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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 18 - Témoignages du 29 juin 2005 - Séance du soir


OTTAWA, le mercredi 29 juin 2005

Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 19 h 5, pour étudier le projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada.

L'honorable Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Nous allons reprendre l'étude du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada.

[Traduction]

Nos témoins de ce soir sont Mme Marion Hebb et Mme Susan Swan, qui représentent la Writers' Union of Canada. Soyez les bienvenues.

[Français]

Et de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois, M. Charles Montpetit, responsable du Comité liberté d'expression.

[Traduction]

Soyez toutes trois les bienvenues. Nous sommes heureux de vous accueillir parmi nous ce soir. Nous allons écouter vos exposés, puis les sénateurs auront des questions à vous poser.

Nous vous écoutons.

Mme Susan Swan, Writers' Union of Canada : Honorables sénateurs, je suis une romancière de Toronto. J'ai publié six ouvrages de fiction, dont deux comportaient certaines « folleries » jugées obscènes, à cause d'une mauvaise loi. Je vous en parlerai tout à l'heure.

Mme Hebb et moi-même sommes ce soir des représentantes de la Writers' Union of Canada. Avec la League of Canadian Poets, la Periodical Writers Association of Canada et la Playwrights Guild of Canada, des organismes nationaux représentant environ 3 000 écrivains professionnels, nous avons présenté un mémoire au comité de la justice de la Chambre des communes sur le projet de loi C-2. Nous avons également l'appui du Book and Periodical Council. La liberté d'expression est une question importante pour nos membres, notre profession et notre secteur d'activités.

Notre organisme souhaite que des mesures rigoureuses permettent de combattre l'exploitation sexuelle des enfants, mais nous nous préoccupons de certaines dispositions du projet de loi C-2. Nous approuvons l'objectif général de la loi, à savoir la protection des enfants, mais nous ne pensons pas que des lois de censure puissent régler les problèmes créés par l'exploitation sexuelle des enfants.

L'écrivain a pour rôle de présenter un miroir à la société, de sonder l'expérience humaine et d'explorer la vérité telle qu'il la voit. Si l'on entrave l'écrivain dans sa démarche visionnaire, c'est toute la société qui s'en trouve privée.

Nos membres risquent de subir les effets de la législation sur la pornographie juvénile, non seulement parce qu'ils sont écrivains, mais également parce que les œuvres littéraires sont traduites dans le mode visuel sous forme de pièces de théâtre et de films — l'un de mes romans a été porté à l'écran — sous forme sonore en tant que livres parlés ou émissions radiophoniques, et s'accompagnent souvent d'illustrations. Les écrivains doivent pouvoir représenter des enfants dans des situations à caractère sexuel dans différentes œuvres, notamment les autobiographies; des récits de jeunesse en livres ou en pièces de théâtre; des crimes relatés dans des livres, des journaux et des magazines, et des articles d'éducation sexuelle — sans craindre d'être pénalisés pour avoir transgressé des lignes suggestives et arbitraires.

La législation sur la pornographie juvénile a non seulement pour effet de menacer de sanctions du Code criminel les écrivains qui ont la malchance de transgresser sa censure, mais elle amène également de nombreux écrivains à censurer leurs propres œuvres. Si les écrivains ont à craindre de se retrouver du mauvais côté de la loi, leur créativité en sera étouffée et la loi va les pénaliser à tort, alors qu'elle devrait viser plus directement les pornographes qui s'en prennent à de vrais enfants.

Mme Marion Hebb, The Writers' Union of Canada : Honorables sénateurs, nous n'avons rien à reprocher à la loi qui protège les enfants. Il faut une loi pour les protéger, et il en existe déjà une. Nous pensons que le véritable problème n'est pas l'absence de lois canadiennes pour protéger les enfants de l'exploitation et des sévices sexuels, mais plutôt l'absence de stratégies canadiennes efficaces et l'insuffisance de ressources qui permettraient à la police de lutter contre les dangers qui menacent les enfants.

Nous considérons que s'il y a lieu de modifier la législation sur la pornographie juvénile, il faudrait la modifier de la façon suivante : tout d'abord, elle devrait viser les situations réelles de sévices et d'exploitation d'enfants, et non pas les situations imaginaires ou de fiction; deuxièmement, il faudrait ajouter les mots « dans un but sexuel » à la disposition limitant la description visuelle d'une activité sexuelle; troisièmement, et surtout, il faudrait imposer à la poursuite le fardeau de prouver que l'écrivain ou l'artiste n'a aucun objectif légitime lié à l'art et qu'il risque indûment de causer un préjudice à des personnes de moins de 18 ans. Cela ne devrait pas être à l'accusé de prouver le but artistique et l'absence de risques indus. C'est la Couronne, et non pas l'écrivain, qui devrait assumer le fardeau de la preuve. Qu'advient-il du principe voulant que le justiciable reste innocent tant que sa culpabilité n'a pas été prouvée?

En janvier 2005, le gouvernement fédéral a ouvert une ligne téléphonique nationale, appelé Cybertip.ca, pour lutter contre l'exploitation sexuelle des enfants sur Internet. Il s'agit de recueillir des indications auprès des Canadiens et de les transmettre à un service local de police. Nous approuvons sans réserve de telles initiatives qui visent à mettre les enfants à l'abri des prédateurs pédophiles.

En revanche, la succession de projets de loi présentés à la suite de l'arrêt Sharpe n'est qu'écran de fumée visant à faire croire à la population qu'on s'occupe des problèmes de pornographie juvénile. On se rappellera que Robin Sharpe a été condamné sur deux chefs d'accusation de possession de pornographie juvénile — des photos de vrais enfants — mais il n'a pas été condamné pour ce qu'il avait écrit.

Le projet C-20, déposé en 2003, visait à combler les lacunes de la loi de 1993 sur la pornographie juvénile en éliminant certains moyens de défense, dont le mérite artistique. Le projet de loi C-12 de 2004 a fait la même chose. Nous avons maintenant le projet de loi C-2.

Lors de la présentation de la loi sur la pornographie juvénile en 1993, nous avons dit que l'article 163.1 du Code criminel constituait une atteinte injustifiable à la liberté d'expression défendue par la Charte des droits et libertés. Cette législation sur la pornographie juvénile limite la liberté d'expression, car les écrivains et autres créateurs ont tendance à s'autocensurer pour éviter d'éventuelles poursuites lorsqu'ils évoquent ou représentent des personnages de moins de 18 ans. Nous avons été soulagés lorsque la Cour suprême du Canada a donné une interprétation large du moyen de défense du mérite artistique, tout en confirmant la constitutionnalité de la législation sur la pornographie juvénile. Le fait que Robin Sharpe ait été emprisonné pour des accusations de pornographie sans lien avec ses écrits nous a également paru positif.

Nous pensons que les changements apportés par le projet de loi C-2 enfreignent la Charte des droits et libertés. Il élargit la définition de la pornographie juvénile pour y inclure la description par écrit de certains actes qui constituent des infractions aux termes du Code criminel, tout en rétablissant certains moyens de défense, notamment le mérite artistique, qui ont été interprétés de façon libérale par la Cour suprême.

Le nouveau moyen de défense du but artistique n'est pas autonome. L'accusé doit non seulement prouver un but légitime lié à l'art, mais aussi que son œuvre ne pose pas de risque indu pour des personnes de moins de 18 ans, ce qui risque de priver de substance le premier élément du moyen de défense et de menacer de véritables œuvres d'art. C'est la police, la couronne et, en définitive, les tribunaux qui décideront si une œuvre pose un risque indu pour les enfants. Nous n'avons aucune idée de la façon dont la Cour suprême du Canada va interpréter ce nouveau moyen de défense à double tranchant.

À notre avis, c'est l'interprétation libérale du moyen de défense du mérite artistique dans la législation actuelle par les juges de la Cour suprême qui ont permis à ces derniers d'épargner l'infraction de pornographie juvénile qui, dans l'affaire Sharpe, était qualifiée d'atteinte injustifiable à la liberté d'expression. Nous considérons que le moyen de défense du mérite artistique, qui doit désormais s'accompagner de la preuve de l'absence de risque indu pour les enfants, ne suffira plus aux tribunaux pour assurer la sauvegarde des dispositions sur la pornographie juvénile lorsqu'elles sont contestées en vertu de la Charte. Autrement dit, la preuve de l'absence de risque indu a de fortes chances de priver les infractions du Code criminel de leur protection contre les contestations évoquant la Charte, car un tribunal considérera vraisemblablement qu'elles privent de substance le nouveau moyen de défense du but légitime lié à l'art.

Les actions judiciaires visant à préciser le sens réel du nouveau moyen de défense vont coûter très cher à la collectivité, notamment à la police et à la justice, mais aussi aux accusés. Nous considérons que les dispositions actuelles du Code criminel couvrent déjà de façon plus que suffisante les productions visées par la nouvelle loi.

Nous constatons avec déception que les rédacteurs du projet de loi C-2 n'ont pas profité de l'occasion pour modifier les définitions très générales de pornographie juvénile mises en œuvre en 1993. À défaut d'une définition du mérite artistique tel que l'a interprété la Cour suprême du Canada, la loi actuelle constitue déjà pour nous un sujet de préoccupation. Mais la définition actuelle qui englobe les représentations visuelles d'une personne qui a ou qui semble avoir moins de 18 ans et qui se livre à une activité sexuelle explicite est encore plus problématique.

Mme Swan : Madame Hebb est avocate et travaille pour la Writer's Union of Canada. Je suis pour ma part romancière et membre de cette même organisation. En deux mots, notre principale préoccupation, décrite en termes simples, porte sur le fait que c'est à l'écrivain ou à l'artiste de prouver que leur œuvre n'est pas préjudiciable aux enfants.

Comme l'a dit Mme Hebb, nous ne sommes pas indifférentes au sort des enfants. Je suis moi-même mère et je suppose que beaucoup d'entre vous sont parents. Nous accordons tous la même importance aux enfants, mais nous ne voulons pas d'une loi en vertu de laquelle l'écrivain ou l'artiste serait d'emblée coupable jusqu'à ce qu'il puisse prouver son innocence.

Deuxièmement, je m'inquiète du fait que certaines dispositions sont vagues, ce qui ouvre la porte au Canada par le biais d'autres lois à des décisions erronées très gênantes et inutilement coûteuses. Je peux d'ailleurs vous en parler à titre personnel.

Par exemple, je suis l'auteur du roman The Wives of Bath, qui a pour thème un meurtre commis dans un pensionnat pour filles. On en a d'ailleurs fait un film intitulé Lost and Delirious, qui met à l'affiche la merveilleuse actrice québécoise Jessica Paré. Pas plus tard qu'en 2003, ce roman a été arrêté à la frontière. En effet, il y avait un professeur de l'Université McMaster qui rentrait des États-Unis et qui a été arrêté par un douanier qui l'a informé qu'il serait accusé d'avoir amené au Canada des documents obscènes. Ça m'a semblé incroyable. Le professeur Paul Rapoport n'en revenait pas non plus. Après tout, mon roman avait été publié au Canada et avait été bien reçu; c'était même un roman à succès. En guise de réponse à cela, le douanier a dit que certains ouvrages publiés au Canada étaient illégaux au pays.

Ce genre de situations ridicules se produit souvent à la frontière et c'est ce qui est arrivé à mon roman. Après un certain temps, on lui a quand même rendu le livre. Il avait également...

Le sénateur Nolin : A-t-il reçu une lettre d'excuses du ministre?

Mme Swan : Il n'a jamais reçu d'excuses. Pornography, Sex and Feminism de l'auteur américain Alan Soble — un autre ouvrage qu'on trouve facilement au Canada — a également été saisi. Un deuxième douanier, qui n'a pas cru M. Rapoport quand il lui a dit qu'il était professeur, a manifesté un grand intérêt pour les courriels qui contenaient les mots « soumission » et « chez nous ». M. Rapoport est directeur d'une revue littéraire.

Voilà donc un exemple des situations ridicules qui peuvent subvenir quand les autorités incompétentes décident de donner une interprétation libérale à la loi. Le professeur Rapoport est rédacteur en chef d'une publication trimestrielle et on a déclaré, à tort, que ces ouvrages étaient obscènes. On lui a finalement permis de traverser la frontière, mais cette expérience a changé à tout jamais ses choix de mode de transport. En effet, il ne prend plus l'avion pour aller au Canada, préférant prendre le train ou le bus jusqu'à Buffalo parce qu'il ne veut pas revivre une telle expérience.

J'aimerais vous donner un autre exemple qui date de 1988. J'ai également écrit un autre roman qui s'intitule The Last of the Golden Girls. La première partie du livre traite de jeunes filles qui découvrent leur sexualité. À un moment, je mets en scène deux filles qui s'exercent à faire l'amour, et qui s'embrassent dans les dunes pour être prêtes quand viendra le temps de le faire pour de vrai avec les garçons. Elles se lisent des passages de Peyton Place. Elles font tour leur possible pour paraître sexy et pour imiter ce que d'après elles les femmes font avec les hommes.

Quand j'étais en train d'écrire ce roman, j'en ai lu des extraits à la CBC et tout de suite après deux citoyens albertains ont appelé la police des mœurs pour que je sois poursuivi pour obscénité et promotion du lesbianisme. Comme nous le savons, au Canada nous reconnaissons le fait que les gens sont libres de leur choix sexuel, et de toute façon ce n'était pas mon intention lorsque j'ai écrit ce passage. J'essayais plutôt de décrire ce que cela voulait dire d'être une jeune femme découvrant sa sexualité au Canada à la fin des années 1950.

L'enregistrement de la CBC a été saisi. On a dit à mon éditeur, qui s'apprêtait à publier le roman, que l'ouvrage risquait d'être reconnu comme étant obscène, mais qu'il faudrait attendre que le détective Taylor de la police des mœurs d'Edmonton prenne une décision quant à la validité de l'accusation. À l'époque, c'est Louise Dennys de Lester & Orpen Dennys qui était mon éditeur. C'était une maison d'édition qui n'était pas grande et qui n'avait pas beaucoup d'argent. D'un côté, elle était ravie parce qu'elle pensait qu'une accusation aussi ridicule ferait beaucoup parler de mon roman. Mais en même temps, elle n'aurait pas pu financièrement se permettre de faire traiter une telle affaire devant les tribunaux. Nous avons tous été très soulagés quand six mois plus tard le détective Taylor de la police des mœurs d'Edmonton, qui avait alors écouté l'enregistrement, a décidé qu'il trouvait que le passage était charmant. Il n'y avait pas lieu de parler d'obscénité.

L'expérience du professeur Rapoport à la frontière et cette histoire d'accusation d'obscénité en Alberta se sont bien terminées. Par contre, la loi risque de donner lieu à d'autres histoires de ce genre. C'est pour cela que nous comparaissons ce soir. Les citoyens qui ont exprimé leurs opinions avaient le droit de le faire. Par contre, lorsqu'on veut que ce soit les artistes et les écrivains qui assument le fardeau de la preuve alors qu'ils ne donnent vie qu'à des personnages imaginaires, pas des personnes réelles, cela risque de poser de graves problèmes. Les écrivains et les artistes vous demandent de bien le comprendre.

Mme Hebb : Si le projet de loi est adopté, la pornographie infantile, telle qu'elle est définie dans le Code pénal, comprendra tout document décrit qui a pour caractéristique dominante la description d'activité sexuelle avec une personne de moins de 18 ans, dans un but sexuel. En vertu de cette description, il s'agirait alors d'une infraction en vertu du Code pénal.

Mme Swan : Les réalisateurs de films et des pièces de théâtre ne pourraient plus adapter des ouvrages relatant des faits réels parlant d'inceste, comme par exemple My Father's House de Sylvia Fraser et Daddy's Girl de Charlotte Vale Allen. Paulette Bourgeois et Martin Wolfish pourraient même être poursuivis pour leur description de la puberté inspirée de faits réels en vertu de cette description vague d'actes sexuels avec des personnes qui ont moins de 18 ans ou qui ont l'air d'avoir moins de 18 ans. Je répète que nous ne voulons pas d'une loi dont l'objet serait de rassurer le public en prétendant que le gouvernement protège les enfants quand, en réalité, on fait fausse route et on dépense inutilement l'argent du contribuable.

Mme Hebb : Nous pensons qu'en apportant les modifications proposées aux infractions relevant de la pornographie infantile dans le Code pénal, on créerait des infractions qui iraient à l'encontre de la Charte. Le libellé est trop vague. Les changements proposés rendront plus probable le recours arbitraire à la discrétion en matière de poursuite des créateurs d'œuvres écrites visuelles et auditives. Parce que la nouvelle définition de la pornographie infantile est si vaste, il risque d'y avoir beaucoup plus de poursuites arbitraires. D'ailleurs, ma collègue, Mme Swan, a eu peur d'être prise pour cible.

Mme Swan : Nous sommes d'avis que les changements proposés pousseront les écrivains et les autres artistes à s'autocensurer, ce qui freinera l'expression artistique. C'est inacceptable dans une société qui chérit la liberté d'expression. Les lois qui bafouent la liberté d'expression ne permettront pas d'éliminer la violence sexuelle et l'exploitation dont sont victimes les enfants. Nous exhortons le gouvernement à adopter des mesures correctrices qui visent à réprimer et à arrêter la violence sexuelle et l'exploitation des enfants. Nous demandons au comité et à tous les sénateurs de retirer les amendements portant sur l'article 163.1 du Code pénal et de prendre des mesures qui protégeront vraiment nos enfants.

[Français]

M. Charles Montpetit, responsable du Comité liberté expression, Union des écrivaines et des écrivains québécois : Madame la présidente, vous avez tous reçu le mémoire que je vous ai soumis au nom de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois. Je ne vais donc pas vous le relire.

Je tiens à souligner que je ne parle pas, aujourd'hui, uniquement au nom de l'Union des écrivains mais au nom de différentes associations d'auteurs, d'illustrateurs, de libraires, de traducteurs, de gens de théâtre, de bibliothécaires, de défenseurs des libertés civiles, d'artistes en art visuel, d'artistes multimédias, d'artistes de radio, de télévision, de cinéma, de compositeurs dramatiques et, évidemment, les acteurs de l'Union des artistes qui ont tous endossé ce mémoire que je vais tenter de résumer.

Il n'est pas interdit, présentement, au Canada, d'écrire une histoire policière, par exemple, où on parle de meurtre, comme on peut le voir à la télévision et au cinéma. Pourquoi, dans ce cas, aurait-on une loi qui interdit que l'on parle d'un acte d'abus sexuel envers un enfant? Dans les deux cas, il s'agit d'un crime fictif qui est décrit dans l'histoire, ou alors il s'agit d'un documentaire qui ne fait que parler d'un fait vécu.

Les auteurs dont le sujet est le meurtre ne sont pas touchés par la loi. Pourquoi en serait-il autrement dans le cas d'un auteur qui parle d'abus sexuel? Sur ce point, je me sens personnellement concerné. La dernière fois que je suis venu à Ottawa c'était pour recevoir le prix du Gouverneur général. Aujourd'hui, je suis devant vous pour tenter de vous expliquer que cette loi pourrait faire de moi un pornographe juvénile. Je ne comprends pas d'où vient cette accusation.

Ma préoccupation vient du fait que j'ai rédigé, en collaboration avec 16 autres auteurs, deux anthologies qui parlent de la première relation sexuelle. Ces auteurs ont, comme moi, gagné des prix littéraires. Ces ouvrages qui s'intitulent La première fois relatent des faits vécus. Ces anthologies ont été rédigées de façon à informer les adolescents sur le déroulement d'une première expérience sexuelle dans la vie de tous les jours. Ces ouvrages ont été conçus en guise de complément aux cours d'éducation sexuelle et dans le but de rendre service à ses lecteurs.

Si on regarde la façon dont la loi est rédigée, ces ouvrages pourraient maintenant être considérés comme de la pornographie juvénile. La loi dit que la pornographie juvénile c'est toute représentation où une personne âgée de moins de 18 ans est présentée comme se livrant à une activité sexuelle.

La présidente : À quel article faites-vous référence?

M. Montpetit : Je me réfère à l'article163.1 (1)a)(i). Cet article de la loi actuelle dit que s'il y a activité sexuelle de moins de 18 ans, c'est de la pornographie juvénile. Point à la ligne. L'article est clair et se lit présentement comme tel.

La seule défense, qui fait que je ne suis pas encore arrêté, est liée au fait que la loi dit un peu plus loin que ceci ne s'applique pas aux œuvres artistiques, éducatives, scientifiques ou médicales. Grâce à cette exception, je n'ai pas encore été jeté en prison, de même que les 16 autres auteurs qui ont travaillés avec moi et tous ceux qui travaillent dans le domaine de l'éducation sexuelle pour adolescents.

Toutefois, si on commence à affaiblir l'exception qui s'applique présentement à toutes les œuvres artistiques, éducatives, scientifiques ou médicales et qu'on dit désormais que les gens qui ont écrit ces œuvres vont devoir prouver que leurs œuvres sont légitimes et qu'elles ne posent pas un risque indu, très peu d'auteurs seront en mesure de se défendre avant même que le livre ne paraisse sur le marché. Comment peut-on prouver qu'un ouvrage qu'on s'apprête de publier ne sera pas perçu comme offensant et qu'on ne vous accusera pas d'avoir une œuvre dans un but illégitime et qui pourrait faire courir un certain risque selon une opinion donnée? Je ne vous dis pas que ces gens gagneraient en cour. Toutefois, à cause de cet affaiblissement, tous ceux qui, comme moi, ont écrit sur la sexualité des adolescents pourraient se retrouver en cour pendant dix ans — délai que peut prendre une cause en appel devant la Cour suprême — à essayer de défendre leur réputation à grands frais, évidemment, et à grands dommages pour leur réputation. Pendant ce temps, les œuvres seraient saisies du marché, retirées de la circulation jusqu'à la fin des procédures d'appel. À toutes fins pratiques, cela veut dire que même si l'œuvre était exonérée de toute accusation, elle serait censurée du marché pendant 10 ans avec la bénédiction de l'État.

Je considère cette situation tout à fait inacceptable. On donne un pouvoir énorme à n'importe qui aurait envie de porter une accusation frivole contre un auteur dont le travail ne peut plaire à tous.

On sait déjà que plusieurs s'opposent à l'éducation sexuelle par exemple, et qui disent que, oui l'éducation sexuelle, selon eux, fait courir un risque et encourage les jeunes à avoir des relations trop tôt.

Personnellement, je considère que cela est une accusation frivole parce que j'ai toujours cru que permette aux jeunes de se renseigner sur la sexualité ne les pousse pas à faire leurs expériences plus vite, mais que cette éducation répond plutôt à leurs questions sans les obliger à faire ces expériences. Cela s'est vérifié avec le fils de la femme que j'ai fréquenté pendant 13 ans au cours des dernières années; c'est lui qui a fait la correction d'épreuve de mes livres alors qu'il avait 14 ans, avec l'accord de sa mère bien sûr. Cela ne l'a pas poussé plus vite à faire ses propres expériences. C'est seulement à 17 ans qu'il s'est finalement décidé. Il est venu m'en remercier ensuite parce qu'il avait à nouveau lu mes livres à 17 ans et cela l'avait beaucoup aidé à éviter des erreurs.

Ces livres sont appréciés par des jeunes, et pas seulement mon fils — ces deux livres ont été sélectionnés par la Bibliothèque internationale des jeunes à Munich parmi la sélection mondiale des 240 meilleurs livres pour jeunes lors de leur parution. Ils ont ensuite été adaptés en version anglaise au Canada sous forme de deux autres anthologies, encore une fois avec 16 auteurs, mais des auteurs différents, et cette nouvelle version a gagné trois fois des honneurs littéraires. Elle est maintenant également disponible en version australienne.

Vous avez alors affaire apparemment à quelque chose qui serait considéré, dans le cadre du projet de loi, comme un crime international. Il faudrait appeler Interpol. Ce que je trouve vraiment étonnant là-dedans, c'est que ce n'est pas nécessaire de procéder ainsi parce qu'il n'y a jamais eu d'auteur qui ait échappé à la prison grâce aux exceptions prévues actuellement dans la loi pour les artistes, les éducateurs, les scientifiques et les gens de la profession médicale.

Oui, John Robin Sharpe a échappé à deux chefs d'accusation contre ses œuvres littéraires, mais il est toujours en prison aujourd'hui à cause de ses crimes réels contre des personnes réelles. Il n'y a jamais eu de libération de pédophiles à cause des exceptions présentement en vigueur.

Pourquoi dans ce cas essayer de les affaiblir et de prendre dans le filet, en les affaiblissant, toute une série d'auteurs parfaitement innocents qui croient rendre un service public lorsqu'ils travaillent dans le domaine de la sexualité adolescente.

Ne nous leurrons pas, la sexualité adolescente est permise au Canada à partir de 14 ans, l'âge du consentement. Si on a le droit de faire l'amour à partir de 14 ans au Canada, pourquoi est-ce qu'on se mettrait à interdire d'en parler ou d'écrire sur le sujet dans des livres? L'acte, dans la vrai vie est légal, mais si on parle de cet acte par écrit cela devient illégal. C'est un non-sens à mes yeux. C'est exactement l'inverse de ce que cela devrait être et de ce que c'est présentement pour les meurtres. Un meurtre dans la vraie vie est illégal, mais on peut en parler par écrit. Cela devrait être exactement la même chose pour la sexualité.

Ce que je trouve particulièrement dommageable, c'est non seulement que le livre de l'auteur pourrait être saisi pour toute la durée du procès, mais également que le dommage à sa réputation va être quasiment irréparable.

Personnellement, je gagne ma vie non pas en droits d'auteur mais en conférences dans les écoles, particulièrement les écoles secondaires où je vais parler aux jeunes de ce que j'ai décrit La première fois avec tous ces autres auteurs. Pensez- vous qu'il y a une seule école au Canada qui va continuer à m'inviter à faire ce type de conférence, qui constitue mon gagne-pain, si pendant dix ans je dois me défendre contre une accusation de pornographie juvénile.

C'est extrêmement dommageable pour la réputation d'un artiste, et je ne parle même pas de ses ressources financières, parce que contrairement à la plupart des rumeurs qu'on croit sur le domaine des arts, la plupart des artistes vivent en-dessous du seuil de la pauvreté. La plupart d'entre eux ne seraient pas en mesure, financièrement, de se défendre contre des accusations si frivoles soient-elles.

Je ne comprends pas pourquoi le Canada essaye de rendre la vie si difficile à ses artistes, alors qu'ils n'ont commis aucun crime contre une personne, et je vous invite à renvoyer ce projet de loi à la Chambre des Communes pour qu'il soit corrigé en conséquence.

[Traduction]

Le sénateur Milne : Dites-vous qu'un auteur qui, à l'âge adulte, décide de raconter les abus qu'il a subis quand il était enfant, et je parle bien d'une histoire vraie et non d'un roman, commettrait un crime en vertu de plusieurs articles de ce projet de loi?

Au Canada, on estime que quand on relate ce genre d'expérience, cela a des effets thérapeutiques et accélère la guérison. Votre comité a même apporté des modifications à un projet de loi qui portait sur les auteurs criminels en prison. En vertu du projet de loi, on permettait aux criminels de ce type de mettre sur papier leurs problèmes afin de les aider à se soigner.

Je dois dire que cet aspect du projet de loi me préoccupe particulièrement. Comme je l'ai dit à notre dernier témoin, les deux aspects qui me dérangent sont les peines obligatoires et le retrait du moyen de défense du mérite artistique. Je m'en tiendrai à cela. Je n'ai pas de questions.

[Français]

M. Montpetit : Même si ce n'est pas une question, j'aimerais répondre à un petit détail que vous avez dit. Vous avez dit : « généralement accepté par la population comme une thérapie ».

Par définition, vous entendez que ce n'est pas accepté par tout le monde. Cela veut dire qu'il y a des gens au Canada qui ne seraient pas d'accord avec cela. Cela veut dire que ce sont ces gens qui pourraient porter une accusation.

Même si ce que vous dites est parfaitement raisonnable et accepté par la majorité, ce n'est pas la majorité que nous craignons dans un cas comme celui-ci, c'est justement ceux qui ne sont pas d'accord avec le fait qu'il est légitime de parler de sexualité.

Ce n'est pas obligé d'être, comme vous avez dit, des œuvres de non fiction. Une œuvre de fiction sur exactement le même sujet, qui pourrait quand même avoir une valeur thérapeutique en tant que nouvelle ou roman, serait également sujette aux mêmes poursuites éventuelles. Nous croyons que c'est inacceptable.

[Traduction]

Le sénateur Pearson : Bien que je sois arrivée en retard, j'ai tout de même pu saisir ce que disait M. Montpetit. Ça revient à ce dont le sénateur Milne a déjà parlé. Je ne suis pas aussi inquiète que certains parce que je ne pense pas que l'actuelle définition de la pornographie infantile s'applique à vos histoires. Comme aucune infraction n'a été commise, vous n'avez besoin d'aucun moyen de défense. Je pense que vous vous inquiétez inutilement. Il n'y a rien qui incite les gens à participer à des activités sexuelles illicites. Vous dites que l'âge de consentement est de 14 ans. Vous parlez d'activités sexuelles qui ne sont en rien illicite et auxquelles se livrent les jeunes.

La définition ne s'applique pas à ce que vous avez décrit, ni même à beaucoup des ouvrages que d'autres ont cités. Aucun moyen de défense ne s'impose puisque aucune infraction n'a été commise. Vos ouvrages ne sont pas visés par la nouvelle définition parce que la caractéristique principale de vos œuvres n'est pas la description d'activités sexuelles illicites. De plus, vos livres n'ont pas pour objet d'exciter sexuellement les lecteurs.

Je pense sincèrement que vos inquiétudes portent sur des aspects qui ne relèvent pas de cette loi. Ce dont vous avez parlé n'est pas du tout visé par cette loi, qui porte sur une toute autre forme d'expression. Le texte ne vise pas ce que vous faites ni les histoires qui relatent l'enfance de l'auteur, ni même encore des tableaux. Il vise plutôt les mises en scène, principalement sur Internet, et principalement d'enfants en chair et en os, dans des conditions d'avilissement extrême. Il existe toujours un moyen de défense pour les véritables œuvres d'art, mais d'après moi on n'a pas besoin de moyen de défense, parce qu'aucune infraction n'a été commise.

Mme Swan : Sénateur Pearson, vous n'avez sans doute pas entendu l'histoire que j'ai racontée au sujet du douanier canadien qui a saisi le roman, The Wives of Bath, qui est lu dans le cadre de cours universitaires, qui est un roman à succès, qui a été adapté pour le grand écran, qui a été lu par un nombre non négligeable de lecteurs et qui a été publié dans environ 12 pays. Vos propos démontrent que la littérature ne vous est pas étrangère, mais ce qui n'est pas le cas du douanier qui a saisi mon roman.

Le sénateur Pearson : Il m'est arrivé à moi aussi qu'un douanier me confisque Ulysses. Je ne peux pas répondre des actes des douaniers.

Mme Swan : Nous sommes sans doute tous les trois d'accord sur ce qu'on peut qualifier de vraie littérature, mais nous devons être très vigilants, car il ne faudrait pas que par le biais de cette loi nous permettions à ceux qui ne s'y connaissent pas aussi bien en littérature, ou qui ne s'y intéressent pas, de déclarer la guerre à un ennemi qui n'en n'est pas un. Voilà, en deux mots, notre argument.

M. Montpetit : Permettez-moi de vous lire l'article 163.1(1)a) :

(i) soit où figure une personne âgée de moins de 18 ans ou présentée comme telle et se livrant ou présentée comme se livrant à une activité sexuelle explicite

En d'autres termes, tout scénario mettant en scène une personne de moins de 18 ans se livrant à des actes sexuels peut être qualifié de pornographique. C'est ce qu'on dit dans la loi. Ce critère à lui seul permet d'accoler l'étiquette de pornographie infantile.

Le sénateur Pearson : La Cour suprême a déterminé que « présentée comme se livrant à une activité sexuelle explicite » ne fait pas référence aux activités sexuelles banales.

M. Montpetit : D'après la formulation actuelle, toute description d'une activité sexuelle par quelqu'un de moins de 18 ans constitue de la pornographie juvénile.

Le sénateur Pearson : Non; toute activité sexuelle illicite.

M. Montpetit : Le texte n'emploie pas le mot « illicite »; il vise toute description d'une activité sexuelle avant 18 ans.

Le sénateur Pearson : Une activité sexuelle explicite.

M. Montpetit : Oui, mais il peut y avoir une activité sexuelle explicite légale, comme on en trouve dans ce livre et dans bien d'autres.

[Français]

La présidente : Vous citez le Code criminel, mais le projet de loi C-2 ne touche pas à cela.

M. Montpetit : Le projet de loi C-2 ne touche pas à cette section. Le projet de loi C-2 touche à la défense qui permet à un artiste de se considérer exempté de cette section. Ce projet de loi affaiblit la défense des artistes. C'est le problème. Je n'ai pas d'objection à ce que la loi définisse la pornographie d'une façon ou d'une autre. J'ai objection à ce que le projet de loi affaiblisse mon moyen de défense.

Un artiste du nom de Eli Langer, a, malgré tout, selon la loi telle que formulée présentement dans le Code criminel, été arrêté, en 1993, pour avoir supposément enfreint la loi parce qu'il avait exposé ses tableaux dans une galerie de Toronto. Cela a pris 18 mois de procès pour l'innocenter. Dix-huit mois pendant lesquels ses tableaux ont été saisis par la police parce qu'une personne du public avait déposé une plainte.

À mon avis, ce cas est beaucoup plus significatif et beaucoup plus outrancier que le cas de John Robin Sharpe qui est toujours en prison. S'il devait y avoir un scandale, ce n'est pas que John Robin Sharpe a échappé à deux chefs d'accusation sur la fiction, c'est que l'artiste, Eli Langer, malgré la protection de la loi qui était beaucoup plus forte à l'époque, a quand même été arrêté.

On s'apprête maintenant à affaiblir la défense qui lui avait permis de s'en sortir. Ce qui veut dire que, désormais, il pourrait y avoir beaucoup plus d'artistes qui pourraient être arrêtés parce que leur défense est plus faible. C'est ce qui m'inquiète.

Vous dites que nous n'avons pas à répondre de l'attitude des gardes à la frontière. Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas d'accord. Le Sénat n'a pas à faciliter la tâche d'un garde qui n'a aucune formation littéraire et lui donner le droit de jeter quelqu'un en prison. Je crois que c'est plutôt votre travail de l'empêcher de faire cela en interprétant la loi de travers.

J'aimerais bien que vous ne facilitiez pas la tâche des gens qui, contrairement à vous, pourraient interpréter la loi de travers.

[Traduction]

Le sénateur Pearson : Nous ne sommes pas d'accord sur les définitions. Je pense que l'argument de défense de la valeur artistique est plus fort qu'avant. Vous pensez qu'il est plus faible.

M. Montpetit : Oui.

Le sénateur Pearson : Je pense qu'il est plus fort parce qu'à mon avis, nous avons une définition plus claire de ce qu'on appelle la pornographie juvénile. L'exception dans le moyen de défens du mérite artistique, scientifique, éducatif, ect. est un double critère qui, à mon avis, protège beaucoup mieux la création artistique telle que vous la pratiquez. C'est une meilleure protection, car ceux d'entre nous qui avons vu de la pornographie avec de vrais enfants savons qu'il y a un monde de différence entre cela et ce dont vous parlez.

[Français]

M. Montpetit : La loi ne définit pas la pornographie comme étant autre que ce dont nous parlons ici. Elle ne parle pas de Internet, de dégradation extrême, comme vous avez dit. La loi dit tout simplement qu'il s'agit de sexualité de moins de 18 ans. Même si on croit ou si on veut que la pornographie réelle soit autre chose, telle qu'elle est définie dans la loi, elle n'est pas couverte ainsi. On ne parle pas de dégradation extrême dans la loi. On ne mentionne pas Internet non plus. On fait référence à n'importe quel médium incluant le cinéma et les livres où il y a tout simplement une image ou un texte qui parle de sexualité de moins de 18 ans. C'est ce qui est indiqué dans la loi.

Je ne suis pas d'accord avec le fait que la défense soit plus forte maintenant. En tant qu'auteur, jusqu'à maintenant je n'avais qu'à prouver que j'étais un artiste et j'étais couvert par les exceptions de la loi.

J'ai gagné ma vie en tant qu'artiste, j'ai aussi gagné des prix en tant qu'artiste. C'est facile pour moi de prouver que je suis un artiste, alors que maintenant cela ne suffit plus. Avec l'adoption du projet de loi C-2, il faudra que je prouve que j'ai un but légitime et que je ne fais courir de risque indu à personne. Il est beaucoup plus difficile pour moi de prouver cela et je suis donc beaucoup moins protégé.

Le sénateur Nolin : Même si votre œuvre est légitime, le fait que vous deviez prouver, a priori, qu'elle ne pose pas un risque pour les personnes âgées de moins de 18 ans rend votre défense presque illusoire. Est-ce bien votre argument?

M. Montpetit : Non, seulement cela rend ma défense presque illusoire, presque impossible. Comment voulez-vous que je prouve que mon livre, qui sortira sous peu, ne fera courir de risque indu à personne? Il faut d'abord attendre que le livre sorte et voir si quelqu'un s'en offense.

Je ne peux tout de même pas deviner ce qu'il y a dans la tête de chaque Canadien qui pourrait lire mon œuvre et choisir d'y voir un risque. Cela signifie que si quelqu'un m'accuse de faire courir un risque, je devrai subir un procès. Je vais peut-être gagner ce procès, mais pendant tout ce temps mon œuvre sera retirée du marché.

D'une part, cela signifie que je suis jugé coupable jusqu'à preuve de mon innocence et que, d'autre part, mon œuvre est présumée illégitime jusqu'à ce qu'elle ait été prouvée légitime. Cela est inacceptable. On n'impose même pas de telles conditions à des criminels puisque les gens ayant commis un meurtre doivent être reconnus coupables avant d'être emprisonnés.

Le sénateur Nolin : Autrement dit, ce n'est pas uniquement le fait qu'il y ait une défense prévue au Code. Vous voudriez aussi une modification de la définition de l'infraction elle-même. Actuellement, on établit une infraction assez large et par la suite on y introduit une défense.

Selon vous, le contenu du Code criminel, sans être parfait, fait votre affaire, mais ce que propose aujourd'hui le projet de loi n'est vraiment pas acceptable. Vous voudriez une redéfinition de l'infraction. Est-ce bien votre position?

M. Montpetit : Oui. Il y a une façon très simple de redéfinir l'infraction. On pourrait oublier toutes les questions de légitimité des oeuvres d'art, des oeuvres scientifiques et de risque indu et définir l'infraction comme étant tout ce qui cause un dommage réel à une personne réelle.

Dans le cas du projet de loi C-2, ce serait un abus sexuel réel envers un jeune réel. L'abus sexuel d'un enfant doit être défini exactement de la même façon qu'un meurtre, soit comme un dommage réel causé à un jeune réel. Si c'était le cas, je ne me sentirais pas visé par la loi.

Il y a autre chose que j'aimerais voir modifié dans le projet de loi. En fait, comment se fait-il que l'on permette la saisie des œuvres de l'auteur avant même qu'il y ait eu preuve de culpabilité? Il s'agit là d'un problème distinct.

Le sénateur Nolin : C'est la façon dont est construit le Code criminel. On établit une infraction assez large et on permet une défense à cette infraction. La raison pour laquelle la saisie devient possible, c'est que vous devrez prouver votre défense.

M. Montpetit : Pourquoi cette saisie ne serait-elle pas possible seulement qu'après jugement? Dans l'affaire Eli Langer, le juge a reproché aux policiers d'avoir saisi les tableaux avant que jugement ait été rendu.

Le sénateur Nolin : Il s'agit là d'un autre débat.

M. Montpetit : C'est pourtant un débat approprié. L'article 164(5) dit que c'est seulement dans le cas où le tribunal n'est pas convaincu du fait que la publication est obscène qu'il doit ordonner la remise de la matière à l'auteur. Autrement dit, pendant tout le procès et avant le jugement, l'oeuvre est saisie.

Le sénateur Nolin : C'est comme une première évaluation de la défense. Je comprends votre argument et j'essaie de voir comment on peut l'utiliser dans le cadre du projet de loi. Si on utilise le mot « légitime » à l'alinéa 6 a) du paragraphe 7, quelqu'un peut très bien prétendre que si c'est légitime, cela ne pose pas un risque indu à une personne de moins de 18 ans.

M. Montpetit : Apparemment, le projet de loi considère qu'il y a une distinction suffisamment importante entre les expressions « légitime » et « faire courir une risque indu » pour en faire deux clauses séparées. Si un entraînait automatiquement l'autre, le projet de loi n'aurait pas prévu cette distinction.

Il y a deux preuves à faire : une de légitimité et une autre d'absence de risque indu et à mon avis, chacune de leur côté, ces deux preuves sont très difficiles à faire.

Le sénateur Nolin : Selon Mme le sénateur Pearson, la défense actuelle est beaucoup plus explicite quant au type de défense voulu. Plutôt que d'avoir une référence au contenu artistique, on dit qu'il faut vraiment que le contenu soit légitime et lié à l'administration de la justice, à la science, à la médecine, à l'éducation ou aux arts. Je crois que vous seriez d'accord si on retirait le paragraphe b).

M. Montpetit : Je ne veux pas monopoliser le temps.

Le sénateur Nolin : Je crois que nous touchons au coeur du débat.

M. Montpetit : Ni le projet de loi ni le Code criminel actuel ne définissent les termes « légitime » ou « risque indu » qui sont proposés par le projet de loi et qui demeurent complètement flous et sujets à interprétation.

Le sénateur Nolin : Je vous arrête quant au terme « légitime », sur lequel on a amplement de jurisprudence qui nous aide à cerner cette définition.

[Traduction]

Mme Hebb : J'aimerais essayer de répondre à votre question. Voici comment je l'interprète. Dans votre première intervention, vous avez utilisé le mot « indu ».

Le sénateur Nolin : Le sénateur Pearson dit que le moyen de défense est renforcé, car nous expliquons désormais ce que nous acceptons comme bon moyen de défense. Nous respectons les tribunaux, mais nous avons un projet de loi à traiter. Le paragraphe A confirme votre argument. Lui, il se préoccupe du paragraphe B et du fait qu'il va devoir prouver quelque chose à l'avance.

Mme Hebb : Vous avez posé une question sur le sens du mot « légitime ». On pourrait reformuler l'article de façon à obliger la Couronne à prouver l'existence d'un risque indu pour les enfants. C'est ce que disait le sénateur Pearson. Il y a renversement de la charge de la preuve. Cela devrait figurer dans la description de l'infraction proprement dite. Ce ne devrait pas être de la pornographie, mais cela en est.

Le sénateur Pearson : C'est à la poursuite de prouver l'infraction.

Le sénateur Nolin : Pas dans ce projet de loi. C'est à l'écrivain qu'incombe le fardeau de la preuve.

Mme Hebb : À l'accusé.

Le sénateur Pearson : Non.

Mme Hebb : Cela ne fait pas partie de l'infraction. La Couronne n'a pas à le prouver initialement. L'accusé doit apporter des preuves suffisantes pour invoquer les deux moyens de défense, notamment celui du caractère légitime.

Je suppose que mon collègue, M. Montpetit, n'aurait pas de difficulté à prouver le caractère légitime, car personne ne suppose qu'un homme respectable comme lui puisse se retrouver en difficulté. Ce sont les mauvais écrivains et les mauvais artistes, aux productions plus ou moins non conventionnelles, qui vont se retrouver en difficulté.

L'autre moyen de défense est encore plus problématique; l'accusé doit prouver que ses œuvres ne posent pas de risque indu pour les enfants. Comment le défendeur peut-il le prouver?

J'aimerais vous lire une partie de ce qu'a dit le juge en chef Beverley McLachlin dans l'arrêt Sharpe :

Restreindre le moyen de défense fondé sur la valeur artistique à ce qui n'expose les enfants à aucun risque de préjudice contrecarrerait l'objet de ce moyen de défense. Le législateur a manifestement voulu que certaines œuvres pornographiques susceptibles d'être préjudiciables échappent à toutes poursuites grâce à ce moyen de défense, qui autrement, n'aurait aucune utilité.

Le sénateur Pearson : Me permettez-vous de citer, moi aussi, l'arrêt de la Cour suprême?

Le sénateur Pearson : Oui.

La présidente : Je crois que les arguments ont été clairement exposés.

Le sénateur Pearson : Tout d'abord, la Cour suprême a dit que « les moyens de défense doivent être interprétés libéralement en gardant ce but à l'esprit. » Je suis convaincue que le projet de loi C-2 n'inverse pas le fardeau de la preuve et que la plupart des productions visées par la définition de la pornographie juvénile posent un risque potentiel pour les enfants. La Cour suprême a dit :

L'accusé se défend en présentant des faits capables de soutenir sa défense (il s'agit d'habitude de quelque chose de plus qu'une simple affirmation pour laquelle le créateur a eu l'intention subjective de créer une œuvre d'art) et la Couronne doit réfuter la défense au-delà de tout doute raisonnable [...]

Ça ne signifie pas qu'ils auront à se défense.

Mme Hebb : Il s'agit d'un fardeau de preuve inversée parce que l'accusé est tenu de présenter des preuves que la Couronne ensuite réfutera.

[Français]

M. Montpetit : Les règles sont complètement différentes pour les meurtres peu importe qu'ils soient réels ou écrits dans un livre de fiction. Comment se fait-il que nous changions les règles lorsqu'il s'agit de la sexualité d'un adolescent? Notre comportement devrait être le même que celui que nous avons à l'égard des meurtres. Lorsque nous parlons de fardeau de preuve inversé, l'œuvre est saisie jusqu'à la fin du procès. L'œuvre est considérée comme coupable jusqu'à preuve de son innocence. C'est un fardeau de preuve inversé parce que l'artiste doit défendre son œuvre et celle-ci est déjà en prison jusqu'à la fin du procès, qui peut durer dix ans. Cela, même si elle est jugée innocente en bout de ligne. L'artiste est en cour et son œuvre est en prison jusqu'à la fin du procès. Ce procédé est anormal.

Le sénateur Rivest : Je comprends très bien que pour un artiste en création, d'avoir à se préoccuper des moyens de défense possibles restreint ou exerce une pression indue sur sa liberté d'expression et de création. La formule antérieure était facile; il n'avait qu'à dire qu'il était un artiste. Un artiste aussi peut très bien se rendre coupable d'un acte de pédophilie. Sur le plan des œuvres et en particulier des écrits, cela peut être très embarrassant avec les formules de saisie.

Je comprends l'intention du législateur. À l'alinéa 163.1(1), on parle d'un écrit. Il reste qu'un écrit dont la caractéristique dominante est— cette condition aussi n'est pas évidente si à l'intérieur d'une œuvre — dans un but sexuel. La description d'une relation sexuelle n'est pas la caractéristique dominante de l'œuvre. Les romans de Mme Swan n'ont pas été écrits dans un but sexuel. Vos livres, ne sont pas écrits, même s'ils sont pédagogiques, dans un but sexuel. L'expression « dans un but sexuel » est vraiment reliée non pas à l'œuvre comme telle et non pas à sa dimension humaine quelle qu'elle soit. C'est dans un but sexuel. J'ai de la difficulté à définir cette expression. Je comprends que l'on veuille accepter toute espèce de créations dont la caractéristique dominante est l'œuvre littéraire et la représentation de la vie, de désespoir ou de la condition humaine en tant que telle, mais on ne veut pas que cela devienne de la pornographie. C'est dans un but sexuel, d'exercice sexuel. Comme on le voit clairement sur une photo d'abus d'enfant sur Internet. C'est clair. On voit que c'est là dans un but sexuel. J'aimerais connaître votre interprétation de cette restriction de l'alinéa 163.1(1).

M. Montpetit : J'aimerais vous souligner que ce que vous lisez, c'est-à-dire « tout » écrit dont la caractéristique dominante est la description dans un but sexuel, c'est l'alinéa 163.1(1)c) des différentes raisons qui peuvent être invoquées contre une oeuvre. N'oubliez pas que les paragraphes 163.1(1)a) et 163.1(1)b) contiennent des clauses qui ne parlent pas du tout de but sexuel, mais tout simplement de représentation d'activités sexuelles en bas de 18 ans. Pas de créer dans un but sexuel, pas de caractéristiques dominantes ou autres.

Le sénateur Rivest : Je parle dans un écrit, l'alinéa 163.1(1)c).

M. Montpetit : L'alinéa 163.1(1)c) est un ajout aux alinéas 163.1(1)a) et 163.1(1)b) qui existent déjà et qui vont continuer à exister.

Oui, on peut s'offenser de voir que l'on interdit aussi un écrit créé dans un but sexuel, mais ce n'est pas la principale clause qui serait invoquée pour faire interdire une œuvre. Les alinéas 163.1(1)a) et 163.1(1)b) sont beaucoup plus larges et vont le rester.

Le sénateur Rivest : Dans la mesure où le législateur spécifie que seul le 163.1(1)c) s'appliquera pour les écrits et que les alinéas 163.1(1)a) et 163.1(1)b) ne s'appliqueront pas. On traite spécifiquement d'un écrit. Comme dans l'alinéa 163.1(1)d) on traite d'un enregistrement sonore. Lorsque le législateur est spécifique, c'est vraiment ce qu'il veut dire et cela exclut les généralités.

M. Montpetit : Bien que je fasse partie de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois, je tiens à défendre tous ceux qui travaillent dans le domaine des arts visuels aussi et qui sont beaucoup plus concernés par les alinéas 163.1(1)a) et 163.1(1)b).

Deuxièmement, le fait qu'un écrit créé pour quelque but que ce soit, soit considéré comme un crime, me semble déjà abusif parce que, peu importe le but de l'auteur, ce ne sont que des mots sur du papier. Il n'y a pas eu de dommages réels à une personne réelle lorsqu'un écrivain met de l'encre sur du papier. Je ne comprends pas pourquoi un écrit serait même mentionné dans une loi qui met cela au même niveau que commettre un meurtre. Pour moi, un écrit ne cause pas un dommage réel à une personne réelle. Peu importe si on dit que c'est uniquement dans un but sexuel. Peu importe si on dit que c'est la caractéristique dominante. Même un roman qui a pour caractéristique dominante la sexualité et dont le but est de susciter une érection chez le lecteur. Autrement dit, un roman pornographique ne commet pas de crime contre une personne réelle. Il pourrait dénoncer la chose en faisant cela et non pas l'encourager. Il n'est pas précisé de quel but il s'agit.

Le dernier livre de Margaret Atwood, Le dernier homme, décrit de façon assez explicite des actes sexuels contre le personnage principal du livre et si quelqu'un décide de dire qu'elle l'a fait dans un but sexuel, il est libre de porter cette accusation contre elle.

Sans doute que Margaret Atwood pourra se défendre, mais elle pourra être poursuivie en cour quand même et son œuvre pourrait être saisie pendant toute la durée du procès. En soi, c'est déjà un exemple.

Le sénateur Rivest : Cet extrait ne représente quand même pas une des caractéristiques dominantes de l'œuvre. Votre exemple est assez habile, mais il faut faire attention. Vous parlez d'un écrit qui ne blesse personne, mais une photo pornographique démontrant clairement l'abus d'un enfant sur Internet, théoriquement, cela ne blesse personne, est-ce admissible?

M. Montpetit : Une photo qui démontre clairement un abus réel d'un enfant réel est la preuve d'un crime réel. Autrement dit, le crime a déjà été commis devant la lentille du photographe. La photo ne fait que confirmer que le crime a eu lieu. Autrement dit, on n'a pas besoin de rendre la photo illégale, pas plus qu'on a besoin de rendre un couteau illégal pour empêcher les meurtres. Le crime a lieu, l'abus réel a eu lieu devant la caméra. La photo aide à prouver qu'il y a eu crime. La photo, d'une certaine façon, incrimine, confirme un verdict d'emprisonnement parce qu'elle documente un crime réel commis contre une personne réelle.

Par contre, s'il s'agit d'un montage photographique, on ne parle plus d'un abus réel commis envers une personne réelle. Il n'y a plus de crime. Il faut savoir faire la différence.

Le sénateur Rivest : Est-ce admissible d'avoir simplement en sa possession une photo pornographique?

M. Montpetit : Le projet de loi ne parle pas de possession.

Le sénateur Rivest : Cela reste dans le Code criminel.

M. Montpetit : Je suis venu témoigner pour les artistes concernés par la production de leurs œuvres. Pour la possession, je me ferai un plaisir de revenir vous en parler le jour où on essaiera de l'interdire par un nouveau projet de loi.

Le sénateur Joyal : Je voudrais revenir à la nature de la défense prévue au nouveau paragraphe 6, aux deux éléments conjonctifs de la défense. Autrefois, selon le paragraphe 6, l'artiste devait démontrer que son œuvre avait un mérite artistique.

M. Monpetit : Le mérite artistique, c'est un ancien projet de loi, mais ce n'est pas la loi en vigueur.

Le sénateur Joyal : Le paragraphe 6 de l'article 163.1(1) du Code criminel stipule :

[Traduction]

Lorsque l'inculpé est accusé d'une infraction en vertu des alinéas (2), (3), (4) ou (4.1), le tribunal arrivera à un verdict de non-culpabilité si la représentation ou le matériel écrit, dont on allègue qu'il est pornographique, a une certaine valeur artistique, ou des objectifs éducatifs, scientifiques ou médicaux.

[Français]

Il s'agit de la défense actuelle. Je vous lis le Code pénal. La démonstration qu'il y avait un mérite artistique, selon l'article 6 actuel, était une défense acceptée par la cour, quel que soit le médium choisi : un livre, un tableau, une sculpture, une installation, et cetera. Toutefois, dans le présent projet de loi, il n'est plus question de mérite artistique. Ce dont il est question, c'est essentiellement du but de l'œuvre :

[Traduction]

Il s'agit donc essentiellement d'« objectif légitime » par rapport à l'art, donc on trouve le terme « légitime ».

[Français]

Auparavant, tout ce qu'on retrouvait, c'était « an educational, scientific or medical purpose ». Dès qu'on arrivait à démontrer que l'oeuvre avait un but artistique, on ne se prononçait pas sur la légitimité du but. On ajoute ici un élément important dans cette défense qui était auparavant dans le Code. Ensuite, on vous oblige à prouver autre chose. En plus de la légitimité du but que vous n'aviez pas à prouver antérieurement, il faut que vous démontriez que l'œuvre ne pose pas un risque indu.

[Traduction]

Il faut démontrer que cela ne cause ni risque ni préjudice indus aux personnes mineures. Il ne s'agit pas d'une personne précise.

[Français]

Ce n'est pas comme si moi, père d'un enfant, je le surprends à lire un de vos livres, que j'estime être nocif. Je vais démontrer à la cour pourquoi sa lecture est nocive pour mon enfant qui a reçu une éducation X ou Y. On fait l'historique de l'individu et du risque indu, parce que le risque peut être différent selon les personnes. Le risque peut être très différent selon l'éducation de la personne, son environnement social, et cetera. Un enfant qui vit dans un milieu artistique où des nus sont exposés dans la maison est plus familier avec la nudité qu'un autre qui n'en a jamais vu. Si j'avais à prouver devant le tribunal cette partie-là par rapport à un individu spécifique, je serais en mesure de faire l'historique de cette personne et de sa familiarité avec la nudité ou la sexualité de façon générale. Mais ce n'est pas ce qu'on dit ici.

On dit « to persons ». Il s'agit donc d'une personne abstraite. Et on dit « undue risk ».

[Traduction]

Monsieur Montpetit et madame Swan, supposons que vous soyez devant les tribunaux et que vous ayez réussi à prouver qu'il y a objectif légitime. Supposons aussi que vous soyez un artiste connu et que vos livres et autres productions aient remporté des prix et des critiques et le reste; il serait alors facile de démontrer qu'il y a objectif légitime. Toutefois, il faut aussi prouver autre chose. Comment allez-vous démontrer au tribunal que votre matériel ne représente pas un risque indu? Allez-vous faire témoigner un psychologue, un psychiatre, une association de parents, ou une association d'enseignants? Quel expert sera convoqué pour étayer la deuxième partie de votre défense? Si vous réussissez seulement à prouver l'objectif légitime, vous n'avez pas réussi aux yeux du tribunal.

À mon avis, et ainsi que le disait le sénateur Pearson, il s'agit vraiment de savoir si cette défense-ci est préférable à la précédente. À mon avis, elle ne l'est pas. Je peux me tromper, mais le libellé de la défense actuelle et de la nouvelle figurant à l'alinéa 6 de la disposition me paraissent difficiles à comprendre.

Comment pouvez-vous démontrer que votre livre ne constitue pas un risque excessif pour les personnes au Canada, où qu'elles se trouvent.

Mme Swan : Je l'ignore. C'est terrifiant. C'est pour cela que nous sommes ici. Je crois que Mme Hebb devrait peut- être intervenir là-dessus.

Mme Hebb : Je ne sais pas comment on peut le démontrer. Selon moi, c'est impossible. C'est une question de jugement. C'est le genre d'affaire qui pourrait être tranchée par un jury. La réaction des gens compte pour beaucoup. C'est une question de jugement, de jugement personnel. Il est impossible de démontrer une telle chose.

Mme Swan : Nous sommes contre la pornographie, c'est-à-dire contre le fait de prendre des photos de vrais enfants, comme l'a mentionné mon collègue. Un crime a été commis. Écrire des histoires qui comportent des caractères imaginaires, et ensuite invoquer des moyens de défense imaginaires pour démontrer que ces histoires ne posent pas de risque excessif est une tout autre affaire. Notre rôle ici n'est pas d'appuyer la diffusion, sur Internet, de matériel qui contient des photos pornographiques de vrais enfants.

Le sénateur Joyal : Je le sais.

[Français]

M. Montpetit : Je pourrais imaginer comme défense théorique, peut-être un peu absurde, que chaque auteur voulant écrire un livre comme le mien — pas nécessairement une œuvre de fiction — devrait d'abord faire une étude de marché auprès d'un échantillon très large des jeunes au Canada pour avoir un sondage des personnes dont vous avez parlé. L'ennui c'est qu'en demandant si tel ou tel passage présente un risque indu, l'étude elle-même pourrait être accusée de représenter un risque indu en faisant lire ces passages. Il faudrait faire une étude préalable en demandant si l'étude de marché causera un risque indu, et de fil en aiguille jusqu'à une centième étude prévoyant la parution d'une quatre-ving- dix-neuvième, ainsi de suite, avant que l'œuvre ne soit sortie.

Demander aux artistes de prouver cela, c'est leur faire porter un fardeau abominable. Un artiste ne devrait pas avoir à prouver que son œuvre ne présente aucun risque indu parce que, de toute façon, il ne s'agit que de mots sur papier, dans le cas d'un écrit, ou tout simplement d'une émission de télévision de fiction. On ne demande pas aux producteurs d'émissions de télévision de prouver que leurs émissions ne présentent pas de risque indu dans les autres cas que les abus sexuels envers les adolescents. Pourquoi demanderait-on cette preuve à un auteur qui choisit de discuter de ce sujet?

Prenez deux émissions populaires à la télévision anglaise : Law and Order et Law and Order SVU. Le premier parle de meurtre et le second parle de crimes sexuels. Pourquoi essaie-t-on de faire interdire certaines émissions de SVU, mais pas de Law and Order? Dans les deux cas, il s'agit d'une série de fiction à la télévision. Il n'y a aucune différence dans la façon dont elles sont construites, les deux sont légitimes et ont le droit d'amener les sujets à l'attention du public.

Il n'est pas question de savoir si on peut apporter une défense, comme vous le demandez, sur le fait que notre œuvre présente un risque indu ou non. La question serait plutôt de savoir pourquoi on devrait avoir à le faire.

La présidente : J'ai demandé aux représentants du ministère de la Justice de nous rejoindre à la table. On pourra poser les questions qu'il faut.

Le sénateur Joyal : Sur le deuxième membre de la défense, l'alinéa 163.1(6)b), celui dont nous venons de parler :

[Traduction]

...ne posent pas de risque indu.

[Français]

Pour moi, une défense raisonnable serait que l'on demande ou que l'on exige de la personne d'avoir exercé, comme le Code pénal le dit régulièrement, une diligence raisonnable.

Je donne un exemple. Vous avez vos romans qui mettent en scène une situation sexuelle entre un adulte et un enfant, ou encore entre deux adolescents. Lorsque je vais dans un débit de journaux et que je veux acheter un magazine du genre Playboy ou Midnight, tout d'abord, le magazine est dans une enveloppe.

[Traduction]

Il est bien indiqué que ce matériel est destiné aux lecteurs âgés de plus de 17 ou de 18 ans.

[Français]

On voit que l'auteur ou le distributeur, dans les circonstances, a la responsabilité de s'assurer que la précaution est prise. Il y a un devoir de précaution. Ou bien si on allume la télévision, le samedi soir à 11 heures. On dit :

[Traduction]

« Pour les adultes, ou les personnes âgées de 14 ans et plus, » ainsi de suite.

[Français]

Il y a, dans d'autres domaines de la mise en scène de situations sexuelles, une précaution qui est prise pour informer les gens.

Dans le cas présent, on pourrait garder, à la limite, le premier membre de la phrase, mais au deuxième, on pourrait dire : « a pris des moyens raisonnables pour s'assurer que ce matériel ne soit pas à la disposition de personnes de moins de 18 ans. » À ce moment, je comprendrais. Mais la responsabilité ici n'est pas du tout par rapport à l'auteur. La responsabilité est placée sur un plan objectif qui n'a rien à voir avec ce que l'auteur lui-même, lorsqu'il crée son œuvre, doit se préoccuper avant de l'imaginer ou de l'écrire.

M. Montpetit : Avant même de rentrer dans des considérations de ce genre, j'aimerais vous rappeler une chose : d'après la définition de la pornographie, il pourrait s'agir de n'importe quelle scène de sexualité même entre deux adolescents de 17 ans. Cet acte, s'il se déroulait dans la vie, serait parfaitement légal. Il n'y a pas matière, à nos yeux, de mettre quelque avertissement que ce soit sur un livre qui parle de quelque chose de légal. S'il n'y a pas de crime dans la vraie vie, cela ne devrait pas non plus être un crime d'en parler.

Je ne comprends pas pourquoi on exigerait d'un auteur qui parle de quelque chose de légal, mais de sexuel, de mettre un avertissement alors qu'un auteur qui parle de manger une pomme — ce qui est tout aussi légal — n'a pas à mettre d'avertissement.

Deuxièmement, quel avertissement devrait-on donner? À qui faudrait-il interdire la lecture d'une histoire mettant en scène deux adolescents de 17 ans en train d'avoir une relation sexuelle? Tout le monde de moins de 18 ans? Je ne crois pas. À mes yeux, il me semble qu'au contraire, il faut informer les jeunes dès qu'ils sont en âge d'avoir des relations sexuelles de façon à ce que leurs relations sexuelles se passent le mieux possible.

Les sondages ont démontré que 26 p.100 des jeunes au Canada ont commencé à avoir des relations sexuelles à l'âge de 14 ans. Plusieurs études très sérieuses ont été faites à ce sujet, entre autres à l'Université Queen's. J'en cite une dans mon mémoire.

Je ne prends pas position sur le fait de savoir si cela est bien ou pas. Je crois qu'il aurait été utile de laisser ces jeunes de 14 ans lire des articles sur ce sujet avant. De cette façon, ils n'auraient pas été obligés de faire leurs propres expériences pour avoir des réponses à leurs questions.

À mon avis, un auteur qui veut rendre un service public en matière de sexualité et améliorer la société canadienne peut le faire en mettant un livre sur la sexualité adolescente à la portée de lecture de jeunes, même de 13 ans, afin qu'ils puissent se documenter et qu'ils ne soient pas obligés de faire leurs propres expériences.

Je crois qu'il serait contre-indiqué et même nuisible d'interdire la lecture d'un tel livre aux jeunes de moins de 18 ans puisque rendu à cet âge, aucun des jeunes n'aurait été informé des meilleures façons d'avoir des relations sexuelles ou des dangers qui les menacent dans le vrai monde.

Je crois que même une histoire policière, qui est centrée sur un pédophile au lieu d'un criminel en série, serait utile à la population puisqu'elle donne des renseignements sur la façon dont le monde fonctionne présentement.

La littérature est un miroir de la société réelle. Elle permet aux gens qui lisent ces livres, incluant les adolescents, de pouvoir se documenter sur le monde qui les entoure. Il ne devrait donc pas y avoir d'avertissement sur ces livres, pas plus qu'il n'y a d'avertissement sur un roman policier qui parle de meurtre.

On n'a pas à chercher de solution pour savoir comment prendre les précautions nécessaires afin d'éviter qu'il y ait un risque indu puisque de toute façon, on n'a pas à prendre ces précautions.

Le sénateur Joyal : Êtes-vous contre le classement des films?

M. Montpetit : Je crois qu'il serait plus indiqué de « recommander » aux personnes de 13 ans ou de 18 ans. Sur mon livre, il est inscrit « 14 ans ». Ce n'est pas une interdiction pour les moins de 14 ans mais plutôt une indication.

Comme vous le savez sans doute, ce ne sont pas tous les jeunes qui lisent tel livre donné au même âge. Ce n'est pas automatiquement le jour de l'anniversaire de leurs 14 ans qu'ils deviennent compétents pour lire cela. Il me semble qu'avec un jeune qui se sent prêt à lire un livre comme celui-ci ou qui se sent prêt à lire un livre comme Harry Potter avant l'âge recommandé sur la couverture du livre, cela devrait lui être permis si le jeune se sent intéressé à se documenter.

[Traduction]

Mme Swan : Est-ce qu'on devrait mettre un avertissement sur nos livres?

Le sénateur Joyal : Est-ce qu'il serait approprié d'identifier les ouvrages qui pourraient poser un risque? En d'autres termes, devrait-on adopter un système d'avertissement pour les livres comme celui qui existe pour les films? Des fois dans le cadre d'expositions, on émet des avertissements ou des avis. Par exemple, à l'exposition de Cocteau au musée des Beaux-Arts de Montréal l'an dernier ou au Centre Pompidou à Paris, il y avait à l'entrée une pancarte où l'on demandait que les enfants soient accompagnés parce qu'il y avait des photos d'adultes nus dans des poses sexuelles. Il ne s'agit même pas de mise en scène de personne de moins de 18 ans. Pour ma part, je ne trouvais pas que le fait d'informer les gens du risque potentiel avait enfreigné à ma liberté.

Mme Swan : Lorsqu'un roman est publié, on en fait une critique, ce qui veut dire qu'on en discute. Je suis d'accord avec M. Montpetit, lorsqu'il y a un commentaire sur le livre en question, cela veut dire « recommander ». Je n'y vois pas d'inconvénient parce qu'aucun jugement n'est formulé. J'estime que c'est suffisant puisqu'on fait déjà la critique des ouvrages et que de nos jours on en parle beaucoup à la télévision. Si on en rajoutait, j'ai peur que cela ne soit interprété comme un jugement.

J'écris des romans littéraires, mais comme dans certains cas j'ai abordé le thème de l'adolescence, il y a une partie du public canadien qui pense que j'écris des livres salaces, ce qui m'attriste. C'est une façon d'étiqueter faussement et de dévaloriser mon travail. Les dangers qui accompagnent les avertissements qui figureraient sur les livres, c'est que ça rabaisse la complexité des auteurs en dénaturant leur travail.

Je voudrais également mentionner l'effet paralysant que tout cela a; plus on adopte une approche critique dans notre façon d'administrer et de concevoir les choses, plus l'écrivain intériorise cette atmosphère. Ce qui nous tient à cœur dans notre société, à savoir l'échange créatif et libre d'idées, devient alors plus difficile.

Le sénateur Mercer : Je serai bref. Je ne peux m'empêcher de noter que la partie dont nous parlons est celle qui nous pose le plus de problème dans le projet de loi. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut qu'on lutte contre les photos explicites mettant en scène des enfants, dans lesquelles il est clair que les enfants sont victimes d'abus; mais quand il s'agit de valeur artistique, qu'il s'agisse de romans ou d'autres formes artistiques, la situation se complique. Le détective Taylor de la police des mœurs d'Edmonton, nos douaniers, le sénateur Pearson et Mme Swan auront tous une conception différente de ce qu'est une œuvre d'art parce qu'ils ont leur propre façon d'interpréter les choses et ont des parcours de vie différents. Par conséquent, tout cela est subjectif, que je pense que votre roman frôle la pornographie ou qu'il essaie tout simplement...

Mme Swan : Un bon livre pourra souvent être interprété de façon différente.

Le sénateur Mercer : C'est exactement à ça que je voulais en venir. C'est une question subjective. Très franchement, peu importe ce qu'on fait de ce projet de loi, qu'on en retire certains aspects ou qu'on en rajoute, cette question reviendra sur le tapis, vous le savez pertinemment. C'est le prix que vous devez payer pour votre créativité. Je vous encourage à être créatif, mais le prix que vous devez payer, entre autres, c'est de sans cesse être contraint à faire face aux contraintes, notamment morales, imposées par la société. D'un autre côté, le fait que vous soyez là nous incite à faire preuve d'une plus grande ouverture d'esprit.

Mme Swan : Merci.

Le sénateur Mercer : Ce qui me frustre, c'est que peu importe notre décision, je sais pertinemment que j'aurais avec vous trois et avec d'autres personnes qui vous représentent des discussions du même genre. Je voulais vraiment que cela figure au compte rendu — le fait que c'est le prix que vous et vos collègues devez payer pour votre créativité. Je vous félicite d'ailleurs d'assumer ce prix, parce que beaucoup d'entre nous ne sont pas prêts à le faire, c'est-à-dire à nous mettre à nu sur la place publique comme les artistes sont obligés de le faire.

Mme Swan : Je n'aime pas me dire qu'il y a un prix à payer pour la créativité, mais il est très paradoxal de voir que lorsqu'on écrit une bonne histoire de fiction, certains pensent qu'elle est vraie, ce qui a d'énormes conséquences et ce qui remet en question notre conception de la culture. Je l'accepte parfaitement. Je sais que c'est l'un des paradoxes de la condition d'écrivain.

Mme Hebb : Si je peux ajouter quelque chose, non pas en tant qu'auteur mais en tant qu'avocate travaillant au contact des auteurs, ce que vous dites concernant le prix à payer est tout à fait révélateur. De nombreux auteurs sont bien conscients de ce prix; il n'est pas peut-être pas dissuasif pour Mme Swan, mais il l'est pour de nombreux auteurs. On m'a souvent demandé si un ouvrage était trop prêt de la limite à ne pas dépasser, et c'est toujours difficile à dire.

Ce n'est pas juste pour l'écrivain et c'est une perte pour notre société. Certains auteurs doivent renoncer à une création parce qu'ils craignent de frôler de trop prêt la limite légale. Un procès comporte toujours un énorme coût en argent et en émotions.

[Français]

M. Montpetit : Même si je pense pouvoir interpréter ce que vous avez dit comme un compliment, je regrette de vous informer que je suis loin d'être aussi noble que vous pensez.

En ce sens que j'ai horreur d'avoir à payer ce genre de prix s'il n'est pas nécessaire d'avoir à le payer en tant qu'artiste. C'est le genre de chose pour moi qui ne devrait pas être exigée de la part des artistes et ce n'est pas avec joie que j'irai en payer le prix en cour pendant une dizaine d'années.

Ceci dit, si je suis ici devant vous, c'est certainement parce que j'accepte de venir défendre ma profession. Mais j'aimerais faire remarquer une chose, c'est qu'il est certain qu'en ce qui concerne la pornographie et le jugement de valeur dont vous avez parlé, c'est un sujet qui a été débattu pendant des dizaines d'années au Canada et cela remonte à l'époque avant les années 50.

On peut aller jusqu'au tournant du siècle les gens ont essayé de définir la pornographie et il y a eu plein d'autres termes pour parler non pas de pornographie, mais on peut comparer cela avec tous les euphémismes trouvés par la prostitution, comme les maisons de débauche.

Personne ne s'entend sur la définition et ce n'est pas nouveau; c'est quelque chose qui a toujours eu lieu et qui aura probablement toujours lieu. Pourquoi? Parce que c'est un jugement de valeur personnel que chacun applique différemment. Il n'y a pas deux personnes au Canada ayant la même opinion sur ce qui est érotique et donc légal, et ce qui est pornographique et donc illégal.

Beaucoup de gens ont dit : ce qui est bien pour moi est érotique et ce qui est mauvais pour moi est illégal. Mais le même standard n'est pas appliqué par l'autre personne à côté.

En bout de ligne, il me semble que la responsabilité devrait revenir aux parents. Ce n'est pas la loi qui devrait déterminer ce qu'un jeune de moins de 18 ans peut ou ne peut pas lire. Cette responsabilité devrait revenir uniquement aux parents de ce jeune. Un parent n'a pas le droit de décider pour les enfants de tout le reste du pays. Donc, il n'appartient pas au gouvernement d'être un super parent pour la population entière.

Les opinions diffèrent d'une personne à l'autre sur ce que constitue une obscénité. Laissons donc aux parents le soin d'éduquer leurs enfants de la façon dont ils l'entendent.

La façon dont j'ai éduqué les enfants dont j'avais la charge ne correspond pas nécessairement à celle de mon voisin. En même temps, mon voisin a des conceptions différentes. Par exemple, il ne laisserait peut-être pas ses enfants lire sur la sexualité avant l'âge de 18 ans, ce que je désapprouve. Toutefois, je n'ai pas le droit de lui dire comment élever ses enfants et il n'a pas le droit de me dire comment élever les miens.

Il me semble donc que le gouvernement ne devrait pas avoir le droit de dire à quiconque comment élever ses enfants.

[Traduction]

Le sénateur Milne : J'aimerais attirer votre attention sur une autre partie du projet de loi, en l'occurrence l'article 6. Les nouveaux paragraphes 162(6) et 162(7) de l'article 6 du projet de loi prévoit un autre argument de défense et pose un autre problème. Le nouveau paragraphe 162(6) stipule que « nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction visée au présent article si les actes qui constitueraient l'infraction ont servi le bien public et n'ont pas outrepassé ce qui a servi celui-ci. »

Je pourrais faire un film pour apprendre aux jeunes filles comment se protéger contre le voyeurisme en pensant servir le bien public, mais il se pourrait que le juge ne soit pas d'accord. Le nouvel alinéa 162(7)b) stipule que « les motifs du prévenu ne sont pas pertinents. » Je trouve étonnant et troublant que les motifs ne soient pas pertinents même si l'intention est de servir le bien public.

Mme Hebb : Est-ce que vous citez la loi actuelle?

Le sénateur Milne : Je cite le projet de loi, au bas de la page 6 et au sommet de la page 7. Il s'agit du nouvel article sur le voyeurisme,

Mme Hebb : On a supprimé l'article sur la motivation qui nous intéresse.

Le sénateur Milne : Il s'agit du moyen de défense concernant le voyeurisme, qui prévoit que « nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction... »

Mme Hebb : Cette nouvelle disposition figure dans un autre article du Code criminel. Je crois que la partie sur les motifs a été jugée inconstitutionnelle.

Le sénateur Milne : Elle figure dans le projet de loi bien qu'elle ait été jugée inconstitutionnelle.

Mme Hebb : C'est ce qui est arrivé à une autre mesure législative, mais je ne suis pas certaine qu'elle figurait dans le Code criminel. Je l'ai trouvée quelque part. Je crois que cet article est outrancier.

[Français]

M. Montpetit : Je crois qu'on trouve également la phrase « the motives of an accused are irrelevant » dans l'article 162.7b). Cette phrase s'applique aux œuvres dont on parle aujourd'hui.

Cet article dit que les intentions de l'accusé ne sont pas pertinentes. Par contre, le projet de loi dit que si l'accusé a fait quelque chose dans un but sexuel, on peut l'accuser. On a donc le droit de présumer de son intention, qu'il avait un but sexuel, mais l'artiste n'a pas le droit de se défendre en invoquant ses véritables intentions. Autrement dit, on peut lui mettre certaines intentions en tête, mais on lui interdit de se défendre en citant ce qu'il voulait réellement faire. À mon avis, il existe une contradiction. Comment se fait-il qu'il est permis de lire dans les pensées d'un auteur en disant qu'il a sûrement eu un but sexuel, mais qu'on lui interdit de répondre à cette accusation? L'accusation venant d'une autre personne est plus pertinente que les véritables motifs d'un auteur? À mon avis, cela constitue une infraction au droit à une défense pleine et entière.

Dans le domaine juridique, tout ce qui peut contribuer à la défense d'un accusé devrait pouvoir être invoqué en cour. Ici on lui interdit d'invoquer une des principales raisons pour laquelle il a fait son œuvre. Il me semble que cela ne devrait pas être interdit.

[Traduction]

Mme Hebb : C'est la même formule qui figure dans l'article du Code criminel sur l'obscénité et qui figurait dans l'article sur la pornographie juvénile avant que le présent projet de loi ne remplace cette disposition par la formulation que nous avons examinée.

Le sénateur Pearson : Je suis une femme de lettre et je lis beaucoup. J'admire profondément l'œuvre de M. Montpetit, car je reconnais que la plupart des ces problèmes disparaîtraient si les gens étaient en meilleure santé sexuelle. C'est très important. Je m'inscris en faux contre l'idée qu'on ne puisse se mettre d'accord sur quoi que ce soit. Personne, au Canada, ne pourrait contester qu'il est obscène de décrire le viol d'un bébé de huit mois.

M. Montpetit : Je suis d'accord. Il est criminel de faire du mal à un bébé et l'image prouve la réalité du crime.

Le sénateur Pearson : L'image peut même avoir été créée à l'ordinateur. C'est également prévu dans le projet de loi.

M. Montpetit : Pour moi, dans ce cas, ce n'est pas l'image d'un véritable viol de bébé. C'est de la fiction, au même titre que la description d'un meurtre.

Le sénateur Pearson : Nous sommes en désaccord.

M. Montpetit : Vous pensez que le meurtre d'un bébé ne constituerait pas un crime s'il était décrit dans un livre, mais que le viol d'un bébé serait un crime? Je ne comprends pas.

Le sénateur Pearson : Je parle des images.

M. Montpetit : Si l'image du meurtre d'un bébé apparaît dans un livre —

Le sénateur Pearson : Je parle des images obscènes.

M. Montpetit : Je ne comprends pas pourquoi des images de meurtre et de violence seraient jugées légitimes, alors que des images de crimes sexuels ne le seraient pas.

Le sénateur Pearson : Nous recherchons tout ce qui peut servir de préparatif à des sévices sur des enfants. C'est le cœur du problème. Nos soucis de protéger les enfants l'emportent sur toute autre préoccupation où il faut parvenir à assurer l'équilibre entre les efforts artistiques et les autres. Je ne pense pas que les œuvres de nos témoins puissent être visées par les dispositions du projet de loi. D'après la discussion de ce soir, leur opinion va dans la bonne direction. En revanche, je suis convaincue que les infractions dont il est question dans ce projet de loi doivent relever du Code criminel.

[Français]

Le sénateur Rivest : Si on revenait simplement au mérite artistique, dans le système de défense, ne serait-ce pas la meilleure solution?

M. Montpetit : Revenir au mérite artistique, éducatif et scientifique serait préférable à ce que propose le projet de loi. Ce qui serait, à notre avis, encore mieux serait de dire « pas de dommage réel à une personne réelle ». Toutefois, là n'est pas le but du projet de loi qui est à l'étude. Nous ne devrions donc peut-être pas entrer dans le sujet. Néanmoins, la solution la plus simple, dans le cas qui nous concerne, serait tout simplement de laisser la défense qui existe présentement.

Le sénateur Rivest : D'ailleurs, l'interprétation de la Cour suprême sur les mérites artistiques dans la cause Sharpe correspond aux réserves que vous avez soulevées.

[Traduction]

Le sénateur Rivest : Les mots « mérite artistique » ont été interprétés par les tribunaux.

[Français]

M. Montpetit : En dehors du cadre du projet de loi, je n'ai aucun problème avec le jugement de la Cour suprême.

Le sénateur Rivest : J'ai hâte de voir pourquoi on a changé cela.

M. Montpetit : Je peux répondre à ce sujet avec une théorie. Lors du verdict de John Robin Sharpe, qui a été accusé de quatre chefs d'accusation, dont deux sur des œuvres de fiction et deux sur des crimes réels envers des personnes réelles, il a réussi à se défendre contre les deux chefs d'accusation. Les Canadiens ont été outragés parce qu'ils ont cru que John Robin Sharpe avait échappé à la justice, alors qu'il avait quand même été mis en prison pour ces crimes réels.

Le législateur s'est senti obligé de faire quelque chose pour fermer cette échappatoire sous les pressions du public mal informé. À notre avis, il n'y avait pas d'échappatoire, parce que John Robin Sharpe est toujours en prison. Il n'était pas nécessaire de le mettre en prison pour ses œuvres de fiction.

J'aimerais souligner aussi que dans toutes ces discussions, on a sorti des exemples d'œuvres extrêmes, comme des bébés qui se font violer, par exemple. Je suis tout à fait d'accord que ces cas sont extrêmes et ce ne sont pas, dans les cas où il y a une photo d'enfant réel qui se fait violer, quelque chose que j'encourage, mais si c'est uniquement cela que vous voulez interdire, le projet de loi devrait uniquement le dire.

Le projet de loi n'a pas à être élargi pour couvrir n'importe quelle scène sexuelle entre deux adolescents de 17 ans. C'est un problème. Cela ne devrait pas rejoindre l'auteur qui parle d'une relation amoureuse entre deux adolescents. Il y a un problème de définition de la pornographie dans la loi lorsqu'on réfère aux deux actes avec la même définition.

Si votre but est réellement d'interdire les photos de bébé se faisant violer, que le projet de loi n'interdise que ces photos.

La présidente : Je vous remercie beaucoup. On va entendre les représentants du ministère avant que vous ne quittiez. Cela pourra peut-être nous donner un autre éclairage et nous permettre de se faire une opinion.

[Traduction]

Mme Hebb : Le dernier vol pour Toronto, que je dois prendre avec Mme Swan, est à 22 heures.

La présidente : Je vous remercie de votre présence parmi nous ce soir. Vous avez tenu des propos très intéressants. Je vous ferai parvenir le compte rendu de la séance.

Madame Morency, j'ai une autre question à vous soumettre. Pouvez-vous nous donner un exemple de but d'ordre artistique qui ne serait pas légitime?

Mme Carole Morency, avocate-conseil, Section de la politique du droit criminel, ministère de la Justice Canada : Je peux vous donner l'exemple de l'arrêt Sharpe. En l'espèce, l'accusé avait rédigé des histoires. La seule définition applicable aux écrits dans les dispositions sur la pornographie juvénile concernait les écrits qui préconisaient ou conseillaient une activité sexuelle illégale avec des enfants. Conformément à l'interprétation donnée par la Cour suprême du Canada de ce que signifie le fait de préconiser ou de conseiller une activité sexuelle illicite, il s'agit d'inciter activement à infliger des sévices sexuels à un enfant. Les histoires dont M. Sharpe était l'auteur et qu'il avait l'intention de publier étaient des descriptions explicites de sévices sexuels et de tortures infligés à de jeunes garçons.

Après la décision de la Cour suprême, les accusations ont été soumises à la Cour supérieur de Colombie- Britannique. Sharpe a été condamné pour les photographies, mais également pour les écrits parce qu'ils préconisaient ou conseillaient une activité sexuelle illicite. Le juge des faits, qui a interprété et appliqué la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Sharpe, a dit que les écrits soumis à la cour ne correspondaient pas à la définition des verbes « préconiser » ou « conseiller ». Autrement dit, les écrits étaient condamnables et portaient essentiellement sur des cas de sévismes sexuels, mais ils n'invitaient pas, conformément à l'interprétation de la Cour suprême, à commettre effectivement ce genre d'infraction contre un enfant.

La Cour suprême a étudié les modalités d'application actuelles du moyen de défense fondées sur le mérite artistique. Il n'y a pas de renversement du fardeau de la preuve, et le projet de loi C-2 n'apporte aucun changement à cet égard. La Cour suprême interprète tous les moyens de défense prévus dans les dispositions actuelles sur la pornographie juvénile en disant ceci : tout d'abord, les dispositions doivent être interprétées dans un sens libéral; deuxièmement, l'accusé qui invoque ces moyens de défense doit faire état de faits qui confèrent une certaine réalité au moyen de défense fondée sur la valeur artistique. C'est tout ce qu'il doit prouver, ou du moins tout ce qu'il a dû prouver en l'espèce.

Lors du procès Sharpe sur les accusations, la Couronne et la défense ont fait appel à des experts. Les écrits avaient effectivement une valeur artistique. Ils comportaient un certain style littéraire. Ils faisaient preuve de certaines techniques. Même si l'histoire racontée peut ne pas plaire, elle avait une valeur artistique, si modeste soit-elle, et la Cour suprême dit que c'est tout ce qu'il faut montrer pour se prévaloir du moyen de défense fondé sur le mérite artistique.

Au procès, la Cour a déclaré essentiellement : « Ces documents ne correspondent pas à la définition de l'écrit, et ne tombe donc pas sous le coup de la loi. Il ne s'agit pas d'une infraction. Mais si je me trompe et si l'affaire est portée en appel, j'estime, à partir des expertises soumises à la Cour, que ces documents ont une certaine valeur artistique; par conséquent, si je me trompe, M. Sharpe devrait pouvoir invoquer valablement le moyen de défense fondé sur le mérite artistique. » Tel était la décision rendue.

Le projet de loi répond à cela, comme je l'ai dit la semaine dernière, en élargissant la définition de l'écrit, et il faut constamment revenir à cette définition. Le document doit essentiellement décrire une activité sexuelle illicite avec des enfants, dans un but sexuel. Encore une fois, les notions de « caractéristiques principales » et « but sexuel » ont été interprétées par la Cour suprême dans l'arrêt Sharpe et c'est ainsi qu'il faudrait interpréter le projet de loi C-2 s'il est adopté.

Quand à la façon dont le projet de loi C-2 pourrait s'appliquer aux œuvres visées par l'arrêt Sharpe, d'une part, ces œuvres entreraient dans la définition élargie et d'autre part, on leur appliquerait un autre critère, un niveau supplémentaire de contrôle que la Cour devrait exercer pour déterminer la recevabilité du moyen de défense.

À partir de la jurisprudence Sharpe, les moyens actuels de défense en matière de pornographie juvénile comprennent un but légitime lié à l'administration de la justice, à la médecine, à l'éducation ou à l'art. L'administration de la justice est incorporée par renvoi à partir du moyen de défense fondé sur le bien public et les dispositions sur l'obscénité, au même titre que la médecine, l'éducation et l'art. On trouve ensuite un moyen de défense spécifique à l'article 6 du Code criminel pour le mérite artistique, l'éducation, l'art et les sciences. Le risque indu de préjudice ajoute un niveau supplémentaire de contrôle qui ne s'appliquait pas aux œuvres mises en cause dans l'arrêt Sharpe.

Si un écrit était contesté en justice actuellement, il s'agirait de savoir s'il répond à la nouvelle définition proposée dans le projet de loi C-2 ou à la définition actuelle du Code criminel. Je comprends le mécontentement suscité par la définition actuelle appliquée à un document qui décrit visuellement ou par écrit l'exploitation sexuelle d'un enfant, même s'il ne s'agit pas d'un enfant réel. Cependant, la Cour suprême affirme qu'elle accepte cette définition, qui est recevable au plan constitutionnel. C'est un but valable et légitime, car il est souvent impossible de distinguer une image d'exploitation sexuelle d'enfants produite par ordinateur de l'image d'un enfant réel; en outre, le fait de décrire des enfants en format audio, visuel ou par écrit en tant qu'objet sexuel à des fins d'exploitation avilit les enfants et présente un danger pour les enfants et pour l'ensemble de la société canadienne.

Le sénateur Nolin : Comment peut-on le prouver?

Mme Morency : Dans l'arrêt Sharpe, la Cour suprême a considéré la preuve soumise au tribunal inférieur et a confirmé toutes les dispositions sur la pornographie juvénile en matière de possession. Ce faisant, les juges ont passé en revue chaque partie des dispositions actuelle. Ils ont examiné les preuves soumises. À propos de l'infraction de possession, la Cour a estimé que les juges de juridiction inférieure étaient allés trop loin et elle a prévu deux exceptions, dont une pour les œuvres d'imagination créées et possédées à l'usage exclusif de leur auteur. Si le document n'est jamais montré mais que l'auteur le garde pour son usage personnel, il ne met pas les enfants en danger.

La deuxième exception concerne les jeunes qui ont l'âge du consentement, qui se livrent de façon consensuelle à des activités sexuelles licites, qui en font un enregistrement pour leur usage personnel et que ne le montrent jamais. C'est de la pornographie juvénile, mais on lui applique une exception, parce que les jeunes ont le droit de se livrer à cette activité sexuelle.

Avant d'en venir à la conclusion qu'il fallait apporter ces deux exceptions aux dispositions actuelles, la cour a examiné la preuve qui lui était soumise et les utilisations qui sont faites de la pornographie juvénile. Elle était saisie de cinq arguments principaux. Tout d'abord, la pornographie juvénile favorise les distorsions cognitives. Deuxièmement, elle alimente des fantasmes qui peuvent inciter à passer à l'action. Troisièmement, l'interdiction de la possession aide la police à lutter contre la production, la distribution et l'utilisation de la pornographie juvénile qui est directement préjudiciable aux enfants. Quatrièmement, la pornographie juvénile est utilisée pour séduire les enfants et les préparer à des sévices sexuels. Cinquièmement, la production d'une bonne partie de la pornographie juvénile se sert d'enfants réels.

La cour a déterminé que la pornographie juvénile était utilisée à ces fins. Les œuvres d'imagination conservées par leur auteur qui ne sont jamais montrées ne répondent pas à ce critère; elles ne présentent pas de risque de préjudice. Voilà ce que le deuxième élément du moyen de défense fondé sur le but légitime cherche à extrapoler de l'analyse de la Cour suprême.

Nous prenons très au sérieux les préoccupations exprimées aujourd'hui quant à la protection de la liberté d'expression. Néanmoins, je voudrais faire référence à une décision récente, l'arrêt Eli Langer de 1993. Un propriétaire de galerie d'art a été accusé d'avoir présenté des peintures d'Eli Langer qui décrivaient des sévices sexuels infligés à des enfants. En l'occurrence, on a longuement débattu de l'éventuelle application d'une norme communautaire de tolérance. La cour a dit que cette norme s'appliquait. Dans l'arrêt Sharpe, la Cour suprême a dit que ce n'était pas le critère essentiel. S'il s'agit d'art, il suffit de prouver une certaine valeur artistique. Il n'y a pas de deuxième élément fondé sur un risque indu de préjudice ou sur une norme communautaire de tolérance.

Il y a eu ensuite l'arrêt Sharpe, où il était question d'écrits. À notre connaissance, et d'après la police, il n'est pas souvent question de possession ou de diffusion d'écrits. Lorsque les dispositions sur la pornographie juvénile ont été réformées en 1993, le projet de loi ne s'appliquait pas aux écrits. On l'a modifié au cours de la procédure législative pour y inclure les écrits qui préconisent ou conseillent une activité sexuelle illicite, essentiellement pour cibler les documents comme ceux de la North American Man/Boy Love Association, dont les bulletins affirment, par exemple, qu'il est bon d'avoir des activités sexuelles avec des enfants.

Depuis lors, il n'y a pas eu grand chose. Dans l'affaire Sharpe, il était question d'écrits. L'arrêt Sharpe semble isolé en ce sens qu'il a suscité davantage d'attention que certaines affaires de photographie, mais actuellement, à l'occasion de la présentation du projet de loi C-2 et des mesures que l'ont précédé, la police trouve davantage d'écrits qui pourraient éventuellement correspondre à la définition actuelle des verbes « préconiser » ou « conseiller ».

Lorsque je me suis adressé au comité la semaine dernière, j'ai fait brièvement référence à une récente décision de la cour d'appel de l'Ontario dont un défendeur s'appelait Beattie. En l'espèce, une personne était accusée de posséder de la pornographie juvénile sous la forme d'un classeur de 33 récits décrivant de façon explicite des activités sexuelles entre des adultes et des enfants de moins de 14 ans. La cour a examiné ces récits, qui ressemblaient beaucoup aux écrits de M. Sharpe. Après avoir décrit le contenu des récits, la cour a déclaré ce qui suit :

Dans l'ensemble, cependant, ces récits adressent deux messages explicites et non équivoques à celui qui les lit objectivement. Premièrement, ils affirment que les enfants souhaitent et apprécient les activités sexuelles avec des adultes. Les enfants veulent avoir des activités sexuelles avec des adultes — même leurs pères — car ils sont précoces, voluptueux et manipulateurs. Ils sont sexuellement insatiables et toujours prêts à se livrer à des actes sexuels répétés. Et ils apprécient l'activité sexuelle, même lorsqu'elle est douloureuse et violente.

Deuxièmement, ces histoires racontent que bien que la société prétende condamner les relations sexuelles entre adultes et enfants, les adultes qui aiment le plus les enfants et les comprennent le mieux (leurs parents) et les adultes qui sont responsables de leurs bien-être (leurs parents et médecins) ont régulièrement des relations sexuelles avec des enfants.

Le message que donne ces histoires, tel qu'interprété par la Cour d'appel — et il y aura peut-être un pourvoi en appel — c'est que ce matériel dépeint les enfants comme des objets d'exploitation sexuelle. La cour a conclu dans ce cas que les matériels préconisaient ou conseillaient effectivement une activité sexuelle illégale et la question sera donc de savoir si le matériel, semblable à celui dont il est question dans l'affaire Sharpe, correspond à la définition actuelle. On pourrait aussi poser la question de savoir si le projet de loi C-2 s'y appliquerait.

Le fait est que depuis deux ou trois ans, nous avons une série de cas portant sur du matériel semblable. Nous avons du mal à comprendre comment un marché peut exister pour certains des écrits et nous aurions tous du mal à comprendre qu'il puisse exister un marché pour les photographies. Le projet de loi vise en premier lieu à donner suite à ce qu'a dit la Cour suprême quand elle a interprété les dispositions actuelles relatives à la pédopornographie et, ensuite, de ne pas modifier les moyens de défense existants, ce qui ne ressemble en rien au renversement du fardeau de la preuve.

Le sénateur Nolin : Ce n'est pas ce qu'ils disent. C'est ce qu'ils auraient souhaité. Ils voudraient que la Couronne prouve que cela a créé un risque indu.

Mme Morency : Il incombe à la Couronne de prouver les accusations au-delà de tout doute raisonnable.

Le sénateur Nolin : Ce n'est pas ce que dit le libellé.

Mme Morency : Le libellé est identique à celui du moyen de défense existant.

Le sénateur Joyal : Je ne veux pas prolonger la discussion, parce qu'il se fait tard, mais nous pourrions avoir une autre réunion.

Mme Morency : Un autre exemple du renversement du fardeau de la preuve se trouve au paragraphe 515(6) du Code criminel qui concerne la remise en liberté sous condition. Le paragraphe stipule très clairement ce qui suit : « à moins que celui-ci, ayant eu la possibilité de le faire, ne fasse valoir des motifs excluant l'application des conditions ». Lorsqu'il y a renversement du fardeau de la preuve, cela suscite de graves questions et ce renversement doit être énoncé très clairement et doit être justifié au regard de la Charte. Le projet de loi C-2 ne déroge pas à ce qui existe déjà dans le Code criminel.

Le sénateur Nolin : Qui prouve a)? Sur qui repose le fardeau?

Mme Morency : La Couronne doit prouver au-delà de tout doute raisonnable que l'acte en question n'a pas de but légitime lié à l'art et que cela crée un risque indu de tort aux enfants, même si le matériel a un but légitime. Il suffit que la défense fasse état de quelques faits qui donnent un air de réalité à la défense, ce que ferait de toute façon un accusé lorsqu'il tente d'utiliser un moyen de défense, tandis que la Couronne doit prouver ces accusations au-delà de toute doute raisonnable. Là encore, c'est tiré directement de l'interprétation donnée par la Cour suprême dans l'arrêt Sharpe.

Je tenais à vous rassurer ce soir et à vous garantir que notre intention est de maintenir ce que prévoit déjà le Code criminel en ce qui a trait à la pornographie juvénile et de préciser comment les réformes existantes et additionnelles proposées dans le projet de loi C-2 fonctionneraient. Il faudra toujours que le matériel en cause soit conforme à la définition. Dans ce cas, la Couronne doit démontrer au-delà de tout doute raisonnable que le matériel a pour caractéristique dominante la description, dans un but sexuel, d'une activité sexuelle avec un enfant qui constitue une infraction à la loi.

L'exemple cité plus tôt ce soir ne correspond pas à cette définition. Le cas échéant, la défense d'un but légitime lié à l'art pourrait quand même être utilisée. Si l'on fait la preuve d'une certaine valeur artistique, alors la défense ou la Couronne doit néanmoins prouver, au-delà de tout doute raisonnable, en s'appuyant sur les arrêts de la Cour suprême, sur les utilisations faites de la pornographie juvénile. J'ai eu le plaisir de lire les documents dont on a parlé ce soir. J'estime que ces matériels ne correspondent pas à la définition.

Le sénateur Nolin : Parlez-vous de la définition à l'alinéa c)?

Mme Morency : Le projet de loi C-2?

Le sénateur Nolin : Oui.

Mme Morency : Oui.

Le sénateur Nolin : Ces livres ne sont pas inclus dans la définition?

Mme Morency : Pas dans la définition existante ni dans la définition proposée, si j'ai bien compris.

Le sénateur Nolin : Relisons l'alinéa c). D'après la description qu'on a de ce livre, il ne cadre pas avec la définition.

Mme Morency : Il est question d'écrits dont la caractéristique dominante est la description, dans un but sexuel.

Le sénateur Nolin : Tout écrit dont la caractéristique dominante est la description dans un but sexuel.

Mme Morency : C'est cela. La Cour suprême du Canada a interprété les mots « dans un but sexuel » comme ce qui peut être raisonnablement perçu comme visant à provoquer une stimulation sexuelle.

La présidente : J'aime bien cette discussion. Je trouve que c'est très intéressant. Peut-être pouvons-nous ce soir, avant de passer à l'étude article par article, décider que nous voulons avoir une discussion d'au moins une heure avec les représentants du ministère mercredi prochain? Alors, nous pourrons décider ce que nous voulons faire pour l'étude article par article. Vous plaît-il, honorables sénateurs, de procéder comme cela?

Le sénateur Milne : J'aimerais des précision quant à la raison pour laquelle à l'alinéa 12(7)b) il est indiqué que les motifs du prévenu ne sont pas pertinents.

Mme Catherine Kane, directrice, Centre de la politique concernant les victimes, ministère de la Justice, Canada : Je peux vous répondre tout de suite, mais préféreriez-vous attendre?

La présidente : Mercredi prochain.

[Français]

Vous avez entendu toutes les questions et je pense que cela va prendre au moins une heure de discussion avant que l'on puisse adopter ce projet de loi.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Si vous êtes si convaincus que la défense à l'article 6 est tout à fait ce qui a été énoncé par la Cour suprême dans l'arrêt Sharpe, pourquoi ne pas garder ce que nous avons à l'heure actuelle? Selon-vous c'est déjà inclus.

La présidente : Nous aurons une réponse d'ici mercredi prochain. En attendant, il faudra patienter.

[Français]

M. Montpetit : J'aimerais seulement vous faire remarquer que nous étions plusieurs personnes autour de la table, des personnes très intelligentes, qui en lisant l'article concernant le fardeau de preuve inversé — que nous disons être inversé et que vous dites non inversé — ont émis des interprétations différentes.

Ne serait-ce pas la moindre des choses que ce soit clarifié dans la loi, et non dans l'intention du législateur? À mon avis, l'intention du législateur n'est pas pertinente elle non plus. La loi elle-même dit que les intentions ne sont pas pertinentes. J'aimerais que ce soit écrit sur papier.

Puisqu'il y a toutes ces interprétations différentes, il me semble que cela devrait être clarifié dans les autres points de la loi, dont un en particulier que je vous rappelle qui est que l'œuvre peut être saisie jusqu'à la fin du procès. Cela, pour moi, est une démonstration qu'il y a un fardeau de preuve inversé. L'œuvre est considérée coupable jusqu'à la fin du procès. Il devrait être écrit dans la loi que l'œuvre ne peut pas être saisie tant que la preuve n'a pas été faite.

La présidente : J'en prends bonne note. Merci de votre participation. Je pense que cela a été une réunion fort intéressante qui a impliqué tous les sénateurs.

La séance est levée.


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