Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 14 - Témoignages du 2 juin 2005
OTTAWA, jeudi le 2 juin 2005
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été déféré le projet de loi S-21, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants), se réunit aujourd'hui, à 10 h 52, pour l'étude du projet de loi.
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, nous continuons l'étude du projet de loi S-21, Loi modifiant le Code criminel, protection des enfants. Nous sommes heureux d'accueillir M. Peter Newell, coordonnateur adjoint de la Global Initiative to End All Corporal Punishment of Children. M. Newell vient tout juste d'arriver au Canada depuis le Royaume-Uni. Soyez le bienvenu au Canada et soyez le bienvenu devant notre comité. Nous sommes heureux de vous accueillir. Nous allons d'abord entendre ce que vous avez à dire et ensuite, nous vous poserons des questions.
M. Peter Newell, coordonnateur adjoint, Global Initiative to End All Corporal Punishment of Children : Honorables sénateurs, je crois que vous avez déjà mon mémoire entre les mains, alors j'aimerais parler de manière générale pendant environ 10 minutes au sujet du contexte. À mon avis, la résistance du gouvernement canadien à abroger entièrement l'article 43 semble une anomalie assez étrange compte tenu de la réputation mondiale du Canada comme pays à l'avant-garde absolue de la promotion des droits de la personne et des droits humains des enfants.
L'interdiction des châtiments corporels est une question importante et symbolique pour les enfants. Ce n'est pas tant une question de protection des enfants comme une question qui concerne la façon dont nous considérons les enfants et leur statut dans nos sociétés. Il n'y a pas de meilleur symbole du refus continu de considérer les enfants comme des personnes à part entière jouissant de tous les droits de la personne que la façon dont les adultes et les gouvernement s'accrochent encore au pouvoir de frapper et d'humilier délibérément les enfants comme une forme de discipline ou de correction. Ce n'est pas une question banale non plus. Maintenant que nous posons la question aux enfants eux-mêmes dans de nombreux pays, nous commençons à entendre combien il est douloureux, et pas uniquement au sens physique, pour les enfants de se faire frapper par les personnes qu'ils aiment et qu'ils respectent, leurs parents.
Nous avons publié un rapport de recherche au Royaume-Uni sur les enfants âgés de cinq à sept ans, des enfants très jeunes, qui sont probablement les principales cibles des châtiments corporels et ce rapport était intitulé « It Hurts Us Inside ». Un grand nombre d'enfants parlaient non pas de la douleur physique, mais de la douleur réelle qu'ils ressentaient à l'intérieur d'eux-mêmes.
Ce n'est pas une question compliquée. J'ai le sentiment que, trop souvent, le châtiment corporel est perçu comme une forme spéciale de violence et que le fait de chercher à l'éliminer estperçu comme si on cherchait à obtenir une protection spéciale pour les enfants, mais en vérité, lorsqu'on demande d'abroger l'article 43 et les moyens de défense semblables dans d'autres pays, nous demandons simplement que les enfants jouissent de la même protection contre les voies de fait que nous tous avons et tenons pour acquise.
La difficulté dans cette question, et nous devons reconnaître qu'elle est toujours controversée dans de nombreux pays, vient de la dimension personnelle. La plupart d'entre nous on été frappés lorsque nous étions enfants. La plupart des parents ont frappé leurs propres enfants. Évidemment, nous n'aimons pas penser du mal de nos parents ou de notre propre rôle en tant que parents et cela fait en sorte qu'il est beaucoup plus difficile de passer outre et de voir cette question comme une question fondamentale d'égalité et de droits de la personne.
Les données accablantes provenant des sciences sociales sur les préjudices potentiels liés aux châtiments corporels — et j'espère que parmi vos témoins vous aurez des gens issus des sciences sociales — s'ajoutent à la question des droits de la personne pour justifier leur interdiction. Parfois, je crains que les débats au sujet de cette recherche nous écartent de la question fondamentale, parce que vraiment, nous ne pouvons imaginer maintenant des travaux de recherche ou des débats sur les préjudices causés lorsqu'on frappe une femme ou lorsqu'on frappe un parent âgé, confus. Il est inimaginable que l'on puisse avoir un débat pour déterminer à quel âge les femmes ou les personnes âgées peuvent être frappées légalement, sur quelle partie de leur anatomie et avec quel instrument. Nous avons dépassé cela.
Certaines personnes seraient d'accord pour dire que les enfants sont différents et, évidemment, ils sont assez différents, mais aucune de leurs différences — leur taille plus petite, leur fragilité et leur état de développement, leur dépendance à l'égard des adultes et les difficultés particulières qu'ils ont à assurer leur protection — ne justifient qu'ils aient moins de protection contre les voies de fait.
Si le moyen de défense est éliminé et que l'on accorde aux enfants une protection égale contre les voies de fait, il semble y avoir deux craintes principales. La première, c'est que cela mènera à des poursuites contre des millions de parents qui ont recours à l'heure actuelle au châtiment corporel. Faire disparaître ce moyen de défense accorde effectivement des droits égaux aux enfants en ce qui a trait à leur dignité humaine et à leur intégrité physique. C'est le but recherché par l'élimination de ce moyen de défense. Toutes voies de fait à l'endroit d'un enfant infligées à titre de correction qui seraient considérées comme criminelles si elles étaient infligées à un adulte deviennent une infraction pénale. Cependant, l'élimination de ce moyen de défense, l'article 43, ne signifie pas, évidemment, qu'il y aura des poursuites automatiques ou des interventions formelles automatiques. Les voies de fait banales entre adultes ne font pas l'objet de poursuites devant les tribunaux. Le pouvoir discrétionnaire de poursuivre existe en droit. Il y a la règle des minimis qui veut que la loi ne s'occupe pas de peccadilles.
L'état de dépendance des enfants doit être pris en compte lorsque l'on considère si l'on doit poursuivre les parents, parce que poursuivre les parents est rarement dans l'intérêt supérieur des enfants, à moins que cela semble la seule façon d'assurer une protection contre des préjudices importants. Dans mon pays et dans le vôtre, il y a des critères clairs qui doivent s'appliquer avant qu'une poursuite puisse être intentée. Il doit y avoir une preuve suffisante qui rend la condamnation vraisemblable et la poursuite doit être dans l'intérêt public. Manifestement, il n'est pas dans l'intérêt public de poursuivre des parents pour avoir donné des petites tapes à leurs enfants.
Le droit criminel n'existe pas uniquement pour poursuivre et punir les gens et nous devons mettre l'accent sur la valeur éducative de la loi. Il y a la perception que les poursuites sont toujours le reflet de l'échec de la loi et du système de protection des enfants.
Cependant, si c'est là notre argument, certains opposants à la protection égale diront à quoi bon avoir une loi si elle n'est pas appliquée? Si vous abrogez l'article 43, la loi sera tout aussi applicable que la loi qui interdit les voies de fait entre adultes, mais les systèmes de police et de poursuite judiciaire ne sont pas complètement sans contrôle dans ce pays ou dans le mien.
Il peut y avoir des directives claires mettant en évidence le statut particulier des enfants. On ne devrait recourir aux poursuites ou à d'autres interventions formelles que lorsqu'elles sont jugées nécessaires pour protéger l'enfant contre un préjudice important et qu'elles sont dans l'intérêt supérieur de l'enfant ou des enfants concernés. Je ne connais pas les détails du fonctionnement des services sociaux au Canada, et je suis certain que vous allez entendre d'autres témoins sur cette question, mais je peux vous dire qu'au Royaume-Uni, où notre loi n'est pas encore appropriée, il y a des directives claires voulant que lorsqu'un signalement est fait à la police concernant quelque chose qui semble être relativement banal, cette dernière communique immédiatement avec les services sociaux. Les services sociaux prennent alors une décision quant à savoir s'il est nécessaire de faire une enquête plus poussée parce qu'il pourrait y avoir un risque de préjudice important ou s'il faut simplement prendre note de l'incident. Ces choses ne sont pas sans contrôle et il est peu probable qu'on assiste à des poursuites contre des millions de parents. Cela n'est pas arrivé dans un assez grand nombre de pays où ce moyen de défense n'existe pas.
Lorsque nous essayons de changer les attitudes et les façons de faire dans la sphère privée de la famille, nous avons besoin que la loi envoie un message particulièrement clair. Dans ce cas, le message, c'est qu'il est aussi illégal et aussi mal de frapper un enfant que de frapper n'importe qui d'autre. C'est la seule façon de respecter les droits humains des enfants et c'est également le seul fondement sûr pour assurer la protection des enfants et la promotion de formes de discipline positives et non violentes.
À l'heure actuelle, les tentatives louables du gouvernement canadien pour éduquer les parents et les amener à renoncer au châtiment corporel sont complètement minées par le message confus transmis par l'article 43 et le jugement de la Cour suprême.
L'autre inquiétude exprimée par les opposants à la réforme, c'est que si nous éliminons ce moyen de défense, les parents ne seront pas en mesure d'assurer la sécurité de leurs enfants. Tous les parents savent que nous devons recourir à des gestes physiques pour assurer la sécurité des enfants, surtout des très jeunes enfants. Nous devons les saisir, les soulever et ainsi de suite. C'est très différent d'utiliser un certain degré de violence pour infliger de la douleur ou de l'inconfort dans le but de punir. Nous sommes capables de faire la distinction lorsque cela nous concerne. Pourquoi alors devrait-il être difficile de comprendre cela dans le cas des enfants?
Si ce sont des inquiétudes réelles, la loi pourrait rassurer en confirmant dans les lois le droit des parents de protéger leurs enfants physiquement, tout comme au Royaume-Uni, où nous avons aboli complètement le châtiment corporel à l'école, la loi protège le droit des enseignants et des enseignantes de maîtriser des élèves dans certaines circonstances. Du point de vue juridique, il n'est pas nécessaire d'avoir cette assurance.
Ce sont des arguments de diversion. Ils constituent l'ultime tentative des adultes pour préserver le statut d'infériorité des enfants, tout comme la décision rendue majoritairement par la Cour suprême était une défense ultime de l'indéfendable, toujours plus proche de la protection égale, sans toutefois y arriver complètement.
Mon mémoire explique en détail le consensus en matière de droits de la personne qui exige cette réforme. Il y a une jurisprudence uniforme du Comité des droits de l'enfant, y compris ses observations et ses recommandations fermes au Canada. Il a fait des recommandations semblables à plus de 130 États sur tous les continents et il en a également été question dans son premier commentaire général et dans les conclusions des journées de discussion générale. Comme je l'ai noté dans mon mémoire, cette mesure a également été reprise par d'autres organes de suivi des traités sur les droits de la personne.
En Europe, nous faisons des progrès particulièrement rapides. Cette situation est attribuable aux solides mécanismes de défense des droits de la personne que nous avons à Strasbourg, au Conseil de l'Europe, à la Cour européenne des droits de l'homme et au Comité européen des droits sociaux qui supervise les droits sociaux et économiques en vertu de la Charte sociale européenne. Ce comité a conclu, comme le Comité des droits de l'enfant, que la conformité avec la Charte sociale européenne exigeait l'interdiction complète de toute forme de châtiment corporel ou de traitement dégradant des enfants.
Nous faisons vraiment des progrès très rapides. Bientôt, il y aura 20 pays où il n'y a pas de moyen de défense et, dans certains cas, une interdiction explicite du châtiment corporel. Plus de 50 millions d'enfants vivent maintenant dans des pays où on leur accorde une protection égale contre les voies de fait et le ciel ne s'est pas effondré sur ces pays.
Il est important de souligner que les gens pensent souvent que les réformes en Europe ont commencé par l'interdiction explicite de toute forme de châtiment corporel imposée par la Suèdedans son code de la condition parentale en 1979, mais en fait, les réformes juridiques en Suède ont débuté il y a près d'undemi-siècle, en 1957, par l'élimination dans le Code pénal suédois d'un moyen de défense assez semblable à celui que l'on retrouve dans l'article 43. Ce moyen de défense excusait les parents qui causaient des blessures mineures à leur enfant, en lui infligeant un châtiment corporel. D'autres pays européens ont également supprimé les moyens de défense et sont passé au stade suivant en adoptant une interdiction explicite du châtiment corporel dans leurs codes respectifs régissant la famille.
La question du châtiment corporel jouit d'une visibilité croissante à l'échelle du globe. Au fur et à mesure qu'il devient plus visible, le châtiment corporel est vu comme inacceptable et ainsi, on enregistre des progrès de plus en plus rapides dans la réforme du droit sur tous les continents.
J'ai assisté aux neuf consultations régionales qui ont eu lieu dans le cadre de l'étude actuelle du secrétaire général des Nations Unies sur la violence contre les enfants. Dans les consultations qui ont eu lieu dans les Caraïbes, dans le sud de l'Asie et, hier, à Buenos Aires pour l'Amérique latine, des recommandations claires ont été adoptées par des participants gouvernementaux et non gouvernementaux concernant l'interdiction de toute forme de châtiment corporel, y compris en milieu familial.
Manifestement, le Canada devrait être à l'avant-garde de ce mouvement visant à affirmer les droits fondamentaux des enfants en ce qui a trait à leur dignité humaine, à leur intégrité physique et à la protection égale pour tous en vertu de la loi. J'espère fortement que le comité donnera son appui au projet de loi qui est devant lui.
La présidente : En 2004, le Comité mixte des droits de la personne du Parlement britannique a dit :
À la lumière de ce qui précède, nous ne considérons pas qu'il y a place au pouvoir discrétionnaire quant au moyen d'application de l'article 19 du CDE, tel qu'il est interprété par le Comité des droits de l'enfant : il exige la suppression complète du moyen de défense basé sur la notion de punition raisonnable.
Me reportant à la page 11 de votre mémoire, au paragraphe numéro 51, je crois comprendre que le Parlement britannique a adopté la Children's Act 2004. Cette loi permet que le moyen de défense fondé sur la notion de châtiment raisonnable soit invoqué dans le cas des accusations de voies de fait simples. Il s'agit d'une suppression partielle du moyen de défense. Il me semble que le premier choix du comité parlementaire britannique était la suppression totale du moyen de défense dans le but d'assurer un degré plus grand de certitude juridique. J'aimerais entendre ce que vous avez à dire au sujet de la suppression partielle assurée par cette loi du Royaume-Uni.
M. Newell : Ce fut une grande déception pour nous, tout comme pour le Comité mixte des droits de la personne. Soit dit entre parenthèses que le fait que nous avions des élections peu de temps après a eu quelque chose à voir avec le fait que le gouvernement n'était pas prêt à appuyer une réforme complète à ce moment-là et il n'a pas permis un vote libre sur la question.
Le problème avec les réformes partielles, c'est que dans ce domaine, nous voulons que la loi envoie un signal clair. Lorsque notre Parlement a adopté cette réforme partielle, la façon dont les médias ont illustré la situation, c'était « continuez à frapper »; le message fondamental de cette loi, c'est que les parents pouvaient continuer de frapper leurs enfants, bien qu'ils ne doivent pas les frapper trop fort et qu'ils doivent faire attention de ne pas laisser de lésions visibles, ce qui pourrait encourager les parents à frapper leurs enfants sur la tête, étant donné que cela ne cause pas ce genre de lésion. Tout cela sème la confusion chez les parents. Cela n'envoie pas le message clair qui est nécessaire comme point de départ pour la protection des enfants et la promotion des formes positives de discipline. Cela mine tous ces messages. Les gens qui travaillent avec les familles, avec les enfants, veulent un message clair.
Évidemment, ils ne veulent pas que des millions de parents soient poursuivis. Ce n'est pas le but premier de la loi. Le but premier de la loi est de fixer une norme claire. Nous avons cette norme pour tous les autres citoyens; pourquoi pas pour les enfants?
Le sénateur Ringuette : Merci d'avoir comparu devant nous et d'avoir partagé votre vaste expérience planétaire sur cette question. Je sais à quel point vous êtes dévoués à cette cause.
Il y a plusieurs années, les parents au Canada faisaient couramment l'objet de poursuites pour avoir battu leurs enfants, mais ils étaient exonérés après un appel à la Cour suprême du Canada parce qu'ils étaient en mesure de prouver que de tels gestes s'inscrivaient dans leurs croyances religieuses, étant donné que la liberté de religion et la non- discrimination fondée sur la religion sont protégées par la Charte canadienne des droits et libertés. Avez-vous eu connaissance de ce genre de dilemme dans d'autres pays? Comment devrions-nous faire face à cette situation?
M. Newell : Nous croyons tous à la liberté de religion et effectivement, c'est très important. Cependant, lorsque vient le temps de pratiquer notre religion, nous devons faire attention que ce que nous faisons ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux des gens.
Lorsque cette question a été examinée par les tribunaux des droits de la personne en Europe et en Afrique du Sud, ces tribunaux ont rendu un jugement clair selon lequel on peut respecter les croyances, mais lorsque ces croyances sont utilisées pour tenter de justifier une atteinte fondamentale à la dignité humaine et à l'intégrité physique de quelqu'un d'autre, elles sont inacceptables.
Au Royaume-Uni, nous avons eu un groupe d'écoles chrétiennes dont les enseignants et les parents ont contesté l'interdiction du châtiment corporel dans les écoles privées. Lorsqu'ils se sont présentés devant la cour européenne, leur requête a été rejetée parce qu'elle n'était pas admissible. Ils se sont rendus jusqu'à la Chambre des lords du Royaume- Uni. La Chambre des lords a également rejeté la demande et a dit que le premier principe ici est une mesure parfaitement raisonnable prise par les gouvernements pour protéger les enfants et bien que l'on puisse accepter les croyances, on ne peut pas accepter les pratiques qui portent atteinte aux droits fondamentaux des autres.
Un groupe semblable d'écoles chrétiennes en Afrique du Sud a interjeté appel auprès de la cour constitutionnelle d'Afrique du Sud pour contester l'interdiction du châtiment corporel dans les écoles. Encore une fois, la cour a rejeté la demande et a affirmé que l'interdiction du châtiment corporel était une mesure parfaitement légitime pour la protection des enfants.
Si l'on remonte plus loin dans le temps, lorsque la Suède a interdit explicitement le châtiment corporel, cette décision a fait l'objet d'un appel devant la Cour européenne par un groupe de parents appartenant à une secte religieuse qui prétendaient que cette interdiction du châtiment corporel à la maison portait atteinte à leur liberté religieuse et à leur vie privée familiale. Encore une fois, la Cour européenne a jugé la requête inadmissible; en d'autres mots, elle l'a rejetée. Elle a affirmé que la réforme suédoise était parfaitement raisonnable et ne faisait rien de plus qu'étendre aux enfants la protection contre la violence dont jouissent tous les autres citoyens.
Le sénateur Cools : Madame la présidente, j'ai un point de clarification mineur. Le sénateur Ringuette a parlé d'un cas.Peut-être pourrait-elle nous donner le nom de ce cas.
Le sénateur Ringuette : Non, j'ignore le nom de la personne.
Le sénateur Cools : Vous ne connaissez pas le nom?
Le sénateur Ringuette : C'était une affaire très publique.
La présidente : Nous pouvons essayer de trouver cette information.
Le sénateur Ringuette : Il s'agissait d'une affaire très médiatisée, dans la région d'Ottawa. J'ignore si c'était du côté de l'Ontario ou du Québec, mais c'était dans la région d'Ottawa.
Le sénateur Cools : Savez-vous vers quelle époque? S'agissait-il d'il y a 20 ans?
Le sénateur Ringuette : Je dirais il y a trois ans.
La présidente : Pourriez-vous essayer d'en savoir davantage sur cette affaire et nous le dire à la prochaine réunion?
Le sénateur Ringuette : Je le ferai.
Le sénateur Milne : Bienvenu au Canada, monsieur Newell. Je remarque que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté une recommandation assez détaillée il y a environ un an. Le seul mécanisme de persuasion dont dispose l'Assemblée parlementaire, c'est de créer un exemple et d'espérer que les pays membres emboîteront le pas.
Pensez-vous que ce sera suffisant? Vous dites que 14 États membres ont interdit le châtiment corporel et que les cours suprême de l'Italie, du Portugal et d'Israël ont déclaré le châtiment corporel illégal dans ces pays. Est-ce que l'Italie, le Portugal et Israël prennent des mesures pour inscrire cela dans la loi?
M. Newell : Israël l'a inscrit dans la loi l'année même où l'arrêt de la Cour suprême a été rendu. Ce pays a supprimé le moyen de défense basé sur la notion de punition raisonnable.
Ce qui entraîne une accélération des progrès en Europe à l'heure actuelle, c'est le contexte global de la Convention relative aux droits de l'enfant et les recommandations cohérentes du comité aux États. De plus, le Comité européen des droits sociaux qui suit la conformité par rapport à la Charte sociale qui garantie les droits économiques et sociaux, y compris la protection des enfants, a publié une observation générale en 2001 selon laquelle la conformité à la Charte exige l'interdiction de toute forme de châtiment corporel. Cet organisme fait le suivi de cette question, parce qu'il y a un processus de présentation de rapport en vertu des chartes. Comme je l'ai indiqué quelque part dans mon mémoire, le comité européen a prévenu une variété de pays qu'ils ne se conformaient pas à la Charte. Le comité européen a signifié aux pays suivants qu'ils ne se conformaient pas : la Pologne, la France, la Hongrie, Malte, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, l'Espagne et la Turquie. Parmi ces pays, la Roumanie et la Hongrie ont déjà modifié leur loi et la Slovaquie et la Slovénie se sont engagées à le faire.
Le processus de l'Étude du secrétaire générale des Nations Unies sur la violence contre les enfants est un autre canal utile, parce que des questionnaires ont été envoyés à tous les gouvernements leur posant des questions détaillées au sujet de leur loi, y compris sur le châtiment corporel. Jusqu'ici, trois pays ont affirmé dans leurs réponses qu'ils savaient que leur loi n'était pas conforme aux normes internationales et qu'ils avaient l'intention de faire le nécessaire pour s'y conformer.
Le sénateur Milne : Monsieur Newell, nous avons ici un groupe de jeunes étudiants de l'Université du Michigan. Peut-être voudriez-vous commenter l'état de la loi aux États-Unis, pour notre information et la leur.
M. Newell : En ce qui concerne le châtiment corporel à l'école, je crois savoir qu'il est interdit dans les écoles publiques dans 28 États et dans le district de Colombia, mais dans les écoles privées, il n'est interdit que dans deux de ces États. La situation pour ce qui est d'autres formes de soins varie d'un État à l'autre. Je crois savoir qu'il n'y a pas d'interdiction du châtiment corporel dans la famille nulle part dans ce pays; effectivement, certains États ont fait des efforts pour adopter des lois qui laissent entendre que les parents peuvent causer des blessures assez importantes à leurs enfants lorsqu'ils les disciplinent. Les choses ne vont pas très bien.
Le sénateur Milne : Eh bien, s'ils peuvent porter des armes à la maison et à l'école et qu'ils doivent porter des armes de sorte que l'on puisse les voir, espérons qu'ils ne tireront pas leurs enfants.
Le sénateur Cools : Voilà une déclaration méchante. Madame la présidente, il s'agit d'une déclaration très méchante. Faire une déclaration qui suppose que des parents moyens, ordinaires désirent tirer leurs enfants est vraiment choquant.
Le sénateur Milne : Merci beaucoup, sénateur Cools. Je n'ai pas besoin d'être réprimandée par vous.
Le sénateur Cools : Je parlais à la présidente. Le comité a perdu l'habitude d'adresser la parole à la présidente, mais j'ai soulevé la question auprès de la présidente et je vais le répéter.
La présidente : Vous pouvez être en désaccord avec le sénateur Milne.
Le sénateur Cools : Je suis en désaccord avec elle tout le temps.
La présidente : Nous pouvons accepter cela.
Le sénateur Cools : Ce n'est pas nouveau. Il s'agit évidemment d'une source de grand amusement. Cependant, il n'en demeure pas moins que la déclaration qui vient juste d'être faite était un affront à l'égard des personnes ordinaires et c'est ce qui me fait réagir. Nous devons toujours faire la distinction avec un comportement déviant. Dans la plus grande partie des cas, les parents qui sont exagérément cruels envers leurs enfants sont déviants. La majorité des êtres humains se trouvent au milieu de la courbe normale. La plupart des parents ne sont pas exagérément cruels ou méchants à l'égard de leurs enfants. Je pense que nous devrions respecter cela. Nous ne devrions pas adopter ce projet de loi en nous fondant sur la prémisse que les parents ordinaires sont méchants à l'endroit de leurs enfants. J'ai beaucoup de difficultés avec cette conception que le monde entier attend d'être reconstruit à l'image de celui qui possède la lumière.
La présidente : Vous aurez votre tour.
Le sénateur Cools : Je ne m'arrêterai même pas à cette bêtise ou à ces inepties. J'ai tout simplement pensé que c'était méprisant pour le public.
Le sénateur Gustafson : Votre exposé m'a beaucoup intéressé. Certainement que le bien-être des enfants doit être protégé de toutes les manières possibles; cela ne fait aucun doute.
Ma question est liée aux incidents que viennent juste de survenir en Saskatchewan faisant intervenir des jeunes gens âgés de 14 à 16 ans dans deux parcs. Dans un cas, ils ont jeté un membre de la GRC dans un lac. On n'arrive plus à les maîtriser. Le gouvernement de la Saskatchewan et le personnel des parcs se demandent comment ils vont discipliner ces jeunes. Ils détruisent la propriété. Il y a une longue liste d'incidents. Deux des agents de la GRC ont été frappés et ainsi de suite, et ils n'arrivaient pas à maîtriser la situation. Le sujet de discussion des lignes ouvertes en Saskatchewan, c'était comment allons-nous faire face à ce problème.
Ma question, c'est comment faisons-nous face au problème de discipline chez les jeunes plus âgés? Y a-t-il des données sur ce qui arrive lorsque les enfants n'ont pas une certaine discipline? Je ne veux pas dire qu'il faut battre les enfants d'une manière non raisonnable. Il y a un problème croissant de discipline chez nos jeunes plus âgés. Avez-vous réalisé des études sur cette question ou sur ses conséquences?
M. Newell : Je n'ai pas réalisé d'études, mais j'ai certainement lu des études, lu sur la question et participé à de nombreux débats. Nous voulons tous avoir des enfants et des jeunes gens bien disciplinés. Ce n'est pas une question simplement théorique pour moi, car j'ai trois fils âgés maintenant de 19, 17 et 15 ans. La discipline est une question qui nous préoccupe tous.
À mon avis, frapper et humilier les gens n'a rien à voir avec la discipline. Frapper les gens est une leçon de mauvais comportement. Il s'agit précisément d'une leçon que nous ne voulons pas que nos enfants et nos jeunes gens apprennent. Nous ne voulons pas qu'ils pensent que l'usage de la violence est une façon légitime de régler les conflits. Nous voulons les amener à comprendre ce qu'est un bon comportement, un comportement acceptable et à voir les avantages que cela comporte poureux-mêmes et pour les autres.
J'ai certainement vu des travaux de recherche qui examinaient les antécédents des jeunes gens qui sont incarcérés pour des crimes avec violence ou d'autres crimes. On constate invariablement non pas qu'ils ont eu trop peu de discipline physique, mais qu'ils ont souffert d'un abus physique direct et violent ou d'autres formes d'humiliation. L'autre facteur, c'est souvent la perte des parents. Ce sont certains des facteurs. On ne peut pas faire un lien de causalité direct. C'est une question très complexe, mais il n'y a certainement pas de données qui donnent à entendre que la discipline physique de quelle que nature que ce soit amène les enfants à être moins violents, ou moins agressifs, ou moins délinquants. Toutes les données tendent à démontrer le contraire.
Le sénateur Gustafson : Avez-vous constaté qu'il y a plus de violence aujourd'hui chez les jeunes gens qu'il y en avait, disons, il y a 20 ans?
M. Newell : Il s'agit d'une question très difficile à répondre. Presque chaque génération dit qu'il y a plus de violence chez les jeunes gens que dans la génération précédente. En fait, dans mon propre pays, le nombre de crimes avec violence commis par les jeunes gens a diminué de manière assez substantielle. Cela est vrai de certains pays européens, mais pas de tous. C'est difficile parce que les systèmes de déclaration et la collecte des données statistiques ont beaucoup changé. Il n'y a pas de réponse facile. Cependant, il n'y absolument pas de lien clair entre la diminution de la discipline physique et l'augmentation de la violence.
Le sénateur Ringuette : Sur la question des données statistiques et de la discipline physique des enfants, avez-vous des données quelconques concernant les enfants qui ont fait l'objet d'une discipline physique et qui, lorsqu'ils deviennent des parents, ont tendance à reproduire le même modèle que celui dans lequel ils ont grandi et, par conséquent, il y a une perpétuation, de génération en génération, de ce modèle de discipline?
M. Newell : Je ne me vois pas comme un témoin dans le domaine des sciences sociales. Vous avez au Canada certains des grands spécialistes mondiaux, dont Joan Durrant que, je l'espère, vous allez convoquer comme témoin, étant donné qu'elle a étudié ces questions en détail.
Il y a eu une méta-analyse effectuée par une Américaine du nom d'Elizabeth Gershoff portant sur quelque chose comme 88 études sur les effets du châtiment corporel. Encore une fois, la très grande majorité des données indiquent que le châtiment corporel a la capacité de causer une gamme étendue d'effets que nous ne voulons pas voir chez nos enfants en croissance. Je parle de l'augmentation de la délinquance, de l'augmentation des actes de violence, de l'augmentation des problèmes de santé mentale, et cetera. J'ai choisi mes mots très soigneusement parce que vous ne pouvez pas établir de lien de causalité direct avec les effets que j'ai décrits. Je ne vois pas cela comme mon domaine d'expertise propre.
Le sénateur Pearson : Monsieur Newell, j'espère que vous avez eu un bon voyage en provenance d'Argentine. Il est remarquable que vous ayez pu voyager la nuit depuis l'Argentine pour venir nous parler.
Ma question est assez technique. Je n'ai pas besoin d'être convaincue de ce qui se passe à l'heure actuelle. Je vais faire appel à votre expérience à titre de personne qui a vu tellement de régions du monde.
Bien qu'il n'y ait que 25 États qui se prétendent fédéraux, ces derniers comptent en fait 40 p. 100 de la population mondiale. Au Canada, le fédéralisme est une question importante. Nous parlons ici du Code criminel. L'administration de la justice est une compétence provinciale. La plupart des questions faisant intervenir la protection de l'enfant relèvent de la loi provinciale et non de la loi fédérale.
Avez-vous des observations à faire sur la façon dont d'autres États fédéraux que vous connaissez ont réglé cette question?Est-ce la question que nous allons examiner demain à Toronto. Comment travaillez-vous pour diminuer le degré de violence contre les enfants dans un État fédéral?
M. Newell : Manifestement, si quelqu'un examine la question sous l'angle des droits de la personne, alors c'est au Canada en tant qu'État qui a accepté ces obligations qu'incombe la responsabilité de s'assurer qu'elles sont respectées partout où il a l'autorité. À partir de cette perspective, abroger l'article 43 du Code criminel constitue, à mon avis, la réponse logique pour les normes en matière de droits de la personne.
Pour ce qui est de savoir comment cela est ensuite interprété dans les détails par les organismes de protection des enfants, comme je l'ai dit dans mon exposé, il est clairement important que le fait d'assurer aux enfants cette protection égale aille dans le sens de leur intérêt. Par conséquent, il y aurait des directives prudentes qui seraient données aux personnes qui travaillent dans le domaine de la protection des enfants, aux policiers, aux procureurs, et ainsi de suite, pour s'assurer que la loi, le Code criminel, et les autres lois qui viennent l'appuyer en termes de protection des enfants, sont interprétés d'une manière qui favorise l'intérêt supérieur des enfants. Cela devrait être le premier principe de l'application de cette loi.
L'Autriche est un État fédéral. En Autriche et en Allemagne, il y avait un moyen de défense qui a été supprimé il y a un certain temps.
Le sénateur Pearson : Savez-vous quelque chose au sujet de l'Australie?
M. Newell : L'Australie n'a pas encore agi.
En Autriche, le moyen de défense a été éliminé au cours des années 70. Ensuite, en 1989, elle a proclamé une interdiction explicite dont le but était de démontrer que la loi s'appliquait de manière égale.
Le sénateur Pearson : Que dire de l'Inde?
M. Newell : L'Inde ne l'a pas encore fait. Au moment de la consultation régionale pour l'Asie du Sud, le gouvernement indien s'est engagé, au niveau fédéral, à interdire le châtiment corporel dans toutes les écoles.
Le sénateur Pearson : Connaissant l'Inde, c'est un grand pas.
M. Newell : Il s'agirait d'une loi fédérale qui devra être mise en application au niveau des États.
Le sénateur Pearson : Une des observations qui a été faite hier par un défenseur du projet de loi, c'était qu'au Québec, par exemple, il y a un bon protocole pour trancher les questions qui sont portées à l'attention des autorités concernant les voies de fait sur les enfants. Ce protocole parvient d'une manière assez habile à éliminer les problèmes mineurs et ainsi de suite. Pensez-vous qu'il s'agit là d'une bonne idée?
Ce projet de loi ne ferait qu'éliminer le moyen de défense dans le Code criminel. Cependant, nous avons le problème de nous assurer que personne n'est criminalisé d'une manière indue pour ses actions.
M. Newell : Il est clair, à l'heure actuelle, que quiconque travaille dans le domaine de la protection des enfants doit savoir quoi faire s'il reçoit un appel lui disant qu'un parent frappe ou bat un enfant dans le stationnement d'un supermarché, par exemple. Ces gens ont déjà un certain protocole ou une politique à cet égard. En général, il s'agit fondamentalement d'une politique d'appui, pour s'assurer que l'enfant n'est pas exposé à un préjudice important, et pour déterminer quel genre de soutien la famille peut avoir besoin pour s'assurer que l'enfant ne devient pas exposé à un préjudice important.
Je ne pense pas que nous partions de zéro ici. Ce que nous faisons à l'heure actuelle, c'est paralyser les personnes qui travaillent dans le domaine de la protection de l'enfant et les personnes qui travaillent avec les parents et les familles en n'envoyant pas un message clair que ce genre de choses est illégal et inacceptable. À mon avis, cela les empêche d'agir d'une manière positive auprès des familles.
Le sénateur Cools : Soyez le bienvenu au Canada, monsieur Newell.
La plupart des gens que je connais partagent le point de vue que les enfants sont nos créatures les plus précieuses et qu'il faut les protéger. Je ne crois pas qu'il y ait de désaccord sur cette question.
Il y a, cependant, un désaccord considérable sur la question de l'abrogation complète de l'article 43. Personnellement, je crois qu'il y a une vaste zone grise. La tâche d'élever des enfants doit toujours être jugée en fonction de l'attitude des parents. En d'autres mots, un parent qui frappe un enfant par rage, ou dans une agression, est dans une situation différente d'un parent qui frappe un enfant pour le corriger.
Les enfants savent, monsieur Newell, lorsque le parent se conduit mal. Je vous dis ces choses en tant que personne qui a eu une vaste expérience du travail sur le terrain. Je dis tout cela pour que vous sachiez quelle est ma position dans cette question. Je suis un grand défenseur des enfants. En fait, j'ai été une des pionnières dans ce pays dans le domaine de la lutte contre la violence conjugale. J'ai des connaissances assez étendues sur les conflits familiaux.
J'aimerais obtenir votre opinion sur un certain nombre de questions. Ma première préoccupation est liée à la Constitution. Toutefois, j'y viendrai d'une manière détournée.
Pendant 100 ans, de grands hommes de loi au Canada ont cherché à trouver des façons d'amener le bien-être des enfants dans le domaine fédéral. Il n'y a que deux endroits dans les lois fédérales où il est question du bien-être des enfants. Une de ces lois est la Loi sur le divorce et l'autre est la Loi sur les jeunes contrevenants. Sir Wilfrid Laurier a essayé de trouver une façon d'amener le bien-être des enfants dans le domaine fédéral.
Ce n'est pas quelque chose qui est bien connu. La Loi sur les jeunes contrevenants était un mécanisme également.
La législation sur le bien-être des enfants a débuté au Canada vers 1893. La Loi sur les jeunes contrevenants a tenté d'amener ces enfants dans le domaine fédéral et devant les tribunaux de la jeunesse en particulier, parce qu'elle a fait de la délinquance un état. En d'autres mots, un enfant n'était pas accusé d'absentéisme à l'école ou de vol. Il s'agit d'un phénomène intéressant. La délinquance était un état plutôt qu'une infraction. Ces efforts ont été débattus au cours des années. Je ne pense pas que l'on ait jamais réalisé l'intention complète de la loi.
Le second endroit où il est question du bien-être desenfants, c'est dans la Loi sur le divorce. Lorsqu'il a présentéses propositions pour la réforme de la Loi sur le divorceen 1984, M. MacGuigan a mis dans son projet de loi que les enfants avaient le droit au soutien financier des deux parents en fonction de leurs moyens.
En 1986, un autre ministre de la Justice a tenté d'abroger ces dispositions, sans sembler comprendre qu'il s'agissait de dispositions très précieuses parce qu'elles traitaient des droits des enfants. Vous pouvez examiner attentivement la législation fédérale et vous n'en trouverez pas. Je vous donne cela comme exemple des difficultés qui abondent.
À partir d'environ 1993, peu à peu, chacune des provinces a adopté une loi sur la protection des enfants, une loi sur lebien-être des enfants; elles avaient toutes des noms différents. Toutes ces lois, partout au pays, ont des dispositions précisant que toutes voies de fait ou tout abus à l'égard des enfants doit être signalé. Je pense que la seule profession qui est exclue, c'est celle d'avocat. Mais c'est une autre question.
J'essaie d'en venir à la difficulté qu'il y a si un parlement fédéral ne faisait qu'abroger l'article 43 sans avoir le pouvoir ou la capacité de mettre en application un ensemble de programmes sociaux correspondant, pour aider les gens.
Monsieur Newell, je me suis fait un devoir d'étudier de nombreux cas et de lire de nombreux jugements. Le potentiel de poursuites malicieuses et vexatoires est énorme. Ce pays a connu une pléthore de condamnations injustifiées au cours des dernières années et une pléthore de fausses accusations, particulièrement dans le domaine de la violence familiale. Cela me préoccupe.
Ce qui m'inquiète, c'est que des parents ordinaires qui peuvent frapper un enfant pour le corriger, et même pas dans un état de rage excessive, se retrouveront soudainement exposés à un risque de poursuite. C'est faire preuve d'arrogance que de croire que nous pouvons faire des lois et ensuite dire aux gens : « Observez-les, parce que nous sommes tellement éclairés que nous allons vous montrer comment être des personnes bonnes et gentilles. » Cela me pose un énorme problème.
Le châtiment corporel avait une signification très spéciale. Maintenant, on considère que c'est le cas chaque fois que quelqu'un frappe un enfant. Il y avait une signification du point de vue juridique, comme pour le vieux mot « martinet », et ainsi de suite.
Pourriez-vous partager avec nous vos vues sur d'autres études universitaires qui montrent que chez les enfants âgés de moins de sept ans, par exemple, la fessée non excessive — avec insistance sur les mots « non excessive » — ne produit pas d'effets néfastes? Nous devons faire la distinction entre l'agression et la fessée non excessive.
Certains des spécialistes du domaine insistent pour que la discipline des enfants se fasse en l'absence de colère et de rage. Je ne veux pas vous choquer, monsieur Newell, mais je travaille au Sénat, qui est censé être un lieu de lumière, et j'ai été frappée par des sénateurs. J'ai vu ici des sénateurs frapper des enfants. S'il s'agit ici d'un lieu de lumière, que penser du monde plus vaste.
Oui, j'ai vu des sénateurs ici au Sénat frapper des enfants.
La présidente : Nous allons laisser M. Newell répondre.
Le sénateur Cools : Le sénateur m'a demandé si c'est ce que j'ai dit. C'est ce que j'ai dit. J'ai été frappée par des sénateurs. C'est une question différente.
La présidente : Parlons du présent projet de loi.
Le sénateur Cools : Ce que j'essaie de dire, c'est que ces questions sont extrêmement complexes. Je dis à M. Newell qu'il y a un très grand nombre d'études qui montrent que la fessée non excessive — et fessée est un mot étrange — n'est pas dommageable.
Peut-être pourriez-vous également faire des observations sur un autre phénomène, à savoir que lorsqu'on examine d'autres études mesurant l'utilisation du châtiment corporel, il arrive parfois que d'autres variables soient à l'origine des résultats, mais qu'elles ne sont pas mesurées. Par exemple, aux États-Unis, les données indiquent que l'indicateur en soi le plus fiable du rendement des enfants est la structure familiale.
Une voix : Oh, oh!
Le sénateur Cools : Ils sont détestables. Elle est toujours détestable. Elle fait cela tout le temps.
La présidente : Vous avez la parole.
Le sénateur Cools : J'ai la parole. Elle ne le comprend pas.
La présidente : Il y en a d'autres qui veulent la parole également.
Le sénateur Cools : Très bien, mais nous voulons un examen approfondi de cette question.
La présidente : Nous ne traitons pas la question comme une simple formalité.
Le sénateur Cools : Quoi qu'il en soit, il y a des données merveilleuses provenant de personnes qui ont étudié cette question et qui indiquent que l'indicateur en soi le plus fiable du bien-être des enfants est la structure familiale. Apparemment, cela l'emporte sur la race, la pauvreté et un ensemble d'autres variables pour prévoir le bien-être des enfants. Je comprends que ces questions sont complexes. Avez-vous examiné certaines de ces études dans les deux catégories?
M. Newell : Comme je l'ai dit, je ne me considère pas comme un spécialiste des sciences sociales mais, évidemment, j'ai examiné les études. Il y a deux psychologues particuliers qui sont assez isolés dans le domaine qui prétendent dans une série d'articles qu'une utilisation soigneusement définie du châtiment corporel sur les enfants de certains âges n'a pas d'effets néfastes. À mes yeux, cela n'est pas pertinent par rapport à l'argument fondamental.
Le but d'abroger l'article 43 est d'essayer de refléter les changements qui touchent la façon dont les sociétés, y compris la société canadienne, considèrent les enfants et de s'écarter de l'idée selon laquelle le statut des enfants fait en sorte qu'il est légitime de commettre des voies de fait à leur endroit d'une manière qu'on ne trouve plus légitime de le faire dans le cas de n'importe quel autre membre de la société.
Peut-être que l'analogie la plus juste que l'on puisse trouver, c'est le cas des personnes âgées confuses parce que, à certains égards, elles sont dépendantes comme les enfants, mais personne n'imaginerait chercher des travaux de recherche pour voir si la tape occasionnelle administrée à votre grand-mère un peu confuse est utile pour obtenir son obéissance. Les arguments ont dépassé ce stade, ce qui est une bonne chose pour nos sociétés. Nous voulons cela pour nos enfants parce que nous voulons le même respect à l'égard de leur intégrité physique.
Pour répondre à votre question, l'immense majorité des travaux de recherche en science sociale indique que tout degré de châtiment corporel important a le potentiel de causer toute une série d'effets que nous ne voulons pas. Comme je l'ai dit, il y a des psychologues isolés qui prétendent que des formes mineures de châtiment corporel, administrées sans colère, à des enfants de certains âges, sur certaines parties de leur corps et sans trop de force permettront d'obtenir leur obéissance. Il est assez évident que si vous êtes une personne d'un gros gabarit et que vous frappez une petite personne, il y a de fortes chances que cette dernière fasse ce que vous lui dites de faire. Cela ne veut pas dire que cette personne ne tirera pas également des leçons de ce comportement qui ne sont pas le genre de leçons que nous voulons que nos enfants apprennent.
L'autre point que vous avez fait valoir, c'était une inquiétude face à une simple changement de la loi et si le système était prêt à faire face à ce changement. Le Canada a probablement un système de protection des enfants plus élaboré que celui qui existe au Royaume-Uni, qui croit avoir un système raisonnablement élaboré. Le problème dans le cas de ces deux systèmes, c'est que lorsque vous faites des études par entrevues détaillées auprès des enfants et des parents, vous constatez qu'il y a encore un niveau très élevé de châtiment corporel. Il est beaucoup plus élevé au Royaume-Uni et je peux vous citer les chiffres. J'ai vu les chiffres pour le Canada, mais je ne peux les citer.
Au Royaume-Uni, des études par entrevues détaillées auprès de parents ont révélé que les trois quarts d'un vaste échantillon de mères avaient déjà frappé leurs bébés avant l'âge d'un an, que 25 p. 100 des enfants faisant partie de l'échantillon avaient été frappés avec un objet et que le tiers avait été puni sévèrement, ce qui est défini comme « causant ou ayant le potentiel de causer des blessures ». Sans regarder les condamnations ou les poursuites, ni même les taux de signalement, lorsque vous regardez ces études par entrevues, vous constatez des taux beaucoup plus élevés et beaucoup plus troublants.
La plupart des gens sont des parents qui aiment leurs enfants et qui ne leur font pas du mal, mais une minorité importante le font et la façon de réaliser des progrès dans le cas de cette minorité importante, à mon avis, c'est d'envoyer un message clair, et non pas le message confus que, oui, vous pouvez frapper un enfant, mais pas trop fort, pas avant l'âge de deux ans, pas sur la tête, sans tenir un objet dans la main, mais plutôt le message clair que vous ne pouvez pas le faire et que c'est illégal. Alors, tous ceux qui travaillent auprès des familles sont libres de pouvoir transmettre ce message. À l'heure actuelle, ils ont les mains fortement liées. Je sais que les organismes d'aide à l'enfance et la communauté des organismes oeuvrant pour la protection des enfants au Canada sont en faveur de cette réforme et qu'ils ont fait connaître leur position.
Le sénateur Cools : Vous nous faites part de votre préoccupation très remarquable pour le bien-être des enfants. C'est un comportement digne de louange et je le partage. Cependant, j'ai toujours des difficultés. Vous dites que ces spécialistes sont isolés. Je lisais un article de l'un d'entre eux il y a quelques jours où l'on parlait d'environ 38 études. Ce n'est pas ce que j'appelle isolé.
Mme Diana Baumrind, de l'Université de Californie, affirme que les spécialistes des sciences sociales sont allés plus loin que le laissaient entendre les données en affirmant que la fessée entraînait un préjudice durable chez l'enfant. Elle soutient que la preuve scientifique condamnant l'utilisation du châtiment physique normatif est chancelante et non pas quelque chose de solide.
Nous sommes en train d'examiner la documentation scientifique, madame la présidente, et j'espère que nous allons convoquer certains de ces témoins et examiner les travaux de recherche et les études. Dès qu'il est question des enfants, nous devons faire attention de ne pas nous laisser prendre par notre propre humanité. Parce qu'on veut voir plus d'humanité, on pense pouvoir l'obtenir par le biais de la législation.
Monsieur Newell, j'ai vu beaucoup d'abus graves à l'endroit des enfants. Comme vous l'avez dit, il s'agit d'une minorité. Je m'en veux de vous le dire, mais malgré l'existence de toutes les lois contre les voies de fait et contre le meurtre, il y a encore de l'abus contre les enfants et aucune loi ne l'empêchera. Les données indiquent que la fréquence des homicides de nouveau-nés et d'enfants aux États-Unis est à la hausse. En Afrique du Sud, c'est certainement le cas, même s'il y a des lois qui l'interdisent. Je partage votre sens de l'humanité et je partage votre préoccupation. Je ne crois tout simplement pas que tout parent qui pourrait frapper un enfant est un parent abuseur ou un parent qui devrait être exposé à des poursuites pénales.
Madame la présidente, il y a beaucoup de travaux sur cette question. J'espère également que nous aurons des témoins qui peuvent traiter des implications constitutionnelles de cette question, qui sont profondes. J'espère également que nous aurons des témoins qui pourront nous donner un aperçu juridique de la position du Procureur général du Canada en ce qui concerne la vieille doctrine parens patriae.
La présidente : Nous allons consulter notre liste.
Le sénateur Cools : Monsieur Newell, merci d'être ici. Vous nous aidez à clarifier et à sonder le caractère normal et la profondeur de cette question. Depuis la publication de la grande étude intitulée « L'enfant en péril, » le Sénat n'a pas réalisé d'étude d'envergure de ces questions. J'espère également qu'au fur et à mesure que nous avancerons dans cette étude nous pourrons faire un retour sur les conclusions de l'étude « L'enfant en péril » et examiner ces données. Même l'abus des enfants diffère selon le genre. Il s'agit d'une question très vaste et il est important d'en faire une étude franche.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Newell, merci de comparaître.
Je ne sais pas si vous êtes au courant de l'évolution historique de l'effort canadien pour appuyer la convention de l'ONU, mais je viens d'une province qui a mis beaucoup de temps à le faire. Je pense qu'il s'agissait probablement de la dernière province à le faire. De nombreuses personnes dans cette province étaient, c'est le moins que l'on puisse dire, troublées par cet effort et certainement gênées par ce dernier. Je trouve votre exposé et votre travail très convaincants et j'appuie ce projet de loi.
Il peut être impossible d'en arriver à une réponse précise sur cette question. Je suppose que la plupart des parents qui ont recours à la discipline physique le font par exaspération, ne sachant pas que faire d'autre. Dans votre travail, avez- vous rencontré des modèles dans d'autres pays ou systèmes scolaires où un effort a été fait pour aider les parents à apprendre comment jouer leur rôle de parents et comment faire de la discipline par des moyens plus acceptables?
M. Newell : Oui, certainement, et évidemment, votre propre gouvernement a fait beaucoup par l'intermédiaire de Santé Canada. J'ai vu d'excellents documents qui ont été distribués qui disent aux parents d'une manière assez explicite que frapper les enfants est une mauvaise idée et que cela n'a rien à voir avec la discipline. Il existe des programmes ici et il en existe dans de nombreux pays.
La Suède est le pays qui a probablement le mieux établi le lien entre la sensibilisation et l'éducation du public sur la réforme du droit et ce depuis longtemps. Chose certaine, les taux d'approbation des châtiments corporels même les plus modérés sont aujourd'hui tombés à 6 p. 100 pour les jeunes suédois. La Suède s'est rendue compte qu'elle devait continuer à éduquer le public en raison de la migration en Europe. Ce n'est pas quelque chose qui peut se faire sur une courte période. Le processus a fait plus que commencer au Canada. La documentation ne manque pas et elle est efficace. Comme je l'ai déjà dit, ces documents sont sapés lorsque la loi dit quelque chose de très différent et qui trouble pour les parents.
Le sénateur Joyal : J'ai été frappé par une note dont votre biographie indiquant que vous avez été convoqué en tant qu'expert témoin pour les appelants, la Canadian Foundation for Children Youth and the Law dans la contestation contre le châtiment corporel fondée sur la Charte canadienne. Vous avez également conseillé un jeune enfant anglais qui a intenté avec succès un recours judiciaire auprès de la Cour européenne des droits de l'homme contre le gouvernement du Royaume-Uni en 1998. Je voudrais parler de ces deux aspects particuliers de vos activités professionnelles.
Vous êtes sûrement au courant du jugement de la Cour suprême du Canada car vous l'avez mentionné dans votre déclaration. Vu que vous avez été convoqué en tant qu'expert, je suis sûr que vous avez lu le jugement et l'avez aussi probablement étudié. Je voudrais me concentrer sur ce jugement, si vous le permettez, et particulièrement leparagraphe 31 que je vais lire — le Tribunal canadien a déclaré :
Les lois devraient être interprétées comme étant conformes aux obligations internationales du Canada[|...]
La Cour suprême a reconnu clairement que les lois du Canada, c'est-à-dire le Code criminel, devraient être interprétées comme étant conformes aux obligations internationales du Canada. Ils ont reconnu que l'article 43 du Code criminel qui est l'objet des discussions ici devrait être interprété comme étant conforme à notre obligation en tant que pays.
Dans le paragraphe 32, le tribunal déclare :
Le Canada est partie à la Convention relative aux droits de l'enfant de l'ONU.
Ils reconnaissent totalement l'applicabilité de la Convention. Puis, ils citent les articles 5, 19(1) et 37 de la Convention.
Ils font une lecture claire de la Convention et, de plus, ils citent l'article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ayant cité ces deux Conventions internationales, ils concluent, et je conclus, par l'article 33 :
Ni la Convention relative aux droits de l'enfants ni le Pacte international aux droits civils et politiques exigent que les États interdisent tous les châtiments corporels infligés aux enfants.
C'est ce qu'ils ont conclu.
Après avoir cité des rapports du Comité des droits de l'homme des Nations Unies publiés en 1995, 1999 et 2000, ils concluent :
Le comité n'a pas exprimé une opinion similaire concernant le recours des parents à des châtiments corporels modérés.
La Cour suprême du Canada est d'avis que le Canada n'a pas d'obligation internationale pour interdire expressément tous les châtiments corporels contre les enfants. Ils continuent en mentionnant l'affaire dans laquelle vous avez conseillé le jeune enfant anglais auprès de la Cour européenne des droits de l'homme. C'est le paragraphe suivant. Vous étiez dans le collimateur du tribunal, si je puis dire, au paragraphe 34. Ils ont conclu, du jugement de la Cour européenne du 23 septembre 1999 :
Ces facteurs soulignent bien les effets éventuels du recours à une force raisonnable contre les enfants aux termes de l'article 43.
Ils ont interprété le jugement de la Cour européenne pour appuyer l'article 43.
Puisque vous connaissez bien le contexte juridique de ces affaires, pourriez-vous nous parler de jugements rendus par des tribunaux dans d'autres pays? Il y en a 16, comme vous le savez. Nous les connaissons. Pouvez-vous parler des jugements des pays qui n'ont pas totalement interdit les châtiments corporels comme la France, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, la Grèce, la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse? Est-ce que certains de ces pays sont arrivés à la même conclusion que la Cour suprême du Canada,c'est-à-dire que ces traités n'exigent pas que les États imposent une interdiction? D'autre part, pourriez-vous parler des jugements de tribunaux exprimant un point de vue contraire, afin de nous donner une bonne idée du contexte juridique international au regard de ces jugements?
Si vous êtes d'avis que la Cour suprême s'est trompée dans son interprétation de ces deux instruments internationaux,pouvez-vous nous donner des exemples d'interprétation différente, de la part d'autres tribunaux, de ces conventions?
M. Newell : La Cour suprême d'Italie en 1996, du Portugal en 1994 et Israël en 2000 se sont toutes appuyées sur la Convention relative aux droits de l'enfant en pour rendre leur jugement. Le Comité des droits de l'enfant est le seul organisme qui dispose officiellement d'une autorité pour interpréter la Convention. Il a toujours déclaré depuis plus de 10 ans, depuis 1993, que la Convention exige l'interdiction de tous les châtiments corporels, y compris au sein de la famille. Plus il le répète, plus la discussion devient impérative.
Comme je l'ai indiqué dans mon mémoire, le processus d'élaboration de la Convention ne mentionne pas les châtiments corporels. Ils ne disent pas que l'article 19 ne visait pas à interdire tous les châtiments corporels et ils ne disent pas qu'il en avait l'intention. Pour les droits de la personne, il est en principe clair que ces outils sont évolutifs, que leur interprétation évolue inévitablement avec le temps et au fur et à mesure du changement des attitudes de la société et d'autres facteurs. C'est certainement l'interprétation légitime du comité ces dernières dix années et qui est exprimée de manière absolument systématique aujourd'hui.
En ce qui concerne le jugement de la Cour européenne des droits de l'homme, une fois de plus, comme je le dis dans mon mémoire, j'admets que la Cour n'a pas encore condamné tous les châtiments corporels car la Cour européenne étudie les circonstances particulières de l'affaire dont elle est saisie.
Le sénateur Joyal : Voilà ce dont il s'agit.
M. Newell : De violents coups de cane ont été donnés et ont causé des blessures.
Néanmoins, la Cour s'est référée aux articles 19 et 37 de la Convention relative aux droits de l'enfant. La Cour a depuis indiqué aux États européens que les normes détaillées auxquelles ils devraient se conformer sont celles de la Convention relative aux droits de l'enfant. La Convention européenne est évidemment très ancienne et son champ d'application est très limité.
Le sénateur Joyal : Je pense que vous l'avez bien dit. Nous sommes dans un domaine où les droits évoluent. J'accepte totalement cette notion. Nous l'avons incorporée dans notre propre Charte des droits. Comme vous le savez, l'article 15 est une référence claire dans ce contexte.
Lord Sankey, un célèbre baron britannique, a étudié les droits des femmes et le mode de vie des années 30. Autrement dit, un document constitutionnel n'est pas immuable. Il évolue en fonction de la moralité et des attitudes de la société.
Le sénateur Gustafson : Ou leur absence.
Le sénateur Joyal : On en a reparlé récemment dans une autre affaire célèbre.
J'essaie d'identifier précisément les raisons pour lesquelles la majorité des juges de la Cour suprême, au moins six, a rendu un jugement. Le septième juge, le juge Binnie, n'était pas d'accord, mais ce n'était pas exactement pour les mêmes raisons. Deux juges de la Cour suprême, mesdames les juges Arbour et Deschamps étaient clairement contre l'article 43, surtout madame la juge Deschamps.
J'essaie de voir comment le droit international ou le droit national nous amèneraient à dire qu'aujourd'hui l'interprétation des droits de la personne devrait interdire totalement les châtiments corporels.
Vous avez dit clairement que dans le cas de l'affaire du Royaume-Uni, dans laquelle vous étiez impliqué, il s'agissait d'une force excessive. Je crois que nous en sommes tous d'accord. La force excessive devrait être interdite. Il devrait être interdit de battre un enfant avec une cane. Nous devrions lutter contre tout châtiment corporel excessif.
En fait, lorsque vous avez fait votre déclaration concernant la loi au Royaume-Uni, ont-ils pris un jugement de la Cour européenne et limité ce qui est admissible à essentiellement ce qui devrait être l'interprétation de l'article 43 au Canada, selon la lecture de la Cour suprême pour arriver au jugement rendu en 2004? Ce jugement est récent, il a été rendu il y a moins d'une année.
Ne suivons-nous pas la même voie, indirectement? Je ne crois pas que les deux jugements aient été rendus au même moment, mais le Royaume-Uni et la Cour suprême ne sont-ils arrivés au point où les deux l'autorisent, mais dans un contexte limité et restreint?
M. Newell : Tout à fait.
L'Écosse a une formule légèrement différente. Les Écossais ont introduit, dans leur loi, la notion de voie de faits valable contre les enfants et certaines actions ont été définies comme inacceptables : l'utilisation d'accessoires pour frapper, frapper à la tête et secouer l'enfant.
Je crois avoir bien précisé que le message reçu par les parents est très troublant et c'est le problème. En ce qui concerne l'interprétation de la Convention par la Comité des droits de l'enfant, l'interprétation du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels par son comité de surveillance et l'interprétation du Comité des droits de l'homme de l'autre pacte, aucune de ces réformes partielles ne rend justice aux droits d'égalité fondamentaux des enfants dans le cadre du respect de leur dignité humaine et de leur intégrité physique.
Le Comité mixte des droits de la personne au Parlement britannique ressemble beaucoup à votre comité. Ce comité a étudié en détail cette question quand le projet de loi a été déposé devant notre Parlement. Comme je l'ai dit plusieurs fois, le comité a conclu que la réforme partielle n'était pas adéquate, que le Comité des droits de l'enfant a exprimé des points de vue très précis qu'on ne peut plus ignorer.
Je ne l'avais pas mentionné, mais le Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels et le Comité européen des droits sociaux ont eu des interprétations similaires et claires sur leurs outils. Ces interprétations qui ne peuvent pas être ignorées exigent la suppression totale du moyen de défense.
Le sénateur Joyal : Pourriez-vous nous lire, à des fins de compte rendu, ce que dit exactement la loi britannique au sujet du recours à la force autorisé contre les enfants?
M. Newell : Il serait probablement plus sûr que je vous le fasse parvenir. Il s'agit de l'article 58 du Children Act 2004.
Cet article supprime le moyen de défense quand des parents ou des parents-substituts sont accusés d'avoir causé des lésions corporelles graves, des blessures ou des mauvais traitements. Cette disposition permet que ce moyen de défense soit invoqué par un accusé de voie de faits simple.
Le sénateur Joyal : Dans la Child Protection Act?
M. Newell : La Children Act 2004.
Le sénateur Joyal : Il n'y a pas de disposition correspondant à l'article 43 dans le code criminel britannique?
M. Newell : Il n'y a jamais eu de moyen de défense dans notre code criminel. Il y avait une défense dans la Children and Young Persons Act 1933 qui avait décrété que la cruauté était une infraction.
Dans cette loi, dans l'article qui a décrété que la cruauté était une infraction, un paragraphe stipulait, en gros, que rien dans cet article ne devait servir à empêcher les parents de punir leurs enfants. C'était essentiellement une confirmation statutaire de la défense de la common law anglaise.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, la Children Act ou la Child Protection Act, si je puis l'appeler ainsi et je me trompe peut-être au point de vue juridique, a été adoptée en 2004, c'est-à-dire il n'y a pas longtemps.
M. Newell : C'est exact.
Le sénateur Joyal : Le jugement de notre Cour suprême a été rendu en 2004. Autrement dit, l'interprétation de ce qui était admissible dans les deux pays est dans le même contexte évolutif.
Pensez-vous que l'interprétation de l'article 43 par la Cour suprême accepte le recours à la force physique contre les enfants de la même façon que la Children Act l'accepte au Royaume-Uni?
M. Newell : Je crois savoir qu'elle interdit les punitions contre les enfants âgés de moins de deux ans et de plus de douze ans, par exemple. C'est une sorte d'interdiction explicite.
En d'autres termes, ce n'est pas simple. Je ne suis pas sûr que beaucoup de parents au Canada le comprennent, mais ils comprennent probablement que le Canada a décidé de ne pas interdire de frapper les enfants. En ce qui me concerne, c'est un problème. Cela a créé de la confusion.
Le sénateur Joyal : Et en Angleterre après la Children Act de 2004? Quelle était l'interprétation d'après vous?
M. Newell : L'interprétation était qu'on pouvait continuer à donner des fessées. J'ai des piles de coupures de journaux. Les titres ne cessent de répéter que les parents pouvaient continuer à donner des fessées. C'est un problème à mon avis.
À propos des pressions exercées sur le Royaume-Uni dans le domaine des droits de la personne, comme je l'ai dit tout à l'heure, elles proviennent surtout du Comité européen des droits sociaux qui vient juste d'examiner le rapport publié par le Royaume-Uni.
Si l'on se fonde sur les déclarations précédentes faites à d'autres pays, il est sûr que le comité jugera inapproprié ce que le gouvernement britannique a fait dans la loi de 2004. Ce sera une autre ferme condamnation de violations aux droits de la personne.
Je devrai aussi ajouter que lorsque la Cour européenne rend un jugement, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe surveille la façon dont le pays exécute le jugement. Le Comité des ministres n'est toujours pas satisfait de l'exécution du jugement dans l'affaire A v U.K. Le comité n'a pas adopté de résolution déclarant que le Royaume-Uni a exécuté ce jugement de manière satisfaisante. Il y a encore un point d'interrogation. Je crois que cela provient du fait que le jugement dans l'affaire A v U.K. exige que les États assurent une protection adéquate, y compris des moyens de dissuasion efficaces. La question qui se pose est de savoir si les parents peuvent être dissuasifs de manière efficace face à une loi aussi confuse.
Le sénateur Hervieux-Payette : Bienvenue, monsieur Newell. Merci de nous avoir rejoint et d'avoir partagé votre expérience et vos connaissances merveilleuses des enfants dans le monde. Je pense que les enfants sont privilégiés de vous avoir pour les défendre. Hier, je disais que les enfants font partie du peu de gens qui n'ont pas vraiment de voix au Parlement et ils ont besoin de personnes comme vous pour parler en leur nom.
J'ai deux petites questions. Le projet de loi que je parraine pour abroger l'article 43 devrait être mis en vigueur après un an d'une campagne d'éducation importante et de modification de l'administration du système de justice. Nous traversons une période de transition durant laquelle nous devons nous assurer que tous les parents comprennent qu'il n'est plus approprié de donner la fessée. Recommanderiez-vous d'aller plus loin et d'interdire de manière explicite les châtiments corporels dans le Code criminel et donc de créer un article particulier? J'y ai pensé. J'ai décidé de ne pas le faire, car nous changeons une loi qui remonte à 1892 et il serait beaucoup plus pratique de changer d'abord les mentalités, puis de procéder par étape. Toutefois, je crois qu'il est important que nous sachions ce que vous préféreriez ou ce qui, à votre connaissance, se passe ailleurs. Aurions-nous dû créer une infraction plus spécifique au regard des enfants?
Je ne sais pas si vous avez analysé la jurisprudence de ceux qui ont été accusés et jugés coupables. Y a-t-il un cycle dans la façon dont les parents disciplinent leurs enfants, c'est-à-dire que cela commence par une fessée modérée et se termine par une accusation de voies de fait en raison de l'augmentation du degré de violence? Est-ce qu'une étude de jurisprudence a déterminé la présence d'un cycle dans lequel les parents donnent une fessée modérée aux enfants quand ils sont petits, puis des fessées de plus en plus violentes jusqu'à ce qu'ils finissent éventuellement devant un tribunal? Je n'ai pas de statistiques, mais une organisation telle que la vôtre pourrait en avoir.
M. Newell : Pour répondre à votre première question, je crois que l'abrogation de l'article 43 signifierait très clairement aux parents canadiens que la loi protège leurs enfants de la même façon en ce qui concerne les voies de fait. Si les tribunaux continuent à suggérer qu'il y a encore un moyen de défense pour les châtiments raisonnables, il vous faudra alors peut-être considérer une interdiction explicite comme cela a été le cas dans d'autres pays. Cependant, je crois que vous avez raison de commencer par cela pour le moment et de le promouvoir pour offrir aux enfants non seulement une protection particulière, mais simplement la suppression d'un moyen de défense pour leur donner la même protection. Une année de mise en vigueur est une période tout à fait raisonnable. Comme je l'ai dit, je crois que le Canada a déjà fait beaucoup plus que d'autres pays dans le domaine de la promotion de la sensibilisation et de la documentation. Il faut simplement que ce soit incorporé dans tous les contacts que l'État entretient avec les parents futurs et les parents actuels. Il n'est pas nécessaire pour le processus d'être distinct.
Plusieurs études ont montré, et les raisons sont évidentes, que les voies de faits contre les enfants s'aggravent avec le temps. Quand un parent pense que les petites fessées ne donnent pas les résultats voulus et qu'il est furieux et frustré, il y a de fortes chances qu'il va frapper plus fort, se servir d'un accessoire, et cetera. Ce n'est pas vrai pour tous les parents, et ce n'est pas inévitable, mais cela arrive dans beaucoup de cas. Votre propre étude, l'une des plus exhaustives faites, sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants indique que la vaste majorité des cas de mauvais traitements physiques étaient des cas de châtiment corporel. Que pourraient être les mauvais traitements physiques sinon être liés à la punition ou au contrôle. Le syndrome du bébé secoué peut être dû au désespoir de cause, mais c'est aussi une forme de châtiment. Il serait absurde de dire qu'il y a d'une part la discipline physique et d'autre part des abus physiques. Il est impossible de séparer précisément ces deux aspects. Ce n'est possible que lorsque l'on parle des femmes, des personnes âgées et de nous tous.
Le sénateur Hervieux-Payette : J'ai une petite question à poser à la présidente. Un collègue a mentionné un très grand nombre d'erreurs judiciaires dans le cadre de problèmes familiaux. Il serait utile que nous ayons accès à des études faites à ce sujet.
La présidente : Merci, monsieur Newell. Nous avons beaucoup appris de votre expérience et de votre expertise. Merci d'avoir pris le temps d'être venu et de répondre à nos questions.
M. Newell : Si je peux vous apporter une aide technique, n'hésitez pas à communiquer avec moi.
Le sénateur Milne : Avant de lever la séance, madame la présidente, et madame le sénateur Cools pourrait aussi rester, je crois qu'une accusation extrêmement grave contre des sénateurs a été faite ici et devant des témoins et a été consignée. Je suis très inquiète du fait que ces allégations contre des sénateurs nous visent tous et je crois que nous devrions peut-être en discuter. Nous pourrions le faire à huis clos.
La présidente : Il est 12 h 30. Pourrions-nous reporter cela à la semaine prochaine?
Le sénateur Milne : Bien sûr. Je suis très préoccupé car cela a été dit publiquement et nous vise tous.
Le sénateur Cools : Si nous devons tenir une audience, nous devons le faire publiquement et pas à huis clos.
La présidente : J'en prends note, nous en reparlerons la semaine prochaine.
La séance est levée.