Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 17 - Témoignages - Séance du matin
FREDERICTON, le mardi 14 juin 2005
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 9 h 10 pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.
Le sénateur A. Raynel Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Nous sommes très heureux d'être à Fredericton, moi-même tout particulièrement. Traverser tout le pays pour se rendre ici n'est pas chose facile. Je pensais que le mauvais temps était en hiver, mais apparemment, c'est en juin à Toronto, pas ici, je peux vous l'assurer.
Nous sommes très heureux d'avoir pu venir dans la région de l'Atlantique pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants. Nous accueillons aujourd'hui l'ombudsman, M. Bernard Richard, et nous avons une heure et demie à lui consacrer, ce qui devrait nous donner amplement de temps pour lui poser des questions sur la convention relativement aux droits de l'enfant et, j'espère, sur la question des droits de la personne de manière plus générale.
Maintenant, vous êtes accompagné de certains de vos collaborateurs. Je vous demanderais de nous les présenter et de faire votre déclaration d'ouverture. Vous avez la parole.
[Français]
Bernard Richard, ombudsman du Nouveau-Brunswick : Bienvenue au Nouveau-Brunswick, la seule province officiellement bilingue au Canada.
Il me fait plaisir de vous rencontrer, et je veux vous remercier de m'avoir invité à vous adresser la parole sur les droits des enfants et, en particulier, la Convention sur le droit des enfants, dont le Canada est signataire.
[Traduction]
Je suis accompagné ce matin de quatre étudiants qui nous aident pendant les mois d'été, et deux d'entre eux sont assis avec moi à la table : David Kuttner, qui est un étudiant en droit de Laval; Cynthia Kirkby, étudiante en droit à l'Université du Nouveau-Brunswick. Il y a aussi Katherine Jardine, étudiante en droit à l'Université du Nouveau- Brunswick; et Kerry Ross, étudiant en administration des affaires à l'Université du Nouveau-Brunswick ici à Fredericton; tous les deux sont assis avec les spectateurs. Je les remercie de m'avoir accompagné.
Je dois signaler dès le début de ma présentation que je vais parler pendant une dizaine de minutes. Je vous donne cet avertissement, parce que je suis un ancien député à l'Assemblée législative et l'un de mes derniers discours, qui portait sur le budget, à titre de porte-parole des finances, a duré neuf heures; donc, si je m'éternise, n'hésitez pas à m'interrompre.
J'ai nommé les étudiants parce que, bien que je puisse faire l'exposé — cela m'est assez facile — ce sont eux qui ont fait la plus grande partie du travail et de la recherche. Ils pourront donc répondre aux questions, le cas échéant.
[Français]
Ma présentation sera surtout en fonction de cas spécifiques. J'ai voulu répondre à votre invitation en faisant référence à des cas authentiques, parce qu'il me semble qu'on peut beaucoup parler des droits de la personne, des droits des enfants, mais ces droits deviennent plus réels lorsque l'on voit comment les enfants, même au Canada — c'est un peu inconcevable — rencontrent des problèmes énormes pour obtenir des services dont ils ont besoin.
Notre bureau, par définition, n'est pas l'ombudsman des enfants, puisqu'au Nouveau-Brunswick il n'y a pas un ombudsman protecteur des enfants. Nous recevons des plaintes qui concernent les enfants et nous traitons de ces plaintes sur une base régulière.
J'ai accepté votre invitation, pour différentes raisons. J'ai l'espoir que vos interventions et vos rapports seront notés et auront une influence et pourront servir à améliorer la situation des enfants au Nouveau-Brunswick, et ailleurs au Canada. J'ai quand même espoir. C'est sûr que c'est avec une certaine hésitation qu'on comparaît devant un comité du Sénat.
Le cynisme, qui existe à l'égard de tous les politiciens, existe aussi à l'égard des sénateurs, et on peut se demander ce que cela peut bien donner. J'ai toutefois confiance en l'appareil politique du Canada. Je veux faire tous les efforts possibles pour trouver des solutions à des problèmes qui sont troublants et que je rencontre à mon bureau chaque jour.
[Traduction]
Je tiens à mentionner tout particulièrement le bureau du défenseur de l'enfant du Nouveau-Brunswick, parce qu'il s'est produit il y a environ un an un événement rare à notre assemblée législative, l'approbation unanime d'un projet de loi, et ce projet de loi portait sur la création du poste de défenseur de l'enfant. J'avais mentionné au début de l'année à titre d'ombudsman que j'estimais vraiment qu'on avait besoin d'un tel poste. J'en suis encore plus convaincu aujourd'hui. Malheureusement, un an plus tard, nous ne sommes pas beaucoup plus avancés. Nous n'avons toujours pas de défenseur de l'enfant chargé expressément d'examiner les dossiers mettant en cause les enfants et les adolescents.
En fait, nous avons eu un projet de loi proposant des amendements qui, je le crains, vont affaiblir le projet de loi original de deux manières. Premièrement, en limitant la définition de « services » dans le projet de loi original, on limitera à mon avis le mandat. Cela m'inquiète. Le deuxième amendement qui me préoccupe limite l'accès à l'information auquel aurait droit le défenseur de l'enfant dans le cadre d'enquêtes menées à la suite de plaintes mettant en cause des enfants et des adolescents. C'est certainement le premier point que je veux faire valoir.
J'ai voyagé un peu partout au pays pour rencontrer les autres ombudsmans et les défenseurs de l'enfant et de l'adolescent. Ce sont des rôles jumelés dans certaines provinces, comme par exemple en Nouvelle-Écosse, notre province sœur. Ailleurs, les bureaux sont complètement séparés. Il n'y a aucun doute que le Nouveau-Brunswick a besoin d'un défenseur de l'enfant et de l'adolescent. Il nous en faut un rapidement et il est certain qu'il faut régler de sérieux problèmes.
Je vais commencer par vous donner deux ou trois exemples, si vous le permettez, pour expliquer pourquoi nous avons besoin d'un tel défenseur. Je sais que l'un des arguments invoqués pour la création d'un poste séparé de défenseur de l'enfant est que, traditionnellement, les ombudsmans sont impartiaux et ne sont donc pas des défenseurs. Ils ne prennent pas la défense de qui que ce soit. Ils reçoivent les plaintes, font enquête, entendent les arguments de part et d'autres et formulent des recommandations. C'est certainement vrai de notre bureau. Je m'empresse toutefois d'ajouter qu'une fois que nous avons établi notre position sur une plainte donnée, nous devenons rapidement des défenseurs. Si nous croyons qu'un particulier, et en ce qui nous concerne aujourd'hui, un enfant, a fait l'objet d'un traitement injuste, alors nous prenons la défense de cet enfant. Il est tout simplement impossible de demeurer impartial une fois qu'on a établi tous les faits et entendu toutes les parties en cause, y compris les fonctionnaires du ministère. Si, dans un cas quelconque, nous estimons qu'il y a un problème de justice, d'équité, de droits, alors nous passons rapidement à l'action et devenons les défenseurs de l'enfant en question.
Je signale que je ne vais pas donner de noms à cause des dispositions de notre loi sur la confidentialité, quoique les parents m'exhortent souvent à parler publiquement de leurs cas, et je pourrais le faire, avec leur consentement. À ce jour, j'ai hésité à le faire, bien que je sache que l'ombudsman de l'Ontario a été très agressif récemment et a donné des noms, avec le consentement des parents. C'est une pratique à laquelle je réfléchis.
Le premier cas dont je voudrais vous parler est celui d'une jeune fille de 15 ans chez qui on a diagnostiqué une forme grave de schizophrénie paranoïde. La raison pour laquelle nous avons été mêlés au dossier est que les parents n'ont pas été en mesure de s'occuper d'elle. Le ministre de la Famille et des Services communautaires a obtenu la garde de cette enfant. Quand nous avons pris connaissance des détails de cette affaire, plusieurs questions se sont révélées préoccupantes. Tous les cas dont je vais parler mettent en cause ce que l'on appelle dans la convention « l'intérêt supérieur de l'enfant ». J'aborde la question sous cet angle. Quel est l'intérêt supérieur de l'enfant?
Cette jeune fille, âgée de 15 ans, est maintenant quasiment complètement institutionnalisée. Elle a passé la dernière année dans l'aile psychiatrique de l'un de nos hôpitaux et les choix qui s'offrent à elle sont très limités.
La frustration des parents, et j'ajoute ma propre frustration, tient au fait qu'il y a eu absence totale de collaboration entre des ministères du même gouvernement. Les fonctionnaires de la santé mentale ont recommandé un certain type d'intervention pour cette jeune fille — la santé mentale dans notre province relève de Santé et Mieux-être —, mais le ministère de la Famille et des Services communautaires ne suit pas cette recommandation.
Nous avons eu une recommandation de la commission médicale. Celle-ci a reçu une plainte et a formulé une recommandation, mais le ministère qui a la garde de l'enfant a déclaré : « Cette commission n'a pas compétence sur nous et elle a donc outrepassé son mandat. » C'est un cas classique de cloisonnement, de services gouvernementaux qui ne collaborent pas, qui ne travaillent pas dans l'intérêt supérieur de l'enfant et tout cela est très frustrant pour nous.
Nous avons aussi constaté dans cette affaire qu'il n'y a pas d'uniformité d'une région à l'autre. Un fonctionnaire d'un ministère nous a dit, quand nous avons constaté que d'autres régions offrent des soins à domicile pour ces enfants : « Eh bien, cette région ne fait pas attention à son budget. Ils vont dépasser leur budget. Nous, nous respectons notre budget. » Tout cela dans la même province. Dans une région, nous n'offrons pas ce service parce qu'il coûte trop cher, et pourtant, des enfants d'autres régions sont soignés dans des établissements résidentiels dans la région où cette enfant est hospitalisée. Ces enfants-là sont envoyés par les autres régions qui n'ont pas d'établissement. La région a une installation à but non lucratif qui s'occupe des enfants d'autres régions, mais les enfants de cette région-là ne sont pas admis parce que cela pourrait entraîner un dépassement budgétaire.
Il s'agit d'un cas particulier, mais ce sont des dossiers de ce genre que nous trouvons très frustrants dans notre travail. Nous trouvons aussi frustrant que nos recommandations ne soient pas respectées.
Nous avons un autre cas, celui d'une employée chargée des soins de relève qui s'est occupée d'un enfant handicapé pendant de nombreuses années sous les auspices d'un ministère gouvernemental, mais lorsqu'elle a demandé à devenir parent de famille d'accueil, on a refusé sa demande parce que le ministère a découvert au cours de son enquête que lorsqu'elle était adolescente et mère, elle avait eu un dossier en matière de protection de l'enfance. Elle s'était adressée au ministère pour demander de l'aide pour s'occuper d'un enfant et avait effectivement reçu de l'aide. C'est une vingtaine d'années plus tard qu'elle avait demandé à devenir parent de famille d'accueil. Le ministère a rejeté sa demande parce qu'elle avait demandé de l'aide à ce même ministère 20 ans auparavant, après qu'elle a dispensé des soins, à la satisfaction du ministère, à un enfant handicapé pendant plusieurs années durant la période intercalaire. Là encore, ma préoccupation tient au fait que la stricte conformité à une politique est devenue la norme, au lieu de veiller à l'intérêt supérieur de l'enfant. Cela a également soulevé une autre préoccupation pour nous. Notre ministère a formulé une recommandation qui a été rejetée.
Nous avons eu plusieurs cas d'enfants souffrant d'autisme et de schizophrénie. Je mentionne particulièrement l'autisme parce que nous avons dirigé des plaignants vers la Commission des droits de la personne. Au Nouveau- Brunswick, la Cour suprême a décidé clairement que les gouvernements sont habilités à décider quels services sont assurés par l'assurance-maladie et lesquels ne le sont pas. Par conséquent, il incombe au gouvernement de décider s'il veut fournir aux enfants autistes des services assurés. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick a décidé de fournir des services publics aux enfants autistes, mais seulement jusqu'à l'âge de 5 ans. À ma connaissance, une plainte a été déposée à la Commission des droits de la personne ici au Nouveau-Brunswick sur cette question.
[Français]
Il y a donc une question d'allégations de discrimination en raison de l'âge, pour un enfant autiste, et cela s'applique à plusieurs enfants.
Suite à la décision de la Commission des droits de la personne, il y a eu des améliorations, mais, hélas, ce genre d'enquêtes se fait sur une longue période, parfois même des années. Ce n'est pas différent au Nouveau-Brunswick. L'obtention de services d'une façon diligente et rapide dans la vie de l'enfant est absolument essentielle.
Les parents d'un enfant, de quatre ans par exemple, doivent attendre deux, trois ans pour avoir une recommandation et ils ne savent pas si elle sera positive ou non, et lorsqu'ils reçoivent une réponse c'est souvent, hélas, trop tard. Des parents, ici, comme ailleurs, au Canada, ont établi leur propre agence, en quelque sorte.
D'une façon informelle, des parents dans la région de Miramichi ont mis sur pied un Centre d'intervention pour les enfants autistes, où des fournisseurs de services de l'Ontario viennent — et ce service est payé par les parents — une semaine par mois, donner des traitements à leur enfant et, aussi, à d'autres enfants de la grande région du Nouveau- Brunswick. Les parents assument les frais. Les parents font des levées de fond pour couvrir ces services, et offrent eux- mêmes des services à leur enfant, parce qu'ils jugent que les services offerts par le gouvernement sont inadéquats. C'est une question très controversée à travers tout le Canada.
À ce sujet, il y a eu un cas important en Colombie-Britannique et une décision importante a été rendue en Ontario, récemment. On verra l'évolution de la loi, mais, certainement, c est une question qui m'inquiète et qui devrait inquiéter tous les parents et tous les grands-parents du Canada, à mon avis.
Nous avons reçu plusieurs plaintes de parents qui sont incapables d'obtenir des services spécialisés pour leur enfant à besoins spéciaux. Je pense à un cas spécifique, où un jeune garçon, Ryan, dans ce cas-ci, ne peut pas obtenir des services spécialisés, parce qu'ils sont trop rares et ne sont disponibles que pour les cas les plus sévères et les plus cruciaux, selon les autorités du ministère en question. Encore une fois, est-ce qu'on met le meilleur intérêt de l'enfant en premier? C'est une préoccupation.
L'année dernière, j'ai aussi soulevé la question de l'ADHD et de la tendance, partout au Canada et au Nouveau- Brunswick, de diagnostiquer trop facilement cette condition, et de trop facilement prescrire des médicaments, le Ritalin, en particulier, pour les enfants.
D'ailleurs, lorsque j'ai fait mes commentaires en public, d'autres personnes plus connaissantes que moi, y compris du milieu médical, ont admis qu'il y a un problème grandissant du diagnostic de l'ADHD et de la prescription de médicaments au Canada. Je pense que c'est un phénomène certainement nord-américain et que l'on retrouve aussi dans d'autres pays. On a tendance à prescrire des médicaments aux enfants qui sont agités, au lieu d'enquêter davantage sur les causes de l'agitation. La solution facile est de prescrire des médicaments sans connaître suffisamment, à mon avis, les effets à long terme de cette solution.
On a aussi soulevé la question, suite à des plaintes de parents à notre bureau, où des enseignants leurs suggéraient que, peut-être, leur enfant souffrait d'ADHD, et, peut-être, qu'ils devraient demander à leur médecin de prescrire du Ritalin.
[Traduction]
À la suite de notre intervention et des interventions et commentaires publics d'autres intervenants dans cette affaire, y compris Charles LeBlanc, qui est ici ce matin et a été très actif dans ce dossier, le ministère de l'Éducation a envoyé une directive à tous les enseignants du Nouveau-Brunswick pour leur dire qu'ils ne sont pas des praticiens de la médecine, qu'ils ne sont pas compétents et qu'ils ne doivent pas faire de suggestions particulières aux parents d'enfants qui montrent des signes d'hyperactivité avec déficit de l'attention. J'ai lu la directive en question et elle était très claire sur ce point. C'est une autre question sur laquelle vous pourriez vous pencher.
J'ai proposé qu'un comité législatif examine l'augmentation du nombre d'ordonnances de Ritalin aux enfants qui souffrent d'hyperactivité avec déficit de l'attention et l'augmentation du nombre de cas diagnostiqués. Je ne suis pas convaincu que ce ne soit pas considéré comme la solution facile.
Une autre question qui me tient à cœur est celle des droits des grands-parents d'avoir accès à leurs petits-enfants lorsqu'il y a séparation ou divorce des parents. Nous avons reçu plusieurs plaintes à cet égard. Nous sommes en train d'élaborer des recommandations. Je sais que le Québec a la législation la plus progressiste au Canada, en ce sens que son Code civil stipule que les grands-parents ont explicitement le droit d'accès, à moins qu'on puisse démontrer que ce n'est pas dans l'intérêt supérieur de l'enfant; tandis que dans toutes les autres provinces, à ma connaissance, on adopte l'approche opposée, à savoir qu'il incombe aux grands-parents de démontrer qu'il est dans l'intérêt supérieur de l'enfant qu'ils aient accès. C'est un très lourd fardeau à imposer à certains grands-parents.
Comme je suis récemment devenu grand-père, je sympathise avec eux et je vis dans la crainte qu'une telle situation puisse se produire. J'ai trouvé leurs histoires déchirantes et je trouve inadmissible que ces gens-là ne puissent avoir accès à leurs petits-enfants; parfois, ils ont obtenu le droit de visite au Nouveau-Brunswick, mais le parent qui a la garde déménage ensuite dans une autre province et il faut tout recommencer à zéro parce que dans l'autre province, on ne reconnaît pas la décision du tribunal du Nouveau-Brunswick.
C'est une situation contraire dans le dossier des pensions alimentaires, par exemple, où nous avons des ententes quasiment à la grandeur de l'Amérique du Nord, c'est-à-dire que dès qu'un tribunal ordonne le versement d'une pension alimentaire au Nouveau-Brunswick, la décision est respectée partout ailleurs. Je crois qu'il est nécessaire d'établir une meilleure uniformité sur cette question partout au Canada. Ce n'est pas un problème qui va disparaître de lui-même, étant donné le taux de divorces que nous connaissons tous. Il faut absolument remédier à ce problème.
Des spécialistes du domaine juridique de tous les ministères, réunis en un comité mixte spécial, ont publié en novembre 2002 un assez bon rapport comportant des recommandations. Hélas, pas grand-chose n'a été fait depuis.
J'ai parlé du problème des enfants autistes. Je ne reviendrai pas là-dessus, mais je voudrais faire état d'un cas spécifique de respect trop rigide d'une politique. Là aussi, c'est le cas de parents ayant adopté un enfant dont le ministre avait la garde, pour découvrir après l'adoption que cet enfant souffrait du syndrome d'alcoolisation fœtale. C'est une famille d'un milieu ouvrier qui ne dispose pas de beaucoup de ressources. Elle s'est alors tournée vers le ministère, sachant que certaines adoptions étaient subventionnées si l'enfant avait un état pathologique requérant un traitement, une thérapie ou une intervention médicale qui n'est pas couvert par le régime d'assurance-maladie — les soins dentaires, par exemple. La réponse du ministère a été qu'il ne pouvait rien faire parce que sa politique était claire; il ne pouvait pas subventionner une adoption une fois que celle-ci était finalisée, même s'il est évident que le syndrome d'alcoolisation fœtale était présent à la naissance et, forcément, lorsque l'enfant était à la garde du ministre.
Nous avons consacré un an au cas. Je suis particulièrement frustré parce que, après s'être occupé de l'enfant pendant cinq ou six ans, les parents m'ont dit envisager d'en abandonner la garde parce qu'on leur avait dit que l'enfant recevrait de meilleurs services, aux frais de la province, s'il était à la garde du ministre. Cela me paraît injuste.
Il y a eu plusieurs cas de ce type en Ontario. La question a retenu l'attention récemment, suite au dépôt d'un rapport de l'ombudsman et aux promesses du gouvernement qu'il allait agir. Nous avons entendu quelques-unes de ces histoires dans notre bureau. Je suis profondément préoccupé par notre incapacité à trouver des ressources pour fournir des services dont les enfants ont besoin lorsque leurs parents en ont la garde, alors que nous fournirions ces mêmes services si les enfants étaient à la garde du ministère, du ministre ou du gouvernement.
Dans ce cas, nous avons fait plusieurs recommandations. J'ai rencontré le sous-ministre, j'ai rencontré le ministre. Mon dernier recours, en vertu de la loi, est de présenter un rapport spécial à l'Assemblée législative. Depuis que nous avons un ombudsman, en 1967, c'est une chose qui ne s'est jamais faite au Nouveau-Brunswick. Mais je le ferai dans les semaines qui viennent, parce que j'estime que c'est exactement pour défendre ce genre de cas que le poste que j'occupe a été créé. En effet, mon poste a été créé pour déterminer s'il existe des cas exceptionnels échappant à la norme et nécessitant des mesures spéciales. J'estime que le cas de cet enfant en est un bon exemple, mais je n'arrive pas à en convaincre qui que ce soit au ministère. C'est pourquoi je présenterai un rapport spécial, pour la première fois depuis presque 40 ans, pour obtenir l'appui du Comité permanent de l'ombudsman de l'Assemblée législative à ma recommandation.
Comme je l'ai dit, nous avons eu plusieurs cas similaires. Je sais que mon exposé a peut-être été un peu trop long, mais puisque vous avez eu la bonté de me laisser continuer, j'ajouterai un exemple qui a trait spécifiquement à l'article 37 de la Convention relative aux droits de l'enfant, qui indique qu'un enfant en détention ne devrait pas se trouver dans un établissement abritant également des adultes.
Lorsqu'il a signé la Convention, le Canada s'est réservé le droit de ne pas respecter cet article de la Convention dans des situations précises, comme en témoigne le texte suivant :
Le gouvernement du Canada accepte les principes généraux prévus à l'alinéa 37c) de la Convention, mais se réserve le droit de ne pas séparer les enfants des adultes dans les cas où il n'est pas possible ou approprié de le faire.
Je fais état de cette question parce que nous avons au Nouveau-Brunswick une situation où des adultes de sexe masculin sont détenus dans un établissement qui a été construit pour les jeunes, ce qui a fait l'objet d'une certaine controverse dans la province. Je tiens à préciser qu'il serait selon moi faisable de détenir certains adultes, notamment des femmes, avec des jeunes, vu qu'il existe au Nouveau-Brunswick un problème touchant la détention des femmes. L'une de mes responsabilités en tant qu'ombudsman est de recevoir des plaintes des détenus et de faire enquête. J'en ai reçues concernant la détention de femmes avec des hommes, dans des parties séparées, évidemment. Je pense qu'il serait possible de détenir des femmes présentant un faible risque avec des jeunes, dans une partie séparée de l'établissement spécialement conçu pour les jeunes. La détention d'adultes de sexe masculin et de jeunes dans un même établissement m'inquiète, surtout lorsque la Convention s'y oppose si clairement. Malgré le fait que le Canada se soit réservé certains droits à cet égard, j'estime que c'est un problème que nous devons traiter.
Voilà, c'est l'essentiel de ce que j'avais à vous dire. Je me suis un peu éternisé, mais je vous avais prévenu, madame la présidente. Quoi qu'il en soit, je serai heureux de répondre à vos questions et j'espère également que mon témoignage vous sera utile dans vos délibérations.
La présidente : Merci. Le temps consacré à vos exemples est du temps bien employé, vu que ce sont des exemples troublants et qu'ils nous seront utiles dans le cadre de notre étude.
Avant de passer la parole aux autres sénateurs, je voulais vous demander quelque chose. Vous avez parlé de la Convention relative aux droits de l'enfant. Dans quelle mesure utilisez-vous cette convention; dans quelle mesure, selon vous, la fonction publique et les instances législatives du Nouveau-Brunswick s'estiment-elles liées par cette convention? En d'autres termes, est-ce que ces gens l'utilisent? Est-ce qu'ils sont au courant? À quelle fréquence y faites-vous allusion dans votre travail?
M. Richard : La réponse? Rarement ou jamais. J'ai été membre de l'Assemblée législative pendant 13 ans et je ne crois pas avoir entendu mentionner la convention même une seule fois pendant tout ce temps. En tout cas, nous ne l'utilisons pas dans notre bureau, nous n'y faisons jamais référence. Nous faisons référence à nos lois et à nos droits, à notre Charte des droits et aux lois du Nouveau-Brunswick. Mais, selon moi, la Convention n'est pas utilisée du tout ni prise en considération spécifiquement.
Votre passage à Fredericton m'a permis de me familiariser avec la Convention, de faire des lectures et de réfléchir à la question. Les droits précisés dans la Convention ne sont pas inconnus au Canada. Fournir des services dans l'intérêt supérieur de l'enfant est un concept que nous connaissons très bien au Canada et que nous mettons en pratique. Ce sont des mots que l'on retrouve dans nos propres lois. Je dirais que les droits sont connus en général et j'hésiterai à trop dramatiser même les cas que je considère graves.
Ce que je veux dire par là, c'est que certains pays enfreignent beaucoup plus cette convention internationale que ne le fait le Canada. Cependant, vu les moyens dont nous disposons, je suis préoccupé par le fait que nous n'accordons pas une attention plus grande à ces droits. On dit parfois que l'on voudrait bien faire quelque chose, mais que les moyens font défaut. Les élus et d'autres responsables disent qu'on ne peut pas répondre à tous les besoins, que nos ressources sont limitées. N'empêche que l'on voit souvent des sociétés qui roulent sur l'or bénéficier d'incitatifs fiscaux, de rabais, et cetera, et qu'il serait bon d'établir un équilibre. Dans mon travail quotidien comme ombudsman, je suis témoin de cas où l'on insiste sur la nécessité de ne pas créer de précédent, de ne pas reconnaître une exception, de ne pas réagir à des situations où les besoins sont criants, tout cela parce qu'on veut rester dans les limites d'une politique. Cela me préoccupe profondément. Je pense que même au Nouveau-Brunswick, qui n'est pas l'une des provinces les plus riches du Canada, nous avons des ressources pour régler ces problèmes, mais nous ne le faisons pas.
Toujours est-il que votre invitation à témoigner m'a sensibilisé à la Convention. Il est possible que nous changions notre approche dans les mois qui viennent et que nous fassions référence à la Convention dans certains des cas que j'ai mentionnés, parce que j'estime que c'est un outil important que nous n'avons pas encore utilisé au Nouveau- Brunswick.
La présidente : C'est la question complémentaire que j'allais poser. Vous nous avez donné certains exemples liés à la Convention, du moins le dernier concernant la détention d'adultes dans les établissements pour jeunes. Dans vos rapports ou vos études, avez-vous jamais utilisé la Convention, sinon comme argument principal, du moins comme argument accessoire pour vos demandes visant à obtenir que l'on fournisse certains services ou que l'on modifie certaines attitudes, politiques ou lois?
M. Richard : Eh bien « jamais », c'est beaucoup dire, vu que cela fait 38 ans que nous avons un ombudsman. Mais depuis que je suis en poste comme ombudsman, c'est-à-dire depuis un an et demi, je n'ai pas utilisé la Convention. Il est clair que je ne l'ai pas utilisée.
Cependant, comme je l'ai signalé, puisque je connais le dossier un peu mieux, je crois que c'est quelque chose qui me sera très utile. Je pense particulièrement à notre rapport annuel. La tradition au Nouveau-Brunswick veut que l'on publie un rapport annuel qui n'est tout compte fait qu'un recueil statistique du nombre de plaintes, du type de plaintes, des services touchés et de choses du genre, mais qui ne comporte aucune recommandation. Cette année pour la première fois nous avons publié un rapport qui comporte des recommandations, quoi qu'elles ne touchent pas nécessairement les enfants. Pour la première fois nous déposerons un rapport spécial portant sur les questions touchant les enfants et il se pourrait qu'on y cite cette convention. En fait, je peux pratiquement vous le garantir.
Le sénateur Oliver : Au début de votre intervention vous avez signalé que vous étiez un peu cynique face à la visite d'un comité du Sénat dans votre région pour venir parler du sujet parce que vous ne saviez pas vraiment ce que cela changerait. Je voulais dire que bon nombre des questions que vous avez soulevées aujourd'hui, par exemple concernant l'enfant atteint de schizophrénie paranoïde, sont actuellement étudiées par un autre comité sénatorial sous la présidence du sénateur Kirby; ce comité déposera un rapport clé qui permettra de régler nombre de ces problèmes.
Je tiens également à vous signaler que ce même comité, le Comité Kirby-LeBreton, est l'auteur du célèbre rapport sur les soins de santé au Canada. Comme vous le savez il y a eu un arrêt de la Cour suprême du Canada la semaine dernière, et lorsque vous lisez le texte attentivement en parallèle avec les rapports Kirby, vous constaterez que cette décision de la Cour suprême qui assurera la restructuration de la prestation des soins de santé au Canada est fondée dans une large mesure sur ce rapport du Sénat et non pas sur le rapport de la Commission Romanov qui a coûté 15 millions de dollars.
Le Sénat joue dont un rôle très important, pas simplement au niveau des droits de la personne, mais dans bien d'autres secteurs, et j'aimerais bien qu'un plus grand nombre de Canadiens le sachent. Je vous remercie de me donner l'occasion de faire cette déclaration. Le Sénat du Canada et ce comité font beaucoup de bonnes choses. Regardez autour de vous, les sénateurs Pearson, Andreychuk et Poy sont des exemples du genre de personnes qui font une bonne partie de cet excellent travail.
Ma question porte sur les difficultés qui entourent cette question en raison du partage des compétences prévu dans la Constitution du Canada. Le gouvernement fédéral a certaines compétences et il en va de même pour les provinces. Je sais que vous avez été pendant longtemps un député libéral à l'Assemblée législative provinciale, mais votre premier poste comme ministre était celui de ministre responsable des Affaires intergouvernementales. C'est pourquoi je veux vous poser cette question, parce que c'était votre premier domaine d'expertise. En raison de ce partage des responsabilités, les gouvernements provinciaux ont compétence exclusive dans certains domaines et le gouvernement fédéral peut, quant à lui, ratifier des accords internationaux comme celui qui porte sur les droits de l'enfant. Une des premières choses que vous avez mentionnées aujourd'hui était que vous êtes l'ombudsman de la province, mais qu'il n'y a pas de défenseur des droits des jeunes et des enfants. J'aimerais savoir compte tenu de cette dichotomie provinciale-fédérale qui existe dans ce secteur, quelle serait la meilleure façon de créer ce poste au Nouveau-Brunswick? Comment devra-t-on financer ce service? Qui devrait occuper ce poste? Quel devrait être le mandat, les pouvoirs? Devrait-on avoir dans ce service des avocats, des travailleurs sociaux, des psychologues et j'en passe? Quelle structure devrait-on assurer à ce service de sorte qu'il puisse nous aider à mettre en œuvre de façon appropriée cette convention qui a été ratifiée par le gouvernement fédéral?
M. Richard : Bien, je vous remercie de m'avoir renseigné sur le rôle important que joue le Sénat. Je m'excuse de répéter probablement des commentaires que vous entendez habituellement du grand public. Vous savez sans aucun doute qu'il existe un certain niveau de cynisme à l'égard des institutions publiques et que la Commission Gomery n'a certainement pas amélioré les choses; cependant je devrais être plus avisé et me garder de répéter ce genre de choses.
J'ai déjà dit qu'il fallait au Nouveau-Brunswick un défenseur des droits des jeunes et des enfants, et puisque j'ai été ministre, je sais que créer de tels postes, de tels services, coûte assez cher. C'est pourquoi que j'ai signalé que dans une province comme le Nouveau-Brunswick, où le nombre de cas, en raison de la population limitée, ne sera pas très élevé, nous pourrions nous inspirer du modèle de la Nouvelle-Écosse. En effet, cette province a récemment demandé à son ombudsman d'assurer la responsabilité de la défense des droits des jeunes et des enfants.
Je pense que c'est la façon la plus efficace de procéder, étant donné que cela permet d'économiser des ressources administratives et technologiques. Nous avons dans notre bureau un système de gestion des cas qui nous permet d'assurer un suivi des plaintes. Il faudrait le recréer dans un bureau distinct ce qui nécessiterait peut-être trois ou quatre personnes.
En tant qu'ancien travailleur social, je dirais qu'il est important d'avoir des travailleurs sociaux parmi le personnel. En tant qu'avocat, je dirais qu'il est important d'avoir également des avocats et j'ai accès à des avocats dans mon bureau. Toutefois, nous avons plutôt affaire à des questions de nature administrative et ce travail sera étendu ou légèrement modifié si nous assumions également les responsabilités de défenseur des droits des enfants ou s'il y avait un bureau distinct pour un tel défenseur. Je pense qu'il serait important d'avoir des gens ayant des connaissances dans le domaine de la protection de l'enfance, des techniques et des politiques en matière de travail social de sorte qu'en faisant enquête sur une plainte, ils seraient en mesure de savoir si les procédures sont respectées et si les services appropriés sont fournis. Dans mon bureau, j'ai accès à un conseiller juridique, ce qui s'avère précieux, vu que nous devons toujours envisager non seulement les politiques et les programmes, mais aussi les lois, les règlements et leur interprétation. Je ne crois pas qu'il serait nécessaire d'avoir un conseiller juridique distinct si on combinait les deux fonctions dans un seul bureau.
À mon sens, cela représenterait également une économie en matière d'efficacité; en outre, il serait inutile de payer deux administrateurs aussi bien rémunérés que moi - peut-être trop bien rémunérés. Comme je l'ai déjà affirmé publiquement devant un comité législatif, étant donné qu'un projet de loi a été adopté à l'unanimité il y a bientôt un an, en juin de l'an dernier, le travail peut se faire en l'espace de quelques semaines.
Le sénateur Oliver : Quel type de budget serait nécessaire pour couvrir toute la province du Nouveau-Brunswick?
M. Richard : La province a alloué environ 400 000 $ au projet dans le budget de cette année.
Le sénateur Oliver : Est-ce que cela suffirait?
M. Richard : Oui, je pense que cela suffirait, au départ. En fait, je pense qu'on pourrait sans doute le faire avec un budget plus petit si les deux bureaux étaient combinés parce que, comme je l'ai dit, on éviterait alors de doubler les services. Les choses pourraient se mettre en place en l'espace de quelques semaines avec un budget d'environ 300 000 $.
Le sénateur Oliver : Est-ce que cela inclut l'argent pour informer et conseiller les jeunes et les enfants au sujet de leurs droits?
M. Richard : Oui. C'est un rôle essentiel. Il ne suffit pas, toutefois, de conseiller les jeunes; il faut aussi défendre leurs droits. Cela peut se faire de différentes façons : devant l'Assemblée législative, mais aussi autrement, par exemple, en effectuant des études sur des questions spécifiques. Je pense notamment aux lacunes existant dans les services offerts aux jeunes de 16 à 18 ans, domaine qui pose un problème au Nouveau-Brunswick depuis plusieurs années. Il s'agit de l'accès aux services pour les enfants âgés entre 16 et 18 ans qui ne vivent plus chez leurs parents. C'est sans doute une question à laquelle devra s'intéresser un défenseur des droits des jeunes, dès sa nomination. En effet, dans notre bureau, nous traitons quelque 3 000 plaintes par année, de la part des détenus, des clients de l'aide au revenu, de travailleurs blessés, bref, de tout ce qui a trait aux services offerts par le gouvernement provincial.
Le sénateur Oliver : Curieusement, quand vous avez parlé aujourd'hui des problèmes des jeunes, il s'agissait essentiellement des plaintes liées aux soins de santé, la schizophrénie paranoïde, par exemple. Qu'en est-il de l'éducation et du système judiciaire? N'y a-t-il pas des violations des droits de l'enfant dans ces secteurs aussi au Nouveau-Brunswick? Avez-vous eu de nombreux cas liés à ces deux secteurs?
M. Richard : Oui, mais je pense qu'il sont souvent liés ensemble. Je donne l'exemple des enfants autistes qui ont droit à des services jusqu'à leur entrée à l'école, puis...
Le sénateur Oliver : Là, ce serait le domaine de l'éducation?
M. Richard : Oui. Le gouvernement part du principe qu'une fois à l'école, les enfants ont accès à d'autres services. Toutefois, nous savons pertinemment bien que ces services sont terriblement inadéquats et, en tout cas, ne se comparent aucunement aux services disponibles avant l'entrée à l'école, même si ces services sont jugés insuffisants par les parents. En effet, les parents ont été contraints ou se sont sentis obligés de recourir à des services privés qui leur coûtent très cher. On parle de dizaines de milliers de dollars par an et par enfant.
Bien entendu, nous avons d'autres responsabilités, dont les jeunes qui sont incarcérés. Nous visitons d'ailleurs régulièrement le centre de détention pour la jeunesse de Miramichi et nous traitons les plaintes en provenance de cet établissement.
Je suis ombudsman depuis relativement peu de temps, mais je suis conscient que c'est un type d'enquête qui requièrera beaucoup plus de temps. Elles sont de nature très complexe. Il s'agit souvent de problèmes médicaux, de problèmes de santé mentale et d'autres types de services, si bien qu'il est difficile d'établir des comparaisons. Je dirais, toutefois, que 200 plaintes touchant des enfants sont l'équivalent d'environ 3 000 plaintes diverses, dont certaines peuvent être réglées très facilement. Pour les plaintes touchant des enfants, je ne pense pas que ce serait le cas. Étant donné qu'il n'y a pas de défenseur des droits des enfants et des jeunes, nous ne refuserons pas les plaintes. Nous nous en occupons sans avoir les ressources ni un mandat clair à cet effet. Il est grand temps que ce poste soit créé au Nouveau- Brunswick. On en a besoin.
Le sénateur Pearson : Merci beaucoup de votre exposé très intéressant. Félicitations pour votre engagement manifeste en faveur des droits de l'enfant. Si vous le permettez, je dirais que tout dans vos remarques montre que vous comprenez leurs droits, même si vous n'avez jamais eu recours à la Convention, comme vous l'avez reconnu. Bien entendu, nous espérons que vous l'utiliserez plus souvent à l'avenir.
Nous notons que la province du Nouveau-Brunswick est tenue de soumettre un rapport individuel au Comité des droits de l'enfant — nous avons lu le dernier —, si bien qu'il y a forcément des gens dans l'administration qui sont au courant. De plus, bien que la Convention relève de la responsabilité de l'État, c'est seulement après obtention de lettres de chaque province et territoire que le gouvernement fédéral l'a ratifiée.
Sauf erreur de ma part, le Nouveau-Brunswick a envoyé relativement tôt sa lettre pour la dernière partie de la convention, le protocole facultatif concernant la prostitution des enfants, la pornographie juvénile, et cetera. Dès que la dernière province aura annoncé l'envoi de sa lettre, la ratification du protocole se fera sans tarder.
Nous sommes très intéressés d'entendre comment est conçu le Bureau du défenseur des enfants et de la jeunesse et un peu perplexes face aux raisons qui justifient l'amendement du projet de loi. Si je comprends bien ce que vous avez dit à mots voilés, les amendements qui vous préoccupent ont sans doute trait aux ressources et à la crainte, dans l'administration, de voir se multiplier des revendications.
M. Richard : C'est bien mon impression.
Le sénateur Pearson : Nous espérons toutefois que votre présence accélérera les choses. C'est en Ontario que l'on retrouve le plus ancien bureau de défense des droits des enfants; on est d'ailleurs sur le point d'y adopter une mesure législative faisant du défenseur un haut fonctionnaire de l'Assemblée législative. L'ombudsman de l'Ontario n'a pas chômé et a beaucoup oeuvré pour régler le problème de l'abandon de la garde d'un enfant, qui a toujours été absurde. Je pense que les défenseurs des enfants, quand ils travaillent au sein de leur association canadienne, ont également su se faire entendre clairement sur la scène nationale. L'ajout d'un nouveau mandat ou d'un nouveau responsable aidera à renforcer l'association, qui permet aux différentes provinces de tirer les leçons de ce qui se fait ailleurs et de mettre en commun leurs idées. Tous les bureaux s'organisent clairement autour de la Convention relative aux droits de l'enfant. Je le sais parce que je travaille avec eux depuis longtemps.
Je vais maintenant vous poser une question au nom d'une de nos collègues du comité, Rose-Marie Losier-Cool, sénatrice du Nouveau-Brunswick, comme vous le savez, qui est présentement retenue à Ottawa par ses fonctions de whip.
En son nom, je vais vous poser une question sur le français. Comme vous le savez, la Convention relative aux droits de l'enfant parle du droit à la culture, à l'identité, et cetera. Dans votre travail, mais plus particulièrement quand ces problèmes concernaient des enfants, avez-vous rencontré des problèmes liés à l'accès à la langue, non seulement à l'école, mais dans les garderies ou d'autres cadres?
[Français]
M. Richard : Depuis que je suis ombudsman?
Le sénateur Pearson : Oui.
M. Richard : Il y a, au Nouveau-Brunswick, un commissaire aux langues officielles. Donc, les plaintes concernant les services dans l'une ou l'autre de langue officielle, seraient acheminées vers le commissaire aux langues officielles. Notre bureau, même s'il recevait une plainte, la référerait au commissaire. Évidemment, le Nouveau-Brunswick est quand même la seule province officiellement bilingue au Canada.
Il y a eu des améliorations énormes au cours des années. On a maintenant la dualité au ministère de l'Éducation, où on a un ministre et deux sous-ministres et des services, certainement en ce qui concerne l'instruction, le curriculum, par exemple, qui sont offerts séparément par les deux communautés linguistiques à travers des écoles qui sont organisées en fonction de la langue. Au niveau des écoles, je pense que l'on peut dire qu'il y a eu des progrès énormes et que la communauté minoritaire est bien desservie dans notre province. Nous avons quand même pu, au cours des années, adopter d'autres législations, par exemple, la Loi sur l'égalité des communautés linguistiques de langue officielle au Nouveau-Brunswick. Le principe de cette loi a été incorporé à la Charte canadienne des droits et libertés, spécifiquement pour le Nouveau-Brunswick.
Suite à l'accord de Charlottetown, il y a eu un amendement important qui garantit davantage les lois. Je crois qu'au Nouveau-Brunswick, on a quand même fait des progrès très importants au cours des années.
D'ailleurs, le sénateur Oliver a mentionné que j'ai occupé le poste de ministre d'État aux Affaires intergouvernementales. Dans cette fonction, j'ai eu le privilège de faire la promotion du Nouveau-Brunswick comme site du Sommet de la francophonie tenu à Moncton, en 1999. Souvent, je donnais l'exemple du Nouveau-Brunswick comme étant une juridiction où les droits de la minorité avaient été obtenus sans violence, de façon très difficile.
Étant Acadien francophone, vivant au Nouveau-Brunswick, je suis conscient, comme beaucoup d'autres personnes, qu'il faut être vigilant. On a tendance à parfois oublier que ces droits sont importants en principe, mais ils sont plus importants parce qu'ils existent dans les faits et qu'il faut être constamment vigilant.
S'il y a des lacunes, je dirais que c'est peut-être au niveau des soins de santé. Dans certaines régions, il y a eu, au cours des années, des plaintes selon lesquelles certains hôpitaux n'offraient pas des services de qualité égale à leur communauté minoritaire. Je pense, particulièrement, à la région de Miramichi où un tiers de leurs patients sont francophones et où il y a eu des plaintes au cours des années.
Je sais que chaque corporation régionale de la santé au Nouveau-Brunswick fait des efforts pour offrir des services de qualité égale aux deux communautés. Je pense qu'il n'y a pas de problème majeur. Il faut constamment être vigilant. Il y a toujours des améliorations à apporter, mais je pense que, en général, il y a eu quand même des progrès importants au Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Poy : Monsieur Richard, j'aimerais brièvement revenir au rôle que vous jouez à titre d'ombudsman. À l'heure actuelle, il n'y a pas au Nouveau-Brunswick des défenseur des enfants, mais selon ce que vous nous avez dit, vous avez traité beaucoup de cas touchant des enfants. Pouvez-vous nous dire quel pourcentage de cas touchant des enfants et des adultes votre bureau a traité?
M. Richard : J'aimerais bien pouvoir vous donner un chiffre précis. Ce serait un faible pourcentage. Comme je l'ai dit, nous avons traité l'an dernier 3 000 plaintes dont peut-être une centaine touchaient directement des enfants. Je m'empresse d'ajouter que nous avons beaucoup plus de mal à traiter ces cas. Ils sont souvent très complexes. Ils concernent des questions de garde. Comme l'a dit le sénateur Oliver, il y a parfois une dimension médicale. Nous avons parlé d'un enfant qui a passé la quasi-totalité de la dernière année dans un service psychiatrique. Ce sont des cas très complexes qui font intervenir plusieurs professionnels de la santé et des professionnels de services qui n'ont pas une vocation sanitaire. Je pense plus particulièrement aux Services familiaux et communautaires. Nous avons traité le cas de jeunes détenus au Centre de détention des jeunes ici au Nouveau-Brunswick. J'estime qu'il y en a un nombre suffisant.
Ce que je trouve frustrant, c'est que notre mandat n'inclut pas expressément les enfants et que nous n'avons pas les ressources voulues — comme je l'ai dit publiquement à maintes reprises — de sorte que nous ne pouvons pas accorder à ces dossiers toute l'attention qu'ils méritent. Je le déplore vivement.
Heureusement, nous avons trois étudiants en droit et un étudiant en administration des affaires qui y travaillent. Quand on songe que mon bureau compte, outre moi-même et mon conseiller juridique, quatre enquêteurs, ces étudiants doublent pendant quatre mois mes effectifs d'enquêteurs. Malgré toutes leurs qualités, ils doivent être formés et se familiariser avec le travail et, malheureusement, sitôt arrivés, sitôt repartis et nous devons recommencer et former de nouveaux étudiants l'été suivant.
Nous n'avons pas les ressources voulues pour traiter ce genre de cas très complexes. Je dirais que même si le nombre de ces cas est faible en proportion du nombre total de plaintes que nous recevons sur toutes sortes de sujets — cotisations d'impôt sur le revenu, travaux publics — on ne peut pas réellement comparer ces cas à une plainte touchant un enfant autiste ou un enfant qui ne reçoit pas de services d'orthophonie, par exemple, parce que le service ne peut pas combler un poste étant donné la rareté des spécialistes. Or, quand les parents trouvent un orthophoniste en pratique privée qui pourrait leur offrir les services, ils se font répondre que c'est impossible. Ils économisent de l'argent pendant que le poste reste vacant et pourtant l'enfant attend pendant de longs mois, parfois un an ou plus, pour obtenir des services qui devraient être fournis en temps opportun. Même si le nombre de cas n'est pas élevé, moi-même et mon personnel considérons qu'il s'agit de plaintes importantes auxquelles nous devrions donner suite. Malheureusement, nous ne pouvons pas leur consacrer les ressources qu'elles méritent, à mon avis.
Le sénateur Poy : Il doit donc y avoir beaucoup d'autres plaintes dont vous n'êtes jamais saisi?
M. Richard : Absolument.
Le sénateur Poy : Qui traite ces plaintes? Les Services familiaux et communautaires traitent-ils pour l'instant toutes les autres plaintes?
M. Richard : Je crois que oui. Je crois que ces plaintes sont dirigées vers les divers services. Nous avons constaté que certains ignorent notre existence. Certains ne savent pas que nous traitons de ce genre de plaintes. Or, quand nous parlons aux plaignants, nous constatons qu'ils sont très frustrés du traitement qu'on leur réserve.
Comme j'ai été travailleur social pendant trois ans, je sais que leur mandat est précis, qu'ils doivent se conformer à certaines politiques et qu'ils sont tout à fait désarmés devant des cas inhabituels et exceptionnels. Il est bon que quelqu'un puisse faire une analyse impartiale et indépendante — comme je suis un haut fonctionnaire de l'Assemblée législative, je ne relève pas du premier ministre ou de tout autre ministre. Je suis tout à fait indépendant et je rends compte à l'Assemblée législative même ce qui me donne la possibilité d'énoncer des positions sans avoir à en aviser un surveillant et sans avoir à administrer des politiques précises.
Je ne suis pas étonné quand on me répond : « Eh bien, la politique est claire », ou encore « Les règles du programme sont claires. Nous ne pouvons pas faire autrement ». Bien que je ne sois pas surpris, j'estime que c'est mon rôle de signaler qu'il s'agit d'un cas exceptionnel et qu'un traitement équitable exige peut-être qu'on passe outre à la norme ou à la politique. Les fonctionnaires qui travaillent dans les divers services ne peuvent pas faire cela aussi facilement. Ce n'est pas très facile pour moi non plus, car je sais à quelles réponses m'attendre quand je soulève ce genre de questions. Il est injuste d'attendre des fonctionnaires et des employés des divers services qu'ils fassent le genre de choses que peut faire un défenseur des droits des plaignants.
Le sénateur Poy : Vous avez dit que la meilleure solution serait que le Nouveau-Brunswick adopte le modèle de la Nouvelle-Écosse, à savoir d'avoir dans le même bureau un ombudsman et un défenseur des droits de l'enfant. Vous avez dit qu'une loi en ce sens est à la veille d'être adoptée, n'est-ce pas?
M. Richard : Non.
Le sénateur Poy : J'ai mal compris.
M. Richard : Non, l'Assemblée législative a été saisie d'un projet de loi qui a été approuvé à l'unanimité l'an dernier, mais des amendements ont été déposés en janvier de cette année qui prévoient la création de postes distincts...
Le sénateur Poy : Et cela coûterait beaucoup plus cher?
M. Richard : Oui, à mon avis cela coûterait plus cher. Je le dis en toute humilité, mais j'estime que cela coûterait plus cher. Cela me semble manifeste. Dans une petite province comme le Nouveau-Brunswick, la mise en place d'une administration distincte signifie que l'on consacrerait à des fonctions administratives des ressources précieuses qui pourraient servir à financer des services pour les enfants. C'est ce que j'ai réclamé et j'ai présenté des arguments pour soutenir ma position.
La loi n'est pas en vigueur. Elle n'a pas encore été adoptée. Il reste à peine une semaine ou deux à la session législative et le débat sur les amendements n'a toujours pas eu lieu. J'espérais que la proposition serait renvoyée à un comité législatif pour que je puisse témoigner au sujet du projet de loi. Je suis certain que d'autres témoins voudraient aussi comparaître, mais nous n'en avons pas eu la possibilité. Je ne sais pas si le projet de loi sera adopté avant la fin de la session. S'il ne l'est pas, il restera en suspens jusqu'à la reprise des travaux de l'Assemblée législative qui auraient normalement lieu à la mi-novembre environ. À toutes fins utiles, cela signifie qu'un an et demi ou deux ans s'écouleront avant que le bureau ne soit créé. J'estime que c'est bien malheureux puisque les gens ont un besoin urgent de ces services.
Le sénateur Poy : Quelqu'un a-t-il proposé un projet de loi pour qu'il y ait au sein de votre bureau un poste de défenseur des droits de l'enfant?
M. Richard : Non, mais ça ne serait pas très compliqué à faire.
M. Poy : Non?
M. Richard : Il suffirait essentiellement d'un projet de loi qui décrirait le nouveau mandat. Il suffirait d'un amendement simple qui décrirait le nouveau mandat et qui, comme je l'ai proposé, désignerait l'ombudsman comme défenseur des droits de l'enfant pour une période de transition de deux ou trois ans puisque nous serions en mesure d'assumer très rapidement cette nouvelle responsabilité. Cette période de transition nous permettrait de déterminer les ressources requises et de décider s'il serait préférable de créer un bureau distinct. Je suis convaincu que cela pourrait se faire assez facilement, si la volonté y est.
Je ne peux m'empêcher de mentionner, à titre d'exemple, qu'il y a un problème à Saint-Jean, notre plus grande ville, où la municipalité a accepté d'accorder une importante réduction de taxes foncières aux promoteurs d'un projet de construction d'une usine de gaz naturel liquéfié. Cette remise est de 5 millions de dollars sur 25 ans, ce qui représente une coquette somme. Or, étant donné que l'actuel cadre législatif n'autorise pas une municipalité à accorder un tel allégement, il faut modifier la Loi sur les municipalités, projet qui semble avancer très rapidement. Dans certains cas, j'estime nécessaire d'accorder des incitatifs. Il ne m'appartient pas de dire si c'est une bonne ou mauvaise chose.
Ce que je dis toutefois, c'est que quand nous décidons de modifier la loi et que la volonté d'agir y est, tout peut se faire très rapidement.
Le sénateur Oliver : Eh bien, ce sont les Irvings. C'est typique de la politique au Nouveau-Brunswick. Ce sont les Irvings contre la province.
M. Richard : Comme je l'ai dit, je n'ai pas de commentaires à faire à cet égard.
Le président : Vous avez utilisé l'expression « l'intérêt supérieur de l'enfant ». Vous avez dit qu'elle figure dans la Convention. J'aimerais remonter à l'époque où vous étiez travailleur social et où je travaillais au tribunal de la famille. Très peu de parents avouent agir pour des raisons égoïstes. Ils réclament la garde de l'enfant ou veulent imposer des restrictions à l'égard de l'enfant en disant : « J'agis dans l'intérêt supérieur de l'enfant ». Cela tient aussi pour les grands-parents. Les agents des services à la famille affirment rarement que leur décision dans le dossier est personnelle. Ils disent plutôt : « Nous croyons que c'est dans l'intérêt supérieur de l'enfant ». J'aimerais savoir comment vous définissez l'intérieur supérieur de l'enfant? Qui écoutez-vous, l'enfant ou tous ceux qui agissent à titre de défenseur de ses droits?
M. Richard : C'est une excellente question parce que ce n'est pas toujours facile à déterminer. Je peux vous dire que la majorité des plaintes que nous traitons s'avèrent non fondées. Quand nous terminons notre enquête, que nous avons obtenu toute l'information — et j'ai appris il y a longtemps qu'il y a toujours deux côtés à la médaille, parfois même trois ou quatre — sur les plaintes que nous avons reçues, nous en arrivons à la conclusion que les fonctionnaires ont effectivement pris une décision qui sert l'intérêt supérieur de l'enfant. Dans certains cas nous avons des inquiétudes et nous le disons.
Ce qu'il faut, à mon sens, c'est un bureau indépendant chargé d'examiner ces questions qui ait accès à toute l'information disponible et aux experts, qu'il s'agisse de services sociaux, des services juridiques ou autres, et qui soit capable d'en arriver en toute indépendance à une conclusion ou à une décision. Cela m'apparaît essentiel. J'ai lu le mémoire du Nouveau-Brunswick sur la Convention et nous demandons essentiellement aux fonctionnaires des divers ministères de faire une autoévaluation. Il y a fort à parier qu'ils se donneront une bonne note. J'estime donc nécessaire qu'il y ait un fonctionnaire indépendant, qu'il s'agisse d'un défenseur des droits des enfants ou d'un ombudsman, qui ait accès à toute l'information pertinente, qui examine tous les services destinés aux enfants et qui n'ait pas un mandat trop étriqué. Cela fait, j'estime qu'en bout de ligne la décision est toujours subjective. Donnez à une personne indépendante les outils voulus pour qu'elle s'acquitte de son mandat est la meilleure garantie d'obtenir de bons résultats.
Les choses ne sont jamais ou noires ou blanches et ce serait merveilleux si, pour chaque plainte que nous recevons, nous étions toujours en mesure de dire avec parfaite certitude : « Oui, voilà ce qu'il faut faire ou il y a là violation flagrante de droits ». Les choses sont rarement si tranchées et nous devons donc faire preuve de jugement. Dans la mesure où nous disposons des outils voulus et que nous sommes indépendants des organismes qui font l'objet de nos enquêtes, j'estime que c'est la meilleure façon de créer des conditions qui permettent le respect le plus complet de la Convention.
Il y a un roulement constant des effectifs dans les divers services. Le travail social est une tâche ingrate et le taux de roulement ici au Nouveau-Brunswick est très élevé. Je suis certain qu'il en va de même dans les autres provinces. Ce n'est donc pas facile. Il y a ensuite toutes les pressions internes aux divers services et les pressions exercées par les surveillants. Ces cas intéressent habituellement les médias, ce qui est toujours préoccupant, à mon avis. Ce qu'il faut, c'est une personne indépendante qui dispose de ressources suffisantes pour faire enquête sur toutes ces plaintes avec détachement et, si nous faisons cela, nous ferons le meilleur travail possible.
Le président : Nous avons permis la présence des caméras pour cette réunion. Nous les interdisons souvent étant donné la nature des témoignages que nous entendons, mais nous avons jugé que ce serait une bonne ressource pédagogique. Y voyez-vous quelque objection?
M. Richard : Je ne me sens pas du tout intimidé.
Le président : Non. Je crois que vous avez 12 ans d'expérience.
Le sénateur Oliver : J'aimerais revenir à la Constitution du Canada. Comme vous le savez, elle prévoit un partage des compétences entre les provinces et le gouvernement fédéral. Bon nombre des domaines qui touchent aux droits de l'enfant sont des domaines de compétences partagés — santé, éducation, droit et justice, droits de propriété et droits civils, et cetera. Le gouvernement fédéral, habilité à signer les traités internationaux telle la Convention relative aux droits de l'enfant, omet souvent de consulter chacune des provinces avant de le faire. Le gouvernement fédéral entreprend ensuite de mettre en œuvre les modalités de la Convention sans qu'il y ait de cadre intégré. Devrions-nous envisager d'adopter une loi habilitante type pour la mise en œuvre des traités internationaux dans chacune des provinces? À titre d'ancien ministre d'un cabinet provincial, que pensez-vous de cette relation entre les gouvernements fédéral et provinciaux?
M. Richard : C'est là aussi une excellente question sur un sujet qui nous donne du fil à retordre. Ma réponse varierait presque selon qu'il s'agit du Québec ou des autres provinces. Comme vous le savez, le Québec se plaint de l'empiètement du gouvernement fédéral sur des domaines de compétences provinciales et cela n'en finit pas. Toutefois, si nous pouvons trouver une façon de travailler ensemble sur des dossiers tels la santé et les listes d'attente, la pénurie de ressources et la formation des médecins, si nous réussissons à oublier les frontières pour nous concerter dans ces cas- là, alors je ne comprends pas pourquoi nous ne trouverions pas la même volonté d'agir ensemble pour protéger les droits des enfants.
J'estime que malgré notre système fédéral compliqué, si la volonté politique existe pour que nous trouvions une façon de travailler ensemble pour nous acquitter des obligations auxquelles notre pays a souscrit, alors j'estime que nous devrions le faire et que nous pouvons le faire. On l'a démontré pour d'autres dossiers, d'autres enjeux importants. Or, aucune question ne m'apparaît plus importante que celle des droits de l'enfant. C'est donc possible, bien que ce soit difficile, j'en conviens, et que cela semble parfois même impossible.
Le sénateur Oliver : Et que pensez-vous d'une loi habilitante? Croyez-vous que nous devrions avoir une loi type dont l'adoption pourrait être recommandée à toutes les provinces afin de faciliter la mise en œuvre des ententes internationales dont le gouvernement fédéral est signataire?
M. Richard : Il se fait certainement au Canada beaucoup de travail sur l'uniformisation des lois, par exemple. Cela se fait continuellement, mais dès qu'il s'agit du partage des compétences, les choses se compliquent. Je crains que nous ne perdions beaucoup de temps à débattre de questions de compétences alors que nous avons démontré qu'il est possible de façon informelle de surmonter certains obstacles. Je pense plus particulièrement au réseau de garderie. Il me semble que certaines provinces ont réussi à s'entendre avec le gouvernement fédéral sur ce nouveau programme.
Au Nouveau-Brunswick, on entend souvent dire qu'Ottawa possède les ressources, mais qu'il s'agit d'un domaine de compétence provinciale. Or, s'ils parviennent à s'entendre sur la question des garderies, alors il me semble qu'il doit être possible d'en arriver à une entente sur la question des droits de l'enfant. Je crains que si nous cherchons à mettre en place un cadre officiel, nous perdrons un temps précieux. J'admets toutefois qu'il serait préférable qu'il y ait une entente officielle. Je ne suis pas convaincu que cela soit possible, mais nous avons réussi à nous entendre informellement dans le passé et si c'est la seule façon d'y arriver, je saurai m'en contenter.
Le sénateur Pearson : Je m'intéresse tout particulièrement aux droits civils et politiques des enfants. J'ai fais beaucoup de travail sur la participation des jeunes. Quand nous avons interviewé la Commissaire aux droits des enfants de la Nouvelle-Zélande, nous avons été étonnés d'apprendre que la loi l'oblige à consulter les enfants. C'est ce que prévoit la loi. Je me demande si vous envisageriez d'inclure dans la loi dont vous nous avez parlé une disposition semblable puisque votre proposition relative à un défenseur des droits des enfants et des jeunes n'est pas encore figée.
Hier, à Terre-Neuve, nous avons rencontré des jeunes qui ont été transformés lorsqu'ils ont appris l'existence de la Convention relative aux droits de l'enfant. C'était extraordinaire. Ils n'en connaissaient pas l'existence, ce qui montre que nous nous sommes très mal acquitté de notre obligation en matière d'éducation aux termes de la Convention.
L'une des jeunes avec qui nous avons parlé nous a dit qu'elle aimerait que les jeunes puissent voter dès l'âge de 16 ans puisqu'elle serait alors contrainte de s'intéresser activement à la politique. Je n'étais pas convaincu que c'était la solution à privilégier, mais elle était d'avis qu'il fallait créer une masse critique de jeunes disposés à participer à la vie politique. J'ai réfléchi à l'opportunité de définir les droits politiques puisque les droits politiques et civils vont de pair. Les articles 12 à 17 de la Convention — le droit de l'enfant d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant — le droit à la liberté d'expression, et cetera, sont en quelque sorte des libertés civiles, mais elles sont liées aux droits politiques puisque sans les uns on ne peut avoir les autres. J'aimerais savoir ce que vous pensez des droits politiques des enfants.
M. Richard : J'avoue ne pas avoir réfléchi énormément à la question. Je vous répondrai spontanément qu'étant donné le degré et la qualité de la participation des adultes à nos institutions démocratiques, j'imagine mal qu'ils puissent faire pire. Quand on songe au nombre d'adultes qui exercent leur droit de vote, au cynisme, au manque d'intérêt à l'égard d'enjeux très importants, et autres choses du genre, je suis convaincu qu'on ne pourrait faire pire. Je n'y vois aucune objection en principe. Je sais que la question est actuellement à l'étude, peut-être devant un comité du Sénat, je n'en suis pas certain, mais il me semble avoir lu quelque chose là-dessus. Voilà ce que serait ma réaction spontanée.
Le sénateur Poy : J'aimerais revenir sur certains exemples précis que vous avez mentionnés dans votre exposé. Vous avez notamment parlé des droits des grands-parents. J'aimerais que vous nous donniez de plus amples détails sur la nature de ces droits au Nouveau-Brunswick. J'ai toujours cru qu'il est dans l'intérêt supérieur de l'enfant que l'accès des grands-parents soit garanti.
M. Richard : Le droit d'accès des grands-parents figure rarement dans nos lois. Il est question de l'accès des grands- parents dans la Loi sur les services à la famille. Le droit d'accès des grands-parents n'est pas expressément protégé. Vous avez tout à fait raison de dire que l'intérêt supérieur de l'enfant est primordial, mais il appartient aux grands- parents de démontrer qu'ils doivent avoir accès à leurs petits-enfants et que cela est dans l'intérêt supérieur des enfants.
Les grands-parents au Nouveau-Brunswick, et en Ontario, ont formé un groupe qui s'appelle GRAND. Je ne sais pas au juste à quoi correspondent les lettres du sigle. Ils militent pour obtenir que toutes les provinces se dotent de lois semblables à celle du Québec qui part du principe que l'accès des grands-parents est dans l'intérêt supérieur de l'enfant. J'estime que ce serait vrai dans un fort pourcentage des cas, mais il appartient au parent qui a la garde de démontrer le cas échéant que ce n'est pas dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Il me vient à l'esprit des cas où ce ne serait pas dans l'intérêt supérieur de l'enfant, mais il incombe au parent qui a la garde de le démontrer.
En cas de séparation et de divorce, qui sont parfois acrimonieux, mais pas toujours, il se peut que le parent qui a la garde refuse d'assurer l'accès aux parents de l'autre conjoint. J'en suis venu à croire que la solution adoptée par le Québec est la meilleure. Le fardeau de la preuve est déplacé complètement. Mes lectures et mes recherches m'ont amené à conclure que cela n'a pas provoqué de désastre au Québec et il semblerait que cela facilite l'accès.
Les poursuites devant les tribunaux sont très coûteuses. Elles le deviennent de plus en plus. Ce n'est pas facile de saisir les tribunaux. Si le fardeau de la preuve joue en votre faveur et que le juge doit interpréter votre requête en tenant compte de cela, cela facilite les choses pour les grands-parents.
Nous avons reçu plusieurs plaintes et j'ai rencontré un certain nombre de grands-parents et j'ai échangé de la correspondance avec d'autres encore, et ils sont complètement démoralisés de perdre un accès qu'ils avaient eu pendant un certain nombre d'années, habituellement à la suite d'une séparation. Les grands-parents pouvaient avoir leurs petits-enfants pendant les fins de semaine, les vacances d'été ou pour des sorties régulières et, tout à coup, à la suite de la séparation, le parent qui a la garde décide que les enfants n'auront plus de contact avec les parents de l'ex-conjoint. Bien qu'il ne soit pas impossible d'obtenir l'accès, c'est très difficile.
Le sénateur Poy : Est-ce le cas au Nouveau-Brunswick à l'heure actuelle?
M. Richard : Pour l'instant, oui.
Le sénateur Poy : Vous avez parlé d'une jeune fille de 15 ans atteinte d'une schizophrénie paranoïaque aigue. Elle est hospitalisée, mais il y a des cas où, faute de ressources, des gens d'autres régions sont envoyés au même hôpital mais où l'inverse n'est pas vrai? Quelqu'un comme elle ne pourrait donc pas être envoyé dans une autre région pour vivre dans un milieu résidentiel?
M. Richard : Les services sont assurés sur une base régionale. Si vous habitez dans une région, vous devez faire affaire avec les autorités de cette région.
Le sénateur Poy : Quand vous parlez de « région », s'agit-il d'une région au Nouveau-Brunswick?
M. Richard : D'une région au Nouveau-Brunswick.
Dans ce cas, la jeune fille est hospitalisée dans le service psychiatrique d'un hôpital. Il existe des installations qui dispensent des conseils et des soins résidentiels à des jeunes comme elle, mais un fonctionnaire de la région m'a dit carrément que ces soins sont trop coûteux et qu'ils doivent vivre selon leur budget. Or, le même fonctionnaire a admis aisément que le centre résidentiel accueille des enfants qui viennent d'autres régions. À mon avis, ces autres régions ont décidé qu'elles dépasseront leur budget si les services sont dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Je soulève cette question parce qu'elle me préoccupe et qu'il n'y a pas de politique appliquée de façon cohérente à l'échelle de la province.
Le sénateur Poy : À titre d'ombudsman vous pourriez toutefois dire : « Vous devez le faire », n'est-ce pas? Ne pourriez-vous pas le leur imposer?
M. Richard : Je peux certainement formuler la recommandation. Je ne peux rien imposer.
Le sénateur Poy : Je vois.
M. Richard : À titre d'ombudsman, je ne peux que formuler une recommandation et ce sont les divers services qui donnent suite à mes recommandations comme bon leur semble. Ce dossier reste ouvert et nous n'avons pas encore renoncé à trouver une solution, mais j'ai cru bon de le mentionner parce qu'il me préoccupe.
Le président : Vous avez parlé d'enseignants qui suggèrent parfois des traitements médicaux pour leurs élèves, particulièrement ceux atteints d'hyperactivité avec déficit de l'attention et, je suppose, de problèmes liés à l'alcoolisation fœtale. Nous savons qu'il y a davantage d'intimidation à l'école et qu'il est de plus en plus difficile de surveiller les jeunes en milieu scolaire. Nous savons que les enseignants se sont vus privés d'un grand nombre des moyens dont ils disposaient pour discipliner les enfants. Autrement dit, l'intervention physique est interdite ou désapprouvée, selon la province. Croyez-vous que les enseignants se rebattent sur des solutions médicales afin de pouvoir régler leurs problèmes de surveillance dans les écoles? Ou croyez-vous qu'ils le font parce qu'ils croient connaître les solutions médicales aux problèmes de leurs élèves, même s'ils n'ont pas la formation voulue?
M. Richard : Je crois que le premier scénario est le plus probable en ce sens qu'on demande aux enseignants de gérer des salles de classe où il y a deux, trois, quatre, cinq, six, voire sept élèves qui ont des besoins spéciaux. Ils n'ont pas les ressources voulues pour s'occuper de ces élèves. Au Nouveau-Brunswick, nous avons opté pour un système scolaire où tous les élèves sont intégrés et j'estime que c'est une très bonne idée et que cela témoigne d'un énorme progrès depuis l'époque où j'étais sur les bancs d'école, mais pour que cela réussisse, il faut donner aux enseignants les ressources voulues pour que les élèves qui n'ont pas de besoins spéciaux ne soient pas pénalisés parce qu'ils se trouvent dans la même classe que d'autres qui ont des besoins spéciaux. Les enseignants ont du mal à y arriver. Je rencontre régulièrement des enseignants et je sais qu'ils ont de la difficulté à y arriver. La nature de la salle de classe a changé du tout au tout et la réponse la plus simple pour un enfant qui est agité ou hyperactif, c'est de dire aux parents : « Il existe un médicament qui serait bon pour Tommy, et ça s'appelle le Ritalin. Si vous en parlez à votre médecin de famille, il pourra vous donner une ordonnance ». Ce ne sont pas tous les enseignants qui font cela, mais il y a eu des cas et les Services familiaux et communautaires ont réagi et ont distribué une directive. Les parents ont parfois de la difficulté eux aussi et les enseignants sont des symboles de l'autorité et il leur arrive parfois de ne pas s'en tenir à : « J'ai du mal avec le jeune Tommy. Il existe diverses ressources. Nous pourrions peut-être organiser une rencontre avec le psychologue de l'école ou quelque chose du genre ». Cela devient une solution trop facile dans une salle de classe difficile à gérer parce qu'il y a trop d'enfants qui ont besoin de ressources qui ne sont pas disponibles.
Le président : Merci. Je crois que notre temps est épuisé. J'aimerais toutefois faire un commentaire. Vous avez été travailleur social et j'ai déjà été juge au tribunal de la famille, et nous avons donc certaines choses en commun.
Vous nous avez dit que vous ne vous inquiétez pas indûment du fait de détenir ensemble des femmes adultes et, je présume, des jeunes filles. J'avais cru comprendre que nous faisions souvent cela croyant que les femmes sont moins endurcies et exercent moins d'influence sur leurs codétenues et que c'est une formule avantageuse pour les femmes. Or, selon de nombreuses études qui traitent de la question, s'est mal servir les futures générations parce que nous constatons que les femmes sont capables d'avoir les mêmes attitudes, les mêmes comportements criminels que les hommes. Par conséquent, je soulève la question de l'opportunité de faire cette distinction selon qu'il s'agit des hommes ou des femmes.
M. Richard : Oui. J'aimerais apporter un éclaircissement. Je comprends bien votre message. Il existe un cas notoire, qui a beaucoup défrayé les manchettes récemment, qui concerne une femme détenue.
Au Nouveau-Brunswick, les prisons pour adultes sont surpeuplées et les femmes sont détenues dans la même prison que les hommes. Nous avons un nouveau centre de détention pour les jeunes où il y a des modules distincts, isolés les uns des autres sur le même site et le gouvernement a décidé de régler le problème de surpeuplement en mettant des détenus de sexe masculin dans le centre de détention pour les jeunes dans des modules séparés. Je comprends bien qu'il soit nécessaire de régler le problème de surpeuplement parce que nous avons eu des plaintes à ce sujet, mais il serait peut-être préférable d'utiliser le centre de détention des jeunes pour y loger les femmes détenues. Je comprends bien ce que vous dites et je sais que vous êtes plus d'expertise que moi en la matière. Je prends bonne note de votre commentaire.
Le président : Eh bien, mes connaissances ne sont pas tout à fait récentes puisque je suis au Sénat depuis 12 ans maintenant. Toutefois, même s'ils ont des modules séparés, nous savons que l'attitude des préposés traverse les murs comme le font d'ailleurs les conversations et les attitudes des détenus. Je suis d'accord avec votre mise en garde, mais je voulais explorer la question des femmes et des jeunes filles détenues.
Je vous remercie de l'engagement avec lequel vous vous acquittez de vos fonctions et de nous avoir fait part si ouvertement et si franchement des problèmes que vous avez constatés et des solutions que vous proposez. Nous espérons que notre rapport vous sera de quelque soutien dans le travail que vous faites et nous espérons qu'il aidera les jeunes de cette province. Merci de nous avoir consacré une partie de votre temps précieux.
[Français]
M. Richard : Je vous remercie de l'opportunité de pouvoir vous adresser la parole sur une question qui nous touche tous et toutes et une question qui est importante pour notre société.
Je suis très heureux d'avoir eu la chance de vous adresser la parole et de pouvoir tenter de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président : Sénateurs, nous accueillons maintenant Susan Reid, la directrice du Centre de recherche sur les jeunes à risque. Elle est aussi professeure affiliée au département de criminologie et de justice criminelle à l'Université St. Thomas.
Bienvenue. Je vous invite à nous présenter les points saillants de votre mémoire après quoi nous passerons à la période des questions.
Susan Reid, directrice et professeure agrégée, Département de criminologie et de justice criminelle, Université St. Thomas, Centre de recherche sur les jeunes à risque : Merci.
Une journaliste bien connue qui travaille pour l'un des quotidiens de Toronto a fait une série de reportages sur la vie à l'intérieur de nos centres de détention pour les jeunes et de nos installations correctionnelles. Le suicide tragique d'un jeune homme de 16 ans détenu avec 140 autres qui attendaient leur procès après s'être vu refuser une mise en liberté sous caution met en relief les « droits » des jeunes privés de leur liberté. Elle écrit en début d'article : « Que Dieu nous pardonne le tort que nous faisons à nos enfants, pour la simple raison que nous pouvons ». C'est avec cette phrase que j'ouvre aujourd'hui mon témoignage sur les efforts que nous avons déployés pour faire en sorte que les membres les plus vulnérables de notre société, j'ai nommé nos enfants, soient protégés contre tous sévices et aient l'occasion de grandir et de s'épanouir dans un climat d'amour et de compréhension.
Le Canada a fait des progrès appréciables grâce aux efforts qu'il déploie pour que les jeunes puissent jouir des droits garantis dans la Charte canadienne des droits et libertés, mais nous devons aller au-delà des lois fédérales pour veiller à ce que les jeunes puissent jouir des droits et libertés énoncés par les Nations Unies dans la déclaration plus universelle des droits qu'est la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.
En m'appuyant sur les quatre principes fondamentaux énoncés dans les articles de la Convention, mon exposé portera sur l'intérêt supérieur de l'enfant, sur le droit de l'enfant d'être protégé contre toutes formes de discrimination, le droit de l'enfant à la vie, à la survie et au développement et à son droit de participer activement à la vie de la collectivité.
Je témoigne aujourd'hui à titre de criminologue qui se consacre depuis plus de vingt ans à l'étude des questions liées à la justice pour les jeunes. Mon expérience des études de l'enfant, de la criminologie et mes études, m'ont donné une formation interdisciplinaire que je mets en valeur dans le cadre de mes recherches sur l'enfant, la famille et les jeunes. Comme je l'ai expliqué plus tôt à madame le sénateur Pearson, je suis « d'ailleurs » puisque j'ai été élevée en Ontario et je serai toujours d'ailleurs pour les gens des Maritimes. Je suis certaine que le sénateur Oliver se souviendra de ces commentaires — je suis très heureuse du soutien que j'obtiens ici chez moi à l'Université St. Thomas, petite université d'arts libéraux après un séjour à la plus grande Université de Guelph. Ici à St. Thomas, nous sommes très fiers de notre engagement envers la justice sociale, et l'université est le siège du Atlantic Centre for Human Rights. Nous continuons d'élargir la portée de nos travaux sous la direction de votre collègue, le sénateur Noël Kinsella. Dans cette petite université de premier cycle, nous sommes très fiers de notre capacité d'accueillir ceux qui sont la première génération de leur famille à poursuivre des études universitaires.
Je suis arrivée ici en 1997, peu après la tragédie de la mine Westray et je me souviens d'un jeune homme dans ma classe de première année qui semblait ne pas du tout être à sa place — dents mal entretenues, pour ainsi dire, très grand, chemise mal rentrée mais débordant de l'esprit du cap Breton. Je lai revu dans trois ou quatre classes que j'ai données et je l'ai suivi tout au long de ses études et sa mère cachait mal sa fierté lors de la remise des diplômes de voir son fils traverser l'estrade à la fin d'études qu'il a choisies de poursuivre du fait de la catastrophe à la mine. C'est cette fierté sur laquelle nous misons, dans notre petite université catholique de premier cycle, pour donner un véritable pouvoir à ces jeunes qui auraient pu ne jamais avoir l'occasion d'étudier ici. En outre, le Centre de recherche sur la jeunesse à risque se marie parfaitement à ma passion pour les jeunes. Je vous laisserai le soin de lire la description de la mission et du mandat du centre.
Ce matin nous discutons des obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants et il m'apparaît important de souligner les résultats positifs des efforts déployés par le gouvernement pour améliorer la qualité de vie des enfants et des jeunes. De nombreuses initiatives ont été lancées pour donner aux jeunes enfants un bon départ dans la vie, y compris l'annonce faite récemment par le ministre du Développement social d'une stratégie nationale sur les services de garde. Les investissements au titre de la préparation à la carrière et de l'acquisition de compétences sous forme de subventions aux jeunes versés par le gouvernement ont donné à de nombreuses personnes de l'espoir pour l'avenir. Nous semblons comprendre que tout investissement dans le développement communautaire est un élément de solution important si nous voulons aider les enfants, les jeunes et les familles. Des initiatives telle la Stratégie nationale sur la sécurité communautaire et la prévention du crime et l'Initiative nationale pour les sans-abri témoignent du soutien du gouvernement pour les stratégies de développement communautaire de grande portée destinées à renforcer les liens entre les particuliers, les familles et les institutions sociales.
Toutefois, nous sommes toujours aux prises avec ces jeunes qui sont pris dans les rouages du système de protection de l'enfance ou du système de justice pénale pour les adolescents. Ces jeunes marginalisés passent d'un travailleur social à un autre qui tente de les aider à réussir la transition de l'enfance à l'adolescence pour devenir ensuite de jeunes adultes bien dans leur peau. Le Centre de recherche sur la jeunesse à risque s'intéresse en premier lieu à la douleur et aux souffrances de nombreux jeunes à risque. Depuis des années, nous cherchons une interprétation juridique de la notion de l'intérêt supérieur de l'enfant mais nous avons oublié d'aller à la rencontre des jeunes qui sont enlisés dans les rouages du système et nous avons oublié de les écouter. Le sénateur Pearson s'est faite la championne de cette voie des enfants et des jeunes et nous constatons petit à petit les résultats de cette croisade qu'elle mène sans relâche.
J'ai été attristé d'apprendre qu'elle cessera bientôt de siéger au Sénat mais elle prévoit lancer une merveilleuse initiative à Carleton quand elle célèbrera ce drôle d'anniversaire.
Il convient de féliciter le gouvernement du travail qu'il a fait pour renouveler la Stratégie relative à la justice pour les jeunes avant que ne soit proclamée la nouvelle loi qui remplace la très controversée Loi sur les jeunes contrevenants. Cela a permis aux collectivités de mener des campagnes d'éducation publique au sujet de la criminalité chez les jeunes en général et sur les jeunes délinquants en particulier. À mon avis, cela a permis à la collectivité de se préparer à mettre en œuvre des solutions autres que la détention et la sensibiliser au mythe qui entourait jusque-là ce qu'il était convenu d'appeler les « jeunes délinquants ». Avant la proclamation de la nouvelle loi, le Canada incarcérait un trop grand nombre de jeunes et j'ai été renversée d'apprendre que nos taux d'incarcération étaient beaucoup plus élevés, quatre fois plus élevés, que ceux aux États-Unis.
Nous poursuivons nos efforts pour aider ces jeunes marginalisés. On a démontré au fil des ans que si un adulte agit dans l'intérêt supérieur de l'enfant, cela peut avoir une série de conséquences imprévues qui sont gênantes pour le jeune.
Les débats successifs sur la Loi sur les jeunes délinquants, la Loi sur les jeunes contrevenants et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents nous ont amenés à changer du tout au tout notre façon de voir l'intérêt supérieur des jeunes. À mon sens, le hic c'est que nous sommes allés beaucoup trop à droite en adoptant un modèle de contrôle de la criminalité, à tel point que nous avons oublié que ces jeunes ont aussi besoin de protection.
Si vous vous reportez à la page suivante de mon mémoire, la page 8, vous verrez qu'il est question d'un arrêt de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse qui s'impose à nous, même si nous avons réduit les taux d'incarcération et que nous ne pouvons plus nous en remettre au système de justice pénale pour les adolescents pour régler nos problèmes en matière de protection de l'enfance. Nous devons continuer de chercher des solutions au manque de ressources fournies aux jeunes telle la jeune femme décrite ici.
Si vous vous reportez à la page 9, vous verrez que le juge érudit qui a révisé la décision du juge qui a prononcé la peine a dit qu'il y avait manifestement un certain nombre d'erreurs de droit. Le tribunal qui devait prononcer la peine a entendu que l'accusée était une jeune fille perturbée de 14 ans qui ne pouvait pas rentrer vivre chez ses parents et dont on soupçonnait qu'elle vivait dans la rue.
Vous verrez un peu plus bas sur la même page que l'arrêt met en relief et corrige bon nombre des problèmes de la Loi sur les jeunes contrevenants pour ce qui est de ne pas utiliser la détention comme mesure sociale. Le juge a dit : « Tout cet enchaînement de faits commence par l'infraction primaire où cette jeune personne perturbée a pris un morceau de pepperoni. » Malheureusement, un grand nombre des jeunes qui se sont retrouvés dans le système ont dû commettre une infraction pour obtenir des soins de santé mentale et des traitements de désintoxication, entre autres. Nous devons bien comprendre que, quand nous parlons d'intérêt supérieur, il ne faut pas perdre de vue les problèmes qu'entraîne l'insuffisance des ressources destinées à assurer le bien-être de l'enfant.
Je parle à la page 10 des jeunes qui sont détenus dans les prisons pour adultes et j'ai l'impression d'enfoncer le même clou depuis trop d'années. Nous devons régler ce problème. Nous n'avons pas de raison valable de continuer de détenir nos jeunes dans des prisons pour adultes et je crains qu'au fur et à mesure du temps qui passe et de la réduction du nombre de jeunes personnes dans des centres de détention pour jeunes contrevenants, ces lits deviendront libres. Étant donné les réserves du Canada à l'égard de l'article de la Convention des Nations Unies, pourquoi ne pas loger les délinquants adultes dans ces installations? D'ailleurs, dans l'unique centre de détention des jeunes de cette province, la province nous a enjoint d'utiliser ces lits en raison d'une entente avec les autorités fédérales, pour loger des délinquants adultes quand notre centre de détention et nos pénitenciers locaux ont manqué de place. Nous ne devons pas — et j'insiste — réduire d'une part le taux d'incarcération et d'autre part exposer ces jeunes contrevenants aux délinquants adultes parce que ces jeunes ne sont pas jetables.
Je tiens à attirer votre attention sur la question de la non-discrimination, sur ce que Barry Stuart a à dire à propos de l'identité des enfants qui sont en prison et sur la nécessité de tenir compte d'autres articles de la convention des Nations Unies pour qu'il soit bien clair qu'il ne s'agit pas ici uniquement de de liberté :
Nos prisons débordent de gens qui souffrent de toxicomanie, qui ont peu de compétences pour occuper un travail quelconque, qui souffrent de troubles mentaux, qui sont sérieusement en marge de la société, et qui dans leur vie ont peu ou pas connu le soutien d'une famille ou de la collectivité [...] Certains se sont retrouvés en prison si souvent qu'on peut dire qu'ils sont devenus institutionnalisés. Pour la plupart, ils ont perdu les liens avec la collectivité ou la famille susceptibles de leur donner un mode de vie constructif. Voilà les gens dont nos prisons sont remplies.
Il n'y a pas de quoi être fier.
Je voudrais passer maintenant à ce dont je discute à la page 12, le droit à la protection de la privée en vertu de la convention des Nations Unies. On trouve sur cette page une discussion de l'évolution concernant la publication des noms. Si j'ai choisi cette rubrique en particulier, c'est parce que je suis convaincue qu'étant donné notre système distinct pour les jeunes contrevenants, tous les jeunes qui ont affaire à l'appareil judiciaire doivent être protégés même s'ils purgent une peine pour adultes. Ils sont encore considérés comme des jeunes et il leur faut cette protection garantie par la Convention des Nations Unies sur les droits et les libertés.
Nous avons résolu des problèmes très graves car nous ne poursuivons plus les jeunes devant un tribunal pour adultes et ils ne sont plus menacés de double incrimination. Cela me réconforte vraiment. Le gouvernement a fait là un choix tout à fait approprié. Toutefois, il ne faut pas oublier que nous avons ici affaire à des enfants, et publier leurs photos dans les journaux est néfaste. Je me souviens d'avoir témoigné devant un comité de la Chambre des communes il y a bien des années et je parlais alors de jeunes qui se trouvaient au centre Portage de désintoxication, et ces jeunes s'adressaient à un comité de tous les partis à propos de l'opportunité de publier leurs noms dans les journaux. Un membre du Parti réformiste a alors exprimé des idées très arrêtées sur la question. Un des jeunes s'est levé et à dit : « Monsieur, je suis trafiquant de drogue au centre de Toronto, et je serais ravi que vous mettiez mon nom dans le journal, surtout dans le Toronto Sun, parce que je n'ai pas les moyens de me payer une publicité d'une page. » Après cela, il n'y a plus eu de discussion parce que, pour les jeunes, cela n'a pas d'importance. Si on publie leurs noms, on punit les parents et on donne aux toxicomanes le bénéfice d'une plus grande publicité. Je n'ai pas dit mon dernier mot à propos de toute la question.
Je reviens à mon mémoire, parce qu'on en vient aux choses plus amusantes. À la page 16, il est question de l'article 12 de la convention, du droit des enfants à participer, et je signale ce qui a de la valeur. Il est un livre que je trouve des plus intéressants. C'est un livre populaire d'accès facile car on n'y trouve pas toutes ces références que les universitaires ont tendance à citer. Il est écrit par deux avocats de Saskatchewan, Green et Healy, et il s'intitule Tough on Kids. Vous trouverez à la page 17 l'argument sans doute le plus percutant qui a été présenté depuis un certain temps. Les auteurs proposent de poser une simple question aux jeunes qui ont des démêlées avec la justice : que pouvons-nous faire pour vous convaincre de travailler avec nous pour développer vos talents et vos forces personnelles afin que vous puissiez vous bâtir une meilleure vie et contribuer à améliorer notre collectivité. Quelle idée nouvelle. Je sais que madame le sénateur Pearson est au courant de mon travail au sein du Réseau national des jeunes pris en charge et je pense que des représentants du réseau sont venus rencontrer les membres du comité à l'automne. Ils ont bien expliqué ce que représentait la vie d'un jeune pris en charge ou placé sous garde. J'ai également eu le privilège de travailler avec le réseau à deux projets, dont l'un était parrainé par la Stratégie de renouvellement du système de justice pour les jeunes afin de paver la voie pour que les collectivités accueillent la nouvelle loi et dans l'autre cas, c'était un projet de Santé Canada à l'intention des mères célibataires.
À propos de ce projet, un des points intéressants est le fait qu'il était axé sur un partenariat égal entre moi-même en tant qu'adulte de soutien, et une jeune personne qui était le chercheur. Non seulement devais-je agir comme mentor d'une jeune personne mais j'ai eu l'occasion d'apprendre quantité de choses auprès de jeunes, des choses que les documents écrits sur l'aide fournie aux jeunes dans le contexte de l'expérience passent totalement sous silence.
Au milieu de la page 18, vous trouverez ce qui a fait l'objet d'un consensus entre les jeunes et les adultes qui les appuient lors d'une table ronde sur les éléments les plus essentiels à la création de ce genre de programme. Je suis fier de dire que ce programme a été utilisé dans bien des endroits, notamment par la Société d'aide à l'enfance de Toronto. C'était une expérience superbe et j'exhorte les autres chercheurs à faire participer activement les jeunes, et à ne pas se borner à leur donner une voix symbolique.
Le réseau m'a demandé de participer à cet autre projet concernant les mères adolescentes et ma réaction première a été de dire : « Mon Dieu, il y a tant de publicité négative à propos des adolescentes enceintes. Sous quel angle voulez- vous voir la chose? » Eh bien, on a choisi l'angle que je préfère, j'ai eu l'occasion d'accompagner un groupe de jeunes mamans qui avaient eu leurs bébés pendant qu'elles étaient encore en foyers nourriciers et pour cette retraite, j'ai emmené mes fils qui avaient 11 ans à l'époque. Nous avons discuté comme si nous étions une famille, parlé de notre expérience vécue, non seulement de la maternité, mais de l'absence d'appui dont elles avaient souffert, plus particulièrement en tant qu'enfants en foyers nourriciers, enceintes. À l'issue de ces projets, il y a eu trois ou quatre documents publiés par le Réseau national des jeunes pris en charge car on souhaite que ces expériences puissent faire œuvre éducative auprès du public. On peut y lire ce que les jeunes filles avaient à dire.
En guise de conclusion, deux ou trois choses qui pourraient susciter des interrogations. Depuis six ans, j'ai l'honneur d'être membre du conseil d'administration de l'Institut Vanier pour la famille et cette année, nous avons entrepris un projet avec Reg Bibby de l'Université de Lethbridge. Il s'intitule « Le projet des familles de l'avenir ». Pour l'Institut Vanier, c'est innovateur car d'habitude nous nous servons des données recueillies par Statistique Canada et nous ne recueillons pas nos propres données. Toutefois, nous avons pensé que les données du recensement ne donnaient qu'une partie du tableau et nous voulions savoir quels étaient les espoirs et les aspirations des familles canadiennes. Quand on pose la question aux Canadiens : « Quel est votre plus grand espoir pour vos enfants? », 50 p. 100 des gens répondent qu'ils leur souhaitent le bonheur. Peut-on espérer que nos jeunes et nos enfants vulnérables connaîtront le bonheur? Dans la foulée de cette étude, on a fait des comparaisons entre ce que les Canadiens disent souhaiter pour eux-mêmes et ce qu'ils espèrent pour leurs enfants. Deux valeurs essentielles ressortent de cette analyse. L'importance que les gens accordent aux relations avec leurs proches, à la vie de famille, à l'affection, à l'amitié; et l'importance qu'ils accordent à la liberté. Je me demande si ces mêmes valeurs essentielles s'appliquent à nos jeunes et à nos enfants vulnérables.
Je voudrais en terminant citer nos avocats de Saskatchewan, et ce n'est pas parce que vous êtes de Saskatchewan que je le fais. Ce qu'ils disent est phénoménal :
Parmi les milliers d'enfants qui se sont confiés à nous, la plupart se sentaient marginalisés, exclus et aliénés. Pour bien des jeunes, le désespoir et réel. Ils sont très loin de croire qu'un jour ils pourront vivre dans une maison agréable, avoir un emploi intéressant, de l'argent pour acheter des vêtements, de la nourriture et une voiture. Ces jeunes ne voient pas clairement, ou même de façon embrouillée, le tracé de leurs propres succès personnels. Et c'est ce qui marque la différence entre les jeunes marginalisés et les autres.
J'espère que ce comité va continuer à préconiser que le Canada fasse œuvre éducative auprès des Canadiens et que le comité soit un chef de file pour garantir que les droits et les besoins des membres les plus vulnérables de notre société soient considérés comme une haute priorité. Merci.
Le sénateur Pearson : Merci beaucoup de votre exposé. Je suis impatiente de lire votre mémoire avec attention. Je pense que votre travail et le soin que vous y avez apporté jette un éclairage nouveau sur le problème à savoir que les jeunes qui ont des démêlés avec la justice ont besoin de protection. C'est une notion différente. Je pense qu'il est très important de le souligner car nous devons assumer des responsabilités à l'égard des jeunes qui sont différentes de celles que nous avons à l'égard des adultes.
Je m'intéresse à tout ce que vous avez dit mais en particulier au projet qui touche les mères adolescentes. Je pense que nous sommes mis au défi de fournir le meilleur appui et la meilleure aide possible et ce que vous avez dit à propos des familles nourricières est tout à fait pertinent. Il est important aussi de savoir que pour une certaine jeune fille, l'enfant donnait un sens à sa vie. Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a fait une étude sur les jeunes autochtones en milieu urbain. Nous avons constaté à peu près la même chose d'un bout à l'autre du pays. Par exemple, nous avons rencontré des jeunes de 16 et 17 ans à Winnipeg, qui avaient des enfants, et qui nous ont dit que ces enfants avaient transformé leur vie.
Mme Reid : C'est vrai.
Le sénateur Pearson : Ce que vous avez en vue, et que je voudrais que vous développiez davantage, est toute cette question du rôle du mentor, de l'importance des relations entre pairs. Pouvez-vous développer cette idée?
Mme Reid : Volontiers. Avant le début de la séance, nous avons discuté brièvement du niveau d'intervention. Il faut souligner l'importance du réseau d'entraide et de la formation nécessaire. Je suppose qu'on peut considérer cela comme une forme de recherche qualitative, faite sur le terrain alors qu'on n'a pas d'idée préconçue sur les découvertes éventuelles. Il est très difficile de ne pas être subjectif car, comme je vous l'ai dit, pour participer à une telle étude, j'exigeais qu'on prenne soin de ne pas donner l'impression que c'était toujours la même histoire, que la grossesse était une chose négative. L'appui reçu venait des jeunes elles-mêmes, et les adultes n'ont presque rien à faire dans ce processus. J'ai recueilli leurs témoignages. Ces jeunes pensaient qu'elles ne pouvaient pas écrire et le thème de cette retraite était « La maternité est votre muse ». En effet, le réseau proposait que les mamans relatent le témoignage de leur accouchement. Eh bien, on a découvert qu'elles ne pouvaient pas écrire car elles n'étaient pas instruites. Pendant toute leur vie scolaire, on leur avait adressé des critiques sur leur incapacité intellectuelle, et honnêtement, elles étaient convaincues qu'elles ne pouvaient pas écrire. Nous avons alors essayé la vidéo. Nous avons filmé en vidéo les réunions un peu comme si c'était une fête pyjama, les jeunes étant sur leur lit, dans les dortoirs, et je leur ai parlé de mon expérience en tant que mère de jumeaux ayant accouché par voie naturelle et elles ont parlé de leur expérience. Soudainement, il y a eu un déclic. Cela n'a rien à voir avec mon expérience des jeunes contrevenants, ou des jeunes tout court, ou parce que je connais bien le développement des adolescents. Ce qui a fait la différence, est le fait d'avoir partagé une expérience quotidienne. C'est ce qui fait la différence entre ce que l'on appelle un psychologue clinique expert et un aide adulte auprès des jeunes. Je ne dirai pas que je me mets au rang des défenseurs de la jeunesse mais je pense que je peux faire découvrir aux gens leur possibilité de partager leur vécu d'une façon qui peut-être n'a jamais été faite auparavant. Cela peut venir en aide à des professionnels de première ligne plus expérimentés, car ils peuvent se servir de ces éléments comme point de départ pour jouer un rôle de mentor, parce que ce n'est pas donné à tout le monde d'avoir la capacité de créer un déclic. Comment peut-on former quelqu'un afin qu'il devienne un bon mentor? On peut dresser une liste des qualités nécessaires — compassion, empathie, et cetera — mais parfois il faut un point de départ à la discussion, une expérience commune pour que tout se déclenche. Je pense que cette expérience vécue m'a permis de tirer le maximum de la rencontre car il ne s'agissait pas de recueillir des données pour le plaisir de la chose, mais de donner quelque chose en retour, sur le plan de la recherche appliquée.
J'ai constaté le même phénomène, je voudrais le signaler, dans le travail que j'ai effectué contre la violence à l'école. Nous travaillions en partenariat avec Toronto et suivions le révérend Dale Lang. Son fils, si vous vous en rappelez, avait été tué à Taber, en Alberta. Et il faisait une tournée des écoles dans le cadre d'une initiative de prévention du crime. Je réalisais quant à moi un projet sur la violence à l'école, en essayant de cerner la perception qu'en avaient les enfants. Nous accompagnions le révérend dans sa tournée. Après son exposé, les jeunes rentraient dans leur classe et remplissaient un questionnaire, ce qui est ennuyeux. Bien entendu, d'un point de vue quantitatif, c'étaient d'excellentes données. Mais il y a un fait que je trouvais plus important : que la cloche ne sonnait pas après l'assemblée. Les enfants avaient la chance de revenir dans leur classe, de réfléchir à leur propre expérience, et de savoir s'ils étaient véritablement concernés ou pas. Le questionnaire était pour moi un instrument de recherche, mais je n'y aurais sans doute pas eu recours si j'avais dû me présenter à l'école et dire, de but en blanc : « Aujourd'hui, vous n'aurez pas de mathématiques; vous allez remplir ce questionnaire. » Pour que je participe, il faut que j'aie le sentiment d'impliquer véritablement les jeunes, c'est ainsi. Dans ce cas, les jeunes que je croisais ensuite dans les couloirs disaient : « Vous savez, on n'a pas vraiment de problème de violence à l'école. C'est juste qu'on ne veut pas que les autres nous intimident ou nous harcèlent sexuellement ou fassent des commentaires désagréables sur la façon dont on s'habille. » Le point de départ est totalement différent de celui que l'on pourrait avoir dans le centre-ville de Toronto; il n'y a pas une solution unique à des problèmes différents.
Ainsi, la mise en place d'un mentorat peut-être excellente dans une situation, mais peut avoir des résultats totalement différents dans une autre. On ne peut pas se créer un dossier bien rangé sur une étagère qui définit sa façon de travailler avec un groupe de personnes donné. Mes remarques vous sont-elles utiles?
Le sénateur Pearson : Oui, elles sont utiles. À mon avis, le droit d'un enfant à être encadré ne se limite pas à l'encadrement parental. Un enfant a le droit d'avoir accès à des personnes plus âgées, à des gens qui comptent pour lui ou pour elle et à des mentors. Je crois qu'on sous-estime les possibilités qui existent dans ce domaine dans nos collectivités et je suis heureuse que vous mettiez l'accent sur ce point. Nous sommes heureux d'avoir ça dans les notes de séances. Merci.
Mme Reid : Si vous me le permettez, je voudrais ajouter une chose de plus en ce qui concerne les mentors. Nous avons aussi à St. Thomas un centre du troisième âge et un programme en gérontologie, ce qui m'a amené, avec une collègue à moi en gérontologie, à relever un défi. Nous avons décidé de mettre en contact de jeunes délinquants et des personnes âgées, parce que les programmes intergénérationnels impliquent souvent des grands-parents et des petits enfants tout mignons. C'est bien joli, mais que fait-on de ces vilains adolescents qui se teignent les cheveux? Après un projet pilote, nous avons fini par créer une nouvelle ressource. Mais l'incident le plus intéressant a eu lieu quand nous avons pris le thé à St. Thomas. Nous avons réuni les gens pour le repas du midi, parce que j'ai constaté que, quand ils mangent, les gens trouvent toujours un sujet de discussion. Nous n'avions pas de programme. Nous avons fourni des sandwichs, des boissons gazeuses et des croustilles et les gens se sont assis autour des tables. Pour voir ce qui se passerait, nous avions réuni un groupe de résidents d'un établissement de garde en milieu ouvert, quelques étudiants universitaires et d'autres jeunes. Au départ, l'atmosphère était très gênée, les gens ne savaient pas quoi se dire. L'un des jeunes était là contre son gré, parce qu'il venait d'être mis à la porte de l'école. Il était assis là, l'air vraiment blasé, le chapeau enfoncé sur les yeux et les pieds sur une chaise. Une des dames de l'église, que j'appelle ainsi parce que nous fréquentons la même église, s'est approchée, pleine d'entrain, et lui a demandé : « Est-ce que vous vous y connaissez, en teinture? Mes amies vont chez le coiffeur toutes les semaines pour se faire mettre des rouleaux dans les cheveux; une fois par mois elles se les font teindre; mais moi je ne peux vraiment pas me le permettre. » Et de continuer ainsi sur le même ton, comme si elle était en promenade avec des amies de son âge; vous imaginez cela. Le jeune la regarde comme une extraterrestre, mais finit par dire « Ouais » et par enlever son chapeau. Ses cheveux sont de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel et la vieille dame dit : « Oui, comme ça. » Et, vu qu'il ne réagit pas, elle poursuit : « Doux Jésus, vous avez des pointes et des couleurs; comment faites-vous cela? » Lui répond qu'il le fait lui-même. Elle dit alors le plus naturellement du monde qu'elle a regardé ces trousses de teinture dans les pharmacies. Quand j'ai été témoin de cette discussion, je me suis dit qu'elle pourrait se répéter un peu partout dans les collectivités rurales des provinces maritimes notamment si on y faisait participer, pas nécessairement de jeunes délinquants, mais des jeunes à risque qui ont juste besoin de quelqu'un avec qui parler. Là aussi, c'est du mentorat. Ce n'est pas un programme forcé. Nous avons donc demandé à certains jeunes et certaines personnes âgées quels problèmes ils envisageaient, avant de formuler des idées sur la façon de mettre le programme sur pied.
Le sénateur Oliver : J'estime qu'il n'est pas dans le meilleur intérêt des jeunes ou des enfants d'être incarcérés ou d'être privés de leur liberté. Il y a une partie de votre exposé intitulée « Le droit de l'enfant à ne pas subir de discrimination » où vous parlez des effets de la pauvreté et du crime. Une chose qui manque ce sont les données sur la distribution démographique. Par exemple, je sais qu'aux États-unis la plupart des adultes incarcérés sont des Noirs. Quand vous parlez du droit de l'enfant à ne pas subir de discrimination et la corrélation entre la pauvreté et le crime et l'incarcération des jeunes au Canada, il me faut savoir quelle est la répartition démographique et ethnique chez ces jeunes.
Mme Reid : Je ne peux pas vous citer des statistiques, sénateur, mais je vais certainement vous en obtenir. Je peux vous dire que la probabilité d'incarcération chez les Autochtones est quatre fois supérieure à celle de la population en général, notamment dans l'Ouest du Canada. Avant la décision de réduire les taux d'incarcération, les jeunes filles avaient presque autant de chances que les garçons d'être incarcérées pour infractions avec violence.
Le sénateur Oliver : Chez les Autochtones?
Mme Reid : Non, les jeunes filles en général. Chez les Autochtones les probabilités seraient trois ou quatre fois supérieures à celles de la population en général. Pour ce qui est de l'âge, normalement le phénomène atteint son intensité maximale vers l'âge de 17 ans et il y a une polémique en cours sur l'opportunité d'abaisser ou d'augmenter l'âge mais à mon avis c'est à peu près juste. J'ai déjà présenté l'argument en faveur d'élever l'âge à 21 ans, prolongeant ainsi la période d'adolescence jusqu'au début de l'âge adulte afin de maintenir les protections accordées par le système judiciaire pour les jeunes car nous savons que plus longtemps nous pouvons maintenir les jeunes en dehors du système pour adultes, plus nous avons de chances de faciliter leur réinsertion.
Ce que je faisais dans cette partie de mon article, c'était de signaler la disposition dans notre loi provinciale concernant la non-discrimination par rapport à la condition sociale. Je fais remarquer que pour beaucoup de jeunes en détention, il y a de fortes chances qu'ils se retrouvent en prison parce qu'ils n'ont nulle part où aller. Si on compare deux jeunes qui ont commis des infractions comparables, l'un étant d'un milieu pauvre et l'autre pas, quelle est la probabilité que la personne ayant de l'argent se retrouve en prison? C'est très peu probable. Je pense que nous faisons de la discrimination fondée sur la condition sociale quand il n'y a pas les deux parents à la maison ayant les ressources nécessaires pour surveiller le jeune avant le procès et il faut comprendre ici qu'il s'agit d'enfants qui n'ont même pas été trouvés coupables d'infractions. Je maintiens que la discrimination en fonction de la condition sociale constitue un autre facteur de vulnérabilité chez nos jeunes.
Le sénateur Oliver : J'aimerais examiner la répartition démographique. Prenons le cas de Toronto. Vous avez parlé de la Saskatchewan. Prenons le quartier Jane and Finch à Toronto. D'après vous, quelle serait la répartition démographique et quelle serait la relation entre la criminalité et la pauvreté? À mon avis, la question de la couleur est un facteur important que vous devez examiner dans vos recherches, surtout quand vous étudiez les genres de discrimination qui peuvent avoir une incidence sur les droits des jeunes.
Mme Reid : C'est exact.
Le sénateur Oliver : D'après mes recherches, j'estime que si l'on fait partie d'une minorité visible, si on est noir, on a plus de risques de se voir priver de ses droits que si on est blanc. Quand on parle de la condition sociale, la couleur constitue un élément important dont il faut tenir compte. Je voudrais voir davantage de recherches en sciences sociales sur cette question, parce que cela constitue une entrave pour le Canada.
Mme Reid : Je suis tout à fait d'accord. Nous ne voudrions pas suivre l'exemple des États-unis Chez les gens de couleur dans le Sud des États-Unis, un jeune sur trois risque de se retrouver en prison, s'il ne s'y trouve pas déjà, et cela ne comprend pas seulement les Noirs mais aussi les latinos. C'est une statistique alarmante car la couleur de la peau signifie que l'on court un plus grand risque de se retrouver en prison indépendamment de son comportement.
Le sénateur Oliver : Avez-vous des statistiques ou des chiffres concernant le quartier Jane-Finch à Toronto?
Mme Reid : Non, je sais seulement que mon ancienne belle-mère a été élevée dans ce quartier et que c'est effrayant d'y habiter. Les gens qui vivent là ont peur parce que le taux de criminalité est tellement élevé. Elle était âgée et elle a dû déménager de l'immeuble où elle habitait. Tous ses enfants y ont grandi. Elle ne s'y sentait plus à l'aise. Même si ma belle-sœur travaille au centre communautaire Jane Finch et connaît beaucoup de gens du quartier, elle avait le sentiment qu'elle ne pouvait pas protéger sa mère, qui habite maintenant en Nouvelle-Écosse. C'est effrayant de devoir quitter l'endroit où on a grandi et vécu toute sa vie à cause de la criminalité omniprésente.
Le sénateur Poy : Je voudrais revenir à la question du mentorat soulevée par madame le sénateur Pearson. Généralement quand on parle de mentorat, il s'agit d'adultes qui s'occupent des jeunes. Je me demande si les cours que vous donnez à St. Thomas sur les jeunes à risque ont du succès et si cela intéresse les étudiants universitaires de participer à des programmes de mentorat pour les jeunes à risque?
Mme Reid : C'est une excellente question et je peux vous donner l'exemple de mon collègue, Bob Eckstein, assis au fond de la salle qui travaille pour le ministère de la Sécurité publique ici et qui enseigne également à un groupe de jeunes contrevenants, cours qui a énormément de succès même s'il n'est pas obligatoire pour une spécialisation en criminologie. Nous avons quelques projets en cours dont je parlais au sénateur Pearson, étant donné le succès de cette approche et notre désir de travailler en collaboration avec l'Atlantic Centre for Human Rights afin de mettre au point une spécialisation en études de l'enfant, de la famille et de la jeunesse. J'aimerais que cela comporte un élément de stage pratique, même si ce n'est pas dans le cadre d'un programme professionnel, où les jeunes doivent participer à un certain nombre d'heures à un programme de mentorat. Idéalement je voudrais avoir des locaux au Fredericton Mall, directement en face d'une école secondaire, où nos étudiants en éducation, travail social, et ceux qui veulent travailler auprès des enfants et des jeunes pourraient agir comme conseillers. On y trouverait aussi les agents de probation, des policiers, des conseillers en matière de drogue pendant l'heure du repas et il y aurait aussi ces étudiants qui feraient du mentorat pour les jeunes collégiens.
Le sénateur Poy : Mais ce serait une initiative prise par la direction du programme. Est-ce que les jeunes qui ont suivi vos cours ont eux-mêmes exprimé un intérêt à ce sujet?
Mme Reid : Oui, certainement. L'initiative vient d'eux. Beaucoup d'entre eux cherchent des possibilités de faire du bénévolat et le marché de Fredericton est très certainement saturé. Beaucoup de nos étudiants travaillent pour Chimo et les abris pour itinérants mais il n'y a pas assez de services. Il ne s'agirait pas de créer une nouvelle ressource afin d'obtenir davantage d'argent. C'est une ressource qu'il nous faut et que les autres agences ne sont pas en mesure de fournir. De nombreux étudiants travaillent avec le service social les Grands Frères et les Grandes sœurs; ils font du bénévolat dans les programmes offerts après l'école, alors il existe certainement un intérêt.
Le président : Dans votre document vous parlez du recours au système judiciaire quand en fait, si je vous comprends bien, les véritables questions concernent la santé mentale et l'aide à l'enfance.
Mme Reid : C'est exact. C'est le point de vue que je défends.
Le président : Alors, au Canada nous n'offrons toujours pas les ressources nécessaires lorsque les enfants sont encore jeunes, ou assez tôt, et de cette façon le système de justice semble être la façon de les attraper.
Mme Reid : Ce sont des jeunes qui passent à travers les mailles du filet.
Le président : Et ça continue à se passer. Je viens de lire votre document, et c'est ce qui m'amène à la conclusion que même si nous avons remplacé la Loi sur les jeunes contrevenants par la Loi sur le système de justice pour les jeunes, qui offre un certain nombre de bons outils, la dynamique elle-même n'a pas changé. Nous continuons à avoir recours aux tribunaux parce que c'est...
Mme Reid : Je ne veux pas m'en prendre à la nouvelle loi qui comporte de nombreuses dispositions que j'approuve entièrement, surtout les éléments qui ont trait à la justice réparatrice, et cetera. Je vais donc reformuler mon observation. Même si on n'est pas d'accord avec le principe selon lequel il faut commettre une infraction pour obtenir un traitement pour toxicomanie, quand il s'agit de modifier une loi qui prévoit ce genre de services, il faut en même temps veiller à ce que le traitement soit offert. L'exemple dont vous parlez illustre le fait que nous ne pouvons pas avoir recours aux tribunaux pour jeunes contrevenants afin d'obtenir des services sociaux mais où se trouve le financement nécessaire pour continuer à offrir les services sociaux nécessaires? On ne le prévoit pas. Nous venons de dire qu'il n'est plus possible de faire comme nous faisions en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants, c'est-à-dire de prendre les enfants qui commettaient certaines infractions et les mettre en détention avec des enfants violents et agressifs en disant qu'ils ont tous besoin de protection. Par contre, à mon avis la nouvelle loi ne va pas aussi loin que de dire que nous devons punir tous ces enfants. Il est difficile de parvenir à un bon équilibre entre la justice réparatrice et la médiation qui permet une participation communautaire. Mais l'argent nécessaire n'est pas là pour financer ce soutien communautaire ni les services spécialisés pour la santé mentale, ni les services de psychologie de l'enfance avec possibilité de garder ces enfants en centre de traitement, selon les besoins.
La présidente : Il faut aussi faire remarquer que le Canada a fait mettre une réserve à la Convention relative aux droits de l'enfant afin de pouvoir détenir les jeunes contrevenants avec les adultes, en prétendant qu'il y avait pénurie de ressources et que ce n'était pas le moment ni une priorité de construire les installations nécessaires. L'argument le plus souvent utilisé pour défendre cette pratique concerne la situation dans le Grand Nord où on invoque la séparation des jeunes de leurs familles, les grandes distances et la population peu nombreuse. Avez-vous fait des études pour déterminer si ce sont effectivement ces circonstances-là qui justifient notre recours à la réserve ou bien cette pratique se fait-elle à la grandeur du pays?
Mme Reid : Je suis au courant de cette situation d'après mes conversations, c'est loin d'être un échantillonnage. Mais on a eu recours à cette pratique malheureusement afin de combler toutes les places disponibles, même dans des endroits comme le Toronto East Detention Centre. Je sais qu'il y a eu des changements extraordinaires en Ontario mais ce n'est pas une raison pour garder des enfants dans des centres de détention pour adultes à Toronto.
La présidente : Cela se passe-t-il au Nouveau-Brunswick?
Mme Reid : Comme je l'ai dit tout à l'heure, oui. Nous nous targuons d'avoir réduit notre taux d'incarcération des jeunes contrevenants à environ 35. À l'heure actuelle, les enfants sont incarcérés dans un centre. Nous avons un établissement pour l'internement sécuritaire. Malheureusement, l'entente Canada-Nouveau-Brunswick sur les adultes qui purgent une peine de plus d'un an n'offre plus d'options viables puisque les pénitenciers sont pleins, alors il n'y a donc pas de place pour les personnes qui purgent une peine de plus d'un an. Un groupe d'adultes a donc été amené au Centre de détention pour les jeunes du Nouveau-Brunswick pour y être internés. Ce centre pour les jeunes est une installation moderne, style pavillon, mais lorsque les adultes utilisent la cour, les jeunes qui se trouvent dans cet établissement peuvent les voir et les entendre et cela me paraît inacceptable. D'après mes conversations avec le ministère de la Sécurité publique, il s'agissait simplement d'un pis aller, une solution temporaire, et les adultes doivent bientôt partir. Encore une fois, si cette réserve n'existait pas, nous n'aurions pas pu prendre cette mesure, ce ne serait pas autorisé.
La présidente : À ce sujet, est-ce que les autorités avec qui vous avez été en rapport sont au courant de la Convention relative aux droits de l'enfant et de la réserve, ou bien prennent-ils des mesures sans être au courant de la situation? Agit-on par opportunisme ou bien ces décisions sont-elles prises sans qu'on sache qu'elles contreviennent à la convention?
Mme Reid : Enfin, je crois que les deux raisons que vous avez données sont toutes les deux exactes. Du point de vue moral, j'aimerais pouvoir dire qu'ils ignorent la Convention. Mais est-ce que c'est assez dire?
Le sénateur Pearson : J'ai une petite question. Ce matin, l'ombudsman a pris la parole au sujet de jeunes de 16 et de 17 ans qui sont techniquement pris en charge.
Il était profondément préoccupé par cette question et a estimé que le Nouveau-Brunswick, ainsi que quelques autres provinces...
Mme Reid : Six autres provinces.
Le sénateur Pearson : L'une des recommandations que nous devrions peut-être envisager de faire dans notre rapport est d'avoir une façon plus uniforme de protéger les jeunes au moins jusqu'à l'âge de 18 ans. Pourriez-vous nous donner plus de renseignements sur ce qui s'est passé au Nouveau-Brunswick par rapport à cette tranche d'âge-là? Je me souviens de l'étude de Matthew Geigen-Miller, que je recommande au comité. Nous en parlerons tout à l'heure.
Mme Reid : Moi, je travaille à titre de présidente du conseil d'administration d'un foyer pour jeunes femmes de 16 et 17 ans à Fredericton qui a été spécifiquement conçu à l'intention de cette tranche d'âge et qui ne reçoit aucun financement de la province. Il s'appelle Youth in Transition : Chrysalis House, et a été conçu par des personnes bienveillantes qui ont constaté que ces jeunes filles n'avaient nulle part où aller et sont tombées entre les mailles du filet, car elles n'avaient pas besoin de protection mais n'étaient pas non plus suffisamment âgées pour toucher des prestations de bien-être social. Certaines d'entres elles recevaient de petits montants d'aide financière aux étudiants, mais qui n'étaient pas suffisants pour leur permettre de vivre indépendamment. C'est très choquant — et vous allez trouver cela particulièrement pertinent à votre travail dans d'autres domaines — la plupart de ces jeunes filles étaient victimes de violence sexuelle. Une fois qu'elles ont commencé à vivre leur propre sexualité, elles ont révélé avoir été victimes de violence sexuelle, et par conséquent, ne pouvaient plus vivre chez elles.
Le sénateur Oliver : Elles étaient victimes de violence sexuelle chez elles?
Mme Reid : Oui, par un membre de la famille. Elles devaient donc quitter le foyer familial, mais où devaient-elles aller? Si elles avaient eu 15 ans lorsqu'elles ont révélé avoir été victimes de violence sexuelle, le bureau de protection de l'enfance serait, bien entendu, intervenu et aurait pris en charge ces enfants ayant besoin de protection jusqu'à l'âge de 21 ans. Or, ces jeunes filles ont 16 ans, et le bureau ne peut rien faire pour elles. Dans certains cas, entre l'âge de 15 et 16 ans, il n'y a qu'une seule journée. À titre de groupe national préoccupé par les enfants et les statistiques inquiétantes au sujet du nombre d'élèves d'écoles intermédiaires qui ont des relations sexuelles, nous tenons à encourager les jeunes à adopter de bonnes attitudes à l'égard de la sexualité et d'être suffisamment renseignés là-dessus. Alors que ces jeunes commencent à explorer leur propre sexualité et se rendent compte parfois qu'elles ont fait l'objet d'un contact sexuel inapproprié, nous devons leur donner notre appui. Peu importe si elles ont 13 ou 17 ans. Il s'agit tout de même de jeunes de moins de 18 ans. Nous n'avons pu offrir nos services qu'à cinq jeunes filles par an, quoique les interventions auprès d'elles ont donné d'eccellents résultats. Par contre, le foyer a dû fermer ses portes trois fois faute d'argent nécessaire pour fournir un foyer convenable. Nous sommes propriétaires des locaux. Le projet a été conçu par les résidents de ma localité. Même si on a réussi à rembourser l'hypothèque, l'argent receuilli auprès d'organismes bénévoles, grâce à des activités de financement et des ventes de pâtisseries, n'est pas suffisant pour faire fonctionner un tel foyer. Mais je suis sûre que l'argent serait au rendez-vous s'il s'agissait d'enfants qui avaient besoin de protection. J'accorde une grande importance aux questions qui touchent les jeunes de 16 et 17 ans, surtout en ce qui a trait à l'itinérance. Où vont-ils habiter, ces enfants? Ils vivent dans la rue. Certains couchen sous les ponts ici à Fredericton. Un de nos collègues du centre effectue de la recherche permanente sur le phénomène du sans-abrisme chez les jeunes. Grâce à cette recherche, notre collègue a pu témoigner des effets néfastes de vivre dans la rue, dont le syndrome de stress post-traumatique et le trauma, en général. Cela est-il utile?
Le sénateur Pearson : Eh bien, cela me rend encore plus inquiète car je crois que nous allons constater, alors que nous sillonnons le Canada, qu'il existe un écart dans certaines provinces entre les services disponibles pour les jeunes de plus de 18 ans et ceux offerts aux enfants entre 16 et 18 ans. Et je trouve cela inadmissible.
La présidente : Dans le même ordre d'idées, lorsque la Loi sur les jeunes contrevenants a remplacé la Loi sur les jeunes délinquants, certaines provinces ont établi l'âge auquel on peut être accusé d'un acte criminel à 18 ans, d'autres à 16 ans. Vous souvenez-vous de ce qui s'est passé au Nouveau-Brunswick?
Mme Reid : C'est 16 ans.
La présidente : Seize ans; et c'est passé à 18 ans en vertu du droit pénal. Or, la Loi sur le bien-être de l'enfance ne s'applique qu'aux enfants de moins de 16 ans.
Mme Reid : Seize ans.
La présidente : D'accord.
Mme Reid : Il est également intéressant de noter qu'au Nouveau-Brunswick on a voulu, par le biais de la Loi sur l'éducation, faire passer l'âge de scolarité obligatoire de 16 ans à 18 ans. En théorie, des enfants de 16 ou de 17 ans pourraient se retrouver sans abri mais tout de même être obligés de fréquenter l'école.
Le sénateur Pearson : C'est un exemple très clair.
La présidente : Je vous remercie de votre rapport, de votre présence ici aujourd'hui, et du travail que vous faites. Nous avons mis l'accent sur l'application de textes internationaux, notamment la Convention relative aux droits de l'enfant, alors j'espère que vous examinerez notre rapport sous cet angle-là. Je vous remercie infiniment d'être venus aujourd'hui.
Mme Reid : Merci beaucoup de m'avoir invitée.
La séance est levée.