de cibler les différentes responsabilités. Il n'y a pas de solution simple à cet égard. Les discussions tenues vendredi dernier concernant le programme de garde d'enfants nous montrent bien à quel point ces dossiers sont complexes.
La clé, c'est de s'assurer la participation de toutes les provinces et tous les territoires, comme nous l'avons fait de façon relativement satisfaisante avec le conseil des soins de santé, en leur confiant un rôle dans les discussions ainsi qu'un mandat permanent. Il conviendrait d'utiliser le même genre de modèle ou d'approche avec la commission proposée de manière à maintenir de façon permanente les pressions en faveur d'un alignement des autres gouvernements.
L'autre question concernant les aspects plus juridiques de l'application de la convention nous amènerait certes à notre huitième recommandation relativement au rôle de la Commission du droit. Une telle étude nous aiderait tous à mieux comprendre les rôles fédéraux et provinciaux pouvant être invoqués au titre des questions d'ordre juridique touchant l'application de la convention.
Le sénateur Poy : J'ai une question pour Mme Crooks. Pourriez-vous nous faire part de vos impressions relativement à la décision de la Cour suprême au sujet de l'article 43 du Code criminel touchant les châtiments corporels à l'égard des enfants? Que pensez-vous de cette décision?
Mme Crooks : Pour ce qui est des châtiments corporels, je pense qu'on a demandé tout à l'heure à M. Dudding si c'était la loi qu'il convenait de changer, ou plutôt la volonté des gens ou les programmes offerts. J'estime qu'il est essentiel que la loi établisse la norme à suivre en matière de châtiments corporels. À l'échelle internationale, par exemple, aucun enfant suédois n'est décédé en raison de mauvais traitements dans les sept années qui ont suivi l'adoption d'une loi interdisant les châtiments corporels. Selon moi, il ne peut pas y avoir de preuve plus probante. Je ne sais pas si cela répond bien à votre question.
Le sénateur Poy : Oui. C'est donc ce que vous suggéreriez à notre gouvernement?
Mme Crooks : Oui. Je ne crois pas que le Code criminel stipule qu'il est interdit de battre un enfant à moins qu'il ne soit âgé de deux à 16 ans.
Le sénateur Poy : Cela n'a aucun sens.
Mme Crooks : Non, pas vraiment.
La présidente : Nous vous remercions tous les deux pour votre présence et pour les renseignements nouveaux que vous nous avez transmis relativement à la situation des enfants au Canada. Vous pouvez être assurés que nous allons tenir compte de vos opinions et de vos suggestions et nous attendons avec impatience les documents que vous vous êtes engagés à nous soumettre et toute autre information pertinente.
Nous passons maintenant sans tarder à notre deuxième groupe de témoins.
La présidente : Merci. Nous pouvons maintenant reprendre nos travaux. Nous recevons M. Agnew, de UNICEF Canada, ainsi que Mme Vandergrift, présidente du Groupe de travail sur les enfants dans les conflits armés, Vision mondiale — Canada, et Mme Austin, analyste des politiques, Droits de l'enfant et VIH-sida, Vision mondiale — Canada.
Nous avons pris un peu de retard. Je vous demanderais donc de nous faire part de quelques brèves observations préliminaires, sans nécessairement nous présenter le contenu détaillé d'un mémoire, par exemple. Si vous pouviez seulement nous exposer les points que vous jugez les plus importants, cela nous laisserait un peu de temps pour les questions.
M. David Agnew, président et chef de la direction, UNICEF Canada : J'aimerais vous remercier, non seulement pour nous donner l'occasion de vous adresser la parole, mais également pour mettre en lumière ce sujet trop souvent négligé.
Comme je connais bien les témoins qui nous ont précédés et les autres personnes qui ont pris la parole, je peux vous dire qu'ils représentent des groupes de défense et des ONG de tout premier plan qui vous font bénéficier d'une expertise considérable en matière de droits de l'enfant. Vous comptez en outre parmi vous, en la personne du sénateur Pearson, le plus grand défenseur des droits de l'enfant au sein du gouvernement du Canada. Vous êtes certes bien renseignés au sujet de la situation au pays.
J'aimerais aborder deux aspects de la question. Premièrement, vous avez pu prendre connaissance de l'étude des Nations Unies sur la violence à l'égard des enfants aux fins de laquelle nous sommes heureux d'offrir des services de secrétariat. J'aimerais souligner l'importance de cette étude. Je pense qu'elle pourrait apporter une précieuse contribution non seulement pour mobiliser la population, mais également pour faire avancer le dossier crucial de la lutte contre la violence faite aux enfants.
En second lieu, j'aimerais vous prévenir que l'UNICEF rendra public le mois prochain un rapport sur l'évolution des taux de pauvreté infantile dans les pays de l'OCDE, y compris au Canada bien naturellement. Selon l'année de début et de fin choisie, ce rapport indique une amélioration extrêmement faible de la situation au Canada, ce qui n'empêche pas notre si généreuse nation de permettre, selon nos calculs, que 15 p. 100 de ses enfants vivent encore dans la pauvreté. Ce taux nous situe au 19e rang parmi les 26 pays membres. Lorsqu'il est question de nos obligations en vertu de la convention, je vous soumets ces statistiques en vous signalant que bien que les droits des enfants ne soient pas quantifiables en termes de dollars, il est difficile de ne pas croire qu'une telle tolérance à l'égard de ce niveau persistant de pauvreté ne montre pas que notre pays a beaucoup de chemin à faire pour respecter les idéaux et les principes de la convention.
J'aimerais porter votre attention sur un autre point. Comme je sais que vous avez été bien renseignés et continuerez d'être tenu au fait de la situation au Canada, je voudrais vous entretenir de l'un des aspects de nos obligations en vertu de la Convention. Je vais donc vous parler de la contribution de notre pays aux fins de la création d'un monde digne des enfants. En adhérant à la Convention, nous nous retrouvons dans l'obligation de ne pas nous limiter aux simples questions nationales, malgré toute l'importance qu'elles revêtent, et de nous engager à assurer que les idéaux et les principes énoncés dans la convention sont concrétisés partout dans le monde. C'est ce que vous trouverez à l'article 4 de la convention, mais je peux vous dire que notre acceptation des Objectifs de développement du millénaire des Nations Unies, notre place au sein du G7 et différents autres facteurs illustrent bien à quel point cet engagement est important.
Je reconnais les contributions importantes du Canada au bénéfice des enfants de toute la planète, à commencer par le soutien généreux et croissant de l'UNICEF dans les 158 pays et territoires où nous oeuvrons. Nous estimons prioritaire et fort précieux notre partenariat avec le gouvernement du Canada, et notamment avec l'Agence canadienne de développement international, l'ACDI. Il faut également souligner l'importance accordée par le Canada aux enfants touchés par la guerre; ses efforts constants pour lutter contre les carences en micronutriments; ses programmes pour l'immunisation de millions d'enfants; nos investissements considérables et opportuns dans la lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria; la Convention d'Ottawa sur les mines antipersonnel; et le nombre considérable de statuts, de conventions et de protocoles ratifiés par notre pays. Malgré cette liste fort impressionnante d'engagements, il subsiste un élément pour lequel le Canada n'a pas réussi à respecter ses obligations à l'égard des enfants du monde, ce qui est tout aussi malheureux qu'inacceptable. Je parle de la promesse que nous avons faite il y a 35 ans de consacrer 0,7 p. 100 de notre revenu national brut à l'aide au développement.
L'automne dernier, nous avons rendu public « La situation des enfants dans le monde 2005 », un rapport renfermant quelques données brutes qui nous rappellent le gouffre qui continue d'exister entre les engagements de nos dirigeants et les mesures qu'ils prennent, ainsi que les conséquences humanitaires d'un tel écart. Sur notre planète, un enfant sur deux vit dans la pauvreté; 20 enfants meurent chaque minute d'une maladie évitable ou traitable, 121 millions d'enfants de six à onze ans ne fréquentent pas l'école; pas moins de 90 millions d'enfants souffrent de malnutrition grave; on compte 15 millions d'orphelins du sida et des légions d'enfants soldats et prostitués — et la liste pourrait s'allonger encore. Au total, on parle donc d'un milliard d'enfants qui sont privés des droits fondamentaux dont nous voudrions tous voir nos enfants bénéficier.
On ne souhaite pas vraiment établir de comparaison avec les sommes que nous investissons chaque année dans le monde pour les dépenses militaires et les subventions agricoles. Ces investissements atteignent environ 1,5 billion de dollars. Nous dépensons moins de 5 p. 100 de cette somme pour le développement et, pourtant, les retombées sont énormes.
Les enfants sont au cœur même des Objectifs de développement du millénaire. Il n'y a absolument aucune chance que nous puissions atteindre ces objectifs de survie et de promotion des droits sans apporter des changements en profondeur, d'autant plus qu'aucun des sept pays les plus riches du monde ne s'approchent du taux de 0,7 p. 100, et que seulement deux de ces pays se sont officiellement engagés à atteindre ce niveau dans un délai déterminé.
Je suggère très respectueusement à votre comité qu'il s'attaque au défi de positionner le Canada, qui se situe actuellement dans la deuxième moitié du tableau au chapitre de l'aide au développement, parmi les chefs de file en vue de la concrétisation de nos engagements de longue date. Certains pourraient penser que cet espoir est illusoire dans le contexte actuel, mais trois facteurs distincts m'amènent à faire montre d'optimisme.
Je pense tout d'abord à la générosité absolument extraordinaire dont les Canadiens et leur gouvernement ont fait preuve pour les millions de victimes du récent tsunami. Voilà qui montre bien que le Canada n'est pas indifférent.
Les résultats d'un examen de notre politique internationale devraient être rendus publics sous peu. J'ai appris que cela devrait suivre de près le budget. Grâce aux fuites qui précèdent de telles publications, nous pouvons constater que le premier ministre réaffirmera sa volonté de redonner au Canada la place qu'il occupait dans le monde. Nous savons tous que cela ne va pas sans certaines dépenses. Il y a effectivement un prix à payer pour ce faire.
Enfin, et on peut voir cette situation comme un verre à moitié vide ou un verre à moitié plein, cinq des participants à la récente réunion des ministres des Finances du G7 s'y sont présentés avec un plan d'allègement de la dette. Bien qu'il soit un peu embarrassant de se retrouver avec cinq plans différents étant donné que l'on n'est pas parvenu à s'entendre pour en retenir un seul, on peut se réjouir à l'idée que cette solution est envisagée et qu'on convient en principe de la nécessité d'agir rapidement et de façon plus soutenue qu'auparavant.
J'aurais deux recommandations à vous soumettre en prévision de votre rapport. Nous souhaiterions en premier lieu que le gouvernement du Canada s'engage explicitement à faire respecter les droits des enfants dans le cadre de son programme d'action à l'échelle internationale. C'est le moment d'agir, car le rapport provisoire devrait être présenté sous peu. Nous nous réjouirions d'entendre le comité déclarer, dans le cadre de son examen des obligations du Canada en vertu de la Convention sur les droits de l'enfant, que les ressources disponibles doivent d'abord et avant tout être consacrées aux enfants. C'est on ne peut plus clair et simple.
En second lieu, nous recommandons que le Canada prenne un engagement ferme à long terme en faveur de l'atteinte de l'objectif de 0,7 p. 100. Bien évidemment, les hausses annoncées au chapitre de l'APD au cours des dernières années sont les bienvenues et sont certes préférables aux réductions et aux budgets stagnants qui ont été notre lot au cours des années 90. Mais nous n'avons pas de plans pour la concrétisation de l'engagement pris en 1970 et il serait important que nous nous en donnions un.
C'est notre cinquantième anniversaire au Canada. Ces 50 années ont été consacrées non seulement à faire de notre mieux pour sauver des enfants un peu partout dans le monde et pour améliorer leur sort, mais également à prendre le pouls des Canadiens. Nous estimons que le moment est propice pour dissiper l'inquiétude profonde et générale des Canadiens à l'égard des enfants du monde et pour respecter l'engagement que nous avons pris collectivement de les sortir de la pauvreté. Nous avons l'occasion unique non seulement de retrouver notre place dans le monde, mais également de faire une contribution considérable à la réalisation de l'impératif mondial qui se trouve au cœur même de la Convention relative aux droits de l'enfant, soit de faire en sorte que chaque fille et chaque garçon puisse grandir en santé et en sécurité, quel que soit l'endroit où il habite.
Mme Kathy Vandergrift, présidente, Groupe de travail sur les enfants dans les conflits armée, Vision mondiale — Canada : Vision mondiale Canada vous est certes reconnaissant de l'avoir invité à discuter avec vous de l'importance de renforcer les mesures d'application au Canada de la Convention relative aux droits de l'enfant, c'est-à-dire de la CDE. Je tiens à être très claire : en tant que porte-parole aujourd'hui, nous parlons au nom de Vision mondiale. Je sais que, sur l'avis de convocation, je suis également identifiée comme présidente du Groupe de travail sur les enfants dans les conflits armés. Ce groupe serait ravi de venir vous entretenir de cette question également, mais aujourd'hui, nous parlons au nom de Vision mondiale.
Le Canada a fait preuve d'initiative en matière de défense des droits des enfants dans les rencontres internationales, et nous lui en sommes très reconnaissants. Cependant, conformément à cet objectif, nous aimerions aujourd'hui vous présenter trois grandes recommandations. Tout d'abord, nous recommandons que le Canada élabore et adopte une mesure législative conférant le statut de loi nationale à la CDE, y compris des mécanismes de reddition de comptes appropriés.
En plus d'assurer le respect de la CDE au Canada, Vision mondiale recommande que le Canada s'y conforme dans tous les aspects de ses relations internationales, y compris l'aide internationale, la diplomatie, le commerce et les politiques financières internationales. Cela placerait les droits des enfants au cœur même de notre politique internationale.
Enfin, Vision mondiale recommande que le Canada joue un rôle prépondérant dans la promotion de la nécessité de renforcer les mécanismes internationaux de reddition de comptes prévus dans la CDE, l'outil le plus efficace pour atteindre les objectifs énoncés dans le document intitulé « Un monde digne des enfants ».
Je vais commencer pour vous parler de loi nationale et d'en faire ressortir certains faits saillants. Je serai brève, puisque vous avez déjà reçu notre mémoire.
Nous croyons que l'adoption d'une loi qui rendrait la CDE exécutoire serait le moyen le plus efficace de montrer l'engagement ferme du Canada à l'égard des droits des enfants et d'en assurer l'application cohérente dans tous les secteurs et dans toutes les juridictions.
De nombreuses autres ententes internationales, comme les accords commerciaux et certains traités sur les droits de la personne, sont promulgués par des lois canadiennes parallèles. Il est important d'accorder le même statut aux droits des enfants au Canada. Ils représentent un des groupes les plus vulnérables. Nous remarquons que, dans le cas de certaines dispositions prévues dans les protocoles facultatifs à la CDE, le Canada a adopté ses propres lois. Nous soutenons qu'il faudrait faire la même chose pour la Convention relative aux droits de l'enfant.
Cela aiderait également à assurer une cohérence entre ce que le Canada fait à l'intérieur de ses frontières et ce qu'il prône sur la scène internationale. Nous soutenons, dans notre mémoire, que c'est la façon de donner suite à la fois à « Un Canada digne des enfants » et à « Un monde digne des enfants ».
Nous aimerions vous exposer brièvement les avantages d'une loi nationale.
Tout d'abord, elle prouverait que nous sommes déterminés à pratiquer ce que nous prêchons.
Ensuite, la Convention relative aux droits de l'enfant adopte une approche holistique à l'égard des droits de la personne et, par conséquent, elle représente à notre avis un des meilleurs outils pour renforcer les droits de la personne au Canada et dans le monde.
En troisième lieu, une loi nationale apporterait un éclaircissement sur la priorité à accorder à certains concepts essentiels comme « l'intérêt supérieur de l'enfant », et nous allons vous expliquer comment ce concept recoupe la question des enfants séparés dont vous avez déjà entendu parlé. Il est important de définir ce principe au Canada.
Quatrième point, la loi réduirait la possibilité que ce soient les tribunaux qui décident des priorités, car les décisions judiciaires sont souvent inégales. Il importe que ce soit le Parlement qui légifère.
Cinquième point, une reconnaissance juridique claire des droits des enfants apporteraient un sain facteur d'équilibre dans les discussions fédérales-provinciales. Nous avons remarqué que, tout à l'heure, vous avez parlé des enfants qui se retrouvent dans le vide, qui ne relèvent tout à fait ni de l'un, ni de l'autre, mais parfois, le meilleur intérêt de l'enfant est occulté par les querelles de clocher entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Nous estimons qu'une déclaration nettement en faveur des droits des enfants aiderait sur ce plan. Par ailleurs, elle contribuerait également à assurer un traitement plus équitable des enfants dans tout le pays.
Enfin, les mécanismes de reddition de comptes seraient considérés avec plus de sérieux s'ils étaient intégrés à un cadre législatif national explicite.
Le concept de la réalisation progressive des droits économiques, sociaux et culturels tel que formulé dans la CDE peut fournir un moyen utile de mesurer la réalisation des engagements à l'égard des droits des enfants par rapport aux ressources disponibles. Nous n'aurons pas le temps aujourd'hui d'entrer dans les détails de cette question, mais il pourrait être avantageux pour le comité de se concentrer jusqu'à un certain point sur cette notion. D'après mon expérience, le concept d'une réalisation progressive aide souvent à répondre aux préoccupations de certains au sujet d'une approche fondée sur les droits, car ils craignent qu'elle ne crée des attentes irréalistes, entre autres. Il pourrait être utile que votre comité déballe cette question.
Ma collègue, Mme Austin, vous citera la politique relative aux enfants séparés en exemple dans le domaine de la politique nationale.
Passons maintenant à la politique internationale. Comme nous l'avons mentionné, le nouveau cadre stratégique international, qui avec un peu de chance devrait être annoncé bientôt, aurait avantage à graviter autour des droits de la personne, y compris des droits des enfants. Il correspondrait alors au principe voulant qu'un monde digne des enfants soit un monde digne de toutes les personnes. Un rôle central des droits des enfants a des répercussions sur la politique commerciale, mais j'aimerais en faire ressortir deux à ce stade-ci pour l'Agence canadienne de développement international, c'est-à-dire l'ACDI.
Il y a cinq ans, l'ACDI s'est dotée d'un plan de protection des enfants qui s'articulait autour d'un cadre stratégique relatif aux droits de l'enfant. Elle a prouvé les avantages d'une pareille approche, mais seulement à l'égard de trois groupes choisis : les enfants qui travaillent, les enfants touchés par un conflit armé et les enfants faisant l'objet d'exploitation sexuelle. Cette stratégie est actuellement en révision, de sorte que les recommandations de votre comité à l'égard des droits des enfants et de l'ACDI devraient arriver avec beaucoup d'à-propos. En plus de renouveler la stratégie, il faudrait aussi, à notre avis, l'élargir de manière à en faire une approche plus globale et plus robuste à l'égard des droits des enfants.
Je vous donne un exemple. Un des principaux outils qu'utilise l'ACDI pour mettre en œuvre ses politiques est le cadre de développement des pays en développement. Dans bon nombre de ces pays, entre 40 et 50 p. 100 de la population a moins de 18 ans. Pourtant, quand nous posons la question de savoir si l'on tient compte des droits des enfants dans ce cadre, souvent on se fait répondre par la négative. Il y a lieu de se demander comment la réduction de la pauvreté peut être efficace si elle ne tient pas compte des droits de 40 à 50 p. 100 de la population. Nous aimerions que l'approche de l'ACDI à l'égard des droits de l'enfant soit élargie de manière à inclure ces cadres de développement, pour que l'on tienne compte dès le début de la situation des enfants dans les pays en développement.
Enfin, il importe de renforcer l'obligation de rendre des comptes au niveau national comme international. Dans le cadre d'une loi nationale, on peut envisager divers mécanismes de reddition de comptes. Ainsi, on peut évaluer l'impact sur les enfants des mesures budgétaires. Vous avez entendu parlé tout à l'heure d'une commission. On pourrait faire appel à toute une gamme de mécanismes. Selon nous, il serait peut-être bon de s'informer de l'expérience vécue par d'autres pays à cet égard.
À l'échelle internationale, le partenariat de Vision mondiale a proposé que l'amélioration du système des droits de la personne soit une priorité absolue de la réforme de l'ONU. Nous inclurions particulièrement les droits des enfants.
Il s'agit-là en réalité du seul outil dont nous disposons à l'échelle internationale pour protéger les droits de la personne. Les résultats d'un système faible de défense des droits de la personne sont manifestes dans l'impuissance de l'ONU qui, en dépit d'une importante promotion, n'arrive pas à protéger efficacement les enfants contre les abus les plus notoires dans les longs conflits armés. J'en veux pour preuve la situation dans le nord de l'Ouganda, où le conflit dure depuis plus de 10 ans sans vraiment retenir l'attention, la République démocratique du Congo, où les violations sont bien connues, et la conjoncture actuelle au Darfour, qui aurait pu être prévenue. Dans chacun de ces cas, des avertissements et de l'information étaient disponibles, mais peu de mesures sérieuses ont été mises de l'avant pour protéger le droit à la sécurité et les autres droits des enfants.
Nous faisons bon accueil aux réformes proposées par le Groupe d'experts de haut niveau qui constituent une première étape, mais elles demeurent insuffisantes. Nous proposons que le Canada, comme entrée en matière, appuie la recommandation qui permettrait au Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme d'avoir accès périodiquement au Conseil de sécurité, et nous suggérons que la protection des droits des enfants menacés par les conflits armés soit l'objectif prioritaire. Nous avons aussi suggéré que le travail accompli par le Canada en matière de sécurité des enfants demeure une priorité absolue dans le nouveau cadre de politique internationale.
En plus des mesures recommandées, toutefois, il faudrait aussi élaborer une procédure de traitement des plaintes en cas de violation des droits des enfants. Ma collègue, Mme Austin, vous en parlera plus en détail.
J'aimerais aussi parler des institutions financières internationales, parce les ressources sont souvent invoquées quand il est question des droits des enfants. Vision mondiale a entrepris d'amorcer un dialogue avec la Banque mondiale sur le rôle qu'elle pourrait jouer en vue d'aider les pays à rencontrer leurs obligations sous le régime de la Convention relative aux droits de l'enfant. Nos études dans les pays en développement révèlent qu'en adoptant une approche fondée sur les droits en matière d'éducation, les ressources sont en réalité beaucoup mieux utilisées. Nous croyons qu'il existe de nets avantages à intégrer les droits de l'enfant même au sein d'organismes comme la Banque mondiale.
Enfin, nous affirmons que la Convention relative aux droits de l'enfant est un des outils les plus importants, mais sous-utilisés, de la défense des droits des enfants.
Nous exhortons le comité à continuer d'assumer un rôle de leadership à cet égard.
Sara Austin, analyste des politiques, Droits de l'enfant et VIH-sida, Vision mondiale — Canada : Je vais vous parler brièvement de quelques-uns des points qu'a soulevés Mme Vandergrift dans sa déclaration et parler un peu plus abondamment de ce qui trouve dans notre mémoire.
J'aimerais tout d'abord vous parler de la politique internationale et de l'impact que peuvent avoir les droits des enfants et la Convention relative aux droits de l'enfant lorsqu'elle est mise en œuvre sur le terrain. À cette fin, j'aimerais partager avec vous l'exemple d'un des programmes que soutient Vision mondiale depuis plusieurs années en Inde, à Bangalore. Le programme est particulièrement axé sur la main-d'oeuvre infantile et sur l'élimination de ses pires formes. Le programme a adopté une approche explicite axée sur les droits de l'enfant. Un des aspects les plus dynamiques du programme est le développement d'un syndicat de la main-d'oeuvre infantile dirigé par des enfants. Il a fourni aux enfants une tribune leur permettant tout d'abord de s'informer de leurs droits, puis de militer pour la défense de leurs propres intérêts. Le programme aide à faciliter un processus dans le cadre duquel les enfants peuvent défendre leurs droits d'abord auprès des employeurs, puis auprès des législateurs locaux et nationaux. Plutôt que d'adopter une approche protectionniste qui consisterait à simplement retirer les enfants du marché du travail, les enfants peuvent jouer un rôle actif dans la négociation avec des adultes qui ont de l'influence sur leurs conditions en vue d'améliorer leur sort. Un des résultats favorables est que les enfants ont réussi à obtenir de meilleures conditions de travail et à avoir meilleur accès à l'éducation, tant formelle qu'informelle.
Je ne peux vous parler de ce programme que brièvement. Il est clair toutefois qu'en matière de main-d'oeuvre infantile, en adoptant une approche très explicite à l'égard des droits des enfants par opposition à une approche plus générale visant leur bien-être, on aide à émanciper ces enfants et on voit à leur situation de manière holistique.
Le deuxième point que j'aimerais aborder avec vous et qu'a mentionné Mme Vandergrift est la situation des enfants séparés. Un enjeu de la politique nationale qui mérite plus d'attention est la situation des enfants séparés et la nécessité d'adopter à leur égard une approche misant sur leur meilleur intérêt et conforme à la Convention relative aux droits de l'enfant. Comme le fait ressortir notre mémoire, Vision mondiale Canada et d'autres ONG en ont plusieurs fois parlé au niveau tant national qu'international. Le Comité des droits de l'enfant a souligné la question des enfants séparés comme étant d'une préoccupation particulière, les deux dernières fois que le Canada a comparu devant le comité. Pourtant, en dépit de tout cela, nous n'avons constaté aucune amélioration significative. En 1995, le comité a noté avec regret que les principes de non-discrimination, du meilleur intérêt de l'enfant et du respect de ses opinions n'ont pas toujours reçu de la part des organes administratifs traitant de la situation des enfants réfugiés et immigrants le poids qu'ils méritent.
En réponse aux préoccupations que je viens de mentionner, le gouvernement canadien a déposé des modifications à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés de manière à appliquer le principe du meilleur intérêt comme critère pour décider de la détention des enfants mineurs. Bien qu'il s'agisse d'une forme de progrès, on continuait d'avoir une vue très étroite de la question. Elle ne satisfait pas aux normes établies dans la Convention relative aux droits de l'enfant, notamment que le meilleur intérêt de l'enfant doit être une considération de premier ordre dans toutes les décisions le concernant.
En 2003, quand le Canada a présenté son rapport périodique suivant au Comité des droits de l'enfant, le comité a fait remarquer que le meilleur intérêt de l'enfant n'est toujours pas suffisamment défini et reflété dans certaines lois, des décisions des tribunaux et des politiques touchant certains enfants, surtout ceux qui risquent d'être déportés ou dont la garde est en question. Le comité s'est dit particulièrement préoccupé par le fait que le gouvernement n'a pas adéquatement réglé les problèmes des enfants séparés qui ont été portés à son attention en 1995, par exemple la question de la réunification des familles, les déportations et la privation de liberté. Le comité a ensuite fait, pour les enfants qui demandent asile au Canada, cinq recommandations précises, y compris le besoin d'adopter et de mettre en œuvre une politique nationale relative aux enfants séparés. Deux ans se sont écoulés depuis lors et rien n'a été fait. Étant donné ces préoccupations, nous estimons qu'une loi nationale apporterait des éclaircissements au sujet de la priorité à accorder à des concepts fondamentaux comme le meilleur intérêt de l'enfant et aiderait à protéger les droits des enfants séparés.
J'aimerais maintenant aborder avec vous un dernier point concernant le renforcement des mécanismes de reddition de comptes. Plus particulièrement, Vision mondiale recommande que le gouvernement du Canada prenne des mesures en vue d'élaborer une procédure de traitement des plaintes pour la violation des droits des enfants. Cette procédure pourrait être efficace dans le cas des violations importantes qui n'auraient pas fait l'objet de recours internes et qui ne sont pas traitées correctement par l'entreprise des rapports quinquennaux soumis au Comité des droits de l'enfant. Ainsi, le comité a déclaré que, pour que les droits aient un sens, il faut avoir à sa disposition des recours efficaces pour traiter des violations. Cette exigence est implicite dans la convention et constamment mentionnée dans les six autres grands traités internationaux relatifs aux droits de la personne. En l'absence d'un mécanisme sérieux sur lequel les défenseurs des droits des enfants et les enfants pourraient compter pour demander une protection et espérer avoir une possibilité raisonnable de corriger la situation, il est permis de douter de la sincérité de l'importance actuellement accordée à informer les enfants de leurs droits. Bien que l'idéal soit que la situation soit corrigée au niveau local, il est clair que les recours internes ne correspondent souvent pas aux besoins des enfants ou qu'ils n'existent tout simplement pas. Les outils internationaux de gouvernance doivent prendre plus au sérieux les droits des enfants, sans quoi nous risquons de leur offrir de faux espoirs.
Vision mondiale recommande que votre comité examine les nouvelles études pour trouver des moyens de renforcer la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l'enfant grâce à l'élaboration d'une procédure de traitement des plaintes. De plus, nous l'exhortons à envisager d'appuyer l'élaboration d'une procédure de traitement de plaintes qui est accessible aux enfants, de manière à ce qu'ils puissent participer de manière utile à la défense de leurs propres droits.
Le sénateur Pearson : Je vous remercie toutes les deux de vos déclarations. Il est très important de connaître la perspective internationale, et vous avez toutes deux fait des exposés qui se complétaient. M. Agnew, il conviendrait peut-être de rappeler aux sénateurs, à ce comité-ci, la distinction à faire entre UNICEF Canada et l'UNICEF. Les deux organismes ont des rôles quelque peu différents. Parfois, nous vous tenons peut-être responsable de choses qui ne relèvent pas vraiment de votre compétence ou l'inverse.
M. Agnew : Vous ne seriez pas les premiers à le faire.
Le sénateur Pearson : Comme question accessoire, bon nombre d'entre nous sont préoccupés par le fait — nous en revenons à nos obligations internationales, à ce que nous devrions faire — que l'appui manifesté par le Canada à l'UNICEF dans le cadre de sa contribution aux Nations Unies stagne depuis plusieurs années. Peut-être pourriez-vous nous expliquer cela.
M. Agnew : Par souci de temps, je vais être bref. UNICEF Canada est une ONG canadienne. Elle fait partie de la communauté des ONG. Ici, nous travaillons à lever des fonds pour appuyer l'organisme international, ainsi qu'un organisme qui se charge de faire de l'éducation et de la promotion au Canada même. Bien que nous soyons certainement très fiers de notre lien avec l'organisme international, il s'agit bien d'un partenariat. Ce n'est pas forcement quelque chose que nous pouvons faire nous-même.
L'aide de base fournie par le gouvernement canadien à l'UNICEF est inchangée depuis une décennie, ce qui a de toute évidence un impact sur le genre de travail que peut faire l'UNICEF. Comme de nombreux autres donateurs, le gouvernement du Canada a généreusement versé les fonds qui avaient été réservés à cette fin, mais naturellement, cette aide a fluctué selon les situations d'urgence. Or, pour réaliser en fin de compte le respect des droits des enfants dans le monde à long terme, il faut pouvoir compter sur un effort soutenu à long terme qui n'augmente et ne diminue pas selon les situations d'urgence. Il faut prévoir les programme axés sur les droits dont mes amis de Vision mondiale parlaient sur une période assez longue. Voilà où une augmentation de l'aide canadienne pourrait être très utile.
Le sénateur Pearson : Madame Vandergrift, j'aimerais revenir à quelque chose que vous avez dit au sujet de l'approche axée sur les droits, par exemple en Inde, pour faire encore mieux comprendre que l'intérêt d'une pareille approche est son caractère holistique. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? C'est là une précision dont nous avons constamment besoin. Quelle est la différence entre l'approche axée sur le bien-être et l'approche axée sur les droits?
Mme Vandergrift : Voilà où nous estimons que l'approche axée sur les droits a une réelle valeur ajoutée parce qu'elle place l'être global au centre des préoccupations, puis examine toutes les composantes et tous les facteurs qui peuvent avoir un impact sur sa situation. Il ne s'agit pas de répondre à un besoin unique — de la nourriture, de l'eau, par exemple — , mais plutôt de tenir compte de l'enfant dans sa totalité et de le traiter comme un acteur dans une situation, plutôt que comme un simple bénéficiaire passif.
Nous avons vu quelques exemples de cette approche — Mme Austin en a mentionné un, et nous pouvons vous en fournir plusieurs autres — qui fait une véritable différence en termes tant du rôle que les jeunes gens assument eux- mêmes pour régler les problèmes des autres enfants et les aider que du regroupement de divers facteurs.
Elle nous a incités, en tant qu'organismes de développement, à nous poser différentes questions lorsque nous travaillons. Ainsi, nous nous interrogeons sur qui pourrait avoir une influence sur la situation, sur l'obstacle qui empêche l'enfant d'exercer pleinement ses droits — et nous examinons toute la gamme des intervenants de manière à aboutir à d'excellents programmes. Nous allons être honnêtes et dire que notre propre mise en œuvre est inégale. Nous sommes en train d'apprendre, mais c'est un facteur très important.
En ce qui concerne l'ACDI, je vais simplement vous donner un exemple parce que nous aimerions voir une approche plus robuste à l'égard des droits de l'enfant. Nous avons parlé récemment de la nouvelle stratégie agricole de l'ACDI. Le service de protection des enfants a avec mérite parlé de la question de la main-d'œuvre infantile, sans toutefois, en parallèle, parler du droit à l'alimentation. Que pouvait-il y avoir de plus central à une stratégie agricole que le droit des enfants à l'alimentation? Nous prônons une approche très robuste qui tient compte de tous les droits des enfants quand l'ACDI examine ses politiques, plutôt que simplement les droits à la protection. Est-ce que cela vous aide à voir la différence?
Le sénateur Pearson : Oui, je vous en remercie.
Mme Austin : Je souhaitais simplement ajouter qu'une autre dimension ajoutée par la convention aux programmes communautaires est la façon dont elle fait ressortir les obligations dans le cas du programme de main-d'œuvre infantile. Elle souligne plus particulièrement les responsabilités du gouvernement, non seulement celle d'avoir une loi en place, mais également de l'appliquer, de même que les obligations des autres parties, y compris de l'entreprise privée. Elle confère aux enfants un rôle actif dans le processus, mais elle impose la responsabilité première à ceux qui ont des obligations. C'est là, je crois, une caractéristique particulière à l'approche axée sur les droits.
Le sénateur LeBreton : Monsieur Agnew, j'aurais une question importante à vous poser concernant nos engagements internationaux. Beaucoup de pays ne respectent pas leurs engagements et ils ne semblent pas s'en porter plus mal. Le fait de ne pas respecter ses engagements ne semble pas exposer à des sanctions très sévères. Or, vous avez mentionné deux pays qui ont accepté de prendre des engagements. Quels sont ces pays et ont-ils tenu leurs engagements?
M. Agnew : Les deux pays auxquels je faisais allusion sont le Royaume-Uni et la France. Aucun des deux n'a encore atteint l'objectif de 0,7 p. 100, mais les deux ont adopté un calendrier et comptent l'atteindre à des moments différents. Vous savez peut-être que le Royaume-Uni s'est montré particulièrement déterminé en annonçant non seulement un calendrier pour atteindre l'objectif de 0,7, mais en exerçant des pressions en faveur du mécanisme de financement international, que le gouvernement n'appuie toujours pas que je sache, contrairement à d'autres membres du G7. Ce pays a aussi fait des propositions novatrices pour l'allègement de la dette; il est allé jusqu'à proposer une annulation des dettes.
Ce sont les deux seuls pays. Parmi les pays du G7 en particulier, la France est le chef de file à 0,4 p. 100. Le Royaume-Uni vient au second rang à 0,34 p. 100, et le Canada se situe à 0,24 p. 100. Ce sont les chiffres de l'OCDE. Malheureusement, les deux économies les plus importantes, soit le Japon et les États-Unis, sont pratiquement au bas de la liste, avec l'Italie.
Le sénateur LeBreton : Pour revenir au Royaume-Uni, y a-t-il un mécanisme, par l'UNICEF et tous les gens qui travaillent au Royaume-Uni, qui permettrait de faire pression sur le Royaume-Uni pour qu'il prenne les rênes? Pourrait-on utiliser un pays affichant de bons résultats pour que les autres aient un peu honte?
M. Agnew : Voilà, il faut donner des noms et susciter la honte. Je sais qu'à la réunion du G8 — parce que bien entendu, la Russie s'y ajoutera en juillet — qui se tiendra en Écosse sous la présidence de Tony Blair, ce sera l'un des grands enjeux. Cette réunion sera la suite de Kananaskis, où le Canada a annoncé son engagement envers l'Afrique et le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique, le NEPAD.
Évidemment, l'augmentation de 8 p. 100 que nous avons vue dans le budget, à tout le moins depuis deux ans, est bienvenue. Cependant, elle ne mènera pas le Canada même à mi-chemin de son objectif dans les prochaines années. Malheureusement, bien que je sois très fier d'être Canadien, je dois dire que notre réputation se ternit. Tant que nous essaierons d'exercer notre influence sans prendre de mesure concrète, tant que nous continuerons de nous laisser distraire par des sujets comme l'Équipe d'intervention en cas de catastrophe, la DART, les véhicules amphibies et tout le débat sur la défense, nous ne rétablirons vraiment pas notre place dans le monde.
Mme Vandergrift : Il y a cinq pays qui se situent au-delà de 0,7 p. 100; certains sont même à 1 p. 100. Je pense qu'il est important que vous le sachiez.
Lorsque nous avons parlé aux membres du comité des finances, nous avons particulièrement souligné la situation des Pays-Bas, parce que le revenu familial moyen y est assez semblable à celui du Canada. Le fait est que ces pays ont atteint l'objectif de 0,7 p. 100, certains l'ont même dépassé, sans toutefois que leur économie en souffre, donc il y a des exemples. Ce ne sont pas des pays du G7, mais il y en a qui font encore mieux que l'objectif de 0,7 p. 100.
Le sénateur LeBreton : Il s'agit du pourcentage du PIB?
Mme Vandergrift : Exactement; 0,7 p. 100 de leur PIB.
Le sénateur LeBreton : J'ai une question pour vous, madame Austin, sur un aspect pratico-pratique, parce que je crois que le problème du travail des enfants est horrible. Vous avez donné l'exemple de Vision mondiale à Bangalore, en Inde, et de mesures pour renforcer les droits des enfants.
De façon concrète, comment peut-on le faire? Ce sont des adultes qui administrent ces immenses ateliers clandestins. Comment peut-on atteindre les enfants? Comment peuvent-ils trouver la force de s'organiser et de régler ce problème?
Je pense qu'il y a sûrement beaucoup de résistance et qu'il faudrait un groupe d'enfants très braves, à moins que des organismes comme le vôtre les aident? Je ne sais pas comment vous le faites. Je dirais que c'est une question pratique.
Mme Austin : Dans le cas précis de Bangalore, le syndicat a été mis sur pied par des enfants. Bien que nous les appuyions, ce sont eux qui se sont organisés; ce sont eux qui se sont dotés d'un syndicat. Grâce à notre appui financier et à notre personnel local, nous avons pu les aider, particulièrement pour défendre leur cause devant les autorités locales, nationales et internationales, mais ce sont vraiment les enfants qui ont pris l'initiative. Nous ne pouvons pas en prendre le crédit. Cependant, dans la pratique, c'est très difficile, parce que beaucoup d'enfants prennent des risques importants pour participer à ces activités.
Par leur syndicat, nous leur donnons une tribune pour se rencontrer. Ils invitent leurs propres conférenciers, des personnes qui leur offrent de la formation, mais ils organisent eux-mêmes leurs réunions et planifient et organisent leur propre budget. Cela dit, il leur faut du personnel qualifié, du personnel sensibilisé au travail avec les enfants, pour que les adultes ne dominent pas le processus, mais qu'ils les aident, à la demande des enfants. Ces personnes doivent savoir quand intervenir, au besoin.
Le sénateur LeBreton : Ces enfants travailleurs en ont-ils subi des conséquences?
Mme Austin : S'il y a eu des réactions brutales?
Le sénateur LeBreton : J'ai vu une fois un documentaire sur des enfants qui se sentaient obligés de travailler parce que leur famille dépendait d'eux pour leur subsistance. Lorsque des enfants essaient de s'organiser et d'être traités plus équitablement dans les ateliers clandestins qui les emploient, n'y a-t-il pas de conséquences? Vous avez parlé de risques, mais comment les surmontent-ils?
Mme Austin : C'est là où la défense de leurs droits et l'établissement de liens avec les autorités locales, et particulièrement avec les services de police, entrent en jeu. Ils ont besoin de l'appui de la police et des autorités locales pour ne pas s'exposer aux foudres de leurs employeurs. Bon nombre des enfants dont je vous parle travaillent dans l'économie parallèle et non dans des usines en tant que telles. Il faut faire preuve de beaucoup de diplomatie avec les fonctionnaires et les policiers en particulier, pour leur offrir appui et protection.
Le sénateur LeBreton : Il faut un groupe d'enfants très braves, parce que je ne vois pas comment ils peuvent en arriver à des résultats positifs.
Mme Vandergrift : Pour ce genre de choses, il faut évidemment voir à la sécurité des enfants. Lorsque nous intervenons, par exemple, lorsque des enfants se trouvent en situation de conflit, nous ne pouvons pas toujours faire ce que nous voudrions faire en raison des risques qui se posent pour la sécurité des enfants. C'est incontestablement un facteur à prendre en considération.
Le sénateur Oliver : J'ai une question pour chaque groupe.
J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt les propos de Vision mondiale sur la collaboration avec la Banque mondiale afin d'aider les divers pays à respecter leurs obligations internationales en vertu de la convention. Où en êtes-vous? Qu'est-ce que la Banque mondiale est prête à faire?
Ma deuxième question s'adresse à M. Agnew. Je suis au courant des deux recommandations que vous avez formulées, soit que les droits des enfants soient inclus dans notre programme international et qu'on adopte la formule de 0,7 p. 100. Je sais que vous avez été l'un des principaux acteurs avec Digital 4Sight dans la réalisation d'un projet de recherche global sur les effets des technologies sur les gouvernements et les démocraties. Pouvez-vous nous dire ce que vous avez appris que nous, les décideurs publics, pourrions mettre à profit concernant ce que les groupes internationaux sont en mesure de faire?
Mme Vandergrift : Je l'ai mentionné, parce que les choses ne sont pas simples dans ce domaine. La Banque mondiale a d'abord dit que les droits de la personne n'étaient pas de son ressort. Nous avons répondu qu'il était de son ressort d'aider les pays à respecter les obligations qu'ils ont prises. La raison pour laquelle la Convention relative aux droits de l'enfant est si utile, c'est que la plupart des pays l'ont signée et qu'elle dicte des choses précises sur l'éducation, entre autres. Il y a quelques articles à ce sujet.
Nous avons fait valoir que tout comme on a la responsabilité d'aider les pays à respecter leurs obligations financières, on a l'obligation de les aider à respecter leurs autres obligations et particulièrement à voir à ce que leurs politiques ne portent pas entrave à la réalisation progressive des droits des enfants. Dans certains cas, la Banque mondiale a adopté des politiques exigeant des pays qu'ils embauchent moins d'enseignants, par exemple, donc nous avons vu la situation des enfants régresser. La réalisation progressive du droit à l'éducation dicte qu'on ne peut pas admettre la régression dans un pays, il faut continuer d'aller de l'avant.
Le sénateur Oliver : Jusqu'où allez-vous avec eux?
Mme Vandergrift : J'aimerais présenter un autre argument.
Nous avons voulu leur montrer que c'était à leur avantage. La Banque mondiale vise la réduction de la pauvreté, et nous avons réussi à documenter le fait qu'une approche axée sur les droits et tenant compte de la pertinence de l'éducation et de sa qualité contribue en fait à l'atteinte des objectifs d'efficacité et de réduction de la pauvreté.
Jusqu'où allons-nous? Nous n'avons pas transformé la Banque mondiale, mais je pense que notre dialogue sur la prise en compte des droits des enfants dans sa programmation a certainement fait son chemin. Je peux vous laisser le document que nous avons utilisé dans ce dialogue et que nous allons continuer à utiliser pour montrer qu'elle a une responsabilité.
On ne peut pas demander à des pays en développement de respecter leurs obligations si on ne demande pas aux organismes qui leur fournissent des ressources de faire la même chose. C'est le principe que nous voulons illustrer.
M. Agnew : J'ajouterais qu'on ne peut pas du jour au lendemain faire de banquiers des défenseurs des droits de la personne, mais il valait la peine d'assister à une réunion organisée juste avant les vacances par la Banque mondiale et l'UNICEF sur les orphelins du VIH-sida. Je pense qu'on peut avancer pas par pas, à partir de la base, pour passer de l'ancienne approche du développement axé sur les besoins et la charité à une approche axée sur les droits en mettant l'accent sur des situations extrêmement frappantes, réelles et lourdes de conséquence sur l'économie comme l'éducation ou la lutte contre le VIH-sida.
Mon expérience de travail concernant les incidences de la technologie sur la gouvernance et la démocratie m'a amené à voir avec beaucoup d'enthousiasme combien les jeunes interagissent avec les outils technologiques différemment de ceux d'entre nous qui ont les cheveux gris. Des outils comme la messagerie instantanée, les services de brefs messages sur les téléphones et les différents outils de collaboration qu'offrent les nouvelles technologies permettent aux gens de se rassembler pour essayer de résoudre des problèmes et ils pourraient potentiellement — et j'insiste sur le mot « potentiellement » — donner une signification très réelle aux aspects de la participation des enfants. La technologie offre des outils, là où ils sont disponibles, dans les mains mêmes des personnes les moins consultées et souvent les moins en mesure d'avoir voix au chapitre dans les conseils des gouvernements.
Le sénateur Oliver : Combien de pays en développement auraient des outils technologiques comme des téléphones cellulaires que les enfants pourraient utiliser?
M. Agnew : Voilà. Au sujet de la Banque mondiale, c'est une immense lacune à prendre en considération. Bien sûr, la réalité est telle qu'au moins dans certains des pays les moins développés, il y a des progrès technologiques dont nous ne sommes pas au courant en ce qui concerne la pénétration de la téléphonie cellulaire.
Le sénateur Oliver : Et sans fil.
M. Agnew : Tout à fait. Il n'y aura pas de génération du cuivre. Ces pays sont passés directement aux stations cellulaires. Il y a de merveilleuses histoires, comme celles de l'utilisation d'un téléphone cellulaire dans un village indien comme outil de communication ou d'un ordinateur dans une région qui donne à des gens un accès au monde extérieur.
Ces outils peuvent aider, ce sont fondamentalement des outils, et c'est ma conclusion en bout de ligne.
Le sénateur Oliver : L'UNICEF a-t-elle de la documentation à ce propos qu'elle pourrait remettre à la greffière de notre comité pour que nous puissions faire nos devoirs à ce sujet afin que la situation des enfants dans le monde évolue davantage dans le sens du pacte et que leurs droits soient plus respectés?
M. Agnew : Je ne suis pas certain si l'UNICEF en a, mais je pourrais mettre la main sur certains documents et les envoyer à votre greffière.
Mme Vandergrift : Je vais vous raconter une merveilleuse histoire sur l'utilisation de la radio par des jeunes pour se parler de leurs droits. Ils l'utilisent pour se protéger contre le recrutement d'enfants soldats.
Le sénateur Oliver : Pouvez-vous nous donner des exemples?
Mme Vandergrift : Ils syntonisent la radio et discutent entre jeunes d'un mécanisme de protection. La radio est assez accessible, même dans les régions les plus éloignées. Il y en a des exemples dans divers pays, et je pourrais vous faire parvenir de l'information là-dessus.
[Français]
Le sénateur Losier-Cool : Ma question fait suite à la question du sénateur Pearson. Elle a parlé de UNICEF New York et UNICEF monde. UNICEF monde, veut se retirer du dossier de l'éducation sexuelle. Cela, à mon avis, va contre les droits des jeunes et des enfants. Est-ce que UNICEF Canada a une position à ce sujet?
[Traduction]
M. Agnew : Quels programmes voulons-nous laisser tomber à New York?
Le sénateur Losier-Cool : Je pense qu'ils parlent de « reproduction sexuelle ».
M. Agnew : Nous n'avons jamais travaillé à ce dossier, si l'on peut dire, mais nous mettons évidemment beaucoup l'accent sur la santé des mères et des nouveaux-nés dans le processus reproductif, notamment par le financement et la promotion de l'éducation sur la prévention du VIH-sida et par des mesures visant à faire en sorte que la mère et le bébé soient aussi en santé que possible dans le processus de naissance.
Le sénateur Losier-Cool : Je crois comprendre qu'Action Canada pour la population et le développement, ACPD, milite sur la question de la reproduction et du développement, mais je croyais que l'UNICEF s'occupait aussi de toutes les questions liées à la maternité, à la mortalité infantile et à la reproduction.
M. Agnew : Pour ce qui est de la mortalité infantile, de la survie des enfants et de la promotion de l'allaitement, il y a tout un éventail de programmes.
Le sénateur Losier-Cool : Dois-je comprendre qu'UNICEF Canada n'appuierait pas la position d'UNICEF New York de se retirer de tout dossier sur la reproduction ou l'éducation sexuelle?
M. Agnew : Je ne connais aucun exemple où nous nous sommes retirés de ce territoire. Notre politique est claire.
Le sénateur Losier-Cool : Vous avez une politique. C'était ma question : avez-vous une politique?
M. Agnew : Absolument. Je peux vous la faire parvenir sans problème.
La présidente : Nous avons eu l'occasion d'entendre le général Roméo Dallaire une autre fois au comité des affaires étrangères, dans le cadre de notre étude sur l'Afrique. Il a dit qu'on a beau s'occuper de la pauvreté, du VIH-sida et de tous les autres problèmes, mais que ce doit être fait dans une perspective d'égalité. Il prétend que nous ne considérons pas l'Afrique d'égal à égal. Nous ne la voyons pas comme un égal. De plus, au sujet des enfants soldats dans le conflit; de toute évidence, nous ne occupons pas des enfants et ne voyons pas leurs droits de la même façon.
Croyez-vous que si nous examinions la convention et que nous pouvions faire comprendre à tous que les enfants jouissent d'un statut égal à celui des adultes, qu'ils ont tous les droits définis dans la convention, nous pourrions faire beaucoup de chemin pour résoudre certains problèmes de développement? Ne pourrions-nous pas considérer la chose comme un problème d'égalité plutôt qu'un problème de bien-être? Plutôt que de dire qu'il s'agit d'un problème de droits, nous pourrions faire valoir l'égalité fondamentale des enfants, le fait qu'ils ont des droits dès le moment de leur naissance et que ce sont des citoyens égaux.
M. Agnew : C'est effrayant. Mme Vandergrift a dit combien il y avait de pays. Si je prends l'Afrique en particulier, où la moitié de la population a moins de 18 ans, il est terrifiant de penser aux conséquences qu'il y aura si nous continuons de sous-financer ces pays et particulièrement les familles qu'on rencontre lorsqu'on se rend sur place, des familles qui ont le désir absolu de créer pour leurs enfants un monde meilleur que celui qu'on leur a offert jusqu'à maintenant. Personne ne peut être plus passionné ni éloquent que Stephen Lewis sur la situation actuelle en Afrique sub-saharienne, où des populations entières sont décimées par le VIH-sida. J'ai de la difficulté à m'imaginer, personnellement et non en tant que représentant de l'UNICEF, comment les gens peuvent ne pas voir le lien entre un investissement dans l'avenir que les enfants représentent et la façon dont ces sociétés et pays évolueront. Je sais que le jargon des droits de la personne rebute certaines personnes. C'est la réalité. Les gens n'aiment pas que les droits soient affirmés avec vigueur, ils le voient comme un exercice scolaire. Nul besoin d'aller bien loin pour voir combien les droits et les besoins sont interreliés. Bien sûr, la pauvreté que nous observons chez les enfants en Afrique et ailleurs dans le monde n'en est qu'un exemple.
Mme Vandergrift : Je travaille avec le général Dallaire et je sais avec quelle verve il parle de l'égalité et du traitement des enfants en Afrique. Je me rappelle de la situation du nord de l'Ouganda, où l'on observe les violations les plus flagrantes des droits des enfants, mais qui pourtant semble être une région oubliée du reste du monde. Le Canada a essayé de faire certaines choses, mais c'est une région oubliée. Les jeunes nous disent : « J'aimerais tant qu'il y ait du pétrole dans notre pays, parce que nos problèmes seraient peut-être pris plus au sérieux. » Cela montre bien l'importance que cela revêt. Si nous croyons que tous les enfants sont de valeur égale, alors je pense que nous commencerons à transformer ces politiques et à voir le traitement inéquitable qui en résulte. Je pense que c'est important.
J'aimerais simplement réitérer l'avantage d'une approche axée sur les droits de l'enfant. Je pense que sans une approche axée sur les droits, nous n'en serions pas si loin dans le dossier des enfants-soldats, parce que ce sont les droits de l'enfant qui ont mis les enfants au programme du Conseil de sécurité, sur le plan politique comme sur le plan humanitaire. Les enfants victimes de la guerre ont longtemps été vus comme du ressort de Vision mondiale, de l'UNICEF et des organisations humanitaires. Nous avons dit non, ces personnes ont des droits, donc elles sont devenues partie intégrante du programme politique. Nous avons convaincu le Conseil de sécurité que les menaces à leur sécurité constituaient des menaces internationales à la sécurité. Je pense que l'approche axée sur les droits a fait avancer ce dossier, et il ne fait aucun doute que le général Dallaire est un allié important en ce sens.
La présidente : Je vous remercie d'être venus ici ce soir pour nous parler de la dimension internationale des droits de l'enfant. Je pense qu'il est important, lorsque nous étudions la convention, que nous examinions non seulement nos obligations nationales, mais aussi nos obligations internationales, et vous nous avez apporté cette dimension. Je vous remercie d'être venus ici ce soir. Nous interrompons nos travaux jusqu'à lundi prochain.
La séance est levée.