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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 17 - Témoignages du 23 juin 2005


OTTAWA, le jeudi 23 juin 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 2, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada, se réunit aujourd'hui à 10 h 51 pour en faire l'examen.

Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous étudions aujourd'hui le projet de loi C-2. Nous accueillons des témoins de l'Association canadienne des chefs de police (ACCP). Nous entendrons le chef Vice Bevan, vice-président de l'ACCP et chef du Service de police d'Ottawa, M. Vincent Westwick, coprésident du Comité de modification des lois de l'ACCP ainsi que l'inspecteur-détective Angie Howe, Section de la pornographie juvénile de la Police provinciale de l'Ontario.

Nous avons pris connaissance des exposés que vous avez prononcés à la Chambre des communes et nous sommes impatients de vous entendre aujourd'hui.

[Français]

M. Vince Westwick, coprésident du Comité de modification des lois, Association canadienne des chefs de police : Madame la présidente, membres du Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, mon nom est Vince Westwick et je suis un des coprésidents du Comité de modification des lois de l'Association canadienne des chefs de police. Je suis accompagné du chef Vince Bevan, vice-président de l'Association et chef du Service de police d'Ottawa ainsi que de l'inspecteur-détective Angie Howe, agent responsable de la Section de la pornographie juvénile de la Police provinciale de l'Ontario.

Nous sommes heureux d'être ici dans le contexte de votre examen approfondi des dispositions et de l'application du projet de loi C-2.

[Traduction]

Avant de commencer notre exposé en tant que tel, je dois souligner que nous avons apporté ce matin des échantillons de pornographie juvénile au cas où les membres de votre comité souhaiteraient voir des images. Il s'agit de matériel dont nous traiterons et qui fait l'objet du projet de loi.

C'est l'inspecteur Howe qui distribuera ces images aux membres du comité qui souhaitent les voir. Nous vous offrons cette possibilité, car c'est ce que nous avons fait au comité de la Chambre des communes. Par conséquent, par courtoisie pour votre comité, nous voulons donner aux sénateurs qui le souhaitent la possibilité de voir ces images. Elles sont très explicites et troublantes. Il ne s'agit pas de documents que nous voulons soumettre au comité. En effet, ces images ne sont pas des documents publics et la Police provinciale de l'Ontario en demeure propriétaire en toutes circonstances.

La présidente : Je crois que c'est aux sénateurs qu'il appartient de décider s'ils veulent voir les images que vous avez apportées. En ce qui me concerne, je vous crois sur parole. Merci de nous offrir la possibilité de voir ces images.

M. Westwick : Je cède maintenant la parole au chef Bevan.

[Français]

M. Vince Bevan, vice-président de l'ACCP et chef du Service de police d'Ottawa : Madame la présidente, j'aimerais commencer par dire que l'Association canadienne des chefs de police appuie l'objectif du Parlement et du gouvernement de protéger nos enfants par l'entremise du projet de loi C-2.

Notre association a rédigé plusieurs résolutions à cet égard au cours des années.

[Traduction]

L'avènement de l'Internet, malgré toutes ses conséquences bénéfiques, a rendu la pornographie juvénile et d'autres formes d'exploitation beaucoup plus accessibles, ce que reconnaît le préambule du projet de loi. Dans quelques instants, nous vous expliquerons plus en détail les dangers auxquels nos enfants sont confrontés en cette ère de l'information. Permettez-moi d'abord de soulever quelques points qui concernent des aspects précis du projet de loi dont nous discutons.

L'Association canadienne des chefs de police accueille favorablement les éléments suivants du projet de loi C-2 : l'élargissement de la définition de pornographie juvénile, l'introduction d'une interdiction de faire la publicité de toute pornographie juvénile, la disposition selon laquelle l'intention de tirer un profit de la pornographie juvénile constitue un facteur aggravant lorsqu'il s'agit de déterminer la peine, la création d'une infraction de voyeurisme ainsi que l'élimination des moyens de défense reposant sur la valeur artistique et le but éducatif, scientifique ou médical et d'actes ou de produits qui constitueraient une infraction de pornographie juvénile. À cet égard, notre association aurait préféré qu'il n'y ait absolument aucune exception. Toutefois, l'article du projet de loi qui intègre les principes de l'arrêt Sharpe nous semble acceptable. En outre, nous sommes satisfaits des dispositions qui facilitent le témoignage des enfants devant les tribunaux. En dernier lieu, nous approuvons les changements qui ont été proposés à l'article 153 du Code criminel.

Nous comprenons tout à fait les préoccupations exprimées par le sénateur Nolin lors du débat de deuxième lecture du projet de loi, mais notre association accueille favorablement les amendements qui prévoient des peines minimales obligatoires pour certaines des infractions contenues dans le projet de loi C-2. Depuis longtemps, les milieux policiers sont inquiets parce que les tribunaux ne vont pas aussi loin que le Parlement leur permet dans l'imposition des peines. En effet, des personnes trouvées coupables de crimes très graves contre des enfants se voient trop souvent infliger des peines non privatives de liberté. Dans son exposé de ce matin, l'inspecteur-détective Howe vous parlera d'une autre situation malheureuse.

Si les crimes de pornographie infantile sont abominables, les personnes qui en sont accusées ne constituent pas les délinquants typiques qui se retrouvent derrière les barreaux. En effet, il s'agit souvent des personnes qui se retrouvent devant les tribunaux pour la première fois et qui n'ont pas d'antécédent judiciaire. Ces accusés ont souvent un emploi, une famille, des liens dans leur collectivité. Ce ne sont pas des personnes qui ressemblent à celles que les juges envoient habituellement en prison.

À titre exemple, le tribunal de l'Ontario a récemment entendu une affaire impliquant un professeur de l'Université de Guelph qui semblait tout à fait respectable. C'était la première fois qu'il commettait une infraction et n'avait aucun casier judiciaire. Quand les policiers l'ont arrêté, ils ont trouvé des images de pornographie juvénile dans quatre endroits différents : son ordinateur à la maison, son ordinateur à l'université, sa mallette et ses poches de vêtement où il conservait une série de photographies pour y avoir accès plus facilement. Le juge lui a imposé une peine avec sursis de 15 mois. En outre, l'accusé s'est vu accorder la permission de se rendre régulièrement au Mexique et en Thaïlande, aux fins de son travail, alors que ces deux pays sont reconnus comme tolérant l'exploitation sexuelle des enfants.

Le Parlement doit transmettre un message très clair au pouvoir judiciaire : les personnes trouvées coupables d'infractions reposant sur l'exploitation sexuelle des enfants doivent se voir imposer des peines sérieuses et significatives. Nous sommes en faveur des peines minimales. En outre, nous recommandons que, par l'entremise du projet de loi, le Parlement oblige le juge qui détermine la peine à regarder le matériel pornographique qui constitue l'infraction.

[Français]

J'aimerais reconnaître l'engagement du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile envers le Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants ainsi que le travail du Comité national sur l'exploitation sexuelle des enfants via Internet. Je veux aussi remercier le secteur privé pour son aide à combattre ce fléau. Par exemple, Microsoft a mis sur pied, en collaboration avec la police, le Système d'analyse contre la pornographie juvénile.

J'aimerais maintenant céder la parole à l'inspecteur-détective Angie Howe, qui dirige la section de la pornographie juvénile de la Police provinciale de l'Ontario, une section qui compte plus de 30 ans d'expérience dans la lutte contre la pédopornographie.

[Traduction]

L'inspecteur-détective Angie Howe, Section de la pornographie juvénile de la Police provinciale de l'Ontario : Permettez-moi de commencer par une citation :

Ce n'est pas comme si j'avais ciblé cette petite fille...cette soirée-là, j'imagine que j'avais regardé des images juste avant. Puis cela m'a excité, et j'ai agi tout simplement. Je devais absolument sortir et voir si je... Avec le temps, et je ne sais pas si c'est la même chose pour les autres, mais, dans mon cas, je dirais que oui, le fait de regarder des images me motive à faire d'autres choses... Plus j'en voyais et plus je voulais. Et à une occasion, j'ai essayé de le faire... Je voulais vraiment le faire...pas le fait de tuer. Mais je voulais vraiment avoir des relations sexuelles avec un enfant. Et c'était une obsession. Je suis sorti de chez moi et j'étais submergé de désirs, et elle était là et il n'y avait personne aux alentours. C'est tout ce qu'il a fallu... J'étais tout simplement dans cet état d'esprit, et c'était aussi facile que cela...

Je suis certaine que vous avez pour la plupart reconnu cette citation de Michael Brière, qui, obsédé par son désir d'avoir des relations sexuelles avec un enfant, a violé et tué Holly Jones, qui passait tout simplement par là alors qu'elle rentrait chez elle à pied du dépanneur.

Ainsi, pour la première fois au Canada, on a établi un lien aussi clair et explicite entre le fait de regarder des images de pornographie juvénile et celui de commettre par la suite une infraction d'agression sexuelle. Et c'est tout un lien.

Traditionnellement, les prédateurs d'enfant trouvaient leurs victimes dans des lieux publics où se rassemblent un grand nombre d'enfants, c'est-à-dire les cours d'école, les parcs et les centres commerciaux. Aujourd'hui, près de 70 p. 100 de nos enfants sont branchés à l'Internet. Par conséquent, avec le cyberespace, les prédateurs disposent d'un nouveau lieu où trouver des enfants à agresser. En effet, l'Internet peut être utilisé pour faire du trafic d'images de pornographie juvénile, pour repérer des enfants qui seront agressés, pour amorcer un dialogue sexuel inapproprié avec des enfants et pour communiquer avec d'autres pédophiles qui se convaincront entre eux que leur comportement est normal.

Comme l'a dit le chef Bevan, les juges imposent trop souvent des peines en milieu ouvert à des personnes trouvées coupables de crimes très graves contre des enfants. Selon notre expérience, plus de la moitié de ces délinquants se voient infliger des peines avec sursis. À titre d'exemple, hier, dans la région de Peel, un juge n'a condamné un accusé qu'à un sursis de sentence avec probation de trois ans. Cette condamnation avec sursis est une peine sans précédent.

Plus tôt cette année, un homme d'Alexandria a été arrêté et accusé de pornographie juvénile pour la troisième fois. Il s'est vu imposer des peines avec sursis pour les deux premières infractions alors que l'une de ces deux accusations comprenait des contacts directs avec des enfants. Il arrive très, très souvent que l'on impose de telles peines dans les cas de pornographie juvénile.

Sur une note plus positive, un délinquant de l'Ouest de l'Ontario s'est vu imposer une peine d'emprisonnement de près de trois ans. Il s'agissait d'un récidiviste accusé de possession de pornographie juvénile. Nous sommes très satisfaits de cette peine, mais elle ne constitue pas la norme. Une peine avec sursis assortie d'une assignation à résidence fait en sorte que le délinquant se retrouve dans le contexte où il a commis l'infraction, c'est-à-dire chez lui et avec beaucoup de temps à tuer. L'assignation à résidence n'est pas très différente de la vie que ces délinquants mènent habituellement.

Selon notre expérience et celle de tous les services de police du Canada, les délinquants qui collectionnent des images de pornographie infantile passent un jour ou l'autre à des infractions d'agressions sexuelles. La police de l'Ontario a constaté que 30 à 40 p. 100 de ces délinquants ont déjà commis une infractions de contacts sexuels avant d'être arrêtés pour pornographie infantile ou ont commis une infraction de contacts sexuels après avoir été accusés de possession. J'ai vu des photographies d'agressions sexuelles avec des enfants et je trouve que la perspective qu'un seul enfant soit agressé est en soi insupportable.

Très peu de recherches sont effectuées dans ce domaine, encore moins au Canada. Récemment, le Centre de toxicomanie et de santé mentale ainsi que la Section des sciences du comportement de la police de l'Ontario ont annoncé qu'ils feraient une étude conjointe des délinquants et des facteurs de risques. Cette étude aura pour objet de cerner les facteurs qui différencient les délinquants trouvés coupables de possession de pornographie infantile qui commettent d'autres infractions plus graves et ceux qui n'en commettent pas.

Il est faux de croire que la cyber-criminalité ne fait pas de victimes. Au contraire, les enfants que l'on voit dans ces images sont agressés, humiliés et avilis à l'extrême. Chaque fois que l'on transmet une image par Internet, on perpétue ce cycle d'exploitation et les enfants sont encore et encore victimisés.

Au cours de mes recherches, j'ai découvert une histoire particulièrement affligeante dont j'aimerais vous faire part. C'est l'histoire d'une des victimes de ces crimes dont on dit qu'ils ne font pas de victimes. Elle s'appelait Thea Pumbroeck. Thea a trouvé la mort sur le plancher d'une salle de bain de l'hôtel Holiday Inn d'Amsterdam le 27 août 1984. Elle apparaissait déjà dans un grand nombre de magazines et de vidéo de pornographie juvénile. Des photographies de Thea sont toujours disponibles dans l'Internet aujourd'hui, et de surcroît sont très recherchées par les pédophiles. Personne ne se souvient d'elle. Aucune fondation n'a été créée en son nom pour tenter d'aider les victimes de pornographie infantile. Même des documents officiels attestant de son décès semblent avoir disparu. On a donc fait preuve d'aussi peu de respect à l'égard de Thea pendant sa vie que pour son décès. Elle morte d'une surdose de cocaïne pendant qu'elle était utilisée pour tourner un film de pornographie juvénile. Elle avait cinq ans.

Vous avez sûrement entendu parler de l'affaire Disney World qui a fait les manchettes récemment. La victime était une jeune fille russe, adoptée par un Américain et violée pendant des années. Elle a subi des agressions qui sont à peine concevables. Tout cela a été enregistré et envoyé via Internet à d'autres délinquants par son père adoptif. Dès son arrivée aux États-Unis, son père adoptif l'a forcée à coucher toute nue avec lui. Quel prétexte a-t-il invoqué? Il a dit qu'il faisait trop chaud. C'est ainsi qu'a débuté un cycle de violence et d'exploitation. Il l'a privée de nourriture afin qu'elle paraisse beaucoup plus jeune que son âge. Lorsqu'on l'a sauvée, elle pesait 57 livres à 12 ans.

On l'a retirée des griffes de cet homme et elle se porte bien. Elle a été adoptée par une autre famille et mène désormais une belle vie et connaît la stabilité. C'est l'une des premières fois où nous avons pu donner un visage et une voix à une victime. C'est absolument accablant de l'entendre parler des horreurs qu'elle a vécues.

Comme l'Internet permet à un plus grand nombre de personnes de collectionner et de posséder des images d'enfants agressés, il est fort probable que plus d'enfants sont maintenant agressés qu'auparavant. La consommation vorace de ces images, et il s'agit sans aucun doute d'une consommation vorace, que l'on constate actuellement ne peut que susciter une plus grande production de ces images, ce qui fait qu'un plus grand nombre d'enfants sont victimes d'agressions sexuelles. C'est irréfutable : les gens qui possèdent des images de pornographie juvénile sont à l'origine de la production et de la distribution de ces images.

Souvent, les personnes accusées d'infractions de pornographie juvénile, surtout de possession, plaident coupables. Or, ces plaidoyers de culpabilité posent problème, car ils font en sorte que ni les juges, ni les procureurs de la Couronne ne voient les images qui ont donné lieu aux accusations. Par conséquent, ils ne comprennent pas réellement en quoi consistent ces images d'agressions sexuelles d'enfants ni apprécient les dommages irréparables que subissent les enfants qui apparaissent dans ces images. C'est pourquoi nous avons recommandé que les juges aient l'obligation de regarder les matières pornographiques qui sont à la base des infractions sur lesquelles ils doivent se prononcer.

Si je parle de collections d'images de pornographie juvénile, c'est parce qu'il s'agit réellement de collections. Elles sont organisées dans des classeurs en fonction des titres, de l'âge et de la description physique. Ces collections regroupent des centaines de milliers d'images. En outre, dans chaque collection, nous trouvons de nouvelles images, c'est-à-dire des images d'enfants que nous n'avions jamais vues auparavant et c'est désespérant, car nous savons que nous devrons refaire notre travail sans répit. On estime qu'un million d'images différentes circulent par Internet dans le monde entier et qu'environ 100 000 enfants sont agressés en permanence.

Les images deviennent plus violentes et les enfants que l'on y retrouve deviennent plus jeunes. Il y a un an à peine, nous ne découvrions pas souvent de photographies avec des bébés, alors qu'aujourd'hui il est normal de voir des bébés dans une bonne part des collections que nous découvrons. Il y a même une série de photographies qui sont très recherchées dans l'Internet où l'on voit un nouveau-né qui se fait violer. Ce bébé a toujours son cordon ombilical, c'est vous dire à quel point il est jeune.

J'aimerais conclure mon exposé en vous citant les motifs invoqués par l'honorable juge Stong dans sa décision au sujet de la peine rendue en 2000 dans l'affaire R c. Partridge.

On ne peut laisser sans réponse les larmes de cette petite enfant qui implore à l'aide en regardant la caméra pendant qu'un être humain qui ne peut être qualifié que de dégénéré insère son pénis en érection dans sa bouche. Ses pleurs et ses larmes de désespoir ne peuvent avoir été versés en vain. La pornographie infantile est un fléau dans nos collectivités, elle affecte tous les innocents.

Avant de décider quelle peine imposer à un délinquant trouvé coupable de pornographie juvénile, les juges doivent comprendre la nature des images concernées. J'ai apporté aujourd'hui des trousses d'information compilées avec soin qui contiennent un éventail d'images de pornographie infantile, des images de vrais enfants. La pornographie infantile est une agression flagrante d'un enfant, c'est l'image d'un crime en train d'être commis, c'est traumatisant et dévastateur. L'agression sexuelle d'un enfant ne connaît pas de fin. Chaque fois qu'une personne télécharge une image, un dossier permanent de cette victimisation est créé et la victimisation se perpétue.

Lorsque j'ai assumé mes fonctions il y a un an et demi, je n'avais pas vu d'images de pornographie juvénile. Je croyais que je pouvais imaginer ce dont il s'agissait et le comprendre, mais ce n'était pas réaliste de le penser. La notion d'une image représentant l'agression sexuelle d'un enfant est une abstraction. Nous ne pouvons pas concevoir ce que nous voyons. Il n'est pas habituel de saisir des collections de plus de 10 000 images organisées selon les préférences du délinquant, comme je l'ai déjà mentionné. Je vous préviens que les images que j'ai apportées aujourd'hui sont explicites et peuvent être très troublantes. Je suis prête à les rendre disponibles à tous les sénateurs qui souhaitent les voir. Ces images ne sont pas des documents que nous soumettons au comité et, comme c'est écrit sur la page couverture de ces cahiers, la police provinciale de l'Ontario est propriétaire de ces documents qui vous sont fournis dans un but de sensibilisation.

Quand j'ai compilé ces cahiers pour notre exposé devant votre comité, j'ai beaucoup réfléchi aux images que je choisirais. Elles sont classées en ordre commençant par celles auxquelles nous donnons une note de 1 sur 10 jusqu'à celles qui reçoivent un score de 5 sur 10. Si les sénateurs veulent les voir, je les distribuerai. Vous pourrez les regarder brièvement avant que je ne les récupère. Bien entendu, vous n'êtes pas obligés de le faire.

Le sénateur Ringuette : Je comprends que vous soyez en faveur des peines minimales à cause de votre expérience pour ce qui est de ces affaires et de leur résultat. À notre connaissance, lorsque les délinquants se sont vu imposer des peines en milieu ouvert, les juges étaient-ils plus souvent des hommes que des femmes?

Mme Howe : Je n'ai certainement pas constaté que le sexe du juge ait eu une influence quelle qu'elle soit. La constatation est générale.

Le sénateur Ringuette : Vous pensez que des personnes qui sont par ailleurs respectueuses de la loi et sont de bons citoyens en faisant notamment beaucoup de travail communautaire ne cesseront pas cette activité.

Mme Howe : C'est juste. Nous voyons maintenant des récidivistes qui en sont à leur deuxième ou leur troisième infraction sans avoir pour autant changé leur comportement. Des agents banalisés fréquentent les groupes de discussion pour pédophiles qui existent sur Internet. Il existe des groupes de discussion sur différents sujets dont l'un est de savoir quelle est la meilleure façon d'agresser sexuellement un enfant. Certains groupes de discussions traitent aussi de l'inefficacité de notre système judiciaire. Les participants à ces groupes de discussion font valoir qu'une personne qui plaide coupable à des accusations de pédophilie obtiendra une peine conditionnelle et le tribunal ne regardera même pas les photos en cause. Des participants disent à d'autres de ne pas craindre de perdre leurs photos parce qu'elles leur seront renvoyées.

La peine conditionnelle en question est la détention à domicile. L'une des conditions fixées aux contrevenants est habituellement qu'il n'est pas accès à un ordinateur, mais c'est une condition qu'il est très difficile de faire respecter. Nous savons que certains contrevenants retournent devant un ordinateur dès le lendemain du prononcé de la peine.

Le sénateur Ringuette : J'admire beaucoup ceux qui travaillent dans le domaine de l'application de la loi. Il doit être très décourageant de savoir que ces personnes vont poursuivre ces activités parce qu'on leur a imposé des peines minimales.

Le sénateur Pearson : Je vous remercie de votre exposé. Il est fantastique que nous puissions discuter avec des représentants d'un service comme le vôtre qui existe depuis tellement longtemps. Bon nombre d'entre nous qui nous préoccupons beaucoup de ce problème veulent qu'on augmente les recherches pour établir le profil des contrevenants et pour connaître ce qui les amène à s'adonner à cette activité. Si nous pouvions réduire la demande, nous pourrions peut-être amener cette activité à cesser.

Vous avez déjà parlé des recherches portant sur le phénomène de la dépendance. Savez-vous si les recherches sont en cours pour établir le profil des contrevenants et pour connaître les facteurs qui les prédisposent à cette activité?

Mme Howe : Certaines études ont été faites en Europe, mais elles datent déjà de plusieurs années. Nous nous réjouissons beaucoup qu'une étude soit en cours au Canada dans le but d'établir le profil du contrevenant, ce que nous ne sommes pas encore parvenus à faire. Nous savons que 99,5 p. 100 des contrevenants sont des hommes. Pour ce qui est du reste, tout ce que ces contrevenants ont en commun, c'est qu'ils s'intéressent de façon sexuelle aux enfants. D'après notre expérience, il peut s'agir de médecins, d'avocats, d'enseignants, de mécaniciens, d'agents de police, de juges et de chômeurs. Les contrevenants se retrouvent dans tous les milieux.

Certaines études tendent à montrer que le contrevenant type est un homme blanc âgé de 24 à 40 ans qui est un solitaire. La nouvelle étude vise à analyser les facteurs de risque ainsi que les caractéristiques des personnes qui ont été condamnées en Ontario pour ce genre d'infraction afin de voir s'il n'est pas possible d'établir un profil qui nous servira d'indicateur de risque. Les cas sont tellement nombreux qu'il nous faut pouvoir établir certaines catégories. Si le suspect a des rapports avec des enfants comme un enseignant ou un médecin ou s'il a déjà commis une première infraction, nous considérons le cas comme étant prioritaire. Nous espérons que cette étude fera ressortir les facteurs qui constituent des facteurs de risque.

Une étude menée aux États-Unis a été publiée il y a deux ou trois ans. Je vous la transmettrai.

Le sénateur Pearson : Je vous en serai reconnaissante.

Mme Howe : Cette étude portait sur les cas de récidivisme parmi les collectionneurs de pornographie juvénile et établissait si ces derniers finissaient par passer à l'acte.

Une étude menée par le Service des postes des États-Unis conclut qu'environ 35 p. 100 des personnes condamnées pour possession de pornographie juvénile avaient déjà commis une infraction sexuelle grave. Nous pensons en fait que le pourcentage de ceux qui ont déjà commis une infraction sexuelle est beaucoup plus important. Malheureusement, il n'existe presque pas de recherche sur le sujet.

Le sénateur Pearson : Bien que le problème de la technologie se pose, notamment, nous pouvons à tout le moins augmenter les peines imposées. Nous devons aussi faire autre chose pour indiquer qu'il s'agit d'un comportement inacceptable. Nous devons savoir ce qui fait croire à certaines personnes qu'elles peuvent agir de cette façon.

Mme Howe : Je travaille dans ce domaine depuis un an et demi et la question a suscité beaucoup d'attention de la part des médias pendant cette période. Le Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants à Ottawa, le projet Microsoft et l'annonce faite par le gouvernement provincial de l'investissement de fonds en vue de la mise en œuvre d'une stratégie provinciale ont retenu l'attention des médias et ont aussi augmenté notre charge de travail. Comme les gens savent de plus en plus ce qu'est la pornographie juvénile, on nous signale de plus en plus de cas.

M. Bevan : Ce qui désole évidemment les organismes d'application de la loi du monde entier n'est pas simplement qu'il existe un marché pour ce matériel, mais que nous sommes incapables de protéger les victimes. Les forces policières du monde entier n'ont pu venir en aide qu'à 1 p. 100 des victimes de la pornographie juvénile.

Nous avons complètement réorienté nos efforts pour améliorer nos résultats dans ce domaine. Les nouveaux outils qui ont été conçus en collaboration avec Microsoft nous aideront, mais notre objectif principal est de trouver ces jeunes victimes où qu'elles se trouvent dans le monde pour les soustraire aux innommables mauvais traitements dont elles font l'objet.

Nous devons nous efforcer de réduire le marché pour ces images. Le projet de loi C-2 est un pas dans cette direction. Comme l'a dit le sénateur Pearson, nous sommes sur la voie de rendre ce comportement inacceptable.

La présidente : Les parents sont-ils de mèche avec les contrevenants?

M. Bevan : Dans certains cas. Le Service de police de Toronto a été récemment confronté à un cas où le perpétrateur de l'infraction était le père biologique d'une fillette de six ans qui était agressée sexuellement en Caroline du Nord. Si je ne m'abuse, cette personne pourrait maintenant passer 30 ans de sa vie en détention en raison de ce qu'il a fait à sa propre fille. L'enquête dans cette affaire a révélé que cet homme passait la majeure partie de ses journées à la maison devant son ordinateur. Il connaissait très bien l'informatique de sorte qu'il a pu cacher son identité sur Internet et diffuser des images de sa fille dans le monde entier.

Le sénateur Joyal : J'ai récemment lu que les agents de police qui travaillent dans le domaine de la pornographie juvénile doivent à un moment donné arrêter leur travail et suivre une psychothérapie puisqu'à la longue, ce genre de travail finit par vous atteindre. Il n'est pas difficile à s'imaginer comment cela pourrait se produire si l'on regarde huit heures par jour de la pornographie juvénile. Il paraît que les agents qui effectuent ce genre de travail doivent s'arrêter à un moment donné pour participer à une psychothérapie.

Pourriez-vous nous parler de cette question? Elle n'est pas directement reliée à ces amendements, mais c'est un aspect de la question que nous étudions.

Mme Howe : Lorsqu'une personne demande à faire partie de notre service au sein de l'OPP, elle doit subir des tests psychologiques pour établir si elle a la personnalité voulue pour faire ce genre de travail. Les résultats de cette évaluation me sont transmis et si l'évaluation est positive, la personne visée passe à la prochaine étape du processus de sélection.

Avec l'aide d'un autre cadre de notre service, j'explique au candidat exactement ce qu'on lui demandera de faire. Les agents de notre service passent une bonne partie de leur journée à classer la pornographie en six catégories comme nudité infantile, pornographie infantile et obscénité chez les adultes. Tous les types de pornographie sont liés et les agents passent des heures à classer ces images. Il ne fait aucun doute que ce genre de travail finit par troubler la personne qui le fait.

Les membres de notre service ont des entrevues avec des psychologues au début pour établir si ce type de travail leur convient. Ils sont ensuite affectés temporairement au sein du service pour voir s'ils seront en mesure de faire le travail. Certaines personnes ne peuvent pas le faire. Je ne sais vraiment pas si je pourrais travailler comme enquêteur au sein de notre service. Je vois sans doute entre 20 et 30 p. 100 des images que nos agents voient par jour. C'est un travail qui est très dur au plan émotif.

Après trois mois, l'agent nous indique s'il souhaite demeurer au sein du service ou non. Il subit alors une autre évaluation psychiatrique. Si cette évaluation est positive, l'agent se voit offrir un poste à temps plein au sein du service. Tous les six mois, par la suite, il doit consulter le psychiatre. L'agent peut évidemment voir le psychiatre quand il le souhaite. Le psychiatre vient tous les trois mois pour offrir des séances au cours desquelles nous discutons de questions liées à la santé et au bien-être et au cours desquelles il est question des facteurs de stress.

Certains événements qui se produisent au cours d'une vie sont sources de stress, comme le fait de se marier, d'avoir un enfant ou de divorcer. Ces événements sont sources de stress dans la vie de n'importe quelle personne, mais ils peuvent souvent être plus difficiles à vivre pour nos agents. Nous avons un système en place pour les aider. L'une de mes principales fonctions consiste à apprendre à bien connaître les membres de notre service pour détecter toute anomalie dans leur comportement.

M. Bevan : Comme tout autre être humain, l'enquêteur type trouve ce matériel si révulsant qu'il lui est difficile de le regarder. Nous devons donner une certaine formation à nos agents pour qu'ils puissent faire leur travail d'enquêteur.

Nous leur apprenons à essayer de faire abstraction de l'image centrale dans la photographie et de regarder le reste de l'image pour voir où la victime se trouve et s'il n'est pas possible d'établir un lien entre cette image avec d'autres images. Il s'agit pour les agents d'atteindre leur objectif qui est d'identifier et d'aider les victimes et d'arrêter les perpétrateurs pour que justice soit faite.

En donnant aux agents la formation nécessaire pour les amener à concentrer leur attention sur les preuves qui figurent dans le reste de la photographie, nous les incitons à regarder chaque photographie comme doit le faire un enquêteur et à ne pas réagir comme toute personne normale le ferait en regardant ce genre d'images.

Le sénateur Joyal : Vous avez confirmé ce que j'ai lu et je crois que cette information nous aide à comprendre la situation. Je me souviens que dans ce rapport, on disait que les agents avaient pu identifier l'origine de la victime et le perpétrateur en raison du revêtement spécial qui se trouvait sur le coin d'un banc. En élargissant cette partie de la photographie, les agents ont pu identifier la chaîne d'hôtel qui utilisait ce genre de tissus pour son ameublement et ils ont pu établir l'origine de la photographie.

Pour revenir au projet de loi, vous avez dit que, d'après votre expérience, les peines qui sont proposées sont trop légères compte tenu de la gravité du crime que nous cherchons à prévenir et à sanctionner. Avez-vous des chiffres à nous fournir quant aux peines conditionnelles ou aux peines suspendues qui ont été imposées? Vous êtes d'avis que ce genre de peines ne suffit pas pour décourager ceux qui s'intéressent à la pornographie juvénile. Avez-vous des preuves à fournir au comité à l'appui de votre position voulant que les peines proposées soient trop légères?

J'aimerais voir des statistiques portant sur cinq ans sur le nombre de peines conditionnelles et de peines suspendues qui ont été imposées à l'issue de poursuites intentées au Canada. Mme Morency a indiqué hier que ce projet de loi avait été étudié à l'autre endroit et que des chiffres avaient alors été cités. Je ne sais pas si l'on peut se fier à ces chiffres, mais pouvez-vous nous les donner?

M. Bevan : Je ne suis pas en mesure de vous les donner maintenant. Si je ne m'abuse, Statistique Canada n'a pas recueilli de statistiques complètes sur la question, mais je veillerai à vous transmettre les données dont nous disposons. Tout ce que nous pouvons vous fournir maintenant, ce sont les exemples de cas où des accusations ont été portées et des peines qui ont été imposées par les tribunaux.

Le sénateur Joyal : Je suis d'accord. Je me souviens de ces cas. Il faut cependant légiférer en s'appuyant sur des faits et pas seulement sur les émotions que suscite un cas en particulier qui pourrait nous révulser. Si vous étiez convaincu que les peines imposées par les tribunaux ne tenaient pas compte de la gravité des infractions criminelles commises, pourriez-vous soulever la question auprès du Conseil canadien de la magistrature? Si vous pouviez le faire, vous n'auriez pas à attendre que le Parlement présente une loi reflétant vos préoccupations. Êtes-vous en mesure de faire part de vos vues à ceux qui sont chargés de la formation des juges? Vous connaissez mieux que nous le phénomène auquel nous sommes confrontés. Il faut prendre des mesures pour améliorer le système et nous aimerions connaître vos vues sur le sujet.

M. Bevan : Sénateur Joyal, vous venez de soulever une question à laquelle on peut attribuer une grande part de la frustration que ressent notre association ainsi que les services policiers en général. J'aimerais demander à M. Westwick de vous parler de la question. Pour ce qui est de la formation, je demanderai à l'inspecteur-détective Howe de vous donner des précisions. Nous avons réalisé certains progrès.

M. Westwick : Sénateur, vous soulevez la question importante de la relation entre les services policiers et la magistrature au Canada. Un comité constitué par les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux étudie actuellement la question des réformes à apporter au système de justice. Bon nombre de ces réformes sont directement liées à la divulgation de renseignements policiers et à d'autres questions dont nous avons discuté avec le comité. Le comité directeur ne compte pas pour l'instant de représentant de la police ou des associations nationales de policiers. Nous trouvons cela très frustrant. Bien que nous comprenions et respections le rôle des juges, il est difficile pour nous de nous considérer comme étant un des éléments du système tout en étant exclus des discussions qui portent sur la réforme de celui-ci.

Tout problème qui se pose devant les tribunaux lors d'un procès a d'abord fait l'objet d'une enquête criminelle par des services policiers. À notre avis, ce n'est pas nécessairement à l'étape du tribunal qu'il faut adopter des réformes, mais ces réformes doivent se répercuter sur l'ensemble du système. Cette semaine, j'ai eu une discussion utile et fructueuse avec des représentants du bureau du ministre. Nous espérons un changement d'orientation.

Il est difficile pour nous de dire que nous aimerions avoir des discussions sur des questions de fond avec les juges lorsque nous ne discutons même pas avec eux du déroulement du processus judiciaire. Je pense que les juges voudront sans doute se concentrer sur des questions de fond. Nous travaillons à engager des discussions avec eux. Je serai heureux de communiquer au comité le fruit de ces discussions et je suis optimiste quant à la possibilité de mettre en place un processus qui nous permettra de faire des progrès.

Le sénateur Joyal : Madame la présidente, nous voudrons peut-être nous prononcer sur cette question plus tard.

J'aimerais maintenant aussi traiter de la question des facteurs de risque. D'après ce que vous avez dit, une personne condamnée pour un comportement déviant se voit imposer une peine d'un an. Voici ce qu'on lie au paragraphe 7(2) du projet de loi à page 7.

Les alinéas 163.1(2)a) et b) de la même loi sont remplacés par ce qui suit :

a) Soit d'un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de dix ans, la peine minimale étant de un an,

b) Soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire est passible d'un emprisonnement maximal de 18 mois, la peine minimale étant de 90 jours.

Le ministre a parlé de cet article hier ainsi que des conséquences de la Charte.

Partons du principe que la peine minimale est constitutionnelle. Je vous ai entendu parler des facteurs de risque et j'établis donc un parallèle. Vous dites qu'une personne qui consomme des drogues dures devrait être incarcérée pendant 90 jours. On punit ainsi la personne, mais on n'élimine pas le risque qu'elle pose. En fait, il est possible que cette personne pose davantage de risque une fois sortie de prison.

La peine minimale doit s'accompagner d'un traitement, que ce soit pour toxicomanie ou pour maladie mentale. On peut incarcérer le contrevenant, mais cela ne change pas la cause du problème. Si une personne est obsédée pour une raison ou une autre, cette obsession ne disparaîtra pas du simple fait qu'elle est emprisonnée. Je ne suis pas sûr que ce projet de loi règle le problème. Ce serait peut-être même le contraire. Si une peine minimale ne s'accompagne pas d'un traitement prescrit par le tribunal, le contrevenant continuera de poser un risque pour la société. La peine minimale protègera peut-être l'enfant pendant 90 jours, mais le contrevenant sera libre après cette période et risque de continuer à poser un risque.

Nous devons éviter d'adopter une vision trop simpliste de la question. D'après ce que vous nous avez dit, les perpétrateurs proviennent de tous les milieux et de toutes les familles. Ce sont les membres de la famille immédiate et les voisins qui posent le plus de risques pour les enfants. Nous avons vu des statistiques sur les enfants qui ont fait l'objet d'agressions sexuelles. Comment pouvons-nous être assurés qu'en appuyant ce projet de loi nous n'optons pas pour la solution la plus facile qui est d'imposer une peine minimale de 90 jours?

M. Bevan : Lorsque nous avons d'abord comparu devant le Comité de la justice sur cette question, nous avons fait valoir qu'il importait que les tribunaux prennent ces questions au sérieux. Voilà pourquoi nous avons encouragé tant les avocats de la Couronne que les juges à consulter cette documentation.

Nous reconnaissons que des négociations de plaidoyers ont lieu devant les tribunaux et que l'avocat de la défense a tendance à chercher à obtenir la peine la plus légère pour son client. Il y a aussi d'autres types de négociations de plaidoyers. Il faut cependant revenir à la question qui amène l'accusé devant le tribunal. Le projet de loi comporte une peine minimale parce qu'on a voulu attirer l'attention des tribunaux sur la raison pour laquelle l'accusé se retrouve devant le tribunal.

La question du traitement à réserver aux personnes reconnues coupables de possession de pornographie juvénile se pose aussi à l'égard des autres contrevenants sexuels qui sont incarcérés. Services correctionnels Canada offre plusieurs types de traitements de ce genre. Ces traitements portent aussi sur ce genre de comportement déviant.

Services correctionnels Canada offre des traitements dans tous ses établissements. Le tribunal peut certainement ordonner que l'accusé participe à l'un de ces programmes pendant sa détention. En fait, c'est toujours une question de choix personnel. Le contrevenant peut tirer partie de ce traitement ou ne pas le faire. Au moment de l'expiration du mandat, le contrevenant est libéré qu'il ait choisi ou non de participer au programme. Les contrevenants qui décident de ne pas participer à ces programmes sont ceux dont les cas sont les plus difficiles à gérer.

Nous avons passablement d'expérience de la façon de gérer ce type de contrevenants dans toutes les collectivités du pays. Le problème ne se pose pas simplement à l'égard des personnes qui s'intéressent à la pornographie juvénile.

Le sénateur Joyal : Ne pourrions-nous pas prévoir dans le projet de loi que le tribunal doit imposer un traitement spécial à la personne à laquelle il impose une peine d'incarcération? Ne devrions-nous songer à l'article 810 du Code — et je ne veux pas mentionner le cas célèbre dont nous avons parlé il y a deux semaines — aux termes duquel des conditions spéciales peuvent être imposées lors de la libération du contrevenant?

J'ai écouté ce que vous nous avez dit aujourd'hui et entendu votre exposé. Nous devrions prendre tous les moyens juridiques et constitutionnels à notre disposition pour réduire, voire éliminer, ce problème. La pornographie juvénile se répand très rapidement grâce à l'Internet. Nous n'avons pas encore pris les moyens voulus pour contrer ce phénomène.

Je me trompe peut-être, mais je n'ai pas l'impression que nous ayons déjà déployé tous les efforts voulus. Je ne m'oppose pas à ce qui se trouve dans le projet de loi, mais je ne suis pas sûr que ce soit tout ce que nous puissions faire.

M. Westwick : Nous nous réjouissons de ce débat. Vous soulevez des questions importantes pas seulement dans ce domaine, mais dans tous les domaines où le traitement revêt de l'importance comme la toxicomanie, les agressions sexuelles et le comportement criminel.

La peine constitue un outil d'intervention très grossier. Ce n'est pas un outil qui permet une intervention très précise. Bien que j'aimerais me lancer dans une discussion plus large avec vous sur certains de ces principes, je pense qu'il est difficile tant sur le plan des principes que des idées, de prévoir une peine qui comporterait un traitement, en particulier si ce traitement est obligatoire.

Le sénateur Pearson se souviendra du débat qui a eu lieu sur la Loi sur les jeunes contrevenants et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et au cours duquel la question du traitement obligatoire dans le cas des jeunes contrevenants a suscité toute une controverse. L'imposition d'un traitement obligatoire pourrait soulever d'énormes problèmes liés à la Charte. Il s'agit d'une question très délicate. Nous appuierions certainement des recherches plus poussées ainsi qu'un débat public plus approfondi sur la question vu sa grande importance.

Sous l'angle de l'application des lois concernant la détermination de la peine, nous essayons d'insister auprès des tribunaux sur la gravité de l'infraction de simple possession de pornographie juvénile puisque cette gravité peut ne pas être évidente à première vue. Cette infraction comporte de graves conséquences puisqu'elle crée un marché pour ceux qui veulent commettre des agressions sexuelles. Nous songeons à des mesures de dissuasion de portée générale ainsi qu'à des mesures de dissuasion plus précises.

La question du traitement devra faire l'objet d'une discussion beaucoup plus vaste. Les milieux policiers et l'ACCP en particulier aimeraient participer à une discussion de ce genre.

Le sénateur Joyal : Connaissant le problème comme vous le connaissez, êtes-vous d'avis que les études professionnelles sur le sujet sont insuffisantes? Ce phénomène a pris de l'ampleur en même temps que l'Internet sur toute la planète. Le système de justice, et notamment les avocats et tous ceux qui participent à la mise en œuvre du Code criminel, ne disposent peut-être pas des outils voulus pour comprendre le problème et lutter contre lui de façon efficace. On devrait s'y attaquer de diverses façons. Il faudrait se fixer comme objectif prioritaire de mieux comprendre le problème.

On vous a demandé quel était le profil normal et les caractéristiques essentielles du contrevenant type ainsi que des facteurs dont on devrait tenir compte pour trouver une solution efficace à ce problème.

M. Westwick : Il nous est très difficile à titre d'organisme chargé de l'application de la loi de vous dire que nous n'avons ni la recherche, universitaire ou autre, ni les statistiques voulues sur cette question.

Je constate que la Chambre des communes a proposé un examen quinquennal du projet de loi. Nous pourrions donc discuter de la question dans cinq ans. Ce serait vraiment fantastique si les études professionnelles dont le sénateur Pearson et vous-même parlez, étaient disponibles au moment de l'examen quinquennal du projet de loi. J'incite le comité à faire cette recommandation. L'ACCP participerait volontiers avec le gouvernement et le secteur universitaire à des recherches qui porteraient sur les questions que vos collègues et vous-même avez soulevées. J'espère qu'on tiendrait compte d'une recommandation provenant de vos collègues et de vous-même.

M. Bevan : Il existe des études sur d'autres perversions sexuelles. M. Peter Collins a témoigné devant le comité de la justice. C'est un spécialiste reconnu de divers types de comportements sexuels déviants.

Comme j'ai travaillé dans ce domaine pendant plusieurs années, je connais ce matériel et les enquêtes qui s'y rapportent. En fait, le Service de police d'Ottawa lutte contre le problème de l'exploitation sexuelle des enfants au moyen d'Internet depuis 1998.

Lors d'une réunion récente du comité exécutif, nous avons débattu de la question de savoir si nous devions augmenter le nombre d'agents affectés à ce genre de tâche. Nous avons demandé au sergent responsable du service de nous faire une démonstration. Elle a ouvert un site de clavardage en ligne pendant que nous parlions. Elle a prétendu être un enfant à l'école qui utilisait l'Internet et presque immédiatement une personne a voulu établir un contact avec elle. Douze minutes plus tard, on lui faisait parvenir de la pornographie juvénile.

Le problème est très répandu. Compte tenu de la prolifération de l'Internet, nous devons faire des études non seulement sur la nature de cette infraction, mais aussi sur sa portée dans notre société. Nos enfants sont exposés à ce genre de comportement 24 heures par jour, sept jours par semaine. Il y a très peu de foyers dans cette ville où les enfants n'ont pas accès à l'Internet.

Des études ont démontré que 70 p. 100 de la population canadienne ont un accès direct à l'Internet. Cet accès n'est pas limité aux soirées ni aux fins de semaine. Ils sont exposés au harcèlement ou au leurre des prédateurs sur Internet 24 heures par jour.

Le sénateur Joyal : Quand j'étais enfant, il fallait regarder la télévision de 17 h à 19 h, et ensuite il fallait sortir pour le reste de la soirée. Si on voulait s'acheter un certain genre de magazine, il fallait se rendre au magasin, et le vendeur refusait de vous le vendre. Il n'existe plus d'obstacles. Comme vous l'avez dit, tout enfant peut accéder à l'Internet. C'est la première chose qu'ils apprennent à l'école. Lorsqu'ils sont en sixième année, ils savent déjà comment se servir d'un ordinateur. La situation est tellement différente de l'époque où j'ai grandi.

Comme j'ai dit hier à Mme Morency, du ministère de Justice Canada, c'est un nouveau monde. Le fait que nos outils ne se soient pas adaptés aux problèmes contre lesquels nous essayons de lutter, me préoccupe énormément. Nous nous faisons des illusions si nous pensons accomplir quoi que ce soit.

M. Westwick : Je ne peux pas rater l'occasion de faire une recommandation, si vous me le permettez. Nous savons que le gouvernement compte présenter un projet de loi dans un avenir rapproché sur ce qu'on appelle généralement l'accès légal. Ce terme signifie le pouvoir d'intercepter des communications. C'est la version modernisée de ce que nous appelions les dispositions d'écoute électronique du Code criminel. Ce sera un projet de loi difficile et controversé. J'ai dit la même chose au comité des communes.

Lors de l'examen de ce projet de loi-là, j'espère que nous pourrons rappeler les discussions qui ont eu lieu dans le contexte du projet de loi C-2. Les notions que nous discutons aujourd'hui sont importantes non seulement pour ce projet de loi-ci, mais aussi dans le contexte des enquêtes sur les gangs de motards, le terrorisme et ainsi de suite.

Lorsque nous discutons des outils dont les corps policiers ont besoin pour être efficaces et précis en effectuant ces enquêtes, on constate que le Code criminel a grandement besoin d'une mise à jour.

Le sénateur Ringuette : Quand le sénateur Joyal parlait du traitement obligatoire, qui ne fait pas partie de ce projet de loi, je ne pouvais pas m'empêcher de penser aux colloques auxquels doivent obligatoirement assister les personnes trouvées coupables de conduite avec facultés affaiblies. Des gens que je connais m'ont dit qu'on leur montre, à ces colloques, des expériences horribles et c'est comme un traitement de choc.

Les Mères contre l'alcool au volant ont réussi à élaborer une stratégie efficace de publicité pour informer les gens des dangers pour autrui et des conséquences de la conduite avec faculté affaiblies. Peut-être que nous devrions encourager un groupe semblable de mères à intervenir dans ce domaine.

Je sais que ce projet de loi constitue un progrès. Espérons qu'on constatera davantage de progrès lors de l'examen dans cinq ans. Étant donné l'expansion de l'Internet, l'augmentation du volume et du ciblage dans les sites de messagerie en temps réel, je me demande si un examen dans cinq ans suffira. Peut-être devrions-nous examiner ce projet de loi dans deux ans, de sorte qu'une étude puisse se faire. Peut-être qu'un groupe de mères peut former un lobby très solidement appuyé contre la pornographie juvénile.

M. Bevan : La stratégie employée par les Mères contre l'alcool au volant ressemble à celle des clients de prostituées, la « john school ». Elle ressemble à une stratégie contre la violence conjugale, qui compte sur la pression des pairs pour essayer de modifier certains comportements.

Les infractions dont nous parlons aujourd'hui sont commises sur Internet. Elles sont commises clandestinement et sont censées être cachées de tout le monde. Dès qu'on quitte le site, personne d'autre ne saura ce qu'on y faisait. La pression des pairs a donc un potentiel limité.

Je crois qu'il y a des choses qu'on pourrait faire à l'avenir. Les changements technologiques surviennent quasiment tous les jours, si bien que les prédateurs auront incroyablement plus de possibilités de s'ingérer dans la vie des enfants au cours des cinq prochaines années. Votre observation est juste.

[Français]

Le sénateur Rivest : Vous dites que les forces policières doivent poursuivre les criminels, mais votre première préoccupation demeure les enfants et leur protection. Vous avez indiqué qu'à peine 1 p. 100 des enfants s'en sont sortis. Est-ce qu'il s'agit d'une statistique internationale?

M. Bevan : Oui.

Le sénateur Rivest : C'est un faible pourcentage, mais le phénomène est mondial à cause de l'Internet. C'est alors difficile pour un policier, à Ottawa, d'identifier un enfant sur une photo comme étant un Canadien. Il pourrait venir de n'importe où.

Vis-à-vis Internet, les forces policières peuvent être relativement plus efficaces pour contrôler le clavardage, où il y a des prédateurs, car c'est plus local. Cependant, lorsqu'on arrive à des vidéos, évidemment la production est internationale et cela devient beaucoup plus difficile à contrôler.

Comme pour d'autres fléaux qui ont frappé dans le monde, n'y a-t-il pas de véritables solutions que dans une action concertée sur le plan international? Il y a déjà eu des conférences et des préoccupations qui ont été émises par les gouvernements. Je suppose qu'il y a des rencontres et de la coordination sur le plan international. On identifie certains pays. Évidemment, la nature humaine est la même partout. Il y a des prédateurs sexuels de toutes les races et dans tous les pays. Néanmoins, on identifie certaines régions du monde qui sont toujours les mêmes. Par exemple, quand il est question de drogues, on pense toujours à la Colombie et pour la pornographie juvénile, on mentionne souvent les pays de l'Est et certains pays d'Asie.

Êtes-vous en mesure de nous dire que des efforts sérieux sont faits dans ces régions pour diminuer — parce qu'on ne réussira jamais à éliminer ce fléau — le taux de production de pornographie juvénile?

M. Bevan : C'est une question difficile à répondre. Suite à votre point sur la coordination internationale, un centre canadien récemment établi à Ottawa travaille régulièrement avec le service de police Interpol, qui est le centre de coopération mondial et qui implique les membres de la communauté de la police internationale.

Leur but est d'identifier les régions et les personnes responsables, dans les régions, de la production des images, des vidéos et d'autres matériels pornographiques.

Par exemple, une enquête très récente au Canada a débuté à Toronto et à Ottawa. Les suspects et les victimes se trouvaient en Espagne. La communauté internationale et les enquêteurs d'Interpol ont pu identifier les personnes responsables.

Neuf personnes ont été arrêtées et plus de 13 victimes ont été libérées grâce à la coopération internationale des services de police dans des enquêtes touchant Internet. L'aspect international représente une question difficile. Certainement, les membres du G8 sont impliqués dans un processus international, mais peut-être que d'autres pays sont impliqués également.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : D'abord, merci d'être venus, et merci du travail que vous faites.

Pour poursuivre la discussion concernant l'examen quinquennal, je ne suis pas persuadé que cette durée conviendra, pas plus d'ailleurs qu'un examen dans deux ans ou six mois conviendrait. Nous ignorons quelle technologie sera en vente demain chez Future Shop et qui changera encore une fois nos vies. Je pense qu'il y a probablement lieu de procéder à un examen continu. Il est difficile pour nous de ce côté de trouver le moyen de le faire, mais je crois que nous devrions tous l'envisager.

Étant donné les dispositions portant sur les peines minimales dans ce projet de loi, ne faut-il pas craindre qu'il y aura dorénavant plus d'acquittements que de condamnations? Devant des peines minimales en cas de verdicts de culpabilité, est-ce que les juges qui ont été portés à ne pas imposer de lourdes peines par le passé vont maintenant trouver des façons de ne pas trouver certaines personnes coupables, ainsi allant dans le sens contraire à celui proposé par le projet de loi C-2?

M. Westwick : Sénateur, une discussion des peines minimales obligatoires est difficile, cela ne fait pas de doute. Historiquement, lorsque les policiers ont comparu devant les comités parlementaires, c'était leur principal argument. Peu importe la question, nous demandions toujours des peines plus longues et obligatoires.

Franchement, j'ignore la réponse à votre question. Il sera très intéressant d'observer les tribunaux canadiens, non seulement en ce qui a trait aux juges et à leur façon de répondre, mais aussi les procureurs de la Couronne, les avocats de la défense et les accusés eux-mêmes pour voir comment les choses se dérouleront. Je ne voudrais pas appuyer le projet de loi en vue de créer un laboratoire chargé simplement d'étudier les peines minimales obligatoires, mais cela donnera aux forces de l'ordre, aux législateurs et aux universitaires l'occasion de se pencher sur les questions très importantes et difficiles que vous avez soulevées.

Je n'ai pas beaucoup de réserve à propos des peines minimales obligatoires qui se retrouvent dans ce projet de loi, bien que je n'appuie pas, en général, les peines minimales obligatoires. Le milieu policier est partagé sur cette question. Je crois que les peines ici sont assez courtes, entre 14 jours et 45 jours. Nous ne parlons pas de peines carcérales de deux ou trois ans. Ces peines minimales obligatoires sont assez courtes, j'espère, pour ne pas dénaturer la procédure, mais plutôt pour la laisser suivre son cours. Elles enverront le message sérieux de dénonciation qui s'impose, avec effet dissuasif tant général que particulier, à l'individu devant le tribunal.

M. Bevan : Si les peines minimales entraînent plus de procès, cela ne fera que mieux sensibiliser la collectivité. Par conséquent, il y aurait une plus grande condamnation qu'à l'heure actuelle dans la société. Si les juges étaient moins portés à accepter des plaidoyers de culpabilité et à tenir des procès parce que, comme vous le dites, ils hésiteraient peut- être à imposer la peine minimale, c'est aussi bien qu'il en découle une meilleure conscience au sein de la collectivité et peut-être même une plus grande condamnation que ce n'est le cas actuellement.

Le sénateur Mercer : M. Westwick a dit que l'objectif de ce projet de loi n'était pas de créer un laboratoire pour une recherche. Vu notre façon de faire dans notre pays sur les plans législatif, policier et universitaire, je crains que personne n'effectue la recherche. Personne ne s'occupera du suivi ni de faire rapport. Comme nous l'avons dit plus tôt, il se peut que l'examen quinquennal soit bien trop long pour que nous puissions répondre aux changements. Je serais plus à l'aise s'il y avait quelqu'un qui s'occupait de l'examen et du suivi du déroulement et de la réaction des juges.

M. Westwick : Je ne peux que répéter notre recommandation précédente. Nous croyons que le Sénat a une excellente occasion de faire une recommandation sérieuse et significative concernant la recherche sur plusieurs questions, mais notamment sur celle-ci. À mon sens, étant donné les convictions pour et contre les peines minimales obligatoires en général, cela pourrait être favorablement accueilli par le gouvernement afin de régler certaines des questions définitivement. Nous serions tous, à ce moment-là, mieux à même de prendre des décisions éclairées sur les peines minimales obligatoires.

M. Bevan : Nous avons certainement trouvé que cette question posait problème ailleurs. Un de vos collègues a parlé plus tôt des ordonnances de surveillance de longue durée et de leur efficacité à contrôler le comportement de quelqu'un après la libération. Nous essayons depuis quelque temps d'obtenir des informations du Centre canadien de la statistique juridique, une direction de Statistique Canada, et nous avons constaté que ce phénomène n'a pas fait l'objet de suffisamment de recherche. Je dirais même qu'il n'a pas été bien examiné ou bien abordé au Canada.

D'un point de vue plus optimiste, l'établissement d'un centre national chargé de suivre tous les cas au Canada nous mettra bientôt dans une meilleure position, d'ici deux ans, ou certainement d'ici cinq ans. Nous sommes actuellement en train de recueillir ces statistiques. Nous allons nous baser sur ces informations pour faire des analyses concernant l'avenir. La prochaine fois que nous comparaîtrons devant le comité, nous aurons de meilleures recherches à vous présenter.

Le sénateur Pearson : J'aimerais parler brièvement d'un autre article du projet de loi. Ils sont tous interreliés, mais je m'intéresse aux nouveaux crimes de voyeurisme. Vont-ils vous aider?

Mme Howe : Notre section, pour sa part, n'a pas encore eu à traiter des actes de voyeurisme. Je peux vous donner des exemples qui illustrent ce que nous recherchons dans le projet de loi.

Une jeune adolescente se changeait dans le vestiaire en route à son cours d'éducation physique. À 13 ans, elle répondait à la définition d'enfant en vertu du Code criminel du Canada. Malheureusement, elle était isolée par ses pairs, qui la tourmentaient. Elle avait une surcharge de poids, elle était gênée et manquait d'estime de soi, et toutes ces odieuses difficultés sociales. À son insu, une de ses camarades de classe a pris une photo pendant qu'elle était en train de se changer, acte qui constitue de toute évidence du voyeurisme. En moins de deux, la photo avait circulé parmi les autres élèves de l'école. Même si on tient compte des répercussions sociales de l'impact à long terme sur l'estime de soi de la fillette en question, nous sommes aux prises avec une violation. Il nous serait utile d'avoir des mesures en place pour faire face à ce genre de situation. De plus, on aimerait voir l'établissement d'un registre national des délinquants sexuels et des outils pour l'analyse génétique. J'avoue cependant que ce n'est pas mon domaine d'expertise, car nous n'avons pas été souvent confrontés à ce problème.

M. Bevan : Dans toutes les régions du Canada, nous avons constaté des conséquences de la prolifération d'appareils photographiques, surtout de phototéléphones. Je suis au courant d'enquêtes de cas où des pédophiles ont monté un appareil photo sur leurs souliers pour pouvoir prendre des photos sous les jupes des femmes dans des centres d'achat. On a aussi mis des appareils dans des salles de bain afin de prendre ce même type de photos.

Le problème du voyeurisme n'est pas nouveau. Plusieurs criminels notoires ont commis des actes de voyeurisme. Paul Bernardo, par exemple, a pris des photos de femmes et de filles à leur insu pour sa satisfaction sexuelle personnelle. Il y en a d'autres, qui ne sont peut-être pas du même ordre, mais qui en fait prennent ce genre de photos et les mettent sur Internet. Cette disposition du projet de loi nous aidera à intervenir auprès des collectionneurs de ces photos.

M. Westwick : Beaucoup de gens perçoivent le voyeurisme comme une plaisanterie juvénile, quelque chose d'amusant. En faire un délit criminel envoie un message puissant, qui permettra aux parents et au personnel scolaire de renforcer la condamnation de cette activité avant qu'elle ne devienne un aspect de la criminalité.

Le sénateur Pearson : Y a-t-il des peines minimales pour le voyeurisme?

M. Westwick : Non.

Le sénateur Pearson : Cela m'amène à la question de la prévention. Je me souviens d'un projet de loi portant sur les agressions sexuelles, cela fait 25 ans. J'en ai parlé avec un expert américain qui a dit qu'un très grand nombre d'infractions sexuelles étaient commises par des adolescents. Selon lui, il y a lieu de mettre l'accent sur les adolescents, puisque les impulsions sexuelles peuvent encore être modifiées à cette âge-là. C'est beaucoup plus difficile à faire plus tard dans la vie.

Il faut consacrer de gros efforts à des programmes de sensibilisation concernant ce problème, ce qui nous amène dans un domaine très délicat. Je sais que les services policiers sont en train de modifier leur programme de sensibilisation et leurs interactions avec les écoles. Il pourrait être difficile d'obtenir la permission requise du conseil scolaire, mais il est important que les jeunes apprennent très tôt dans la vie que ces comportements sont tout à fait inacceptables et que les jeunes enfants ne peuvent pas être ainsi traités comme des objets.

M. Bevan : Je suis au courant de cas où nos policiers dans les écoles ont eu à traiter de ce genre de situations. Je peux parler aussi de mon expérience personnelle. Ma femme est directrice d'une très grande école primaire. Je sais, d'après mes discussions, que le personnel scolaire est très conscient du problème. Cela fait partie des comportements qui nous permettent d'identifier des jeunes en difficulté. Il faut aussi fournir au personnel scolaire les outils dont ils ont besoin pour repérer les comportements qui sont des signes avant-coureurs des problèmes dont vous parlez. C'est un de nos défis pour l'avenir.

Le sénateur Pearson : Il y a un lien avec la recherche qui sera faite sur les indicateurs avancés.

Mme Howe : De notre point de vue, la sensibilisation est un aspect très important du problème de la pornographie juvénile. Il faut éduquer les juges, les parents, les policiers et tout le monde, surtout les parents, sur les dangers du voyeurisme. Tous les enfants ont des téléphones cellulaires, dont 80 p. 100 sont des photo téléphones, et 80 p. 100 des enfants les utilisent seulement pour prendre des photos.

Dans un autre cas, des jeunes de 14 ans près de Hamilton avaient créé un club de sexe. Ils ne sortaient pas ensemble à l'école, mais après l'école ils rentraient chez eux et se servaient de leur caméra web pour se masturber ensemble. C'était leur manière de sortir ensemble. Nous sommes intervenus parce qu'on nous a mis au courant de ce qui se passait. Aucune infraction n'a été commise, puisque l'âge du consentement est 14 ans. Un membre du groupe enregistrait les images de la caméra web et les faisait circuler sur l'Internet, ce qui correspond à la distribution en vertu de l'infraction de voyeurisme.

M. Westwick : J'aimerais soulever une question importune, celle des coûts. Une des difficultés des activités policières, surtout au niveau municipal où le gros de ce travail doit se faire, c'est que tous ces problèmes coûtent très cher aux services policiers. Les programmes de prévention dont le chef Bevan parlait, qui sont mis en œuvre par la police d'Ottawa et dans beaucoup d'autres municipalités, je le sais, sont très dispendieux. Il existe maintenant beaucoup d'outils pour faciliter les enquêtes dans l'application de la loi. On peut faire beaucoup pour enquêter sur ces types de crimes, mais la situation a beaucoup évolué. Le sénateur Joyal a mentionné l'achat de revues dans des magasins; il était assez facile de mener ce genre d'enquête. Les techniques d'enquête utilisées maintenant exigent des équipements très coûteux, une formation très poussée pour que les policiers puissent les utiliser, et l'accumulation de la paperasse qui accompagne si souvent ces enquêtes.

Je voudrais profiter de cette occasion pour vous dire que la conversation peut être difficile quand un chef de police municipale doit comparaître devant le conseil municipal et la commission des services policiers. Cela se fait partout au pays vers la fin de l'année. Il est très important de tenir compte des répercussions très importantes sur les coûts de ce type de programmes.

La présidente : Merci de votre exposé et des réponses que vous nous avez données.

[Français]

La réalité nous frappe aujourd'hui de plein fouet. Si vous avez d'autres documents dont nous pourrions bénéficier, je vous inviterais à nous les faire parvenir. Comme vous le voyez, nous avons pris le temps qu'il fallait pour écouter vos témoignages et vous poser des questions.

Nous sommes moins limités que la Chambre, il y a moins de monde et il n'y a pas cette partisanerie qui dérange un peu. Tous veulent faire avancer les choses et le projet de loi C-2 nous donne l'impression de faire un pas en avant. Par contre, on s'aperçoit qu'il y a encore beaucoup à faire dans le domaine.

[Traduction]

Le sénateur Pearson : Je ne dirai pas que j'aimerais voir les documents, mais j'aimerais pouvoir les voir.

La présidente : Avant votre arrivée, sénateur Pearson, les sénateurs qui étaient présents ont dit non, merci. Si, par contre, vous voulez voir les documents, c'est votre décision personnelle, et non la décision du groupe.

La séance est levée.


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