Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 19 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 11 juillet 2005
Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-38, Loi concernant certaines conditions de fond du mariage civil, se réunit aujourd'hui à 18 h 5 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Nous examinons aujourd'hui le projet de loi C-38, Loi concernant certaines conditions de fond du mariage civil.
[Traduction]
Nos témoins aujourd'hui sont l'honorable Cotler, ministre de la Justice et procureur général du Canada, et Lisa Hitch, avocate-conseil, Section de la famille, des enfants et des adolescents au ministère de la Justice du Canada.
[Français]
Monsieur le ministre, nous vous souhaitons la bienvenue. Nous tenons également à vous féliciter pour le prix que vous vous êtes mérité la semaine dernière.
[Traduction]
Vous avez reçu le prix Philippe Pinel 2005 de l'Académie internationale de droit et de santé mentale. Nous vous félicitons. Vous méritez sans aucun doute cet honneur prestigieux.
Nous vous remercions d'être ici ce soir.
[Français]
Avant de vous céder la parole, monsieur le ministre, j'aimerais noter l'absence de quelques sénateurs qui n'ont pu se joindre à nous. L'honorable sénateur Chaput remplace ce soir le sénateur Hubley qui devait remplacer le sénateur Mercer.
[Traduction]
Le sénateur Mitchell remplace le sénateur Banks, qui devait remplacer le sénateur Sibbeston. Le sénateur St. Germain remplace le sénateur Eyton.
Le sénateur St. Germain : J'invoque le Règlement.
Madame la présidente, je vous en ai parlé en privé, mais je pense qu'il est important d'en discuter maintenant, étant donné le temps précieux du ministre. Nous sommes scandalisés de notre côté que la séance de ce soir ne soit pas télédiffusée. Elle va au cœur des convictions religieuses de bien des gens. Je crois qu'il devrait y avoir une explication des motifs pour lesquels cette séance n'est pas télévisée.
Quand je vous ai demandé si les séances futures seraient diffusées, vous avez indiqué que les membres de votre côté y étaient opposés. Je pense qu'on nous doit une explication.
La présidente : Je vous donnerai l'explication, sénateur St. Germain.
Il n'y a qu'une équipe pour filmer les séances des comités. Elle a d'abord reçu une demande du Comité sénatorial permanent des finances nationales, qui siège demain et mercredi. Le contrat a expiré en juin et ils ont donc un contrat spécial avec le ministère des Finances. Nous ne pouvions pas utiliser leurs services. Ils ne pouvaient venir que pour un comité, pas deux. Les finances ont été les premiers à les demander et leurs séances seront télévisées.
Le sénateur St. Germain : Je ne sais pas combien de jours nous nous réunirons, madame la présidente, mais ils ne se réunissent pas avant demain. La présence du ministre est cruciale pour le projet de loi qui nous intéresse.
On dirait que le gouvernement ne veut pas permettre aux Canadiens d'entendre tous les arguments. Je pense que c'est essentiel.
J'ai siégé au sein de comités qui ont discuté de questions importantes, mais il s'agissait simplement d'études, tandis que la loi proposée aura des conséquences sur la vie de millions de nos concitoyens. Un grand nombre d'entre eux estiment que ces conséquences seront négatives. Dans cet esprit, nous devrions téléviser la séance de ce soir. Je ne crois pas qu'il y a une excuse pour ne pas le faire.
La présidente : Je le répète, il n'y a pas de ressources pour deux comités, seulement pour un. C'est mon explication.
Le sénateur St. Germain : S'il y a eu des consultations de votre côté, nous n'en avons pas entendu parler. Je le répète, cette question touche les fondements de notre société. Pour une question aussi importante, je pense que le gouvernement, qui a dépensé des milliards de dollars, aurait pu embaucher les ressources nécessaires pour assurer la couverture de notre réunion de ce soir. Je pense qu'il n'y a aucune excuse. Il est honteux que les Canadiens ne puissent pas voir ce qui se passe ici.
La question s'est posée au Sénat durant nos discussions. Je pense qu'un sénateur a déclaré qu'en en discutant, nous détruisions la crédibilité du Sénat.
Je dis aux honorables sénateurs que nous examinons sérieusement le projet de loi. Nous avons demandé au ministre de venir ici. Il est venu. Je l'en remercie, parce qu'on nous avait informé qu'il y aurait une téléconférence. Mais il a jugé bon de venir et je crois sincèrement que les Canadiens ont le droit de savoir ce qui se passe, surtout quand on pense que cela coûte des milliers de dollars pour faire venir des personnes comme le sénateur Austin et moi-même de toutes les régions du pays.
Le coût d'une équipe de télévision aurait été minime, compte tenu de l'importance de la question.
La présidente : Sénateur, vous avez exposé votre point de vue.
Le sénateur Ringuette : Je siège à ce comité depuis un an et ses délibérations n'ont jamais été télévisées. Nous étudions régulièrement des projets de loi importants, comme le projet de loi C-2, sur la pornographie juvénile. Ce projet de loi était extrêmement important. Aucun membre du comité n'a jamais demandé pourquoi les délibérations n'étaient pas télévisées. Le comité devrait étudier ce projet de loi comme il le fait pour les autres projets de loi importants qui lui sont renvoyés par le Sénat. En ce qui concerne ce coup monté de la télévision, j'ai le regret de dire que le projet de loi C-38 mérite un examen plus sérieux.
Le sénateur St. Germain : Madame la présidente, est-ce que l'honorable sénateur expose un point de vue?
La présidente : Vous avez exposé le vôtre, sénateur St. Germain.
Le sénateur St. Germain : L'honorable sénateur est-elle en train de dire que certaines études sont plus sérieuses que d'autres? Elle donne un exemple. Croyez-moi ce n'est pas un coup monté.
La présidente : Je vous en prie, sénateur.
Le sénateur St. Germain : C'est sérieux.
La présidente : Vous avez exprimé votre point de vue. J'entendrai un autre sénateur.
Le sénateur St. Germain : Avez-vous peur de balayer l'affaire sous le tapis?
La présidente : Le ministre est présent aujourd'hui pour témoigner devant le comité parce que vous vouliez l'entendre au sujet de ce projet de loi. Écoutons-le. Je donnerai la parole uniquement au sénateur Milne.
Le sénateur Milne : J'aimerais indiquer aux membres du comité qui n'y siègent pas depuis très longtemps —
Le sénateur St. Germain : Nous sommes toujours membres de tous les comités.
Le sénateur Milne : Quand les délibérations étaient télévisées, ce qui arrivait souvent sous la présidence du sénateur Beaudoin, du sénateur Carstairs et de moi-même, la règle était qu'on télévisait tout ou rien, de manière à couvrir l'examen complet du projet de loi.
Le sénateur Andreychuk : Je suis d'accord.
Le sénateur Prud'homme : Je suis heureux d'être ici ce soir, même si j'ai attrapé une contravention pour excès de vitesse en venant. Une chose me dérange, et le leader du gouvernement au Sénat et d'autres devraient faire quelque chose à ce sujet. J'en ai marre d'entendre les journalistes à la télévision nationale, à CBC et CTV, par exemple, déclarer que le Parlement a ajourné pour l'été, quand le Sénat siège encore. La fin de semaine dernière, une station française a déclaré que le projet de loi avait été adopté et elle a montré des images du mariage de deux femmes, qui s'embrassaient passionnément. En ce qui me concerne, le projet de loi n'a pas été adopté et ce n'est pas encore une loi. Il est malheureux qu'une équipe de télévision ne soit pas ici pour couvrir ces réunions, parce que nous aurions peut-être pu informer les Canadiens. Quelqu'un a déclaré un jour que le projet de loi sur l'avortement avait été adopté, alors qu'il avait été rejeté par le Sénat. Il n'y a pas de loi en faveur de l'avortement au Canada parce que le Sénat a rejeté le projet de loi. Le Sénat fait encore partie du Parlement, mais je ne sais pas comment convaincre les gens de cette réalité.
Il est très ennuyeux que CPAC n'ait pas jugé bon de téléviser les délibérations de notre comité sur cette question importante. Je conviens avec le sénateur St. Germain que CPAC devrait couvrir la séance de ce soir afin que les Canadiens puissent entendre les observations du ministre. Je suis ravi que le ministre Cotler soit avec nous ce soir, même si j'avais espéré qu'il vienne la semaine dernière.
La présidente : Monsieur le ministre Cotler, vous avez la parole.
[Français]
L'honorable Irwin Cotler, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Madame la présidente, honorables membres de ce comité, je suis très heureux d'être ici ce soir.
[Traduction]
Sénateurs, je vous remercie d'être ici en juillet afin d'étudier cet important projet de loi, non seulement pour jouer le rôle du Sénat comme chambre de réflexion, même si cela serait une raison suffisante en soi, mais aussi parce que cela reflète le dévouement et l'engagement du comité envers le processus parlementaire. En qualité de parlementaire, je regrette ces allusions au fait que le Parlement aurait ajourné pour l'été. J'ajoute entre parenthèses que le même problème s'est posé en Espagne, lorsqu'une annonce semblable a été faite après qu'une chambre avait étudié le projet de loi, comme si l'affaire était réglée.
Ayant lu les comptes rendus des délibérations du comité, j'aimerais préciser aux fins du compte rendu, que j'ai toujours eu l'intention d'y témoigner. Il n'y avait qu'une journée où je ne pouvais pas le faire, soit vendredi dernier, quand j'ai représenté le gouvernement du Canada à la signature d'un accord international à Strasbourg.
Mon premier devoir en qualité de ministre et de parlementaire est de comparaître devant tout organe de la Chambre et du Sénat, et je suis heureux de le faire.
Le projet de loi C-38 est relativement court, car il ne contient que trois dispositions essentielles. L'une offre en toute égalité aux conjoints du même sexe l'accès au mariage civil et les deux autres réaffirment la liberté de religion. En particulier, le projet de loi est ancré dans deux principes fondamentaux de la Charte.
[Français]
Les deux principes fondamentaux qui étayent ce projet de loi, l'égalité — et, par conséquent, l'élargissement du mariage civil aux couples gais et lesbiens — et la liberté de religion — et, par conséquent l'assurance que les groupes religieux resteront libres de suivre leurs croyances et de prendre leurs propres décisions — sont l'essence même de ce projet de loi.
[Traduction]
Même si le projet de loi est court, le chemin qui nous a menés où nous en sommes aujourd'hui a été fort long. Il a en effet commencé en 1982, quand le Parlement a adopté la Charte canadienne des droits et libertés. Car c'est sur l'initiative parlementaire que la Charte a pris force de loi et a fait partie intégrante de notre Constitution. C'est le Parlement qui a alors conféré aux tribunaux le rôle de protecteurs de ces droits et libertés fondamentaux, y compris les droits à l'égalité et la liberté de conscience et de religion, au nom de tous les Canadiens. C'est le peuple du Canada, y compris les minorités et, parmi elles, les gais et les lesbiennes, qui a invoqué alors la Charte pour recourir aux tribunaux et demander réparation. Ce sont les tribunaux du Canada, y compris ceux de huit provinces et d'un territoire, qui ont conclu que l'exigence hétérosexuelle du mariage constituait une violation inconstitutionnelle de l'article de la Charte visant les droits à l'égalité.
C'est le gouvernement du Canada qui a renvoyé, en réponse à ces décisions des tribunaux, l'avant-projet de loi à la Cour suprême du Canada pour obtenir son opinion juridique concernant l'effet du projet de loi sur les deux garanties fondamentales de la Charte, l'égalité et la liberté de religion. C'est la Cour suprême du Canada qui a conclu, à l'unanimité, que l'objet de la législation du gouvernement était conforme à la Charte. La Cour a statué que la législation proposée par le gouvernement, « loin d'enfreindre la Charte découle de celle-ci ». Par conséquent, cette question revient maintenant au Parlement, d'où elle provient. Le 1er février dernier, le gouvernement a déposé le projet de loi C-38 afin de s'acquitter des responsabilités du Parlement visant le respect des droits à l'égalité en élargissant aux conjoints de même sexe l'accès au mariage civil, et afin d'uniformiser la loi à l'échelle du pays.
Toutefois, l'essence même de cette législation — l'élargissement de l'accès au mariage civil en toute égalité aux conjoints de même sexe, tout en respectant la liberté de religion — est connue depuis plus de deux ans, depuis juillet 2003 en fait, lorsque le gouvernement a renvoyé son avant-projet de loi devant la Cour suprême. En réalité, elle était connue et a été débattue même avant, lorsque le Comité de la justice et des droits de la personne de l'autre Chambre s'était intéressé à cette question.
[Français]
Durant cette période et avant, en réponse aux décisions des tribunaux et aux documents de discussion du gouvernement du Canada, tous les éléments du projet de loi ont été discutés de fond en comble. Ceci tout dernièrement dans les deux chambres du Parlement et auparavant au Comité permanent de la justice qui s'est rendu partout au Canada pour entendre presque 500 témoins, devant les tribunaux de neuf provinces et territoires et devant la Cour suprême du Canada lors de l'audition du renvoi à laquelle la cour a admis 28 intervenants qui ont fait entendre l'éventail le plus complet d'opinions.
[Traduction]
Sans parler des médias et d'autres forums publics du pays qui ont accordé longuement à cette question une prédominance jamais connue par le passé récent et pleinement justifiée. Je suis heureux de voir que tant de personnes ont participé au débat sur ce sujet important, et je dirais d'ailleurs que ce débat et ces discussions sont un véritable exemple de démocratie en marche. Ce projet de loi a manifestement été l'un des plus étudiés et des plus discutés ces temps derniers.
Pourtant, trois affirmations incorrectes tant du point de vue factuel que juridique continuent de se dégager dans tous ces forums et j'aimerais donner ce soir au comité mon point de vue à leur sujet.
Je précise que je respecte la diversité et la pluralité des points de vue sur le projet de loi et que je n'accepte pas les insinuations que ceux qui s'y opposent sont contre les droits de la personne. Nous abordons la question dans une ambiance de respect mutuel.
La première affirmation qui continue d'être faite est que le Parlement est libre de réédicter la définition hétérosexuelle du mariage civil sans recourir à la disposition dérogatoire. La deuxième est que, sans la loi proposée, le Parlement serait en mesure d'assurer le respect de la garantie de l'égalité au moyen d'une forme quelconque d'union civile. La troisième est que le projet de loi met en danger la liberté de religion. Ces trois affirmations ont été exprimées dans les délibérations du comité que j'ai pu lire.
Dès le début des discussions sur le mariage de conjoints de même sexe, divers participants au débat ont soutenu qu'il existait un meilleur compromis qui permettrait de légiférer de nouveau pour rétablir l'exigence hétérosexuelle traditionnelle du mariage civil, et offrirait les mêmes droits et privilèges du mariage aux conjoints de même sexe, mais au moyen d'unions civiles et non de mariages civils.
Bien que superficiellement attrayant, ce compromis est fondé sur deux hypothèses si improbables qu'il ne tient pas la route. Bien que possible du point de vue technique, il ne peut être concrétisé que si le Parlement est prêt à recourir à la disposition dérogatoire. Et même alors, il est peu vraisemblable que la loi puisse survivre à une contestation judiciaire, puisque le Parlement n'a tout simplement pas le pouvoir d'imposer ce compromis. Quant à l'affirmation que le Parlement est libre de réédicter d'une manière ou d'une autre la définition traditionnelle du mariage, pour passer outre les dispositions de la Charte relatives aux droits à l'égalité, pour l'emporter sur les décisions des tribunaux dans neuf juridictions, pour casser la décision unanime de la Cour suprême du Canada, sans recourir à la disposition dérogatoire, elle est fondée sur un effort de logique invraisemblable qui ferait que parce que la Cour suprême n'a pas répondu à la quatrième question que lui a posée le gouvernement dans son renvoi sur le mariage civil, le Parlement serait maintenant libre de décider de la question comme il l'entend.
[Français]
J'ajouterais que la quatrième question posée, à savoir si la définition traditionnelle du mariage est conforme à la Charte, a été incluse non pas parce que nous avions l'intention de défendre cette position, mais au contraire nous avons adopté la position inverse et l'avons incluse pour permettre à ceux et celles qui voudraient appuyer cette position de le faire...
[Traduction]
...nous voulions donner à tout le monde le droit d'être entendu même si nous n'étions pas d'accord avec cette position.
Quant à la question que nous avons posée et appuyée, à savoir si l'accès au mariage civil offert aux gais et aux lesbiennes était compatible avec la Charte, la Cour a répondu qu'elle ne respectait pas seulement la Charte, mais qu'elle découlait de ses principes et de ses valeurs. Il est donc incorrect de dire que la Cour suprême du Canada n'a pas répondu à la quatrième question, puisque la réponse était évidente. Donc, si la Cour avait répondu, sa réponse aurait été, pour reprendre les termes employés par la Cour, « sans précédent ». Autrement dit, la Cour a déclaré qu'il n'était pas nécessaire de répondre à la quatrième question car les tribunaux de six provinces et territoires étaient alors arrivés à cette conclusion; que plusieurs milliers de couples s'étaient fondés sur ces décisions judiciaires pour se marier et avaient ainsi acquis des droits protégés; que le gouvernement avait déjà indiqué qu'il légiférerait pour offrir aux conjoints de même sexe l'accès égal au mariage civil et, ce qui est plus important encore, la Cour suprême du Canada avait répondu à la question en répondant à la question antérieure à savoir si le mariage de conjoints de même sexe était constitutionnel et avait conclu, à l'unanimité, qu'il en était ainsi.
Par conséquent, ceux qui continuent d'argumenter en faveur de solutions de rechange ne soulignent pas que la Cour n'a pas répondu à la quatrième question parce qu'elle le jugeait inutile pour les raisons que je viens de donner. Cela ne signifie pas que la Cour a dit que quelle que soit la décision du Parlement, celle-ci serait constitutionnelle, ou encore que nous sommes libres de faire ce que nous voulons. Plutôt et on oublie souvent de le dire, rien dans la décision de la Cour suprême n'a annulé les décisions exécutoires qui ont maintenant été rendues dans neuf provinces et territoires selon lesquelles la définition hétérosexuelle du mariage est contraire à la garantie fondamentale de l'égalité contenue dans la Charte.
Bien entendu, certains ont suggéré que les neuf décisions annulant la définition traditionnelle du mariage « ne sont que des décisions des tribunaux inférieurs ». Il semblerait que seule une décision de la Cour suprême du Canada à ce sujet peut être suivie, et donc que le Parlement ne devrait qu'exercer son pouvoir de recours à la disposition dérogatoire devant une décision de la Cour suprême du Canada. Cette compréhension de la question n'est pas seulement erronée, elle est contraire à la règle du droit.
Lorsqu'une loi est déclarée inconstitutionnelle, le Parlement n'a que deux choix : soit remédier à l'inconstitutionnalité de la loi, ce que nous faisons en déposant le projet de loi C-38, soit renverser une décision judiciaire en invoquant la disposition dérogatoire. L'invocation de la disposition dérogatoire signifie que le Parlement déclare publiquement qu'il adoptera la loi même si elle est inconstitutionnelle.
[Français]
Ce qui est important à cet égard, c'est que la Cour suprême du Canada n'est pas le seul tribunal du pays que les gouvernements sont obligés de respecter en vertu de la primauté du droit. Des tribunaux de neuf provinces et territoires ont déclaré que le fait de restreindre le mariage civil aux seuls conjoints de sexe opposé était inconstitutionnel. Leurs décisions sont exécutoires pour nous.
[Traduction]
Les tenants de cette position sont libres de se perdre en conjectures sur ce qu'aurait pu faire la Cour suprême dans d'autres circonstances. Toutefois, ils ne peuvent pas continuer de déclarer que le Parlement peut ignorer les décisions des tribunaux, ces décisions constitutionnelles exécutoires, et réédicter la même loi ayant été déjà déclarée inconstitutionnelle quand elle a été examinée par les tribunaux.
De nombreux opposants au projet de loi C-38 voudraient nous faire croire que les changements apportés à la définition du mariage civil seraient dus à un manque d'action du Parlement. Le problème, c'est que le Parlement avait déjà légiféré la définition hétérosexuelle du mariage. C'est la loi fédérale que les tribunaux du Québec ont considérée et non pas la définition du mariage dans la common law. Pourtant, les tribunaux ont conclu également que cette loi était inconstitutionnelle.
La deuxième affirmation erronée est que le Parlement pourrait créer l'égalité pour les conjoints de même sexe en établissant par une loi une forme d'union civile qui leur donnerait les mêmes droits que ceux du mariage. Cette affirmation est promue comme étant un compromis raisonnable qui entraînerait une certaine paix sociale. D'autres pays ont opté pour une forme quelconque d'union civile pour les couples gais, alors pourquoi pas le Canada? La réponse est celle-ci : les cours d'appel de la Colombie-Britannique et de l'Ontario et la Cour suprême du Canada ont déjà examiné la possibilité d'une union civile et ont conclu que celle-ci serait moins qu'égale et serait donc inconstitutionnelle.
Même si nous voulions que le Parlement adopte cette approche, le gouvernement fédéral n'a tout simplement pas la compétence pour le faire. Les unions civiles relèvent de la compétence provinciale et territoriale. Or laisser aux provinces et aux territoires le soin d'essayer de résoudre la question entraînerait inévitablement 13 régimes disparates d'unions civiles qui ne garantiraient pas l'égalité. Donc, même si ce compromis est superficiellement attrayant, il n'est tout simplement pas possible de l'appliquer dans le cadre juridique et constitutionnel du Canada.
La troisième affirmation des opposants au projet de loi soutient qu'il n'y a pas eu assez d'efforts déployés pour assurer la liberté de religion.
Honorables sénateurs, ce gouvernement n'a ménagé aucun effort pour s'assurer que la liberté de religion serait respectée, y compris en prenant le temps de renvoyer la loi proposée au plus haut tribunal du pays.
[Français]
Ce principe de liberté de religion est maintenant inclus dans le projet de loi, à cinq endroits distincts : trois fois dans le préambule ainsi qu'au paragraphe 3.1.
[Traduction]
Les critiques voudraient nous faire croire que le projet de loi C-38 met en danger l'exercice de la liberté de religion. Il faut prendre cette critique au sérieux. Il faut prendre au sérieux la notion de protection de la religion. La liberté de religion est souvent considérée comme le parent pauvre de l'égalité, et on affirme que toutes les fois que les cours et les tribunaux se trouvent face à un conflit entre les droits à l'égalité et les droits religieux, les droits à l'égalité priment toujours par rapport à la liberté de religion.
Une telle affirmation ignore cependant à la fois la décision de la Cour suprême du Canada dans le renvoi et les nombreuses autres décisions rendues en vertu de la Charte. La Cour suprême a toujours indiqué que la liberté de religion doit être pleinement respectée, c'est-à-dire qu'elle constitue « la base de nos libertés » comme l'a déclaré l'ancien juge de la Cour suprême du Canada, Brian Dickson; et qu'elle doit faire en outre l'objet d'une vaste interprétation et que cette protection doit être jalousement gardée. J'ai écrit assez longuement sur la protection de la liberté de religion. Les critiques du projet de loi C-38 ignorent les modifications importantes visant à protéger la liberté de religion, y compris l'amendement générique de l'article 3.1, adoptées dans l'autre Chambre.
[Français]
S'il faut ajouter des mesures de protection précises visant les autorités religieuses, la prestation commerciale de services ou de location des salles paroissiales, ces mesures devront être ajoutées aux lois provinciales et territoriales.
[Traduction]
Le gouvernement fédéral n'a tout simplement pas juridiction sur ces questions. J'ai soulevé cette question par écrit avec mes collègues provinciaux et territoriaux et je peux déposer cette lettre au comité. Je l'ai également soulevée lors des réunions bilatérales et des réunions annuelles des ministres de la justice fédéral, provinciaux et territoriaux.
L'Ontario a répondu, en adoptant un nouveau projet de loi offrant de plus amples mesures de protection de la liberté de religion. Le Québec dispose déjà de mesures de protection spécifiques dans son Code civil visant les autorités religieuses qui refusent de marier des couples de même sexe. D'autres provinces envisagent d'autres protections législatives.
Je comprends parfaitement que certaines communautés confessionnelles soient encore incertaines au sujet de l'effet de ce projet de loi. J'ai visité des églises, des mosquées et des synagogues d'un océan à l'autre et j'ai fait valoir que, à cause de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et de la Charte, nous avons une série de garanties selon lesquelles la Cour suprême se prononce sur la nature étendue de ces libertés et les assurances répétées de notre gouvernement que nous respecterons la garantie de la liberté de religion exprimée dans la Charte et la jurisprudence. Elle est exprimée explicitement dans le projet de loi.
J'ai passé beaucoup de temps à discuter de cette question avec des membres de divers groupes confessionnels, y compris le mien. Je sais bien que ces craintes sont très profondes, et nous les avons prises très au sérieux, tout comme le font ceux qui les expriment. Il y a donc une référence explicite à la liberté de religion à cinq endroits dans le projet de loi. Par ailleurs, dans notre société démocratique et pluraliste, le gouvernement doit s'assurer que les lois sur le mariage servent tous les Canadiens en toute égalité et sans discrimination. L'assurance que le mariage civil soit disponible pour les couples qui ne souhaitent pas se marier religieusement ou qui ne respectent pas les normes établies par leur religion, en fait partie intégrante.
Même si la loi ne doit pas, dans la mesure du possible, s'ingérer dans la capacité des personnes d'avoir des convictions religieuses, et cette exigence est exprimée dans l'amendement générique de l'article 3.1 adopté dans l'autre Chambre, elle doit être également vigilante de ne pas imposer des opinions religieuses à ceux qui n'y adhèrent pas. Cela est l'essence même des garanties de la liberté de religion.
Comme les honorable sénateurs le savent, les groupes confessionnels ont des points de vue très divisés sur cette question, non seulement au Canada, mais ailleurs dans le monde. Certains groupes religieux, y compris certaines collectivités chrétiennes, juives et autres, ne sont pas d'accord avec les points de vue d'autres groupes et souhaitent avoir la capacité de célébrer des mariages légaux de conjoints de même sexe.
[Français]
Enfin, permettez-moi d'aborder brièvement les dispositions précises du projet de loi. Comme je l'ai mentionné, les trois dispositions de fond du projet de loi se trouvent dans les articles 2 et 3 et au paragraphe 3.1. L'article 2 énonce la définition du mariage civil comme l'union légitime de deux personnes, à l'exclusion de toute autre personne, donnant ainsi suite aux décisions des tribunaux.
[Traduction]
Honorables sénateurs, l'article 3 a été la source de préoccupations chez ceux qui croient qu'il va à l'encontre de la Constitution, en s'ingérant dans le champ de compétence provincial et territorial, à cause de la mention spécifique d'autorités religieuses et de la liberté de refuser de procéder à des mariages entre personnes de même sexe s'ils ne sont pas conformes à leur religion ou leurs convictions religieuses.
Le gouvernement du Canada n'avait aucunement l'intention de s'ingérer dans un champ de compétence provincial. Nous sommes entièrement d'accord avec la Cour suprême du Canada, selon laquelle la célébration du mariage relève entièrement de la compétence des assemblées législatives des provinces et territoires.
L'article 3 a été inclus en tant que déclaration exacte de la décision de la Cour suprême à cet égard, selon laquelle la garantie de la liberté de religion conférée par la Charte protège les autorités religieuses contre l'obligation par l'État de procéder à des mariages contraires à leurs convictions religieuses.
[Français]
Le paragraphe 3.1 a été ajouté au projet de loi à la Chambre des communes pour donner une fois de plus l'assurance que la liberté de religion est pleinement protégée. Cette modification est l'expression concrète des protections fondamentales conférées par la Charte canadienne des droits et libertés : l'égalité et la liberté de religion qui sont le fondement même du projet de loi C-38, qui s'appliqueraient à tous les domaines de juridiction fédérale répondant ainsi aux préoccupations qui ont été exprimées.
[Traduction]
L'article 4 du projet de loi a été inclus pour clarifier le fait que d'autres règles pertinentes de la common law devraient maintenant évoluer conformément aux changements apportés par ce projet de loi. Les autres dispositions du projet de loi traitent des modifications corrélatives à d'autres lois fédérales afin que les textes législatifs s'appliquent uniformément à tous les mariages civils.
L'article 11.1 a été ajouté à la Chambre des communes en tant que nouvelle assurance précise concernant le statut d'organisme de bienfaisance et la liberté de religion. Cette disposition débute elle aussi par « Il est entendu ». Autrement dit, la protection existait déjà dans la loi, mais la disposition est ajoutée pour plus de clarté.
Pour conclure, je comprends parfaitement que cette question est difficile pour beaucoup. Ma propre famille, comme je l'ai expliqué aux médias, constitue un microcosme de l'éventail des opinions à ce sujet. Toutefois, je crois sincèrement que même si en tant que Canadiens nous ne sommes pas tous d'accord à ce propos, nous pouvons reconnaître les piliers de la Charte qui étayent ce projet de loi.
Honorables sénateurs, l'adoption de la Charte, en 1982, a été l'expression et l'enchâssement de nos droits et libertés, la codification des plus belles valeurs et aspirations canadiennes. Nous en bénéficions tous, en particulier des protections complètes contre les motifs de distinction illicites, notamment l'orientation sexuelle.
La Charte définit notre identité en tant que peuple et elle définit nos aspirations. C'est dans cet esprit que ce projet de loi a été déposé, et c'est dans cet esprit que se sont déroulés le débat démocratique et l'exercice de la démocratie. C'est également dans cet esprit et dans cet espoir d'égalité des droits des minorités et de la protection de la liberté de religion que ce projet de loi sera sans aucun doute mis en vigueur.
Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions et je serai ravi d'entendre vos observations. Je me suis efforcé de présenter un exposé aussi complet que possible par respect pour le sérieux dont fait preuve le comité dans sa manière d'étudier le projet de loi.
Le sénateur St. Germain : Merci, monsieur le ministre, de venir témoigner en personne. C'est une indication de l'importance que vous accordez au projet de loi. Il ne fait aucun doute que les points de vue divergent sur ce projet de loi.
Il y a une chose que j'aimerais clarifier avec vous, monsieur le ministre. Pour quelqu'un comme moi, la Charte ne dicte pas ma vie. Ma religion le fait. C'est très différent. Mes valeurs sont déterminées par mes convictions religieuses, pas par la Charte des droits, conçue par un groupe d'hommes qui en ont discuté ici à Ottawa.
Pourquoi une définition traditionnelle du mariage n'a-t-elle pas été incluse dans le projet de loi? Cela va au cœur de l'argument invoqué par un grand nombre de nos dirigeants religieux dans leurs discussions. Je ne pense pas que personne ait voulu priver qui que ce soit de ses droits, mais une définition de l'institution traditionnelle du mariage aurait dû faire partie de la loi proposée. Vous pouvez peut-être nous expliquer pourquoi elle n'y est pas, parce que beaucoup d'entre nous considèrent le mariage comme un sacrement, quelque chose qui va bien au-delà de toute loi jamais adoptée par les êtres humains et qui existait bien avant que les lois commencent à faire partie des processus de l'humanité.
M. Cotler : En réponse au préambule à votre question, selon lequel la Charte ne dicte pas votre vie, mais que votre religion le fait, je respecte cela. Je crois que c'est un élément essentiel de l'identité de bien des gens, et le projet de loi visait à respecter pleinement le droit des gens d'avoir des convictions religieuses et de les exercer librement.
En ce qui concerne la Charte, il ne faut pas croire qu'elle devrait dicter votre vie. La Charte est une loi du pays et elle vise à vous et nous protéger contre diverses violations éventuelles de nos droits — l'un d'entre eux étant, je le répète, protéger votre droit, le mien et celui de tout le monde à la liberté de religion.
En qualité de procureur général de ce pays, j'ai la responsabilité, une responsabilité constitutionnelle d'ailleurs, d'être fidèle à la Charte et de respecter la primauté du droit, quelles que soient mes convictions religieuses à ce sujet. Je suis obligé de faire respecter la loi. Dans ce cas-ci, l'égalité et la liberté de religion sont deux principes fondamentaux.
En ce qui concerne le projet de loi en particulier, il est question — et c'est important pour établir un lien avec l'arrêt de la Cour suprême — de mariage civil et non de mariage religieux. Il est question de donner accès au mariage civil et mariage et de donner un accès égal aux gais et aux lesbiennes, une fois de plus comme l'a affirmé la Cour suprême, sans enlever quoi que ce soit aux couples hétérosexuels, sans enlever quoi que ce soit au mariage religieux ou aux convictions religieuses; autrement dit, accorder un droit aux minorités sans priver les autres de leurs droits.
Le préambule dit :
Attendu que les tribunaux de la majorité des provinces et d'un territoire ont jugé que l'égalité d'accès au mariage civil pour les couples de même sexe et les couples de sexe opposé était comprise dans le droit à l'égalité sans discrimination;
On soutient parfois qu'il n'est pas mention dans ce projet de loi de ce que des communautés confessionnelles pourraient considérer — à juste titre selon la conception qu'elles s'en font — comme la définition traditionnelle du mariage hétérosexuel, mais il y a une référence dans le préambule. Puis, l'article 3.1, parfois appelé l'amendement inclusif ou générique général, qui vise aussi à dissiper votre préoccupation, débute par « Étant entendu que [...] ». Cet article stipule ensuite, par exemple, que :
... nul ne peut être privé des avantages qu'offrent les lois fédérales ni se voir imposer des obligations ou des sanctions au titre de ces lois...
Puis, vient l'élément essentiel :
[...] pour la seule raison qu'il exerce, à l'égard du mariage entre personnes de même sexe, la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte canadienne des droits et libertés, ou qu'il exprime, sur la base de cette liberté, ses convictions à l'égard du mariage [...]
Et les mots clés :
[...] comme étant l'union entre un homme et une femme à l'exclusion de toute autre personne.
Ce qu'on qualifie parfois de définition traditionnelle du mariage, soit l'union entre un homme et une femme à l'exclusion de toute autre personne, est mentionnée expressément dans l'article 3.1 dans ce but, afin de s'assurer qu'elle est reconnue et protégée et que vos points de vue, convictions et pratiques à son sujet soient protégés également.
Le sénateur St. Germain : Vous affirmez que notre liberté de religion est protégée. Pourtant, vous déclarez du même souffle dans votre dissertation de ce soir que le Québec a une protection particulière dans son Code civil pour les autorités religieuses qui refusent de marier des couples de même sexe. Je pourrais citer une litanie de problèmes, mais d'autres membres du comité veulent aussi vous poser des questions, monsieur le ministre. Il s'agit cependant d'une indication claire que, si les provinces n'adoptent pas leur loi, de leur propre chef ou parce qu'elles y sont forcées à cause du projet de loi ou du gouvernement le plus élevé du pays, théoriquement, les commissaires de mariage et diverses autres personnes pourront être poursuivis s'ils n'appliquent pas nos lois sur le mariage au niveau provincial. Vous espérez que les provinces s'ajusteront pour que tout aille bien.
Je ne suis pas avocat, monsieur le ministre. Je suis seulement un ancien pilote de chasse et policier. Je peux cependant vous dire une chose. Nous savons qu'il y a 10 provinces et nos territoires, et ils ont tous des points de vue différents sur la question. Quelle uniformité dans ce projet de loi empêcherait la persécution, et j'ose dire la persécution religieuse, de ces personnes? Je ne la vois pas. Vous n'avez pas réussi, en tant que gouvernement, à protéger les commissaires de mariage de ma province, la Colombie-Britannique, qui a maintenant viré capot et qui affirme désormais que s'ils ne veulent pas le faire, ce n'est pas grave, en autant qu'ils trouvent quelqu'un d'autre pour le faire à leur place. Pourquoi l'Église catholique, le mouvement évangélique, tous ces gens, expriment-ils ces préoccupations? Vous venez ici, monsieur, et je pense sincèrement que vous êtes tout à fait franc avec nous. Mais ces organisations, dont une qui existe depuis plus de 2005 ans, contestent directement votre position sur la protection de la liberté de religion. Je reviens au problème provincial. Vous venez ici avec ce qui est essentiellement un beau méli-mélo. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?
M. Cotler : En ce qui concerne la préoccupation relative aux provinces, même si le Québec a ajouté une protection, avant le projet de loi d'ailleurs, on ne devrait pas — même si ce n'était pas votre intention, je décris simplement un fait — se plaindre du fait que ces protections ont été prévues. Comme je l'ai indiqué, la Cour suprême du Canada a statué que la liberté de religion constitue la base de nos libertés, qu'elle doit faire l'objet d'une vaste interprétation et qu'elle s'applique aux lois fédérales et provinciales. Nous ne pouvons pas, en tant que gouvernement fédéral, légiférer sur des questions de compétence provinciale, comme la célébration du mariage, mais les lois provinciales sont assujetties à la Charte canadienne des droits et libertés. La Charte s'applique à toutes les lois fédérales, provinciales et territoriales.
Il y a un autre aspect intéressant. Supposons que je vienne devant vous maintenant et que je déclare que nous allons retirer le projet de loi.
Le sénateur Cools : Mais faites donc.
M. Cotler : Le résultat ne serait pas que les mariages entre personnes de même sexe ne seraient plus une loi du pays. Les mariages entre personnes du même sexe seraient encore une loi du pays, dans au moins huit provinces et un territoire, et nous avons entendu que les autres emboîteront bientôt le pas. Cette question m'a été posée quand j'ai rencontré des groupes religieux, des dirigeants musulmans, chrétiens, juifs et hindous. Je leur ai répondu que le projet de loi prévoit, pour plus de certitude, une mention supplémentaire de la protection déjà garantie par la Charte des droits et libertés, en l'occurrence la protection de la liberté de religion et de conscience prévue au paragraphe 2a).
Elle est déjà établie dans notre jurisprudence, mentionnée expressément par la Cour suprême du Canada et se trouve dans les arrêts touchant aux droits à l'égalité et aux droits religieux. Fait plus important, nous affirmons dans l'article 3.1, pour plus de clarté, que les personnes et les institutions ne peuvent être privées d'avantages ni se voir imposer des obligations ou des sanctions du fait qu'elles exercent, à l'égard du mariage entre personnes de même sexe ou de sexe opposé ou de questions semblables, la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte canadienne des droits et libertés.
Dans le champ de compétence fédéral, nous nous sommes efforcés d'aller aussi loin que possible. Hors de cette compétence, la Charte et la jurisprudence s'appliquent et nous avons invité les provinces à en tenir compte. Le procureur général de l'Ontario a déclaré que, parmi plus de 1 000 mariages entre personnes de même sexe qui ont eu lieu en Ontario, aucun n'a posé de problème à cet égard.
Je répondrai franchement à votre question et à cette préoccupation. Même si la Cour suprême du Canada a affirmé qu'elle ne pouvait pas imaginer où pourrait surgir un conflit, elle a ajouté que, si jamais un conflit surgissait, notre jurisprudence prévoit le principe de l'aménagement adapté. C'est non seulement un principe de droit mais aussi un principe qui définit les relations humaines dans notre pays. Je crois que dans cet esprit de tolérance, si cette situation hypothétique devait se présenter, nous pourrions y faire face.
Le sénateur St. Germain : Pour plus de certitude, monsieur le ministre, accepterez-vous un amendement quelconque au projet de loi s'il découle de nos audiences qu'il s'avère nécessaire?
Le sénateur Cools : L'égalité pour tous. Parlez-nous de l'égalité du Sénat.
M. Cotler : J'ai toujours respecté pleinement le Sénat en tant qu'institution ainsi que ses membres. Je suis souvent venu témoigner...
Le sénateur Cools : Mais...
M. Cotler : Il n'y a pas de « mais » — respect complet, point à la ligne. Vous prendrez les décisions que vous jugerez pertinentes. Je ne suis ici que pour vous expliquer la nature de la loi que nous avons proposée. L'article 3.1 du projet de loi, qui constitue un amendement de l'autre Chambre visait à anticiper et à dissiper les préoccupations des différentes communautés confessionnelles du pays, des membres de votre comité et des membres de l'autre Chambre qui étaient naturellement préoccupés et qui ont soulevé ces questions au sujet de la protection de la liberté de religion. Nous l'avons adopté à titre d'amendement général et inclusif, afin de protéger expressément la liberté de religion.
Le sénateur Andreychuk : Merci, monsieur le ministre, d'être ici aujourd'hui. Je voudrais aborder deux thèmes. Premièrement, vous avez indiqué que la Cour a parlé d'« aménagement adapté » et j'y reviendrai dans un instant.
Je comprends que si nous devons avoir des unions ou des mariages fondés sur l'activité sexuelle, alors il faut l'égalité pour tous. C'est ce dont vous parlez.
J'aimerais revenir sur le bien public ou la question de politique publique qui vous pousse à proposer ce projet de loi. Nous avions une définition historique du mariage. Il s'agissait exclusivement d'une union entre un homme et une femme; un homme et une femme dans un autre type de relation n'étaient pas reconnus. Du temps où je pratiquais le droit, je me rappelle que, en droit familial, un enfant né hors du mariage n'était pas reconnu. Nous ne reconnaissions que le mariage. Nous avons fait beaucoup de chemin pour éliminer les inégalités dans les relations.
Il me semble que ce qu'il nous restait à faire depuis quelques décennies c'est de tenter de nous assurer que les unions et les relations ne créaient pas de dépendances injustes. On n'insistait plus sur l'activité sexuelle.
Il me semble que si nous avions voulu marcher dans les pas du premier ministre Trudeau, qui est sorti des chambres à coucher de la nation, nous aurions pu nous retirer complètement du mariage, aussi bien pour les couples hétérosexuels que pour les couples de même sexe, et nous consacrer aux relations qui créent des dépendances injustes. Cela aurait été plus axé sur l'avenir et plus conforme à l'évolution de notre société dans toute sa diversité. Nous n'aurions pas été forcés de trouver un aménagement adapté entre deux groupes qui donnent un sens très différent aux mots « mariage » et « union ».
Pouvez-vous nous dire pourquoi vous croyez que ce projet de loi sert le bien public et est une bonne politique publique, par rapport à d'autres solutions et options?
M. Cotler : Merci de poser la question. Je pourrais peut-être même formuler ma réponse d'une manière qui correspond autant à mon point de vue personnel qu'à celui du procureur général.
D'autres personnes et vous aussi m'avez demandé quel conception du bien public nous pousse à proposer le projet de loi dans sa forme actuelle. Si vous remontez en arrière, vous verrez probablement qu'en août 2002, j'avais exprimé l'opinion que les unions civiles pourraient être une option valable. Vous me demanderez alors pourquoi je pilote ce projet de loi en 2005 si j'ai exprimé ce point de vue en 2002.
Depuis 2002, les tribunaux du pays dans plusieurs provinces et territoires ont statué à l'unanimité que l'exigence hétérosexuelle du mariage constitue une violation inconstitutionnelle de la disposition de la Charte relative au droit à l'égalité. Pour poser la question autrement, la juxtaposition des droits à l'égalité en ce qui concerne l'accès égal au mariage et des droits des minorités en ce qui concerne les gais et les lesbiennes sous-tend le projet de loi et donc le bien public qui encadre mon approche face au projet de loi, même si, à un moment donné, j'ai pu exprimer une préférence pour les unions civiles.
On dit souvent que le droit de notre pays est comme un arbre vivant. Il grandit et évolue en fonction des décisions de nos tribunaux ainsi que des lois de notre Parlement, de sorte que nous sommes engagés dans un dialogue entre le Parlement, le peuple et les tribunaux. Le Parlement a adopté la Charte canadienne des droits et libertés et chargé les tribunaux de protéger ces droits et libertés. Les droits à l'égalité et les droits des minorités font partie de ces droits et libertés. Des individus et des groupes du pays, y compris les gais et les lesbiennes, sont allés devant les tribunaux pour obtenir des droits et des réparations. Les tribunaux se sont prononcés et le Parlement a pris le relais. Nous parlons de droits fondamentaux — droits à l'égalité, droits des minorités et droits à un accès égal — en même temps que nous voulons protéger la liberté de religion.
Vous avez évoqué les autres relations, les dépendances, le retrait pur et simple du mariage. Permettez-moi de commencer par la fin. Si le gouvernement se retirait complètement du mariage, nous aurions un ensemble de mesures disparates dans notre pays, aucune uniformité du droit, aucune égalité de la loi ni définition commune du mariage auquel on peut avoir un accès égal en tant qu'institution civile établie par la loi.
Un peu paradoxalement, refuser — et cela pourrait ne pas être l'intention — l'accès égal pour les gais et les lesbiennes finirait par interdire le mariage civil à tout le monde. Cela voudrait dire que les couples hétérosexuels du pays n'auraient plus accès à l'institution civile du mariage parce que nous refuserions cet accès à une minorité.
Ce ne serait pas une mesure législative ou de politique acceptable.
La question de la dépendance est intéressante. Mais les relations non conjugales interdépendantes se distinguent en fonction de questions un peu complexes de droit et de politique et doivent être examinées séparément. Nous ne pouvons pas simplement légiférer sur ces dépendances et relations sans tenir compte des droits. Nous devons également légiférer en tenant compte des obligations.
À mon avis, donner aux couples non mariés des avantages sans imposer des obligations, par exemple, ne serait pas juste pour les couples mariés, qui ont à la fois des avantages et des obligations.
C'est une autre question qui, en soi, mérite un examen législatif, mais qu'il ne faudrait pas mêler à l'analyse devant nous au sujet du projet de loi.
Le sénateur St. Germain : J'aimerais avoir une précision. Vous affirmez que les personnes unies dans des relations hétérosexuelles seraient visées si des avantages étaient accordés dans des relations comme celles d'un frère et d'une sœur vivant ensemble. Pourquoi seraient-ils visés? Vous avez parlé de responsabilité conjugale.
M. Cotler : Je disais, sénateur St. Germain, qu'à mon avis ce sont deux questions différentes. Si quelqu'un me demandait pourquoi, puisque nous accordons un accès égal aux couples de même sexe, nous ne devrions pas reconnaître les autres relations qui comportent certaines dépendances, comme le fait pour un enfant de s'occuper de ses parents, je répondrais que ces situations méritent d'être examinées séparément, mais qu'elles ne relèvent pas de la loi proposée ni d'un examen de politique visant à assurer un accès égal à l'institution du mariage civil, qui constitue l'objet du projet de loi.
Nous pourrions vouloir réexaminer cette autre question dans l'optique des avantages et des obligations, nous demander quelles relations ont droit à des avantages et quelles sont les obligations à cet égard, mais ce serait une autre question législative et de politique.
Le sénateur Andreychuk : Le gouvernement fédéral a le droit de se retirer du domaine. S'il ne le fait pas, il faut garantir l'égalité. C'est ce que j'essayais de faire valoir.
La Charte des droits et libertés n'est pas la seule mesure législative concernant les droits de la personne qui nous lie. Nous naissons avec des droits humains. Ils ont été codifiés et légiférés, mais ce sont nos droits fondamentaux. C'est la direction prise par la législation internationale des droits de la personne.
La Charte internationale des droits de l'homme, qui comprend la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, décrit les droits qui peuvent être limités dans certaines circonstances, notamment pour l'ordre public et pour le bien-être général d'une société démocratique. Mais je crois que certains de ces droits internationaux ne peuvent jamais être suspendus ou limités, même dans des situations d'urgence. Je les appelle les droits non dérogatoires. À ma connaissance, ce sont le droit à la vie, l'absence de torture; l'absence d'esclavage ou de servitude; la protection contre l'emprisonnement pour dettes; l'absence de lois pénales rétroactives; le droit d'être reconnu en tant que personne devant la loi; et la liberté de pensée, de conscience et de religion.
Croyez-vous qu'il arrivera au Canada, comme vous l'avez affirmé, que le droit à la liberté de religion et de conscience deviendra un droit non dérogatoire, alors que tous les autres droits que je n'ai pas mentionnés peuvent être limités dans certaines circonstances? Ces droits n'entrent pas toujours en concurrence. Il leur arrive parfois de le faire, mais s'il devait y avoir une dérogation au droit à la liberté de conscience et de religion, ce droit devrait primer sur les autres. Pourquoi n'est-ce pas dans le projet de loi, si nous sommes liés par nos responsabilités internationales?
M. Cotler : Sénateur Andreychuk, je suis d'accord avec vous au sujet de l'importance des pactes internationaux. Vous affirmez avec raison qu'ils traitent de certaines limites aux droits. Ils portent aussi sur les droits non dérogatoires. L'un d'eux, comme vous l'avez mentionné, est le droit d'être protégé contre la torture. Mais dans nos lois nationales, qui ont été adoptées en fonction des pactes internationaux, l'article 1 de la Charte, portant sur les limites, s'applique au paragraphe 2a), liberté de conscience et de religion, du fait qu'il n'y a pas de droits absolus. Même en ce qui concerne le droit à la liberté de conscience et de religion, ces pactes internationaux permettent de limiter certaines protections pour assurer l'ordre public, par exemple.
En ce qui concerne la liberté de conscience et de religion, je partage l'opinion de l'ancien juge en chef Dickson. Même si la Cour suprême a affirmé qu'il n'y a pas de hiérarchie des droits en vertu de la Charte, je crois que la liberté de religion et de conscience est exprimée dans l'ordre au paragraphe 2a), et même dans son fond, elle est la base de nos libertés. L'égalité est également un principe organisationnel pour l'édification d'une société juste.
Ce qui est bien avec le projet de loi c'est qu'il cherche à s'ancrer dans ces deux principes fondamentaux. La Cour suprême a déclaré, et je partage son opinion, qu'elle n'envisage pas de conflit entre ces deux droits, qu'ils peuvent tous les deux être protégés et conciliés.
Si vous examinez notre jurisprudence, lorsque les droits à l'égalité et la liberté de religion semblaient parfois entrer en conflit, là aussi la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Caldwell, a donné aux institutions confessionnelles le droit de licencier les enseignants qui n'appuient pas leurs convictions religieuses, à cause de l'importance qu'elle attache à la liberté de religion et de conscience.
Dans un autre arrêt, celui de Trinity Western, elle a tranché que les écoles confessionnelles ont le droit de former leurs futurs enseignants conformément à leurs valeurs religieuses.
Par conséquent, quand on examine la jurisprudence on trouve un respect uniforme pour la liberté de conscience et de religion. Je ne prétends pas, comme la Cour l'a elle même reconnu, qu'il ne peut y avoir de situations hypothétiques où ces deux droits entrent parfois en conflit, mais la jurisprudence à cet égard s'efforce de grandement protéger les deux et elle a pu trouver le moyen de les concilier.
Le sénateur Andreychuk : Ma question était la suivante : si nous faisons tout cela, comme le ferait n'importe quelle bonne société, et qu'ils ne peuvent être conciliés, croyons-nous que, dans ce cas, la liberté de conscience et de religion deviendront non dérogatoires ou seront-ils assujettis à une interprétation selon laquelle les autres droits pourraient primer?
M. Cotler : Je le répète, il n'y a pas de droits absolus ou non dérogatoires dans la Charte. Il y a des droits internationaux non dérogatoires que nous devrions respecter. Je dirais que le droit d'être protégé contre la torture en fait partie, encore que la Cour suprême du Canada ait affirmé, dans l'arrêt Suresh, qu'il peut y avoir des situations exceptionnelles où une personne pourrait être expulsée vers un autre pays malgré un important risque de torture si le risque pour la sécurité nationale l'emporte. J'ai affirmé ailleurs qu'à mon avis, la protection contre la torture est absolue.
En ce qui a trait à la liberté de religion, l'article 1 prévoit des limites. Mais il y a quatre conditions à remplir. La limite doit être raisonnable, prescrite par une règle de droit et sa justification doit pouvoir se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Cela dit, la position des tribunaux a été qu'il s'agit d'une liberté ayant une portée étendue et qu'il faut garder jalousement. À mon avis, notre jurisprudence y est parvenue jusqu'ici et nous pouvons penser que cette protection continuera à être assurée dans notre droit.
Le sénateur Andreychuk : Vous affirmez qu'il y a une différence entre le droit international des droits de la personne et la Charte?
M. Cotler : Non, je dis que, dans ce cas, il n'y a vraiment aucune différence. En ce qui concerne la liberté de religion, le droit international des droits de la personne et notre droit établi par la Charte prévoient tous les deux un cadre de protection étendu, mais ils affirment tous les deux qu'il ne s'agit pas d'un droit absolu.
Le sénateur Andreychuk : Avec tout le respect que je vous dois, je ne crois pas que ce soit ce qu'affirment les pactes internationaux. Mais c'est effectivement ce qu'affirme notre Charte. Nous ne sommes d'accord sur ce point.
M. Cotler : Bien.
Le sénateur Stratton : Quand vous avez élaboré ce projet de loi, avez-vous examiné ce que font d'autres pays, comment ils définissent la famille ou le mariage? Vous avez indiqué il y a un moment qu'il y a maintenant des problèmes de responsabilité qui ne seront pas résolues. Ainsi, nous avons reçu une lettre des amputés de guerre qui vivent ensemble pour des motifs économiques et qui sont exclus. Doivent-ils se déclarer en relation conjugale à 80 ans pour être traités équitablement? C'est cet aspect de la loi non inclusif qui me dérange. Cela nous ramène à la question fondamentale de savoir si vous avez examiné ce que font d'autres pays à ce sujet?
M. Cotler : Je le demanderai à madame Hitch, qui se souvient mieux que moi des évaluations comparatives qui ont été faites pour le projet de loi.
Nous devons nous rappeler que l'objet du projet de loi est la Loi sur le mariage civil. Il est question de l'accès égal à l'institution du mariage civil. Il est question du droit à l'égalité et de la protection contre la discrimination en matière d'orientation sexuelle dans le contexte particulier du mariage civil. Il n'est pas question du mariage religieux ni de la protection de la liberté de religion, même si le projet de loi s'efforce autrement de le faire. Il n'est pas question non plus des autres relations hors de l'institution du mariage. Il peut être question de l'octroi d'avantages, par exemple.
Il est question de la culture légale du pays et de la manière dont la définition s'est développée à cause de notre jurisprudence et du dialogue entre le Parlement, les tribunaux et le peuple, qui nous ont menés là où nous en sommes maintenant.
Le sens du mot « mariage » a évolué lui aussi, pas seulement au Canada mais aussi par rapport aux réalités de ceux qui l'emploient. La version en ligne de 2005 du dictionnaire Oxford définit le mariage comme suit :
1. a. L'état de mari et femme; la relation entre des personnes mariées ensemble; l'état matrimonial.
Le terme est maintenant utilisé pour désigner des relations à long terme entre des partenaires de même sexe.
En ce qui concerne les comparaisons, je cède la parole à Mme Hitch.
Mme Lisa Hitch, avocate-conseil, Section de la famille, des enfants et des adolescents, ministère de la Justice Canada : Lorsque nous avons examiné la politique qui sous-tend ce projet de loi, nous avons effectué une comparaison exhaustive de ce qui se faisait dans d'autres pays. Comme vous le savez, il n'y a pas beaucoup de pays qui ont réuni dans une même loi les relations conjugales et non conjugales.
Comme l'a indiqué le ministre, il y a quelques raisons de politique valables à cela. Ainsi, comme il l'a mentionné, accorder des avantages et imposer des obligations peut être problématique quand on ne vise que les deux anciens combattants qui vivent ensemble, pour reprendre votre exemple, même si leur cause peut sembler très juste de prime abord. Je pense que la plupart des gens conviendraient que, par exemple, les prestations au survivant devraient être versées aux personnes qui ont vécu longtemps ensemble dans une relation non conjugale. Mais accorder seulement les avantages aux unions non conjugales et ne pas imposer les obligations ne serait pas juste pour les unions non conjugales, qui ont droit aux avantages mais sont aussi assujettis aux obligations, comme l'a fait remarquer le ministre.
Nous avons été prévenus très fortement par d'autres pays ainsi que par des sociologues du Canada des difficultés que présente l'imposition d'obligations à des unions non conjugales. Ils nous ont prévenu que le gouvernement devrait faire attention de ne pas imposer artificiellement des obstacles juridiques aux personnes qui prennent soin les unes des autres. Par exemple, la plupart des prestations au conjoint se fondent sur le fait que les époux sont assujettis à un certain nombre d'obligations légales, comme les pensions alimentaires. Par exemple, si une femme vit avec un parent âgé et quitte le foyer pour se marier, elle peut devoir verser une pension alimentaire à sa mère pour le reste de ses jours. Cela pourrait la décourager de prendre soin de sa mère. Il y a de graves préoccupations du point de vue des politiques et du point de vue sociologique au sujet de l'incidence sur la société quand on assimile les unions conjugales aux unions non conjugales aux fins des avantages et des obligations.
Le sénateur Stratton : À mesure que notre société vieillira, les gens prendront des décisions pour des raisons économiques. Est-ce que cela les encourage à prendre une mesure qu'ils n'auraient pas prise autrement? C'est la question morale sous-jacente qui me préoccupe. Comme l'a fait remarquer le sénateur Prud'homme, il s'occupe de sa sœur et je pense qu'il devrait donner son opinion à ce sujet. Qu'arrive-t-il dans ce cas? Cela devient une question morale sous-jacente, parce que vous posez la question sans la poser et incitez des personnes qui vivent ensemble à se demander si elles devraient prendre cette mesure. Pour moi, ce n'est pas bien. Qu'en pensez-vous?
M. Cotler : Je laisse Mme Hitch répondre, mais je peux répondre également.
Le sénateur Stratton : C'est une question morale.
M. Cotler : C'est à la question morale que je veux répondre parce que je pense que l'insinuation est que la loi inciterait peut-être des gens à affirmer qu'ils sont dans une relation entre personnes de même sexe pour avoir accès à des avantages. Mais l'avantage dans ce cas-ci est un accès égal à l'institution du mariage. Les gens ne sont pas obligés de se déclarer gais et lesbiennes s'ils ne le sont pas et s'ils ne veulent pas se marier, parce que leur droit existe déjà. Il n'y a qu'une minorité distincte qui n'a pas un accès égal. C'est ce sur quoi porte le projet de loi, l'institution civile du mariage. Le problème se pose non seulement pour l'accès égal au mariage mais aussi pour les obligations connexes. D'autres relations et dépendances sont régies par les politiques fédérales et provinciales et elles sont examinées dans ce contexte, s'il y a lieu.
Le sénateur Stratton : Pourquoi les amputés de guerre ne devraient-ils pas le reconnaître? De toute évidence, ils ne le font pas, à en juger par la lettre qu'ils ont écrite au ministre des Affaires des anciens combattants. Vous leur posez une question morale et vous n'avez pas encore répondu à la mienne. Comment répondez-vous à la question de moralité pour ces gens? Vous ne pouvez pas aller aussi loin. Admettez-le. Vous les placez dans une position où ils doivent prendre une décision qu'ils ne veulent pas prendre pour des raison morales. Je pense que ce n'est pas bien.
M. Cotler : Ils ne devraient pas le faire non plus, parce que je ne pense pas que...
Le sénateur Stratton : Il est question des droits des minorités. Vous en avez parlé plus tôt.
M. Cotler : Exactement, mais les droits des minorités s'expriment dans différents contextes et différentes situations.
Nous célébrons cette année l'Année de l'ancien combattant et avons mis en place des politiques et programmes concernant les prestations aux anciens combattants. Avec tout le respect que je vous dois, sénateur, il s'agit ici d'une question particulière touchant l'accès égal à l'institution du mariage. Il n'est pas question d'anciens combattants qui estiment que, pour avoir droit à certains avantages, ils devraient se déclarer gais et lesbiennes, parce que l'avantage, en l'occurrence l'institution civile du mariage, leur est déjà conféré.
Le sénateur Stratton : Alors, monsieur, je vous suggère de lire la lettre.
M. Cotler : Je serais heureux de la lire.
Le sénateur Milne : Monsieur le ministre, merci de revenir. J'ai quelques questions qui découlent principalement des conversations que j'ai eues avec des groupes de Canadiens en Ontario en particulier.
Je dois vous dire que la plupart des gens à qui j'ai parlé m'ont exprimé leur inquiétude à l'idée d'accorder des droits à l'égalité aux gais et aux lesbiennes. Ils s'inquiètent de l'emploi du mot « mariage ». Cela les rend très inconfortables, encore que cela semble diminuer, je dirais. L'un des mémoires qui nous a été envoyés et que j'ai lu aujourd'hui proposait d'employer le terme « union maritale ». Le rédacteur du mémoire avait quelques arguments très convaincants. Est-ce que l'un ou l'autre des termes que les gens espéraient voir utiliser dans cet interminable processus est compatible avec la Charte?
M. Cotler : Comme je l'ai dit, je le vois dans ma propre famille. J'ai tout entendu ce qui a été dit un peu partout. Ma femme estimait que les gais et les lesbiennes devraient avoir tous les droits et obligations découlant d'un mariage, mais qu'il ne fallait pas appeler cela un mariage. Il fallait parler d'union civile ou d'autre chose.
Je lui ai répondu, comme j'ai répondu aux communautés confessionnelles qui estiment qu'il s'agit d'une préoccupation légitime à respecter, que la question a été réglée par les tribunaux. Les tribunaux ont conclu, à l'unanimité soit dit en passant, que l'union civile est une forme d'égalité inférieure. Ce dont il est question ici c'est de la notion de droit à l'égalité — d'accès égal à l'institution du mariage civil afin de permettre aux gais et aux lesbiennes qui vivent une relation amoureuse d'officialiser cette relation sans amoindrir de quelque façon que ce soit les relations entre conjoints hétérosexuels ou le mariage religieux.
On pourrait peut-être penser que cela dit quelque chose à propos du mariage, à savoir que des gens veulent valider leur relation amoureuse dans une institution du mariage, qui n'est pas toujours respectée autant que certains d'entre nous le souhaiteraient. Voilà qu'une minorité affirme que tout ce qu'elle demande c'est l'accès égal à une institution qu'elle juge très importante dans la société. Elle aimerait officialiser une relation amoureuse et l'appeler comme tout le monde l'appelle, c'est-à-dire un mariage civil. Voilà la nature du projet de loi.
Ce dont on a parlé et qui sous-tend tout cela, ce ne sont pas tant des questions de terminologie que des questions d'égalité. C'est sur cela que porte le projet de loi — l'accès égal à une institution civile appelée mariage civil afin de protéger le droit à l'égalité mais aussi le droit de ne pas subir de discrimination. C'est de cela dont il s'agit.
Le sénateur Milne : Vous avez soutenu que si nous voulions nous confirmer aux décisions des tribunaux et que nous refusions le mariage civil aux couples homosexuels, nous devrions également le refuser aux couples hétérosexuels afin de traiter tout le monde sur un pied d'égalité. C'est la première fois que j'entends cet argument et je le trouve valide et intéressant. Avez-vous reçu des opinions à ce sujet?
M. Cotler : Quand je suis devenu ministre de la Justice et procureur général, il y avait déjà un renvoi à la Cour suprême du Canada. La question principale était : le mariage entre personnes du même sexe est-il compatible avec la Charte? Nous nous posions d'autres questions et nous nous demandions s'il y avait d'autres questions à se poser. J'estimais que nous devions poser une autre question : l'exigence que les personnes soient de sexe opposé pour qu'elles puissent se marier est-elle compatible également avec la Charte? On m'a demandé pourquoi je posais cette question, puisque ce n'était pas une question et une position que le gouvernement appuyait. J'en conviens, mais nous voulions, dans l'intérêt de la démocratie, permettre à tous ceux qui avaient cette position de pouvoir la défendre devant les tribunaux, au cas où ils estimeraient n'avoir jamais eu la possibilité de se faire entendre. En conséquence, parmi les 28 intervenants que la Cour suprême du Canada a accepté d'entendre dans cette cause, certains ont fait valoir que l'exigence hétérosexuelle du mariage devait être maintenue et que le mariage hétérosexuel devait être la seule forme de mariage compatible avec la Charte.
C'était un petit préambule à ma réponse à votre question; nous avons examiné la question parce que certains l'avaient soulevée — nous devrions peut-être ne pas nous intéresser du tout au mariage.
Des voix : Bravo!
M. Cotler : Je vois que je viens de toucher une corde sensible.
Le sénateur Nolin : C'est une évidence.
M. Cotler : Deux observations à ce sujet : la première est que cela porterait préjudice à presque tous les couples hétérosexuels qui veulent continuer à se marier civilement. Nous leur dirions : « Vous voulez peut-être un mariage civil, et vous représentez une forte majorité dans ce pays — tous les couples hétérosexuels — mais nous vous le refuserons parce que nous voulons le refuser à un petit groupe qui souhaite y avoir accès lui aussi. Du point de vue des politiques et du point de vue législatif, il nous a semblé que la meilleure solution consistait à permettre aux gais et aux lesbiennes de se marier civilement, tout comme les couples hétérosexuels, au lieu de le refuser à tout le monde, parce que nous aurions alors affaibli l'importance de l'institution du mariage civil. À mon avis, cela n'aurait pas été une mesure pertinente, étant donné ce que les tribunaux affirmaient et stipulaient déjà, soit que l'exigence hétérosexuelle du mariage était inconstitutionnelle. Ce n'était pas la définition du mariage hétérosexuel qui était inconstitutionnelle, mais plutôt le fait que cette définition soit une exigence. C'est une distinction qu'on ne fait pas toujours. Par conséquent, les couples hétérosexuels restent valides, comme ils le devraient, mais en plus la définition du mariage comme une union entre personnes de sexe opposé demeure.
Le projet de loi ne fait qu'élargir cette définition du mariage de manière à ce qu'elle inclue également une minorité distincte dans le cadre du droit à l'égalité.
Le sénateur Milne : Si vous aviez emprunté cette voie, comme certains croient que nous devrions peut-être le faire, il y aurait eu des implications énormes pour les adeptes de certaines religions qui ne peuvent pas se marier religieusement — par exemple, les divorcés à qui certaines Églises ou certaines institutions religieuses refusent le mariage ou des personnes qui n'ont adopté aucune religion et qui n'ont donc aucune Église vers laquelle se tourner pour se marier. Il faudrait peut-être signaler plus fortement qu'emprunter cette voie aurai d'énormes conséquences négatives pour bien des gens dans notre société.
M. Cotler : Ils auraient le choix de se marier dans une cérémonie religieuse, ce que je respecte pleinement, ou de ne pas se marier du tout, dans quelque contexte civil que ce soit. Nous priverions bien des gens du droit à l'institution civile du mariage.
Le sénateur Milne : Vous priveriez tous mes enfants, qui ont tous demandé un mariage civil.
En tant que généalogiste, je m'inquiète des articles 13 et 14 du projet de loi. Ces dispositions sur la prohibition stipulent que le mariage est prohibé entre personnes ayant des liens de parenté en ligne directe — ce qui exclut l'inceste — ou entre frère et sœur ou demi-frère et de demi-sœur.
Je crois qu'en vertu des degrés de lien prohibés les oncles et les nièces, ainsi que les tantes et les neveux, ne peuvent pas se marier actuellement. Qu'arrive-t-il dans leur cas, puisqu'ils ne semblent pas inclus dans le projet de loi? Il s'agirait des tantes et des nièces ainsi que des neveux et des oncles.
M. Cotler : Je vais essayer de répondre, mais je demanderai ensuite à madame Hitch d'intervenir parce qu'elle comprend cette modification mieux que moi. La Loi sur le mariage (degrés prohibés) est une codification fédérale. Elle dresse la liste des personnes ayant des liens de parenté qui ne peuvent pas se marier entre elles, selon la loi.
L'historique de cette loi diffère de celui de la prohibition criminelle relative à l'inceste. Autrement dit, la prohibition en droit pénal touche principalement aux risques génétiques, ainsi qu'à l'abus de relations fiduciaires. La prohibition en droit civil, cependant, est davantage liée à la notion socio-légale que les proches parents ne devraient pas se marier entre eux; autrement dit, que les personnes ne devraient pas se marier dans leur famille élargie, comme en témoigne le fait que les liens de parenté par adoption sont visés eux aussi par cette interdiction tout comme, historiquement, la belle-famille.
Par conséquent, l'élargissement de l'interdiction est conforme à l'objectif de politique de la loi et n'enfreint pas les droits à l'égalité des enfants de mêmes parents. C'est une approche prohibitive qui touche le mariage entre les membres d'une même famille élargie. Je cède maintenant la parole à madame Hitch parce qu'elle comprend la justification fondamentale.
Mme Hitch : Les parents au premier degré, reflétés dans les articles 13 et 14, sont exactement les mêmes que dans la loi actuelle. On élargit simplement cette interdiction pour qu'elle s'applique aux relations entre homosexuels, alors que, actuellement, elle ne s'applique qu'aux couples hétérosexuels. Les parents au deuxième degré, auxquels vous faites allusion, ont été supprimés de la loi en 1991.
Le sénateur Milne : Je sais que les cousins ont été supprimés.
Mme Hitch : Ainsi que les oncles et les nièces et tous les autres, dans les modifications de 1991.
Le sénateur Cools : Soit dit en passant, la loi sur la prohibition était un projet de loi du Sénat. Je dois vous dire, monsieur le ministre, qu'il y a eu une époque où toute exception au droit matrimonial exigeait un projet de loi particulier, et que ces projets de loi avaient l'habitude d'émaner du Sénat et d'aller ensuite à la Chambre des communes. J'ai voté à plusieurs reprises sur des projets de loi de ce genre.
On considérait que le mariage — et auparavant le divorce — intéressait particulièrement le Sénat parce que tous ces projets de loi commençaient ici. Je trouve très intéressant de constater que, dans ce temps-là — et je parle de 1986-1987 environ — ceux qui souhaitaient une exception ou une exception au droit matrimonial s'adressaient au Parlement. C'était après la Charte. Ils s'adressaient au Parlement pour demander réparation. Ce qui m'amène à ma première question.
De toute évidence, vous semblez vous agenouiller devant l'autel de la Charte, ce qui n'est pas mon cas.
M. Cotler : J'ai lu vos observations et je les respecte.
Le sénateur Cools : J'ai vu ce qu'on a fait de la Charte. M. Trudeau n'a pensé que la Charte irait là où elle est allée, mais c'est une autre histoire.
Vous affirmez à la page 2 que le Parlement a adopté la Charte et ainsi de suite. C'est le Parlement qui a conféré aux tribunaux le rôle de protecteur des droits et libertés fondamentaux. Je vais vous poser toutes mes questions afin que vous puissiez y réfléchir et y répondre.
J'aimerais que vous m'indiquiez les dispositions de la Charte qui ont élevé les tribunaux au-dessus du Parlement comme protecteur des droits et des libertés des Canadiens. D'après ce que je comprends de la Constitution du Canada et de son évolution, il y a une notion d'équilibre entre les institutions; il est censé y avoir une déférence constitutionnelle. Il n'y a pas de dialogue. Chacun garde ses pouvoirs jalousement.
Pouvez-vous indiquer les dispositions qui réduisent le rôle du Parlement ou élèvent celui des tribunaux? Je peux vous assurer que la Charte n'a jamais visé à perturber l'équilibre constitutionnel ou les pouvoirs du Parlement du Canada.
Ma prochaine question touche à l'intérêt public et à l'activité sexuelle. J'étais une grande admiratrice de M. Trudeau. Il a déclaré que l'État n'avait pas sa place dans les chambres à coucher de la nation. Si vous vous souvenez bien, M. Turner et M. Trudeau avaient fait reposer leur concept sur le sentiment que certains des aspects de la sexualité et du comportement sexuel devraient rester privés. Il y avait une zone de moralité qui devait rester privée et les lois, en particulier le Code criminel, ne devaient pas s'immiscer dans ces activités privées. J'ai louangé cela. Je pensais que c'était un grand pas en avant.
Mais votre concept est différent. Dans le vôtre, l'État est encore plus envahisseur. Alors que M. Trudeau déclarait que la loi ne devrait pas condamner ni juger, vous affirmez que la loi devrait envahir et s'informer et qu'au lieu de ne pas condamner, elle devrait plutôt approuver ou accepter.
Ce sont des principes opposés. Je crois que, même si je n'étais pas du nombre, bien des gens qui ont voté en faveur du projet de loi omnibus en 1967-1968 auraient voté différemment s'ils avaient su où tout cela allait mener.
On m'a toujours laissée sous l'impression que l'intérêt public dans le mariage est la procréation. Le Livre des prières, par exemple, nous dit que le mariage vise à sanctifier l'union entre un homme et une femme afin de procréer. C'est un livre de prières seulement.
J'ai toujours pensé qu'il n'y a pas d'intérêt public dans les relations sexuelles privées, le bonheur sexuel ou la gratification sexuelle des gens. Je pense qu'on vient de tourner le droit sans dessus dessous. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous expliquer la nature de l'intérêt public dans une union sexuelle entre un homme et un autre homme et entre une femme et une autre femme? J'ai toujours pensé que nous devrions laisser les gens en paix dans leur chambre à coucher. J'appartiens à la génération qui s'est agenouillée devant l'autel de feu M. Trudeau; et je le fais encore à de nombreux égards. Pouvez-vous nous dire quel est l'intérêt public et le bien public dans ces unions sexuelles?
Ma prochaine question porte sur vos allusions constantes aux droits à l'égalité en vertu de l'article 15. On a souvent l'impression que l'allégation est en réalité une constatation. Pouvez-vous nous décrire, aux fins du compte rendu, la nature des preuves et des arguments présentés devant les tribunaux afin d'appuyer la position que refuser le mariage aux homosexuels était, en fait, une violation des droits à l'égalité et que cela constituait une discrimination. Dans la cause Brown c. Board of Education, les preuves présentées au tribunal et défendues par M. Marshall étaient importantes. Pouvez-vous décrire la nature et le caractère de la preuve dans cette cause?
Ma prochaine question porte sur l'expression « mariage civil ». Je suis consternée depuis des années quand je vois que de nombreux projets de loi rédigés par le ministère de la Justice du Canada contiennent de nouveaux termes qui semblent tourner la loi à l'envers. Tous les jours, un nouveau terme est inventé, puis il est répété assez souvent dans une année pour que tout le monde pense qu'il s'agit d'une nouvelle expression juridique importante, alors que, en réalité, c'est une expression vide de sens. Qu'est-ce qu'un mariage civil? Quelle est la différence entre un mariage civil et les non-mariages? Quelle est la différence du point de vue des obligations et des avantages conférés ou créés? J'ai beaucoup lu sur cette question. Tout mariage est un mariage civil parce que tout mariage comporte deux éléments. Il y a un élément civil parce que le droit sur le droit matrimonial évoque le droit civil adopté par le droit canon et ensuite la common law. Tout mariage comporte cet élément civil. Les paragraphes 92(12) et (13) existent dans la Constitution du Canada et dans l'AANB parce que les Québécois s'inquiétaient du fait que le mariage, et tout particulièrement sa célébration, était dans le même bateau que les droits civils et la propriété.
C'est tellement trompeur, mariage civil. Je soutiens qu'il n'y a pas de différence entre un mariage dans ce projet de loi et ce que vous appelez un « mariage religieux ». et que ce concept juridique artificiel a été créé pour provoquer, malheureusement, une division entre les mariages. Je ne trouve aucune référence au mariage civil proprement dit dans la documentation, mais je peux trouver de nombreuses références au contrat civil qui fait partie de tout mariage.
Monsieur le ministre, pouvez-vous répondre à ces quatre questions? Je me réserve le droit de répliquer à certaines d'entre elles.
La présidente : Sénateur Cools, vous avez posé quatre questions. D'autres sénateurs veulent poser des questions. Il y aura un deuxième tour. J'essaie de donner 15 minutes à chaque sénateur.
Le sénateur Cools : Je connais le ministre depuis longtemps.
La présidente : Je le sais. Laissez-le répondre à vos questions.
Le sénateur Prud'homme : Il y a peut-être un mariage dans l'air.
M. Cotler : Sénateur, je vous remercie pour ces questions. Je le répète, j'ai lu non seulement certaines de vos déclarations au sein de ce comité sur la question, mais aussi certaines de vos autres déclarations et allocutions sur les questions constitutionnelles en général. J'essaierai de faire un lien avec le contexte constitutionnel qui sous-tend vos questions. Vous avez soulevé la première question dans le contexte de la déférence constitutionnelle, soit la relation entre le Parlement, les tribunaux et le peuple.
Vous avez posé des questions importantes, sénateur, au sujet de l'endroit où ce lien est exprimé dans la loi proposée et où nous pourrions trouver une autorisation constitutionnelle pour ce que font les tribunaux. À mon avis, trois dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés établissent ce contexte constitutionnel et cette déférence constitutionnelle. Il s'agit de l'article 1 qui affirme que les droits et les libertés garantis ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. La première mouture, et vous avez raison en ce qui concerne la première version du premier ministre Trudeau, parlait d'un processus parlementaire. À la fin, nous sommes allés dans la direction de la nature de l'article 1 comme je viens de le décrire. L'article 24 donne le droit de s'adresser aux tribunaux pour demander la protection des droits et réparation — c'est la disposition sur les recours. L'article 52 prévoit explicitement que les dispositions incompatibles avec la Charte sont inopérantes, et confère donc aux autorités judiciaires le pouvoir de déclarer des dispositions inconstitutionnelles.
La convergence des articles 1, 24 et 52 nous a fait passer d'une démocratie parlementaire à une démocratie constitutionnelle.
En plus de continuer d'être les arbitres du fédéralisme légal, les tribunaux sont devenus les protecteurs des droits et libertés garantis par la Charte parce que le Parlement leur a conféré ce pouvoir. Les personnes et les groupes sont devenus des titulaires de droits ou des revendicateurs de droits pour des questions qui n'étaient pas justiciables jusque-là. Vous n'auriez pas pu vous adresser aux tribunaux pour demander la protection d'un droit et une réparation en vertu de l'article 24, non seulement au sujet du mariage entre personnes de même sexe, mais aussi pour la panoplie de droits et de libertés que les femmes, les Autochtones, les minorités, les réfugiés et d'autres ont obtenus grâce à la Charte.
Il est question de quelques motifs de distinction illicite qui constituent le droit à l'égalité du fait que nous passons d'une démocratie parlementaire à une démocratie constitutionnelle. J'essaierai de donner une explication en faisant un emprunt à mon ancien mentor, le premier ministre Trudeau. Les 115 premières années de notre histoire révèlent une préoccupation au sujet du partage des pouvoirs législatifs entre le gouvernement fédéral et les provinces, ce qu'on appelle parfois le fédéralisme légal. Avec l'adoption de la Charte, une limite imposée à l'exercice des pouvoirs, qu'ils soient fédéraux ou provinciaux, nous a fait passer du processus de pouvoirs du fédéralisme légal, en vertu duquel la souveraineté du Parlement était suprême, à un processus de droits, après la Charte, en vertu duquel des groupes ont les droits et libertés garantis stipulés dans la Charte — et le mot « garantie » se trouve dans l'article 1.
Comme l'a déclaré l'ancien juge en chef de la Cour suprême, avant 1982, avant la Charte, lorsqu'un problème touchant à des droits était porté devant les tribunaux, il fallait se demander lequel des deux niveaux de gouvernement, le fédéral ou le provincial, avait le pouvoir de réparer l'injustice, mais pas si l'injustice elle-même devrait être évitée.
Il y avait évidemment des protections en common law. Il y avait la primauté du droit, telle qu'énoncée dans Roncarelli c. Duplessis, les protections limitées en vertu de la Déclaration canadienne des droits. La doctrine implicite de la Déclaration des droits avait une durée limitée, en particulier en ce qui concerne les droits politiques et plus précisément ceux qui découlaient des causes au Québec. Mais il n'y avait pas de démocratie constitutionnelle protégeant ces droits et libertés. La déférence constitutionnelle que vous avez évoquée a été transformée par l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés. Franchement, même si nous n'aimons pas la terminologie que je vais employer et encore moins la réalité, nous avons vécu une révolution constitutionnelle en 1982.
Si vous demandez aux femmes, aux Autochtones, aux handicapés, aux réfugiés, aux gais et aux lesbiennes de ce pays si leur situation est meilleure en 2005 qu'en 1982, la réponse sera incontestablement oui, malgré toutes les imperfections de la Charte, parce que, malheureusement, il y avait de la discrimination contre des groupes vulnérables dans notre pays. Il y a eu un progrès constitutionnel à cause de cette déférence constitutionnelle.
En ce qui concerne votre deuxième observation, que l'État n'a pas sa place dans les chambres à coucher de la nation, le Premier ministre Trudeau estimait évidemment que le comportement sexuel consensuel entre deux adultes devait être une affaire privée et certainement pas criminalisée. Mais il n'est pas question maintenant d'un projet de loi sur le comportement sexuel entre adultes consentants.
Le sénateur St. Germain : Au contraire.
M. Cotler : Non. C'est un projet de loi qui porte sur l'accès égal à l'institution du mariage et le droit à l'égalité de personnes dans une relation amoureuse qui veulent officialiser cette relation en se mariant. D'un côté, vous avez raison. L'État ne devrait pas criminaliser le comportement consensuel entre adultes, mais les homosexuels adultes qui souhaitent officialiser leur relation amoureuse dans le contexte du mariage civil devraient, à cause de ce projet de loi, avoir le droit de le faire sans que cela porte préjudice aux droits des autres. C'est important. Cela ne modifie nullement les droits des couples hétérosexuels ni le mariage religieux.
Vous avez parlé de procréation. On peut voir dans les livres saints de l'Islam, du judaïsme et de la chrétienté l'importance de la procréation. Les valeurs fondamentales de nombreuses religion se ressemblent beaucoup. Mais les couples n'ont pas à garantir qu'ils vont procréer pour se marier, et s'ils n'ont pas d'enfants, on ne considère pas qu'ils n'ont plus de base valide pour être mariés. Par conséquent, même si nous pouvons affirmer que la procréation est une politique sociale finaliste, si vous le voulez, cela ne veut pas dire qu'il faut procréer pour avoir le droit de se marier, et c'est à ce niveau que s'exerce la compétence du Parlement fédéral. Nous devons définir la capacité du mariage, et nous l'avons fait dans ce projet de loi. Nous l'avons défini historiquement et nous n'avons jamais parlé de procréation comme critère d'admissibilité au mariage.
Vous avez posé la question cruciale : quel est l'intérêt public dans tout cela? pourquoi faisons-nous cela?
Je peux comprendre que rien de ce que je dirai pourra vous convaincre, mais j'essaie de répondre à votre question légitime. Nous devrions parfois examiner la loi proposée. La Cour suprême dont il est question dans le préambule du projet de loi est importante pour comprendre la nature et l'objet du projet de loi. Le préambule stipule notamment que :
[...] la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination.
Il y a le principe des droits à l'égalité exprimé énergiquement comme pilier du projet de loi.
Il stipule ensuite :
que les tribunaux de la majorité des provinces et d'un territoire ont jugé que l'égalité d'accès au mariage civil pour les couples de même sexe et les couples de sexe opposé était comprise dans le droit à l'égalité sans discrimination.
Par conséquent, il est question d'égalité.
Le préambule dit ensuite que seule l'égalité d'accès respecterait le droit des couples à l'égalité devant la loi et sans discrimination.
Je terminerai par les deux derniers paragraphes du préambule, qui devraient rassurer tous ceux qui se soucient de l'importance du mariage en tant qu'institution. L'avant-dernier paragraphe se lit comme suit :
que le mariage est une institution fondamentale au sein de la société canadienne et qu'il incombe au Parlement du Canada de la soutenir parce qu'elle renforce le lien conjugal et constitue, pour nombre de Canadiens, le fondement de la famille.
Le Parlement est d'avis que permettre aux gais et aux lesbiennes de se marier civilement renforce le mariage en tant qu'institution plutôt que de l'affaiblir. Vous pouvez penser autrement, mais l'idée est que les membres d'une minorité distincte particulière qui sont dans une relation amoureuse devraient pouvoir l'officialiser dans le mariage.
Le dernier paragraphe se lit comme suit :
que, dans l'esprit de la Charte canadienne des droits et libertés et des valeurs de tolérance, de respect et d'égalité, la législation devrait reconnaître aux couples de même sexe la possibilité de se marier civilement.
Autrement dit, nous adoptons ce projet de loi dans l'esprit de valeurs fondamentales qui nous définissent en tant que société et communauté — la tolérance, le respect et l'égalité. C'est pourquoi nous avons ce projet de loi devant nous. Il y a et il y aura encore des divergences de vues. Je les regrette, mais je crois que lorsque les gens comprendront que l'objet du projet de loi consiste à exprimer les valeurs de tolérance, de respect et d'égalité et qu'il n'affaiblit aucunement le mariage religieux, ils pourraient finir par changer d'avis.
Vous avez parlé de la nature de la preuve et des arguments. J'ai tenté de les résumer et ils sont exprimés dans le préambule. Nous avons inclus un préambule de 11 paragraphes dans le projet de loi afin de pouvoir y renvoyer les communautés confessionnelles du Canada quand elles posent ce genre de questions. Le préambule contient la raison d'être du projet de loi. Il est l'énoncé des valeurs, de l'objet et de l'intention du projet de loi.
La preuve et les arguments devant les tribunaux étaient que refuser le mariage entre personnes du même sexe constituait un motif de discrimination illicite.
Vous direz peut-être que vous avez lu la Charte en 1982. Elle ne stipulait pas que l'orientation sexuelle constituait un motif de discrimination illicite. Nous inventons donc quelque chose, puisque ce n'était pas là au départ.
La nature et l'objet de la Charte faisaient en sorte que nous aurions eu ce qu'on appelle des motifs analogues de discrimination illicite. L'un d'entre eux était l'orientation sexuelle. Le motif de discrimination illicite qu'est l'orientation sexuelle est né quand nous avons accordé aux gais et aux lesbiennes des droits égaux en ce qui concerne les prestations au survivant, par exemple et il a évolué jusqu'à ce que se pose la question de l'accès égal à l'institution appelée le mariage civil.
Cela m'amène à la dernière question : qu'est-ce que cette institution appelée mariage civil? Dans le préambule, nous qualifions le mariage d'institution fondamentale de la société canadienne que le Parlement du Canada doit soutenir parce que nous croyons qu'elle renforce le lien conjugal et constitue le fondement de la famille pour un grand nombre de Canadiens. Nous demandons de donner accès à cette institution aux gais et aux lesbiennes, afin de renforcer cette institution. Nous parlons, en particulier, du mariage comme institution civile. Vous me direz que vous ne voyez pas de différence entre le mariage religieux et le mariage civil. Si nous éliminions le mariage civil, il y aurait encore le mariage religieux. Je parle ici de l'institution du mariage à des fins civiles, afin de permettre à ceux qui ne veulent pas se marier dans une cérémonie religieuse, ou qui ne peuvent pas se marier ou divorcer à cause des préceptes d'une religion ou d'une autre, d'avoir accès à une institution appelée mariage civil. Il n'est pas nécessaire de se limiter à l'institution appelée mariage religieux, que nous respectons et qui continuera, sera protégée et ne sera pas touchée par le projet de loi. Mais il y a également une institution appelée mariage civil. Dans le cadre de cette institution, nous donnerons un accès égal aux minorités.
C'est ainsi, sénateurs, que j'interprète le projet de loi. Je sais que vous avez une autre interprétation et je la respecte. Je respecte tout particulièrement la manière avec laquelle vous avez analysé la Constitution pour y parvenir. J'ai tenté, du mieux que je le peux, de donner un bref historique de l'évolution de la Charte et de la manière dont nous sommes arrivés là où nous en sommes aujourd'hui, afin de répondre aux questions importantes que vous avez posées.
Le sénateur Cools : Je vais céder la parole aux autres, mais pour ce qui est des articles de la Constitution...
La présidente : Pouvez-vous vous inscrire sur la liste?
Le sénateur Cools : Ce ne serait pas pertinent à ce moment-là. C'est pertinent maintenant.
Le ministre a cité trois articles. Mais je répondrai au sujet de deux. Vous devriez peut-être lire plus attentivement, monsieur le ministre. L'article 24 stipule que :
Toute personne, victime de violation ou de négation des droits oui libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
Cet article, monsieur le ministre, vise le haut tribunal du Parlement. Tout le monde pouvait s'adresser au haut tribunal du Parlement pour obtenir réparation. Les gens venaient pour demander des projets de loi individuels, par exemple. Il n'y a aucun conflit; l'article 24 tel que rédigé envisageait la coexistence avec le reste de la Constitution.
L'article 52 stipule que la Constitution du Canada est la loi suprême du Canada. Pas la Charte des droits, monsieur le ministre. Tout le monde semble croire que la Charte des droits est la loi suprême. Lisez ceci et réfléchissez-y encore un jour et une autre fois. J'ai vu des juges affirmer en entrevue que la Charte est la loi suprême. Mais c'est toute la Constitution, l'AANB et peut-être l'Acte d'Union de 1840. Je ne me souviens plus, vous devriez lire la liste.
Il dit que la Constitution du Canada, pas la Charte des droits, est la loi suprême du Canada, et que toute disposition incompatible avec la Constitution est de ce fait inopérante. Mais il ne dit pas qui devrait la déclarer inopérante. Le haut tribunal du Parlement a certainement le pouvoir de déclarer une disposition inconstitutionnelle, de dire que nous voulons faire ceci ou que nous ne voulons pas. On a attribué à la Charte des droits beaucoup de choses qui n'y figurent pas. Mais vous avez le pouvoir de dire qu'elles y figurent et, ensuite, les gens se plient à votre décision. En qualité de procureur général du Canada, vous devriez diriger et non suivre les tribunaux.
M. Cotler : J'aimerais répondre brièvement.
Le sénateur Cools : Il vient de le faire.
M. Cotler : Non, je veux répondre afin qu'aucun de mes propos ne puisse être mal interprété — bien que cela ne soit pas votre intention. Je souhaite vous répondre, sénateur Cools.
La Constitution est la loi suprême du Canada, mais la Charte des droits et libertés en fait partie. La Constitution ne se limite pas à la Charte des droits et libertés, mais la Charte en fait partie. C'est la Charte qui a constitutionnalisé les droits et libertés garantis en vertu de l'article 1, garantis en vertu de l'article 24, qui donne le droit à tout le monde de s'adresser aux tribunaux pour faire respecter ces garanties et obtenir réparation. L'article 52 stipule que les tribunaux peuvent déclarer une loi du Parlement inconstitutionnelle si elle n'est pas compatible avec les garanties minimales conférées dans la Constitution.
Le sénateur Cools : Monsieur le ministre, je vous dirais...
La présidente : Sénateur Cools, je vous en prie.
Le sénateur Cools : ...qu'il faut lire ces articles avec les articles 17, 18 et 19, parce que ces articles...
La présidente : Sénateur Cools, je mets votre nom sur la liste pour le deuxième tour.
Le sénateur Cools : C'est tout ensemble.
[Français]
Le sénateur Ringuette : J'aimerais vous poser une question, tout d'abord, en tant que femme francophone d'une province aujourd'hui bilingue mais qui ne l'a pas toujours été. Il m'est facile de comprendre les droits des minorités. Je fais partie de plusieurs communautés minoritaires qui ont à subir constamment la loi de la majorité. Mon commentaire rejoint un peu la question de la suprématie de la Constitution et de l'inclusion de la Charte dans la Constitution. En tant que parlementaire, j'ai prêté serment à Sa Majesté la reine d'appuyer et de promouvoir la Constitution de mon pays, incluant la Charte canadienne des droits et libertés.
Ma difficulté se situe lorsqu'on attribue, un peu naïvement, différentes notions au mot « mariage ». Nous savons très bien que lorsqu'on parle de mariage, la condition obligatoire de procréation est quelque peu dépassée. Si les religions obligeaient que le mariage se fasse uniquement dans le but de procréer, aucune femme âgée de plus de 50 ans n'aurait le droit de se marier — exception faite dans le cas des hommes.
Il existe bien sûr des mariages de convenance dans le cas de personnes âgées qui désirent s'unir pour jouir de la compagnie, l'une de l'autre, sans rapport sexuel. Il se produit des mariages de convenance entre jeunes gens dans le but d'avoir accès à certains bénéfices tels les prêts étudiants. Il ne faut pas se leurrer, ces pratiques sont courantes, et je n'ai jamais entendu de critique de la part des membres de ce comité ou des membres d'une Église à ce sujet.
Vous avez très bien expliqué, dans votre présentation, les différentes conceptions qui s'avèrent souvent incorrectes.
J'aimerais vous faire part de deux autres arguments qui circulent dans le public en général. Une des premières réflexions est d'affirmer que ce projet de loi va nous mener à la polygamie. La deuxième idée est de demander ce qui va se produire concernant les personnes de même sexe ou non qui vivent dans des relations de common law.
Ce sont mes deux questions : qu'en est-il de toute cette propagande au niveau de la polygamie et de la situation des relations de common law?
M. Cotler : La question du droit des minorités est un principe fondamental de notre Constitution. On peut regarder la Constitution et ne pas y voir les mots « droit des minorités ». Mais la question des droits des minorités est ancrée dans la question des droits à l'égalité. En même temps, on peut voir la question du droit des minorités dans la jurisprudence, en particulier celle de la Cour suprême du Canada; on peut voir, concernant la sécession du Québec, que l'on parle dans ce cas de la question des droits des minorités comme un principe fondamental de la Constitution. Cela a été réaffirmé dans le préambule, où l'on dit que la loi ne fait exception de personne et s'applique également à tous, et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination. La question du droit à l'égalité, de protection contre toute discrimination, le droit des minorités, c'est compris dans un ensemble de protections.
Cela touche aussi la question de la dignité humaine. C'est la même chose qu'on voit dans toute la jurisprudence. Madame le sénateur Cools m'a demandé la preuve dans la jurisprudence, quand on parle de la question du droit à l'égalité, c'est une question de dignité humaine. Quand on parle des questions de droit des minorités, on parle de questions de dignité humaine. Concernant la question de la polygamie, il est important de préciser que la polygamie, la bigamie et l'inceste sont, au Canada, des infractions criminelles et continueront de l'être. La polygamie est interdite dans le droit criminel pour respecter et protéger les droits des femmes et des enfants.
Le mariage entre conjoints de même sexe permet l'égalité et la dignité des personnes et fait ainsi avancer les valeurs démocratiques. Quand on parle de polygamie, c'est entièrement distinct et différent.
En ce qui a trait à la common law, on parle maintenant d'une démarche, d'un projet de loi qui veut respecter quelques-unes des approches qui étaient dans la common law. C'était sûrement la situation dans la province de Québec, où le Québec a jugé inconstitutionnel une loi fédérale. Mais on parle ici des droits et des libertés qui sont ancrées dans la Charte, dans la jurisprudence et c'est une question de primauté du droit.
Le sénateur Ringuette : Je cherche à comprendre le phénomène des droits; celui à la liberté de religion et celui au mariage, dans cet espace de polygamie. Car on rapporte souvent, au Canada même, qu'il y a des groupes religieux au sein desquels la polygamie est pratique courante. Si la polygamie est interdite, d'après notre Code criminel, pourquoi cela se produit-t-il au Canada? Je cherche à comprendre, car c'est un phénomène qu'on se doit d'expliquer publiquement par rapport à ce projet de loi. Comment cela se distingue-t-il?
M. Cotler : Quand on parle de la protection de la liberté de religion, cela ne signifie pas que chacune des expressions d'une religion doit être protégée. Si elles sont contre les valeurs fondamentales dont j'ai parlé, concernant le droit des minorités et des familles, particulièrement le droit à l'égalité, si on parle de polygamie, c'est contre les valeurs fondamentales d'une société démocratique. Elles sont interdites pour la protection des droits des femmes et des droits des enfants, et elles ne sont pas les valeurs qui sont celles dont on parle lorsqu'on parle d'une société libre et démocratique.
C'est la raison pour laquelle notre droit criminel interdit la pratique de la polygamie. Ce sont deux choses distinctes; quand on parle de mariage de personnes de même sexe, on parle de droit à l'égalité, de dignité humaine, du droit des minorités. Quand on parle de polygamie, on parle d'une pratique qui est contre ces droits fondamentaux et en conséquence, le droit criminel a déclaré que cette pratique est interdite par la loi.
Le sénateur Chaput : Ma question est assez simple. Ce projet de loi est une extension de la définition du mariage civil, tel que je le comprends. C'est aussi une protection de la liberté religieuse. On parle d'égalité et de respect. Je viens du Manitoba. Ma communauté, ainsi que mon Église, sont conscients du fait que j'appuie le projet de loi. Nous avons souvent des discussions assez fortes à cet égard. Une question m'est souvent posée par des gens de chez nous et j'aimerais que vous m'aidiez à trouver une réponse.
Les personnes qui tiennent à la définition traditionnelle du mariage comme étant entre un homme et une femme me disent : nous avons aussi des droits. Nous avons aussi droit au respect. Nous voulons garder une définition traditionnelle du mariage comme nous l'avons toujours eue. On nous l'enlève sans égard pour inclure des partenaires de même sexe. Donc, d'une part on dit qu'on respecte les droits et l'égalité, et d'autre part, selon eux, on ne le fait pas. Auelle réponse pouvons-nous donner à ces gens?
M. Cotler : La réponse doit être qu'on ne remplace pas la définition à l'égard des couples de sexe opposés, car c'est inclus maintenant et compris dans le droit à l'égalité sans discrimination.
On peut citer ici le paragraphe 2 du préambule où on dit :
que les tribunaux de la majorité des provinces et d'un territoire ont jugé que l'égalité d'accès au mariage civil pour les couples de même sexe et les couples de sexe opposé était comprise dans le droit à l'égalité sans discrimination;
On ne remplace pas le droit à des couples de sexes opposés. Nous donnons l'égalité d'accès au mariage civil.
Il est important de voir vers la fin de l'article 3.1 où on y dit que :
[...] la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte canadienne des droits et libertés, ou qu'il exprime, sur la base de cette liberté, ses convictions à l'égard du mariage comme étant l'union entre un homme et une femme à l'exclusion de toute autre personne.
Cette expression est respectée et protégée par le droit. Ils peuvent continuer à exprimer leurs vues et leurs valeurs. Comme la Cour suprême l'a dit, il y a accès égal au mariage de personne de même sexe. On ne remplace pas les droits des couples de sexe opposé.
On parle d'une définition inclusive. La définition inclusive comporte aussi la définition traditionnelle et la question d'accès égal pour une minorité.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Monsieur le ministre, j'aimerais revenir sur la question soulevée par ma collègue, le sénateur Andreychuk. Elle a exprimé une préoccupation qui a soulevé quelques questions dans mon esprit. J'aimerais les lui poser, par votre entremise.
De la façon dont elle a formulé sa question, le sénateur Andreychuk a tendance à conclure qu'il y a une hiérarchie des droits et que certains droits devraient avoir préséance ou l'emporter sur d'autres. Je vois qu'elle hoche de la tête. Ce n'est peut-être pas...
Le sénateur Andreychuk : J'exprime mon désaccord, et non mon accord, aux fins du compte rendu.
Le sénateur Joyal : Il me semble que la Cour suprême du Canada a toujours interprété la Charte de manière à ne pas créer de hiérarchie des droits. Je citerai la Cour suprême dans le fameux arrêt Dagenais :
Il faut se garder d'adopter une conception hiérarchique qui donne préséance à certains droits au détriment d'autres droits, tant dans l'interprétation de la Charte que dans l'élaboration de la common law. Lorsque les droits de deux individus sont en conflit [...] les principes de la Charte commandent un équilibre qui respecte pleinement l'importance des deux catégories de droits.
Le sénateur Andreychuk a soulevé une question importante : Ce projet de loi est-il en conflit avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques? Elle est allée un peu plus loin — il se trouve que j'ai le pacte devant moi — surtout au sujet d'un des droits qui, d'après le pacte ne devraient pas faire l'objet de dérogation. L'article 4 du pacte stipule au paragraphe 2 :
La disposition précédente n'autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8, 11, 15, 16 et 18.
L'article 18 porte sur la liberté de religion, le droit dont nous discutons aujourd'hui. Je m'en tiendrai à la liberté de religion.
L'article 18 stipule :
1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé, par le culte et l'accomplissement des rites, les pratiques et l'enseignement.
2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix.
C'est au paragraphe 3 qu'il y a une nuance, selon moi. Il se lit comme suit :
3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui.
Mon interprétation de cette disposition est que, d'après le pacte international, il pourrait y avoir des restrictions à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions. Autrement dit, il y a des restrictions aux manifestations de la liberté dans l'article 18 du pacte international.
Êtes-vous convaincu que le projet de loi tel qu'il est rédigé actuellement respecte le pacte international dans le contexte de l'article 18 comme je viens de vous le présenter? Je sais que vous devriez avoir le texte devant vous pour pouvoir le consulter, alors c'est injuste d'agir ainsi avec vous.
M. Cotler : Je connais cette disposition.
Le sénateur Joyal : Vous connaissez le contexte du pacte et devriez pouvoir faire un commentaire à ce sujet.
M. Cotler : Sénateur Joyal, comme je l'ai dit tantôt au sénateur Andreychuk, les dispositions de l'article 18 du pacte international relatives à la liberté de religion ressemblent à notre article 1, qui porte sur les restrictions. Il y a au paragraphe 2a) de la Charte des droits et libertés une protection indépendante de la liberté de conscience et de religion. Il y a, à l'article 1, la notion que cette protection indépendante et importante n'est cependant pas absolue. La même idée est exprimée dans l'article 18 du pacte international. Il y a des protections indépendantes de la liberté de conscience et de religion aux paragraphes 1 et 2, mais le paragraphe 3 décrit certaines circonstances, dans l'intérêt de l'ordre et de la sécurité publique par exemple, de manière à ne pas toucher les droits des autres, une disposition limitative.
Dans notre jurisprudence relative à la Charte ainsi que dans la jurisprudence internationale relative aux droits de la personne qui interprète le pacte international — et j'ai peut-être écrit quelque chose à ce sujet — il faut donner une interprétation large des droits et une interprétation étroite des restrictions, mais il faut tout de même les appliquer dans certains cas, notamment dans l'intérêt de l'ordre public.
Le sénateur Joyal : Quand il y a risque de conflit entre deux droits, entre l'égalité conférée par le projet de loi et la liberté de conscience et de religion, par exemple, si un Canadien a l'impression que ses droits sont limités ou sa liberté de conscience et de religion est limitée, comment la Cour concilierait-elle cette prétendue violation d'un droit par rapport à un autre dans la Charte?
M. Cotler : Premièrement, dans son examen des droits à l'égalité et de la liberté de religion, la Cour suprême du Canada, est partie du principe, cité dans l'arrêt Dagenais que vous avez mentionné, qu'il n'y a pas de hiérarchie des droits en vertu de la Charte.
Deuxièmement, en cas de conflit, elle a établi qu'il devrait être concilié en tenant compte de la protection des droits.
Troisièmement, en ce qui concerne la liberté de religion, elle a déclaré qu'il s'agissait d'un droit qui devait faire l'objet d'une vaste interprétation, être jalousement gardé et s'appliquer aux lois fédérales et provinciales, y compris les codes provinciaux des droits de la personne.
Quatrièmement, dans des arrêts antérieurs, le juge en chef Dickson a déclaré que la liberté de religion constituait la base de nos libertés, et les tribunaux ont confirmé l'importance de l'égalité. Les deux constituent les principes fondamentaux en ce qui concerne l'ensemble de la Charte des droits et libertés, et ils constituent les principes fondamentaux du projet de loi. La Cour a déclaré qu'elle ne voyait pas de conflit entre les deux. Selon elle, conférer des droits à l'égalité à une minorité ne porte pas préjudice aux droits d'autrui, y compris, en particulier, la liberté de religion.
C'est pour cette raison que la Cour a déclaré que les deux peuvent être conciliés; et c'est le cas également en droit international, qui constitue, comme les tribunaux l'ont établi ailleurs, une autorité pertinente et convaincante en ce qui concerne l'interprétation et l'application de la Charte.
C'est pour cette raison que les tribunaux ont tranché qu'en cas de conflit, qu'ils ne peuvent pas imaginer maintenant, ils croient que ces droits pourraient être conciliés. Ailleurs, ils ont parlé de la notion d'aménagement adapté d'un droit par rapport à un autre, à cette fin.
Le sénateur Joyal : Voyons en pratique comment s'appliquent ces principes. Croyez-vous ou avez-vous conclu que, si une province ne légifère pas comme l'a fait l'Ontario dans la loi 171 pour reconnaître la possibilité qu'un fonctionnaire refuse de célébrer un mariage contraire à ses convictions, ou comme l'a prévu le Québec dans son Code civil, ou encore si une province adoptait la position contraire et exigeait que ses fonctionnaires célèbrent un mariage contraire à leurs convictions, elles iraient à l'encontre de la décision de la Cour suprême dans le contexte du paragraphe 58 de cet arrêt?
M. Cotler : Il y a deux réponses à cette question. La première est que la Cour suprême a déclaré — et cela s'appliquerait aux provinces et territoires ainsi qu'au gouvernement fédéral — qu'aucune autorité religieuse ne peut être obligée à marier des personnes de même sexe si c'est contraire à sa religion ou à ses convictions. Cela veut dire que même si la célébration du mariage du point de vue du fédéralisme relève de la compétence provinciale, il y a cette protection minimale en vertu de la Charte. La Charte en fait un principe fondamental, et dans notre projet de loi, nous avons réaffirmé ce principe déclaratoire.
S'il s'agit d'une autorité civile et non religieuse, cela relève de la compétence provinciale. Mais la Cour suprême a tranché que la Charte des droits et libertés s'applique aux provinces. C'est pour cette raison que j'ai invité mes homologues provinciaux et territoriaux à légiférer sur les protections pertinentes. L'Ontario l'a déjà fait. Je n'envisage pas de problème. Si nous considérons que les valeurs énoncées dans le dernier paragraphe du préambule comme lignes directrices — la tolérance, le respect et l'égalité — constituent l'expression de la Charte canadienne des droits et libertés, nous devrions pouvoir résoudre les problèmes éventuels dans l'esprit de ce que la Cour suprême a déclaré, soit que les deux principes fondamentaux des droits à l'égalité et de la liberté de religion peuvent être respectés et même conciliés.
Le sénateur Austin : Monsieur le ministre, Stanley H. Hartt a été chef de cabinet de l'ancien Premier ministre Brian Mulroney et il est membre actif du Parti conservateur. Il a écrit un essai dans le Maclean's du 18 avril 2005. J'aimerais que vous me donniez votre opinion sur son argument.
Je cite :
Paul Martin et son gouvernement ont réussi à faire croire au pays que la question du mariage entre personnes du même sexe est réglée et que la Cour suprême du Canada a confirmé le point de vue que ne pas donner un accès égal au mariage aux personnes du même sexe enfreint la Charte des droits et libertés et est donc inconstitutionnel. Ce n'est tout simplement pas vrai [...]
Il ajoute :
[...] et si le Premier ministre ne le comprend pas, alors son ministre de la Justice, Irwin Cotler, le sait certainement. Cotler compte parmi les meilleurs avocats au Canada. Il sait que la Cour suprême (ou tout autre tribunal, à vrai dire) ne s'est jamais fait demander de se prononcer et ne l'a jamais fait sur la constitutionnalité de la solution de rechange proposée par Stephen Harper, soit que les homosexuels aient les mêmes droits, les mêmes avantages et les mêmes obligations qu'un couple marié, mais sans pouvoir se déclarer mariés.
Que répondez-vous à cette affirmation sur ce que vous savez?
M. Cotler : J'ai exprimé au comité mes opinions générales sur la question. En ce qui concerne la description particulière de mon point de vue par M. Hartt, je dirais que la Cour suprême a tranché explicitement que donner accès au mariage civil aux gais et aux lesbiennes était non seulement conforme à la Charte, mais aussi que cela en découle directement.
Comme je l'ai déclaré ailleurs, cela n'a pas empêché l'exigence hétérosexuelle du mariage religieux. Ailleurs, les cours d'appel du pays, ainsi que la Cour suprême, ont tranché à l'unanimité qu'appeler les unions de même sexe par un autre nom que mariage constituait, à leur avis, une forme inférieure d'égalité; qu'« union civile » ne constituait pas un accès égal à l'institution civile du mariage, et donc ne serait pas en accord avec le droit à l'égalité dont les minorités appelées gais et lesbiennes doivent jouir en vertu de la Charte. M. Hartt plaide très élégamment en faveur de quelque chose que la Cour suprême a dit; mais malgré l'élégance de l'argumentation, elle n'est pas acceptable constitutionnellement.
Le sénateur Austin : En deux mots, des droits distincts mais égaux ce n'est pas l'égalité?
M. Cotler : Je n'ai pas employé les termes « distincts mais égaux » et je vais vous expliquer pourquoi. Cette expression avait une certaine connotation découlant du mouvement des droits civils américains, de la ségrégation, et ainsi de suite. Je préfère employer les termes qu'emploient les tribunaux, soit que l'union civile est une forme inférieure d'égalité et que, par conséquent, elle ne donne pas un accès égal à l'institution du mariage. Pour cette raison, les tribunaux l'ont déclarée inconstitutionnelle.
Le sénateur Prud'homme : Premièrement, je remercie les membres de me laisser poser des questions. Deuxièmement, je ne veux pas être partisan, mais je regrette que la séance de ce soir ne soit pas télévisée; pas pour moi, mais pour montrer aux Canadiens à quoi sert le Sénat et ce qu'il peut faire.
Mme Hitch est la mémoire institutionnelle, comme vous l'avez dit. Je n'ai que quelques observations parce que je garde mes questions difficiles pour Son éminence le cardinal Marc Ouellette. C'est une chose difficile à dire, mais j'ai vérifié dans le dictionnaire; vous avez été nommé ministre tandis que lui a été ordonné. En anglais, on dit « create ». Créer, d'après le dictionnaire, signifie faire quelque chose avec rien, en signe d'humilité. C'est pourquoi on parle de « création » de cardinaux en anglais et non de « nomination ».
Comme vous le savez, le Sénat doit jouer son rôle.
Contrairement à ce que racontent les médias, le Parlement siège encore. Monsieur le ministre, vous et moi ne sommes vraiment pas d'accord sur une question seulement et je suis d'accord avec vous sur toutes les autres.
C'est le Sénat qui a fini par abolir l'avortement et les gens ne semblent pas le réaliser. La Cour suprême a conseillé au Parlement d'agir dans ce dossier et la Chambre a déposé un projet de loi, le projet de loi C-43. Il a été rejeté au Sénat, par un vote de 43 contre 43, mais je me trompe peut-être sur les chiffres. Il n'y a donc pas de loi sur l'avortement. Sénateur St. Germain, vous affirmez être venu ici avec un esprit ouvert au sujet des droits et de la possibilité de modifier le projet de loi. Il me semble évident qu'il n'y aura pas de modification, mais au moins le droit deviendrait une loi.
Encore une fois, c'est grâce au Sénat que nous avons des tribunaux sur le divorce au Québec et à Terre-Neuve et Labrador, où il n'y en avait pas avant. Tous ceux qui voulaient divorcer devaient s'adresser au Sénat un par un et présenter une demande. Il n'y avait que deux moyens pour divorcer. Un vieil ami à moi, le sénateur Roebuck de la Saskatchewan, qui a maintenant 90 ans, a finalement rédigé les modifications nécessaires, si je me souviens bien.
J'ai une question, mais permettez-moi d'abord de dire que je suis le plus jeune d'une famille nombreuse et que j'ai respecté les consignes de mon père, qui disait qu'on ne remet pas en cause son devoir. J'ai accompli mon devoir familial, pas nécessairement par amour ou d'autres raisons. Quand Mme Robillard, l'ancienne présidente du Conseil du Trésor, a comparu devant le comité pour expliquer les modifications à ce projet de loi, je lui ai demandé si les nouveaux droits seraient éventuellement conférés également aux veufs, aux veuves et aux célibataires, qui n'ont pas les mêmes droits que les autres dans la société. Aujourd'hui, nous proposons de conférer des droits à un certain groupe de personnes. J'ai montré à Mme Robillard une promesse dans le Livre rouge de 1993. Elle sait que, en tant que benjamin de ma famille, je me suis occupé de deux de mes sœurs. J'en ai perdu une, mais je m'occupe encore de l'autre. J'ai trois frères, qui ont été très gentils et 13 sœurs, alors je connais bien les valeurs familiales, le divorce et tout le reste.
Mme Robillard a été surprise quand je lui ai demandé si je devais marier ma sœur. J'ai posé la question en français et quand elle a été traduite en anglais, il y a eu une pause embarrassée, parce que la plupart de ses fonctionnaires n'avaient pas compris ma question en français. On en a ri deux fois, en français et en anglais. Elle a répondu qu'effectivement un comité examinait la question. Mme McLellan, alors ministre de la Justice, avait un comité qui examinait la question. Je pense que si le comité n'existe plus, ce serait peut-être une bonne proposition à faire au ministre, qui aime l'égalité, parce que le Canada compte un grand nombre de veufs et de veuves. Dans toute famille nombreuse, il y a toujours une femme qui prend soin de sa mère et de son père, sans aucun coût pour l'État. Dans ces cas, ils ne peuvent pas léguer leurs prestations, y compris leur pension, mais ils peuvent léguer leurs biens par testament.
J'ai 70 ans et depuis 50 ans, je m'occupe de mes sœurs. Si je devais mourir avant la dernière qui me reste, il faudrait prendre une décision. Mais je ne peux pas léguer ce que j'ai accumulé pendant 41 ans au Parlement. Si je prenais ma retraite, je recevrais moins qu'un membre du Bloc après 12 ans. Monsieur le ministre, existe-t-il un comité pour étudier cette question? Dans la négative, le ministre pourrait-il affirmer qu'il serait peut-être intéressé à examiner cette question? Je pourrais l'aider. À l'avenir, bien des gens pourraient choisir de porter ces questions devant les tribunaux. Il serait embarrassant de ne pas conférer des avantages à ceux qui sont dans une situation comme la mienne, s'ils peuvent démontrer qu'ils s'occupent d'un membre de la famille, comme cela se fait en France.
Si ce comité n'existe pas, le ministre pourrait-il répondre d'ici un mois environ pour dire si la possibilité existe?
Mme Hitch : Il y a eu de temps en temps des comités pour étudier ces questions au fil des années. Nous nous réunissons pendant quelques années et nous essayons de faire quelque chose — nous avons apporté quelques modifications aux lois fédérales — mais ensuite l'intérêt diminue. Quand il revient, le comité renaît. Je suis la mémoire institutionnelle, alors je siège habituellement à chacun des comités qui renaît.
Le sénateur Prud'homme : Comment cela se fait-il?
Mme Hitch : La dernière incarnation a été la Commission du droit du Canada. Afin de la mettre davantage en évidence, la question a été renvoyée par le ministère de la Justice du Canada à la Commission du droit, qui a rédigé un rapport intitulé « Au-delà de la conjugalité ». Le ministère, et le gouvernement en général, examine cette question chaque fois qu'une nouvelle prestation est créée ou qu'une prestation existante est modifiée.
Récemment, la prestation de compassion de l'assurance-emploi a été examinée après que le ministre s'est engagé à se diriger vers un modèle familial plus large afin de tenir compte de ce genre de soins et des relations interdépendantes dans la famille. Il est difficile de prendre des mesures universelles, parce que, comme vous l'avez mentionné, tout le monde n'est pas intéressé également à assumer ce genre d'obligations. Par exemple, l'admissibilité aux crédits de TPS pourrait être réduite ou l'admissibilité au supplément du revenu garanti pourrait être réduite parce que les revenus sont mis en commun, ce qui arrive avec les époux. Mais le comité examine les prestations ponctuellement, chaque fois qu'il y a une nouvelle prestation ou une modification à une prestation existante, au lieu de prendre une mesure générale.
Le sénateur Prud'homme : Le premier mot que j'ai appris en anglais, c'est « fair ». Est-il équitable que de nombreux fonctionnaires qui prennent soin de leur mère ou de leurs sœurs ne touchent que des prestations de célibataire? Je ne dis pas qu'ils devraient avoir droit à toutes les prestations, mais dans le cas des pensions, ils prennent soin des autres sans aucun coût pour le pays. C'est bien connu de nombreux sénateurs, mais les gens choisissent de ne rien dire, même si je ne comprends pas pourquoi. Ils sont peut-être gênés de soulever la question. Il est triste que nous n'ayons pas songé à élargir ces prestations.
[Français]
La présidente : Sénateur Prud'homme, je pense que vous avez exposé votre point de vue sur ce dossier. Si vous voulez, on va revenir au projet de loi C-38.
[Traduction]
M. Cotler : Je n'entrerai pas dans les détails pour expliquer comment et pourquoi il a été décidé que la séance ne serait pas télévisée, mais je regrette qu'elle ne le soit pas parce que c'est une bonne réunion. Il aurait été bien que le public canadien voie que, malgré les points de vue différents et les convictions profondes de la population du pays, nous pouvons en discuter avec respect, avec tolérance et civisme. Cela aurait été très instructif pour les jeunes du pays également.
Il convient également de souligner que le Sénat siège en juillet quand il fait 30 degrés et plus. Il siège trois heures par une chaude soirée de juillet. Le public canadien devrait le savoir. Le respect du Parlement en tant qu'institution est un peu affaibli quand on insiste sur la période de questions dans l'autre chambre et vous n'en êtes pas responsables. Le Sénat accomplit un travail important, et nous devons saisir les occasions de mieux faire connaître, apprécier et respecter ce travail.
Chaque fois que le parle du Parlement, je fais remarquer qu'il y a deux chambres, la Chambre des communes et le Sénat. Je souligne que les lois ne deviennent des lois qu'après avoir été étudiées et adoptées par la deuxième chambre du Parlement, qui procède à un second examen objectif des questions, mais qui fait également preuve d'un engagement et d'un dévouement que le public devrait mieux connaître.
Enfin, votre question touche à ce que la Commission du droit du Canada a affirmé dans son rapport, malheureusement plutôt méconnu intitulé « Au-delà de la conjugalité ». Elle nous invitait à repenser la nature des prestations dans les domaines qui touchent aux relations humaines.
Mme Hitch a mentionné les prestations de compassion de l'assurance-emploi. Le dernier budget tentait d'appuyer le rôle important que jouent les aidants naturels par des exonérations fiscales et des mesures semblables. C'était important parce que les aidants naturels sont des héros méconnus dans notre société. Ils font économiser au régime de santé des millions de dollars par année et on ne l'apprécie pas assez.
Je trouve que vos points de vue, sénateur Prud'homme, méritent eux aussi d'être examinés plus en profondeur.
Le sénateur St. Germain : Monsieur le ministre, dans la discussion sur l'article 18 du pacte international on a déclaré que rien n'est absolu, et la question de la liberté d'expression religieuse a été clairement évoquée par le sénateur Joyal lorsqu'il a cité cet article. Je ne suis pas toujours d'accord avec le sénateur Joyal, mais il est toujours équitable dans son approche de ces questions, comme on l'a vu quand il a soulevé celle-ci. Cela ajoute de la crédibilité à l'argument que j'ai fait valoir dans ma première question.
En réponse au sénateur Ringuette, vous avez déclaré que tout le monde a la liberté d'expression religieuse et que cette liberté devrait être protégée. Mais vous avez aussi affirmé qu'elle n'est pas absolue.
Dans l'arrêt Trinity Western University c. British Columbia College of Teachers, la Cour suprême du Canada a tranché que la liberté de liberté de croyance est plus large que la liberté d'agir sur la foi d'une croyance. Cela renforce ce que vous avez dit, à savoir qu'elle n'est pas absolue. Je ne connais pas bien l'Église évangélique. J'ai été lié d'assez près à Trinity Western pendant des années. C'est l'une des meilleures universités du pays. Ils sont très préoccupés par le projet de loi.
Quand j'étais à Calgary hier soir, des gens sont venus me voir pour me dire que si nous ne rejetons pas ce projet de loi, ce sera un grand recul. Ils m'ont dit que la pente est savonneuse. S'ils sont d'une confession quelconque, je ne sais pas laquelle.
Monseigneur Frederick Henry de Calgary est menacé par l'Agence du revenu du Canada, qui laisse croire que le statut d'organisme de bienfaisance de l'Église catholique romaine pourrait être compromis s'il continue de s'exprimer sur certaines questions. Les Chevaliers de Colomb de ma paroisse à Port Coquitlam sont attaqués.
Que faites-vous à ce sujet? Vous ne faites rien, monsieur le ministre. Vous avez déclaré avoir parlé aux provinces et que quelque chose sera fait pour nous sortir du méli-mélo actuel.
Ce n'est que le début d'une pente savonneuse. Dans le Province de Vancouver on peut lire en manchettes de l'édition du 10 juillet 2005 que des couples se battent pour les droits des gais dans les écoles. Murray et Peter Correns se battent pour que le ministère de l'Éducation change ses programmes afin de dépeindre plus positivement les gais et les lesbiennes. On lit dans l'article :
L'avocat des Correns, Tim Timberg, a reproché au ministère de ne pas tenir compte de l'inclusion et de l'égalité.
Ensuite :
« Ne pas résoudre correctement les problèmes liés à l'orientation sexuelle a des conséquences négatives sur les étudiants et les enseignants homosexuels, et sur leur famille, parce qu'on n'en parle pas dans les programmes », affirme Timberg.
Monsieur le ministre, ce n'est que le début. Comme vous l'avez affirmé, ce n'est pas absolu. Ce sera l'arrêt de mort de la liberté de religion. Aucun membre de ma confession ni des autres confessions à qui je parle ne veut faire de la discrimination contre la communauté homosexuelle. Mais du fait que vous vous êtes engagés dans cette voie, monsieur le ministre, vous avez mis la liberté de religion en danger, après que des millions de personnes ont immigré dans notre pays parce qu'elles étaient persécutées dans leur pays d'origine à cause de leurs croyances religieuses. Pensez-vous que M. Kempling et les autres ne se sentent pas persécutés?
Personne ne devrait faire de la propagande haineuse. Certains d'entre nous n'étions pas d'accord avec le projet de loi C-250 parce que nous pensions que c'était se lancer dans la direction où nous allons maintenant. Malheureusement, nous avions raison.
Monsieur le ministre, j'ai assisté aux réunions du comité sur le projet de loi C-68. Je suis sénateur depuis plus de 20 ans et, auparavant, j'ai été député et ministre. Je connais un peu le Parlement. Quand le projet de loi C-68 a été déposé, nous avons prédit tous ces pièges. Tout est consigné dans le Hansard.
Il n'y a pas de lien réel entre le projet de loi C-68 et le projet de loi C-38, parce que le projet de loi C-68 portait simplement sur une mesure qu'il faut prendre pour obtenir une arme à feu. C'est tellement insignifiant maintenant que cela ne vaut presque pas la peine d'en parler. Mais le projet de loi C-38 va au cœur de notre pays.
Monsieur le ministre, réfléchissez-y à deux fois, parce que nos évêques, tout le mouvement évangélique et les communautés sikhe et musulmane ne s'opposent pas au projet de loi simplement pour perdre leur temps. Ils ont autre chose à faire; ils doivent s'occuper de leurs ouailles.
Je ne dis pas que le projet de loi n'est pas important pour la communauté gaie. Je suis convaincu qu'il l'est, mais je suis aussi convaincu que le problème aurait pu être réglé sans pousser le projet de loi à la Chambre des communes à la dernière minute et sans recourir à la clôture au Sénat après une journée de débat en deuxième lecture.
Monsieur le ministre, nous regretterons ce projet de loi. Le fait que le droit n'est pas absolu met la liberté de religion sur une pente savonneuse.
M. Cotler : Je pense que la question est importante et que les observations sont importantes et méritent une réponse.
Premièrement, la liberté de conscience et de religion n'est pas absolue, c'est exact; mais aucun des droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés n'est absolu. La nature même de la Charte fait qu'il n'y a pas de droits absolus et les limites seraient validées si elles étaient compatibles avec les quatre exigences minimales. Autrement dit, ils sont absolus sauf si la restriction d'un droit est raisonnable, fondée sur une règle de droit et justifiée dans le cadre d'une société libre et démocratique. L'arrêt Oakes a donné sa propre interprétation de la proportionnalité, par exemple.
Disons qu'aucun droit n'est absolu, mais que pour le restreindre, il faut avoir une raison impérieuse. Toute limite droit restreindre le droit le moins possible.
Deuxièmement, même si aucun droit n'est absolu, la liberté de conscience et de religion a été définie comme un droit relié à la base de nos libertés. Même s'il n'y a pas de hiérarchie des droits, la jurisprudence a donné un certain rayonnement à son importance.
Troisièmement — et c'est important pour bien comprendre — il y a cinq renvois distincts à la protection de la liberté de conscience et de religion dans le projet de loi devant nous. Nous devons en tenir compte. Il en est question non seulement dans le préambule, mais aussi dans l'amendement générique. Quand je me rends dans une mosquée, une synagogue, une église, un temple, et cetera, j'ai la responsabilité non seulement de prendre au sérieux les propos des dirigeants des communautés confessionnelles, mais aussi de les informer sur ce que vise le projet de loi. Je ne prétends pas que cela apaise leurs préoccupations, mais ils devraient comprendre que nous avons adopté un amendement — c'était vers la fin des discussions à la Chambre des communes et ce n'est pas bien connu — affirmant que nul ne peut être privé des avantages ni se voir imposer des obligations ou des sanctions pour la seule raison qu'il exerce ses droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.
C'est aussi près d'une protection absolue qu'on peut aller dans la jurisprudence canadienne sur les droits, sénateur. Cela démontre bien l'importance que le législateur et la jurisprudence attachent à la liberté de religion.
Le projet de loi stipule :
que la présente loi n'a pas pour effet de porter atteinte à la garantie dont fait l'objet cette liberté, en particulier celle qui permet aux membres des groupes religieux d'avoir et d'exprimer les convictions religieuses de leur choix, et aux autorités religieuses de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses.
Je l'ai lu aux fins du compte rendu afin de souligner l'importance que le projet de loi accorde, au moyen de l'incorporation par renvoi, à la liberté de conscience et de religion.
Il y a le renvoi dans le préambule et l'article 3.1 proposé, l'amendement. Peu de gens connaissent cette protection générale et inclusive et son respect de la liberté de conscience et de religion. Il y a l'amendement particulier concernant les organismes voués au culte et à la bienfaisance. Il a été ajouté, mais il n'est pas assez connu. Il y a le préambule, comme je l'ai dit. Je pense que nous avons la responsabilité, quand nous rencontrons nos dirigeants religieux et nos frères et sœurs d'autres confessions, de leur en parler. Cela ne les fera pas nécessairement changer d'avis, mais cela pourrait dissiper en partie leurs appréhensions s'ils sentent que les législateurs se sont efforcés de bonne foi de reconnaître et de respecter, dans la mesure du possible, la liberté de conscience et de religion, comme elle est protégée par la Charte et la jurisprudence.
Quand je vois la jurisprudence, il me semble que les affirmations que la religion a été affaiblie ne sont pas exactes. Je pense à l'arrêt Caldwell et à l'arrêt Trinity Western, et même à l'arrêt Brockie, que vous avez mentionné. Voilà un autre arrêt intéressant. Je les évoque aux fins du compte rendu afin qu'ils soient pris en considération lorsque les tribunaux liront nos délibérations de ce soir pour guider l'interprétation et l'application de la loi. Dans l'arrêt Brockie, le tribunal a tranché que lorsqu'une ordonnance d'un tribunal provincial des droits de la personne ne respecte pas correctement la liberté de religion, on peut invoquer la Charte pour la contester. Dans cette affaire, le tribunal chargé de la révision judiciaire a modifié l'ordonnance afin de protéger la liberté de religion.
Les tribunaux ont une série de principes et de précédents pour guider leur travail. J'espère qu'ils examineraient également l'intention du législateur exprimée dans le projet de loi, en particulier dans le préambule et l'article 3.1, par exemple.
Le sénateur Stratton : Je reviendrai maintenant à la question que j'ai déjà posée, soit si vous avez examiné ce que font d'autres pays. Puis, je passerai au fait que le gouvernement du Canada avait le choix d'élargir la définition du mariage pour tenir compte de l'évolution des réalités sociales, comme on l'a fait dans d'autres pays.
À mon avis, il faut faire preuve de bon sens. Ce serait une stratégie pertinente, car elle reflète les droits universels, libres et égaux de la Charte des droits et libertés. Mais le gouvernement a choisi de rejeter tous les éléments de la définition actuelle en common law et de reconnaître plutôt, en droit, uniquement ce qui est appelé « mariage, sur le plan civil ».
Au lieu d'élargir la définition actuelle afin qu'elle inclue et reconnaisse différentes notions du mariage, le projet de loi remplace une définition étroite et limitative par une autre. Aucune définition de base n'est donnée et la définition traditionnelle est volontairement omise.
Pouvez-vous expliquer pourquoi le gouvernement du Canada a choisi d'encadrer le débat dans une telle dichotomie, au lieu de simplement élargir la législation actuelle?
M. Cotler : Je ne suis pas d'accord avec l'affirmation que nous avons rejeté tous les éléments de la common law ou que nous avons substitué une définition étroite et limitative à une autre. Nous nous sommes efforcés de proposer une définition qui tient compte de la définition du mariage en common law, ou de la définition du mariage dans les textes législatifs, selon laquelle il s'agit d'une union entre un homme et une femme, autrement dit, la définition traditionnelle. Tout ce qu'a fait le projet de loi c'est affirmer — et je retourne votre affirmation à l'envers — que cela ne peut pas être une exigence exclusive pour la définition du mariage. Ce peut être un élément important de la définition civile du mariage, qui est élargie de manière à inclure également une minorité distincte et à lui donner un accès égal à une institution qui continue d'être respectée et de jouir de son statut juridique civil.
Je trouve qu'elle est inclusive et non limitative, qu'elle inclut la common law au lieu de l'exclure, qu'elle ne rejette rien, mais constitue une valeur ajoutée, si vous me permettez l'expression. Elle ne touche à aucune des choses qui tiennent à cœur à un grand nombre d'entre nous, soit une conception religieuse du mariage ou une configuration de valeurs qui sous-tendent une conception religieuse du mariage. Je trouve le projet de loi inclusif, pluraliste, respectueux et ancré dans les droits et les approches en matière d'égalité et de minorités tout en continuant à respecter les définitions traditionnelles du mariage, les conceptions du mariage hétérosexuel et les conceptions religieuses du mariage.
Le sénateur Stratton : C'est pour cette raison que je suis revenu à ma première question sur ce qu'ont fait d'autres pays, comme les Pays-Bas et l'Allemagne. Ce qui me paraît malheureux dans tout ceci c'est que personne à qui je parle n'a de problème avec une union entre deux personnes. Parmi tous les gens que je connais, personne n'a de difficulté avec cela. Ce qui nous pose problème, c'est la définition de « mariage ». Même si nous pouvons affirmer que nous devons nous conformer à la Charte et qu'elle est fondamentalement un aboutissement, on pourrait penser qu'il y aurait une progression naturelle à partir de l'endroit où nous sommes actuellement en droit, afin de donner à ceux qui s'opposent catégoriquement au projet de loi et à ceux qui sont tout à fait en faveur du projet de loi le temps de s'adapter, parce que nous sommes actuellement très divisés. Vous pouvez voir que la réaction des gens est viscérale. C'est une source de discorde. Je regrette que la loi proposée divise l'opinion ainsi et vous avez fait allusion à la division dans votre famille. C'est la même chose dans la mienne. C'est vraiment malheureux. Peut-être que dans dix ou vingt ans, ce ne serait pas important. Mais aujourd'hui, c'est important pour bien des gens. Pourquoi jetez-vous la définition traditionnelle par la fenêtre?
M. Cotler : Vous avez raison de dire que l'opinion est divisée et que cette question est devenue une source de discorde. Mais nous devons nous parler d'une manière qui indique que nous ne rejetons pas une définition pour la remplacer par une autre. Il est important pour nous d'avoir ce dialogue. Les gens peuvent continuer à diverger d'opinion et à avoir des points de vue opposés, mais ils devraient au moins comprendre de la même façon ce que le projet de loi vise. Il ne vise pas à remplacer des droits existants. Je le répète, il vise seulement à être plus inclusif en ce qui concerne l'application de l'institution du mariage civil.
La présidente : Sénateur Cools, aviez-vous une cinquième question?
Le sénateur Cools : Elles ne sont pas difficiles pour vous, monsieur le ministre.
J'aimerais faire quelques observations. Premièrement, vous faites allusion à lord Sankey et à l'affaire Personnes, qui est probablement l'affaire la plus mal comprise et la plus mal citée que je connaisse. Quand lord Sankey a parlé d'un arbre vivant, il n'a jamais pensé qu'un arbre pourrait être si vivant qu'il donnerait des fruits différents. Autrement dit, aucun pommier ne pourrait donner des oranges. Je pense que la différence se situe à ce niveau-là.
J'étais une grande partisane des homosexuels et des droits des homosexuels quand peu de gens osaient aborder ces questions. Je ne parle pas de quand je suis sortie de l'école, mais quand je me suis présentée à Toronto en 1979 et en 1980, j'ai subi d'énormes pressions du Parti libéral parce que je travaillais de trop près avec un trop grand nombre d'homosexuels. C'est une question qui m'interpelle beaucoup. Aucun être humain ne devrait être maltraité, se faire traiter de tous les noms ou subir toutes les choses terribles qui peuvent arriver.
Mais cette conscience et cette idée que les gens devraient être bien traités ne pousse pas à croire que la nature du mariage a changé à cause de l'article 15. Personne ne m'a encore démontré le raisonnement juridique qui ferait que l'article 15 s'applique au mariage. Tout ce que j'entends ce sont des affirmations. Autrement dit, l'affirmation devient la constatation. L'affirmation du fait devient le fait en soi. Je ne pense pas, monsieur le ministre, que c'est une bonne façon de faire des lois. C'est la première observation que je vous fais. J'aimerais que vous la preniez au sérieux.
Monsieur le ministre, j'ai de nombreux amis homosexuels, et bon nombre d'entre eux s'opposent à ce que vous faites. De nombreuses études le démontrent. Il n'y a aucune preuve que les homosexuels ont besoin du mariage — ils ont besoin de justice, oui, c'est évident. Je déteste décrire les gens de cette façon, mais aucune preuve n'a été présentée pour démontrer les besoins, les sentiments, les impressions ou les idées de nombreuses personnes sur le mariage. Je sais ce que pensent les activistes et ce que pensent les conseillers juridiques, mais nous avons peu d'information sur la masse d'homosexuels qui vivent tranquillement leur vie.
Cela dit, monsieur le ministre, il y a quelques années, le procureur général du gouvernement libéral a adopté la position devant les tribunaux et à la Chambre des communes que le mariage entre un homme et une femme devait être protégé. Il y a eu un vote sur une résolution en 1999. Je ne me souviens pas si vous étiez député à ce moment-là.
M. Cotler : Non, je ne l'étais pas.
Le sénateur Cools : Mais quand le procureur général de l'époque a voté et que le procureur général suivant a voté...
Le sénateur Prud'homme : M. Rock.
Le sénateur Cools : Et M. Cauchon.
La ministre McLellan a défendu le mariage et nous a affirmé que le droit et la jurisprudence penchaient en faveur de la position que le mariage est une union entre un homme et une femme. Puis, soudainement, M. Cauchon est arrivé et a déclaré qu'il n'aimait pas cela. Comme ça, simplement du jour au lendemain, le procureur général a changé d'avis. Le conseiller juridique de Sa Majesté a changé d'avis.
Monsieur le ministre, la loi ne peut pas avoir deux positions. L'une de ces deux positions était erronée. C'est obligé.
La présidente : Avez-vous une question? Pouvez-vous la poser?
Le sénateur Cools : Je vais aller plus loin.
La présidente : Je sais, mais je vous ai donné une demi-heure au premier tour.
Le sénateur Cools : Peu importe. Ce que j'essaie de vous dire, monsieur le ministre, c'est qu'on ne peut pas simplement légiférer ou déposer des projets de loi dans cette chambre sur cette base, parce que la méthode et le processus sapent la légalité de la position adoptée. Je m'en tiendrai là pour le moment.
Enfin, monsieur le ministre, j'ai remarqué à la page 4 de votre mémoire que vous affirmez que tous les éléments du projet de loi ont été discutés de fond en comble, et tout dernièrement dans les deux chambres du Parlement. Monsieur le ministre, cette question n'a pas été discutée pendant une période qui pourrait être considérée comme raisonnable au Sénat. Je voulais que vous le sachiez.
La présidente : Puis-je vous rappeler que nous voulions faire une étude préalable du projet de loi? La proposition a été rejetée, et vous savez par qui.
Le sénateur Cools : Ce n'est pas assez.
La présidente : Nous avons demandé deux fois une étude préalable.
Le sénateur Cools : Je m'oppose à ces études préalables, par principe. J'ai appris cela du sénateur MacEachen. Nous nous opposons toujours. Chaque fois que j'entends l'expression étude préalable, je m'oppose. C'est automatique.
La présidente : Nous aurions pu discuter de cette question.
Le sénateur Cools : Quoi qu'il en soit, je me demande ce que vous pouvez répondre à cela.
Vous mentionnez également le Comité permanent de la justice de la Chambre des communes, qui s'est rendu partout au Canada. Il aurait été bien que notre comité se rende lui aussi partout au Canada pour entendre des témoins. Mais ce que je veux faire valoir, c'est que l'étude a été menée par ce comité de la Chambre des communes sans aucun débat à la Chambre.
L'étude a été entreprise à la suite d'une lettre privé du ministre Cauchon au président du comité à l'époque. L'étude a été menée, monsieur le ministre Cotler, pour donner suite à une disposition de l'article 108, je pense, du Règlement de la Chambre des communes, qui stipulait que toute question relative à l'administration d'un ministère pouvait être examinée au gré du comité — autrement dit, les articles du Règlement qui touchent à l'étude de l'administration, des finances et du budget, par exemple.
Par conséquent, on ne peut pas vraiment affirmer que l'étude était une créature de la Chambre des communes. C'était une créature d'un comité de la Chambre des communes, mais ce comité n'a jamais été constitué ou l'étude n'a jamais été entreprise en fonction d'un renvoi ou d'un débat à la Chambre. Très peu de gens le savent. Je rectifie les faits.
Je pense vraiment que nous aurions bien fait. Il s'agit d'une question importante et j'ai une tonne de renseignements. Il aurait été bien, parce que cela veut dire beaucoup pour bien des gens, que le comité ait pu prendre le temps d'étudier et d'examiner cette question importante et de faire une étude de qualité, comme elle le mérite.
Le gouvernement ne rehausse pas sa réputation en faisant fonctionner le Parlement comme il le fait.
La présidente : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur le ministre?
M. Cotler : J'essaierai de répondre brièvement.
En ce qui concerne lord Stankey et la métaphore de l'arbre vivant, je ne peux que dire qu'elle est devenue un principe d'interprétation de notre Constitution utilisée même par des personnes qui n'ont jamais entendu parler de lord Stankey ou qui ne savent pas ce qu'il voulait dire. J'ajoute enfin à ce propos que la décision de la Cour suprême dans le renvoi sur le mariage entre personnes du même sexe, fait allusion elle aussi à la métaphore de l'arbre vivant. Elle est devenue, comme je l'ai dit, un principe d'interprétation de notre Constitution, sans référence à lord Stankey.
Au sujet du deuxième point, selon lequel l'argument devient sa propre conclusion et que nous transformons le mariage en une conclusion que nous n'avons pas démontrée par un argument, je pense que nous en avons discuté. Je ne veux pas revenir sur mon argumentation, mais je dirais qu'elle se fonde sur deux idées. La première est qu'il n'est pas question du droit au mariage, mais plutôt du droit à l'égalité et de l'accès égal à l'institution du mariage, ainsi que de l'interdiction de la discrimination au motif de l'orientation sexuelle en ce qui concerne le mariage. Voilà essentiellement la nature de l'argument, et il ne s'agit pas d'une conclusion.
En ce qui concerne la définition du mariage comme l'union entre un homme et une femme, elle n'a pas été remplacée. Il s'agit là d'un des mythes que nous devons détruire quand nous parlons aux gens. Le mariage est encore valide entre un homme et une femme. Ce qui est différent, c'est qu'il n'est pas seulement entre un homme et une femme, qu'il n'est pas nécessaire que les conjoints soient hétérosexuels pour pouvoir se marier civilement. Nous avons une définition du mariage plus inclusive. En plus d'être entre un homme et une femme — ce qui caractérise la vaste majorité des mariages et demeure la forme prédominante — nous accordons maintenant cet accès égal à une minorité distincte.
Vous avez évoqué la motion de 1999 au Parlement, et je pense que nous devons reconnaître que depuis l'adoption de cette motion, trois cours d'appel ont tranché que l'exigence hétérosexuelle du mariage — pas la définition du mariage comme une union entre deux personnes de sexe opposé — est inconstitutionnelle. Il y a eu également des décisions unanimes semblables dans cinq autres provinces et un territoire. Il y a eu une modification de la définition constitutionnelle de l'égalité à l'égard du mariage, à cause de ces décisions des tribunaux.
Enfin, en ce qui concerne les discussions au Parlement et le reste, je ne peux que parler de l'autre Chambre, mais ce qui est important et instructif à cet égard c'est qu'en 2002 et en 2003, le Comité de la justice et des droits de la personne s'est rendu dans 12 villes, a entendu quelque 500 témoins et a reçu des centaines de mémoires. Tout cela a été incorporé par renvoi dans les audiences et les témoignages du comité qui lui a succédé cette année, le Comité législatif spécial. Par conséquent, les vastes éléments de preuve de l'enquête de 2002-2003 ont été incorporés par renvoi, il y a eu les audiences de cette année du Comité législatif spécial, les discussions à la Chambre lors de la deuxième lecture, le renvoi au comité, le débat sur le rapport, la troisième lecture et ainsi de suite. C'est l'un des projets de loi qui aura été le plus débattu, sans parler du renvoi à la Cour suprême avec 28 intervenants, les tribunaux d'appel de trois des quatre plus grandes provinces — tout l'éventail de l'enquête judiciaire à cet égard — puis vos délibérations ici au Sénat et la discussion sur la place publique, qui se poursuit au moment où nous nous parlons.
Je pense que nous avons eu un bon exercice de démocratie, mais je reconnais que ceux qui ont des opinions tranchées à ce sujet — et je respecte l'engagement et l'intégrité qu'ils apportent au débat — ne seront pas nécessairement persuadés par l'argumentation juridique.
J'espère qu'avec le temps, ils pourront être persuadés que leur point de vue reste intact, respecté et protégé, et que nous aurons une attitude plus inclusive, ancrée dans l'égalité tout en respectant la liberté de religion.
Le sénateur Milne : Monsieur le ministre, vous avez parlé de mettre les choses au clair dans le compte rendu aux fins des consultations futures par les tribunaux. Je pense que nous devrions faire cela. Cela peut sembler répétitif, mais y a-t-il quelque chose dans le projet de loi qui pourrait un jour changer les convictions d'un groupe religieux?
M. Cotler : Le projet de loi protège l'expression religieuse et l'expression des croyances religieuses, mais nous n'avons pas besoin de ce projet de loi pour ce faire. Le projet de loi est proposé pour plus de clarté. Il l'exprime plus vigoureusement, mais la protection de la liberté de conscience et de religion est déjà garantie par le paragraphe 2a) de la Charte, notre jurisprudence et le jugement unanime de la Cour suprême dans le renvoi. Maintenant, elle est exprimée dans le projet de loi pour plus de clarté. Il y a cinq mentions expresses de la protection de la liberté de conscience et de religion dans le projet de loi. Il serait difficile de trouver une mesure législative comparable qui exprime aussi fortement la liberté de conscience et de religion, et elle est exprimée dans le contexte de la loi proposée sur le mariage civil.
Je pense que cela en dit long sur l'intention du législateur de protéger l'égalité d'une part et de continuer à protéger la liberté de religion d'autre part.
Le sénateur Milne : Y a-t-il quelque chose dans le projet de loi qui pourrait un jour changer la manière dont un groupe pratique sa religion?
M. Cotler : Là encore, les gens ont les mêmes droits qu'ils avaient avant le projet de loi. Ces droits sont inscrits dans la loi du pays. Le projet de loi réaffirme cette loi du pays pour plus de clarté; mais pour rependre les termes employés dans la Constitution, « sans restreindre les droits dont jouissaient jusque-là les communautés religieuses ».
Le sénateur St. Germain : Mais ce n'est pas absolu, monsieur le ministre?
M. Cotler : Je le répète, j'affirme que la liberté de religion n'est pas absolue, mais j'affirme également qu'aucun droit ni liberté garanti par la Charte n'est absolu.
On peut faire pendre n'importe qui en le citant hors contexte. Vous le pourriez si vous répétez partout au pays que j'affirme que la liberté de religion n'est pas absolue sans ajouter qu'aucun droit ou liberté garanti par la Charte est absolu. Tous les droits et libertés garantis par la Charte peuvent être restreints, pour des raisons impérieuses et pertinentes. Mais cette liberté de conscience et de religion jouit de vastes protections dans la Charte, en jurisprudence, dans le renvoi de la Cour suprême et cetera. Il faut ajouter cela, sinon l'affirmation est incomplète et pourrait induire en erreur, et être une source d'appréhension pour les communautés que nous devons non seulement respecter mais aussi ne pas inquiéter davantage à cause de la façon dont nous décrivons le projet de loi.
Le sénateur Mitchell : Monsieur le ministre, l'un des aspects regrettables de ce débat est qu'il est source de division. Il l'est certainement. Mais on n'a pas fait observer qu'il y a une division plus subtile mais tout aussi profonde dans toute société où un groupe de personnes jouit d'un droit qu'un autre groupe n'a pas. En ce qui concerne la « division », j'affirme que la situation qui existait auparavant était source de division elle aussi.
L'argument de la pente savonneuse est que cette étape mènera à la négation des droits religieux. Certains précédents ou exemples démontrent que ce n'a pas été le cas jusqu'ici. L'Église catholique n'a pas besoin de marier des divorcés et les dispositions relatives à l'égalité entre les sexes n'ont pas poussé l'Église catholique à ordonner des femmes prêtres. Est-ce qu'une poursuite, une affaire, un règlement, une loi ou une requête a déjà été envisagé à votre connaissance de manière à mettre en danger ces deux droits de l'Église catholique, ou tout autre droit religieux?
M. Cotler : Les droits de l'Église catholique existaient avant la loi proposée et ils continueront d'exister après elle. Ils font qu'à cause de leurs croyances ou de leur foi, les prêtres ne marieront pas des couples de même sexe. Leurs croyances religieuses les protègent contre l'obligation de marier des personnes de même sexe. Le projet de loi porte sur les aspects civils du mariage, parce la loi ne peut porter que sur ces aspects.
Il faut laisser à chaque groupe religieux le soin de définir le mariage religieux. La plupart des religions continueront de définir le mariage comme l'union entre un homme et une femme. C'est la croyance de la plupart des religions. Il faut également reconnaître que certaines, comme l'Église Unie, ont exprimé le désir de pouvoir célébrer des mariages ayant des conséquences légales conformément à leurs croyances, qui incluent les couples de même sexe. Je le mentionne simplement à titre d'exemple. C'est le cas aussi dans la religion juive et d'autres religions. Dans le projet de loi C-38, il est question d'une démarche inclusive face à la définition civile du mariage ou au mariage civil. Toutes les croyances et pratiques relatives à la définition religieuse du mariage, resteraient les mêmes. Une minorité distincte obtiendrait un accès égal au mariage civil, et cela ne toucherait pas, comme l'a déclaré la Cour suprême, le mariage religieux, l'exigence que les conjoints soient de sexe opposé, et ainsi de suite.
Le sénateur Mitchell : L'Alberta a adopté une loi provinciale qui définit le mariage comme l'union entre un homme et une femme. La Cour suprême a tranché que le projet de loi, s'il est adopté, primera sur la loi provinciale. J'ai deux questions : pourquoi la loi provinciale n'a-t-elle pas été éclipsée, étant donné les décisions de la Cour suprême et d'autres tribunaux? quelle que soit la réponse, serait-il possible que, pendant une période de transition, un gouvernement provincial puisse empêcher l'application du projet de loi lorsqu'il aura été adopté? Je sais que les provinces ne peuvent pas invoquer la disposition dérogatoire.
M. Cotler : On peut poser la question à l'envers. Le projet de loi reflète ce que les tribunaux ont tranché dans huit provinces et un territoire, soit que le mariage entre personnes du même sexe fait déjà partie de la loi du pays. Son accès sera élargi, comme la Cour suprême nous a invités à le faire, afin de créer une législation uniforme dans les autres provinces et territoires. L'Île-du-Prince-Édouard a reconnu qu'elle ira dans cette direction.
L'Alberta, je le fais remarquer, a choisi de ne pas adopter à nouveau sa définition du mariage comme une union entre des personnes de sexe opposé, parce que la Cour suprême a déclaré que cette définition relève de la compétence fédérale. Il n'y a pas encore eu de contestation devant les tribunaux, mais le gouvernement albertain a reconnu l'application de la recommandation contenue dans le jugement de la Cour suprême du Canada à l'Alberta. Cela se concrétisera par l'application du projet de loi lorsqu'il sera adopté par le Sénat et deviendra une loi.
Le sénateur Prud'homme : Monsieur le ministre, vous avez signé aujourd'hui un accord sur les crimes haineux sur Internet. Je vais l'étudier avec soin. Si les évêques, d'autres autorités religieuses et les rabbins répétaient vigoureusement les paroles de la Bible, du Coran et de la Torah relatives à un acte de même nature, la loi pourrait être changée. Ceux qui s'élèveraient vigoureusement contre cela pourraient être poursuivis pour propagande haineuse ou littérature haineuse, malgré le fait qu'il y a une protection dans la loi.
Rien n'empêchera une personne d'en poursuivre une autre, mais cela ne veut pas dire qu'elle aurait gain de cause. Là encore, nous verrions comment la Cour suprême pourrait changer cela au fil des années, parce qu'avec la nomination d'un nouveau juge en chef, l'interprétation pourrait changer.
Le sénateur Ringuette : On ne peut pas intenter des poursuites.
Le sénateur Prud'homme : Vous ne semblez pas comprendre que la protection constitutionnelle et la loi sont deux choses, mais que cela pourrait changer facilement.
C'est arrivé avec M. Lucien Bouchard, qui a dit à l'Église catholique de ne plus invoquer l'article 93 sur la question religieuse au Québec et qui a affirmé qu'en contrepartie, il promettait de laisser la religion dans les écoles. Regardez où nous en sommes actuellement au Québec. Je connais votre point de vue à ce sujet également. Mais c'est la loi. Le cardinal et les évêques étaient heureux.
[Français]
M. Cotler : Je comprends les inquiétudes du sénateur Prud'homme et je vais essayer de partager mes vues à cet égard.
[Traduction]
Le projet de loi protège et réaffirme la garantie de la liberté de conscience et de religion, et en particulier, la liberté des autorités religieuses d'exprimer leurs convictions religieuses. Une fois de plus, ce renvoi dans le préambule porte sur le paragraphe 2a); c'est la réaffirmation de la protection de la liberté de croyance. Il y a également une vaste protection de la notion de liberté d'expression.
En ce qui concerne la propagande haineuse, cette question ne touche pas uniquement les groupes religieux, en ce sens que s'il s'agit d'une allégation de promotion délibérée de la haine et du mépris à l'endroit d'un groupe identifiable à cause de son origine nationale ou de sa religion, par exemple, les poursuites ne pourraient être intentées sans le consentement du procureur général. C'est du côté pénal.
À Strasbourg, il était question de la propagande haineuse, mais dans le cadre du principe fondamental de la protection de la liberté d'expression. Il ne s'applique que lorsque l'expression va trop loin et devient la promotion délibérée de la haine ou du mépris, et même là, des moyens de défense sont prévus, notamment quand on s'exprime sur une question religieuse.
Mais la loi n'a pas changé ce que peuvent dire les gens. Il est évident qu'ils peuvent encore exprimer critiquer la loi, critiquer le mariage entre personnes du même sexe. Ils peuvent citer la Bible ou le Coran à cette fin et, à mon avis, leur point de vue ne serait pas protégé.
L'article 3.1 se lit comme suit :
Étant entendu que nul ne peut être privé des avantages qu'offrent les lois fédérales ni se voir imposer des obligations ou des sanctions au titre de ces lois pour la seule raison qu'il exerce, à l'égard du mariage entre personnes de même sexe, la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte canadienne des droits et libertés, ou qu'il exprime, sur la base de cette liberté, ses convictions à l'égard du mariage comme étant l'union entre un homme et une femme à l'exclusion de toute autre personne.
Il y a une protection expresse de la liberté de conscience et de religion à cette fin.
La présidente : Merci de votre présence ici ce soir, monsieur Cotler.
La séance est levée.