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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 8 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 21 mars 2005

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit ce jour à 16 heures pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous sommes au Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

Nous sommes heureux de pouvoir entendre M. William Schabas pendant une heure par vidéoconférence. Beaucoup d'entre nous connaissons M. Schabas, puisqu'il a témoigné devant le comité lorsque nous étudions le mécanisme des droits de la personne. M. Schabas est directeur du Irish Centre for Human Rights, National University d'Irlande, à Galway.

M. Schabas nous a déjà dit que le temps était beaucoup plus agréable en Irlande qu'ici. Monsieur Schabas, nous vous souhaitons la bienvenue à cette vidéoconférence. Comme convenu, vous allez présenter une déclaration d'ouverture et ensuite nous attendrons impatiemment vos réponses aux questions que vous poseront les sénateurs, dans l'ordre qu'ils choisiront, et vous pourrez ainsi connaître tous les membres du comité.

M. William A. Schabas, directeur, Centre irlandais des droits de la personne, Université nationale d'Irlande, Galway (par vidéoconférence) : Honorables sénateurs, c'est un plaisir pour moi de témoigner à nouveau devant le comité. J'étais à Ottawa il y a quelques semaines à peine et j'aimerais vraiment être avec vous en personne. Mais voilà; je suis ici et grâce à la technologie moderne, je peux témoigner de l'autre côté de l'océan. Je suis à environ 20 milles de l'endroit où Alcock et Brown ont atterri lorsqu'ils ont effectué le premier vol transatlantique en provenance du Canada en 1919.

Je voudrais commencer par une observation sur les droits de l'enfant. Si vous me le permettez, ceci ne concerne pas les droits de l'enfant au Canada, mais vient de votre voisin du Sud.

Au début du mois, la Cour suprême des États-Unis a rendu un jugement important touchant les droits de l'enfant. Elle a décidé que la peine de mort pour les crimes commis par des personnes de moins de 18 ans était contraire à la Charte des droits et était inconstitutionnelle. Grâce à ce jugement, les États-Unis sont devenus le dernier pays du monde à abolir la peine de mort pour les jeunes.

C'est important pour les personnes qui étudient la Convention relative aux droits de l'enfant et qui s'intéressent à ce secteur du droit relativement nouveau. Cela montre que la norme de ce traité qui était jusque-là accepté partiellement par divers pays est en train de devenir un modèle universel. Les juristes internationaux vont désormais dire qu'il s'agit non seulement d'une norme en vertu d'un traité, d'une norme qui lie les pays qui ont ratifié le traité, mais aussi d'une norme du droit coutumier international. C'est quelque chose de rare.

On a commencé à penser à cette loi il y a 100 ans quand le dernier pays a aboli l'esclavage, et c'est un moment très fort dans l'histoire des droits humains quand on peut finalement dire que quelque chose fait désormais partie de l'histoire passée, que c'est terminé.

Je me suis souvenu aussi qu'il n'y a pas si longtemps que cela, même au Canada, on condamnait encore de jeunes délinquants à mort. Certains d'entre vous doivent se souvenir de la célèbre affaire Steven Truscott. J'étais un enfant à l'époque du procès Truscott. Jugé comme adulte alors qu'il n'avait que 14 ou 15 ans, il a été déclaré coupable de viol et de meurtre et condamné à mort. Il a été condamné à mort parce qu'il avait été jugé comme adulte. Le premier ministre de l'époque, pour qui il n'était pas question d'accepter qu'un adolescent soit exécuté au Canada, a commué cette sentence de mort. La peine de mort n'était d'ailleurs plus appliquée au Canada grâce à la clémence dont faisait preuve le premier ministre, et y a finalement été abolie en 1977.

En l'occurrence, on avait condamné quelqu'un au Canada en tant qu'adulte alors qu'il s'agissait pratiquement d'un enfant. Cette notion ou ce principe, qui consiste à traiter des jeunes délinquants comme des adultes, a encore un peu cours au Canada.

Je voulais le signaler au comité permanent car c'est peut-être une des premières questions que vous examinerez.

Le Comité des droits de l'enfant de l'ONU s'est penché pour la dernière fois sur le rapport du Canada en 2003. Vous avez certainement lu ce document. Dans les remarques de conclusion, où les auteurs nous félicitent pour ce que nous faisons de bien et nous critiquent poliment pour ce que nous faisons moins bien, ils ont dénoncé le fait que le Canada était l'un des pays du monde développé qui emprisonnait le plus grand nombre de délinquants juvéniles. Je pense pouvoir dire sans hésiter que si nous emprisonnons de nombreux jeunes délinquants, il est certain que les États-Unis sont en avance sur nous. Si nous en incarcérons beaucoup en tant que pays développé, nous sommes probablement loin devant les pays en développement aussi.

Permettez-moi de vous citer l'article 57 des remarques de conclusion de ce comité. Il demande au comité de veiller à ce que :

Nulle personne de moins de 18 ans ne soit jugée comme adulte, quelles que soient les circonstances ou la gravité de l'infraction.

Certes, nous ne condamnons plus à mort des jeunes de 15 ans, mais nous condamnons encore des jeunes de 15 à 17 ans comme s'ils étaient des adultes. Le comité a critiqué le gouvernement à cet égard, et il a raison sur ce point.

Il faut adoucir et rendre plus humain notre système judiciaire pour les jeunes. C'est quelque chose que le Parlement du Canada a certainement le pouvoir législatif de faire.

Je constate aussi que le Canada a exprimé deux réserves quand il a ratifié la Convention relative aux droits de l'enfant. L'une d'elles portait sur la disposition qui traite de la justice pour les jeunes, l'alinéa c) de l'article 37. On n'y parle pas de condamner ou de juger les jeunes en tant qu'adultes, mais simplement de leur détention en tant qu'adultes. Dans ses réserves, le Canada a dit :

Que le gouvernement du Canada accepte les principes généraux énoncés à l'alinéa 37c) de la Convention, mais qu'il se réserve le droit de ne pas séparer l'enfant des adultes quand la situation ne s'y prête pas ou que ce n'est pas possible.

La Convention relative aux droits de l'enfant établit une norme pour les droits humains internationaux. À propos, cet article 37 est aussi l'article qui stipule qu'on ne doit pas exécuter des individus pour des crimes commis quand ils avaient moins de 18 ans. Nous devons nous efforcer de progresser dans cette direction et cesser de nous retrancher derrière nos réserves à l'égard de l'article 37.

Le Parlement pourrait peut-être aussi réfléchir à des conditions qui nous permettraient de lever cette réserve de façon à interdire que des enfants soient détenus avec des adultes. Nous devons avoir une forme de garde quelconque pour les jeunes délinquants, mais il ne faut pas qu'ils soient détenus avec des adultes, ce qui va à l'encontre de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Permettez-moi maintenant de passer à une deuxième question qui touche aussi au droit pénal au Canada, la question du châtiment corporel pour les enfants. La dernière fois que le Canada a soumis un rapport au Comité des droits de l'enfant, la question du châtiment corporel pour les enfants s'est posée. C'est depuis toujours un problème au Comité des droits de l'enfant car ce comité part du principe que la tolérance des châtiments corporels infligés aux enfants va à l'encontre des obligations de la Convention relative aux droits de l'enfant. Cette convention ne le dit pas explicitement car il y a eu une certaine ambiguïté à l'époque de sa rédaction, mais c'est néanmoins la position du comité.

Ce comité est composé d'experts internationaux. Je sais que vous allez entendre tout à l'heure M. Yalden qui a été l'éminent représentant du Canada au Comité des droits de l'homme pendant huit ans. Nous avons eu aussi d'autres membres dans le passé, M. Walter Tarnopolsky et Mme Côté-Harper. Le Comité des droits de l'enfant a affirmé que les châtiments corporels imposés aux enfants contrevenaient à la Convention.

Plusieurs mois après que le comité ait reçu la position du Canada en 2003, la Cour suprême du Canada s'est prononcée sur la question de la fessée. J'ai rapidement revu cette affaire en préparant mon témoignage car en l'occurrence on a mentionné plusieurs fois les obligations internationales du Canada.

Dans son jugement majoritaire, la juge en chef, au nom de la majorité, soulignait que le Comité des droits de l'homme avait déclaré que les châtiments corporels infligés à des enfants étaient contraires au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et précisait à l'article 33 du jugement :

Le Comité n'a pas formulé d'opinion semblable au sujet des parents qui infligent un châtiment corporel léger.

Peut-être le Comité des droits de la personne ne l'a-t-il pas fait parce qu'il ne s'était pas attaqué à cette question puisqu'il ne s'agissait pas de l'imposition du châtiment corporel par l'État. Mais il est certain que le Comité des droits de l'enfant l'avait fait et que la juge en chef aurait pu le signaler. Louise Arbour, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, et éminente Canadienne, a mentionné le rapport du Comité des droits de l'enfant en 1995 en soulignant que le comité condamnait catégoriquement toute tolérance de quelque forme de châtiment corporel que ce soit dans les lois du pays.

Le comité est revenu sur ce point dans ses remarques sur le rapport canadien en 2003. Je suis un peu étonné que la Cour suprême du Canada ne l'ait pas, mais c'est probablement parce que les conclusions du comité n'ont été émises que quelques mois avant le jugement et que les juges étaient déjà peut-être très avancés dans la rédaction de leur décision, de sorte qu'ils n'ont pas intégré ses remarques.

Le message international est clair : si la Cour suprême du Canada est réticente à imposer cette loi parce qu'elle est là pour appliquer la Charte canadienne et non pour rédiger de nouvelles lois pour le Canada, alors c'est quelque chose qui relève de la compétence du Parlement. C'est le Parlement du Canada qui a autorisé au départ le châtiment corporel pour les enfants, et c'est lui qui serait le mieux placé, d'autant plus que c'est ce que pense la Cour suprême, pour revenir sur cette décision. C'est donc une deuxième question sur laquelle vous pourriez vous pencher.

Madame la présidente, je n'ai pas fait attention à l'heure. J'aimerais prendre encore une ou deux minutes pour vous parler d'un dernier point, et j'aurais bien d'autres remarques sur toutes sortes d'autres sujets. Je suis sûr que nous en aborderons un certain nombre à l'occasion de vos questions.

Sur la question des enfants soldats, le Canada a adopté une position progressiste à l'échelle internationale, dans le cadre de notre politique étrangère axée sur la sécurité humaine et sur des questions comme celle des enfants soldats.

Nous avons parlé de la Sierra Leone et vous y êtes allée récemment, madame la présidente. J'y ai passé une partie des deux dernières années en tant que membre de la Commission de la vérité. La Sierra Leone a eu un terrible problème d'enfants soldats. Certains d'entre eux étaient très jeunes, mais la plupart avaient autour de 15-16 ans.

En 2000, le Canada a ratifié le Protocole optionnel de la Convention relative aux droits de l'enfant concernant la participation des enfants à des conflits armés. Quand nous l'avons fait, nous l'avons fait sans réserve officielle, mais en exprimant le message regrettable que le Canada autorise le recrutement volontaire dans les Forces armées canadiennes des jeunes à partir de 16 ans. C'est moins que dans de nombreux autres pays. De nombreux autres pays développés fixent l'âge minimum à 18 ans. Aux États-Unis, c'est 17 ans. Nous sommes vraiment dans la tranche inférieure.

Je n'aurais pas la prétention de prétendre que nous envoyons des jeunes de 16 ans avec des Kalishnikov dans la jungle africaine, mais nous envoyons quand même un signal regrettable en laissant entendre que des adolescents peuvent être acceptés dans les Forces armées. C'est quelque chose qui mériterait un peu plus d'attention.

Il ne s'agit pas pour le Canada d'un problème d'horreurs liées aux enfants soldats. Je suis sûr que beaucoup de ces adolescents s'activent à apprendre un métier dans les Forces armées, mais nous souhaiterions avoir un monde où les jeunes de 16 et 17 ans ne portent pas l'uniforme.

Je sais pour en avoir discuté avec des membres des Forces canadiennes que c'est une question de travail des enfants parce que les Forces armées vont chercher des jeunes décrocheurs de 16 ans qui essaient de trouver du travail chez McDonald ou ailleurs. On essaie de les détourner vers les Forces armées avant qu'ils s'installent ailleurs. Peut-être que pour régler ce problème, il faudrait se pencher sur la question du travail des enfants, qui est un problème sérieux au Canada aussi, et essayer de voir comment on pourrait maintenir ces jeunes gens à leur place, c'est-à-dire à l'école, au lieu de les laisser partir à 16 ou 17 ans chercher du travail.

Après ces quelques remarques préliminaires, j'ai maintenant hâte de discuter avec les honorables sénateurs.

La présidente : Merci pour cet exposé liminaire et pour votre dernière remarque. Le sénateur Pearson et moi-même étions là quand le projet de loi nous a été soumis. Nous avons soulevé la question de la Convention relative aux droits de l'enfant. Les raisons que vous avez mentionnées à propos du gouvernement sont celles que j'ai entendu exprimer par le sénateur Pearson. Merci de nous avoir rappelé nos obligations.

Le sénateur Pearson : Monsieur Schabas, dans vos remarques d'ouverture, vous avez soulevé l'éternel problème de la relation entre les accords internationaux et la pratique dans les faits au sein des différents pays, ainsi que les conditions sociales dans ces pays. La question du Protocole optionnel et dans une certaine mesure celle des réserves à l'égard de l'alinéa 37c) sont liées au type de pays que nous avons. Je sais qu'on dit souvent que nous devrions montrer l'exemple, et vous l'avez dit à propos des enfants soldats.

Je vais répéter dans une certaine mesure ce que j'ai dit quand j'ai présenté l'amendement à la Loi sur la défense nationale qui nous a permis de ratifier le Protocole optionnel. Dans cet amendement, nous disions qu'il n'était pas question d'envoyer sur un théâtre d'hostilités des jeunes de moins de 18 ans.

Avant de faire cet exposé, j'ai discuté avec des jeunes. Ils étaient fiers de pouvoir servir leur pays et de pouvoir s'engager volontairement et ils trouvaient que c'était une bonne chose de pouvoir partir sur un théâtre d'hostilités sans aucune autorisation.

Nous avons au Canada des problèmes de taille de nos Forces armées entre autres. Il y a toute la question de savoir si une carrière dans les Forces armées est ou non une profession honorable.

Il faut faire attention avec les messages qu'on envoie. Il faut faire attention aux messages qu'on adresse à la communauté internationale aussi bien qu'à la communauté nationale. J'ai trouvé qu'il était très important de discuter avec des jeunes gens avant de donner mon appui à l'amendement.

En ce qui concerne la réserve à l'égard de l'alinéa 37c), quand le sénateur Andreychuk et moi-même avons formulé cette réserve, il y avait beaucoup d'arguments qui n'étaient pas très respectables dans la mesure où il s'agissait du coût de la construction d'installations distinctes.

Il y a dans la nouvelle Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents des exemples qui m'ont convaincue que c'était une bonne idée. L'un de ces exemples, c'est qu'il y a des sentences qui se prolongent au-delà de l'âge de 18 ans. Il faut savoir ce que devient l'enfant qui atteint l'âge de 18 ans en prison. À 18 ans, il devient un adulte. Que fait-on de cet adulte? Doit-on le placer dans une prison pour adultes? Doit-on laisser l'enfant dans un centre de détention pour enfants pendant les quelques mois qui lui restent pour finir de purger sa peine?

Il y a d'autres cas où nous savons malheureusement, et c'est probablement lié au centre de détention lui-même, qu'un enfant présente un véritable danger pour un autre enfant ou même qu'un enfant a tué un autre enfant.

Nous considérons que cette réserve vise à protéger au mieux les intérêts des enfants concernés. J'aimerais bien avoir vos commentaires à ce sujet.

Dans quelle mesure faut-il établir des normes universelles alors que la situation varie d'un pays à l'autre?

La deuxième question, c'est de savoir dans quelle mesure nous écoutons les enfants eux-mêmes.

La troisième question est de savoir ce qu'il faut faire au mieux des intérêts d'un jeune enfant par opposition à l'ensemble.

M. Schabas : Merci, sénateur Pearson. Je voudrais commencer par votre première question au sujet du recrutement et de l'âge de recrutement dans les Forces armées, même s'il est parfaitement clair qu'il n'est pas question qu'un jeune de moins de 18 ans participe au combat.

Je ne voudrais pas être la personne qui a dissuadé Roméo Dallaire de s'engager dans les Forces armées canadiennes à 17 ans. Il a débuté assez jeune, et on ne souhaiterait certainement pas qu'il ait été refusé à l'âge de 17 ans et qu'il soit parti faire autre chose de sa vie. C'est manifestement l'un de nos grands compatriotes dont nous sommes tous extrêmement fiers.

Je ne vais donc pas critiquer le recrutement au sein des Forces armées canadiennes. Ce n'est pas plus important que de dire qu'il faut dissuader les jeunes de chercher d'autres formes de travail ou de se tourner vers d'autres carrières à 18 ans, en portant un jugement péjoratif ou critique sur la profession future. C'est pour cela que j'ai essayé de faire le lien avec la question plus générale du travail des enfants.

Le problème fondamental, c'est qu'on ne s'occupe pas assez des adolescents à l'école. Nous parlons ici des enfants qui veulent quitter l'école à 16 ans. C'est une regrettable réalité au Canada.

Nos Forces armées, comme d'autres employeurs, essaient de leur mettre la main dessus et de leur proposer un emploi. C'est surtout cela, le problème. Je ne veux pas non plus laisser de côté ce que je dis à propos de tout le symbolisme qu'il y a là. C'est très important.

Au Canada, il faut bien comprendre que c'est une question de droits de la personne, qu'il ne s'agit pas simplement de protéger les droits de la personne au Canada, mais qu'il y a aussi d'autres pays qui nous prennent comme modèle. Ce qui m'a frappé quand j'ai rencontré des enfants soldats en Sierra Leone, c'est qu'il s'agissait de vrais enfants soldats. C'était des enfants avec des Kalashnikov qui étaient plongés dans le combat. Certains d'entre eux ont seulement 14 ans. Ce sont les dirigeants des diverses factions combattantes de la Sierra Leone qui les ont recrutés. Bien souvent, ces chefs avaient eux-mêmes commencé comme enfants soldats dans l'Armée britannique, croyez-le ou non, dans les années 50. L'Armée britannique avait des unités qui étaient appelées les « Unités de petits garçons ». Les Britanniques ont toujours recruté de très jeunes gens dans les forces armées, et cela a toujours été considéré comme une carrière honorable. Les jeunes de la Sierra Leone qui l'ont fait pensaient eux aussi que c'était une excellente ouverture sur une carrière. Malheureusement, cette pratique s'est poursuivie et à cause des multiples guerres civiles qui ont ravagé le pays, d'innombrables jeunes se font voler leur enfance.

Voilà ce que je peux dire sur la question.

Ne vous méprenez pas : je ne veux pas dire qu'ils ne peuvent pas avoir une existence honorable, importante et précieuse et apporter quelque chose d'important à leur pays en faisant partie des forces armées. Disons simplement qu'il faudrait qu'ils attendent un ou deux ans de plus.

Ceci m'amène à votre deuxième question à propos des prisons et du traitement qu'il faut accorder au jeune de moins de 18 ans dont la sentence se prolonge au-delà de la période où il est encore un enfant. Finalement, la question est de trouver une date limite. Pour la justice pénale en général, c'est 14 ans, mais cela pourrait être 16 ans. Dans de nombreux pays, la limite est fixée à 16 ans alors que dans d'autres c'est 18 ans. Je n'ai pas envie de vous donner l'âge en Irlande, mais c'est l'âge classique de la common law britannique, sept ans.

Vous vous souvenez peut-être de cette affaire au Royaume-Uni il n'y a pas si longtemps, où deux jeunes de 10 ans avaient tué un petit enfant. Ces enfants de 10 ans ont été traités comme des suspects criminels et condamnés à une peine indéfinie de prison jusqu'à ce que la Cour européenne des droits de l'homme déclare que c'était une violation de la Convention européenne. Donc c'est une question d'âge limite. J'accepte avec réticence un âge limite de 18 ans. Selon le droit international, ce serait le bon âge, et c'est ce que nous devrions viser au lieu d'essayer de rationaliser les choses en nous plaçant en marge du système.

Le sénateur Pearson : Une petite remarque à propos du recrutement d'adolescents : on les recrute mais ils continuent leurs études, ils restent à l'école. On ne les sort pas de l'école, au contraire on les y maintient.

Le sénateur LeBreton : Merci beaucoup, professeur Schabas. Je suis très heureuse que vous ayez mentionné l'affaire Steven Truscott. Vous avez raison de souligner qu'il n'avait que 14 ans. Il y a eu un excellent ouvrage à ce sujet, intitulé : Until You Are Dead : Steven Truscott's Long Ride into History. M. Diefenbaker était abolitionniste et il a commué la peine de mort. Je suis heureuse de pouvoir dire qu'ensuite cette position est devenue la loi de notre pays.

Vous avez dit que les récentes décisions de la Cour suprême du Canada mentionnaient nos obligations internationales. Au cours des deux derniers mois, les juges de la Cour suprême des États-Unis ont décidé par cinq voix contre quatre que l'exécution de jeunes délinquants constituait une violation de leurs droits en vertu de la Constitution.

Pourriez-vous nous parler des répercussions de cette décision au niveau de la Convention relative aux droits de l'enfant qui n'a évidemment pas été ratifiée par les États-Unis?

M. Schabas : C'est un de mes sujets favoris. J'enseignais justement dans une université des États-Unis quand cette décision a été rendue. Le matin, je disais à un groupe d'étudiants que la Cour suprême des États-Unis s'apprêtait à interdire la peine de mort pour les jeunes. J'ai rencontré ces mêmes étudiants l'après-midi. La décision venait d'être annoncée aux informations, et ils ont tous pensé que j'avais un don de clairvoyance, mais ceux d'entre nous qui suivaient la question s'y attendaient depuis un certain temps déjà.

Nous avons été un peu déçus que cette décision ait été prise par cinq voix contre quatre. Nous pensions que ce serait six contre trois. Il y a trois juges de la Cour suprême américaine que nous ne nous attendions pas à voir prendre cette position. Plus tard, quand on repensera à cela rétrospectivement, les gens se diront : « Comment est-il possible qu'en 2005 quatre juges de la Cour suprême américaine sur neuf aient encore été en faveur de l'exécution de jeunes délinquants? »

C'est un jugement important sur le plan du droit international car si les États-Unis n'ont pas ratifié la Convention relative aux droits de l'enfant, et je pense qu'ils ne sont pas près de le faire, ce n'était en fin de compte pas à cause de cette disposition. Les États-Unis ont un processus de ratification extrêmement lourd. Pour qu'un traité soit ratifié, il faut un vote à la majorité des deux tiers au Sénat. J'imagine que les sénateurs que vous êtes comprennent toute la difficulté que cela représente dans le cas d'un instrument aussi complexe de convaincre les deux tiers de tous vos collègues d'accepter la totalité du texte. C'est quelque chose de très difficile au Sénat américain. Il ne s'agit pas simplement de la peine de mort pour les jeunes, et les États-Unis auraient même pu ratifier la Convention en formulant une réserve.

Ce qui est important du point de vue du droit international, c'est que l'alinéa 37a) de la Convention relative aux droits de l'enfant, qui est parfaitement quantifiable, stipule qu'on ne peut pas imposer la peine de mort à des enfants.

Nous pouvons désormais dire au monde entier que tout le monde a aboli cette disposition et que nous avons donc maintenant une règle du droit coutumier qui est devenue universelle. Ceux d'entre nous qui approuvent la Convention relative aux droits de l'enfant souhaitent simplement qu'on évolue dans le même sens pour d'autres normes.

C'est quelque chose de plus difficile à mesurer dans le cas de choses comme l'interdiction de la torture ou la liberté d'expression car on ne peut pas dire que tous les pays ont aboli la torture. Certains l'ont fait mais continuent à la pratiquer. La peine de mort pour les jeunes est quelque chose de beaucoup plus quantifiable, donc c'est un progrès très important.

La Convention relative aux droits de l'enfant a influencé le jugement des cinq juges de la Cour suprême américaine, et ils le signalent d'ailleurs dans leur jugement. Une dizaine d'autres pays ont aboli cette peine depuis l'entrée en vigueur de la Convention en 1990, et chacun d'eux a reconnu qu'il l'avait fait dans une certaine mesure pour se conformer à ses obligations en vertu de la Convention relative aux droits de l'enfant. Cela prouve que cette convention fonctionne, qu'elle a apporté quelque chose d'utile au monde.

Le sénateur Poy : Professeur Schabas, je suis heureuse que vous ayez mentionné la décision de la Cour suprême à propos du châtiment corporel pour les enfants. Personnellement, j'estime qu'on ne devrait jamais frapper des enfants. Je suis pour l'interdiction des châtiments corporels.

Pensez-vous que la Cour suprême s'inquiète du nombre de parents qui pourraient être poursuivis parce qu'ils donnent des fessées à leurs enfants?

J'aborde la question sous un angle très concret.

Les organismes de protection des enfants auraient-ils les moyens de s'occuper de tous les parents qui feraient l'objet d'accusations?

Et si l'on condamne les parents et qu'on retire les enfants de la famille pour les placer en foyer d'accueil, est-ce que c'est une solution préférable pour les enfants?

J'essaie de voir les deux faces de la médaille.

La présidente : Si vous me permettez d'intervenir, on pourrait aussi ajouter la dimension culturelle. Il y a des gens au Canada qui disent que certaines cultures acceptent la fessée, mais pas la force violente, et que nous empiétons sur des particularismes culturels. Il y a des gens qui soulèvent cet argument à propos des nouveaux immigrants au Canada.

Qu'en pensez-vous?

M. Schabas : Quand j'ai été élevé au Canada il y a des années, le châtiment corporel était quelque chose de courant. Je ne veux pas vous parler de ma propre enfance, mais je me souviens qu'il était fréquent que les enseignants infligent des châtiments corporels. Cela n'a rien à voir avec la question des immigrants au Canada; c'était simplement une pratique tout à fait normale il n'y a pas si longtemps dans notre propre pays. Depuis, notre vision des choses a beaucoup évolué, comme elle évolue ailleurs dans le monde.

Le rapport de la Commission de la vérité auquel j'ai contribué en Sierra Leone, pays situé au coeur de l'Afrique sous-développée, une société extrêmement violente, réclamait l'interdiction des châtiments corporels pour les enfants. J'étais le seul non-Africain de cette Commission et la majorité des Sierra Léoniens ont été d'accord avec cela, donc je pense que c'est une idée qu'on peut assez facilement faire accepter. Les gens de la Sierra Leone ont compris cela parce qu'ils ont vu à quel point leurs enfants avaient été violents durant la guerre. Ils se sont dit que la violence entraînait la violence et que les enfants victimes de violence devenaient eux-mêmes violents.

L'une des premières choses à faire, c'est d'exprimer notre désapprobation en déclarant que nous n'autorisons pas cela en vertu du Code criminel. C'est quelque chose qui existe dans le Code criminel et qui peut être invoqué par les parents qui sont accusés d'agression. Nous n'acceptons pas les châtiments raisonnables ou ce genre de choses comme argument de défense pour les adultes qui ont des comportements violents entre eux, alors pourquoi l'accepter pour nos enfants?

Cela ne veut pas dire que ce sera la fin de tout contact physique entre les parents et les enfants. Je ne pense pas que cela changera radicalement l'application de la loi. Les cas d'abus qui intéressent la police sont criminalisés, l'article 43 n'est pas un argument de défense efficace, et les affaires de mauvais traitements moins graves se règlent déjà, ou devraient se régler au niveau des organismes de protection de l'enfance. Je ne pense donc pas que cela changerait les choses.

Je ne sais pas dans combien de cas on a invoqué l'article 43 récemment au Canada. Je pense qu'il y en a eu relativement peu. C'est une disposition répugnante de notre droit pénal, qui va à l'encontre de la vision moderne de la question. C'est une vision moderne dans le monde entier, car ce n'était pas la façon de voir les choses quand j'ai grandi au Canada. Notre vision des choses a évolué, et je crois qu'elle évolue partout dans le monde grâce à des choses comme la Convention relative aux droits de l'enfant et au comité.

Le sénateur Poy : J'essaie de voir les choses sous l'angle pratique, en me demandant si les organismes de protection de l'enfance ne risquent pas d'être inondés d'affaires si l'on interdit le châtiment corporel.

Je suis pour l'interdiction du châtiment corporel. J'ai eu la très grande chance de ne jamais être frappée quand j'étais petite. On ne fait pas cela dans ma culture. En fait, la première fois que j'ai vu ce genre de choses, c'était quand j'étais à l'école en Angleterre.

Est-ce que la Cour suprême se préoccupe de cette considération pratique? Pensez-vous que c'est pour cela qu'elle maintient cette disposition?

M. Schabas : Je ne sais pas ce que pensaient les juges. Je sais simplement qu'une des personnes que j'admire le plus au monde pour son jugement dans le domaine des droits de la personne, Louise Arbour, était en dissidence et partageait cette idée, mais les autres juges sont aussi raisonnables et j'imagine qu'ils essayaient de trouver une solution à un problème délicat.

Cela ne veut pas dire que si l'on révoque l'article 43, de nombreux parents au Canada vont se dire qu'ils ont un problème. Je ne pense pas que la justice pénale intervienne ici. Je crois que la plupart des parents modernes ne maltraitent pas leurs enfants et ne leur infligent pas de violence physique parce qu'ils se rendent compte que ce n'est pas bien. Cela n'a rien à voir avec le Code criminel ou la peur de poursuites ou ce genre de choses.

Cela ne devrait pas exister dans notre loi. C'est tout ce que je dis. Je ne pense pas que l'abrogation de cette disposition changerait beaucoup les choses dans la pratique. Je pense que cette disposition devrait disparaître.

Le sénateur Oliver : Merci pour votre excellent exposé. Nous sommes un comité parlementaire, et j'ai l'impression que nous avons tendance actuellement à créer de nombreux postes d'agents du Parlement. Comme vous savez, au Canada, nous avons un commissaire à l'information, un commissaire à la protection de la vie privée, un commissaire aux langues officielles, j'ai essayé de faire avancer l'idée d'un commissaire à la diversité, et je crois qu'il est aussi question de créer un poste de commissaire aux femmes.

Que font les autres régimes progressistes pour garantir l'application de la Convention relative aux droits de l'enfant?

Ont-ils des groupes ou des commissaires de ce genre, et nous recommanderiez-vous de faire la même chose pour faire appliquer cette convention?

M. Schabas : Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre correctement à cette question car je ne me suis pas vraiment penché sur ce sujet en me préparant pour ce témoignage.

Il est certain qu'on accorde de plus en plus d'attention aux enfants. Il y a des ministres africains qui sont spécialement responsables des enfants et je trouve que c'est une bonne idée d'avoir quelqu'un qui est responsable de cette question. Je ne voudrais pas vous suggérer de créer trop de postes administratifs dans ce domaine, mais il serait sans doute utile d'avoir quelque chose de ce genre.

Nos commissions des droits de la personne ont une responsabilité particulière à cet égard. Nous avons des commissions des droits de la personne de grande qualité pour s'occuper en priorité de ce genre de choses.

Le sénateur Oliver : On aurait un agent du Parlement qui pourrait faire rapport au Parlement, et qui, dans le cas où des ministères ou autres ne respecteraient pas la loi, pourrait s'adresser à un comité comme le nôtre et le saisir du problème.

Que font les autres pays dans ce genre de situations?

M. Schabas : Je ne pense pas pouvoir vous aider à ce sujet, sénateur. Je suis désolé. Je n'ai pas beaucoup d'information sur la question, mais l'idée me semble intéressante.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool : Vous avez travaillé en Sierra Leone, alors le développement international est certainement un problème que vous connaissez très bien. Je suis très impliquée au plan du développement, de la Francophonie plus particulièrement. Je crois que pour qu'un développement soit durable, il doit être inclusif, donc inclure les enfants.

Cela étant dit, croyez-vous que le Canada devrait, au plan du développement international, mettre davantage l'accent sur la Convention des droits des enfants afin d'y inclure l'aide aux enfants en ce qui concerne leurs droits à l'instruction, à la santé, et autres? Comment le Canada pourrait-il mettre plus d'emphase sur la Convention des droits des enfants dans l'aide qu'il fournit?

M. Schabas : Je suis entièrement d'accord avec vos remarques. Il est important que le Canada mette l'accent sur les droits de l'enfant dans sa politique étrangère. Je crois que c'est déjà le cas dans l'aide au développement du Canada, où on insiste beaucoup sur des projets qui ont trait aux droits de l'enfant, dans les pays en voie de développement. Les enfants de ces pays représentent la majorité de la population. On a affaire à une population extrêmement jeune, où l'enfant d'aujourd'hui sera premier ministre du pays ou au moins un ministre ou quelqu'un qui joue un rôle influent dans dix ans d'ici. Au Canada, il faut attendre un peu plus de temps avant que les enfants et les adolescents assument leurs responsabilités dans la société.

En matière de santé, c'est clair. À titre d'exemple, le récent tsunami, dont la majorité des victimes étaient des jeunes. Cette tragédie a fait plusieurs orphelins, mais en Afrique, on perd l'équivalent d'un tsunami à tous les mois à cause du paludisme. Les enfants sont particulièrement vulnérables à cette maladie. Je crois que la majorité des décès attribués au paludisme touchent des enfants de moins de cinq ans.

Le sénateur Losier-Cool : Croyez-vous que ce comité pourrait demander que les critères d'aide financière aient pour priorité la Convention des droits de l'enfant?

M. Schabas : Certainement. Je crois que c'est votre devoir en tant que comité.

[Traduction]

Le sénateur Carstairs : J'aime bien votre comparaison en ce qui concerne les enfants soldats. On envoie un message regrettable en acceptant de les prendre à 16 ans. Peut-être la solution serait-elle de prolonger jusqu'à 18 ans l'âge de scolarité obligatoire. Dans ce cas-là, on ne pourrait pas les engager sur le marché du travail avant qu'ils aient 18 ans.

Qu'en pensez-vous?

M. Schabas : Je ne suis pas économiste. Il y a toutes sortes de problèmes complexes en matière de recrutement et d'économie. Je suis simplement un avocat des droits de la personne. Je pense qu'on peut très bien maintenir les enfants à l'école jusqu'à 18 ans. On pourrait dire à un adolescent que s'il reste à l'école jusqu'à cet âge, on financera une partie du coût de son admission dans les Forces armées. On pourrait peut-être proposer cela à des jeunes de 16 ans, ce serait conforme à la Convention et nous n'aurions pas besoin d'avoir notre propre déclaration.

Les gens de l'armée ne seraient probablement pas d'accord, car à 18 ans les jeunes risqueraient de renoncer à leur engagement à faire carrière dans les Forces armées. L'armée aime bien recruter des jeunes. Ils doivent sans doute s'engager, je ne suis pas trop sûr, pour un certain nombre d'années à 16 ans. J'imagine que c'est cela le problème.

C'est le problème du recrutement pour n'importe quel emploi. Encore une fois, l'essentiel est de les maintenir à l'école. Je n'en ai pas parlé dans mes remarques, mais quand j'enseignais les droits de la personne au Canada, l'une de mes questions-pièges ou de mes questions d'évaluation des compétences concernait l'Accord de libre-échange nord- américain qui prévoit une entente parallèle concernant le travail des enfants. L'Accord stipule que chaque pays, que ce soit le Mexique, les États-Unis ou le Canada, doit respecter un âge minimum pour le travail des enfants. La question était de savoir quel était l'âge minimum au Canada. Les étudiants se grattaient la tête, perplexes.

Naturellement, j'imagine que vous connaissez la réponse. Dans la plupart de nos provinces, il n'y a pas d'âge minimum. Au Québec, où j'ai enseigné et vécu, il n'y avait pas d'âge minimum pour faire travailler des enfants, alors qu'il en faudrait un.

La réponse est en partie que la Loi sur l'éducation exige que les enfants restent à l'école jusqu'à un certain âge, mais ne les empêche pas de travailler après. Je crois que globalement au Canada nous ne réussissons pas très bien à attirer les enfants et à les maintenir à l'école.

Je comprends très bien qu'un jeune se sente valorisé quand il travaille chez McDonald's; s'il a de bons résultats pendant un mois, on met sa photo sur le mur et il devient l'employé du mois. On devrait faire ce genre de choses plus souvent à l'école. C'est là-dessus qu'il faut se concentrer. Il faut les attirer à l'école au lieu de les forcer à y rester par la contrainte. C'est quelque chose que nous ne faisons pas bien.

Le sénateur Carstairs : À Cuba, il y a une chose intéressante : les enfants peuvent partir à 15 ans, mais les employeurs ne peuvent pas engager quelqu'un de moins de 18 ans. En conséquence, les enfants restent à l'école jusqu'à ce qu'ils aient 18 ans. Même s'ils peuvent officiellement quitter l'école à 15 ans, comme ils ne peuvent pas trouver d'emploi, ils préfèrent rester à l'école.

Je pense comme vous que l'article 43 est répugnant et qu'il faudrait le supprimer. L'autre question qui me préoccupe aujourd'hui, c'est celle de la détention. Les gens du Nord disent que si l'on exige que les enfants soient détenus dans des locaux séparés de ceux des adultes, on va les couper encore plus de leur milieu familial. Dans certains cas, ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose, mais il faut reconnaître que c'est un argument positif.

Peut-on dire que la détention au Canada ne fonctionne pas toujours à cause de notre géographie?

Est-ce que cela doit influer sur notre position et nous amener à supprimer la réserve?

M. Schabas : On ne devrait pas nécessairement détenir autant de gens dans des prisons ou dans des établissements de détention pour les jeunes. C'est un choix de société et nous avons des lois qui nous permettent de le faire. Nous avons une politique pénale qui fait que nous incarcérons des nombres relativement élevés d'individus comparativement à d'autres pays développés.

En Europe, les taux de détention sont nettement inférieurs à ce qu'ils sont au Canada. Évidemment, ils sont beaucoup plus élevés aux États-Unis qu'au Canada, mais c'est encore une fois un choix social. Nous ne sommes pas obligés de faire ce choix, nous pourrions choisir autre chose. Mais à partir du moment où c'est ce que nous choisissons, nous devons veiller à ce que les conditions de détention aussi bien pour les adultes que pour les enfants soient correctes.

J'ai toujours pensé que le meilleur argument en faveur de la séparation des enfants et des adultes, c'était que la prison pour adultes était une école d'apprentissage de comportements criminels. Je ne fais pas beaucoup confiance aux prisons pour adultes pour encourager les individus à se réinsérer dans la société. La situation n'est peut-être pas complètement désespérée dans le cas d'un jeune de 16 ou 17 ans, mais cela devient plus difficile s'il est placé avec des délinquants adultes. Je crois que c'est le meilleur argument, et je crois que notre société aurait intérêt à agir de cette façon car cela ne les aide pas de les placer avec des adultes.

Je suis bien conscient de nos problèmes géographiques, et je crois qu'il y a aussi des questions d'ordre culturel; mais si c'est ce que nous voulons faire, nous devons être prêts à en payer le prix. C'est tout. Nous sommes une société riche et si nous voulons emprisonner beaucoup de gens, il faut respecter les règles.

[Français]

Le sénateur Pépin : Je voudrais parler des jeunes personnes qui s'enrôlent comme militaires vers l'âge de 16 ans. Tous les étés, j'assiste à la remise des diplômes de jeunes cadets. Ils sont tellement fiers d'avoir accompli quelque chose. Bien sur, la plupart d'entre eux retournent aux études, mais un certain nombre décide de poursuivre une carrière militaire. La plupart de ces jeunes sont issus d'un milieu modeste, voire même défavorisé. Dans bien des cas, certains de ces jeunes, même s'ils réussissent bien en classe, sont plus ou moins intéressés à poursuivre des études. Ils traînent un peu partout et les parents ne sont pas capables de les prendre en main. Quand ils choisissent la carrière militaire, premièrement, c'est parce qu'ils aiment cela et, deuxièmement, parce qu'ils se sentent bien encadrés. Leur vie change et ils deviennent plus positifs. Autant je trouve que 16 ans est jeune, autant, pour plusieurs d'entre eux, je trouve que c'est une porte ouverte qui leur permet de devenir des adultes responsables. Ils semblent très heureux d'avoir fait ce choix dans leur vie.

J'aimerais parler des adolescents qu'on transfère dans les prisons d'adultes lorsqu'ils atteignent 16 ou 18 ans. C'est vrai que c'est la meilleure école pour apprendre un métier de contrebandier, de plus, chaque fois qu'on envoie un délinquant juvénile chez les adultes, il risque d'être agressé sexuellement. C'est une étape terrible à franchir pour eux. Qu'en pensez-vous?

M. Schabas : Merci, madame le sénateur Pépin. Je suis complètement d'accord avec vous quant à vos affirmations concernant les jeunes militaires. Je n'ai aucun doute que pour un enfant de 16 ou 17 ans, c'est une carrière extrêmement valorisante et ils sont extrêmement fiers de ce qu'ils font. Peut-être que pour des raisons que vous avez expliquées, ils voient la vie de militaire comme un meilleur avenir. Ils sont sans doute frustrés dans leur vie. Ils viennent souvent, comme vous le dites, de familles modestes et c'est sans doute pour eux la meilleure option.

J'aimerais souligner qu'être membre des Forces armées canadiennes, ce n'est pas être combattant. On ne parle pas du Sierra Leone ni des États-Unis. Le jeune qui devient membre des Forces armées canadiennes est un jeune professionnel qui va vraisemblablement faire carrière dans les Forces de maintien de la paix. C'est non seulement un métier honorable et respectable, mais même extrêmement valable et important, non seulement pour le Canada, mais pour le monde entier. C'est un peu ce que je fais en tant qu'universitaire : je recrute des jeunes qui veulent faire carrière dans le domaine humanitaire. D'après ce que je vois, un très grand nombre de militaires canadiens choisissent cette carrière. J'encourage le recrutement dans les Forces armées canadiennes vers cette carrière. Mais n'avons-nous pas un problème quand un jeune croit devoir le faire à l'âge de 16 ans? Moi, à l'âge de 16 ans, je voulais terminer mes études et j'étais trop jeune pour faire ces choix.

[Traduction]

La présidente : Nous avons beaucoup entendu dire que si le Canada ratifiait la Convention relative aux droits de l'enfant, il devrait immédiatement s'assurer, en vertu du droit international et des normes internationales, que toute la législation du pays est conforme à cette convention. Il y a une autre école de pensée selon laquelle, compte tenu du caractère nouveau de la portée très importante du traité, qui englobe les questions fédérales-provinciales, nous devrions viser à un respect complet.

Avez-vous des remarques à faire sur ce débat sur la conformité et sur le respect du traité?

M. Schabas : En droit, nous sommes censés respecter le traité dès que nous le ratifions. C'est le cas pour la Convention relative aux droits de l'enfant, mais nous ne la respectons pas totalement. Si nous la respections, le Comité des droits de l'enfant nous féliciterait gentiment en nous remerciant de la respecter. Nous ne respectons pas pleinement certains traités internationaux, et c'est la vie, c'est comme cela.

Ce qui serait à mon avis beaucoup plus néfaste, ce serait l'attitude opposée qui consisterait à attendre de s'assurer qu'on respecte pleinement un traité avant de le ratifier. C'est malheureusement ce que le Canada a fait à propos de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, que nous n'avons toujours pas ratifiée. C'est une grave lacune dans notre dossier en matière de droits de l'homme internationaux car nous ne jouons pas le rôle que nous devrions jouer. Je sais que cela n'est pas à votre programme aujourd'hui, mais c'est un sujet connexe qui découle de votre question.

À chaque fois que nous ratifions un traité, il y a un mélange de respect immédiat et de bonnes intentions. C'est ce qui fait en partie la beauté de ces traités internationaux. D'un côté, nous nous sentons relativement à l'aise parce que nous sommes convaincus de respecter globalement les conditions du traité avant de le ratifier, et en même temps nous savons bien qu'il énonce une norme commune d'accomplissement.

Quand on pense à la détention des enfants ou au recrutement d'adolescents de 16 ans dans les Forces armées canadiennes, ou au travail des enfants, ou à toutes les questions connexes, on se rend compte qu'il y a là des problèmes qu'on ne peut pas régler du jour au lendemain. Il faut simplement se dire qu'il y a là une norme à laquelle nous voulons tendre. C'est une excellente chose d'établir ces normes sur un plan universel et international au lieu de nous contenter de les voir dans un strict contexte national.

La présidente : Monsieur Schabas, vous devez savoir que nous nous sommes penchés sur la question de la Cour interaméricaine. Nous nous en occupons. Vous allez peut-être pouvoir suivre nos audiences. Nous avons suggéré au départ que le Canada participe à cette Cour interaméricaine et que le gouvernement entame des consultations préalables. Nous ferons un rapport de suivi sur la question. Nous veillerons à nous souvenir de vous en faire parvenir un exemplaire.

Mais pour l'instant, je vous remercie de nous avoir fait partager votre expertise et de nous avoir apporté une perspective canadienne de l'étranger. Cette vision canadienne avec du recul est très précieuse, et nous vous remercions du temps que vous nous avez consacré.

Notre témoin suivant est M. Yalden. Merci de vous joindre à nous aujourd'hui. Je crois savoir que vous venez de revenir d'un voyage à l'étranger et vous devez donc être encore fatigué. M. Yalden a été pendant huit ans, je crois, commissaire au Comité des droits de l'homme de l'ONU. Nous lui sommes reconnaissants de se joindre à nous aujourd'hui.

M. Yalden nous a dit qu'il ne connaissait pas le détail de tous les chapitres de la Convention, mais je ne connais personne d'autre qui connaisse aussi bien que lui toute la mécanique des droits de l'homme. Il connaît parfaitement la participation du Canada à tout un éventail de conventions et de traités sur les droits de la personne. Nous sommes donc très heureux qu'il soit là aujourd'hui pour nous donner sa vision de ces questions.

Je ne sais pas si vous avez un exposé liminaire. Si vous souhaitez faire une brève allocution avant que nous passions aux questions, nous vous écouterons avec plaisir.

M. Max Yalden, ex-commissaire, Comité des droits de l'homme des Nations Unies, à titre personnel : Honorables sénateurs, je suis très heureux d'être ici. J'ai toujours apprécié l'occasion de m'adresser à des parlementaires en tant que Commissaire canadien aux droits de la personne et Commissaire aux langues officielles. J'ai malheureusement été un peu bousculé, mais peu importe. Je suis ici et très heureux de l'être.

J'ai prévenu la greffière du comité que je ne pouvais pas préparer de texte, mais que j'aimerais faire quelques remarques, et c'est ce que je vais faire.

Très brièvement, il m'est venu quelques idées à la suite de l'exposé utile de M. Schabas et des questions qui lui ont été posées. Il s'est félicité de la décision de la Cour suprême américaine concernant la peine de mort pour les mineurs, et je m'en félicite aussi, mais je me réjouis encore plus de l'abolition de la peine de mort aux États-Unis.

Puisque nous sommes au Canada et non aux États-Unis, et bien que nous ayons effectivement aboli la peine de mort, je précise que le Canada, comme les honorables sénateurs le savent certainement, n'a jamais adhéré au second Protocole optionnel de la Convention internationale relative aux droits civils et politiques, qui porte sur l'abolition de la peine de mort. À mon avis, nous devrions le faire. Pendant longtemps, la raison officielle a été qu'il y avait dans la Loi sur la défense nationale une disposition toute théorique qui prévoyait la peine de mort en cas de trahison en période de guerre. Cette disposition a été supprimée de la loi il y a cinq ou six ans, mais le gouvernement n'a toujours pas pris de mesures pour ratifier le Protocole optionnel.

Je sais aussi bien que quiconque que c'est délicat sur le plan politique, mais il n'empêche que de nombreux pays ont déjà adhéré à ce protocole. Je crois que, puisque nous avons aboli la peine de mort, nous devrions y adhérer, et j'espère que votre comité encouragera un jour le gouvernement du Canada à le faire.

La question des locaux de détention distincts pour les mineurs est aussi abordée dans la Convention sur les droits civils et politiques. La Finlande est à mon avis un modèle en matière de respect des droits de la personne, mais ce pays a pourtant, assez curieusement, des réserves parce qu'il a très peu de mineurs incarcérés. Il serait extrêmement difficile d'avoir des prisons pour ces quelques individus. Le pays n'a pas l'intention de lever cette réserve, pour autant que je sache. Il ne m'appartient pas de dire si cet argument est justifié ou non. Peut-être est-il lié accessoirement à ce que disait le sénateur Carstairs à propos de la situation dans le nord de notre pays.

Pour terminer à propos de la question du sénateur Oliver sur les organismes qui s'occupent des enfants, comme le Comité des droits de l'enfant l'a souligné, il existe des ombudsmans d'enfants dans huit de nos provinces. Ces organismes existent donc. Les enfants ont accès à des comités des droits de la personne, à des commissions des droits de la personne et à des ombudsmans partout au Canada. Je suis tout à fait favorable à cela. À l'échelle internationale, de nombreux pays ont des ombudsmen spécifiquement pour les enfants, les femmes, et cetera, ainsi que des ombudsmen parlementaires à caractère général. Il n'y a pas beaucoup de pays qui ont des commissions des droits de la personne comme celle que nous avons au Canada, mais ils ont quelque chose d'analogue. Beaucoup ont des commissions qui s'occupent spécifiquement des enfants.

Pour ce qui est de la convention américaine que nous n'avons pas ratifiée, les consultations provinciales se poursuivent depuis longtemps à ce sujet. Le Sénat du Canada pourrait peut-être encourager les responsables à avancer un peu plus vite. Nous connaissons, soit dit en passant, certaines des raisons pour lesquelles le Canada n'a pas encore ratifié cette convention, mais je ne suis pas là pour parler de cela aujourd'hui.

J'aimerais vous parler très brièvement de trois questions. Tout d'abord, je voudrais parler de la responsabilité générale du Canada dans le cadre des pactes internationaux et de notre devoir d'appliquer ces pactes. Je vais vous parler des rapports que nous avons soumis au Comité des droits de l'homme qui est, par extension, analogue à tous les autres comités. Et troisièmement, je vous parlerai de la façon dont nous avons répondu à des plaintes individuelles et notamment une ou deux qui concernent la question des enfants.

Pour ce qui est de l'application des pactes, il y a eu tout un débat, nous le savons, entre les pays dits tenants du monisme et ceux qui penchent pour le dualisme. Le Canada est un pays dualiste dans lequel on doit normalement légiférer pour intégrer un traité international au droit canadien pour pouvoir l'invoquer au sein des tribunaux. Nous ne le faisons pas. Le problème, à mon avis, c'est que d'une part nous ne légiférons pas pour intégrer ces traités au droit canadien, et d'autre part que nous n'exploitons pas la possibilité que le gouvernement et ses organismes, à commencer par le Bureau du Conseil privé, auraient d'ordonner aux ministères de respecter les pactes et les traités internationaux.

On fait comme si en ratifiant un traité et en y adhérant, on en n'assumait pas nécessairement les obligations. C'est en substance ce qu'a dit l'avocat du gouvernement dans l'affaire Baker à laquelle un sénateur a fait allusion tout à l'heure.

Il a dit qu'en fait le traité n'était pas exécutoire.

Personnellement, j'estime que si l'on n'a pas l'intention de respecter les exigences d'un traité international, il ne faut pas le signer et le ratifier, c'est aussi simple que cela. Si on le signe et si on le ratifie, il faut en assumer les obligations.

Je crois que dans la décision Baker, la Cour suprême du Canada a déclaré que les responsables politiques devaient tenir compte aussi des principes internationaux non transposés. Si cela ne peut pas se faire par loi, parce que ce n'est pas ce que nous faisons en général, il faut le faire sur le plan administratif au niveau des organismes gouvernementaux.

Le commentaire important sur cette question est celui qui a été formulé par la Haute Cour australienne lors de l'affaire Teoh. Le tribunal australien a déclaré :

La ratification d'une convention est un énoncé par lequel le gouvernement exécutif s'engage envers le monde et envers le peuple australien à faire respecter la convention par le gouvernement exécutif et ses organes.

Nous ne faisons pas cela. Votre comité l'a souligné dans ses rapports. Je suis bien d'accord avec ce point de vue et je ne crois pas que nous puissions nous retrancher derrière cette doctrine de non-incorporation. Nous devrions soit intégrer ces dispositions à notre droit, soit agir de manière également efficace sur le plan administratif.

Les sept pactes et tous les comités exigent que les États fassent rapport régulièrement. Le Comité des droits de l'homme doit faire rapport quand le comité le lui demande. Dans le cas du Comité des droits de l'enfant, c'est tous les cinq ans. Ils ont tous cette obligation.

Le dossier du Canada jusqu'ici est assez bon. Nous avons parfois été un peu lents à préparer les rapports aux comités. De notre point de vue, c'est inévitable en raison de la complexité de notre régime fédéral. Ce n'est pas très convaincant auprès d'un organisme international car c'est le Canada, et non les provinces et les territoires, qui est partie au pacte. D'ailleurs, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule qu'il s'applique à tous les États fédéraux et à leurs parties sans exception. Nous ne pouvons donc pas nous retrancher derrière cette excuse.

Le problème au Comité des droits de l'homme et aux autres comités c'est que le Canada n'a pas intégré ces pactes au droit canadien. Pour de nombreux pays, un traité ratifié a force de droit intérieur et force de droit constitutionnel; ces pays ne comprennent pas que nous puissions avoir une telle position. Il n'est peut-être pas possible de parvenir à un consensus sur la question.

Pour en venir plus à des questions de fond, ma plus récente expérience concerne le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, et le Comité des droits civils et politiques auxquels je siégeais quand le Canada a comparu devant ce comité. Il va de nouveau comparaître dans ces deux cas. J'ai trouvé que nous faisions assez bonne figure. Malheureusement, les règles du comité ne m'autorisent pas à intervenir, donc je n'ai pas pu poser de questions utiles. Les remarques de conclusion du Comité des droits de l'homme ont été relativement positives, bien qu'il ait exprimé certaines critiques, notamment à propos des peuples autochtones, comme on pouvait s'y attendre. Le comité a aussi évoqué la question de la pauvreté chez les enfants, qui vous préoccupe directement dans le contexte de votre étude sur les droits de l'enfant.

Le Comité économique et social a exprimé des critiques assez dures à l'égard du Canada. J'ai réussi, même au fin fond du sud de la France, à faire retirer de l'Internet les remarques de conclusion du Comité des droits de l'enfant. Comparativement à celles du Comité des droits de l'homme, j'ai trouvé qu'elles étaient extrêmement longues. Je n'ai pas trouvé qu'il s'agissait d'une position particulièrement dure à l'égard du Canada. Nous nous en sommes probablement tirés relativement bien auprès de ce comité, même s'il a évidemment constaté un certain nombre de lacunes chez nous. Il dénonce toujours certaines lacunes. Si vous prenez le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, vous constaterez qu'il y a bien des domaines dans lesquels le Canada est en défaut. Le pire cas de non- respect concerne les Autochtones. Il est clair que nous manquons gravement à nos obligations internationales en ce qui concerne les Autochtones. Nous manquons gravement à nos obligations en vertu de la Charte, mais je ne suis pas là pour vous parler de la Charte.

Nous contrevenons gravement au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et aussi d'ailleurs, à la Convention relative aux droits de l'enfant dans la mesure où elle s'applique aux enfants autochtones, ce qui est évidemment le cas. J'espère que votre comité n'aura de cesse que cette situation s'améliore.

Pour ce qui est de la structure de ces rapports, les consultations entre le gouvernement fédéral et les provinces ainsi que les divers ministères fédéraux pourraient certainement être meilleures qu'elles ne le sont. Les rapports sont excessivement longs; le dernier qui a été soumis au Comité des droits de l'homme avait 170 pages. Vous comprenez bien que dans ces conditions les membres du comité ont beaucoup de difficulté à le lire et à en comprendre parfaitement le contenu.

Les exposés provinciaux représentent en tout 115 pages. Le gouvernement fédéral n'y peut sans doute pas grand- chose, mais nos rapports seraient beaucoup plus percutant s et présenteraient de façon beaucoup plus convaincantes nos points de vue s'ils étaient plus courts et s'il y avait de meilleures consultations entre les provinces et le gouvernement fédéral.

Chaque province fait les choses à sa façon. Certaines énumèrent tous les motifs illégaux de violation des droits de la personne, alors que d'autres ne le font pas. Certaines le font en partie, d'autres non. Il n'y a aucune cohérence dans tout cela et le rapport qui en résulte n'est pas très convaincant.

J'aurais tendance à retirer cette responsabilité du ministère du Patrimoine pour la confier à celui des Affaires étrangères. Ce sont les ambassadeurs des Affaires étrangères qui représentent le Canada à ces réunions et c'est à eux de piloter le dossier de toute façon. Il serait donc de loin préférable que de confier cette responsabilité à Affaires étrangères Canada.

Je serais aussi d'accord pour que le Parlement examine de plus près ces rapports. Je ne pense pas qu'il serait utile qu'il contribue à leur rédaction. Je ne suis pas sûr que ce serait utile, car c'est déjà quelque chose de très compliqué au niveau des provinces, des territoires et des divers ministères. Mais une fois le rapport rédigé, le Parlement pourrait peut-être y jeter un coup d'oeil. En tout cas, quand le Comité des droits de l'enfant ou le Comité des droits de l'homme présentent leurs conclusions, votre comité devrait les examiner. Il devrait convoquer des témoins du gouvernement pour qu'ils lui expliquent pourquoi nous sommes en infraction avec telle ou telle obligation énoncée dans ces pactes. Ce serait utile. Cela contribuerait à maintenir la pression sur le gouvernement, et ce serait donc positif. Encore une fois, j'espère que votre comité le fera, si c'est possible.

Le Canada a un excellent dossier en ce qui concerne le traitement des plaintes particulières. Elles sont examinées dans le cadre du premier Protocole optionnel du Pacte, qui autorise des particuliers à porter plainte. Les États parties au Pacte ne sont pas tous parties au Protocole optionnel. En fait, il y a des exceptions frappantes, notamment les États- Unis d'Amérique et le Royaume-Uni et, évidemment, la Chine, Cuba et d'autres. Toutefois, les deux cas que j'ai le plus de mal à accepter sont celui des États-Unis et du Royaume-Uni.

Les 104 États parties se sont engagés à respecter les commentaires, recommandations et décisions du comité. S'il y a beaucoup de plaintes au Canada, ce n'est pas parce que le bilan du Canada est mauvais, c'est simplement que nous avons un barreau très actif et une communauté d'ONG qui s'occupe activement de transmettre ces plaintes au comité. Encore une fois, globalement, le Canada règle assez vite et assez bien les plaintes de fond. Il y en a certaines que vous connaissez tous très bien. Il y a l'affaire Lovelace, où une femme indienne avait perdu son statut d'Autochtone parce qu'elle avait épousé un non-Autochtone, alors que cela n'aurait pas été le cas si cela avait été un homme qui avait épousé une femme non-Autochtone. Par contre, il y a le cas plus récent de l'affaire Waldman. Dans ce cas, il s'agissait d'un père juif qui voulait que ses enfants reçoivent une éducation juive dans le contexte du système scolaire de l'Ontario et qui était obligé de payer pour ces études alors que s'il avait été catholique, ses enfants auraient bénéficié de cet enseignement gratuitement. Le comité a constaté que le Canada était en contravention à l'article 26 du Pacte concernant la non-discrimination. Il a déclaré qu'on ne devait pas obligatoirement avoir un enseignement religieux dans un pays mais que si c'était le cas, il fallait que ce soit fait de façon non discriminatoire.

Le gouvernement du Canada a essayé de s'en sortir en disant que l'éducation était une question provinciale. Le gouvernement provincial de l'Ontario a annoncé qu'il n'avait pas l'intention de changer sa loi et a demandé pourquoi le Comité des droits de l'homme se mêlait de critiquer ses actions.

Tout le monde sait ou devrait savoir que le Canada a consulté l'Ontario avant de ratifier le Pacte et que l'Ontario a accepté, et même a accepté avec enthousiasme d'y adhérer. Mais lors de cette affaire, il n'a rien fait et jusqu'à présent il n'a toujours pas agi sur ce point.

Les honorables sénateurs se souviendront qu'il a été question de proposer un crédit d'impôt pour l'éducation religieuse privée en Ontario, mais que la province a ensuite retiré cette proposition. Nous en sommes donc revenus au point où le Canada, et je dois bien dire le Canada parce que c'est le Canada qui est partie au traité, fait de la discrimination en vertu de motifs religieux. En outre, nos infractions pourraient s'étendre à la liberté de religion.

Certaines dispositions de la Convention relative aux droits de l'enfant stipulent qu'un enfant appartenant à une minorité doit pouvoir avoir accès à une éducation minoritaire. Personnellement, j'estime que cela veut dire qu'il ne devrait pas avoir à payer pour cet enseignement si d'autres enfants appartenant à des minorités le reçoivent gratuitement.

Le sénateur Pearson : Monsieur Yalden, je respecte depuis longtemps vos prises de position en faveur des droits des Autochtones. C'est quelque chose qui vous honore profondément. Comme vous le dites, nous ne sommes pas allés assez loin. Nous avons parlé des mécanismes de défense des enfants et nous avons une responsabilité fiduciaire à l'égard des peuples autochtones au niveau fédéral.

Que penseriez-vous de l'idée d'avoir, sinon un commissaire aux enfants, du moins peut-être un commissaire aux droits des Autochtones?

Dans son exposé LaFontaine-Baldwin sur l'accès aux droits économiques et sociaux, Louise Arbour déclare :

La réalisation des droits économiques et sociaux est essentiellement une entreprise politique qui implique des négociations, des désaccords, des échanges, des concessions et des compromis. Mais les processus politiques ne servent pas tout le monde de manière égale. L'égalité exige, entre autres, que les plus désavantagés aient le pouvoir de participer véritablement à la fois dans le processus politique et dans le processus judiciaire; cela vise à les affranchir de leur dépendance envers le bon vouloir ou le caprice des plus puissants, leur permettant ainsi de contrôler leur propre destin.

Qu'en pensez-vous?

M. Yalden : Pour ce qui est de la première remarque, il serait parfaitement logique d'avoir un commissaire aux droits des enfants. Comme je l'ai dit en réponse aux remarques du sénateur Oliver à propos de l'exposé de M. Schabas, c'est déjà le cas dans de nombreux pays et je ne vois pas pourquoi le Canada ne ferait pas la même chose.

Je ne sais pas s'il serait nécessaire d'avoir un commissaire distinct pour les enfants autochtones. Je ne le pense pas. Je crois qu'un commissaire aux enfants qui ferait son travail sérieusement serait parfaitement conscient des préjudices terribles que subissent les enfants et les adolescents autochtones. C'est tellement flagrant que ce serait forcément la priorité absolue pour un tel commissaire. Effectivement, ce serait une bonne chose d'avoir un commissaire de ce genre.

Je ne suis pas favorable à une multiplication des postes de commissaires. Il se trouve que j'en ai occupé moi-même deux. J'ai été pendant 17 ans Commissaire aux langues officielles, puis Commissaire aux droits de la personne, donc je sais de quoi je parle et je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'en avoir plus. À une époque, le Commissaire à la protection de la vie privée et le Commissaire à l'information étaient une seule et même personne. Je laisse à d'autres le soin de juger si la décision de séparer ces deux fonctions a été judicieuse.

Nous sommes assez bien dotés en commissaires. Toutefois, les enfants occupent une place particulière et je pense qu'il serait utile d'avoir un commissaire de ce genre doté de pouvoirs généraux comme ceux des autres commissaires ou ombudsmans.

Les droits économiques et sociaux sont depuis longtemps une question épineuse. L'un des problèmes est de savoir dans quelle mesure ces droits, comparativement aux droits politiques, à la discrimination religieuse, au harcèlement sexuel, et cetera, peuvent relever de la justice. On peut dire sans hésiter que le harcèlement sexuel est interdit et qu'il doit donc être réprimé.

En revanche, même si nous pensons tous que tout individu a le droit à un niveau de vie décent, il n'est pas évident de trouver le moyen d'obliger les institutions à appliquer ce droit par le biais des tribunaux ou d'une des commissions aux droits de la personne.

Ce sont les États-Unis qui ont pris l'initiative à l'échelle internationale dans ce domaine, grâce à Mme Roosevelt et à son mari aussi. Après tout, l'une des quatre libertés dont il a parlé si éloquemment il y a plus de 60 ans était la liberté d'être à l'abri de la pauvreté; ce sont les droits économiques.

Les droits économiques ont toujours posé un problème important au monde sous-développé, et ont aussi toujours posé de sérieux problèmes au monde développé. C'est délicat, mais il est certain que toutes les lois concernant les droits de la personne au Canada comportent dans une certaine mesure des composantes liées aux droits sociaux et économiques.

Par exemple, certains codes des droits de la personne stipulent explicitement qu'un individu ne doit pas faire l'objet de discrimination en raison de sa source de revenu. Autrement dit, on ne peut pas refuser de donner à quelqu'un un téléphone sous prétexte qu'il vit du bien-être social. C'est quelque chose de facile à trancher parce qu'on peut clairement dire que quelqu'un vit ou non du bien-être social et qu'une compagnie de téléphone accepte ou refuse de lui donner un téléphone. En revanche, la question se complique quand on parle du droit à un emploi décent. Je trouve et j'ai toujours trouvé cela curieux. Je pense qu'il faudrait régler cette question. Je suis d'accord avec le principe et je suis d'accord avec Louise Arbour, mais la façon d'y parvenir n'est pas évidente.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth : Dans votre présentation, j'ai ressenti que vous envoyiez un message au gouvernement du Canada. Selon vous, le Canada pourrait-il jouer un rôle de leader au sein de la communauté internationale?

M. Yalden : Je suis d'avis que le Canada a toujours joué un rôle important dans la communauté internationale en ce qui concerne les droits de la personne, mais je dois avouer que je suis de plus en plus impatient devant une communauté aussi riche que la nôtre, qui passe trop souvent son temps à donner des leçons aux autres sans regarder ses propres performances.

Je suis beaucoup plus troublé par notre performance au Canada. Je serais très content si nous pouvions assurer les droits de tous nos citoyens et citoyennes, que ce soit un anglais comme moi ou un membre de nos Premières nations. Nous voulons aller sur la scène internationale pour dire : regardez ce que nous faisons, nous allons vous donner un coup de main pour que vous fassiez la même chose que nous. Cependant, je serais beaucoup plus heureux si nous n'avions pas tant de lacunes, ici au Canada, auxquelles nous devrions faire face.

Le sénateur Ferretti Barth : Vous avez répondu à ma préoccupation. La première fois que j'ai siégé à ce comité, on pensait étudier des problèmes de droits de la personne, aller à l'extérieur voir ce que les autres font. Ma réaction alors fut de dire pourquoi ne pas commencer par regarder ce dont on a besoin ici et quand on aura réglé nos problèmes, alors on pourra aller à l'extérieur.

Ce que vous venez de dire me console un peu. Je pensais que mon manque d'expérience était la raison de ma divergence. Le problème des Autochtones est vraiment un problème qui concerne les Canadiens. C'est vraiment une honte, encore aujourd'hui, que nous n'ayons pas réglé le problème des enfants et des adolescents autochtones. Je me demande pourquoi on devrait continuellement aller voir ce qui se fait dans d'autres pays quand nous avons des problèmes aussi graves ici au Canada. Je vois que votre préoccupation se rapproche un petit peu de la mienne.

M. Yalden : Je dirais seulement qu'on peut apprendre beaucoup des autres sociétés. Pourtant, ce qui me laisse un peu moins enthousiaste, c'est cette habitude canadienne de vouloir donner des leçons aux autres. Je crois que tous les pays ont des systèmes différents. Dans ce domaine des droits de la personne, des commissions des droits de la personne — quoiqu'il y aient des principes qui aient été adoptés et qui s'appellent les Principes de Paris —, il existe toutes sortes de systèmes. On peut et on doit apprendre des autres, mais on devrait en tout premier lieu mettre notre propre maison en ordre.

[Traduction]

Le sénateur Carstairs : Monsieur Yalden, j'estime comme vous que nous sommes en grave infraction à nos obligations à l'égard des Autochtones. Moi aussi, je suis allée dans des réserves autochtones et j'ai passé du temps avec les Autochtones entassés dans nos villes.

Si vous étiez chargé de rectifier ces infractions, par quoi commenceriez-vous?

M. Yalden : Sénateur, j'aurais bien aimé qu'on me pose la question en 1876, car j'aurais alors répondu : n'adoptez pas l'Acte des sauvages. Malheureusement, je n'étais pas là, l'Acte des sauvages a été adopté, et nous en subissons encore les conséquences 130 ans après.

Votre question est parfaitement légitime, mais c'est la question en matière de droits de la personne la plus difficile à régler au Canada.

Je peux répondre très directement au problème du harcèlement sexuel sur le lieu de travail ou à celui de la propagande antisémite sur l'Internet, et je pense que vous serez d'accord avec mes solutions. En revanche, il est extrêmement difficile de répondre à la question que vous me posez.

Le Canada n'est pas le seul pays à avoir une population autochtone, et nous avons vu comparaître au Comité des droits de l'homme des dizaines de pays dont certains commettaient des infractions bien plus graves que celles du Canada. L'article 27 du traité énonce très clairement les droits des populations minoritaires. Même un pays relativement comparable au notre comme l'Australie a un dossier nettement pire que le nôtre. En revanche, la Nouvelle-Zélande a un bien meilleur dossier. La situation est aussi bien meilleure dans les pays scandinaves, mais le problème ne se pose pas vraiment de la même façon là-bas.

Que faire face à une situation aussi délicate?

Je ne peux pas vous répondre de façon totalement satisfaisante en vous disant ce que je ferais, même si j'avais tout l'argent voulu et carte blanche pour faire n'importe quoi. D'ailleurs, nous avons tout l'argent voulu.

Nous consacrons des fortunes à ces questions, mais sans réussir à briser le cercle de la pauvreté. Nous ne réussissons pas à surmonter les problèmes liés à la structure des communautés autochtones dont nous nous occupons.

Est-ce que nous nous occupons du Grand chef de l'APN ou des 600 autres chefs?

Je crois que personne n'a vraiment les réponses à ces questions. Autrement dit, nous nous sommes profondément embourbés et nous avons énormément de mal maintenant à sortir de ce bourbier.

Je constate que je fais moi-même quelque chose que j'abhorre, c'est-à-dire que je sors des platitudes du genre : « Nous devons tous travailler ensemble ». N'importe quel imbécile le sait très bien. Nous devons tous travailler ensemble pour essayer de surmonter ce délicat problème. Nous devons faire en sorte que les Autochtones aient pleinement leur place dans notre société, et cetera. Je pourrais vous en sortir bien d'autres de ce genre, croyez-moi.

Le sénateur Oliver : Nous avons déjà entendu tout cela.

M. Yalden : Vous l'avez tous entendu bien des fois. Mais ce n'est pas une réponse. En matière de discrimination raciale, il y a des choses qui ont été faites et qu'on continue à faire de façon concrète. Nous n'avons pas supprimé la discrimination raciale au Canada, mais la situation est bien meilleure qu'il y a 10, 15, 20 ou 50 ans en matière d'emploi, de logement, et cetera. De nos jours, la discrimination raciale ne passe plus si les ONG, les commissions des droits de la personne et les autres organismes continuent à faire leur travail.

Mais que faut-il faire pour de petites collectivités autochtones éloignées qui sont à peine viables sur le plan économique?

Prenez l'expérience des Innus au Labrador : on a eu beau leur consacrer des sommes énormes, cela n'a pas réglé leurs problèmes. Évidemment, certains de ces problèmes ne sont pas strictement limités aux Autochtones. L'alcoolisme, la toxicomanie et le suicide sont dans une certaine mesure des caractéristiques des populations isolées, notamment dans le Nord. Je parle ici des peuples du monde entier, et pas simplement du Canada.

Ce n'est pas une réponse satisfaisante, je le sais bien. Tout ce que je peux dire, c'est que même à mon âge avancé, si quelqu'un veut me confier ce travail, je l'accepterai et je verrai ce que je peux faire, mais comme vous le voyez, je suis encore en train d'énoncer une platitude.

Le sénateur Carstairs : Cela me rassure un peu que vous n'ayez pas les réponses, car ce sont des problèmes qui nous torturent.

La semaine dernière, j'ai rencontré un groupe de chefs pour leur parler des lacunes tragiques en matière de logement dans les communautés du Manitoba. Bien des maisons n'ont pas d'installations d'égout et d'eau satisfaisantes. Les services de santé et d'enseignement laissent à désirer, et je ne sais pas par où commencer pour essayer de régler ces problèmes.

Comme vous, je ne sais pas ce qu'il faut faire, alors bienvenue au club.

M. Yalden : J'ai énormément de respect pour Phil Fontaine : c'est quelqu'un de très compétent. Je ne sais pas s'il serait possible d'avoir un groupe plus petit que ce groupe de 600 personnes. Nous avons eu une Commission royale. Malheureusement, comme bien d'autres commissions royales, elle a débouché sur un rapport massif que personne n'a su par quel bout prendre, à commencer par le Sénat et la Chambre des communes du Canada. C'était trop. Il aurait fallu changer tout le pays, la Constitution, ajouter une autre Chambre, et cetera. Vous connaissez bien toutes ses recommandations. Cela n'a pas servi à grand-chose non plus.

Je crois que nous avançons un peu. Il faut peut-être continuer à pousser en ce sens. Personnellement, je commencerais par l'éducation. Il faut essayer de donner le maximum d'éducation aux jeunes Autochtones. Il faut qu'ils puissent se tourner vers des professions comme le droit et accéder à des postes d'influence dans le domaine du droit et de la politique. Bien souvent, ils suivent la voie tracée par les femmes dans ces domaines. C'est donc peut-être là que je voudrais intervenir. Je mobiliserais les provinces et les autorités fédérales, et cetera, pour définir une nouvelle forme d'enseignement pour les Autochtones.

La présidente : Je suis heureuse que vous ayez mentionné l'éducation car je crois qu'il existe un certain nombre d'exemples d'universités canadiennes et autochtones où l'enseignement est conçu de façon différente. Dans ma propre ville, Regina, l'université a restructuré plusieurs de ses départements, et les choses progressent. Je suis donc heureuse que vous ayez mentionné cela.

Nous nous débattons avec les problèmes des Autochtones et notamment la question des enfants autochtones. Vous vous en êtes tous les deux occupés au niveau national et vous avez dit qu'il fallait commencer par régler nos problèmes chez nous.

Avez-vous trouvé utile l'initiative autochtone de la Commission des droits de l'homme?

M. Yalden : Toutes les tentatives passées pour rédiger une charte internationale des peuples autochtones n'ont pas été particulièrement efficaces, c'est le moins qu'on puisse dire. Certains d'entre vous se souviennent du débat sur les mots « people » et « peoples » (la population par rapport aux peuples), dont notre pays s'est mêlé de façon ridicule pendant longtemps. Il n'était pas question de parler de peuples au pluriel que si l'on avait inscrit cela dans le droit international, certains peuples autochtones auraient estimé que cela leur donnait le droit à l'autodétermination parce que la déclaration internationale des droits de l'homme dit que les « peuples » ont le droit à l'autodétermination. D'ailleurs, la première phrase de l'article 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont je me suis occupé, dit : « Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. » Cela a provoqué la consternation et le débat a traîné pendant des années.

On a fini par trouver un compromis en disant que les peuples avaient le droit de disposer d'eux-mêmes mais seulement dans les limites des États nationaux et que personne ne devait en conclure que les peuples autochtones pouvaient devenir des États distincts.

Je n'ai personnellement pas trouvé que c'était une initiative très heureuse, mais cela semble se régler et j'espère que ce sera utile.

La présidente : J'ai trouvé très utile que les Autochtones puissent soulever leurs problèmes à une autre tribune internationale. Je crois qu'on leur a offert une tribune qu'ils n'avaient pas ici au Canada. Nous étions tout à fait prêts à entendre les plaintes des Autochtones dans un contexte international. Que nous ayons ou non réussi à régler leurs problèmes, c'est en tout cas quelque chose qui a permis de voir ces problèmes sous un angle international différent.

M. Yalden : Je crois que c'était très important, et on a évidemment pu le voir de très près à la Commission pendant des années. Le fait que nos Autochtones et leurs représentants aient pu se joindre aux représentants autochtones d'autres pays a été très important et très utile.

Le sénateur Pearson : Je crois personnellement que la Commission ne s'est pas occupée suffisamment des problèmes liés aux droits des enfants. Je me trompe peut-être, et corrigez-moi si c'est le cas.

Je sais que les défenseurs des enfants dans certaines provinces, notamment le Québec et la Saskatchewan, ont des liens avec les commissions des droits de la personne. Je crois que c'est la même chose aussi en Nouvelle-Écosse. Est-ce une bonne chose de lier les défenseurs des enfants à la Commission des droits de la personne, ou pensez-vous que cela ne peut pas marcher au niveau national?

M. Yalden : J'ai dit au début que je verrais d'un bon oeil la création d'un commissaire aux droits de l'enfant. Il y a deux façons d'aborder ces commissions des droits de la personne. On peut avoir une commission générale qui s'occupe de tout, ou une commission générale mais avec un commissaire responsable des enfants, un autre responsable des femmes, et cetera. C'est ce qui est prévu dans la loi. Je n'ai jamais été convaincu que c'était la bonne recette pour avoir des commissions efficaces et solides. Je crois qu'il vaudrait mieux avoir un commissaire distinct.

La présidente : Monsieur Yalden, merci d'avoir fait tout ce chemin pour nous faire partager votre point de vue national et international. Il a été très utile de replacer la Convention relative aux droits de l'enfant et toutes ces questions dans le contexte plus général de la législation sur les droits de la personne et de notre travail international. Merci d'être venu, et espérons que certaines de vos excellentes idées se retrouveront dans notre rapport.

La séance est levée.


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