Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 3 - Témoignages du 1er décembre 2004
OTTAWA, le mercredi 1er décembre 2004
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles saisi du projet de loi S-11, Loi modifiant le Code criminel (loteries), se réunit à 16 h 8 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Nous examinons aujourd'hui le projet de loi S-11, Loi modifiant le Code criminel (loteries). Notre témoin, du ministère de la Justice du Canada, est M. Hal Pruden. Bienvenue au comité, monsieur Pruden. Nous allons vous écouter et je suis convaincue que les sénateurs auront des questions à vous poser.
M. Hal Pruden, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, Justice Canada : Honorables sénateurs, sans aucun doute, le jeu pathologique est un problème grave pour une partie de la population canadienne. En termes de pourcentage, les joueurs compulsifs peuvent sembler peu nombreux, mais si on extrapole pour calculer leur nombre absolu, il semblera très grand pour la plupart d'entre nous. L'incidence du jeu compulsif pour ces personnes et leur famille peut aller des difficultés financières, à la catastrophe financière et au suicide.
La question d'intérêt général pour le comité est la suivante : quels instruments peuvent ou doivent être utilisés pour lutter contre le jeu compulsif, particulièrement dans le cas des appareils de loterie vidéo?
Je peux certes vous parler du contexte juridique et des incidences juridiques que pourrait avoir le projet de loi S-11, mais je rappelle aux membres du comité que c'est au ministre de la Justice et non à des fonctionnaires comme moi de parler des questions de politique se rapportant au droit pénal.
Je vais donc d'abord vous parler du contexte et ensuite des incidences juridiques et du projet de loi S-11.
Pour planter le décor, il importe de savoir que les politiques existantes en matière de droit criminel sont exprimées dans les dispositions sur le jeu du Code criminel. Une province ou un territoire peut prendre des décisions locales relatives aux formes de jeux, à partir d'un ensemble fixé par le Parlement. La province ou le territoire peut donc offrir des jeux comme des machines à sous, des appareils vidéo, des ordinateurs ou des jeux de dés. Les provinces et territoires n'ont pas décidé de la même façon d'offrir ou non des jeux, ni des types de jeux qui seraient offerts. Entre autres, les administrations n'ont pas toutes pris la même décision au sujet de l'installation de loteries vidéo provinciales ou territoriales dans les bars. Il vaut la peine de signaler que les provinces et les territoires ont commencé à lutter contre la dépendance au jeu par des mesures d'éducation et de santé dont on dit qu'elles sont bien plus avancées et mieux financées que ce qu'on trouve aux États-Unis.
L'objectif du projet de loi S-11 est de régler une partie importante du problème du jeu en modifiant les mesures législatives actuelles permettant aux provinces et territoires de prendre des décisions locales au sujet des loteries vidéo. Votre comité sait déjà que le projet de loi S-11, dans son libellé actuel, semble faire bien plus qu'éliminer la possibilité pour une province ou un territoire d'exploiter des loteries vidéo dans les bars. En effet, le projet de loi S-11 éliminerait le pouvoir conféré dans le Code criminel aux provinces et aux territoires de prendre des décisions locales sur les types de jeux qu'ils peuvent offrir, que ce soit des machines à sous, des appareils vidéo, des ordinateurs ou des jeux de dés.
Toujours pour vous décrire le contexte, précisons que la définition de l'appareil à sous, donnée au paragraphe 198(3) du Code criminel, comprendrait ce que nous appelons des appareils de loterie vidéo ou loteries vidéo. On m'a informé que la principale différence, dans le cas des loteries vidéo, c'est que l'argent est placé dans la machine mais que les prix sont offerts sur un coupon de papier, pour lequel on peut obtenir un remboursement comptant. Les autres appareils à sous prennent l'argent comptant et donnent au gagnant du comptant. Dans tous les cas, il s'agit d'appareils à sous, que ce soit un appareil de loterie vidéo ou un autre type de machine à sous. D'après la définition du Code criminel, ce sont toutes des machines à sous.
Je vais maintenant parler du contexte historique. Les modifications de 1969 au Code criminel permettaient l'exploitation des loteries suivantes : celles du gouvernement fédéral, celles des gouvernements provinciaux ou territoriaux et celles qui faisaient l'objet d'un permis d'un gouvernement provincial ou territorial. Il est clair que le Parlement a choisi d'élargir le jeu légalisé estimant préférable que les loteries profitent aux bonnes causes publiques, et notamment au gouvernement, plutôt qu'aux intérêts privés et commerciaux.
En 1979, un accord fédéral-provincial-territorial sur le jeu a été conclu, selon lequel le Canada acceptait de ne pas organiser de loteries, contre le versement de 24 millions de dollars, en dollars de 1980. On me dit que cette somme a été rajustée pour tenir compte de l'inflation et qu'en 2003, la somme était de 59 millions de dollars.
En 1985, un accord fédéral-provincial-territorial a été signé, selon lequel le Canada acceptait d'adopter une loi retirant au fédéral la possibilité d'exploiter une loterie, et en échange, les provinces acceptaient de maintenir les paiements commencés en 1979 et de verser un supplément de 100 millions de dollars pour les Olympiques de 1988 à Calgary.
On peut s'attendre à ce que le projet de loi S-11 ait une incidence sur les recettes des gouvernements provinciaux et territoriaux et sur les relations fédérales, provinciales et territoriales, compte tenu des accords sur le jeu de 1979 et de 1985.
Je vais maintenant parler du projet de loi lui-même et de ses incidences. Le ministère de la Justice est d'avis que le projet de loi S-11 signifierait que les provinces ne pourraient plus exploiter des loteries vidéo, non plus que des machines à sous, des jeux sur ordinateur ou des jeux de dés ailleurs que dans des hippodromes et dans des lieux consacrés aux activités de jeu. Dans son libellé actuel, le projet de loi ne définit pas les lieux consacrés aux activités de jeu et ne fixe pas de limites quant à la taille de ces lieux ou quant au nombre d'appareils de loterie vidéo. Par conséquent, en vertu du projet de loi S-11, les provinces et territoires pourraient continuer d'exploiter des appareils de loterie vidéo dans les hippodromes ou les casinos, comme le permet actuellement le Code criminel, mais aussi dans d'autres lieux consacrés aux activités de jeu. On peut concevoir qu'une petite boutique dans un centre commercial soit consacrée aux appareils de loterie vidéo. En revanche, les lieux multifonctionnels comme les bars ne pourraient pas avoir d'appareils de loterie vidéo des gouvernements provinciaux. Au sujet des appareils de loterie vidéo dans les bars, signalons que seraient touchés le Québec, les provinces de l'Atlantique et les trois provinces des Prairies, qui ont des loteries vidéo dans les bars.
Par ailleurs, dans son libellé actuel, le projet de loi ne permettrait pas le jeu informatisé et les jeux de dés ailleurs que dans les hippodromes et dans les lieux consacrés aux activités de jeu. Or, par l'entremise de la Société des loteries de l'Atlantique, les provinces de l'Atlantique offrent à leurs citoyens la possibilité d'acheter par ordinateur, sur Internet, des billets de loterie. Le projet de loi S-11 mettrait fin à cette pratique.
En Colombie-Britannique, la province offre le pari sportif par ordinateur, notamment dans les bars, et le projet de loi S-11 l'interdirait. Bien que la plupart des provinces et territoires n'offrent pas actuellement sur Internet la vente de billets de loteries, le pari sportif ou les casinos virtuels, le projet de loi éliminerait cette option pour les gouvernements provinciaux.
On peut même concevoir que le projet de loi S-11 rende illégal la vente de billets de loterie dont les numéros sont choisis par ordinateur dans les kiosques des centres commerciaux, et éliminerait la possibilité de mener des bingos à l'échelle de la province ou du territoire par ordinateur.
Je parle du projet de loi dans sa version actuelle et non de l'intention du projet de loi.
La présidente : Monsieur Pruden, vous disiez que deux ententes administratives avaient été conclues avec les provinces et les territoires en 1978 et 1985. Le gouvernement du Québec doit respecter sa signature, apposée sur ces documents. Si le Parlement décide de modifier le Code criminel, prête-t-il le flanc à des poursuites?
Au sujet des préoccupations d'ordre juridique, faut-il prévenir les provinces de notre intention de modifier les ententes, par voie législative?
M. Pruden : Je ne sais pas si le Parlement du Canada est tenu d'informer les gouvernements provinciaux de son intention, mais j'ose croire que les gouvernements provinciaux sont au courant de l'existence du projet de loi dont est saisi le Parlement et qu'ils peuvent avoir leur propre idée des changements proposés.
C'est tout ce que je peux dire sur cette question.
La présidente : Il y a aussi la question du risque de poursuites une fois le projet de loi adopté.
M. Pruden : À ce sujet, tout dépendra des provinces qui pourraient ou non intenter un procès. Dans l'une des ententes, une disposition stipule que ces privilèges ne les empêchent pas de s'adresser aux tribunaux.
La présidente : Le ministère de la Justice a-t-il communiqué avec des représentants des provinces ou territoires récemment au sujet du projet de loi S-11. Je pense aux incidences économiques du projet de loi. Vous en avez aussi parlé dans votre exposé.
Bien entendu, pour les provinces, il y a de l'argent en jeu. Pourriez-vous dire au comité si le ministère a reçu des demandes de renseignements au sujet du projet de loi S-11?
M. Pruden : Nous n'avons pas vraiment eu de demandes de renseignements au sujet du projet de loi. Je peux dire que le ministre a échangé des lettres avec la province de l'Alberta, au sujet du projet de loi S-11, mais il ne s'agissait pas de demande de renseignements.
Le sénateur Joyal : Un accord a été signé le 23 août 1979, auquel a succédé l'accord du 3 juin 1985. Je ne sais pas si vous avez ces textes sous la main.
M. Pruden : Je crois que oui, monsieur le sénateur.
Le sénateur Joyal : J'aimerais que vous regardiez une des dispositions. C'est un accord assez court. Il ne compte que trois pages, madame la présidente.
La présidente : Dès que le traduction sera faite, nous distribuerons les ententes aux sénateurs ici présents.
Le sénateur Joyal : Toutes mes excuses. Je n'ai le texte qu'en anglais, honorables collègues.
Prenez le dernier article de l'accord de 1985, sur le paragraphe 8. L'accord compte huit paragraphes. On y trouve le même paragraphe que dans l'accord précédent, de 1979 : « cet accord ne peut être modifié ou résilié que par consentement unanime des provinces et du gouvernement du Canada ».
C'est une disposition très claire. Par ailleurs, je ne saurais oublier le fait que le gouvernement du Canada ne peut pas avoir fait de compromis au sujet de ce j'appelle la suprématie du Parlement. Le Parlement a toujours le pouvoir de légiférer dans ses domaines de compétence. Le Code criminel, nous le savons, relève de la rubrique de 1991. Il s'agit d'une compétence exclusive du Parlement du Canada. Si le Parlement du Canada décide de modifier le Code criminel, le gouvernent du Canada ne peut prendre d'engagement relevant de la suprématie du Parlement pour une date ultérieure.
La présidente a soulevé une question concrète. Autrement dit, nous pourrions nous servir de la suprématie du Parlement du Canada et modifier le Code criminel pour imposer les limites proposées par le sénateur Lapointe, sans pour autant toucher aux jeux par ordinateur, aux jeux de dés et aux machines à sous. Il ne veut traiter que des appareils de loterie vidéo. Il ne veut pas les abolir, mais plutôt les faire installer uniquement en certains endroits. C'est son intention. Ce n'est peut-être pas ce que dit le projet de loi, mais nous y reviendrons plus tard. Même pour cet aspect très limité, on voit bien quelles sont les intentions du sénateur Lapointe.
Ne s'agirait-il pas, d'une certaine façon, d'une modification à l'accord? Autrement dit, les provinces ont décidé de verser de l'argent au gouvernement fédéral, ce qui se voit dans la loi. Vous avez donné les derniers chiffres. Mais si nous changeons l'assiette fiscale servant au calcul de ces sommes, nous changeons quelque chose. Les provinces pourraient considérer qu'il s'agit d'un fardeau supplémentaire, parce qu'elles n'ont pas autant d'appareils qu'auparavant quand elles avaient le pouvoir de placer les appareils de loterie vidéo là où elles le souhaitaient.
Si cette interprétation est donnée, avons-nous les mains liées par l'accord? Quelles procédures juridiques proposez- vous au gouvernement du Canada pour donner suite à la l'intention du sénateur Lapointe et au projet de loi S-11.
M. Pruden : C'est une question très difficile. Je peux dire pour commencer que vous avez raison, le Parlement doit pouvoir faire ce qu'il veut avec le droit pénal. C'est d'ailleurs l'avis juridique que le comité a reçu d'un professeur de l'Université d'Ottawa en 1995, quand le comité a examiné un projet de loi dont était saisi le Parlement et visant à mettre en œuvre cet accord, en modifiant le Code criminel.
Il est clair que le Parlement peut agir à sa guise.
Je ne peux pas dire toutefois si un tel changement aurait un effet sur les relations fédérales-provinciales, s'il y aurait des contestations judiciaires, si les tribunaux autoriseraient un procès de ce genre ni quelles seraient ses chances de réussite. Les procédures judiciaires dans ce domaine ne sont pas ma spécialité.
Et si c'était le cas, c'est le ministre de la Justice qui pourrait en parler, et non un fonctionnaire comme moi.
Le sénateur Joyal : Peut-être, mais il incombe au comité de mesurer les conséquences des mesures législatives qu'il pourrait adopter. Bien que j'appuie personnellement l'intention du sénateur Lapointe, comme d'autres sans doute autour de la table ici, il faut tenir compte des incidences pratiques pour le gouvernement du Canada et pour les provinces. Vous vous rendez certainement compte que les provinces peuvent très bien calculer le revenu qu'elles tirent actuellement des appareils de loterie vidéo, ou qu'elles en tireraient si l'accès en était limité à des endroits particuliers comme nous le proposons.
C'est un dilemme. Nous ne pouvons pas proposer quelque chose sans savoir par ailleurs quelle responsabilité juridique cela créerait pour le gouvernement du Canada. Je ne dis pas que c'est impossible. Je veux savoir comment nous devrions procéder pour légiférer selon l'intention du sénateur Lapointe, tout en tenant compte de la signature apposée par le Canada sur ce document de 1985.
Je ne vous demande pas ce qu'en diraient les tribunaux. Je sais que vous ne pourriez pas répondre. D'après votre propre interprétation de l'accord, comment devrions-nous procéder?
M. Pruden : Ce que le Parlement décide de faire peut être bien distinct des conséquences de ce choix. Si le Parlement choisit de modifier le droit pénal, ce qu'il peut faire, c'est en sachant que cela peut avoir un effet sur les relations fédérales-provinciales-territoriales. Qui sait si les provinces opteraient pour une contestation judiciaire, ou pour une contestation dans l'opinion publique? Si elles choisissent la contestation judiciaire, qui sait quel en sera le résultat?
Même si je pouvais conseiller le comité sur les chances de victoire en cas de procès, ce serait tout de même un pari, sans savoir vraiment ce que se produirait. Je suis très prudent et je n'aime pas spéculer ainsi. Il est très clair, toutefois, que cela aurait une incidence sur les relations fédérales-provinciales.
Le sénateur Joyal : Je vais formuler ma question en termes plus généraux. Que fait habituellement le gouvernement du Canada quand il veut rouvrir un accord qu'il a conclu? Cet accord ne prévoit pas de procédures. On n'y dit pas, par exemple, qu'il faut un préavis de six mois, ou qu'il faut en saisir la Conférence nationale des procureurs généraux.
L'accord ne prévoit pas de mode de consultation, ni de mécanisme à suivre étape par étape. Comme l'accord est muet là-dessus, que doit normalement faire le gouvernement fédéral, d'après l'expérience passée, dans des cas semblables?
M. Pruden : Je ne peux vous répondre, je ne sais pas. Je ne sais pas si cela se produit souvent. L'accord permet d'envisager qu'en cas de litige, les provinces cessent leurs versements annuels au gouvernement du Canada.
On peut considérer le fait que l'accord précise qu'il ne peut être résilié qu'unanimement. Par ailleurs, en cas de litige, les provinces cesseront leurs versements au gouvernement du Canada.
À part cela, je ne pourrais que spéculer quant à l'issue d'une contestation judiciaire.
Le sénateur Andreychuk : Si j'ai bien compris, il est difficile pour vous de parler des conséquences dans ce domaine tant que vous ne saurez pas ce qu'on veut au niveau politique, ainsi que les politiques visées par le gouvernement, n'est- ce pas?
M. Pruden : C'est bien plus que cela. Peu importe la politique visée par le Parlement fédéral, je ne peux pas parler de la réaction des provinces, puisque je ne peux pas parler en leur nom.
Le sénateur Andreychuk : Si ce n'était pas le Parlement qui vous posait la question, mais votre ministre : je veux enlever les appareils de loterie vidéo en certains endroits quel en sera la conséquence? Pourriez-vous lui répondre, dans ce cas?
M. Pruden : Cela devient un choix d'intérêt public et j'en ai parlé dans mon exposé liminaire. Actuellement, d'après la politique, le choix incombe aux provinces et aux territoires. L'autre possibilité, proposée dans le projet de loi S-11, c'est d'enlever ce choix aux provinces et aux territoires, en disant simplement qu'ils ne pourront installer d'appareils de loterie vidéo dans les bars. Ce sont les deux choix qui s'offrent au gouvernement.
D'une part, on peut laisser ceux qui sont préoccupés par les loteries vidéo et le jeu compulsif s'adresser aux provinces qui autorisent les loteries vidéo. L'autre possibilité, c'est que le Parlement lui-même s'occupe du jeu compulsif en apportant ces modifications au Code criminel, et en privant les provinces de ce choix.
Le sénateur Milne : J'aimerais corriger une interprétation à mon avis incorrecte de la loi, du moins en partie, que vous avez donnée au début de votre exposé.
Je crois qu'à la ligne 12 du projet de loi, « au sens du paragraphe 198(3) » du Code criminel, cela ne comprendrait pas la loterie 6/49 et le pari sportif. Ils ne relèvent pas de cet article du Code criminel. Par conséquent, le projet de loi ne les toucherait aucunement.
M. Pruden : Non, le paragraphe 198(3) donne la définition des appareils à sous, mais ce projet de loi ne parle pas seulement des machines à sous, il traite aussi des ordinateurs, des dispositifs électroniques de visualisation, et des jeux de dés.
Le projet de loi peut toucher d'autres jeux que les appareils à sous définis au paragraphe 198(3), à cause de la référence.
Le sénateur Milne : Je reviens à ma question principale. Il me semble que si nous voulons atteindre les objectifs de ce projet de loi, il nous faut modifier la définition de « appareil à sous » dans le Code criminel. Pouvez-vous nous proposer un libellé, monsieur, et où cela s'insérerait-il dans le Code criminel?
M. Pruden : C'est une question à laquelle il m'est difficile de répondre, puisque je ne peux donner d'avis juridique qu'au ministre de la Justice et à ses collègues du Cabinet.
Le sénateur Milne : Je suis convaincu que vous pouvez nous faire des suggestions. Puisque nous avons posé la question, monsieur, vous êtes tenu de répondre.
M. Pruden : Non, je ne suis tenu de donner des avis juridiques qu'au ministre de la Justice et à ses collègues du Cabinet.
La présidente : Nous devons respecter cela.
Le sénateur Milne : Dans le projet de loi, on dit à l'alinéa 1b.1) :
...dispositifs ou opérations mentionnés aux alinéas 206(1)a) à g) qui sont exploités par un ordinateur, un dispositif électronique de visualisation ou un appareil à sous au sens du paragraphe 198(3)...
Cela relève donc du sens de ce paragraphe, de la définition des appareils à sous :
...toute machine automatique ou appareil à sous
a) employé ou destiné à être employé pour toutes fins autres que la vente de marchandises ou de services;
b) employé ou destiné à être employé pour la vente de marchandises ou de services si
i) le résultat de l'une de n'importe quel nombre d'opérations de la machine est une affaire de hasard ou d'incertitude pour l'opérateur;
ii) en conséquence d'un nombre donné d'opérations successives par l'opérateur, l'appareil produit des résultats différents;
iii) lors d'une opération quelconque de l'appareil, celui-ci émet ou laisse échapper des piécettes ou jetons.
La présente définition exclut une machine automatique ou un appareil à sou qui ne donne en prix qu'une ou plusieurs parties gratuites.
Je crois que cette définition exclut la loterie 6/49 et les paris sportifs.
M. Pruden : Je comprends ce qui vous fait croire cela. Toutefois, au paragraphe 207(4) du Code criminel et à l'article 1 du projet de loi, on emploie les mêmes termes. Le recours à une modification au sens du paragraphe 198(3) ne renvoie qu'aux machines à sous et non pas aux ordinateurs et appareils vidéo.
Le sénateur Milne : Précisément.
M. Pruden : Le paragraphe 198(3) définit « appareil à sous ». L'article 207, lui, s'applique non seulement aux appareils à sous, mais aussi aux ordinateurs, aux appareils vidéo, et cetera. Dans cet article, on renvoie au paragraphe 198(3) pour que tout le monde sache ce qu'est un appareil à sous. Un tel renvoi n'est pas nécessaire pour les ordinateurs ou les appareils vidéo.
Le sénateur Milne : Je suis plus ou moins convaincue, mais je n'insisterai pas davantage.
Le sénateur Ringuette : Je ne suis pas avocate et je ne prétends pas connaître le droit, mais j'ai écouté attentivement votre exposé et votre historique des changements qui se sont produits graduellement de 1969 à 1979.
Vous avez dit que le gouvernement fédéral, aux termes de deux accords, a cédé aux provinces et territoires la compétence en matière d'appareils de jeu — les appareils de loterie vidéo, les dés, les appareils à sous et les ordinateurs; et que dans l'exercice de cette compétence, les provinces et territoires doivent accorder des licences aux établissements de jeu. Est-ce un résumé logique de vos propos?
M. Pruden : Étant avocat, j'apporterai quelques nuances. L'article 206 du Code criminel crée des infractions relativement aux loteries et aux jeux de hasard. En 1969, l'article 207 a créé des exceptions pour le gouvernement fédéral et les provinces. Puis, en 1979, en vertu d'un accord, le gouvernement fédéral a décidé de ne pas se prévaloir de cette exception et, en 1985, il a fait adopter par le Parlement une loi retirant l'exception accordée au gouvernement fédéral.
Par conséquent, le Parlement, en adoptant l'article 206 du Code criminel, a rendu les jeux de hasard illégaux. Toutefois, les loteries dirigées directement par une province sont légales. De plus, les provinces peuvent accorder des licences à des organismes de charité, à des organisations religieuses et d'autres, licences qui leur permettent d'exploiter certaines loteries excluant les jeux de dés, les appareils à sous, les ordinateurs et les appareils de loterie vidéo.
Les provinces peuvent aussi, et certaines le font, construire leurs propres casinos.
Le sénateur Ringuette : Les provinces ont donc le pouvoir de délivrer des licences aux établissements de jeu.
M. Pruden : Je dirais plutôt que, aux termes du Code criminel, le jeu de hasard est légal s'il est conduit par la province. Certaines provinces préfèrent que le jeu légal n'ait lieu que dans un établissement provincial. Cet établissement n'a pas besoin d'une licence. D'autres provinces conduisent aussi des jeux de hasard dans des établissements dont elles ne sont pas propriétaires.
Le sénateur Ringuette : Par conséquent, la licence s'applique à l'emplacement. La licence autorise les jeux de hasard à un certain emplacement.
M. Pruden : C'est exact.
Le sénateur Ringuette : Comme question complémentaire, j'ai entendu dire qu'à l'heure actuelle, quiconque a un ordinateur portable chez lui peut jouer.
Est-ce que les provinces ont des lois ou des règlements s'appliquant à ce genre de situation?
M. Pruden : Encore une fois, comme je suis avocat, je dois vous répondre en disant d'abord que cela dépend. C'est l'une des premières choses que j'ai apprises à l'école de droit.
Le sénateur Ringuette : Toute autre chose étant égale par ailleurs.
M. Pruden : Un gouvernement provincial peut offrir ses loteries aux résidents de sa province ou à d'autres provinces, en collaboration avec celles-ci. Par exemple, la Société des loteries de l'Atlantique offre des billets de loterie aux résidents de cette région conformément au Code criminel.
Par ailleurs, des gens, peu importe où ils se trouvent dans le monde, peuvent mettre sur pied un système de paris, de billets de loterie ou de casinos virtuels. Ils font jouer des gens de différents pays. Cela ne signifie toutefois pas que c'est légal dans le pays où se trouve chacun de ces joueurs.
Le sénateur Ringuette : Il n'y a pas de mécanisme de contrôle. Nous sympathisons, nous comprenons qu'il s'agit de relations fédérales-provinciales. Nous comprenons aussi que cela a des répercussions financières. Toutefois, il existe un élément important que ni le gouvernement fédéral, ni les gouvernements provinciaux ou territoriaux ne contrôlent, à savoir le jeu de hasard à domicile sur Internet.
Je suis déchirée, car ce projet de loi repose sur de bonnes intentions, mais il ne traite pas de toutes les occasions de jouer que personne ne contrôle.
M. Pruden : Je tenterai de vous répondre en vous disant qu'il semble impossible de contrôler toutes les formes de jeux de hasard qu'offre Internet. Toutefois, le Code criminel permet de contrôler ce que les provinces ont le droit d'offrir en matière de jeux de hasard et comment elles peuvent le faire. Elles ne peuvent marauder dans les autres provinces ou dans d'autres pays.
C'est un aspect important du contrôle, surtout si on demande un jour aux autres pays de respecter la loi du Canada. Elles voudront s'assurer que les lois du Canada respectent la souveraineté des pays étrangers en empêchant les gouvernements provinciaux de marauder dans les pays étrangers pour y trouver des joueurs.
[Français]
Le sénateur Lapointe : Le libellé de l'amendement que nous avons présenté l'an dernier comportait des failles. Nous avons veillé à remédier à cette situation qui prêtait à confusion. En effet, vous nous parlez de « crap games » et autres, ce n'est pas là qu'est le problème. Le problème concerne strictement ce que vous appelez les VLTs , les loteries vidéo. Au Québec, on appelle cela communément les « videopoker », ce sont les machines à sous qui sont dans les bars, accessibles à tout le monde; et je tiens à vous faire remarquer que ces machines à sous, ces VLTs — appelez-les comme vous voudrez — sont toujours dans des quartiers défavorisés et vous perdez de vue — je ne suis pas, comme Mme Ringuette, avocat; je me fie beaucoup au jugement du sénateur Joyal, d'ailleurs, je lui ai remis une copie de présentation de l'amendement qu'on va apporter au libellé du projet de loi — mais je peux vous certifier que les 100 millions de dollars perçus par Ottawa, pour utiliser une expression du sénateur Bryden que j'aime beaucoup, « it's a piece of cake » comparativement aux coûts des frais sociaux que cela entraîne.
Je pense que pour les gouvernements provinciaux et pour le gouvernement fédéral ce serait une économie importante. Trois recherches sur lesquelles nous avons mis la main prouvent que les coûts sociaux des loteries vidéo sont de trois à cinq fois plus élevés que ce que cela rapporte aux divers paliers de gouvernement, que ce soit provinciaux ou fédéraux.
Je tiens à vous préciser et vous pourrez le dire à votre ministre de ma part, que je vais me rendre jusqu'au bout, j'utiliserai les médias, partout, parce que 70 ou 72 p. 100 — aujourd'hui c'est beaucoup plus élevé que cela — de la population sont contre les machines accessibles dans la rue. Tout ce que nous demandons par cet amendement c'est que l'on relocalise ces machines dans les endroits où il y a déjà du jeu, tel les casinos, les champs de course, les pistes de course, et ce qu'on appelle communément — je ne sais pas si cela existe dans les autres provinces mais je sais que cela existe au Québec — les « hippoclubs ». Tout ce qu'on demande, c'est que les joueurs qui veulent jouer aux loteries vidéo aillent le faire dans les casinos et non au coin de la rue.
C'est la terrible accessibilité de ce fléau qui fait que, aujourd'hui, nos jeunes se suicident par centaines, que des familles sont ruinées par milliers et que les conséquences au niveau de la criminalité — car même si on enraye un problème on en crée d'autres, au niveau des prêteurs sur gages, autrement dit des « shylocks » et autres. J'aimerais connaître la réaction de M. Pruden à cela.
[Traduction]
M. Pruden : Je reconnais que l'accessibilité peut accroître l'exposition et que ceux qui sont exposés à beaucoup d'occasions de jouer peuvent devenir des joueurs pathologiques. Selon certaines études, les problèmes de jeu ou le jeu pathologique touchent 3 p. 100 de la population.
Je ne peux vraiment rien vous dire d'autre. Il est évident que votre projet de loi constitue une occasion de modifier la politique actuelle puisque les provinces n'auront plus le droit de permettre la présence d'appareils de loterie vidéo dans les bars.
C'est un choix de nature politique et je ne peux commenter les orientations politiques. Seul le ministre peut se prononcer sur les politiques en droit criminel. Les fonctionnaires ne peuvent se prononcer sur ces politiques.
[Français]
La présidente : Avez-vous d'autres questions, sénateur Lapointe?
Le sénateur Lapointe : Je suis tellement malhabile dans mes questions que je suis mieux de laisser la parole aux autres.
La présidente : M. Pruden ne peut pas, vous comprendrez, se prononcer sur les questions sociales de faire des changements.
Le sénateur Lapointe : Il peut se prononcer sur des questions légales, mais parfois les questions légales ont des retombées sociales graves. Il reste que les chiffres de 3 p. 100 de la population que vous donniez tantôt, sont maintenant rendus à 5 p. 100 de la population parce qu'il y a quand même un gros pourcentage de la population qui ne joue pas. La majorité de la population ne joue à aucun jeu. Si vous prenez 5 p. 100 ou 3 p. 100 de la population entière du pays, et vous la réduisez à la population des joueurs, votre pourcentage de 3 p. 100 deviendra 25 p. 100 ou 30 p. 100. Des recherches ont été faites à ce sujet par des spécialistes. Si vous parlez de 3 p. 100 ou 4 p. 100 de la population qui est alcoolique, et si vous répartissez ce pourcentage sur la population en général qui n'a pas de problème d'alcool et vous arrivez à un tel chiffre, cela change la proportion de façon dramatique. Êtes-vous conscient de cela?
[Traduction]
M. Pruden : Je crois savoir qu'une grande proportion de la population canadienne s'adonne aux jeux de hasard d'une façon ou d'une autre, si l'on inclut dans les jeux de hasard les loteries. Peut-être que vos données n'incluent pas les loteries, mais d'après les chiffres que j'ai vus, 50 p. 100 de la population s'adonne aux jeux de hasard au moins une fois dans une année, si l'on inclut les loteries.
Le sénateur Lapointe : Pour moi, les loteries ne font pas partie des jeux de hasard, elles ne sont qu'un divertissement. Pour un joueur pathologique, ce pourrait être une forme de jeu mais pour la population en général qui vérifie simplement les résultats à la télé, cela n'a rien d'anormal.
À mes yeux, le craps, le vingt-et-un et la roulette sont des jeux de hasard. Les jeux qu'on trouve dans les casinos et surtout le vidéo poker sont des jeux de hasard. Si vous vous limitez à cela, vos données changeront considérablement.
M. Pruden : Je comprends ce que vous dites. Les études démontrent en effet que ceux qui s'adonnent aux loteries vidéo risquent davantage de devenir joueurs pathologiques que ceux qui achètent des billets de loterie.
[Français]
Le sénateur Lapointe : Sauf des mineurs; je ne connais personne qui est devenu accroché à un centième pourcent aux VLTs, si on fait la comparaison. De toute façon, je vous remercie pour avoir répondu aux questions. Je pense qu'avant de m'embourber davantage, je vais passer la parole à d'autres.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à l'accord de 1985 qui comprend un élément que nous devons aborder. Je vous renvoie à l'article 1 de l'accord qui est facile à comprendre et qui dit essentiellement que le gouvernement du Canada s'engage à se retirer de la vente des billets de loterie et du domaine du jeu-pari et à ne plus y participer, sauf pour exercer son rôle actuel prévu par l'article 198 du Code criminel à l'égard des courses de chevaux.
Dans cet accord, le gouvernement du Canada s'engage aussi à s'assurer que les droits des provinces dans ce domaine ne sont ni réduits ni limités. Je répète, le gouvernement du Canada s'est engagé à ce que les droits des provinces dans ce domaine ne soient ni réduits ni limités. Que se passe-t-il en cas de litige entre le gouvernement du Canada et les provinces, si les provinces estiment que leurs droits sont réduits ou limités? C'est prévu aussi à l'accord qui dispose que dans un tel cas, les provinces refusent de verser la somme prévue en contrepartie.
L'article 4 stipule que les provinces versent une somme conformément aux articles 2.1 et 2.2 et, en contrepartie, le gouvernement du Canada remplit l'engagement prévu à l'article 1. Dans le cas d'un litige relativement au respect de cet engagement, les provinces ont le droit de refuser de faire les versements jusqu'à ce que le litige soit réglé et de prendre tous les recours qu'elles ont relativement au différend.
Si je comprends bien l'accord, le gouvernement du Canada s'est engagé à maintenir le droit des provinces à exploiter des loteries par différents moyens, dont le vidéopoker. Elles pourraient juger qu'on limite leur droit d'exploiter des appareils de loterie vidéo et que cela constitue une réduction ou une restriction de leurs droits. Du coup, elles pourraient refuser de payer.
Revenons à ce que vous avez dit au début. L'an dernier, le gouvernement fédéral a reçu 59 millions de dollars. Je crois que vous avez dit que c'était pour l'année 2003.
M. Pruden : En fait, c'est plus de 59 millions, près de 60 millions de dollars pour 2003.
Le sénateur Joyal : Arrondissons donc à 60 millions de dollars, c'est plus facile à retenir. Avez-vous une idée des revenus des provinces et territoires provenant de l'exploitation de jeux de hasard et de paris et autres loteries exploitées aux termes de cet accord? Avez-vous une idée de ce que cela pourrait être?
M. Pruden : Cela fait déjà un bon moment que j'ai vu les chiffres de Statistique Canada à ce sujet, mais c'est dans les milliards de dollars.
Le sénateur Joyal : Disons que c'est une somme considérable en comparaison à 59 millions de dollars, que c'est une fraction. Je ne veux pas vous mettre sur la sellette, mais j'ai ici un rapport spécial de l'an 2000 qui donne le montant des avantages nets qu'ont retiré le Québec, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince-Édouard, Terre- Neuve, l'Alberta, le Manitoba et la Saskatchewan. Au Québec, pour l'an 2000, les avantages nets ont totalisé 692 millions de dollars.
Le sénateur Milne : En Ontario, c'était de 1,5 à 2 milliards de dollars.
Le sénateur Joyal : Cela représente donc plusieurs milliards de dollars pour tout le Canada. Supposons qu'une province juge qu'avec cet article 1, le gouvernement fédéral limite la capacité d'exploiter des loteries. Ensemble, les provinces pourraient refuser de verser des sommes totalisant 59 millions de dollars. Si nous devons négocier une somme proportionnelle, en calculant ce que 60 millions de dollars représentent proportionnellement à plusieurs milliards, nous devons conclure que les provinces réduiront leurs paiements proportionnellement aux pertes qu'elles devront essuyer dès lors que le gouvernement fédéral limitera leur capacité d'exploiter des appareils de loterie vidéo. C'est donc le gouvernement fédéral qui assumera les coûts, et non les provinces. Les provinces pourront nous obliger à réduire nos revenus.
Autrement dit, je croyais que nous priverions les provinces de revenus, mais c'est l'inverse. C'est le gouvernement fédéral qui, en dernière analyse, pourrait être appelé à payer cette modification au Code criminel. Les provinces seront en mesure de dire que, sur les 60 millions de dollars que nous vous versons, 10 millions de dollars — prenons un chiffre au hasard — proviennent des loteries vidéo; nous perdrons ces revenus puisque les appareils de loterie vidéo ne seront plus permis dans les bars de quartier.
Par conséquent, il incombe au gouvernement fédéral de prendre cette décision politique puisque c'est lui qui assumera les coûts de la proposition du sénateur Lapointe. Mon raisonnement est-il tout à fait tordu ou croyez-vous que c'est une hypothèse plausible?
M. Pruden : Il est certain que les versements pourraient être retenus en partie ou en entier. De plus, cela pourrait nuire aux relations fédérales-provinciales-territoriales.
La présidente : Si je peux me permettre de vous interrompre, sénateur Joyal, nos témoins de demain pourront probablement répondre aux questions sur les revenus des provinces. Nous aurons ces réponses demain.
Le sénateur Joyal : Nous aurons une idée plus précise des coûts. Bien sûr, si le gouvernement fédéral accepte de renégocier l'accord, ce sera pour le bien commun et non pas parce que le gouvernement fédéral veut mettre les provinces dans l'embarras. C'est simplement que le gouvernement fédéral est convaincu que les appareils de loterie vidéo qu'on retrouve un peu partout sont une véritable plaie pour notre société. Il y a consensus au sein de ce comité sur le fond du projet de loi du sénateur Lapointe. Toutefois, nous devons bien en comprendre les conséquences financières pour le gouvernement fédéral dans le contexte de cet accord.
Au début, quand nous avons soulevé la question de l'accord entre le fédéral et les provinces, je croyais que les provinces essuieraient des pertes. Il est certain que les provinces perdraient de l'argent, mais elles pourraient diminuer d'autant les versements qu'elles font au gouvernement fédéral. Au bout du compte, c'est Ottawa qui paiera.
Vous nous dites donc aujourd'hui que nous devrions nous attaquer plutôt au gouvernement fédéral qu'aux provinces.
M. Pruden : Il se peut que les provinces ne trouvent pas suffisamment d'établissements consacrés exclusivement aux jeux de hasard où elles pourront installer les appareils de loterie vidéo qui se trouvent actuellement dans les bars. Il se peut donc qu'elles perdent des revenus provenant des appareils de loterie vidéo se trouvant actuellement dans les bars.
Si tel est le cas, cela aurait une incidence financière sur les provinces qui perdraient une part ou la totalité des revenus provenant des appareils de loterie vidéo. Et il est vrai que, en vertu de l'accord, le fédéral pourrait s'attendre à en subir les conséquences aussi puisque les sommes qui lui sont versées chaque année pourraient baisser d'autant.
De plus, je crois que cela pourrait avoir une incidence sur les relations entre Ottawa et les provinces et les territoires de façon plus générale.
Le sénateur Joyal : Je suis d'accord avec vous en théorie, mais si ma mémoire est bonne, d'après ce que j'ai lu dans le journal, le ministre des Finances du Québec, M. Yves Séguin, a indiqué qu'au Québec, par exemple, cette année ou l'an prochain, on réduira le nombre d'appareils de loterie vidéo se trouvant dans les bars de 700 et qu'on versera aux propriétaires de ces bars une indemnité équivalant à une année d'exploitation de ces appareils de loterie vidéo.
Dans le pire des cas, le Québec réclamera du gouvernement fédéral qu'il paie les revenus générés en un an par les appareils de loterie vidéo qui seront supprimés si ces appareils ne peuvent se trouver que dans les hippodromes, les casinos et les autres endroits prévus par le projet de loi.
Les provinces ne peuvent quand même pas demander la lune, pour employer une expression populaire, car elles ne versent elles-mêmes qu'une somme équivalant au revenu annuel quand elles retirent les appareils de loterie vidéo d'une région parce que les effets y sont trop dévastateurs. Autrement dit, on pourrait calculer de façon très précise l'indemnité qui pourrait être versée aux provinces.
M. Pruden : Ce sont là en effet des stratégies que le gouvernement pourrait envisager. Tout ce que je pourrais vous dire à ce sujet ne serait que des conjectures.
Le sénateur Joyal : Bien sûr. Je ne vous demande pas de me dire précisément quel serait le montant de l'indemnité. Je tente simplement de raisonner en fonction du contenu de cet accord qui prévoit un dédommagement permanent. Cet accord se fonde sur le principe du dédommagement permanent versé chaque année. C'est un peu comme si le gouvernement fédéral avait loué aux provinces le champ de compétence des loteries qui, en vertu du Code criminel, relève de la compétence fédérale.
Nous comprenons que le gouvernement fédéral ne puisse céder pour toujours un de ses champs de compétence en vertu du Code criminel. Un jour, pour l'intérêt public, les choses pourraient changer. Le gouvernement fédéral pourrait conclure qu'il doit modifier le Code criminel ou restreindre certaines activités pour le bien-être de la société.
En d'autres termes, une province ne peut réclamer un dédommagement absolu pour toujours, car, en fait, les provinces occupent ce champ de compétence exclusivement fédéral parce qu'elles versent une indemnité chaque année. C'est une façon un peu légaliste de s'exprimer, mais c'est ainsi que je comprends l'essentiel de l'accord que nous avons sous les yeux.
M. Pruden : Je ne pourrais vous dire comment les provinces réagiraient. Elles pourraient être d'accord avec vous ou adopter une autre approche si le Parlement décidait de modifier le Code criminel en ce qui a trait aux appareils de loterie vidéo.
Je le répète, le Parlement a le pouvoir suprême, puisqu'il peut changer le Code criminel s'il le juge bon. Les retombées de l'accord sont une chose bien distincte de la capacité du Parlement de modifier le Code criminel.
Le sénateur Joyal : Je tente de trouver un raisonnement qui soit conforme au critère juridique, car nous devons penser à tout cela en pratique. Je suis soulagé par votre témoignage car nous savons maintenant qui paiera en dernière analyse : ce sera le gouvernement fédéral qui paiera à même les 60 millions de dollars qu'il reçoit des provinces et territoires chaque année. Cette somme sera réduite en fonction des pertes que devront essuyer les provinces. Ce sera une fraction de 60 millions de dollars.
Le gouvernement du Canada est-il prêt à assumer cette réduction?
La présidente : Ce sont des questions qu'il faudrait poser au ministre et non pas aux hauts fonctionnaires.
Le sénateur Joyal : Oui, vous avez raison. Je n'attends pas de réponse de la part du témoin.
M. Pruden : Si ce sont les provinces qui intentent une poursuite, elles ne se limiteront peut-être pas au versement qu'elles font au gouvernement du Canada. Les provinces jugeront peut-être que les dommages sont supérieurs aux sommes qu'elles versent actuellement au gouvernement du Canada.
Le sénateur Joyal : J'abonde dans le même sens que vous : quand on négocie, rien n'est sacré. Je n'y vois pas d'objection. C'est toujours ainsi que se passent les négociations. Toutefois, si les négociations s'avèrent difficiles, il faudra déterminer les obligations fondamentales du gouvernement fédéral. En l'occurrence, nous louons aux provinces, en échange d'une indemnité, la compétence exclusive de réglementer les loteries et les jeux de hasard en vertu du Code criminel. C'est là un argument qu'on pourrait très bien faire valoir.
M. Pruden : Il est certain que le Parlement conserve son pouvoir législatif conformément à la Constitution. C'est en apportant des modifications législatives au Code criminel qu'on a pu créer des exceptions dans des cas qui autrement auraient constitué des infractions.
Il est vrai que, chaque année, le Canada reçoit des sommes des provinces aux termes de ces accords.
Le sénateur Joyal : C'est une indemnité?
M. Pruden : En 1979, les provinces ont accepté de verser ces sommes parce que le Canada avait accepté de renoncer à l'exception qui lui permettait d'exploiter des loteries. En 1985, les provinces ont accepté de verser une indemnité en échange de l'adoption d'une loi par le Parlement. Ce projet de loi a été adopté et les paiements sont faits conformément à cet accord. Le Canada a retiré du Code criminel l'exception qui existait depuis 1969 et qui permettait au Canada d'exploiter des loteries en vertu du Code criminel.
Le sénateur Ringuette : J'ai une question à laquelle notre attaché de recherche pourra peut-être trouver une réponse. J'ai écouté ce qu'a dit le sénateur Joyal sur les répercussions financières. Je me demandais si les revenus provenant des jeux de hasard constituaient l'un des 33 éléments du régime de la péréquation.
La présidente : Non, je ne crois pas.
Le sénateur Ringuette : Non?
La présidente : Non.
Le sénateur Joyal : Je ne veux pas répondre à la place du témoin, mais...
Le sénateur Ringuette : Peu m'importe qui répond, du moment que j'ai une réponse.
[Français]
Le sénateur Lapointe : J'ai juste une petite remarque à faire.
[Traduction]
M. Pruden : Je ne connais rien aux paiements de transfert. Je serais bien heureux que quelqu'un d'autre réponde.
La présidente : Nous poserons la question à notre témoin de demain.
Le sénateur Joyal : Je me souviens avoir lu la liste des critères mais je ne souviens pas...
La présidente : C'est comme moi.
[Français]
Le sénateur Lapointe : J'aurais dû étudier plus longtemps et devenir avocat; comme cela j'aurais pu compliquer les choses simples.
[Traduction]
La présidente : Merci, monsieur Pruden, d'être venu. Notre prochaine séance se tiendra demain à 10 h 45.
La séance est levée.