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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 10 - Témoignages du 21 avril 2005


OTTAWA, le jeudi 21 avril 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (troubles mentaux) et modifiant d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 10 h 55 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Pierrette Ringuette (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente suppléante : Ce matin, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel et modifiant d'autres lois en conséquence. Nous avons la chance de recevoir d'imminents témoins. Nous recevons ainsi le Dr John Bradford, président de l'Académie canadienne de psychiatrie et droit. De l'Association des psychiatres du Canada, nous recevons le Dr Blake Woodside, président du conseil. Enfin, nous accueillons le Dr Nussbaum, président de la Société canadienne de psychologie, et sa directrice exécutive associée, le Dr Cohen.

Je vous souhaite la bienvenue au comité. Nous sommes impatients d'entendre vos exposés.

Le docteur John Bradford, président, Académie canadienne de psychiatrie et droit : Bonjour. L'Académie canadienne de psychiatrie et droit est l'une des trois académies qui font partie de l'Association des psychiatres du Canada.

Je tiens d'abord à féliciter le gouvernement du Canada pour le travail qu'il effectue. À notre avis, il s'agit de très bon travail. Je suis un peu biaisé, parce que j'ai participé au projet de 1986, qui visait à revoir le Code criminel du point de vue des troubles mentaux, ce qui a mené aux modifications de 1992-93.

Nous n'avons aucune réserve majeure quant à ce projet de loi.

Le mémoire que vous avez reçu provient de l'Académie canadienne de psychiatrie et droit et porte sur différentes questions. On y aborde quelques définitions, ainsi que les questions liées aux commissions d'examen. Ce n'est rien de très compliqué, mais c'est avec plaisir que je vais répondre à vos questions.

La présidente suppléante : Nous n'avons pas reçu ce mémoire.

Le docteur Blake Woodside, président du Conseil, Association des psychiatres du Canada : Madame la présidente, ce mémoire vous a été soumis il y a environ deux ans sur le projet de loi à l'étude. Nous en avons apporté un exemplaire, que nous pourrons remettre au greffier, si cela peut vous être utile.

Le sénateur Andreychuk : A-t-il été soumis au comité de la Chambre des communes?

Dr Bradford : Je pense qu'il a d'abord été envoyé au comité des Communes qui l'a examiné. J'avais pris pour acquis qu'il vous avait été transmis, mais si ce n'est pas le cas, j'en ai un exemplaire.

La présidente suppléante : Merci. Nous allons en faire des photocopies pour les membres du comité.

Dr Bradford : L'essentiel de ce mémoire est positif. Il y a quelques petits problèmes de définitions, mais rien de plus grave.

Je dirais toutefois qu'on s'inquiète surtout des délinquants atteints de troubles mentaux qui se font arrêter en vertu du Code criminel et de leur criminalisation. Ce projet de loi porte sur les personnes qui enfreignent la loi et souvent, mais pas toujours, qui commettent des actes criminels très graves pour la sécurité publique, et il importe de souligner que malheureusement, il existe un lien entre les troubles mentaux et la violence. Nous nous efforçons beaucoup de garder ces personnes hors du système de justice pénal et de les confier plutôt à des commissions d'examen, qui peuvent les juger non criminellement responsables ou inaptes à subir un procès.

L'un des grands objectifs, c'est d'éviter que ces personnes soient jugées par le système de justice pénal et qu'elles soient plutôt dirigées vers le système de santé mentale, qui peut leur offrir des traitements appropriés. Je pense que ce projet de loi contribue bien à l'atteinte de cet objectif. Je veux toutefois vous mettre en garde, parce que tout dépendra du bon fonctionnement de ce système. Il faudra que les commissions d'examen fonctionnent bien. Il faudra que les gouvernements provinciaux appuient les commissions d'examen et qu'ils mettent à leur disposition les ressources dont elles ont besoin pour faire leurs évaluations, au besoin, parce que cela fait partie du système proposé. Je pense que c'est positif.

Il faudra aussi que dans des circonstances appropriées, des personnes indépendantes de ces commissions ou des hôpitaux qui traitent le patient puissent témoigner devant les commissions. Tout dépendra des ressources qui seront disponibles dans chaque province. Sans ressources suffisantes, le système risque de ne pas fonctionner aussi bien qu'il le devrait.

Par conséquent, il y a une question de ressources derrière tout cela, donc les provinces vont probablement demander de l'argent. Nous tenons tous à ce que les personnes atteintes de maladie mentale ne soient pas stigmatisées ni criminalisées.

En 1939, un homme du nom de Penrose a réalisé une étude qui montrait clairement que si le système de santé mentale fonctionne d'une certaine façon et qu'il n'est pas aussi efficace qu'il le devrait, les personnes atteintes de maladie mentale se retrouvent dans le système de justice pénale où, comme nous le savons bien, les ressources nécessaires pour les traiter et les évaluer dans une perspective multidisciplinaire sont déficientes.

Il importe de prendre conscience que tout cela ne se fait pas tout seul. Tout dépend des ressources et de l'administration de la province. Si les provinces n'investissent pas de ressources en ce sens, il y a un risque que les personnes atteintes de maladie mentale soient criminalisées, et c'est une chose que nous cherchons à éviter. L'histoire nous montre que c'est arrivé dans le passé.

Il y a ensuite la stigmatisation. Même si certaines personnes prises en charge par le système ont commis une infraction criminelle, elles ne sont pas jugées criminellement responsables en raison de leur trouble mental, donc elles n'ont pas de dossier criminel. Voilà, ce devrait être tout.

Si on les dirige complètement vers ce système, alors ce système devrait pouvoir se développer pour les aider et les réhabiliter. Ce système fonctionne bien en Ontario et dans la plupart des provinces. Le processus de réhabilitation est un succès, et les risques de récidive sont minimes pour le public. Ce système fonctionne bien comparativement aux systèmes correctionnels fédéral et provinciaux, par exemple.

Certains croient que les personnes qui présentent le plus grand risque auraient besoin de plus de supervision qu'il n'y en aurait si ce projet de loi était adopté. Je serais porté à croire que ce n'est pas nécessaire. Il ne faut pas stigmatiser ou criminaliser ces personnes. En fait, elles devraient être traitées de façon juste et équitable à titre de personnes souffrant de troubles mentaux et qui, malheureusement, ont eu des démêlés avec la justice et ont comparu devant un tribunal de juridiction compétente, qui a décidé qu'elles n'étaient pas criminellement responsables.

Cela vient conclure mes observations. Vous avez reçu copie de mon mémoire. C'est avec plaisir que je vais répondre à vos questions plus tard, si vous en avez.

Dr Woodside: Madame le présidente, je suis ici aujourd'hui pour représenter les 4 000 psychiatres du Canada. C'est un plaisir pour moi de comparaître devant ce comité.

[Français]

Le Dr Bradford est notre expert technique des questions juridiques liées à la psychiatrie judiciaire, donc j'ai peu de choses à ajouter à ses observations. Ce projet de loi porte sur les questions générales de la criminalisation des personnes souffrant de maladies mentales et du manque cruel de ressources pour le traitement des personnes incarcérées au Canada.

Si l'on devait pointer du doigt les trois groupes les moins bien servis dans notre société pour ce qui est de la santé mentale, le premier serait celui des enfants; le second, celui des Autochtones et le troisième, celui de notre population carcérale. Les membres de notre association sont conscients que la tâche d'attribuer suffisamment de ressources pour traiter la population carcérale serait extrêmement laborieuse, mais c'est bien le moins qu'on puisse faire pour ces malheureux.

Je suis surtout ici pour appuyer le Dr Bradford. Pour l'instant, je vais donc céder la parole aux autres témoins.

M. David Nussbaum, président, Section de la psychopharmacologie, Société canadienne de psychologie : Honorables sénateurs, je vous prie d'accepter nos humbles remerciements pour nous avoir invités à nous exprimer devant vous aujourd'hui sur le projet de loi C-10. Nous souhaitons souligner les contributions de la section du système de justice pénale de la Société canadienne de psychologie et du représentant de la justice pénale au conseil d'administration de l'Association de psychologie de l'Ontario à la préparation de notre présentation.

Nous félicitons ce comité permanent de nombre des modifications qu'il a apportées à ce projet de loi et qui amélioreront le système. Celles-ci permettront aux commissions d'examen de recommander une enquête judiciaire ou aux tribunaux de mener leur propre enquête lorsqu'une personne est jugée inapte à subir son procès. Elles permettront aussi aux tribunaux d'autoriser un sursis d'instance pour les accusés jugés inaptes de façon permanente et de préciser que les dossiers ainsi que les transcriptions peuvent être transmis des tribunaux aux commissions d'examen.

Pour ce qui est de la transmission des dossiers, cependant, il faut faire attention aux lignes directrices de chaque gouvernement sur la protection des renseignements personnels en matière de santé. Des dispositions facilitant les transferts d'un gouvernement à l'autre permettront aux personnes accusées d'avoir davantage accès aux membres de leur famille, ce qui aura un effet positif sur l'efficacité et l'acceptation des traitements.

Plusieurs recommandations sur les droits et les rôles des victimes, comme celle de les aviser des audiences et de leur droit de déposer une déclaration de la victime aideront certainement les victimes à voir le système comme moins offensif et moins coûteux. Cependant, nous avons quelques inquiétudes sur l'utilisation des déclarations de la victime pour décider du sort des accusés souffrant de troubles mentaux.

Les déclarations de la victime peuvent être tout à fait appropriées pour déterminer la peine des criminels responsables, parce que la peine doit être établie en fonction du préjudice porté à la victime. Lorsque l'accusé souffre de troubles mentaux, les deux seuls facteurs juridiques à prendre en considération sont la sécurité du public et la réhabilitation de la personne accusée pour qu'elle puisse réintégrer la société. Nulle part dans le Code criminel on ne prévoit de peine pour les accusés qui ne sont pas criminellement responsables. Les déclarations de la victime portent sur les effets d'un acte commis dans le passé. L'ampleur des incidences que subit la victime ou sa famille ne nous renseigne absolument pas sur le risque que présente l'accusé actuellement ou les traitements dont il a besoin. Ces déclarations sont donc préjudiciables, elles n'ont aucune valeur probante, elles nous éloignent de l'évaluation du risque actuel à notre avis, elles ne devraient pas être admissibles aux audiences des commissions d'examen.

Nous aimerions aussi faire quelques observations sur les commentaires contenus dans le projet de loi. On note dans ce commentaire la surreprésentation des personnes souffrant de troubles mentaux trouvées coupables d'une infraction qui sont incarcérées et la nécessité d'augmenter le financement et les services offerts en santé mentale en général. Les troubles mentaux sont prévalents dans les populations carcérales. Il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce que toutes les personnes accusées et trouvées coupables d'une infraction soient en bonne santé mentale et il n'est pas plus juste de soutenir que le système de santé est le seul recours pour évaluer et traiter les problèmes de santé mentale. En fait, divers secteurs dont les cabinets de professionnels de la santé, les cliniques, les hôpitaux, les écoles et les établissements correctionnels s'occupent des problèmes de santé mentale des Canadiens.

Dans les articles et reportages sur les personnes détenues dans les établissements correctionnels avant et après que leur peine ne soit déterminée, on omet souvent de mentionner que les systèmes correctionnels canadiens emploient des psychologues qui peuvent évaluer et traiter avec succès des détenus pour des problèmes et des troubles de santé mentale et ainsi améliorer leur santé mentale, faire diminuer les risques de récidive et accroître la sécurité institutionnelle. De plus, les établissements correctionnels consultent des psychiatres, qui posent des diagnostics et offrent des traitements psychiatriques.

Mme Karen R. Cohen, directrice exécutive associée, Société canadienne de psychologie : Nous allons conclure par quelques réactions sur la recommandation du Comité sénatorial permanent que le procureur général ait l'autorisation de désigner les spécialistes de la santé autres que les psychiatres qui sont habiletés à évaluer l'état mental des personnes accusées. Cette recommandation est importante, parce qu'elle peut améliorer l'accès à une évaluation et à une intervention spécialisées pour les accusés souffrant de troubles mentaux.

La SCP s'inquiète toutefois de la réticence du gouvernement à inclure les psychologues parmi les évaluateurs qualifiés dans cette partie du code. Au Canada, les professionnels de la santé sont accrédités par leur province ou leur territoire, et non par le gouvernement fédéral. Les lois provinciales s'appliquant aux psychologues les autorisent, entre autres, à diagnostiquer les troubles mentaux. Par conséquent, l'argument qu'un psychologue ne peut pas évaluer les troubles mentaux parce qu'il ne peut pas reconnaître les troubles médicaux va à l'encontre des lois provinciales.

Comme nous l'avons mentionné dans notre rapport de2002 sur le sujet, qui se trouve aussi dans vos dossiers, les psychologues sont nommément listés à titre d'évaluateurs qualifiés du fonctionnement de l'esprit dans d'autres articles du code, dont ceux qui portent sur les délinquants juvéniles et les critères de détermination qu'un délinquant est dangereux. De plus, les psychologues sont réputés qualifiés pour évaluer les troubles mentaux dans d'autres programmes fédéraux et provinciaux, notamment pour évaluer l'admissibilité d'une personne aux crédits d'impôt et aux mesures de soutien pour les personnes handicapées.

Dans le projet de loi C-10, on désigne les qualifications requises d'un praticien pour évaluer le fonctionnement de l'esprit, et pas nécessairement pour offrir des traitements particuliers. Ainsi, le fait que les psychologues ne puissent pas fournir de preuves sur le traitement médical des troubles mentaux n'est pas pertinent. Il importe de souligner que tout comme il existe des traitements contre les troubles mentaux, comme de prescrire des médicaments, que les psychologues ne peuvent pas offrir, il y a des évaluations des troubles mentaux que seuls les psychologues ont les compétences de faire. L'humeur, la compréhension, la personnalité, la dangerosité et la simulation peuvent être évaluées de façon plus fiable grâce à des tests psychologiques qu'à des entretiens cliniques. Les évaluations que font les psychologues pour déterminer l'aptitude à subir un procès, la responsabilité criminelle et la dangerosité future se fondent sur ces tests et mesures du fonctionnement de l'esprit, des tests qui sont conçus, administrés et interprétés par des psychologues.

De plus, ce sont ces conclusions psychologiques qui se retrouvent souvent de façon intégrale dans les rapports des psychiatres soumis aux tribunaux. Nous soulignons aussi que la simulation est détectée beaucoup plus fréquemment dans les évaluations de l'aptitude ou de la responsabilité criminelle que dans les diagnostics d'état médical.

Nous croyons que si le gouvernement continue de soutenir que les psychologues n'ont pas suffisamment de connaissances médicales pour évaluer le fonctionnement de l'esprit, il doit aussi se demander si d'autres professionnels de la santé manquent de formation psychologique pour évaluer le fonctionnement de l'esprit et les problèmes psycho- légaux connexes.

Enfin, nous estimons qu'il est faux de dire qu'il y a un manque de psychologues judiciaires. Service correctionnel Canada est le principal employeur unique de psychologues au pays. Les psychologues canadiens jouissent d'une réputation nationale et internationale dans le domaine judiciaire et la psychologie correctionnelle. Les tests et les mesures utilisés pour évaluer le fonctionnement de l'esprit et le statut psycho-judiciaire des délinquants dans le monde sont élaborés par des psychologues chercheurs, dont beaucoup travaillent dans les institutions correctionnelles et judiciaires nationales et provinciales du Canada. Il y a des programmes de doctorat en psychologie judiciaire dans beaucoup de grandes universités canadiennes et enfin, il y a presque quatre fois plus de psychologues que de psychiatres au Canada.

La recommandation de désigner d'autres praticiens qualifiés parmi les évaluateurs autorisés dans cet article du Code a été faite pour que le bassin de personnel qualifié pour s'acquitter de cette fonction augmente. Même s'il n'y avait que peu de psychologues qualifiés dans le domaine de l'évaluation judiciaire et correctionnelle — et ce n'est pas le cas — ces quelques personnes élargiraient le bassin d'évaluateurs qualifiés.

La SCP recommande que les psychologues soient reconnus comme évaluateurs qualifiés du fonctionnement de l'esprit de l'accusé, parce que nous avons les compétences de le faire, comme l'attestent les lois et règlements provinciaux. Dans d'autres pays comme les États-Unis et l'Australie, la loi autorise les psychologues à évaluer l'aptitude à subir un procès et la responsabilité criminelle.

Nous revendiquons aussi notre inclusion à titre d'évaluateurs parce qu'on améliorera ainsi la qualité des services nécessaires et l'accès à ces services pour les accusés qui souffrent de troubles mentaux et les tribunaux.

Nous vous remercions, honorables sénateurs, et nous vous félicitons de votre bon travail. Nous sommes prêts à répondre à vos questions et à en discuter avec vous.

Le sénateur Andreychuk : Je vais commencer par le dernier point qui a été abordé.

Je sais bien qu'il y a plus de psychologues que de psychiatres. Vous dites qu'il y en a qui font de la recherche, qu'il y en a au gouvernement fédéral, et cetera. Leur bassin est-il plus grand et meilleur dans les endroits où nous avons le plus besoin d'eux, c'est-à-dire dans les communautés nordiques et les communautés rurales, ou les choses sont-elles toujours comme elles étaient lorsque je faisais ce type de travail et que nous devions transporter le patient vers un grand centre ou transporter le fournisseur de service si nous avions besoin d'une évaluation psychiatrique ou psychologique? Dans les collectivités rurales, nous n'avions jamais toutes ces ressources. Les choses ont-elles changé?

Mme Cohen : Ce problème a été soulevé dans le rapport de 2002. La présence des psychologues en zone rurale est plus grande que celle des psychiatres. On a dit dans le rapport qu'il y avait des psychologues locaux, mais comme nous n'étions pas désignés, il fallait faire venir quelqu'un.

La situation a peut-être changé, et je vais laisser nos collègues de la psychiatrie nous en parler, mais je pense que notre présence est plus grande que la leur, même dans les régions rurales.

Dr Woodside : Du point de vue de l'Association des psychiatres du Canada, il serait présomptueux que des psychiatres se prononcent sur les compétences des psychologues. Nous ne sommes pas psychologues. Nous n'avons pas de formation de psychologue et nous ne sommes pas en position de commenter leur formation.

Nous serions favorables à ce que tout le personnel qualifié soit autorisé à évaluer et à traiter les personnes atteintes de maladie mentale. Nous disons depuis longtemps que nous devons travailler en collaboration avec tous les professionnels de la santé mentale afin d'offrir ces services. Notre association ne s'oppose pas particulièrement à ce que les psychologues ou d'autres corps professionnels participent à ce processus, s'ils peuvent prouver qu'ils ont les compétences requises pour faire le travail.

La grande conclusion, c'est qu'il y a plus de travail à accomplir qu'une armée de psychologues et de psychiatres ne pourrait en faire. Nous n'avons pas besoin de protéger notre chasse gardée, parce qu'il y a énormément de travail que nous ne pouvons pas faire en ce moment. Nous travaillons souvent en partenariat avec nos collègues psychologues. Cela fait partie de notre façon de travailler. Afin que ce soit bien clair pour le comité, l'Association des psychiatres du Canada n'a aucunement l'intention de faire taire les psychologues. Nous apprécions le travail des psychologues, nous estimons la valeur de leur formation et nous estimons la valeur de nos relations de collaboration avec eux.

Le sénateur Andreychuk : D'après ce qu'a dit Mme Cohen, je comprends que vous pouvez faire une évaluation et diagnostiquer un trouble ou un handicap, mais que vous êtes limité en ce sens que vous ne pouvez pas passer à la prochaine étape et prescrire un traitement clinique ou des médicaments. Corrigez-moi si je me trompe.

Un juge et une commission d'examen (les deux équivalent à la même chose dans mon esprit) sont tenus de décider si une personne est apte à subir un procès ou si elle ne peut pas demeurer au sein de la collectivité en raison de ses activités violentes. La commission d'examen et le juge doivent savoir comment évaluer cette personne dans son ensemble. Ils doivent déterminer quel est le problème et comment ils peuvent permettre à la personne de rester dans la collectivité tout en assurant la sécurité de la collectivité en même temps. Ils ont besoin de votre évaluation, et vous avec besoin de l'autorisation d'appliquer un traitement qui permettra à la personne de rester dans la collectivité sans que cela ne pose de risque pour la collectivité.

Y a-t-il une limite où vous devez vous arrêter? Pouvez-vous prescrire tous les traitements qui permettent à une personne d'être relâchée en toute sécurité dans la collectivité? Je ne parle pas d'une personne qui aurait été traitée et qui se porterait très bien, mais plutôt d'une personne qui serait en sécurité dans la collectivité.

Mme Cohen : Nous ne pouvons pas prescrire de médicaments, mais il y a bien d'autres types d'interventions qu'on peut utiliser pour traiter les personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Il y a divers autres types de psychothérapies, de thérapies cognitivo-comportementales et de programmes de prévention des rechutes conçus pour aider les personnes souffrant de troubles mentaux. En fait, une combinaison de ces thérapies est souvent plus efficace que la médication. Il y a plein d'options. Il ne serait pas exact de dire que nous ne pouvons pas offrir de traitement. Évidemment, il y a des traitements médicaux que nous ne pouvons pas prescrire et il y a des états pour lesquels les traitements médicaux ne sont absolument pas nécessaires, tous les psychologues vous le diront.

Peut-être M. Nussbaum peut-il vous parler des commissions d'examen.

M. Nussbaum : Vous avez tout à fait raison de dire qu'à un moment donné, nous renvoyons la personne à un psychiatre, et je suis d'accord avec le Dr Woodside pour dire que nous avons de très bonnes relations de travail avec les psychiatres. Je travaille en institution psychiatrique depuis 18 ans et je reconnais qu'il y a des troubles pour lesquels les médicaments sont absolument nécessaires et que la psychothérapie ne peut pas commencer tant que la personne n'a pas été stabilisée.

Cependant, le problème que nous soulevons dans notre mémoire concerne l'évaluation. Je pense que tous les psychologues cliniciens reconnaissent quelles personnes ont besoin de médicaments. Ils ont peut-être même une idée du médicament nécessaire, mais c'est à ce moment-là que nous renvoyons la personne à un psychiatre traitant. Pour ce qui est de l'évaluation, ce n'est pas un problème. Bien souvent, ce n'est pas l'évaluateur qui décide du traitement. La personne peut être dirigée par un psychiatre évaluateur vers quelqu'un qui peut la traiter en milieu hospitalier. En ce sens, je ne crois pas que ce soit un obstacle à notre travail de collaboration avec nos collègues psychiatres qui offrent ce type de traitement.

Le sénateur Andreychuk : L'étude de 1939 dont vous avez parlé ne m'est pas inconnue. Depuis 1939, avons-nous progressé dans notre compréhension de l'interaction entre les handicaps ou les maladies et le comportement criminel? À quel moment le comportement devient-il violent?

D'après mes lectures, ma compréhension limitée et les cas que j'ai examinés, je reconnais qu'il est difficile de prévoir la violence. Lorsqu'une personne qui a déjà eu des comportements agressifs mineurs à quelques reprises, comme de cracher vers quelqu'un ou de l'insulter verbalement, devient un délinquant violent, alors nous pouvons analyser si l'escalade comportementale observée vient du fait que la personne n'a pas été bien traitée.

Pour essayer de le déterminer, j'en arrive à la conclusion qu'il est utile d'intervenir le plus tôt possible auprès d'un jeune pour corriger son problème de santé mentale et son comportement criminel, mais passé un certain point, c'est assez aléatoire. Est-ce que je me trompe?

Dr Bradford : Il y a beaucoup d'éléments dans ce que vous dites.

Pour répondre à votre question sur l'étude Penrose, aujourd'hui, au Metro West Detention Centre de l'Ontario, il y a plus de 20 p. 100 des détenus en attente d'un procès qui souffrent d'une maladie mentale grave, et il n'est pas bon que l'établissement offre des traitements. Le pourcentage des personnes souffrant de maladie mentale grave dans les centres correctionnels de l'Ontario a augmenté.

Il y a environ 10 ans, j'ai participé à une étude. Votre question n'est pas facile, donc je dois penser à ce que vais dire. Une enquête éclair a été faite un jour donné. De mémoire, je vous dirais qu'il y avait de 100 à 150 personnes qui souffraient d'une maladie mentale déclarée et qu'environ 300 autres personnes souffraient de troubles mentaux graves. Concrètement, cela signifie que dans la province de l'Ontario, il aurait fallu 450 lits en institutions psychiatriques, et ces lits n'étaient pas disponibles. Si l'on refaisait le même exercice, six, sept ou huit ans plus tard, ce chiffre doublerait, de sorte qu'il y aurait 300 personnes souffrant d'une maladie mentale déclarée et qui, par définition, devraient être retirées des centres de détention et admises dans un hôpital pour maladies mentales graves comme la schizophrénie; et environ 700 personnes seraient gravement malades mentalement. Depuis que cette étude a été réalisée, si cela se trouve, le nombre de lits en institution psychiatrique a diminué plutôt que d'augmenter. C'est le phénomène de Penrose qui se reproduit encore et encore.

D'après moi, la solution a été de faire pression sur le gouvernement de l'Ontario pour qu'il se penche sur le problème. Nous avons de la chance. Il y a environ un an, une unité de traitement en milieu fermé a été établie à Brockville, en Ontario, et elle offre la même norme de soins de santé que les Services de santé Royal Ottawa. Elle offre la même norme de soins de santé que les institutions psychiatriques. Nous avons réussi à offrir ces soins dans une unité de 100 lits à des personnes qui souffrent de maladie mentale grave et subissent une peine provinciale. Cela fait partie de la solution, mais ce n'est pas toute la solution.

Une autre partie de la solution serait le logement social. Par exemple, nous sommes fiers d'avoir désinstitutionnalisé des gens auparavant placés dans des institutions psychiatriques. Certaine personnes disent que c'est un immense succès de santé publique en Amérique du Nord. Le côté sombre, cependant, c'est que beaucoup de gens se sont retrouvés sans coincés sans logement social. Des aspects de leur stabilité personnelle se sont mis à manquer, et ils sont devenus malades, ils se sont mis à surconsommer des droguer et tout le cycle s'est enclenché pour qu'ils soient criminalisés. La désinstitutionalisation est une chose; le logement social en est une autre et la disponibilité générale des établissements de traitement, une autre encore.

De plus, pour ce qui est des liens entre la violence et les troubles mentaux, pendant longtemps, des psychiatres et des psychologues — dont beaucoup ne se souciaient pas de l'importance de ne pas stigmatiser les personnes atteintes de maladie mentale — disaient qu'il n'y avait pas ou peu de preuves du risque accru de violence chez une personne souffrant de maladie mentale. En fait, ce n'est pas vrai. En général, même les maladies mentales mineures font augmenter le risque de violence physique. Lorsqu'il s'agit de maladies mentales comme la schizophrénie, ce risque est beaucoup plus grand. Si vous y ajoutez la toxicomanie, le risque augmente encore. Malheureusement, c'est ce qui arrive.

Ce qu'il y a de positif, c'est que tout cela peut être traité comme il le faut et que les patients peuvent être réadaptés lorsque le risque de récidive, autrement dit, le risque d'une autre infraction violente, est beaucoup moins élevé. Si vous comparez cette situation par rapport à, par exemple, celle des personnes qui se trouvent dans les établissements correctionnels et qui ne souffrent pas de maladie mentale grave, mais qui sont alcooliques et toxicomanes, en règle générale, le risque est moindre pour ce groupe qui réagit mieux au traitement. Il est plus difficile de traiter les autres groupes.

C'est un argument positif et négatif. En général, si l'on n'accepte pas que le risque est plus grand, on ne peut alors pas adopter une approche ni offrir des programmes pour réagir à ce risque. C'est le même argument. Si vous fumez, les chances d'avoir le cancer sont importantes. Si vous êtes un malade mental, un alcoolique et un toxicomane, le risque d'actes violents augmente. C'est la réalité. Il s'agit d'un problème de santé publique et de sensibilisation du public, qui est toutefois assorti d'une solution qui s'appuie sur le système de santé mentale et le traitement par des professionnels.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Nussbaum, ma question porte sur les déclarations de la victime. Dans votre exposé, vous dites qu'elles ne devraient pas être entendues dans le cadre des audiences de la commission d'examen.

M. Nussbaum : Effectivement.

Le sénateur Callbeck : De nombreux groupes de défense des victimes nous ont dit qu'ils souhaitent que les victimes participent davantage aux audiences de la commission d'examen. Nous avons entendu les deux côtés de l'argument. De toute évidence, vous ne pensez pas qu'elles devraient participer aux audiences.

Monsieur Bradford, vous nous avez dit que vous n'avez pas de réserve importante au sujet de ce projet de loi. Votre mémoire vient juste d'être distribué, si bien que je n'ai pas eu le temps de le lire. Pouvez-vous nous dire si vous voulez que les déclarations de la victime soient exclues des audiences de la commission d'examen?

Dr Bradford : M. Nussbaum et moi-même siégeons à la Commission d'examen de l'Ontario. J'en suis membre depuis plus de 20 ans. Les déclarations de la victime font partie des audiences de la Commission d'examen de l'Ontario depuis quelque temps. Il s'agit d'audiences publiques, si bien que les membres de la famille des victimes peuvent y participer et sont informés des audiences. Ils pourraient être acceptés comme partie à l'audience. S'ils avaient des préoccupations, par exemple, si l'accusé devait avoir la possibilité de se rendre dans la collectivité où ils vivent, ils pourraient, par l'entremise du procureur de la Couronne à l'audience, soulever des objections, objections que la commission prendrait au sérieux.

M. Nussbaum a parlé, entre autres, du fait que ces gens ont été déclarés non criminellement responsables. Ils sont atteints d'une maladie mentale grave. Cette maladie peut les fragiliser et les déclarations de la victime peuvent aggraver leur situation déjà précaire et provoquer toute autre condition. Le rôle de la commission ne consiste pas à infliger une peine, mais à protéger le public en imposant des conditions et des restrictions. Toutefois, la commission est également tenue de prendre en compte l'état mental et d'autres besoins de l'accusé et de prévoir un traitement et un programme de réadaptation. C'est un peu plus compliqué qu'une audience criminelle où les déclarations de la victime sont habituellement prises en compte pour le prononcé de la sentence et font partie du processus de décision à cet égard.

J'ai dit que je n'avais pas de réserve car, selon mon expérience, en Ontario à tout le moins, les présidents des commissions d'examen se sont montrés ouverts face à toutes les questions dont je viens juste de faire mention. Un équilibre se fait et les présidents et les commissions, en règle générale, sont bien informés. Il s'agit d'avocats, de psychologues, de psychiatres et d'autres professionnels de la santé. Tout se fait assez raisonnablement, si bien que je n'ai pas d'objections à formuler. Si cela devenait la norme, j'aurais plus d'inquiétude. Si cela menaçait la stabilité de la personne qui comparaît devant la commission, cela pourrait en fait entrer en conflit avec la question de réadaptation, alors que c'est justement ce que doit régler la commission. Ce projet de loi fait valoir un droit qui existe déjà et qui s'exerce à certaines occasions.

M. Nussbaum : D'après mon expérience des commissions d'examen, je peux dire que j'ai vu des groupes de victimes et des familles de victimes participer aux audiences des accusés atteints de troubles mentaux. Même s'il est vrai que le président de la commission et les professionnels de la justice sont sensibles à cette question, une influence subtile se fait sentir que, en tant qu'êtres humains, il est difficile de repousser. Il se dégage pratiquement un sens de rectitude politique; comme la famille et d'autres personnes liées à la victime sont présentes, nous devons examiner les autres questions, alors que le code lui-même précise les points que la commission est censée examiner.

Même si je connais la décision Winko et le règlement, en tant que membre de la commission, il est difficile de simplement en faire abstraction lorsque ces gens sont présents. C'est ce qui m'inquiète.

Le sénateur Callbeck : Qui peut faire les évaluations? Le projet de loi élargit la définition. Madame Cohen, vous en avez parlé et j'aimerais savoir exactement ce que vous attendez de ce projet de loi à cet égard.

Mme Cohen : Autant que je sache, il avait été envisagé au début de désigner précisément les psychologues dans la loi.Des inquiétudes ont été soulevées à ce sujet par la suite, si bien qu'un changement a été apporté et la décision laissée à la discrétion des procureurs généraux. La question s'était posée par suite des inquiétudes au sujet du nombre de psychologues et du fait que ceux-ci ne peuvent pas donner de preuve médicale. Nous prétendons êtres qualifiés pour établir un diagnostic et évaluer des troubles mentaux, si bien que nous nous sommes élevés contre cet argument rationnel selon lequel les psychologues ne pouvaient pas être désignés. Élargir la mesure législative de manière à permettre aux procureurs généraux de désigner des évaluateurs est un pas en avant. Nous nous sommes élevés contre le fait que nous n'étions pas désignés.

Le sénateur Callbeck : Vous aimeriez que les psychiatres, les psychologues et toute autre personne jugée pertinente par le procureur général soient inclus?

Mme Cohen : Absolument.

Le sénateur Callbeck : Votre réponse au sujet du nombre de psychologues m'a intéressée. Je croyais qu'il existait une pénurie de psychologues, surtout dans les régions rurales.

Mme Cohen : On peut dire sans ambages qu'il y a plus de psychologues que de psychiatres. Le nombre de psychiatres est insuffisant partout. Toutefois, l'accès à des services en psychologie pose également un problème, et ce, de diverses façons, pas uniquement en raison du nombre de praticiens, mais parce que certains services psychologiques sont offerts en dehors du système public. Les psychologues privés sont rémunérés à l'acte et ne sont pas couverts par les régimes provinciaux de soins de santé.

D'après le mémoire que nous avons présenté au comité en 2002, on retrouve beaucoup plus de psychologues dans les régions rurales du nord que de psychiatres, ce à quoi on pourrait s'attendre, vu que nous sommes pratiquement quatre fois plus nombreux.

La présidente suppléante : Docteur Woodside, avez-vous quelque chose à ajouter?

Dr Woodside : L'Association des psychiatres du Canada appuie le fait que toute personne qualifiée participe à ces activités, en raison des pénuries que l'on retrouve partout; cela s'appliquerait donc aux psychologues, aux psychiatres ou aux médecins de famille qualifiés. Nous ne voudrions certainement pas refuser ce service pour quelque raison que ce soit. L'essentiel, c'est que la personne doit être qualifiée pour assurer ce service particulier. Beaucoup de psychiatres ne se considèrent pas qualifiés pour faire ces évaluations, car ils n'ont pas reçu la formation voulue. Je suis sûr que la même chose s'appliquerait à de nombreux médecins de famille et psychologues. Si la personne a la formation et l'expérience voulues pour procéder à l'évaluation, je ne vois pas pourquoi elle ne pourrait pas le faire.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à l'objet essentiel du projet de loi. La plupart des dispositions du projet de loi traitent des gens qui sont déclarés inaptes à subir un procès en raison de troubles mentaux. S'ils ne peuvent pas subir un procès, ils sont alors présumés innocents, en vertu du Code criminel. Quiconque est accusé d'une infraction criminelle est présumé innocent jusqu'à ce qu'un tribunal ne prouve le contraire en fonction de la preuve présentée.

Monsieur Nussbaum, vous dites que la déclaration de la victime pourrait refléter une forme de peine ou être liée à une forme de peine. Cet aspect de la réalité juridique sur lequel nous devons nous arrêter dans le contexte de ce projet de loi me préoccupe. Lorsqu'une personne atteinte de troubles mentaux est déclarée inapte à subir un procès et doit comparaître devant une commission d'examen, elle continue de jouir de cette présomption d'innocence. Amener la victime devant la commission en même temps que la personne atteinte de troubles mentaux revient à faire intervenir une personne dont l'implication dans le crime est réelle. C'est bien établi. Toutefois, la personne atteinte de troubles mentaux qui se trouve également devant la commission n'a pas été déclarée coupable. Si cette personne était jugée apte à subir un procès, le tribunal pourrait la déclarer non coupable. Par conséquent, le lien entre cette personne et la victime n'existerait plus. Tout élément du système qui juge que la personne atteinte de troubles mentaux n'est pas protégée par la présomption d'innocence est, en fait, une violation des droits de cette personne aux termes du Code criminel.

J'ai examiné de près les dispositions et les articles proposés du projet de loi. C'est un projet de loi complexe que j'ai lu avec avidité. Il est difficile de clairement comprendre les concepts qui se retrouvent dans les articles proposés à moins de disposer de la preuve des témoins qui sont les professionnels qui, chaque jour, travaillent avec ces personnes.

Monsieur Nussbaum, d'après votre expérience de membre d'une commission d'examen, pensez-vous que ce projet de loi renferme des éléments qui pourraient être interprétés par les malades mentaux comme une forme de peine, alors qu'ils sont toujours protégés par la présomption d'innocence?

M. Nussbaum : C'est une excellente question. Je vais relire ce que j'ai dit. Nulle part dans le Code criminel est-il prévu une peine à l'égard d'un accusé criminellement non responsable.

Les commissions d'examen traitent de deux genres d'accusés, ou de patients, si vous voulez. Il s'agit d'abor de ceux dont le cas est renvoyé pour que l'on puisse déterminer s'ils sont aptes à subir un procès, alors qu'ils ont été déclarés inaptes pendant longtemps.

Le sénateur Joyal : Il s'agit de l'article 672.11 du Code criminel.

M. Nussbaum : En tant que médecin praticien, je suis toujours émerveillé de voir comment les avocats peuvent citer ces paragraphes et ces articles. En ma qualité de simple clinicien, je n'y arriverai jamais.

Mes observations portaient surtout sur la personne jugée criminellement non responsable. Je ne peux pas me rappeler avoir vu des victimes ou des proches des victimes à des audiences prévues pour les gens déclarés inaptes. La présomption d'innocence se rapporte à ceux qui sont déclarés inaptes.

Je ne suis pas avocat, mais autant que je sache, une modification a été apportée par suite de la décision Swain. Il peut s'agir d'une subtilité, mais, avant l'affaire Swain, ce groupe de gens étaient déclarés « non coupables pour cause d'aliénation mentale », alors qu'actuellement l'expression est : « non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux » ce qui sous-entend qu'il existait un acte coupable. La perpétration de l'acte de la part des accusés criminellement non responsables n'est pas la question. Pour ce qui est de l'acte, à tout le moins, il n'y a pas d'intention coupable, mais il y a eu acte coupable. Dans un certain sens, la présomption d'innocence quant à l'acte n'existe pas en ce qui concerne l'accusé criminellement non responsable. Dans le cas de ce dernier groupe, les victimes et leur famille se présentent aux audiences, et non pas dans les cas d'aptitude.

Le sénateur Joyal : J'ai ici le paragraphe 672.1(1) du Code criminel, puisqu'il s'agit du premier article auquel renvoie l'article 2 du projet de loi, dans la définition d'évaluation, qui se lit comme suit :

« évaluation » Évaluation de l'état mental d'un accusé par un médecin ou toute autre personne désignée par le procureur général comme qualifiée pour faire l'évaluation de l'état mental de l'accusé en conformité avec une ordonnance d'évaluation rendue en vertu des articles 672.11...

L'article 672.11 du Code énonce ce qui suit :

Le tribunal qui a compétence à l'égard d'un accusé peut rendre une ordonnance portant évaluation de l'état mental de l'accusé s'il a des motifs raisonnables de croire qu'une preuve concernant son état mental est nécessaire pour :

déterminer l'aptitude de l'accusé à subir son procès;

déterminer si l'accusé était atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle en application du paragraphe 16(1) au moment de la perpétration de l'infraction reprochée;

déterminer si l'accusée inculpée d'une infraction liée à la mort de son enfant nouveau-né était mentalement déséquilibrée au moment de la perpétration de l'infraction;

dans le cas où un verdict d'inaptitude à subir son procès ou de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux a été rendu à l'égard de l'accusé, déterminer la décision qui devrait être prise;

lorsque l'accusé a été déclaré coupable, déterminer si une ordonnance en vertu du paragraphe 747.1(1) devrait être rendue à son égard.

En d'autres termes, deux niveaux de critères sont adoptés lorsque la personne comparaît devant une commission d'examen. Lorsqu'elle comparaît pour la première fois, autant que possible, ce devrait être dans le contexte d'une évaluation médicale et psychologique. Ce pourrait y être limité, et la personne devrait jouir de toute la protection de la présomption d'innocence.

M. Nussbaum : Je suis d'accord. Ce que je disais visait ceux qui comparaissent devant une commission d'examen, qui ont été déclarés non criminellement responsables. Bien sûr, en ce qui concerne l'aptitude, vous avez parfaitement raison, puisqu'ils n'ont pas été déclarés coupables; ils n'ont même pas subi un procès. Entendre des déclarations de la victime équivaudrait peut-être à une présomption, puisqu'il n'a pas encore été déterminé que la personne a effectivement perpétré l'acte.

Le sénateur Joyal : Exactement.

Le deuxième niveau vise la personne accusée de l'infraction. Une personne pourrait être accusée d'avoir perpétré un acte sans mens rea. La Couronne n'a pas à prouver que la personne avait une mens rea, seulement que la personne voulait nuire. Dans certains cas, l'élément mens rea n'est pas compris dans l'infraction. Lorsque la mens rea doit être présente pour qu'une infraction ait été perpétrée, une personne malade mentale ne peut pas être déclarée coupable en vertu du Code criminel, car une telle personne n'a pas la capacité de concevoir une mens rea,c'est-à-dire, d'avoir une intention coupable. Est-ce bien cela?

Nous avons deux catégories d'infractions. Si une personne est déclarée coupable d'une infraction du fait qu'elle a simplement perpétré un acte sans intention coupable, selon moi, lorsqu'elle comparaît devant une commission d'examen, le concept de la capacité de la personne de subir la peine ou une forme de peine n'a pas du tout le même sens que dans le contexte où la mens rea est indispensable et la personne ne peut pas, en fait, concevoir une mens rea. Est-ce que j'exagère ou mon interprétation est-elle bonne?

M. Nussbaum : Permettez-moi de présenter les choses sous un autre angle qui, je pense, reflète ce que vous dites. La commission d'examen a pour objet d'évaluer le risque que présente la personne pour la collectivité, dans son état actuel. La commission veut gérer ce risque d'une façon qui soit la moins lourde et la moins restrictive possible pour, en d'autres termes, faciliter la réadaptation et la réinsertion éventuelle de la personne dans la société, si c'est possible.

L'information présentée par les victimes ou leurs familles ne tient pas compte du risque présent, ni non plus de la gestion de ce risque. Elle peut renvoyer à l'état de la personne au moment de la perpétration du crime. Il arrive parfois que les gens restent dans le système pendant 25, 28 ou 30 ans. Il se peut qu'ils ne soient plus les mêmes aujourd'hui.

Du point de vue historique, lorsque le Code criminel a été modifié en 1992, les gens atteints de graves troubles de la personnalité ne pouvaient plus bénéficier de la défenseaccordée aux non criminellement responsables. En Ontario, avant 1992, certaines personnes atteintes de graves troubles antisociaux de la personnalité ou des psychopathes avaient reçu le diagnostic d'autres maladies. M. Bradford connaît parfaitement la situation puisqu'il siège à la commission depuis extrêmement longtemps. Ces gens ont des maladies qui risquent de ne jamais changer, ou, à tout le moins, auxquelles personne n'a trouvé de remède.

Les gens qui aujourd'hui aboutissent dans le système sont différents de ceux d'avant 1992. Par exemple, avant 1992,79 p. 100 des gens étaient accusés de meurtre ou d'homicide involontaire. Depuis, on ne parle que de 20 p. 100 environ. C'est un effet direct de la loi modifiée, car maintenant les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire sont visées par les dispositions applicables aux non criminellement responsables.

Du point de vue d'un avocat, comme auparavant un accusé pouvait être détenu indéfiniment selon le bon plaisir du lieutenant-gouverneur, il n'aurait pas été judicieux pour un avocat criminel dans le cas d'un malade mental, accusépeut-être de vol à l'étalage ou de quelque autre infraction mineure, d'invoquer le concept de personne non criminellement responsable, car cet accusé aurait pu se retrouver indéfiniment dans le système. Il valait mieux alors qu'il plaide coupable, qu'il purge ses 30 jours ou ses six mois, et qu'il soit libéré.

De nos jours, surtout en raison de la décision Winko, beaucoup de gens plaident la non-responsabilité criminelle, puis subissent une évaluation des risques. Si on détermine qu'ils ne représentent qu'un faible risque, ils sont relâchés rapidement.

Différents types de gens entrent dans le système. Les besoins ont changé. On ne voit plus autant des troubles de la personnalité très graves. Si le système fait bien son travail, les individus devraient être dirigés vers le système correctionnel. On voit de plus en plus de personnes atteintes de maladie mentale qui ont besoin de soins, et des soins psychiatriques leur sont offerts.

Pour revenir au point qui nous intéresse, si cette réalité est prise en compte, une déclaration de la victime peut être préjudiciable car elle porte sur un geste, bien que peut-être horrible, qui a été probablement posé lorsque la personne était dans un état psychotique. Voilà le fondement d'une défense denon-responsabilité criminelle. Si cette personne se fait soigner, suit une thérapie et prend des médicaments, le pronostic est favorable. Il ne sert à rien de rappeler des faits qui se sont passés il y a deux, cinq ou douze ans puisque ça n'aide pas la Commission d'examen à prendre une décision, mais ça pourrait toutefois causer un préjudice. Même si le Code criminel exigeait qu'on ne tienne pas compte d'une déclaration, étant humains, nous entendrions quand même ce que les victimes et les familles ont à dire et ce serait difficile par la suite d'écarter ça de notre esprit.

On ne veut pas non plus décevoir ou perturber la victime ou sa famille. Peut-on accorder une libération inconditionnelle à quelqu'un qui a peut-être tué sadiquement un ou deux enfants, mais qui, aujourd'hui, ne pose plus de risque, ou du moins qu'un très faible risque, pour la société? Voilà ce qui me préoccupe.

Dr Bradford : Pour revenir précisément à la question, l'article 672.5 du Code criminel décrit les procédures de la Commission d'examen. Au paragraphe (14), une déclaration de la victime est permise aux audiences. C'est une permission assez large. À la lecture des modifications, sous le paragraphe proposé (15.1), la victime aura le droit de lire sa déclaration, rédigée et déposée conformément au paragraphe (14), ou d'en faire la présentation de toute autre façon que le tribunal ou la commission d'examen jugent indiquée, sauf si elle est d'avis que cette mesure nuirait à la bonne administration de la justice.

Si une personne inapte à subir un procès se présente devant la commission, une déclaration de la victime n'est pas pertinente. Comme vous l'avez si bien souligné, la personne n'a pas été reconnue coupable d'un crime puisque le procès a été dévié pour cause de non-responsabilité criminelle. La première partie du procès vise à déterminer si une personne est coupable ou non. Il faut ensuite définir quel était l'état d'esprit de la personne au moment du crime. Cela assure une protection qui n'était pas là initialement.

Selon la formulation actuelle, une déclaration de la victime pourrait être admise en tout temps. Je ne suis pas un avocat, mais l'allusion à la bonne administration de la justice répond aux préoccupations que vous avez soulevées.

Le Code criminel permet au procureur de la Couronne, en ce qui concerne tout individu jugé inapte à subir un procès et qui ne pourra jamais devenir apte, de présenter des éléments de preuve prima facie, tous les deux ans, pour déterminer si la personne doit rester en détention. Une telle mesure nuit effectivement à sa réhabilitation, ce qui n'est pas le cas du projet de loi qui permet la réhabilitation. Il enlève l'exigence de présenter une preuve prima facie tous les deux ans. Évidemment, l'innocence ou la culpabilité de la personne n'a pas encore été déterminée. Celle-ci pourra suivre le processus de réhabilitation si son inaptitude est considérée comme permanente.

On s'inquiète surtout des effets néfastes à l'audience qu'aurait une déclaration de la victime sur les gens qui ont été reconnus criminellement non responsables et qui sont fragiles puisqu'ils souffrent, par exemple, de schizophrénie ou de psychose maniacodépressive. Ce projet de loi tient compte de ce fait. Je crois qu'il prévoit ce qu'il faut. Toutefois, M. Nussbaum a raison de dire que ça peut néanmoins être une source de préoccupation.

Le sénateur Joyal : Mettons-nous à la place de la victime. Une victime veut que justice soit faite, et c'est normal. C'est d'ailleurs ce que nous attendons du système. Toutefois, il n'y a pas eu de procès, et l'accusé n'a pas été reconnu coupable. La victime n'a pas obtenu satisfaction auprès du système judiciaire, et il n'y a eu aucun châtiment pour ce qu'elle a subi. La commission a devant elle une victime qui s'attend à ce que justice soit faite, comme c'est son droit, conformément à la règle de droit au Canada. Elle doit aussi évaluer le risque que représente pour la société l'accusé, qui souffre de maladie mentale. Sur le plan psychologique, ne serions-nous pas tentés d'être sévères à l'égard de la personne souffrant de maladie mentale même si celle-ci n'a pas été reconnue coupable? Nous voulons être justes envers les deux personnes qui sont devant nous, mais nous devons trancher. Je vous pose la question car vous êtes un psychologue et que ce genre de question pourrait vous intéresser.

M. Nussbaum : Je suis flatté. En tant que psychologue, j'aimerais revenir sur ce que j'ai dit plus tôt. Nous sommes des êtres humains, et ce qui nous caractérise, c'est que notre cerveau ne fonctionne pas comme nous le croyons. Il possède différents réseaux qui traitent simultanément différents types d'information. Le conscient reçoit une image complète, mais ce n'est pas de cette façon que le cerveau manipule l'information. En réalité, il traite l'information provenant de différentes sources, et le conscient trouve un moyen de rassembler toute cette information, ce qui demeure un mystère pour nous. C'est ainsi que ça se passe pour ce qui est de la façon dont nous percevons les choses et nous les ressentons.

Voilà ce qui explique pourquoi nous avons pris certaines décisions dans le passé qui n'ont plus aucun sens maintenant. Il arrive que nous décidions quelque chose, mais que nous n'allions pas jusqu'au bout de notre décision.

La présence de certaines personnes à l'audience, même si elles ne disent rien, m'inquiète un peu. Une telle situation s'est produite il y a environ un mois, à Penetang, où je siégeais en tant que membre de la commission devant laquelle le Dr Bradford a témoigné. Environ 17 ou 18 victimes et leurs familles étaient présentes. Dans ce cas, nous avions affaire à une personne qui souffrait de troubles de la personnalité et qui avait été diagnostiquée comme étant un sadique sexuel. La commission avait beaucoup de réserves, et sa décision aurait été la même que les familles aient été présentes ou non. Toutefois, il est possible que dans quelques années cette personne ne soit plus une grande menace pour la société, mais les membres de la commission garderont toujours à l'esprit les victimes et leurs familles.

Beaucoup de sénateurs ici présents ont peut-être déjà pratiqué le droit ou travailler d'une quelconque façon au sein du système judiciaire. Même si un juge dit au jury d'ignorer la déclaration d'un témoin, le jury se conformera sur le plan cognitif à l'ordre du juge, mais sur le plan émotionnel, ce sera plus difficile car bon nombre de nos décisions sont faites au niveau émotionnel.

Dr Bradford : Dans l'article 672.541, qui aborde la question de la déclaration de la victime, on mentionne que dans le cas d'un verdict de non-responsabilité criminelle, on devrait prendre en compte la déclaration de la victime. En d'autres mots, on reconnaît la personne comme étant coupable mais non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux.

Les victimes peuvent assister aux audiences, qu'elles fassent une déclaration ou non, puisque c'est leur droit. Je suis tout à fait en faveur de ça. Elles ont le droit d'exprimer leurs préoccupations. Si, par exemple, l'accusé doit être libéré, la victime pourrait exiger qu'on interdise à cette personne d'être dans la même ville ou le même endroit que la victime. Ça me convient. En fait, c'est tout à fait approprié dans bon nombre de cas. Dans l'ensemble, la présence de la victime à une audience est positive. Ça peut aider le tribunal à prendre une décision. Évidemment, le procureur de la Couronne, en tant que partie intéressée, a évidemment la responsabilité de protéger la population et, par conséquent, peut représenter les intérêts des victimes. Si je ne me trompe pas, c'est certainement ainsi que ça se passe en Ontario.

Le sénateur Joyal : J'ai une question sur les ressources disponibles pour la réalisation des objectifs du projet de loi. Il y a quelques années, nous avons dû établir un nouveau système de justice pénale pour les adolescents. Le ministre à l'époque s'était engagé publiquement à augmenter le financement aux provinces pour assurer l'atteinte de l'objectif du projet de loi. Évidemment, tout le monde dira que le niveau de financement n'était pas suffisant, mais au moins le dépôt du projet de loi s'était fait en même temps que l'annonce de fonds supplémentaires.

Dans le cas qui nous intéresse, nous tentons de moderniser le système pour mettre davantage l'accent sur le soutien devant être offert aux personnes souffrant de maladie mentale, mais aucun financement n'est annoncé pour aider les provinces à gérer cette nouvelle responsabilité.

Malheureusement, je n'étais pas présent lorsque le ministre a témoigné, mercredi après-midi dernier, mais j'ai lu la transcription de sa déclaration. Le projet de loi ne sera que de belles paroles s'il n'est pas appuyé par des fonds additionnels, compte tenu de ce que le gouvernement pourrait consacrer à cette priorité. Comme vous l'avez dit, les personnes souffrant de maladie mentale sont parmi les membres de la société canadienne qui ont le plus de besoins.

Dr Bradford : C'est ce qui m'inquiète. Lorsque j'ai parlé de la criminalisation des personnes atteintes de maladie mentale, j'ai dit que ça faisait partie du système et que si cette partie ne fonctionnait pas bien, ces gens aboutiraient dans des établissements correctionnels où les normes en matière de soins sont beaucoup moins élevées. Vous avez tout à fait raison quand vous dites que tout projet de loi qui prévoit des changements entraîne certains problèmes de ressources et que sa réussite est tributaire de l'obtention des ressources nécessaires. Un tribunal fonctionnera bien s'il a les ressources dont il a besoin. Si un tribunal doit commander une évaluation — ce qui coûte de l'argent —, mais qu'il n'a pas les fonds nécessaires, cette évaluation n'aura pas lieu. Ainsi, certains aspects positifs du projet de loi ne se concrétiseront pas. Malheureusement, l'argent est un facteur.

Dr Woodside : Mon frère est psychiatre judiciaire et travaille avec M. Nussbaum au Centre de toxicomanie et de santé mentale. Je ne pourrais pas vous nommer la jurisprudence récente car je ne suis ni avocat ni psychiatre judiciaire, mais on voit de plus en plus dans le système judiciaire des demandes de soins obligatoires pour des personnes souffrant de maladie mentale. Mon frère m'a parlé du fait que le Centre de toxicomanie et de santé mentale déborde de personnes qui sont dirigées non pas vers le système judiciaire mais bien le système de santé mentale alors que ce dernier n'a pas la capacité nécessaire pour les traiter. Ça fait des décennies qu'on fait fi de ce fait.

Le Dr Bradford peut parler de la loi, mais les besoins enmatière de ressources sont énormes. C'est très bien d'exiger le traitement de certaines personnes, mais on estime les coûts à plus de 30 milliards de dollars par année. On ne parle pas de quelques dollars, mais bien d'un investissement considérable.

M. Nussbaum : Je travaille au Centre de toxicomanie et de santé mentale depuis 17 ans. Autrefois, ça s'appelait l'Institut Clark. Je suis d'accord avec M. Bradford et M. Woodside. Richard Schneider, qui était psychologue judiciaire avant de devenir juge à Toronto, a dit du système médico-légal que c'était le système de santé mentale des pauvres ou un système de dernier recours.

Dans bon nombre de cas, mais pas dans tous évidemment, on constate que le problème a débuté au sein de la famille. Des recherches révèlent que les victimes d'actes de violence d'un schizophrène ont tendance à être des membres de la famille, particulièrement les mères. Ces familles essaient d'obtenir de l'aide en santé mentale et des soins pour les membres de la famille, mais en vain. À la moindre agression relativement mineure, les familles, étant désespérées, appellent la police. La personne est arrêtée. De cette façon, les victimes savent qu'elles seront protégées à court terme, mais, avant tout, qu'elles obtiendront enfin un peu d'aide pour ce membre de la famille qui est malade.

En ce qui a trait aux économies pouvant être réalisées, que vous vouliez offrir les meilleurs soins ou simplement des soins convenables, les coûts seront les mêmes. Ce qui s'ajoute, ce sont les coûts liés aux services policiers, aux tribunaux et aux commissions d'examen. D'un point de vue purement financier, il serait plus efficace de soigner les gens au sein du système de santé mentale en évitant d'avoir recours à la police, au tribunal et à la commission d'examen car les coûts qui y sont associés sont considérables.

Dr Bradford : Pour rester dans le sujet, il y a six mois, une décision a été rendue par l'honorable juge Desmarais, ici à Ottawa, concernant des personnes qui étaient détenues dans un établissement correctionnel car aucun lit n'était disponible dans le système de santé mentale alors qu'elles avaient été jugées et devaient faire l'objet d'une évaluation puisqu'on soupçonnait qu'elles étaient inaptes à subir un procès et devaient être admises dans un hôpital pour recevoir des soins. Je travaille auprès des Services de santé Royal Ottawa depuis dix ans. Ce problème s'accentue d'année en année.

Une des solutions mises de l'avant pour répondre à la contestation aux termes de la Constitution — ce serait apparemment inconstitutionnel et contre la Charte d'agir ainsi —, c'est qu'il faudrait avoir plus rigoureusement recours à l'ordonnance de traitement prévu dans le projet de loi ou aux dispositions existantes du Code criminel.

Normalement, quelqu'un peut se présenter à l'hôpital et consentir volontairement à recevoir des soins. En Ontario, en vertu de la Loi sur le consentement aux soins de santé, si une personne est jugée inapte, un tuteur public ou une personne de la famille peut donner son consentement en son nom, point final.

En vertu de l'article du Code criminel sur les troubles mentaux, si une personne se présente devant la cour et est jugée inapte à subir un procès — plus souvent qu'autrement pour des raisons de schizophrénie — et a besoin de recevoir des soins pharmacologiques et d'être admise à l'hôpital, on peut ordonner, sans son consentement ou celui de sa famille, à ce qu'elle reçoive des soins sur présentation de preuves médicales.

En principe, ça ne me pose pas un problème, mais ce qui me dérange, c'est que si on tente de supprimer les deux premières étapes en raison d'un manque de ressources, on niera le droit universel que nous avons tous à recevoir des soins médicaux pour passer directement à une ordonnance d'un juge où le consentement n'est pas requis. Les ressources sont en cause. Si nous procédons ainsi parce qu'on manque de ressources et qu'il y a trop de gens dans les prisons, je crains que l'on ne viole les droits des contrevenants souffrant de maladie mentale.

Le sénateur Pearson : M. Nussbaum a mentionné le fait que les membres de la famille sont également des victimes. Ça rejoint la question des déclarations des victimes et de leur présence ainsi que les conséquences, selon qu'il s'agisse de membres de la famille ou pas. Les situations sont souvent très différentes. Avez-vous des commentaires à ce sujet? Vous nous avez dit que c'est habituellement les familles des personnes gravement atteintes de maladies mentales qui sont les victimes. On nous a parlé d'erreurs d'interprétation concernant certains comportements, comme le fait d'uriner à l'extérieur, et qui donneraient lieu à des accusations d'outrage à la pudeur. En Inde, on accuserait tous les hommes.

Ce qui est encore plus problématique, c'est qu'il faut trouver des façons de gérer le type de maladies mentales qui existera toujours dans le monde, et ce chez très peu de gens. J'aimerais qu'on s'attaque tôt à ce type de problème, c'est- à-dire qu'il faudrait aider les familles à composer avec certains comportements dès les toutes premières manifestations. Nous préférerions avoir recours plus tôt au système de santé mentale pour éviter des dépenses additionnelles plus tard, comme c'est le cas dans le système de justice pénale pour les adolescents et d'autres systèmes.

Le comité auquel siège le sénateur Kirby, qui mène une étude sur la santé mentale, passera une journée complète dans un établissement de santé mentale pour les enfants. Je vous encourage à donner officiellement votre appui à la création d'autres établissements de soins de santé mentale pour cette clientèle.

Dr Woodside : Hier, j'ai eu le plaisir de comparaître devant le comité du sénateur Kirby au nom de l'Association des psychiatres du Canada. J'ai dit au comité que si j'avais à lui proposer par où commencer, je lui dirais par les enfants. L'Association des psychiatres du Canada est officiellement en faveur d'un investissement majeur dans la santé mentale des enfants.

Madame la présidente, j'ai mal calculé mon temps. Veuillez m'excuser, je dois partir pour ne par rater mon vol.

La présidente suppléante : Allez-y. Merci de votre présence aujourd'hui.

M. Nussbaum : Je suis entièrement d'accord pour que l'on tente de changer le comportement antisocial des enfants dès leur jeune âge. Sans être véritablement nécessaires puisque c'est quelque chose que nous savons intuitivement, diverses études ont révélé que plus l'enfant affiche un comportement antisocial à un jeune âge, plus les risques que ce comportement s'accentue pendant l'adolescence et la vie adulte augmentent. Il existe des thérapies efficaces pour soigner ce type de trouble du comportement. Le traitement ayant fait l'objet du plus grand nombre d'études et obtenu les meilleurs résultats est la thérapie multisystémique. Elle est complexe. Au Hospital for Sick Children, un psychologue dirige divers projets de recherche, dont certains à Ottawa. En Ontario, on utilise cette thérapie à trois endroits, et celle-ci donne quelques bons résultats. On ne vise pas seulement l'enfant, mais bien l'enfant dans son contexte familial. Toute la famille doit commencer à changer sa façon de communiquer; elle doit établir ses objectifs, déterminer une marche à suivre, et cetera. Cette thérapie donne de très bons résultats sur le plan empirique.

Elle ne sert pas toutefois à traiter des psychoses, qui sont un autre morceau du casse-tête. Par ailleurs, les services destinés aux enfants sont grandement sous-financés. J'abonde dans le même sens que mon collègue à cet égard. Contrairement à Mme Cohen, je ne peux pas parler au nom de l'Association des psychiatres du Canada, mais à mon avis, ce serait un excellent domaine dans lequel investir.

Dr Bradford : Les gens qui sont malheureusement violents à l'égard des membres de leur famille souffrent de maladies mentales graves, comme la schizophrénie, et ont besoin d'une thérapie pharmacologique. L'aspect négatif des thérapies pharmacologiques a toujours été leurs effets secondaires considérables. Grâce aux percées récentes, ces effets secondaires sont de moins en moins problématiques. Par conséquent, diverses cliniques de traitement précoce des psychoses ont été mises sur pied. Nous réussissons de mieux en mieux à dépister les jeunes de 16 ou 17 ans qui souffrent des premiers symptômes de la schizophrénie avant que ça ne devienne une psychose aiguë.

C'est important car la violence a tendance à se manifester plus tard dans la maladie ou quand la thérapie est inefficace. Ça, c'est une autre histoire, mais d'autres problèmes peuvent s'ensuivre, comme la toxicomanie dont nous avons parlé.

C'est en cours actuellement. Ce que nous savons de cette maladie en particulier, c'est que plus nous tardons à la traiter, plus les risques de déficience cognitive augmentent et les chances de guérison s'amenuisent. Ce type d'initiative, qui touche les adolescents, mais peut-être pas les enfants, est en cours. C'est positif.

Le sénateur Joyal : La plupart d'entre vous viennent de l'Ontario. Hier, nous avons également entendu d'autres témoins de l'Ontario. J'ai l'impression que le système ontarien fonctionne bien.

Le sénateur Pearson : Il est sous-financé toutefois.

Le sénateur Joyal : Il est peut-être sous-financé, mais il semble bien fonctionner. Qu'en est-il des autres provinces? L'Ontario représente un tiers de la population canadienne. Nous n'avons pas entendu parler des deux autres tiers.

Dr Bradford : L'Académie canadienne de psychiatrie et droit, dont je suis le président, représente les psychiatres judiciaires du pays. Dans certaines régions, ça ne fonctionne pas aussi bien qu'ailleurs. La Colombie-Britannique, l'Alberta et le Québec ont de bons systèmes. Ailleurs, où le manque de ressources est un problème, on n'a pas facilement accès à des professionnels de la santé mentale.

Il y a des différences, mais une partie du problème est attribuable à une pénurie de professionnels de la santé mentale. Si la masse critique est là, ça peut fonctionner assez bien.

La collaboration fédérale et provinciale entre également en jeu. Par exemple, à Saskatoon, le gouvernement fédéral s'est joint, dans le cadre d'un partenariat, à l'Université de Saskatoon, en Saskatchewan, pour mettre sur pied un établissement psychiatrique médico-légal financé à la fois par le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. Cet établissement fonctionne maintenant mieux que d'autres établissements. J'encouragerais ce type de collaboration. C'est utile. On devrait peut-être voir ce genre d'initiative ailleurs au pays.

Le sénateur Joyal : Vous n'avez pas parlé des Maritimes.

Dr Bradford : Dans les Maritimes, il y a des psychiatres et des psychologues judiciaires, même s'ils sont moins nombreux en général. Par exemple, l'Université Dalhousie, qui a la principale faculté de médecine des Maritimes, n'a pas de département de psychiatrie médico-légale comme c'est le cas à Ottawa, à Toronto ou ailleurs. Nous espérons que ça changera.

Ça fait un bon moment que je ne suis pas allé à Terre-Neuve, mais j'ai certainement eu l'occasion de témoigner là- bas.M. Ladha et d'autres médecins pratiquent la psychiatrie et la psychologie judiciaires et sont associés à l'université Memorial. La situation est moins grave là-bas qu'en Ontario ou ailleurs.

Le projet de loi permet ça. Il prévoit que les gens atteints de maladie mentale grave qui ont commis un crime seront traités humainement. Les ressources sont une partie du problème, mais le projet de loi nous permettra au moins de traiter les gens correctement et humainement — si nous avons les ressources, qui sont, d'après moi, accessibles à deux niveaux.

Mme Cohen : Je ne suis pas psychologue judiciaire, mais du point de vue de notre association professionnelle nationale, je dirais que Service correctionnel Canada est le plus grand employeur de psychologues. Pour ce qui est des services à la population canadienne, l'ironie c'est que vous aurez plus facilement accès, en un sens, aux services de psychologie si vous êtes dans le système de justice pénale.

Je ne dis pas que certains détenus ne seraient pas mieux traités dans un hôpital, mais je voulais simplement illustrer l'incroyable ironie entourant la question des ressources.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, les choses sont différentes selon que vous soyez accusé d'une infraction en vertu du Code criminel ou d'une loi provinciale.

Mme Cohen : Le système correctionnel fédéral est le plus grand employeur de psychologues, mais les provinces en engagent aussi. Il y a un problème d'accessibilité aux services de psychologie dans les collectivités. Dans certaines provinces, particulièrement en Ontario, des psychologues se tournent vers la pratique privée puisque les hôpitaux doivent réduire leur personnel et ferment conséquemment leurs départements de psychologie. Donc, si vous n'êtes pas un Canadien bien nanti ou n'avez pas une bonne assurance-maladie de groupe, vous n'aurez pas accès à ces soins, mais si vous êtes dans le système de justice pénale, si.

La présidente suppléante : Au nom de mes collègues, j'aimerais vous remercier chaleureusement de votre exposé et d'avoir pris le temps de partager avec nous vos connaissances et votre expertise.

La séance est levée.


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