Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 14 - Témoignages du 1er juin 2005
OTTAWA, le mercredi 1er juin 2005
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 16 h 15 pour étudier le projet de loi S-21, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants.)
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Nous étudions aujourd'hui le projet deloi S-21, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants). Notre premier témoin est notre collègue le sénateur Céline Hervieux-Payette, qui parraine le projet de loi. Nous allons entreprendre la discussion à la suite de votre présentation. Nous allons disposer d'environ une heure pour l'ensemble du dossier puisque nous aurons d'autres témoins par la suite. Bienvenue à notre comité.
L'honorable Céline Hervieux-Payette : Madame la présidente, c'est un honneur pour moi et je remercie mes collègues d'être présentes. J'allais faire le commentaire que c'est peut-être un comité sénatorial féminin pour le moment, mais je pense que c'est justement le signe de l'intérêt pour les enfants qui nous réunit aujourd'hui.
J'en suis à ma deuxième expérience de comparution devantun comité parlementaire. La première fois remonte à il y a plusde 20 ans, alors que j'étais secrétaire parlementaire, concernant la Loi sur les jeunes contrevenants qui était la réforme de la Loi sur les jeunes délinquants. J'avais piloté ce projet de loi du commencement à la rédaction.
C'est peut-être forte de cette expérience antérieure que j'ai décidé de présenter un projet de loi pour amender l'article 43 du Code criminel. Je tiens à mentionner que c'est la huitième fois qu'un tel projet de loi est déposé. En effet, sept autres parlementaires courageux ont tenté, avant moi, de modifier cet article du Code criminel.
Je dois dire que c'est avec beaucoup d'humilité que je le fais, parce que si on ne s'est pas rendus jusqu'au bout les sept fois précédentes, qu'est-ce qui pouvait me faire croire que cette fois on pourrait réussir à convaincre nos collègues et tous les parlementaires, des deux côtés de la Chambre, d'adopter une telle législation?
Je pense que le contexte actuel dans la société canadienne et l'agenda du gouvernement, qui a mis beaucoup l'accent sur la protection des enfants, y est pour beaucoup. J'ai des collègues qui ont passé une bonne partie de leur vie à s'en occuper, comme madame le sénateur Landon Pearson qui nous représente très bien dans les organismes internationaux sur les questions de l'enfance.
C'est certainement mes antécédents reliés au sujet de l'enfance qui m'amène devant vous. J'espère que tous et chacun, avec nos antécédents, nos expériences et l'apport des experts, pourrons arriver à enrayer cette défense qui aujourd'hui, selon l'avis des experts, cause énormément de dommages aux enfants.
Je veux seulement rappeler que l'article de loi date de 1892. Ce n'est donc pas à la vitesse de l'éclair que l'on va modifier cet article de loi ; à ce moment-là, le fouet était en vigueur chez les prisonniers.
Depuis, on a interdit les corrections physiques chez les prisonniers. La seule sanction physique qui aujourd'hui existe encore est la possibilité de donner la fessée aux enfants. Il n'y a pas d'autre article et aucune autre loi au Canada qui permet ce genre d'intervention sur l'intégrité physique des enfants.
Au moment où on a adopté cet article de loi, il faut se rappeler que le Canada comptait peut-être 4 millions d'individus ; qu'on avait probablement beaucoup de monde dans le milieu rural et que le développement des sciences humaines était embryonnaire, que ce soit en psychologie, en psychiatrie, sociologie ou en pédiatrie.
En fait, toutes les sciences humaines ont évolué au cours du dernier siècle ce qui me porte à croire qu'aujourd'hui on prendra une décision sage en tenant compte que la loi date de plus de 100 ans et que les sciences se rapportant au comportement humain, en particulier aux enfants, ont beaucoup évolué.
Je me souviens — ce n'est peut-être pas la même chose dans toutes les provinces — dans nos maisons d'enseignement, la correction physique était répandue et je n'ai nul besoin de remonter à 1892. La punition physique existait dans les écoles, les pensionnats, les collèges et les orphelinats, à tel point que nous avons eu des causes assez célèbres sur la violence faite aux enfants. Ce n'est certainement pas parmi les choses glorieuses de notre système.
Je suis ici d'abord en ma qualité de sénateur dans notre mandat précis, non pas en tant qu'experte en la matière — bien que j'ai fait des consultations exhaustives et que j'ai essayé de faire mes devoirs parce que cela fait un an que je travaille sur le dossier — mais en tant que représentante d'une groupe minoritaire qui n'a pas de voix sur la place public. Le Comité des banques et du commerce reçoit des représentants des banques qui font leur lobbying et qui peuvent faire des représentations sans difficulté, ils n'ont pas de difficulté à se faire entendre. Jusqu'à maintenant, je dois dire qu'aucun groupe d'enfants n'est venu faire des représentations. En tant que sénateur, il est de notre devoir de représenter la voix de ces enfants. Si votre comité désirait les entendre à titre de témoins, je n'aurais aucune hésitation.
Je vais vous remettre des copies d'une étude récente faite par Statistique Canada, dont le dernier résumé date de février 2005 — je vais la commenter au fur et à mesure — de même qu'un document très bien fait, le Joint Statement on Physical Punishment of Children and Youth. C'est le regroupement de plus de 150 associations canadiennes qui endossent ce document, et une enquête faite en 2003 par le Toronto Public Health qui est tout aussi pertinente.
Je vous ai parlé de mon rôle de secrétaire législatif pour la préparation de la Loi sur protection de la jeunesse. Madame la présidente est peut-être encore plus au courant de cela, puisqu'on travaillait ensemble à Québec. C'était une innovation au Canada. Il s'agissait de la création d'une loi qui a crée tout un environnement pour la protection des enfants et des institutions qui ont eu la charge d'utiliser cette loi qui, je pense, a apporté beaucoup de bénéfices aux enfants au Québec.
Quelque dix ans plus tard, fort de l'étude du dossier sur la protection de la jeunesse, afin d'utiliser les connaissances, ont m'avait demandé de participer à la préparation de la Loi sur les jeunes contrevenants. J'ai pu participer à sa rédaction, sa défense en Chambre en tant que secrétaire parlementaire et en comité. J'étais à ce moment avec le sénateur Joyal et nous avons adopté une loi qui était innovatrice, qui changeait les concepts fondamentaux d'une loi punitive dans une loi de réhabilitation qui respectait les droits des enfants et qui faisait un grand ménage dans une loi qui datait de 1908. On parle d'une loi qui a été refaite au début des années 80.
La rédaction du projet de loi a été relativement facile puisque le projet de loi recommande l'abolition de l'article 43 et la seule mesure complémentaire serait sa mise en application un an plus tard afin de faciliter l'implantation de cette loi, et de procéder à un programme très large d'éducation.
Les mesures correctives prises envers les enfants ayant un comportement déviant sont extrêmement dispendieuses et difficiles, et demande beaucoup de personnels et souvent, les résultats ne sont pas extrêmement performants. Le projet de loi S-21 modifie l'article 43 du Code criminel et parle de mesures préventives, c'est-à-dire avant que les problèmes arrivent. Vous verrez, par le biais des études effectuées, que des problèmes graves sont reliés à la correction physique des enfants et que si nous ne réagissons pas, les choses iront en s'aggravant. Nous reconnaissons une forme de violence dans la société.
Statistique Canada a procédé à une étude effectuée sur plusieurs années auprès d'un échantillonnage scientifiquede 2 000 enfants à travers le Canada avec toute la compétence et l'expertise nécessaires. Il serait intéressant pour le comité d'inviter ces gens à témoigner devant le comité puisqu'ils pourraient vous transmettre beaucoup plus d'information.
Si nous faisons un survol rapide, l'étude a permis de déterminer que les enfants âgés de deux à trois ans vivant en milieu punitif physiquement avaient un comportement agressif de 39 p. 100 supérieur à celui des enfants vivant en milieu où la correction n'était pas punitive physiquement et où l'on essayait de convaincre l'enfant de changer son comportement.
Par contre, les mêmes enfants ont été suivis sur une période de six ans, et en 2000 alors que les enfants sont passés de 2 ou 3 ans à 8 ou 9 ans, 83 p. 100 des enfants démontraient un comportement plus agressif. La différence est très importante. La méthodologie est expliquée dans l'étude. Lors de cette étude, des parents ont été accompagnés et invités à changer leur comportement envers les enfants. Lorsque le comportement parental était modifié, l'agressivité des enfants diminuait de façon marquée.
Il est important de noter que la situation financière n'influence en rien le taux d'agressivité chez les enfants ayant subi des corrections physiques.
Je me référerai au contexte sociologique du Québec. Souvenons-nous de la réduction des pertes de vie lors de la modification des lois sur le port obligatoire de la ceinture de sécurité en automobile. Le changement a été dramatique. Les gens ne se sont pas toujours conformés avec enthousiasme, mais en réalisent aujourd'hui les effets bénéfiques.
La Suède est un pays avant-gardiste dans plusieurs domaines, notamment sur le plan social. Ce pays a adopté, en 1979, un projet de loi qui a tout simplement interdit les corrections physiques. Les résultats en 1995 sont à peu près les suivants : la délinquance a diminué de 21 p. 100 entre 1979 et 1995; le taux de suicide a diminué, le placement des enfants en famille d'accueil a diminué de 26 p. 100; la consommation de drogue et d'alcool chez les jeunes a diminué et les procès pour violence familiale ont diminué. Autrement dit, les conséquences d'un changement d'attitude vis-à-vis des enfants — en ne corrigeant pas physiquement et en ne frappant pas les enfants — ont des effets extrêmement positifs sur le développement de l'enfant parce que c'est associé à un programme intensif d'éducation. Il y a eu une campagne à travers les médias et il y avait des affiches partout.
En passant, j'ai assisté à une conférence il y a quelque temps au Costa Rica. Il y avait une énorme affiche publicitaire qui disait ce qui suit aux parents : « Vous ne devez pas frapper vos enfants. La correction physique est interdite. » C'était dans un petit pays qui, soit dit en passant, n'a pas l'infrastructure sociale que nous avons, mais qui a compris que la protection des enfants commençait à la maison. En plus, on a donné des cours aux parents. Les cours de préparation à la paternité et à la maternité ne sont pas très longs — même pour ceux qui fréquentent l'université — et il y a du rattrapage à faire dans toutes les couches de la société.
Là-dessus, j'aimerais saluer une initiative du ministère de la justice du Canada et de Santé Canada qui a publié une petite brochure qui s'appelle Assistance Parents avec une ligne 1-800, un service 24 heures par jour, un service anonyme, bilingue et gratuit à travers le Canada. Ce service concerne toute la problématique reliée à l'enfance. Si on a un problème avec un enfant incontrôlable, on peut parler — à l'autre bout du fil — à une personne qui va peut-être nous rassurer et nous donner des moyens pour faire face à la situation de crise. Ce sont de tels services d'appui aux parents qui vont aider à changer la situation.
Le titre de la loi en Suède est un peu plus long que le mien. Il est très représentatif de la philosophie. Les enfants ont droit à la protection, à la sécurité et à l'éducation. Les enfants doivent être traités avec respect pour leur personne et leur individualité et ne doivent pas être soumis à des punitions corporelles ou à des traitement humiliants. C'est assez significatif quand on voit les résultats qu'ils ont obtenus et qu'on a une expérience concrète. Ce n'est pas comme si on inventait une nouvelle façon de faire.
On m'a soumis le fait que tous les systèmes légaux ne sont pas identiques. La pratique du droit criminel n'est pas identique dans les pays de common law et d'autres. Dans certains pays, on règle ces questions par des lois à caractère plus social, mais je reviendrai à l'aspect légal pour l'application de cette loi.
Sur ce plan, j'ai une autre nouvelle assez intéressante. Le 22 avril, le conseil des ministres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté une nouvelle directive lors de sa 924e réunion, la directive 1666. La convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant a été ratifiée par tous les États membres qui devraient élaborer des plans nationaux d'action pour garantir sa pleine application. Les ministres en Europe sont conscients que ce n'est pas simplement en mettant un projet de loi en place, mais cela prend des mesures d'accompagnement.
Le comité des ministres du Conseil de l'Europe rappelle que l'article 17 de la Charte sociale européenne, selon le Comité européen des droits sociaux, demande que soit interdite, en droit, toute forme de violence à l'encontre des enfants. Donc tous les ministres du Conseil de l'Europe recommandent que chaque pays modifie sa loi. Il y a plus de 12 pays qui ont déjà mis en application l'interdiction.
Ce comité européen pour la cohésion sociale considère l'enfant comme un être humain à part entière, doté de droits individuels garantis par de nombreux textes internationaux et nationaux. Le texte mentionne l'obligation de protéger les enfants contre les mauvais traitements, y compris les châtiments corporels. C'est précis. Les ministres se sont penchés directement sur cette question. Le comité soutient l'idée de la protection égale des enfants devant la loi.
Lors de ma recherche, j'ai aussi trouvé qu'au Québec, on a modifié le Code civil et on a rendu les parents et les enfants égaux en droit, c'est-à-dire qu'il ne peut pas y avoir de traitements différents. Dans le Code criminel, les parents et les enfants n'ont pas les mêmes droits. Dans le Code civil, il y a une notion spécifique.
Après avoir cité ce qui se passe dans l'ensemble des pays européens — en particulier celui qui a la plus longue expérience —, je ne préconise pas qu'on développe un modèle international. Je pense qu'on peut développer, en Amérique, un modèle canadien.
L'opinion publique canadienne a quand même évolué sur le sujet. Il y a une étude qui a été faite par Decima qui nous donne un peu la façon dont chaque province traiterait la question de l'article 43. Toutes les provinces sont d'accord pour enlever l'article 43. Dans le cas présent, si on démontre — des experts viendront vous parler de ces aspects — que la correction physique n'a pas les effets escomptés, qu'elle n'est pas efficace et qu'en plus elle cause des dommages, 60 à 70 p. 100 des Canadiens diront qu'il faut retirer l'article 43. Cette preuve peut être faite par toutes les études effectuées par les spécialistes qui travaillent dans le domaine.
On a aboli les châtiments corporels aux prisonniers en 1979 et on a adopté de nouvelles mesures dans le Code criminel pour diminuer la violence dans la famille, particulièrement à l'égard des conjoints. J'étais ici quand on a modifié le Code criminel pour empêcher la victime de violence — souvent la femme dans le ménage — de retirer sa plainte. C'était devenu une pratique courante que quelques jours plus tard, la victime était doublement victime, donc elle retirait sa plainte. Le Code criminel prévoit maintenant que lorsqu'on porte plainte — et ce n'est pas nécessairement la victime qui doit porter plainte —, tout le processus judiciaire change.
Dans le cas de la pédophilie, on a modifié récemment les infractions commises par l'intermédiaire d'Internet à l'égard des enfants. On a beaucoup fait de modifications pour protéger les enfants, sauf que ce sont des choses périphériques et cela ne touche pas l'intégrité corporelle de l'enfant. En abolissant l'article 43, on rétablirait un climat de respect et de confiance entre tous les membres d'une même famille. Je fais ce raisonnement que la famille étant le pivot de la société, l'interdiction de frapper les enfants est une mesure à l'avantage de toute la population. Elle va dans la grande mission du Canada pour l'avancement de la paix dans le monde. Cette attitude, quand elle commence très jeune à la maison, entraîne des conséquences sur l'attitude générale face au reste de la planète.
Parmi les opposants à l'amendement au Code criminel on a les chrétiens fondamentalistes. Les experts s'entendent sur la base d'une intervention par la correction physique. Je n'ai pas lu la Bible récemment ni le livre des Proverbes, mais permettez-moi de vous citer le chapitre 23.
Celui qui épargne la verge hait son fils, mais celui qui l'aime met de la diligence à le discipliner (13:24).
Donc, si on frappe l'enfant, c'est parce qu'on l'aime. Je n'ai pas vu beaucoup d'études récentes de spécialistes en comportement qui sont prêts à corroborer cet extrait de la Bible qui date tout de même de plus de 2 000 ans.
Le deuxième argument des opposants à l'amendement concerne l'intrusion de l'État dans la vie familiale. À une certaine époque, dans les cas de violence conjugale, la police ne voulait pas intervenir sous prétexte qu'il s'agissait d'un problème familial. Le procureur général a donc dû s'interposer. On a offert aux policiers des cours de formation spécialisée en intervention dans les cas de violence conjugale. On a donc agit de façon dynamique et on est intervenu.
Les opposants semblent se fonder sur des raisons idéologiques à l'appui desquelles il n'existe aujourd'hui, 2 000 ans plus tard, que peu de preuve.
Pour ce qui est de la position du ministère, vous me permettrez de me référer à leurs documents. J'ai fait une recherche et j'aimerais la partager avec vous. En résumé, pour ceux d'entre vous qui ne se souviennent pas du document qui fut envoyé, les principaux arguments du ministère sont les suivants. Le gouvernement ne tolère pas l'utilisation de force déraisonnable pour corriger les enfants. Toutefois, il n'approuve pas non plus l'imposition de sanctions pénales aux parents canadiens qui corrigent leurs enfants d'une façon raisonnable en tenant compte de leurs besoins et de leurs intérêts.
On parle de l'article 43 du Code criminel comme moyen de défense contre des accusations de voie de fait. Dans le cas de nos propres enfants, le geste ne constitue pas une infraction. Toutefois, le même geste posé à l'égard de l'enfant d'un voisin, par exemple, constituera nécessairement une infraction et entraînera des conséquences. L'article 43 ne s'appliquera pas lorsqu'il s'agit de l'enfant du voisin. Il est quand même important de souligner cette distinction.
On va aussi loin au ministère que de faire dire au ministre que lorsqu'on donne la fessée à un enfant réticent, on le place dans un siège de voiture ou on le met en retrait dans sa chambre, on pourrait être reconnu coupable de voie de fait. Je crois qu'il faut s'en remettre au bon jugement des policiers et des juges quant à cette proposition.
D'une part, la loi indique clairement qu'il faut attacher les jeunes enfants dans un siège de voiture de façon sécuritaire lorsqu'on se déplace. Les parents ont l'obligation de le faire. D'autre part, le fait de dire à un enfant de se calmer en l'envoyant doucement à sa chambre ou en l'asseyant sur une chaise n'enfreint pas à la loi. À la lecture des jugements rendus en vertu de l'article 43 qui ont exonéré des parents ayant frappé les enfants à moult reprises, on constate qu'aucun juge n'est allé aussi loin qu'on laisse prétendre dans la proposition ci-haut mentionnée. Je vous citerai d'ailleurs certains commentaires du juge Dufour à ce titre un peu plus tard.
Par contre, le ministère dit que les châtiments corporels qui causent aux enfants des souffrances ou qui peuvent raisonnablement faire craindre qu'ils subiront des souffrances ne sont pas protégés par l'article 43. J'ai une certaine difficulté avec cette interprétation, car on ne reconnaît pas chez les enfants la souffrance psychologique. On ne reconnaît pas le fait qu'un enfant puisse être angoissé et souffrir intérieurement du fait qu'on l'humilie, qu'on le frappe, même légèrement, mais de façon répétitive et en lui disant « mon enfant, je te bats mais je t'aime ». J'ai de la difficulté à comprendre ce raisonnement. Comment l'enfant peut-il associer la violence physique à une preuve d'amour de la part de ses parents?
Le ministère dit que l'abrogation de l'article 43 aura une incidence sur le gouvernement des provinces. Sur ce point, j'ai contacté les gens du ministère concerné, au Québec, pour savoir de quelle façon on traitait une plainte de voie de fait sur des enfants. On m'a répondu que les étapes sont différentes. Les corps policiers ont signé une entente avec le ministère de la Justice en vertu de laquelle le policier n'ira pas, dans ces cas, à la cour pour déposer une plainte de façon habituelle. On transfère le dossier à un département, au bureau du procureur général, chargé de traiter ces questions. Ils analysent l'ensemble des circonstances et peuvent aller jusqu'à rencontrer les personnes impliquées et faire enquête subséquemment. À partir de cette enquête du procureur général ou de son remplaçant, l'autorisation du dépôt de la plainte par la police est faite. Le policier ne va donc pas déposer une plainte automatiquement, comme dans les autres cas d'infraction ou de voie de fait, où le système par la suite est enclenché.
Si l'incident se produit en institution où on retrouve des jeunes en difficulté, le processus est encore plus rigoureux, car dans ce cas l'État est le gardien de cet enfant. Non seulement s'ensuivra une rencontre avec la police, mais la direction de la protection de la jeunesse, la Couronne et un comité multidisciplinaire évalueront et décideront si on doit porter plainte et décideront des mesures à prendre. Dans ce cas, une personne associée à un parent sera désignée comme gardien et devra intervenir.
À mon avis, cette mesure pourrait être appliquée dans toutes les provinces. Je ne vois pas pourquoi les différents procureurs généraux ne mettraient pas en place un service particulier pour analyser les plaintes de cette nature et s'assurer qu'on n'abuse pas de la sorte.
Le ministre m'a écrit la semaine dernière et je vais partager avec vous les grandes lignes de sa lettre. La position officielle du ministère était que la loi reflète un juste équilibre entre les intérêts des enfants, des parents et ceux de la société. Je ne partage pas cette idée. Je crois qu'il n'est pas dans l'intérêt des enfants de continuer à être frappés, ni de façon raisonnable, ni de façon à ce qu'on les éduque. Ce n'est pas une façon, en l'an 2005, de remédier à des situations difficiles avec les enfants.
Par contre, le ministre affirme dans sa lettre que la Cour suprême a également conclu que l'article 43 était conforme aux obligations du Canada en vertu de la convention des Nations Unies relatives aux droits de l'enfant. Les Nations Unies ne sont pas d'accord avec la position du ministère. Les Nations Unies, à deux reprises, ont dénoncé le Canada comme étant un pays qui a ratifié la Convention sur les droits de l'enfant mais qui n'applique pas et n'a pas modifié sa loi pour empêcher les corrections corporelles.
Le ministre dit que le gouvernement n'appuie pas l'administration de fessées aux enfants, mais il n'approuve pas non plus l'imposition des sanctions pénales aux parents qui corrigent leurs enfants de manière raisonnable, et ce tout en tenant compte de leurs besoins et de leurs intérêts.
À mon avis, on ne peut être à la fois contre et en faveur d'une proposition. Personne dans le domaine des sciences sociales et humaines ne préconise que l'intervention et la correction physique ont des bienfaits, un intérêt, ou un effet positif sur l'enfant. Si vous entendez des experts vous dire le contraire, j'aimerais les entendre, car la très grande majorité des experts dans le domaine diront que ce genre de correction n'est pas dans l'intérêt de l'enfant.
Comme le soulevait le sénateur Cools, il existe un autre argument à l'effet que des millions de Canadiens risqueraient de se voir exposés à des poursuites criminelles. Je vais parler de cet argument en faisant référence à l'aspect plus juridique de la loi.
Dans un jugement de la Cour suprême, le juge Arbour a dit et fait l'analyse du mot «raisonnable». Cette dernière disait que c'est un critère de droit imprécis rendant l'interprétation aléatoire, subjective et discriminatoire.
Comment peut-on frapper un enfant de façon raisonnable? Qui en sera le juge? Normalement, quand on fait une loi, surtout dans le Code criminel, il faut que la loi soit précise, claire, et comprise de la même façon par tous. Je mets au défi qui que ce soit, suivant les âges, les régions, les religions, d'avoir une description identique du mot « raisonnable ».
Le juge Arbour avance que les moyens de défense générale sont suffisants pour empêcher toutes les plaintes frivoles, d'autant plus qu'on peut mettre en place un système empêchant la poursuite de ces plaintes jusqu'au bout du processus judiciaire.
Elle dit qu'il y a la défense de minimis, c'est-à-dire que la cour n'intervient pas pour des futilités. Je vous donne l'exemple d'un parent qui serait impatient avec un enfant qui, après qu'il lui ait demandé 20 fois la même chose, le parent se fâche et donne une tape sur le bras, la cour ne va pas intervenir. Ceci parce que donner la fessée veut dire généralement donner la fessée sur les fesses.
La deuxième défense est la défense de nécessité. Lorsqu'un enfant est hors de contrôle, qu'il peut se blesser ou en blesser d'autres, les parents ont le devoir d'intervenir. Cela fait partie de la défense générale des parents.
Il faut se souvenir — j'ai des collègues avocats — que le niveau de preuve en droit criminel est quand même très élevé. Il faut prouver au-delà du doute raisonnable de l'intention, et cetera. C'est donc quand même assez élevé pour savoir qu'avant que le procureur général puisse poursuivre, il s'assure toujours qu'il y a des chances de réussite avec sa cause. Il y a suffisamment de causes devant les tribunaux; on ne va les engorger de millions de causes futiles où la défense serait automatiquement de rejeter la plainte.
Madame le juge Deschamps parle du droit à l'égalité. Tantôt, je vous ai parlé des codes civil et criminel qui ne sont pas à égalité. Dans le cas du Code criminel, les enfants ne sont pas sur un pied d'égalité.
Toutefois, elle parle du droit à la dignité. Je pense que c'est l'un des points majeurs de presque tous les professionnels œuvrant auprès des enfants, et dont on doit tenir compte, et je parle de l'humiliation de l'enfant. Quand on frappe un enfant et qu'on lui donne la fessée, et qu'on lui dit que c'est pour son bien, il y a une conséquence qui est la baisse d'estime de lui-même. Cette baisse entraîne une agressivité, une confusion quant au message. L'enfant, en fin de compte, fait preuve d'un comportement difficile à encadrer parce qu'évidemment, si on le fait de façon répétitive, c'est parce que cela ne fonctionne pas.
Généralement, personne ne va porter plainte pour une fessée qui a eu lieu une fois dans la vie de l'individu. Normalement, c'est parce que c'est fait de façon répétitive et si c'est le cas, c'est parce que cela n'a pas l'effet d'éducation que cela doit avoir lorsqu'on corrige un enfant physiquement.
La Cour suprême, dans sa décision majoritaire, a dit que l'article 43 était valide. Je ne conteste pas ce que la Cour suprême a dit, mais je dis tout simplement que les modifications aux lois, cela appartient au gouvernement et aux deux Chambres. Lorsque le Parlement n'est pas satisfait d'une décision de la Cour suprême, nous nous prévalons de ce fait puisque cela fait partie de notre mandat de législateurs.
En ce qui me concerne, je pense que l'ensemble de la législation est de vous rappeler que l'article 265 concernant les voies de fait qui édicte ce qui suit :
Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou à une agression, quiconque, selon le cas :
a) d'une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement; [...]
En général, les enfants ne consentent pas tellement à se faire frapper. Par contre, lorsqu'on regarde les punitions, il y a soit un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans, soit une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
Il faut quand même savoir que tous les parents qui auront à administrer plusieurs corrections physiques aux enfants, et qui pourront se retrouver devant les tribunaux, pourront peut-être, comme dans un dernier cas vu récemment devant les tribunaux en Colombie-Britannique, se retrouver avec une sentence très éducative pour le parent.
Justement, dans le cas d'un enfant qui a été corrigé physiquement par son père, on a sommé le père de rédiger un article dans le journal de la communauté — une communauté d'origine étrangère — afin d'expliquer pourquoi il ne faut pas frapper les enfants. On l'a également sommé à faire une douzaine de conférences dans sa communauté. Il a bénéficié d'une sentence suspendue, c'est-à-dire qu'il n'avait pas à aller en prison à moins de ne pas respecter les conditions que le juge lui avait données. Cet homme devait d'ailleurs probablement avoir eu un petit cours d'éducation populaire sur ces questions puisqu'il avait la première fois frappé son enfant 100 fois avec un fouet et la deuxième fois 300 fois, ceci parce qu'il avait séché ses cours à l'école.
Il y a une possibilité d'avoir des sanctions avec un côté éducatif qui vont permettre de changer les comportements. La preuve en est que, en Suède, toute la population en a bénéficié.
C'est pourquoi je vous demande tout simplement d'adopter ce projet de loi, de l'étudier en profondeur, mais de le faire aussi du fond du cœur parce que c'est évidemment tout l'avenir de notre pays qui est en jeu.
La présidente : Je vous remercie, sénateur. J'aurais une remarque et une question. J'aimerais placer en opposition deux filières idéologiques. Il y a toujours deux visions qui peuvent sembler irréconciliables.
Il y a d'un côté les tenants de la tolérance zéro en matière de correction physique. Ces gens souhaitent l'abrogation pure et simple de l'article 43 du Code criminel. Ils se réclament aussi de la convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant.
De l'autre côté, on retrouve des tenants d'une approche plus traditionnelle de l'éducation des enfants, où il est parfois nécessaire de recourir à la punition physique pour corriger les comportements non acceptables. Les tenants de cette approche peuvent aussi se réclamer des pactes internationaux de 1966 et de 1976 qui reconnaissent la responsabilité parentale et l'importance de la cellule familiale dans l'éducation d'enfants.
C'est souvent cette vision des choses qui l'a emporté, si nous référons à la décision majoritaire de la Cour suprême de janvier 2004. Il y a des analystes, comme vous le savez, qui mettent en garde contre une éventuelle criminalisation des rapports familiaux. Vous en avez parlé aussi aujourd'hui.
Quelle serait votre réponse à ceux qui indiquent leur attachement au rôle prépondérant des parents dans l'éducation et le caractère approprié à certaines corrections physiques?
Le sénateur Hervieux-Payette : J'aimerais qu'ils en amènent la preuve scientifique. Je pense que c'est important de voir toutes les études qui ont été menées sur les effets négatifs de la correction physique. Je n'ai pas vu d'études qui démontrent de façon prépondérante les effets bénéfiques de la correction physique.
On en connaît les origines historiques, idéologiques religieuses, effectivement, mais de là à dire que, sur le plan scientifique des sciences humaines, des chercheurs nous ont prouvé que la correction physique apportait quelque chose de bénéfique aux enfants, je n'en ai pas vu.
J'ai fait une recherche et j'ai aussi eu la collaboration du bureau de recherche du Parlement qui ont mené deux recherches. Je n'ai pas tout fait moi-même parce que j'avais besoin d'une équipe et je n'ai pas de ministère pour m'appuyer. J'en profite pour remercier ces gens.
Ces deux recherches sont disponibles pour mes collègues. Je les ai fait faire dans le but de déposer ce projet de loi et avant de le déposer. Je n'ai pas fait le projet de loi et fait faire l'étude. J'ai fait faire l'étude et j'ai déposé le projet de loi. Tout cela pour vous dire que je ne le faisais pas de façon idéologique. Pour moi, c'est une preuve scientifique que l'être humain, en étant corrigé physiquement, subit des dommages et, pour certains enfants, des dommages irréparables. Vous allez certainement recevoir des témoins qui vont vous parler de situations absolument dramatiques.
Chaque citoyen doit donner le meilleur de lui-même. Je vous donne une information qui revient dans certaines études, les âges où les enfants sont le plus corrigés physiquement sont situés entre trois et six ans.
Je m'inscris en faux contre le fait qu'entre 3 et 6 ans, on a besoin de frapper un enfant pour lui faire comprendre qu'il ne faut pas toucher à ceci, ne pas faire cela ou qu'il faut mieux se tenir à table. On peut le faire autrement. Il y a des méthodes d'éducation et de changements des comportements un peu plus avancées aujourd'hui. C'est pour cela que je dis que le programme éducatif est extrêmement important.
La présidente : Si j'ai bien compris, vous faites passer l'enfant avant le rôle prépondérant des parents?
Le sénateur Hervieux-Payette : L'avenir du pays dépend des enfants. Si on protège les parents au détriment des enfants, avec le temps, on ne corrige pas la situation et on n'apporte pas une amélioration en général dans la société. On a modifié nos lois sur les armes à feu justement pour diminuer la violence. Chaque geste qu'on pose pour diminuer la violence dans la société est un geste qui se répercute sur tous les individus. Donc dans la famille, tout en étant un endroit sacré, le respect de la dignité des enfants est aussi important que celui des parents.
[Traduction]
Le sénateur Pearson : Je vous remercie d'avoir fait toutes ces recherches et de parrainer le projet de loi S-21.
Je m'intéresse à cette question depuis 1979. J'ai étévice-présidente de la Commission internationale pour l'Année internationale de l'enfant qui a recommandé l'abolition de l'article 43. Je souscris à vos propos. Je suis l'une des signataires de cette déclaration conjointe sur les châtiments corporels qui réclame aussi la protection des enfants.
S'agissant de l'intérêt de l'enfant, la question, à mes yeux, n'est pas de savoir si on devrait pouvoir frapper un enfant. Le défi est plutôt de savoir que faire des attitudes de certains groupes d'immigrants qui n'envisagent pas les châtiments corporels de la même façon.
De façon générale, ce qui est encourageant, c'est que depuis que j'ai eu mes enfants, la plupart des personnes instruites n'infligent pas de châtiments corporels à leurs enfants. Toutefois, il y a d'autres groupes au sein de notre société qui ont vécu d'autres expériences et il est important de s'assurer de toujours veiller aux intérêts des enfants. Retirer de sa famille un enfant que se parents ont frappé peut, à long terme, être plus préjudiciable pour lui que de laisser l'enfant avec ses parents et de sensibiliser ceux-ci.
J'ai bien aimé ce que vous avez dit sur la situation au Québec et les divers protocoles qui ont été mis en place. Ce sont des informations très utiles.
Pourrions-nous renforcer cette recommandation, à votre avis? Puisque vous êtes avocate, avez-vous examiné les dispositions connexes à l'article 43? Pourrait-on modifier d'autres articles de façon à rassurer les gens et leur garantir qu'il n'y aurait pas d'intrusion indue dans les familles?
Le sénateur Hervieux-Payette : La sensibilisation est la véritable priorité. Il y a beaucoup d'argent pour les garderies et le soutien aux familles avec enfants. Il ne s'agit pas du même ordre de grandeur; cet argent ne nous tombera pas du ciel. Mais les gens ne sont pas stupides, qu'ils aient un diplôme universitaire ou non. Le gros bon sens n'est pas l'apanage des riches ou des pauvres. Toute personne sensée comprend que même une légère fessée est préjudiciable pour un enfant. Certains psychiatres affirment que c'est particulièrement le cas quand c'est le père qui frappe ses filles. Certaines personnes de plus de 50 ans n'en sont pas encore remises.
Une fessée violente est une infraction. Ce qui est « raisonnable » ne peut être défini. Je ne peux vous définir le terme « raisonnable » aux fins du Code criminel. Vous avez interrogé le ministre de la Justice et des avocats de son ministère qui ont tenté de définir ce concept. J'en ai parlé à des avocats qui m'ont affirmé que c'est impossible.
Plutôt que d'employer une définition de « raisonnable », je préfère pécher par excès de prudence, c'est-à-dire interdire les châtiments corporels à des fins d'éducation des enfants, interdire les fessées répétées, car il ne s'agit pas d'événements ponctuels.
Au Québec, on retire l'enfant de son foyer en dernier recours seulement, quand la vie et l'avenir de l'enfant sont en danger. On offre des services à la famille. C'est ce qu'on fait en Suède; on sensibilise les parents. On leur offre des cours et du soutien. En Suède, les taux de délinquance, de décrochage et d'alcoolisme au sein de la nouvelle génération ont beaucoup diminué. Les avantages sont évidents par rapport au statu quo.
Les moyens de défense fondés sur la nécessité et la règle de minimis existent et ont déjà été employés. Il y a certaines interprétations. Je ne suis pas experte en droit pénal, mais certains font valoir que ce sont des concepts bien connus en droit. Il n'est pas nécessaire d'être expert en droit pour savoir qu'il faut empêcher les enfants de se donner des coups violents et qu'il faut intervenir et employer une force raisonnable dans de telles circonstances. Si vous faites cinq pieds et deux pouces et que votre fils a 11 ans, vous aurez peut-être du mal à intervenir. C'est une question de jugement, mais les corrections physiques ne peuvent être acceptées.
Le sénateur Hubley : À quel âge un enfant devient-il un adulte?
Le sénateur Hervieux-Payette : Selon la Cour suprême, on peut donner la fessée aux enfants de deux à 12 ans. Jusqu'à la veille de son deuxième anniversaire et au lendemain de son 12e anniversaire, un enfant ne peut être frappé. Personne dans notre société ne peut être frappé à part les enfants de deux à 12 ans. Ce sont les plus vulnérables de notre société. Il est étrange que nous conservions ce concept qui date de plusieurs millénaires. Nous n'évoluons pas vite; 1892, ce n'est pas hier.
Le sénateur Hubley : Il est intéressant de noter que nous avons réalisé des progrès, en médecine, en ce qui a trait à des états comme le SSPT. Ceux qui sont les témoins d'actes de violence en sont souvent traumatisés. Cela ne se manifeste pas toujours par des symptômes physiques, mais les effets se font sentir bien des années plus tard. S'agissant des enfants, je crois qu'il faut présumer qu'il en va de même et que ceux qui ont été frappés connaîtront des problèmes à long terme. C'est aussi une expérience traumatisante pour les frères et sœurs, les autres enfants qui assistent à ces fessées. Ça peut avoir une incidence sur la façon dont ils traiteront les autres plus tard. L'intimidation qui existe actuellement dans les écoles est probablement directement associée à certaines formes de châtiments corporels qu'on a infligés aux enfants ailleurs. Est-ce ce que vous avez constaté chez les enfants les plus jeunes?
Le sénateur Hervieux-Payette : Je m'intéresse aussi à la question de l'intimidation car j'ai été présidente d'une commission scolaire pendant cinq ans. Nous avions 15 000 élèves. Il faut tenir compte des conditions sociales et faire appel à des travailleurs sociaux. Dans les grands conseils scolaires, il y a des spécialistes, ainsi que des psychologues qui nous aident à composer avec ces situations. D'après ce qu'on me dit, car je n'œuvre plus dans ce domaine, l'intimidation a toutefois augmenté et non pas diminué.
Il y a de moins en moins d'enfants dans les familles. La moyenne au Canada est actuellement très peu élevée. On pourrait en conclure que nous avons plus de temps, surtout du temps de qualité, à consacrer à nos enfants, et que nous serions moins stressés. Vous êtes plus stressés si vous élevez cinq enfants que si vous n'en avez qu'un ou deux. Il y a manifestement des problèmes. Traitons-en avec les parents et assurons-nous qu'ils savent comment composer avec ces problèmes, qu'il s'agisse d'accès de colère ou de désobéissance à répétition de la part des enfants. Si un enfant continue de faire des mauvais coups ou de désobéir, je le répète, c'est parce qu'il n'a pas compris, même si on l'a frappé.
Il y a maintenant des scientifiques qui se spécialisent dans la modification du comportement des enfants et des êtres humains. Cela a fait l'objet d'études. Nous savons ce qui est efficace et ce qui ne l'est pas. Nous pouvons offrir du soutien. En ce qui a trait aux problèmes à long terme, ce sont les psychiatres qui sont le mieux en mesure de vous en parler. J'espère que votre comité entendra des spécialistes. Ces experts voient les difficultés que connaissent ces personnes toute leur vie. Il s'agit parfois d'alcoolisme et d'autres problèmes de comportement. Cela se transmet aussi d'une génération à l'autre. Si on vous a donné la fessée, vous donnerez la fessée à vos enfants, et ainsi de suite.
Madame la présidente, je me suis entretenue avec certains de mes collègues sénateurs. Ils m'ont dit que, puisqu'ils avaient déjà frappé leurs enfants, ils hésitaient à appuyer le projet de loi. Je leur ai répondu que s'ils changeaient d'avis et qu'ils estimaient qu'ils auraient agi différemment aujourd'hui, ils ne condamnaient pas leurs agissements antérieurs. Ils reconnaissaient tout simplement que la science a évolué et que nous avons de meilleures preuves aujourd'hui. Il s'agit de personnes qui ont au moins 50 ans.
Les écoles et les organisations religieuses avaient pour politique de frapper les élèves. Cela faisait partie de la culture de l'époque, mais nous avons évolué depuis. Dorénavant, la loi au Québec empêche les enseignants de frapper les élèves. La situation a bien changé en 50 ans.
Le sénateur Hubley : Est-ce que les hôpitaux sont toujours tenus de signaler des blessures inusitées qu'ont les enfants? Est-ce une politique?
Le sénateur Hervieux-Payette : Oui, les médecins sont tenus de signaler ces incidents. J'ai parlé à des gens, surtout des infirmières, qui ont travaillé dans des dossiers de bébés secoués. C'est un phénomène récent. Avant que le public en prenne conscience, combien d'enfants ont été tués ainsi? Ce n'est que récemment que le public en a pris conscience, que les gens en parlent et le dénoncent. Voilà comment la société corrige certaines de ses erreurs passées.
Comme législateurs, c'est notre rôle. Quand nous sommes prêts à aller de l'avant en proposant quelque chose de nouveau, c'est parce que la société a la maturité nécessaire pour l'adopter.
Le sénateur Milne : Je dois avouer que je suis probablement une de ces personnes qui a évolué au fil des ans. Je m'en confesse. J'ai donné la fessée à mes trois enfants une ou deux fois, et je m'en souviens encore avec honte parce que je n'ai pas moi-même reçu de fessées quand j'étais enfant.
Je souscris tout à fait à votre projet de loi. Il est temps de mettre un terme à ce genre de choses. Ce qui me préoccupe toutefois, c'est la définition donnée dans le Code criminel des « voies de fait » : employer la force d'une manière intentionnelle contre une autre personne, sans son consentement. Je me souviens très bien d'avoir soulevé un enfant qui hurlait, et qui était dans une situation dangereuse, pour l'amener contre son gré dans la maison. Si ce projet de loi était adopté, un policier qui me verrait faire cela pourrait porter des accusations. Il me semble qu'il faut un juste milieu. Je ne sais pas très bien comment veiller à ce que les parents ou les enseignants qui interviennent pour assurer la sécurité de l'enfant ne fassent pas l'objet de poursuites. La simple élimination de l'article 43 ne me donne pas de réconfort.
Le sénateur Hervieux-Payette : Vous parlez de ce que j'ai appelé plus tôt la défense de nécessité. Vous avez une responsabilité. On peut en dire autant de l'enseignant dans la cour d'école. Quand deux enfants se battent et se font du mal, l'adulte a le devoir, l'obligation, d'intervenir.
Il faut faire confiance au système judiciaire. Nous avons l'un des meilleurs systèmes judiciaires du monde. Comme je le disais au sénateur Pearson, il est important de rappeler qu'il y aura des lignes directrices pour les policiers et les procureurs généraux sur la façon de traiter les plaintes, qui sera particulière et différente du traitement réservé aux autres infractions.
C'est ce qui se fait au Québec avec succès. Je ne l'ai pas lu dans un livre. J'ai parlé à des gens. J'ai eu des échanges avec eux et je leur ai demandé comment ils s'occupaient de ces dossiers. Il faut un système. À notre niveau, il faut d'abord procéder à une campagne de sensibilisation. Il serait dans l'intérêt de l'ensemble du pays de renseigner les gens sur ces questions, de leur dire pourquoi il ne faut pas donner la fessée, pourquoi ce n'est plus acceptable, pourquoi c'est inefficace et pourquoi c'est une pratique révolue. Nous ne leur permettrons plus.
Malheureusement, ce qu'on peut déduire de la décision de la Cour suprême, c'est que les parents ont la permission de continuer à donner la fessée à leurs enfants, même si nous disons que nous sommes contre. Nous disons qu'on peut encore frapper les enfants, pour des raisons éducatives et d'une manière raisonnable.
Je ne serai convaincue que si l'on me prouve que la fessée a produit d'excellents résultats, y compris des gens mieux éduqués, qui ont un meilleur comportement et qui sont plus heureux. Ce n'est pas ce que j'ai vu. J'ai vu des dommages à long terme pour ces personnes qui ont reçu la fessée, parce qu'ils en ont souffert alors qu'ils étaient si petits, souvent avant l'âge de six ans, avant d'aller à l'école. Voilà pourquoi je dis que nous ne pouvons plus tolérer cela. La plupart des pays européens et la plupart des ministres sont d'accord avec moi. Je pense que nous sommes tous du même côté, du moins je l'espère.
Le sénateur Milne : J'espère en être aussi. En Ontario, il n'est plus permis de frapper un enfant à l'école. Les enseignants n'ont pas le droit de frapper un enfant. Quand j'étais au conseil scolaire de Peel, c'est une règle que nous avions adoptée en 1960, déjà.
Vous nous dites que ce système fonctionne très bien au Québec. Est-il interdit de frapper un enfant dans d'autres provinces canadiennes?
Le sénateur Hervieux-Payette : Non.
Le sénateur Milne : Le Québec est la seule?
Le sénateur Hervieux-Payette : Ce n'est pas ce que dit le Québec. Comme le mot « raisonnable » n'est pas facile à définir, en cas de plainte, on doit décider si c'était raisonnable ou non. On évalue la chose et on fait preuve de jugement au début, avant de se lancer dans le processus judiciaire. Une procédure est prévue, assortie de lignes directrices.
Le sénateur Milne : Je le comprends. Un tel système existe-t-il dans une autre province?
Le sénateur Hervieux-Payette : Je ne sais pas. Mais je dis que si c'est faisable au Québec, je ne vois pas pourquoi ces lignes directrices ne pourraient être adoptées ailleurs. Les sociétés d'aide à l'enfance existent dans toutes les provinces. Je me suis renseignée sur le Yukon. Vous pourriez poser cette question au ministre de la Justice.
Le sénateur Cools : Merci de votre travail. Manifestement, vous y avez consacré beaucoup d'efforts et c'est tout à fait louable. En outre, vous incitez le comité à réfléchir à une question importante.
J'aimerais d'abord apporter un correctif. Je n'ai pas dit tout à fait ce que vous avez dit que j'ai dit. Je n'ai pas affirmé que des millions de personnes seraient poursuivies. J'ai dit que cela risquait d'exposer des millions de personnes à une poursuite. C'est assez différent.
Le sénateur Hervieux-Payette : J'ai lu la version française.
Le sénateur Cools : Malheureusement, je n'ai pas vérifié la version française.
Beaucoup des études que vous avez citées peuvent également être associées à d'autres variables qui ont donné des résultats positifs. Ainsi, je peux vous parler de ce domaine où j'ai beaucoup travaillé. Quand j'étais à l'emploi des services sociaux, si l'article 43 avait été abrogé, j'aurais pu faire accuser 95 p. 100 de ma clientèle, surtout des mères monoparentales. Je ne pense pas que cela soit utile, productif, ni éclairé.
Tout le monde peut convenir sans ambages qu'il n'est pas souhaitable de battre les enfants. Je ne pense pas qu'un parent qui tape un enfant sur la main pour le corriger doit être accusé, ou exposé à la possibilité de l'être.
Je fais partie de ces sénateurs qui sont pour l'objectif louable de débarrasser le monde et notre pays des comportements indésirables et violents. Je préférerais toutefois nettement que nous atteignions cet objectif par des moyens éducatifs plutôt que punitifs. J'en parle à titre de personne qui a beaucoup travaillé dans le domaine de la famille et de la violence familiale.
Je constate que vous n'avez pas présenté ces statistiques, sur le nombre d'enfants qui sont, je ne dirai pas agressés, mais maltraités physiquement par leurs mères monoparentales. Le chiffre est extrêmement élevé. C'est un débat large et grave qui vient d'être lancé.
Je pourrais peut-être poser ma première question. Avec le temps, nous pourrons aussi passer à l'une des nombreuses autres questions soulevées par le sénateur au sujet des programmes contre la violence familiale. Beaucoup de ces programmes sont dans une situation lamentable, et hors de contrôle. Beaucoup de controverse les entoure. Nous y viendrons, en temps voulu.
Parlons d'abord de l'article 43. Le sénateur Hervieux-Payette pourrait-elle nous dire si elle a des renseignements, et je comprendrai si elle n'en a pas, sur le nombre de poursuites intentées chaque année, ou peut-être pour l'année passée, en vertu de l'article 43 du Code criminel? Quelle est la fréquence du recours à l'article 43 par le poursuivant?
Elle pourrait peut-être répondre à mes questions une à la fois, et je continuerai. Autrement dit, quelle est l'ampleur du recours à cet article? À quelle fréquence est-il invoqué? Combien d'accusations sont portées en vertu de cet article?
Le sénateur Hervieux-Payette : Je ne connais pas la réponse exacte. L'étude de Statistique Canada est probablement la plus exhaustive. Elle compte quelques centaines de pages. Je vous ai dit que par rapport aux autres groupes, le nombre des mères monoparentales qui avaient frappé leurs enfants était légèrement supérieur.
Ce que j'ai constaté, en lisant l'étude de Statistique Canada, c'est que les mères monoparentales ne sont pas habituellement très riches, mais n'usent pas plus de violence contre leurs enfants que les femmes riches ou celles qui ont un conjoint.
Par ailleurs, je pense comme vous que l'éducation est un élément essentiel de cette mesure. Je vous rappelle toutefois que l'article 43 est un moyen de défense. Il faut comprendre qu'en examinant la jurisprudence, ce que je trouve préoccupant, c'est que les plaintes ne sont pas déposées.
Avant le récent jugement de la Cour suprême, vous pouviez faire presque n'importe quoi à des enfants de moins de 18 ans, presque impunément. Des enfants étaient battus, jusqu'au sang, subissaient toutes sortes de blessures et les parents étaient acquittés. Comment porter d'autres accusations?
Il y a probablement eu davantage d'interventions pour les bébés secoués. Dans ce cas-là, c'est sans doute parce qu'on a sensibilisé le public à cette question et non pas parce que plus de bébés ont été secoués. C'est parce que nous avons affirmé que ce n'était pas acceptable et parce que nous savons que des enfants en meurent et sont gravement maltraités.
Je tiens à insister sur le fait qu'une tape sur la main d'un enfant ne peut faire l'objet de l'article 43. Si vous parlez des divers éléments formulés par la Cour suprême dans sa décision, une tape ne suffit pas. Il faut que ce soit des gestes répétés, dans un but éducatif, d'une manière très cruelle.
L'exemple dont je me souviens, de mon enfance, c'était : « Attends que ton père arrive, tu vas payer ».
Le sénateur Milne : Ça me fait mal plus qu'à toi.
Le sénateur Hervieux-Payette : L'incident se produisait à 10 heures le matin, mais la punition, elle, arrivait vers 17 heures, quand le père entrait à la maison. Cet article se rapporte à ce genre de situations, à des corrections répétées, infligées de sang-froid dans un but éducatif. Les critères sont précis.
Le sénateur Cools : Je comprends l'application. Je me demandais simplement si vous aviez des chiffres sur le nombre de dossiers, sur le nombre de poursuites. Vous venez de mettre le doigt sur le problème qui m'intéresse. Si l'article est abrogé, il y aura toute une floppée de poursuites, comme le laissait entendre le sénateur Milne.
Le sénateur Hervieux-Payette : Des lignes directrices peuvent être adoptées. Nous en avons au Québec. Cela fonctionne bien. Ce n'est pas très compliqué. Des gens compétents font une évaluation appropriée de la situation. L'objectif est de protéger l'enfant. On n'agira pas contre l'intérêt de l'enfant, par exemple, en le retirant de sa famille ou en envoyant ses parents en prison. Ce n'est pas l'objectif de la mesure. L'objectif est de veiller à ne pas donner maintenant aux parents le droit de frapper leurs enfants dans un but éducatif.
Le sénateur Cools : Je le comprends, mais le Code criminel n'est pas un outil éducatif. Le Code criminel est un outil pour mener des poursuites. Nous parlons maintenant du « Code criminel ». Il a été adopté en 1892 et on l'appelait autrefois le Code pénal. Le Code criminel est de manière inhérente punitif et coercitif. Il ne s'agissait pas d'une déclaration des droits des enfants ni de rien de ce genre. Vous parlez du Code criminel et des conditions pouvant donner lieu à des poursuites au criminel. À mon avis, l'abrogation de l'article 43 va immédiatement ouvrir la porte à une floppée de poursuites. C'est inévitable, puisqu'il est dans la nature humaine d'abuser du pouvoir.
Le sénateur Hervieux-Payette : Je suis désolée, mais ce n'est pas ce qui s'est produit là où la disposition a été abrogée. Rien ne prouve qu'il y ait eu une multiplication des poursuites. Comme je le disais, notre société peut compter sur certains mécanismes. Nous avons des procureurs généraux qui appliquent les lois avec toutes leurs compétences de juristes.
Dans le cas de la conduite en état d'ébriété, les sanctions prévues au Code criminel ont eu un bon effet de sensibilisation. Je peux vous dire que maintenant que des gens subissent les conséquences prévues par le Code, nous avons pu réduire de beaucoup le nombre d'accidents causés par l'alcool. La peine a eu un effet didactique.
Dans le cas qui nous intéresse, l'éducation de l'enfant n'est pas améliorée par la fessée. On ne l'a jamais prouvé et c'est pourquoi je dis que cela ne marche pas. Bien au contraire, cela nuit à l'enfant. Il faut avoir à cœur l'intérêt des petits. Personne ne parle pour eux, ici.
Le sénateur Cools : Nous voulons tous que nos enfants aillent bien et grandissent bien. Je ne connais personne qui ne croit pas que les enfants doivent être bien traités et qu'on doit bien prendre soin d'eux. Vous n'avez pas à faire beaucoup d'efforts pour en convaincre qui que ce soit.
Le sénateur Milne a dit d'elle-même qu'elle avait évolué. Maintenant que nous avons tous évolué, il ne faut pas oublier que le gros de l'humanité n'a pas fait de même. Que nous le voulions ou non, beaucoup de ces gens ont des enfants. Certains d'entre eux sont peut-être plus impatients, plus brusques ou brutaux. Nous parlons de ces millions de gens, de la populace, ce que nous ne voyons pas et bien franchement, que la plupart d'entre nous ne connaissent pas très bien. C'est ce qui me préoccupe.
Vous dites que certains de ces programmes sont couronnés de succès. À mon avis, ce n'est pas le cas. Je peux vous dire que la politique de tolérance zéro pour la violence familiale a donné lieu à une pléiade de fausses accusations et de condamnations injustifiées. Il faut en tenir compte, puisque nous pensons à d'autres. Je pense qu'il est inconvenant pour nous de dire que nous sommes des esprits éclairés et que tous les Canadiens devraient l'être comme nous et que pour arriver à ce résultat, nous nous servirons du Code criminel. C'est ma crainte. Ce n'est pas ainsi que je vois l'adoption des lois. Et je vous le dis parce que moi j'ai beaucoup travaillé dans ces domaines.
Le cas décrit par le sénateur Milne est pertinent. Même s'il s'agit d'une personne qui essaie d'éviter qu'un enfant soit dans une situation dangereuse, elle risque des poursuites. Je n'ai aucun doute à ce sujet. J'ai étudié beaucoup de cas de fausses accusations. Elles existent, et il y a tout un potentiel de fausses accusations. Nous ne pouvons pas porter des œillères en pensant que nous avons de bons procureurs généraux, puisque beaucoup de ces questions n'ont pas fait l'objet de recherches.
Ainsi, quand on parle de l'intérêt de l'enfant, je dois dire que j'ai fait beaucoup de travail sur le phénomène des fausses accusations de sévices contre des enfants, dans des dossiers de garde d'enfants. C'est une épidémie. À un moment donné, il y en avait un nombre excessif. Aucun procureur général n'a vraiment réfléchi à cela.
Je ne pense pas que vous puissiez trouver ces renseignements si facilement, et faire ces présomptions. Il faut comprendre que nous parlons de la vie des gens, de la vie de millions de gens que nous ne connaissons pas. Vous voulez abroger cet article pour protéger les enfants, c'est louable, mais vous laissez à la place un vide qui sera comblé. J'aimerais que vous envisagiez la possibilité que nous trouvions une solution mitoyenne, qui expose moins les gens à des risques de poursuites. Je n'ai pas la même confiance que vous dans le système judiciaire, à cause du travail que j'ai fait. J'ai vu beaucoup d'injustices.
Le sénateur Hervieux-Payette : Vous avez droit à votre opinion. Il est bien connu que nous n'avons pas vous et moi les mêmes idées sur le système judiciaire. Quand j'observe notre système, je ne peux que nous en féliciter. En général, je suis très fière du système judiciaire canadien. Il peut y avoir des cas particuliers, mais pas des millions. Nous parlons d'une population de cinq à sept millions d'enfants, au Canada. Vous parlez de millions de parents.
Je dis qu'avec un programme de sensibilisation, avec la diffusion d'informations adéquates et avec le délai d'un an prévu pour l'abrogation de l'article 43, nous disposons du temps qu'il faut pour expliquer aux gens ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas, ce qui est permis et ce qui ne l'est pas. Voilà pourquoi il est avantageux, selon moi, de mettre en œuvre ce projet de loi. Certaines mesures doivent tout simplement être appliquées.
Je sais que le ministère n'appuie pas particulièrement ce projet de loi. En effet, ce sont les parents qui votent et non les enfants. Pour ma part, j'estime qu'il est de mon devoir de défendre les droits de ceux que le système n'écoute pas.
Le sénateur Cools : Il y a un aspect de ce débat qui me dérange quelque peu : on revient toujours sur la question de savoir qui sont les intervenants qui défendent la cause des enfants par opposition à ceux qui ne se préoccupent pas du sort des enfants. Sauf votre respect, sénateur, je ne crois pas que vous vous souciez davantage du bien-être des enfants que je ne m'en soucie. Il ne s'agit pas ici de déterminer qui se préoccupe des intérêts des enfants et qui ne s'en préoccupe pas. Il faut trouver la solution qui favorise le meilleur traitement possible des enfants. Je soutiens que ce projet de loi n'aidera pas à faire avancer la situation des enfants. Votre proposition ne réduira pas la maltraitance grave, ce qui est le terme approprié pour désigner la violence faite aux enfants. Le projet de loi ne permettra pas de rejoindre ces personnes.
Le sénateur Hervieux-Payette : Je soutiens que les données proviennent de pays qui ont pris ces mesures avant nous, et les chiffres montrent une importante diminution qui concerne même le placement des enfants qui sont retirés de leur famille. Cela signifie que les interventions précoces et la sensibilisation rendent service à la société dans son ensemble, et pas seulement aux enfants mais également aux parents et à la collectivité.
En ce qui me concerne, je ne me range pas du côté des enfants. Je veux seulement m'exprimer ici et dire que les enfants n'ont pas voix au chapitre dans notre système. Ils ne font pas partie de l'électorat. Ils ne pèseront pas lourd dans la balance lors de la prochaine élection. En vertu de notre mandat, nous devons prendre la parole au nom de nos futurs citoyens. Si nous voulons les respecter et respecter l'intégrité de leur personne, alors il faut cesser d'offrir ce moyen de défense car il n'a jamais été établi que le droit qu'ont les parents à se défendre en affirmant donner la fessée à leurs enfants pour les éduquer produisait de bons résultats sur le plan de la discipline. Il n'a jamais été prouvé que ce système donnait des résultats satisfaisants, au contraire. Toutes les études tirent des conclusions opposées selon lesquelles les enfants souffrent. Ainsi, le système prévu par l'article 43 permet d'infliger des dommages permanents aux enfants.
Je ne connais pas les chiffres pour tout le Canada, mais les données indiquent que le taux de suicide est élevé au Québec. Comme vous le savez probablement grâce à votre expérience dans ce domaine, les personnes suicidaires estiment n'avoir aucun but dans la vie. Or, les enfants qui sont régulièrement frappés par les personnes qui doivent les aimer et s'occuper d'eux ont une très faible estime d'eux-mêmes. Ce sont les motifs qui m'animent comme avocate, comme mère et comme grand-mère.
Le sénateur Cools : Nous pensons tous que vous n'avez pas à insister sur les cas de maltraitance excessive. Nous sommes tous d'accord sur ce point.
J'essaie plutôt d'attirer votre attention sur les conséquences juridiques qu'aura l'abrogation de l'article 43 pour le reste des parents qui ne maltraitent pas excessivement leurs enfants. J'ai même contribué à l'arrestation d'enfants pour leur sauver la vie. J'ai beaucoup d'expérience et je sais à quel point cela peut être difficile. Parfois, quelques minutes après avoir été appréhendé, un enfant est retourné dans le même contexte alors qu'on avait travaillé d'arrache-pied pour l'en extraire.
Par conséquent, je ne vous demande pas de mettre l'accent sur les idéaux que vous entretenez au sujet de l'éducation des enfants, mais plutôt de songer aux conséquences réelles sur le plan juridique pour la majorité des parents qui ne font pas souffrir leurs enfants et qui ne se livrent pas à des violences ou à une maltraitance excessive. L'infanticide concerne un groupe et la violence faite aux enfants concerne un autre groupe.
Je ne suis pas prête à donner à quelque groupe de procureurs de la Couronne que ce soit la possibilité d'intenter des poursuites au criminel contre la majorité des parents qui peuvent frapper un enfant sans mauvaise intention. C'est ce qui me préoccupe. J'espère que je m'exprime clairement. J'ai beaucoup d'expérience dans ce domaine.
Vous avez parlé d'interventions précoces. J'ai travaillé auprès de nombreuses familles et de nombreux parents dans le cadre d'interventions, permettant ainsi de changer de nombreuses vies. Si cet article était abrogé, ces personnes pourraient faire face à des accusations criminelles au lieu de faire l'objet du type d'interventions auxquelles j'ai pu contribuer. Par conséquent, je vous demande d'envisager cette situation, c'est-à-dire les conséquences qu'aurait l'abrogation de cet article pour de nombreuses personnes.
[Français]
Le sénateur Joyal : Revenons à la question du point de vue strictement juridique. La Cour suprême, dans sa décision de janvier 2004, dans l'affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law, n'a pas jugé que l'article 43, comme elle l'interprétait, contrevenait à la Charte canadienne des droits et des libertés ou aux autres obligations internationales du Canada. Je n'ai pas lu les procédures. Je ne sais pas si la Canadian Foundation for Children, Youth and the Law a fait l'argument de la Convention internationale des droits de l'enfant que le Canada a ratifié, pour lequel il est responsable face aux agences correspondantes des Nations Unies. Je ne sais pas si la convention avait été alléguée également devant la Cour suprême. Je présume que oui puisque la Canadian Foundation for Children, Youth and the Law est certainement au courant de la convention internationale, donc des obligations du Canada.
Dans un premier temps, la Cour suprême n'a pas jugé que l'article 43 contrevenait à la Charte. Il est évident que si une majorité des juges était arrivée à cette conclusion, le gouvernement aurait probablement présenté un amendement au Code criminel dans l'année correspondante ou dans les mois correspondants et nous ferions un argument aujourd'hui exclusivement en matière de droits fondamentaux des enfants.
Nous n'avons pas cet argument de base pour expliquer le retrait ou l'abolition de l'article 43. La Cour, comme je lis l'interprétation qui est donnée du jugement, l'opinion majoritaire d'au moins six juges — je reviendrai sur les autres dissidents — la Cour a quand même défini l'expression « raisonnable » dans les circonstances. Dans votre présentation vous mentionnez que le terme « raisonnable » était tout à fait vague et qu'en pratique, nous ne savons pas à quoi cela correspond. Si je comprends bien, la Cour a voulu dire que la force doit être légère, avoir un effet transitoire, limité. Elle ne doit pas avoir un effet dégradant ou préjudiciable pour l'enfant ni être basée sur la gravité du comportement en soi, que l'emploi de la force ne doit pas s'exercer contre des adolescents, et cetera. La Cour a balisé énormément le terme « raisonnable » plus que nous le retrouvons dans plusieurs autres lois. Je fais simplement le parallèle avec la loi antiterroriste que nous révisons dans un autre comité où nous retrouvons le terme «raisonnable» dans plusieurs circonstances. C'est un concept qui, comme on dit en anglais, « pervasive » qu'on retrouve partout dans plusieurs dispositions statutaires canadiennes. Je pourrais composer le mot « raisonnable » dans toutes les lois du Canada et j'aurais trois piles de lois où le terme est utilisé. Nous ne pouvons pas soutenir que nous ne savons pas ce que veux dire en soi le terme « raisonnable ». La Cour a considérablement balisé le « raisonnable » dans les circonstances.
Elle dit très bien « raisonnable dans les circonstances » et elle a défini ce qu'étaient les éléments essentiels. Si nous laissons l'objectif en termes juridiques, nous ne devrions pas tenter d'amender l'article 43 pour limiter précisément l'exercice de la force dans le contexte très limité à l'intérieur duquel la cour l'a reconnu?
Je constate que même le juge Binnie, un juge dissident, reconnaissait que l'article 43 était acceptable eut égard aux limites de l'article 1 de la Charte, tout ce qui est acceptable dans une société libre et démocratique. Comme il l'a dit lui- même «raisonnable dans le cadre d'une société libre et démocratique ».
[Traduction]
Ce terme se retrouve même dans l'article premier de la Charte canadienne.
[Français]
Je me demande si, en fait, une des façons d'aborder laquestion juridique ne serait pas de définir des paramètres dans l'article 43 qui exprimeraient les limites que la Cour suprême a elle-même définies il y a moins d'un an.
Le sénateur Hervieux-Payette : Si j'admettais le concept comme étant un mode de défense pour les parents qui veulent éduquer leurs enfants et que cela provoquait effectivement cette conséquence, donc un outil pour les parents dans l'éducation de leurs enfants, je pourrais souscrire à une définition plus précise.
Sauf qu'il n'y a aucun expert en sciences humaines qui accepte le concept de punition corporelle comme étant un moyen d'éducation.
Tous les experts ou la majorité d'entre eux vont vous dire que cela a des effets négatifs. Ce n'était certainement pas le rôle des juges de la Cour suprême d'invalider la loi si elle correspondait à l'application générale. J'ai aussi lu le jugement. Mais quand je vous ai donné tantôt l'exemple du juge Arbour qui préside un tribunal international, c'est le juge Arbour qui a une expérience d'une envergure assez extraordinaire, qui dit que ce concept de « raisonnable » — et vous venez vous-même de le dire — c'est un concept tellement élastique qu'on l'emploie partout dans toutes nos lois.
Il faudrait qu'au départ j'achète l'idée que, dans l'éducation, un des outils est la punition corporelle. Il n'y a pas de spécialistes qui vont vous dire que c'est un moyen éducatif qui apporte de bons résultats.
L'étude de Statistique Canada démontre que dès qu'on frappe les enfants et qu'on donne des punitions corporelles, on obtient des effets négatifs. Les enfants deviennent plus agressifs. Mais dès qu'on change le comportement des parents, les enfants changent aussi leur comportement.
On parle d'une mesure qui, dès sa mise en application, si elle est répétée à la grandeur du pays, peut changer le climat des relations entre les individus et changer les modèles d'une génération à l'autre. Autrement dit, on abandonne cet effet de cascade qui fait que, d'une génération à l'autre, on a été frappé, on va frapper et on va continuer à frapper.
Pour la société en général, le taux d'agressivité en serait réduit et on améliorerait également la santé mentale. Je n'ai pas à vous dire que ce comité a étudié le dossier de la santé mentale. C'est dramatique. Je suis extrêmement inquiète par cette situation. Il y a une bonne partie de la santé mentale qui vient du comportement et du traitement des enfants.
Si on est logique avec le comité d'étude sur la santé mentale et toutes les mesures qu'il faut mettre en place, je pense que de traiter les enfants correctement, comme les spécialistes nous le recommandent, et de cesser les punitions corporelles, est la chose à faire. Raisonnable ou pas raisonnable; je vous dis tout simplement que cette mesure n'est pas envisagée et ne peut être un moyen de défense pour les parents.
Le sénateur Joyal : Vous dites donc, que même si sur le plan juridique il y avait des balises pour déterminer de manière très précise dans quelles circonstances l'usage d'une force serait possible et pourrait être utilisés, l'usage de la force sur un enfant pour le corriger, l'amener à rajuster son comportement ou à concevoir ce qu'est l'autorité est à proscrire pour vous de façon absolue?
Le sénateur Hervieux-Payette : Le châtiment corporel a des origines historiques lointaines dans l'histoire et a fait aussi l'objet de concepts religieux, et cetera. Aujourd'hui, l'état des sciences humaines fait que le châtiment corporel ne produit aucun bénéfice pour l'enfant et, au contraire, a des résultats extrêmement négatifs pour une bonne partie de ces enfants.
Si après six ans de correction et de punition corporelle, les enfants sont à 83 p. 100 violents et agressifs, et je parle d'une étude scientifique faite par Statistique Canada dans des conditions idéales d'études de cas avec un échantillon de 2000 en février 2005...
Le sénateur Joyal : Est-ce qu'il ne faut pas faire une différence entre le fait de soumettre un enfant à une force continue, répétée et prolongée, comme vous dites pendant six ans de temps, et le fait pour un enfant, à un moment donné, de recevoir une tape de son père ou de sa mère?
J'ai beaucoup de difficulté à faire des nuances dans la compréhension qu'il est certain — et je ne suis pas un spécialiste de l'éducation des enfants, au contraire. Ce n'est pas un domaine, malheureusement, où j'ai développé quelque connaissance professionnelle que ce soit, et je ne prétends pas non plus que mes conclusions soient plus valables que celles des autres.
J'ai toutefois beaucoup de difficulté à comprendre que lorsqu'un enfant en bas âge n'écoute pas ses parents et qu'il reçoive une tape, cela ne le ressaisira pas et qu'il ne réalisera pas qu'il y a devant lui une autorité et un comportement qu'il faut adopter.
Ce n'est pas la même chose que si cet enfant est battu trois fois par jour, sept jours par semaine, douze mois par année pendant six ans. Là, je peux comprendre qu'on aurait produit quelqu'un qui devient agressif parce que constamment agressé.
J'ai eu des taloches lorsque j'étais jeune, j'ai eu des coups de règle sur les doigts et j'ai eu la « strappe ». Je ne suis pas devenu violent pour autant et je ne suis pas méchant. J'apprécie tous mes éducateurs, et surtout ceux qui m'ont donné la correction au bon moment. Mes parents n'étaient pas des brutes. Mes frères et sœurs ont été élevés comme moi et nous sommes tous des citoyens qui tentons de respecter les lois. Ce n'est pas la même chose, je pense.
Je suis d'accord avec vous; il y a des parents qui ont des comportements violents et des problèmes émotifs. Il y a aussi des enfants qui ont des problèmes émotifs et à qui il faille donner du Ritalin. Mais quand je vois combien de Ritalin on donne dans les écoles primaires, je me demande si ce ne serait pas mieux de leur donner une petite tape de temps en temps. Cela les corrigerait peut-être plus que de les bourrer de pilules comme on le fait dans certains endroits actuellement.
Il est certain qu'un enfant ait besoin d'être redressé à un moment donné. Entre recevoir une tape et être attaché à une chaise pendant deux heures, je ne sais pas ce qui est le plus nocif. C'est là où il faut faire une distinction.
Je veux supporter toutes les lois qui vont réprimer les parents violents et les lois qui vont restreindre l'usage répété de la force contre les enfants. Je suis tout à fait d'accord avec cela et cela m'apparaît tout à fait tomber sous le sens.
Mais qu'on n'ait pas, dans l'éducation d'un enfant, la capacité de lui dire à un moment donné que là, s'il ne s'assoit pas, il va en avoir une tape. L'homme est un animal raisonnable, mais il y a une période où il faut qu'il apprenne à être raisonnable. Apprendre à être raisonnable, c'est apprendre qu'il y a des comportements que l'on doit avoir à certaines occasions et ne pas avoir dans d'autres. On ne naît pas avec cela et les parents sont là pour nous le faire comprendre.
J'essaie d'être le plus ouvert possible sur votre projet de loi, mais j'essaie aussi de voir la réalité pratique comme on l'a vécue et comme d'autres la vivent. Concernant l'article 43, je suis peut-être d'accord avec vous, peut-être que le libellé de l'article 43 estpeut-être élastique et trop vaste, peut-être qu'il couvre trop de choses et peut-être qu'il y a lieu de le restreindre à certaines circonstances. Je suis tout à fait ouvert à cela.
La Cour suprême l'a bien dit, c'est une question de politique et non pas une question de droit. La question de droit, elle est réglée. La Cour suprême l'a réglée; corriger un enfant avec une force raisonnable, dans des circonstances limitées, avec un impact contrôlé, et cetera. C'est légal dans le contexte des droits fondamentaux au Canada.
Nous sommes dans une question de politique d'éducation des enfants. Il faut faire les nuances nécessaires à l'égard de l'usage de la force, entre guillemets, appliquée à l'éducation dans un contexte déterminé.
C'est ce que j'essaie de comprendre par rapport à ce que vous exprimez, et Dieu merci vous avez une expérience dans ce domaine pour essayer de nous le faire comprendre. Je suis certain que je ne suis pas le seul à réagir de cette manière. Si la Cour suprême a réagi de manière aussi raisonnable dans les circonstances, j'imagine qu'il doit y avoir une façon d'aborder la question, peut-être sur une base transitoire.
Comme vous dites, ce peut être une question culturelle, de comportement social ou historique. On faisait des choses antérieurement qu'on ne fait plus maintenant. Il n'existe pas de recettes miracles. Quand on enlève l'usage de la force, cela créé d'autres problèmes. Pour toutes sortes de raisons, l'autorité dans les écoles n'est pas aussi respectée qu'auparavant. On s'adresse aux professeurs de façon cavalière. Il faut trouver d'autres formes de punition. La punition est, à mon avis, un élément indissociable de l'éducation des enfants. Il s'agit de savoir sous quelle forme on conçoit la punition en éducation. Il ne faut pas le faire à titre de vengeance, avec brutalité ou sans respect à l'égard de l'intégrité tant morale que physique de l'individu. Il faut essayer de voir dans quel contexte on conçoit aujourd'hui ce domaine en vertu de l'article 43.
Le sénateur Hervieux-Payette : Il est probable que la majorité des gens de notre génération tiendrait les mêmes propos que les vôtres. À l'époque, je ne crois pas que nos parents etgrands-parents aient beaucoup adhéré aux grandes écoles de psychologie moderne. Ils faisaient ce qui leur semblait juste et appliquaient ce qu'ils connaissaient. Il en va de même pour les enseignants et les religieux qui administraient des sanctions corporelles.
Dans le petit dépliant du ministère de la Justice qui fut préparé par des spécialistes, on dit que la fessée n'est pas une forme de discipline efficace, même si certaines personnes peuvent penser le contraire. Elle peut engendrer la colère, le ressentiment et miner la confiance des enfants envers leurs parents. La fessée enseigne qu'il est acceptable de frapper les autres. Voilà un peu où se situe le problème majeur. Une fois qu'on a frappé des enfants, il est difficile de leur dire qu'ils ne peuvent pas frapper leur petit frère, leur petite sœur ou les petits voisins, car les parents, ces personnes qui doivent montrer l'exemple, utilisent la violence.
Je ne suis pas ici à titre de spécialiste dans le domaine du comportement de l'enfant. Toutefois, ayant travaillé sur ce projet, je suis sans doute mieux renseignée sur le sujet. Comme présidente de commission scolaire, j'ai travaillé à l'élaboration de plusieurs programmes et mesures pour éviter que les enfants se trouvent dans des circonstances où leur santé mentale et physique est en danger. On parle d'enfants âgés entre 3 et 6 ans qui veulent toucher à tout. Ce n'est pas en les frappant qu'on va leur apprendre les choses de la vie, car cette méthode n'est pas reconnue comme ayant des résultats positifs. Il existe de meilleures méthodes.
Chez 10, 20 ou 30 p. 100 de la population, soit plusieurs centaines de milliers d'enfants, cette approche mène à des traumatismes qui durent pour la vie. Nous ne nous arrêterons pas sur les cas qui n'ont pas eu de conséquences, car effectivement ils représentent une majorité des gens de d'autres générations. Toutefois, les gens qui souffrent de maladies mentales et qui doivent subir des traitements sont connus des spécialistes. N'étant pas spécialiste dans ce domaine, je ne connais pas les détails de ces cas. Tout ce que je sais c'est que les enfants apprennent plus facilement lorsqu'on favorise les facteurs positifs à leur égard. Les récompenses, les félicitations et les signes d'encouragement donnent des résultats positifs lorsqu'on s'adresse aux enfants.
Mon expérience se limite à mes trois filles et six petits-enfants. Quand on parle de gestes d'impatience dans un état de panique, il faut faire attention. Lorsque vous avez trois enfants en l'espace de quatre ans, la maison devient vite une foire. Un simple geste d'impatience ne risque pas d'encourir des conséquences devant les tribunaux. La fessée implique un motif qui est précisé dans la loi. Elle vise à corriger l'enfant dans un but éducatif. Elle se fait de façon répétitive et à froid. Un geste d'impatience qui mène à donner une tape à un enfant alors que c'est la foire n'impliquera pas des conséquences légales.
J'ai plus confiance en nos tribunaux que le sénateur Cools qui croit que tous les gens vont loger des plaintes et qu'on va se retrouver devant les tribunaux. Ce phénomène ne s'est pas produit dans les quelques dix pays où on a mis cette disposition en vigueur.
Le Canada, à l'heure actuelle, fait mauvaise mine d'avoir ratifié une convention qu'il ne met pas en application. À deux reprises, les Nations Unis ont dû nous rappeler à l'ordre comme ne respectant pas notre engagement.
Lorsque vous dites qu'il faudrait examiner comment ont pourrait limiter les implications, je vous dis que cet examen n'est pas nécessaire. Il faut toujours une intention pour commettre un acte criminel. Le fait de poser un geste d'impatience, limité dans le temps et dans une circonstance exceptionnelle, est une chose. Or, comme moyen d'éducation, les parents semblent utiliser ce recours de façon répétitive : systématiquement, lorsqu'on fait un mauvais coup, on tape. Ce geste ne produit pas les résultats attendus et engendre chez nombre d'individus, soit 83 p. 100 des enfants, un comportement plus agressif. Ces enfants vont grandir avec cette agressivité et les conséquences de dépressions, de suicide, de délinquance et de décrochage.
Je vous soumets respectueusement le résultat des études que j'ai pu recueillir. Je ne suis pas spécialiste en la matière, mais je crois que cette preuve est suffisante pour dire que cet article n'a plus sa place. Si nous vivions en 1892, peut-être que notre état du droit et que nos connaissances du comportement humain justifieraient une telle attitude. Toutefois, nous sommes en 2005 et nous avons évolué sur le plan scientifique. Il faut donner aux enfants la chance qu'ils méritent.
J'ai cité un jugement de la Cour de la Colombie-Britannique où le juge a dit au parent qui avait frappé un enfant d'aller écrire un article contre le fait de frapper un enfant et d'aller faire de petits discours dans la communauté à l'effet que cette pratique n'est pas d'usage au Canada. Il s'agissait d'une petite communauté ethnique et le parent dût se rapporter régulièrement aux instances pour faire le suivi. Tels furent les conséquences de son geste tout à fait répréhensible d'avoir frappé un enfant plusde 300 fois. Voilà une autre preuve que si on met sur pied un programme de formation, les tribunaux iront dans le sens de mesures et d'une procédure à suivre en cas d'infraction, ce qui fera en sorte qu'on ne sera pas inondés de plaintes devant les tribunaux.
[Traduction]
Le sénateur Milne : Je souhaite que soit consigné au compte-rendu le fait que 17 des États membres du Conseil de l'Europe ont interdit toute forme de châtiments corporels, comme Israël l'a fait. En Italie et au Portugal, des tribunaux ont déclaré illégal le châtiment corporel administré par des parents. Au Royaume-Uni, des mesures ont été adoptées dans ce sens sans aller jusqu'à l'interdiction totale.
La présidente : Sénateur Hervieux-Payette, je tiens à vous signaler qu'une représentante du ministère de la Justice, Mme Morency, comparaîtra à nouveau devant notre comité pour traiter de ces questions. Je suis désolée qu'il n'y ait pas eu un plus grand nombre de sénateurs présents à la réunion pour vous entendre. Nous allons vous demander de revenir. Nous modifierons notre liste de témoins afin que vous comparaissiez à nouveau la semaine prochaine. Je vous remercie d'avoir accepté de revenir nous rencontrer.
[Français]
Le sénateur Joyal : Avant que nous ajournions, j'aimerais faire une requête. Madame Morency est dans la salle. Est- ce qu'elle pourrait vérifier si, lorsque la décision de la Cour suprême dans l'affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law a été rendue, la Convention internationale de protection des droits de l'enfant a été alléguée par la partie demanderesse; et comment la Cour suprême a interprété l'obligation du Canada à l'égard de la convention? Puisque nous avons discuté de cet aspect de l'arrêt, notamment avec les interventions du sénateur Pearson et du sénateur Hervieux-Payette, il serait important que nous soyons informés sur la façon dont la Cour suprême a interprété les obligations du Canada à l'égard de la convention internationale. Comme madame le sénateur Milne l'a suggéré, il semble que d'autres États s'y soient conformés. Dans quel contexte la Cour suprême a-t-elle jugé que le Canada n'avait pas l'obligation de se conformer, de sorte à devoir retirer l'article 43?
La séance est levée.