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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 9 - Témoignages du 14 avril 2005


OTTAWA, le jeudi 14 avril 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (troubles mentaux) et modifiant d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 10 h 55 pour examiner ce projet de loi.

Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous allons entendre le témoignage de M. Malcolm Jeffcock, de la Nova Scotia Legal Aid Commission.

M. Malcolm Jeffcock, avocat, Nova Scotia Legal Aid Commission : Tout d'abord, j'aimerais remercier le comité de m'avoir invité à venir témoigner. Je suis heureux d'être ici.

Je ferai quelques commentaires sur le projet de loi C-10. Lorsque j'ai comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, il y a quelques années, pour me prononcer sur les modifications proposées, j'avais abordé quatre sujets. Je m'en tiendrai à deux aujourd'hui et, à la fin, je formulerai quelques commentaires rapides sur un troisième.

J'aimerais parler des modifications proposées se rapportant à l'aptitude. Le barreau avec lequel je fais affaire s'inquiète du fait que le projet de loi n'inclue pas la recommandation du comité permanent voulant qu'on vérifie l'aptitude réelle de l'accusé à communiquer avec son avocat et à lui donner des instructions rationnelles au sujet de sa défense. Le gouvernement a rejeté la recommandation. C'est vraiment inquiétant, car en continuant à utiliser le critère de la capacité cognitive limitée, qui a été établi au fil du temps, on risque d'avoir des situations où, en invoquant l'alinéa 10b) de la Charte, on pourra faire valoir que la personne, quoique apte, a été privée de son droit de recours à l'assistance d'un avocat parce qu'elle n'avait pas la capacité de prendre des décisions éclairées et de donner des instructions rationnelles à son avocat. La même chose se produit dans le cas d'une personne aux facultés affaiblies qui est inculpée, mais qui a consulté un avocat pendant qu'elle avait les facultés affaiblies.

On pourrait en arriver à invoquer l'article 7 pour faire valoir qu'une personne a été privée de son droit de présenter une défense pleine et entière s'il y a eu suspension d'instance.

L'autre préoccupation des membres du barreau est que l'utilisation d'un critère si faible peut conduire à la condamnation injustifiée d'une personne innocente sur le plan des faits parce qu'elle n'a pas été capable de communiquer avec son avocat et de lui fournir des directives, ou à la condamnation d'une personne qui aurait dû être déclarée non criminellement responsable.

Ce qui est intéressant, c'est que la plupart des personnes inaptes pour cause de troubles mentaux deviendraient graduellement aptes. Le délai d'adoption de cette nouvelle norme ne retarderait pas considérablement l'instance. Justice serait faite.

Nous avons également des réserves au sujet des accusés inaptes de façon définitive et de la suspension d'instance. Je me reporterai à l'article 672.851.

Les dispositions sont discrétionnaires et non obligatoires; le tribunal peut, et non doit, prendre certaines mesures.

De plus, on dirait qu'il s'agit de la procédure la plus complexe de la partie XX.1 du Code, et elle se rapporte à une personne qui ne comprend pas le processus. Il me semble qu'on augmente la difficulté. Un processus plus simple et efficace permettrait à la commission d'accorder une libération inconditionnelle si la personne est inapte de façon définitive et qu'elle ne constitue pas une menace importante.

Il faut savoir qu'au Canada, il y a très peu de personnes inaptes, et encore moins de personnes dont l'état ne s'améliorera probablement pas. Ce n'est pas monnaie courante.

Enfin, j'aimerais parler du lien entre l'aptitude à subir un procès et l'aptitude à se voir infliger une peine. Je demande instamment au comité de se pencher sur la question. Les principes qui ont été adoptés au Canada au fil du temps pour empêcher une personne inapte pour cause de troubles mentaux ou d'une condition permanente de participer à un procès devraient faire en sorte que les tribunaux n'infligent pas de peine à une telle personne.

Il est quelque peu contradictoire qu'une personne qui n'est pas capable de comprendre le rôle d'un juge se présente devant lui pour se voir infliger une peine. Voilà ce que j'avais à dire au sujet de l'aptitude.

En ce qui concerne les pouvoirs généraux de la commission d'examen, il avait été recommandé que cette dernière puisse proroger l'audience d'un an ou deux ans si l'infraction désignée est une infraction contre la personne. Je comprends qu'on reconnaît ainsi le tort qui peut avoir été causé par l'infraction, mais on semble faire fi des commentaires de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Winko. Selon la Cour, il est possible que la condition mentale d'un accusé ait peu à voir avec sa condition au moment de commettre l'infraction. Toujours selon la Cour, la nature de l'infraction commise par une personne atteinte de troubles mentaux devrait avoir peu d'effet sur la décision de la commission au moment de l'audience visant à déterminer la décision à prendre.

En établissant un lien entre la prorogation et la nature de l'infraction, il semble que l'on ne reconnaît pas le fait que la personne a commis l'infraction au moment où elle souffrait de troubles. La nature de l'infraction n'est pas nécessairement liée à la gravité des troubles. Il arrive qu'une personne qui souffre de troubles sévères dont elle n'est pas en mesure de guérir commette une infraction mineure, et qu'une personne qui est atteinte de troubles pouvant être traités et qui réagirait rapidement et efficacement à un traitement commette une infraction grave contre la personne.

Le projet de loi n'aborde pas cette question en détail. On en parle dans les documents que le comité m'a transmis. Je m'élève contre l'idée que la commission ne soit pas en mesure de lier les tiers, comme les appelle le comité permanent. Ces dernières années, il y a eu un certain nombre de décisions relatives à la capacité de la commission d'examen de lier une autre partie que l'accusé. Les tribunaux ont conclu, selon le libellé actuel de l'article 672, que la seule partie, si vous voulez, que la décision engage est l'accusé. Pour autant que je sache, c'est la seule procédure au Canada où la décision ne lie qu'une partie même si plusieurs parties comparaissent. C'est un peu troublant qu'une partie puisse faire une demande, être autorisée à comparaître et contribuer à la décision de la commission d'examen, sans toutefois être obligée ou tenue responsable d'appliquer la décision. C'est problématique.

Mes derniers commentaires ont trait au contenu du projet de loi C-10 en ce qu'il touche le processus d'arrestation et l'infraction pour défaut volontaire de se conformer à une décision. À mon humble avis, on ne fait que perpétuer, à l'échelle nationale désormais, la criminalisation des troubles mentaux. Une personne pourrait être libérée à condition de maintenir une bonne santé mentale, puis se mettre à souffrir de troubles, pour des raisons indépendantes de sa volonté, seulement parce que ses troubles progressent. Techniquement, cette personne pourrait être inculpée simplement parce qu'elle s'est mise à souffrir de troubles. Elle n'a rien fait ni décidé de faire quelque chose qui pourrait donner l'impression qu'elle n'a pas respecté une décision. Seulement, sa maladie a progressé. Parfois, les troubles dont souffrent les personnes déclarées non criminellement responsables peuvent être traités grâce à des médicaments. Cependant, à l'occasion, il faut ajuster la médication à cause de la récurrence des troubles. Considérer cela comme une infraction me paraît un peu barbare.

La démarche proposée dans le projet de loi, qui veut qu'un agent de police ayant des motifs raisonnables de croire que l'accusé a contrevenu à la décision arrête l'accusé et le conduise devant un juge de paix, favorise encore une fois la criminalisation des troubles mentaux et des comportements qu'ils engendrent. La démarche prévue par le Code à l'heure actuelle, qui consiste à conduire la personne à l'hôpital, semble une approche plus raisonnable et thérapeutique que celle consistant à inculper la personne d'une nouvelle infraction. Je suis conscient que si une personne est présumée avoir commis une nouvelle infraction alors qu'elle était en libération ou assujettie à une autre décision, les autres dispositions du Code criminel relatives à la libération entrent en vigueur, et ce, parce qu'il y a eu nouvelle infraction et non contravention à une décision.

Je m'oppose aux processus proposés pour les nouvelles infractions et l'arrestation.

Mon temps est écoulé, madame la présidente. Je répondrai à vos questions avec plaisir.

La présidente : Vous suggérez que la commission d'examen soit en mesure d'accorder une suspension d'instance à un accusé inapte de façon définitive. Toutefois, comme il s'agit essentiellement d'une décision définitive, est-ce que cela ne devrait pas être ordonné par un tribunal?

M. Jeffcock : Je ne faisais pas référence à une suspension, mais à une libération inconditionnelle. Je ne crois pas que la commission d'examen puisse, en aucun cas, accorder de suspension. Je pense qu'il serait plus approprié qu'elle ait la capacité d'accorder une libération inconditionnelle, comme elle le fait dans le cas des personnes non criminellement responsables. La majorité, sinon la totalité, des personnes inaptes seraient déclarées non criminellement responsables si elles devenaient aptes. Jusque là, ça va. Si la gravité des troubles d'une personne fait qu'elle ne peut pas comparaître, il est probable qu'elle ne serait pas déclarée criminellement responsable de ses actes. En fin de compte, le résultat serait pratiquement le même. La seule différence, c'est que le tribunal n'aura pas tiré de conclusion de fait déterminant si la personne a commis l'infraction sous-jacente. J'estime qu'aucune raison politique ne justifie que la commission n'ait pas la capacité d'accorder une libération inconditionnelle.

Le sénateur Milne : À cet égard, je crois comprendre que l'on ne peut pas accorder de libération inconditionnelle à une personne jugée inapte à subir un procès. En clair, la libération inconditionnelle vient après qu'on a établi la culpabilité, et cela se passe devant un tribunal. Seul un tribunal, à ce que je sache, peut accorder une libération inconditionnelle.

M. Jeffcock : Il semble régner une certaine confusion. La commission qui examine annuellement la décision d'un tribunal de déclarer une personne non criminellement responsable peut accorder la libération inconditionnelle. En ce qui concerne l'accusé inapte, la commission n'a pas le pouvoir, et le tribunal non plus à l'heure actuelle, d'accorder la libération inconditionnelle.

Le sénateur Milne : Le ministre et son expert en la matière nous ont tous les deux dit hier que les conséquences d'une suspension d'instance étaient semblables à celles d'une libération inconditionnelle.

M. Jeffcock : C'est leur opinion. La suspension proposée dans le projet de loi C-10 est discrétionnaire, voilà le problème. Selon le libellé, le tribunal « peut ». On emploie le mot « peut »; la notion d'obligation est absente. Par contre, à l'article 672.54, on peut lire que le tribunal ou la commission d'examen rend une décision portant libération inconditionnelle de l'accusé si le tribunal ou la commission est d'avis qu'il ne représente pas un risque important. Cette décision vise les personnes qui sont déclarées non criminellement responsables.

Je pense que le projet de loi augmente les difficultés juridiques auxquelles se heurte la personne inapte qui ne comprend même pas ce qui se passe. Les personnes qui sont inaptes et dont la condition ne changera pas — et c'est de cela dont il est question, des personnes inaptes de façon définitive —, si elles avaient été aptes, auraient vraisemblablement été déclarées non criminellement responsables. Pourquoi serait-ce un enjeu politique que de permettre à la commission d'accorder une libération inconditionnelle à M. Untel qui a été jugé non criminellement responsable ou inapte? Je ne vois pas pourquoi on en ferait une question politique. La seule distinction entre une personne inapte et une personne non criminellement responsable, c'est qu'il a été établi au-delà de tout doute raisonnable que la personne non criminellement responsable n'a pas commis l'infraction désignée. Cela n'a pas encore été établi pour la personne inapte. Alors, pourquoi en faire une question politique?

La présidente : Vous recommandez aussi que les commissions d'examen puissent imposer des obligations aux tierces parties.

M. Jeffcock : Oui, c'est exact.

La présidente : Quel genre d'obligations faudrait-il imposer selon vous et quelles pourraient être les conséquences de ne pas respecter une ordonnance de la commission?

M. Jeffcock : Quelles seraient les conséquences pour la tierce partie? Le non-respect serait-il une infraction? Est-ce ce que vous voulez dire?

La présidente : Oui.

M. Jeffcock : Si une tierce partie liée par une disposition choisit de ne pas la respecter, on pourrait ramener la tierce partie en cour et recourir au mandamus pour l'obliger à se conformer à la disposition. Actuellement, on ne peut rien faire. Évidemment, on pourrait modifier la loi pour en faire une infraction, mais cela semblerait inapproprié. Lorsque vous avez l'obligation légale, particulièrement en tant qu'organisme gouvernemental, de vous comporter d'une certaine façon et que vous ne le faites pas, la personne lésée peut retourner en cour et recourir au mandamus pour forcer le respect.

Le sénateur Andreychuk : Pourquoi voulez-vous que cela soit prévu de façon précise alors que nous parlons probablement d'organismes gouvernementaux?

M. Jeffcock : Parce que en ce moment ce n'est pas prévu et ces dernières années les tribunaux ont dû se pencher sur la question et ont conclu de façon définitive que le libellé de l'article 672.54, sous sa forme actuelle, ne lie que l'accusé. Je ne peux parler de ce qui se passe dans les autres provinces, mais en Nouvelle-Écosse les organismes gouvernementaux devant aider les malades mentaux, tant financièrement que pour le logement, demandent parfois à avoir la qualité de partie devant la commission pour faire des représentations et formuler des propositions quant à la capacité d'intégration des personnes. Leurs opinions peuvent être très différentes de ceux qui traitent l'accusé, mais si la commission décide que l'accusé devrait bénéficier d'une libération conditionnelle, rien n'oblige l'organisme gouvernemental à lui fournir un logement ou de l'argent, même s'il pourrait être admissible.

Le sénateur Andreychuk : C'est une des difficultés dans le domaine du droit criminel. Le système de justice pour les jeunes regorge de services de prévention qui sont censés être fournis, mais en pratique très peu le sont, car les ressources sont vite épuisées. Il doit y avoir des évaluations, mais comme une seule personne peut les faire, il faut attendre 40 jours. Il existe tout un éventail de possibilités de réadaptation pour les jeunes, mais, bien sûr, on n'y a pas accès. C'est le problème qu'ont les gouvernements en ce qui concerne l'application de la loi en droit de la santé mentale et en droit criminel. Pourquoi voudriez-vous avoir cette responsabilité légale dans ce cas-ci?

M. Jeffcock : Je ne sais pas s'il s'agit de la responsabilité légale, mais si cela est prévu dans le code et que la cour reconnaît qu'on peut forcer une partie, on peut aller en cour pour recourir au mandamus.

Vous avez parlé de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Lorsque la Loi sur les jeunes contrevenants est entrée en vigueur, il a fallu un litige pour faire construire un centre pour les jeunes en Nouvelle- Écosse. Au départ, la solution préconisée consistait à loger les jeunes contrevenants dans une aile séparée des prisons provinciales. Cela allait à l'encontre de l'esprit de la loi et c'est une poursuite intentée par un de mes collègues qui a amené le gouvernement à construire un centre pour les jeunes.

En Nouvelle-Écosse, principalement à cause des compressions budgétaires, il a souvent fallu étirer les ressources pour tenter de respecter le libellé de la loi, sinon l'esprit. Actuellement, notre problème est qu'il faut forcer le ministère des Services communautaires, qui administre un programme de soutien pour les adultes, à collaborer avec les intervenants du système judiciaire.

Comme d'autres témoins vous diront sûrement, il y a beaucoup de préjugés au sujet de la maladie mentale. Ce qui est ironique, c'est que ceux qui s'occupent des personnes atteintes de maladie mentale ont les mêmes préjugés à l'endroit des « patients judiciaires ». Cela exacerbe le problème. On tente activement de ne pas fournir de services aux patients judiciaires.

Le sénateur Andreychuk : Je sais où vous voulez en venir et je faisais face au même problème dans le système de justice pour les jeunes, ou le droit criminel proprement dit. Le dilemme, c'est qu'on peut contraindre une personne et non l'institution. Généralement, ce sont les responsables des dossiers que j'ai forcés d'agir, alors que le vrai problème découlait du manque de ressources et de volonté politique au niveau supérieur.

M. Jeffcock : Je ne contesterai pas cela. Les criminels n'ont pas de poids politique, les malades mentaux non plus et les patients judiciaires encore moins, parce qu'ils font face aux préjugés qui s'y rattachent dans les programmes de santé mentale de chaque province.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez dit qu'il y avait peu de personnes visées.

M. Jeffcock : Par rapport aux personnes ineptes.

Le sénateur Andreychuk : Nous tentons ici de mettre en place un meilleur processus que les précédents. Êtes-vous d'accord?

Les problèmes que nous tentons de régler avec ce projet de loi ne représentent qu'une infime partie du problème plus important qu'est le manque de services concrets et adéquats à l'intention des personnes atteintes de maladie mentale.

M. Jeffcock : Depuis les années 60 aux États-Unis et les années 90 au Canada, la tendance visant à fournir les programmes de santé mentale dans les collectivités plutôt que dans les hôpitaux a entraîné un accroissement du nombre de personnes déclarées non criminellement responsables ou, comme on disait autrefois, déclarées aliénées.

En Nouvelle-Écosse, les chiffres sont stupéfiants. Il n'y a pas eu d'épidémie en Nouvelle-Écosse qui aurait entraîné une hausse du nombre de personnes atteintes de maladies graves. Cependant, de plus en plus de personnes ne réussissent pas à se faire traiter adéquatement et, par conséquent, se retrouvent sans logement adéquat ou sans les soins de santé nécessaires, ce qui exacerbe leurs maladies. Leur comportement, qui anciennement aurait été signalé à leur psychiatre, attire maintenant l'attention de la police.

En 1992-1993, 37 personnes ont été jugées non criminellement responsables en Nouvelle-Écosse. En mars 2003, il y en a eu 100. On ne constate pas une hausse parallèle des cas de maladie mentale dans la province durant cette période, mais de plus en plus de personnes qui étaient auparavant hospitalisées tentent en vain d'obtenir des services dans la collectivité.

Pour ce qui est de la nature des infractions commises, il y a 10 ou 12 ans la vaste majorité des personnes non criminellement responsables étaient accusées d'infractions graves. Maintenant, elles sont accusées de méfaits, de proférer des menaces et de résister à une arrestation. Le cas le plus marquant qui me vient à l'esprit est celui d'une personne qui a été accusée d'endommager les arbres dans la ville de Halifax. Il arrachait les feuilles d'un arbre et un policier l'a arrêté. Il a été jugé non criminellement responsable. C'est cela la criminalisation des malades mentaux.

Oui, je crois que tout se résume par un manque d'accès aux services.

Vous m'avez demandé si c'était une tentative d'améliorer la loi. Cela était évidemment le but. On n'aurait pas intérêt à empirer une loi.

Pour ce qui est de la rationalisation, quand j'ai dit que le nombre était peu important, je parlais des personnes inaptes en permanence au Canada.

Les modifications visant à permettre d'ordonner la suspension de l'instance ou d'établir un autre mécanisme pour les sortir du système représentaient une tentative pour améliorer le système actuel dans le cadre duquel les personnes continuent de relever de la commission d'examen, même si elles ne présentent pas une menace publique importante.

Je voulais simplement dire qu'à mon avis, ce n'est pas la meilleure amélioration qui soit. Je crois qu'il aurait été préférable de permettre à la commission d'examen, dans son examen annuel des dossiers, d'accorder une libération inconditionnelle si elle est d'avis que la personne, bien qu'inapte, ne pose pas une menace importante à la sécurité du public. Cela serait plus simple et plus efficace.

Il faut tenir compte que la commission d'examen n'est pas constituée de la même façon qu'une cour, qui est présidée par un juge qui généralement n'a pas de formation psychiatrique. Voilà pourquoi il n'est pas rare que les cours renvoient un accusé à une commission, parce qu'elles souhaitent de permettre à la commission, qui a l'expertise nécessaire, de trancher. Renvoyer le cas à la cour pour une suspension d'instance semblerait se priver de l'expertise de la commission d'examen. Cette dernière ne pourrait pas recommander à la cour de procéder à une libération inconditionnelle ou de procéder à une suspension. On renverrait l'affaire à la cour qui pourrait tenir une audience et ordonner une suspension. On ne se baserait pas sur la santé mentale ou le risque posé, mais uniquement sur une évaluation juridique, par opposition à une évaluation juridique combinée aux recommandations de la commission d'examen.

Le sénateur Andreychuk : Avez-vous eu connaissance d'un cas où une personne qui a commis un crime a été jugée inapte à subir son procès, puis quand l'affaire a été entendue, la personne a été renvoyée à procès et a été condamné pour l'infraction?

M. Jeffcock : Je ne suis pas au courant qu'une personne inapte à subir son procès soit devenue apte puis condamnée, plutôt que d'avoir été jugée non criminellement responsable.

Le sénateur Andreychuk : Avez-vous eu connaissance d'un cas où il y aurait eu acquittement? En d'autres mots, la personne aurait pu être saine d'esprit et apte au moment de l'infraction, puis devenir inapte, recevoir un traitement et être renvoyée à procès pour l'infraction.

M. Jeffcock : Je sais que des gens accusés d'avoir commis des infractions se sont présentés devant les tribunaux, ont été renvoyés pour une évaluation et ont été jugés inaptes. Ils sont revenus aptes, ont été renvoyés à la cour et jugés non criminellement responsables. On a établi qu'ils avaient commis l'infraction, mais qu'ils souffraient d'une maladie mentale et ne comprenaient pas la nature et le sérieux de leurs actes. Je sais que des gens sont allés en cour et ont été acquittés, mais je ne connais pas de cas où des gens qui sont retournés en cour ont été trouvés coupables.

Dans le matériel fourni, j'ai indiqué que de plus en plus de gens invoquaient comme défense qu'ils n'étaient pas criminellement responsables. Dans bien des cas ce pourrait être une erreur d'appellation, parce que ce n'est pas l'accusé qui invoque cette défense. Il est possible que des gens ne souhaitent pas qu'on les trouve non criminellement responsables, parce que autrement ils peuvent obtenir une année de probation dans la collectivité et tout se termine là. S'ils sont jugés non criminellement responsables, il en résulte des conséquences plus lourdes, comme l'hospitalisation.

Souvent, c'est la Couronne qui soulève cette question après avoir établi que l'accusé a commis l'acte.

Le sénateur Mercer : En tant que Néo-Écossais, je suis toujours content de voir des gens de ma province comparaître devant le comité. Il semblerait d'après vos commentaires que vous ne saviez pas pourquoi nous vous avons invité à témoigner. La qualité du débat qui se tient actuellement devrait vous donner la réponse — le grand respect que porte le Sénat à la Nova Scotia Legal Aid Commission.

Vous avez peut-être partiellement répondu à ma question. Je me demande si nous avons vraiment besoin de ce projet de loi en ce moment. À votre avis, s'il n'est pas nécessaire, pourquoi ne le serait-il pas? Qu'arrivera-t-il aux personnes à qui il s'adresse? Qu'arrivera-t-il aux personnes en Nouvelle-Écosse? Vous avez dit que le nombre de cas a considérablement augmenté ces dernières années, non pas le nombre de cas graves, mais les cas d'infractions moindres.

M. Jeffcock : Le projet de loi porte sur différents angles de la question. Il est clairement requis maintenant par suite du jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Demers concernant un accusé inapte. Je m'imagine qu'il se produira quelque chose en juin cette année, d'une façon ou d'une autre. Le projet de loi n'a pas encore été adopté. J'ai quelques clients inaptes en Nouvelle-Écosse. Une affaire dont est saisie la Couronne dans la vallée de l'Annapolis sera de retour devant la cour le 4 mai, quand l'accusation sera retirée, même si la preuve prima facie demeure. La personne ne reviendra probablement jamais apte et ne posera pas un risque important à la collectivité. Il demeure à la East Coast Forensic Hospital, car aucun logement adéquat n'est disponible, mais son nom est sur une liste d'attente. Comme je l'ai dit au sénateur Andreychuk, le programme de soutien pour les adultes de la Nouvelle-Écosse ne s'occupe pas des personnes qui obtiennent leur congé de l'hôpital judiciaire, car ils ont un endroit où rester et n'ont donc pas besoin d'aide. C'est leur attitude. Le dossier de cette personne a été renvoyé au programme de soutien pour les adultes. On a indiqué que l'accusation sera retirée le 4 mai, ce qui signifie, du point de vue de la East Coast Forensic Hospital, que cette personne ne relèvera plus de la commission d'examen et on lui donnera son congé. Il semble qu'il ne sera pas laissé pour compte, car on lui trouvera un placement. Cette personne a obtenu une libération conditionnelle il y a trois ou quatre ans. Le tribunal a évalué qu'il ne posait de risque, mais ne peut lui donner une libération inconditionnelle. Il devrait vivre dans la collectivité, mais à cause de l'administration d'un programme provincial sa liberté demeure limitée. Le programme de protection pour les adultes a réussi à lui obtenir un placement à l'extérieur du système judiciaire.

Vous me demandez ce qui arrivera. Je peux vous répondre au sujet de cette personne en particulier, mais je ne peux vous dire ce qui arrivera aux autres. D'un bout à l'autre du Canada la décision Demers aura d'importantes incidences sur d'autres cas à partir du mois de juin. Certaines personnes espéreront trouver un placement, alors que d'autres, qui ne sont plus correctement détenues, pourront vraisemblablement sortir par la grande porte.

Le sénateur Callbeck : J'aimerais entendre vos commentaires sur la Déclaration de la victime, compte tenu des amendements proposés au projet de loi C-10. Comme vous n'êtes pas sans le savoir, la commission d'examen aurait un pouvoir accru. Par exemple, elle devrait informer les victimes de leur capacité de soumettre une déclaration. Les tribunaux et la commission d'examen pourraient à leur discrétion ajourner l'audience pendant la préparation de la déclaration. Autrement dit, ils pourraient décider s'il y a lieu d'ajourner la cause et de permettre la lecture de la Déclaration de la victime. De nombreux amendements sont proposés et j'apprécierais vos commentaires.

M. Jeffcock : Le projet de loi proposé est certainement truffé d'amendements à cet égard, mais d'un point de vue pragmatique, en tant qu'intervenant, je ne pense pas que cela fera beaucoup de différence. À mon avis, il est évident que lorsque la personne comparaît à la première audience, la Déclaration de la victime peut être déposée. Souvent, les documents de la Couronne sont transmis à la commission d'examen, y compris la Déclaration de la victime.

Le seul changement important que j'entrevois concerne la possibilité d'ajournements pour permettre le dépôt de la Déclaration de la victime. Encore une fois, bien que ce soit là une considération pragmatique d'un point de vue réaliste, en Nouvelle-Écosse, je ne pense pas que cela risque de se produire souvent parce que nous avons un excellent programme de services aux victimes, qui relève du ministère de la Justice.

Par exemple, supposons que vous soyez mon client et que nous nous présentions pour votre audience, le 14 avril, et que, faute de Déclaration de la victime, il soit nécessaire d'ajourner. Je serais très surpris que cela se produise dans ma province.

Je ne sais pas si le changement le plus important aurait une incidence très fréquente. À mon avis, le seul élément des amendements qui pourrait être utilisé régulièrement est celui qui a trait à la notification de la victime au moment d'une audience où l'accusé serait susceptible d'être relaxé. Je sais que c'est une mesure dont le groupe de soutien des victimes souhaiterait souvent disposer.

Le sénateur Callbeck : Et que penser du fait que cet amendement permet à la commission d'évaluation de décider si la Déclaration de la victime doit être lue plutôt que déposée?

M. Jeffcock : Encore une fois, bien que cela ne soit pas stipulé dans le projet de loi, notre commission n'a jamais empêché les victimes de lire leur Déclaration de la victime. Récemment, j'ai assisté à une audience pour une cause très délicate où l'accusé avait causé la mort d'une autre personne, il y a 10 ou 12 ans. La famille assistait à l'audience et elle a relu pour le procès-verbal la Déclaration de la victime, qui décrivait l'impact que les actes de mon client avaient eu non seulement, de toute évidence, sur leur frère, mais bien sur toute la famille. Je n'ai jamais vu la commission rejeter une telle déclaration, même si cela n'est pas encore prévu dans la loi.

Il est certain que je ne vois pas beaucoup de changements dans la pratique. Il est certainement rassurant pour les victimes et les groupes de défense des droits des victimes de constater la présence de cet amendement dans le projet de loi proposé, mais, dans notre province, dans la pratique, cela ne sera pas un changement remarquable.

Le sénateur Milne : Je reviens à la question que le sénataur Bacon vous a posée et à laquelle j'ai donné suite. En examinant le projet de loi, vous avez raison de dire qu'une commission d'évaluation peut accorder une libération absolue. C'est très juste, mais cela arrive toujours après un procès.

M. Jeffcock : Effectivement, à un accusé non criminellement responsable.

Le sénateur Milne : Une personne inapte ne passe jamais en jugement.

M. Jeffcock : C'est exact.

Le sénateur Milne : Une suspension d'instance est une façon de mettre fin à une procédure avant le procès. C'est la façon légale de le faire, en ayant recours à une suspension d'instance. Est-ce que je me trompe? C'est vous le juriste..

M. Jeffcock : C'est une des façons de mettre fin à une procédure. La Couronne peut également retirer toutes les accusations.

Le sénateur Milne : Dans ce cas, un accusé ne pourrait jamais être placé dans une installation supervisée.

M. Jeffcock : Sauf lorsqu'une personne est inapte et qu'elle relève de l'autorité de la commission d'évaluation, et que cette disposition est prise dès que son état est constaté. La personne se présente alors devant la cour pour se faire dire qu'elle est inapte. La cour la renvoie donc à la commission d'évaluation qui, encore une fois, doit établir la question de l'inaptitude. Si la personne est inapte, la commission doit prendre une décision. À l'heure actuelle, elle peut soit émettre une ordonnance de détention dans un hôpital ou accorder une libération conditionnelle dans la communauté, mais à l'exclusion d'une libération absolue.

Le sénateur Milne : Vous avez raison en ce qui concerne l'article 672.851 tel que proposé. La suspension d'instance y est discrétionnaire. En vertu de cet article, la commission « peut ». Le comité aurait certainement le pouvoir discrétionnaire d'élaborer un amendement qui permettrait à une commission d'examen d'accorder automatiquement une suspension d'instance lorsqu'une personne présente une inaptitude permanente. Nous devrions pour cela amender le projet de loi. Traditionnellement, je crois que les suspensions d'instance n'ont été ordonnées que dans l'intérêt de la justice et cette procédure ne devient un recours discrétionnaire qu'après le procès.

M. Jeffcock : J'ai seulement quelques points à soulever.

Le sénateur Milne : Pardon, la suspension d'instance survient en fait avant le procès.

M. Jeffcock : Tout d'abord madame le sénateur, sans vouloir embrouiller les choses, le projet de paragraphe (1) de l'article 672.851 stipule qu'une commission d'évaluation peut décider de sa propre initiative de recommander que le tribunal de l'autorité duquel relève l'accusé fasse enquête. L'objet de mon commentaire sur le pouvoir discrétionnaire est que, dans le reste de l'article proposé, il est dit que le tribunal peut émettre une ordonnance de suspension d'instance, mais qu'il n'y est pas tenu. Il est ici question d'une procédure comportant deux étapes.

Je n'ai jamais suggéré que la commission d'examen soit investie du pouvoir d'ordonner une suspension d'instance, car, en tant que créature de la loi, je ne crois pas qu'elle ait le pouvoir légal de le faire. Seule la cour peut rendre une ordonnance de suspension d'instance.

Conformément au libellé actuel, la commission peut tenir une audience. Disons par exemple que lors de l'audience de disposition annuelle de la personne, la commission conclut que l'accusé ne sera jamais apte et qu'il ne constitue pas une sérieuse menace pour la communauté. Après avoir pris cette décision, tout ce que peut faire la commission c'est d'accorder une libération conditionnelle, ce qui se fait souvent, de façon à ce que la personne puisse vivre dans la communauté sous condition.

En vertu du libellé actuel de l'article proposé, une commission fait ou ne fait pas une recommandation à la cour afin qu'elle se saisisse de la situation. À son tour, la cour tient ou ne tient pas d'audience. Aucune précision n'est donnée quant au critère sur lequel se basera la cour pour décider d'examiner ou non le cas.

Lorsque nous parlons de la « nature de l'infraction », cela implique-t-il une audience en cour, où il y aura argument juridique entre la Couronne et la défense sur la question de savoir s'il est pertinent de tenir une audience? L'article proposé ne le précise pas. Il n'y a rien au sujet d'une requête à la cour.

Ainsi, lorsque le tribunal doit décider si la suspension d'instance doit être accordée, encore une fois, aucun critère n'a été défini à cet effet. Il faut considérer les facteurs suivants : la nature et la gravité de l'infraction présumée, les effets salutaires et nuisibles de la suspension d'instance, notamment l'effet sur la confiance du public envers l'administration...

Le sénateur Milne : Où lisez-vous cela?

M. Jeffcock : Au paragraphe (8) de l'article 672.851 proposé, où il est stipulé que la cour doit décider si la suspension d'instance est dans le meilleur intérêt de la bonne admnistration de la justice. Cependant, les critères permettent de décider s'il convient de tenir l'audience ne sont précisés nulle part dans cette disposition.

Comme je l'ai dit au sénateur Anderychuk il y a quelques instants, il semble ironique que, dans toute la partie XX.1 du Code criminel, une grande importance est attachée au fait que le tribunal, la commission d'évaluation, est composée non seulement d'un président dûment qualifié pour être un juge de la Cour suprême et de psychiatres, mais aussi, éventuellement, de psychologues ou autres praticiens ou encore de gens ordinaires, mais il y a toujours un membre de la commission qui a une connaissance approfondie des questions psychiatriques. Les cours d'appel, lorsqu'elles sont saisies d'appels relatifs à des décisions, disent souvent que ces appels devraient être renvoyés à la commission, compte tenu de son expertise dans les domaines juridique et psychiatrique.

Ce sont là des références à une commission spécialisée dont plusieurs membres ont reçu une formation spéciale. Ces membres mettent leurs connaissances en commun pour arriver à une décision. Et nous proposons cette disposition qui dit qu'il faut maintenant oublier toutes les dispositions existantes du Code criminel en matière de désordre mental. À quoi doit servir une commission? Pourquoi une seule personne ne suffirait-elle pas? Pourquoi ne pas demander au tribunal d'évaluer les gens sur une base annuelle? La réponse, c'est que ce n'est pas la façon appropriée de s'occuper de gens souffrant de maladie mentale. Des spécialistes du domaine doivent être saisis de ces questions.

Ayant reconnu cela, pourquoi les renvoyer à un juge qui n'a pas la compétence?

Le sénateur Milne : Dans ce cas, monsieur, si vous me permettez de dire quelques mots, quel amendement précis suggéreriez-vous?

M. Jeffcock : Je dirais simplement que les sections du Code criminel qui gouvernent les pouvoirs décisionnels dont est investie la commission d'évaluation pour s'occuper une personne inapte exigent un simple amendement.

Par conséquent, cet amendement aurait le même libellé que l'article 672.54, qui stipule que l'on peut soit accorder une libération absolue si la personne ne représente pas un danger sérieux pour la société ou, à défaut, une libération conditionnelle ou une ordonnance de détention dans un hôpital.

Le sénateur Milne : Où puis-je trouver l'article 672.54?

M. Jeffcock : Il s'agit des pouvoirs généraux de la commission relativement aux décisions concernant les accusés inaptes non criminellement responsables.

Le sénateur Milne : J'ai trouvé les articles 672.5, 516 et 501.

M. Jeffcock : Je n'ai pas apporté d'exemplaire du Code criminel.

Le sénateur Milne : N'êtes-vous pas en train de parler d'une disposition de ce projet de loi?

M. Jeffcock : Non. Je parle bien du Code criminel.

Le sénateur Milne : Bon, nous ne pouvons modifier le Code criminel, mais nous pouvons amender ce projet de loi. Ce que je vous demande c'est de me dire comment nous pouvons amender ce projet de loi.

M. Jeffcock : Je suggérerais simplement que l'article 672.851 soit amendé pour stipuler que la commission pourrait prendre une décision, y compris celle d'accorder une libération absolue dans le cas d'accusés inaptes.

J'aurais pensé qu'il serait beaucoup plus simple de modifier légèrement le Code criminel que d'instituer toute une nouvelle procédure qui, si vous me permettez, est plutôt lourde et qui implique deux stades pour prendre une décision relativement à une personne de toute évidence inapte à jongler avec des questions légales complexes.

Le sénateur Milne : Persistez-vous à dire « pourrait prendre »?

M. Jeffcock : Non, je dis « prend ».

Le sénateur Milne : Je veux que cela figure au compte rendu. Vous avez dit « pourrait prendre », en voulant en fait dire « prend »?

M. Jeffcock : Je suggérerais que la commission soit investie du pouvoir d'accorder une libération absolue aux personnes inaptes, mais qui ne présentent aucun danger sérieux pour la sécurité du public. Je suggérerais également que le libellé soit identique à celui qui s'applique au pouvoir de la commission de prendre une décision pour les personnes qui ne sont pas criminellement responsables, à qui la commission « accordera » une libération absolue.

Le sénateur Milne : C'est le mot que je cherchais. Merci.

Le sénateur Cools : Comment une commission accorde-t-elle une libération? Je suppose que la commission fait une recommandation au gouverneur en conseil. Ces tribunaux font des recommandations.

La présidente : Certaines personnes travaillent aussi avec nous.

Le sénateur Cools : M. Jeffcock est avocat et il est ici à titre de témoin. Il peut nous expliquer ce qu'il veut dire.

M. Jeffcock : La commission a le pouvoir de rendre des décisions. Elle rend des décisions, mais ne fait pas de recommandations.

Le sénateur Ringuette : J'apprécie vraiment vos commentaires et votre expérience de ce genre d'affaires. Hier, une question a été soulevée au sujet de l'expérience requise pour procéder à une évaluation et du fait que le projet de loi permet aux procureurs généraux des provinces d'établir des listes des personnes ayant l'expérience nécessaire pour procéder aux évaluations. Que pensez-vous de cette situation?

M. Jeffcock : Vous voulez parler de l'évaluation de l'aptitude à subir un procès?

Le sénateur Ringuette : C'est exact.

M. Jeffcock : Je n'ai aucune objection à ce que des personnes autres que les psychiatres puissent procéder à cette évaluation, surtout qu'il y a habituellement peu de psychiatres judiciaires disponibles. Cela semble ralentir inutilement le processus et, dans certains cas, des personnes sont enfermées dans des cellules en attendant de pouvoir se rendre à l'hôpital. C'est terrible comme situation.

Lorsqu'il n'a pas été déterminé si une personne est apte à subir un procès, je crois qu'il est terrible que cette personne puisse se retrouver en prison en attendant de subir son évaluation. Bien sûr, il est possible que cette personne soit bel et bien apte, mais même s'il n'y a qu'une personne sur 25 qui soit déclarée inapte, j'ai peine à imaginer la terreur que doit ressentir cette personne qui ne comprend pas ce qui lui arrive.

Je sais qu'en Nouvelle-Écosse, et j'en ai parlé lorsque j'ai comparu devant l'autre comité, on a envisagé la possibilité que des coordonnateurs judiciaires procèdent à un dépistage préliminaire. Les coordonnateurs judiciaires sont chargés de suivre les personnes qui ont été remises en liberté. Il serait possible de les charger, en plus de leurs tâches habituelles, de se rendre au palais de justice et de parler à la personne en question. S'ils jugent qu'il n'y a absolument aucune possibilité que la personne soit déclarée inapte à subir un procès, ils peuvent en aviser le médecin rapidement afin d'approuver automatiquement la personne. Par contre, si un point d'interrogation demeure, des mesures pourront être prises afin de procéder rapidement à l'évaluation au lieu de détenir la personne dans un milieu inapproprié.

Le sénateur Ringuette : Je vous remercie encore une fois de vos commentaires, qui mettent en évidence votre longue expérience.

M. Jeffcock : Merci.

La présidente : Nous sommes très heureux de vous avoir reçu, monsieur Jeffcock. N'hésitez pas à nous faire parvenir tout autre renseignement qui pourrait nous être utiles, selon vous.

Je laisse maintenant la parole au Dr Gray et à Mme Deighton, de la Société canadienne de schizophrénie.

Le docteur John Gray, président de la Société canadienne de schizophrénie : La Société canadienne de schizophrénie a pour mission de soulager les souffrances causées par la schizophrénie. La plupart de nos membres ont des parents atteints de schizophrénie ou en sont eux-mêmes atteints, et bon nombre d'entre eux ont déjà eu une expérience directe du système de justice pénale et des sujets dont il est question aujourd'hui.

En fait, la majorité des personnes qui sont prises en charge par le système judiciaire, au Canada et dans la plupart des pays, souffrent de schizophrénie. Il s'agit de la maladie la plus souvent diagnostiquée, une maladie cervicale qui enlève aux personnes atteintes la capacité de demander à suivre un traitement. Il s'agit bien souvent d'un trouble d'ordre psychotique qui fait que les personnes atteintes ne comprennent pas ce qu'elles font dans une situation criminelle donnée.

Il est important de souligner que le nombre croissant de personnes dans le système judiciaire s'explique en partie par les failles du système civil, soit les manques sur les plans de la détection hâtive et des traitements ainsi que l'absence d'un système de services exhaustif axé sur la guérison. J'ajouterais que les lois sur les troubles mentaux de plusieurs provinces contiennent des dispositions contre les traitements et forcent les personnes atteintes à passer par le système judiciaire.

Par exemple, nous avons entendu ce matin un témoignage sur une personne qui était dans un état psychotique et qui endommageait un arbre. Dans la province ou cet exemple a eu lieu, la Nouvelle-Écosse — tout comme en Ontario et dans d'autres provinces où le critère est que la personne doit poser un danger pour d'autres personnes ou pour elle- même —, cette personne n'aurait pas pu être traitée sans son consentement.

Dans d'autres provinces, comme la Saskatchewan, le Manitoba et la Colombie-Britannique, où le critère de danger est moins limitatif, la personne aurait pu être traitée. Elle aurait donc été envoyée à l'hôpital; elle n'aurait pas été en prison et n'aurait pas passé par le système judiciaire. C'est un élément important, même si je sais que ce n'est pas exactement sur cela que vous vous penchez.

La Société canadienne de schizophrénie est satisfaite de la plupart des modifications contenues dans la projet de loi C-10, y compris, bien entendu, de celles qui concernent l'accusé inapte de façon permanente à subir son procès, la suppression des maximums, les nouveaux pouvoirs attribués aux commissions d'examen, les modifications relatives aux transferts et aux pouvoirs de la police.

Nous souhaitons toutefois vous inviter à la prudence au sujet des modifications touchant les déclarations des victimes, et nous sommes également très préoccupés par l'absence dans le projet de loi d'un mécanisme d'autorisation du traitement des personnes non tenues criminellement responsables pour cause de troubles mentaux.

Abordons d'abord les déclarations de la victime. Nous savons que la victime a les mêmes sentiments, que l'auteur de l'infraction soit criminellement responsable ou non et peu importe l'identité de l'auteur de l'infraction, mais le Code criminel établit une nette distinction entre les deux. Nous craignons qu'en introduisant les déclarations des victimes de type criminel, on affaiblisse cette distinction et incite certaines parties à ne plus reconnaître les autres distinctions importantes entre les personnes qui sont criminellement responsables et celles dont les actes ont été posés en raison d'une maladie mentale telle que la schizophrénie.

Les déclarations des victimes dans les cas des personnes déclarées coupables et responsables de leurs crimes sont utilisées par les juges pour fixer la peine. L'accusé fait l'objet d'une peine à durée préfixe et une fois la peine purgée, il est parfois aussi dangereux que le premier jour de son incarcération.

Par contre, dans le cas d'une personne déclarée non tenue criminellement responsable pour cause de troubles mentaux, la durée de la décision est indéterminée. À la différence d'un criminel, la personne déclarée non tenue criminellement responsable pour cause de troubles mentaux ne peut être libérée que si elle ne représente pas un risque pour la sécurité publique. C'est pourquoi nous pensons que les déclarations des victimes devraient jouer un rôle moins important dans les décisions prises par les commissions d'examen.

Par contre, dans la majorité des cas de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, les victimes sont des membres de la famille. Sheila Deighton, qui m'accompagne aujourd'hui, en est un exemple.

Il est important que les familles participent aux décisions qui vont toucher la vie des autres membres de la famille, en particulier si la personne en question risque de bénéficier d'une libération conditionnelle ou inconditionnelle.

En conséquence, notre recommandation relative aux déclarations de la victime constitue un compromis. Nous suggérons que le ministère de la Justice soit invité à suivre les répercussions des déclarations de la victime.

Notre deuxième grande préoccupation porte sur les traitements psychiatriques. Les traitements psychiatriques sont essentiels pour que les personnes non tenues criminellement responsables pour cause de troubles mentaux puissent retrouver la liberté, alléger leurs souffrances et redevenir fonctionnelles. Les commissions d'examen pourraient être en mesure d'autoriser les traitements lorsqu'il est impossible de le faire en vertu des lois provinciales.

Notre principale préoccupation n'est toutefois pas réglée par ces modifications, mais elle devrait l'être, car elle touche la santé et la liberté des personnes non tenues criminellement responsables pour cause de troubles mentaux dans certaines provinces. Le tribunal peut ordonner un traitement psychiatrique aux termes du Code criminel pour rendre l'accusé apte à subir son procès, mais il n'a pas le même pouvoir en matière de traitement à l'égard d'une personne non tenue criminellement responsable pour cause de troubles mentaux. Certaines lois provinciales relatives à la santé mentale donnent aux patients involontaires la possibilité de refuser le traitement dont ils auraient besoin pour pouvoir être libérés. S'ils ne reçoivent pas ces traitements, ils ne seront pas libérés. Certaines provinces du Canada permettent cela. La plupart des pays ne le permettent visiblement pas, puisque cela n'a aucun sens pour eux.

Nous recommandons vivement que le Code criminel soit modifié de façon à autoriser les commissions d'examen à ordonner un traitement lorsque celui-ci est nécessaire pour que la personne qui l'a refusé puisse obtenir une libération.

Je laisse maintenant la parole à Mme Deighton, qui va vous donner un point de vue familial sur les effets des maladies mentales qui ne sont pas traitées et sur l'efficacité et l'importance de recevoir un traitement psychiatrique approprié.

Mme Sheila Deighton, directrice exécutive, chapitre d'Ottawa, Société canadienne de schizophrénie : Bonjour, chers membres du comité. Je vous remercie de m'avoir invitée à venir vous adresser la parole. C'est un honneur pour moi d'être ici. J'aimerais partager avec vous l'expérience qu'a vécue ma famille en matière de maladies mentales.

Alistair, le mari que j'ai épousé il y a 33 ans, souffre d'une maladie mentale grave depuis longtemps et il est suivi par un psychiatre depuis de nombreuses années, et ce, de façon volontaire. Il était conscient qu'il avait besoin d'aide. Le matin du 30 janvier 1995, Alistair est allé voir son psychiatre. À l'époque, il travaillait comme vendeur, dans un domaine hautement compétitif et au niveau de stress élevé, et s'était mis à souffrir de délire paranoïde. Par exemple, il craignait pour sa sécurité, car il croyait que son employeur était lié avec la mafia, qu'il se faisait suivre et que ses collègues conspiraient contre lui.

Quand il rentrait à la maison, il me confiait certaines choses, mais pas tout. Il gardait beaucoup de ses pensées pour lui-même, car il craignait aussi pour la sécurité de notre famille. Son psychiatre ne le traitait pas avec des médicaments, mais utilisait plutôt une thérapie verbale.

Donc, le matin du 30 janvier 1995, mon mari est allé voir son psychiatre. Il montrait des signes de dépression et de paranoïa; en fait, il avait pris deux semaines de congé.

Cette nuit-là, à la maison, Alistair est descendu avec un fusil et a tiré sur notre fils de 18 ans, le tuant sur le coup. Il avait mêlé notre fils à son délire paranoïde, à son impression que notre famille était la cible d'une conspiration.

Je dois ajouter que notre fils montrait également des symptômes de maladie mentale. Or, conformément à la loi ontarienne sur les maladies mentales, nous avons été dans l'impossibilité de le faire admettre à l'hôpital, malgré une sérieuse tentative de suicide. À 16 ans, il avait sauté d'une hauteur de 30 pieds. Il avait survécu de justesse, mais l'hôpital lui avait donné son congé six jours plus tard car il ne faisait alors plus preuve de tendances meurtrières ou suicidaires.

Notre famille a vécu en état de crise constante avec une maladie mentale pour ainsi dire non traitée, pendant des années. Voilà ce qu'a fait une schizophrénie non traitée à mon fils, à mon mari, à moi, à nos deux autres enfants, qui avaient 13 et 15 ans à l'époque, et à la société.

Alistair était tellement malade mentalement qu'il a été jugé inapte à subir un procès. Je tiens à préciser qu'après son arrestation, il a passé deux mois et demi dans une prison de Cornwall en attendant qu'une place se libère à l'hôpital afin qu'il puisse passer son examen judiciaire. L'intervenant qui a parlé avant nous a dit à quel point il est incroyable qu'une personne qui souffre d'une grave maladie mentale se retrouve en prison. Pourtant, cela se produit à chaque jour dans notre pays.

Deux mois et demi plus tard, après qu'il ait finalement été admis au service médico-légal de l'Hôpital Royal d'Ottawa, il a accepté de prendre des médicaments antipsychotiques et, après environ deux mois, il a été jugé apte à subir son procès. Lors de son hospitalisation, il était tellement malade qu'il était inapte à subir un procès. Les traitements l'ont rendu apte, même s'il n'était pas complètement rétabli.

Son aptitude à subir son procès était extrêmement fragile. Son équilibre mental était très précaire. S'il avait refusé le traitement, le tribunal aurait pu lui ordonner, en vertu du Code criminel, de suivre un traitement psychiatrique afin qu'il soit apte à subir son procès.

Alistair a été déclaré non coupable du meurtre de notre fils pour cause de troubles mentaux et a été hospitalisé. On l'a renvoyé à l'Hôpital Royal d'Ottawa. Contrairement à bien des gens qui souffrent de cette maladie, il a pris ses médicaments volontairement. Il a réalisé d'excellents progrès et la Commission ontarienne d'examen lui a accordé une libération sous conditions, ce qui lui a permis de retourner vivre dans la communauté.

Il a eu quelques rechutes à cause du stress lié aux changements. Je dois vous dire qu'il s'agit d'individus très fragiles. L'appui et les ressources du milieu prennent donc une grande importance, non seulement pour la personne concernée, mais pour son entourage.

Après quelques hospitalisations, il a été en mesure de déménager dans un appartement à lui et, par la suite de revenir à la maison.

De manière à garantir la sécurité de notre famille et de notre milieu, la transition de l'hôpital à la maison a été gérée de façon très prudente.

Huit mois plus tard, il est revenu vivre avec notre famille, chez nous, où il réside actuellement. Cela se passait en 1997. En 2003, Alistair a obtenu une libération inconditionnelle de la commission d'examen de l'Ontario. Il a été perçu comme une personne qui, désormais, répondait bien au traitement. Il faisait preuve de discernement. Il travaillait avec un psychiatre. Il a joué un rôle de premier plan dans son programme de soins. Pour la première fois de sa vie, grâce au traitement, il était en bonne santé. Nous avons découvert par la suite qu'il avait été passablement malade durant une vingtaine d'années.

Depuis lors, il continue à prendre ses médicaments; il voit régulièrement son psychiatre, ce qu'il n'est pas obligé de faire. Il voit son psychiatre selon ses besoins. Il est très vulnérable au stress. En fortes périodes de stress, il la voit plus souvent. Il est aujourd'hui un mari magnifique et un père très affectueux.

Cette réussite du traitement est très différente de ce qui s'est passé, selon ce que j'ai entendu, dans de nombreuses familles où la maladie mentale a empêché des personnes de reconnaître qu'elles étaient malades et qu'elles avaient besoin d'un traitement psychiatrique. Elles ont donc refusé tout traitement.

J'ai assisté à l'automne à une conférence de médecine légale. Le Dr John Bradford, directeur du service de psychiatrie légale à l'hôpital Royal d'Ottawa, y a déclaré que, dans 80 p. 100 des cas, ce sont des membres de la famille qui sont victimes de violence. L'absence de traitement ne fait pas disparaître les symptômes et cause parfois des tragédies comme celle que nous avons connue. La personne atteinte de troubles mentaux présente un risque plus élevé de suicide et de criminalisation. La situation bouleverse sa vie et celles des membres de sa famille, qui souffrent davantage puisqu'ils doivent regarder, impuissants, souffrir la personne qu'ils aiment.

Au cours des 18 mois où Alistair a été hospitalisé au service de médecine légale de l'hôpital Royal d'Ottawa, je lui ai rendu visite à de nombreuses reprises dans la salle commune. J'ai ainsi eu l'occasion de constater ce que peu de gens ont la chance de voir. J'ai vu arriver à l'unité légale des personnes accusées d'infractions mineures ou parfois très graves, des gens inaptes qui refusaient d'être traités, des gens qui avaient été tout à fait fonctionnels à un moment donné et qui étaient maintenant recroquevillés dans un coin, luttant contre des pensées suicidaires, incapables d'exécuter seuls des tâches fondamentales de la vie quotidienne comme se laver et faire sa toilette.

J'ai pu voir sur place que ces personnes étaient des âmes perdues que le Code criminel et les lois provinciales privaient de leur liberté et de leur droit d'être bien portantes, du fait que le traitement n'est pas obligatoire en Ontario. Toute personne jugée apte, même si elle est très malade, peut refuser d'être traitée même si elle a été jugée criminellement non responsable. La plupart de ces personnes ont atteint un point où elles ont été jugées inaptes et traitées par la suite.

J'ai pu constater, après deux ou trois mois, qu'elles redevenaient des personnes à part entière. Ainsi, j'ai, pu me rendre compte directement de l'effet bénéfique du traitement.

Je vais maintenant redonner la parole à M. Gray, qui va vous expliquer les conséquences découlant du fait que le Code criminel n'autorise pas le traitement.

Le Dr Gray : Comme je le disais plus tôt, selon la loi provinciale, les personnes déclarées non criminellement responsables en raison de troubles mentaux peuvent être traitées en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et au Manitoba, mais ce n'est pas le cas dans des provinces comme la Nouvelle-Écosse et l'Ontario. Il y a donc disparité. Ainsi, selon la province, on est traité ou on ne l'est pas, même si le Code criminel est d'application générale.

De nombreuses affaires illustrent les répercussions découlant du fait que le Code criminel n'autorise pas, comme cela est permis dans la plupart des pays civilisés, le traitement obligatoire des personnes non tenues criminellement responsables. J'ai écrit un livre intitulé Canadian Mental Health Law and Policy qui contient des exemples d'affaires illustrant diverses cas de refus de traitement et de conséquences néfastes.

Le sénateur Cools : Pouvez-vous me répéter le titre du livre, s'il vous plait?

Le Dr Gray : L'ouvrage s'intitule : Canadian Mental Health Law and Policy.

Le sénateur Cools : Est-il toujours en librairie?

Le Dr Gray : Oui.

Le sénateur Cools : Qui en est l'éditeur?

Le Dr Gray : Il a été publié par Butterworths, 2000, chez Gray, Shone and Little.

Je me permets d'ajouter qu'il contient de nombreuses citations du rapport sénatorial du sénateur Kirby et de son comité.

Le sénateur Cools : J'en déduis que vous avez comparu devant ce comité également.

Le Dr Gray : En effet, sans toutefois aborder le sujet dont il est question maintenant.

Permettez-moi de vous fournir plusieurs exemples, dont un que vous connaissez probablement déjà. Il s'agit dans un cas de l'affaire Sevels. M. Sevels était à Penetanguishene et il avait exprimé préalablement sa volonté de ne pas être traité. Il est devenu très psychotique et difficile à gérer. Il souffrait de schizophrénie. Dans ce genre de situation, lorsque le patient constitue un risque pour les autres, quels sont les choix de traitement qui s'offrent aux membres du personnel? Ils ne pouvaient administrer des médicaments puisque la loi ne les y autorisait pas et ils ont donc été obligés de l'isoler. L'affaire a été portée en appel devant les tribunaux. Lorsque l'appel a finalement été entendu, la personne avait été placée en isolement depuis 404 jours. Vous savez en quoi consiste l'isolement. L'homme souffrait de maladie mentale. Si cela s'était produit en Colombie-Britannique, les responsables auraient été poursuivis, j'en suis convaincu. Dans le cadre d'un système de psychiatrie moderne, il ne convient pas de traiter quelqu'un en le plaçant en isolement durant 404 jours. Cela se produisait certainement avant l'avènement des médicaments. C'est ce que l'on faisait.

Fait intéressant, le juge qui s'est penché sur le dossier, contraint par les lois ontariennes, n'avait pas le pouvoir de faire quoi que ce soit. Il a cependant déclaré ce qui suit :

J'estime que ce n'est sûrement pas l'objectif visé de l'application de la Charte des droits et libertés que des personnes qui sont confinées dans la prison de leur maladie mentale [...] soient enfermées et confinées durant de longues périodes dans des établissements de santé mentale où la solution de rechange à leur isolement nécessaire est disponible et comporte des risques relativement peu élevés.

Autrement dit, le traitement était disponible. Cet homme avait même été traité avec succès auparavant.

Je vais m'appuyer, pour illustrer ce que j'avance, sur une autre affaire, portée devant la Cour suprême il y a près de deux ans. Il s'agit de l'affaire Starson c. Swayze. Elle tenait tellement à cœur à la Société canadienne de schizophrénie que cette dernière y a plaidé comme intervenante. Ce genre d'intervention est coûteux et nous avons dû obtenir du financement, mais nous étions convaincus du bien-fondé de notre position. M. Starson est un homme brillant. Il a cependant été admis au moins 17 fois dans un hôpital psychiatrique parce qu'il souffrait d'une maladie mentale grave. Parmi ses nombreux délires, il croyait que le pape travaillait pour lui. Il a été jugé inapte à subir son procès, où il était accusé d'avoir proféré des menaces de mort. Le tribunal a rendu à son endroit une ordonnance de traitement psychiatrique et il est devenu apte à subir son procès. Lors du procès, comme on l'a signalé plus tôt, il a été déclaré non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux. Il a refusé d'être traité, ce qui a donné lieu à un appel auprès de la Commission du consentement et de la capacité de l'Ontario, puis auprès du tribunal de première instance de l'Ontario. L'affaire a ensuite été portée en appel devant la Cour d'appel de l'Ontario, qui a rejeté les conclusions de la Commission du consentement et de la capacité et déclaré M. Starson apte. L'affaire a ensuite été portée devant la Cour suprême du Canada.

Pour résumer, cette affaire a été portée en appel jusque devant la Cour suprême du Canada qui, dans une décision majoritaire, a déclaré que, selon les lois de l'Ontario, la Commission du consentement et de la capacité avait commis une erreur et que M. Starson était apte à consentir au traitement.

La Cour suprême ne s'est pas prononcée sur la constitutionnalité des dispositions législatives ontariennes; elle a simplement affirmé qu'elles avaient été mal appliquées. J'ajouterais que le juge en chef a rédigé, selon moi, un avis dissident fort éloquent. Trois juges ont manifesté leur dissidence en déclarant que l'on avait agi correctement et que la personne était inapte.

En refusant d'être traité, M. Starson avait déjà passé cinq ans dans un hôpital. Depuis sa victoire à la Pyrrhus devant la Cour suprême, il continue de refuser le traitement qui lui permettrait d'obtenir sa libération. Il ne sera pas libéré tant qu'il ne sera pas assez bien portant, et s'il ne bénéficie pas du traitement, il ne le sera jamais. Depuis la décision de la Cour suprême, il a déjà passé près de deux autres années en détention et il se peut qu'il en passe bien davantage, et ce à grands frais pour les contribuables. Il continue également à représenter un danger pour le personnel et les autres patients. Cet homme a une intelligence vive, qu'il n'est pas en mesure d'exploiter. Il effectuait du travail scientifique dans le domaine de la physique. Il a perdu pratiquement sept ans de sa vie à cause d'une règle selon laquelle on ne peut le traiter. Cette situation est tout à fait inacceptable pour sa mère. Elle l'est tout autant pour la Société canadienne de schizophrénie et nous estimons qu'elle devrait l'être dans toute société compatissante qui offre des traitements psychiatriques modernes. Nous recommandons que la commission d'examen puisse autoriser le traitement dans des cas où l'autorité provinciale ne le permet pas.

Nous recommandons que la commission d'examen puisse autoriser un traitement psychiatrique lorsque la personne n'est pas traitée aux termes des lois provinciales relatives à la santé mentale pourvu que, premièrement, le programme de traitement soit fondé sur une discussion avec la personne, les médecins et les autres personnes concernées et tienne compte des souhaits antérieurs valides et non valides de la personne; deuxièmement, le programme de traitement soit dans le meilleur intérêt de la personne, selon la formulation type, la notion étant bien définie dans la Loi sur le consentement aux soins de santé de l'Ontario; troisièmement, sans ce traitement, la personne continuerait d'être détenue sans aucune perspective raisonnable d'être libérée, cette disposition étant tirée de la Loi sur la santé mentale du Nouveau-Brunswick; quatrièmement, deux médecins, dont un psychiatre, examinent indépendamment la personne, de sorte que le résultat ne dépende pas du caprice d'une seule personne; cinquièmement, le traitement soit revu officiellement par un psychiatre au moins tous les six mois ainsi que dans le cadre de toute audience de la commission d'examen. Ces recommandations sont conformes au modèle de loi sur la santé mentale qu'a élaboré la Société canadienne de schizophrénie.

Sans ces modifications, les inégalités découlant des disposition provinciales demeureront. Selon le Code criminel, toute personne ayant signifié à l'avance qu'elle ne souhaite pas être traitée le sera quand même en Colombie- Britannique, selon la loi sur la santé mentale de cette province, et libérée après une période relativement brève, si l'on suppose que les médicaments font effet, ce qui est généralement le cas. Par contre la même personne offrant des mêmes problèmes, assujettie au même code criminel, ne peut être traitée aux termes de la Loi sur le consentement aux soins de santé de l'Ontario. Cette personne continuera vraisemblablement à souffrir en détention durant des années et peut-être toute sa vie durant.

Tout comme le Code criminel ne se fonde pas sur les lois provinciales relatives à la santé mentale pour ordonner un traitement de manière à ce qu'une personne soit rendue apte — bien que, en Colombie-Britannique et dans certaines autres provinces, on se fonde exclusivement sur ces lois — le Code criminel ne doit pas dépendre exclusivement des lois provinciales pour l'autorisation de traitement d'une telle personne, étant donné que, dans certaines provinces, ces lois n'assurent pas que la personne devienne suffisamment bien portante pour être libérée.

Nous vous remercions de nous avoir permis de témoigner devant le comité.

Mme Penelope Marrett, chef de la direction, Association canadienne pour la santé mentale : Honorables sénateurs, il s'agit d'une question importante. L'Association canadienne pour la santé mentale est reconnaissante de l'occasion qui lui est données de comparaître devant vous.

[Français]

L'Association canadienne pour la santé mentale a été fondée en 1918. Il s'agit du seul organisme bénévole caritatif au pays voué à la fois à la santé et aux maladies mentales. Sa vision, « des personnes mentalement saines dans une société saine » encadre toutes nos activités. Notre mission est de promouvoir la santé mentale de tous et de favoriser la résilience et le rétablissement de personnes atteintes de maladie mentale.

L'ACSM se fait le porte-parole d'un groupe de la société dont la participation à l'élaboration des politiques publiques est, somme toute, très récente. Nous sommes de fervents défenseurs d'une contribution accrue de toutes les parties intéressées des milieux de la santé et de la maladie mentale à l'élaboration des politiques publiques, et notamment de ceux qui consomment les services.

[Traduction]

Suite aux événements du 11 septembre 2001, l'impact produit sur les individus et la société canadienne dans son ensemble est encore en cours d'évaluation. Depuis, les gens font preuve d'une prudence beaucoup plus grande et jettent un regard scrutateur sur leurs semblables comme jamais auparavant. De plus en plus, les gouvernements formulent des exigences supplémentaires de toutes formes en matière de sécurité afin d'éviter qu'une telle tragédie ne se reproduise et d'aider par le fait même leurs concitoyens à retrouver un sentiment de sécurité à la suite de ces événements.

En ce qui concerne la version actuellement à l'étude, l'Association canadienne pour la maladie mentale espère que votre comité va veiller à ce que la loi définisse les mesures de protection appropriées en vue de garantir l'équilibre entre les besoins du public et les droits des individus.

Tant de personnes souffrant de troubles mentaux se retrouvent dans les prisons canadiennes actuellement que celles- ci constituent les principaux établissements psychiatriques. Partout au pays, la demande de traitements et de services communautaires dépasse les capacités. L'Association canadienne pour la santé mentale se préoccupe du fait que le nombre de prisonniers souffrant d'une maladie mentale continuera d'augmenter si l'insuffisance de traitements et de services au niveau communautaire persiste.

[Français]

Jamais une loi, soit-elle excellente, ne suffira à elle seule à faire disparaître ni même à atténuer pour la peine les difficultés uniques des accusés NCR et autres personnes souffrant de troubles mentaux qui ont des démêlés avec la justice. S'ils ne sont pas résolus, les problèmes systématiques des régimes de prestation des soins de santé mentale finiront toujours par entraver toute velléité d'amélioration du système de traitement des délinquants atteints de maladie mentale. Ce qui manque cruellement, et qui n'a jamais existé du plus loin que nous pouvons porter notre regard, c'est la prestation de traitements adéquats aux personnes qui en ont besoin.

D'une façon générale, l'Association canadienne pour la santé mentale souscrit aux dispositions du projet de loi C- 10, mais nous avons quelques recommandations précises que nous vous avons formulées dans notre soumission.

[Traduction]

Pour que l'application de la loi soit une réussite, nous croyons que le gouvernement fédéral doit prendre un engagement financier à long terme en vue de s'assurer qu'un traitement et des services adéquats et appropriés sont disponibles, en temps utile, aux accusés et condamnés non criminellement responsables et qu'il doit prendre un engagement envers les autres paliers du gouvernement pour veiller à ce qu'un traitement et des services adéquats soient prodigués aux accusés non criminellement responsables du système judiciaire pénal provincial et territorial. Un traitement adéquat des personnes en cause n'existe actuellement pas et, d'après nous, n'a jamais existé.

[Français]

Le système canadien de soins de santé ne traite pas les maladies mentales de la même manière que les autres maladies. Le système de santé principal est généralement le premier point de contact des individus qui connaissent des problèmes de santé mentale ou sont atteints d'une maladie mentale grave. Jusqu'à un tiers des personnes qui se présentent aux services de soins principaux souffrent de problèmes psychologiques. Jusqu'à présent, de nombreux médecins généralistes ne sont pas dotés de suffisamment de connaissances, d'aptitudes et de motivations quant à la façon de s'y prendre avec les patients atteints d'une maladie mentale, ou de contrôler avec précision les problèmes de santé mentale, ou d'explorer les voies de référence appropriées afin d'accéder à un système spécialisé.

Le système de santé mentale constitue une panoplie de services complexes transmis par l'entremise des juridictions fédérales, provinciales et municipales, et des fournisseurs à but non lucratif et à but lucratif. Au mieux, il peut être décrit comme un mélange de soins intensifs de courte durée dans les centres hospitaliers, de services spécialisés pour des troubles précis ou des populations, de cliniques communautaires pour les malades en consultation externe, de services basés sur la communauté, d'un soutien psychosocial — logement, emploi, éducation et intervention en situation de crise — et d'une consultation privée, le tout d'une qualité et d'un fonctionnement variables, et généralement coupé des systèmes de services médicaux plus larges.

Le résultat consiste en un système qui ne répond pas aux besoins des individus atteints de maladie mentale et/ou souffrant d'un problème de santé mentale grave, où des erreurs de diagnostic et des délais dans l'obtention d'un soutien et d'un traitement adéquats sont devenus la norme. Le fait de trouver le soutien et le traitement appropriés nécessite un haut degré de compréhension du système ainsi que la patience d'explorer un système qui représente un défi. Cette affaire est rarement de courte durée, et beaucoup trop de personnes se retrouvent prises dans les failles du système en cours de route, enfermées en prison ou vivant dans la rue.

[Traduction]

Par ailleurs, l'Association canadienne pour la santé mentale recommande au comité d'appuyer le développement et la mise en œuvre d'une stratégie pancanadienne pour la maladie mentale et la santé mentale, laquelle comprendrait les traitements et les services requis pour les accusés et condamnés non criminellement responsables; ainsi que l'intégration complète des divers traitements et services, y compris des soins de santé mentale, dont ont besoin ceux qui sont atteints d'une maladie mentale et qui ont d'autres problèmes mentaux graves.

En somme, l'Association canadienne pour la santé mentale fait deux recommandations d'ordre général. Elle recommande tout d'abord que le comité appuie le développement et la mise en œuvre d'une stratégie pancanadienne pour la maladie mentale et la santé mentale, laquelle comprendrait les traitements et les services dont ont besoin les accusés et coupables non criminellement responsables.

Ensuite, elle recommande que les divers traitements et services, y compris les soins de santé mentale, dont ont besoin ceux qui sont atteints d'une maladie mentale ou d'autres problèmes mentaux graves soient complètement intégrés. De cette façon, les troubles mentaux seront traités comme les autres maladies et les autres services non médicaux seront intégrés et disponibles.

L'association est aussi convaincue que, pour que l'application du projet de loi à l'étude soit réussie, il faut que le gouvernement prenne un engagement financier à long terme en vue de s'assurer qu'un traitement et des services adéquats et appropriés sont disponibles, en temps utile, aux accusés et aux condamnés non criminellement responsables et qu'il prenne un engagement à l'égard des autres ordres de gouvernement pour veiller à ce qu'un traitement et des services adéquats soient prodigués aux accusés non criminellement responsables du système judiciaire pénal provincial et territorial.

Le docteur Padraig L. Darby, directeur adjoint des services cliniques, Programme psycholégal, Centre de toxicomanie et de santé mentale : Honorables sénateurs, je suis psychiatre et je fais partie de la Commission ontarienne d'examen depuis 12 ans, mais c'est en tant que directeur adjoint des services cliniques du Programme psycholégal du Centre de toxicomanie et de santé mentale situé à Toronto que je prends la parole aujourd'hui.

Le centre a été créé en 1998 grâce au regroupement de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie, de l'institut de psychiatrie Clarke, de l'institut Donwood et du Queen Street Mental Health Centre. Le Centre de toxicomanie et de santé mentale est un hôpital d'enseignement entièrement associé à l'Université de Toronto et il est le plus grand établissement de toxicomanie et de santé mentale au pays.

Le centre est un des neuf hôpitaux de l'Ontario désignés par le ministre de la Santé pour la garde, le traitement ou l'évaluation d'accusés ayant des troubles mentaux. Le centre qui est situé dans la région la plus densément peuplée et la plus variée sur le plan racial, linguistique et ethnique de la province est le plus important d'entre eux.

Le centre a présenté plusieurs mémoires au Comité permanent de la justice et des droits de la personne en 2002. Le projet de loi à l'étude tient entièrement compte des recommandations faites dans plusieurs d'entre eux, de sorte que nous appuyons nombre des changements recommandés.

Le centre souscrit plus particulièrement aux changements proposés qui confèrent aux commissions d'examen le pouvoir d'interdire la publication de certains renseignements. Il est favorable à l'article 14 qui exige la transmission en temps opportun des dossiers aux commissions d'examen et la révocation proposée des dispositions non proclamées portant sur la durée maximale de la détention.

J'aimerais parler plus abondamment de l'impact de certaines décisions rendues par les tribunaux sur la capacité des hôpitaux à diriger convenablement des ressources limitées vers ceux qui en ont le plus besoin, puis commenter brièvement trois autres aspects de la loi projetée.

En 2000, le centre a fait plusieurs suggestions relatives aux ordonnances d'évaluation. Il a suggéré entre autres que les articles 672.11 et 672.13 soient modifiés de manière à exiger le consentement de la personne responsable de l'établissement où l'accusé doit être évalué avant qu'un tribunal puisse rendre légalement une ordonnance. Le centre faisait observer dans son mémoire qu'il a l'obligation de se conformer à toutes ces ordonnances légales, mais qu'il doit aussi offrir un milieu sûr à tout ses clients et à son personnel et qu'on lui ordonne constamment d'admettre plus de personnes qu'il ne peut accueillir comme il convient ou en toute sécurité.

La décision rendue récemment à Ottawa par Son Honneur le juge Desmarais dans Regina c. Hussein établissait que la pratique qui consiste à incarcérer des accusés en attendant qu'une place se libère dans un établissement d'évaluation judiciaire est contraire aux dispositions pertinentes du Code criminel et contrevient aux articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et des libertés.

Dans une décision rendue récemment relativement à Orru c. Penetanguishene Mental Health Centre, le juge Glass a soutenu qu'il ne faudrait pas que la période écoulée entre la délivrance d'une ordonnance de la commission d'examen et l'admission de l'accusé NCR dans l'établissement désigné offrant le niveau approprié de sécurité excède quinze jours.

Le centre appuie entièrement les droits des accusés ayant une maladie mentale et reconnaît que la détention de ces personnes dans un milieu strictement correctionnel ne convient pas.

Cependant, étant donné le nombre limité de lits, il est impossible de faire en sorte qu'un lit est constamment et immédiatement libre. Pour illustrer la difficulté que cela nous cause, depuis hier, le Centre de toxicomanie et de santé mentale fonctionne à 106 p. 100 de sa capacité d'accueil de personnes référées par le système judiciaire, en dépit de l'ajout, la semaine dernière, de cinq lits supplémentaires. Cinq patients référés par la commission d'examen ont été placés dans des lits de l'hôpital qui ne sont pas réservés à ces fins. Actuellement, sept autres patients référés à notre établissement par la commission d'examen se trouvent dans d'autres hôpitaux de la province et, de toute évidence, nous ne respectons pas la norme des quinze jours.

Au cours des cinq dernières années, le quart de tous les patients de la Commission ontarienne d'examen a été référé au Centre de toxicomanie et de santé mentale, bien qu'il ne dispose que de 17 p. 100 des ressources provinciales. Enfin, au cours des deux dernières semaines, le centre a reçu six ordonnances d'évaluation immédiate, de sorte que nous avons dû accueillir ces personnes tout de suite.

Par conséquent, étant donné le nombre limité de places pour les évaluations et la nécessité pour les hôpitaux de faire un triage en fonction des besoins, le Centre de toxicomanie et de santé mentale demande que l'article 672.11 soit modifié de manière à exiger le consentement de la personne responsable de l'établissement où l'accusé doit être évalué avant qu'une ordonnance puisse légalement être rendue.

J'aurais aussi quelques brèves observations à faire dans trois autres domaines. Tout d'abord, en ce qui concerne le pouvoir de la commission d'examen de rendre des ordonnances d'évaluation, notre hôpital appuie le libellé du projet de loi qui autorise les commissions d'examen à rendre de pareilles ordonnances dans certaines situations particulières. Cependant, si un nouvel article 672.121 était inséré, nous recommandons, à nouveau en raison du besoin d'affecter les ressources en fonction de l'urgence du besoin, qu'il soit amendé de manière à exiger le consentement de la personne responsable avant que la commission d'examen puisse délivrer une ordonnance.

Deuxièmement, pour ce qui est du pouvoir de la commission d'examen de proroger le délai préalable à la tenue d'une audience d'examen et de révision, le Centre de toxicomanie et de santé mentale est contre les paragraphes (1.1) et (1.2) qui remplacent 672.81(2) et qui permettent à la commission d'examen de prolonger la période jusqu'à 24 mois. Une pareille prolongation semble contraire aux arrêts de la Cour suprême dans Winko, Tulikorpi et Pinet, dans lesquels elle affirme catégoriquement qu'on ne devrait pas présumer de la dangerosité d'un accusé NCR et que la décision devrait être la moins coûteuse et la moins restrictive possible.

Enfin, pour ce qui est de l'examen obligatoire dans les cas de détention, aux termes de l'actuel alinéa 672.81(2)a), la commission d'examen est obligée de tenir une audience si la personne responsable de la détention de l'accusé a sensiblement limité sa liberté pour une période de plus de sept jours.

Il faudrait selon nous modifier cet alinéa de manière à permettre qu'avec le consentement de toutes les parties, de pareilles audiences puissent être reportées jusqu'à la date prévue de l'audience annuelle suivante.

Je vous remercie de m'avoir permis de prendre la parole aujourd'hui et je demeure à votre disposition si vous avez des questions.

La présidente : Le traitement des accusés ayant des troubles mentaux, plus particulièrement leur traitement obligatoire, déborde vraisemblablement du cadre du projet de loi C-10. Le projet de loi porte davantage sur des questions de procédure. Le traitement plus poussé relève davantage de la compétence provinciale, sous le régime des lois relatives à la santé mentale.

J'ai cru bon de le mentionner avant que des questions soient posées, ce qui ne nous empêche pas de vous être reconnaissants de nous avoir fait ces exposés, ce matin.

Madame Deighton, vous nous avez fourni un point de vue unique, en ce sens que vous avez parlé en votre qualité, dirais-je, de victime et de mère de la victime tout en étant également l'épouse de l'accusé. Estimez-vous que le projet de loi C-10 représente un bon équilibre des droits de la victime et des droits de l'accusé?

Mme Deighton : Sous le régime de la loi actuelle, comme nous avons entendu un autre témoin le dire ce matin, les victimes ont toujours pu faire une déclaration durant l'audience de la Commission ontarienne d'examen, un droit dont je me suis prévalu.

J'ai un point de vue différent de ceux qui ne connaissent pas l'accusé. Je m'inquiéterais de la victime qui ne saisit pas la nature de la maladie mentale, qui ne peut faire la part entre le blâme et la maladie, qui persiste à voir l'accusé comme une personne violente ou dangereuse et qui est incapable de comprendre l'efficacité du traitement. Je crains l'impact que cela aurait sur l'accusé durant l'audience.

Alors que mon époux était hospitalisé, j'ai continué de demeurer très engagée dans le programme psycholégal et je me suis rendu compte que l'accusé a un grand sentiment de culpabilité. La santé mentale de l'accusé et l'effet de la déclaration de la victime me préoccupent. Pourrait-elle compromettre son bien-être?

La présidente : Madame Marrett, en ce qui concerne l'examen aux deux ans lorsque la personne a commis une infraction grave contre la personne, vous avez mentionné qu'un éventuel examen discrétionnaire ne dissipait pas vos inquiétudes. La possibilité d'interjeter appel de la décision initiale visant à prévoir l'examen suivant deux ans plus tard et la possibilité que l'hôpital puisse demander un examen obligatoire — en somme, l'article 672.812 — vous rassurent- elles un peu?

Mme Marrett : La Cour suprême a décidé qu'un examen devait avoir lieu dans les douze mois, et c'est ce que croit notre organisme. La prolongation de cette période imposerait trop de stress à la personne visée.

Dans l'optique d'un équilibre entre la protection du public et les droits individuels, nous aimerions que la période de douze mois soit maintenue.

La présidente : Plutôt que de deux ans.

Mme Marrett : Oui.

La présidente : Docteur Darby, les retards mis à faire les évaluations vous inquiètent. Croyez-vous qu'un amendement proposé par le Comité de la justice visant à permettre que d'autres personnes que des psychiatres puissent faire des évaluations améliorera l'opportunité de celles-ci? En tant que psychiatre vous-même, avez-vous des réserves d'ordre général à l'égard de cette possibilité?

Le Dr Darby : À titre de psychiatre, je n'ai pas de préoccupations semblables. Aux États-Unis, un grand nombre d'évaluations sont faites par des psychologues judiciaires.

Cela dépend beaucoup du milieu dans lequel une personne se trouve. M. Jeffcock a dit que cet aspect constituait une contrainte en Nouvelle-Écosse. À Toronto, nous avons la chance de pouvoir bénéficier de certaines économies d'échelle et l'un de nos psychiatres judiciaires est présent à chaque jour à la cour aux fins d'évaluation des troubles mentaux.

En fait, la grande majorité de nos évaluations sont faites directement à la cour. En général, ces évaluations peuvent être faites très rapidement et c'est pourquoi nous n'admettons pas les gens à cette fin. Cet exercice dépend dans une grande mesure du contexte local mais, en principe, un grand nombre d'évaluations pourraient aussi bien être faites par des psychologues que par des psychiatres.

La complication qui peut survenir est le cas où une personne est jugée inapte et qu'une ordonnance de traitement est nécessaire. Dans un tel cas, le témoignage d'un psychiatre est nécessaire pour justifier l'ordonnance en question.

Le sénateur Bryden : Il est très difficile de réglementer certains secteurs de notre vie et de la vie des citoyens, mais cela fait partie des contraintes liées au fait d'être un État fédéral. Dans certaines provinces, la schizophrénie peut être traitée et, dans certains cas, les gens peuvent être tenus de prendre leurs médicaments, alors que dans d'autres provinces cela n'est pas le cas. Cette question relève de la compétence des provinces.

La compétence du gouvernement fédéral relativement à une grande partie de ce dossier est uniquement liée au Code criminel. Au niveau des crimes et des peines, le Code criminel peut avoir préséance sur la compétence exclusive des provinces. Cela ne vaut pas juste pour la santé. C'est aussi le cas pour l'éducation et bien d'autres secteurs.

Dans notre système, la façon de fonctionner repose normalement sur la négociation et la coopération afin, si possible, d'établir une sorte de norme nationale.

Par exemple, c'est la raison pour laquelle nous avons la Loi canadienne sur la santé et ses cinq principes. Le gouvernement fédéral n'a pas le droit d'imposer cette mesure, mais il a une entente avec les provinces, de sorte qu'il a pu obtenir le respect de ces principes. La difficulté est de concilier, d'une part, les droits des résidants d'une province d'élire un gouvernement qui défende leurs droits et qui assume ses responsabilités et, d'autre part, le droit du gouvernement fédéral d'assurer la paix, l'ordre et le bon gouvernement à l'échelle nationale et conformément au Code criminel.

La Charte des droits et libertés vient compliquer la situation encore davantage et plus que jamais auparavant. Le Canada n'est plus autant une démocratie parlementaire qu'il ne l'a été dans le passé. C'est une démocratie constitutionnelle. Un nombre croissant de particuliers demandent aux tribunaux de déterminer s'ils ont des droits qui devraient être respectés en vertu des différents articles de la Charte des droits et libertés.

Par exemple, une demande a été faite afin de forcer une province à fournir aux enfants autistiques un niveau d'instruction comparable à celui qui est dispensé aux autres enfants. Le tribunal a dit qu'il n'allait pas contraindre la province à le faire, parce qu'il n'a pas de pouvoir d'imposition. C'est la raison que la cour a donnée.

Si vous rendez une ordonnance relativement à une question comme l'autisme, quelqu'un doit payer. Si la cour devait ordonner une intervention dramatique, par exemple en imposant au système scolaire de l'Ontario une responsabilité supplémentaire qui nécessiterait beaucoup d'argent, le gouvernement de cette province se retrouverait dans une situation très difficile.

Je n'ai pas de réponse, mais je crois, docteur Gray, que vous avez fait mention dans votre exemple d'une personne très compétente qui avait refusé de prendre ses médicaments et qui, par conséquent, n'a pas vécu la vie qu'elle aurait pu vivre. Il y a ici une question fondamentale de droits de la personne.

Il n'y a pas si longtemps, dans notre pays, vous deviez obtenir une ordonnance de la cour, en supposant que vous soyez capable d'en obtenir une, pour donner aux enfants une transfusion afin de leur sauver la vie. Je pense que si un adulte dit : « Non, je ne veux pas de transfusion », vous ne pouvez le forcer, même si cette transfusion va lui sauver la vie.

Le gouvernement fédéral peut se servir du Code criminel seulement jusqu'à un certain point afin d'essayer de faire de bonnes choses pour la société, sinon il s'ensuivra un tollé général. Je pense que ce que l'on s'efforce de faire dans le cas du projet de loi C-10, c'est d'aller aussi loin qu'il est raisonnablement possible de le faire dans les limites de ce qui seraient normalement des affaires criminelles, de respecter les limites de la compétence exclusive du gouvernement du Canada et d'éviter d'empiéter sur d'autres aspects de la gestion de la vie de nos citoyens.

Pensez-vous que l'équilibre qui est atteint ici a pour effet d'améliorer la vie des individus qui sont accusés d'avoir commis des infractions criminelles? Nous ne pouvons nous occuper de ceux qui ne font pas l'objet d'accusations. Quelqu'un veut-il commenter?

Le Dr Gray : D'une façon générale, je dirais oui. Je pense que les dispositions législatives fédérales sur les troubles mentaux sont fondamentalement bonnes. La décision Swain et tout ce qui en a découlé ont été très utiles. Je me souviens de l'époque des décrets, lorsque je dirigeais un hôpital en Saskatchewan. D'après ce que j'ai entendu dire au sujet de ces changements, ceux-ci seront effectivement utiles. J'ai noté dans les observations écrites de Mme Marrett que celle-ci était d'avis qu'une disposition en particulier serait utile. Je pense qu'on pourrait examiner certaines dispositions mais, d'une façon générale, je pense que celles-ci sont utiles.

Ce à quoi je faisais allusion c'est que le gouvernement fédéral, par l'entremise du Code criminel, a autorisé le traitement de personnes qui sont inaptes à subir un procès. D'une façon générale, les traitements psychiatriques relèvent de la compétence des provinces. Toutefois, ce n'est pas le cas ici. C'est une responsabilité fédérale, puisque celle-ci existe en vertu du Code criminel. À mon avis, étant donné qu'une personne non tenue criminellement responsable pour cause de troubles mentaux continue de relever du Code criminel, la même logique devrait s'appliquer ici. Nous sommes d'accord que les provinces fournissent des services, tout comme elles le font dans le cas des peines d'emprisonnement de moins de deux ans, même si ces cas relèvent du Code criminel. En ce qui a trait à la santé mentale, les provinces continueraient de fournir les services, mais lorsque des personnes sont victimes de discrimination parce qu'elles ne reçoivent pas le traitement qu'elles recevraient dans une autre province en vertu du même Code criminel fédéral, la commission d'examen devrait avoir le pouvoir de l'accorder.

Il n'en coûterait ...

Le sénateur Bryden : Le pouvoir de libérer sous caution?

Le Dr Gray : Non, le pouvoir de faire en sorte que ces personnes soient traitées. À l'heure actuelle, lorsqu'une personne est jugée inapte à subir un procès, le médecin fait une recommandation à la cour afin d'autoriser un traitement de façon à rendre la personne apte, n'est-ce pas? Cela se produit. En Colombie-Britannique, cela ne se passe pas de cette façon. Nous le faisons en vertu de la Mental Health Act; la cour n'intervient pas, mais elle a le pouvoir de le faire. Nous ne recourons pas à au pouvoir de la cour, mais nous pourrions le faire si nous voulions.

Tout ce que je dis c'est que dans le cas des personnes non tenues criminellement responsables pour cause de troubles mentaux, l'autorisation de traitement, qui est présentement accordée dans certaines provinces mais non dans d'autres, devrait être accordée par la commission d'examen en vertu du Code criminel, ce qui n'empiéterait pas sur la compétence de la province.

Le sénateur Bryden : Puis-je établir un lien entre ce que vous dites et ce que le Dr Darby a dit? Si la commission d'examen avait le pouvoir de rendre de telles ordonnances, ces personnes se retrouveraient dans l'hôpital du Dr Darby et cette institution serait remplie.

Le Dr Gray : Sauf votre respect, ces personnes sont déjà à l'hôpital, à Penetanguishene. Il s'agit de personnes non tenues criminellement responsables pour cause de troubles mentaux. Elles sont à l'hôpital, comme M. Starson, auquel j'ai fait allusion. Il est là depuis cinq ans, en fait il est à Ottawa, mais il ne peut être traité. Il pourrait être là encore dix ans. Or, s'il était traité, il sortirait.

C'est le point que je fais valoir. Cette personne est déjà dans le système de justice pénale. Oui, elle est dans un hôpital, mais elle s'y trouve en vertu du Code criminel.

Le Dr Darby : En ce qui a trait à votre question sur la notion d'équilibre, je suis tout à fait d'accord avec le Dr Gray. Je pense que les dispositions législatives canadiennes créent un très bon équilibre. Par ailleurs, lorsqu'on fait partie d'une commission d'examen, je pense qu'il n'est pas toujours facile d'établir un équilibre entre la sécurité du public et la réadaptation d'un accusé. Cela dit, je pense que, dans l'ensemble, il existe un bon équilibre.

Je ne m'exprime certainement pas au nom du CTSM lorsque je dis cela, mais en ce qui a trait à la position du Dr Gray, je ne pense pas, à titre de psychiatre et à titre individuel, que je serais en faveur de donner aux commissions d'examen le pouvoir d'ordonner des traitements. Premièrement, je ne suis pas convaincu que nous devrions traiter ces personnes différemment de tous les autres patients psychiatriques. Je pense que le fait de faire une évaluation est un peu une anomalie.

Toutefois, la commission d'examen a, dans bien des cas, un grand pouvoir de persuasion indirect, parce que l'accusé non tenu criminellement responsable reconnaît souvent que le fait de prendre des médicaments peut l'aider de façon sensible à devenir moins dangereux et à faire des progrès.

Dans le cas de nombreux patients visés par les commissions d'examen qui sont très malades, il existe des mesures législatives provinciales qui portent sur la question de savoir si les personnes sont capables de prendre elles-mêmes des décisions. Le traitement peut souvent être autorisé par une autre personne. Le cas de Starson, auquel fait allusion le Dr Gray, est incontestablement très dramatique, mais je ne pense pas qu'il justifie, même si c'était possible, compte tenu des questions de compétence fédérale-provinciale, que la commission d'examen ordonne des traitements.

Mme Marrett : Je pense qu'il y a plusieurs points ici. L'un d'entre eux est le fait que, si nous comprenons bien, l'article 39 aurait pour effet d'abroger l'article 747 du Code criminel, qui prévoit la détention dans un établissement de traitement, particulièrement lorsqu'un traitement est requis de façon urgente afin de prévenir toute détérioration plus poussée de l'état d'une personne. Si l'article 747 est abrogé, la cour n'aura d'autre choix que d'envoyer la personne dans une prison conventionnelle, qui n'est pas, selon nous, l'endroit où dispenser un traitement.

Vous avez raison de dire que, à bien des égards, le gouvernement fédéral est confronté à un véritable défi, parce que les soins de santé sont dispensés au niveau provincial. Toutefois, la santé mentale n'est pas visée par la Loi canadienne sur la santé. Nous avons 11 lois provinciales sur la santé dans notre pays, ce qui ajoute non seulement à la confusion des familles et des personnes qui doivent naviguer dans le système, mais aussi aux revendications visant certains des principes de la Loi canadienne sur la santé qui devraient s'appliquer d'un bout à l'autre du pays, notamment l'accessibilité, la transférabilité, et cetera.

Le gouvernement fédéral est le cinquième payeur de services de santé au pays. Par conséquent, il a la responsabilité d'essayer de trouver des façons de fournir les services, y compris dans le cas des personnes visées par le Code criminel.

Notre position à cet égard, qui est aussi celle d'un grand nombre d'autres intervenants en matière de santé mentale, est qu'aucune de ces questions ne sera abordée s'il n'existe pas une stratégie nationale pancanadienne en matière de maladie et de santé mentales. La question du financement ne sera jamais abordée, parce que les provinces décident elles seules des secteurs du domaine de la santé mentale qui feront l'objet d'un financement, que ce soit au niveau de la collectivité ou des institutions. Le Canada est le seul pays du G8 qui n'a pas de stratégie. Si nous en avions une, on se serait déjà attaqué à un bon nombre des problèmes dont nous discutons aujourd'hui et qui ont trait aux traitements et aux services dans le cas des personnes non tenues criminellement responsables.

Le sénateur Rivest : La responsabilité fédérale n'existe pas seulement en vertu du Code criminel. Le gouvernement fédéral peut aussi agir en vertu de son pouvoir de dépenser. Nous pouvons placer les problèmes de santé mentale en tête de la liste des priorités lorsque nous concluons des ententes avec les provinces et que nous les laissons prendre leurs propres décisions avec l'argent dont elles disposent pour s'acquitter de leurs responsabilités. C'est là un pouvoir très important.

[Français]

Des gens traduits devant les tribunaux et souffrant d'une déficience mentale, même ceux refusant le traitement, sont détenus en prison. Qui peut prendre la responsabilité de faire en sorte qu'aucune personne souffrant d'un déséquilibre mental évident demeure pendant des semaines, des mois et des années en prison?

[Traduction]

Le Dr Darby : Je pense que c'est presque certainement une combinaison regroupant un grand nombre de personnes. Récemment, en Ontario, un montant de 27,5 millions de dollars a été affecté aux services communautaires afin d'essayer de garder hors du système de justice pénale, c'est-à-dire dans la collectivité et à l'intérieur du système de santé, les personnes qui sont en contact avec la police.

Je suis tout à fait d'accord avec le Dr Gray et Mme Marrett. La criminalisation des personnes atteintes de maladie mentale est devenue un énorme problème ces dernières années. Deux de mes collègues ont présenté un document intitulé « The Criminal Code of Canada : The Mental Health Act of Last Resort », lors de la conférence judiciaire canadienne qui s'est tenue à Cambridge il y a quelques années. Il doit y avoir un effort concerté, surtout aux premières étapes, lorsqu'on souhaite une déjudiciarisation avant que des accusations ne soient portées ou un meilleur soutien pour ceux qui, de toute évidence, sont atteints de maladie mentale et qui ont besoin d'aide et d'un endroit où vivre. Si l'on s'occupait de ces deux aspects, je pense effectivement que l'on pourrait tenir bien des gens à l'écart du système de justice pénale et éviter qu'ils soient finalement reconnus comme étant NRC, c'est-à-dire non responsables criminellement. Nous avons donné l'exemple de quelques personnes NCR qui ont été admises à notre hôpital dernièrement, sur l'ordre de juges qui, avec les meilleures intentions du monde, assouplissent les critères permettant de déclarer une personne NCR, car c'est la solution la plus efficace pour qu'elle se fasse traiter. Nous ne devrions pas avoir à faire cela.

Le sénateur Mercer : Je voudrais tout d'abord vous remercier de votre présence ici. Depuis que j'ai été nommé au Sénat, j'ai presque toujours appris des choses de toutes ces audiences et je m'en réjouis.

Votre mari est traité, il répond au traitement et il mène maintenant une vie relativement normale. Il n'est pas parmi nous aujourd'hui, mais que penserait-il de ces modifications, à votre avis?

Mme Deighton : Je pense qu'il aurait certaines réserves au sujet de la déclaration de la victime. Il aurait des réserves parce que, tout en respectant les droits des victimes, il faut aussi être parfaitement sensibilisé au fait que ce qui s'est produit il y a peut-être un an ou deux est survenu lorsque la personne était malade. Bien des gens ne comprennent pas vraiment le fait que ces maladies sont traitables et gérables et que, avec des traitements et un soutien adéquats, il est possible de vivre en toute sécurité.

Dans notre cas, mon mari avait un foyer, une famille et un travail, mais il n'avait pas de médication pour une grave maladie. C'était l'élément qui manquait. Même si l'on ajoute cette composante au traitement, mon mari continue d'avoir une maladie très grave parce qu'elle est chronique. Je pense qu'il s'inquiéterait des répercussions de la déclaration de la victime.

Le sénateur Mercer : Docteur Darby, j'ai vécu à Toronto entre 1987 et 1995, lorsque les autorités politiques ont imposé d'énormes changements au système de soins de santé. Si je me souviens bien, l'ancien hôpital de la rue Queen était situé au 1001, rue Queen ouest. Je me souviens de la période où le gouvernement Harris a été élu et où il a ensuite imposé certains changements et compressions dans le secteur des soins de santé. À l'époque, on a donné leur congé à de nombreux patients de l'hôpital de la rue Queen, on les a désinstitutionnalisés et on en a fait des malades externes.

On a dit de votre hôpital qu'il fonctionnait à pleine capacité. Est-ce le cas aujourd'hui? Mais surtout, tous les lits sont-ils ouverts? C'est probablement une question plus concrète.

Le Dr Darby : Oui, tous nos lits sont ouverts. Il y a certainement eu une diminution du nombre de lits, mais je pense que, comme l'a mentionné le Dr Gray, les changements dont nous avons parlé ce matin, au sujet des soins davantage dispensés dans la collectivité, ces changements datent de 20 à 30 ans. Ils ne sont pas survenus par hasard il y a 10 ou 15 ans. Nombreux sont ceux qui verraient d'un bon oeil l'objectif de maintenir les gens le plus possible dans la collectivité. C'est un objectif très louable, mais je pense que, comme l'a dit Mme Marrett, le plus important, c'est de veiller à ce que les services soient en place pour soutenir les gens et faire en sorte que cela soit possible.

Le sénateur Mercer : Je pense que ceux d'entre nous qui ont vécu à Toronto, notamment dans les années qui ont suivi les compressions, ont pu constater ce qui arrive quand on pratique des compressions sans dispenser de services. Nous avons vu dans la rue énormément de gens atteints de maladie mentale. À l'époque, ils se tenaient à proximité de l'hôpital, parce que c'était là que se trouvait leur réseau de soutien. La situation s'est-elle améliorée? Je sais que nous parlons surtout de l'Ontario, mais la situation s'est-elle le moindrement améliorée? Avons-nous progressé depuis l'époque où le gouvernement de l'Ontario a fait ses compressions? Évidemment, le gouvernement fédéral a aussi imposé des compressions au début des années 90. Avons-nous amélioré la prestation de services à l'intention des personnes atteintes de maladie mentale?

Le Dr Darby : Mme Marrett et le Dr Gray peuvent probablement parler mieux que moi de tout ce qui concerne les soins dispensés.

Mme Marrett : Avant de parler du gouvernement Harris, il convient de rappeler que la désinstitutionnalisation a commencé dans les années 60 et 70. Malheureusement, elle ne s'est pas accompagnée d'une augmentation des sommes versées aux collectivités. Aussi, une fois la désinstitutionnalisation amorcée, on n'a jamais vraiment octroyé de sommes équivalentes pour les services et les traitements dispensés dans la collectivité; d'ailleurs, on pourrait dire que le financement était insuffisant même lorsque l'institutionnalisation était la « norme ».

Pouvons-nous dire que la situation s'est améliorée? Je pense que la disponibilité de traitements et de services s'est améliorée, mais nous semblons toujours avoir un certain nombre de défis à relever, en ce qui concerne notamment la disponibilité des traitements et l'endroit où ils sont disponibles, selon la province où l'on vit. Certains traitements sont certainement beaucoup plus facilement accessibles si l'on a un régime d'assurance privé, mais même dans ce cas, il y a souvent des limites.

Il convient de rappeler que cette situation existe depuis plus de 30 ou 40 ans. À titre d'organisme qui, par l'entremise de programmes de logement, d'emploi, et cetera, dispense dans la collectivité beaucoup de services directs aux personnes qui ont une maladie mentale ou d'autres problèmes graves de santé mentale ou qui doivent composer avec cette réalité, nous savons que les fonds pour aider ceux qui ont vraiment besoin de services ou de traitements sont insuffisants. Les services et traitements sont tous adaptés aux besoins de chacun. Chaque cas est unique et, dans une certaine mesure, la situation s'est améliorée parce que la recherche nous a permis d'offrir de meilleurs services et traitements, mais à bien d'autres égards, les choses n'ont pas changé faute de fonds.

Le Dr Gray : Il ne faut pas que l'Ontario se sente désavantagée, car le constat serait le même dans toutes les provinces où je suis allé. Il y a de bonnes nouvelles, la situation s'est améliorée dans la mesure où la famille et la clientèle participent beaucoup plus à la planification des services et au plan de traitement proprement dit, mais les ressources sont généralement un grave problème dans toutes les provinces.

Le sénateur Mercer : Je me suis occupé de la gestion et de la collecte de fonds pour des organisations sans but lucratif pendant plus de 25 ans et j'ai travaillé auprès d'un certain nombre d'organismes, pas ceux que vous représentez, mais d'autres semblables. Une question me préoccupe, et vous pourrez me dire si j'ai raison de m'en inquiéter : le délestage de responsabilités dont nous avons déjà été témoins dans notre système est en train de se répéter à l'égard d'organismes sans but lucratif, et l'on s'attend maintenant à ce que vos organismes, par l'entremise de diverses activités de financement, recueillent les fonds nécessaires pour dispenser les services qui étaient autrefois assurés. Vous constatez probablement cela constamment dans vos établissements hospitaliers parce que, même si les hôpitaux ne faisaient jamais de collecte de fonds par le passé, la deuxième personne dans la hiérarchie hospitalière à l'heure actuelle, après le directeur de la médecine, c'est généralement le vice-président responsable du développement. C'est excellent pour les gens de mon secteur professionnel, mais c'est révélateur d'un problème au sein de l'industrie. De votre côté, constatez- vous la même chose chaque jour?

Mme Deighton : Je voulais parler des services et du fait que chacun est disposé ou non à accepter ceux-ci. C'est l'un des plus grands défis que nous devons relever à la Société canadienne de schizophrénie et auquel je fais face dans mes rapports avec les parents. Souvent, la maladie prive les gens de leur discernement et de leur capacité de reconnaître qu'ils ont une maladie. On met des services à leur disposition pour les aider au quotidien. Ils ne veulent pas s'en prévaloir parce qu'ils ne s'estiment pas malades. La responsabilité des soins incombe alors aux parents; ceux-ci doivent en effet composer avec un système qui respecte la personne qui leur est chère au point de la laisser être malade jusqu'à ce qu'elle devienne inapte à prendre une décision ou qu'elle manifeste des tendances meurtrières ou suicidaires. La famille franchit diverses étapes et vit toute une série de frustrations. Elle sait que les services existent, mais elle ne peut rien faire tant que la personne n'est pas prête à les accepter. C'est là où le traitement entre en ligne de compte. Un traitement assorti d'une médication et d'une thérapie aide un peu la personne à faire preuve de discernement et, en travaillant avec l'équipe, à avoir accès à tous les services pouvant la rendre autonome. Il ne s'agit pas de contrôler la vie de la personne, mais de lui permettre de se reprendre en mains; c'est là un des défis à relever.

Mme Marrett : L'Association canadienne pour la santé mentale a 137 groupes qui lui sont affiliés partout au Canada, dont 125 au niveau local. La plupart dispensent des services directement aux personnes atteintes de maladies mentales graves et persistantes et ayant d'autres problèmes graves de santé mentale. Il est indiscutable que le délestage de services a augmenté. Nous avons toutefois constaté que, dans certaines provinces, et paradoxalement, l'Ontario est l'une d'entre elles, le gouvernement provincial a octroyé énormément de fonds depuis six mois. La plupart de ces fonds sont destinés à des services communautaires à l'intention de personnes atteintes de maladie mentale. Le véritable défi concerne donc la capacité. Si l'on n'a pas mis en place sa capacité, comment peut-on dispenser tous ces services à si brève échéance? Le gouvernement veut que tout cela soit couronné de succès et il essaie de trouver des solutions aux problèmes. En fin de compte, vivre dans notre collectivité, n'est-ce pas ce que nous voulons tous? Voulons-nous vivre dans un hôpital si ce n'est pas nécessaire? Nous devons toutefois nous assurer qu'il y a des fonds pour dispenser ces services et traitements, notamment — et le témoignage personnel de Mme Deighton le confirme — pour permettre aux gens d'avoir la meilleure vie possible et de contribuer à l'édification de notre société. Tout le monde veut contribuer à l'édification de la société. Toutes les personnes que j'ai rencontrées qui souffraient de maladie mentale ont exprimé leur désir de faire quelque chose. Ce n'est toutefois pas possible si les traitements et les services ne sont pas disponibles.

La présidente : Je vous remercie infiniment. Nous sommes très impressionnés par vos exposés et nous nous réjouissions de votre présence parmi nous aujourd'hui. Cela nous aidera certainement dans notre étude du projet de loi C-10.

La séance est levée.


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