Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 3 - Témoignages du 25 novembre 2004
OTTAWA, le jeudi 25 novembre 2004
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi S-11, Loi modifiant le Code criminel (loteries), se réunit aujourd'hui à 10 h 52 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour. Nous étudions le projet de loi S-11, dont le texte modifie une disposition du Code criminel relative aux loteries.
[Français]
Nous accueillons ce matin l'honorable sénateur Jean Lapointe, parrain du projet de loi. Sans plus tarder, sénateur, nous vous cédons la parole.
Le sénateur Lapointe : J'ai prononcé déjà quelques discours à la Chambre du Sénat sur ce projet de loi. Lors de la dernière session, j'ai témoigné devant ce comité, devant un légiste du ministère de la Justice et devant deux professeurs/ chercheurs de l'Université McGill. Si vous le désirez, je serai heureux de vous faire parvenir copie des transcriptions de ces témoignages.
Je vous épargnerai donc des détails des études et rapports qui ont fait l'objet de ces discours. Je ne vous en donnerai que les grandes lignes.
Après mûre réflexion, à la suite de multiples rencontres et après avoir étudié le dossier pendant un peu plus de deux ans avec mes collaborateurs et collaboratrices, nous en sommes arrivés à la conclusion que les appareils de loterie vidéo qui se trouvent dans les bars et restaurants de huit provinces au pays représentent une calamité grave et devraient être retirés de ces établissements pour être relocalisés dans les casinos, les hippodromes et les établissements affiliées tels les hypoclubs, tous gérés par les gouvernements provinciaux.
Honorables sénateurs, vous aurez remarqué que le terme « lieu consacré aux activités de jeu » dans l'amendement proposé au Code criminel, par le projet de loi S-11, peut porter à confusion. Lorsque cet amendement fait référence au « jeu », il s'agit strictement des loteries vidéo, VLTs en anglais, ou communément appelé au Québec les vidéopokers. Cet amendement ne touche pas la loterie 6/49 ou les loteries instantanées que l'on gratte. Les casinos existaient bien avant mon arrivée au Sénat. Je sais, pour l'avoir vécu, le drame que causent les VLTs ou les loteries vidéo.
Je souhaite ardemment que dans le cadre de ses travaux le comité réussisse à se concentrer sur l'idée fondamentale de cet amendement plutôt que sur le verbiage qui parfois met de côté les principaux objectifs. Je demeure ouvert à toute suggestion qui pourrait accélérer le processus législatif et faire en sorte que ce projet de loi soit adopté le plus peut rapidement possible. Ce faisant, des souffrances seront alors atténuées et des vies humaines seront sauvées.
Nous nous devons d'amender le Code criminel canadien en ce sens pour freiner ce fléau qui, trop souvent, cause d'innombrables problèmes à nos concitoyens et concitoyennes.
Les maisons qui viennent en aide aux joueurs compulsifs, les lignes d'entraide, les experts universitaires ainsi que les instituts de santé publique s'entendent pour dire que la loterie vidéo est la forme de jeu qui crée le taux le plus élevé de dépendance et ce dans une proposition monstre.
Le Dr. Robert Lamoureux, un psychologue de l'Université Laval et l'un des chercheurs les plus versés dans le domaine des jeux compulsifs, déclara dans le cadre de ses exposés que 95 p. 100 des gens qu'il traite pour des problèmes reliés au jeu pathologique indiquent les loteries vidéo comme jeu auquel ils s'adonnent.
[Traduction]
Dans une allocution prononcée devant le Comité consultatif de l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies, le Dr David Hodgins de l'Université de Calgary a dit que l'Alberta comptait 3 p. 100 de joueurs à problème et 2 p. 100 de joueurs pathologiques. Il a ajouté que 86 p. 100 des personnes qui subissaient un traitement en Alberta jouaient aux appareils de loterie vidéo.
[Français]
Depuis ces études, les chiffres ont augmenté. La Maison Claude-Bilodeau, ouverte à l'automne 1999 dans le but de venir en aide aux joueurs compulsifs, mentionnait que depuis son ouverture 94 p. 100 des demandes d'aide étaient liées à l'utilisation des appareils de loterie vidéo.
[Traduction]
Selon le rapport sur le jeu rédigé par Harold Wynne du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, 78 p. 100 des joueurs à problème utilisent les appareils de loterie vidéo.
[Français]
L'un des principaux problèmes est l'accessibilité — c'est en fait le problème majeur. Que ce soit dans nos grandes villes ou dans les villages à travers le pays, il est difficile de trouver une seule rue ou avenue d'importance où on ne retrouve pas ce genre d'appareil destructeur.
Un autre problème est celui de la visibilité. En fait, c'est là que se situe tout le problème. Les jeunes vont dans les bars pour s'amuser entre amis et se voient attirés par les loteries vidéo. On peut s'attendre à ce que la génération Nintendo soit la prochaine cible de personnes qui, inévitablement, succomberont à l'attrait de ces appareils. Malheureusement, je ne peux qu'être pessimiste en pensant à l'impact que la loterie vidéo aura sur ces jeunes.
À moins de 300 mètres des collèges, des écoles et des cégeps, à travers le pays, on peut déjà voir les cerises et entendre les cloches de ces machines qui attirent nos jeunes vers elles. De plus, ces habitudes de jeux engendrent occasionnellement des problèmes de consommation d'alcool chez nos jeunes. Il est aberrant que l'on retrouve ces machines près des écoles.
Dans son rapport du mois d'août 2000, la Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec mentionnait qu'en 1996, dans la région de Québec, 7,4 p. 100 des jeunes de moins de 18 ans présentent des problèmes reliés au jeu. Il est prouvé que les bars ne respectent pas l'âge minimum de 18 ans. Une proportion de 34 p. 100 des jeunes ayant participé à cette étude ont répondu avoir déjà joué sur des appareils de loterie vidéo alors qu'ils étaient mineurs.
[Traduction]
Dans son exposé de position sur la politique du Manitoba à l'égard du jeu, l'Association des travailleurs sociaux du Manitoba affirme que, parmi les cinq groupes d'âge, ce sont les plus jeunes, soit la catégorie des 18 à 24 ans, qui comptent le pourcentage le plus élevé, soit 66 p. 100, de gens qui ont joué aux appareils de loterie vidéo au cours de la dernière année. L'étude menée par l'association indique que les jeunes sont très susceptibles de succomber aux appareils de jeu tels les appareils de loterie vidéo.
[Français]
La pathologie du jeu compulsif a d'importantes répercussions sociales et financières sur les individus, la famille et la société en général. Que de détresse, de foyers démantelés, de suicides, de crimes commis par la dépendance aux machines de loterie vidéo.
Je pose la question suivante, honorables sénateurs : pourquoi retrouvons-nous la grande majorité de ces appareils destructeurs dans nos quartiers les plus défavorisés?
Lors de l'émission Le Point, diffusée sur les ondes de Radio-Canada, le ministre Séguin avait été ébranlé et secoué par mon intervention sur les loteries vidéo — cette réaction fut d'ailleurs citée dans un article du quotidien Le Droit. Il fut particulièrement étonné, à la lumière de mes propos télévisés, à l'effet que je n'aie pu trouver dans le quartier de Westmount aucune machine à loterie vidéo, malgré mes recherches. Je me suis rendu dans les quartiers de Saint-Henri, de Montréal-Ouest et même jusqu'au Nouveau-Brunswick avec le même résultat.
Le Nouveau-Brunswick a tenu un référendum à ce sujet il y a quelques années. J'ai interviewé 68 personnes qui toutes m'ont affirmé que si un référendum se tenait à nouveau à ce sujet, il serait défait sans équivoque.
Les deux spécialistes de l'Université McGill, Rina Gupta et Jeffrey Derevensky, ont démontré qu'il y a beaucoup plus de loteries vidéo dans le centre-est et l'est de Montréal, c'est-à-dire les quartiers les plus défavorisés. Selon leur étude, il apparaît clairement que plus un quartier est pauvre, plus est grand le nombre d'appareils disponibles.
Ce problème représente un lourd fardeau pour le système de soins de santé, mobilise les tribunaux et se révèle très coûteux pour les contribuables. Je prends la liberté de vous citer quelques-uns des problèmes les plus fréquents reliés au jeu compulsif, qui lui est crée en grande partie par les loteries vidéo. Les sources des chiffres que j'avancerai me proviennent de plusieurs organismes et agences telles que Statistique Canada, le Centre québécois d'excellence pour la prévention et le traitement du jeu, Léger Marketing, l'INRS, Santé Canada, Loto-Québec, ainsi que la Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec.
Au niveau personnel, souvent le jeu provoque chez l'individu un endettement qui peut conduire jusqu'à la faillite. La santé de l'individu est donc mise en cause, ce qui engendre le stress, la dépression et parfois le suicide.
Honorables sénateurs, 90 p. 100 des joueurs compulsifs utilisent tout leur chèque de paie et toutes les économies familiales pour s'adonner au jeu, et 83 p. 100 d'entre eux ont déjà emprunté de l'argent à leur famille, à leurs amis ou à une banque pour jouer.
Selon M. Sol Boxenbaum, chef de la direction et des opérations chez Viva Consulting Family Life Inc., une maison qui traite plusieurs aspects reliés au jeu, le jeu pathologique détient le taux de suicide le plus élevé de toutes les dépendances.
Depuis que le coroner du Québec a débuté la compilation des données, 109 suicides ont été directement reliés au jeu dont, au moins, 49 au cours des trois dernières années. Ces données ont été confirmées à l'appui de notes suicidaires laissées aux familles de ces victimes. On comptabilise seulement ceux et celles qui laissent des notes avant de se suicider.
Ce sont des chiffres fournis par le coroner, mais avez-vous une idée des gens qui se suicident et qui ne laissent pas de notes? Il y a un homme qui s'est jeté en bas du pont Jacques-Cartier et il n'a pas laissé de note. Il revenait de jouer et il s'est suicidé. Mais il n'a pas laissé de notes. C'est un avis personnel, mais je pense véridique : la plupart des gens qui se suicident à cause du jeu ne prennent pas le temps de laisser de note.
Au niveau de la famille, les effets pervers peuvent entraîner un manque de source financière destinée aux besoins primaires des enfants. Et cela me touche profondément. Vous savez, quand arrive le lundi et que le père a flambé la paie au complet dans les vidéopokers, c'est triste de voir des enfants aller à l'école sans avoir mangé. Cela me touche profondément. C'est donc que nous pouvons conclure que la famille au complet souffre des effets pervers du jeu.
[Traduction]
Dans sa résolution de 1999 relative aux appareils de loterie vidéo, l'Association canadienne de santé publique affirme que les conjoints de joueurs à problèmes signalent plus de tentatives de suicide, de dépressions nerveuses, de cas d'alcoolisme et de toxicomanie qu'on en retrouve normalement dans la population en général. En outre, toujours selon ces résolutions, les enfants de joueurs à problèmes éprouvent des difficultés de comportement et d'adaptation liées à leurs études, à l'alcoolisme et à la toxicomanie ainsi qu'à des fugues et à des arrestations.
[Français]
Honorables sénateurs, 5 p. 100 des joueurs compulsifs adolescents voudraient arrêter de jouer et s'en disent incapables; 3,6 p. 100 d'entre eux sont déjà des joueurs compulsifs.
Au niveau du travail, les répercussions du jeu compulsif se font aussi sentir par la perte de productivité et l'absentéisme au travail; 66 p. 100 des joueurs compulsifs s'absentent de leur travail pour jouer et 37 p. 100 de ces joueurs compulsifs ont déjà voler plus de 5 000 $ à leurs employeurs.
Au niveau du crime, le joueur compulsif en détresse peut aller jusqu'à flirter avec le crime. Il est rapporté que ceux-ci ont recours au vol, à la fraude, et beaucoup d'entres eux aux prêteurs sur gage pour financer leurs habitudes de jeu. Honorables sénateurs, 50 p. 100 des joueurs compulsifs ont déjà commis un crime pour pouvoir jouer.
En adoptant le projet de loi S-11, le gouvernement du Canada viendra en aide aux provinces qui font un déficit avec leurs loteries vidéo, et non un profit contrairement à ce que certains représentants des gouvernements provinciaux prétendent.
Honorables sénateurs, le coût social des loteries vidéo est beaucoup plus élevé que les recettes amenées par celles-ci et les gouvernements provinciaux doivent s'ouvrir les yeux et le réaliser.
À la suite d'études réalisées par des experts de partout au Canada et dans le monde, comme celle du Dr Neil Tudiver du Manitoba par exemple, il est prouvé que le coût social des loteries vidéo — on ne parle pas des autres, mais strictement des loteries vidéo — est de trois à cinq fois plus élevé que les revenus qu'elles engendrent.
D'autre part, pour celles et ceux qui croient que d'enrayer les loteries vidéo des bars, des tavernes et des restaurants laisseraient le chemin libre à plusieurs organisations illégales, laissez-moi vous dire que la légalisation des loteries vidéo n'a éliminé en rien les abus causés par les prêts usuraires, et ce, surtout au grand détriment des joueurs compulsifs.
Le jeu est devenu au sein de notre société un phénomène omniprésent. Le problème du jeu pathologique est en hausse au pays, et ce, dans une proportion effarante. D'un océan à l'autre, les populations de nos provinces font face à un fléau d'une importance telle que le gouvernement fédéral se doit de prendre ses responsabilités, et cela est très important. Cela relève du gouvernement fédéral de prendre ses responsabilités et de mettre un frein au drame que subissent trop de familles canadiennes.
Il serait absurde d'attendre que les provinces bougent dans ce dossier puisque celles-ci font des fortunes avec ces machines infernales. De plus, ce sont ces mêmes gouvernements qui édictent leur propre code de conduite face aux divers problèmes engendrés par le jeu.
Honorables sénateurs, le moment est venu d'agir. Je crois sincèrement que si nous nous attaquons à l'accessibilité, à la visibilité des loteries vidéo, cela pourrait avoir un effet très positif sur notre société. C'est pourquoi je vous demande, honorables sénateurs, d'appuyer le projet de loi S-11 de façon expéditive afin de sauver le plus grand nombre de vies humaines et d'enrayer cette très grande détresse, non seulement subie par les joueurs compulsifs, mais pour tous ceux et celles qui les entourent.
La présidente : Sénateur Lapointe, je veux vous féliciter pour les efforts que vous menez, et pas uniquement par le biais de ce projet de loi, mais aussi par votre discours de sensibilisation pour lutter efficacement contre les loteries vidéo et le jeu pathologique qui, souvent, peut en découler.
Les problèmes sociaux humains qu'entraînent ce que vous appelez ces « maudites machines » sont criants et méritent, évidemment, que nous dégagions des pistes de solution pour y faire face. D'entrée de jeu, je voudrais que vous fassiez un lien de cause à effet. J'aimerais y revenir afin que vous puissiez nous démontrer clairement quelle est la probabilité que l'utilisateur de jeu de loterie vidéo développe un problème de jeu pathologique, c'est-à-dire qu'il devienne dépendant psychologiquement envers le jeu. Pouvez-vous nous donner le pourcentage précis des joueurs de loterie vidéo susceptibles de devenir des joueurs compulsifs?
M. Pascal Charron, conseiller en politiques, bureau de l'honorable Jean Lapointe : Dans les discours, on mentionnait les maisons de jeu qui viennent en aide aux joueurs compulsifs, ainsi que le nombre de 89 p. 100 à 94 p. 100 des jeunes qui s'adonnent à la loterie vidéo deviennent des joueurs compulsifs. Si on compare la loterie vidéo à la drogue, c'est le crack du jeu. On en joue une fois et on devient accro quasiment immédiatement.
Le sénateur Lapointe : C'est un phénomène incompréhensible, c'est dramatique. Je pourrais vous citer des milliers d'exemples. Depuis deux ans, j'ai reçu des lettres, des courriels, des téléphones. Entre autres, une dame qui habite tout près d'Ottawa dont le fils s'est suicidé à 17 ans parce qu'il devait 2 500 $ aux prêteurs sur gage. Il lui était impossible de les rembourser.
La présidente : Avec les vidéopokers?
Le sénateur Lapointe : Strictement avec les vidéopokers. Je ne vise que ces machines infernales que sont les vidéopokers.
La présidente : Je ne vais pas vous surprendre, en tant qu'ancien membre du gouvernement Bourassa du Québec, en démontrant un intérêt pour ce que le Québec entreprend dans le dossier des loteries vidéo.
Vendredi dernier, le ministre des Finances du Québec — et vous avez dû suivre cela de près — a annoncé que le gouvernement avait approuvé le Plan de développement 2004-2007 de Loto-Québec. Ce plan prévoit une réduction notable du nombre de sites ou d'appareils de loterie vidéo sur le territoire du Québec.
On prévoit réduire le parc d'au moins 730 appareils et de diminuer de 31 p. 100 le nombre de sites abritant ces appareils sur une période de trois ans. On veut réduire l'accessibilité, la visibilité des appareils. Le ministre ambitionne de lutter plus efficacement contre le jeu pathologique en regroupant les appareils et en implantant des sites contrôlés. C'était mentionné dans leur dossier. Un groupe de travail a été mis sur pied pour faire des propositions afin d'agir contre le jeu pathologique. Un comité a été créé pour établir des règles d'éthique sur l'utilisation des appareils de loterie vidéo.
Ma question a deux volets. Vous avez sûrement dû prendre connaissance du plan mis de l'avant par Loto-Québec qui semble assez étoffé quant à son incidence sur le problème de la présence des appareils de loterie vidéo sur le territoire. Pouvez-vous nous donner vos impressions à ce sujet? Et, croyez-vous que le moyen que vous déployez pour contrer le phénomène, soit l'amendement au Code criminel qui offre une solution pancanadienne mur à mur au problème, est respectueux des compétences imparties à chaque niveau de gouvernement dans notre fédération?
Je vais être encore plus précise. À la lumière des ententes administratives sur les loteries entre les provinces et le gouvernement fédéral, êtes-vous d'avis — je fais ici appel à votre sensibilité politique — que les provinces recevraient favorablement vos amendements au Code criminel?
Le sénateur Lapointe : En réponse à votre première question, non, je ne suis pas d'accord du tout. J'ai parlé à deux reprises au ministre Séguin et je sens qu'il est de bonne foi. Il voudrait toutes les voir partir, mais je le crois pris entre l'arbre et l'écorce, c'est-à-dire qu'il y a son gouvernement qui, d'une part, reçoit beaucoup d'argent, immédiatement et, deuxièmement, il y a une pression très forte de Loto-Québec qui n'est pas facile. Loto-Québec a beaucoup de puissance. Ils veulent enlever les vidéopokers dans les petits bars où il y a deux ou trois machines cachées derrière. Les calculs prouvent que deux machines de loterie vidéo génèrent des fonds de dix à 15 000 $ par année.
Certains bars en possèdent 24, 30 ou 36 parce qu'ils défoncent des murs, ils enlèvent les toilettes, ils construisent un autre mur et vont chercher un autre permis et ils réinstallent ces machines. Ceux qui ont 20 machines et plus génèrent entre 25 000 et 35 000 $ par année, pour une raison qui est fort simple : les joueurs compulsifs — ils ne sont pas tous compulsif ou ceux qui s'adonnent à ce genre de jeux — n'ont pas de patience. Ils ne veulent pas s'installer et attendre. Quand il y a juste deux machines, elles sont occupées et les gens restent longtemps. Quand il y en a 24, certaines se libère plus rapidement.
Je n'ai pas à décider pour le ministre, mais mon but n'est pas le même. Aussi bien mettre un alcoolique dans un bar et décider d'enlever le cognac et le scotch, mais laisser le brandy et la bière et lui dire qu'il peut consommer tout ce qu'il veut. Ce n'est pas ma façon de voir les choses.
En réponse à votre deuxième question — et ce ne sont pas mes chiffres — il y a quelques années, plus de 70 p. 100 de la population canadienne voulait que ces machines disparaisses. Sur le plan électoral, si les provinces s'entêtent à ne pas étudier à fond les dossiers comme on se permet de le faire — c'est eux qui en sont responsables — vous me connaissez suffisamment pour savoir que je saurai quoi leur dire.
D'abord et avant tout, ce sont les Canadiens et les Canadiennes qui votent. Alors s'ils vont à l'encontre du désir de nos concitoyens, ils en subiront les conséquences. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Merci d'être venu nous parler du projet de loi dont nous sommes saisis. J'ai une attitude quelque peu ambivalente à l'égard de ce projet de loi. En effet, d'une part, je comprends les points que vous soulevez au sujet des difficultés auxquelles se heurtent les joueurs, notamment. D'autre part, je vois aussi l'autre aspect des choses, c'est-à-dire que nous, et par nous j'entends les gouvernements en général, avons créé une dépendance dont souffrent ceux qui peuvent bénéficier de l'usage de ces appareils de loterie vidéo, plus particulièrement, les petits entrepreneurs qui exploitent des commerces à peine rentables. La présence d'un ou de deux appareils de loterie vidéo dans leur commerce génèrent assez de revenus pour rendre leur entreprise rentable, ce qui leur permet de faire vivre leur famille grâce à l'entreprise qu'ils ont créée.
Je crois également qu'il ne suffit pas de se concentrer sur les appareils de loterie vidéo. En tant que père, je me souviens d'avoir appuyé l'équipe de hockey de mon fils, laquelle était financée partiellement par un bingo organisé en vue d'amasser de l'argent pour des œuvres charitables. Je vais vous décrire la tâche des parents. Nous devions assister à ces jeux de bingo plusieurs fois par année dans une salle remplie de fumée. Nous jouions volontiers notre rôle de parents, même si c'était une expérience fort désagréable pour nous qui ne fumions pas. Ce que j'y ai observé m'a troublé. Nos observations ont un lien avec les appareils de loterie vidéo même s'il n'y en avait aucun à ces occasions. Lors de ces soirées, il y avait des pauses aux moments opportuns, afin que les gens puissent acheter des billets Nevada en pochette. Ces jeux de bingo n'avaient pas lieu dans les plus beaux quartiers de la ville. Lorsque je rencontrais les gens qui venaient à la salle de bingo, il était clair pour moi que ces gens vivaient dans l'instabilité économique. En effet, si les soirées de bingo étaient organisées au même moment où arrivaient les chèques d'aide sociale de divers organismes gouvernementaux, alors les profits de ces soirées augmentaient de façon significative.
C'est avec consternation, dégoût et tristesse que je regardais ces gens dépenser 50 ou 100 $ pour ces billets, comme s'ils achetaient des bonbons. Je ne suis pas certain que nous devions nous intéresser seulement aux appareils de loterie vidéo, même si le projet de loi S-11 ne porte que sur ces appareils.
Sénateur, si je vous ai bien compris, vous avez dit dans votre exposé que les appareils de loterie vidéo ne créaient pas de profits.
Le sénateur Lapointe : Non, ils ne créent pas de profits, monsieur.
Le sénateur Mercer : Est-ce bien ce que vous avez dit?
Le sénateur Lapointe : Ces appareils ne créent pas de profits. Les propriétaires de bars font des profits. Dans les provinces où il y a des appareils de loterie vidéo, les recherches ont démontré que les coûts sociaux résultant des suicides, des actes criminels notamment sont de trois à cinq fois plus élevés que les recettes provenant des appareils.
Le sénateur Mercer : Si l'on examine uniquement les états financiers relatifs aux montants qui entrent et qui sortent des appareils de loterie vidéo, et si l'on se penche sur les montants qui vont aux gouvernements provinciaux, qu'il s'agisse du Québec ou de la Nouvelle-Écosse, peu importe, alors on constate qu'il existe des profits tant qu'on ne tient pas compte des coûts sociaux.
Le sénateur Lapointe : Oui, bien sûr.
Le sénateur Mercer : Quelle en est l'importance?
M. Charron : La province de Québec, par exemple, tire environ 1 milliard de dollars par année de ses 14 000 appareils de loterie vidéo. En revanche, des recherches effectuées aux États-Unis, en Australie et au Canada ont démontré qu'un joueur compulsif coûte entre 18 000 et 56 000 $ par année. Ces chiffres sont tirés d'une étude réalisée à l'Université du Manitoba. À titre d'exemple, les joueurs compulsifs représentent 2 p. 100 de la population du Québec selon les chiffres de Loto-Québec. Ainsi, on doit déduire des profits réalisés grâce aux appareils de loterie vidéo le montant obtenu en multipliant le nombre de 140 000 joueurs compulsifs au Québec par le coût de 56 000 $ par joueur.
Le sénateur Mercer : Vous avez répondu à la question mais je crois que le vrai problème réside dans le point de vue du ministre des Finances, qui est le ministre responsable des loteries alors que le ministre responsable des programmes de services sociaux et de la prestation des soins de santé n'est pas responsable des loteries. Le ministre des Finances vous dirait probablement que c'est une bonne chose car le gouvernement tire des profits de 1 milliard de dollars, alors que son collègue vous dirait que ce n'est pas une bonne chose à cause de tous les problèmes sociaux découlant des appareils de loterie vidéo. On revient toujours à la question de l'argent.
Le sénateur Lapointe : Vous nous avez dit que des soirées de bingo étaient organisées pour financer des équipes de hockey et que les joueurs de bingo étaient habituellement pauvres. La dépendance au jeu de bingo existe également. Mais ce n'est rien à comparer aux appareils de loterie vidéo. Je ne vois rien de mal au fait que des gens jouent au bingo pour aider leur équipe de hockey locale parce que ce sont les enfants qui en bénéficient. Les appareils de loterie vidéo tuent des gens mais le bingo ne tue personne, peut-être une personne sur un million mais dans le cas des appareils de loterie vidéo les chiffres sont beaucoup plus tragiques.
Le sénateur Mercer : Y a-t-il une différence entre les sexes pour ce qui est des gens dont nous parlons?
Le sénateur Lapointe : Non.
Le sénateur Mercer : Les chiffres sont les mêmes pour les hommes et les femmes?
Le sénateur Lapointe : Vous seriez surpris de constater combien de femmes souffrent d'une dépendance aux appareils de loterie vidéo. La même chose vaut pour les jeunes et les personnes âgées qui ont tout leur temps. Je veux relocaliser les appareils de loterie vidéo et non les détruire. Je veux qu'ils se retrouvent dans les endroits où les gens se rendent précisément pour jouer, soit les casinos et les hippodromes. D'ailleurs, cela viendrait en aide à ce secteur. Si vous devez prendre l'autobus pour aller à l'hippodrome, vous ne vous y rendrez pas aussi souvent que vous allez au magasin ou au bar tout près de chez-vous.
Le sénateur Mercer : Est-on en mesure de le prouver?
Le sénateur Lapointe : Bien sûr.
Le sénateur Mercer : Je crois que vous avez raison, mais je me demande si cela peut être étayé par des données réelles? Je ne veux pas que le problème se déplace du dépanneur vers l'hippodrome.
Le sénateur Lapointe : Cela pourrait poser problème pour les personnes qui habitent tout près de l'hippodrome.
Le sénateur Cools : Vous soulevez une question qui est sérieuse et utile pour nous tous. Vous dites que la disponibilité, la proximité et la visibilité sont des facteurs qui doivent être considérés. Les hippodromes doivent généralement être construits loin des zones densément peuplées à cause de tout l'espace qu'ils occupent. Les visites à l'hippodrome exigent davantage de planification. Ce que vous dites est tout à fait logique, mais je ne crois pas que cela a été étudié. Ainsi, je ne vois pas comment vous pouvez avancer des chiffres.
Le sénateur Lapointe : Ce ne sont pas nos chiffres.
Le sénateur Cools : Vous dites que, toute personne, en vieillissant, va de moins en moins souvent aux courses. J'ai grandi dans une famille qui adorait les chevaux. Nous allions régulièrement aux courses.
Le sénateur Milne : Sénateur Cools, peut-être pourriez-vous mettre votre nom su la liste d'intervenants et attendre votre tour comme nous pour poser vos questions.
Le sénateur Cools : Un de ces jours, Lorna Milne, peut-être ne vous opposerez-vous pas à mes propos. Vous êtes terrorisée par votre aversion pour moi. Vous êtes véritablement terrorisée. J'espère que vous lirez le compte rendu de cette séance. Je posais simplement une question complémentaire sur ce point.
Le sénateur aborde la question profonde de l'évolution du jeu comme maladie émotive. Cela me semble profond.
Le sénateur Lapointe : Pour répondre à votre question, sénateur Cools, les données que j'ai et ma réponse à la question du sénateur Mercer n'ont pas été inventées de toutes pièces. Tout le personnel de mon bureau a fait des recherches approfondies dans les études qui ont été faites, nous les avons épluchées une par une, chapitre par chapitre, et nous avons pris des notes. Je n'ai pas d'autres données à part celles provenant des études faites par les experts.
Le sénateur Cools : Madame la présidente, pour la gouverne de notre attaché de recherche, ce comité-ci, en 1986, je crois, a entendu des témoins sur le jeu. À l'époque, on en discutait beaucoup en Ontario. Cela figure dans nos archives quelque part. Nous avons entendu des témoins qui nous ont décrit comment on s'adonnait au jeu en pariant sur certains chevaux et par d'autres moyens. À cette époque, la tendance était à la création de casinos. Nous avions tenu des réunions à Calgary. Il serait bon de voir s'il n'y a pas, dans ces archives, quelque chose d'utile.
Le sénateur Mercer : J'ai une dernière question. Je félicite le sénateur Lapointe et son personnel de l'excellent travail qu'ils ont accompli. J'ai eu le plaisir de travailler avec Pascal dans le passé et je connais la qualité de son travail.
Le sénateur Lapointe : Je fais de mon mieux pour vous répondre.
Le sénateur Mercer : Le représentant du ministère de la Justice qui a comparu devant notre comité l'an dernier a parlé des conséquences imprévues du projet de loi. Il a affirmé que ce projet de loi pourrait rendre illégal la vente de billets de loterie à mise-éclair par ordinateur dans les centres commerciaux et ailleurs. Je sais que ce n'est pas votre intention, vous l'avez dit clairement. Je présume, d'après ce que vous avez dit plus tôt ce matin, que s'il était nécessaire de modifier le projet de loi pour qu'il soit plus précis, vous seriez d'accord.
Le sénateur Lapointe : Absolument. Comme je l'ai dit dans mes remarques, probablement en raison de notre manque d'expérience, nous avons insisté sur les appareils de loterie vidéo et n'avons pas été plus précis que cela. Nous n'avons rien contre ceux qui vendent des billets de loterie 6/49 ou quelqu'autre rêve qu'ils veulent vendre. Il faut que vous sachiez aussi, et j'ai omis de le dire, que lorsque...
[Français]
Lorsque les relations fédérales-provinciales ont été discutées, en 1978 et 1985, les loteries vidéo n'existaient pas!
[Traduction]
C'est un fait important.
Le sénateur Mercer : Nous ne pouvons adopter des lois qui s'appliqueront à des choses qui n'existent pas.
Le sénateur Andreychuk : Ma question s'adresse à la présidente. Nous avons entendu les témoignages et exploré bon nombre de ces questions la dernière fois que nous avons été saisis de ce projet de loi. Pourrons-nous inclure dans nos travaux ces témoignages ou cela a-t-il déjà été fait? Je n'étais pas ici la semaine dernière, voilà pourquoi je ne le sais pas.
La présidente : Nous avons distribué un document à ce sujet.
Le sénateur Andreychuk : Merci. Nous avons eu de bonnes discussions et il serait bon que les témoignages entendus pendant la dernière session, quand le projet de loi a été déposé, soient inclus car nous avions alors exploré bien des questions intéressantes. Ces témoignages seraient utiles. Faut-il déposer une motion à ce sujet?
La présidente : Nous pouvons vous transmettre ces informations.
Le sénateur Andreychuk : Je l'ai déjà, mais je tiens à ce qu'elle figure au compte rendu afin que nous puissions nous en servir.
La présidente : Nous rédigeons une motion.
Le sénateur Andreychuk : À l'époque, nous avions discuté du fait que les provinces en retirent un revenu, mais nous n'avions pas encore déterminé retirer un profit des jeux de hasard. On nous avait aussi fait valoir que les appareils de loterie vidéo suscitent une certaine activité économique dans les petites villes. Tout cela se trouve dans ces témoignages précédents.
Vous avez fait remarquer, sénateur Lapointe, que ceux qui ont des appareils de loterie vidéo font preuve de beaucoup de créativité et d'ingéniosité. Ils divisent leur établissement de façon à accroître les activités de jeu. La dernière fois, nous avions discuté de la possibilité, et vous deviez y réfléchir, que l'inclusion de l'expression « ni dans des lieux consacrés aux activités de jeu » ne permette la présence d'appareils de loterie vidéo dans les dépanneurs. Il suffirait de séparer l'établissement et de désigner une partie comme étant consacré aux activités de jeu. Il suffirait d'ériger une simple cloison pour qu'on puisse continuer comme avant, pour que cette partie de l'établissement devienne un lieu consacré aux activités de jeu.
Votre projet de loi ne fait pas mention des hippodromes et casinos mais parle plutôt des appareils de loterie vidéo « qui ne sont situés ni dans un hippodrome, ni dans des lieux consacrés aux activités de jeu ». Par conséquent, cela continuerait de relever des provinces et je crois qu'il suffirait d'un peu d'ingéniosité pour contourner ces mesures législatives. Avez-vous envisagé de déposer un amendement pour régler ce problème?
[Français]
Le sénateur Lapointe : Je ne vois pas comment ils pourraient le contourner si cela devient illégal d'utiliser les appareils. Un dépanneur est un dépanneur. Ce n'est pas un casino. Un bar, c'est un bar. Aujourd'hui, les gens qui fréquentent les bars où il y a des vidéopokers ne prennent même pas le temps de finir de manger. Dès qu'une machine se libère, ils se lèvent et vont jouer. Je crois que ce n'est pas l'endroit. Il y a des endroits réservés au jeu et on doit s'en tenir à cela. Je comprends que le pauvre dépanneur qui perd une ou deux machines, perd aussi un revenu. Avant qu'on invente les vidéopokers, il y a avait des dépanneurs et plusieurs étaient prospères.
Je l'ai dit, et le sénateur Mercer en a fait allusion tout à l'heure, ce sont toujours les gens à faible revenu qui sont les plus attaqués. C'est important de remédier au problème.
[Traduction]
M. Charron : Je suis certain que le sénateur Lapointe ne s'opposerait pas à un amendement qui corrigerait cette situation. Je vous indique à titre d'information que des statistiques provenant de l'émission The Fifth Estate indiquent qu'il y a 38 652 appareils vidéo au Canada répartis dans 8 309 endroits. Avec son projet de loi, le sénateur Lapointe tente de faire en sorte que ces appareils ne se trouvent que dans les casinos qui sont permanents, et qui sont au nombre de 59, et dans les hippodromes. Il y a actuellement 107 clubs de paris, ce qui signifie qu'il y aurait des appareils de loterie vidéo à 206 endroits plutôt qu'à 8 309. Si pour en arriver à ce nombre qui représente l'objectif du projet de loi il faut le modifier, le projet de loi sera modifié.
Le sénateur Andreychuk : Voici où je veux en venir, madame la présidente : la dernière fois que nous en avons traité, nous avons établi que ce sont les autorités municipales et provinciales qui ont compétence. J'ai déjà vu des appareils de loterie vidéo dans des restaurants. Dans de tels cas, le propriétaire pourrait tout simplement installer un mur et une porte et désigner cette pièce comme un lieu consacré aux activités de jeu au sens du projet de loi. C'est cette situation que nous voulions prévenir mais la session parlementaire s'est achevée sans que nous puissions le faire.
M. Charron : Moi, je vous parle du Québec parce que c'est la province que je connais le mieux. Dans un bar, le propriétaire doit détenir un permis d'alcool en règle pour avoir des appareils de loterie vidéo. Il suffit au propriétaire d'abattre un mur ou d'en ériger un et de demander un autre permis pour avoir 10 appareils de plus de l'autre côté de ce mur. On va parfois jusqu'à supprimer des toilettes pour obtenir un autre permis. C'est cela qui se passe.
Si ce projet de loi est adopté et que ces appareils ne sont autorisés que dans les casinos et les hippodromes, ce problème disparaîtra.
Le sénateur Milne : Je vous remercie d'avoir déposé votre projet de loi de nouveau. C'est une mesure législative importante et nécessaire.
Il est important que les témoignages que nous avons entendus la dernière fois soient inclus dans nos comptes rendus car ce projet de loi aurait une incidence dans huit provinces et territoires du Canada, si je ne m'abuse. Moi-même, je ne suis pas en conflit d'intérêts parce que les appareils de loterie vidéo sont interdits en Ontario, en Colombie-Britannique et au Yukon. Je crois savoir que dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, on accepte les machines à sous mais pas les appareils de loterie vidéo — ou plutôt, on accepte les appareils de loterie vidéo mais pas les machines à sous.
M. Charron : Non, je ne crois pas.
Le sénateur Milne : Si tel n'est pas le cas, il faut donner l'heure juste aux fins du compte rendu, car je crois avoir entendu dire que les machines à sous ne sont pas permises au Nunavut ou dans les Territoires du Nord-Ouest. Est-ce que les appareils de loterie vidéo sont assimilés aux machines à sous?
M. Charron : Je crois que oui.
Le sénateur Milne : Je tiens à vous dire tout d'abord, que je crois que la Société des loteries de l'Ontario n'a absolument aucune position au sujet de ce projet de loi qui ne la concerne pas du tout. D'autre part, selon beaucoup d'écrits sur le jeu et la dépendance en Ontario, comme vous le disiez, les appareils de vidéo loterie sont le crac du jeu. Le phénomène toxicomanogène est extrême et peut l'être dès la première fois. On parle aussi de produit d'achat impulsif.
L'Ontario fait une séparation entre les jeux planifiés et ceux qui sont impulsifs. Par exemple, le 6/49 est un jeu planifié. Les appareils de loterie vidéo sont strictement des jeux impulsifs et, sénateur Mercer, si on les retire des dépanneurs, cela changera beaucoup la situation. S'ils ne sont pas là, le phénomène impulsif ne peut se produire.
Ce qui est réellement terrible avec les appareils de loterie vidéo, c'est que les gains sont manipulés. Je crois que de 92 à 97 p. 100 de l'argent que l'on met dans ces appareils sort en prix mais c'est très progressif, sur environ une demi-heure et c'est presque immédiatement remis dans la machine.
Quelle est la superficie minimum requise pour un établissement de jeu dans différentes provinces? Nous n'avons pas d'indications à ce sujet. Ce pourrait être utilisé comme méthode pour contourner les dispositions du présent projet de loi.
Je vous félicite de présenter à nouveau ce projet de loi. Je ne pose pas de questions; je vous communique simplement ce que je sais de ce qui se passe en Ontario. Je vais appuyer de tout coeur ce projet de loi.
Le sénateur Lapointe : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Lapointe : J'aurai juste à rajouter, à l'attention du sénateur Milne...
[Traduction]
Je ne sais pas si le sénateur est au courant qu'ils avaient des appareils de loterie vidéo aux hippodromes. Le Rideau Carleton a des machines à sous mais pas des appareils de loterie vidéo.
[Français]
Ce sont des machines à sous, ils n'ont pas de VLT à ce que je sache, madame la présidente. Je ne suis pas sûr.
La présidente : C'est illégal, mais il y a un important parc de machines au noir en activité. Il faut réaliser cela aussi.
[Traduction]
Le sénateur Sibbeston : Je félicite le sénateur de cette initiative hardie. Je sais que en politique, quand j'étais élu, l'alcool et les choses de ce genre étaient des questions délicates. J'ai passé une bonne partie de ma vie à m'occuper d'alcoolisme, de l'alcool à disponibilité, en particulier, chez les Autochtones. Il semble que lorsque l'on soulève une question semblable, il faut être courageux parce qu'il y a toutes les administrations et toutes les entreprises bien établies qui sont prêtes à s'opposer à quelqu'un comme le sénateur Lapointe parce qu'ils soulèvent une question qui va contre le statu quo de l'administration et du monde des affaires? Il faut être courageux. Il est bien que ce soit quelqu'un comme un sénateur qui se lance là-dedans parce qu'il n'a pas à s'inquiéter de se faire réélire.
Je dois dire que c'est une mesure positive. Vous essayez, de toute évidence, d'aider les pauvres, le citoyen moyen, qui sont les plus touchés par ces machines.
Autre chose d'importance. Lorsqu'on a introduit l'alcool dans le Nord, on n'a jamais demandé à la population si elle était d'accord. Le gouvernement a juste mis l'alcool à la disposition de la population dans l'espoir de gagner de l'argent, ne comprenant pas les effets terribles que cela aurait sur la population. Je sais qu'il y a des Autochtones qui pensent que si le gouvernement autorise la vente de l'alcool, cela doit être bien. Même s'il peut y avoir des conséquences graves. Je sais que c'est le cas à Fort Simpson, là où je vis, parce que j'ai essayé de m'opposer à l'alcool et que je voulais que l'on impose des contrôles. Quand quelqu'un meurt, tout le monde est d'accord avec vous et vous dit que vous avez fait quelque chose de bien en essayant de limiter la consommation d'alcool. Quelques jours après, l'attitude change et la fin de semaine venue, on vous critique.
Le sénateur Cools : Pour étudier plus avant la proposition du sénateur Lapointe, je pensais que dans notre liste de témoins, nous pourrions inclure, par exemple, certains responsables des services correctionnels, du système pénitencier, et peut-être de la Commission des libérations conditionnelles. Ils auraient peut-être des informations à nous donner sur le jeu, sur le genre d'autres infractions criminelles auxquelles cela peut mener et sur les peines et conséquences en général.
Quand je travaillais à la Commission des libérations conditionnelles, j'ai trouve ahurissant le nombre de détenus qui avaient des problèmes de jeu. On pourrait inclure parmi nos témoins des gens qui pourraient nous renseigner sur des questions qui dépassent peut-être l'objet du projet de loi.
Le sénateur Sibbeston : J'ai voulu dire au sénateur qu'il fait quelque chose de bien. Vous contestez le statu quo. Le statu quo c'est dire qu'il est acceptable que ces machines se trouvent aux quatre coins de nos villages et villes. Or, vous dites que ce n'est par normal et que ce n'est pas bien. Vous faites preuve de courage. Quelquefois, la société doit être interpellée parce qu'elle ne comprend pas le mal ou les problèmes dont sont victimes certains des siens.
J'ai vu une émission au Fifth Estate de CBC sur les problèmes liés au jeu au Canada. J'ai une expérience personnelle. Le beau-père d'un de mes fils est un joueur invétéré. Il s'est endetté de centaines de milliers de dollars. Il a été mis à la porte de chez lui et, dans un sens, renié par sa famille. Ce sont parfois les conséquences dramatiques que l'on ne voit pas. Cela peut-être terrible pour une famille.
Quand on joue, cela commence souvent par 30 $ pour passer à des centaines de milliers de dollars. Ce genre d'endettement est dramatique. Je suis heureux que nous n'ayons pas ces machines dans le Nord.
Il y a des alcooliques qui cessent de boire et commencent à jouer. Il y en a qui sont tout simplement portés au comportement compulsif. Cela touche les classes les plus pauvres de la société et c'est celles qui ont le moins besoin d'être victimes de ce genre de chose. Je félicite le sénateur Lapointe et j'appuierai son projet de loi de toutes mes forces.
Le sénateur Milne : Je ne voudrais pas retarder le projet de loi et je ne pense pas qu'il faille faire venir de témoins. Nous utiliserons les témoignages que nous avons reçus la dernière fois et les ajouterons aux délibérations de notre comité. Je ne crois pas qu'il faille retarder les choses. Quand j'ai parlé de se renseigner sur la superficie minimum nécessaire pour un établissement de jeu ou un site de jeu, cela relève de la réglementation et non pas d'un projet de loi, à moins que vous vouliez connaître la superficie minimum du plus petit casino du Canada et l'indiquer comme minimum.
[Français]
Le sénateur Joyal : J'aimerais tout d'abord féliciter le sénateur Lapointe pour les efforts qu'il a déployés tout au long de sa vie pour lutter contre la toxicomanie, le jeu compulsif et les conséquences de l'alcoolisme. Je crois que votre démarche communautaire à ce niveau est exceptionnelle. À mon avis, ce domaine est celui où vous avez le plus grand impact sur l'opinion publique. Le fait d'avoir profité de votre crédibilité auprès de l'opinion publique pour servir cette cause est tout à fait remarquable.
Comme le sénateur Milne, j'aimerais être pratique. Grâce au sénateur Andreychuk, nous disposons désormais des comptes rendus de tous les témoignages antérieurs. Il n'est donc pas nécessaire de les entendre à nouveau. Toutefois, j'aimerais attirer votre attention sur un point d'ordre pratique.
À la lecture et l'analyse du projet de loi S-11, et antérieurement du projet de loi S-6, il m'est apparu que les deux textes sont identiques.
Le sénateur Lapointe : Il faut les changer.
Le sénateur Joyal : Vous avez saisi le sens de mon observation. Il semble que le ministère de la Justice ait conclu que la façon dont vous exprimez votre intention va au-delà de ce que vous voulez faire.
Le sénateur Lapointe : Vous avez raison. Vous savez, je ne suis au Sénat que depuis trois ans. Lorsque nous avons commencé ce travail, il y a deux ans, on a manqué de spécificité. Il faut s'en tenir strictement au terme employé et faire abstraction de toute autre forme de jeu, tirage, loto et événements de ce genre. D'ailleurs, un fonctionnaire du ministère de la Justice m'avait envoyé une lettre m'exprimant l'opposition du ministre à cet effet, alors que ce n'était pas le cas.
Vous soulevez un point important. J'aimerais faire appel à votre compétence en matière juridique pour m'assurer que le texte soit mieux rédigé. Tel que mentionné dans ma présentation, l'objet de ce projet de loi se limite strictement aux appareils de loterie vidéo.
Le sénateur Joyal : Toujours dans l'esprit pratique du sénateur Milne, il faudrait préparer un amendement au texte actuel pour s'assurer que l'intention que vous avez exprimée, et qui est partagée certainement par plusieurs personnes autour de cette table, soit bien reflétée dans le texte du libellé de l'amendement que vous voulez proposer. Je pense qu'il y a urgence à le faire pour que nous puissions en être saisi le plus rapidement possible.
Le sénateur Lapointe : Ce sera fait dans un très court délai.
Le sénateur Joyal : Ma deuxième question porte sur l'application du projet de loi S-11 s'il est adopté. Comme vous le savez, et on l'a entendu lors des témoignages, il existe une entente fédérale-provinciale entre le gouvernement canadien et les provinces qui remonte à plusieurs années. Aux termes de cette entente, le gouvernement canadien permet aux provinces d'opérer les jeux de loterie, et les provinces versent une compensation financière au gouvernement canadien.
Est-ce que vous avez eu l'occasion d'examiner cette entente pour déterminer si, lorsque le gouvernement canadien modifie les lois relatives à la loterie, il doit informer les provinces de son initiative? En d'autres mots, étant donné l'entente qui existe avec les provinces, il n'est pas possible d'apporter un changement unilatéral sans consultation auprès de celles-ci.
Le sénateur Lapointe : Lorsque ces ententes ont été signées, en 1978 et en 1985, il n'était pas question d'appareils de loterie vidéo et des drames que leur usage engendre dans la société. À mon avis, les deux paliers de gouvernement tirent des conclusions assez hâtives.
Nous devrons certes livrer un combat. Ma santé n'est pas la meilleure actuellement. Toutefois, j'espère retrouver la forme le plus rapidement possible afin d'être en mesure de livrer ce combat.
Je suis prêt à me battre avec quiconque pour dénoncer la souffrance engendrée pas ces appareils. Cette souffrance n'existait pas auparavant, sinon qu'à une petite échelle. La situation est désormais dramatique.
Le sénateur Joyal : L'entente fut signée il y a plusieurs années, vers la fin des années 70. Toutefois, comme vous le savez, les ententes ont des clauses de renouvellement automatique et l'entente est toujours en vigueur.
Le sénateur Lapointe : Cette question devra donc faire l'objet de négociations. Si on sollicite mon opinion, je l'offrirai avec plaisir. Cependant, je ne suis pas spécialiste des ententes fédérales-provinciales.
Le sénateur Joyal : En tant que législateurs et en tant qu'institution parlementaire, lorsque nous prenons des initiatives d'une telle importance, nous devons le faire en respectant nos obligations envers les provinces. Ce projet de loi touche la vie de plusieurs gens et remet en question d'importantes sommes d'argent pour les coffres des provinces. Nous devons donc nous assurer que les provinces soient informées de ces nouvelles dispositions proposées dans le plus grand respect des ententes fédérales-provinciales.
Le sénateur Lapointe : Cette question ne découle pas de mon champs de compétence.
La présidente : Mais vous la soulevez par ce projet de loi.
Le sénateur Lapointe : Peut-être, mais que voulez vous? S'ils ont signé ces ententes, il suffit de faire les arrangements appropriés. Si le projet de loi avorte, c'est avec tristesse que je dirai en vain avoir fait mon possible. Plusieurs en souffrirons. Si les provinces sont aveuglées de cette réalité par leurs intérêts financiers, il n'auront qu'à vivre avec leur conscience et je vivrai avec la mienne.
La présidente : Il faut être conscient qu'en posant ce geste, nous provoquons des choses dans les relations fédéral- provinciales.
Le sénateur Joyal : Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas le faire. Mais je veux que nous le fassions en suivant les obligations que le gouvernement doit assumer. Si à la lecture de ces ententes, nous nous rendons compte que nous ne violons pas des dispositions de l'entente, on arrive à cette conclusion. Si dans l'entente, une disposition dit que vous devez informer les provinces six mois ou un an à l'avance, vous devez discuter de bonne foi, on sera alors en mesure de conclure par rapport aux conséquences qui vont suivre. C'est là où j'en suis.
Le sénateur Lapointe : Merci beaucoup de ces informations additionnelles.
La présidente : D'autres questions? Je vous remercie beaucoup sénateur Lapointe de votre présence devant nous ce matin. Nous allons poursuivre la semaine prochaine.
La séance est levée.