Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 13 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 16 mai 2005
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 15 h 5, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants; et pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, nous allons pouvoir procéder aujourd'hui par vidéoconférence. Nous allons continuer de surveiller l'évolution de diverses questions relatives aux droits de la personne et, entre autres, d'examiner l'appareil gouvernemental chargé d'assurer le respect des obligations nationales et internationales du Canada en matière de droits de la personne.
Nous allons notamment étudier le rôle du Canada dans le système interaméricain et, particulièrement, au sein de la Commission interaméricaine des droits de l'homme et de la Cour interaméricaine des droits de l'homme. Nous sommes heureux d'accueillir par vidéoconférence M. Eduardo Bertoni, Rapporteur spécial pour la liberté d'expression, et Mme Lisa Yagel, avocate.
Nous vous souhaitons la bienvenue au Sénat du Canada et, plus particulièrement, au Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Je crois que vous avez une déclaration à nous faire avant que nous vous posions des questions. La parole est à vous.
M. Eduardo Bertoni, rapporteur spécial pour la liberté d'expression, Commission interaméricaine des droits de l'homme : Honorables sénateurs, merci pour cette invitation à vous adresser la parole. J'aimerais débuter mon intervention devant votre comité par une brève explication de mon mandat de rapporteur spécial pour la liberté d'expression au sein de la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Je vous donnerai ensuite un aperçu de la façon dont la Convention américaine relative aux droits de l'homme protège la liberté d'expression. Je vais aussi vous parler des décisions rendues par la Cour interaméricaine des droits de l'homme à ce chapitre. En terminant, je vais vous exposer quelques questions touchant la liberté d'expression qui, à ma connaissance, ont retenu l'attention de votre comité et des universitaires canadiens.
La Convention américaine relative aux droits de l'homme et la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme sont les principaux instruments permettant au système interaméricain d'assurer la protection des droits de la personne. La Commission interaméricaine des droits de l'homme et la Cour interaméricaine des droits de l'homme sont les deux instances chargées d'assurer le respect de ces obligations internationales.
La Commission a trois fonctions principales : premièrement, le traitement des plaintes des particuliers; deuxièmement, la production de rapports sur la situation des droits de l'homme dans les pays membres; et, troisièmement, la proposition de mesures visant à favoriser le respect des droits de la personne dans les régions concernées.
Par ailleurs, la convention confère à la Cour interaméricaine deux fonctions juridiques distinctes : une fonction de consultation et une fonction de contentieux.
Dans le contexte du système interaméricain, et plus particulièrement dans le cadre du mandat de la Commission, je vais vous parler de mon bureau, celui du Rapporteur spécial pour la liberté d'expression. Le bureau fonctionne à l'intérieur du cadre juridique de la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Mon bureau a pour mandat de produire un rapport annuel sur la situation de la liberté d'expression dans les Amériques et de le présenter à la Commission pour examen et inclusion dans le rapport annuel soumis à l'Assemblée générale de l'Organisation des États américains.
Nous produisons également des rapports thématiques. Nous recueillons les renseignements nécessaires à la préparation de ces rapports. Nous organisons des activités de promotion. Nous avisons immédiatement la Commission lorsqu'il se présente des situations urgentes touchant la liberté d'expression. Nous fournissons de l'information et du soutien technique à la Commission aux fins des poursuites dans les cas individuels concernant la liberté d'expression.
Pour ce qui est de nos fonctions juridiques, notre bureau a élaboré il y a quatre ans un ensemble de principes qui ont été rassemblés au sein d'un document intitulé Déclaration de principes sur la liberté d'expression. Cette déclaration est l'instrument de base utilisé pour interpréter l'article 13 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme et la Déclaration américaine. La déclaration de principes a été approuvée par la Commission interaméricaine des droits de l'homme en 2000.
Le droit à la liberté d'expression est énoncé en termes généraux à l'article IV de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme ainsi qu'à l'article 13 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Voici ce que prévoient ces deux instruments relativement à la liberté d'expression. L'article IV de la déclaration américaine se lit comme suit :
Toute personne a droit à la liberté d'investigation, d'opinion, d'expression et de diffusion de la pensée par n'importe quel moyen.
Comme vous connaissez tous l'article 13 de la Convention américaine, je ne vais pas vous en faire lecture.
Il est important de souligner que la liberté d'expression ne fait pas partie de la liste des droits ne pouvant pas être suspendus dans les situations d'urgence en application de la Convention américaine relative aux droit de l'homme. Cependant, toute restriction imposée quant à la liberté d'expression dans le contexte d'une situation d'urgence doit satisfaire aux exigences prévues à l'article 27 de la Convention en matière de proportionnalité, de portée et de non-discrimination. En imposant de telles restrictions sur le droit à la liberté d'expression, les États doivent garder à l'esprit l'importance de la liberté d'expression dans la protection des autres droits fondamentaux de la personne.
Je veux vous parler de décisions rendues par la Cour interaméricaine des droits de l'homme dans des causes touchant la liberté d'expression. Je vous signale au départ que la Cour s'est penchée uniquement sur quatre causes portant sur des questions liées à l'interprétation de l'article 13 de la Convention. Il est également important de noter que la Cour a aussi produit un avis consultatif à ce sujet en 1985. La Cour a notamment rappelé dans cet avis, à l'énoncé no 5, que le droit à la liberté d'expression est également protégé par différents traités internationaux touchant les droits de la personne, y compris l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Dans l'énoncé en question, la Cour indiquait qu'une comparaison entre l'article 13 de la Convention américaine et chacune des dispositions susmentionnées montrait bien que la Convention accordait une très grande valeur à la liberté d'expression et que les garanties qu'on y retrouvait à ce chapitre visaient à faire montre d'une plus grande ouverture et à réduire le plus possible les restrictions à la libre circulation des idées.
Dans cet avis consultatif, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a souligné l'importance de la liberté d'expression en faisant valoir qu'elle est la pierre angulaire sur laquelle repose l'existence même de toute société démocratique. On peut également y lire ce qui suit : « Elle est indispensable pour la formation de l'opinion publique. C'est également un prérequis essentiel pour la création de partis politiques, de syndicats, de sociétés scientifiques et culturelles et, d'une manière générale, de tout groupe souhaitant influencer l'opinion publique. Elle représente, en bref, le moyen qui permet à la collectivité, lorsqu'elle exerce ses options, d'être suffisamment informée. En conséquence, on peut affirmer qu'une société qui n'est pas bien informée n'est pas une société totalement libre. »
Toujours dans le même avis consultatif, la Cour interaméricaine précise que le droit à la liberté d'expression comporte deux aspects : premièrement, le droit d'exprimer ses réflexions et ses idées et, deuxièmement, le droit de recevoir celles des autres. Par conséquent, les restrictions imposées à ces droits par le biais d'interférences arbitraires entravent non seulement le droit d'une personne de communiquer de l'information et des idées, mais aussi le droit de la collectivité dans son ensemble de recevoir de l'information et des opinions de toutes sortes.
Dans l'arrêt La dernière tentation du Christ de 2001, la Cour interaméricaine a eu la possibilité de traiter de tous les aspects de l'interdiction de censure préalable prévue à l'article 13. La cause portait sur l'interdiction de présenter au Chili le film La dernière tentation du Christ. La Cour interaméricaine a noté que l'article 13 permet la censure préalable dans le cas des spectacles publics « uniquement pour en réglementer l'accès en raison de la protection morale des enfants et des adolescents ». Comme l'interdit de diffusion du film s'appliquait autant aux adultes qu'aux enfants et aux adolescents, il contrevenait, selon l'avis exprimé par la Cour, aux dispositions de l'article 13 prohibant la censure préalable.
La question des restrictions indirectes à la liberté d'expression a également été abordée dans l'arrêt Ifcher Bronston pour lequel la Cour interaméricaine a rendu sa décision en 2001. Le requérant dans cette cause, Baduk Ifcher Bronston, un citoyen naturalisé du Pérou, était l'actionnaire majoritaire d'une entreprise opérant le canal 2 de la télévision péruvienne. En sa qualité d'actionnaire majoritaire, M. Ifcher Bronston contrôlait le contenu éditorial des émissions diffusées sur ce canal. L'une de ces émissions, Contra Punto, présentait différents reportages au sujet de comportements abusifs, y compris des actes de torture et de corruption auxquels se livraient les services de renseignement péruviens. À la suite de ces reportages, M. Ifcher Bronston a été victime de nombreux actes d'intimidation qui sont allés jusqu'à un décret visant à lui retirer sa citoyenneté péruvienne.
La Cour a conclu que la décision de révoquer la citoyenneté de M. Ifcher Bronston constituait une façon indirecte de limiter sa liberté d'expression et celle des journalistes qui travaillent et enquêtent pour l'émission Contra Punto diffusée au canal 2 de la télévision péruvienne.
La Cour a également conclu qu'en privant M. Ifcher Bronston du contrôle qu'il exerçait sur le canal 2 et en empêchant les journalistes de participer à l'émission Contra Punto, l'État entravait non seulement le droit de ces individus de diffuser des nouvelles, des idées et des opinions, mais aussi le droit de tous les Péruviens de recevoir de l'information, ce qui limitait d'autant leur capacité de développer des opinions politiques et de s'épanouir pleinement au sein d'une société démocratique.
En 2004, la Cour interaméricaine a tranché dans deux causes importantes touchant la liberté d'expression. Il y avait des accusations de diffamation dans les deux cas. Dans la première cause, l'arrêt La Natión au Costa Rica, une journaliste et le journal qui l'employait ont été accusés de diffamation en raison d'un article au sujet d'un diplomate costaricien. Cet article reprenait partiellement des reportages publiés dans la presse belge.
Dans sa décision en l'espèce, la Cour a insisté sur l'importance de la liberté d'expression au sein d'une société démocratique et du rôle essentiel que doivent jouer les journalistes pour l'exercice de ce droit. La Cour a noté que bien que le droit à la liberté d'expression ne soit pas un droit absolu, toute restriction imposée à son exercice doit avoir été préalablement établie par la loi et doit être absolument nécessaire pour atteindre l'un des objectifs légitimes de protection suivants : la protection des droits ou de la réputation d'autrui, de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé publique ou de la moralité publique. La restriction imposée doit être proportionnelle aux intérêts qui la justifient et viser uniquement l'atteinte de cet objectif, en entravant le moins possible l'exercice du droit à la liberté d'expression.
C'est dans ce contexte que la Cour interaméricaine a analysé les sanctions imposées à la journaliste pour voir si elles étaient compatibles aux dispositions de l'article 13 de la Convention américaine. La Cour a d'abord noté que la journaliste avait présenté des déclarations et des opinions d'intérêt public. Toujours selon la Cour, comme il est important que la population puisse suivre de près l'administration publique au sein d'une démocratie, les agents de l'État et les personnes travaillant dans des dossiers d'intérêt public font tout naturellement l'objet d'une plus grande surveillance de la part de la société que les particuliers n'étant pas en cause dans de tels dossiers.
La Cour interaméricaine a conclu que le tribunal costaricien avait imposé une restriction excessive au droit à la liberté d'expression de la journaliste en lui demandant de prouver la base factuelle sous-jacente des articles provenant de la presse belge. La Cour a cité à cet effet un jugement de la Cour européenne des droits de l'homme : « Sanctionner un journaliste pour avoir aidé à la diffusion de déclarations émanant d'un tiers dans un entretien entraverait gravement la contribution de la presse aux discussions de problèmes d'intérêt général ».
Dans la seconde cause réglée en 2004, l'arrêt Caneset au Paraguay, un ancien candidat à la présidence, Ricardo Caneset, a été accusé de diffamation en raison de déclarations faites au sujet d'un autre candidat à la présidence durant la campagne. Caneset a été trouvé coupable de diffamation et condamné à une sentence de quatre mois d'emprisonnement, en plus d'avoir à payer une amende et les frais afférents.
La Cour interaméricaine a jugé que cela constituait une restriction excessive au droit à la liberté d'expression de M. Caneset, étant donné que les déclarations sanctionnées ont été faites dans le contexte d'une élection démocratique et concernaient des questions d'intérêt public. Comme elle l'avait déjà fait dans l'arrêt La Natión, la Cour interaméricaine a fait valoir que toute restriction au droit à la liberté d'expression doit être proportionnelle à la faute commise, et que les personnalités publiques comme les candidats politiques font l'objet d'une surveillance accrue, comparativement aux particuliers.
J'aimerais terminer ma déclaration d'aujourd'hui en vous parlant d'une question qui, si je ne m'abuse, intéresse grandement votre comité et les universitaires canadiens. Il s'agit de la propagande haineuse. Comme je l'ai déjà mentionné, la protection globale qu'offre la Convention américaine relative aux droits de l'homme au titre de la liberté d'expression n'est pas absolue. La Convention américaine, comme bon nombre de pactes internationaux et régionaux, stipule que la propagande haineuse n'est pas visée par la protection prévue à l'article 13 et exige des États signataires qu'ils interdisent cette forme d'expression.
Le paragraphe 5 de l'article 13 prévoit ce qui suit :
Sont interdits par la loi toute propagande en faveur de la guerre, tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse, qui constituent des incitations à la violence, ainsi que toute autre action illégale analogue contre toute personne ou tout groupe de personnes déterminées, fondée sur des considérations de race, de couleur, de religion, de langue ou d'origine nationale, ou sur tous autres motifs.
À la différence des dispositions semblables qu'on retrouve dans les traités internationaux et les lois nationales, ni la Cour interaméricaine ni la Commission interaméricaine des droits de l'homme n'ont encore eu à se pencher sur l'interprétation fondamentale du paragraphe 13(5) relativement à la propagande haineuse. Compte tenu du manque de jurisprudence interaméricaine en la matière, le Rapporteur spécial pour la liberté d'expression a exploré les possibilités à ce chapitre au moyen d'une étude comparative de la jurisprudence du Comité des droits de l'homme des Nations Unies et de la Cour européenne des droits de l'homme. Nous avons intégré les résultats de cette étude à notre dernier rapport annuel.
À première vue, il semblerait que l'interdiction de censure s'appliquerait à la propagande haineuse de la même façon qu'elle vise les restrictions quant à la liberté d'expression conformément au paragraphe 2 de l'article 13. Cependant, en raison de divergences entre les versions anglaise et espagnole de l'article 13, la question exige une analyse plus approfondie.
Dans la version anglaise, le texte du paragraphe 5 stipule que la propagande haineuse doit être considérée comme une infraction punissable par la loi, ce qui indique qu'elle peut être réglementée au moyen de l'attribution postérieure de la responsabilité. Dans la version espagnole, le même paragraphe précise toutefois que la propagande haineuse est interdite par la loi. Cette formulation laisse entendre que la propagande haineuse peut être réglementée au moyen de la censure, étant donné qu'on est tenu de l'interdire. Cette divergence entre les deux versions peut être réglée au moyen de différents mécanismes d'interprétation qu'offre le droit international, y compris la règle générale et les moyens complémentaires d'interprétation que l'on retrouve aux articles 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Dans notre rapport, nous avons penché pour l'interprétation de cette divergence en faveur de la liberté d'expression. Encore là, je souligne qu'il s'agit seulement de l'interprétation que nous en avons faite au bureau du rapporteur spécial.
Selon notre interprétation, la version espagnole de la Convention américaine stipule au paragraphe 4 de l'article 13 que les spectacles publics peuvent être soumis par la loi à la censure uniquement pour des motifs de protection morale des enfants.
Le renvoi au paragraphe 2 dans la version espagnole est semblable à celui prévu dans le texte anglais qui stipule que le paragraphe 4 s'applique sans préjudice des dispositions du paragraphe 2. Les deux versions laissent donc entendre que le paragraphe 4 constitue une exception dans l'application du paragraphe 2. Comme le paragraphe 5 n'établit pas d'exception semblable par rapport au paragraphe 2, tant en espagnol qu'en anglais, il s'ensuit que la propagande haineuse peut être assujettie à l'imposition de responsabilités ultérieures comme le prévoit le paragraphe 2.
Comme je l'ai déjà mentionné, la Cour interaméricaine n'a pas rendu de décision péremptoire sur ce sujet précis. La Commission interaméricaine des droits de l'homme n'a pas non plus formulé de recommandations précises à la lumière de dossiers particuliers.
J'ose espérer que mon exposé pourra contribuer aux délibérations de votre comité. L'universalisation des traités est un objectif important pour le respect des droits de la personne. À mon avis, compte tenu des antécédents du Canada en la matière, la ratification de la Convention américaine relative aux droits de l'homme par votre pays favoriserait le respect des droits de la personne dans notre hémisphère. Mme Yagel et moi-même serons heureux de répondre aux questions des sénateurs.
La présidente : Merci, monsieur Bertoni. Je constate que votre exposé était fondé sur une étude de cas portant sur l'application des principes internationaux en matière de droits de la personne et vos efforts pour harmoniser votre système avec les autres conventions et traités en la matière, y compris ceux des Nations Unies. Toutes ces informations nous seront utiles dans notre travail.
Comme c'est le cas pour tout traité ou toute convention, les rédacteurs n'ont pas pu penser à tout et étaient un peu prisonniers de leur époque. Je me souviens qu'au moment de la rédaction de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, certains gouvernements n'étaient pas aussi libres et transparents qu'ils le sont actuellement. Je présume que la liberté d'expression a épousé différentes formes dans différents pays et que vous vous efforcez maintenant d'aligner le tout en fonction d'une norme internationale.
Vous avez fait ressortir le dilemme que posent l'obligation d'utiliser deux langues et l'interprétation des non-concordances. Au Canada, nous sommes habitués à employer deux langues.
À la fin de votre exposé, vous avez rapidement fait allusion aux avantages que le Canada retirerait en signant la convention. Estimez-vous que cela profiterait au Canada parce que, ainsi, « tous les pays des Amériques seraient signataires », comme certains l'ont signalé, ou croyez-vous que le Canada apporterait un aspect fondamental au fonctionnement de la cour?
M. Bertoni : Honorables sénateurs, cette question ne s'inscrit peut-être pas dans le cadre de mon mandat de rapporteur spécial pour la liberté d'expression, mais je ne souhaite pas l'éluder. À mon avis, ce serait les deux à la fois. Il serait important que tous les pays des Amériques signent la Convention américaine relative aux droits de l'homme, et je suis d'avis que le Canada pourrait faciliter l'application de la Convention américaine, le fonctionnement de la Cour interaméricaine des droits de l'homme et l'établissement d'un système qui serait meilleur que celui qui existe déjà.
Le sénateur Poy : Monsieur Bertoni, à titre de rapporteur spécial, pourriez-vous me préciser les pouvoirs dont vous disposez pour surveiller la liberté d'expression dans les différents pays des Amériques? Je ne veux qu'une réponse d'ordre pratique à cette question.
M. Bertoni : Nous relevons de la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Mon poste de rapporteur a été créé en 1998 et vient s'ajouter aux autres qui existent déjà dans le domaine des droits de l'homme. Il n'y a qu'une différence : dans notre bureau, le rapporteur spécial travaille à temps plein. Les commissaires sont les autres rapporteurs. Nos pouvoirs sont les mêmes. D'une certaine façon, nous faisons partie de la Commission interaméricaine des droits de l'homme.
Le mandat du Bureau du rapporteur spécial pour la liberté d'expression a été accordé par la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Il nous amène à mener quatre genres d'activités. Le premier est la surveillance, comme vous l'avez indiqué. Nous surveillons la liberté d'expression des différents médias dans notre région. Nous effectuons parfois des visites sur place dans les pays. Je reviens notamment de la Colombie. Lors de nos visites, nous interrogeons des membres de la société civile, des fonctionnaires, des juges, des procureurs, et cetera. C'est donc un examen des faits en quelque sorte. Par la suite, je transmets mon rapport à la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Parfois, nous rédigeons un rapport ponctuel sur l'état de la liberté d'expression dans un pays donné.
C'est une partie de notre mandat, mais nous assurons également le suivi sur l'état de la liberté d'expression pendant toute l'année. On nous informe de ce qui se passe dans différents pays par rapport à la liberté d'expression, et cette information nous est transmise non seulement par la société civile mais également par l'État. Si nous voulons approfondir une situation donnée, nous demandons des renseignements directement à l'État concerné. Nous collectons toutes les données et, si une situation urgente se présente, nous devons communiquer le tout immédiatement à la Commission interaméricaine des droits de l'homme, sinon nous intégrons l'information pertinente à notre rapport annuel.
Nous présentons notre rapport annuel à la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Celle-ci signale ses observations dont nous tenons compte, puis la Commission intègre la version définitive à son rapport annuel, qui fait le point sur la liberté d'expression. Je le répète, la Commission intègre ce document à son rapport annuel, qu'elle présente à l'Assemblée générale de l'Organisation des États américains.
C'est la partie de notre mandat portant sur les activités de surveillance, mais nous nous occupons également de promotion, notamment de l'organisation de séminaires. Nous participons aux séminaires. Nous publions des documents sur différentes questions. Par exemple, notre rapport annuel porte notamment sur les différents aspects qui, selon nous, relèvent de la liberté d'expression. Dans le dernier rapport annuel, nous avons abordé trois aspects : l'accès à l'information publique; les propos haineux et la liberté d'expression; la concentration de la propriété dans les médias. L'année dernière, nous avions examiné notamment l'accès à l'information publique, la répartition discriminatoire des annonces publiques et les lois régissant la diffamation. Tous les ans, des chapitres de notre rapport annuel portent sur l'examen d'un aspect différent de la liberté d'expression dans notre région.
Je ne souhaite pas vous faire un très long exposé, mais j'ignore si je réponds à votre question.
Le sénateur Poy : Pourrais-je poursuivre avec une très brève...
La présidente : J'allais justement encourager le témoin à répondre brièvement pace que plusieurs membres souhaitent intervenir, et nous ne disposons pas de beaucoup de temps.
Le sénateur Poy : Quelles mesures auriez-vous pu prendre ici face à la montée de l'antisémitisme au Canada? Des mesures ont-elles été prises?
M. Bertoni : À ce que je sache, il n'y en a eu aucune.
Le sénateur Poy : Très bien. Je vous remercie infiniment.
Le sénateur Carstairs : Je voudrais revenir à la question de la non-signature de la Convention américaine relative aux droits de l'homme par le Canada. Avez-vous pris des mesures à cet égard? Nous aussi, nous devons, de toute évidence, intervenir, mais quelles mesures prenez-vous pour persuader le gouvernement canadien de signer cette convention.
M. Bertoni : Sénateur, je m'excuse, mais cette question ne relève pas du mandat que m'a confié la Commission interaméricaine des droits de l'homme. On conseille au gouvernement de ratifier l'ensemble de la convention. Je le répète, je ne pourrai vous donner une réponse pertinente car cela ne relève pas de mes attributions.
Je dirais que, au chapitre de la liberté d'expression, il est important que tous les pays des Amériques signent la convention. C'est la seule réponse que je peux vous donner.
Le sénateur Carstairs : Je voudrais aborder très brièvement un autre point. Je siège à ce comité, mais je suis également membre du Comité des droits de l'homme de l'Union interparlementaire. Comme vous le savez, nous entendons des affaires portant sur les violations des droits des parlementaires. D'après vous, comment ces deux organisations, c'est-à-dire votre bureau et le comité, pourraient-ils collaborer plus étroitement, étant donné que des membres de l'Organisation des États américains sont impliqués dans bon nombre des affaires dont nous sommes saisis?
M. Bertoni : Oui. Vous avez raison. Je pense pouvoir vous répondre sur le plan pratique. Depuis 1999, nous consultons tous les ans les autres rapporteurs, soit lors de rencontres, soit dans le cadre de conférences par Internet. Il s'agit du rapporteur spécial pour la liberté d'expression, du rapporteur pour la liberté des médias de l'OSCE et du rapporteur pour la liberté d'expression en Afrique — que j'ai rencontré en novembre dernier. Comme vous l'avez signalé, je crois vraiment qu'il est très important qu'il y ait une collaboration étroite entre les différents systèmes. Par exemple, le système de l'ONU et celui de l'OEA peuvent se chevaucher dans certains pays. Il est donc important de collaborer. Nous le faisons, je le répète, tous les ans lorsque nous nous rencontrons et que nous publions des déclarations communes, que vous pouvez consulter dans notre page Web, notamment. C'est un des moyens par lesquels nous avons commencé à collaborer. Ce n'est peut-être pas suffisant, j'en conviens, mais nous pouvons ainsi aborder différents aspects liés à la liberté d'expression pour dégager un consensus parmi les représentants des différents systèmes. Nous avons fait de telles déclarations communes par le passé. J'espère que nous pourrons le faire de nouveau encore.
Dans notre région, les déclarations communes sont importantes parce que les assemblées législatives ou la société civile les citent parfois notamment pour justifier la modification d'une loi, la rédaction d'une nouvelle loi, et cetera.
Je maintiens que c'est essentiel parce que ces déclarations émanent non seulement du rapporteur de l'Organisation des États américains, mais également des rapporteurs dans d'autres régions. Elles signalent l'importance d'une question particulière touchant non seulement une région mais l'ensemble de la communauté internationale. C'est un des moyens qui nous permet d'essayer de collaborer. Je le répète, ce n'est peut-être pas suffisant, mais c'est un début.
Le sénateur Pearson : Quels pays ont adhéré à la Commission interaméricaine des droits de l'homme? À part le Canada, quels pays n'y ont pas adhéré?
M. Bertoni : Je souhaite vous répondre très précisément. Accordez-moi quelques instants.
Sénateur, je regrette, mais je crois que quelque chose m'échappe. Vous demandez quels pays n'ont pas adhéré à la Convention américaine relative aux droits de l'homme ou quels pays n'acceptent pas de relever de la Cour interaméricaine des droits de l'homme?
Le sénateur Pearson : Je pense que c'est la deuxième question, mais j'aurais cru que la première et la deuxième étaient plus ou moins équivalentes. C'est cependant la deuxième.
M. Bertoni : Ce n'est pas tout à fait le cas, parce que bien des pays ont signé la Convention américaine relative aux droits de l'homme, mais n'acceptent pas tous de relever de la cour. C'est possible en vertu de ladite convention.
Le sénateur Pearson : J'aimerais que vous répondiez à la deuxième question.
M. Bertoni : Je le répète, je veux vous donner une réponse très précise. Je ne me souviens pas de la situation pour les 34 pays.
Le sénateur Pearson : Selon moi, Cuba n'est pas un signataire. Je sais qu'il n'est qu'un observateur au sein de l'OEA.
M. Bertoni : Sénateur, je vous énumérerai les pays, si vous...
Le sénateur Pearson : J'ignorais que la liste était aussi longue. Peu importe. Allez-y!
M. Bertoni : L'Argentine — il s'agit des pays signataires de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, n'est-ce pas?
Le sénateur Pearson : Tout à fait.
M. Bertoni : Par la suite, je pourrai vous indiquer les pays qui ont refusé de relever de la cour. Les pays signataires de la convention sont l'Argentine, la Barbade, la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, la Dominique, la République dominicaine, l'Équateur, El Salvador, la Grenade, le Guatemala, Haïti, le Honduras, la Jamaïque, le Mexique, le Nicaragua, le Panama, le Paraguay, le Pérou, le Surinam, Trinité-et-Tobago, l'Uruguay et le Venezuela. Les pays qui ont refusé de relever de la cour sont la Dominique, la Grenade et la Jamaïque — c'est tout. C'est ce qui figure dans ce document, qui est publié par la Commission interaméricaine sur les droits de l'homme. Si vous le souhaitez, je peux faire parvenir le tout au Sénat.
Le sénateur Pearson : Je suis sûre que nous pouvons l'obtenir sur l'Internet.
M. Bertoni : Effectivement, c'est sur l'Internet.
La présidente : Cette information figurait dans notre rapport initial, dont l'examen a été présidé par le sénateur Maheu. On y énumère les pays qui ont accepté de relever de la cour, ceux qui ont refusé, ceux qui ont émis des réserves et ceux qui ont ajouté une déclaration. Nous possédons ces renseignements, et je crois que nous les ferons mettre à jour, si cela peut être utile.
Le sénateur Pearson : À mon avis, ceux d'entre nous qui connaissent les Amériques veulent savoir les pays où le problème se pose probablement davantage et les mesures que vous prendrez à cet égard. Je reconnais que cela ne relève pas de vos attributions. Le mandat, c'est plutôt de dire comment adhérer. Cependant, je crois que la liberté d'expression est un grave problème, et je me pose des questions.
Par exemple, le Brésil, qui a accepté, si je comprends bien, de relever de la cour, est aux prises, d'après ce que j'ai pu y constater, avec des problèmes de suppression de la liberté d'expression des enfants. Ceux-ci ne s'expriment pas toujours par la parole. Ils ont parfois d'autres modes d'expression. Je me demande ce que vous en pensez.
M. Bertoni : Sénateur, je vous remercie de votre question. Je vous dirai que notre système porte sur deux aspects. Premièrement, il y a l'aspect individuel, c'est-à-dire qu'une personne ou une ONG peut dénoncer à la Commission interaméricaine sur les droits de l'homme la violation d'un droit, y compris en ce qui concerne la liberté d'expression. C'est un aspect de nos activités. Nous aidons la commission à élaborer les documents sur les affaires individuelles.
Deuxièmement — et je reviens à la première question —, nous surveillons l'état de la liberté d'expression. Vous avez raison. Je ne citerai aucun pays en particulier, mais une proportion élevée de la population de plus d'un pays n'a pas le droit de s'exprimer pour différentes raisons.
La pauvreté est l'une des raisons. Dans notre rapport annuel de 2002, vous trouverez la partie intitulée « La liberté d'expression et la pauvreté ». Nous y avons abordé le problème que nous avons constaté dans certains pays ou certaines régions, alors que les gens n'ont pas le droit de s'exprimer librement.
Nous y avons traité entre autres de l'importance de la radio communautaire. Parfois, les gens n'ont pas accès aux stations de radio et télévision commerciales, mais la radio communautaire — et je pense notamment à la radio autochtone — permet aux gens de s'exprimer à l'aide d'un moyen de communication.
Vous avez raison : il existe de nombreux pays où une partie de la population — non seulement des enfants mais également des femmes — ne peuvent s'exprimer librement. Il y a quelques années, nous avons abordé dans notre rapport annuel la question de la liberté d'expression et des droits des femmes.
D'après moi, la liberté d'expression est un droit fondamental qui est naturellement très important, mais également très vaste. Lorsque nous évoquons la liberté d'expression, nous ne devons pas penser uniquement à la liberté individuelle. Il est important que chacun puisse s'exprimer, mais il est tout aussi essentiel que cette liberté s'applique collectivement, c'est-à-dire que les gens puissent recevoir de l'information. Je le répète, comme nous avons constaté le problème de la concentration de la propriété dans les médias, nous l'avons abordé, en 2004 par exemple, dans notre rapport, parce qu'il influe négativement sur la liberté d'expression.
Je ne veux pas vous donner de très longues réponses. Je m'en excuse.
La présidente : Je souhaiterais peut-être poser une question dans cette foulée. Vous semblez utiliser les mêmes outils et les mêmes méthodes que les autres organismes pour aborder les questions des droits de la personne et, en ce qui vous concerne particulièrement, les problèmes liés à la liberté d'expression. Dans les pays où vous intervenez, s'est-on opposé à votre présence? Autrement dit, vous en a-t-on interdit l'accès à un moment donné?
Deuxièmement, estimez-vous que les gouvernements tiennent compte de vos rapports? Avez-vous réussi à exercer une influence sur les gens autrement que par la publication de vos rapports? Croyez-vous que des modifications fondamentales ont été apportées à des lois ou à des politiques gouvernementales?
M. Bertoni : Je commencerai par votre dernière question, à laquelle je répondrais certainement par l'affirmative. Je viens notamment de prendre connaissance dans mon bureau de la décision d'un tribunal argentin qui a cité la déclaration de principe sur la liberté d'expression, déclaration qui figure dans notre rapport annuel de 2000 et qui a été rédigée par notre bureau.
Je vous donne un autre exemple. Il y a quelques années, nous avons examiné la confidentialité des sources d'information des journalistes. Au Mexique notamment, les bureaux du procureur général ont établi, en 2003, des lignes de conduite régissant cette question, citant notre rapport à cet égard. J'ai de nombreux autres exemples. Nos rapports favorisent constamment l'adoption de nouvelles lois ou de nouveaux principes de jurisprudence dans les pays.
Abordons maintenant votre première question. Jamais un gouvernement ne s'est opposé fermement à ce que je visite son pays. Au contraire, les gouvernements sont généralement ouverts à nos visites. Parfois, il existe des circonstances politiques — vous me permettrez l'expression — qui amènent certains gouvernements à ne pas agir très rapidement pour nous inviter à visiter leurs pays respectifs. Cependant, ils n'ont jamais dit qu'ils s'opposaient à notre visite. J'ignore si ma réponse est très claire, sénateur.
La présidente : C'est très bien. Je pense qu'une question du sénateur Carstairs a suscité un léger malentendu. Elle a fait allusion à l'UIP, c'est-à-dire l'Union interparlementaire, dont nous faisons partie à titre de parlementaires.
Il y a quelques années, en raison de la spécificité de la liberté d'expression et de la libre expression politique, un comité a été créé pour examiner le cas des personnes qui sont soit détenues, soit privées de leurs droits. Le sénateur Carstairs siégeait à ce comité.
Travaillez-vous particulièrement avec des groupes parlementaires plutôt qu'avec les groupes régionaux et internationaux des droits de la personne? Seriez-vous ouvert à cette éventualité? Ce pourrait être mutuellement avantageux.
M. Bertoni : Je suis à l'origine du malentendu. J'ai compris la question, mais j'ai commencé à y répondre dans le contexte du système intergouvernemental plutôt que dans celui de l'UIP. Autant que je me souvienne, nous n'avons jamais travaillé avec l'UIP, mais nous sommes très ouverts et prêts à travailler avec de tels organismes ou groupes.
Par ailleurs, il serait fort important de travailler avec les parlementaires de tout l'hémisphère, car selon nous, la liberté d'expression est un droit fondamental pour tous, y compris les parlementaires. Dans certains pays, des parlementaires, des membres du congrès sont confrontés à des problèmes en matière de liberté d'expression, et cela relève de notre mandat.
La même chose s'applique aux juges et aux procureurs. De temps à autre, nous apprenons que des juges ne peuvent pas s'exprimer librement. De toute évidence, dans le cas des juges, ce pourrait être un peu problématique, mais il arrive aussi que des juges rendent des avis à propos d'affaires qui ne relèvent pas de leur compétence, ce qui cause également des problèmes.
Nous essayons de joindre tous les groupes que nous pouvons. Nous sommes convaincus que la liberté d'expression est un droit fondamental pour tous et nous ne faisons pas de discrimination à l'égard des parlementaires, des juges ou des journalistes.
Beaucoup de gens se présentent à notre bureau, le Bureau du rapporteur spécial, pour des questions de liberté d'expression. Je dis toujours la même chose : nous ne travaillons pas uniquement pour assurer la protection des journalistes; bien sûr, les journalistes font partie de ceux qui doivent exercer leur liberté d'expression jour après jour, mais il existe d'autres groupes dans la même situation, soit les défenseurs des droits de la personne, les membres du congrès, et cetera.
La présidente : Merci beaucoup pour votre contribution. Il est très utile de se voir expliquer une approche pratique quant au travail effectué dans l'hémisphère, comme vous le dites. C'est une expression que nous n'utilisons pas trop. Nous utilisons plutôt les mots « multilatéral » et « régional ». Vous avez souligné le rôle de la Cour interaméricaine dans l'hémisphère et nous allons continuer à débattre du rôle du Canada. Nous avons déjà déposé un rapport au Sénat et nous allons bientôt en publier un autre sur le rôle du gouvernement en ce qui concerne l'adhésion à la Cour interaméricaine.
Merci pour votre contribution et aussi pour votre travail dans le domaine des droits de la personne, notamment de la liberté d'expression.
Honorables sénateurs, nous arrivons maintenant à la partie de notre étude où nous devons examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants. Nous avons entendu plusieurs témoins et plusieurs ministres, puisque de nombreux ministères sont chargés de respecter de telles obligations. Nous sommes particulièrement heureux de recevoir l'honorable Carolyn Bennett, ministre d'État (Santé publique), ainsi que les fonctionnaires qui l'accompagnent, Mme Kelly Stone, directrice, Division de l'enfance et de l'adolescence, et Mme Sylvie Stachenko, sous-administratrice en chef de la santé publique.
Bienvenue à notre comité. Comme vous le savez, nous examinons la Convention relative aux droits de l'enfant, mais nous voulons aller au-delà et examiner tous les aspects qui touchent les enfants afin de déterminer comment nous pouvons améliorer les mécanismes, la politique officielle et les lois qui touchent les enfants. Vous avez, je pense, une brève déclaration liminaire, madame la ministre, après quoi, nous passerons aux questions. Je vous cède la parole.
[Français]
Mme Carolyn Bennett, ministre d'État, (Santé publique) : Je vous remercie de me donner l'occasion de vous faire part des progrès réalisés par le Canada en ce qui concerne la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. En tant que médecin de famille et personne ayant travaillé auprès des enfants au cours de la plus grande partie de ma vie professionnelle, je sais à quel point il est essentiel que nous fassions en sorte que tous les enfants puissent compter sur l'amour, la sécurité, les chances et le soutien auxquels ils ont droit.
[Traduction]
Je dois dire que j'attendais avec impatience ma comparution devant votre comité, car c'est toujours une occasion unique pour un ministre d'apprendre bien des choses et, à en juger par l'expertise que l'on retrouve autour de la table, j'espère que j'aurai le temps de vous poser quelques questions au sujet de certains problèmes auxquels je suis confrontée.
Par ailleurs, compte tenu de mon expérience de l'ACDI et du défi que représente notre fédération composée de 13 compétences, et aussi en tant que présidente du Comité de la condition des personnes handicapées, de toute évidence, le sénateur Pearson et moi-même avons été confrontées à certains des problèmes qui recoupent tous les ministères et toutes les compétences; je sais donc qu'il faut tenir compte de tous ces éléments pour faire en sorte que, en tant que pays, nous prenions les mesures qui s'imposent.
Je puis assurer les honorables sénateurs que le gouvernement du Canada accorde une très grande importance aux engagements qu'il a pris aux termes de la convention. Nous déployons de grands efforts pour que nos programmes et nos services créent un Canada digne des enfants. J'ai ici mon nouveau livre préféré, madame la présidente, qui est en quelque sorte le butin offert lors de la rencontre de discussion ouverte que nous avons eue à St. Paul's avec le sénateur Pearson. C'est un cadeau fabuleux pour mes électeurs comme pour les Canadiens — un Canada qui a à cœur les meilleurs intérêts des enfants et qui, non seulement assure leur survie, mais leur permet de s'épanouir; qui favorise leur participation active aux décisions qui les concernent et à la société en général et qui élimine les pratiques discriminatoires qui les privent de leurs droits.
Avant de décrire brièvement certaines activités liées à la santé conçues pour concrétiser notre vision, permettez-moi de rendre hommage au sénateur Landon Pearson. Elle a consacré sa vie à défendre la cause des enfants et est reconnue à l'échelle internationale comme un ardent défenseur de leurs droits. Elle a joué un rôle fondamental dans la rédaction du document « Un Canada digne des enfants », notre réponse à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, qu'elle a présenté aux Nations Unies en avril 2004. Le Canada a été l'un des premiers pays à rédiger un plan d'action national, confirmant ainsi sa volonté non seulement d'assurer les droits de l'enfant au pays, mais aussi de jouer un rôle de précurseur à l'échelle mondiale à cet égard. Nous avons eu la chance d'avoir le sénateur Pearson qui a joué ce rôle. Pour tous ceux d'entre nous qui faisons partie du caucus des enfants, je dois dire que le fait de suivre l'enseignement du sénateur Pearson tous les jeudis matins à 8 heures, a vraiment fait partie de mes débuts en tant que parlementaire.
[Français]
Le sénateur Pearson incarne la conviction de notre gouvernement qu'un investissement dans les soins et l'éducation des enfants est un investissement dans notre bien-être collectif et dans notre avenir. Ce sera une grande perte lorsqu'elle prendra sa retraite, bien méritée, cette année. Je tiens à l'assurer que nous ferons tout notre possible afin qu'elle poursuive son travail.
[Traduction]
L'Agence de santé publique du Canada joue un rôle de premier plan pour permettre au Canada de respecter ses obligations aux termes de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Mme Stone et Mme Stachenko y participent activement et s'engagent personnellement sur la scène internationale à s'occuper de la santé des Canadiens ainsi qu'à souligner les rôles de leadership du Canada dans le monde. Nous les remercions de tout cœur.
Au nom du ministre de la Santé, l'agence coordonne les activités menées à l'échelon fédéral dans le cadre de la Convention. De concert avec le ministère de la Justice, elle s'occupe de l'adoption de mesures législatives, ainsi que de la présentation périodique de comptes rendus aux Nations Unies et de la surveillance subséquente. Le prochain rapport, comme vous le savez, doit être présenté aux Nations Unies en 2009.
L'agence est responsable des programmes communautaires visant à aider les familles et à renforcer les collectivités, à promouvoir des modes de vie sains, à protéger les enfants et à favoriser l'éducation et l'apprentissage. Par ses programmes et son travail dans les domaines des politiques et de la recherche sur les enfants, l'agence aide le Canada à respecter ses engagements internationaux aux termes de la Convention et à donner suite aux priorités énoncées dans Un Canada digne des enfants.
Ainsi, l'agence a joué un rôle prépondérant dans la coordination du financement affecté par le gouvernement fédéral pour permettre aux Nations Unies de mener des consultations en Amérique du Nord sur la violence faite aux enfants. En outre, les Nations Unies ont récemment cité en exemple l'initiative « Briser le cycle » que finance notre agence. Il s'agit d'un programme de dépistage précoce et de prévention à l'intention des femmes enceintes et des familles qui ont de jeunes enfants et qui sont aux prises avec des problèmes d'alcool et de drogues.
La Division de l'enfance et de l'adolescence de l'agence offre des conseils spécialisés, joue un rôle de leadership, élabore des politiques et fait de la recherche et des analyses stratégiques sur les tendances qui ont une incidence sur les déterminants généraux de la santé et des droits des enfants et des adolescents au Canada. Ces travaux sont exécutés en tenant compte du fait que de nombreux facteurs ont une incidence sur la vie de l'enfant et que tout est relié — depuis notre manière d'aborder la pauvreté et l'enseignement public jusqu'au développement communautaire.
Notre expérience au chapitre de la santé de la population nous montre que les efforts de toute la collectivité sont nécessaires pour élever des enfants en santé, heureux et aptes à s'épanouir. C'est pourquoi nos programmes destinés aux enfants, à savoir le Programme d'action communautaire pour les enfants, le Programme canadien de nutrition prénatale et le Programme d'aide préscolaire aux Autochtones en milieu urbain et dans les communautés du Nord, sont enracinés dans le milieu. Nos initiatives de développement préscolaire font appel à des intervenants de tous les secteurs. Nous collaborons avec les autorités sanitaires des provinces et des régions, les professionnels de la santé et des services sociaux, le secteur bénévole et les familles pour faire en sorte que les enfants grandissent dans des milieux sécuritaires et favorables.
Nous collaborons également étroitement avec la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, qui met en œuvre des programmes communautaires à l'intention des enfants et de leurs familles dans les collectivités inuites et les réserves des Premières nations.
Je dois dire, en tant que ministre, que je suis ravie de voir ce que donnent ces programmes — après m'être rendue dans le centre-ville de Saskatoon, jusqu'à Yellowknife, ainsi que dans d'autres lieux de notre pays — de voir ce que font ces professionnels avec très peu de ressources mais toujours avec beaucoup d'espoir et un dévouement pour lequel nous les remercions tous.
[Français]
Les nombreuses disparités sociales et les problèmes de santé qui continuent de miner les communautés autochtones confirment l'importance d'assurer à ces jeunes un bon départ dans la vie. Consciente du rôle essentiel de la famille dans la promotion de la protection des droits des enfants, la Division de l'enfance et de l'adolescence de l'Agence favorise l'acquisition des compétences parentales grâce à des programmes destinés aux parents. Je citerai ici le programme d'aide post-natale aux parents. S'y ajoutent les initiatives de sensibilisation du public de prévention et de renforcement des capacités en ce qui concerne les troubles du spectre de l'alcoolisation fœtale, ainsi que les campagnes nationales de prévention relative au syndrome de la mort subite du nourrisson et du bébé secoué.
[Traduction]
Dans le cadre des efforts qu'elle déploie pour améliorer la santé des enfants, la division offre également du soutien au Groupe pour la santé à l'école. Ce groupe montre la voie à suivre et favorise une approche globale et coordonnée de la santé à l'école en améliorant la capacité des systèmes scolaires et sanitaires de travailler ensemble. Les ministères provinciaux et territoriaux et les ministères et organismes fédéraux et nationaux sont en mesure de coordonner leurs efforts afin de promouvoir le développement sain des enfants et des jeunes grâce à des politiques, des programmes, des pratiques et des activités en milieu scolaire ou liés à celui-ci.
[Français]
En plus de participer aux programmes communautaires, l'Agence de santé publique joue un rôle actif dans les activités des centres d'excellence pour le bien-être des enfants, créés pour regrouper les compétences à la grandeur du pays, de la recherche universitaire aux services de première ligne.
[Traduction]
Il y a quatre centres d'excellence, à savoir le Centre d'excellence pour les enfants et les adolescents ayant des besoins spéciaux, le Centre d'excellence pour le développement des jeunes enfants, le Centre d'excellence pour la protection et le bien être des enfants et le Centre d'excellence pour l'engagement des jeunes. Le Canada accorde une importance capitale à l'obligation que lui impose l'article 12 de la Convention de favoriser la participation des jeunes. Nous nous efforçons donc de tenir compte de ce que les jeunes ont à nous dire dans toutes nos initiatives. Les quatre centres d'excellence concentrent également leurs travaux sur les défis auxquels sont confrontés les jeunes Autochtones. Ils favorisent, ce qui est tout aussi important, la participation des organismes et des chercheurs autochtones comme partenaires principaux de leurs travaux.
Chaque centre permet de réduire le temps nécessaire pour recueillir, évaluer et diffuser les données les plus récentes, et les transmettre ensuite aux personnes qui s'occupent des enfants et des jeunes ou défendent leurs intérêts. Réunir dans les mêmes réseaux les chercheurs universitaires, les décideurs et les fournisseurs de services permet d'appliquer avec plus d'efficacité les connaissances aux stratégies et aux pratiques. Ces personnes se renseignent mutuellement au sujet des besoins des enfants du Canada et échangent des pratiques exemplaires qui permettent de répondre à ces besoins.
[Français]
La Division de l'enfance et de l'adolescence joue aussi un rôle direct à l'échelle internationale. En fait, elle a joué un rôle prépondérant dans l'inclusion des droits de l'enfant aux programmes de l'organisation des États américains. C'était au troisième Sommet des Amériques qui a eu lieu à Québec en 2001.
[Traduction]
Le directeur de la division est le représentant permanent du gouvernement du Canada au Conseil directeur de l'Institut interaméricain de l'enfant, organisme spécialisé de l'OEA. Le Canada aide à promouvoir le respect des droits de l'enfant dans les pays de l'OEA et favorise la collaboration internationale à cette fin.
[Français]
De concert avec les communautés internationales, le Canada célèbre chaque année la Journée mondiale de la santé le 7 avril. L'édition 2005 de cette journée a pour thème la santé de la mère et de l'enfant et pour slogan, donner sa chance à chaque mère et à chaque enfant.
[Traduction]
Le Canada est au nombre des pays où les mères et les enfants sont le plus en santé, mais la journée vise à sensibiliser la population à certaines réalités tragiques, comme le décès chaque année de plus d'un demi-million de femmes dans le monde à la suite de troubles liés à la grossesse et celui de 10,6 millions d'enfants de moins de cinq ans, dont 40 p. 100 au cours du premier mois de leur vie. Elle vise également à promouvoir l'adoption de mesures à cet égard. Des interventions permettraient d'éviter un grand nombre de ces décès. Nous devons travailler avec nos partenaires internationaux pour mettre fin à cette situation déplorable, sauver des vies et réduire le fardeau de la souffrance. De telles mesures renforceront également les sociétés, car des mères et des enfants en santé constituent le fondement de collectivités et de pays en santé et prospères.
[Français]
Comme le sénateur Pearson nous le rappelle souvent, le fait que presque tous les pays du monde se soient engagés à respecter un code obligatoire à l'égard des enfants nous permet d'espérer pour l'avenir et place les droits des enfants au premier plan de la lutte mondiale pour les droits de la personne. Le respect de cet engagement impose une responsabilité énorme aux gouvernements et à la société civile.
[Traduction]
Il ne fait aucun doute qu'il reste encore beaucoup à accomplir, mais je crois que les progrès réalisés au cours des premières années de l'initiative « Un Canada digne des enfants » montrent que ce n'est qu'une question de temps avant que tous les enfants du Canada puissent envisager un avenir et un monde meilleurs.
Le sénateur Carstairs : Des enfants en santé deviennent des adultes en santé. De toute évidence, notre premier objectif en matière de santé publique consiste à avoir des enfants en bonne santé. J'aime bien l'arbre qui représente les façons évidentes de parvenir à ce résultat.
Vous indiquez dans votre allocution que vous avez des consultations avec les enfants et les jeunes. Pouvez-vous nous donner quelques exemples des genres d'interaction entre votre ministère ou vos fonctionnaires et les enfants de notre pays?
Mme Bennett : Il est intéressant de noter qu'au chapitre de la santé sexuelle, les enfants et les adolescents obtiennent probablement de 70 à 75 p. 100 des renseignements qu'ils recherchent sur Internet. L'Agence de santé publique du Canada est arrivée à la conclusion qu'on ne peut pas rédiger le contenu d'un site Web sans parler à ces enfants. De concert avec Alex Jadad, du Centre for Global Health Innovation, nous créons les sites Web et les programmes dont le contenu renferme les questions que posent les enfants et les adolescents et les réponses qu'ils pourront comprendre; nous espérons qu'une telle approche favorisera des choix judicieux en matière de santé tout en permettant de modifier les comportements, si c'est nécessaire.
Mme Kelly Stone, directrice, Division de l'enfance et de l'adolescence, Santé Canada : Le Centre d'Excellence pour la protection et le bien-être des enfants qui vise l'engagement des jeunes représente aujourd'hui le meilleur outil dont nous disposons. La première phase des cinq ans est terminée et ce centre d'excellence nous permet de mettre au point les outils susceptibles de susciter l'engagement des jeunes pour travailler avec les provinces, les territoires et les divers ministères fédéraux qui souhaitent nouer le dialogue avec eux. Il pourrait s'agir de la santé par rapport à la consommation de tabac, il pourrait s'agir de questions liées au patrimoine. Notre centre d'engagement des jeunes travaille avec tout un éventail de ministères fédéraux, provinciaux et territoriaux.
Comment joindre les jeunes? Nous cherchons à joindre non seulement les jeunes du conseil étudiant, mais tous les jeunes du pays. Comment joindre les jeunes Autochtones et les jeunes de la rue? Comment les rassembler, comment leur apprendre à travailler ensemble? Comment leur apprendre à travailler avec les adultes? Quel genre de travail de préparation faut-il faire et quelles questions faut-il poser pour instaurer le genre de dialogue susceptible d'orienter la politique, les lois, les programmes que l'on essaie de lancer?
Le Centre d'Excellence pour l'engagement des jeunes fait également de la recherche avec plusieurs universités. J'imagine qu'on devrait le savoir intuitivement, mais nos travaux de recherche nous ont permis de conclure que l'engagement est positif pour les jeunes et bon pour leur santé. Les gens de la rue, par exemple, qui ont pu participer à l'aménagement de leur centre d'hébergement au centre-ville de Vancouver, se sont sentis directement concernés, puisqu'on les écoutait. Ils ont organisé la salle commune dans le but de répondre aux besoins de ce petit groupe de jeunes. Il se peut qu'ils reviennent pour discuter d'autre chose. La discussion s'amorce, car on est à leur écoute. Au bout du compte, selon une recherche longitudinale, on s'aperçoit que ces jeunes gens ont le sentiment d'être parties prenantes, tout d'abord dans leur propre milieu local, et ensuite au sein de leur collectivité. C'est une façon de favoriser la citoyenneté et, partant, de construire la démocratie.
Ce sont là les messages que nous véhiculons aujourd'hui dans notre centre et que nous voulons transmettre aux pays membres de l'Organisation des États américains qui essaient de trouver des moyens de nouer le dialogue avec leurs jeunes, leurs enfants, dans le but de promouvoir la démocratie.
Il y a deux volets à considérer. Mentionnons d'abord le volet recherche. Nous savons que c'est une bonne chose pour les enfants, la question est de savoir comment susciter l'intérêt des jeunes et des enfants. Vient ensuite le produit lui-même. Il existe plusieurs exemples qui démontrent que nous parvenons à concevoir de meilleures lois, de meilleurs programmes et politiques grâce à la participation des jeunes qui, eux, devront les mettre en application plus tard.
Mme Bennett : Ma visite au Centre d'excellence pour l'engagement des jeunes m'a impressionnée. Le Centre a pour mandat de trouver, de concert avec le milieu universitaire, des moyens d'aider les paliers de gouvernement ou les décideurs à engager le dialogue avec les jeunes. On part du principe que les gouvernements veulent entamer un dialogue avec les jeunes. Les universitaires ont pour rôle de trouver des solutions et d'évaluer leur efficacité.
Étrangement, les enfants savent quand on les manipule ou qu'on se sert d'eux, ou quand un décideur, pour se donner bonne conscience, affirme avoir fait des efforts pour susciter la participation des jeunes.
Fait intéressant, les universitaires prennent ce travail très au sérieux et cherchent à savoir si telle démarche est efficace ou non et s'il y aurait lieu d'adopter une approche qui convient davantage aux jeunes. J'ai constaté avec grand plaisir que les universitaires sont en mesure de déterminer ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, ce qui nous empêche de mettre sur pied des programmes pour la forme qui ne produisent pas l'effet désiré, qui est de faire comprendre aux jeunes qu'ils comptent.
Le sénateur Carstairs : Comme nous le savons toutes les deux, les programmes de ce genre ne produisent pas de bons résultats.
L'obésité est sans doute le plus grand problème qui affecte les jeunes. Comment pouvons-nous arriver à régler et le problème d'obésité et le problème d'image de soi? Les deux sont interconnectés.
Mme Bennett : Mme Stachenko connaît mieux le domaine que moi. J'ai constaté, comme médecin, que chaque fois que l'on mesurait un enfant et que l'on ajoutait un petit « X » pour indiquer qu'il se situait juste au-dessus de la moyenne, on ne savait pas vraiment quoi dire. Provoquerait-on un trouble de l'alimentation chez l'enfant si les parents devenaient obsédés par cette question? J'avais l'habitude de dire à mes enfants qu'ils devaient utiliser l'excès de poids pour se grandir. J'essayais de leur faire comprendre qu'il n'était pas nécessaire de prendre beaucoup de poids pour grandir de quelques pouces.
Je fais des rencontres intéressantes dans les divers endroits que je visite. Vendredi dernier, j'ai discuté avec un groupe interdisciplinaire de chercheurs internationaux spécialisés dans l'arthrite. Le plus grand déterminant de l'arthrite, c'est sans doute l'obésité chez les enfants. On constate, d'un point de vue évolutionnaire, que l'homme n'était pas censé faire porter tout le poids du corps sur le bas du dos, les hanches et les genoux. Quand l'Homo sapiens se tenait debout, tout le poids était porté par les jointures, qui ne devaient supporter que la partie inférieure du corps. Vous allez voir que les gorilles, dans les zoos, portent la moitié de leurs poids vers l'avant, en posant leurs mains sur le sol.
L'obésité est un problème. Je ne pensais pas que l'arthrite y était liée. Toutefois, presque toutes les maladies que l'on connaît le sont. C'est un fait.
Dans presque tous les cas, il existe un lien entre les maladies et le régime alimentaire, l'activité physique, l'usage du tabac. Les maladies sont provoquées par des facteurs de risques modifiables. Toutefois, nous ne pouvons pas nous attaquer directement à l'obésité, à l'alimentation, comme nous l'avons fait avec le tabac. C'est plus complexe. Nous devons avoir le soutien des entreprises alimentaires. Nous devons compter sur la participation de tous. Nous devons pouvoir faire des choix sains qui sont aussi des choix faciles, étant donné la grande variété de choix qui existent. Il ne faut rien négliger, allant de la taille des portions aux avantages que présente le fait de bien se nourrir. Le plaisir est également un élément qui doit être pris en compte.
Les Français se sont mieux débrouillés que nous. Notre système victorien de culpabilité ne fonctionne pas. Je songe à la définition qu'Einstein donnait à la démence, qui est de répéter le même geste en espérant obtenir des résultats différents. Nous avons continué de faire toutes ces choses et cela n'a rien donné. Nous devons trouver de nouvelles approches, montrer aux enfants à quel point il peut être amusant de courir, sauter, jouer, à quel point les raisins verts sont délicieux quand ils sont congelés et consommés comme s'il s'agissait de bonbons. Il existe des solutions intéressantes et complexes à ce problème.
J'appuie vivement le consortium en santé scolaire. Il en est à ses débuts. Les sous-ministres de la santé et de l'éducation vont, à un moment donné, rencontrer les sous-ministres des sports et des loisirs. Nous allons discuter des sujets les plus divers : les distributrices automatiques, les cours obligatoires d'éducation physique, l'intimidation, l'image de soi, tout ce qui fait partie de l'approche holistique qu'il convient d'adopter pour que les enfants se sentent bien dans leur peau et fassent des choix sains.
Le sénateur Pearson : Mon engagement à l'égard des enfants découle également de mon vécu personnel. Il n'y a rien de noble dans tout cela. C'est tout simplement quelque chose d'inné.
Mme Bennett : Ce n'est pas un sentiment qui va disparaître au prochain anniversaire.
Le sénateur Pearson : Non. Vous avez raison.
J'ai deux questions à vous poser. Ce ne sont pas des questions faciles, et je ne m'attends pas à recevoir des réponses faciles. La première est assez précise. Nous devons pouvoir compter sur des données si nous voulons être en mesure de bien protéger nos enfants contre la violence. Nous devons connaître l'ampleur du problème auquel nous devons nous attaquer. Vous êtes du même avis. Nous avons en main une excellente étude sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants, qui comporte des données fournies par les services de protection de l'enfance, ainsi de suite. Or, nous ne savons pas combien d'enfants sont exclus de ces catégories. Si votre enfant est agressé sexuellement par quelqu'un d'extérieur à la famille, il se peut que cet enfant ne soit pas pris en compte par le système de protection de la jeunesse, l'incident n'étant signalé nulle part. A-t-on songé à étendre la portée de cette étude aux enfants qui ne sont pas toujours pris en compte par le système? On soulève souvent ce problème. Voilà pour ma première question.
Ensuite, le problème que pose la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l'enfant touche les enfants autochtones. Tous les problèmes qu'éprouve le Canada, et cela englobe les conflits d'attributions et culturels, sont mis en évidence dans ce dossier. Je sais que nous devons nous pencher là-dessus. Je sais aussi que le Comité des droits de l'enfant va nous demander ce que nous avons fait pour régler le problème la prochaine fois qu'il va nous rencontrer.
La ministre a parlé des déterminants que sont la santé, la petite enfance, la nutrition prénatale. C'est l'orientation que nous devons adopter. Nous n'arrivons pas à regrouper les ressources que comptent les divers services qui offrent ces programmes.
Quelle orientation devrions-nous adopter en tant que comité? Nous allons formuler des recommandations au sujet des droits des enfants autochtones. À votre avis, sur quoi devrions-nous mettre l'accent?
Mme Bennett : Il est vrai que nous n'avons pas accès au genre de données dont nous avons besoin. J'ai participé à des consultations sur les objectifs de santé publique dans toutes les régions du pays, et dans presque toutes les tables rondes organisées dans chacune des provinces, la qualité des données continuait de soulever des inquiétudes.
Concernant les objectifs de santé publique du Canada, la devise du Women's College est non quo sed quo modo : autrement dit, ce qui importe, ce n'est pas ce que nous faisons, mais comment nous le faisons. Les gens veulent parler des deux séries d'objectifs que l'on doit fixer pour le Canada, mais aussi de la façon dont nous allons les atteindre. Nous devons avoir des objectifs qui portent sur la culture d'apprentissage : nous devons recueillir des données convenables que nous pouvons ensuite adapter, modifier. Ce n'est qu'à partir de ce moment là que nous pourrons accomplir notre travail. Il suffit d'appliquer les principes de gestion 101.
Il sera intéressant de voir comment nous allons recueillir des données, surtout sur la violence et la négligence dont font l'objet les enfants, quand l'agresseur n'est ni le père ni la mère. Que ce soit une rumeur, un oncle ou un professeur, nous devons trouver un moyen de solutionner le problème.
L'inceste est un sujet que nous n'aborderons pas. J'ai visité le Nord à plusieurs reprises — nous en avons déjà discuté toutes les deux — et nous ne savons pas comment obtenir les données parce que le plus grand secret entoure ce sujet. Rien n'a changé de ce côté-là.
J'ai essayé d'obtenir des données en posant des questions. Les centres de désintoxication dirigés par des femmes au centre-ville de Toronto affirment que 85 p. 100 de leurs clientes ont été victimes d'inceste ou de violence. D'après le groupe Friends of Shopping Bag Ladies, 110 p. 100 des clientes ont été victimes d'inceste ou de violence parce qu'elles ont été agressées plus d'une fois. Mme Stone peut peut-être nous dire comment nous pouvons avoir accès à ces données, surtout en ce qui concerne les enfants autochtones. Il faut tenir compte des différences culturelles qui existent. Comme vous le savez, ces enfants estiment qu'ils ont été analysés à fond, que les études n'ont pas été menées de façon collégiale. Ils en ont assez de voir des gens recueillir des données et ensuite prétendre qu'ils savent régler le problème.
Il faut recruter un plus grand nombre de professionnels de la santé, de médecins, d'infirmières, de travailleurs sociaux autochtones. Nous devons embaucher un plus grand nombre de professionnels de la santé qui sont issus du milieu, qui sont ouverts aux différences culturelles, qui pourront s'entraider et servir de modèle.
J'aimerais vous poser une question au sujet du test du méconium qui sert à détecter le syndrome d'alcoolisation foetale. Ce que fait Hazel Park à Owen Sound est fort intéressant. Ce test nous permet de vérifier si l'enfant, à la naissance, est atteint du SAF et de lui prodiguer les meilleurs soins possibles. Il nous permet également d'aider une mère à déterminer si elle est atteinte du SAF et de lui fournir l'assistance dont elle a besoin avant qu'elle n'ait trois, quatre ou cinq autres enfants affectés par cette maladie.
J'aimerais que le comité m'aide à relever le défi dont nous sommes actuellement saisis, qui est de concilier les droits des enfants et ceux des mères.
La présidente : J'aimerais faire une observation. Je suis certaine que le sénateur Pearson et vous en avez discuté, mais pouvez-vous expliquer aux autres membres du comité en quoi consiste le test qui est effectué à la naissance?
Mme Bennett : Le méconium est constitué des selles du nouveau-né. On peut prélever des échantillons sur la couche du bébé pour voir si on y trouve des traces d'alcool. La question est de savoir s'il faut identifier l'enfant qui a été atteint du SAF durant la grossesse ou s'il faut dénoncer la mère. Il s'agit d'un débat qui fait rage, puisque nous vivons dans une société où les services de protection de l'enfance, par exemple, ont le pouvoir d'intervenir. Nous partons du principe que le nombre de personnes dans une communauté atteinte du syndrome d'alcoolisation foetale devrait être de 1 p. 100. Or, nous constatons, d'après l'étude d'Owen Sound, que le chiffre est plutôt de 4 p. 100. C'est beaucoup plus élevé.
Il est difficile d'établir un juste équilibre entre les droits des enfants et les droits des mères. J'aimerais bien avoir l'aide du comité dans ce cas-ci.
Mme Stone voudrait vous expliquer comment les expériences réussies peuvent être mises à profit.
Mme Stone; Je peux répondre à votre question concernant l'étude canadienne sur l'incidence. Votre suggestion est intéressante. Nous devrions l'examiner de plus près. Je n'ai pas de solution à proposer pour l'instant, mais il faudrait envisager d'élargir la portée de l'étude au-delà de la problématique familiale.
Ce que je peux vous dire, c'est que nous avons commencé à ajouter progressivement des sites sur les Premières nations, un point qui préoccupait beaucoup les Nations Unies, ce qui va nous permettre de recueillir des données sur les enfants autochtones et comparer leur situation à celle des autres enfants au Canada. Il s'agit pour nous d'un pas important. Je vais rencontrer mes collègues pour discuter des autres mesures qui doivent être prises à ce chapitre. L'étude sur l'incidence est très importante.
Pour ce qui est des droits des enfants autochtones, c'est un sujet de discussion fort important. En deux mots, nous devons analyser de près les expériences réussies et nous appuyer sur celles-ci. Elles existent. Elles ont été menées en collaboration étroite avec les communautés autochtones en tenant compte de leurs différences culturelles, de leurs traditions, de la façon dont les anciens perçoivent leur histoire et leurs coutumes, et du type d'éducation qu'ils veulent que leurs enfants reçoivent. Ces programmes, dans un sens, sont été pris en charge par la communauté. Les fonctionnaires n'imposent rien. La communauté façonne les programmes en fonction de ses besoins en bénéficiant de conseils qui lui permettent de renforcer ses capacités.
Parmi les expériences réussies figurent le Programme d'aide préscolaire aux Autochtones et le Programme canadien de nutrition prénatale. Il y en a d'autres. Toutefois, si nous nous demandons quelle approche adopter dorénavant, nous pouvons commencer par analyser ces programmes et voir d'où vient leur succès. Pourquoi ces programmes sont-ils si efficaces? Nous pouvons essayer d'inclure cette formule dans les autres programmes que nous allons mettre en œuvre et qui pourraient prendre une forme différente.
Pour ce qui est de l'engagement envers les jeunes, j'ai visité, cet après-midi, divers centres d'excellence avec Cindy Blackstock. Nous avons discuté de la nécessité d'amener les jeunes à participer à la vie communautaire autochtone, d'impliquer les aînés, d'engager le dialogue entre les aînés et les jeunes pour qu'ils puissent, ensemble, définir les orientations futures de la communauté, des défis que cela pose. C'est un autre sujet que nous n'avons pas vraiment approfondi. En tout cas, je n'y ai pas assez réfléchi dans le passé. Nous devons concevoir des programmes efficaces pour les communautés autochtones et, surtout, pour les enfants autochtones.
Mme Bennett : J'ai pensé à vous quand j'étais en Israël, en janvier. L'IRSC et le CISEPO ont mis sur pied un projet extraordinaire auquel ont participé de jeunes bédouins. Ils ont donné à chacun des enfants un appareil pour qu'ils prennent des photos de situations qui, à leur avis, sont liées à la santé publique. Toutefois, les enfants, quand ils se sont retrouvés, ont préféré parler de la violence, de la nécessité de la dénormaliser aussi bien à l'école que dans leur foyer. Ils ont présenté, ensemble, dans l'auditorium de l'école, un exposé sur la violence, qu'ils ont dénoncée.
J'ai pensé qu'il serait intéressant de lancer un tel projet dans les communautés autochtones. Les enfants pourraient se regrouper et clamer d'une seule voix qu'il n'est pas normal de vivre au sein d'une communauté où la violence fait partie des habitudes, qu'il faut mettre un terme à celle-ci. C'est assez impressionnant.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth : Cela me fait plaisir de vous voir parmi nous aujourd'hui. La santé est une compétence partagée avec les provinces. Comment se passent vos relations avec les différents gouvernements provinciaux?
Mme Bennett : C'est une bonne question. Dans notre processus pour atteindre les objectifs des audiences publiques pour le Canada, la coprésidente est la ministre Theresa Oswald, ministre déléguée à la Vie saine du Manitoba.
[Traduction]
En tant que coprésidente du processus de consultation sur les objectifs de santé publique, elle a une approche fort intéressante. Elle préside le comité du cabinet sur les enfants en santé du Manitoba. Cela lui a permis de rassembler tous les ministères qui s'occupent des enfants. Tim Sale, qui est maintenant ministre de la Santé, était jadis responsable des enfants. Il a une attitude très ouverte.
Dans chacune des provinces où nous avons tenu des consultations sur les objectifs de santé, six thèmes ont été abordés, le premier étant les enfants, ou encore les possibilités pour un développement sain et un apprentissage la vie durant. Le Québec fait bande à part, mais dans chacune des neuf autres provinces que nous avons visitées, le ministre de la Santé s'est joint à nous. Il nous a accueillis et nous a expliqué les mesures prises par la province à ce chapitre. C'est assez impressionnant.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth : Voici ce qui m'intrigue beaucoup. Je viens de Montréal et vous savez que le Québec est une province multiculturelle. Nous avons des enfants d'origines diverses, et j'aimerais savoir comment sont vos rapports avec les ministres provinciaux au regard de votre programme de santé publique, et ceci afin de comparer avec la situation du Québec?
Mme Bennett : Il y a des protocoles formels pour les familles à risque. Il y a des comités mixtes où entrent toujours en jeu la coopération, la collaboration, la communication, mais il y a un protocole formel avec toutes les juridictions.
Le sénateur Ferretti Barth : Est-ce que vous êtes obligés de mettre sur pied des programmes différents des autres provinces pour aller rejoindre les besoins du Québec?
La docteure Sylvie Stachenko, administratrice en chef adjointe de la santé publique, Santé Canada : Chaque province est différente naturellement, leurs besoins sont donc différents. Les priorités sont décidées par ce comité mixte qui inclut les représentants provinciaux, ainsi que le gouvernement fédéral. Il y a bien sûr des principes directeurs, mais en définitive chaque province a son programme particulier.
[Traduction]
Mme Stone : Dans l'ensemble, nous respectons le fait que le Québec a des programmes sociaux très avancés. Comme nous le faisons avec les autres provinces et territoires, nous mettons sur pied, au besoin, des comités mixtes de gestion. Dans le cas du Québec, nous essayons d'harmoniser le financement et les objectifs des programmes avec ce que le Québec a déjà en place, non pas pour lui faire concurrence, mais plutôt pour aligner nos efforts. Nous créons, comme nous le faisons dans les autres provinces et territoires, des centres dans les communautés où les organismes de financement de la province, du territoire, de la municipalité, du gouvernement fédéral se réunissent ensemble pour combler les lacunes afin qu'il soit facile pour les familles à risque d'obtenir le soutien dont elles ont besoin. Le Québec a souvent une bonne longueur d'avance sur nous, de sorte que nous essayons d'harmoniser nos efforts avec ceux de la province.
Le sénateur Ferretti Barth : Le Québec a été l'une des premières provinces à se doter de programmes sociaux, comme nous le savons.
[Français]
Quels sont les programmes mis sur pied par le ministère de la Santé pour promouvoir le développement de la petite enfance? Quels sont les programmes que vous avez et qui ont donné des résultats positifs, vous incitant ainsi à faire davantage concernant le développement de la petite enfance?
[Traduction]
Mme Bennett : Il y en a un certain nombre, qui vont des programmes de nutrition prénatale aux programmes d'action communautaire pour les enfants. D'importantes sommes d'argent ont été prévues et les gens de chacune des localités qui répondent aux critères peuvent demander des fonds. Maintenant, il y aura l'entente financière du ministre Dryden sur le développement de la petite enfance. C'est une entente distincte conclue avec les provinces qui répondent aux quatre principes de qualité, d'universalité, d'accessibilité et de développement.
Le Québec est rendu beaucoup plus loin pour ce qui est du développement de la petite enfance. Nous espérons toujours qu'une province qui devance les autres va progresser encore davantage, et fera preuve d'encore plus de créativité et d'innovation dans l'utilisation des fonds.
Pour revenir à la dernière question sur les relations avec le Québec, les travaux du comité mixte sur la garde et le divorce nous ont montré que nous avions beaucoup à apprendre du Québec dans le cas des jeunes contrevenants, pour ce qui est d'adopter une approche beaucoup plus thérapeutique avec les jeunes à risque et les enfants qui ont des démêlés avec la justice. C'était surtout à propos des modifications à la Loi sur les jeunes contrevenants.
Le sénateur Poy : J'avais hâte de vous poser deux questions sur des sujets bien différents. Nous savons que c'est un droit fondamental des enfants d'être en bonne santé, mais le traitement des enfants autistes est discriminatoire parce qu'il s'arrête à l'âge de six ans. J'aimerais savoir ce que vous faites à ce sujet.
Mme Bennett : Je voudrais le savoir moi aussi. C'est un sujet très délicat. En tant que ministre, je dois vous dire qu'il est très difficile de s'attaquer à un problème de santé, quel qu'il soit, quand nous n'en connaissons pas la cause. Même l'Agence de santé publique a du mal à se situer par rapport à toutes les maladies pour lesquelles il n'y a pas de programmes de prévention. C'est le cas de la maladie de Lou Gehrig et de la sclérose en plaques ainsi que de toutes celles qui n'ont pas de cause connue et donc pas de programmes de prévention. Nous intervenons d'une façon avec les programmes d'action communautaire pour les enfants, en reconnaissant que le soutien dont les autistes ont besoin dans le domaine de l'éducation et de la santé est du ressort des provinces. Nous avons essayé d'aider surtout en versant 16,2 millions de dollars aux Instituts de recherche en santé du Canada pour qu'ils fassent avancer les connaissances dans le domaine. Par l'entremise des Centres d'excellence pour le bien-être des enfants, nous finançons un certain nombre de projets de recherche communautaire. Développement social Canada fournit à peu près 500 millions de dollars pour venir en aide aux jeunes enfants et aux familles. C'est un problème tellement complexe.
Je me rappelle avoir eu une patiente dont la fille avait des jumeaux autistes. Ils ne pouvaient même plus aller au chalet. Je me souviens avoir cherché à obtenir des fonds pour que l'école puisse acheter les accessoires dont ils avaient besoin. C'est un problème grave.
Le sénateur Poy : Je ne comprends pas que les services cessent à l'âge de six ans. C'est peut-être une décision provinciale, mais où le gouvernement fédéral intervient-il quand les droits des enfants à une bonne santé sont compromis?
Mme Bennett : Je me rappelle avoir participé à une réunion du Comité interministériel sur les droits de l'homme à New York, au cours de laquelle le représentant canadien, assis en face de moi, a essayé d'expliquer l'ensemble hétéroclite de droits accordés aux femmes au Canada en raison des différences qui existent entre les provinces. Les gens ont du mal à comprendre pourquoi le Canada ne peut pas insister pour les faire appliquer. Les provinces ont fait des choix différents concernant le rôle du système d'enseignement et l'aide apportée aux enfants qui ne peuvent suivre le programme scolaire régulier ou qui ont vraiment besoin de cours et de soins particuliers. Comme certains programmes sont plus efficaces, c'est encore plus difficile pour nous de décider quoi faire.
Le sénateur Poy : Je comprends que c'est difficile de déterminer à quel âge arrêter les soins. Ma deuxième question fait suite à celle du sénateur Carstairs sur l'obésité des enfants. Que pensez-vous de réglementer le nombre de restaurants-minute sur un certain territoire? Dans certains quartiers, il n'y a aucun restaurant où on peut acheter des aliments santé. Les enfants sont aussi confrontés au même problème. Ils vont boire des boissons gazeuses si c'est le seul choix qu'ils ont. Pourriez-vous faire quelque chose à ce sujet?
Mme Bennett : Une étude a montré un lien entre l'incidence accrue des maladies et le nombre de restaurants-minute. Une autre étude encore plus intéressante a indiqué l'an dernier que, dans le quartier Harlem de New York, il n'y avait pas d'épicerie mais seulement des restaurants-minute. On pourrait peut-être améliorer la situation en réglementant le nombre de restaurants-minute plutôt qu'en offrant des choix santé aux enfants.
J'ai rencontré la semaine dernière un représentant de McDonald, et les efforts de la chaîne sont encourageants. On veut proposer des choix santé aux gens et on veut que les gens fassent ces choix. Par exemple, on peut acheter des tranches de pomme et des bâtonnets de carotte dans de petits sacs. Il faut sensibiliser certains de ces établissements de restauration, qui souhaitent offrir les aliments que les gens veulent acheter. Nous devons récompenser la bonne conduite. Ils ont beaucoup plus d'argent que moi, en tant que ministre. Il s'agit de trouver comment faciliter les choix santé, compte tenu du fait que le temps est un facteur si important dans la vie des gens. Il faut aider les familles à se nourrir sainement sans que ce ne soit compliqué pour que les enfants puissent manger ce qui est bon pour eux.
Il y avait un article dans le journal sur les pédomètres et leur effet motivateur. Nous avons des renseignements là-dessus à l'Agence de santé publique. L'IRSC a distribué de la documentation provenant de Mme Diane Finegood sur le métabolisme. En janvier, j'ai rencontré des enfants de cinquième année à qui j'ai demandé ce qu'était un pédomètre. Tous les élèves de la classe ont levé la main pour me répondre. Au début de chaque cours d'éducation physique, l'enseignant leur remettait un pédomètre qu'ils rendaient à la fin du cours. C'est à qui obtiendrait le plus grand nombre de pas, et les enfants veulent participer à des activités qui les font bouger et non rester assis sur le banc. Nous essayons de savoir si les enfants peuvent atteindre 10 000 pas par jour. Ensuite, c'est aux parents de chercher à faire 12 000 ou 14 000 pas les samedis et dimanches.
Comment pouvons-nous nous servir de ces outils pour motiver les gens? Il est important pour nous d'inciter les chercheurs à nous indiquer ce qui est efficace et ce qui ne l'est pas. Certains d'entre nous ont plutôt l'impression que distribuer des brochures ne fonctionne pas. Comment montrons-nous que nous allons prendre les moyens qui marchent? Active Kids Movement de Silken Laumann et Action Schools en Colombie-Britannique sont des programmes qui fonctionnent, et il y en a d'autres ailleurs au pays. Que ce soit pour combattre l'obésité ou la maladie, comment trouver les bons moyens de vraiment amener les gens à changer leurs habitudes? Comment être assez convaincant pour que tout le monde veuille s'y mettre?
Dans ma circonscription, il y a un autobus scolaire à pied. Au centre-ville de Toronto, tous les parents reconduisaient leurs enfants à l'école en voiture, ce qui n'a rien de bon ni pour l'environnement ni pour la santé. Maintenant, deux parents se portent volontaires pour accompagner les enfants à pied à l'école. Le projet fonctionne très bien et les enfants ne semblent pas s'en plaindre. Qu'il s'agisse de sécurité et de jeux vidéo, il doit y avoir d'autres moyens d'inciter les enfants à s'occuper sainement.
La présidente : Madame la ministre, merci d'être venue nous rencontrer. Si les adultes sont actifs, les enfants le seront probablement davantage.
Nous étudions la Convention relative aux droits de l'enfant et, même si nous n'avons pas abordé directement la question, j'espère que votre ministère va continuer d'examiner comment la Convention peut être mise en œuvre au Canada. Il se peut que nous vous réinvitions, vous ou vos fonctionnaires, à revenir nous rencontrer. Quoiqu'il en soit, il a été fort utile d'avoir une idée plus concrète de la situation des enfants.
Mme Bennett : J'espère que ceux qui s'intéressent aux droits des enfants et ceux qui suivent vos travaux vont répondre au questionnaire du cahier d'exercice qui se trouve dans le site www.healthycanadians.ca pour dire comment les droits des enfants sont importants dans le cadre des objectifs de santé publique. Ce serait une façon très utile de contribuer à notre petite étude.
La présidente : Merci. Je pense que c'est très intéressant. Nous allons suspendre nos travaux quelques minutes pour accueillir un autre groupe de témoins.
Nous accueillons maintenant des représentants de l'Agence canadienne de développement international. Nous espérions recevoir la ministre, mais elle n'était pas libre. Je vous présente à sa place le vice-président de la Direction des politiques à l'ACDI, M. David Moloney, qui est accompagné de deux collaborateurs. Je crois comprendre que vous avez une brève déclaration à faire, après quoi nous allons vous poser des questions.
Bienvenue, messieurs. Nous poursuivons notre étude sur la Convention relative aux droits de l'enfant et nous aimerions entendre le point de vue de l'ACDI.
M. David Moloney, vice-président, Direction générale des politiques, Agence canadienne de développement international : La ministre Carroll n'était pas libre aujourd'hui et elle vous prie de l'excuser. Si le comité le veut bien, je vais lire sa déclaration pour les fins du compte rendu.
Nous savons tous que les droits des enfants sont souvent négligés ou tenus pour acquis. Permettez-moi de féliciter le comité de se pencher, pour la première fois, sur cette question importante. Je suis heureux d'avoir la possibilité de présenter ce sujet dans une perspective internationale. Ce n'est pas d'hier que le Canada défend les droits des enfants, au pays comme à l'étranger. Nous avons joué un rôle de premier plan dans la rédaction de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Nous avons été l'un des hôtes du premier Sommet mondial pour les enfants, qui a eu lieu en 1990, année où la Convention est entrée en vigueur.
En 2000, l'Agence canadienne de développement international et le ministère des Affaires étrangères ont organisé à Winnipeg la première grande conférence internationale sur les enfants touchés par la guerre. Cette conférence marquante a incité la communauté internationale à prendre les mesures qui s'imposent pour protéger les droits des enfants dans les pays déchirés par la guerre partout dans le monde.
En 2002, à la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations Unies consacrée aux enfants, le Canada — avec le solide appui de l'ACDI — a négocié avec succès le libellé des dispositions clés de la Convention, notamment celles concernant les enfants touchés par la guerre, les enfants autochtones et la participation des enfants.
[Français]
J'ai cru comprendre que certains membres du comité craignent que l'énoncé politique international rendu public récemment par le gouvernement n'entraîne une diminution des efforts en faveur des enfants dans la politique canadienne de développement. Je tiens à vous rassurer que ce n'est pas du tout le cas. Le Canada maintient son engagement à l'égard des enfants du monde. Cet engagement concorde parfaitement avec le mandat de l'ACDI qui consiste à réduire la pauvreté dans les pays en développement et à contribuer à un monde plus sûr, plus prospère et plus équitable.
Le nombre d'enfants pauvres dans le monde est démesuré. Environ 40 p. 100 des enfants des pays les moins développés vivent avec moins d'un dollar par jour. La pauvreté prive les enfants de leurs droits fondamentaux à une étape cruciale de leur développement. Cela nuit gravement à la productivité, à la prospérité, au bien-être futur des enfants et peut saper tous les efforts que nous déployons pour vaincre la pauvreté. La meilleure façon de réduire la pauvreté et d'assurer la paix consiste à bâtir un monde digne des enfants, un monde où toutes les filles et tous les garçons ont accès à l'école et par la suite peuvent gagner leur vie, fonder une famille, élever des enfants en santé, contribuer à leur milieu et laisser en héritage à leurs enfants un monde meilleur.
Dans ces pays, les enfants de moins de 18 ans n'ont pas le droit de vote. Ils n'ont pas nécessairement la chance d'exprimer leurs préoccupations. Ils sont souvent parmi les membres les plus maltraités et exploités de leur société. Pourtant, dans bien des cas, ces enfants sont déjà chefs de famille, ont eux-mêmes des enfants et contribuent à l'économie.
[Traduction]
Dans tous les cas, les enfants peuvent perpétuer les cycles de la pauvreté et de la violence ou — avec notre aide — rompre ces cycles et créer un avenir meilleur. Pour toutes ces raisons, l'Énoncé de politique internationale répartit l'aide aux enfants dans tous les secteurs de programmes. Il réaffirme, par le fait même, notre détermination à atteindre les objectifs de développement du millénaire, qui attachent une importance particulière aux enfants, en mettant l'accent sur cinq secteurs directement liés à leur réalisation. Ces secteurs sont la bonne gouvernance, la santé, particulièrement la lutte contre le VIH-sida, l'éducation, le développement du secteur privé et la viabilité de l'environnement. L'égalité entre les sexes sera systématiquement prise en considération dans tous les programmes réalisés dans chacun de ces cinq secteurs.
Je me permets de souligner que ces secteurs prioritaires n'évoluent pas en vase clos. Ils doivent se compléter et se renforcer mutuellement. Chaque secteur contribue à améliorer les conditions de vie des enfants.
[Français]
Prenons l'exemple de la santé. À chaque année, plus de 10 millions d'enfants meurent de malnutrition et de maladies évitables. À chaque jour, 1 400 filles et femmes meurent des complications d'un accouchement. Au cours des dernières années, l'ACDI a versé près de 54 millions de dollar annuellement pour soutenir la planification familiale, la santé génétique et la maternité sans risque.
Nous continuerons de concentrer nos efforts sur le droit des enfants à la vie, à la survie et au développement, et de leur assurer le meilleur état de santé possible.
L'éducation est un autre exemple. Plus de 130 millions d'enfants dans le monde ne fréquentent pas l'école.
[Traduction]
Ces quatre dernières années, l'ACDI a quadruplé son aide consacrée à l'éducation de base. Nous continuerons d'aider les pays à offrir gratuitement à tous les enfants, filles et garçons, une éducation de base de qualité complète et obligatoire. Mais tout cela ne suffit pas. L'expérience nous a montré que les programmes de santé et d'éducation habituels ne bénéficient pas toujours aux enfants les plus marginalisés, comme les 100 millions d'enfants qui vivent dans la rue ou les 10 millions d'enfants qui sont devenus des réfugiés à la suite d'un conflit. Autrement dit, les programmes traditionnels ne viennent pas toujours en aide à ceux qui sont les plus difficiles à joindre. C'est là que le Plan d'action de l'ACDI pour la protection des enfants, qui s'inscrit dans les priorités de développement social, a joué un rôle déterminant. Ce plan a orienté les programmes vers les enfants les plus marginalisés, en plus de mettre l'accent sur le travail des enfants et — avec l'aide de Roméo Dallaire à titre de conseiller spécial — sur les enfants touchés par la guerre. Cette approche nous a permis d'attirer l'attention sur les enfants qui passaient pratiquement inaperçus jusque-là. Nous avons d'ailleurs reçu des éloges à cet égard sur la scène internationale.
Les droits de la personne constituent l'un des piliers sur lesquels repose la bonne gouvernance, qui est l'une des priorités de l'Énoncé de politique internationale. Dans cet énoncé, nous nous engageons à miser sur le leadership dont nous avons fait preuve dans le domaine de la protection des enfants pour venir en aide aux enfants les plus marginalisés et exclus, c'est-à-dire les 180 millions d'enfants touchés par les formes les plus abusives de travail des enfants, les 13 millions d'enfants déplacés à l'intérieur de leur propre pays, les 15 millions d'orphelins du sida et les 2 millions de filles qui joignent des réseaux de prostitution chaque année. Nous y parviendrons en élargissant la portée de notre approche en matière de droits de la personne, afin que tous les enfants soient partie prenante de leur propre développement; en renforçant la capacité juridique et institutionnelle du gouvernement et des organisations de la société civile à respecter les engagements pris en faveur de tous les enfants; en continuant de promouvoir une participation concrète des enfants marginalisés au dialogue sur les politiques, aux projets bilatéraux et à la recherche; et en tirant parti des résultats de nos recherches sur la protection des enfants pour façonner nos programmes, en particulier dans le but de venir en aide aux enfants les plus marginalisés.
Honorables sénateurs, nous croyons que l'Énoncé de politique internationale propose un plan d'action ambitieux mais réaliste, pour renforcer le rôle du Canada dans la lutte contre la pauvreté et l'insécurité dans le monde. Pour que ce combat donne des résultats, nous devons continuer de porter une attention particulière aux enfants.
[Français]
Grâce à leur courage, à leur expérience et à leur créativité, les enfants peuvent changer les attitudes et les comportements. Ils pourront ainsi accroître leur pouvoir d'action et aider à rompre le cycle de la pauvreté dans le milieu. Pour toutes ces raisons, le Canada demeure déterminé à venir en aide aux enfants dans sa politique de développement, en particulier les enfants qui sont les plus difficiles à atteindre. Merci.
[Traduction]
La présidente : Je comprends que c'était la déclaration de la ministre. C'est cependant à vous que nous allons adresser nos questions sur la déclaration ou les activités de l'ACDI.
Le sénateur Pearson : Merci de votre déclaration et merci de nous assurer de nouveau que les droits des enfants seront protégés.
Ce qui m'inquiète, c'est que vous parlez au passé de la politique et des recherches sur la protection des enfants et on utilise, par exemple, les conclusions de recherches déjà effectuées. Selon moi, il y avait des programmes très efficaces. D'après mon expérience, quand les problèmes liés aux droits des enfants sont combinés aux discussions plus générales sur les droits humains, ils ont tendance à se retrouver au dernier rang des priorités.
Quand le programme sur la protection des enfants était en vigueur, il y avait des agents des droits des enfants dans chaque secteur du ministère, et j'aimerais savoir si ce sera encore le cas. Je peux comprendre qu'il n'y ait peut-être pas de politique comme telle sur la protection des enfants, mais je crois que, pour ceux qui s'intéressent à la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l'enfant, ceux qui travaillent dans le domaine doivent vraiment comprendre de quoi il s'agit. Si la question des droits des enfants ne fait pas partie de leur formation ou qu'ils n'ont pas à en tenir compte dans les programmes, la question va nous échapper. Elle va être reléguée au second plan, comme toujours. Les enfants sont toujours laissés pour compte.
Je ne sais pas ce que vous pouvez répondre. Vous n'êtes pas la ministre. Comptez-vous encore effectuer des recherches sur la protection des enfants? Y a-t-il encore des agents chargés de la protection des enfants dans les divers ministères? Organise-t-on toujours des rencontres sur la formation et l'information concernant la Convention relative aux droits de l'enfant.
M. Moloney : Vos questions sont pertinentes. Je peux vous répondre que oui, nous poursuivons toutes ces activités. Vous n'êtes pas sans savoir que le Fonds de recherche pour la protection des enfants a permis de financer une première étude très fructueuse intitulée Où sont les filles? Il y a d'autres projets en cours. Notre direction a prolongé la durée du fonds.
Le service de la protection des enfants de la Direction des politiques travaille activement à examiner les travaux de recherche, à élaborer des programmes et des lignes directrices, ainsi qu'à préparer et à offrir des modules de formation. Les collègues qui m'accompagnent aujourd'hui s'occupent activement de ces activités, comme vous le savez, madame le sénateur.
Le personnel et les partenaires de l'ACDI reçoivent fréquemment de la formation sur les droits des enfants. Cela existe maintenant et cela va continuer. Nous utilisons des modules que nous avons créés et quelques autres. Chacun de ces modules suit une approche axée sur les droits, et ce n'est qu'un début.
Nous avons un réseau actif au sein de l'agence; nous rassemblons les agents grâce à notre réseau extranet, il y a un total de 200 membres. Il y a une bibliothèque. Nous avons aussi beaucoup de publications.
Nous croyons en l'intégration des résultats propres aux enfants dont j'ai parlé dans la déclaration de la ministre. Ce sont précisément les résultats envers lesquels le gouvernement et l'ACDI se sont engagés dans l'énoncé de politique internationale dans les domaines de la gouvernance, des droits de la personne, de l'éducation, et cetera. Ce sont des engagements que nous allons continuer de suivre. La façon de respecter ces engagements peut évoluer avec le temps, mais ces compétences demeurent importantes, de même que le financement de ces programmes.
Le sénateur Oliver : Je vous remercie de cette présentation au nom de la ministre. J'aimerais vous poser une question sur l'énoncé de politique international et les objectifs du millénaire pour le développement, dont vous avez parlé. Vous avez dit aujourd'hui que l'énoncé de politique international vise à intégrer la priorité du Canada sur les enfants dans tous les secteurs de programme. Vous dites le faire en réaffirmant l'engagement du Canada envers les objectifs du millénaire pour le développement.
Comme vous le savez aussi, le Canada est critiqué très sévèrement pour ne pas respecter les objectifs du millénaire pour le développement. On dit que nous ne sommes pas prêts à respecter l'objectif que nous nous sommes fixés de 0,7 p. 100 en aide au développement d'ici 2015.
Comment pouvons-nous savoir s'il y aura assez de ressources pour répondre aux besoins de développement de l'enfant si nous ne respectons pas nos objectifs de développement? Il semble y avoir contradiction.
M. Moloney : Comme vous le savez, dans l'énoncé de politique international, le gouvernement s'engage de nouveau à travailler vers l'objectif de 0,7 p. 100. Le gouvernement s'y engage à continuer d'augmenter son budget d'aide internationale d'au moins 8 p. cent par année jusqu'à 2010 et après et s'engage aussi, si la situation financière le permet, à accélérer ce taux de croissance.
Il importe aussi de souligner qu'en plus de la somme investie en aide, la qualité de notre aide, la mesure dans laquelle nous intégrons ces résultats et la nécessité de nous occuper des enfants et des besoins particuliers des enfants marginalisés prennent de l'importance dans ce que nous faisons.
Nous contribuons aussi à répondre aux besoins des enfants par des recherches et des prises de position sur la scène internationale avec des organismes internationaux, avec nos collègues donateurs bilatéraux et dans le travail que nous effectuons avec les ONG et nos autres partenaires.
Le sénateur Oliver : Si vous voulez en faire plus pour répondre aux besoins des enfants marginalisés, vous aurez besoin de plus d'argent. Si vous n'augmentez pas la somme réservée pour respecter les objectifs du millénaire, comment comptez-vous faire?
M. Moloney : Comme je l'ai dit, ce n'est pas la ministre de la Coopération internationale qui détermine le budget total dont elle dispose. Notre travail consiste à optimiser l'efficacité de ce budget et à nous assurer que les véritables besoins, ceux des enfants marginalisés, sont comblés de la façon la plus efficace possible.
Pouvez-vous rassurer notre comité au sujet des droits des enfants? Le Canada est beaucoup critiqué à l'échelle internationale (contrairement à d'autres pays) pour sa difficulté à respecter la norme internationale. Ne craignez-vous pas que cette norme soit compromise d'aucune façon dans les programmes que nous avons pour aider les enfants?
M. Moloney : Je ne suis pas bien placé pour commenter la taille de notre budget devant votre comité. Je peux toutefois vous dire que l'ACDI prend très au sérieux les droits et les besoins des enfants, particulièrement des enfants marginalisés. Nous essayons d'optimiser l'efficacité de nos efforts en ce sens.
[Français]
Le sénateur Ferreti Barth : On parle toujours de l'ACDI et des aides internationales, mais les problèmes restent toujours les mêmes. C'est ma constatation. J'aimerais savoir quels sont vos rapports avec les ONG qui s'occupent des enfants défavorisés dans les pays en voie de développement?
M. Moloney : Je pense que les problèmes évoluent. Il y a un certain progrès en terme de diminution de pauvreté nette, mais il y a trop de familles et d'enfants qui demeurent pauvres. Si l'ACDI travaille étroitement avec les instances internationales, comme, par exemple, l'UNICEF et les agences multilatérales, nous sommes, si je ne me trompe pas, le cinquième pays donateur à l'UNICEF. Nous travaillons étroitement avec les organisations canadiennes.
Le sénateur Ferreti Barth : J'aimerais savoir aussi s'il existe des consultations auprès des enfants des pays en voie de développement, afin de déterminer avec impartialité, justice et humanité leurs besoins et ce qu'ils désirent. C'est bien d'apporter de l'aide à ces pays sans avoir eu au préalable des consultations avec les enfants de ces pays. Même en Afrique, chaque région est différente. Les besoins de ces enfants sont différents. Y a-t-il des consultations mises en place par votre institution pour aider ces gens? C'est bien d'apporter de l'eau à des enfants quand ils ont des rivières d'eau potable. C'est un exemple. Je pense que le premier pas à faire envers les enfants, c'est d'aller dans ces pays, de les rencontrer et de voir sur place leurs besoins. Auraient-ils besoin d'écoles, d'hôpitaux, de centres de loisir, de cafétérias? Nous construisons des écoles, mais on ne se soucie pas si les enfants ont mangé avant d'aller à l'école. Le déjeuner, c'est le repas le plus important non seulement pour les adultes mais aussi pour les enfants. Même au Canada, des enfants ne déjeunent pas avant d'aller à l'école. C'est la police qui a mis sur pied des programmes et qui apporte la nourriture à l'école. Nous en faisons beaucoup.
M. Moloney : À l'ACDI, la participation des enfants dans les discussions est un des principes de base, comme c'est le cas dans la convention comme telle. Je peux citer quelques exemples. Quand notre plan d'action a été élaboré, il y a environ cinq ans, l'ACDI a pris le soin de consulter les enfants eux-mêmes. Cette année, quand nous avons tenu une conférence à Winnipeg, l'ACDI et le gouvernement canadien ont invité 50 enfants et jeunes personnes venant de 25 pays en voie de développement qui étaient tous touchés par un conflit armé. Ces 50 jeunes ont tous participé en tant que délégués indépendents. C'est un des principes que nous soutenons dans chacune de nos interventions à New York devant l'ONU. Nous menons actuellement dans les pays des projets pilotes dans lesquels les enfants et les jeunes sont directement impliqués par le dialogue et la participation. Je peux nommer le Kosovo, deux projets en Colombie, le Sri Lanka et l'Égypte. Ces projets existent pour les enfants affectés par la guerre, les enfants qui travaillent en dépit de leur âge, les enfants qui ont des besoins spécifiques concernant l'éducation. Nous les consultons quant à leurs besoins pour les soutenir et afin qu'ils bénéficient de leurs propres droits. Cela fait partie intégrante de notre approche.
Le sénateur Ferreti Barth : Vous avez nommé beaucoup de pays, mais aucun de l'Afrique. Pourquoi?
M. Moloney : J'ai mentionné l'Égypte.
Le sénateur Ferreti Barth : Vous avez des programmes en Afrique et nous savons ce qui s'y passe. On a fait beaucoup d'interventions en Afrique, mais la situation demeure presque toujours la même. Vous avez fournit de l'aide au Kosovo et en Colombie, mais qu'est-ce qui a été fait en Afrique?
Avant de répondre, j'aimerais vous dire que je n'ai pas beaucoup de sympathie pour l'ACDI et je n'ai pas le temps de vous expliquer pourquoi, mais il y a des choses qui se sont produites et qui m'ont bouleversée. Ce n'est pas seulement en raison du fait que les Canadiens envoient beaucoup de fonds dans ces pays et qu'il n'y a pas de rapport de ce que nous faisons là-bas.
J'aimerais savoir s'il existe des moyens pour s'assurer que l'aide internationale soit destinée à la protection des enfants et à leur développement? Y a-t-il un système pour s'assurer que les fonds se rendent bien?
M. Moloney : C'est la pratique de l'ACDI, dans chaque projet ou dans chaque programme qui est maintenant élaboré, de cibler les résultats avant de mettre sur pied un programme. Dans les programmes où on tente d'améliorer la situation des enfants, les directions de programmation doivent demander au ministre une approbation de dépenses de fonds.
Il faut être très spécifique et le plus empirique possible afin de vraiment cibler les résultats. Cette formule se nomme la « gestion des résultats ».
[Traduction]
Le sénateur Carstairs : J'ai vu de mes yeux de l'excellent travail effectué par l'ACDI, mais j'ai toujours eu une réserve. Vous avez mentionné quelques-unes des questions auxquelles l'ACDI travaille dans le monde : l'éducation de base, le travail des enfants, un monde sans violence pour les enfants, les réfugiés. Cependant, nous n'offrons pas à tous les enfants canadiens une éducation de base, et il y a des lois et des conventions sur le travail des enfants que nous n'avons pas encore signées. Dans bien des circonstances, nos enfants ne sont pas à l'abri de la violence et bien honnêtement, on nous reproche la façon dont nous traitons les réfugiés mineurs non accompagnés.
Quel mécanisme existe-t-il dans votre ministère pour rencontrer les autres ministères responsables, afin que la réputation internationale du Canada ne puisse pas être entachée par quelqu'un qui nous dit : « Regardez votre propre pays. Vous ne le faites pas vous-même »? Quel type de coordination y a-t-il avec ces autres ministères pour que vous disiez : « Nous ne pouvons pas parler au nom de tous d'une seule et même voix »?
M. Moloney : Je suis bien content de convenir avec le sénateur que toutes ces responsabilités ne font pas partie du mandat de l'ACDI. Il ne fait aucun doute que les problèmes auxquels l'ACDI est confrontée dans les pays où elle travaille sont en général bien pires que les problèmes auxquels nos collègues sont confrontés dans leur propre pays. Quoi qu'il en soit, il y a des points communs dans les pratiques exemplaires à appliquer. En recherche internationale, nous pouvons en appliquer un certain nombre, surtout que certaines recherches se font sous notre gouverne.
Mes collègues ici présents participent fréquemment à un réseau de spécialistes sur la protection et les droits des enfants. Nous avons des partenaires ministériels en ville. Il y a un comité du sous-ministre sur les droits de la personne, un comité dont l'ACDI fait partie, et il y a d'autres comités qui en découlent. Par exemple, lorsque le gouvernement du Canada participe à des conférences de l'ONU et à des assemblées générales, l'ACDI fait partie de la délégation. Il y a une fécondation réciproque qui se fait, parce que lorsque nous nous présentons devant l'ONU, par exemple, ce sont des questions que le gouvernement aborde du point de vue du Canada et de nos responsabilités internationales en même temps. Il y a un dialogue qui se produit à divers niveaux bureaucratiques et ministériels.
La présidente : Comme les deux seuls pays qui n'ont pas signé la Convention relative aux droits de l'enfant sont les États-Unis et la Somalie, demandons-nous à nos homologues des autres pays comment ils comptent adhérer à la convention avant que nous ne les inscrivions à la liste de 25 pays? Prennent-ils des mesures pour mettre les droits de l'enfant au sommet de leur liste de priorité avant que nous les pointions du doigt?
M. Moloney : Les discussions avec les 25 pays en développement qui font partie de nos partenaires ne font que commencer. Ces 25 pays ont été nommés en même temps qu'a été diffusé l'énoncé de politique internationale, et nous venons d'entreprendre nos discussions sur les priorités de programme futures.
Pour sélectionner ces pays, nous avons tenu compte d'un certain nombre de paramètres ou de filtres que nous avons appliqués aux pays, dont un bon niveau de gouvernance et l'attention portée aux droits de la personne, ce qui comprend l'attention portée aux droits des enfants. Ces pays doivent être suffisamment pauvres, mais ils doivent aussi être assez bien gouvernés pour que nous ayons confiance que l'aide que nous allons investir va servir à bon escient. Il est important que nous ayons déjà une relation avec le gouvernement, une expérience d'aide suffisante avec ce pays, parce que les Canadiens et le gouvernement du Canada ont des compétences et des créneaux qui entrent en ligne de compte. Dans bien des cas, notre travail avec les gouvernements et les ministères responsables des enfants va continuer de faire partie de cette relation. En gros, ces discussions vont avoir lieu au cours des prochaines semaines et des prochains mois.
Le sénateur Pearson : Au Canada, nous mettons beaucoup l'accent sur l'éducation des jeunes enfants. L'Éducation pour tous, le document produit à Dakar, est très axé sur l'éducation des enfants. Je n'ai rien vu dans l'examen des politiques sur l'éducation des jeunes enfants. Je sais que nous avons contribué à divers programmes dans le passé et je sais aussi que les gens de la Banque mondiale sont très enthousiastes à l'égard de cette initiative. Nous avons beaucoup à apporter dans ce domaine, donc j'aimerais bien voir si vous pouvez nous dire si quoi que ce soit a été fait en ce sens.
Nous n'avons pas augmenté notre contribution de base à l'UNICEF depuis longtemps. Nous versons des sommes importantes pour les programmes de l'UNICEF à l'étranger, mais il y a aussi une contribution de base, et sans fonds de base, le reste de la structure s'affaiblit. Pouvez-vous nous parler de notre contribution de base à l'UNICEF, à New York, depuis cinq ans? Avons-nous l'intention de l'augmenter? Dans la négative, pourquoi pas?
La présidente : Je pense qu'une partie de ces questions s'adressent à la ministre. Je tiens à vous remercier d'être venus aujourd'hui et de nous avoir donné un aperçu des réponses à ces questions. D'autres sont toujours en attente d'une réponse. Si vous pouviez nous répondre par écrit, ce serait très bien. Sinon, nous allons attendre d'avoir l'occasion d'échanger davantage avec la ministre et vous-mêmes.
Vous allez constater que nous mettons l'accent sur la Convention relative aux droits de l'enfant et sa mise en œuvre complète au Canada et ailleurs. Le respect de cette convention par nous-mêmes et d'autres pays sera au cœur de toutes nos discussions futures.
Honorables sénateurs, nous allons interrompre nos travaux deux minutes pour laisser le temps aux gens de circuler. Nous pourrons ensuite poursuivre nos travaux à huis clos.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.