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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 20 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le mardi 12 juillet 2005

Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 9 h 2, pour étudier le projet de loi C-38, Loi concernant certaines conditions de fond du mariage civil.

L'honorable Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : La séance est maintenant ouverte, nous allons donc poursuivre nos délibérations sur le projet de loi C-38, Loi concernant certaines conditions de fond du mariage civil.

[Traduction]

Ce matin, nous accueillons Mme Pamela Dickey Young, chef de la Section des études religieuses, à l'Université Queen's; M. Bruce Ryder, professeur à la Faculté de droit, à l'Osgoode Hall Law School; ainsi que M. Hugo Cyr, professeur à la Faculté de droit de l'Université du Québec à Montréal.

Je vous souhaite la bienvenue. Vous pouvez commencer.

Mme Pamela Dickey Young, chef, Département des études religieuses, Université Queen's : Bonjour. Je déclare que je suis catégoriquement en faveur de l'adoption du projet de loi C-38. J'approuve les multiples décisions des tribunaux ainsi que la position du gouvernement actuel comme quoi le droit égal au mariage est conforme aux dispositions de la Charte, et je suis ravie que ce projet de loi en soit arrivé à l'étape de l'étude par le Sénat.

Je travaille à la rédaction d'un livre sur le christianisme et la construction sociale de la sexualité. Aussi, le mariage des couples de même sexe et les rôles que les Églises ont joué dans ce débat m'intéressent.

Dans le cadre du débat actuel, certaines Églises et certains groupes confessionnels ont donné leur appui au mariage de couples de même sexe, et d'autres s'y sont opposés. Il y a également un important groupe d'Églises qui ne se sont pas prononcées publiquement sur le mariage entre couples de même sexe parce qu'elles n'ont pas encore arrêté leur position interne sur la question.

Dans la catégorie des groupes ayant donné leur appui, on note l'Église Unie du Canada, le Conseil unitarien du Canada, les Quakers, les Églises communautaires métropolitaines, un groupe de rabbins libéraux ainsi que la Coalition religieuse pour le droit égal au mariage. Deux groupes éminents s'opposent au mariage des conjoints de même sexe, ce sont notamment l'Église catholique romaine et l'Alliance évangélique du Canada, un groupe d'environ 40 confessions religieuses.

Je tiens à vous exposer trois points susceptibles d'éclairer vos discussions. Premièrement, le mariage n'est pas essentiellement religieux. Une bonne partie de l'opposition qui s'est exprimée contre le mariage entre conjoints de même sexe vient d'Églises invoquant leurs liens historiques avec le mariage. Toutefois, les autorités religieuses n'ont pas joué de rôle prépondérant dans la célébration du mariage avant le Moyen-Âge. La première occurrence connue d'un prêtre ayant donné sa bénédiction lors d'une cérémonie de mariage remonte à l'année 950 de notre ère, à Durham, en Angleterre. Mais il a fallu attendre le XIIe siècle, toutefois, pour que le mariage en tant que fonction juridique commence à être célébré à la porte des églises, surtout, semble-t-il parce que le prêtre était une personne instruite capable de consigner le mariage dans un registre. Le XVIe siècle était bien entamé lorsque les mariages ont commencé à se dérouler à l'intérieur de l'église proprement dite, et le clergé cumulait les fonctions civiles et religieuses au cours du même service.

Le mariage est une relation définie par la société; cette relation varie au fil du temps et de la géographie. Il est également vrai que lorsque les représentants des Églises et autres traditions religieuses célèbrent des mariages légitimes au Canada, ils ne font pas qu'assumer leur rôle en tant qu'autorités religieuses; mais ils agissent aussi en tant que fonctionnaires de la province ou du territoire dans lequel ils sont autorisés à célébrer des mariages.

Et de fait, dans l'arrêt, Hyde c. Hyde, l'affaire qui est souvent citée pour sa définition du mariage, on décrit le mariage tel qu'il est compris dans la chrétienté, laissant entendre qu'il pourrait exister d'autres manières d'envisager le mariage dans le monde qui ne seraient pas nécessairement adoptées par cette décision.

Le deuxième point que j'aimerais faire valoir est que le sexe se trouve à la racine du problème et, à bien des égards, au cœur même des discussions que nous avons concernant le mariage entre couples de même sexe. J'entends par cela que certaines visions précises de la sexualité et des relations hommes-femmes sont souvent à l'origine des arguments avancés par les Églises contre le mariage entre conjoints de même sexe. Historiquement, le christianisme a toujours considéré que le sexe n'avait de valeur que pour la procréation et à titre de moyen de maîtriser le désir. Il est difficile d'accorder de la valeur aux relations entre conjoints de même sexe si la sexualité n'est pas vue comme étant bonne en soi. Dans une large mesure, les arguments invoqués par les Églises contre le mariage entre couples de même sexe reposent sur des postulats concernant ce qui est naturel ou accepté en matière de biologie. Et le postulat en question est que les relations hétérosexuelles correspondent à ce qui doit être parce que la sexualité hétérosexuelle est procréative.

Ce postulat laisse un certain nombre de questions sans réponses. Premièrement, tous les rapports hétérosexuels ne débouchent pas sur la procréation, soit parce que les couples sont stériles, soit parce qu'ils ont choisi la contraception. Dans les documents qui s'opposent au mariage entre conjoints de même sexe, on aborde la question en faisant valoir que quelques exceptions n'invalident en rien le caractère lié à la procréation des rapports hétérosexuels. Toutefois, cette position comme quoi les exceptions n'invalident pas la règle laisse la porte ouverte à l'idée qu'au moins certaines formes de contact sexuel sont considérées comme licites par ces groupes dans des formes potentiellement non axées sur la procréation.

Si la non-procréativité n'invalide pas la règle, alors il faudra compter sur un argument plus solide pour exclure les couples de personnes gaies et lesbiennes étant donné qu'il n'est pas très clair pourquoi certaines exceptions sont plus valides que d'autres.

Deuxièmement, avec l'accès aux nouvelles technologies de reproduction et à l'adoption, de nombreux couples gais et lesbiens ont accès à la procréation. Cette « capacité biologique unique » que possèdent les couples hétérosexuels de produire des enfants est un argument qui semble plus faible à une époque où les technologies de reproduction font en sorte que les enfants n'ont pas toujours un lien biologique avec l'un des parents hétérosexuels ou même avec les deux.

L'argument concernant la procréativité fait reposer la totalité du poids du mariage sur la reproduction, mais dans la société canadienne, depuis les annnées 1960, on reconnaît clairement que l'union de deux personnes égales est la fonction première du mariage, et que la reproduction et l'éducation des enfants peut ou non faire partie de cette relation.

Enfin, il me semble clair que l'intention de ce projet de loi est de protéger la liberté de religion, à la fois pour ceux qui l'appuient et pour ceux qui ne l'appuient pas. Peu importe la manière, la liberté de religion s'applique aux tenants des deux positions du débat sur le mariage entre conjoints de même sexe. C'est-à-dire que des groupes religieux tiennent à ce que leur liberté de célébrer le mariage de couples de même sexe soit protégée, tandis que d'autres tiennent à ce que l'on respecte leur désir de ne pas avoir à célébrer de tels mariages.

Je prends au sérieux les mesures de protection adoptées par les Canadiens à l'égard de la liberté de croire, de pratiquer et de proclamer leur religion sans crainte de représailles. La liberté de religion n'est pas la liberté d'imposer ses propres croyances religieuses à l'ensemble de la population canadienne, ni la liberté de dire et de faire ce que l'on veut sans tenir compte des répercussions sur autrui.

Il ne fait aucun doute qu'il y aura des discussions et des contestations juridiques visant à déterminer jusqu'où la liberté de pratiquer sa religion s'étend pour ceux qui ne sont pas des autorités religieuses. De toute évidence, il ne s'agit pas de questions entièrement nouvelles. Comment un commissaire de mariage ayant des objections religieuses aux relations sexuelles avant le mariage doit-il agir lorsqu'une future mariée visiblement enceinte se présente en vue de faire célébrer son mariage?

Au fil du temps, nous devrons déterminer dans quelles circonstances les Églises agissent à titre d'institutions publiques et à quel moment les églises ne sont que des édifices ouverts au public. Je pense que nous devrions saisir l'occasion d'avoir cette discussion afin de clarifier les questions entourant les limites qui s'imposent à la liberté de religion et ce qui constitue la liberté de religion.

La discussion autour du mariage est une discussion visant à déterminer si nous sommes prêts à accueillir des couples gais et lesbiens parmi nous et comment nous entendons le faire. Toutes les Églises participant à ce débat reconnaissent que les personnes gaies et lesbiennes possèdent individuellement des droits humains et que l'on doit faire preuve de tolérance à leur égard — mais cette tolérance peut être accordée avec réticence. On tolère parce que l'on y est obligé au sein de la société civile.

Le droit égal au mariage n'est pas une simple question de tolérance. Dans notre société, le mariage est une relation importante, approuvée par la société. Accorder le droit égal au mariage aux couples de même sexe, fait toute la différence et continuera de faire toute la différence, dans notre manière de percevoir les hommes gais et les lesbiennes dans notre société.

[Français]

M. Hugo Cyr, professeur, Faculté de droit, Université du Québec à Montréal : Je tiens à remercier les honorables sénateurs de m'avoir invité à leur adresser la parole. Aujourd'hui, je discuterai de la question du mariage vu sous l'angle du partage des compétences. En fait, j'exposerai la façon dont le mariage s'inscrit dans l'histoire du fédéralisme canadien parce que cette question aide à comprendre les raisons pour lesquelles nous sommes ici aujourd'hui.

Je présenterai un argument sur les bases historiques et fonctionnelles qui reconnaissent que les règles du partage des compétences militent en faveur de la reconnaissance par le Parlement du mariage entre personnes de même sexe.

Disons tout d'abord qu'il y a eu beaucoup de discussions sur le droit à l'égalité. Mon collègue Bruce Ryder pourra en parler lors de la période des questions. C'est pourquoi je n'en parlerai pas dans mon exposé. Je ne parlerai pas non plus des nombreux éléments reliés à l'historique des litiges. Toutefois, j'aimerais féliciter Mme Mary Hurley, l'auteur d'un document qui traite de l'historique du projet de loi C-38. C'est un document utile et très informatif.

J'aimerais discuter rapidement de cinq points. Tout d'abord, il est important de se rappeler que le Parlement n'a pas la responsabilité constitutionnelle générale de veiller à la composition des familles. Sa compétence ne porte que sur le mariage et le divorce, et non sur tous types d'union conjugale.

Deuxièmement, la Constitution permet au Parlement de reconnaître les mariages entre personnes de même sexe. Cette question a déjà été soulevée, mais la Cour suprême a affirmé que le Parlement avait la capacité d'adopter une loi visant à reconnaître les mariages entre conjoints de même sexe.

Troisième point, l'objectif premier de l'attribution des compétences législatives au Parlement en matière de mariage et de divorce a toujours été l'assurance de la stabilité de l'état matrimonial des personnes qui se déplacent d'une province à l'autre du pays dans les contextes où les membres de la Fédération ne s'entendent pas, pour des raisons religieuses, sur les conditions nécessaires à la validité d'un mariage.

Quatrièmement, en reconnaissant le mariage entre conjoints de même sexe, le Parlement s'assurera qu'une union validement célébrée dans une province sera reconnue dans les autres. Ainsi, la stabilité de l'état civil des personnes unies sera donc assurée.

Enfin, le cinquième point, le défaut de reconnaître le mariage entre conjoints de même sexe irait carrément à l'encontre des objectifs poursuivis par les Pères de la Confédération lors de l'attribution du Parlement d'une compétence législative sur le mariage et sur le divorce.

En omettant de reconnaître le mariage entre les personnes de même sexe, le Parlement a invité et continuerait à inviter les provinces à créer leurs propres institutions visant à reconnaître ces unions et, ce faisant, continuerait d'inciter, par son inaction, à la multiplication des conflits de lois en matière familiale. Donc, l'attribution au Parlement d'une compétence sur le mariage et le divorce visait précisément à éviter ce problème et l'inaction du Parlement sur ces questions créerait le même problème qu'on a voulu résoudre en 1867.

Je vais maintenant approfondir certains de ces cinq points. Le premier étant que le Parlement n'a pas la responsabilité constitutionnelle générale de veiller à la composition des familles. Il est important de se rappeler que les provinces, en vertu de leurs pouvoirs sur la propriété et droits civils, ont une compétence générale sur le droit de la famille, comme par exemple la succession, l'affiliation et l'adoption. En fait, les droits et obligations mutuels des conjoints. Ce n'est pas une compétence sur tout type d'union, mais uniquement sur le mariage et le divorce.

Comment peut-on expliquer le fait que le Parlement ait obtenu une compétence d'exception sur le mariage et le divorce, alors que les provinces possèdent un pouvoir général en matière de droit de la famille ?

Il faut comprendre qu'à l'époque, en 1867, lors des débats confédératifs, il existait des tensions pour des raisons religieuses sur ce qui constituera un mariage valide. Au Québec, par exemple, la majorité de la population québécoise qui était catholique ne voulait pas reconnaître les mariages civils, mariages qui, par ailleurs, étaient célébrés en Ontario.

Dans les Maritimes, on reconnaissait déjà le divorce, ce qui n'était évidemment pas reconnu dans la province de Québec. La crainte à l'époque, c'était qu'une personne puisse changer constamment d'état matrimonial lorsqu'elle se déplaçait d'une province à l'autre, que son divorce ou son mariage ne soit pas reconnu. Par exemple, un homme et une femme se marient civilement en Ontario en 1867 et se déplacent au Québec. Le Code civil du bas Canada aurait pu avoir été modifié de façon à ne plus reconnaître les mariages civils contractés à l'extérieur de la province. Donc, l'homme n'étant plus marié aux yeux du Québec se remarie une deuxième fois selon les rites reconnus au Québec. Cet homme qui se serait placé dans une situation de polygamie se déplace par la suite dans les Maritimes et obtient un divorce face à sa première femme et revient en Ontario.

Dans un tel cas, la question est à savoir ce qui revient à chacune des parties. Qui recevra les pensions ? Où se trouve le patrimoine familial ? Pour éviter ce genre de problème, on a remis au Parlement la responsabilité d'octroyer ou de reconnaître l'état civil qu'est celui du mariage et de dissoudre ce même état civil. Ce faisant, le Parlement a le pouvoir de donner le statut sur lequel repose les droits et obligations mutuels. Le Parlement a obtenu compétence sur cette question afin d'éviter les conflits de lois. Toutefois, il a compétence sur cette question uniquement et sur le statut du mariage et du divorce.

J'aimerais parler maintenant du quatrième point. En reconnaissant le mariage entre conjoints de même sexe, le Parlement s'assurera qu'une union validement célébrée dans une province sera valide dans les autres provinces et la stabilité ainsi assurée. Il est important de savoir que le problème est réel et non une simple question académique dont on nous accuse parfois, professeurs, de vouloir soulever.

L'inaction du Parlement pendant plusieurs années a incité les provinces à adopter différents régimes pour contrer cette absence de possibilité en ce qui a trait au mariage civil. Par exemple, en Alberta, on a développé les relations indépendantes entre adultes qui couvrent non seulement les unions de type conjugal mais qui vise les questions de cohabitation et de dépendance économique. Au Québec, l'union civile vise à la fois les questions de dépendance économique et les unions de type conjugal. Ailleurs, on retrouve des registres provinciaux auxquels on s'inscrit pour les fins de droits et de bénéfices sociaux. Notons qu'il s'agit de droits et bénéfices de l'État vers les individus, ou d'une entreprise vers les individus, et pas nécessairement d'obligations mutuelles entre individus. En France, par exemple, les questions sont réglées de façon purement contractuelle. Cette optique pose un problème en termes de conflits de lois ou de droit privé international.

Dans certains cas, on a modifié l'état civil, dans d'autres cas il existe uniquement une obligation contractuelle ou encore des cas où il n'y a ni modification du statut civil, ni obligation contractuelle mais une reconnaissance étatique. Les couples se trouvant dans une telle situation, lorsqu'ils se déplacent d'une province à l'autre, ne peuvent pas avoir l'assurance que la nouvelle province reconnaîtra ces problèmes. Voilà la difficulté que règlera une loi fédérale sur le mariage.

Cinquièmement, le pendant contraire, soit l'inaction du Parlement dans cette question, ne favorisera que la multiplication des conflits de lois et des coûts pour les couples. Cette inaction favorisera également une incertitude juridique non seulement pour les couples, mais pour les créanciers et débiteurs de ces couples, incluant les banques, pour déterminer à qui appartient le patrimoine familial. Prenons l'exemple d'un mariage entre conjoints de même sexe qui est célébré au Québec; les personnes se déplacent vers l'Alberta et désirent se divorcer. Existe-t-il un patrimoine familial ? Comment peut-on aliéner ce patrimoine ? En vertu de certaines règles particulières prévues au Code civil, on ne peut aliéner la résidence principale sans l'approbation des conjoints. Ces règles seront-elles applicables dans l'exemple cité ?

La solution pour éviter ce genre de conflit est l'adoption d'une loi fédérale qui reconnaîtra le mariage entre conjoints de même sexe.

La présidente : Nous vous remercions de votre présentation et cédons maintenant la parole à M. Ryder.

[Traduction]

M. Bruce Ryder, professeur, Osgoode Hall Law School : C'est un honneur et un privilège que de me joindre aux sénateurs dans leurs délibérations concernant le projet de loi C-38, la Loi concernant certaines conditions de fond du mariage civil.

Je fais de la recherche et je publie sur l'intersection entre le droit de la famille et le droit constitutionnel depuis environ 15 ans maintenant. Le premier article que j'ai écrit sur le sujet intitulé ``Equality Rights and Sexual Orientation : Confronting Heterosexual Family Privilege'' a été publié dans la Revue canadienne de droit familial en 1990. Dans cet article, j'écrivais que la Charte des droits et libertés et les lois antidiscrimination exigeaient l'élimination de tous les désavantages sur le plan juridique imposés aux couples de même sexe, y compris l'élimination de l'interdiction du mariage entre partenaires de même sexe.

Dans un livre qu'il a publié quelques années plus tard, William Gairdner a écrit que mon article était hallucinogène, ce qui m'a semblé un bon indice comme quoi j'étais sur la bonne voie. Depuis lors, l'hallucination s'est réalisée grâce aux efforts incessants des familles formées de partenaires de même sexe et de leurs sympathisants. Le droit a adopté des mesures importantes menant à la réalisation d'une vision où un éventail de formes familiales se voient accorder la même considération et le même respect. J'estime que l'adoption du projet de loi C-38 représente un élément important de cette vision.

J'appuie totalement le projet de loi C-38 parce qu'il permet au Parlement d'assumer pleinement ses responsabilités constitutionnelles en ce qui concerne les droits à l'égalité et, comme l'a fait valoir avec éloquence le professeur Cyr, il a le mérite d'uniformiser la définition du mariage d'un bout à l'autre du pays. Il traite les couples et les familles formés de partenaires de même sexe avec la même considération et le même respect en leur donnant la possibilité de contracter un mariage valide aux termes de la loi s'ils souhaitent exprimer leur amour et leur engagement réciproque de cette manière.

Lors de l'étude de ce projet de loi, il importe que le Comité tienne compte des modifications ayant déjà été apportées sur le plan juridique, des modifications qui ont préparé le terrain en vue de son adoption, et dont bon nombre ont été mentionnées ce matin par le professeur Dickey Young dans le cadre de son exposé.

La légalisation du mariage entre partenaires de même sexe est le résultat de nombreux développements sur le plan social, politique et juridique. Nous avons tendance à nous concentrer sur le rôle de la Charte et sur les récentes décisions des tribunaux, mais il y a eu beaucoup d'autres luttes politiques et modifications législatives sans lesquelles nous ne serions pas ici aujourd'hui. Par suite de ces changements cumulatifs, le sexe des partenaires et la procréation ne sont plus des caractéristiques essentielles de la législation matrimoniale contemporaine. L'argument que l'on invoque fréquemment dans ce débat comme quoi le mariage repose essentiellement sur des caractéristiques qui tiennent compte du rôle des hommes et des femmes ou qui sont nécessairement liées à la capacité de procréation est faux. Il reflète l'ignorance de l'état du droit contemporain en matière de mariage.

En effet, le droit n'impose plus de sanctions criminelles relativement au contrôle des naissances ou à l'avortement, et il garantit désormais le droit d'avoir accès sans discrimination à la procréation assistée et aux nouvelles technologies de la reproduction. Nous tenons pour acquis que la décision de procréer, que ce soit à l'intérieur des liens du mariage ou à l'extérieur, est une question de choix personnel fondamental, et non une décision pouvant être imposée par l'État. Le droit n'impose aucune obligation de procréer, aucune capacité de procréation n'est requise des couples formés de partenaires de sexe opposé et rien n'empêche les personnes stériles ou ayant passé l'âge de la ménopause de se marier. Les obstacles discriminatoires au droit d'adopter ou à l'accès à la procréation ou aux nouvelles technologies de reproduction sont interdits par la loi.

Il est aussi important de se rappeler les luttes féministes visant à éliminer les affirmations et les règles sexistes du droit de la famille. Le droit avait l'habitude de traiter différemment les maris et les femmes. Jusque dans les années 1970, on pouvait affirmer selon toute vraisemblance que le mariage entre partenaires de même sexe n'avait aucun sens sur le plan juridique parce que la manière dont la loi comprenait la relation du mariage était essentiellement et profondément liée aux caractéristiques fondées sur le sexe. À la suite des changements apportés à la loi au cours des dernières décennies, le droit de la famille est désormais non sexiste. Les lois provinciales décrivent le mariage comme un partenariat égal entre des conjoints égaux. La Loi sur le divorce est elle aussi libellée en termes non sexistes, attribuant les mêmes droits et les mêmes obligations à tous les conjoints. Dans le texte même de la législation, rien ne dépend plus désormais du fait que la personne soit l'époux ou l'épouse.

Il est révélateur à cet égard d'effectuer une recherche dans les recueils de lois du gouvernement fédéral et des provinces afin de déterminer la fréquence avec laquelle les mots « époux » ou « épouse » apparaissent. On en trouve des réminiscences ici ou là, mais la plupart du temps ce sont plutôt les expressions « conjoint » ou « conjoint de fait » qui apparaissent, et qui sont définies chaque fois en termes non sexistes. Les recueils de lois sont déjà prêts pour le mariage entre les conjoints de même sexe.

En outre, par suite des modifications apportées à la Loi sur la modernisation de certains régimes d'avantages et d'obligations en 2000, les couples de même sexe qui vivent ensemble et qui ont une relation conjugale depuis plus d'un an ont pratiquement les mêmes droits et les mêmes responsabilités en regard de la loi fédérale que les couples mariés.

Il en va de même dans un certain nombre de provinces. Le mariage entre conjoints de même sexe est déjà légalisé dans huit provinces et au Yukon. En termes pratiques, l'adoption du projet de loi C-38 aura très peu d'incidence. En termes symboliques, toutefois, l'affirmation parlementaire du mariage entre les partenaires de même sexe dans la législation fédérale contribuera énormément à éliminer la stigmatisation et la discrimination dont sont entachées les relations des couples gais et lesbiens. L'adoption complète et égale des couples de même sexe au sein de la famille canadienne se fait attendre depuis longtemps.

Le projet de loi C-38 est une étape importante en vue d'assurer le traitement égal des couples conjugaux. Par ailleurs, il étend et inscrit la distinction juridique entre les relations conjugales et non conjugales.

J'ai collaboré avec la Commission du droit du Canada à la rédaction du rapport intitulé « Au-delà de la conjugalité, » dans lequel on faisait valoir que notre système juridique entretenait une obsession malsaine en ce qui concerne le recours à la conjugalité pour réaliser un éventail d'objectifs liés à la politique gouvernementale.

Avec l'adoption du projet de loi C-38 et la reconnaissance largement répandue de l'égalité conjugale, j'espère qu'au cours des années à venir, le gouvernement s'efforcera de trouver des moyens de mieux reconnaître les besoins des personnes qui vivent dans des relations non conjugales et de répondre à ces besoins.

La mesure dans laquelle le projet de loi C-38 représente une menace potentielle à la liberté de religion a, me semble-t- il, été très exagérée. Le projet de loi vise le mariage légal. Il n'a aucune incidence sur les conceptions religieuses que nous avons du mariage. Les institutions religieuses demeurent libres de définir le mariage et de célébrer les cérémonies de mariage conformément à leurs propres conceptions et à leurs traditions confessionnelles.

L'alinéa 3.1 est un ajout bienvenu au projet de loi, une addition qui établit clairement que la loi fédérale n'entraînera aucune conséquence négative pour les personnes qui expriment un engagement de conscience ou religieux à l'égard de la conception traditionnelle du mariage entre conjoints de sexe opposé.

L'article 3 du projet de loi stipule qu'il est reconnu que les autorités religieuses sont libres de refuser de célébrer des mariages qui ne sont pas conformes à leurs croyances. J'ai beaucoup de mal à imaginer que la légère différence entre le libellé de cet article et celui déclaré invalide dans le renvoi relatif au mariage entre conjoints de même sexe conduirait les tribunaux à une conclusion différente. L'article 3 porte sur la célébration du mariage, une question qui relève exclusivement de la compétence provinciale conformément au paragraphe 92 12) de la Loi constitutionnelle de 1867. J'estime qu'il est, par conséquent, invalide et sans effet en droit. De toute façon, cela n'a pas vraiment d'importance parce que l'article 3 est redondant sur le plan juridique.

L'alinéa 2 a) de la Charte des droits et libertés offre une bonne protection à la liberté de religion. À l'heure actuelle, aucune loi ne porte atteinte à l'exercice des rites religieux conformément aux croyances et aux pratiques des traditions religieuses. Toute loi qui irait dans ce sens constituerait une violation ultime de l'alinéa 2 a) de la Charte.

La Cour suprême, dans son avis, a déclaré on ne peut plus clairement que la liberté de religion protège la pratique religieuse, et l'accomplissement de rites religieux est un aspect fondamental de la pratique religieuse. Il serait utile que la conclusion évidente du tribunal sur ce point soit inscrite dans la mesure législative, comme vient de le faire l'Assemblée législative de l'Ontario lors de l'adoption du projet de loi 171, en ajoutant dans le Code des droits de la personne de l'Ontario et dans la Loi sur le mariage de nouvelles dispositions de nature à protéger contre les recours juridiques ceux qui refusent de célébrer les mariages des couples de même sexe pour des motifs religieux ou qui refusent de mettre des lieux de culte à la disposition des mariages de conjoints de même sexe. Étant donné que le paragraphe 92(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 reconnaît que la célébration des mariages est de la compétence des provinces et que les lois prévoient la même chose pour les territoires, le rôle du gouvernement fédéral se limite à encourager les gouvernements des provinces et des territoires à adopter des modifications législatives similaires.

Qu'en est-il de la situation des fonctionnaires qui doivent célébrer des mariages civils dont il a souvent été question lors des débats entourant le projet de loi C-38? Certains gouvernements provinciaux ont demandé à leurs commissaires de mariage de se préparer à célébrer des mariages de personnes de même sexe ou alors de démissionner. Si ces gouvernements n'accordent pas une exonération à des personnes dont les objections d'ordre religieux les empêchent de célébrer des mariages de personnes de même sexe, ces directives constituent une discrimination religieuse en matière d'emploi qui est contraire à la Charte et aux lois applicables et pertinentes sur les droits de la personne. Dans son avis, la Cour suprême a déclaré que l'alinéa 2 a) de la Charte protège les autorités religieuses de la contrainte par l'État à célébrer le mariage civil de deux personnes du même sexe contrairement à leurs croyances religieuses. De façon plus générale, la jurisprudence relative aux droits de la personne appuie clairement les droits des employés, dans les secteurs public et privé, et qu'ils soient des autorités religieuses ou non, à refuser d'exécuter leurs fonctions pour des raisons de religion ou de conscience. Les employeurs ont donc l'obligation de les satisfaire si cela est possible sans préjudice injustifié et sans compromettre le droit des couples de même sexe à avoir un accès égal au mariage civil.

J'espère que ces commentaires seront utiles au Comité dans le cadre de ses délibérations.

[Français]

Le sénateur Nolin : Monsieur Cyr, merci d'avoir accepté notre invitation. Je lisais plus tôt ce matin un courriel que nous avons reçu. L'auteur centre son argument sur le rôle de la famille et la présence de Dieu de nos textes constitutionnels. Il fait d'ailleurs référence à un discours prononcé par l'honorable Lamer alors qu'il était juge en chef de la Cour suprême et dans lequel il disait qu'il y avait séparation entre l'Église et l'État mais pas entre l'État et Dieu. Tout son texte tournait autour de cette relation fondamentale entre les lois de Dieu et nos textes fondateurs. En tant que professeur ou expert, pouvez-vous nous éclairer sur cette relation qui remet en question nos valeurs ?

M. Cyr : Premièrement, il est vrai que dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1982, on mentionne la suprématie de Dieu. Par contre, dans l'article 2, on parle de la liberté de religion et de conscience. Cela peut donc signifier également une croyance en Dieu non confessionnelle. Par conséquent, l'État ne peut pas prendre position pour dire quelle église possède la vision juste de Dieu ou si Dieu existe, car il y a des croyances polythéistes ou athées. Comme l'a mentionné Mme Young, il y a des églises pour lesquelles le mariage entre personnes de même sexe est reconnu et fait partie de leurs croyances religieuses.

La question ici n'est pas de déterminer quelle église interprète mieux les voix de Dieu. On dit que les voies du Seigneur sont mystérieuses, et ce n'est pas au Parlement d'en déterminer la meilleure. La question ici concerne uniquement une union civile. C'est, bien sûr, une question de droit et de règlements, par exemple, le partage des ressources financières, l'équité et la stabilité entre deux personnes, mais c'est également la reconnaissance symbolique de la dignité de chaque être humain.

Le sénateur Nolin : Je suis d'accord avec le professeur Ryder et avec ce projet de loi, mais un argument nous est régulièrement servi et il est fondamental. On ne parle pas simplement de la reconnaissance de Dieu mais de sa suprématie. C'est beaucoup plus que de dire qu'il existe. En plus d'exister, ce qu'il dit fait loi. Le juge Lamer va plus loin — je comprends qu'il est catholique et qu'il parle des encycliques — et nous dit que l'on doit tenter de rechercher la loi divine pour comprendre l'application de notre charte. On ne peut pas dire simplement qu'on reconnaît un droit à l'égalité, et que parce que l'article 15 est là, c'est fondamental, on va l'appliquer. Cela dit, on ne peut pas faire fi du préambule de la Charte.

M. Cyr : Le préambule n'est qu'un préambule et non un article opératoire de la Charte. On peut l'utiliser à des fins interprétatives.

L'article 2b) est opératoire et prévoit la liberté de religion. La liberté de religion ne s'adresse pas uniquement aux catholiques, mais aux autres groupes religieux qui reconnaissent le mariage entre conjoints de même sexe. La liberté de conscience existe pour ceux qui ne croient pas en Dieu ou en une déité unique. Cet équilibre est établi au sein de la Constitution.

Nous avons mentionné au préambule cette idée de suprématie de Dieu. Toutefois, la façon concrète dont cette suprématie s'exprime ou doit s'exprimer est prévue dans le texte de la Constitution, soit à l'article 2 touchant la liberté de religion et à l'article 15 touchant le droit à l'égalité. Selon toute plausibilité, les rédacteurs de la Constitution ont cru que ce que constituait « la volonté de Dieu » correspondait au texte apparaissant à l'article 2 et à l'article 15. En ce sens, je crois que l'article 2 et l'article 15 illustrent ce que l'on conçoit comme étant la suprématie de Dieu.

La présidente : J'aimerais demander à nos deux autres témoins s'ils désirent ajouter des commentaires.

[Traduction]

Mme Dickey Young : Du point de vue des études religieuses, chacun sait à quel point il est difficile d'interpréter toute la notion de la volonté de Dieu. Et la croyance voulant que l'État soit mieux équipé pour le faire que les institutions religieuses, qui entretiennent des opinions diverses à ce sujet, soulève une question épineuse.

Le sénateur Nolin : Cela ne semblait pas poser de problème au juge en chef de la Cour suprême Antonio Lamer lorsqu'il a déclaré que nous devions écouter le Pape parce qu'il communique avec Dieu. L'encyclique est un document fondamental. Je pense que c'est un argument valide. On ne peut pas dire, parce qu'il est difficile de disséquer et d'interpréter la volonté de Dieu, que cela ne nous intéresse pas.

Mme Dickey Young : Je ne voudrais pas avoir l'air de diminuer la valeur de l'argument, mais même si le Pape a son point de vue, il reste qu'il existe d'autres groupes religieux et d'autres institutions religieuses dont le point de vue peut être différent, et qu'il faut en tenir compte au sein des institutions religieuses et dans le cadre des lois de l'État en vertu de la Charte. À la lumière des garanties offertes par la Charte en matière de liberté de religion, il me semble problématique d'affirmer qu'il n'existe qu'une seule façon de faire les choses ou qu'il n'y ait qu'une seule voix à écouter, en matière de religion.

M. Ryder : Tenter d'établir exactement le sens à donner au paragraphe sur la suprématie de Dieu dans le préambule de la Charte est l'une des grandes énigmes non résolues dans le droit constitutionnel canadien.

Le sénateur Nolin : Pourquoi pensez-vous que j'ai posé la question?

M. Ryder : Bon nombre de spécialistes de la constitution se perdent en conjectures sur sa signification, et les tribunaux sont aux prises avec le même défi. Jusqu'ici, il y a eu très peu d'interprétations. Bien entendu, les tribunaux ont eu passablement recours à d'autres aspects des préambules des lois constitutionnelles de 1867 et de 1982, et ce n'est probablement qu'une question de temps avant que l'on puisse se servir d'une interprétation du paragraphe relatif à la suprématie de Dieu. Mais le moment venu, il faudra le faire dans un contexte qui permette d'éclairer ce paragraphe à la lumière des engagements pris dans la Charte concernant la liberté de religion, l'égalité des religions et le multiculturalisme.

J'ai bien l'impression que cette interprétation aura pour effet de refléter notre tradition de grand respect à l'égard des traditions religieuses et pas nécessairement d'ériger une barrière stricte entre l'État et l'Église, du moins pas dans la même mesure qu'on l'a fait en France et aux États-Unis. Elle sera probablement la reconnaissance avec une sorte d'humilité profane, si vous voulez, que les traditions religieuses et les croyances religieuses représentent une grande force positive dans la vie des Canadiens et qu'elles méritent le respect et la protection de l'État.

En ce sens, je m'attends à ce que le paragraphe sur la suprématie de Dieu soit utilisé pour renforcer notre conception du pluralisme religieux et de l'égalité des religions, une conception qui, à mon sens, est soutenue par ce projet de loi.

[Français]

M. Cyr : Ce n'est pas la première fois que l'on pose cette question. Historiquement, la solution adoptée au Canada fut de reconnaître la diversité des points de vue religieux. La raison pour laquelle on a donné au Parlement une compétence sur le mariage était, entre autres, due au fait que les catholiques et les protestants ne s'entendaient pas sur les conditions nécessaires du mariage. Chez les catholiques, par exemple, on excluait certains liens de parenté, alors que dans l'église protestante cette exclusion n'existait pas. L'État n'a pas pris partie. Au contraire, on a dit que l'État n'a pas à choisir la meilleure position. À mon avis, il s'agit d'une solution typiquement canadienne qui a le mérite d'avoir été mise à l'épreuve depuis 1867 et qui semble fonctionner aujourd'hui.

Le sénateur Nolin : Je vous avoue ne pas avoir compris votre troisième point. Pourriez-vous le clarifier ?

M. Cyr : Le troisième point concernait l'objectif poursuivi par les Pères de la Confédération lorsqu'on a octroyé au Parlement les compétences sur le mariage et le divorce.

En 1867, la majorité de la population au Québec était catholique et s'opposait au mariage civil. En Ontario et dans les provinces maritimes, à cette époque, on pratiquait déjà le mariage civil. Dans les Maritimes on reconnaissait également le divorce, ce qui était hors de question au Québec. On reconnaissait également, à l'époque, une certaine mobilité de la population d'une province à l'autre. On a donc voulu éviter que les gens se déplacent d'une province à l'autre dans le but de changer leur statut, ou que lors des déplacements la stabilité des statuts juridiques ne disparaissent.

On aurait pu, comme aux États-Unis, laisser à chaque province la discrétion de reconnaître les mariages célébrés en bonne et due forme dans une autre province.

Le sénateur Nolin : Je crois que vous parlez en ce moment de votre quatrième point. Je n'ai aucun problème avec les concepts de validité transprovinciale. C'est d'ailleurs la raison fondamentale pour laquelle on soulève la question du mariage et surtout celle du divorce. Toutefois, vous avez mentionné le mot « statut » en introduction à votre troisième point et c'est ce sur quoi je m'interroge.

M. Cyr : Je vais reprendre le troisième point. L'objectif premier de l'attribution d'une compétence législative au Parlement en matière de mariage et de divorce a toujours été d'assurer la stabilité de l'état matrimonial des personnes d'un bout à l'autre du pays.

Le sénateur Nolin : J'avais peut-être mal entendu. Je vous remercie de la clarification.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : Monsieur Cyr nous a donné un aperçu historique du mariage et du divorce. Hier, nous avons entendu le ministre de la Justice, Irwin Cotler, commencer son exposé en déclarant que le mariage des conjoints de même sexe est un droit inscrit dans la Charte, et je suis d'accord avec lui. Il a poursuivi en affirmant que la liberté de religion serait maintenue. Toutefois, après quatre heures de discussion, je pense que nous en sommes venus à la conclusion que le mariage entre partenaires de même sexe aura une incidence sur la liberté de religion. Toute la question est de savoir si le plaidoyer de la Cour en faveur d'un accommodement raisonnable est réalisable ou non. Dans le futur, tout dépendra des situations réelles. Nous avons eu une discussion intéressante visant à établir non pas si les droits existaient, mais dans quelle mesure ils avaient une incidence réciproque.

Vous avez dit que le préambule n'était qu'un préambule et qu'il peut être pris en compte, mais qu'il n'est pas obligatoire. Hier soir, le Ministre a tenu à faire valoir que le préambule du projet de loi C-38 stipule ce qui suit :

ATTENDU QUE la présente loi n'a pas pour effet de porter atteinte à la liberté dont fait l'objet cette garantie, en particulier celle qui permet aux membres des groupes religieux d'avoir et d'exprimer les convictions religieuses de leur choix, et aux autorités religieuses de refuser de célébrer des mariages non-conformes à leurs convictions religieuses;

Reconnaissez-vous que le gouvernement fédéral puisse offrir cette garantie? Pensez-vous que le gouvernement fédéral puisse donner des directives à l'instance qui, à mon avis, est le titulaire provincial de la responsabilité en ce qui concerne la célébration et l'enregistrement des mariages? Pourriez-vous nous faire part de vos commentaires concernant l'interprétation que l'on doit donner à ce préambule, si tant est que l'on puisse l'interpréter?

M. Cyr : Les préambules comportent de nombreux usages différents. L'un de ces usages consiste à informer le grand public sur le contexte général dans lequel une loi s'inscrit : c'est-à-dire, par exemple, le contexte historique et les questions ayant été soulevées pour justifier l'adoption de cette loi. Ce préambule donne cette information. Si vous voulez que je vous dise si oui ou non le Parlement peut offrir cette garantie, elle est déjà inscrite dans la Charte. Cette garantie y est encore plus rigoureusement inscrite que dans la Loi. Elle est fixée dans la Constitution. Parce que la Constitution garantit déjà la liberté de religion.

Lorsque mon collègue M. Ryder a mentionné que l'alinéa portant sur la liberté de religion pourrait être contesté et même être inconstitutionnel, le fait qu'il soit remis en question en invoquant le fédéralisme n'a aucune importance parce que ce droit est déjà garanti dans la Charte. Par conséquent, d'une certaine manière, il est redondant. Il ne s'agit pas d'un impératif juridique. Toutefois, il donne de l'information.

Vous connaissez l'expression, « Il va sans dire ». Il arrive parfois que l'on se facilite les choses en étant explicite et en disant les choses. C'est ce que l'on a fait ici. Il ne s'agit que d'une répétition de ce qui existe déjà.

Évidemment, des gens ont peur. Beaucoup sont effrayés, et on doit les informer que l'un des rôles du Parlement consiste à donner de l'information sur ce qui se passe, et c'est ce que l'on a tenté de faire avec ce préambule.

Le Parlement peut-il dicter aux provinces comment la célébration du mariage doit se dérouler? La réponse est non. Il s'agit d'une compétence provinciale. Toutefois, on note une sérieuse mise en garde ici. En effet, les provinces ne peuvent pas détruire l'autorité du gouvernement fédéral sur le mariage en se servant des règles relatives à la célébration. Les règles relatives à la célébration ne peuvent avoir une incidence sur la question de la capacité. Si la capacité est déjà reconnue par le gouvernement fédéral, alors les provinces ne pourraient pas, même sur le plan juridique, limiter la possibilité d'avoir accès à un mariage en essayant de tourner les objectifs du Parlement. Les deux vont de pair. Ainsi, les provinces ne pouraient pas frustrer les objectifs du gouvernement fédéral en essayant de manière détournée de modifier les règles régissant cette capacité.

[Français]

Le sénateur Nolin : Ma question porte sur la notion de capacité. Je dois dire que la ligne très fine. En fait, le Code civil précise l'âge et la capacité pour le mariage et je comprends qu'à votre avis le parlement fédéral devrait avoir juridiction sur l'âge et la capacité. Mais où tracer la ligne ?

M. Cyr : Le Code civil du bas Canada a été adopté en 1866, juste avant l'adoption de la Constitution de 1867. On y prévoyait certaines mesures, mais maintenant la disposition du Code civil qui dicte l'âge nécessaire est à mon avis invalide parce qu'elle touche la capacité.

La capacité vise à savoir qui peut se marier et dans quelles conditions personnelles. C'est pourquoi l'Assemblée nationale était prête à procéder aux changements sur la question du mariage. Tout est maintenant en place sur le plan du Code civil qui a été modifié.

La seule raison pour laquelle le Québec a eu l'union civile, c'est parce qu'il ne pouvait pas modifier la question de la capacité. S'il avait pu le faire, il l'aurait fait. D'ailleurs, l'Assemblée nationale du Québec a déjà adopté une loi prévoyant la possibilité de transformer une union civile en mariage tout en conservant les droits et les obligations de l'union civile.

Le sénateur Nolin : Si je comprends bien, tout ce qui concerne la capacité individuelle de contracter mariage est de juridiction fédérale ?

M. Cyr : Le Parlement fédéral n'a compétence que sur la capacité d'octroyer ce statut en matière de mariage. Il ne peut que dicter les conditions de capacité qui donneront lieu à l'existence de l'état matrimonial.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : C'est justement à cela que je voulais en venir, et je remercie le sénateur Nolin de m'avoir préparé le terrain.

Comme vous le dites, c'est la première fois que le gouvernement fédéral exerce entièrement sa capacité. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été fait dans le passé. Est-ce que cela vous donne à penser que, inévitablement, il y aura des causes dont la solution fera jurisprudence entre le gouvernement fédéral et les provinces concernant les deux droits susceptibles non seulement d'être contradictoires, mais aussi complémentaires? Pensez-vous que nous devrons trouver ces justifications? Si nous sommes incapables de trouver des accommodements au sein de la collectivité, pensez-vous que cette situation entraînera des contestations devant les tribunaux?

M. Cyr : Dans le passé, on a tenté d'opposer la capacité à la célébration dans certaines affaires judiciaires. Il existe déjà une jurisprudence à cet effet. La jurisprudence est claire sur la question de la définition de la capacité et de la célébration. Mais on ne peut éviter qu'il y ait des contestations judiciaires. La question n'est pas de savoir s'il y aura des contestations judiciaires, mais plutôt si elles aboutiront. Dans la mesure où le Parlement pourrait s'inquiéter du fait qu'une loi puisse être contestée et détruite par une contestation judiciaire, dans ce cas il n'y a pas lieu de s'inquiéter.

M. Ryder : Le conflit entre les droits à l'égalité fondés sur l'orientation sexuelle et la liberté de religion est un domaine difficile et en évolution du droit canadien. Certaines questions sont limpides, tandis que d'autres attendent toujours d'être résolues. Certaines peuvent être clarifiées dans une certaine mesure à même la législation, comme l'a fait le gouvernement ontarien dans le projet de loi que j'ai mentionné tout à l'heure.

Inévitablement, dans les zones grises, nous devrons attendre les décisions des tribunaux. À l'origine, ces décisions devront vraisemblablement provenir des tribunaux des droits de la personne. Un secteur, par exemple, est déjà d'une grande limpidité et c'est celui qui entoure la célébration des rites religieux proprement dits, ou encore la location des lieux de culte, l'autre question visée par le projet de loi ontarien. Je doute qu'aucun tribunal ou qu'aucune cour n'oblige une organisation religieuse à modifier ses rites religieux ou à louer un lieu de culte à un groupe si cette organisation a l'impression que le groupe en question se propose de l'utiliser contrairement à ses principes de conscience.

Cette situation ne risque pas de se produire. Il y a eu une affaire à Vancouver mettant en cause un local appartenant à une organisation religieuse, mais il ne s'agissait pas d'un lieu de culte. L'organisation pourrait-elle refuser de louer cet endroit à un couple désireux d'y tenir une cérémonie de mariage entre des partenaires de même sexe? C'est une question épineuse. Il est difficile d'y répondre d'une manière ou d'une autre. Il est faux d'affirmer que la liberté de religion l'emporte toujours sur le droit à l'égalité fondé sur l'orientation sexuelle ou inversement. Dans certains contextes, l'une pourra l'emporter sur l'autre, mais pas toujours. Comme je l'ai mentionné, la liberté de religion l'emportera presque toujours lorsqu'il s'agit de cérémonies religieuses. Personne ne viendra dicter à l'Église catholique qu'elle doit ordonner des femmes prêtres. Si un gouvernement tentait d'adopter une loi en ce sens, elle serait rejetée en invoquant une violation évidente de la liberté de religion. Dans le même ordre d'idées, si une cour de justice devait rendre une telle décision, elle serait rejetée par les tribunaux.

D'un autre côté, dans les écoles publiques, par exemple, les enseignants sont limités dans leur capacité d'exprimer des croyances religieuses si elles vont à l'encontre du programme ou encore si elles sont de nature à créer un milieu défavorable aux étudiants gais ou aux étudiantes lesbiennes. C'est un contexte dans lequel les droits à l'égalité fondés sur l'orientation sexuelle vont normalement l'emporter sur la liberté de religion.

Cependant, il y a néanmoins une zone grise. Et l'adoption du projet de loi n'aura pas d'incidence marquée sur cette zone grise. Elle existe déjà. Des conflits surgissent déjà, et le droit canadien est mis à contribution en vue de leur trouver une solution. Mais ce sont des questions difficiles à résoudre.

Le sénateur Andreychuk : Le professeur Cyr a déclaré tout à l'heure qu'il est parfois plus utile de dire les choses plutôt que de les taire, même si cela peut sembler équivaloir à énoncer des évidences.

Est-ce que nous allons provoquer un plus grand nombre de contestations judiciaires en incluant un préambule qui aborde ce que j'estime comme étant de compétence provinciale : l'enregistrement et la célébration du mariage? Ne serait-il pas préférable d'adopter une attitude plus directe avec les gens et de leur dire voici tout ce que le gouvernement fédéral peut faire, et le reste est de compétence provinciale, plutôt que de formuler un soi-disant réconfort dans un préambule alors qu'en réalité il n'existe pas vraiment?

[Français]

M. Cyr : Mon expertise devant le comité s'arrête au droit constitutionnel. Je vais m'abstenir de prendre position sur la question à savoir quelle serait la meilleure politique sur le plan de la légitimité. Il est vrai que la compétence provinciale peut être contestée, mais l'effet ultime d'une contestation ne changera pas l'effet général de cette loi.

[Traduction]

Le sénateur Milne : Professeur Dickey Young, je tiens à vous dire à quel point je suis ravie de vous entendre évoquer une partie de l'histoire des droits de l'Église. Durant des siècles, les seuls droits que posséda l'Église furent celui de baptiser et d'inhumer. Le mariage n'était pas un droit, et si vous vouliez vous marier, vous deviez le faire à l'extérieur, sur le perron de l'église. Durant des siècles, c'est ainsi que s'est déroulée l'histoire de la religion chrétienne.

En tant qu'agnostique membre de l'Église Unie, je suis ravie d'entendre que cette Église est en faveur de ce projet de loi. Vous avez mentionné que six groupes donnaient leur appui au projet de loi : l'Église Unie, le Conseil unitaire canadien, les Quakers, le Groupe des rabbins libéraux, ainsi que les Églises communautaires métropolitaines. Y en a-t- il un autre?

Mme Young : Il y a un groupe appelé la Coalition religieuse pour le droit égal au mariage qui représente un éventail de groupes religieux qui ne pas toujours d'accord avec la position officielle de leurs propres institutions religieuses ou qui ont voulu faire une intervention interconfessionnelle et ont rédigé plusieurs documents.

Le sénateur Milne : Professeur Ryder, vous avez déclaré qu'aux yeux de la loi, désormais, le fait qu'une personne soit le mari ou la femme n'a plus vraiment d'importance. J'aime assez l'expression « aux yeux de la loi ». Depuis près de dix ans que je siège à ce Comité, c'est la première fois que je l'entends. Si vraiment cela ne fait aucune différence dans ce projet de loi précis, alors dans ce cas, quelle est la situation des gens mentionnés par le professeur Cyr qui sont peut-être les partenaires d'un couple de même sexe, mariés légalement en Ontario, et qui déménageraient en Alberta pour demander ensuite le divorce. Peuvent-ils divorcer en Alberta? Qu'est-ce qui arrive au patrimoine familial? Comment est-il réparti? Il s'agit d'une situation complexe, et j'estime qu'une loi fédérale est nécessaire pour l'encadrer.

M. Ryder : Tout à fait. Je ne suis pas du tout contre. C'est d'ailleurs un important aspect du projet de loi. Lorsque j'ai dit qu'aux yeux de la loi rien vraiment ne dépend du fait qu'une personne soit le mari ou la femme, je voulais dire que dans le droit de la famille on utilise le neutre pour parler des individus. On pourrait faire valoir qu'elle n'est pas neutre dans son opération ou son application. Toutefois, en théorie, nous souscrivons pleinement à la notion voulant que les conjoints sont égaux dans leurs droits et obligations, et une fois cette position adoptée, il devient difficile de se déclarer contre le mariage entre partenaires de même sexe sous prétexte qu'à certains égards les différences qui existent entre les sexes dans le droit de la famille sont essentielles à notre compréhension de ce domaine du droit.

L'autre commentaire que j'ai fait est, comme quoi, en pratique, il n'y aura pas grand-chose de changé avec l'adoption du projet de loi C-38 n'est pas entièrement vrai. Je voulais dire, de façon générale, et je voulais expliquer que la plupart des modifications législatives ayant une importance sur le plan pratique pour les couples de même sexe ont déjà été adoptées dans la plupart des provinces. En ce sens, le Canada se trouve dans une situation très différente de celle des États-Unis où le débat entourant le mariage des partenaires de même sexe est beaucoup plus poignant pour ces couples à qui l'on refuse la plupart des droits et des obligations que les couples mariés tiennent pour acquis. Au Canada, les couples de même sexe jouissent déjà de la plupart de ces droits et obligations, et le débat entourant le mariage des partenaires de même sexe n'en est pas moins animé. Je ne voulais pas minimiser l'existence des questions pratiques qui restent à régler, parce qu'il y en a encore d'importantes, y compris celle que vous venez de mentionner.

Le sénateur Milne : Professeur Cyr, je m'adresse de nouveau à vous. Si cette loi n'était pas adoptée, quelle serait l'incidence juridique pour un couple de même sexe marié légalement qui déciderait de déménager en Alberta ou à l'Île du Prince-Édouard et qui voudrait demander le divorce là-bas? Toute cette question tourne autour de l'éventualité que les couples de même sexe fassent connaissance avec le merveilleux monde du divorce.

M. Cyr : C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de ce projet de loi. Certaines incertitudes ont été soulevées concernant d'autres questions susceptibles de donner lieu à des contestations judiciaires. Nous devons nous préparer à des contestations judiciaires. En l'absence d'une loi fédérale, il faudra régler au cas par cas, et il est impossible de dire ce qui va se passer. Disons qu'en Alberta, les tribunaux décident de ne pas reconnaître le mariage. On se retrouverait dans la situation où une personne serait considérée comme mariée au Québec, en Ontario, en Saskatchewan ou au Manitoba, et qui en déménageant en Alberta ne le serait plus. Si un couple possédait une maison de campagne en Alberta et une résidence principale en Colombie-Britannique, il se retrouverait marié durant la semaine, mais non marié les fins de semaine. Ce serait drôlement bizarre.

Le sénateur Milne : Si l'un d'entre eux décédait en Alberta, la succession devrait y être réglée là-bas.

M. Cyr : Exactement : lorsque j'ai mentionné la stabilité du statut jurididique et des arrangements juridiques, c'est de cela que je voulais parler.

Le sénateur Milne : Pour poursuivre dans la même veine, si ce projet de loi est adopté, quelle en sera l'incidence à l'échelle internationale et dans quelle mesure un mariage légal au Canada sera-t-il reconnu si un couple décide de déménager à l'étranger?

M. Cyr : Il y a deux points à faire valoir. Premièrement, le Canada n'est pas le seul pays à reconnaître le mariage entre partenaires de même sexe. L'Espagne est devenue le troisième pays à le reconnaître officiellement. L'institution est déjà reconnue à des fins intérieures.

La deuxième possibilité est la suivante : quelles règles relatives aux conflits de lois s'appliqueront dans ces pays? D'autres pays, à part l'Espagne et les Pays-Bas, pourraient adopter des règles qui reconnaissent le mariage, peu importe si ce mariage est reconnu à l'endroit où le couple est domicilié, mais tout dépendra de chaque État. Il n'existe aucune garantie que dans les autres pays on reconnaîtra le mariage comme un mariage, mais au moins cette garantie existera à l'intérieur du même pays.

Le sénateur Milne : À notre époque où les gens déménagent d'un pays à l'autre, si un couple marié ici décidait de s'installer de façon permanente en France, quelles seraient les conséquences?

M. Cyr : Nous savons que le Parlement canadien reconnaîtra en fin de compte le mariage entre partenaires de même sexe, et qu'il deviendra le quatrième pays à le faire. On assiste à un mouvement, non seulement dans les trois pays mentionnés, mais aussi dans d'autres pays occidentaux, en faveur de la reconnaissance du mariage des partenaires de même sexe. Cette question va évoluer au fil du temps. Pour le moment, les personnes qui vivent des relations entre partenaires de même sexe éprouvent davantage de difficulté à déménager de pays en pays, mais dans le futur, si on se fie à la tendance, les choses devraient se tasser graduellement.

Le sénateur Milne : Donc, vous n'en savez rien. Merci.

Le sénateur St. Germain : Le sénateur Milne a demandé ce qui arriverait si un couple de partenaires de même sexe en provenance d'un pays où le mariage n'est pas reconnu venait au Canada et décidait de mettre fin à son mariage ici. Évidemment, leur mariage n'est pas reconnu dans leur pays d'origine. Disons qu'ils viennent des États-Unis. S'ils se séparent, que se passera-t-il? Si l'un des deux décidait par la suite de demeurer au Canada, serait-il toujours considéré comme marié? Que se passerait-il si l'un des deux décidait de se marier avec une personne du sexe opposé avant de revenir s'installer au Canada? Est-ce que cette personne serait considérée maintenant comme bigame? Les questions entourant la polygamie et la bigamie n'ont pas encore trouvé de réponse. Dans l'esprit de certains d'entre nous, ces questions n'ont pas encore été tirées au clair. Un groupe d'intérêts mène ce dossier vigoureusement au pays, de même que le gouvernement, mais sans pour autant répondre à bon nombre de ces questions.

[Français]

M. Cyr : Si deux personnes de même sexe se marient au Canada, que ce mariage n'est pas reconnu par exemple aux États-Unis, où ils déménagent, la cause de l'absence de reconnaissance ne vient pas du Canada mais des États-Unis. Si un des membres de ce couple était bisexuel, qu'il se mariait avec une femme et revenait au Canada, aux yeux du droit canadien, ce mariage serait bigame. Cette situation résulterait du fait que les États-Unis n'auraient pas reconnu le mariage à l'origine.

Le problème de la polygamie ou de la bigamie est causé présentement par l'absence d'une loi fédérale. Je m'explique. Le Code criminel, lorsqu'il parle de polygamie, ne parle pas de mariage mais d'une union de type conjugal. Par conséquent, supposons que deux hommes s'unissent selon l'union civile au Québec. Ils déménagent en Ontario où ils se marient. La loi fédérale n'impose pas comme condition d'empêchement le fait d'être uni civilement. C'est l'état actuel des choses puisque le Parlement n'a pas généralisé l'accès aux mariages civils et qu'il existe d'autres modèles. Cela fait en sorte que selon Code criminel, une personne pourrait être en situation de polygamie interdite parce qu'on a l'union civile qui peut se superposer au mariage. La possibilité de polygamie est toujours existante.

Prenons l'exemple d'un couple, homme et femme, qui s'est marié en Alberta. Ils déménagent dans un pays où l'on reconnaît la polygamie. Si l'homme s'y marie trois fois, le Canada n'en est pas responsable lorsqu'il revient au pays. Si l'autre État n'a pas reconnu le premier mariage, le problème se situe ailleurs. Ce n'est pas un problème que le Canada peut régler.

[Traduction]

Le sénateur St. Germain : Si une personne gaie se marie plus d'une fois, est-ce de la bigamie?

M. Cyr : D'après ce que je me rappelle du Code criminel, la réponse est oui.

Le sénateur St. Germain : Le Code criminel n'a-t-il pas été rédigé en fonction de « un homme » et « une femme »?

M. Cyr : Non. Si je me souviens bien, il n'est pas fait mention de « un homme » et « une femme ».

Le sénateur St. Germain : Alors comment est-ce exprimé?

M. Ryder : Est coupable d'un acte criminel quiconque, le même jour ou simultanément, passe par une formalité de mariage avec plus d'une personne...

M. Cyr : Une union conjugale.

M. Ryder : Cela fait référence à la polygamie. La bigamie se définit comme le fait de passer par deux formalités de mariage légal.

Le sénateur Mitchell : J'aimerais revenir à la question de la liberté de religion. Premièrement, je suis très favorable à ce projet de loi. Peut-être qu'il va sans dire que l'opposition à ce projet de loi s'explique pour une bonne part par la question de la liberté de religion. Nous avons été témoins de beaucoup de discussion sur ce sujet ce matin, et pendant toute la durée du débat.

Comme l'a mentionné le professeur Ryder, si la liberté de religion était vraiment un problème, dans ce cas il y aurait des femmes prêtres, et on peut supposer que l'Église catholique aurait été forcée de marier les personnes divorcées. On peut même imaginer un certain nombre d'autres choses qui ne se sont pas encore produites. Qu'est-ce qui nourrit vraiment cette peur de l'empiètement sur la liberté de religion qui pourrait découler de l'adoption de ce projet de loi? Y a-t-il eu des actions en justice de la part de femmes désireuses d'être ordonnées prêtres? Se sont-elles seulement donné la peine d'essayer? Y a-t-il eu des actions intentées par des personnes divorcées ou même une initiative de la part d'une institution gouvernementale visant à limiter la liberté de religion en forçant l'Église catholique ou d'autres Églises à faire des choses qu'elles n'étaient pas prêtes à faire? Je sais que chacun d'entre vous possède largement la compétence nécessaire pour répondre à ces questions.

M. Ryder : Je n'ai entendu parler d'aucune procédure légale de cette nature. Il y a bien eu un certain nombre d'affaires et de débats devant les tribunaux en vertu de la législation sur les droits de la personne au sujet du conflit susceptible de survenir entre l'expression de la liberté de religion et les droits à l'égalité. Dans l'arrêt Marc Hall, par exemple, M. Hall voulait assister au bal de finissants d'une école secondaire catholique de l'Ontario avec son petit ami. Un certain nombre d'affaires de même nature sont à l'origine d'une certaine inquiétude et d'une anxiété concernant la limite à établir entre la liberté de religion et les droits à l'égalité, et la limite peut-être à établir de nouveau, par les cours de justice et les tribunaux dans les années à venir.

Je pense que cette inquiétude s'explique par le fait que depuis si longtemps le mariage est à la fois une institution religieuse et légale et que, dans une large mesure, les définitions religieuse et juridique du mariage se rejoignaient. Il est difficile pour bien des gens d'établir la division entre le mariage civil ou le mariage légal, et le mariage religieux, comme tente de le faire le projet de loi. Pour certains d'entre nous, ce n'est pas si difficile parce que nous sommes habitués à penser en termes de séparation de l'Église et de l'État dans ce contexte, et parce que la définition juridique traditionnelle du mariage s'inspire largement des connaissances religieuses. Hyde c. Hyde parle du mariage tel qu'il est compris dans la chrétienté, et c'est sa définition aux termes de la loi.

Depuis un siècle, les conceptions religieuse et juridique du marriage sont étroitement alignées. Pour bien des gens, il est difficile de comprendre qu'avec une redéfinition du mariage civil ils ont la liberté de s'en tenir à leur propre conception du mariage qui peut être différente. Cette séparation est déchirante pour bien des gens, mais comme on l'a déjà mentionné aujourd'hui, ce projet de loi constitue un bon accommodement entre le mariage religieux et les droits à l'égalité d'un côté, et le mariage civil de l'autre.

Mme Dickey Young : Affirmer que le mariage civil et le mariage religieux sont alignés depuis longtemps au Canada ne veut pas dire pour autant qu'ils ont jamais été la même chose. L'une des surprises qu'a réservées ce débat à bien des gens fut justement la découverte qu'ils ne sont pas vraiment la même chose. Provinces et territoires ont le pouvoir de donner aux autorités religieuses le droit de célébrer les mariages, et en l'absence du document délivré par la province ou le territoire, on ne peut célébrer un mariage légal. Ce fut d'ailleurs une surprise pour certains de découvrir que cet alignement n'est pas absolu.

Un autre aspect du débat qui est intéressant pour moi est la mesure dans laquelle il faut reconnaître le fait que le Canada est un pays diversifié. Beaucoup continuent de voir le Canada comme passablement homogène, sur le plan religieux, et ce débat nous a montré à quel point nous sommes au contraire hétérogène religieusement parlant.

Si on suit la progression des arguments contre l'extension des droits et des avantages aux couples de même sexe et ensuite, pour aller encore plus loin, durant les affaires judiciaires ayant trait au mariage, on constate que la notion de liberté de religion est arrivée relativement tard dans les débats. En effet, ce n'est que récemment que la liberté de religion a fait son entrée dans l'arsenal d'arguments invoqués contre l'extension du droit au mariage pour les couples de même sexe. D'autres arguments ont été invoqués beaucoup plus tôt dans le débat, et la liberté de religion n'a fait son entrée que vers la fin.

Le sénateur Mitchell : Je vous suis reconnaissant de vos réponses. Elles m'ouvrent des avenues que je n'avais pas envisagées auparavant, et m'expliquent pourquoi ceux qui se rangent du côté des opposants pourraient avoir des raisons de s'inquiéter. La justification d'ordre pratique est que ce ne devrait pas être un sujet de grande inquiétude et que, avec le temps, si on ne s'est pas trompé, les gens vont commencer à accepter tant sur le plan psychologique que social à accepter que la distinction a toujours existé, et qu'elle est prévisible et compréhensible.

Comme l'a fait remarquer le professeur Ryder, la question a été soulevée dans certaines institutions, y compris dans les écoles publiques. Dans Vriend c. Alberta, la province de l'Alberta a déployé beaucoup d'efforts pour que l'on continue d'exclure l'orientation sexuelle de la législation sur les droits de la personne. Cette affaire soulève la question de la liberté des enseignants d'exprimer des opinions religieuses dans une école. Toutefois, il convient d'établir une distinction fondamentale concernant les institutions financées à même les deniers publics qui, par conséquent, sont régies par des paramètres laïques.

M. Ryder : C'est un bon point. Il y a eu quelques décisions intéressantes en ce qui concerne l'équilibre à maintenir entre la liberté d'expression et la liberté de religion des enseignants et des administrateurs et les droits à l'égalité des étudiants et des parents. Je le répète, ce sujet est susceptible de soulever un éventail de questions difficiles à résoudre. Dans Ross c. Nouveau-Brunswick, un enseignant du Nouveau-Brunswick a fait des déclarations antisémites en public. Ces déclarations ont donné lieu à une plainte concernant les droits de la personne et le tribunal, et en dernier ressort, la Cour suprême du Canada, ont décidé que la liberté d'expression de Malcolm Ross, y compris sa liberté d'exprimer sa foi religieuse, devait céder le pas au droit égal des étudiants de recevoir un enseignement sans discrimination fondée sur la religion, l'origine ethnique ou tout autre motif. Il a fait valoir, et le tribunal n'a pas contesté son affirmation, que son discours reposait sur des préoccupations religieuses de bonne foi, même si elles s'étaient exprimées à l'extérieur du contexte scolaire.

Chamberlain c. Commission scolaire de Surrey en Colombie-Britannique portait sur la question de savoir si les commissions scolaires peuvent prendre des décisions motivées, du moins en partie, par une objection religieuse contre l'utilisation d'images représentant des familles formées de partenaires de même sexe devant de jeunes enfants. Ce sont des questions difficiles. L'affaire Trinity Western University c. British Columbia College of Teachers est intéressante elle aussi. Elle porte sur une université chrétienne de Colombie-Britannique et le programme de formation des enseignants qui affirme notamment que d'après les enseignements de la Bible, l'homosexualité est un péché. Dans sa décision, le tribunal a statué qu'il s'agissait d'une institution religieuse privée et qu'elle avait le droit de dispenser un enseignement conforme à ses propres croyances, mais qu'une fois que les enseignants auront obtenu leur diplôme de la Trinity Western University et qu'ils voudront enseigner à l'intérieur du système scolaire public, ils devront se conformer à certaines restrictions concernant ce qu'ils peuvent dire ou ne pas dire. Ces limites sont imposées par les droits à l'égalité des étudiants et par les obligations professionnelles d'enseigner le programme.

La différence entre le secteur public et privé est importante ici. Lorsque les enseignants font leur entrée dans le système public, on s'attend à ce qu'ils respectent des normes non discriminatoires et à ce qu'ils assument leurs responsabilités publiques en tant qu'enseignants.

Le sénateur St. Germain : J'aimerais poursuivre sur la question de la liberté. L'affaire de la Trinity Western University a été portée à notre attention, et beaucoup dans ce pays s'inquiètent au sujet de la garantie de la liberté de conscience dans la religion telle qu'elle est décrite dans le préambule du projet de loi.

Le Ministre était ici, hier soir, et il n'a donné aucune garantie. Si je me souviens bien, il a déclaré qu'il n'existait aucune hiérarchie des droits. Et pourtant, il a tenté de nous faire croire que l'article 2 de la Constitution offrait des garanties élevées en matière de liberté de religion. Beaucoup parmi nous sont vraiment préoccupés par cette question, et cela parce qu'il y a déjà eu des actions entreprises concernant une lettre que l'évêque Fred Henry a adressée à ses paroissiens.

Si ce n'est pas de la persécution, alors qu'est-ce que c'est? Vous parlez des droits des minorités, mais je pense que vous abordez la question en adoptant un point de vue à sens unique.

Ce qui est ressorti de l'affaire de la Trinity Western University c'est que la Cour suprême a déclaré que la liberté d'avoir des croyances est plus large que celle de les mettre en pratique. Cela dit tout. Ce que nous ferons pour satisfaire un groupe aura pour effet d'en brimer un autre. Et il ne fait aucun doute que c'est ce qui est en train de se passer.

Si on regarde le cas de Chris Kempling, dans Kempling c. The British Columbia College of Teachers et les diverses affaires qui ont été jugées, on ne peut que constater que la communauté gaie est bien financée et bien organisée. Comme je l'ai fait remarquer hier soir, la pointe de l'iceberg c'est ce couple de la Colombie-Britannique qui se bat pour la reconnaissance des droits des gais dans les écoles. Ces gens souhaitent que cela soit inscrit dans le programme scolaire en Colombie-Britannique. Je suis originaire de cette province, une province où beaucoup de choses de ce genre ont commencé, mais sans que l'on sache où elles vont s'arrêter. Ce couple se bat pour que le ministère de l'Éducation de la Colombie-Britannique modifie son programme de manière à ce que les gais et les lesbiennes aient une image positive dans le système scolaire. Il réclame que toutes les écoles privées ou publiques qui reçoivent une aide financière gouvernementale soient forcées de modifier leur programme scolaire en conséquence.

Monsieur Ryder, vous avez mentionné vos réalisations intellectuelles. Je ne les met nullement en doute. Mais je me demande comment vous pouvez affirmer tranquillement que la liberté d'expression religieuse n'est pas menacée? Elle l'est. Elle est véritablement attaquée.

Vous avez parlé de Port Coquitlam. Je suis de cette paroisse. Il se trouve que je suis également membre des Chevaliers de Colomb. Cette église se trouve dans l'enceinte de l'église Our Lady of the Assumption. Tous les bâtiments font partie de l'ensemble de l'église, y compris l'école et le vestibule. On ne peut les séparer.

Je suis bien placé pour parler de cette histoire. Je m'adresse à chacun d'entre vous et je vous demande : quelle est votre réaction?

M. Ryder : Évidemment, il s'agit, comme je l'ai déjà mentionné — et j'ai bien peur de me répéter — de questions difficiles. Ce sont des sujets sur lesquels les gens ont des opinions passionnées et profondément ancrées. Pour ma part — et je suis heureux que l'on aborde cette question —

Le sénateur St. Germain : Cela n'a rien de personnel, monsieur.

M. Ryder : Je comprends. Je suis une personne qui attache beaucoup d'importance à la liberté de religion et aux droits à l'égalité, et j'aime à penser de façon égalitaire. J'ai grandi au sein d'une génération qui a été formée dans le contexte de la Charte sur le plan juridique. Je suis tout à fait d'accord avec l'affirmation du ministre Cotler comme quoi il n'y a pas de hiérarchie. Si on veut prétendre à être un constitutionnaliste et un spécialiste de la constitution, il faut faire en sorte de comprendre l'ensemble de nos droits de façon égalitaire.

Je ne pense pas que les cours de justice et les tribunaux aient fait un travail irréprochable jusqu'à maintenant. Je ne suis pas d'accord avec certaines des décisions ayant été rendues. Je suis persuadé que lorsqu'il s'agit de l'expression religieuse et de situations dans lesquelles des personnes sont exposées à des procédures judiciaires, soit devant le tribunal des droits de la personne ou devant une autre instance, pour ce qu'elles ont déclaré, je considère que c'est un réel sujet de préoccupation. Toutefois, cela ne signifie pas que l'expression religieuse est sans limites.

Tout à l'heure, j'ai donné l'exemple de Malcolm Ross, un enseignant dont l'expression religieuse s'est trouvée à entrer en contradiction avec les droits à l'égalité en matière d'éducation des Juifs et autres étudiants membres de minorité dans son école. Selon notre tradition, l'expression, religieuse ou autre, n'est pas sans limites et peut se heurter aux droits à l'égalité. Si nous voulons valoriser l'expression religieuse et la liberté d'expression en général, et les honorer en leur accordant la valeur qu'elles méritent, il faut faire très attention de ne pas les limiter à moins que l'on ait des preuves, comme ce fut le cas dans cette affaire, que cela ait des répercussions concrètes sur les droits à l'égalité que nous prenons très au sérieux. Je ne pense pas que l'on doive restreindre l'expression des personnes parce que l'on trouve que leurs opinions sont bornées, obstinément perverses ou offensantes. Ce ne sont pas des raisons suffisantes pour restreindre l'expression religieuse.

Pour ce qui est des autres conflits, comme la situation à Port Coquitlam ou celle des commissaires de mariage, je ne pense pas posséder toutes les réponses. Je suis convaincu en revanche que ces questions vont troubler beaucoup de monde pendant longtemps. Je ne pense pas que le Parlement fédéral ait le pouvoir de donner des garanties à cet égard. Comme nous l'avons mentionné, la plupart de ces questions ne sont pas de la compétence fédérale. Il est important que le Ministre s'emploie à encourager ses homologues des provinces et des territoires à se pencher sur ces questions et à fournir des lignes directrices, comme l'a fait récemment le gouvernement de l'Ontario avec l'adoption de cette loi.

J'ai bien peur que ces questions continuent de diviser les Canadiens et de soulever les passions durant encore bon nombre d'années à venir. Cette situation continuera d'exister, peu importe l'issue de nos discussions entourant le projet de loi C-38.

Le sénateur St. Germain : En ce qui concerne les provinces, le gouvernement fédéral avait la responsabilité de s'assurer de bien maîtriser la situation avant de procéder. Aujourd'hui, nous nous retrouvons avec un beau gâchis. Hier soir, le Ministre est venu nous dire qu'il « espérait » que les provinces allaient faire ceci ou cela, et qu'il « espérait » que ceci ou cela allait se produire. Cette situation entraînera une confusion massive. Elle entraînera la persécution de certains individus dans certaines juridictions provinciales ou territoriales. C'est un grave sujet de préoccupation.

Lorsque l'on attaque quelqu'un en raison de ses croyances religieuses traditionnelles, qu'il s'agisse d'un catholique, d'un Juif ou d'un tenant de quelque autre confession, je pense que le gouvernement fédéral a la responsabilité de ne pas se précipiter pour adopter une mesure législative tant que l'ensemble du pays n'est pas prêt à réagir adéquatement dans toutes les situations. Il a les ressources nécessaires. Mais, à la lumière de la déclaration que nous a faite le Ministre hier soir, il semble que ce ne soit pas le cas. L'Alberta se trouve dans une situation différente. Les provinces se trouvent dans des situations différentes les unes des autres.

Vous affirmez aujourd'hui que vous êtes heureux que l'Ontario ait décidé de régler certains aspects de la question. Mais qu'en est-il des autres provinces? Est-ce que nous ne sommes pas en train de foncer à l'aveuglette? Est-ce la bonne façon de faire les choses? Je ne le pense pas.

M. Ryder : Je comprends votre inquiétude. Les choses seraient beaucoup plus simples si nous avions quelque certitude et plus de précision entourant ces questions. Toutefois, si nous décidions d'attendre avant qu'elles soient résolues, nous risquerions d'attendre longtemps. C'est pourquoi je trouve important d'accorder le même poids à la fois aux inquiétudes concernant la liberté religieuse et la liberté d'expression en général et les droits à l'égalité. Les couples de même sexe attendent depuis longtemps après cet aspect fondamental de l'égalité eux aussi. À mon sens, cette violation de leur droit à l'égalité est aussi une atteinte claire et sérieuse. Les questions troublantes que vous avez soulevées, sénateur St. Germain, sont précisément celles qui doivent être abordées et résolues. Ces conflits sérieux surgissent, comme je l'ai mentionné, dans les zones grises. Ils sont particuliers au contexte. Même si le Parlement fédéral avait la compétence dans le domaine, il est impossible d'adopter des lois pour répondre à toutes les éventualités.

[Français]

M. Cyr : Dans la mesure où le mariage entre conjoints de même sexe n'est pas reconnu partout au Canada, le gouvernement fédéral est en violation de la Charte. Le fait de dire que nous n'allons pas reconnaître les droits de certaines personnes parce que certaines provinces ne sont pas prêtes à faire ce qu'il faut pour reconnaître les droits religieux de certaines minorités ne constitue pas, à mon avis, une justification acceptable. Ces groupes religieux ont visiblement un certain poids au sein des provinces. Si l'Alberta ne reconnaît pas aujourd'hui, en partie, les mariages, c'est dû au fait qu'une partie de sa population semble être en désaccord. Il me semble que lorsque la loi fédérale sera adoptée, l'Alberta sera parmi les premières législatures à adopter des lois pour protéger ses droits. En attendant, le Parlement n'a pas la compétence pour forcer les provinces à adopter des lois sur ces sujets; et dans la mesure où il n'a pas compétence, il doit respecter le droit des provinces. Les provinces ont également des obligations constitutionnelles en vertu de la Charte, notamment sur la liberté de religion.

Il faut que les provinces respectent leurs obligations et assument la responsabilité de les faire respecter. Le Parlement ne peut pas décider de tout pour tous. Chacun a ses compétences et ses responsabilités.

[Traduction]

Le sénateur St. Germain : Que se passera-t-il si l'Alberta décide de se retirer complètement du processus du mariage et d'abandonner ce secteur de responsabilité? Que se passera-t-il ensuite?

[Français]

M. Cyr : Comme je l'ai déjà dit, le Parlement a compétence sur la capacité et les provinces concernant les formalités. L'Alberta ne pourrait donc pas faire en sorte de détruire le mariage parce que cela aurait pour effet d'outrepasser la compétence fédérale.

Le sénateur Chaput : Le projet de loi C-38 vise à inclure le couple de même sexe dans le mariage civil. Personnellement, je n'ai pas de problème ni avec la liberté de religion, ni avec le respect d'une personne qui déciderait de vivre une expérience différente de la mienne. Le projet de loi concerne uniquement le mariage civil et le mariage religieux demeure, comme il l'a toujours été au Canada.

Ma question porte sur la liberté de religion. Prenons l'exemple d'un groupe dont la religion permettrait le mariage entre un homme et plusieurs femmes ou entre une femme et plusieurs hommes. Présentement au Canada, existe-t-il une protection pour ce groupe religieux ?

M. Cyr : Le principe de droit à l'égalité qui est en jeu avec le projet de loi C-38 ne s'applique pas nécessairement aux personnes polygames. Comme le professeur Ryder l'a mentionné, la possibilité de permettre le mariage entre conjoints de même sexe découle d'un changement historique. Autrefois, le rôle du conjoint était sexué. Il y avait d'une part l'autorité du père et d'autre part la soumission de la mère. Ces rôles sexués sont aujourd'hui disparus. C'est pourquoi on assiste à une désexualisation graduelle du mariage et des relations familiales.

De ce fait, la reconnaissance des conjoints de même sexe représente la suite logique de ce changement historique, étant donné qu'il n'existe plus de raison valable à attribuer aux conjoints un sexe plutôt qu'un autre. Sur le plan de l'égalité, c'est un principe formel et simple.

Quant à la question d'ouvrir le mariage à des unions polygames, je ne peux pas y répondre à ce moment-ci parce que j'ignore quelle serait la réponse des tribunaux. Mais je crois que certaines provinces, en vertu du droit privé international, ont à quelques occasions reconnues des unions polygames pour les fins de certains bénéfices. À mon avis, je ne crois pas que ce type d'union serait garanti par la Constitution.

Le sénateur Chaput : La liberté de religion s'applique-t-elle à toutes les religions au Canada ?

M. Cyr : Tout à fait.

Le sénateur Chaput : Les droits de la religion catholique, c'est une chose et ceux d'une autre religion ne sont pas nécessairement les mêmes.

M. Cyr : La question a été présentée principalement sous l'angle du droit à l'égalité. Que ce soit la liberté de religion ou le droit à l'égalité, chaque droit peut être limité en vertu de l'Article premier de la Charte et il serait donc possible de justifier les limitations d'un mariage polygame.

Le sénateur Chaput : Est-ce que le mariage est défini comme étant une union entre deux personnes ?

M. Cyr : En vertu de la loi, oui.

Le sénateur Chaput : Et non pas trois ou quatre personnes ?

M. Cyr : Non.

La présidente : Il nous reste 15 minutes et je vais donner la parole au sénateur Joyal.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Monsieur Ryder, j'ai écouté attentivement la réponse que vous avez donnée au sénateur Nolin. Elle m'a rappelé la décision de la Cour suprême dans la fameuse affaire entourant la Loi sur le dimanche, dans laquelle la Cour a dû se prononcer sur les allégations faites par l'une des parties comme quoi Dieu avait juridiction sur le septième jour et que tout le monde devait se reposer et cesser ses activités et ses obligations habituelles de travail. La Cour a dû établir la distinction entre les principes de la société civile et ceux que les Églises pourraient souhaiter promouvoir. Certaines Églises tiennent leurs célébrations le dimanche; et d'autres choisissent de le faire un autre jour de la semaine. Autrement dit, il n'y a pas de consensus unanime ni de définition « chrétienne » de ce que devrait être le septième jour pour se reposer.

Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez des principes invoqués dans cette décision et des principes invoqués dans les décisions rendues par la Cour suprême sur le projet de loi sur le mariage entre partenaires de même sexe?

M. Ryder : La décision à laquelle vous faites allusion, sénateur Joyal, est celle de l'affaire R. c. Big M Drug Mart Ltd. Rendue en 1985. Ce fut la première décision rendue par la Cour suprême concernant la liberté de conscience et de religion, et elle est l'une des opinions les plus éloquentes et les plus convaincantes de toutes celles ayant été rédigées par feu le juge en chef Brian Dickson, une décision citée par les universitaires devant les tribunaux du monde entier. La décision elle-même fut simple : le Parlement fédéral ou la législature provinciale ne peuvent adopter une loi à seules fins de rendre obligatoire l'observance des croyances religieuses d'une confession donnée.

Si on revient en arrière, à l'époque où la Loi sur le dimanche avait été adoptée par le Parlement, on constate qu'elle avait pour objectif de forcer l'observance du sabbat chrétien. À partir du moment où nous nous sommes donné un document constitutionnel dans lequel était inscrite la liberté religieuse, le juge en chef Dickson a statué qu'il n'était plus acceptable dorénavant pour les gouvernements d'adopter des lois à cette fin.

Mais les choses se sont corsées l'année suivante avec l'affaire Edwards Books, qui venait contester une loi ontarienne, la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, qui fixait le dimanche comme journée de repos, non pas pour des motifs religieux, selon le gouvernement, mais pour des raisons profanes visant à établir une journée de congé uniforme. Dans ce cas, la législation a survécu.

L'affaire Big M Drug Mart est une des plus significatives pour bien faire comprendre en quoi consiste la liberté religieuse ainsi que les raisons pour lesquelles la liberté de religion doit être protégée, ce que réussit très bien à faire le tribunal, et qui consiste à protéger la suprématie de la conscience individuelle sur la coercition de l'État. Dans le cadre de ces arrêts, le concept de la liberté de religion se définit non seulement comme le droit de croire ce que l'on veut en matière religieuse, mais aussi de manifester ouvertement ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation, individuellement ou en groupe. Ce qui représente de toute évidence un important pas en avant. S'il subsistait quelque interrogation encore à l'époque sur la portée de la liberté de religion, on s'interrogeait aussi sur l'ampleur des mesures que prendraient les tribunaux pour protéger les pratiques religieuses.

Dans des arrêts récents, notamment le Renvoi relatif au mariage entre personnes de même sexe, mais aussi dans d'autres décisions rendues par la Cour suprême l'année dernière et originant du Québec, la Cour a accordé sa protection à la manière de définir la portée de la liberté de religion ainsi qu'à la pratique religieuse, et de façon plus particulière dans l'arrêt Amselem rendu l'année dernière qui est tout aussi intéressant que l'arrêt Big M. Le plaignant est un monsieur résidant dans une copropriété de Montréal qui souhaitait construire sur son balcon une sorte de hutte durant la fête du Souccoth. La Cour a déclaré que l'on pouvait établir facilement s'il s'agissait ou non d'une obligation d'après la doctrine religieuse. Ce monsieur croyait fermement que cette activité était nécessaire pour lui permettre de communiquer avec une entité divine, même si cela devait entraîner certains désagréments aux autres propriétaires de la copropriété, et si cela était de toute évidence peu pratique et non esthétique. Néanmoins, on a étudié la possibilité de lui permettre de mettre en pratique ses croyances religieuses. Nous notons le même souci dans le renvoi relatif au mariage entre personnes de même sexe. La loi constitutionnelle canadienne accorde une solide protection à la liberté de religion, de même qu'à la pratique religieuse. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous pouvons être assurés que les personnes et les institutions religieuses ayant des objections contre la célébration des mariages entre partenaires de même sexe jouiront du même soutien en vertu de la Charte si le gouvernement envisageait un jour de s'opposer à ce droit, ce qui, à mon avis, paraît très peu vraisemblable.

Mme Dickey Young : Je tiens à rappeler à tout le monde que la liberté de religion signifie aussi la liberté de diverses religions, ce qui signifie que ma propre liberté religieuse n'est pas absolue parce qu'elle risque d'entrer en conflit avec la vôtre. Elle repose par conséquent sur le respect des croyances religieuses d'autrui, de même que du droit d'exprimer et de pratiquer les siennes.

Le sénateur Cools : J'aimerais tout d'abord contester ce que croient ou affirment M. Cyr et d'autres comme quoi la Charte des droits et libertés peut abroger d'autres parties de la Constitution. Par exemple, les paragraphes 91(26), 92(12) et, de façon encore plus importante encore, les articles 16, 17 et 18 visent plus particulièrement l'existence et les pouvoirs du Parlement. La confirmation du paragraphe 91(26) a été le résultat du premier jugement rendu dans l'affaire du mariage par le juge Pitfield. Vous avez mentionné le juge Pitfield et ses décisions dans la première série de ces arrêts.

Deuxièmement, est-ce que, tous les trois, vous avez entendu parler du renvoi relatif au mariage du Comité judiciaire du Conseil privé en 1912, et de ses conclusions?

Troisièmement, connaissez-vous l'origine de l'expression « célébration du mariage » utilisée au paragraphe 92(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 et les raisons de son inscription dans cette loi?

Il est vrai que les mariages religieux ont une composante civile et une composante ecclésiastique, et pas seulement religieuse. Tout mariage est également un mariage civil. C'est faire une fausse dichotomie que de croire que le gouvernement peut soudainement supprimer cette partie et l'appeler « mariage civil ». Les conditions requises pour le mariage avant la réception du mariage au Canada étaient, bien entendu, qu'il s'agissait d'un contrat civil, mais en même temps, il devait être célébré par un membre d'un ordre religieux. C'est incontestable étant donné la manière dont le mariage a évolué pour passer du droit civil au droit canon et ainsi de suite. Donc, c'est en partie incontestable.

Les gouvernements ne promulguent pas de lois. Ce matin, je vous ai entendu à maintes reprises dire cela. C'est une méprise assez répandue, mais c'est plutôt Sa Majesté dans son Parlement qui promulgue les lois, et non le gouvrnement. Il est à espérer que ce Parlement et ce Sénat ont un mot à dire dans tout cela.

J'aimerais vous lire des extraits de la décision du Comité judiciaire du Conseil privé en 1912 concernant le mariage et le divorce. Si vous la connaissez, savez-vous quelles questions ont été soumises à l'attention des tribunaux? Avez-vous entendu parler de ces questions? L'affaire est allée jusqu'en Cour suprême du Canada. La Cour suprême a pris un certain parti, et le gouvernement a décidé de soumettre l'affaire au Comité judiciaire du Conseil privé qui s'est déclaré en total désaccord avec la Cour suprême et a soutenu avec beaucoup de fermeté le droit des provinces en ce qui concerne la célébration du mariage. Les questions soumises à la Cour visaient à déterminer si le Parlement du Canada, à lui seul, pouvait décider de la validité des mariages. Je n'ai pas lu ce jugement depuis un bon bout de temps, mais j'ai ici un extrait que j'aimerais vous lire, pour le compte rendu, parce que c'est important. Voici ce qu'il dit, en substance :

Leurs seigneuries en sont arrivées à la conclusion que la compétence du Parlement du Dominion ne lui permet pas, suivant le sens véritable à donner aux articles 91 et 92, de couvrir la totalité du champ de la validité. Elles considèrent que la disposition contenue à l'article 92 conférant à la législature provinciale la compétence exclusive pour adopter des lois concernant la célébration du mariage dans la province, agit à titre d'exception sur les compétences accordées concernant le mariage par l'article 91, et permet à la législature provinciale de promulguer des conditions de célébration susceptibles d'avoir une incidence sur la validité du contrat.

Messieurs, ce n'est pas tout à fait ce que vous dites. Je ne veux pas entrer dans le sujet, mais ce fut à l'origine d'une énorme controverse en 1912. Le CJCP en est arrivé à une conclusion très claire et il a déclaré qu'il était de la compétence des provinces d'édicter qui pouvait se marier. En termes familiers, la décision stipulait que si les provinces, par exemple, voulaient promulguer que seuls les prêtres catholiques pouvaient célébrer des mariages, elles avaient l'autorité juridique de le faire, sans toutefois avoir l'autorité morale.

J'aimerais revenir à la question du mariage tel qu'il a fait son entrée au Canada. Au début, avec l'évolution du débat entourant la Confédération, on s'est beaucoup inquiété de ce que les provinces seraient tout à fait en faveur de ce qui allait devenir la loi constitutionnelle. Mon interprétation de l'évolution de la loi constitutionnelle montre clairement qu'initialement on avait prévu que le mariage et le divorce constitueraient un article distinct qui relèverait de la compétence du Parlement fédéral. Le seul mariage envisagé à l'époque de la création de la loi constitutionnelle était le mariage chrétien. Il ne faut pas se leurrer. Il ne faut pas prendre ses désirs pour des réalités.

Durant les débats entourant la Confédération, dès que les résolutions furent présentées, un certain M. Cauchon posa une question. Il s'agissait d'un député du Québec. Il s'adressa à Sir John A. Macdonald et lui dit que la loi sur le mariage avait des répercussions sur l'ensemble du Code civil. Il voulait savoir comment on pouvait envisager de la mettre sous la responsabilité d'une autre législature que celle qui était chargée de règlementer le reste du droit civil. Lors de la Conférence de Londres, on sépara la célébration du mariage de l'article sur le mariage et le divorce, mais ce fut sur l'ordre des catholiques qui redoutaient que les misérables protestants puissent tenter de leur imposer quoi que ce soit.

Pour en revenir à leurs seigneuries, elles ont déclaré en substance :

À première vue, il semble à leurs seigneuries que ces mots signifient que la totalité de ce que la célébration signifiait normalement dans le système judiciaire des provinces du Canada à l'époque de la Confédération devrait être de leur ressort, y compris les conditions ayant une incidence sur la validité.

Je lis dans un texte de loi, il ne s'agit pas d'un ouvrage de fiction. Honorables sénateurs, il s'agit de questions essentielles et importantes, parce que nous sommes en train de parler de l'évolution de la loi sur le mariage au Canada.

La présidente : Sénateur Cools, nous avons décidé d'accorder 10 minutes à chaque sénateur, et il vous reste encore une minute.

Le sénateur Cools : J'aimerais revenir à la relation qui existe entre le paragraphe 91(26) et le paragraphe 92(12). Le juge Pitfield a accepté la notion voulant que le Parlement, à lui seul, ne pouvait modifier la loi sur le mariage parce que cette loi était régie par le paragraphe 91(26), qui est une rubrique de compétence énumérée.

Le professeur Peter Hogg a représenté le gouvernement du Canada lors du renvoi relatif au mariage, en octobre dernier, et dans ses commentaires il a déclaré que le Procureur général du Québec fait valoir que l'article est en relation avec la célébration du mariage qui, bien entendu, est une rubrique de compétence provinciale en vertu du paragraphe 92(12). Voilà un intéressant phénomène, et je ne suis pas parvenue à comprendre sur le plan juridique comment le paragraphe 91(26), qui est également une rubrique de compétence, a pu être défaite devant les tribunaux, non par le juge Pitfield, qui l'approuvait, mais par les cours de justice de l'Ontario.

Dans l'arrêt Halpern c. Canada, les tribunaux de l'Ontario ont statué que le mariage tel qu'il est défini au paragraphe 91(26) possède la souplesse requise sur le plan constitutionnel pour répondre aux réalités changeantes sans élément constitutionnel.

Honorables sénateurs et collègues, il ne s'agit pas de la loi, mais plutôt de l'opinion et de la volonté d'un juge. La loi établit que l'on ne peut s'affranchir facilement des rubriques de compétence énumérées dans la Constitution.

Mme Dickey Young : Premièrement, lorsque le mariage a fait son entrée au Canada dans le cadre de la loi constitutionnelle, il ne s'agissait pas du mariage chrétien, mais plutôt du mariage anglican et du mariage catholique. Ce sont les deux seules confessions religieuses qui étaient autorisées à célébrer le mariage, au départ, en vertu de la Loi constitutionnelle, et par la suite, d'autres groupes chrétiens, et pour finir, les groupes juifs ont été autorisés à le faire.

Ce ne fut que dans les années 1750, en Grande-Bretagne, que tous ces aspects, en vertu de la Loi sur le mariage de Lord Hardwick furent ramenés sous la responsabilité du droit civil et du droit canon. Il a fallu attendre longtemps en Grande-Bretagne pour que tout cela soit ramené ensemble. Le fait que le Canada soit né au même moment et qu'il ait adopté la façon de voir des Britanniques en ce qui concerne le mariage est, en un sens, un pur accident historique.

M. Cyr : En tout respect, vous nous avez posé des questions sur la signification du paragraphe 91(26), en citant le juge Pitfield. L'opinion du juge Pitfield a été renversée par les Cours d'appel de la Colombie-Britannique, de l'Ontario et du Québec, de même que par la Cour suprême du Canada en se fondant sur l'arrêt Edwards. Dans cette affaire, la question était de savoir si les femmes pouvaient devenir sénateurs, parce que en 1867 le mot « personnes » n'incluait pas les femmes, et le Conseil privé avait déclaré qu'il fallait lui donner une interprétation évolutive. C'est en s'appuyant sur cette doctrine que le paragraphe 91(26) a été interprété. C'est également grâce à cette doctrine que nous pouvons voir des femmes siéger autour de cette table en tant que sénateurs.

Deuxièmement, tous les mariages ne sont pas automatiquement des mariages civils. À titre d'exemple personnel, je me suis marié suivant des rites religieux une certaine semaine, et la semaine d'ensuite, j'ai contracté un mariage civil. Ma femme et moi nous sommes mariés suivant une cérémonie vietnamienne traditionnelle au cours de laquelle aucun prêtre n'officie. Nous nous sommes mariés selon la tradition et nos croyances religieuses, mais nous n'étions pas civilement mariés avant la semaine suivante.

Pour ce qui est des antécédents historiques, j'invite les membres du Comité à consulter un rapport que j'ai remis au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes le 8 avril 2003. Dans l'annexe de ce rapport, vous trouverez le résumé des discussions et des questions y ayant été soulevées. Ces questions ont également été publiées dans un article indépendant qui y est cité en référence

Le sénateur Milne : Ma curiosité a été piquée par une question qu'a posée le sénateur St. Germain. Si l'Alberta décidait d'exercer son droit de retrait en matière de mariage, est-ce qu'elle pourrait décider de se retirer du mariage civil seulement ou serait-elle forcée de se retirer aussi de la délivrance des licences aux autorités religieuses qui célèbrent les mariages parce que cette licence est une licence civile?

M. Ryder : C'est une bonne question, et je n'y ai pas réfléchi sérieusement. Si l'Alberta décidait de se retirer du mariage, la première question importante à se poser serait plutôt de savoir si seulement elle est en mesure de le faire. Étant donné que la définition du mariage relève de la compétence fédérale pour les raisons que nous avons évoquées aujourd'hui, c'est-à-dire pour garantir l'uniformité d'un bout à l'autre du pays, déterminer si une telle décision serait inconstitutionnelle en tant que violation d'une compétence fédérale sur le mariage serait matière à discussion, parce que l'une des raisons de procéder à cette modification législative pourrait être de nier l'existence de l'état matrimonial en Alberta. Selon moi, une province ne pourrait pas faire cela.

Disons, pour les besoins de la démonstration, que j'ai tort et qu'il ne serait pas inconstitutionnel de se retirer de toute la question du mariage complètement, si l'Alberta en décidait ainsi. Dans ce cas, tout ce qui resterait ce serait les cérémonies religieuses sans aucune signification sur le plan juridique, et je pense que la province déciderait probablement de se retirer de cela aussi, si elle le pouvait, mais je ne pense pas qu'elle puisse le faire.

Le sénateur St. Germain : Est-ce que les Juifs ne possèdent pas une cérémonie religieuse de mariage depuis des temps immémoriaux? Vous avez dit que les religions n'ont jamais reconnu...

Mme Dickey Young : Non, j'ai dit que le mariage n'est pas essentiellement un état religieux. Ce n'est pas la même chose que de dire que les religions ont des intérêts dans le mariage. Bien certainement, le judaïsme possède un intérêt ancien et de longue date, même si ce n'est pas depuis ses tout débuts, dans le mariage, mais dans le mariage en tant que rite religieux plutôt que dans le mariage en tant qu'état civil.

[Français]

Le sénateur Prud'homme : Peut-être que le professeur Cyr pourra m'informer par la suite. C'était une bonne définition. Premièrement, ma demande s'adresse aux recherchistes de la bibliothèque parlementaire et concerne la définition du pacte français à laquelle il a fait référence.

Deuxièmement, en ce qui concerne la question de la protection des Églises, il y a eu une cause en Nouvelle-Écosse où une ancienne députée libérale avait refusé les préceptes du Concile Vatican I. Malgré cela, elle voulait continuer de recevoir la sainte communion, qu'elle s'est vue refuser par l'archevêque. Elle a poursuivi l'archevêque en question. Cependant, sa cause fut rejetée sous prétexte qu'il s'agissait d'une question de règles internes pour lesquelles on ne pouvait pas intervenir. Cela m'aiderait énormément si je pouvais obtenir ces deux informations avant demain. Cela appuiera les questions que j'aimerais poser au cardinal. Je vous remercie de votre patience.

La présidente : Merci beaucoup, vous constatez que nous sommes très intéressés par cette question. Nous avons même dépassé le temps alloué. Nous avons été très heureux de vous accueillir. Cela nous a aidé à approfondir les tenants et aboutissants de toute cette problématique. Merci beaucoup de votre présence. Nous avons apprécié que vous soyez disponibles.

[Traduction]

Nos prochains témoins sont M. Alex Munter, qui est le coordonnateur national de Canadians for Equal Marriage, et Laurie Arron, qui est la directrice des plaidoyers pour Égale Canada.

Bienvenue à notre Comité. Comme vous le voyez, nous allons vous poser des questions. Et vous entendrez aussi des commentaires durant les échanges.

M. Laurie Arron, directrice des plaidoyers, Égale Canada : Merci, madame la présidente, et mesdames et messieurs du Comité d'être avec nous aujourd'hui, malgré le fait que nous nous trouvions au beau milieu d'un été chaud et ensoleillé.

Je suis venu vous parler au nom de Egale, qui est une organisation canadienne oeuvrant pour faire évoluer l'égalité et la justice pour les personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles et transgenres, ainsi que pour leurs familles.

Le projet de loi C-38 remplit parfaitement le but qui consiste à mettre fin à la discrimination contre les couples de personnes de même sexe dans la loi fédérale sur le mariage, à la fois symboliquement et dans les faits.

Le projet de loi C-38 permettra au Canada de passer d'un méli-mélo complexe et incomplet en ce qui a trait à l'égalité et à l'inégalité du mariage à une loi uniforme, complète et conforme aux dispositions de la Charte des droits et libertés.

Le projet de loi C-38 vise davantage que de donner accès au mariage civil aux personnes lesbiennes et gaies. En effet, il vise à mettre fin au statut de deuxième classe attribué aux lesbiennes, aux gais, aux bisexuels et aux transgenres. Ce projet de loi traduit l'intention du gouvernement fédéral d'affirmer que tous les Canadiens devraient être inclus dans nos institutions publiques, quelle que soit leur orientation sexuelle. Il affirme que la Charte protège chacun d'entre nous et que le Parlement n'appliquera pas les dispositions de la Charte de façon sélective.

L'adoption du projet de loi C-38 mettra fin au débat sur le droit égal au mariage. Elle offrira confort, sécurité et un règlement final aux milliers de couples de même sexe des quatre coins du Canada qui sont déjà mariés. Elle affirmera aux millions de gais, de lesbiennes, de bisexuels et de bisexuelles et de transgenres canadiens que le Parlement les considère tout aussi dignes de respect et de considération.

Le projet de loi C-38 traduit l'impératif constitutionnel de légiférer en matière d'égalité du mariage. Cet impératif constitutionnel a été confirmé par les cours de justice, les unes après les autres, à neuf reprises, à ce qu'il me semble. Egale était présente chaque fois.

En plus de participer au processus politique, Egale a été l'une des principales parties en cause en Colombie- Britannique. Nous sommes intervenus dans les affaires présentées devant les tribunaux ontariens et devant la Cour suprême. Nous avons fait partie d'une coalition qui est intervenue dans une affaire judiciaire au Québec. Tous les tribunaux ont reconnu qu'exclure les couples de même sexe du mariage civil est inconstitutionnel. Ces tribunaux ont écouté tous les arguments et examiné toutes les preuves rassemblées par les opposants au mariage égal, et ils ont trouvé chaque fois que ces arguments n'étaient pas fondés, y compris ceux qui faisaient valoir l'existence d'un conflit avec la liberté religieuse ou l'intérêt des enfants.

Hier soir, je pense que l'on a posé une question concernant les preuves présentées. Des montagnes de preuves ont été présentées, y compris des preuves de nature sociologique, psychologique, historique, linguistique et, bien entendu, juridique. On a calculé qu'environ 15 experts de toutes les provinces avaient participé au débat, et chacun d'eux a présenté un exposé.

Par suite des décisions rendues par les tribunaux, le mariage égal est déjà inscrit dans la loi dans près de 90 p. 100 du Canada. Si quelqu'un s'inquiète encore de ce que le mariage égal puisse avoir force de loi, je suis désolé de lui apprendre qu'il est trop tard, que c'est déjà fait. C'est pourquoi l'adoption de ce projet de loi ne fera qu'uniformiser la loi d'un bout à l'autre du pays.

En décembre dernier, la Cour suprême a donné le feu vert au gouvernement en ce qui concerne sa loi sur le droit égal au mariage. Elle a déclaré que l'inclusion des couples de même sexe dans le mariage civil est non seulement conforme aux dispositions de la Charte, mais qu'en réalité elle en découle. Elle a également déclaré qu'il faut uniformiser la loi à l'échelle du Canada, et que les décisions qu'elle a refusé de remettre à l'étude sont obligatoires dans ces compétences.

Certains ont affirmé qu'ils préféreraient que le Parlement exclue les couples de même sexe du mariage civil et qu'il crée une institution juridique parallèle spécialement à notre intention, et que cette institution pourrait s'appeler l'union civile. D'aucuns ont même déclaré qu'en donnant accès au mariage civil lui-même on ne rendrait pas service aux personnes lesbiennes, gaies et bisexuelles en alléguant que nous avons le droit d'obtenir une institution distincte et que le gouvernement ne devrait pas nous empêcher d'avoir cette institution distincte.

Cependant, nous ne voulons pas être traités différemment. Nous voulons l'égalité véritable. Accepter une demande en vue d'offrir un traitement distinct pourrait peut-être faire avancer l'égalité, mais imposer une distinction non désirée et refuser de nous accorder le choix de se marier ne peut que nuire à l'égalité.

Dans ce cas, imposer un modèle d'union civile séparé constituerait un coup énorme pour notre égalité, d'autant plus que nous jouissons déjà du mariage égal dans 90 p. 100 du Canada. Nous trouvons l'idée de la mise en place d'une institution judiciaire séparée insultante et dégradante. Pour nous, cela équivaudrait à de la ségrégation. Il s'agirait d'un statut de deuxième classe. Dans ce grand pays qui est le nôtre, il n'y a pas de place pour les citoyens séparés et inégaux.

Certains ont suggéré que le Parlement pourrait et devrait créer cette institution juridique séparée en invoquant la disposition dérogatoire afin de suspendre la protection accordée par la Charte aux couples gais et lesbiens. De toute évidence, nous ne sommes pas d'accord avec cette suggestion, mais au moins elle reconnaît la réalité juridique comme quoi le recours à la disposition dérogatoire est le seul moyen d'exclure les couples de même sexe du mariage.

Je suis avocat. Désormais, il est établi qu'exclure les couples de même sexe du mariage civil est inconstitutionnel, comme je l'ai dit, et que le seul moyen de le faire consisterait à recourir à la disposition dérogatoire. Vous n'êtes pas obligé de me croire. Mais vous pouvez tenir compte de l'opinion des 134 professeurs de droit constitutionnel qui affirment la même chose. Je veux parler d'un document ayant été publié à la fin de janvier dans lequel 134 professeurs de droit constitutionnel des quatre coins du pays ont déclaré, « Il faut avoir recours à la disposition dérogatoire si on veut empêcher le mariage égal pour les couples de même sexe ».

Étant donné la situation qui prévaut maintenant, pour exclure les couples de même sexe du mariage civil, il faudrait non seulement invoquer la disposition dérogatoire afin de créer une restriction aux personnes de sexe opposé, mais aussi il faudrait que cette même disposition annule les milliers de mariages existants. Cette mesure serait draconienne et sans précédent. La disposition dérogatoire permettrait au Parlement de ne pas tenir compte des dispositions de la Charte de façon explicite durant une période de cinq ans. Après ces cinq années, le Parlement serait forcé de légiférer encore une fois; autrement, la disposition arriverait à expiration, et la restriction aux personnes de sexe opposé et les annulations cesseraient d'être valides dans les neuf compétences où les tribunaux se sont prononcés.

Jusqu'à aujourd'hui, le Parlement n'a jamais invoqué la disposition dérogatoire. Ce faisant, il créerait un dangereux précédent, et faciliterait les choses au Parlement s'il souhaitait déroger aux dispositions de la Charte relatives aux droits d'autres personnes dans le futur. Le Parlement devrait confirmer les dispositions de la Charte de la même manière pour tout le monde, et ne devrait pas choisir de façon sélective quelles sont les minorités qui méritent sa protection, et celles qui ne la méritent pas.

En plus de violer les dispositions de la Charte, le modèle d'union civile séparée comporte un autre problème. Le gouvernement fédéral ne possède pas la compétence pour la mettre en œuvre. En effet, la Cour suprême dans son Renvoi relatif au mariage entre personnes de même sexe a déclaré ce qui suit :

L'union civile ne constitue pas tout à fait un mariage et est donc régie par la province.

Non seulement la Cour suprême a-t-elle statué à l'unanimité que le gouvernement fédéral n'a pas la compétence nécessaire, mais elle a également affirmé que l'union civile « ne constitue pas tout à fait un mariage ». Comment une union civile pourrait-elle être égale au mariage alors que l'on reconnaît qu'elle n'est pas tout à fait un mariage?

Passons à la question de la liberté religieuse qui, de toute évidence, semble vous préoccuper énormément, honorables sénateurs. Les membres du groupe Egale de même que les Canadiens et les Canadiennes pour le droit égal au mariage sont fortement en faveur de la liberté de religion. Nous sommes d'avis qu'en portant atteinte à l'intégrité des garanties contenues dans la Charte on met en péril toutes les autres mesures de protection de la Charte. Cette question ne devrait pas être considérée comme un affrontement entre le droit à l'égalité et la liberté de religion parce que les deux sont compatibles. De fait, le mariage égal a pour effet de favoriser la liberté de religion. Le professeur Dickey Young a fait remarquer que beaucoup de religions sont prêtes à célébrer le mariage de couples de même sexe, et que la liberté de religion est favorisée parce que l'on donne à chaque religion la liberté de décider si elle accepte de marier les partenaires de même sexe.

En 2003, durant les audiences du Comité permanent de la justice de l'autre chambre, des groupes religieux opposés au droit égal au mariage ont déclaré qu'ils étaient inquiets à l'idée que le clergé soit bien protégé de l'obligation d'avoir à célébrer des mariages entre partenaires de même sexe. C'est pour cette raison que le Procureur général du Canada a décidé de faire un renvoi à la Cour suprême afin de donner l'assurance que cela ne se produirait pas. La Cour suprême du Canada a clairement stipulé que les autorités religieuses sont protégées à la fois dans leurs fonctions civiles et religieuses. Puisque la Charte est la loi prépondérante dans notre pays, la protection qu'elle offre est supérieure à celle des lois fédérales ou provinciales. Cela signifie que toute loi provinciale qui pénaliserait le clergé pour avoir refusé de célébrer un mariage entre partenaires de même sexe serait inconstitutionnelle. Les provinces le savent très bien, et c'est la raison pour laquelle l'Ontario a déjà inscrit cette mesure de protection dans son propre code des droits de la personne.

Le projet de loi C-38 reconnaît les dispositions relatives à la protection de la liberté religieuse contenues dans la Charte aux articles 3, 3.1 et 11.1 du projet de loi. L'article 3 du projet de loi C-38 reconnaît que la Charte protège les droits du clergé de ne pas célébrer de mariages si cela va à l'encontre de ses croyances religieuses. Les paragraphes 3.1 et 11.1 du projet de loi vont plus loin et cristallisent les mesures de protection offertes par la Charte, à la fois en ce qui concerne le statut d'organisme de bienfaisance et aussi, de façon plus générale, dans l'application de toute loi fédérale. Egale et les Canadiens et les Canadiennes pour le droit égal au mariage sont en faveur de ces protections, tout en reconnaissant que cette protection découle de la Charte et est exigée par elle.

Je vais maintenant céder la parole à Alex Munter des Canadiens et Canadiennes pour le droit égal au mariage.

[Français]

M. Alex Munter, coordonnateur national, Canadiens et Canadiennes pour le droit égal au mariage (CDEM) : Madame la présidente, c'est un honneur pour moi de comparaître devant vous aujourd'hui. J'aimerais tout d'abord mentionner que je devrai quitter à 15 heures pour enseigner un cours à l'Université Concordia à Montréal. Monsieur Laurie Arron se fera alors un plaisir de répondre à vos questions.

L'organisme Canadiens et Canadiennes pour le droit égal au mariage fut créé en 2003 dans le but de mener une campagne à travers le pays en faveur du projet de loi C-38. Les partenaires de CDEM représentent plusieurs millions de Canadiens et de Canadiennes. Parmi ces organisations, on retrouve Égale Canada, mais également la Fédération canadienne des étudiants et étudiantes, le Congrès du travail du Canada, la Société canadienne de psychologie, l'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux et bien d'autres groupes qui travaillent au niveau communautaire à l'échelle nationale.

L'adoption du projet de loi C-38 prouvera aux Canadiens et Canadiennes que la loi reflète la réalité sociale et légale du Canada. Elle leur démontrera que les conjoints de même sexe ne sont pas des citoyens et citoyennes de deuxième classe et qu'ils ont accès, sur le plan juridique, aux mêmes droits et aux mêmes protections que tout le monde, incluant la protection conférée par la Charte canadienne des droits et libertés.

Ce projet de loi indiquera aux citoyens et citoyennes de notre pays que le Parlement du Canada défend les droits de tous et toutes en vertu de la Charte et qu'il n'exercera pas ces droits de façon sélective.

[Traduction]

Une bonne partie de ce débat a tourné autour de la signification d'un mot, et les mots ont beaucoup de pouvoir. Certains pensent que le mariage est hétérosexuel par définition. Comme l'ont souligné les cours de justice de ce pays, il s'agit d'une exclusion définitionnelle ayant été utilisée à travers l'histoire pour exclure les minorités de la participation aux institutions publiques. Les tribunaux ont examiné les preuves et ont trouvé que le mariage convient très bien aux couples de même sexe. Cette conclusion repose sur l'expérience. Sur l'expérience des couples de même sexe qui se marient au Canada depuis plus de deux ans. Des milliers de couples sont en effet déjà mariés, et il se trouve que le mariage leur convient ainsi qu'à leurs enfants.

Des linguistes sont venus témoigner pour expliquer qu'il existe une différence entre le sens d'un mot et son référent. Par exemple, docteur signifie personne qui guérit. Dans le passé, seuls les hommes étaient docteurs. À l'époque, le référent pour le mot « docteur » ne s'appliquait qu'aux hommes. Lorsque les femmes ont commencé à être docteurs elles aussi, cela n'a pas changé le sens du mot « docteur », mais seulement sa fonction référentielle. Au cours du précédent exposé, nous avons entendu un meilleur exemple encore de l'ancienne définition du mot « personne » qui excluait les femmes durant les premières décennies de l'existence de notre pays.

L'idée du mariage parle de l'expression publique de l'amour et de l'engagement, des enfants, du soutien affectif et financier, de la reconnaissance juridique et sociale, c'est le sens du mariage. En donnant aux couples de même sexe accès au mariage, on n'en change pas le sens. On en change seulement la fonction référentielle. Il n'y a rien d'incompréhensible dans l'idée que des couples de même sexe soient mariés. Nous comprenons tous ce que cela veut dire. Cela veut dire la même chose que lorsque des couples formés de partenaires du sexe opposé sont mariés. Les couples de même sexe cadrent bien avec l'institution du mariage et, comme nous cadrons bien avec cette institution publique, la seule solution à notre exclusion consiste à nous inclure. Il n'y a tout simplement pas d'autre solution que la pleine égalité.

Il est important de réfléchir au fait que les Canadiens dans la sphère publique et au Parlement du Canada discutent de cette question depuis un cerain temps déjà. En effet, en 2003, comme l'a mentionné mon collègue, le Comité de la justice de l'autre chambre a parcouru le pays et a entendu des centaines de personnes et de groupes de toutes les régions. Ce comité a entendu près de 500 témoins. Nous avons tenu tout un débat dans notre pays. Je n'énumérerai pas toutes les étapes, mais il est instructif de savoir qu'à ce jour, de 2 à 3 p. 100 des Canadiens ont mentionné ne pas avoir d'opinion sur le sujet. Je me dis toujours qu'il doit s'agir de personnes qui ne lisent pas les journaux.

Il est important de faire remarquer que le projet de loi C-38 réalise l'objectif qui consiste à atteindre l'égalité complète en matière de mariage, non seulement dans les quatre provinces où il n'existe pas encore, mais aussi dans les neuf où le mariage égal est déjà prévu par la loi. Même si les couples de même sexe ont accès au mariage civil dans ces neuf provinces, il reste qu'il subsiste des incohérences dans la loi. Le projet de loi C-38 corrige ces incohérences par l'adoption des modifications consécutives contenues dans divers articles du projet de loi. Le projet de loi C-38 évite aux couples de même sexe d'avoir à faire appel aux tribunaux pour s'assurer de leur droit égal au mariage, ou d'avoir un traitement égal, une fois mariés. Dans toutes les provinces où des couples de même sexe ont présenté des revendications en vue d'obtenir le droit égal au mariage, le gouvernement fédéral a reçu l'ordre de payer leurs frais d'avocat. L'adoption du projet de loi C-38 permettra au gouvernement d'économiser ses propres frais et les dépens des couples qu'on lui ordonnera d'acquitter, si le projet de loi devient une loi.

[Français]

Si le projet de loi C-38 n'est pas adopté, l'actuelle mosaïque de lois continuera d'exister et les conjoints de même sexe continueront de se marier dans les provinces et territoires où vivent plus de 90 p. 100 de la population canadienne. Dans les autres provinces et territoires, ils seront obligés de comparaître devant les tribunaux pour obtenir accès au mariage civil.

Il est aussi important de souligner que, selon un sondage récent de la firme Ipsos-Reid, 39 p. 100 des Canadiens jugent que les débats actuels sur le droit égal au mariage et la façon dont ils ont été menés n'ont fait qu'intensifier la discrimination à l'égard des gays et des lesbiennes, alors qu'à peine 9 p. 100 considèrent qu'ils ont permis de la réduire. On parle ici d'un débat qui a eu lieu pendant des années au Canada; il est temps pour le Parlement de trancher la question.

Si le projet de loi C-38 n'est pas adopté, on tentera sans aucun doute de faire marche arrière en matière d'égalité, de retirer le droit au mariage aux couples de même sexe et d'annuler les mariages déjà célébrés. Cela soulève la question de la clause nonobstant, déjà abordée par M. Arron, qui serait pour le Parlement la seule façon d'agir. On le reconnaît d'ailleurs dans le préambule du projet de loi C-38.

C'est un moment historique ; je crois que c'est un moment de fierté pour le Canada comme pays qui a toujours célébré les droits de la personne et qui est respecté à l'échelle mondiale comme étant un leader dans le domaine des droits de la personne. Je vais m'arrêter ici et je suis prêt à répondre à vos questions.

[Traduction]

Le sénateur St. Germain : Monsieur Arron, vous avez fait référence à l'uniformité à l'échelle du Canada. Avez-vous l'impression que cette uniformité existe à l'heure actuelle? Chaque province est unique de son plein droit. Comment pouvez-vous voir une uniformité dans ce pays alors que chaque province possède le droit de déterminer ses propres règles concernant le mariage? La responsabilité relative à la célébration du mariage incombe uniquement aux gouvernements provinciaux. La situation qui existe et votre déclaration de ce matin sont contradictoires. Peut-être pourriez-vous nous éclairer sur ce point.

M. Arron : C'est une bonne question. Vous soulignez, à juste titre, que chaque province est unique et libre d'adopter ses propres règles entourant la célébration.

Peut-être n'ai-je pas utilisé le bon mot. Je me suis servi du mot utilisé par la Cour suprême. Je faisais allusion à l'idée que la loi fédérale sur le mariage devrait être uniforme dans tout le pays. Les mariages entre partenaires de même sexe devraient être reconnus partout au pays, de sorte que si un couple de même sexe se déplace dans une autre province il ne se retrouve pas avec un statut juridique différent. À l'heure actuelle, il se peut que leur mariage soit reconnu dans une province, mais pas dans une autre. Il se peut également qu'ils aient le droit de divorcer dans une province, mais pas dans une autre. Il est important qu'il y ait de l'uniformité dans ce pays, comme nous l'ont fait remarquer les professeurs qui viennent de témoigner.

Le sénateur St. Germain : Est-ce que votre organisation a joué un rôle dans l'une ou l'autre des affaires suivantes, soit Brockie, Kempling, l'évêque Henry à Calgary, et une autre affaire en Saskatchewan?

M. Arron : Dans cette liste, nous n'avons participé qu'à l'affaire Brockie. Il s'agit d'une affaire dans laquelle un imprimeur, Scott Brockie, de Toronto, a refusé d'imprimer du papier à en-tête et des cartes de visite pour les Canadian Lesbian and Gay Archives. Il y a eu une plainte relative aux droits de la personne, et il a perdu. Lorsque l'affaire a été portée en appel, le tribunal a confirmé la décision comme quoi lorsque l'on offre un service public, on doit le faire sans discrimination. La décision a également précisé que tout dépendait du genre de service à offrir. On a expliqué que l'impression de papier à en-tête et de cartes de visite représente un service assez simple. Il n'est pas nécessaire de s'investir beaucoup personnellement pour le réaliser, il suffit de mettre du papier dans une machine. Et le jugement a poursuivi en ajoutant que si l'on est appelé à faire quelque chose exigeant un plus grand investissement sur le plan personnel, il y aurait lieu de prévoir des accommodements.

De toute évidence, je pense que le rôle d'un commissaire de mariage qui doit présider la célébration d'un mariage de partenaires de même sexe présente une contrainte supérieure à celle qui consiste à insérer des feuilles de papier dans une photocopieuse. À mon avis, le tribunal a énoncé clairement le principe comme quoi il devrait y avoir des accommodements prévus pour les commissaires de mariage. Cette affaire est un bon exemple parce qu'elle exprime que la liberté de religion peut avoir besoin d'une protection évolutive.

Le sénateur St. Germain : Autrement dit, si les Canadian Lesbian and Gay Archives avaient produit un document faisant la promotion du mariage entre partenaires de même sexe, et non seulement des cartes de visite, est-ce que M. Brockie aurait été obligé de les imprimer même si cela allait à l'encontre de ses croyances religieuses?

M. Arron : Le tribunal n'a pas statué sur une autre situation factuelle. Toutefois, il a précisé que lorsqu'il s'agit d'effectuer quelque chose de plus que d'imprimer des cartes de visite et du papier à en-tête, il y a lieu de prévoir des accommodements.

Le sénateur St. Germain : Il y a lieu de prévoir des accommodements? Donc, c'est hypothétique.

M. Arron : Tout dépend des faits. Si l'Alliance évangélique du Canada me demandait de la représenter dans une affaire visant à empêcher des couples de même sexe de se marier, je serais autorisé à refuser parce que, en tant qu'avocat, je serais personnellement mis en cause dans la prestation de ce service. Le tribunal a statué que le service doit être offert lorsqu'il n'y a pas d'engagement personnel en cause. Il n'y a pour ainsi dire aucun engagement personnel dans le fait d'insérer du papier à lettres dans une photocopieuse. Toutefois, dans les circonstances où l'on doit s'engager davantage sur le plan personnel, on peut décider de ne pas offrir le service.

Le sénateur St. Germain : De votre point de vue professionnel, n'avez-vous pas l'impression que le système judiciaire a davantage penché pour l'égalité des droits au détriment de la protection des croyances religieuses dans le contexte de la Charte?

M. Arron : Non, pas du tout. Lorsque l'on considère ce qui est au coeur de la liberté de religion, c'est-à-dire l'idée qu'une personne est libre d'avoir ses propres croyances religieuses et de pratiquer sa propre religion, on constate que ce principe est sacrosaint. Et qu'il est toujours protégé. C'est d'ailleurs ce qui explique pourquoi personne n'a encore entamé de poursuite contre l'Église catholique qui refuse d'ordonner des femmes prêtres ou de marier les personnes divorcées. C'est aussi pourquoi la protection est 100 p. 100 absolue en ce qui concerne l'obligation du clergé de célébrer des mariages entre partenaires de même sexe.

De notre point de vue, nous nous demandons ce qui se passerait si les motifs étaient différents? Que se passerait-il si les motifs étaient la race ou la religion plutôt que l'orientation sexuelle? Anciennement, certains avaient dans leurs croyances religieuses des motifs d'être contre les mariages interraciaux. La Cour suprême des États-Unis a rendu un arrêt appelé Loving c. Virginia. On y faisait valoir l'argument que Dieu avait mis les Blancs en Europe et les Noirs en Afrique, parce qu'il ne voulait pas que les races se mélangent, et par conséquent, que Dieu était contre les mariages interraciaux. Ces arguments ont été présentés. Évidemment, si quelqu'un refusait de fournir un service à un couple interracial, il faut se demander comment on envisagerait la situation.

Cependant, la sphère publique est différente de la sphère religieuse. En effet, dans la sphère religieuse, les mesures de protection sont claires. Et même dans la sphère publique, comme je l'ai mentionné dans l'affaire Brockie, on constate qu'il existe des mesures de protection importantes, mais que cette protection n'est pas absolue.

Le sénateur St. Germain : De quelle protection jouissent les organisations religieuses? La raison pour laquelle je soulève la question c'est que nous mentionnons l'évêque Henry en raison de la lettre qu'il a adressée à ses paroissiens. Il a été traîné devant un tribunal de la commission des droits de la personne. À mon avis, tout passage de la bible ayant trait au comportement homosexuel pourrait être jugé offensant.

J'ai accordé une interview à une station de radio chrétienne, la semaine dernière. C'est le directeur de la station qui menait l'entrevue. Je lui ai demandé son opinion sur la question. Il m'a répondu que s'il avait le malheur de se prononcer, il recevrait des appels le menaçant de le traîner devant les tribunaux. Il a avoué qu'il était terrorisé.

Votre organisation assume également la responsabilité de s'occuper de ces sujets d'inquiétude, mais je n'ai pas l'impression que vous le faites. Vous avez joué un rôle dans l'arrêt Brockie, mais est-il exact que vous n'avez pas participé à aucune autre de ces affaires?

M. Arron : C'est exact.

Le sénateur St. Germain : Comment faut-il procéder dans des situations comme celle que vit ce directeur de station de radio?

M. Munter : Pour en finir d'abord avec l'évêque Henry, à moins qu'il n'y ait eu des nouvelles de dernière heure depuis deux ou trois jours et que je ne sois pas au courant, la décision n'a toujours pas été rendue dans cette affaire. Je ne sais même pas si la Commission des droits de la personne a décidé de porter l'affaire devant un tribunal. Dans cette affaire, d'après ce que nous en savons, l'auteur de la plainte n'est aucunement associée à quelque organisation que ce soit et n'est ni une lesbienne ni un gai. Comme vous le savez, n'importe qui peut s'adresser au tribunal en tout temps. Cela ne signifie pas pour autant que la contestation est valide ou qu'elle sera retenue en dernière analyse.

Les Canadiens et Canadiennes pour le droit égal au mariage se sont clairement exprimés à ce sujet, et même si nous sommes totalement en désaccord avec les commentaires de l'évêque Henry, il reste qu'il est tout à fait en droit de les faire, et je m'attends à ce que ce processus débouche sur cette conclusion ultime. Vous avez cité une affaire dans laquelle la décision n'a pas été rendue.

Le sénateur St. Germain : Seriez-vous prêt à prendre sa défense?

M. Munter : Absolument. Certainement pas en ce qui concerne le contenu de ses remarques, mais je suis prêt à le défendre. Nous nous sommes exprimés publiquement sur cette question. Il est important dans ce débat de ne pas se laisser aller à des positions extrêmes — et il y en a chez les deux parties — pour définir ce débat. Vous trouverez des gens qui sont de notre côté et qui ont adopté des positions extrémistes, et je trouverai des gens qui sont de votre côté et qui ont eux aussi adopté des positions extrémistes. Pour tenir un débat responsable sur la place publique, il est important de ne pas laisser ces gens déterminer la forme que prendront les échanges.

Le sénateur Cools : Madame la présidente, pour l'information des honorables sénateurs qui ne sont pas de la région d'Ottawa, M. Alex Munter a siégé au conseil municipal durant de nombreuses années. Et en fait, je pense qu'il a été le plus jeune conseiller municipal que l'on ait jamais élu, et par ailleurs il a fait un travail remarquable durant son mandat.

Monsieur Arron, avez-vous dit que la Charte des droits et libertés est la loi prépondérante dans ce pays?

M. Arron : Je voulais dire non seulement la Charte, mais la Constitution dans son ensemble.

Le sénateur Cools : Ce n'est pas ce que vous avez dit.

M. Arron : Non. J'ai dit la Charte, et je m'en excuse.

Le sénateur Cools : Je voulais seulement savoir si j'avais bien entendu.

M. Arron : Oui, vous avez bien entendu.

Le sénateur Cools : Très bien. Maintenant, vous dites vouloir corriger ce que vous avez dit.

M. Arron : En effet, la Charte est la loi prépondérante dans ce pays, mais ce n'est pas la seule loi prépondérante — c'est l'ensemble de la Constitution qui l'est.

Le sénateur Cools : Ou bien la Charte est la loi prépondérante ou bien elle ne l'est pas. On ne cesse de répéter que la Charte des droits et libertés est la loi prépondérante au pays, et c'est faux. La Charte des droits et libertés est seulement un petit élément de la Constitution du Canada. La Charte des droits et libertés stipule que la Constitution du Canada est la loi suprême du Canada. Il est question de suprématie. Comme je l'ai répété maintes fois, la Charte n'a jamais eu pour objet de subordonner le Parlement aux tribunaux ou à quoi que ce soit d'autre. Vous vous êtes expliqué là-dessus.

Nous affirmons tranquillement que des individus peuvent faire ceci ou cela, mais Scott Brockie est un particulier qui essaie de gagner sa vie en exploitant une imprimerie, et aujourd'hui il se retrouve très endetté à cause de ses frais d'avocat. Qui en porte la responsabilité? Il ne suffit pas de dire que les tribunaux vont le rembourser. Le fait est que son entreprise a été affectée.

Je comprends que les gens adoptent différents points de vue sur le fond des questions, mais j'appartiens au groupe qui croit que, peu importe les positions que l'on prend sur le fond d'une question, étant donné la primauté du droit, nous avons tous la responsabilité de nous assurer que les processus sont correctement suivis.

Je crains qu'à l'occasion, monsieur Arron, vous ne soyez tellement ravi des succès que vous avez remportés que vous en oubliez de confirmer que le processus lui-même a été abandonné dans bien des cas. À titre d'exemple, je vais me référer à la Cour suprême. Je pense que ce renvoi a été demandé par ce gouvernement justement pour éviter de tenir un débat à la Chambre des communes, comme ce fut le cas. Je pense que l'on a soumis cette affaire à la Cour dans l'espoir d'obtenir une décision que le gouvernement aurait pu ensuite présenter aux membres du Parlement, comme il le fait dans le préambule de ce projet de loi et comme il l'a déjà fait aussi dans le préambule du projet de loi C-20, la Loi sur la clarté, en disant voici ce que la Cour a statué.

Sur le plan constitutionnel, j'ai de la difficulté à accepter que des gouvernements se conduisent ainsi.

Qu'est-ce qui vous fait sourire?

M. Arron : Je souris parce que je pense que vous avez déjà défendu cette position clairement lors de votre intervention devant la Cour.

Le sénateur Cools : J'ai défendu les droits du Parlement et des parlementaires à titre personnel. J'ai également fait une chose assez inusitée, j'ai défendu l'état du droit. J'en suis venue à ma conclusion sur le mariage en m'appuyant sur mon interprétation de la loi. C'est peut-être nouveau, mais c'est ainsi que j'y suis parvenue.

Pour ce qui est de M. Brockie, quelle est, à votre avis, votre responsabilité en tant qu'organisation dans vos recherches et vos conclusions? Quelles responsabilités avez-vous de vous assurer que les gouvernements respectent les systèmes d'un gouvernement responsable et évitent de les contourner? N'avez-vous pas la responsabilité en tant que citoyen de faire respecter l'ensemble de la Constitution dans le contexte de la gouvernance?

Bon nombre de parlementaires, et en particulier des Libéraux réprouvent la manière dont ce gouvernement s'est occupé de cette question. J'ai démissionné, aussi je peux aujourd'hui m'exprimer plus librement.

M. Arron : Premièrement, Égale s'est engagée à faire respecter la loi, et cela comprend à la fois l'essence de la loi et le processus qui en découle. Nous essayons d'éviter d'aller devant les tribunaux. Nous informons le gouvernement qu'une loi est injuste et qu'elle viole nos droits à l'égalité tels qu'ils sont stipulés dans la Charte, et nous lui demandons de la modifier.

Bien souvent, malheureusement, le gouvernement ou le Parlement ne fait rien et nous n'avons alors pas le choix de faire appel aux tribunaux. Vous avez mentionné que Scott Brockie s'est retrouvé lourdement endetté en raison des frais. La communauté des gais, des lesbiennes, des bisexuels et des bisexuelles ainsi que des transgenres a dépensé des sommes considérables pour faire appel à la justice. La plupart du temps, ceux qui s'engagent dans une contestation judiciaire le font parce qu'ils sont victimes d'injustice. Non seulement sont-ils endettés, mais ils doivent aussi être prêts à soutenir des luttes en public, y compris dans les médias, et leur vie privée est étalée au grand jour. C'est un coût très élevé que nous avons dû assumer.

J'ai entendu un commentaire comme quoi le mouvement pour la défense des droits des gais disposerait de beaucoup d'argent. En réalité, et même en faisant un effort d'imagination, c'est faux. En règle générale, nous n'avons pas à payer nos avocats. En effet, les avocats travaillent à titre bénévole. Ce sont nos communautés qui ont dû porter le poids de voir à ce que la loi soit conforme à la Constitution.

Le sénateur Cools : J'aimerais ajouter, pour les besoins de la discussion, que pendant des années, lorsque les citoyens souhaitaient voir un changement apporté à la loi sur le mariage, ils s'adressaient directement au Parlement. Les modifications relatives au mariage étaient normalement prises en compte par des projets de loi d'initiative privée ou par des projets de loi du Parlement. Votre organisation aurait pu présenter une pétition au Parlement, et plus particulièrement au Sénat.

M. Arron : C'est ce que nous avons fait.

Le sénateur Cools : Une pétition? Je ne pense pas.

M. Arron : Non. Nous avons parlé à des représentants du gouvernement. Nous sommes en pourparlers avec des représentants du gouvernement depuis des années et des années.

Le sénateur Cools : Peut-être que cela a été une erreur...

M. Arron : Je pourrais vous signaler...

La présidente : Sénatreur Cools, laissez le témoin répondre.

M. Arron : Peut-être en effet que ce fut notre erreur que de ne pas nous adresser à vous ou aux autres sénateurs pour vous demander un projet de loi. Je sais que lorsque la Loi canadienne sur les droits de la personne a été modifiée en 1996, le mouvement avait été amorcé par l'amendement présenté par le sénateur Kinsella demandant que l'orientation sexuelle soit inscrite dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Évidemment, nous applaudissons le sénateur pour cette initiative. En nous félicitons le Sénat d'avoir fait évoluer cette question.

Je suis d'accord avec vous que cela aurait été fantastique que le Sénat présente un projet de loi visant à permettre aux couples de même sexe d'avoir accès au mariage civil.

Le sénateur Cools : Je pensais au processus. Au Canada, il fut un temps où le processus aurait été de présenter une pétition en vue d'obtenir un projet de loi. Je me suis souvent demandée pourquoi vous ne l'aviez pas fait. C'est la première occasion qui m'est offerte de vous poser la question. Toutefois, je crois comprendre.

Ma dernière question a rapport aux aspects financiers. En ce qui concerne le cas de Scott Brockie, j'avais l'impression que la plainte ne portait pas sur l'impression de papier à en-tête et de cartes de visite. Scott Brockie avait l'habitude de faire des travaux d'impression pour des organisations et des particuliers gais à Toronto. Cependant, pour une raison ou pour une autre, il s'est opposé fermement à l'impression de quelque chose en particulier — je ne sais pas comment l'appeler — un document. Il n'avait aucune objection à faire des travaux d'impression pour les gais. Son objection portait sur un matériel précis qu'on lui avait demandé d'imprimer. C'est ce que j'ai compris de toute l'histoire. Mais je peux me tromper.

M. Arron : La preuve révèle qu'il a effectivement réalisé des travaux d'impression pour des gais et des lesbiennes à titre personnel, mais qu'il ne voulait pas faire la même chose pour une organisation de personnes gaies et lesbiennes. Il considérait que les archives étaient un groupe de revendication, ce qui est faux. Ce n'est qu'un groupe de bibliothécaires — sans vouloir manquer de respect aux bibliothécaires. Mais en tout cas, ce n'est pas un groupe de revendication.

Le sénateur Cools : Pendant que vous y êtes, monsieur Arron, vous dites que votre organisation a dû absorber d'énormes frais. Si j'ai bien compris, le gouvernement fédéral s'est montré généreux avec votre organisation pour ce qui est des contestations judiciaires, des programmes, et ainsi de suite. Par exemple, dans le cas de la décision de la Cour d'appel de l'Ontario, j'ai l'impression que le tribunal a ordonné au gouvernement fédéral de payer vos dépens. Mais je peux me tromper, naturellement. Je crois comprendre que votre organisation a amplement bénéficié des largesses du gouvernement fédéral, alors que, par exemple, les intervenants n'ont rien reçu. Ils n'ont jamais reçu un sou que ce soit de la part du Programme de contestation judiciaire ou d'un autre programme. Je peux me tromper. Mais peut-être pourriez-vous éclairer notre lanterne.

M. Arron : Premièrement, il convient de faire la distinction entre une situation où un tribunal accorde les dépens et le Programme de contestation judiciaire.

Le sénateur Cools : Évidemment, je connais la différence entre les deux. Je ne dis pas qu'ils sont pareils, je dis seulement que dans les deux cas ils sont financés à même les deniers publics. C'est ce que je voulais dire.

M. Arron : Peut-être bien. Les tribunaux ont accordé les dépens dans les diverses affaires liées au mariage dans les neuf provinces. Les tribunaux ont attribué les dépens au gouvernement dans chacune de ces affaires. Maintenant, la question à se poser est la suivante : pourquoi le gouvernement s'est-il entêté à défendre ces causes? Pourquoi les provinces ne reconnaissent-elles pas nos mariages? Pourquoi ne délivrent-elles pas de licence de mariage alors que la loi est on ne peut plus claire à ce sujet? Les tribunaux ont statué et ils ont posé la même question : pourquoi ne pas faire ce que la loi stipule? C'est pourquoi les tribunaux ont attribué les dépens au gouvernement.

Egale n'a jamais tiré profit de la situation. Égale, même alors que...

Le sénateur Cools : Ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Arron : Vous avez dit que le gouvernement avait « financé Égale ».

Le sénateur Cools : Non, je dis qu'il a financé les travaux de recherche, vos argumentations et les dépens.

M. Arron : Je le répète, cet argent n'a servi qu'à...

La présidente : Sénateur Cools, laissez-le vous répondre et votre temps est écoulé.

M. Arron : Lorsque les dépens sont attribués, ils sont versés à nos avocats. Ce n'est pas nous qui en bénéficions. Lorsque nous obtenons de l'argent du Programme de contestation judiciaire, et c'est seulement lorsque nous contestons des lois fédérales en vertu de l'article 15, ces sommes ne représentent qu'une petite fraction des frais d'avocats réels. Mais dans ces cas également, les avocats agissent à titre bénévole. Les sommes attribuées servent à payer les dépenses et une petite partie des honoraires, mais une très petite partie, en vérité.

Le sénateur Cools : Je tiens à dire, pour le compte rendu, que je n'essaie pas d'insinuer que Égale a pu obtenir des avantages financiers. Le fait est que Égale est une organisation qui, dans la poursuite de ses objectifs sur le plan juridique, a obtenu un appui appréciable de la part du gouvernement pour ce qui est du paiement des honoraires de ses avocats, ce qui n'est pas le cas des intervenants ou de toute autre personne qui défend l'autre côté de la question.

M. Arron : Pour que les choses soient claire, Égale agit de façon générale à titre d'intervenant. L'affaire relative au mariage s'est déroulée en Colombie-Britannique. C'était la première fois que nous agissions en tant que partie. Je tiens seulement à ce que ce soit bien clair.

Le sénateur Cools : Je vous le concède. Mais le fait est qu'il y avait d'autres parties aussi. Et il se trouve que votre organisation a bénéficié de l'argent des contribuables...

La présidente : Sénateur Cools, votre temps est écoulé.

Le sénateur Cools : ... contrairement à tous les autres.

Le sénateur Milne : Madame la présidente, j'ai une petite question. Ce matin, lors des échanges avec le précédent groupe de témoins, on a laissé entendre qu'en ce qui concerne les demandes d'appel et les contestations judiciaires, la communauté gaie était bien financée. On n'a pas dit qu'elle était riche, mais plutôt qu'elle était bien financée. Seulement pour rectifier la situation...

Le sénateur Joyal : Pour rectifier?

Le sénateur Milne : Je vous fais mes excuses. Je ne voulais pas faire de jeu de mots.

Pour poursuivre dans la foulée des questions du sénateur Cools, quelles sont les source de financement à la disposition de Egale et de la communauté gaie? Je ne veux pas de chiffres. J'aimerais seulement avoir une idée de l'ampleur de ces moyens financiers. Seraient-ils du même ordre que, disons, l'Église catholique, l'Église anglicane ou même l'Église Unie, qui ont adopté la position contraire?

M. Munter : Je peux répondre à cette question en ce qui concerne les Canadiens et Canadiennes pour le droit égal au mariage qui est une coalition de groupes n'ayant reçu aucune aide financière du gouvernement et qui ne fait que la promotion et la défense de ses droits. À titre de comparaison, on a des preuves qu'un seul groupe défendant l'autre côté de cette question a reçu l'équivalent de 1,3 million $ en biens et services sur une période de trois ans de l'organisation américaine homologue. Ces chiffres proviennent de renseignements tirés des dossiers du Internal Revenue Service des États-Unis. Cette organisation a comparu devant le Comité permanent de la justice de la Chambre des communes. J'ignore si elle a l'intention de comparaître dans cette chambre.

Seulement pour situer les choses dans leur contexte, ce montant de 1,3 million $, qui n'est qu'une fraction de leur budget mais qui correspond à la somme qui leur a été fournie par leur homologue américaine sous la forme de biens et de services, aurait pu financer la totalité de la campagne de notre organisation pendant environ cinq ans. En termes d'échelle, vous avez raison, il est important de garder le sens des proportions.

Le sénateur Cools : Madame la présidente, je fais un rappel au règlement, dans la mesure où le témoin a déjà dit ce qu'il vient de dire, il devrait nommer cette organisation.

M. Munter : Je vous le dirai avec plaisir. Il s'agit de Focus on the Family Canada.

Le sénateur Joyal : Dans le contexte où le Parlement déciderait d'adopter le projet de loi C-38, quelle initiative pourriez-vous envisager afin de renouer, si je peux m'exprimer ainsi, avec les communautés religieuses qui ne sont pas en faveur des objectifs du projet de loi C-38?

Les Autochtones ont un concept qu'ils qualifient de processus de guérison au cours duquel les parties sont réunies, non pas pour modifier leur point de vue, mais plutôt pour apprendre à vivre ensemble dans le respect de l'autre.

Peut-être est-il trop tôt pour poser la question, mais est-ce que vous envisagez dans un avenir rapproché d'entreprendre des activités destinées à faire en sorte que les Canadiens puissent continuer à vivre en bonne intelligence dans leurs collectivités? Il est de notoriété publique que des gais et des lesbiennes doivent affronter le problème du rejet par le groupe confessionnel auquel ils appartenaient traditionnellement, et surtout dans le contexte du débat ayant contribué à polariser l'opinion. Que diriez-vous sur cette question en tant qu'association responsable soucieuse de la qualité de la société dans laquelle nous vivons, ici au Canada?

M. Munter : Vous avez tout à fait raison, c'est très important. La grande victoire remportée par ce projet de loi est une victoire pour les valeurs canadiennes. Il s'agit d'une victoire pour la liberté de religion, mais aussi pour que cesse l'exclusion et la discrimination. C'est donc l'expression de ces valeurs canadiennes.

Je vous concède qu'il est important pour les personnes de bonne volonté, quelle que soit leur opinion sur cette question, qu'une fois que la sanction royale aura été donnée et que les passions entourant ce débat se seront calmées, de s'asseoir pour réfléchir aux moyens à prendre pour vivre à la hauteur de l'idéal canadien. Cet idéal a toujours été celui d'un pays formé de régions et de populations diversifiées, et ayant des points de vue variés; il faudra donc réfléchir à la manière de vivre en bonne intelligence dans ce merveilleux pays. Je pense en effet qu'il est important de tenir des discussions à bâtons rompus sur la question, mais vous avez tout à fait raison, cela ne se fera pas sans mal.

M. Arron : Je suis de tout cœur avec ce que vient de dire M. Munter. Il ne fait aucun doute que notre approche a consisté à reconnaître que les gens ont des points de vue différents, et que vivre ensemble, dans la paix et l'harmonie malgré les divers points de vue est ce qui caractérise le mieux Canada. Il faut se respecter les uns les autres et faire en sorte de mieux se connaître sur le plan personnel. Beaucoup de Canadiens ne connaissent peut-être pas de gais, de lesbiennes, de bisexuels ou de transgenres personnellement, ou peut-être qu'ils les connaissent, mais qu'ils ignorent qu'ils sont gais, lesbiennes, bisexuels ou transgenres. Apprendre à nous connaître, et en ce qui nous concerne, apprendre à connaître ceux qui sont opposés à ce projet de loi sur le plan personnel est vraiment ce qu'il faut faire pour mieux se comprendre les uns les autres et se considérer avec compassion. Mais avant de pouvoir le faire de façon systématique, comme le disait M. Munter, il faudra réfléchir un peu à la question.

Le sénateur St. Germain : Monsieur Munter, vous dites que l'on a remporté une victoire pour la liberté de religion. Je ne comprends pas comment vous en arrivez à cette conclusion. Comme l'a fait remarquer le sénateur Joyal, ce débat a divisé certaines communautés et les a polarisées. Comment pouvez-vous voir comme une victoire le fait que le projet de loi C-38 soit une tentative en vue de renforcer la liberté de religion? J'admets que votre côté a remporté une victoire, mais pas la liberté de religion. Si la liberté de religion n'était pas menacée, nous n'aurions pas le préambule qui s'efforce de justifier que la liberté de religion est totalement protégée. Pourriez-vous nous expliquer en quoi cela constitue une victoire? Comme vous le savez, l'option que j'ai choisie ne laisse aucun doute.

M. Munter : Non, en effet. Je vais vous répondre de deux manières. Premièrement, il est important de reconnaître que la Charte des droits et libertés protège chacun d'entre nous. La victoire est qu'il est important de reconnaître que grâce à cette loi, la protection des droits d'une minorité, la reconnaissance de cette minorité n'entraînent d'aucune manière la diminution des droits d'une autre minorité. Ce principe important est inscrit dans la Charte. Le projet de loi repose sur les piliers que constituent la liberté de religion et la fin de l'exclusion et de la discrimination relatives au mariage civil.

Le deuxième point, qui est plus pragmatique, plus pratique, est que l'une des raisons pour lesquelles ce débat a été tellement polarisé est qu'il a flotté beaucoup de désinformation dans l'air. J'ai pris connaissance de documents suggérant que le clergé serait forcé de célébrer des mariages entre partenaires de même sexe ou que des Églises seraient sur le point de perdre leur statut d'organisme de bienfaisance. Si vous vivez ici, à Ottawa, et que vous connaissez bien la loi, vous savez très bien que c'est faux. Cependant, si vous vivez en Colombie-Britannique, que vous lisez ce courriel et que vous êtes déjà un peu préoccupé au sujet de cette loi, et que vous pensez que votre statut d'organisme de bienfaisance est en péril, cela risque d'alimenter le genre de polarisation que vous venez de décrire.

Lorsque le projet de loi aura été adopté et qu'il aura reçu la sanction royale, les Canadiens constaterons que toutes ces histoires d'horreur et ces prédictions ne se réaliseront pas. La vie va tout simplement suivre son cours. Je le répète, le respect des droits d'une minorité ne se fait pas au détriment de ceux d'une autre.

[Français]

Le sénateur Prud'homme : Comme vous pouvez le constater, nous ne sommes pas télévisés et je tiens à mentionner que ce n'est pas la faute de la présidence. Je le regrette parce que l'atmosphère ici est beaucoup moins survoltée qu'à la Chambre des communes où j'ai siégé pendant 30 ans. Le plus bel exemple, c'est cet échange civilisé entre vous et mon ami de longue date, le sénateur St. Germain.

Pour le bénéfice de ceux qui s'intéressent à votre cheminement personnel en politique, pouvez-vous dire combien de fois vous avez été élu ?

M. Munter : Quatre fois.

Le sénateur Prud'homme : La dernière fois, vous l'avez été parce que vous étiez connu du public et cela n'a pas nui à votre carrière politique.

Revenons à notre discussion. Je me prépare intellectuellement et politiquement à ce qui pourrait être un affrontement ou une discussion civilisée avec le cardinal Marc Ouellet. Demain je vais m'entretenir avec lui sur toute la question de l'hypocrisie qui entoure la définition du mariage. Je dois dire que c'est quelque chose qui m'agace.

Au cours de mes 40 ans de carrière politique, j'en ai vu de toutes les couleurs. J'ai été témoin de beaucoup d'hypocrisie, de mensonge et de chantage et il vient un temps où l'écoeurement dépasse la limite. Je lis tous les courriels que je reçois et je perçois beaucoup de haine de la part de gens qui parlent de religion et de « sanctification » du mariage. Je suis très heureux du fait que vous n'auriez pas d'objection à avoir un entretien avec cet archevêque de Calgary qui, comme vous le savez, fait l'objet de bousculades assez remarquables et à mon avis, cela n'aide en rien le débat.

Je voulais aussi dire au professeur Cyr qu'en tant que fédéraliste, je suis très heureux que le Code criminel relève du fédéral et non des institutions provinciales parce que si tel avait été le cas, la peine de mort aurait force de loi dans six ou sept provinces et l'avortement serait interdit dans au moins cinq provinces.

Puisque c'est de juridiction fédérale, cela inclut tout le monde.

J'ai été surpris d'ailleurs par son témoignage, sur la question d'avoir au moins la même loi au Canada. Cela ne veut pas dire qu'on est pour ou contre, mais cela veut dire, qu'en tant que Canadien, il y a des valeurs qui sont partagées, même si à certains endroits des gens ont plus de réticences — je ne me prononce pas encore, mais je vais le faire.

Je pense qu'il est bon que vous insistiez sur ce point et que vous saisissiez la perche tendue par le sénateur St. Germain. Quand on veut gagner une cause, il faut savoir se faire des alliés et savoir tendre la main à ceux qui sont nos plus féroces adversaires. Le sénateur St. Germain n'est pas un féroce adversaire, il a des convictions profondes. Si vous pouviez, parce que vous avez de l'influence et que vous êtes bien organisés et bien implantés dans la société canadienne, convaincre certains de vos supporters de tempérer un peu leur chaleur publique, leur dévotion publique à la cause qu'ils veulent défendre, cela aiderait peut-être à faire comprendre.

En même temps, cela vous aiderait à défendre ceux qui font l'objet d'attaques. Je vous demande d'être en quelque sorte des missionnaires, tout comme je vais demander demain à M. Le cardinal s'il ne pourrait pas prêcher autrement et convaincre les gens que la société a changée ou évoluée.

J'aimerais savoir si vous êtes prêts à aller jusque-là et aider à tempérer ceux qui sont des agents provocateurs, car cela n'aide pas la cause que vous voulez défendre. C'est certain et évident. Par obligation familiale, cela fait trois étés que je passe dans un « camping roulotte ». Je n'aurais jamais pensé finir ma vie à cet endroit, soit à Saint-Félix-de- Valois. Je vous jure que, ce que j'entends là, c'est la totale confusion. Les gens commencent par être violemment contre et finissent par dire « bah... » C'est un problème de génération.

Je parle à tout le monde, j'en parle partout, je demande : « Qu'est-ce que vous en pensez ? Si c'était vous qui alliez à voter, comment voteriez-vous ? » Et j'approfondis. C'est comme cela que j'en suis venu à la conclusion concernant les 25 ans pour les libérations conditionnelles. Ce n'est pas une invention du gouvernement. C'est mon collègue M. Jim Fleming, un anglo-saxon protestant torontois, allié d'un Canadien français montréalais catholique ; et c'est nous qui avons soumis la proposition de la peine de mort ou 25 ans sans libération conditionnelle, suite au dialogue avec la population.

Je n'ai pas de question très précise sinon vous demandez d'essayer d'entretenir le débat, non seulement avec vos partisans mais avec ceux qui vous sembleraient être vos pires adversaires, et d'essayer de les convaincre, sans qu'ils acceptent, d'être moins virulents et moins violents.

M. Munter : Vous allez un peu dans le même sens que le sénateur Joyal et vous avez tout à fait raison. Je crois que c'est par le dialogue, en apprenant à se connaître, que l'on peut faire avancer la paix sociale, mais aussi s'assurer de vivre dans une collectivité où l'on se comprend. On ne s'entend peut-être pas, mais l'on se comprend.

C'est là qu'il y a peut-être un rôle de leaders pour des sénateurs dans la communauté. Vous avez également tout à fait raison en ce qui concerne les organismes qui ont été partisans des deux côtés du débat.

[Traduction]

Le sénateur St. Germain : Quelle est votre réaction à ce sujet, messieurs. Je me réfère à une manchette des journaux qui se lit comme suit, « Un couple se porte à la défense des droits des gais dans les écoles ». Murray et Peter Corren ont entrepris une lutte pour que le programme du ministère de l'Éducation de la Colombie-Britannique soit modifié de manière à présenter une image plus positive des gais et des lesbiennes.

Cette question a réellement mis le feu aux poudres en Colombie-Britannique. Je veux parler de l'affaire Chamberlain c. Surrey District School No. 36.

Dans cet article, Tim Timburg, l'avocat des Corren déclare ce qui suit :

Le défaut de s'occuper convenablement des questions liées à l'orientation sexuelle a des effets néfastes sur les étudiants gais, les enseignants et leurs familles, parce qu'elles ne sont tout simplement pas abordées à l'intérieur du programme scolaire [...]

Cette situation pourrait avoir des effets négatifs pour un enfant chrétien ou pour un enfant juif orthodoxe qui fréquente une école publique ou une école privée recevant une aide gouvernementale. Si le programme scolaire devait contenir du matériel de ce genre, cela pourrait éventuellement aller à l'encontre des croyances religieuses de la famille de l'enfant. Je pense que vous êtes très bien placé pour répondre à cette importante question. Je suis persuadé qu'elle fera son chemin sur la place publique et qu'elle suscitera des débats très animés.

M. Arron : Je ne connais pas très bien cette affaire en particulier, mais en revanche je suis au courant de l'affaire contre la Surrey School Board, qui est allée jusqu'en Cour suprême.

Le sénateur St. Germain : Il ne s'agit pas d'une affaire judiciaire, monsieur Arron; c'est seulement une situation. Apparemment, on aurait amorcé le processus judiciaire, mais pour des raisons inconnues, on l'aurait retardé d'une année. Je soupçonne que c'est en raison des aspects controversés. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Arron : Le seul commentaire que je peux faire concerne l'affaire Surrey School Board. Cette affaire portait sur la capacité d'un enseignant de choisir des livres conformes au programme scolaire établi par la province. Le programme disait qu'il fallait montrer les diverses formes que peut prendre une famille, et souhaitait inclure des livres montrant des familles formées de parents de même sexe. Ces arguments ont été présentés devant la Cour. La Cour suprême a déclaré que l'idée que les enfants devraient apprendre des choses risquant d'entraîner une certaine dissonance ne pose pas de problème. Et de fait, c'est une bonne chose. Par exemple, il se peut que les parents fument, mais les enfants peuvent apprendre que c'est mauvais pour la santé. Ils doivent se débrouiller avec cela, mais c'est une bonne chose. La Cour a déclaré qu'il n'y avait aucune incidence sur la liberté de religion. Le fait que les écoles enseignent l'évolution peut sembler contraire à certains enseignements religieux, mais nous continuons d'enseigner l'évolution dans les écoles. Je ne pense pas qu'il y ait un problème à ce que l'on intègre dans un programme scolaire le fait que des familles comme les nôtres existent. La Cour a affirmé qu'il était important que tous les enfants aient le sentiment de faire partie de la collectivité.

M. Munter : Je ne connais pas tous les détails de cette situation précise, mais je pense que la question plus large que le sénateur a abordée touche le fait qu'une fois que les enfants sont en âge d'aller à l'école et qu'ils grandissent est celle- ci : que leur enseigne-t-on au sujet de la société dans laquelle ils vivent?

C'est logique, et nous tenons à ce qu'ils apprennent des valeurs comme le respect et la tolérance. Nous voulons qu'ils comprennent qu'il existe des gens de différentes confessions religieuses et dont les croyances sont très diverses, et nous voulons également qu'ils sachent qu'il existe divers types de familles. En tant que société, nous devons avoir cette discussion au sein de la collectivité sur les moyens à prendre pour y arriver, parce que ce sont là des décisions qui sont prises surtout par les commissions scolaires et les ministres de l'Éducation des provinces. Les suggestions qu'ont faites certains sénateurs de tenir ce débat dans un contexte de modération et de respect à l'égard de tous les points de vue, sont importantes.

Le sénateur St. Germain : Nous nous efforçons de procéder de cette manière. Toutefois, il y a un problème si les choses qui sont enseignées vont à l'encontre des croyances religieuses d'un enfant. Comme l'a fait remarquer M. Arron, c'est une chose que de dire qu'une certaine situation existe. Mais jusqu'où faut-il aller avec ce genre de choses?

Je pense que l'affaire Surrey a été portée devant la Cour suprême. Cette question se situe à la base même de ce dont nous sommes en train de parler. Le style de vie et les croyances religieuses des individus sont en conflit, et je me demande comment on arrivera à régler tout cela.

M. Munter : Il existe bien des croyances religieuses. Ainsi, l'Église Unie du Canada s'est révélée une alliée vigoureuse des Canadiens et Canadiennes pour le droit égal au mariage. Il s'agit du groupe de confession protestante le plus important au Canada. Beaucoup de gais, de lesbiennes, de bisexuels et de transgenres sont des croyants qui appartiennent à diverses communautés religieuses et qui sont pratiquants. Affirmer qu'il n'y a qu'une seule vérité est erroné. Les gens sont compliqués; ils ont des points de vue différents, et ils appartiennent en outre à de nombreuses communautés différentes.

Pour ce qui est de votre question précise sur le système d'enseignement public, il s'agit justement de nous doter d'un système d'enseignement nous appartenant à tous et auquel nous contribuons tous et qui respecte et inclut toutes ces personnes différentes.

[Français]

Le sénateur Chaput : J'aimerais ajouter un commentaire. Dans nos écoles, il importe que l'enseignement transmis à nos enfants, nos petits-enfants et aux générations à venir, comporte des notions de respect et d'acceptation des différences. Les enfants ont le droit de vivre dans un contexte où leur situation personnelle est acceptée. Les commentaires du sénateur St. Germain me rappellent ce qui s'est passé, il y a trentaine d'années dans nos écoles francophones catholiques lorsque les couples ont commencé à se séparer et à divorcer. Ces enfants de couples divorcés étaient quasiment mis de côté. C'était une situation malheureuse. C'est la même chose qui se produit aujourd'hui ; que ces enfants aient deux pères, deux mères, appelons cela comme on voudra, je pense qu'ils ont le droit, s'ils sont heureux, d'être accepté dans les écoles et qu'il n'y a rien de mal à avoir des livres qui racontent l'histoire d'une famille où il y a deux hommes ou deux femmes comme figures parentales.

L'important, c'est que l'enfant soit accepté et aimé et qu'il apprenne, comprenne et accepte le respect de la différence autour de lui. C'est ma réaction.

La présidente : Je pense que la seule chose qu'on doit faire maintenant est de vous remercier et de souhaiter un bon voyage à Montréal à M. Munter. Merci également à M. Laurie Arron. Nous avons apprécié votre présence aujourd'hui.

La séance est levée.


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