Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 7 - Témoignages du 24 février 2005
OTTAWA, le jeudi 24 février 2005
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi S-11, Loi modifiant le Code criminel (loteries) se réunit aujourd'hui à 10 h 50 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Sénateurs, nous devons étudier le projet de loi S-11, Loi modifiant le Code criminel. Notre témoin, ce matin, est M. W.P. Rutsey, président de Multigames International Incorporated.
Bienvenue à notre comité. Nous sommes impatients d'entendre votre avis sur cet important projet de loi.
M. W. P. (Bill) Rutsey, président, Multigames International Inc. : Bonjour. Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant votre comité.
Multigames International est une société canadienne dans l'industrie internationale du jeu. Cela fait plus de 16 ans que je suis dans l'industrie du jeu, tant comme conseiller principal auprès des gouvernements et du secteur privé qu'à titre de président-directeur général d'entreprises d'exploitation de jeux, y compris ici en Ontario, comme dirigeant des modes de gestion de Coopers & Lybrand, en tant qu'expert conseil en jeux auprès du gouvernement de l'Ontario, du Casino Windsor et du Casino Rama; et à titre de président-directeur général d'une entreprise à propriétés multiples dans le marché des jeux de hasard le plus concurrentiel du monde, celui de Las Vegas. Cette fonction peut vous intéresser particulièrement, car il s'agissait d'une chaîne de bars des amateurs de sports et de petits casinos qui avaient des machines de vidéopoker, c'est-à-dire des jeux sur appareil de loterie vidéo.
D'après ce que je comprends, c'est cette expérience très variée qui me vaut l'honneur d'avoir été invité à témoigner devant vous.
J'ai lu les transcriptions des exposés faits antérieurement devant le comité, dans votre site Web, et j'ai préparé quelques brèves observations en me fondant sur des données et des rapports de recherche sectorielle publiés et bien étayés, ainsi que sur mon expérience personnelle. J'ai voulu éviter les observations anecdotiques, comme celles que vous avez pu entendre sur certaines personnes qui portent des couches, urinent par terre, vomissent sur les machines, et cetera. Je peux vous assurer d'après mon expérience qu'il s'agit là de comportements tout à fait inhabituels d'un nombre très limité de personnes souffrant de graves problèmes et qui ne représentent pas du tout la vaste majorité des clients des jeux.
Je voudrais commencer par dire que, tout comme le sénateur Lapointe et vous tous, j'estime sincèrement que le jeu compulsif ou la dépendance au jeu est un problème très grave pour les personnes qui en souffrent et pour leur famille. Je pars du principe, et en cela je semble rejoindre les sentiments exprimés par votre vice-président, le sénateur Eyton, que bien que la dépendance au jeu soit une maladie grave — on estime que 1 p. 100 ou moins de la population adulte l'est en permanence, et que 4 p. 100 de la population a des problèmes modérés —, en réglementant et en interdisant l'offre de produits de divertissement très populaires en raison de la pathologie de 1 p. 100 ou moins de la population, on a recours, semble-t-il, à des moyens draconiens et répressifs. C'est comme si on imposait à la population générale de strictes limites à l'accès aux boissons alcoolisées par crainte qu'un alcoolique puisse aussi y avoir accès.
Je commencerai par examiner certaines observations anecdotiques et certains des mythes les plus répandus et qui ont déjà été mentionnés.
Le sénateur Lapointe a dit que 78 p. 100 des personnes qui avaient des problèmes avaient utilisé des appareils de loterie vidéo. Il a probablement raison, mais cela revient à dire que la plupart des alcooliques ont pris quelques bières. Statistiquement, cela correspond à la préférence générale des joueurs ou aux jeux choisis par tous les clients de casinos. Les machines à sous et les vidéopokers sont le premier choix de 74 p. 100 des clients. Le jeu est constamment attaqué parce qu'il offre aux clients des produits qu'ils aiment.
Vous avez entendu les témoignages selon lesquels les jeunes courent un risque disproportionné à cause des appareils de loterie vidéo. En réalité, ces appareils et les machines à sous sont moins populaires auprès des jeunes joueurs — 69 p. 100 des personnes âgées de 21 à 35 ans les utilisent, comparativement à 77 p. 100 des gens de plus de 50 ans.
Le sénateur Lapointe a déclaré que les appareils de loterie vidéo étaient plus nombreux dans les quartiers pauvres de Montréal que dans les quartiers riches. Il a sans doute raison, mais je soupçonne aussi que c'est une question de zonage et de permis. D'après mon expérience, ce n'est pas une bonne pratique de marketing ou de commerce. Comme je vous l'ai dit, j'ai été président-directeur général d'une société qui possédait 21 bars de quartier à Las Vegas, tous équipés de vidéopokers. Nos bars les moins performants se trouvaient dans les quartiers les moins favorisés. Nous cherchions toujours et seulement de nouveaux emplacements dans des bons quartiers, plus aisés. Ce qui m'amène à cette rengaine que l'on entend souvent, soit que le jeu est une taxe sur les pauvres, ou sa variante, les pauvres dépensent une plus grande partie de leurs revenus en loterie que les riches. Ils dépensent aussi une plus grande partie de leurs revenus en nourriture et en loyer et ils ont moins d'épargne que les riches, et ce, parce qu'ils ont moins d'argent, et non pas parce qu'ils ne peuvent pas s'en empêcher. En fait, le client moyen d'un casino est légèrement plus âgé, plus riche et plus instruit que la population en général et il a plus probablement un emploi de col blanc.
Des témoins vous ont dit que les adolescents ont un accès facile aux appareils de loterie vidéo à cause du laxisme, voire de la négligence totale de l'application des lois sur l'âge de la majorité. Ce n'est là qu'un problème d'application de la loi. Au Nevada, les propriétaires de commerce, la police et les autorités de régie des jeux prennent cela très au sérieux. Ce n'est pas quelque chose qui arrive si on ne veut pas que cela arrive, d'un point de vue de réglementation.
Il est tout simplement mauvais pour les affaires et peu judicieux de mettre en péril une entreprise et bien des emplois pour tirer quelques dollars des poches de clients mineurs. En fait, c'est carrément idiot.
L'assistant de recherche du sénateur Lapointe a parlé des appareils de loterie vidéo comme du « crack du jeu... », c'est-à-dire qu'il suffit d'y jouer une fois pour être presque immédiatement accroché. J'aimerais commencer par le « crack ». C'est Donald Trump qui a inventé l'expression dans une tentative pour limiter la compétition faite à ses casinos. Il n'a fait qu'armer tous les adversaires du jeu d'une expression choc, très parlante. Il est tout simplement absurde de prétendre qu'on puisse devenir un joueur pathologique instantanément. Des millions de gens utilisent chaque jour ces jeux de façon responsable, dans le monde entier.
Par exemple, il y a environ 250 000 appareils de loterie vidéo en Espagne, qui a une population de 40 millions d'habitants, contre 38 000 de ces machines au Canada. Je vous inviterais tous et chacun à essayer une machine de loterie vidéo ou à tenter votre chance au vidéopoker. Vous pouvez aimer ou ne pas aimer, mais je doute que vous soyez immédiatement accroché ou que vous le deveniez même après avoir joué des douzaines de fois.
Je voudrais maintenant passer aux données de la recherche menée à la Harvard Medical School justement sur ce sujet, et dont les conclusions ont été présentées par Howard Shaffer, le directeur de la division des toxicomanies à la Harvard Medical School. Il déclare qu'un mythe entoure le comportement de dépendance au jeu, selon lequel c'est le jeu qui déclenche le trouble. De fait, le jeu ne déclenche pas le trouble, parce que si c'était le cas, quiconque joue finirait par en souffrir. Les problèmes de dépendance au jeu se manifestent avec toutes les formes de jeux. C'est la relation d'une personne avec les vulnérabilités du jeu qu'elle joue, ce que ces vulnérabilités signifient pour elle et la manière dont elle entre dans leur vie qui détermine, en fait, si cette personne aura ou non un problème.
J'aimerais maintenant passer aux données de la recherche, notamment le rapport récent, qui a été largement diffusé, sur les sources de recettes des jeux en Ontario. Je citerai des constats de recherches antérieures que vous a présentés la Canada West Foundation, qui sont une synthèse de son rapport de recherche no 16 intitulé les « Jeux de hasard au Canada ».
Tout d'abord, environ 75 p. 100 des Canadiens participent à une forme légale de jeu de hasard. Deuxièmement, rares sont les Canadiens qui ont de la difficulté à maîtriser leur goût du jeu, mais pour ceux qui ont des problèmes, les conséquences du comportement pathologique sont souvent graves. Troisièmement, le jeu est devenu une manne pour le gouvernement, les œuvres de charité et les entreprises. Quatrièmement, pour un certain nombre d'entités — les Premières nations, les œuvres de charité, les hôpitaux, les universités, et cetera. — les jeux de hasard offrent des possibilités de rétablissement financier et d'expansion économique.
Quant au rapport récent qui a fait des gorges chaudes, sur la démographie des sources de recettes du jeu en Ontario, ses conclusions choquantes sont que les personnes qui aiment le jeu ou qui jouent très fréquemment, et cela comprend le 1 p. 100 de la population qui souffre d'une pathologie du jeu, contribuent de façon disproportionnée aux recettes de jeu des casinos, et cetera. C'est un peu comme dire que les gens qui ont des billets de saison pour les Canadiens de Montréal contribuent plus aux recettes que ceux qui ne vont qu'à une ou deux parties par an, ou que les gens qui aiment boire du vin avec leur repas contribuent davantage aux ventes d'alcool que les tenants de l'abstinence, et que les fumeurs payent davantage de taxes sur le tabac que les non-fumeurs. Cela va de soi.
Mais à la différence des personnes qui sont choquées et surprises par la conclusion du rapport, à savoir que 35 p. 100 des recettes des jeux viennent de moins de 5 p. 100 de la population adulte, qui souffre d'un problème modéré ou grave — en passant, ces conclusions dépassent de très loin les études antérieures, quelles qu'elles soient, notamment celle de l'Université de Chicago qui avait déterminé que moins de 4 p. 100 des recettes brutes quotidiennes des casinos venaient de joueurs pathologiques. J'ai effectivement lu tout le rapport, j'ai laissé à ses auteurs le bénéfice du doute quant à son exactitude, et j'ai revu leurs chiffres. On peut certainement contester la méthodologie, les postulats et la logique des auteurs. Eux-mêmes ont fixé des limites à l'interprétation de leurs conclusions.
Je vais citer une traduction libre d'un extrait de ce rapport :
« [...] les conclusions en ce qui concerne les dépenses de jeu sont des estimations [...] La proportion des recettes provenant des joueurs pathologiques graves est très approximative [...] Les dépenses déclarées ne correspondent pas aux recettes réelles [...], et cetera.
Les conclusions du rapport sont fondées sur le postulat que, si tous les types de joueurs minimisaient ou gonflaient les chiffres dans la même mesure, alors, la proportion des recettes qui proviennent des joueurs pathologiques serait la même sans égard à — autrement dit, les mensonges et les erreurs signalées dans les données finissent par se compenser. On dirait qu'il manque quelque peu de rigueur.
Il est aussi très suspect que l'incidence du jeu pathologique qu'ont relevée les auteurs est de 26 p. 100 à 140 p. 100 supérieure aux chiffres d'autres études récentes.
Le rapport a conclu que la contribution moyenne de ce segment de la population était de 3 118 $ par personne par an, par rapport à 427 $ pour l'ensemble de la population. À supposer que ces chiffres apparemment gonflés par rapport à toute autre étude soient exacts, un simple calcul nous montre que cela fait une moyenne de 8,50$ par jour, soit le coût de deux cafés au lait chez Starbuck ou d'un verre de vin dans un restaurant, et moins que le prix d'un billet de cinéma.
Si on veut faire une comparaison, un billet pour une place à une partie des Maple Leafs de Toronto, l'an dernier, coûtait entre 37 $ et plus de 400 $. Les Raptors offrent des mini forfaits de 10 parties pour 360 $ à 1 800 $ la place; et une seule place au poulailler, pour voir une partie des Blue Jays vaut 9 $, et les billets coûtent jusqu'à 205 $. Au total, pour une place pour toute la saison, c'est 16 000 $. Est-ce que ces gens-là sont des drogués? Ont-ils besoin de traitement, ou d'une loi pour les protéger?
Vous comprendriez peut-être mieux une comparaison avec la consommation d'alcool. En Ontario, la LCBO déclare que le marché des boissons alcoolisées pour la province se chiffre à 8 milliards de dollars, soit près de deux fois la taille du marché des jeux de hasard. Le Centre de toxicomanie et de santé mentale affirme que 82 p. 100 des adultes en Ontario consomment de l'alcool, dont 10 p. 100 se disent grands buveurs, soit plus de deux fois le nombre de joueurs qui ont des problèmes légers à graves, et 5 p. 100 ont une dépendance physique à l'alcool, soit cinq fois plus que le nombre de joueurs pathologiques invétérés. Il ne fait pas de doute que ces grands buveurs et ceux qui souffrent d'une dépendance physique contribuent aussi de manière largement disproportionnée aux recettes que rapporte l'alcool au gouvernement.
Ma conclusion, c'est que la plupart d'entre nous buvons de façon responsable, et le jeu est un plaisir inoffensif pour 95 à 98 p. 100 de la population. Le jeu pathologique pose un problème grave à ceux qui en souffrent et à leur famille, tout comme la consommation excessive d'alcool peut le faire. Mais je n'entends pas la clameur du public, je ne vois pas de projet de loi proposé du Sénat pour que les ventes d'alcool, de vin et de bière fassent l'objet d'un moratoire ou pour fermer les établissements touristiques titulaires de licences. Alors la question que je pose, c'est pourquoi faire deux poids deux mesures?
Si l'histoire nous a appris quelque chose, c'est que la prohibition ou la restriction rigoureuse de l'accès n'a pas les effets recherchés. Elle ne fait que stimuler l'activité clandestine et criminaliser le comportement social normal et responsable de la vaste majorité de la population.
Comme le projet de loi examiné vise à limiter les appareils de loterie vidéo aux hippodromes et aux casinos et à les retirer des petites entreprises en zonage commercial, je voudrais vous faire partager mon expérience dans le domaine des bars d'amateurs de sport à Las Vegas. Nos bars avaient en général une surface de 4 000 à 5 000 p.c.; ils avaient un thème sportif, de multiples écrans de télévision, dont quelques grands écrans, des tables de billard, des jeux de galets, des jeux d'échec et autres jeux de groupe, et 15 machines de vidéopoker, habituellement encastrées à même le bar. Notre objectif était de créer un coin tranquille qui soit convivial, propre et confortable, où nos clients pouvaient s'amuser avec leurs amis et leurs voisins, et rencontrer des gens. Nos principaux produits étaient la bière froide, des gourmandises et des jeux. Notre plan d'affaires avait pour objectif de prendre un petit peu d'argent à beaucoup de monde. Notre commerce dépendait continuellement d'une clientèle régulière qui avait un budget de divertissement et qui s'y tenait, et nous ne cherchions pas à siphonner tout le budget des gens en une seule fois.
Nos clients préféraient aller dans un petit établissement de quartier qui soit accueillant plutôt que de fréquenter les grands casinos impersonnels remplis d'étrangers, comme il y en a beaucoup à Las Vegas. Ce type de lieu intime, de dimensions réduites, bien administré et réglementé est beaucoup plus propice à la surveillance de la conduite des clients et à la détection des comportements excessifs ou à problème qu'une grande salle anonyme d'hippodrome ou de casino remplie de machines à sous. Nous n'avions pas de clients qui portaient des couches et nous ne les aurions pas laissés uriner par terre, ni ne les aurions laissé boire au point de se rendre malades. Le témoignage que vous avez entendu auparavant à ce sujet est tout simplement la marque d'une mauvaise gestion et d'un manque fondamental de surveillance et de réglementation.
Le projet de loi envisagé me rappelle des campagnes menées par de grands exploitants de casino au Nevada pour s'opposer aux petits établissements locaux, dans le but d'écraser les petits commerces et d'agrandir leur part du marché.
Pour terminer, je voudrais vous soumettre trois questions, à savoir :
Un, si les vidéo loteries sont la terrible calamité qu'on en fait, pourquoi ne les interdisez-vous pas entièrement au lieu de détourner des recettes des petits établissements pour les transférer aux propriétaires d'hippodromes et aux casinos?
Deux, pensez-vous qu'il soit judicieux de transférer du revenu et de la richesse des petits établissements vers les propriétaires d'hippodromes et les casinos? Par exemple, d'après le rapport annuel de Loto-Québec, 1,129 milliard de dollars ont été dépensés et 277 millions de dollars ont été versés aux exploitants d'appareils de loterie vidéo en 2004. N'importe quel indicateur de l'incidence économique révélerait que cela représenterait une contribution de taille aux diverses économies régionales et aux salaires des Québécois moyens, puisque ce serait assez pour payer les salaires de 5 000 à 9 000 emplois à temps plein et à temps partiel, selon la méthode d'évaluation employée. Estimez-vous vraiment qu'il vaut mieux détourner ces dépenses importantes de tourisme et de divertissement des établissements locaux de petites collectivités pour les transférer aux plus grandes entités, aux propriétaires d'hippodromes et aux casinos gouvernementaux dans les plus grands centres? Rien qu'au Québec, ce serait soustraire 277 millions de dollars de bénéfices commerciaux au PIB de la province. Cela correspondrait à plus d'un milliard de dollars de transferts de richesse vers ceux qui ont déjà le portefeuille bien garni.
Trois, pensez-vous vraiment que le comportement de joueurs invétérés puisse être mieux surveillé dans les grandes installations anonymes que dans les petits établissements où il y a bien plus de chances que le personnel de service connaisse personnellement la clientèle et puisse repérer les comportements compulsifs?
Je suis prêt à répondre à vos questions.
La présidente : Il me semble que vous avez participé à la formulation de la politique sur les jeux et à la création d'un casino en Ontario?
M. Rutsey : Oui.
La présidente : Dans un article du 20 mai 2000, le quotidien Ottawa Citizen disait que plus de 20 000 appareils de loterie vidéo sont en circulation en Ontario, d'après les autorités policières. L'une des craintes très légitimes que suscite ce projet de loi, c'est que l'interdiction de ces appareils pourrait ouvrir les vannes de l'activité clandestine. J'aimerais avoir votre avis là-dessus.
M. Rutsey : C'est tout à fait vrai. Vous n'auriez qu'à en parler avec quiconque du milieu de l'application de la loi, comme je l'ai fait, et on vous dirait que le nombre d'appareils de loterie vidéo clandestins ou illégaux a chuté depuis la légalisation des jeux en Ontario. Je le répète, les gens aiment jouer, et si vous leur donnez le choix entre un environnement sûr et légal et un environnement illégal et crasseux, ils choisiront toujours le contexte sûr et légal. Si les autres existent toujours, c'est que de nombreuses collectivités n'ont pas facilement accès aux formes légales de jeu, et c'est probablement là qu'on trouve la majorité des machines clandestines ou illégales.
La présidente : Pensez-vous que l'industrie du jeu devrait assumer une part de la responsabilité de régler un problème social grave comme le jeu pathologique?
M. Rutsey : Je pense que oui, mais je pense qu'elle fait plus que toute autre industrie.
Je n'ai pas de chiffres devant moi, mais la Société des loteries et des jeux de l'Ontario réserve une forte somme directement à la lutte contre le comportement pathologique du jeu, comparativement, disons, à la LCBO, qui ne verse pas un seul dollar mais s'assigne tout le mérite, dans son site Web, parce qu'elle laisse l'organisme Mothers Against Drunk Driving déposer ses petites boîtes dans ses magasins. Je pense que les gens sont plus exigeants à l'égard de l'industrie du jeu qu'à celui d'autres industries, et je pense que l'industrie du jeu a réagi. Elle a un code de conduite et des programmes d'auto-exclusion. Rien n'est parfait, mais elle fait beaucoup plus que toute autre industrie du genre, comme celle de l'alcool.
Le sénateur Andreychuk : Nous vous remercions de présenter une perspective différente que nous pouvons intégrer à notre réflexion.
À ce que je comprends de votre exposé, vous pensez que le problème vient de la manière dont les administrations municipales ou provinciales régissent le zonage et d'autres règlements concernant les appareils de loterie vidéo. Est-ce que vous pensez que si ces autorités exerçaient mieux leurs responsabilités, cela éliminerait une part de l'excédent d'appareils de loterie vidéo dans les quartiers?
M. Rutsey : Oui, absolument. Pour ce qui est des jeunes qui se faufilent discrètement dans les bars pour y jouer, nous avons probablement tous essayé d'entrer dans un bar avant l'âge, quand nous étions plus jeunes, pour y prendre un verre. À une époque, il fallait avoir 21 ans pour entrer dans un bar, et j'en avais déjà fréquenté quelques-uns avant d'atteindre 21 ans. C'est un problème constant, mais c'est un problème d'application de la loi et de gestion.
Cela peut sembler curieux, parce que les gens ont un point de vue différent de Las Vegas et du Nevada, mais ils traitent le jeu comme ce qu'ils appellent une industrie privilégiée. On n'a pas un droit d'exploiter; c'est un privilège. Lorsqu'on obtient un permis, on assume d'énormes responsabilités. On peut s'en tirer en laissant des gens qui ne sont pas encore en âge de jouer le faire une ou deux fois, mais on se fait retirer le permis et on perd l'entreprise, alors les gens prennent la chose très sérieusement. La police fait des vérifications dans les bars. Il y a des systèmes de vérification de l'identité très rigoureux à tous les bars. Il y a probablement un énorme commerce de fausses pièces d'identité, mais c'est pris très au sérieux.
Je ne voudrais pas faire dire au sénateur Lapointe ce qu'il n'a pas dit, mais il semble parler d'endroits qui sont plus préoccupés de faire quelques dollars rapidement aujourd'hui que d'exploiter une entreprise de façon responsable, et c'est un problème pour la police locale et les organes municipaux de délivrance de permis.
Le sénateur Andreychuk : Je m'intéresse à l'étude de la Harvard Medical School. Savez-vous si une étude similaire a été faite au Canada?
J'ai grandi à Saskatoon, qui a été fondée dans la foulée du mouvement pour la sobriété. Nous débattons depuis des siècles des bienfaits et des méfaits de l'alcool. Est-ce qu'une part du problème vient de ce que le jeu était clandestin et pratiqué par quelques-uns seulement, mais maintenant il s'est largement répandu et on ne le comprend toujours pas pleinement? Est-ce une question d'éducation et de réorientation des entreprises et des gouvernements pour composer avec le jeu de manière responsable et assigner des mécanismes de contrôle appropriés?
M. Rutsey : Je ne suis au courant d'aucune étude de ce genre au Canada.
Je suis d'accord avec votre analogie à l'alcool. Si je peux revenir encore à l'époque où j'étais jeune, en Ontario, nous avions des tavernes où on pouvait consommer de l'alcool, où il y avait une salle des hommes, une salle des femmes et des accompagnatrices. La salle des hommes était ce que vous pouvez imaginer de plus crasseux. Les sols étaient sales, les tables et les chaises donnaient l'impression d'avoir été prises aux poubelles. C'est comme si le gouvernement disait qu'on pouvait boire, mais qu'on ne pouvait pas s'amuser.
Nous avons évolué depuis, mais nous sommes en train de vivre une période similaire d'attitude sociétale. Les gens le font depuis le début des temps. Pour 95 à 99 p. 100 d'entre nous, ce n'est pas un problème; c'est un autre choix de divertissement, tout simplement.
Si nous adoptions la même approche à l'égard de l'alcool, il y aurait à Toronto trois endroits où on pourrait boire, et ce serait d'énormes stades. On ne pourrait pas acheter d'alcool pour consommer chez soi. On ne pourrait pas prendre un verre de vin avec le dîner à la maison. Je ne dis pas que c'est que nous devrions faire, mais c'est le genre d'attitude que nous avons à l'égard du jeu. Nous disons que c'est mauvais et que nous ne l'aimons pas, mais si quelqu'un veut le faire, on regarde de l'autre côté.
Le jeu est un divertissement innocent pour la grande majorité des gens, alors je ne comprends pas pourquoi nous créons une politique générale à cause d'une très petite portion de la pathologie de la population, bien que je ne veuille pas dire par-là que nous n'avons pas besoin de créer des programmes de traitement pour eux.
Le sénateur Andreychuk : Avec l'alcool, nous avons fait des essais et connu des échecs. Nous sommes passés par des phases où nous l'avons complètement interdit, et des phases de plus grande tolérance à son égard, doublée de beaucoup d'éducation et de mécanismes de soutien. Avec le jeu, il ne semble pas y avoir d'éducation ou de mécanisme de soutien, et nous ne savons exactement comment composer avec lui.
Tous ces casinos qui ont été créés partout au pays ont soulevé une véritable controverse. C'est un phénomène récent, dont nous ne connaissons pas encore les retombées. Nous en voyons les effets négatifs, et c'est pourquoi nous sommes ici. Comment devons-nous nous y prendre?
M. Rutsey : Je ne pense pas que la légalisation du jeu ou des jeux de hasard soit la source de la pathologie. Cela n'a fait que la rendre plus visible, et donner aux gens une cible facile pour leurs reproches.
Je peux parler de ma propre expérience, dans ma famille. Mon père aimait parier aux courses un peu trop souvent, et il est arrivé que cela ait de graves conséquences pour notre famille, alors je ne prends pas la chose à la légère. Je pense néanmoins qu'il vaut mieux légaliser une activité que bien des gens aiment faire, et veiller à la tenue de jeux équitables et dignes de confiance dans un contexte où les gens peuvent être vus, pour qu'ils n'aient pas à le faire en cachette.
La clandestinité est un contexte fécond pour les comportements aberrants.
Le sénateur Rivest : Est-ce que vous croyez que la hausse du nombre d'appareils vidéo aurait pour conséquence directe d'augmenter le nombre de joueurs invétérés?
M. Rutsey : En deux mots, probablement pas. On reconnaît que un pour cent de la population souffre en permanence d'un grave problème, et ces gens-là vont jouer, d'une façon ou d'une autre. Soixante-dix-sept à 78 p. 100 des joueurs aiment utiliser les machines de loterie vidéo et les machines à sous. Un joueur pathologique qui a accès à diverses formes de jeux choisira celle qui lui plaît le plus. C'est exactement comme l'alcool, si vous aimez la bière, vous boirez de la bière; si vous aimez le vin très alcoolisé, c'est ce que vous boirez. On choisit soi-même son poison.
Je ne pense pas que cela ait nécessairement augmenté les niveaux de pathologie. Tout ce que la légalisation a fait, c'est qu'elle a rendu le problème beaucoup plus visible parce que ces gens affichent maintenant leur dépendance dans des lieux publics plutôt que d'agir en privé, dans des salles clandestines ou de sombres ruelles.
Le sénateur Rivest : S'il y avait un bar ouvert à un collège, pourrions-nous nous attendre à ce qu'il y ait plus d'étudiants qui aient des problèmes d'alcoolisme?
M. Rutsey : Dans n'importe quelle ville universitaire où il y a un bar sur le campus ou des bars autour du campus, les jeunes qui veulent boire boivent et ceux qui ne veulent pas boire ne boivent pas. C'est l'évidence même que la plus grande accessibilité facilite n'importe quoi.
Le sénateur Rivest : Ne voyez-vous vraiment aucun lien entre le nombre de machines de loterie vidéo et le nombre de personnes qui ont des problèmes?
M. Rutsey : Je dirais que le lien est, tout au plus, ténu. Il peut être progressif, mais je pense que c'est une très mince progression. Le nombre de joueurs pathologiques ne monte pas en flèche avec l'introduction de nouvelles formes de jeu. Il devient tout simplement plus visible.
Nous suivons la question depuis plusieurs années au Canada, et cela a toujours été de l'ordre de un pour cent. Comme je l'ai dit, au Canada, nous avons 38 000 machines de loterie vidéo et en Espagne il y en a 450 000. Je ne pense pas qu'il y ait 10 ou 12 fois plus de joueurs pathologiques en Espagne qu'au Canada. En fait, cela n'a probablement pas beaucoup de rapport.
Le sénateur Rivest : Est-ce que vous pensez que le gens seraient d'accord avec le gouvernement s'il augmentait nettement le nombre de machines de vidéopoker ou de casinos? La population craindra que cela entraîne des problèmes sociaux. Je pense qu'il y a un lien très net entre le nombre d'endroits permettant le jeu et le niveau de problèmes de jeu.
M. Rutsey : Je pense que vous avez raison, mais on craignait, dans les années 1920 et 1930 que l'accessibilité de l'alcool ne favorise une hausse de l'alcoolisme, et je pense que le taux d'alcoolisme a augmenté pendant la prohibition. Ce que les gens pensent ou craignent ne reflète pas forcément la réalité d'une situation.
Le sénateur Sibbeston : Je vois, d'après les renseignements que vous nous avez donnés sur vous, que vous êtes très impliqués avec les grands casinos, alors peut-être n'êtes-vous pas la personne à qui nous devons demander les renseignements dont nous avons besoin. Le sénateur Lapointe se soucie surtout des ouvriers pauvres qui ont des problèmes de jeu. Il ne s'agit pas des riches qui vont à Las Vegas. Ces gens-là, généralement, ont de l'argent et ont suffisamment de discipline pour ne pas se faire de tort.
Ceci me rappelle le problème de l'alcool parmi les Autochtones des Territoires du Nord Ouest, d'où je viens. Le gouvernement a amené l'alcool dans le Nord, ne sachant pas le tort que cela ferait à la population. Les Européens consommaient de l'alcool depuis des milliers d'années, mais les Autochtones n'en avaient aucune expérience. Ils arrivaient de leurs igloos et de leur tepees, en fait, et entraient dans la société, et ils ne connaissaient pas l'alcool. Il a été prouvé médicalement que le métabolisme des Autochtones ne sait pas composer avec les hydrates de carbone, alors l'alcool a fait des ravages sur eux.
L'alcool a fait des ravages parmi les peuples autochtones; mais le gouvernement pensait que puisque l'alcool était accessible dans le Sud, il devait aussi l'être aux peuples autochtones. Les conséquences ont été dévastatrices; les gens meurent d'un excès d'alcool.
Il y a des similitudes entre cela et la situation des jeux de loterie vidéo. Je pense que le sénateur Lapointe craint les conséquences que peut avoir l'alcool dans les quartiers, les collectivités et les pubs locaux où il y a des jeux de loterie vidéo, fréquentés par des ouvriers bien ordinaires qui n'ont pas la discipline nécessaire pour composer avec la dépendance au jeu et qui, invariablement, se font du tort.
Vous êtes à un niveau très élevé. Vous ne voyez pas les conséquences pour les gens des quartiers et des collectivités. C'est un cri d'espoir; un appel à l'aide pour les gens qui ont des problèmes et dont la vie est ravagée. C'est un effort pour, à tout le moins, éviter que des gens en souffrent.
Je ne sais pas si vous pouvez vraiment nous aider dans notre démarche, parce que vous gagnez votre vie à traiter avec des établissements de jeu. Vous êtes probablement bien loin de la situation des petits quartiers. Néanmoins, si vous pouvez comprendre l'objet de nos préoccupations, pouvez-vous nous aider?
M. Rutsey : Comme je vous l'ai dit, j'ai une expérience très diversifiée. J'ai été consultant et conseiller pour les gouvernements sur la question des gros paris, et dans le secteur privé, j'ai été directeur d'une compagnie qui possédait 21 bars de quartier à Las Vegas. J'étais dans le feu de l'action. Ces établissements étaient dans toutes sortes de quartiers, des quartiers pauvres et des quartiers riches. Les bars des quartiers plus riches faisaient en fait plus d'argent que les bars des collectivités plus pauvres, parce que les gens plus riches ont de plus gros budgets et plus de revenu discrétionnaire.
Je comprends votre réaction sincère au problème de la consommation de l'alcool dans le Nord. Cependant, je ne pense pas que ce soit une bonne analogie. Le jeu fait partie de la société depuis le début des temps. Il n'y a pas de gène défectueux chez les Canadiens en général qui les rend dépendants du jeu dès l'instant où quelqu'un leur met quelques cartes en main.
Les gens qui vont à Las Vegas représentent un large éventail de la classe moyenne américaine et canadienne. Le joueur moyen qui n'a pas de problème est un peu plus âgé que la moyenne de la population en général, a quelques dollars de plus et est un peu plus instruit. Le profil de joueurs pathologiques ou à problèmes est quelqu'un d'un peu plus jeune, moins instruit et non caucasique. Ce sont les faits. Ce qu'il faut, c'est concevoir des programmes pour atteindre et trouver ces gens-là.
Un autre problème, c'est le traitement des gens qui ont des dépendances, que ce soit des alcooliques, des joueurs invétérés jeu ou des gros fumeurs. On ne les arrête pas, et on ne peut pas les obliger à suivre un traitement. Les gens doivent eux-mêmes vouloir le traitement pour leur problème, quel qu'il soit, sinon ils ne le règleront jamais. L'industrie du jeu a bien des programmes pour aider les joueurs. Ils en ont bien plus que n'en offre l'industrie de l'alcool, pour traiter les problèmes d'alcoolisme.
L'industrie du jeu pourrait faire mieux, mais si vous enlevez une activité légitime à un petit établissement pour la donner à de riches propriétaires d'hippodrome ou aux exploitants de casinos, ce sont les mêmes gens qui iraient là. Vous ne feriez que déplacer l'activité économique d'un petit établissement à une grosse entreprise. Vous ne changeriez rien à la manière dont les gens jouent ou se comportent.
Le sénateur Sibbeston : Pour revenir à mon exemple du Nord, après bien des réunions publiques, nous avons mis en place des mesures de contrôle. Nous avons admis que les peuples autochtones ne peuvent supporter l'alcool et avons décidé qu'en tant que gouvernement et que société, nous n'allions pas en faciliter l'accès.
Je pense que le sénateur Lapointe voudrait que le gouvernement envoie un message à la population. Si nous permettons le jeu à tous les coins de rue, c'est comme si la société et le gouvernement reconnaissaient que c'est un bon mode de vie, et l'encourageaient. Si nous le supprimions, cela reviendrait pour le gouvernement à reconnaître que ce n'est pas une si bonne chose, que notre société ne compose pas très bien avec le jeu, qu'il a de graves répercussions et que le gouvernement fera tout en son pouvoir pour, à tout le moins, s'assurer qu'il ne soit pas trop facilement accessible dans les quartiers. On ne peut pas vraiment faire grand-chose au sujet du jeu aux hippodromes et dans les grands centres; c'est une réalité de notre société.
Je pense qu'il serait utile que le gouvernement prenne cette position. Ce serait envoyer un message à la société que ce n'est pas une si bonne idée que le jeu soit si facilement accessible.
M. Rutsey : Je vois ce que vous voulez dire, mais je pense que ces gens-là trouveront d'autres moyens de jouer. Leur pathologie ne disparaîtra pas, et les conséquences pour leur famille seront les mêmes.
J'espère que vous ne pensez pas que j'essaye de dire qu'il nous faut un bar avec 15 ou 30 machines de loterie vidéo à tous les coins de rue, dans tous les quartiers. C'est une question d'offre et de demande, de la même façon que pour les établissements détenteurs de permis en général. Quel est le nombre approprié d'établissements de divertissement autorisés et réglementés dans un secteur donné, que ce soit des tavernes, des restaurants ou des cinémas? C'est une approche plus réaliste.
[Français]
Le sénateur Lapointe : Je vous félicite pour ce que vous avez apporté au comité. Je trouve que la publicité de Multigames International est très intéressante. On y voit toute la beauté du jeu, tout cet environnement spécial, les filles qui se promènent avec des verres.
Toutefois, cette publicité montre des endroits qui sont sous surveillance. Je suis allé à Las Vegas en janvier dernier, j'étais l'invité de René Angelil, le mari de Céline Dion. J'ai logé dans une suite et j'ai été traité comme un roi. Je suis arrivé avec 1 800 dollars américains et je suis parti avec 1 900 dollars. Je me suis acheté beaucoup de vêtements.
Le sénateur Joyal : Avez-vous tout déclaré aux douanes à votre retour au pays?
Le sénateur Lapointe : Non, parce qu'on vous demande si vous avez 10 000 $ ou plus.
Monsieur Rutsey, je suis un joueur et je sais de quoi je parle. On m'invitait souvent, quand j'allais en France, à aller jouer au Casino de Monte Carlo. Je peux donc dire que j'ai une certaine expérience du jeu.
Je voudrais qu'il soit clairement spécifié que je ne suis pas contre les casinos. Ma suggestion de retirer des bars les loteries vidéo découle de la promiscuité des endroits pour les joueurs de la classe moyenne.
Quand je dis qu'on a installé des loteries vidéo dans des quartiers défavorisés, je parle en connaissance de cause. J'ai fait le tour, j'ai fait l'enquête. Il est important de reconnaître que tous les endroits dans lesquels Multigames International a des intérêts sont des endroits sous haute surveillance tandis que dans les bars de Saint-Henri à Montréal, il n'y a aucune surveillance.
L'exemple que vous avez donné, les gens qui portent des couches, ce n'est pas mon exemple à moi. C'est celui du président de l'Association des restaurateurs et employés de bars qui affirmait que les employés ont voté à 9 sur 10 contre les loteries vidéo, pas seulement parce que cela nuisait à leurs revenus, mais bien parce qu'ils voyaient ce que cela faisait aux gens.
Dans votre exposé, vous ne nous parlez pas du suicide de joueurs compulsifs. Comprenez-moi. Je ne suis pas contre les casinos car ce sont des lieux surveillés et contrôlés. Je suis allé au casino de Rideau-Carleton et tout était très bien tenu et je crois que cela amène une contribution.
Quand vous dites que les propriétaires de pistes de course sont très riches, laissez-moi vous dire que ce n'est pas le cas partout. Au cas où vous ne seriez pas au courant, il n'y a pas beaucoup de pistes de course en Amérique du Nord qui font des millions et c'est la raison pour laquelle on y a installé des loteries vidéo qui rapportent davantage que les chevaux qui courent.
Comme je vous l'ai dit, votre publicité est très bien présentée et je pense que vous êtes sincère, sauf que vous devriez peut-être changer de costume. Vous devriez aller vous promener comme je l'ai fait pour voir tous les torts causés par les loteries vidéo.
Le pourcentage de suicide lié aux VLT est alarmant. Vous savez comme moi que quelqu'un qui veut se suicider n'a pas toujours le temps d'écrire une lettre. Ce que vous nous présentez est très bien structuré, mais vous ne parlez pas de la souffrance humaine que cela engendre, vous ne parlez pas des coûts sociaux non plus.
Une étude externe nous prouve que les coûts sociaux — absentéisme, suicide, dépression, ménages qui se séparent, enfants qui ne mangent pas — représentent de trois à cinq fois les recettes du gouvernement. Je parle du Québec puisque ce sont des chiffres qui viennent surtout du Québec. Dans votre opération à vous, c'est complètement distinct. Vous êtes là, vous opérez pour faire de l'argent, mais je ne vous crois pas quand vous dites que 1 p. 100 des gens ont un problème de jeu.
Le pourcentage n'est peut-être pas aussi élevé que dans les milieux des loteries vidéo dans la province de Québec, où j'ai fait mes recherches. On me dit que c'est pareil en Alberta et que le problème est peut-être même plus grave en Alberta. Je ne l'ai pas constaté et je n'y suis pas allé.
En résumé, je vous remercie de votre exposé; je respecte vos données et tout cela, mais je peux vous dire que je ne partage pas du tout vos opinions sur le sujet. Vous arrivez avec une belle publicité, mais vous n'avez pas fait une mission de recherche avec des journalistes sérieux sur l'envers de la médaille.
[Traduction]
M. Rutsey : Je vous remercie de vos aimables commentaires. Je tiens à préciser que Multigames International ne fait aucune affaire au Canada. Toutes nos activités sont internationales, alors je ne suis pas ici pour essayer de faire des affaires ou de m'emparer d'une part du marché, ou de trouver quelque avantage pour moi. De plus, je n'essaie pas de minimiser les souffrances tout à fait légitimes des gens qui ont des problèmes. Comme je l'ai dit, ma famille les a connues, et je n'émets pas le moindre doute sur la sincérité de l'examen que vous faite sur l'emplacement des bars munis de machines de loterie vidéo à Montréal. Comme je l'ai dit dans mes observations préliminaires, vous avez probablement raison, mais je pense que c'est parce qu'ils se sont installés là où les responsables du zonage les laissent s'installer. Je serais d'accord avec vous qu'il se peut très bien que certains quartiers en aient trop.
Cependant, je pars du point de vue que l'élimination des machines de loterie vidéo des établissements de quartier bien tenus n'empêchera pas les joueurs invétérés de jouer. Vous ne pourrez plus vous en prendre aux machines de loterie vidéo pour illustrer leurs problèmes, mais ils joueront autrement, de façon moins visible. Le nombre d'endroits où ils peuvent jouer n'a aucune influence sur le nombre de joueurs pathologiques.
Je ne pourrais nier ou feindre d'ignorer la souffrance humaine. Cependant, je ne pense pas qu'il y ait de lien direct entre l'exploitation de machines du style de celles de loterie vidéo dans un établissement bien géré et bien exploité et l'augmentation du nombre de joueurs pathologiques. Je ne pense pas qu'il y ait aucune étude pouvant le prouver.
J'ai l'impression que le genre d'endroits que vous avez vus étaient des lieux sales, mal tenus et mal gérés qui exploitent les gens en les laissant jouer quand ils sont saouls et où on ferme les yeux sur les mineurs qui fréquentent les lieux. Je leur retirerais tout simplement leur permis d'exploitation. Cependant, c'est aller trop loin que d'éliminer une activité qui ne pose pas de problèmes à 99 p. 100 des gens, rien parce que quelques personnes l'exploitent de façon malhonnête.
Le sénateur Mercer : Nous prenons bien note de vos observations sur l'application de la loi, et peut-être pourrions faire des recommandations à ce sujet dans notre rapport sur ce projet de loi. Cependant, c'est un projet de loi qui vise à supprimer les machines de loterie vidéo des dépanneurs et des bars de quartier, pour en limiter l'accès aux hippodromes et aux casinos, dans des exploitations centralisées conçues pour le jeu plutôt que des endroits où on va acheter un litre de lait ou boire une bière le vendredi soir avec les copains. Ces endroits-là sont faits pour le jeu.
Si j'étais alcoolique sans jamais avoir bu un verre, je ne saurais pas que je suis alcoolique. Si j'étais un joueur invétéré sans jamais avoir été exposé aux jeux, je ne saurais pas que j'en suis dépendant. Je suis d'avis que votre théorie sur l'exploitation des machines de loterie vidéo dans les dépanneurs et les bars locaux, qu'ils soient ou non bien tenus, qu'ils soient propres ou sales, exposent les gens qui, autrement, n'auraient pas été exposés aux jeux de hasard parce qu'ils ne fréquentent pas les hippodromes ou les casinos; par contre il leur arrive d'aller acheter un litre de lait, ou encore de boire une bière en dégustant des ailes de poulet grillées avec leurs copains le vendredi soir. On peut dire qu'ils ont le choix de les utiliser ou non, mais tout comme vous qui avez fréquenté des bars de Toronto quand vous étiez mineur, tout le monde expérimente un peu.
Vous dites que les gens peuvent jouer ailleurs, même à ces jeux s'ils le veulent, mais ce n'est pas quelque chose que la société et les parlementaires peuvent contrôler. On ne peut pas réglementer les parties de poker que vous avez dans votre salon. Cependant, nous pouvons contrôler les commerces qui attirent des gens, alors je m'inscris en faux contre vos arguments à ce sujet.
Dans votre présentation, vous affirmez avoir entendu dire que des jeunes courent un risque disproportionné avec les appareils de loterie vidéo, mais qu'en fait, ces appareils et les machines à sous sont moins populaires auprès des jeunes joueurs, que seulement 69 p. 100 des personnes âgées de 21 à 35 ans les préfèrent comparativement à 77 p. 100 des personnes âgées de plus de 50 ans. Si j'étais détaillant et que vous me disiez que 69 p. 100 de la population de 21 à 35 ans aime ou préfère les appareils de loterie vidéo, je serais heureux, parce que 69 p. 100 du marché est intéressé à mon produit. N'importe quel spécialiste du marketing vous dirait que c'est une bonne part du marché, alors je m'inscris en faux contre vos propos.
Je suis aussi heureux d'entendre un autre avis sur le sujet, et il est important que nous le fassions. Cependant, je soutiens que si je vais au dépanneur du coin et qu'il ne s'y trouve pas d'appareil de loterie vidéo, je n'utiliserai pas d'appareil de loterie vidéo.
M. Rutsey : Je ne peux pas vraiment vous contredire. Je ne pense pas, moi non plus qu'il devrait y avoir des appareils de loterie vidéo dans les dépanneurs, ou des enfants peuvent aller acheter des sucreries et les gens vont acheter leur lait. Je ne vois pas de problème à vendre des billets de loterie chez Provisoir parce que c'est une forme de jeu beaucoup plus passive ou inoffensive. Cela me semble être devenu acceptable dans la société. Je suis d'accord avec vous qu'on ne voudrait pas voir quelqu'un en train de jouer sur un appareil de loterie vidéo dans un dépanneur. Cela n'aurait pas de sens. À Las Vegas, ils ont de ces appareils dans les épiceries. C'est la culture là-bas. Je ne voudrais pas voir cela au Canada. Cela n'illustre pas, à mes yeux, le genre d'endroit où on veut vivre.
Cependant, je ne vois pas que ce soit un problème grave dans les établissements correctement gérés et détenteurs de permis où l'âge est contrôlé parce qu'ils servent des boissons alcoolisées, particulièrement avec le modèle canadien ou aucun bar n'a vraiment un grand nombre de machines. Je dois vous dire que je ne suis pas d'accord avec vous au sujet des bars de quartier. C'est beaucoup plus un problème de fonctionnement et d'application de la loi.
Le sénateur Pearson : Votre point de vue était intéressant. Il est utile pour ceux d'entre nous qui avons été plus touchés par le roman de Dostoevsky, Le joueur, que par une observation générale du monde. Cela met en perspective le sujet qui nous occupe.
Vous n'êtes pas obligé de répondre à cette question, mais je ne peux résister à l'envie de vous la poser. Vos arguments sur ce que les gens aiment faire sont assez convaincants. Que pensez-vous de la décriminalisation de la marijuana?
M. Rutsey : Apparemment, c'est ce que veut faire le gouvernement actuel. Je pense qu'elle éliminerait le risque pour bien des jeunes d'avoir un casier judiciaire, et c'est, rien que pour cela, probablement une bonne chose. La consommation de marijuana est beaucoup trop répandue et il n'est probablement pas de l'intérêt de la société d'exposer tellement de jeunes au risque d'avoir un casier judiciaire.
Le sénateur Eyton : Vous savez probablement, sénateurs, que c'est moi qui ai suggéré de faire venir M. Rutsey. Je suis heureux qu'à la fin de ses observations qu'il ait précisé qu'il n'a aucun intérêt financier dans le secteur du jeu au Canada et qu'il est ici en tant que citoyen canadien et que volontaire qui essaie de faire ce qui est juste. Il le fait d'après sa vaste expérience, notamment, comme vous le voyez dans son curriculum vitae, à titre de dirigeant du secteur du jeu pour la société maintenant appelée Price Waterhouse Coopers, une société internationale très connue. Il en a été le conseiller expert sur le sujet dont nous traitons. Son exposé comportait des réponses statistiques et bien des témoignages anecdotiques que nous avons entendus, et c'est pourquoi j'ai suggéré son nom.
Les trois questions sur lesquelles il a terminé sa présentation sont déterminantes pour les délibérations et le rapport de notre comité. Tout d'abord, très simplement, si les appareils de loterie vidéo sont une telle calamité, est-ce qu'ils ne devraient pas être carrément interdits? Deuxièmement, devrions-nous transférer le revenu et la richesse des petits établissements vers les grandes entreprises? Cette activité, à l'échelle nationale, rapporte entre deux et trois milliards de dollars, ce qui est une grande richesse à enlever aux petits exploitants pour la laisser aux grandes entreprises. Troisièmement, pensons-nous vraiment que les comportements de joueurs invétérés puissent être mieux surveillés dans les grands établissements anonymes comme les hippodromes et les casinos?
Je tiens à dire au sénateur Lapointe que je ne suis pas aussi bon que lui. S'il a de la chance aux jeux de hasard, il devrait en promouvoir toutes les formes partout, il pourrait s'enrichir tous les jours. J'étais à Nassau la semaine dernière, et j'y ai joué de l'argent. J'ai transformé 2 000 $ en 200 $.
La question que j'ai à poser à M. Rutsey a deux volets. Ses commentaires n'abordent pas la question du jeu sur Internet, un phénomène moderne qui, d'après les données, connaît une popularité croissante. Ce n'est pas directement notre sujet, mais c'est un facteur important dans toute la réflexion sur le jeu et le meilleur moyen de le réglementer.
Bien que vous n'ayez probablement pas réfléchi en profondeur à cela, pourriez-vous nous parler des conséquences du jeu sur Internet et de sa popularité croissante, en rapport avec le sujet qui nous intéresse?
M. Rutsey : C'est une bonne question, parce que l'avènement du jeu sur Internet a fait pénétrer la vidéoloterie dans le foyer de n'importe qui qui a 300,00 $ pour acheter un ordinateur. Les gens peuvent jouer à loisir, sans aucune surveillance. Je ne veux pas insinuer que les gens qui exploitent le casino sur Internet ne sont pas des gens tout à fait honnêtes et droits, mais il est étonnant que chaque fois qu'on a 20 points, le croupier se trouve à en avoir 21. Personnellement, je ne voudrais pas y jouer.
Il y a une opportunité énorme pour les pays industrialisés de créer un cadre de réglementation pour le jeu sur Internet, qui ne disparaîtra pas. Ce serait une excellente source de revenu et une occasion de rapatriement des fonds pour n'importe quel pays qui choisit de créer des règles et des normes pour l'exploitation légitime et honnête du jeu sur Internet, ainsi que pour l'importation d'argent venant de tous les joueurs du monde entier qui joueraient les jeux approuvés et régis par un organe de réglementation.
Je sais que vous avez beaucoup à faire, mais ce pourrait être un sujet pour lequel vous devriez obtenir un mandat d'examen.
Le sénateur Ringuette : Dans quelle mesure les entreprises que vous contribuez à diriger ont-elles été touchées, ces dernières années, par le jeu en direct?
M. Rutsey : Des études ont été faites sur ses diverses retombées. Les problèmes comme le SRAS et la tragédie du 11 septembre ont eu de plus graves répercussions, par exemple sur le tourisme. C'est le genre de choses qui provoquent une forte chute de l'activité. Les gens ne fréquentent pas nos établissements aussi souvent, parce qu'ils ont l'occasion de jouer chez eux, de la même façon que lorsque les règlements sur le tabagisme dans les établissements de jeu ont été changés, ils ont enregistré une baisse d'activité.
Personne ne peut mesurer ce qui se passe sur Internet, parce qu'il n'y a pas de mécanisme de compte rendu. L'argent ne fait que disparaître. C'est difficile à mesurer.
C'était une longue réponse pour vous dire que je n'ai pas vraiment de réponse à vous donner.
Le sénateur Ringuette : Je m'étonne de votre observation sur le jeu en direct qui est accessible à tout le monde et qu'on peut acheter un ordinateur pour 300,00 $, sans compter les mensualités de la connexion Internet. C'est un peu comparer des pommes et des oranges, en ce qui concerne ce projet de loi.
Le projet de loi porte, en gros, sur un segment de notre société qui n'a pas les moyens d'acheter des provisions qui ont du bon sens, et encore moins d'acheter un ordinateur et de payer les mensualités de l'accès à Internet. Nous devons pondérer tout cela dans notre réflexion. Je comprends qui sont les clients ciblés dans votre secteur d'activité. Certains peuvent être entraînés dans le jeu en direct, mais probablement pas tant que ça. Nous ne devrions pas comparer des pommes à des oranges.
M. Rutsey : Ce n'était pas mon intention. Je pense que vous avez raison de dire que la plupart des gens qui n'ont pas de problème avec le jeu apprécient son aspect social. Ils ont un budget, et ils s'y tiennent. On peut apprécier une sortie à dîner, avec une bonne bouteille de vin; on peut apprécier une partie de black-jack. La plupart des gens qui jouent ne s'attendent pas à gagner — c'est une surprise et ça vient en prime s'ils jouent — mais ils ne veulent pas perdre trop rapidement. Ils achètent un bloc de divertissement. C'est une expérience éphémère. Ils s'attendent à être là, à jouer, pendant un certain nombre d'heures.
C'est un peu comme aller voir une partie de baseball. Quand elle est finie, que vous reste-t-il? Les hot-dogs vous ont laissé un mal d'estomac et vous avez vécu l'expérience éphémère de l'observation de votre équipe qui gagnait ou perdait. C'est le même genre de chose pour ces gens-là.
Le sénateur Ringuette : Je peux comprendre votre point de vue et les groupes cibles avec lesquels vous travaillez. Cependant, je répète que c'est un peu comparer des pommes à des oranges, en ce qui concerne le groupe de personnes que cible le sénateur Lapointe avec ce projet de loi.
M. Rutsey : Je ne voudrais pas donner l'impression de manquer de respect, mais cela me semble un peu paternaliste d'adopter une loi qui ne vise que les pauvres.
Le sénateur Ringuette : Ce n'est pas différent de la loi contre la conduite en état d'ébriété. On établit une limite. Ce n'est pas traiter les gens avec condescendance que d'établir des paramètres dans lesquels c'est socialement et économiquement acceptable. Ce n'est pas du paternalisme.
Nous n'avions auparavant aucune loi concernant la conduite en état d'ébriété. Après bien des dizaines d'années, nous avons vu ce qu'il en coûtait à notre société, à notre économie et à nos familles. Je ne suis donc pas d'accord avec vous.
M. Rutsey : La conduite en état d'ébriété touche toutes les classes de la société. Vous avez entamé vos observations en disant que vous vouliez aider les gens qui ne pouvaient pas s'acheter à manger, et c'est de là que venait mon commentaire. Je m'excuse si j'ai pu vous vexer.
Le sénateur Joyal : Merci pour votre présentation. Est-ce que vous diriez que l'industrie du jeu du Canada est généralement plus réglementée que celle des États-Unis?
M. Rutsey : Est-ce que vous parlez du niveau de réglementation ou de sa rigueur?
Le sénateur Joyal : Je parle du niveau de la réglementation.
M. Rutsey : Il y a différentes compétences. Dans certains états, on ne peut qu'acheter des billets de loterie, dans d'autres, comme au Nevada et au Mississipi, les jeux de hasard sont très répandus.
Les normes sont assez élevées. La plus grande différence entre le Canada et les États-Unis, c'est qu'au Canada, l'opinion dominante, de nos jours, c'est que s'il doit y avoir du jeu, le gouvernement sera le propriétaire et l'exploitant de l'industrie plutôt que le secteur privé, qui peut y faire beaucoup d'argent. Je viens de l'autre côté, alors peut-être mon avis est-il un peu biaisé, mais je pense qu'il y a une contradiction fondamentale là-dedans, parce que le gouvernement est aussi l'organe de réglementation. Comment pouvez-vous vous réglementer ou vous pénaliser vous- même?
Mieux vaudrait taxer et réglementer et laisser les entreprises l'exploiter. Si, une entreprise commet un impair, vous pouvez lui tomber dessus. Il est très difficile pour un gouvernement de se pénaliser lui-même. Il y a une contradiction fondamentale là-dedans.
Cependant, la plupart des cadres de réglementation du Canada sont fondés sur des précédents américains. Il y a deux modèles de base de la réglementation; le modèle du New Jersey et celui du Nevada. Le New Jersey est très bureaucratique. Par exemple, il fallait quatre ou cinq niveaux d'autorisation pour seulement déplacer une machine à sous d'un côté à l'autre d'une salle de casino. Au Nevada, c'est le règne de l'autoréglementation. Ils partent du principe qu'ils n'ont pas assez de main-d'œuvre pour surveiller tout le monde tout le temps, alors ils font des vérifications ponctuelles; s'il se trouve que vous avez commis une faute, vous perdez votre entreprise.
Au Canada, nous semblons avoir trouvé un équilibre entre ces deux extrêmes.
Le sénateur Sibbeston : Pardonnez-moi, mais vous dites que le jeu n'est pas un problème pour 98 p. 100 des gens. Je voudrais m'inscrire en faux contre cette affirmation. À mon avis, c'est pareil que pour les bars. Si vous observez les gens au Château Laurier un soir, vous verrez que la clientèle est généralement composée de gens disciplinés de la haute société. Ils prennent quelques verres et retournent à leur chambre.
Il y a, à Yellowknife, un bar appelé Gold Range. C'est l'un des bars les plus achalandés du Canada au plan de la vente d'alcool par habitant. Sa clientèle est diversifiée. Certains clients arrivent des mines, avec des milliers de dollars en poche qu'ils ont gagné rapidement et qu'ils veulent dépenser, ils veulent s'amuser. D'autres sont des fonctionnaires, et d'autres encore des bénéficiaires de l'aide sociale. Il peut arriver n'importe quand qu'une bagarre éclate dans le bar, parce qu'il s'y trouve des gens en état d'ébriété, des gens qui trompent leurs partenaires. C'est le contexte dont je parle. Ce ne sont pas des gens comme le sénateur Eyton qui peut aller au casino en s'étant fixé une limite d'argent qu'il dépensera et qui peut se permettre de perdre 1 800 $.
Se peut-il que votre témoignage, aujourd'hui, soit de la perspective de votre monde et de votre expérience, qui n'a pas nécessairement de rapport avec le contexte qui nous occupe, celui des joueurs invétérés qui se tuent et qui provoquent toutes sortes de perturbations dans la société et dans leur famille?
M. Rutsey : Tout d'abord, je pense que nous parlons tout deux de la même population, en général. Dans n'importe lequel pays, environ 1 p. 100 de la population a des problèmes de jeu ou risque d'en avoir, et de 2 à 4 p. 100 de la population éprouve quelque difficulté à cause du jeu. Ce ne sont pas des joueurs invétérés, mais il peut leur arriver de jouer à l'excès. Ils peuvent être capables de s'arrêter, mais pas nécessairement d'être aussi disciplinés que peut l'être n'importe qui autour de cette table.
J'ai eu un emploi d'été, où je devais peler de la mousse sur les roches pour que les foreurs au diamant puissent percer les roches. J'ai rencontré ces gars-là, et je sais exactement de quoi vous parlez. J'ai vu ce genre de comportement, et c'est fou. Il peut y en avoir tout un tas dans un seul endroit, mais dans l'ensemble ils ne forment qu'une très infime partie de la société. Est-ce que vous voulez vraiment avoir une loi pour régir le comportement de 1 p. 100 de la population? Est-ce vraiment une bonne façon de gouverner?
La présidente : Monsieur Rutsey, votre témoignage, aujourd'hui, nous aidera à mieux étudier le projet de loi S-11. Je suis heureuse que vous ayez pu venir nous rencontrer, merci beaucoup de votre aide.
M. Rutsey : Tout le plaisir a été pour moi. Je tiens à vous remercier tous de votre amabilité à mon égard. J'avais été averti que vous pouviez être durs, mais vous avez été très aimables.
La séance est levée.