Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 9 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 11 avril 2005
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 16 heures pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Nous sommes réunis pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.
Avant de céder la parole au ministre, je voudrais signaler que M. Volpe doit assister à une réunion urgente, à laquelle, je crois, M. Cotler doit se rendre également à 17 heures. Nous n'aurons donc aujourd'hui qu'un seul témoin.
Je voudrais par ailleurs souhaiter la bienvenue à une délégation composée de parlementaires de la République tchèque, de la Slovénie, de la Lettonie, de la Lituanie et de l'Estonie. La délégation est ici dans le cadre d'une tournée parlementaire organisée par l'ACDI. Bienvenue à cette séance du comité.
Monsieur Cotler, les membres du comité vous connaissent bien, et vous êtes bien connu pour vos activités relatives aux droits de la personne et, en particulier, aux enfants. Je ne ferai donc pas de présentation officielle. Je voudrais simplement vous souhaiter la bienvenue au comité. Nous étudions la Convention relative aux droits de l'enfant et cherchons des moyens de lui donner une plus grande importance au Canada. Nous essayons donc de trouver les moyens les plus indiqués pour permettre au Canada de se conformer pleinement à la Convention et renforcer la mise en œuvre des lois touchant les droits de la personne dans le pays.
Nous essaierons de formuler des recommandations à l'intention de la fonction publique, du gouvernement et du Parlement du Canada. Nous comptons beaucoup sur votre apport et votre expertise dans ce domaine. Monsieur le ministre, je suppose que vous avez un exposé préliminaire à présenter. Nous passerons ensuite aux questions des membres du comité.
L'honorable Irwin Cotler, ministre de la Justice : Merci, sénateur. Je voudrais exprimer mes remerciements pour l'occasion qui m'est offerte de comparaître encore une fois devant le comité, surtout dans le cadre de l'examen des obligations internationales du Canada en ce qui a trait aux droits et libertés des enfants. Je voudrais vous féliciter d'avoir pris cette initiative qui arrive à point nommé puisque nous célébrons le quinzième anniversaire de l'entrée en vigueur de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant. Les enfants, qui sont les plus vulnérables des personnes vulnérables, sont au cœur de cet examen. Lorsque j'ai été nommé ministre de la Justice et procureur général du Canada, j'ai placé la protection des personnes vulnérables et des enfants parmi mes priorités. En fait, l'épreuve d'une société juste, qui s'articule autour des principes de l'égalité et de la dignité humaine, est la façon dont elle traite ses enfants et ses autres citoyens vulnérables, la façon dont nous les protégeons contre les désavantages et contre la discrimination.
[Français]
La Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies, la Magna Carta des droits des enfants, fait également partie de cet examen. Plus que tout autre instrument international, elle a été ratifiée par de nombreux pays. Nous venons d'ailleurs de célébrer son 15e anniversaire.
[Traduction]
Je félicite donc le comité pour avoir entrepris cet important examen. Je voudrais également souligner tout de suite la présence de parlementaires en visite venant de la République tchèque, de l'Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie et de la Slovénie. Comme je l'ai dit à certains d'entre eux avant de prendre la parole, j'ai eu le plaisir de visiter chacun de ces pays. Je suis donc enchanté de vous souhaiter la bienvenue à cette séance, au Parlement du Canada et dans notre pays.
[Français]
Les enfants canadiens sont protégés par un réseau de systèmes composé de lois, politiques, programmes fédéraux, provinciaux et territoriaux et par le cadre plus large du droit international.
[Traduction]
Pourtant, malgré ce cadre étendu de protection dans la loi, les politiques et les programmes, les enfants canadiens restent vulnérables. Ainsi, en 2002, d'après les données de Statistique Canada, les enfants de moins de 18 ans représentaient 23 p. 100 de la population canadienne. Dans l'une des sous-catégories des incidents signalés à la police, les enfants de moins de 18 ans représentaient non seulement environ 24 p. 100 des victimes d'agressions, mais aussi 61 p. 100 des victimes d'agressions sexuelles et 20 p. 100 des victimes d'agressions physiques. Les données ont également révélé que les enfants et les adolescents sont le plus souvent victimisés par une personne qu'ils connaissent (51 p. 100 par des amis et des connaissances, 25 p. 100 par des membres de la famille et 18 p. 100 par des étrangers). Nous savons que parmi les jeunes qui fuient leur foyer pour échapper aux sévices physiques et sexuels, beaucoup doivent se livrer à la prostitution de rue pour survivre.
En 2004, la GRC a estimé que, chaque année, des trafiquants d'êtres humains font venir au Canada 800 personnes venant de l'étranger et envoient aux États-Unis quelque 1 500 à 2 000 personnes recrutées au Canada. Les femmes et les enfants sont les principales victimes du trafic d'être humains.
[Français]
En 2004 également, le représentant spécial des Nations Unies sur la situation des droits de la personne et des libertés fondamentales des peuples autochtones a signalé dans son rapport sur sa visite au Canada que les indicateurs économiques, sociaux et humains de bien-être, de la qualité de vie et du développement sont toujours inférieurs chez les peuples autochtones que chez les autres Canadiens.
[Traduction]
Nous devons manifestement faire preuve de vigilance et continuer à travailler ensemble afin de mieux protéger tous les enfants du Canada
En mai 2002, les membres de la communauté internationale se sont retrouvés à la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations Unies sur les enfants pour réaffirmer leur engagement à promouvoir et à protéger les droits et libertés de tous les enfants. Le Canada s'est non seulement joint à ce consensus, mais, sous la direction du sénateur Pearson — qu'on appelle souvent la protectrice des enfants du Canada, — il était en première ligne pour aider à former ce consensus.
[Français]
Deux ans plus tard, toujours sous la direction inébranlable du sénateur Pearson, le gouvernement du Canada a soumis son plan d'action national affirmant son engagement à faire de la Convention relative aux droits de l'enfant et de la famille une priorité nationale et à poursuivre son travail en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, les intervenants et la population en général.
[Traduction]
C'est là mon engagement et ma responsabilité, en tant que ministre de la Justice et procureur général du Canada. Je dois, à ce titre, faire en sorte que les principes de justice et d'égalité inscrits dans la Charte canadienne des droits et libertés se reflètent dans des instruments internationaux comme la Convention relative aux droits de l'enfant et soient respectés au Canada. Par conséquent, je voudrais mettre en évidence quelques-uns des efforts que nous avons déployés que nous déployons pour appuyer cet engagement de façon concrète et significative.
Le premier est l'utilisation du droit pénal, comme régime de protection des droits de la personne, pour protéger les enfants, qui sont les plus vulnérables de nos citoyens. Le 8 octobre 2004, j'ai déposé le projet de loi C-2 sur la protection des enfants et d'autres personnes vulnérables, qui a constitué le premier projet de loi étudié par cette législature, ce qui reflète la priorité de cette mesure législative qui donne suite à l'engagement pris dans le discours du Trône de mieux protéger les enfants. Il propose d'importantes réformes du droit pénal visant à améliorer la protection des enfants du Canada contre les personnes qui pourraient les exploiter sexuellement, les maltraiter ou les négliger. Cette réforme améliorera la capacité de l'appareil judiciaire de répondre aux besoins et aux sensibilités propres aux enfants en tant que victimes et que témoins, dans le cadre d'une initiative de réforme à cinq volets.
[Français]
Le projet de loi C-2 s'ajoute à d'autres initiatives gouvernementales, telle la stratégie nationale de protection des enfants contre l'exploitation sexuelle sur Internet, inaugurée par la vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile en mai 2004, qui comprend la nouvelle ligne d'information nationale Cyberaide.ca. Je crois que la stratégie nationale, avec le projet de loi C-2 et les protections déjà garanties par le Code criminel, fournit au Canada un des cadres les plus complets qui soit pour la protection des enfants, contre l'exploitation sous toutes ses formes.
[Traduction]
Nous nous sommes également engagés à déposer un projet de loi qui améliorera les mesures de protection contre le trafic des êtres humains, forme moderne d'esclavage dont les femmes et les enfants sont les premières victimes. De plus, nous mettons au point actuellement une stratégie complète de lutte contre ce trafic, afin de coordonner et de renforcer les réactions fédérales à cette activité dans trois domaines : la prévention, la protection des victimes et les poursuites judiciaires contre les trafiquants. Dans ce contexte, nous avons pris de nombreuses mesures durant l'année écoulée pour établir des partenariats et mieux faire connaître et comprendre le problème du trafic d'êtres humains dans sa dimension mondiale et de renforcer nos mesures pour le contrer.
La troisième initiative est la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Notre engagement envers les enfants est aussi observable dans l'Initiative de renouvellement du système de justice pour les jeunes, vaste entreprise multisectorielle inspirée des principes de la Convention relative aux droits de l'enfant. Un des principaux éléments de cette initiative réside dans la nouvelle Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, entrée en vigueur en 2003, qui reconnaît la convention dans son préambule. Cette loi est fondée sur le principe que les jeunes jouissent non seulement des droits garantis par la Charte, mais aussi de certaines garanties spéciales de leurs droits et libertés.
[Français]
Dans l'ensemble, la nouvelle loi assure un appareil judiciaire plus juste et plus efficace pour les jeunes en réduisant le nombre de jeunes qui passeront par le système de justice formel, en réduisant le nombre de peines d'incarcération évitables et en accroissant les mesures de réinsertion sociale.
[Traduction]
Cette loi instaure un régime qui tient compte de la dépendance des jeunes et de leur manque de maturité, améliore les protections procédurales garantissant que les jeunes seront traités avec justice et que leurs droits seront respectés, mise sur la réinsertion sociale des jeunes, réduit les délais d'intervention, ce qui est particulièrement important quand on pense à la perception du temps qu'ont les jeunes, et réduit le nombre de jeunes qui passent inutilement par le système de justice et de mise sous garde.
Le quatrième élément est la Stratégie de droit de la famille axé sur l'enfant. Notre Stratégie de droit de la famille axé sur l'enfant met de l'avant le fait que ce sont les besoins et l'intérêt de l'enfant qui doivent primer lors d'une séparation ou d'un divorce. En effet, lorsqu'une instance de divorce ou de séparation perdure, les conséquences négatives pour les enfants s'en trouvent aggravées. Bien que nous ne puissions pas éliminer ce genre de conflits, nous sommes déterminés à modifier le régime de justice familiale pour le rendre moins conflictuel et pour donner aux parents les outils dont ils ont besoin pour arriver à des ententes qui concourent à l'intérêt de leurs enfants.
[Français]
Cinquièmement : le racisme et la lutte contre le racisme. Je suis heureux de souligner le lancement récent du Plan d'action canadien contre le racisme destiné notamment à promouvoir la diversité et à combattre le racisme, à aider les victimes et les groupes vulnérables au racisme, comme les enfants, et aux autres formes de discrimination, et à mettre de l'avant des programmes d'éducation pour les enfants et les jeunes sur la diversité et la lutte contre le racisme.
[Traduction]
Comme je l'ai dit ailleurs, nous cherchons à édifier une société dans laquelle il n'y aurait ni sanctuaire pour la haine ni refuge pour le sectarisme.
Je voudrais maintenant passer à une sixième question. Il s'agit d'une situation d'une nature particulièrement troublante. J'ai mentionné que la Convention internationale relative aux droits de l'enfant a été ratifiée plus rapidement et par plus de pays que n'importe quel autre traité international. Ce n'est cependant qu'un aspect de la situation. Le revers de la médaille, c'est que plus de pays violent ce traité que presque n'importe quel autre. En conséquence, des millions d'enfants — les chiffres sont tout simplement ahurissants — se retrouvent dans des situations alarmantes dans lesquels ils sont autant des otages que des victimes.
Permettez-moi de vous citer quelques données rapides. Au moment même où je vous parle, on estime que 2 millions d'enfants sont mêlés à la prostitution et à l'industrie de la pornographie. Quelque 180 millions de jeunes participent aux pires formes de travail. J'ai parlé de la question du trafic d'êtres humains. À cet égard, on estime que 1,2 million de personnes font l'objet de ce trafic chaque année et que 5,7 millions d'autres sont soumis à des servitudes pour dettes ou à une forme d'esclavage. Dans le monde, les enfants forment la moitié des 40 millions de réfugiés et de personnes déplacées dans leur propre pays.
Les aspects troublants des violations générales des droits de l'enfant sont encore plus inquiétants quand les violations sont commises dans le contexte de conflits armés. À tout moment, il y a plus de 300 000 enfants-soldats, dont certains ont à peine huit ans, qui sont utilisés dans des conflits armés dans plus de 30 pays du monde. On estime que plus de 2 millions d'enfants sont morts dans les conflits armés de la dernière décennie et que 6 millions d'autres ont été gravement blessés ou handicapés pour la vie. Chaque année, entre 8 000 et 10 000 enfants sont encore tués ou estropiés par des mines terrestres. Bref, la tragédie des enfants touchés par la guerre est clairement l'une des plus dévastatrices des temps modernes. Le fait que les enfants pris au piège et marqués par la brutalité de la guerre et des conflits se comptent par millions masque la douleur ressentie par chacun et, pis encore, voile toute l'étendue de la tragédie. Nous parlons d'enfants qui ont perdu leurs parents, leur foyer, leur école, leur quartier, tous les éléments de la sécurité humaine.
En résumé, ces tragédies touchant les droits de l'enfant doivent cesser. Derrière chacun des chiffres que je viens de mentionner, il y a le visage d'un enfant, un enfant qui a un nom, une identité, un univers. À titre de membres de la communauté mondiale, nous avons l'obligation de mobiliser tous ceux qui ont une conscience au nom des droits des enfants, et particulièrement les enfants touchés par la guerre.
Madame la présidente, ce n'étaient là que quelques exemples précis des mesures prises pour protéger le bien-être et les intérêts des enfants et des jeunes et manifester notre engagement à cet égard. Le ministère de la Justice et moi-même, comme ministre, travaillons quotidiennement à la réalisation de ces objectifs, grâce aux lois et aux politiques que nous élaborons et appuyons et au sujet desquelles nous conseillons le gouvernement.
Enfin, en tant que ministre de la Justice, l'une de mes fonctions consiste à veiller à ce que nos lois respectent la Charte canadienne des droits et libertés et nos obligations internationales à l'égard des droits de la personne, y compris celles qui découlent de la Convention relative aux droits de l'enfant. Avant que le Canada ratifie la convention, le ministère de la Justice a fait un examen approfondi des lois fédérales pour s'assurer qu'elles étaient conformes à nos nouvelles obligations internationales.
[Français]
Depuis, le ministère a continué d'examiner tous les projets de loi et de politiques ayant une incidence directe sur les enfants afin d'en garantir la conformité à la Charte, à la CDE et aux autres instruments internationaux de droits de la personne. Ce faisant, nous considérons les droits des enfants dans une perspective contextuelle. Si nous voulons vraiment promouvoir l'intérêt supérieur des enfants, il faut prendre en considération tous leurs droits globalement.
[Traduction]
Cet aspect s'inspire bien sûr du principe du fédéralisme. Pour l'intégration de ses obligations internationales dans les lois et les politiques nationales, le Canada peut avoir une approche différente de celle des autres pays. En effet, la convention reconnaît que chaque pays a sa propre organisation et qu'il appartient à chacun de déterminer le meilleur moyen de respecter ses obligations.
Le Canada étant un État fédéral où de nombreux domaines relèvent de la compétence des provinces ou sont partagés entre les deux ordres de gouvernement, nous sommes très conscients de l'importance de la collaboration avec les provinces et les territoires, aussi bien avant qu'après la ratification d'un instrument international, afin de garantir que le Canada respecte entièrement ses obligations internationales.
[Français]
La voix des enfants peut se faire entendre de bien des façons par le gouvernement. Comme vous le savez, madame le sénateur Pearson a travaillé sans relâche au Parlement pour que la les droits des enfants soit pris en considération dans toutes les questions.
Il me fait plaisir de souligner que mon ministère et moi-même avons collaboré avec madame le sénateur Pearson et avec d'autres personnes pour faire entendre la voix des enfants.
[Traduction]
Une autre façon de permettre aux jeunes de se faire entendre est de les faire participer, comme nous l'avons fait lors de l'élaboration de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. De plus, nous avons intégré dans la loi une disposition garantissant aux jeunes le droit d'être entendus et de prendre part aux processus menant à des décisions qui les touchent.
En conclusion, je voudrais laisser le mot de la fin à un enfant. Certains d'entre vous ont déjà entendu cette anecdote, mais je vais la répéter parce qu'elle est particulièrement pertinente ici. Ma fille, qui a aujourd'hui 25 ans, m'a donné l'une des plus grandes leçons que j'ai reçues en matière de droits de la personne. Elle avait 15 ans quand elle m'a dit un jour : « Papa, quand tu veux savoir si quelque chose respecte vraiment les droits de la personne, demande-toi toujours, dans n'importe quelle circonstance et n'importe où dans le monde : est-ce que c'est bon pour les enfants? C'est le vrai test des droits de la personne, le vrai test de la justice. »
La présidente : Vous avez abordé beaucoup des domaines que nous avons commencé à étudier, au niveau aussi bien national qu'international. Je suis sûre que vos collaborateurs vous ont informé que, dans le cadre de nos délibérations, nous nous sommes interrogés sur la question de savoir si la Convention relative aux droits de l'enfant devrait être considérée strictement comme un traité fondé sur les droits, comme le comité l'a dit et comme nous l'avons dit au Canada. Si c'est le cas, les enfants ont des droits, mais pour qu'ils aient la possibilité de les exercer, nous aurions besoin d'une loi habilitante, dans la mesure où le gouvernement fédéral peut en adopter, en tenant compte des compétences provinciales. Certains de nos témoins ont déclaré que nous avons besoin d'une loi habitante au niveau fédéral. D'autres croient que la question évolue.
Quelle est votre position dans ce débat?
M. Cotler : J'ai vu quelques-uns des témoignages et des commentaires. Je suis au courant du point de vue des défenseurs des droits de l'enfant. Certains d'entre eux préconisent que le gouvernement fédéral intègre la Convention relative aux droits de l'enfant dans les lois nationales. À cet égard, j'ai deux observations à formuler.
La première, c'est que, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays, les traités internationaux ne sont pas d'application automatique au Canada. Autrement dit, un traité international ne peut pas faire l'objet d'un procès devant les tribunaux nationaux. Notre régime fédéral et le fait que nos droits relèvent souvent de compétences mixtes constituent un autre facteur à prendre en considération. Cela étant dit, je crois fermement que la Convention internationale relative aux droits de l'enfant constitue un traité de protection des droits de la personne axé sur les enfants. Je crois aussi que des éléments du traité ont déjà été intégrés dans quelques-unes de nos lois nationales. Nous n'avons peut-être pas une loi complète de mise en œuvre, mais vous noterez que le préambule de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents mentionne expressément la convention.
Si vous examinez le projet de loi que nous avons récemment déposé au sujet de la protection des enfants et d'autres personnes vulnérables, vous constaterez qu'il établit des protections directement liées à la Convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Le fait que les traités portant sur les droits internationaux de la personne ne sont pas automatiquement intégrés dans la législation nationale ne signifie pas que ces traités ne sont pas pris en considération lors de l'élaboration de lois nationales ou que nous ne respectons pas les obligations qui y sont prévues comme si elles faisaient partie des lois nationales. Par exemple, les directives concernant la rédaction de textes législatifs imposent expressément aux auteurs des mémoires au Cabinet d'informer celui-ci de tout accord international dont le Canada est signataire et qui aurait une influence sur le texte législatif envisagé. Des règles semblables s'appliquent à la rédaction des règlements.
Les rédacteurs peuvent renvoyer des textes législatifs à la Section des droits de la personne ou à la Section internationale pour toute question soulevée au cours de la rédaction d'un projet de loi lié à un traité international sur les droits de la personne, dont la Convention relative aux droits de l'enfant. En même temps, nous sommes tenus de veiller à ce que les textes législatifs soient conformes à la Charte canadienne des droits et libertés. Je n'ai pas à vous rappeler que, d'après la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et notamment les décisions rendues par le juge en chef Dickson, le droit international constitue une autorité pertinente et convaincante dans l'interprétation et l'application de la Charte et, en particulier, l'interprétation et l'application des droits de l'enfant à la lumière de la Charte et de nos obligations internationales, comme celles qui découlent de la Convention.
La présidente : Je vais laisser cette question de côté parce qu'il y a d'autres sénateurs qui souhaitent poser des questions. Je reviendrai cependant, monsieur le ministre, à la question de savoir si la convention est fondée sur des droits et si les enfants devraient pouvoir exercer pleinement ces droits grâce à une mise en œuvre complète de la convention au Canada. C'est le point essentiel de notre discussion. Il ne s'agit pas de savoir si le gouvernement en tient compte de sa propre initiative et sur une base volontaire.
La question est de savoir si la convention lie le gouvernement. Nous avons entendu des témoins qui favorisent les deux thèses : soit avancer lentement en veillant aux intérêts de l'enfant, soit considérer qu'un droit est un droit et que les enfants devraient donc pouvoir exercer les leurs.
D'après votre réponse, je ne sais pas vraiment de quel côté vous penchez.
M. Cotler : Je penche du côté du raisonnement tenu par les tribunaux à cet égard, à savoir que le droit international constitue une autorité pertinente et convaincante dans l'interprétation et l'application de nos lois, et que nous devons nous efforcer de faire en sorte que nos lois respectent nos obligations en vertu de la Charte, tant au stade de l'élaboration qu'à celui de la mise en œuvre. Il existe une présomption de conformité, ce qui signifie que le Parlement, lors de la rédaction d'un projet de loi, s'efforce de le rendre conforme à nos obligations internationales. À mon avis, c'est ainsi qu'ont évolué les relations entre le droit international et le droit intérieur tant dans notre jurisprudence que dans les principes énoncés en conséquence.
Pour conclure, je dirai d'abord qu'il s'agit d'un traité international fondé sur des droits et, ensuite, que nous nous efforçons de rendre nos lois conformes à ce traité. Nous n'avons pas, dans le cas des traités internationaux, l'obligation expresse que nous avons, par exemple, à l'égard de la Charte canadienne des droits et libertés, mais il existe une présomption de conformité relative au droit international. Même en l'absence du caractère obligatoire, nous nous efforçons de rendre nos lois conformes à nos obligations internationales, en tenant compte de la question des compétences mixtes fédérales et provinciales et d'autres considérations du même genre.
La présidente : Il nous appartiendra donc de déterminer s'il s'agit d'un critère de conformité ou d'observation. Vos réponses nous ont éclairé dans une certaine mesure.
Le sénateur Pearson : Merci beaucoup, monsieur Cotler, pour votre exposé qui était très complet. J'ai porté une attention particulière à vos observations concernant la vigilance. Quiconque a passé un certain temps avec de petits enfants sait qu'il suffit d'un moment d'inattention pour les perdre. Je sais aussi qu'il m'est arrivé, dans mes rapports avec le gouvernement, de me rendre compte que les gens peuvent oublier les enfants ou ne pas leur accorder suffisamment d'attention.
J'étais vice-présidente du Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants. Nous avons produit en 1998 le rapport Pour l'amour des enfants, dans lequel nous avons recommandé quelques modifications à la Loi sur le divorce. Tous les partis se sont entendus sur l'importance de réduire la nature conflictuelle du divorce et de la séparation. Nous avions une longue liste d'intérêts à défendre et à promouvoir.
Un projet de loi a été déposé au cours de la dernière session, mais l'importance qu'il y a à changer l'atmosphère et le vocabulaire entourant la garde et le droit de visite dans l'intérêt des enfants demeure pour moi hautement prioritaire. Je sais que le ministère de la Justice a pris un certain nombre de mesures positives en travaillant dans tout le pays dans le domaine du droit de la famille axé sur l'enfant. Je voudrais cependant que le ministère en fasse davantage.
Nous avons eu l'impression qu'on n'avait pas ménagé un espace suffisant pour que les enfants puissent se faire entendre. Je sais que les conditions varient à cet égard d'une administration à l'autre du pays. Pour moi, c'est un élément essentiel. Avez-vous des observations à formuler au sujet de la mise en œuvre des recommandations du comité sur la garde et le droit de visite?
M. Cotler : J'appuie certainement la notion que, dans les principes et la politique relatifs au divorce, les réformes doivent s'inspirer de l'intérêt de l'enfant.
Quand nous parlons de supprimer les termes « garde » et « droit de visite » dans le contexte du divorce pour ne mentionner que l'intérêt de l'enfant, je crois que le changement du vocabulaire peut contribuer à encourager les parents à conclure des ententes spécialement conçues pour répondre aux besoins particuliers de chaque enfant. Par conséquent, nous individualisons l'approche et l'axons sur les intérêts et les besoins de l'enfant. Ainsi, les efforts seront concentrés sur une stratégie de droit de la famille axée sur l'enfant plutôt que sur la perception de gain ou de perte ou sur le conflit souvent lié aux termes « garde » et « droit de visite ».
L'élaboration d'un modèle de responsabilité parentale organisé autour de l'intérêt de l'enfant s'est inspirée d'importantes activités d'examen et de consultation sur la réforme du droit familial, y compris les travaux du Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants.
Les initiatives législatives visant la prestation des services de justice familiale et l'expansion des tribunaux unifiés de la famille ainsi que la nouvelle approche axée sur l'enfant permettront, je l'espère, d'aboutir à des ententes parentales centrées sur l'intérêt de l'enfant.
Pour ce qui est de la date de dépôt de ce projet de loi, il importe de noter que nous avons déjà un programme législatif très encombré à la Chambre. Nous espérons donc avoir la possibilité de déposer ce projet de loi pendant la session d'automne. Nous utilisons le temps que cela nous laisse pour en améliorer le texte en réponse aux instances qui nous sont présentées et pour mieux ancrer la notion de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Le sénateur Baker : J'ai écouté très attentivement l'excellent exposé du ministre. J'ai également noté ce que la présidente a demandé, ce que le sénateur Pearson a dit de la nécessité d'écouter ce que les enfants ont à dire et le dernier paragraphe de votre exposé concernant le droit des enfants d'être entendus. Quand on met tout cela ensemble et qu'on pense aux éléments les plus récents de la jurisprudence canadienne dans le domaine qui fait l'objet du mandat du comité, c'est-à-dire les obligations internationales relatives aux droits et libertés des enfants, on constate, au chapitre des accords internationaux, que c'est la convention de La Haye qui monopolise la plus grande part de notre jurisprudence. On note souvent dans les arguments des défendeurs ou de leurs avocats, que les procès intentés à l'étranger en vue du retour d'un enfant dans le but même que vous avez mentionné, c'est-à-dire la détermination des questions de garde et de droit de visite, se fondent sur la convention de La Haye.
Un problème fondamental se pose quand il s'agit de déterminer si l'enfant sera entendu ou non. Il y a beaucoup de jurisprudence dans ce domaine. La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Thomson c. Thomson, a interprété l'article 12 de la convention de La Haye comme signifiant que l'enfant doit être rendu sur-le-champ pour une détermination de la question. Toutefois, l'article 12 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant impose à tout organisme judiciaire ou administratif chargé de l'affaire d'entendre l'enfant. Le paragraphe 12(1) de la convention des Nations Unies dit expressément que les États parties doivent garantir à l'enfant le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant.
Si nous avions intégré dans nos lois nationales les dispositions de la convention des Nations Unies, la situation ne serait pas du tout la même. Il serait alors obligatoire pour les tribunaux d'entendre les enfants.
Toutefois, comme le ministre nous l'a dit aujourd'hui, on peut trouver des cas récents — ils ne sont pas nombreux — dans lesquels l'autorité judiciaire a tenu compte de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Si on utilise Carswell ou Quicklaw pour faire une recherche sur cette convention, on n'obtient que très peu de réponses.
L'intégration de la convention des Nations Unies dans les lois nationales imposerait de nouvelles exigences aux organismes judiciaires et administratifs, y compris les services sociaux, la Ville de Toronto et les gouvernements provinciaux. Je ne sais pas si vous voulez nous dire ce que vous pensez de cela, monsieur le ministre. Si vous souhaitez ne rien dire, je pourrai le comprendre. Vous avez assez bien couvert le sujet, sans toutefois aller aussi loin que le comité l'aurait souhaité.
M. Cotler : Avant que vous ne posiez votre question, je n'avais pas eu le temps de donner une réponse précise à la question concernant la voix des enfants parce que j'ai eu l'impression que ma réponse était déjà trop longue. Vous me permettez maintenant d'y revenir. Je vais donc essayer de donner cette réponse, mais vous ne la trouverez pas nécessairement aussi complète que vous le souhaitez. Une fois que j'aurai fini, j'inviterai les deux expertes qui m'accompagnent, Mme Ménard et Mme Morency, qui sont au ministère de la Justice depuis bien plus longtemps que moi, à compléter ma réponse, si elles le souhaitent.
Permettez-moi de commencer par dire que la Loi sur le divorce ne contient pas de dispositions imposant expressément d'entendre les enfants en cause dans le cadre d'une procédure de divorce. Cette situation est-elle conforme, par exemple, à l'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant? Dans le cadre de l'approche de responsabilité parentale que nous avons adoptée au sujet de la Loi sur le divorce, celle-ci devrait être modifiée de façon à comprendre une liste de critères que le tribunal serait tenu de considérer pour déterminer comment agir au mieux des intérêts de l'enfant.
L'un de ces critères serait, et je cite, « le point de vue et les préférences de l'enfant, dans la mesure où ils peuvent être raisonnablement déterminés ». On peut alors se demander de quelle façon cette détermination peut se faire. Le point de vue de l'enfant peut être présenté au tribunal de multiples façons : dans le cadre d'une évaluation, d'une déclaration sous serment de l'enfant ou d'une partie ou directement par l'avocat ou encore par témoignage direct de l'enfant.
J'ai mentionné que le projet de loi C-2 que nous avons déposé au Parlement prévoit, entre autres, des moyens de faciliter le témoignage d'un enfant, à titre de victime ou de témoin, dans le cadre d'une procédure au criminel. Certaines des questions que vous avez mentionnées relèvent plutôt de la procédure civile. Ces questions ressortissent à la compétence provinciale pour ce qui est de la réglementation régissant les dépositions.
Des enfants ont été consultés au cours de l'élaboration de ce que nous appelons la stratégie de droit de la famille axé sur l'enfant, qui donne la priorité aux besoins de l'enfant lors de la séparation ou du divorce de ses parents. La stratégie donne aux parents des outils pour les aider à conclure des ententes axées sur l'intérêt des enfants.
Cela nous amène au sénateur Pearson et à son rôle. L'un des moyens de permettre aux enfants de se faire entendre et de respecter la Convention relative aux droits de l'enfant consiste à mettre en œuvre le plan d'action national du Canada pour les enfants, qui a découlé de la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations Unies sur les enfants. Le plan, intitulé « Un Canada digne des enfants », réaffirme l'engagement de faire des enfants et des familles une priorité nationale, de poursuivre notre travail de concert avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et de continuer à collaborer avec les autres intervenants. Grâce au sénateur Pearson, on reconnaît en particulier « à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité ».
Dans le plan d'action national pour les enfants comme dans « Un Canada digne des enfants », nous parlons non seulement des droits et des besoins des enfants, mais aussi de l'importance de les écouter.
Mme Elaine Ménard, avocate, Section des droits de la personne, ministère de la Justice Canada : Je voudrais donner une réponse rapide au sujet de la convention de La Haye. Il n'y a pas de doute qu'en cas de séparation des parents et, dans ce cas, de séparation d'un parent de son enfant, la situation est d'autant plus pénible que les personnes en cause vivent dans des pays différents.
La convention de La Haye relève de la procédure civile, qui ressortit à la compétence des provinces.
Toutefois, nous sommes très conscients de ces préoccupations. Je voudrais donc informer le comité qu'au cours de la semaine prochaine, des responsables du ministère s'entretiendront avec leurs homologues provinciaux et territoriaux membres du Comité de coordination des hauts fonctionnaires — ce sont des discussions d'un niveau assez élevé — de la Convention relative aux droits de l'enfant, de la convention de La Haye et de l'importance à accorder au point de vue des enfants.
Le sénateur Baker : Je vous remercie. Cela répond plus ou moins à la question.
Le problème, bien sûr, est que la convention de La Haye s'applique aux enfants de moins de 16 ans et que les décisions prises dépendent de la province. Il y a eu un cas récent, en Colombie-Britannique, concernant un enfant de 14 ans ou presque 15 ans. Comme le ministre l'a dit, comme les conventions le disent, comme la loi provinciale le dit, comme la Loi sur le divorce le dit, l'organisme judiciaire ou administratif doit prendre une décision en se fondant sur l'âge et la maturité de l'enfant. Toutefois, quand on examine la jurisprudence, on trouve l'interprétation de cette disposition. On ne peut pas blâmer les juges parce qu'ils ne peuvent pas aller au-delà de ce qui est accepté dans la convention. L'interprétation est que dans le cas d'un enfant de moins de 14 ans, le juge doit éviter de l'entendre.
Comme le ministre l'a signalé, il y a de nombreux moyens de communiquer au tribunal le point de vue de l'enfant. D'après le paragraphe 12(2) de la convention des Nations Unies, le point de vue de l'enfant est communiqué au tribunal par l'enfant lui-même, son représentant ou un psychologue qui l'a examiné ou interrogé et qui est spécialisé dans ce domaine.
Nous en revenons encore au fait que le droit de l'enfant d'être entendu n'est pas respecté d'une façon uniforme partout dans le pays, compte tenu des lois actuellement appliquées au Canada en ce qui concerne la garde et le droit de visite et compte tenu aussi des conventions internationales que nous avons signées ou ratifiées, parce que la convention de La Haye prend le pas sur toute décision d'un tribunal provincial. Cela figure dans la législation relative aux enfants de chaque province. Je ne sais pas, monsieur le ministre, si vous avez des observations à formuler sur l'opportunité, comme notre présidente l'a dit tout à l'heure, d'adopter une loi fédérale habilitante. Sur le plan international, nous ne devons pas perdre de vue que les États-Unis n'ont même pas ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.
M. Cotler : Seulement deux pays n'ont pas ratifié la convention, les États-Unis et la Somalie. C'est une convention qui a été ratifiée plus rapidement et par plus de pays que n'importe quelle autre. Cela lui donne un certain cachet, en droit international, à titre d'instrument représentant les principes généraux du droit que reconnaît la communauté des nations.
Je manquerais à mon devoir si je n'invitais pas Mme Lafrenière-Henrie à donner son point de vue, compte tenu de son expertise.
Mme Lise Lafrenière-Henrie, avocate-conseil, Section de la famille, des enfants et des adolescents, ministère de la Justice Canada : Comme Mme Ménard l'a déjà dit, les provinces et les territoires ont des services de droit de la famille chargés d'entendre le point de vue des enfants. Bien sûr, comme vous l'avez mentionné, cela ne s'applique pas d'une façon uniforme dans tout le pays. Le gouvernement fédéral a essayé d'intervenir en offrant des fonds aux services de droit de la famille pour aider les parents et d'autres à prendre des décisions dans l'intérêt des enfants.
L'un des éléments de la réforme législative qui faisait partie de la stratégie consistait à inclure le point de vue de l'enfant car, pour nous, c'était un facteur très important pour déterminer l'intérêt de l'enfant. Comme Mme Ménard l'a mentionné, nous aurons des entretiens la semaine prochaine avec nos homologues provinciaux et territoriaux pour discuter de la mise en œuvre de la Convention. Nous mettrons l'accent sur la voix de l'enfant afin de déterminer ce qui se fait et ce que nous pouvons faire de plus.
Il faut évidemment penser à l'aspect du financement. On ne peut pas toujours faire comparaître un enfant devant le tribunal. Ce serait très intimidant. Il y a d'autres moyens de présenter au tribunal le point de vue de l'enfant, mais ces moyens peuvent être coûteux. Nous examinons les meilleurs moyens de procéder à cet égard. Le Comité des fonctionnaires fédéraux-provinciaux-territoriaux permet de discuter des moyens à mettre en œuvre dans ce cas.
Nous avons déterminé qu'il est important de sensibiliser les gens aux dispositions de la convention. À la prochaine étape, nous concentrerons nos efforts sur ce que j'appelle le matériel de formation professionnelle et sur la convention, afin de déterminer ce qui peut être fait. Dans le cas de l'initiative concernant les pensions alimentaires pour enfants, nous avions préparé de la documentation pour les juristes pour qu'ils puissent mieux comprendre les réformes. Pour cette stratégie, nous espérons avoir la possibilité de produire de la documentation, y compris des textes sur la convention, pour aider les juristes à mieux en comprendre les dispositions. J'espère que cela aidera à régler quelques- unes des questions que vous avez évoquées.
[Français]
Le sénateur Losier-Cool : Ma question sera très précise. Toutes ces conventions sont importantes, mais plusieurs des témoins que nous avons reçus à ce comité ont parlé du fait que la Convention relative aux droits de l'enfant était peu connue des Canadiens et Canadiennes.
Vous venez de nous faire part de la meilleure façon d'en faire plus. Suite à une des recommandations d'un rapport, certains témoins ont suggéré de créer un mécanisme de coordination interministérielle pour faire connaître la convention.
Quel pourrait être le rôle d'un tel mécanisme et quelles pourraient être les relations entre le fédéral et le provincial? On pense par exemple à la Suède, qui a un service de protection des enfants. Est-ce que cela pourrait être un exemple qui vous inciterait à aller plus loin? Les témoins nous ont dit que cette convention n'était pas assez connue des Canadiens eux-mêmes.
M. Cotler : Je pense qu'il y aurait des démarches que l'on pourrait faire. Premièrement, vous avez parlé d'un mécanisme de coordination. Une des possibilités serait de mettre sur pied un département qui pourrait être la base de cette coordination. J'attends les recommandations de ce comité. On pourrait également créer un secrétariat aux droits des enfants. Ce secrétariat pourrait être responsable des démarches à l'égard de la protection des droits des enfants et pourrait même aider à sensibiliser la population canadienne aux droits des enfants, en faire une priorité pour toute la population. Il pourrait être le siège de la coordination entre les différents ministères et agences du gouvernement, sur un plan d'action compréhensif des projets mis sur pied par madame le sénateur Pearson.
Une unité pourrait avoir des responsabilités spécifiques vis-à-vis nos obligations dans ce milieu.
[Traduction]
Le sénateur Losier-Cool : Quelques témoins nous ont recommandé de créer un organisme complètement indépendant, qui ne relèverait donc d'aucun ministère, pour recevoir les plaintes. Comme je m'intéresse beaucoup aux langues officielles, je pense au commissaire aux langues officielles qui reçoit aussi des plaintes. Il pourrait s'agir d'un organisme ou d'une agence qui recevrait les doléances des citoyens de même que les plaintes fédérales et provinciales.
M. Cotler : Si j'envisage ce qui a été fait jusqu'ici en ce qui concerne les défenseurs et les ombudsmans des enfants dans les provinces et les territoires, il est clair qu'ils ont fait un important travail en faveur des droits de l'enfant. Je suis par conséquent ouvert aux recommandations que vous voudrez bien formuler à cet égard.
Il y a différentes possibilités que vous découvrirez en entendant les témoins qui comparaissent devant vous, y compris le ministre du Patrimoine canadien, et en examinant différentes options, qu'il s'agisse de la nomination d'un commissaire aux droits de l'enfant, de l'établissement d'un secrétariat ou de la désignation d'un ministère particulier qui aurait des fonctions dans ce domaine. Pour notre part, nous serons certainement très attentifs aux conclusions et recommandations qui découleront de vos délibérations.
Le sénateur Stratton : Monsieur le ministre, vous avez dit que le programme législatif de la Chambre des communes est très encombré. Il est curieux de vous entendre dire cela parce que le Feuilleton du Sénat indique, pour demain, trois questions inscrites au nom du gouvernement. J'aimerais savoir où se situe cet encombrement.
En ce qui concerne la Charte canadienne des droits et libertés, j'estime qu'elle s'applique aux enfants. Vous dites que nous devrions aller un peu plus loin. Je m'inquiète cependant, comme beaucoup d'autres Canadiens, de la pornographie juvénile. Je sais que cette question déborde le cadre de notre étude, mais je la crois importante parce qu'elle inquiète beaucoup de parents canadiens. Que comptez-vous faire à ce sujet? La pornographie juvénile est d'un accès tellement facile sur Internet qu'on s'étonne de voir que le gouvernement ne prend aucune mesure. Nous avons besoin d'une réponse à donner aux parents qui ont l'impression que le gouvernement ne fait rien.
M. Cotler : Je ne contesterai pas la perception à ce stade car c'est peut-être bien ce que les gens pensent. Je dirai cependant que la réalité est différente. Quand je parle d'un programme législatif chargé, je pense en premier au projet de loi C-2, qui est la toute première mesure législative — ce qui a une valeur aussi bien symbolique que concrète — que nous avons déposée au Parlement pour assurer la protection des enfants et des autres personnes vulnérables. Le projet de loi vise expressément à protéger les enfants contre la pornographie juvénile et à renforcer leur protection.
Je ne parlerai pas d'autres projets de loi parce que le temps ne le permet pas. Cette mesure législative propose d'élargir la définition de la pornographie juvénile pour y inclure les enregistrements sonores et les écrits décrivant des activités sexuelles interdites quand cette description a un objet sexuel. De plus, le projet de loi introduit une nouvelle interdiction visant la publicité faite pour la pornographie juvénile. Il fait passer la peine maximum pour les infractions liées à cette forme de pornographie de 6 à 18 mois d'emprisonnement en cas de procédure sommaire, la peine maximale étant portée à 10 ans d'emprisonnement en cas de mise en accusation. Dans le cas de la pornographie juvénile, un but lucratif constitue une circonstance aggravante aux fins de la détermination de la sentence. De même, nous avons non seulement étendu la nature de l'infraction, mais avons aussi rétréci la nature de la défense.
Je voudrais vous dire en fait — car ce facteur est souvent mal compris —, qu'il n'y a pas de défense contre la pornographie juvénile, qui est toujours considérée comme une infraction criminelle. La seule défense admise se limite au cas très étroitement défini de ce qu'on pourrait appeler l'objectif légitime. Par conséquent, la seule justification pour la détention de matériel de pornographie juvénile est l'objectif légitime lié à l'administration de la justice, aux sciences, à la médecine, à l'éducation ou aux arts, pourvu qu'il ne constitue pas un risque indu pour les enfants. Par exemple, si du matériel pornographique est détenu par des enquêteurs, on considère qu'il y a un objectif légitime.
Comme je l'ai dit, nous avons étendu la portée de l'infraction elle-même. En même temps, nous avons limité la défense à l'objectif légitime qui ne cause pas de préjudice indu aux enfants.
Nous avons six initiatives précises visant la protection des enfants, qui s'intègrent bien dans notre stratégie nationale de protection contre l'exploitation sexuelle sur Internet ainsi qu'avec notre nouveau site www.cyberaide.ca, qui a commencé comme initiative du Manitoba et qui est maintenant devenu un programme national de protection contre la pornographie juvénile sur Internet.
Nous devons nous attaquer à l'ensemble du phénomène du cybercrime, qu'il s'agisse de propagande haineuse ou de pornographie sur Internet. Nous avons eu une véritable explosion de sites de propagande haineuse. Ce projet de loi nous donnera la base législative nécessaire pour prendre des mesures concrètes contre la pornographie juvénile sur Internet et réaliser les deux initiatives que je viens de mentionner. La stratégie nationale de protection des enfants contre l'exploitation sexuelle sur Internet a été lancée au cours de la conférence fédérale-provinciale-territoriale des ministres de la Justice et des procureurs généraux qui a eu lieu à Ottawa en janvier. Nous avons tenu une grande conférence de presse pour parler de cette stratégie. Nous avons lancé le site www.cyberaide.ca dans le but de combattre la pornographie juvénile sur Internet.
Je suis heureux que vous ayez soulevé cette question. J'espère qu'il sera possible de remédier à l'encombrement législatif. J'attends avec impatience le moment où le projet de loi C-2 arrivera au Sénat pour y être adopté et être mis en vigueur tout de suite après.
Le sénateur Stratton : Si le projet de loi est aussi urgent que vous le dites, nous pouvons sûrement en accélérer l'examen pour l'adopter au plus tôt.
M. Cotler : Sénateur, il est actuellement à l'étude au comité. Nous essayons de le faire avancer aussi rapidement que possible. Nous avons demandé aux partis d'opposition de tenir compte du fait qu'il ne s'agit pas d'un projet de loi du parti libéral ou du gouvernement libéral. C'est une mesure législative visant à défendre les intérêts des enfants du Canada et à les protéger contre toutes les formes d'exploitation et d'abus sexuels.
J'espère qu'il sera possible de considérer ce projet de loi comme un élément de ce que j'appelle notre cause commune et que nous pourrons l'adopter dans l'intérêt de tous les partis, mais surtout dans l'intérêt des enfants du Canada.
La présidente : Monsieur le ministre, je suis impatiente d'entreprendre l'examen du projet de loi C-2, avec ou sans amendements, puisque je sais qu'il contient certaines dispositions qui prêtent à controverse, au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Je voudrais vous remercier d'être venu nous parler du point de vue actuel du gouvernement concernant la Convention relative aux droits de l'enfant ainsi que d'autres questions touchant les enfants.
Nous allons poursuivre notre discussion sur les moyens de maximiser les avantages de cette convention pour les enfants du Canada et d'ailleurs. Nous vous remercions d'avoir contribué au débat. Nous pourrions songer à l'avenir à vous demander votre avis sur certaines de nos suggestions et recommandations.
La séance est levée.