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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 6 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 21 février 2005

Le Comité sénatorial permanent sur les droits de la personne se réunit aujourd'hui à 16 h 5 pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous sommes ici pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.

Nos premiers témoins sont le professeur Peter Leuprecht, à titre personnel, et Mme Suzanne Williams, directrice générale de l'Institut pour les droits et le développement de l'enfant. Ils comparaissent en tant que groupe.

Vous avez la parole.

M. Peter Leuprecht, professeur, UQAM : Honorables sénateurs, c'est un grand plaisir et un grand honneur d'être de nouveau devant votre comité. Je voudrais rendre hommage au comité pour le travail remarquable qu'il fait en faveur des droits de la personne.

Notre sujet aujourd'hui est le droit des enfants. J'espère ne pas être accusé de favoritisme si je rends en particulier hommage à un sénateur qui a fait un travail extraordinaire pour les droits des enfants, je nomme le sénateur Pearson.

Par respect pour le bilinguisme de notre pays, je ferais un bref exposé en anglais et en français.

Nous connaissons tous la question à l'ordre du jour, c'est-à-dire la façon dont le Canada remplit ses obligations internationales relativement aux droits et libertés des enfants.

Je vous ai déjà parlé, lors d'une occasion précédente, de la question générale sur la façon dont le Canada remplit ou non ses obligations internationales dans le domaine des droits de la personne et aussi des rapports, je qualifie souvent de difficiles, qu'entretient le Canada avec la loi internationale.

J'ai aussi publié une étude très volumineuse sur cette question générale à la demande du ministère des Affaires étrangères. À ce stade, je vous renvoie à deux dispositions essentielles de la Convention de Viennes sur le droit des traités dont fait partie le Canada, l'article 26 : Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi; et aussi l'article 27 qui énonce clairement qu'une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d'un traité.

J'ai souvent dit et écrit que l'efficacité et la force des droits de la personne doivent se manifester surtout en ce qui concerne ceux qui en ont le plus besoin : Les personnes faibles, exposées et vulnérables; les enfants en font partie.

Nous savons tous que la communauté internationale et aussi les pays individuels ont fait de gros efforts pour protéger et promouvoir le droit des enfants. Le Canada a pris d'importants engagements internationaux à cet égard, en conformité, non seulement avec la Convention relative aux droits de l'enfant, mais d'un certain nombre d'autres conventions internationales comme par exemple le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels.

La Convention relative aux droits de l'enfant est le traité international sur les droits de la personne qui a été signé par le plus grand nombre de pays au monde. Seulement deux pays ne l'ont pas signé : la Somalie et les États-Unis.

La Convention relative aux droits de l'enfant diffère des autres lois comparables sur les droits de la personne. Il y a une grande différence, je crois, le fait que la Convention en général et l'article 42 en particulier reconnaissent que l'engagement pris par les États partie à faire largement connaître les principes et les dispositions de la Convention aux adultes comme aux enfants servira le mieux sa promotion.

Ce qu'il faut, d'une part, c'est créer le cadre de travail juridique approprié et, d'autre part, inculquer les valeurs consacrées par la Convention dans la conscience des populations et des élites qui prennent les décisions.

La Convention est un moyen important d'habiliter les enfants et ceux qui agissent en leur nom. La conscience des populations que j'ai mentionnée ne devrait pas être tenue pour acquise. En 1999, à l'occasion du 10e anniversaire de la Convention relative aux droits de l'enfant, le Bureau international des droits des enfants et la faculté de droit de l'Université McGill, j'en étais le doyen à l'époque, ont organisé une conférence internationale où le sénateur Pearson a joué un rôle essentiel.

À l'époque, un important journal canadien, le National Post a publié une série d'articles, dont je m'en souviens encore, critiquant sévèrement la notion même des droits de l'enfant. L'un de ces articles était intitulé « Gauchisme infantile ». Je ne voudrais pas penser que ce que nous faisons ici est un exercice en gauchisme infantile.

Cela montre bien que même que dans un pays libéral comme le Canada, il existe encore une opposition et une résistance idéologiques considérables contre les droits de l'enfant et le refus d'accepter que les enfants ont des droits fondamentaux et qu'ils sont en droit d'en jouir.

En vertu de l'article 2 de la Convention relative aux droits de l'enfant, les États parties s'engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir sans distinction aucune.

Les mots « respecter » et « garantir » ne sont en aucune façon synonymes. Le premier a un sens plus passif, le second un sens plus actif. L'obligation passive de respecter exige qu'un État partie ne viole pas les droits énoncés dans la Convention. L'obligation de garantir va bien plus loin que cela; elle signifie que l'État a une obligation expresse de prendre les mesures nécessaires afin que les enfants jouissent de leurs droits et les exercent. Cela est particulièrement important lorsqu'il s'agit de droits économiques, sociaux et culturels.

Je suis sûr que les honorables sénateurs ont attentivement examiné les conclusions présentées en 2003 par le Comité des droits de l'enfant en réponse au deuxième rapport périodique du Canada. Ces conclusions doivent être prises au sérieux. Je ne vais pas les détailler, mais je parlerai de trois points si vous le permettez.

Premièrement, je suis particulièrement impressionné par les remarques du comité sur les jouissances des droits économiques, sociaux et culturels par les enfants et sur le nombre croissant d'enfants vivant dans la pauvreté dans notre pays. Ces conclusions devraient être lues en même temps que des remarques similaires faites par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels et par le Comité des droits de l'homme. En fait c'est la question générale et douloureuse de la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels au Canada qui est en jeu.

Deuxièmement, le Comité des droits de l'enfant fait une nouvelle fois part de sa préoccupation concernant les réserves émises par le Canada à l'égard des articles 21 et 37(c) de la Convention. La réserve envers l'article 37(c) est particulièrement embarrassante. L'article 37(c) traite des enfants privés de liberté, j'en reparlerai brièvement dans la deuxième partie de mon exposé. Dans sa réserve, le gouvernement du Canada dit accepter les principes généraux prévus à l'alinéa 37(c) de la Convention, mais qu'il se réserve le droit de ne pas séparer les enfants des adultes dans les cas où il n'est pas possible ou approprié de le faire.

En tant que représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies chargé d'étudier la situation des droits de la personne au Cambodge, j'ai signalé à plusieurs reprises que le principe important et largement accepté selon lequel les enfants détenus devraient être séparés des adultes détenus est fréquemment ignoré dans ce pays, l'un des plus pauvres au monde. Toutefois, il est difficile de comprendre la raison pour laquelle un pays libéral et prospère comme le Canada ne peut pas adhérer sans réserve à ce principe.

Troisièmement, le Canada a signé, mais pas encore ratifié, le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. J'espère que le Canada rejoindra vite les 87 pays signataires de ce protocole.

Au Cambodge, j'ai aussi été témoin de la terrible réalité du trafic de personnes et de la prostitution des enfants ainsi que des souffrances inimaginables qui en résultent. La communauté internationale doit combattre avec vigueur ces phénomènes et le Canada devrait se joindre à cet effort.

[Français]

Dans ma deuxième partie, je voudrais soulever un problème spécifique et douloureux, celui des enfants privés de liberté. Les données à ma disposition concernent principalement le Québec où je vis. Si je parle du Québec, ce n'est pas parce que la situation y est pire que dans d'autres provinces, au contraire, elle est probablement meilleure qu'ailleurs, mais elle donne néanmoins lieu à de sérieuses interrogations.

J'ai récemment assisté à la projection d'un documentaire tourné au Québec, intitulé Jeunesse enfermée, qui m'a profondément bouleversé. Plusieurs de mes collègues étaient présents, dont deux professeurs de droit, Lucie Lemonte et Julie Desrosiers, qui ont beaucoup travaillé dans ce domaine, et aussi deux jeunes, anciens détenus, qui heureusement ont l'air de s'en être sortis mais dont les témoignages étaient accablants.

Je voudrais faire à ce sujet quatre brèves remarques et tirer deux modestes conclusions. Premièrement, le pourcentage d'enfants privés de liberté est plus élevé au Canada que dans d'autres États de droit démocratique respectueux des droits de l'homme.

Deuxièmement, les conditions dans lesquelles des jeunes sont détenus violent une série de droits fondamentaux reconnus par les instances provinciales, fédérales et internationales. Plus particulièrement, des mesures d'isolement et de retrait sont imposées d'une manière hautement critiquable et que l'on peut qualifier au moins de traitement inhumain et dégradant. De plus, l'usage de la force par les surveillants est fréquent. Pour ce qui est du Québec, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a mené un grand nombre d'enquêtes dont les résultats sont affligeants.

Troisièmement, dans certains centres de réadaptation, il y a une clientèle mixte de jeunes contrevenants, de jeunes prévenus et des jeunes en protection, condamnée à la garde fermée. La Commission des droits de la personne du Québec a conclu à l'illégalité de cette mixité qui continue néanmoins.

Quatrièmement, et c'est un paradoxe, en vertu du système juridique actuel, les droits des jeunes délinquants semblent mieux ou moins mal protégés que ceux des jeunes en protection.

Mes deux brèves conclusions à ce sujet sont, premièrement, les droits garantis dans les législations et les chartes ainsi que dans la Convention sur les droits de l'enfant imposent le devoir de privilégier des méthodes alternatives à la privation de liberté lorsqu'il s'agit d'enfants. Deuxièmement, les conditions de placement et de détention d'enfant doivent être soumises à un réexamen radical.

Je conclus avec un constat et deux modestes pistes de réflexion. Premièrement, le constat qui me paraît évident est qu'il reste encore beaucoup de chemin à faire dans la voie de la pleine application de la Convention sur les droits de l'enfant au Canada. Mes deux pistes de réflexion sont les suivantes : premièrement, ne faudrait-il pas songer à une protection constitutionnelle des droits de l'enfant au Canada et deuxièmement, pourquoi ne pas incorporer la Convention sur les droits de l'enfant dans le droit interne du Canada et de ses provinces?

[Traduction]

Mme Suzanne Williams, directrice générale, Institut international pour les droits de l'enfant et le développement : Je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui.

Je ferai écho à ce qu'a dit M. Leuprecht à propos du sénateur Pearson, qui siège au comité. Elle a joué un rôle essentiel dans les milieux qui soutiennent les droits des enfants au Canada et à l'étranger. Nous nous en voudrions de ne pas le signaler.

J'aimerais vous parler un peu de l'Institut international pour les droits de l'enfant et le développement, mieux connu sous le sigle IICRD. Nous avons fondé cette organisation au début des années 90 pour examiner les possibilités qu'offrait la Convention des droits de l'enfant des Nations Unies pour apporter de vrais changements dans la vie des enfants. Au cours des 10 dernières années, nous avons œuvré au Canada et à l'étranger pour trouver des applications pratiques de la Convention afin d'apporter de vrais changements à tous les enfants.

Notre directeur exécutif, M. Cook, vous prie de l'excuser de n'être pas ici aujourd'hui. Il est en Asie. La première partie de son voyage est consacrée à la recherche d'options de réadaptation à long terme pour les enfants et leurs familles et les collectivités victimes du tsunami. La deuxième partie de son voyage est consacrée à la recherche et à l'évaluation des enfants victimes de la migration et des taux élevés du VIH-sida dans l'Asie du Sud-Est.

J'ai passé la première partie de cette journée de l'autre côté de la rivière à Gatineau à une séance d'une journée ayant pour thème la participation des enfants aux processus municipaux au Canada. Il y avait des représentants de jeunes de conseils municipaux présent grâce au projet « Growing Up in Cities » sur lequel nous travaillons et qui est axé sur l'inclusion sociale des enfants. Les enfants ont beaucoup de choses à offrir et j'aurais aimé me faire accompagner aujourd'hui d'une jeune personne qui aurait pu vous parler directement et vous donner une idée de ce qu'ils font.

En ce qui concerne mes remarques sur le respect du mandat du comité aujourd'hui, je voudrais vous en parler en deux parties. Le document que nous vous avons remis aujourd'hui s'intitule « Meeting Canada's Obligations under the UN Convention on the Rights of the Child : From Paper Concepts to Living Benefits for Children ». Voilà le défi que nous devons relever.

Comme les membres du comité le savent très bien, la Convention a aujourd'hui plus de 15 ans. Le Canada l'a ratifiée en 1991. C'est un document juridique. C'est un droit international qui a une véritable force, mais il y a aussi de vrais défis. Le Canada a considéré cette Convention dans plus de 100 affaires au pays. On la retrouve dans certaines lois nationales, mais pas suffisamment.

Il s'agit de savoir pourquoi nous avons ces défis. La réponse est peut être très évidente pour certains d'entre vous, mais nous pensons qu'ils proviennent de plusieurs choses, d'abord du fait que c'est un texte juridique. C'est-à-dire le sentiment que le droit international ne peut pas être appliqué avec force. Cependant, on ignore qu'on peut y recourir devant un tribunal national pour interpréter la loi en cas d'ambiguïté et il y a une présomption de common law que le Canada remplira ses obligations au plan du droit international. Il s'agit aussi d'un point de repère minimum pour les normes fixées dans notre Charte. Le droit international peut présenter un défi.

Les questions de compétence constituent le deuxième défi. Je suis sûr que le comité, qui a eu plusieurs audiences sur la Loi sur le divorce et sur les biens matrimoniaux intéressant les Autochtones, sait qu'elles posent un grand défi au Canada. Bien que ce soit un vrai défi, c'est peut-être aussi une vraie occasion. Plusieurs juridictions s'efforcent d'améliorer la vie des enfants; elles pourraient partager leurs expériences et leurs ressources. La diversité au Canada est un grand atout. Les défis dans le domaine des juridictions ne devraient pas être considérés comme des obstacles infranchissables. La ratification de cette convention par les provinces est un autre avantage.

Un autre défi lié au contenu juridique provient du fait que les droits de la personne sont contradictoires de par leur nature. Au Canada, lorsque quelqu'un a un droit, il a aussi un remède, ce qui signifie habituellement aller au tribunal pour obtenir réparation. Cette approche a tendance à mettre l'accent sur les violations, entraînant habituellement le sentiment qu'il y a un jugement et risque donc d'aliéner les familles, les collectivités et les institutions responsables des soins apportés aux enfants et de leur protection. Nous le voyons bien, par exemple, M. Leuprecht a mentionné certains articles du National Post qui font partie de ce débat ou de cette controverse.

Il est prouvé que si l'accent est mis sur les violations, il peut en résulter une résistance et une rigidité, et il peut être moins productif de se concentrer sur les droits et les remèdes et plus positif de se concentrer sur les objectifs et les motivations pour les enfants et les Canadiens en général.

Vu sous son aspect juridique, ce document est à la fois normatif et aveugle du point de vue culturel. Bien qu'une loi qui crée des normes a des points forts, son application peut entraîner une rigidité et il peut être difficile d'appliquer cette structure rigide à la vraie vie de nos enfants. Ce document est aussi aveugle du point de vue culturel et nous devons nous en soucier au Canada. C'est aussi peut-être la raison pour laquelle ce document a été accueilli sans grand enthousiasme par les Autochtones.

Voilà certains des défis créés par le fait que la Convention est un texte en soi. Un autre défi lié à l'application de ce document est le fait qu'il est inconnu ou incompris. D'abord à cause du soutien limité de la part du public et des politiciens, sauf peut-être ceux ici présents dans une certaine mesure, car je crois comprendre que vous faites beaucoup de travail et nous vous sommes reconnaissants. Cependant, il y a de vrais défis. En ce qui concerne les actions du Canada depuis l'introduction de la Convention, à la Session extraordinaire de l'Assemblée générale de l'ONU consacrée aux enfants, au récent plan d'action national, nous n'avons pas vu de stratégie bien financée et globale pour expliquer aux Canadiens ce dont il s'agit.

Je sais cela par expérience et mon travail avec des gens qui ont une incidence directe sur la vie des enfants. Nous avons eu une réunion le mois passé avec plusieurs professionnels de l'organisme Child and Youth Officer for British Columbia qui travaillent directement avec des enfants. Même eux ne savaient pas l'objet de cette Convention et ce qu'elle représente pour les enfants. Nous devons faire mieux que cela.

En ce concerne un contexte incompris, il y a un manque de contrôle et d'évaluation concernant cette Convention. Cela est probablement vrai pour beaucoup de conventions sur les droits de la personne. Les liens entre les intrants et les extrants du gouvernement sont vagues. Nous devons contrôler et évaluer la situation pour voir si les enfants bénéficient bien des politiques et des activités qui font théoriquement respecter leurs droits. Pour l'heure, il y a très peu d'information au niveau national sur les enfants et sur les initiatives gouvernementales pertinentes.

Nous suggérons qu'une évaluation et un contrôle efficaces exigent une concentration globale permanente sur l'objectif des droits en question, c'est-à-dire, le bien-être, l'épanouissement et la protection des enfants. Dans ce domaine, le Comité des droits de l'enfant de l'ONU a déclaré qu'il fallait de meilleures données non regroupées. Nous sommes d'accord. Sans cela, nous ne savons vraiment pas où se trouvent les lacunes en ce qui concerne les enfants. Sans ce genre de données, nous ignorons où se trouvent les forces potentielles dans les juridictions du pays. Toute initiative sur les droits des enfants ne devrait être jugée efficace que si elle a amélioré de manière concrète la vie des enfants.

Le manque de coordination est un autre défi lié au fait que la Convention n'est pas connue ou est incomprise. Au niveau national, nous apprécions les efforts de beaucoup de personnes, y compris le sénateur Pearson, mais en 2002, le Comité des droits de l'enfant de l'ONU a déclaré que chaque État doit avoir un organisme indépendant sur les droits de la personne chargée de la promotion et de la protection des droits de l'enfant.

Cette approche reçoit de plus en plus de soutien à l'échelon international. Le Canada est sans doute en retard de 20 ans, car il y a 20 ans que la Norvège a nommé son premier ombudsman national, or, le Canada n'a toujours personne à l'échelon national. Étant donné la diversité du Canada au plan des juridictions mais aussi des ordres judiciaires, sans oublier sa composition multiculturelle, le besoin d'une coordination efficace des droits de l'enfant se fait vraiment ressentir.

Le gouvernement est lui-même un autre domaine qui a besoin de coordination. À ce jour, c'est Santé Canada qui coordonne les initiatives concernant les droits de l'enfant. Cela est un peu problématique car le mécanisme de coordination n'a pas la priorité qu'il mérite et le message qu'il envoie, c'est que les questions concernant les enfants se limitent à la santé. Cela ne soulève par comme il le faudrait les diverses questions fédérales ayant une incidence sur la vie des enfants.

Le dernier domaine de défi dont je vais parler, c'est le fait d'examiner un texte sans un contexte. Nous avons cette convention qui n'est pas nécessairement adaptée au contexte dans lequel elle s'applique et il y a plusieurs raisons à cela. Premièrement, il y a un manque de compréhension du contexte individuel de nombreuses vies d'enfants. Comprendre le contexte est déterminant.

À quoi ressemble le monde vu à travers les yeux d'un enfant? On ne sait pas grand-chose des vies des enfants, particulièrement au sein des familles, où ils fonctionnent le plus. Je vais vous donner un exemple de ce manque de compréhension en m'inspirant du projet Growing Up in Cities dont j'ai parlé plus tôt. Il s'agit d'un projet de recherche qui examine l'inclusion sociale des enfants et qui vise à élaborer des outils permettant aux enfants de communiquer et d'avoir un mot à dire dans les processus municipaux. Dans une activité dite de « cadrage », les enfants placent un cadre devant des endroits qu'ils jugent agréables pour les enfants au sein de leur collectivité et les endroits qui ne le sont pas, et ensuite, ils prennent des photos. Un groupe d'enfants de Halifax a placé le cadre devant un cimetière et a dit que c'était l'endroit le plus agréable pour les enfants dans leur ville, ce qui a été un choc. Ils voyaient le cimetière comme l'endroit le plus agréable parce qu'à cet endroit, ils pouvaient courir, jouer et faire ce qu'ils voulaient librement sans être « importunés » par les adultes leur demandant d'aller jouer ailleurs.

En plus de nous révéler de l'information que nous n'aurions pas obtenue autrement, cet exercice peut être utilisé par les planificateurs sociaux pour faire participer les enfants et les adultes dans le processus de planification des villes pour que ces dernières soient agréables aussi bien pour les enfants que pour les adultes. Cela respecte leurs droits de dire ce qu'ils ont à dire.

Toujours en ce qui concerne le texte sans un contexte, je dirais également que la convention manque d'ancrage dans la réalité sociale et culturelle. J'ai mentionné plus tôt l'accueil plutôt tiède que la collectivité autochtone a réservé à la convention. Elle a vraiment besoin d'un ancrage social et culturel. Les droits des enfants ne peuvent être pris individuellement. Ils sont tissés ensemble pour créer une trame des droits pour chaque enfant. Les droits de l'enfant qui vit sur une réserve, d'un enfant handicapé vivant dans une ville et d'un enfant vivant dans votre voisinage diffèrent et nous devons en être conscients dans l'application que nous faisons de la Convention.

Si on ne fait pas attention à la manière dont nous appliquons les droits des enfants, non seulement ce n'est pas utile, mais parfois cela peut même causer plus de tort que de bien. Prenons un exemple dans le contexte de la protection de l'enfance, nous enseignons aux enfants qu'il n'est pas bien qu'un adulte touche à leurs parties génitales, mais que dites- vous à un enfant handicapé qui a besoin d'une personne soignante? Le message sème la confusion et peut faire du tort à l'enfant.

En ce qui concerne l'absence de compréhension du contexte, nous voulons également signaler la nécessité de comprendre l'écologie sociale des vies des enfants. L'écologie sociale reconnaît qu'il y a des systèmes au sein desquels fonctionnent les enfants; il ne s'agit pas uniquement du contexte individuel. Il y a dans le mémoire un diagramme qui illustre ce phénomène. Nous plaçons l'enfant au centre des systèmes. De l'intérieur vers l'extérieur, les systèmes qui peuvent les appuyer sont, premièrement, la famille, ensuite la collectivité, ensuite la société civile et ensuite les valeurs sociales plus larges au sein de la société civile. Nous avons encadré le tout dans la Convention relative aux droits de l'enfant de l'ONU, reconnaissant les forces qui existent dans ce contexte. Il y a un besoin très réel d'un cadre global qui reconnaît que les systèmes influent sur les enfants.

Enfin, il y a des effets programmatiques limités de la participation de l'enfant. Avec l'aide de l'ACDI, nous avons fait certaines recherches en ce qui a trait à la participation de l'enfant. Bien que l'expression « participation de l'enfant » n'apparaisse pas dans la Convention, il y a de nombreux articles qui viennent appuyer cette notion. Certains des avantages sont des décisions plus efficaces et plus durables lorsque vous avez de l'information que seuls les enfants possèdent ainsi que l'édification d'une société civile et d'institutions démocratiques plus solides.

Bien que le Canada ait eu un certain succès dans des événements ponctuels comportant la participation des enfants, il est nécessaire de regarder la vie quotidienne des enfants et de les faire participer dans les processus quotidiens et non seulement dans des événements uniques.

Ce sont les mauvaises nouvelles et les défis qui nous attendent, mais il y a bien des choses que le Canada peut faire pour améliorer la vie des enfants, et nous appelons cela passer des concepts abstraits sur papier à des avantages concrets dans la vie des enfants.

La présidente : Afin de laisser du temps pour les questions, veuillez être concise dans vos recommandations et peut- être que le comité pourra les explorer.

Mme Williams : Je serai heureuse de le faire, madame la présidente.

Notre première recommandation est d'exiger une approche fondée sur les droits dans la législation, les politiques et les pratiques. Par exemple, si 100 enfants ont besoin d'être vaccinés, l'approche fondée sur les besoins ou sur les problèmes dirait, après que 70 enfants ont été vaccinés, que nous avons eu un excellent taux de succès de 70 p. 100. L'approche fondée sur les droits reconnaît qu'il y a encore 30 enfants qui ont besoin d'être vaccinés. L'approche fondée sur les droits s'applique même aux enfants les plus marginalisés et fait une différence dans la vie de tous les enfants.

Nous devons nous assurer que les interventions sont cohérentes avec l'approche développementale plutôt que fondée sur les problèmes. Une approche développementale reconnaît qu'il y a des antécédents communs dans les problèmes des enfants. Elle est centrée sur les forces des enfants et les forces de leur communauté.

La troisième recommandation est d'appuyer la recherche, la surveillance et l'évaluation ancrées dans les vies des enfants. Nous devons faire participer les enfants dans la recherche et examiner de nouvelles méthodes de recherche pour faire participer les enfants.

Quatrièmement, nous avons besoin de travailler davantage en partenariat avec les enfants et de les appuyer comme des participants et des porteurs de responsabilité face à leurs droits.

Cinquièmement, nous avons besoin de créer et de renforcer un point central de coordination au sein du gouvernement fédéral. Cela pourrait prendre la forme d'un groupe de travail interministériel ou d'un groupe présidé par un ministre qui doit rendre compte au Parlement, et également un ombudsman pour les enfants.

Sixièmement, nous avons besoin d'appuyer la formation, l'éducation, et la sensibilisation qui créent un climat favorable aux enfants dans la communauté générale.

Septièmement, nous avons besoin de plus d'investissements orientés vers les aspects opérationnels pratiques plutôt qu'un financement des ententes bureaucratiques à un plus haut niveau.

Huitièmement, nous avons besoin d'un établissement national indépendant sur les droits des enfants. Cette mesure va dans le même sens que les Principes de Paris de 1993 relatifs aux droits de la personne. Il faut étayer ces principes en produisant des documents et de l'information adaptés aux enfants, en travaillant directement avec les enfants lorsque la chose est possible, en ayant accès aux systèmes gouvernementaux et en mettant à profit l'expertise des jeunes et des organismes de jeunes.

Enfin, nous encourageons tous les Canadiens à se donner comme défi d'élargir la portée et l'impact des droits de l'enfant et d'essayer de créer une culture des droits des enfants. Pour y arriver, nous devons chercher les lacunes, créer des partenariats, renforcer les systèmes et faire participer les enfants, leurs familles et leurs collectivités pour appuyer une culture qui a à cœur le bien-être des enfants.

La présidente : Merci, madame Williams.

Le sénateur Oliver : Merci à tous les deux pour vos excellents exposés.

Madame Williams, dans les notes biographiques que nous avons à votre sujet, on dit que vous avez fait beaucoup de travail dans le domaine de la formation en droits de l'enfant, de la participation des enfants à la procédure judiciaire et que votre travail comprend l'examen de la participation significative des enfants à la procédure propre aux tribunaux de la famille en Colombie-Britannique.

Dans vos troisième et quatrième recommandations, vous parlez d'appuyer la recherche qui est ancrée dans les vies des enfants et de travailler davantage en partenariat avec les enfants.

Le sénateur Pearson a dit au comité que nous devons, en tant que comité, trouver une façon d'amener les enfants à participer davantage à cette étude. Étant donné votre expertise dans ce domaine, j'aimerais savoir comment, d'après vous, nous devrions nous y prendre. Devrions-nous aller voir les enfants ou devrions-nous les accueillir ici dans ce cadre formel? Devrions-nous les voir individuellement ou en groupe?

J'aimerais également savoir quelles sont vos vues sur ce que nous, en droit, avions l'habitude d'appeler «l'âge de raison». Quand un enfant est-il trop jeune pour avoir une participation significative? Devrions-nous nous préoccuper de l'âge de raison? C'est tel est le cas, quelle est la pensée actuelle sur cette question?

Mme Williams : Comment faire participer les enfants est un des plus grands défis. Il y a eu des recommandations écrites là-dessus et je serai heureuse de vous fournir cette publication. En ce qui concerne les travaux du présent comité, vous devez regarder qui est votre commettant et où sont les organismes dirigés par des enfants qui appuient votre travail et qui s'y intéressent.

Dans notre travail, nous trouvons qu'il est très utile, particulièrement dans des processus publics, de travailler avec des organismes où un jeune peut venir représenter son organisme. Vous devez vous assurer qu'il n'y a pas qu'un seul enfant qui se présente devant vous, mais qu'il y en a plusieurs. Vous devez créer des espaces habilitants qui sont adaptés à la réalité des enfants. Les enfants qui aiment s'asseoir autour d'une table de conférence comme celle-ci sont peu nombreux. Ils veulent qu'on les fasse participer et c'est ici que les outils sur la façon de faire participer les jeunes entrent en jeu.

Le sénateur Oliver : À quel âge faites-vous allusion lorsque vous dites « jeunes »?

Mme Williams : Cela dépend de la capacité des enfants. J'aimerais que M. Cook soit ici parce qu'il est pédopsychologue et qu'il connaît ces données beaucoup mieux que moi. Cela dépend également de ce que vous faites. Nous avons entendu le commissaire des enfants de la Nouvelle-Zélande parler des gens qui représentent les enfants qui visitaient les enfants alors qu'ils étaient des nourrissons. Il y a une façon que les enfants puissent participer à notre société lorsqu'ils sont nourrissons, et nous devons nous mettre au défi.

Vous devez examiner le contexte dans lequel vous essayer de faire participer des jeunes. Vous pourriez vouloir que des personnes soignantes soient ici lorsque vous interagissez avec ceux, mais cela dépend du contexte. Dans un cadre comme celui-ci, vous voudriez des adolescents ou même des enfants de 12 ans, selon leur capacité à participer à la tribune que vous créez.

Le sénateur Oliver : Que dire des enfants âgés de 8, 9, 10 et 11 ans?

Mme Williams : Je n'aime pas mettre un âge sur les choses. Nous croyons dans la capacité évolutive des enfants, que la convention reconnaît. Certains enfants qui sont très jeunes ont une capacité incroyable de communiquer. Je ne voudrais certainement pas dire que quelqu'un doit être exclu d'un processus uniquement à cause de son âge.

Dans le projet auquel vous avez fait allusion et dans lequel je travaille sur l'examen de la participation significative des enfants à la procédure propre aux tribunaux de la famille, nous avons eu une jeune fille qui est venue nous parler et qui, de l'âge de 3 ans jusqu'à l'âge de 12 ans, a été mêlée à une action en divorce chaudement contestée. Elle a dit que pendant tout ce temps-là, elle avait espéré avoir 12 ans pour que quelqu'un l'écoute. Il y a des jeunes qui veulent vraiment être entendus et nous devons être très délicats dans la façon de le faire.

Dans un cadre juridique, le fait d'avoir un défenseur ou quelqu'un qui prend le temps d'établir une relation avec les enfants est déterminant. Cela dépend de ce que vous essayez de faire. Je serai heureuse de vous fournir plus d'information sur cette question.

Le sénateur Oliver : Pourriez-vous dire un mot sur l'âge de raison? Quelle est la pensée actuelle sur cette question?

Mme Williams : Je ne serais pas à l'aise de vous donner un âge de raison. Je n'en sais pas suffisamment sur cette question pour faire cela. Je sais cependant qu'il y a des inquiétudes au sujet de ce que les enfants disent à certains âges et comment cela est considéré. Je peux dire que si vous établissez une relation avec des enfants, vous obtenez une participation plus significative. Si vous pouvez travailler avec les enfants dans une atmosphère qui leur convient, alors je vous encouragerais à vous demander comment jeunes sont les enfants de qui vous cherchez à obtenir la participation.

Un domaine où le Canada est très en retard, ce sont les systèmes scolaires. Au Canada, on ne fait pas un très bon travail pour demander aux enfants ce qu'ils pensent de leurs écoles, tandis qu'en Colombie, ils le font. Nous pensons que nous sommes tellement en avance dans tellement de domaines, mais ce n'est pas vrai. Nous devrions nous efforcer de demander aux enfants ce qu'ils pensent des services que nous leur offrons. Si nous sommes loin de la cible et nous n'obtenons pas les meilleures données, au moins nous savons.

Le sénateur Oliver : En tant que comité sénatorial qui examine quelque chose d'aussi technique que la Convention relative aux droits de l'enfant, devrions-nous recevoir les enfants ici, peut-être dans une salle plus petite, ou devrions- nous nous rendre à eux, et combien d'enfants devrait-il y avoir dans une salle?

Mme Williams : Dans ce cadre-ci, je recommanderais une combinaison des deux. Il y a certains jeunes qui seraient heureux de venir ici. Encore une fois, faites l'effort d'aller dans des lieux où les jeunes sont à l'aise, et faites-les vous parler des choses. Je recommanderais qu'il y ait un processus. Ce n'est pas quelque chose que vous pouvez faire une seule fois et vous attendre d'avoir une participation significative de la part des enfants. Cependant, il y a des organismes dirigés par les jeunes qui travaillent avec les jeunes pour les préparer et qui les accompagnent de sorte qu'ils ne sont pas livrés à eux-mêmes.

Ce matin, à Gatineau, cinq organismes de jeunes ont fait une présentation et ils ont fait un excellent travail pour faire connaître leur message. Il s'agissait d'adolescents et ils seraient très bien capables de venir ici vous faire connaître leur point de vue.

Le sénateur Poy : Monsieur Leuprecht, en 2003, le Comité des droits de la personne a recommandé que le Canada crée un organisme pour coordonner et mettre en application la Convention. Dans le mémoire que nous avons reçu de votre institut, nous constatons qu'il y a une recommandation pour la création d'un établissement national indépendant sur les droits de l'enfant. Comment cela fonctionnerait-il dans le cadre fédéral-provincial et est-ce qu'un tel organisme devrait être en mesure de recevoir des plaintes individuelles?

Mme Williams : En fait, c'était notre recommandation et je ne voudrais pas mettre ces mots dans la bouche de M. Leuprecht sans son consentement.

Parlez-vous d'un établissement national indépendant fonctionnant dans la structure fédérale?

Le sénateur Poy : Oui.

Mme Williams : Je pense que cela pourrait fonctionner très efficacement. Premièrement, il y a plein de domaines qui relèvent uniquement de la compétence fédérale. Cela comprend les enfants autochtones, le divorce, l'immigration, les réfugiés et la justice pénale. Tous ces domaines sont carrément entre les mains du fédéral, alors il y a un rôle ici. Il y a également un rôle de coordination globale. Le Canada est le seul porteur de responsabilité dans ce pays pour ce qui est des obligations en vertu de la Convention et, en tant que tel, il a besoin de véhiculer ce message dans toutes les administrations.

Il s'agit d'établir un dialogue, ce qui est un défi constant dans le système fédéral, mais possible. Les provinces ont ratifié la Convention et sont prêtes à honorer les obligations et ont besoin de quelqu'un pour assurer la coordination.

Le sénateur Poy : Est-ce que cet organisme sera un coordonnateur de politiques?

Mme Williams : Il y a deux niveaux de coordination : un à l'extérieur du gouvernement et l'autre à l'intérieur du gouvernement. Au sein de la structure gouvernementale, il doit y avoir une coordination. Peut-être que la structure de l'ombudsman est une façon également d'aider à assurer la coordination interne du point de vue de l'efficacité des décisions, des actions et des activités du gouvernement en ce qui a trait à leurs effets sur les enfants, parce que les enfants feraient part de leurs préoccupations à l'ombudsman.

Le sénateur Poy : Parlez-vous du palier fédéral?

Mme Williams : Oui.

M. Leuprecht : Il serait utile que le Canada regarde comment d'autres États fédéraux ont résolu ce genre de questions. J'aime vraiment ce que certains d'entre eux font. Par exemple, Bob Rae participe activement au Forum des fédérations.

J'ai souvent de la difficulté à comprendre pourquoi les choses sont si difficiles ici au Canada bien qu'il y ait, évidemment, la question Québec-gouvernement fédéral. La Suisse est un État hautement fédéral. Un autre exemple plus récent et intéressant d'État fédéral est l'Afrique du Sud, où ils trouvent des solutions.

Ce que je trouve inacceptable, pour être direct, c'est que très souvent, devant les organismes de surveillance de l'ONU, les représentants canadiens disent simplement qu'ils ne font pas la mise en application parce que le Canada est un État fédéral. Ce n'est tout simplement pas une raison suffisante. Je suis sûr que vous pourriez trouver et créer des établissements, à la fois au niveau fédéral et provincial, qui répondraient aux besoins qui existent dans ce domaine. Je partage entièrement les vues de ma collègue ici. S'il y a une volonté, on peut trouver des solutions.

En ce qui concerne la requête personnelle, je dirais que oui, probablement. J'ai parlé de la Commission des droits de la personne du Québec qui a examiné les plaintes provenant des endroits où étaient détenus les enfants. C'est très intéressant, mais aussi assez terrible, de lire ces dossiers. J'en ai lus quelques-uns. Le problème, c'est que les décisions de la Commission ne sont pas exécutoires. La Commission peut seulement faire des recommandations, et ce n'est pas assez. Au Québec, une tension non saine s'est établie entre la Commission, qui de toute évidence est parfois critique, et les établissements de jeunes.

[Français]

Le sénateur Pépin : Vous avez parlé des enfants privés de liberté. Vous avez indiqué qu'on retrouve un pourcentage plus élevé de ces cas au Québec que dans les autres provinces. Vous avez également indiqué que les conditions de détention sont inacceptables et qu'elles doivent être complètement révisées.

Pourriez-vous élaborer un peu, tout d'abord, sur la longueur des séjours, sur les endroits où ces jeunes sont détenus et sur les conditions de détention? Lorsqu'on les remet en liberté, qu'il s'agisse d'une remise en liberté complète ou partielle, où s'en vont-ils? Qui accueille ces jeunes? À la lumière de vos propos, il semble que les personnes qui en sont responsables soient plus ou moins qualifiées. Que faudrait-il changer et quand faudrait-il le faire?

M. Leuprecht : Je crois, tout d'abord, qu'il faudrait apporter un petit éclaircissement. Je n'ai pas dit que le pourcentage de jeunes ou d'enfants détenus est plus élevé au Québec que dans les autres provinces, mais plus élevé au Canada que dans d'autres États de droit démocratique.

D'autre part, la situation au Québec est probablement moins pire que dans les autres provinces. Toutefois, même au Québec, la situation est affligeante.

Parlons maintenant de la durée des détentions. La détention est en soi une privation de liberté. Les durées de détention sont variables. Plusieurs enfants font plusieurs séjours consécutifs. Le temps ne me permet pas d'entrer dans les détails. Je dirai néanmoins que les conditions sont souvent très dures. Il s'agit de centres de réadaptation. Les ordonnances de détention se font en vertu de trois lois : la Loi sur les jeunes délinquants, la Loi sur les services sociaux et les services de santé et la Loi sur la protection de la jeunesse.

Ce qui est déplorable est le mélange des détenus. Très souvent, les jeunes délinquants qui furent condamnés sont détenus en compagnie de jeunes ayant besoin de protection. Je pourrais vous citer des cas terribles documentés par la Commission des droits de la personne du Québec. On retrouve, à l'intérieur de ce système qui est dur en soi, des sanctions spéciales dont l'isolement et le retrait. Ces sanctions sont, à tout le moins, des conditions inhumaines. Certains jeunes sont placés parfois jusqu'à 72 heures dans un endroit clos. Il s'agit de pièces vides, sans fenêtre et fermées à clé. Autre fait souvent documenté est l'emploi de la force par les employés.

Le Québec, à une certaine époque, avait un système plutôt progressiste en la matière. Toutefois, au cours des dernières années, ce système a connu un certain glissement. On a remarqué une bureaucratisation du système. Certaines personnes ont dénoncé un manque de dimension humaine au système.

Vous avez également posé la question à savoir où vont les jeunes quand ils sortent de ces centres de détention. Les situations sont très variables. Certains retournent dans la rue, d'autres vont dans des familles d'accueil ou retournent dans leur famille.

Cette réalité est fort complexe. Lucie Lemonde et Julie Desrosiers ont beaucoup écrit sur le sujet. Je pourrai d'ailleurs vous fournir, si vous le désirez, les références du tout récent documentaire qui fut tourné sur ce triste phénomène.

Le sénateur Pépin : Je partage votre avis lorsque vous dénoncez l'impact néfaste que peut avoir sur un enfant le fait d'être placé ou isolé pendant plusieurs heures. Je fais partie d'un groupe qui étudie les maladies mentales. Les recherches ont révélé qu'un enfant perturbé mentalement ne devrait jamais être isolé. Il devrait, au contraire, être entouré. Je n'étais pas au courant de la gravité de la situation actuelle.

Madame Williams, permettez-moi le commentaire suivant. Vous dites qu'on ne sollicite pas suffisamment l'opinion de nos enfants sur ce qu'ils aiment de l'école. On a entendu ce matin une nouvelle selon laquelle les professeurs comptent utiliser des moyens de pression afin qu'on écoute plus attentivement leurs représentations. Il serait intéressant de savoir ce que les enfants auraient à dire sur le sujet.

[Traduction]

Le sénateur Pearson : Je suis intéressée à la réserve que le Canada a déposée sur l'article 21. C'est une réserve complexe, et je n'ai pas été capable de figurer comment nous pourrions faire des pressions pour qu'elle soit retirée. Pour ceux qui ne sont pas au courant, la réserve porte sur l'adoption, mais je n'en connais pas le libellé exact.

L'avez-vous, monsieur Leuprecht?

M. Leuprecht : Je ne l'ai pas avec moi. Le problème est que cette réserve porte sur les communautés autochtones, alors je crois que la solution peut venir en discutant avec ces communautés. Je crois qu'une certaine part de leur hésitation s'explique par une mauvaise compréhension de l'objectif de la convention et par le fait qu'ils croient que quelque chose de différent culturellement leur est imposé.

La présidente : Voici, pour le compte rendu, le texte de la réserve :

« ...le gouvernement du Canada se réserve le droit de ne pas appliquer les dispositions de l'article 21, dans la mesure où elles pourraient entrer en conflit avec les formes de garde coutumière au sein des peuples autochtones du Canada. »

Il s'agit d'une réserve restreinte et non d'une réserve complète.

Le sénateur Pearson : Il serait important pour nous de poursuivre cette discussion avec des chefs autochtones, bien que nous avons déjà entendu la très bonne présentation de Cindy Blackstock de First Nations Child and Family Caring Society of Canada.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth : Je pense qu'il y a trop d'organismes qui s'occupent des droits des enfants. Une révision de ces organismes serait peut-être utile, parce que nous nous retrouvons toujours, malgré le temps qui passe, avec des problèmes, des lois et des règlements à appliquer.

Il faudrait qu'il y ait concertation, des lignes directrices applicables à tous. À l'heure actuelle, chacun fait ce qu'il peut, selon l'endroit où il se trouve. Il faut aussi tenir compte du fait que chaque province a ses propres lois et ses particularités culturelles.

Deuxièmement, je suis intéressée par le projet «Grandir dans la ville» que vous avez évoqué. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez faire avec ce projet surprenant? Pensez-vous que les personnes âgées pourraient s'intégrer à ce processus et jouer un rôle?

[Traduction]

Mme Williams : Notre travail est encadré par la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, alors nous essayons de faire participer les jeunes dans des domaines où ils ont toujours été mis de côté. Nous sommes l'organisme principal du projet Growing Up in Cities et nous travaillons avec les organismes de jeunesse sur le terrain à Vancouver, à Gatineau et à Halifax. À Gatineau, c'est un peu exceptionnel, car nous travaillons en partenariat avec le Conseil des jeunes de Gatineau. Nous travaillons aussi avec un organisme communautaire pour la jeunesse à Halifax. Nous sommes donc présents dans trois villes où nous tentons de faire participer les jeunes aux processus civils.

Un projet similaire pourrait être mis sur pied pour les citoyens plus âgés, et peut-être que notre travail pourrait être un modèle, mais notre objectif est d'atteindre les jeunes.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth : À Montréal, je m'occupe des personnes âgées. Les problèmes que nous rencontrons chez les enfants se retrouvent parfois chez les personnes âgées tels les châtiments corporels, la violence, et autres, puisqu'il s'agit de personnes qui sont sans défense. J'ai mis sur pied un projet intergénérationnel dans lequel les personnes âgées prennent soin des jeunes itinérants. Cela fonctionne très bien. Il serait possible de faire pareil avec les enfants.

De plus, l'article 43 du Code criminel et la Cour suprême sont là pour dire que le châtiment corporel est un crime. Dans les provinces où l'on retrouve une mosaïque culturelle, comme c'est le cas au Québec, les châtiments corporels subsistent. Il faut éduquer la société en profondeur. J'ai reçu des corrections quand j'étais petite et je n'en suis pas morte. Il faut donc comprendre ce que signifie un châtiment, ce qu'on veut dire par cela et où se situe la limite.

Est-ce que vous êtes d'accord avec l'article 43 du Code criminel? Car nous devons faire des pressions afin qu'on puisse définir ce qu'on entend par « châtiment corporel » du commencement jusqu'à la fin.

[Traduction]

Mme Williams : Pour ce qui est de savoir si j'approuve la décision de la Cour suprême au sujet de l'article 43, je peux vous dire que j'étais désappointée, particulièrement pour la raison que l'article 15 de notre Charte porte sur la dignité humaine. Pour moi, pouvoir frapper un enfant en toute légalité, cela ne relève pas de la dignité humaine. Pour cette raison, je ne suis pas d'accord avec la décision.

Je conviens avec vous que nous avons besoin davantage d'éducation. Il ne s'agit pas de pénaliser les parents qui ne respectent pas les droits des enfants; il s'agit d'offrir de l'éducation et du support afin que les citoyens s'améliorent et aident les enfants, les familles et les collectivités.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool : Plusieurs témoins que nous avons reçus à ce comité nous ont dit que la Convention sur les droits de l'enfant n'était pas bien connue d'autres pays ni des Canadiens. On a identifié certains systèmes, certains projets. Peut-être que c'est fait, mais si on ne l'a pas fait, serait-il utile de le faire? On pourrait regarder les aspects culturels tels le théâtre et le chant, et utiliser ces médiums pour passer notre message. Est-ce que cela existe?

Mme Williams : Au Canada, oui. Il y a des groupes qui utilisent cette méthode

[Traduction]

Cependant, il ne s'agit pas d'une stratégie générale; ni généralisée. Elle devrait être individualisée. C'est une excellente manière de communiquer, particulièrement avec les enfants et dans les environnements d'enfants, où l'on trouve les enfants. C'est une excellente manière de faire passer le message. Cela est utilisé d'une manière très efficace à l'échelle internationale.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool : Ce serait une suggestion que l'on pourrait étudier. On pourrait jumeler le côté culturel. Je pense au chanteur de renommée internationale, Yves Duteil, qui fait la promotion de la convention à travers ses chansons. Nous pourrions faire de même au Canada avec des chanteurs, ou autres groupes musicaux ou utiliser le théâtre. Ce qui compte, c'est que le message soit répété.

[Traduction]

La présidente : Monsieur Leuprecht, nous avons eu un débat, à savoir si l'on peut faire avancer les intérêts et les droits des enfants avec l'éducation ou s'il vaudrait mieux recommander d'établir une loi habilitante au Canada, puisque la convention prévoit se fonder sur les droits.

Selon-vous, la solution réside-t-elle dans l'évolution (c'est-à-dire l'éducation) ou dans le cadre législatif?

M. Leuprecht : Ce n'est pas une question facile. Je ne peux être trop diplomatique, ce n'est pas mon style.

J'ai parlé tout à l'heure des particularités de la Convention relative aux droits de l'enfant. Selon la convention, il nous faut les deux. Je suis d'accord pour dire qu'il faut des mesures législatives. J'ai suggéré d'envisager la possibilité d'incorporer la convention aux lois fédérales et provinciales du pays. C'est une façon de faire, mais ce n'est pas suffisant. Il faut créer une conscience. Comme mon collègue l'a dit, il faut créer une culture de respect des droits de l'enfant. Les deux sont nécessaires.

Au sujet du châtiment corporel, vous avez probablement constaté que le Comité des droits de l'enfant a dit qu'il recommande que l'État partie, c'est-à-dire le Canada, adopte une loi pour annuler l'autorisation existante qui permet d'avoir recours à une force raisonnable pour discipliner les enfants et aussi une loi qui interdit explicitement toutes les formes de violence à l'endroit des enfants, peu importe la forme, dans les familles, les écoles et les établissements où des enfants sont placés.

Enfin, pour répondre à une question qui a été posée tout à l'heure, en Europe, il y a eu des expériences très intéressantes où l'on a mis sur pied des conseils municipaux d'enfants. Je ne sais pas si vous êtes au courant. Ces expériences ont été très réussies. Les enfants ont dit comment devait être la municipalité selon eux. Il est extraordinaire d'entendre ce qu'ils ont à dire, et de plus, c'est une bonne façon de leur enseigner la démocratie.

Il y a quelque chose qui existe dans certaines parties du monde et que je trouve fascinant, ce sont des villes ou des municipalités des droits humains, où l'on essaie d'appliquer les droits humains, y compris les droits de l'enfant, de manière très concrète, au niveau local.

Le président : Je veux remercier nos deux témoins d'avoir partagé leur expérience et leurs conseils avec les membres du comité.

Nos prochains témoins sont M. Jean-François Noël, directeur général du Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes, et Mme Judy Finlay, avocate principale et directrice du Bureau d'assistance à l'enfance et à la famille, Toronto, qui représente le Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes. Mme Finlay est accompagnée de Mme Deborah Parker-Loewen, présidente du conseil et protectrice des enfants, Children's Advocate Office, Saskatoon (Saskatchewan), et de Mme Janet Mirwaldt, protectrice des enfants, Bureau du procureur des enfants, Manitoba.

Monsieur Noël, allez-y.

[Français]

M. Jean-François Noël, directeur général, Bureau international pour les droits des enfants : Je suis directeur général du Bureau international du droit des enfants. J'aimerais vous remercier de l'opportunité qui m'est donnée, au nom du Bureau international du droit des enfants, d'être présent devant vous aujourd'hui. Je voudrais vous saluer pour l'initiative de cette étude sur les obligations internationales du Canada.

[Traduction]

J'ai préparé un document, mais malheureusement, je n'ai pas réussi à le présenter à temps pour qu'il soit traduit.

La présidente : Ce n'est pas grave. Si vous voulez nous le présenter, nous pourrons le faire traduire et le remettre ensuite aux membres du comité.

[Français]

M. Noël : Quelques mots sur le Bureau international des droits des enfants : c'est une organisation internationale qui fêtait en 2004 son dixième anniversaire. Nous avons un statut consultatif auprès de l'ECOSOC, nous travaillons aussi étroitement avec le comité des droits de l'enfant à Genève, ainsi qu'avec l'office contre la drogue et le crime et la Commission sur la prévention du crime et la justice pénale à Vienne. Nous sommes également membre de l'ISPAC, le comité scientifique consultatif des Nations Unies en matière de justice pénale, où nous nous préoccupons des questions qui concernent les enfants.

Concernant la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l'enfant et sur son statut ailleurs dans le monde, on peut trouver des indices de bonnes pratiques intéressantes. On sait que la Convention relative aux droits de l'enfant est le grand texte sur les droits de l'enfant qui était attendu depuis des décennies; c'est une référence et un instrument quasi universel puisque seulement deux États ne l'ont pas ratifiée.

Mais sa véritable efficacité dépend toutefois de son application effective. Force est de constater que là est le véritable défi pour la Convention relative aux droits de l'enfant, y compris au Canada.

Comme l'a mentionné le professeur Leuprecht, en vertu du droit international public, un traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté de bonne foi. Dans le cas qui nous concerne, l'article 4 de la Convention relative aux droits de l'enfant énonce :

Les États parties s'engagent à prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la présente Convention.

En ratifiant la convention, les États parties se sont engagés non seulement à respecter les dispositions de la Convention relative aux droits de l'enfant, mais également à en appliquer les clauses dans leur pays.

Comme le professeur Leuprecht, je vous ramènerai à 1999, année où nous avons célébré le dixième anniversaire de la convention. À l'époque, l'Unicef avait préparé une étude sur le statut de la convention dans la législation des États parties. Sans entrer dans les détails — cela se trouve dans les notes de ma présentation — dans près de la moitié des États parties, la convention avait alors donné lieu à des activités législatives et, dans certains cas, à une incorporation de la Convention relative aux droits de l'enfant dans la constitution.

Plus récemment, en novembre 2004, à l'occasion d'une conférence organisée par le Bureau international des droits des enfants à Montréal pour célébrer le 15e anniversaire de la convention, le rapporteur du comité des droits de l'enfant, l'honorable ambassadrice Moushira Khattab, nous a rappelé que, en ratifiant la Convention relative aux droits de l'enfant, les États s'étaient engagés à garantir la conformité de leur droit interne avec la convention. C'est pourquoi le comité recommande aux États parties d'intégrer la Convention relative aux droits de l'enfant dans leur droit interne.

Le président de l'Association internationale des magistrats de la jeunesse et de la famille a également souligné qu'une telle incorporation et la reconnaissance que la loi internationale l'emporte sur la loi nationale sont essentielles pour amener les pays à se conformer aux traités internationaux.

Enfin, le directeur adjoint de l'Unicef nous a rappelé que si l'engagement politique a permis au processus de réforme législative de se mettre en place, le changement social n'a pu perdurer que lorsque cet engagement s'est doublé d'un réexamen complet de la législation, d'une application efficace de la loi et lorsqu'on a fourni les ressources nécessaires pour que ces processus de réflexion et de réforme pénètrent toute la société.

Outre l'incorporation en droit interne, de nombreux pays ont mis en place des institutions chargées de veiller au suivi de la Convention relative aux droits de l'enfant et au respect des droits de ces enfants. On retrouve plus de 60 institutions indépendantes dans au moins 38 États à travers le monde; certains sont des États fédéraux, à l'instar, du Canada. Le développement le plus rapide d'institutions indépendantes en faveur des droits de l'enfant a eu lieu en Europe, où on en compte présentement 27.

Le comité des droits de l'enfant insiste systématiquement sur l'importance des ombudsmans et d'autres institutions indépendantes auprès desquelles les enfants ou toute personne en leur nom pourraient déposer des plaintes.

Qu'en est-il de la situation au Canada? On le sait, l'intégration de la Convention relative aux droits de l'enfant est limitée, d'une part, par les réserves qui ont été émises au moment de la ratification. D'autre part, l'intégration de la Convention est également assujettie aux contextes constitutionnel et juridique; la séparation des pouvoirs, la suprématie de la Constitution et le partage des compétences, bien évidemment. Et enfin, elle est ralentie par cette absence de mécanisme permanent à l'échelle nationale pouvant coordonner les interventions.

On constate alors deux choses. D'une part, on constate que la Convention sur les droits de l'enfant n'a à ce jour fait l'objet d'aucune intégration en droit canadien, que ce soit au fédéral ou dans les provinces. Malgré une certaine ouverture de la Cour suprême du Canada en faveur du recours à la Convention relative aux droits de l'enfant à des fins interprétatives, il demeure que tant que la Convention relative aux droits de l'enfant ne sera pas incorporée en droit interne, celle-ci n'aura pas force de loi et le respect de ces principes sera subordonné aux lois en vigueur au Canada.

On constate qu'à l'heure actuelle le Canada ne dispose pas d'une institution centrale apte à veiller de façon permanente à l'application de la Convention relative aux droits de l'enfant et au respect des droits qui y sont énoncés. D'ailleurs, le Comité des droits de l'enfant déplore cette situation. Pourtant, plusieurs provinces canadiennes se sont dotées d'institutions semblables et se sont regroupées en 2001 sous la forme du conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes.

En ce qui concerne les recommandations, j'ai eu l'opportunité de prendre connaissance de certains des témoignages entendus avant aujourd'hui, et je dois dire que nous n'avons pas de difficulté à nous rallier à la grande majorité des recommandations qui ont été faites.

Dans un souci d'être bref, j'aimerais insister sur deux recommandations qui découlent directement des constatations qui ont été faites il y a quelques minutes. La première constatation, c'est qu'à notre avis, la Convention relative aux droits de l'enfant devrait être incorporée au droit canadien par une intervention législative.

Compte tenu de la diversité des sujets qui sont traités dans la Convention et de la particularité du partage des compétences entre le fédéral et les provinces, un enchâssement de la Convention relative aux droits de l'enfant dans la Constitution, à l'image de la Charte canadienne, représente sans aucun doute le scénario idéal.

Il est intéressant de noter que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse au Québec prépare une proposition en vue de recommander l'enchâssement de la Convention relative aux droits de l'enfant à l'intérieur de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

En second lieu, et comme l'ont souligné plusieurs témoins devant ce comité, il y a lieu de mettre en place une institution centrale au Canada chargée de voir à l'application de la Convention relative aux droits de l'enfant. Les fonctions de cette nouvelle institution, dont certaines pourraient être confiées à un ou plusieurs organes subsidiaires, pourraient se résumer ainsi.

Tout d'abord, voir au respect des droits des enfants et des jeunes dans les champs de compétence fédérale, ce qui requiert un organe indépendant du gouvernement et un organe investi de réels pouvoirs, soit les pouvoirs d'entendre des plaintes individuelles, d'effectuer des enquêtes systémiques, de saisir les tribunaux lorsque nécessaire et, enfin, de soumettre des rapports indépendants au Comité des droits de l'enfant à Genève.

Cet organisme pourrait guider les interventions du gouvernement fédéral en ce qui concerne les enfants en agissant comme point de chute interministériel. Il pourrait aussi coordonner les interventions entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires sur des questions de compétence mixte. Il pourrait instaurer un système de suivi en collaboration avec les institutions qui voient au respect des droits de l'enfant dans les provinces et territoires, mais aussi avec les ONG et avec la société civile qui, souvent, sont le plus près du terrain et en mesure d'évaluer les vrais besoins.

Toujours en collaboration avec les ONG et la société civile, cet organisme pourrait mettre à profit ses connaissances et ses réseaux afin d'œuvrer à la sensibilisation, la formation et le partage de bonnes pratiques. J'ajouterai que la mise en place de cette autorité centrale devrait accompagner et non remplacer l'intégration de la Convention relative aux droits de l'enfant en droit interne.

À l'heure actuelle, nous avons sur la scène internationale un traité contraignant qui a une valeur juridique, certes, mais le mécanisme de surveillance est dépourvu de réels pouvoirs. Je crois qu'on pourrait se questionner sur l'impact qu'aurait un organisme au Canada investi de réels pouvoirs si la Convention n'est pas génératrice de droits et d'obligations à l'intérieur du pays.

En conclusion, le Canada, au fil des ans, s'est bâti une réputation enviable sur la scène internationale en ce qui concerne la protection des droits de la personne, et plus particulièrement les personnes vulnérables, y compris les enfants. On se souviendra du rôle de premier plan qu'avait joué le Canada à l'organisation du Sommet mondial pour les enfants tenu à New York en 1990. Quinze ans plus tard, alors que plusieurs pays ont incorporé la Convention dans leur droit interne, voire même dans leur Constitution, et mis en place des institutions nationales chargées de veiller au respect de ces droits, on ne peut malheureusement pas en dire autant du Canada.

Il est grand temps que le Canada adopte des mesures concrètes en ce sens. Il en va du respect des engagements du Canada à l'égard des enfants canadiens et il en va de la crédibilité du Canada aux yeux de la communauté internationale.

[Traduction]

Mme Judy Finlay, avocate principale et directrice, Bureau d'assistance à l'enfance et à la famille, Toronto (Ontario), Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes : Merci de me permettre de vous présenter mon témoignage aujourd'hui. Notre travail à l'échelle provinciale porte spécifiquement sur le droit des enfants. Comme le disent mes collègues, nous sommes ici aujourd'hui pour traiter de dossiers urgents, mais nous sommes aussi porteurs d'espoir.

Je suis protectrice des enfants pour la province de l'Ontario et présidente du Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes. Nous formons une coalition de protecteurs des enfants nommés par la province. Deborah Parker-Loewen est la protectrice des enfants pour la province de la Saskatchewan, et Janet Mirwaldt, pour la province du Manitoba.

Il y a actuellement huit provinces où l'on nomme des protecteurs des enfants : la Colombie-Britannique, l'Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, l'Ontario, le Québec, Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse. Le Nouveau-Brunswick est actuellement en train de créer la loi qui permettra de le faire. Dans trois provinces, soit la Saskatchewan, le Manitoba et Terre-Neuve, le protecteur des droits des enfants relève directement de l'assemblée législative. En Ontario, il y a environ un an et demi, j'ai senti qu'il avait une certaine interférence avec mon rôle de protectrice des enfants, alors j'ai demandé à ce qu'une tierce partie indépendante examine l'autorité de mon bureau et ses relations. Cet examen a été réalisé et le gouvernement a recommandé que le protecteur des enfants de l'Ontario soit indépendant et relève de l'assemblée législative. Cette recommandation est actuellement étudiée par le Cabinet.

Le protecteur des enfants du Québec relève de la Commission des droits de la personne. Celui de la Nouvelle-Écosse relève de l'ombudsman. En Alberta et en Colombie-Britannique, ainsi qu'en Ontario pour le moment, ils relèvent directement du ministre.

Tous les protecteurs des enfants travaillent selon des idéaux mis de l'avant par la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, et notre rôle est divisé en quatre parties. Premièrement, nous nous assurons que les droits des enfants sont respectés dans notre province et qu'ils soient évidents dans la loi, la politique et la pratique de la province. Deuxièmement, nous nous assurons que la voix des jeunes est entendue et que ces derniers participent aux décisions qui ont un effet sur eux. Troisièmement, nous réglons les différends de manière directe lorsque des jeunes font appel à nous et nous faisons enquête lorsque nous constatons des manquements dans la pratique ou des violations des droits, particulièrement lorsqu'il s'agit d'enfants qui sont sous la garde de l'État dans des établissements ou des groupes de soins. Enfin, nous faisons de recommandations à l'intention de notre gouvernement.

Nous travaillons principalement avec des enfants qui sont sous la garde de l'État, c'est-à-dire des enfants dont l'État est le parent. Il y a des enfants qui ne peuvent plus vivre dans leur famille, habituellement pour des raisons de protection. Au Canada, il y a environ 100 000 enfants qui sont sous la garde de l'État, alors on peut dire que le Canada est le parent de 100 000 enfants.

De plus, l'État est responsable des enfants qui sont dans le système de justice pour les enfants, des enfants qui sont soignés pour des raisons de santé mentale, des enfants qui ont des troubles médicaux, des enfants qui sont dans la rue et qui vivent dans des abris, des enfants séparés de leur famille qui viennent au Canada, des enfants dans des internats, et cetera. Tous ces enfants peuvent s'adresser à un défenseur des droits des enfants. L'État a la responsabilité spéciale de protéger ces enfants et de s'occuper d'eux non seulement de la même manière qu'une famille le ferait, mais mieux que cela, en raison de leur vulnérabilité particulière. Cela nécessite une approche fondée sur les droits, comme vous l'avez entendu tout à l'heure, et qui fait appel à un modèle d'inclusion sociale. Dans l'ensemble, la société a été tout à fait indifférente au sort de ces jeunes, et nous, les protecteurs des enfants, sommes très découragés de cet état de fait.

Notre priorité première est de faire entendre et de faire participer les jeunes. D'une manière générale, pour que les citoyens fassent leurs devoirs dans une société, comme le souligne la Convention des Nations Unies qui donne aux enfants un statut de citoyen, nous devons faire entendre la voix des jeunes et les faire participer aux activités qui relèvent de leurs droits. La participation est un processus inutile si l'on ne met pas en place des mesures de protection pour donner une autorité à cette voix. Pour faire cesser l'inclusion sociale des enfants et les considérer comme des personnes compétentes, productives et égales, il faut modifier les idées. Nous, en tant que société, devons croire que les enfants ont une perspective sociale unique et valable qui équivaut à n'importe quelle perspective provenant d'un adulte.

Pour faire une parenthèse, j'ai rencontré un groupe de jeunes ici à Ottawa, samedi, des jeunes qui étaient soit sous la garde de l'État, soit qui étaient issus de ce milieu. Je leur ai parlé ouvertement de ce que cela signifiait pour eux d'être citoyen. Ces enfants ont dit « Nous ne sommes pas des citoyens du Canada. Nous sommes des citoyens de l'assistance. » Ils ont dit que leur voix et que leur participation dans la société étaient prises en considération uniquement dans le cadre du système d'assistance. Ils se sentaient marginalisés; ils sentaient qu'ils ne faisaient pas partie de la société en général; ils se sentaient exclus.

Notre deuxième priorité porte sur la question de la violence à l'endroit des enfants. La violence à l'égard des enfants est devenue une question de plus en plus préoccupante au Canada. Ce type de violence part de la famille et va jusque dans le système. Les jeunes sont témoins de violence ou sont victimes de violence à la maison et ils reproduisent cela à l'école, dans des groupes, dans leur collectivité ou dans les rues.

Le secrétaire général de l'ONU mène une étude internationale sur la violence envers les enfants. Cette étude met en lumière le lien entre les droits des enfants et la violence. Nous devons faire participer les jeunes à un débat sur ce sujet afin d'alimenter l'étude selon une perspective canadienne.

Notre troisième priorité porte sur les enfants autochtones. Ces enfants sont l'un des groupes les plus vulnérables d'enfants au Canada. Nous sommes tous au fait de statistiques tragiques, et j'en fais référence dans notre document. Il convient de répéter que 46 p. 100 des enfants à la charge du Canada sont des Autochtones. Les enfants autochtones sont incarcérés à un taux qui est de huit fois supérieur au taux d'enfants non autochtones. Ces jeunes passent du système de protection de la jeunesse directement au système de justice pour les jeunes. Il existe une indifférence notable à l'égard de la situation de ces enfants. Si les conditions dans lesquelles vivent nos enfants autochtones des régions du Nord étaient constatées au sud — par exemple, si l'on constatait ces conditions de déchéance à Toronto, à Montréal, à St. John's, à Victoria ou à Edmonton — personne ne le tolèrerait et nous serions prêts à appliquer une résolution significative sur le sort de ces enfants aujourd'hui.

En ce qui concerne les stratégies, il y a l'investissement dans l'esprit, les principes et la lettre de la convention, ce qui est déjà fait au Canada. Par exemple, le fait que nous sommes ici aujourd'hui pour parler de ce sujet est important. Nous devons avoir ce genre de conversations dans toutes les couches de la collectivité. Il y a des débats actuellement dans les collectivités et dans la société civile au sujet des droits des enfants, de la participation des jeunes et de la citoyenneté. C'est nouveau et il faut le dire. Comme je l'ai mentionné, huit provinces ont nommé un protecteur des enfants conformément à leur loi. L'Ontario a été la première à nommer un protecteur des enfants, en 1977, et tous les autres ont été nommés au cours des dix dernières années.

Le bien-être et la protection des enfants autochtones relèvent maintenant des communautés des Premières nations, conformément à la convention, et les principes de la Loi sur le système de justice pénal pour les adolescents est directement liée à la convention.

J'aimerais souligner les progrès qui ont été réalisés depuis 1991, car nous devons nous réjouir de cela. C'est porteur d'espoir.

Cependant, il n'existe aucun mécanisme de surveillance ou de suivi qui permette de s'assurer que le document Un monde digne des enfants, que le plan d'action national ou même que la Convention relative aux droits de l'enfant sont appliqués. Dans le premier cas, nous devons avoir un organisme national et un commissaire à l'enfance qui aurait une autorité juridique et qui devrait faire rapport au Parlement. Le rôle d'un commissaire à l'enfance serait de surveiller le Canada et de s'assurer qu'il agisse de manière responsable à l'égard de ses engagements relatifs à la convention.

Deuxièmement, il nous faut un bureau au sein du gouvernement fédéral dont le mandat consisterait à appliquer d'une manière opérationnelle le plan d'action national et la convention. Nous sommes des autorités provinciales. Nous faisons le suivi et nous nous assurons que les lois provinciales et fédérales qui concernent nos enfants sont respectées, mais nous le faisons uniquement à l'échelle provinciale. Sans direction coordonnée et centralisée, il n'existe aucun engagement à l'échelle nationale pour que les principes et les objectifs de la convention soient appliqués. Nous sommes en faveur d'une approche à deux paliers : un organisme qui applique les principes et le texte de la convention et un organisme indépendant qui assure le suivi et qui présente des rapports publics sur cette mise en œuvre.

Je vous invite tous à venir visiter nos bureaux afin d'en apprendre plus sur la défense des droits des enfants en tant que niveau d'intervention de premier ordre. J'aimerais également, si vous le souhaitez, pouvoir organiser une séance où vous pourriez vous adresser aux enfants et aux adolescents directement.

Le président : Madame Finlay, j'ai travaillé dans le tribunal de la famille pendant plus de 20 ans. Les statistiques dont vous parlez au sujet des enfants autochtones sont choquantes. Lors d'une discussion que nous avons eue auparavant, nous avons constaté que la réserve à l'endroit de la communauté autochtone avait comme objectif de ne pas faire intrusion dans des pratiques d'adoption. Cependant, nous faisons intrusion dans la vie des enfants. Auriez- vous une idée de la manière dont nous pourrions appliquer la convention en faveur des enfants autochtones?

Mme Finlay : Je vais laisser ma collègue, Mme Mirwaldt, répondre à la question.

Mme Janet Mirwaldt, avocate pour enfants, Bureau de défense des droits des enfants et des jeunes du Manitoba : Nous devrions travailler directement avec les collectivités autochtones. Je suis d'abord et avant tout une praticienne. En général, les enfants autres que ceux dont vous avez parlé ne sont pas au courant de la convention des Nations Unies. La solution est de travailler avec les collectivités autochtones en vue de trouver des moyens de régler les problèmes. Le plus important est de veiller à ce que les gens soient au courant qu'il existe une convention, car je crois que l'ensemble des enfants ne le savent pas et ne connaissent pas les droits qu'elle leur confère.

Le sénateur Pearson : Je vous remercie tous d'être ici et d'avoir présenté un exposé.

Monsieur Noël, en parlant de votre organisme, Mme Finlay et les autres ont expliqué qu'il avait deux fonctions. D'un côté, il assume une fonction de coordination au sein du gouvernement et, de l'autre, il doit faire rapport au Parlement.

Je pourrais demander à Mme Finlay et aux autres si ces deux fonctions entrent en conflit.

Pensez-vous, monsieur Noël, qu'il devrait y avoir deux mécanismes, dont un visant à assurer la coordination par l'entremise d'une unité au sein d'un ministère, comme cela existe en Suède? Les Suédois ont élaboré une stratégie de mise en œuvre de la Convention. Cependant, l'application de cette stratégie ne relève pas de l'ombudsman ou d'une personne de la sorte.

Que pensez-vous de l'idée d'établir deux mécanismes au lieu d'un?

M. Noël : À l'heure actuelle, il n'existe aucun mécanisme, alors nous essayons de tout faire en même temps. Cela peut créer des problèmes, mais je ne crois pas qu'ils soient insurmontables. Je crois que nous pouvons atteindre les objectifs.

Premièrement, il est essentiel d'assurer la coordination entre les ministères au niveau fédéral. Pour avoir travaillé avec différents ministères sur diverses questions, je peux vous dire qu'on a souvent le sentiment que personne ne sait ce que les autres font, y compris en ce qui concerne la Convention relative aux droits de l'enfant. Il est nécessaire de coordonner le travail qu'effectuent l'ACDI, les ministères de la Justice et des Affaires étrangères ainsi que les autres.

Quant à la surveillance de la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l'enfant, il nous faut de toute évidence un mécanisme indépendant. Je ne sais pas si les deux mécanismes peuvent coexister, mais les deux sont très nécessaires.

Il faut qu'il existe une coordination au sein du gouvernement. Il faut entretenir des rapports avec l'ombudsman provincial et les institutions provinciales afin d'assurer la coordination, mais, pour ce qui est de la surveillance et de l'écoute des enfants, il faut qu'il s'agisse d'un mécanisme indépendant.

Comme l'a dit M. Leuprecht, il faut examiner ce que les autres font, et il a donné l'exemple de la Suède. Nous devons voir quelles sont les pratiques exemplaires. Cela fait partie de notre travail quotidien. Lorsque nous avons effectué nos travaux sur les enfants victimes et témoins de crimes et que nous avons élaboré des lignes directrices internationales, que l'ONU est en train d'étudier, nous avons d'abord examiné quelles étaient les pratiques exemplaires. Cela nous permet de voir ce qui convient et ne convient pas. De nombreux pays possèdent un système similaire à celui du Canada et ils ont acquis un certain nombre d'années d'expérience. Examiner ces systèmes serait un bon point de départ.

Mme Deborah Parker-Loewen, présidente du Conseil et protectrice des enfants, Bureau de la protection de l'enfance, Saskatoon (Saskatchewan), Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes : En Saskatchewan, je suis une haut fonctionnaire de l'Assemblée législative, au même titre que l'ombudsman, le vérificateur provincial, et cetera. Mon rôle est très clair : il consiste à examiner les préoccupations liées aux droits des enfants, particulièrement ceux qui reçoivent des services de la part du gouvernement provincial.

Il existe aussi dans notre province le Plan d'action de la Saskatchewan pour les enfants et le Conseil des enfants de la Saskatchewan. Ils regroupent habituellement divers organismes communautaires ou non gouvernementaux. Leur travail est coordonné principalement par l'entremise du gouvernement. Ma responsabilité en tant que haut fonctionnaire indépendante est également d'examiner les problèmes systémiques relevés par les groupes et les organismes de coordination. Les bureaux indépendants de surveillance qui existent en Saskatchewan, au Manitoba et dans d'autres provinces ont pour tâche de surveiller les travaux menés au sein du gouvernement.

Les deux entités doivent coexister. Je suis consciente que cela pose un défi sur le plan des ressources, mais il existe déjà au sein du gouvernement un certain nombre d'endroits où un tel corps organisateur pourrait œuvrer. Le défi est de trouver une façon de se doter d'une entité indépendante chargée d'assumer les fonctions d'observateur, d'organisme de surveillance et de porte-parole qui parlera au nom des enfants avec passion et clarté et qui ne relèvera d'aucun ministère.

Je suis protectrice des enfants en Saskatchewan depuis dix ans, alors je sais que cela est possible. La création d'un tel organisme indépendant doit s'effectuer par voie législative de sorte qu'il ne soit pas assujetti aux caprices du gouvernement du moment. Selon moi, et de l'avis du Conseil également, je crois, il doit s'agir d'une mesure législative assez musclée pour faire en sorte que le dirigeant de cet organisme ait le courage de s'exprimer au sujet des questions qui ont une incidence sur nos enfants.

Sénateur Andreychuk, au Canada, 46 p. 100 des enfants pris en charge sont autochtones, mais en Saskatchewan, ce pourcentage s'élève à 85 p. 100. Les enfants autochtones sont largement surreprésentés au sein des systèmes vulnérables; nous ne pouvons pas continuer de demeurer indifférents à cette situation.

Le sénateur Carstairs : Mme Finlay a déclaré que, si ce problème existait à Toronto ou à Montréal, il serait réglé. Le problème est plus grave en Saskatchewan et au Manitoba, et pourtant il n'a pas été réglé. Nous avons le sentiment qu'on ne se préoccupe pas beaucoup des enfants, en particulier des enfants autochtones.

Qu'allons-nous faire à propos de cette situation? Qu'allons-nous faire à propos du fait que non seulement ces enfants n'ont pas l'impression d'être des citoyens canadiens, mais aussi que, en réalité, ils ne le sont pas?

Mme Mirwaldt : Au Manitoba, le système d'aide à l'enfance fait l'objet d'une réforme en profondeur. Le droit de gérer et de fournir des services aux enfants et aux familles, ou des services de protection comme nous les appelons, a été redonné aux collectivités métisses et à celles des Premières nations, ce qui constitue un pas fondamental. Ce qu'il faut faire aussi, c'est appuyer ces collectivités dans leur travail. Les organismes chargés des services de protection ont toujours manqué de soutien.

En outre, il ne faut pas restreindre l'appui à un seul secteur de service. Il faut reconnaître que plusieurs secteurs fournissent des services aux enfants. Il faut palier ce manque de soutien qui a toujours existé en travaillant avec les communautés autochtones et métisses et en appuyant le bon travail qu'elles effectuent.

Le sénateur Carstairs : Vous avez parlé du fait que nous avons commencé à fournir cet appui, et je crois qu'il s'agit là d'un progrès, mais nous savons très bien toutes les deux que c'est la question des ressources qui pose le plus grand problème. Êtes-vous confrontée au même problème relatif aux compétences auquel nous faisons face dans d'autres domaines, c'est-à-dire est-ce que les peuples autochtones prétendent que ce n'est pas leur responsabilité tandis que le gouvernement fédéral affirme le contraire?

Mme Mirwaldt : Oui. Le gouvernement fédéral s'occupera encore de financer les services fournis dans les réserves, mais il se dégagera de sa responsabilité de financer les services fournis hors des réserves au Manitoba. Mme Parker- Loewen peut vous parler de la Saskatchewan, mais je peux vous dire qu'au Manitoba, il existe des problèmes liés aux compétences en ce qui concerne le financement des services. Ce que nous espérons, c'est qu'à un moment donné, les enfants des réserves bénéficieront du même accès aux services et auront droit à la même qualité des services que les autres enfants.

Mme Parker-Loewen : À titre d'exemple, le Bureau a mené une enquête au sujet du cas d'un jeune enfant considérablement maltraité dans le cadre duquel la communication entre les organismes de services dans la réserve et ceux hors réserve était mauvaise, ce qui a empêché la transmission de certains renseignements. Le comité des Nations Unies a formulé un certain nombre de recommandations au sujet de ce problème. En tant que pays, nous devons prendre au sérieux ces recommandations quand vient le temps de mettre en œuvre au Canada la Convention relative aux droits de l'enfant. Ces recommandations ne doivent pas tomber dans l'oubli. Nous devons les appliquer. Dans le cadre de notre travail à titre de protecteurs des enfants, nous constatons tous les jours que la Convention n'est pas respectée.

Les autorités des Premières nations chargées de l'aide à l'enfance, en collaboration avec le gouvernement fédéral, ont rédigé un rapport très important, l'examen national conjoint des politiques, et ont formulé un certain nombre de recommandations qui permettraient d'améliorer la situation des enfants autochtones qui bénéficient des services d'aide à l'enfance. Ce rapport a été publié en 2000, mais on y a très peu donné suite depuis, comme d'autres témoins vous l'ont déjà certainement dit.

Voilà un exemple de non-respect des droits des enfants malgré de bons conseils formulés par un groupe composé d'Autochtones et de représentants du gouvernement. Le rapport dort essentiellement sur une tablette.

Le sénateur Poy : Madame Finlay, lors de votre exposé, vous avez mentionné que les jeunes communiquent avec vous par téléphone. Quel âge ont-ils et comment font-ils pour savoir à qui s'adresser?

Mme Finlay : Les enfants âgés de 18 ans et moins peuvent appeler notre bureau. Il y a des enfants âgés de 7 ans seulement qui nous appellent. Parfois, ce n'est pas l'enfant lui-même qui téléphone. Souvent, c'est ce qu'on appelle le défenseur naturel de l'enfant qui communique avec nous en son nom, particulièrement si l'enfant est âgé de moins de sept ou huit ans. Nous rendons visite à l'enfant peu importe son âge et nous le représentons après avoir discuté avec lui. La grande majorité des appels que nous recevons proviennent d'enfants âgés de plus de 10 ans qui sont capables de bien s'exprimer et qui se sentent en mesure d'appeler la ligne sans frais.

Le sénateur Poy : Est-ce qu'on leur parle de votre bureau à l'école? Sinon comment apprennent-ils votre existence?

Mme Finlay : Une loi ontarienne stipule qu'il faut parler de notre existence aux enfants qui entrent au sein d'un foyer qui n'est pas le leur, qu'il s'agisse d'un foyer d'accueil ou d'un foyer collectif. On leur parle du protecteur des enfants lors de leur admission et 30 jours après leur prise en charge. Les enfants qui sont pris en charge par l'État connaissent très bien l'existence du protecteur des enfants et ils savent qu'ils peuvent communiquer avec lui.

Une affiche doit être posée dans les établissements de soins en résidence, et nous sommes en train d'en mettre dans les écoles. Dans les établissements scolaires, des jeunes informent les enfants de leurs droits en vertu du programme Droits au but. Ce sont des enfants qui renseignent les enfants à propos de leurs droits.

Notre mandat vise davantage les enfants qui sont pris en charge par l'État que les enfants en général, à moins qu'ils veuillent recevoir ou qu'ils reçoivent des services de la part du gouvernement.

Le sénateur Poy : Les enfants qui sont battus par leurs parents n'ont donc pas tendance à vous appeler, n'est-ce pas?

Mme Finlay : Les cas de ce genre relèvent de l'aide à l'enfance ou de la protection de l'enfance, et ce sont la police ou les autorités chargées de l'aide à l'enfance qui s'en occupent. Cependant, les enfants qui sont pris en charge par l'État et qui estiment qu'ils ne sont pas protégés ou qu'ils ne reçoivent pas les services dont ils ont besoin savent qu'ils peuvent communiquer avec nous.

[Français]

Le sénateur Pépin : On nous dit souvent que l'on retrouve chez les délinquants ou chez les jeunes criminels un pourcentage de gens qui sont perturbés mentalement. Je me demandais si vous aviez des statistiques à cet égard. On insiste beaucoup sur la prévention en disant qu'on doit être capable de détecter très jeunes les enfants qui ont des troubles mentaux, mais lorsqu'on étudie les jeunes criminels, on s'aperçoit qu'il y en un nombre important.

C'est pour cela que je voulais savoir si vous aviez, tous ici présents, des statistiques ou si vous êtes au courant de ce problème.

[Traduction]

Mme Finlay : C'est une très bonne question. Nous savons que 66 p. 100 des jeunes en Ontario qui font face au système de justice pour les jeunes souffrent au moins d'un trouble mental médicalement diagnosticable. Habituellement, ils souffrent d'un trouble médicalement diagnosticable et aussi d'un problème de comportement. Une grande majorité des enfants qui font face au système de justice pour les jeunes ont bénéficié des services d'aide à l'enfance ou des services de santé mentale pour enfants. Ce sont des enfants qui n'ont pas reçu le type ou la qualité de soins, de services ou de traitements dont ils avaient besoin et qui, par défaut, se sont retrouvés dans le système de justice pour les jeunes. Nous savons très bien que la majorité des enfants qui font face au système de justice pour les jeunes souffrent de troubles mentaux.

Nous savons que 80 p. 100 de ces enfants proviennent de foyers où ils ont été témoins ou victimes de violence familiale. Nous savons aussi que 75 p. 100 de ces enfants éprouvent des difficultés d'apprentissage.

[Français]

M. Noël : Je vous parlerai du point de vue de mon expérience, ayant travaillé dans des centres jeunesse pendant plusieurs années. Je ferai le lien entre votre question et ce à quoi on a fait allusion cet après-midi, concernant les populations mixtes dans les centres jeunesse, autrement dit, ces jeunes qui sont en contact avec des jeunes contrevenants ou délinquants alors qu'ils s'y trouvent à titre de mesure de protection. Dans certaines situations, c'est tout à fait inacceptable. Je vous dirais que, dans d'autres, c'est difficile à éviter dans la mesure où ces enfants ne changent pas de chapeau du jour au lendemain; ce sont les mêmes jeunes avec les mêmes besoins, les mêmes lacunes. Pour une raison ou une autre, les troubles de comportement seront identifiés comme des délits. Ce n'est pas aussi simple de faire la séparation entre les deux.

D'autre part, dans les centres jeunesse, il est vrai que l'on retrouve beaucoup — pas seulement en matière de jeunes contrevenants mais aussi en protection de la jeunesse — de jeunes avec des troubles mentaux. Il s'agit d'un problème de ressources. Je ne connais pas la situation dans les autres provinces, mais je sais qu'au Québec, les services en matière de pédopsychiatrie sont excessivement difficiles à obtenir. Certaines institutions sont très sélectives en ce qui concerne les enfants qu'ils vont recevoir, ceci pour un bon nombre de raisons.

Cela fait que, dans le cas d'enfants qui ont été sortis de leur milieu familial — quand on pense qu'un enfant de sept ans est sorti de son milieu familial parce que les parents n'arrivent pas à s'en occuper et sont complètement dépassés — souvent on trouve une dynamique de troubles mentaux. Si on ne traite pas cela, on ne fait qu'offrir un milieu de remplacement avec un cadre, souvent, qui est plus rigide, en tout cas, du moins, plus constant, qui permet à l'enfant de se sentir en sécurité. Mais au moment du retour dans son milieu familial, cela va recommencer.

Je n'ai pas de statistique à vous donner, malheureusement, concernant ces services, mais je peux vous dire que c'est une dimension très importante pour laquelle, malheureusement, les ressources ne sont pas là.

Le sénateur Losier-Cool : Très brièvement, avant de passer à ma question, je voudrais commenter l'intervention du sénateur Carstairs, ainsi que vos réponses. Je pense que dans notre mentalité, peut-être nord-américaine, nous n'avons pas vraiment accepté ou nous avons de la difficulté à reconnaître le principe d'égalité. Car il s'agit d'un principe d'égalité. En d'autres mots, est-ce qu'un enfant métis qui fréquente une école au nord du Manitoba, est égal à une petite Canadienne qui est dans une école privée à Toronto? C'était simplement mon commentaire.

Je voudrais revenir maintenant à votre mémoire, dans lequel vous parlez d'un commissaire national fédéral. Si notre comité acceptait ou recommandait, dans son rapport, de mettre en place ce système de commissaire, pensant aux frictions fédérales provinciales qui existent actuellement, soit sur le plan de la santé, soit sur le plan de la petite enfance, est-ce que vous auriez des suggestion pour régler toutes ces frictions ou est-ce que ce commissaire va tout régler?

[Traduction]

Mme Finlay : Il est peut-être bon qu'il y ait des frictions dans le sens que nous devons avoir un dialogue passionné. Il existe divers points de vue et diverses compétences et problèmes. Un commissaire peut aider à expliquer les problèmes et à trouver des solutions. Je ne crois pas que les frictions soient une mauvaise chose. Il faut qu'il y ait un dialogue au pays, et les enfants doivent y prendre part. Si des jeunes et des enfants participaient à la conversation, nous saurions rapidement ce qui importe, car les jeunes nous aideraient à le déterminer.

Le sénateur Losier-Cool : Oui, il est vrai qu'il y aura des discussions passionnées, mais certains paliers de gouvernement, qu'il s'agisse du fédéral ou du provincial, n'adopteront pas la même position sur le plan de la santé ou de l'éducation. Voyez-vous une façon d'éliminer ces frictions?

Mme Finlay : Bien que les organismes de défense des droits des enfants diffèrent d'une province à l'autre ainsi que leur mandat, nous estimons qu'ils partagent tous les mêmes préoccupations. Notre conseil est en faveur de la création d'un poste de commissaire et il serait prêt à travailler en étroite collaboration avec son titulaire. Presque toutes les provinces comptent maintenant un protecteur des enfants nommé par la province. Assurer la communication entre les provinces et le commissaire par l'entremise des protecteurs des enfants pourrait contribuer à atténuer les frictions qui existent entre les provinces et le gouvernement fédéral.

Le sénateur Losier-Cool : Madame la présidente, si nous recommandons la création d'un poste de protecteur des enfants, nous serons confrontés à ces préoccupations.

La présidente : On a fait valoir ce point à plusieurs reprises.

[Français]

M. Noël : Bien humblement, j'encouragerais votre comité à aller de l'avant avec les recommandations que vous jugez à propos, compte tenu du contexte, de tout ce qui a été dit et de ce qui sera dit au cours des prochaines séances, et ce, même si certaines recommandations peuvent être accompagnées de frictions ou de réticence dans leur mise en œuvre. Il faut avoir le courage de recommander ce qui doit être fait, même si certaines recommandations pourraient prendre quelques années à se réaliser. Les temps changent mais il ne faut pas avoir peur d'aller de l'avant.

J'aimerais soulever à nouveau l'exemple de l'incorporation de la convention à la Constitution. On sait combien il est compliqué d'effectuer des modifications constitutionnelles. Toutefois, si on ne le propose jamais, sous prétexte d'être conscient de la difficulté, cet objectif ne sera jamais réalisé.

[Traduction]

La présidente : Je remercie tous les témoins de ce soir. Vous avez lancé au comité le défi de répondre aux questions et de se pencher sur les statistiques dont vous nous avez fait part.

La séance se poursuit à huis clos.


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