Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 20 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le mardi 12 juillet 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été déféré le projet de loi C-38, concernant certaines conditions de fond du mariage civil, s'est réuni aujourd'hui, à 13 h 17, en vue d'examiner ce projet de loi.

Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Nous accueillons aujourd'hui M. Stanley Hartt, qui témoigne à titre personnel. Soyez le bienvenu, monsieur Hartt. Nous avons bien hâte d'entendre ce que vous avez à nous dire. Nous avons lu beaucoup de choses au sujet de votre façon de penser, mais nous sommes heureux de vous avoir avec nous cet après-midi.

M. Stanley Hartt, à titre personnel : Honorables sénateurs, je vous remercie de l'occasion de témoigner devant vous. Comme vous le savez probablement déjà maintenant, j'ai un point de vue inhabituel sur cette question. Selon moi, il s'agit non pas d'une question de droit garanti par la Charte, mais bien, plutôt, d'un débat politique sur le mot « mariage » qui essaie de se faire passer pour un débat sur les droits garantis par la Charte. Je dis cela parce que — si j'ai bien lu l'article paru dans le Globe and Mail ce matin, Irwin Cotler, ministre de la Justice et Procureur général du Canada, aurait apparemment déclaré à votre Comité que : « Quand une loi est déclarée inconstitutionnelle, le Parlement se retrouve devant une alternative : corriger les aspects inconstitutionnels — et c'est ce que nous faisons à l'égard du projet de loi C-38 — ou annuler cette décision du tribunal en invoquant la disposition dérogatoire. ».

Je crois que M. Cotler admettrait que, s'il y avait plus d'une façon de corriger les lacunes constitutionnelles, cela pourrait également satisfaire au critère qu'il a imposé. Autrement dit, s'il y avait une autre solution que le projet de loi dont vous avez été chargé d'examiner chaque article, alors cela pourrait également satisfaire au critère constitutionnel. Malheureusement, le mythe selon lequel le projet de loi qui vous a été présenté est la seule solution — outre le recours à l'article 33 de la Charte — s'est insinué dans le texte même du projet de loi. Dans l'exposé des motifs du préambule, au deuxième avant-dernier paragraphe, on peut lire ce qui suit : « [...] l'engagement du Parlement du Canada à protéger le droit à l'égalité sans discrimination l'empêche de recourir à l'article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés. [...] »

Personne n'a dit qu'il faudrait recourir à la disposition dérogatoire au lieu d'adopter ce projet de loi. Ce sont des paroles qu'on a attribuées à des intervenants politiques, y compris le ministre, qui ont invité le chef de l'opposition et les autres à « reconnaître que leur démarche est fondée sur des intentions cachées ». Ce n'est tout simplement pas le cas.

Le Parlement est en mesure de trouver des solutions constitutionnelles autres que celles envisagées par les tribunaux. Je dis cela parce que les plaideurs, lorsqu'ils se présentent devant un tribunal, veulent quelque chose : dans le cas qui nous occupe, ils veulent se marier. Les lois, règles et normes de pratique des divers endroits où les gens peuvent se marier le leur interdisent, faisant valoir qu'il ne s'agit pas d'un couple constitué d'un homme et d'une femme. Ils s'en remettent aux tribunaux, et cherchent à obtenir une ordonnance selon laquelle ces interdictions sont contraires aux dispositions de la Charte relatives à l'égalité. Les tribunaux n'ont d'autres choix que de déclarer que le statu quo est constitutionnel, ou de dire : « Nous ordonnons que ces dispositions soient traitées comme inopérantes et inconstitutionnelles. »

Quand les tribunaux ont ordonné que les gais et lesbiennes puissent s'épouser, ils ont fait la seule chose qu'ils pouvaient faire, à la lumière des deux choix dont ils disposaient. Ils ne sont pas autorisés — mais le Parlement l'est — à trouver des solutions de rechange permettant de respecter les droits civils de tous les Canadiens, et ils ne disposaient pas d'un tel régime. Ils ne disposaient pas d'un régime d'union civile dans le cadre duquel tous les termes — sauf « mariage » — auraient la même valeur, autrement dit, un régime dans le cadre duquel toutes les conséquences du fait d'être marié : par exemple, le droit de demander une pension alimentaire advenant une rupture; le droit d'adopter des enfants ensemble; le droit de demander la garde des enfants advenant une rupture; le droit à une répartition des biens; le droit d'hériter, même lorsqu'il s'agit d'une succession sans testament, et le droit d'autoriser ou d'interdire une procédure médicale lorsque la personne concernée est incapable de décider d'elle-même. Si tous ces droits, sans exception — et je ne vous fournis une liste qu'à titre d'illustration, elle ne se veut pas exhaustive — si tous ces droits s'inscrivaient dans un régime d'union civile, alors il s'agirait de déterminer si les plaideurs peuvent engager une action pour un mot? Au bout du compte, on ne peut engager une action pour des mots : on le fait pour protéger ses droits. Il s'agit uniquement de déterminer si le mot fait partie intégrante du statut. J'en viendrai à cette question dans un instant. C'est une chose de préconiser cette solution, car dans toute bataille politique, il y a quelqu'un qui dit : « Je me range dans ce camp-là. » Ce serait une tout autre chose de déclarer que vos opposants, qui préfèrent préserver la définition classique du mariage, sont récalcitrants, qu'ils sont réactionnaires, qu'ils ne sont pas de leur temps, qu'ils sont homophobes, qu'ils ne comprennent rien, et qu'ils recourraient à la disposition dérogatoire.

Le titre initial de mon article dans la revue Maclean's, le numéro où l'on peut lire « Belinda Billions » en première page, n'était pas « Grits and red herrings » (« Les rouges et les zones grises ») — ce titre a été proposé par un rédacteur — c'était « Paul Martin, the boy who cried notwithstanding » (« Paul Martin, ou qui a peur de la clause nonobstant? »). Cela me dérange que l'exposé des motifs de ce projet de loi donne un caractère officiel au mythe selon lequel le projet de loi est la seule solution.

Le deuxième « attendu que » est également discutable. On peut y lire que « l'égalité d'accès au mariage civil pour les couples de même sexe et les couples de sexe opposé [est comprise] dans le droit à l'égalité sans discrimination ».

Un certain nombre de tribunaux ont formulé des remarques incidentes, et les plus mémorables ont été formulées par le juge en chef de la Cour suprême de l'Ontario, l'honorable Roy McMurtry. Ses remarques dans cet arrêt et toutes les autres remarques relatives à l'union civile étaient, par définition, des opinions incidentes, car elles ne s'assortissaient pas d'un régime d'« union civile » pleinement décrit et raisonné à l'égard duquel ils auraient pu dire « ça fonctionne » ou « cela ne fonctionne pas, et je préconise autre chose ».

Le quatrième « attendu que » est, selon moi, également inexact. On peut y lire que « seule l'égalité d'accès au mariage civil respecterait le droit des couples de même sexe à l'égalité sans discrimination, et [...] l'union civile, à titre de solution de rechange à l'institution du mariage, serait inadéquate à cet égard [...] ».

Au moins ils ne disent pas que c'est ce que le tribunal a dit. Au moins, dans cet exposé des motifs, le Parlement assume ses déclarations. La question dont vous avez été saisi est d'ordre politique. Il y a un autre côté, et il y a une solution constitutionnelle qui n'exige pas l'adoption d'une telle loi.

Ce qui m'offusque, en partie — outre le fait que l'on prête des intentions cachées à des gens qui pensent comme moi — ce sont les faits que le gouvernement fédéral a mis de l'avant. Il a choisi de ne pas interjeter appel du prétendu jugement final dans les diverses provinces de la Cour suprême, car nous sommes dotés d'un système judiciaire accusatoire. Un avocat doit dire « Je suis pour cela, ou contre cela ». L'avocat ne peut pas dire, surtout lorsqu'il est le procureur général du Canada : « J'aimerais bien m'asseoir et écouter, et être un intervenant désintéressé. »

Puisqu'ils ne veulent pas s'opposer à ce que la communauté gaie et lesbienne obtienne les droits pour lesquels elle a lutté avec acharnement, ils décident de laisser ces jugements tels quels, et de permettre aux personnes qui dépendent de ces jugements de s'épouser. Ensuite, ils ont acheminé un renvoi à la Cour suprême pour lui demander quoi faire.

La quatrième question du renvoi était une question importante. On y demandait, en fait, si la définition actuelle et traditionnelle du mariage — c'est-à-dire l'union d'un homme et d'une femme — était conforme aux droits à l'égalité prévus dans la Charte. C'était très révélateur pour moi que le tribunal refuse de répondre à cette question. Non seulement il a refusé de répondre, mais il a refusé de répondre d'une façon qui, de mon point de vue, serait appropriée dans certaines circonstances.

Ils se sont montrés plein de déférence envers le Parlement. Ils ont dit que le gouvernement a clairement choisi cette politique. Il prendra des mesures d'exécution de ce projet de loi. C'est essentiellement ce qu'il a dit. Des gens ont tiré avantage de ce jugement final pour se marier, afin que nous n'ayons d'autre choix que d'en venir à une décision. Est-ce que les mariages seraient comme une pièce de cinq cents portant une erreur, dont les 10 millions d'exemplaires valaient une fortune parce qu'ils ont été rappelés? Que pourrait-on faire avec de tels faits?

La Cour a décidé de s'en remettre au Parlement et de lui dire : « C'est votre politique. Allez-y. » Si on décidait de répondre à cette question, on courait le risque de voir des lois différentes d'une province à l'autre. Cela n'est compatible qu'avec une seule chose. Ce n'est compatible qu'avec la possibilité qu'ils aient dit : « Oui, la définition classique du mariage est conforme aux droits prévus dans la Charte. » Ils auraient ensuite dû décrire dans quelles circonstances.

Pouvez-vous imaginer des juges qui tentent de façonner le régime d'« union civile » qu'il faudrait mettre en place pour résoudre le problème lié aux droits prévus dans la Charte, un régime qui éviterait de qualifier de « mariage » la relation entre personnes de même sexe? La Cour n'est pas habilitée à établir de tels paramètres. Cela irait au-delà de la portée du renvoi. Elle ne pourrait prétendre établir ou décrire ces paramètres.

Il ne s'agit pas de déterminer si quelqu'un s'oppose au désir de couples de même sexe de bénéficier d'une reconnaissance de leur relation d'amour permanente et exclusive par l'État. Il s'agit plutôt de déterminer si la population canadienne n'a pas été mise devant le fait accompli. Les tribunaux ont décidé qu'une seule option s'offrait à eux : s'en laver les mains. Le Parlement n'est nullement tenu de combler les lacunes de la Constitution comme le font les tribunaux. Alors, pourquoi est-ce que je m'acharne à dire que nous devrions faire les choses autrement? Pourquoi est- ce que j'avance que le mot « mariage » ne fait pas partie intégrante du statut, et que notre Charte ne confère pas le droit d'engager des poursuites fondées sur la nomenclature? Les grands oubliés dans toute cette histoire, c'est le reste de la population. De nombreuses gens voient l'utilisation du mot « mariage » pour décrire les unions non traditionnelles comme une atteinte à la nature même du statut pour lequel ils ont opté lorsqu'ils ont choisi de vivre leur vie, d'élever leurs enfants et de prendre leur place au sein de la société, à titre de couple marié. Une écrasante majorité de ces personnes affirment être en faveur d'un régime d'union civile s'assortissant des mêmes droits que le mariage, mais ils veulent que le mot « mariage » leur soit réservé.

Pourquoi est-il si important de leur concéder cela? Je crois que son importance tient au fait que le recours de droit constitutionnel devrait se caractériser non pas par l'attitude « Je gagne, tu perds » que lui donne ce projet de loi, mais bien par le progrès social. Si des millions de Canadiens mariés se montrent ouverts à accepter et à respecter un régime d'union civile pour les couples de même sexe, mais qu'ils ne veulent pas que le mot « mariage » soit dénaturé par de nouvelles contorsions législatives, sous prétexte qu'on ne fait que se plier aux ordonnances des tribunaux, je crois que le Parlement devrait tenir compte de cela.

Il y a un certain temps, j'ai assisté à une manifestation devant le bureau de circonscription de mon député, l'honorable John Godfrey. Ce jour-là, de telles manifestations avaient eu lieu devant le bureau de circonscription de tous les députés.

Il y avait environ 400 personnes sur place, et elles prenaient part à une séance de prière, dirigée par un prêtre. J'ai été frappé par la profondeur des émotions des participants, le visage baigné de larmes, les yeux clos, tournés vers le ciel. Je me suis dit : pourquoi ces gens devraient-ils payer pour leurs convictions sincères? On dévalue, on réduit, on rejette et on invalide leur acceptation de normes sociales héritées des générations antérieures dans le contexte de leurs systèmes de croyances respectifs, au nom de l'amélioration des droits d'autres personnes. Ils n'ont commis d'autre crime que de vivre une vie conforme aux valeurs qu'on leur avait appris à respecter et à tenir en exemple. Pour eux, le terme « mariage de conjoints de même sexe » est une contradiction de termes.

Il est peut-être trop tard pour arrêter ce train, mais je suis devant vous aujourd'hui pour vous dire qu'il ne faut pas faire fi des sentiments d'un si grand nombre de bons citoyens ordinaires, qui travaillent dur, qui paient leurs taxes, qui respectent la loi. Il y a une autre solution. On ne peut prendre des décisions sur les droits civils des gens à la lumière de sondages, je vous le concède. Les droits conférés par la Charte ne sont pas décidés en fonction du nombre. Toutefois, s'il y a une autre façon de faire qui n'a jamais été mise à l'épreuve, il faudrait y prêter attention, car nous pourrions assurer le progrès social sans diviser la population.

Je reconnais que le cinquième « attendu que » du projet de loi a raison d'affirmer que la compétence du Parlement ne s'étend pas à l'établissement d'une institution autre que le mariage de couples de même sexe. Je ne vois aucun problème à cela : aucune règle ne prévoit que les recours de droit constitutionnel doivent toujours être amorcés par le Parlement fédéral. Selon moi, le fait qu'un régime d'union civile doit être adopté par les diverses assemblées législatives provinciales et territoriales ne constitue d'aucune façon un obstacle. Si le Parlement devait sanctionner la définition traditionnelle du mariage — chose qui relève de sa compétence exclusive — , et si le gouvernement élaborait un régime complet à l'égard de l'union civile et le soumettait à la Cour suprême pour avoir son opinion sur sa validité, les provinces n'auraient d'autre choix que de participer à la solution constitutionnelle.

Le sénateur St. Germain : Hier soir, on a posé une question au sujet de votre article. J'ignore si vous avez vu la transcription.

M. Hartt : Je l'ai vue, oui.

Le sénateur St. Germain : Mon ami et collègue de la Colombie-Britannique a probablement fait cela pour préparer la prochaine élection fédérale. Si le projet de loi est adopté, y a-t-il un moyen pour le Parlement de réagir à cette situation sans recourir à la disposition dérogatoire, tout en respectant ce qu'on tente d'accomplir?

M. Hartt : Oui, sénateur, à mon avis, il y en a une. Je crois savoir que le ministre Irwin Cotler a déclaré hier dans son témoignage qu'il n'était pas de cet avis. Il a déclaré que le régime d'union civile avait été écarté par les tribunaux. Il a affirmé que les tribunaux percevaient ce régime comme une forme d'égalité moindre : que l'union civile offrait un accès inférieur à l'institution civile du mariage.

Je suis au courant des déclarations des tribunaux, mais je réitère ce que j'ai dit dans mes observations préliminaires. Aucun tribunal au pays n'a eu la possibilité de se pencher sur un régime d'union civile complet, détaillé, dont la portée ainsi que la dynamique et les paramètres sont établis, en vue de déterminer si ce régime est conforme à la Charte : autrement dit, est-ce qu'il fait partie intégrante du statut. Personne n'a eu l'occasion de se pencher sur l'autre possibilité. Ils ont formulé des commentaires, mais, selon moi, cela n'a pas force exécutoire. Cela n'a lieu que lorsque le tribunal tranche à l'égard d'une question, pas quand il s'agit de remarques incidentes, c'est-à-dire de quelque chose que le tribunal n'avait pas besoin de dire pour statuer sur l'affaire, mais qu'il a dite quand même.

Selon moi, chaque province devrait se doter d'une loi selon laquelle toutes les dispositions relatives à ce qu'on appelle le mariage, ainsi que toutes ses conséquences, s'appliquent à l'union civile. Si on établissait un régime prévoyant que toutes les conséquences du mariage s'appliquent également à l'union civile, j'avance qu'on ne pourrait engager des poursuites fondées sur un mot.

Le sénateur Andreychuk : Monsieur Hartt, vous dites qu'il est peut-être trop tard pour arrêter le train. Je crois que le train a quitté la gare quand nous avons commencé à reconnaître d'autres formes de relations que le mariage. Parallèlement, nous avons parlé d'enfant conçu à l'intérieur et à l'extérieur des liens du mariage. Nous utilisions des termes comme « bâtard ». On a ensuite parlé d'enfant « illégitime ». Nous tentons maintenant d'établir pour les enfants leur propre charte des droits. On a fait en sorte que les choses avancent. Ensuite, il y a le mariage. Le mariage était la seule solution. Si vous n'étiez pas marié, vous viviez dans le péché, et ce n'était pas seulement l'Église qui disait cela, les politiciens le disaient aussi. Nous avons lentement commencé à rétablir la légitimité de relations intimes, entre conjoints de fait. Nous avons déterminé pendant combien de temps il fallait être ensemble et toutes ces choses.

Il semble maintenant que nous préférions nous attacher à la question du mariage de personnes de même sexe ou de sexe opposé, au lieu de nous attacher à la qualité d'une relation. Ainsi, je vous pose la question suivante : est-ce que votre solution de rechange permet de légitimiser toutes ces relations équitables, bonnes et épanouissantes que nous avons dans notre société, en raison de notre diversité? Les Nations Unies, à l'occasion de l'Année internationale de la famille, ont éprouvé de la difficulté à définir la famille, et n'y arrivaient pas. Elles ont décidé que chaque famille se définirait d'elle-même, et que, par conséquent, chacun décide de lui-même de la composition de sa famille. Je croyais que nous allions faire la même chose avec les conjoints. Personne, en particulier les politiciens, ne devrait pouvoir décider pour nous. C'est peut-être ma foi qui m'oriente.

Pourquoi est-il nécessaire qu'un politicien se prononce et appose une étiquette sur ma relation?

M. Hartt : Ce n'est pas ce que je préconise. La société a effectivement intérêt à ce que les relations homosexuelles soient permanentes, aimantes et exclusives. La société ne tire aucun intérêt de l'instabilité des relations occasionnelles ou de la promiscuité, et la société devrait encourager les gais et lesbiennes à s'engager dans des relations à long terme. Il ne s'agit pas d'une question d'évolution ni de définition par l'État.

Ma réponse est dans votre question : à l'origine, on qualifiait d'union de fait la relation entre deux personnes, un homme et une femme, qui cohabitaient depuis sept ans, et étaient considérés comme mariés. Autrement dit, leurs voisins croyaient qu'ils étaient monsieur et madame Untel. Leurs voisins ne savaient pas qu'ils avaient sauté la cérémonie. C'est ainsi que la common law en est venue à accorder à ces gens les mêmes droits qu'aux personnes mariées.

Quand nous avons redéfini les unions de fait, nous n'avons attribué le mot « mariage » à ces relations que de façon officieuse. Il s'agit de contrats civils que les gens établissent en cohabitant d'une façon qui laisse croire qu'ils veulent demeurer ensemble, et cela crée certains droits.

Je n'ai absolument aucune objection — et ce n'est pas à moi d'en avoir, comme vous le signalez — à ce que ce genre de conséquence soit offert aux conjoints de même sexe. Pour une raison qui m'échappe, quand on se drape dans le progrès social, on dit que ces gens ne seront satisfaits que si nous leur attribuons la même terminologie qu'à nous- mêmes, alors, disons qu'ils sont mariés. C'est à ce moment-là qu'on franchit la ligne entre le progrès social et la division sociale. Par exemple, on pourrait adopter une loi selon laquelle quiconque a le statut de conjoint de fait doit être qualifié de « marié », comme s'ils s'étaient mariés à l'église. Il serait imprudent de faire cela. Une telle manipulation sociale serait insensée. J'estime que le fait de changer la signification d'un mot compris depuis longtemps par tout le monde est un geste gratuit. C'est un geste posé à des fins politiques, afin que les gens puissent voir les résultats d'un bon œil.

Je suis heureux quand les gens sont satisfaits du résultat. Cependant, si on souligne chaque ligne d'un livre, on ne souligne rien. Ce qui m'inquiète, c'est que de nombreuses personnes au pays ne se réjouissent pas de ce résultat. Ils estiment avoir choisi une voie, pour quelque raison que ce soit, et qu'ils se sont engagés à vivre selon les principes qui s'y rattachent. Ce mot leur appartient. Ils seront très nombreux à vous dire qu'ils se réjouiraient de toute autre solution adoptée par le Parlement, comme un régime complet relatif à l'union civile. Ils veulent que le mot leur soit réservé, car c'est un mot qui a une valeur pour eux. Ils estiment qu'on leur enlève quelque chose si la notion de mariage est appliquée à d'autres formes de relations au moyen d'une extension législative du sens du mot.

Le sénateur Cools : Monsieur Hartt, il y a quelques années, nous avons été confrontés à un problème concernant le Procureur général du Canada. Je crois fermement que le Procureur général du Canada a un rôle à jouer à titre de légiste de l'État. Même le terme a disparu. Jusqu'en 2002, je crois, le Procureur général du Canada avait adopté une position selon laquelle le mariage était l'union volontaire entre un homme et une femme, exclusivement. Non seulement le Procureur général avait-il adopté cette position, mais il a également présenté des projets de loi à notre Chambre, et, en raison de la discipline de parti — et j'en sais quelque chose — , nous avons dû voter en faveur de ces projets de loi. Évidemment, la loi avait une position jusqu'en 2002. Le plus récent projet de loi a été présenté en 2001. Il n'est pas question d'un écart de plusieurs années, où le changement a eu lieu. D'une année à l'autre, le Procureur général a changé d'idée, et fait volte-face.

À mon avis, le Procureur général, c'est le Procureur général. Le Procureur général ne change pas. Le poste de roi et de reine ne change pas. J'étais très bouleversée. Je croyais qu'il était inconstitutionnel et inconvenant pour le Procureur général de faire volte-face. Et pis encore, le Procureur général a non seulement fait volte-face, mais il s'est ensuite présenté devant la Cour suprême du Canada pendant le renvoi, en vue d'attaquer certaines dispositions relatives au mariage qu'il avait lui-même incité le Parlement à adopter. J'avance que c'est inconstitutionnel. Il y a environ 30 ans, le Procureur général aurait été relevé de ses fonctions sans autre forme de procès pour ce genre de chose. L'histoire du procureur général de l'Ontario, par exemple, montre que ce genre de chose n'est tout simplement pas acceptable.

Avez-vous des commentaires sur le rôle constitutionnel convenable du Procureur général, et sur les rapports appropriés du Procureur général avec le Parlement, avec Sa Majesté, et avec les tribunaux?

M. Hartt : Je dirais que le Procureur général devrait toujours exercer ses fonctions un peu en marge de la sphère politique, et qu'il devrait s'intéresser un peu à obtenir le meilleur résultat judiciaire. Je me souviens d'une époque où, au moment de nommer les ministres politiques, on considérait comme inconvenant de nommer même le Procureur général à titre de ministre politique dans la province, car il s'agit de fonctionnaires judiciaires de l'État.

Le sénateur Cools : C'est ça.

M. Hartt : J'aurais préféré que le Procureur général n'adopte aucune position, sauf lorsqu'il est tenu de le faire à titre d'appelant, dans le cadre des prétendus jugements finaux dans les provinces. J'aurais préféré que le Procureur général laisse les appels faire leur chemin jusqu'à la Cour suprême avec une question claire. En effet rien n'aurait empêché la Cour suprême de devoir se pencher sur l'alternative dont j'ai parlé. Pour soutenir ces appels, je crois que le Procureur général aurait dû mettre au point et présenter la solution de rechange de l'union civile. Ainsi, si le tribunal avait déclaré que le mot fait partie du statut, et qu'on ne peut jouir des droits prévus sans ce mot, que le terme « union civile » ne suffisait pas, nous aurions eu un jugement final.

De fait, leur réponse à la question quatre nous dit le contraire. Il est regrettable qu'on ait joué sur les faits en vue de mener le débat où il est aujourd'hui. Nous n'avons pas la bonne réponse, en ce qui concerne l'interprétation judiciaire absolue. Nous avons la bonne réponse politique pour certains groupes, et, certes, la mauvaise réponse politique pour certains autres groupes.

Le sénateur Cools : Je vous remercie, monsieur Hartt, d'avoir souligné la nature judiciaire de la position du Procureur général.

Aux fins du compte rendu, je souligne que la plupart des gens ignorent que le ministre de la Justice et le Procureur général constituent, de fait, deux postes distincts. À l'époque de la Confédération, Sir John A. Macdonald s'était attribué à lui-même le premier mandat de Procureur général, en raison des nombreux problèmes qui avaient affligé ce poste pendant de nombreuses années, tant dans le Haut-Canada que dans le Bas-Canada. À l'époque de la Confédération, peu après la promulgation de la Loi sur le ministère de la Justice, on a créé deux postes en un. La plupart du temps, quand un procureur général ou un ministère de la Justice s'égare et se retrouve dans l'eau chaude, c'est toujours parce qu'il a mal compris la différence entre les deux rôles, car il s'agit de deux fonctions distinctes attribuées à la même personne.

De toute façon, j'aimerais revenir à ma question. Le poste de Procureur général est passé de Anne McLellan à Martin Cauchon. Dans le cadre de l'examen du renvoi, le professeur Hogg, qui représentait le gouvernement, a déclaré que le Procureur général avait changé d'idée parce qu'il estimait que les tribunaux avaient raison. J'essaie d'arriver à comprendre ce point. De fait, le Procureur général n'a pas été tenu responsable. Il s'est présenté devant le tribunal, et il a défendu une position particulière. Ce faisant, il a attaqué les décisions du Parlement, ce qui est extrêmement inconvenant. Je me demande si vous avez réfléchi à cette question. Il n'est pas nécessaire d'être un initié, mais un grand nombre des complexités de notre système courant sont rarement comprises, et encore moins étudiées. C'est un aspect qui dérange de nombreux avocats et juges de la vieille école que je connais. Arrivez-vous à comprendre cela?

M. Hartt : J'essaie de comprendre. C'est une question tout à fait valable. Mon expertise ne concerne pas vraiment les traditions du Procureur général, mais voici ce que j'aurais pensé. S'il croyait que les tribunaux avaient raison, il y avait une façon facile de procéder. Quand on pense que les tribunaux ont raison, on devrait être disposé à leur soumettre la question de nouveau, au lieu de miser sur l'avantage politique de pouvoir dire : « Je n'étais pas l'appelant. Je ne me suis pas opposé à la décision de la Cour d'appel. Je n'ai pas porté la question devant la Cour suprême et assumé le rôle de l'appelant. » Il aurait pu chercher à obtenir la bonne réponse de la part des neuf juges d'un grand nombre de façons. Les juges sont des personnes réfléchies, et je suis certain qu'ils auraient trouvé la meilleure solution juridique. Il aurait eu l'occasion, grâce à cette position avantageuse, de gagner des points auprès de groupes concernés, et pas seulement des groupes de gais et lesbiennes. Un grand nombre de gens, en particulier les jeunes, sont peu préoccupés par cela. Pourtant, à la lumière des sondages que j'ai vus, 65 p. 100 des gens sont préoccupés par la question. Je crois que le Procureur général se devait de laisser ces 65 p. 100 se faire entendre devant les tribunaux, car il représente également ces gens.

Le sénateur Cools : Ce que le Procureur général a fait à titre d'avocat du Parlement, à titre de légiste de l'État, c'est comme si un avocat, dans le cadre d'une procédure au criminel, arrivait en cour avec un défendeur qui clame son innocence, et disait au juge : « Je crois qu'il est coupable. Vous devriez le déclarer coupable. » On nous a demandé de soutenir un tel comportement flagrant à l'égard du projet de loi C-38.

Le sénateur Milne : Monsieur Hartt, plus tôt aujourd'hui, M. Cyr nous a expliqué pourquoi le mariage a toujours relevé de la compétence fédérale. Il a dit que les artisans de l'AANB craignaient pour l'uniformité de l'union familiale à l'échelle du Canada, et que, par conséquent, on avait décidé à ce moment-là de faire du mariage une compétence fédérale.

Si on avait laissé le mariage aux provinces, les définitions et les responsabilités auraient varié d'une province à l'autre. Les provinces ne définiraient pas le mariage de la même façon. Dans une telle situation, qu'adviendrait-il d'un couple de conjoints de même sexe qui s'est marié en Ontario, où c'est permis, qui va s'établir en Alberta, où le mariage de conjoints de même sexe n'est pas autorisé? Ils ne seraient pas traités de la même façon, n'est-ce pas?

M. Hartt : Je n'avance pas que ce serait la solution. Ce que j'avance, c'est qu'un gouvernement — peut-être un nouveau gouvernement — soumettrait non pas une demi-question, une question arrêtée, mais bien l'ensemble de la question à la Cour suprême, et lui proposerait un régime d'union civile. Si la Cour suprême déterminait que cela est compatible avec la Charte, le Parlement pourrait adopter une loi qui redéfinirait le mariage de la façon traditionnelle, et les provinces seraient tenues de s'y conformer. Le fardeau du recours de droit constitutionnel incomberait alors aux provinces, et elles seraient tenues d'harmoniser leurs régimes respectifs avec cette nouvelle loi.

Le sénateur Milne : Dans le renvoi à la Cour suprême concernant le mariage, le tribunal a explicitement déclaré que l'union civile est une forme inférieure d'égalité, et qu'elle constitue donc une violation de la Charte.

M. Hartt : Je ne crois pas que la Cour suprême était en mesure de décider cela, car aucun régime d'union civile ne lui avait été présenté; il n'y avait que la question quatre. En omettant de répondre à la question quatre, elle dit que l'union civile, dans certaines circonstances, pourrait être mise en œuvre sans aller à l'encontre de la Charte, surtout pour les raisons qu'elle a fournies, lesquelles sont à l'origine de votre question, madame la Sénateur. La Cour a dit que nous courons le risque de nous retrouver avec des lois différentes d'une province à l'autre, car, si elle répondait oui, la prochaine question aurait pu être : « À quelles conditions? » Une fois les conditions expliquées, la Cour pourrait dire que cela est compatible avec la Charte. Au moment de la décision, il n'y avait que cinq jugements de tribunaux provinciaux, de sorte que, selon la Cour suprême, il y aurait eu cinq provinces avec des lois différentes. Toutefois, le Parlement pourrait corriger cela en adoptant de nouveau la définition classique du mariage, de façon à ce que toutes les provinces concernées soient tenues de s'y conformer. Il y aurait des mariages entre des hommes et des femmes, et il y aurait des unions civiles entre conjoints de même sexe, et il y aurait un régime constitutionnellement valide et absolument égal de conséquences civiles inhérentes.

Dans la mesure où ma théorie se tient, la Cour suprême, si on le lui demande, déterminerait qu'un régime d'union civile pleinement défini serait valide; c'est ce que laisse croire son refus de répondre à la question quatre. Toutefois, j'ignore ce qu'on ferait des personnes qui, à la lumière des décisions des tribunaux provinciaux, se sont épousées. Ces personnes constitueraient une catégorie bien particulière. Personne ne pourrait leur enlever leurs droits rétroactivement. Il s'agirait de couples de gais et lesbiennes mariés, mais, par la suite, il n'y aurait que des unions civiles. C'est là un aspect regrettable qui découle de la question du sénateur Cools quant aux raisons pour lesquelles le Procureur général a établi cela.

Le sénateur Milne : Monsieur Hartt, je préfère que vous ne tentiez pas de deviner les motifs derrière mes questions, car vous ignorez ce qu'ils sont.

Je crois que le plan que vous avez décrit exigerait tout de même que les provinces fassent quelque chose. Elles pourraient recourir à l'article 33 de la Charte en vue de refuser d'obtempérer, et nous serions toujours pris avec cette inégalité, cette position intenable où certaines personnes seraient mariées, et d'autres ne le seraient pas; certaines personnes pourraient divorcer, et d'autres ne le pourraient pas. Je crois qu'il est clair que le Parlement n'est pas compétent pour ce qui est de légiférer en matière d'union civile. C'est un droit provincial.

M. Hartt : C'est exact.

Le sénateur Milne : Les artisans de l'AANB l'ont établi de cette façon et n'ont accordé au gouvernement fédéral que le pouvoir de réglementer le mariage, et c'est pourquoi nous faisons cela aujourd'hui.

M. Hartt : Je comprends cela, et je conviens qu'il s'agit d'une compétence fédérale. Vous avez raison de dire que, dans le cadre du plan que je propose, une province pourrait, si elle le veut, invoquer la disposition de dérogation. Une certaine part de l'opprobre politique est liée à cela, et je sais que le gouvernement fédéral n'y recourt pas parce qu'il a peur de ce qui pourrait arriver s'il semblait renverser une décision de la Cour suprême.

Je suis tout à fait heureux de m'en remettre à cet opprobre politique, si on donne à la Cour suprême vraiment l'occasion de se prononcer sur l'ensemble de la question. Le risque dont vous parlez serait là. Les conséquences politiques, pour une province qui prendrait une telle mesure, ne seraient pas nécessairement bonnes pour leur survie à long terme.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Hartt, je suis heureux de vous voir de notre côté du Parlement.

J'ai été surpris par l'une de vos déclarations. Dans le premier paragraphe de la dernière page de votre mémoire, vous dites ce qui suit : « Si des millions de Canadiens mariés disent qu'ils accepteront et respecteront un régime d'union civile pour les conjoints de même sexe, mais insistent pour que le mot « mariage » ne soit pas dénaturé par de nouvelles contorsions législatives, sous prétexte qu'on ne fait que se plier aux ordonnances des tribunaux, le Parlement devrait accepter ce rameau d'olivier, et préférer l'harmonie à la division. »

Ce serait peut-être une bonne chose si nous n'avions pas une Charte des droits et libertés enchâssée dans notre Constitution, mais cela place la reconnaissance des droits de minorités entre les mains de millions de Canadiens. C'est exactement ce que nous voulions éviter en adoptant la Charte, car, si les droits des minorités sont déterminés par des millions de Canadiens, les minorités ne disposeront que des droits que la majorité veut bien leur accorder. Comme vous l'avez dit, ils accorderaient peut-être certains droits favorisant l'évolution sociale, mais pas les droits auxquels ils ont droit.

Je suis surpris par cette déclaration, dans le contexte actuel de la Charte. Nous devons vivre avec la Charte. Le Parlement a accepté la Charte, et les tribunaux l'interprètent. Nous pouvons contester l'interprétation de la Charte, mais ce n'est pas le genre de régime dans lequel nous vivons au Canada.

M. Hartt : Vous ne m'avez pas bien compris, alors, monsieur le Sénateur. Je suis d'accord avec vous : en ce qui concerne les droits conférés par la Charte, nous ne devrions pas soumettre l'attribution de droits à un vote. L'essentiel de mon argument, c'est qu'il y a au moins deux façons qui me viennent à l'idée — celle-ci et celle qui concerne l'union civile — qui pourraient être conformes à la Charte des droits et libertés, et personne ne s'est donné la peine de consulter la Cour suprême.

Le Parlement est responsable d'assurer le progrès social. Il s'agit maintenant de déterminer si cela doit se faire aux dépens de millions de personnes, s'il y a une autre solution. S'il n'y a pas d'autre solution, l'affaire est réglée, et vous n'entendrez rien de moi. Toutefois, s'il y a une autre solution que le Parlement a omis d'explorer à dessein — ce qui rend des millions de personnes extrêmement mécontentes — voilà pourquoi j'appelle cela un jeu politique. Il y a des électeurs accessibles dans certains groupes. Le jeu politique consiste à aller chercher ces électeurs accessibles en faisant valoir — affirmation sans fondement, selon moi — que la Charte ne nous offre qu'une seule solution, et que les tribunaux ont décidé que c'est la seule solution, et que nous devons le faire; par conséquent, que voulez-vous de moi? Si la Charte a dit cela et que les tribunaux l'ont appuyée, s'il n'y a qu'une seule solution, alors le fait que je sois mécontent ou que quiconque soit mécontent est sans importance. J'accepte votre point, complètement. Toutefois, c'est lorsqu'il y a deux possibilités, une qui favorise la division, et l'autre qui favorise l'harmonie, que je formule une objection.

Le sénateur Joyal : Votre déclaration selon laquelle le tribunal n'a pas envisagé l'option de l'« union civile » est réfutée par le paragraphe 33 du renvoi. Le Procureur général du Québec était l'un des principaux intervenants, avec le Procureur général de l'Ontario. Que dit le paragraphe 33? Voici ce qu'il dit :

Ainsi, la province de Québec a institué un régime d'union civile pour permettre à des personnes engagées dans une relation conjugale d'acquérir toute une série de droits et de responsabilités : voir la Loi instituant l'union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q. 2002, ch. 6. Le mariage et l'union civile sont deux institutions distinctes à l'intérieur desquelles les couples peuvent exprimer leur engagement et structurer leurs obligations juridiques. L'union civile ne constitue pas tout à fait un mariage et est donc régie par la province. Le pouvoir de légiférer relativement à ce type de relations conjugales ne saurait cependant s'étendre au mariage.

Et ça continue. Il semble clair que le tribunal a songé à l'option de l'union civile. De fait, il fait spécifiquement allusion à une « Loi instituant l'union civile et établissant de nouvelles règles de filiation ».

M. Hartt : Certainement.

Le sénateur Joyal : Je ne crois pas que vous puissiez défendre avec autant de véhémence — et je respecte totalement votre point de vue — l'argument selon lequel la notion d'union civile n'a pas été examinée par la Cour. Elle a été présentée à la Cour. La Cour a même mentionné la seule loi provinciale établissant un régime d'union civile dans la province de Québec, et c'est la seule loi que la Cour suprême pouvait envisager à ce moment-là, car c'est la seule loi qui lui avait été soumise.

M. Hartt : Je suis d'accord avec cela. Ma perception, c'est que la loi instituant l'union civile ne se limitait pas aux conjoints de même sexe. La loi adoptée au Québec est un régime parallèle au mariage. J'ignore si le régime prévoit les mêmes droits que le mariage, ou s'il en exclut quelques-uns, comme, par exemple, les prestations de retraite. J'ignore cela. Ce n'est pas, selon moi, la solution de rechange qui devrait être soumise au tribunal. On aurait plutôt dû demander au tribunal si le mot « mariage », s'il n'est pas dénaturé, s'il n'est pas utilisé dans un sens terminologiquement contradictoire, signifie l'union entre un homme et une femme. Alors peut-être qu'au Québec, le fait d'avoir un régime distinct pour certains couples et pas pour d'autres est inconstitutionnel — même si je ne vois pas une telle affirmation dans le paragraphe 33; ils décrivent tout simplement la compétence provinciale. Si le mot mariage désigne l'union entre « un homme et une femme », et que tout le reste est accordé aux conjoints de même sexe, et que vous ne vous retranchez pas derrière le régime québécois, alors je crois que le tribunal n'a pas envisagé un régime complet d'union civile pour les conjoints de même sexe.

Le sénateur Joyal : Êtes-vous d'avis que le Parlement fédéral, en vertu du paragraphe 91(26) de la Loi constitutionnelle de 1867, n'est pas compétent, pour ce qui est d'étendre la notion de mariage aux gais ou aux personnes de même sexe?

M. Hartt : Fait intéressant à signaler, je n'ai pas fait valoir qu'il n'avait pas la compétence. Je reconnais que le Parlement a cette compétence, et il s'apprête à l'exercer. Je suis ici pour contester sa démarche, et j'avance que le Parlement n'est pas obligé de faire cela. Les circonstances qui ont mené le Parlement à cette démarche ont induit en erreur de nombreux membres du public, en raison des déclarations du Procureur général, et de certaines déclarations du Premier ministre qui n'étaient pas juridiquement correctes, et parce qu'on a déployé des efforts pour empêcher la Cour suprême, dans un autre paragraphe 33, de vraiment pouvoir examiner la vraie solution de rechange. Si je perds ce débat, d'accord, je l'ai perdu. Toutefois, on ne lui a jamais donné cette occasion. On lui a présenté une expression, « union civile », et ensuite, on lui a présenté le seul exemple, comme vous l'avez signalé, d'application pratique de cette notion, on lui a présenté une loi du Québec qui est censée établir des distinctions entre les couples de conjoints de sexe opposé. Elle n'a pas vraiment tranché, elle s'est contentée de rejeter l'expression et, franchement, de s'en remettre au Parlement. C'est ce qu'elle a fait. Elle s'en est remis au Parlement et a dit : « C'est ce que vous voulez faire. Vous pouvez le faire. » Je ne conteste pas cela; le Parlement est compétent.

Le sénateur Joyal : Vous êtes d'avis, comme vous l'avez déclaré — et vous voudrez peut-être clarifier votre pensée — qu'une majorité de Canadiens, les millions de personnes dont vous avez parlé dans votre déclaration, perdent quelque chose à cause de ce projet de loi? Autrement dit, les millions de Canadiens qui sont mariés — au sens traditionnel du mot — sont, selon votre avis juridique, perdants, en quelque sorte?

M. Hartt : Premièrement, c'est une question de perceptions. Je dois répondre qu'ils croient perdre quelque chose, tout comme, d'un point de vue psychologique, je vous concède que les conjoints de même sexe estiment devoir gagner le droit d'utiliser le mot. Voilà pourquoi j'affirme qu'il s'agit non pas d'une lutte fondée sur la Charte, mais bien d'une lutte politique. C'est une lutte politique. Chaque camp est convaincu de la nécessité, en ce qui concerne les conjoints de même sexe, de s'approprier le mot, avec le reste; et, dans le cas des tenants du mariage traditionnel, à moins qu'ils n'arrivent à préserver pour ce mot le sens qu'ils lui ont toujours donné, ils perdront quelque chose. Il y a un impact psychologique sur les groupes, sur les gagnants et les perdants de cette bataille. C'est non pas dans le domaine juridique, mais bien dans le domaine psychologique et politique. Pour moi, il ne s'agit pas d'une question juridique. Je ne peux répondre à cela. Cependant, j'ai en mains les résultats d'un sondage qui détaille les chiffres que je vous ai présentés.

Le sénateur Joyal : Nous avons tous vu les sondages. Nous savons que l'opinion publique est divisée. Mais ici, nous devons examiner un projet de loi. C'est à l'égard du projet de loi que nous devons prendre position, nous devons nous pencher sur le bien-fondé et les assises juridiques du projet de loi.

Votre conclusion, c'est qu'il ne s'agit pas de gagner ou de perdre la bataille juridique : le débat concerne davantage le contexte psychologique. Votre argumentation tient davantage à cela qu'à toute autre chose, pour ce qui est de ce que des conjoints de même sexe pourraient avoir l'impression de perdre en raison de ce projet de loi, c'est ça?

M. Hartt : Je serai très clair : je crois qu'il s'agit d'un enjeu psychologique et politique que le Parlement a transformé artificiellement en situation gagnante-perdante. Ceux qui appuient le mariage de personnes de même sexe gagnent, et les tenants de la définition traditionnelle du mariage perdent, alors que je suggère quelque chose qui permettrait à tout le monde de ressortir gagnant.

Le sénateur Joyal : C'est là que vous avez établi la quadrature du cercle?

M. Hartt : Je serais plus qu'heureux de voir ce que la Cour suprême a à dire; apparemment, le procureur général ne l'était pas.

Le sénateur Joyal : Êtes-vous d'avis que vous seriez fondé à soumettre cette question de nouveau à la Cour suprême à un moment donné?

M. Hartt : Si un autre gouvernement voulait soumettre un renvoi plus complet à la Cour suprême, le débat n'est jamais clos. Un Parlement futur peut toujours défaire, comme l'a signalé la Sénateur Cools, ce qu'un Parlement précédent a fait. Au cours d'un Parlement futur, il pourrait facilement y avoir un autre renvoi qui décrit la question dont le tribunal aurait dû être saisi. Si cela se révèle un échec, alors c'est terminé. Si la démarche réussit, alors le Parlement a la possibilité de revoir cette question à une date ultérieure.

Le sénateur Joyal : La cour s'est prononcée sur la validité constitutionnelle de sa décision.

M. Hartt : Non, elle n'a pas fait cela, monsieur le sénateur. Ce qu'elle a dit, avec tout le respect que je vous dois, c'est : « Si on me dit que c'est ce que le gouvernement veut promulguer, c'est conforme à la Constitution et je n'ai aucune objection à cela, alors c'est constitutionnel. » Quand on lui demande : « Y a-t-il autre chose que le gouvernement pourrait promulguer et qui serait constitutionnel? », elle répond : « Ne me demandez pas cela. Vous nous entraînerez dans le chaos. Si vous voulez faire ce que vous m'avez présenté, allez le faire. » Cela ne me dit pas qu'il n'y a qu'une seule solution.

Le sénateur Joyal : Croyez-vous que, avec tous les tribunaux provinciaux du pays qui ont eu l'occasion de se pencher sur ce dossier au cours des 30 dernières années — les cours d'appel de l'Ontario, de la Colombie-Britannique et du Québec, les neuf juges de la Cour suprême, à l'unanimité, sans aucune dissidence parmi tous les juges qui ont eu l'occasion de se pencher sur la question — que ces 30 juges, avec toutes leur sagesse et leurs connaissances de l'opinion publique — ils lisent les journaux, comme nous tous — croyez-vous, donc, que ces juges n'étaient pas ouverts à une approche qui aurait ouvert la voie à votre vision des choses?

M. Hartt : Je n'ai manifestement pas été clair. Dans tout tribunal, outre la Cour suprême, où la question a été renvoyée, il y avait des plaideurs. Les gens se sont présentés devant le tribunal et ont dit : « On porte atteinte à mes droits. Je vous demande d'invalider la disposition qui porte atteinte à mes droits. » Le tribunal a une décision binaire à prendre, il ne peut répondre que par oui ou par non. Il ne saurait dire : « Vous savez quoi, nous avons pensé à une nouvelle idée. Nous allons la mettre à l'essai. » Le tribunal ne peut faire cela. Cela va au-delà de ses compétences et du mandat qu'on lui a attribué. Les tribunaux devaient déterminer si les dispositions interdisant le mariage de personnes de même sexe sont constitutionnelles. Ils ont tous décidé qu'elles ne l'étaient pas.

La question dont la Cour suprême a été saisie était différente. La question présentée à la Cour suprême était la suivante : voici un projet de loi que nous voulons utiliser pour combler cette lacune constitutionnelle. Est-il constitutionnel? Les membres ont décidé, à l'unanimité, qu'il l'était. Le seul tribunal auquel on pourrait demander s'il y a une autre façon de faire, c'est la Cour suprême. Les tribunaux inférieurs, qui devaient trancher un litige, ne pouvaient être invités, dans le cadre d'une médiation, à trouver un compromis. Seule la Cour suprême a été invitée à proposer un autre moyen, et elle a refusé de le faire. Je crois que c'est extrêmement révélateur.

Le sénateur Ringuette : Vous devez être particulièrement prisée du Parti conservateur, car vous avez comparu ce matin à titre de témoin des Conservateurs devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales.

Le sénateur Cools : Rappel au Règlement.

Le sénateur Prud'homme : Les choses se déroulaient si bien. Ne nous arrêtons pas à des considérations partisanes.

Le sénateur Cools : Ne prêtons pas des intentions aux autres.

La présidente : Nous entendrons ce que les sénateurs ont à dire, et nous verrons après.

Le sénateur Ringuette : J'ai lu soigneusement votre mémoire. Cela m'a peinée de constater que vous ne mentionnez aucunement les droits des minorités ou les droits à l'égalité. Ensuite, vous parlez de « manipulation sociale ». Pourriez- vous nous fournir des précisions sur cette question, je vous prie?

M. Hartt : Premièrement, il est possible que certaines personnes m'aient suggéré à titre de témoin, mais j'ai été invité par le greffier du Comité dans les deux cas. Si on m'a invité ce matin, c'est qu'il y avait une raison. Le Comité se penche sur une loi budgétaire très bizarre. J'ai déjà été sous-ministre des Finances de notre pays, et je sais comment préparer un budget. J'étais là à titre de personne faisant autorité, et cela n'avait rien à voir avec mes allégeances politiques.

Le sénateur Cools : Bravo!

M. Hartt : Deuxièmement, mon mémoire est truffé d'allusions aux droits à l'égalité. Ce que j'avance, c'est qu'il y a plus d'une façon de protéger les droits à l'égalité.

Le sénateur Ringuette : Les droits des minorités.

M. Hartt : Mon commentaire sur la « manipulation sociale », c'est que, quand il y a deux moyens de protéger les droits à l'égalité, et que quelqu'un essaie de truquer la partie, c'est comme omettre de dire à l'équipe adverse à quelle heure le match commence, de sorte qu'on peut marquer six touchers avant que les joueurs adverses n'arrivent et s'habillent pour le match. Ils ont faussé le jeu en décidant de ne pas interjeter appel des prétendus jugements finaux et de laisser intéressés avancer les faits, en émettant des licences de mariage et en laissant les gens s'en remettre à ces jugements. En droit, il est important que les gens puissent s'appuyer sur les faits, sur des jugements, et sur des observations. En présentant les faits, et en soumettant le renvoi de la façon dont il l'a fait, le Parlement invitait la Cour suprême — à laquelle je ne reproche absolument rien — à régler la question comme elle l'a fait, c'est-à-dire essentiellement de s'en remettre au Parlement. Tout ça, c'est de la manipulation sociale. Si on cherchait uniquement à obtenir la bonne réponse juridique, on aurait pu procéder d'une autre façon.

Le sénateur Ringuette : J'ai déclaré que je n'ai vu aucune mention des droits des minorités dans votre mémoire. C'est un fait.

Vous avez également cité l'exemple de l'union de fait, à l'égard de laquelle on exigeait sept ans de cohabitation, et on n'exige plus qu'un an. En anglais, vous parlez de « common-law marriage ». À ma connaissance, cette forme d'union concerne deux personnes. On ne précise pas le sexe de ces personnes. Pourtant, vous parlez de mariage, de « common law marriage ».

Le sénateur Cools : C'est un terme très spécifique.

Le sénateur Ringuette : Il n'existe aucune exigence relative au sexe des deux personnes visées dans une union de fait. C'est quelque chose qui existe déjà et qui n'a jamais été contesté.

M. Hartt : Mon argument, c'est que le terme « common-law marriage » est utilisé pour décrire quelque chose que personne ne considère vraiment comme un mariage. En d'autres mots, personne n'avancerait que ces gens, qui n'ont pas participé à une cérémonie, fût-elle civile ou religieuse, sont mariés dans le même sens que ceux qui se sont épousés, car la volonté d'accepter le statut n'apparaît que plus tard. C'est un euphémisme que personne ne considère comme équivalent au mariage. Cela appuie mon argument au lieu de le contredire. Ainsi, l'État décide que les conséquences de la cohabitation sont identiques à celles du mariage, mais il n'y a eu aucune cérémonie. Je ne crois pas que cela mine mon argument. Cela veut dire que la société peut reconnaître, voire même imposer. N'oublions pas qu'il est question de personnes qui s'entendent pour avoir une relation au civil, avec certaines conséquences. La loi leur confère ces obligations après un an de cohabitation. Il ne s'agit pas de convenir de ne pas faire quelque chose. Les conséquences leur sont imposées.

Nous sommes loin de cela, en ce qui concerne le débat sur le mariage des conjoints de même sexe. Dans le cas qui nous occupe, il est question de gens qui veulent aller quelque part et accepter, de façon volontaire et officielle, par écrit s'il le faut, les conséquences civiles de leur relation. Je crois que c'est merveilleux. Je ne vois pas pourquoi nous devons continuellement dénaturer un mot qui a une origine. Je conviens qu'on l'a peut-être dénaturé quand on a commencé à redéfinir ce que l'ancienne loi qualifiait de « common-law marriage », mais personne ne dit que les gens qui sont conjoints de fait ont accepté — autrement que par le passage du temps — certaines conséquences civiles. Je ne suis pas certain qu'il serait terrible de dire aux conjoints de même sexe : vous serez dans une meilleure situation; vous irez quelque part et vous obtiendrez un certificat attestant que vous vous êtes engagés l'un envers l'autre, et que vous allez vivre au sein d'une relation intime permanente et exclusive. Je ne suis pas certain de voir d'analogie entre l'imposition par l'État d'obligations civiles à des parties qui partagent un passé économique et la façon dont l'État décide d'appeler une relation à l'égard de laquelle les deux personnes ont fait un choix.

Le sénateur Ringuette : C'est un fait social bien connu et accepté : les gens qui cohabitent pendant un an ont les mêmes obligations, comme vous dites, que les gens qui ont signé une licence de mariage; pourtant, en anglais, on qualifie encore cette relation de « common-law marriage », et cela s'applique aux deux personnes, quelle que soit leur orientation sexuelle.

Je regrette, mais cela n'appuie certainement pas votre déclaration. Nous utilisons couramment le mot « marriage », dans nos lois et à titre de société, pour désigner les unions de fait. Nous utilisons ce mot sans discrimination. Personne ne s'est présenté devant la Cour suprême du Canada pour protester et faire valoir qu'un « common-law marriage » entre un homme et une femme ne devrait pas être équivalent au « common-law marriage » de deux hommes ou de deux femmes.

Le sénateur Hervieux-Payette : Sauf au Québec. Au Québec, cela n'existe pas.

Le sénateur Ringuette : Nous parlons de loi nationale.

M. Hartt : J'avance que c'est une chose de protéger l'intérêt de l'État à miser sur la dépendance économique qui découle d'une relation afin qu'elle ne donne pas lieu à des abus. Si l'un des conjoints travaille et que l'autre reste à la maison pour préparer les repas et s'occuper des enfants, il importe que l'État veille à ce que personne ne se retrouve sans droit, advenant la rupture de cette relation. C'est un ordre d'idées complètement différent, car ces gens ne prétendent pas être mariés, au sens où ils ont participé à une cérémonie. Dans le cas qui nous occupe, il est question de gens qui se présenteront aux autorités en vue d'obtenir une licence et de prendre part à une cérémonie. Ils veulent participer à ce processus qu'on appelle le « mariage ». À un moment donné, les gens qui ont participé à ces cérémonies, en particulier dans le contexte d'un système de croyances, se disent qu'on devrait fixer une limite quelque part.

Le point que vous soulevez pourrait être présenté dans le cadre d'un renvoi à la Cour suprême. Je crois qu'il serait pertinent de voir comment les juges réagissent à l'idée selon laquelle le mot fait partie intégrante du statut, car je crois que c'est la base même de ce projet de loi. Cependant, je ne crois pas que cela règle la question, compte tenu de la nature différente des relations.

Le sénateur Pearson : Monsieur Hartt, j'ai lu votre mémoire. J'avais déjà lu l'article publié dans Maclean's, et je l'ai trouvé intéressant. Je comprends votre argument, car, dans une certaine mesure, c'est de ce point-là que je suis parti, il y a trois ou quatre ans, quand j'ai commencé à réfléchir de façon approfondie à cette question. Je n'en suis plus là. Je suis d'accord avec les nombreuses gens qui ont à cœur de préserver la définition traditionnelle du mariage. C'est, selon moi, incontestable. Je crois également que nombre d'entre nous ressentons de l'appréhension à l'égard du mot « traditionnel », car c'est un mot chargé.

Dans le troisième paragraphe de la dernière page, vous expliquez pourquoi certaines personnes sont pénalisées parce qu'elles ont des convictions sincères et qu'elles adhèrent à des normes sociales héritées des générations antérieures dans le contexte de leurs systèmes de croyances respectifs, alors qu'elles n'ont commis d'autre crime que de vivre une vie conforme aux valeurs qu'on leur avait appris à respecter et à mettre en pratique. De prime abord, cette déclaration a du bon. Toutefois, quand je me suis mariée, il y a 53 ans, je comptais parmi un nombre croissant de femmes de ma génération qui refusaient de faire vœu d'obéissance. J'ai promis de lui être fidèle jusqu'à ce que la mort nous sépare, dans les mauvais moments comme dans les bons, et j'ai respecté mon engagement, mais je n'avais aucune intention d'obéir.

À l'époque où je me suis mariée, c'était la norme traditionnelle. C'était une conception différentielle et sexospécifique du mariage. Nous parlons de la façon dont nous veillons à ce que les lois tiennent compte de plus en plus du sexe. Il importe, quand on examine cette question, de ne pas perdre de vue qu'une norme sociale me mérite pas nécessairement d'être maintenue parce qu'elle fait partie de nos traditions. Autrefois, on s'attendait à ce que l'épouse obéisse à son mari. Heureusement, ce n'est plus le cas aujourd'hui.

C'est un terrain glissant. Nous traversons tous une grande période de changement, une énorme transformation sociale.

Quand vous parlez de millions de Canadiens, je me demande si vous savez dans quelle mesure chaque génération est représentée, car les jeunes auxquels je parle semblent penser différemment.

M. Hartt : Je suis conscient des changements qui ont eu lieu. Mon épouse n'a jamais fait vœu d'obéissance et ne m'a jamais obéi, et je ne me suis jamais attendu à une telle chose.

Il y a des traditions et des normes qui peuvent évoluer sans que cela occasionne de préjudices importants aux personnes concernées, et il y en a d'autres à l'égard desquelles les gens veulent qu'on fixe des limites.

Vous avez raison de dire que les jeunes ont tendance à se demander pourquoi on fait tout ce tapage. Ils croient que le mariage des conjoints de même sexe ne pose problème qu'aux plus vieux.

La société évolue, et nous estimons qu'il faut fixer des limites à un moment donné. Un nombre croissant d'entre nous affirmons que nous ne sommes pas homophobes. Nous n'affirmons pas qu'il ne devrait pas y avoir de gais ou de lesbiennes ou que nous voulons faire comme s'ils n'existaient pas. Bien au contraire, nous acceptons leur droit ainsi que le besoin de la société de reconnaître ces relations d'amour, fondées sur un engagement exclusif et permanent, mais nous voulons qu'elles portent un autre nom, merci, bonsoir. Environ 95 p. 100 des personnes qui s'opposent au mariage gai appuient l'union civile. Je crois que 65 p. 100 des personnes s'opposent au mariage gai et que, de ce nombre, 95 p. 100 accepteraient l'union civile. Cela exclut les personnes extrêmement pieuses dont les textes sacrés définissent l'homosexualité comme un phénomène indésirable. Toutefois, lorsqu'on obtient des chiffres aussi importants, cela constitue en soi une évolution. Reportez-vous à l'époque où la religion exerçait davantage d'influence sur la société. On constaterait probablement que moins de 65 p. 100 des gens accepteraient l'union civile. Il nous faut déterminer jusqu'où nous irons, et à quel rythme. Est-ce qu'on le fait malgré la protestation vigoureuse d'un nombre important de personnes, ou est-ce qu'on laisse évoluer les choses naturellement? L'essence même de l'évolution sociale, c'est que la société évolue.

Il me semble qu'il y avait une autre façon de procéder. Cette autre façon n'a pas été retenue, et c'est cela que je suis venu dire aujourd'hui.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Hartt, je ne suis pas avocat, alors je vous prie de vous montrer patient avec moi. J'ai l'impression que vos arguments en faveur de cette autre solution, c'est-à-dire l'union civile qui ferait plaisir à un groupe de personnes et qui, par conséquent, serait, d'une façon ou d'une autre, acceptable, tiennent à l'idée selon laquelle les membres de ce groupe perdront quelque chose. Vous dites que cette perte est de nature psychologique, et je suis d'accord avec vous. Ils perdent quelque chose si les conjoints de même sexe ont la possibilité de se marier. Vous dites que le mariage des hétérosexuels est dévalué, rejeté et invalidé, mais il faudrait que vous puissiez quantifier ou étayer cette affirmation pour établir le bien-fondé de votre argument. Ce n'est pas chose facile.

Je n'arrive pas à voir en quoi ma relation, mon mariage avec mon épouse, serait dévalué par le mariage de quelqu'un d'autre. S'il en est ainsi, on pourrait avancer que les personnes qui divorcent dévaluent mon mariage, ou que ces gens qui se querellent, ou cet homme qui bat sa femme, dévaluent mon mariage. On ne saurait nier que la valeur de mon mariage est la responsabilité exclusive de mon épouse et de moi-même.

Si vous voulez placer cela dans le contexte d'une situation gagnant-perdant — et j'ai bien l'impression que c'est ce que nous allons faire — les conjoints de même sexe gagnent des choses qui sont importantes — l'acceptation, la compréhension et un renforcement du sentiment d'appartenance. Les homosexuels en général gagnent, car cela ajoute une brique de plus dans le mur de l'acceptation. La société gagne parce qu'elle est d'autant plus juste, qu'elle est d'autant plus compréhensive, et qu'elle est d'autant plus ouverte.

Vous avez parlé de division. Quand un groupe de personnes jouit d'un droit et qu'un autre ne jouit pas de ce droit, cela crée une division fondamentale et profonde. De plus, les couples hétérosexuels ne perdent rien. Ils ne voient peut- être pas de gain là-dedans, mais l'argument selon lequel leur relation perd de la valeur est difficile à comprendre.

M. Hartt : Vous avez certainement prouvé que vous êtes un sénateur plus jeune. Il y a une ligne bien définie dans les statistiques que j'ai consultées. Ce que vous venez de dire correspond à ce que la plupart des jeunes disent.

Le sénateur Mitchell : Est-ce qu'on est plus jeune à 53 ans?

M. Hartt : Vous ne faites pas votre âge, et vous êtes jeune de cœur.

Je concède qu'ils ne perdent rien, sur le plan juridique; autrement dit, aucun couple marié ne perd de droits, en ce qui concerne les conséquences civiles de son union. C'est facile. Toutefois, les gains et les pertes, tels que vous les avez décrits ...

Le sénateur Mitchell : J'ai dit qu'il n'y avait aucune perte.

M. Hartt : Je dis qu'il y a des pertes psychologiques. Il y a des gens qui ont adhéré à cette norme sociale parce qu'ils voulaient être un certain genre de personne. Ils ont vu l'exemple des générations antérieures, et ils voulaient vivre d'une certaine façon. Certains ont choisi cette voie par conviction religieuse, mais pas tout le monde. Ils ont accepté de vivre d'une certaine façon parce que la société leur avait dit que cela leur procurerait des avantages, et cela leur a procuré des avantages. Ils disent qu'ils ont choisi cela, alors que de nombreux autres ne l'ont pas choisi. De nombreuses personnes décident de vivre dans une relation de fait ou de se quitter la veille de la fin de l'année afin d'éviter la création d'une union de fait. De nombreuses autres personnes ont vécu dans la promiscuité, sans aucune forme d'engagement, ou ont vécu d'autres façons, mais ceux qui se sont mariés ont été récompensés d'avoir adopté le mode de vie que la société leur disait d'adopter. Ils sont fiers de cela. Ils marchent la tête haute, et fréquentent leurs pairs avec fierté, car ils ont fait ce que la société leur demandait.

Je ne crois pas que le Parlement veuille transmettre le message que la norme sociale peut changer après un certain temps, même si la société dit qu'un comportement donné est acceptable ou souhaitable. Ces gens croient qu'on leur enlève quelque chose. C'est pourquoi je vous ai raconté ce qui s'est produit devant le bureau de John Godfrey. J'y suis allé par curiosité. Ma présence n'avait certainement rien à voir avec les motifs religieux des organisateurs. Je voulais voir qui se présenterait, et ce qu'ils feraient. J'ai été bouleversé par l'émotivité de leur réaction. Les participants n'étaient pas nombreux, mais si vous multipliez 400 par 308 députés, et ajoutez le nombre de personnes qui ont pris part au sondage, vous verrez que cela représente un nombre considérable de personnes qui estiment qu'on leur enlève quelque chose.

Le sénateur Mitchell : Je suis fondamentalement en désaccord avec vous. Au bout du compte, vous dites qu'un groupe a droit à quelque chose qui a de la valeur et qu'un autre n'y a pas droit, tout simplement parce que le premier groupe y a toujours eu droit. Lorsqu'on vit en société, on fait certains compromis pour que les gens se sentent les bienvenus. Nous faisons des sacrifices au sein de notre collectivité et de notre famille, pour renforcer notre société. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un sacrifice particulièrement lourd, pour faire en sorte que ce groupe se sente bienvenu au sein de notre société, pour veiller à ce qu'une jeune personne de 16 ans ne se sente pas différente, exclue et inférieure. Cela ne me semble pas un argument acceptable, de dire que vous n'êtes pas disposé à faire ce petit sacrifice.

La présidente : Monsieur Hartt, je tiens à vous remercier d'avoir témoigné aujourd'hui. Il y aura toujours des divergences d'opinion.

Notre prochain témoin est M. Phillip Horgan.

M. Phillip Horgan, président, Ligue catholique des droits de l'homme : Bonjour. Je suis avocat à Toronto, et je suis également président de la Ligue catholique des droits de l'homme, organisme laïc national sans but lucratif qui fait la promotion des enseignements de l'Église catholique qui s'appliquent à la vie publique. Sur la question du mariage, la ligue a participé à toutes les audiences des tribunaux de première instance des provinces de la Colombie-Britannique, de l'Ontario et du Québec, ainsi qu'à tous les appels, à titre de membre de la coalition interconfessionnelle des communautés chrétienne, musulmane et sikhe. Notre coalition a également demandé l'autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada dans l'affaire Halpern, entendue par la Cour d'appel de l'Ontario en 2003, mais notre demande a été refusée. Nous avons également agi à titre d'intervenant dans le cadre du renvoi du projet de loi sur le mariage devant la Cour suprême du Canada, l'automne dernier.

Je présenterai mon exposé en trois sections. Je comparerai le processus judiciaire au processus législatif dans lequel nous nous sommes engagés. Je suis également conscient de la réalité politique, et je crois savoir qu'il y a eu un vote de 43 à 12 à l'occasion de la deuxième lecture de ce projet de loi au Sénat. Sans avoir à relancer le débat sur le bien-fondé de la question, j'espère mettre de l'avant une suggestion pratique relative à la mise en œuvre, et j'espère qu'elle saura gagner votre faveur.

Comme nous l'avons signalé dans une petite lettre que nous avions transmise avant d'être invités à témoigner aujourd'hui, nous sommes très sceptiques à l'idée que votre Comité et le Sénat envisageraient des modifications. Nous sommes particulièrement préoccupés par la réaction suscitée par le sénateur Kinsella lorsqu'il a eu la prévenance de proposer une modification en vue de continuer de reconnaître le mariage traditionnel.

Nous demandons instamment au Sénat de jouer son rôle traditionnel et de procéder à un second examen objectif et d'envisager des amendements convenables pour réagir aux problèmes pressants en matière de droits de la personne qui sont soulevés par ce changement radical de notre conception du mariage. Il n'y a aucun mal à retourner ce projet de loi à la Chambre des communes assorti d'amendements supplémentaires. Même si nous aurions préféré que le projet de loi C-38 ne se rende jamais à cette étape, nous croyons que le Sénat peut fournir des directives à la Chambre des communes en vue de donner suite aux préoccupations en matière de droits de la personne soulevées par la redéfinition d'une institution fondamentale de notre société.

Dressons tout d'abord l'historique. Dans le sillon tracé en solitaire par le juge Pitfield de la Colombie-Britannique en 2001, les trois décisions suivantes de tribunaux de l'Ontario, de la Colombie-Britannique et du Québec dans des affaires relatives au mariage de personnes de même sexe réservaient au Parlement le droit de modifier la définition du mariage et de réagir aux problèmes touchant la religion et les droits de la personne qui ne tarderaient pas à venir, après un changement social d'une si grande portée.

Ce n'est qu'en juin 2003 que la Cour d'appel de l'Ontario a pris la profonde décision de remédier immédiatement à la situation du couple de demandeurs et de faire fi de la décision antérieure d'autres tribunaux de s'en remettre au Parlement.

Le député Pat O'Brien a fourni d'excellents détails des manigances qui ont suivi, au sein du Comité de la justice de la Chambre des communes, lorsqu'on a fait opposition à des efforts pour soutenir une résolution visant à interjeter appel de l'affaire Halpern. Je vous renvoie à son témoignage du 31 mai, jour où j'ai moi-même témoigné devant le comité législatif sur le projet de loi C-38.

« À quel moment y a-t-il eu un débat public sur la question? » Le gouvernement fédéral a ensuite demandé à la Cour suprême du Canada de se prononcer sur trois questions relatives à son projet de loi en trois volets prévoyant la redéfinition du mariage, ainsi que sur une quatrième question, concernant la possibilité que l'exigence relative au couple de sexe opposé aille à l'encontre de la Charte. J'ai entendu certaines personnes avancer que l'enjeu du mariage de personnes de même sexe a été débattu dans le cadre de la dernière campagne électorale fédérale. Le Parti libéral fédéral ne saurait sérieusement avancer une telle chose, car il a demandé et obtenu une prolongation des audiences du renvoi devant la Cour suprême jusqu'en octobre 2004, afin d'éviter que la question puisse être débattue dans le cadre de l'élection, en juin dernier. Les décisions initiales de sept juges dans trois provinces — la Colombie-Britannique, l'Ontario et le Québec — s'en remettaient au Parlement. Le Parlement a un rôle à jouer au chapitre de la législation, et je vous demande instamment d'accepter ce rôle. C'est un rôle qui s'est révélé important, même si des groupes comme la Ligue catholique des droits de l'homme, les grandes religions, des organismes de bienfaisance et d'autres, y compris la majorité des Canadiens, s'opposent à la redéfinition du « mariage ». Au lieu d'accepter la décision de trois juges ontariens selon laquelle il faut changer la définition du terme « mariage », nous avons vu le processus législatif en action. Les débats parlementaires et les audiences du comité ont déjà mené à des amendements. Vous vous souviendrez peut-être que la version initiale du projet de loi examinée par la Cour suprême comptait trois sections. Au moment de la première lecture à la Chambre des communes, le projet de loi C-38 comptait 14 sections. Le projet de loi adopté par la Chambre intégrait trois amendements supplémentaires. La nouvelle version du projet de loi C-38 devait donner suite à des préoccupations qui allaient au-delà de la simple modification d'une définition, comme le proposait la Cour d'appel de l'Ontario en 2003. Les députés ont déjà reconnu que la liberté de religion et d'expression ainsi que la protection du statut d'organisme de bienfaisance des groupes religieux exigeaient une protection supérieure à celle que prévoyait initialement le projet de loi C-38. À la lumière de son expérience, la Ligue catholique des droits de l'homme est convaincue que le Sénat doit proposer des amendements supplémentaires.

Je vous rappelle que le préambule prévoit que rien dans le projet C-38 « n'a pas pour effet de porter atteinte à la garantie dont fait l'objet [la] liberté [de conscience et de religion], en particulier celle qui permet aux membres de groupes religieux d'avoir et d'exprimer les convictions religieuses de leur choix, et aux autorités religieuses de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses ». Et il y a un amendement qui prévoit « qu'il n'est pas contraire à l'intérêt public d'avoir des opinions variées sur le mariage et de les exprimer publiquement ».

Pas plus tard que la semaine dernière, le détective James Hogan de l'unité des crimes haineux de la police de Toronto s'est rendu à notre bureau pour obtenir de l'information après avoir reçu une plainte de crimes haineux portés contre nous, à la lumière d'un dépliant produit par la Defend Marriage Coalition. Vous ne l'avez peut-être pas vu, mais ce document ne contient pas un seul mot contre les homosexuels ou leur comportement. Le dépliant fait tout simplement valoir la croyance traditionnelle selon laquelle le mariage est une institution divine consacrée principalement à la reproduction. Il s'assortit également d'un message qui incite le lecteur à communiquer avec son député s'il est d'accord avec cette position. Si un dépliant politique modéré comme celui-ci peut faire l'objet de plaintes de crimes motivés par la haine, nous avons de bonnes raisons de craindre que tous les documents d'éducation et de défense des droits produits par toutes les grandes religions du monde feront bientôt l'objet de poursuites. Même si certains avancent qu'il s'agit d'un cas isolé et que cela ne mènera probablement à rien, nous croyons qu'il faut l'envisager dans le contexte d'affaires similaires, comme les mesures disciplinaires prises contre un enseignant de la Colombie-Britannique, pour avoir tenu des propos critiquant l'homosexualité dans une lettre destinée au Courrier des lecteurs; la contestation, dans le cadre d'une campagne sur les droits de la personne, contre les lettres pastorales rédigées par Mgr Fred Henry dans lesquelles il défend la conception traditionnelle du mariage; la contestation de l'annulation d'une location de salle à un couple de lesbiennes par les Chevaliers de Colomb; et le cas de Hugh Owens, de la Saskatchewan, où des extraits de la Bible, utilisés dans le cadre d'une publicité, ont été qualifiés de littérature haineuse. Parmi les autres exemples, mentionnons la contestation relative à la demande des trois parents, dont la Cour d'appel de l'Ontario est actuellement saisie. Il s'agit d'une affaire où la partenaire lesbienne de la mère biologique d'un enfant, conçu avec l'aide d'un père biologique, cherche à redéfinir le mot « parent » dans la Loi portant réforme du droit des successions de l'Ontario.

Tous ces exemples relèvent de la compétence provinciale. Un projet de loi fédéral aurait bien peu d'effets sur ces affaires. De telles contestations se multiplieront et deviendront plus difficiles à défendre sous le régime du projet de loi C-38. Si on reconnaît le mariage de personnes de même sexe à titre de droit de la personne, comme le croient ses tenants, le déni de ce droit devient une violation des droits de la personne. Le projet de loi C-38 va bien au-delà de la simple reconnaissance d'un éventail plus large de relations familiales. Ses principes directeurs ont déjà un effet dissuasif sur ce que les gens écrivent et sur ce qu'ils peuvent dire sur une tribune publique, ainsi que sur ce qu'ils peuvent enseigner dans leurs écoles, ou sur leur capacité de réglementer l'utilisation de leur propriété.

Je vous apporte aujourd'hui un autre exemple d'une note transmise aux enseignants d'une commission scolaire publique torontoise en réponse à la question d'un enseignant : « Est-ce que l'école devrait signifier un avis ou transmettre un feuillet d'autorisation à la maison avant de commencer des travaux en classe concernant les gais et lesbiennes? » La réponse était claire et nette : non. « Si une école traite le sujet de l'orientation sexuelle ou de l'anti- homophobie différemment de l'éventail d'autres sujets d'enseignement, cette façon de faire pourrait être interprétée comme une pratique discriminatoire. Les politiques de la commission scolaire prévoient que chaque école est responsable de dispenser un enseignement au sujet de la diversité de ses étudiants, et de veiller à ce que cet enseignement reflète leur diversité. » On parle ensuite des efforts d'un enseignant consciencieux pour porter à l'attention des parents certaines questions abordées dans le cadre d'un programme relatif à la vie familiale d'une école publique. On ne devrait pas porter de telles questions à l'attention des parents.

Nous nous aventurons non pas en territoire inconnu, mais bien dans une zone où les protections établies seront contestées et réglées au cas par cas. De fait, la Cour suprême a clairement fait savoir qu'elle examinera ces dossiers de façon ponctuelle dans le cours normal de ses activités : mais à quel coût pour les citoyens, ou pour la vie publique canadienne en général? Nous avons raison de craindre que ces enjeux susciteront de l'angoisse, et occasionneront des coûts et des dépenses pour les organismes religieux et autres qui voudront défendre cette liberté de conscience et de religion qui leur est si chère.

Une part importante du droit relatif au mariage relève de la compétence provinciale. L'Ontario s'est déjà proposé de modifier des dizaines de lois qui concernent le mariage, et même d'offrir aux registraires des solutions de rechange utiles pour remplacer les mots « mari » et « épouse ». On peut maintenant s'inscrire à titre de « conjoint » sur le formulaire de demande relatif au mariage. Je présume qu'un juge dira désormais : « Prenez-vous ce conjoint comme coauteur — ou coauteure, le cas échéant — de votre demande de licence de mariage » — ce n'est peut-être pas ce qu'il y a de plus romantique, mais on peut difficilement faire mieux en matière d'inclusivité.

Histoire de limiter notre suggestion à un aspect qui relève de la compétence fédérale, nous suggérons que le Sénat modifie le projet de loi C-38 de façon à déplacer du préambule au corps même de la loi la déclaration selon laquelle l'expression pacifique de ses croyances et convictions religieuses est une catégorie protégée qui ne saurait faire l'objet de poursuites. L'article 3.1 proposé, qui est un amendement, jette déjà les bases d'un tel amendement en reconnaissant le besoin de protéger la liberté de religion ou d'expression. La protection explicite du clergé et de groupes religieux est inadéquate, car une grande part de l'opposition au mariage de personnes de même sexe et des activités militantes connexes est liée à des gens et à des groupes qui sont peut-être bien religieux, mais qui ne sont pas, à proprement parler, des religions. C'est là l'essentiel des préoccupations qui ont été soulevées au sujet des droits des commissaires aux mariages civils qui refusent de célébrer le mariage de personnes de même sexe.

Nous recommandons également que votre Comité envisage un amendement du projet de loi C-38 qui exigerait que les provinces adoptent ou aient l'occasion d'adopter des lois protectrices permettant de donner suite à certaines préoccupations, comme les droits liés à la célébration, à l'éducation et à la propriété, qui relèvent de leur compétence. Le moyen le plus facile de faire cela sans nuire à l'adoption de ce projet de loi est de préciser que la loi entrera en vigueur après une période de un an, ou, disons, au plus tard le 30 juin 2006. J'ai fait suivre au greffier un bref résumé de deux pages relatif à ces amendements. J'espère qu'il les a bien reçus.

Dans le mémoire, j'ai résumé les quatre amendements qui, selon moi, méritent d'être portés à votre attention. J'ai réitéré, à la page 1, que la Ligue catholique des droits de l'homme, qui est intervenue sur cette question à tous les échelons, aurait préféré qu'on ne soit pas rendu à cette étape. Toutefois, cela fait partie du processus législatif. C'est exactement ce que ces trois premiers tribunaux — l'une de ces décisions a été prise il y a trois ans aujourd'hui, par la Cour divisionnaire de l'Ontario — ont demandé : que le Parlement ait l'occasion de produire une solution législative.

Le premier point parle de quelque chose que le sénateur Kinsella a peut-être mentionné, c'est-à-dire la reconnaissance de la définition traditionnelle du terme « mariage » dans le projet de loi. Les points 2 à 4 concernent les enjeux liés à la contestation de la liberté de religion et de conscience des commissaires aux mariages et d'autres employés prenant part aux cérémonies au civil. De même, les écoles religieuses doivent pouvoir conserver leurs programmes d'enseignement et leurs programmes relatifs à la vie familiale. Le point 3 et le point 4 prévoient que les provinces doivent adopter des lois qui respectent le droit des parents de soustraire leurs enfants à certains cours, dans les écoles publiques. Il y a d'autres enjeux : les enjeux liés au droit à la propriété, des enjeux liés aux lieux sacrés, et ainsi de suite. On pourrait donner suite à toutes ces questions grâce à un amendement du Sénat prévoyant que le projet de loi n'entrera en vigueur que, par exemple, le 30 juin 2006, ou peut-être même plus tard. Je crois que le document dit 2007, mais on devrait lire 2006.

Une telle démarche procurerait plusieurs avantages : premièrement, en permettant à cette question d'être débattue dans le cadre d'une campagne électorale fédérale, laquelle nous a été promise pour l'an prochain, le Sénat renforce sa position à titre de bastion de la démocratie; deuxièmement, cela permettrait aux Canadiens d'exprimer leurs points de vue; troisièmement, maintenant que huit provinces et un territoire autorisent le mariage de personnes de même sexe, cela permettrait d'atténuer la division profonde occasionnée par ce projet de loi, sans pour autant miner la capacité de la plupart des couples de même sexe d'obtenir une telle licence. De plus — et c'est peut-être là un des aspects les plus importants — le report de la promulgation de la loi permettrait aux Canadiens de réfléchir sur l'impact de ces changements sur la société.

Avant de répondre à vos questions, j'aimerais terminer en signalant que la Bible et le catéchisme de l'Église catholique affirment que Dieu a créé chaque personne à son image, et que chacun a droit au respect et à la dignité. Tout le monde a le droit au respect et à la dignité, quelle que soit son orientation sexuelle. De nombreuses relations enrichissent la vie familiale et communautaire, mais le mariage s'inscrit dans une classe à part, en raison de sa capacité unique d'assurer la pérennité des générations futures. Nous vous demandons instamment de faire tout en votre pouvoir pour assurer l'égalité de tous les citoyens en renforçant les dispositions de ce projet de loi relatives à la liberté de religion et de conscience.

Le sénateur Cools : Vous avez lu une lettre au sujet de l'enseignant consciencieux qui tentait de soulever des questions. Nous pourrions peut-être obtenir des copies de cette lettre, et l'annexer au compte rendu de l'audience d'aujourd'hui.

Le sénateur St. Germain : Monsieur Horgan, en ce qui concerne l'affaire de Mgr Fred Henry et les lettres pastorales qu'il a rédigées à la défense du mariage traditionnel, on nous a dit que le tribunal des droits de la personne de l'Alberta n'y donnerait pas suite. Êtes-vous au courant de l'état d'avancement de cette affaire?

M. Horgan : Je n'ai aucune connaissance directe du dossier. En général, dans le cadre de tout processus provincial relatif aux droits de la personne, on déploie des efforts de médiation avant de donner suite à la plainte. Après la présentation de la plainte à Mgr Henry — et je crois savoir qu'elle lui a été présentée —, il a répondu au moyen d'un mémoire. Avant qu'on ne passe à l'étape des audiences devant une commission, on déploie des efforts de médiation. Je ne sais pas vraiment où ils en sont à l'heure actuelle.

Le sénateur St. Germain : Dans le contexte où le sénateur Kinsella a cherché à faire reconnaître la définition traditionnelle du mariage, est-ce que cela ne va pas à l'encontre du fait que le mariage est, aux yeux d'un grand nombre de personnes, un sacrement? Ce n'est pas la solution au problème. Un grand nombre de personnes au pays admettent le fait que l'union civile est acceptable pour ceux qui veulent vivre ensemble, et que l'union civile ne se limite pas exclusivement à une situation de mariage entre un homme et une femme. Ne croyez-vous pas que le fait de préciser cela dans le projet de loi réduit l'importance du mot « mariage » aux yeux de l'Église catholique, de l'ensemble des chrétiens et de diverses autres religions?

M. Horgan : Il règne une préoccupation générale concernant le fait que la redéfinition du mariage n'est pas une simple extension des droits liés au mariage à d'autres parties. On craint que le mariage — tel qu'il est envisagé couramment par notre société — ne devienne une pâle imitation de ce qu'il était. On réoriente la relation afin qu'elle soit axée sur la relation d'amour entre deux adultes, alors qu'elle était autrefois axée sur les enfants, ce qui reflète une conception plus complète de l'importance du mariage dans notre société.

Je n'appuie pas ce projet de loi. Dans la mesure où, au point où nous en sommes, conscient du contexte politique actuel et du fait que le Sénat a exprimé son intention d'appuyer le projet de loi en principe, je tente de m'en tenir aux amendements qui, je crois, pourraient trouver une oreille attentive, à l'intérieur et à l'extérieur de votre Chambre. En particulier, l'amendement que je trouve le plus attrayant est celui qui demande quel mal il y a à laisser les gens s'exprimer. Quel mal y a-t-il à reporter l'entrée en vigueur de la loi jusqu'à la prochaine élection fédérale, laquelle nous a été promise par notre Premier ministre au cours des six à huit prochains mois?

Le sénateur St. Germain : Je n'ai rien à redire à cela. Mais je ne vois pas ce qu'on accomplit en définissant le sens traditionnel du mariage et en enchâssant cette définition dans le projet de loi. Le projet de loi demeurerait tel qu'il est. Il s'agirait uniquement d'un ajout au projet de loi. J'essaie de déterminer le bien-fondé d'un tel ajout, et je n'arrive pas à voir ce qu'il apporterait de plus.

M. Horgan : Il s'agit de changements au préambule. La disposition ajoutée par amendement au préambule du projet de loi, d'après ce que j'ai compris, est le huitième élément du préambule, où on peut lire ce qui suit :

Attendu [...] qu'il n'est pas contraire à l'intérêt public d'avoir des opinions variées sur le mariage et de les exprimer publiquement;

C'est dans le préambule, ce n'est pas un article applicable du projet de loi. Si on veut proposer des choses dans le préambule du projet de loi et qu'elles aient une portée, il faut les verser dans un article applicable du projet de loi. Il faut permettre à un juge de formuler des conclusions fondées sur ces articles.

Nous savons tous, à titre d'avocats, que le préambule ne fait pas partie des articles applicables des projets de loi ou des contrats. Dans la mesure où on reconnaît ces principes importants, l'une des options qui s'offrent à nous est de les verser dans les articles applicables de la loi.

Le sénateur Andreychuk : J'aimerais que vous commentiez vos déclarations au sujet des protections que vous voulez pour la religion. Un témoin antérieur a formulé un commentaire intéressant selon lequel, en réalité, il y a deux sociétés qui se font concurrence au Canada. Un groupe estime qu'il ne pourra pas être égal si on ne le reconnaît pas, c'est le groupe des conjoints de même sexe. L'autre groupe comprend les personnes qui valorisent la définition traditionnelle du mariage et son application exclusive aux hétérosexuels. Inévitablement, que cette loi soit promulguée ou non, il y aura des gagnants et des perdants, car c'est de cette façon que nous avons orienté le débat. Avez-vous quelque chose à dire à cet égard?

M. Horgan : Je peux vous dire que les collectivités qui s'adressent à moi et qui me font part de leurs préoccupations se sentent énormément frustrées, déprimées et pessimistes à l'égard de ce processus. Premièrement, on a fait passer la question par les tribunaux, où le citoyen moyen n'a aucune possibilité de s'exprimer. Ensuite, à un moment donné, le Procureur général du Canada, comme l'a mentionné la Sénateur Cools hier, a changé de camp au milieu de la deuxième période du match de hockey, et est devenu l'entraîneur de l'autre équipe.

J'ai assisté à des actions en justice où l'avocat qui représente le Procureur général a mis en relief des répercussions importantes du mariage de personnes de même sexe sur la société, et, selon moi, que le Procureur général ait effectivement abandonné ces arguments et adopté ceux des conjoints de même sexe est un exercice qui se démarque dans l'histoire canadienne. Cela soulève des questions quant à la portée de ce qu'un procureur général ou un ministre de la Justice est censé faire, quant à la portée de ce que peut faire tout procureur de la Couronne, dans le cadre d'un dossier donné, pour veiller à ce que justice soit faite.

Les choses se sont aggravées, à mon avis, quand, après l'arrêt Halpern, les groupes d'intervenants ont tenté d'en appeler de la décision devant la Cour suprême du Canada. La demande des groupes a été refusée en octobre 2003, à la suite d'une requête présentée non pas par les demandeurs, mais bien par le Procureur général du Canada, selon laquelle il était inapproprié pour ces groupes d'intervenants de porter en appel une question d'importance nationale. Même si un dossier existait déjà, et que l'affaire aurait pu facilement être présentée à la Cour suprême, le Procureur général a dit que cela relevait du pouvoir exécutif. Il n'a pas dit que cela relevait du Procureur général; il a dit que cela relevait du pouvoir exécutif, le pouvoir interne du Cabinet du Premier ministre, selon moi, lequel a effectivement déclaré avoir le droit de contrôler la procédure. C'est ce qu'on a fait valoir aux cinq juges de la Cour suprême du Canada.

La Cour suprême s'en est effectivement remis à l'organe exécutif, et a déclaré qu'elle voulait faire un renvoi, que l'organe exécutif avait la capacité de faire cela, et qu'elle lui permettrait de faire cela. Les cinq juges de la Cour suprême n'ont fourni aucune raison à ce moment-là, mais c'était certainement la teneur de leur argument.

L'ajout de la quatrième question était, selon moi, une manœuvre politique visant à permettre aux politiciens — quelles que soient leurs allégeances — de dire qu'ils attendent que la Cour suprême se prononce. L'un des premiers arguments soulevés à la Cour suprême du Canada concerne le fait que cette affaire aurait pu être portée en appel, que le dossier existant aurait pu être soumis à la Cour suprême, et que tous les enjeux auraient été portés à son attention. On avançait que le tribunal était transformé en organe politique.

Par conséquent, le tribunal a rendu sa décision en décembre l'an dernier, et maintenant, nous avons un processus politique. Le processus politique est amorcé, mais, en toute franchise, on a limité les débats, précipité les travaux et procédé à la mise aux voix. Histoire de vous citer un exemple personnel, on m'a accordé moins de 24 heures de préavis en vue de mon témoignage devant le Comité législatif sur le projet de loi C-38, le 31 mai. Je n'ai jamais vu un exercice aussi arbitraire que celui qui a permis à ce projet de loi d'en arriver au stade où il est maintenant.

À titre de sénateurs, vous êtes dans la position unique de pouvoir renverser le déficit démocratique au pays. Les membres délégués du Sénat peuvent dire : « Calmons-nous, prenons le temps de faire le point sur ce processus. » Vous pouvez faire cela en précisant tout simplement que cette loi ne doit pas entrer en vigueur avant juin 2006. Ainsi, tous les Canadiens comprendront qu'il y aura, dans le cadre de la prochaine campagne électorale fédérale, un enjeu qui pourrait les toucher, eux et leur famille.

Le sénateur Milne : Monsieur Horgan, vous nous avez demandé quel mal il y aurait à renvoyer ce projet de loi à la Chambre des communes. J'ai la très forte impression que les députés des deux camps ne nous seraient pas très reconnaissants de faire cela.

M. Horgan : Mais les citoyens du Canada le seraient peut-être, sénateur.

Le sénateur Milne : Les députés ne veulent tout simplement pas devoir se pencher de nouveau sur le projet de loi.

J'ai quelques brèves questions à vous poser, et, histoire de gagner du temps, je vous saurais gré de répondre avec concision.

Est-il juste d'affirmer que vous vous opposez à la nouvelle définition du mariage que propose ce projet de loi?

M. Horgan : Oui.

Le sénateur Milne : Toutefois, vous appuyez la définition traditionnelle du mariage, c'est-à-dire l'union entre un homme et une femme, n'est-ce pas?

M. Horgan : Oui.

Le sénateur Milne : N'est-il pas vrai que, de votre point de vue, cette définition figure dans la Bible, et que la Ligue catholique des droits de l'homme se sent attaquée lorsqu'un changement est proposé?

M. Horgan : Nous sommes préoccupés par les répercussions sur l'ensemble de la société, dans la mesure où nous nous lançons dans un exercice qui divisera les Canadiens en ce qui concerne leur conception du vrai mariage.

En toute franchise, la question portée devant les tribunaux, et, dans une certaine mesure, devant vous, madame la Sénateur, tient non pas tant à la redéfinition du mot qu'à son sens réel. Dans la mesure où les tribunaux ont accepté un ensemble d'arguments selon lequel la notion de mariage correspond à une relation axée sur les adultes, cela signifie que la définition peut changer, et qu'elle peut continuer de changer.

L'Église catholique et la plupart des grandes religions du monde comprennent que le mariage est une relation beaucoup plus profonde et plus fructueuse, axé sur les enfants.

Le sénateur Milne : Vous êtes ici parce que vous voulez défendre votre droit de pratiquer votre religion comme vous l'entendez?

M. Horgan : Je ne crois pas que ce soit un enjeu, dans le cas qui nous occupe. Si ça l'est, il y aurait lieu d'être préoccupé, madame la Sénateur.

Le sénateur Milne : Par conséquent, vous convenez que le gouvernement n'a pas affaire à définir la nature des institutions religieuses?

M. Horgan : Je conviens que le Sénat n'a pas à dire à l'Église catholique ce qu'elle devrait faire.

Le sénateur Milne : Exactement : le gouvernement et le Sénat ne peuvent choisir les gagnants lorsqu'il s'agit de questions religieuses. C'est exactement la protection que prévoit la Charte des droits et libertés, n'est-ce pas?

M. Horgan : De fait, au cours d'une seule décennie à peine, la Charte a radicalement redéfini des choses qu'on ne prévoyait jamais changer à l'époque de la création de la Charte, en 1982.

Le sénateur Milne : Mais vous convenez que le gouvernement ne peut choisir des gagnants, n'est-ce pas?

M. Horgan : Le gouvernement choisit constamment des gagnants. Je présume que cela arrive fréquemment dans votre propre sphère de compétence, dans l'industrie, et dans tous les secteurs de la société. Bien sûr, il choisit des gagnants et des perdants. S'il ne choisissait pas des gagnants et des perdants, nous aurions des criminels en liberté, car si nous voulions éviter à tout prix qu'il y ait des gagnants et des perdants, on ne pourrait rien faire pour arrêter ces criminels.

Le sénateur Milne : Convenez-vous qu'il y a des gens religieux qui ne partagent pas votre perception du mariage?

M. Horgan : Certainement.

Le sénateur Milne : Savez-vous que l'Église unie du Canada appuie le mariage de personnes de même sexe depuis plusieurs années déjà?

M. Horgan : Ce n'est pas tout à fait le cas, madame la Sénateur. L'Église unie a dit qu'il incombe à chaque congrégation de décider. L'Église unie a accepté cela à l'échelon national, mais c'est une décision qui peut être prise par chaque congrégation.

Le sénateur Milne : Je ne veux pas m'en prendre à l'Église unie, et je suis certaine que vous ne voulez pas cela non plus, mais je crois que vous conviendrez que l'Église unie est une religion plutôt en vue. Ce n'est pas une religion marginale. Elle ne prend pas l'interprétation de la Bible et ses enseignements sur Dieu à la légère. Convenez-vous qu'elle constitue un groupe religieux bien organisé et accepté au Canada?

M. Horgan : Je concède qu'il s'agit d'un groupe religieux au Canada. Je laisse les démographes déterminer si cette Église compte pour une part croissante ou décroissante de la population religieuse.

Le sénateur Milne : Je crois comprendre, d'après ce que vous avez déclaré, que vous convenez du fait que de nombreux chefs religieux, d'une foule de religions, croient que deux personnes du même sexe peuvent être unies par les liens sacrés du mariage, n'est-ce pas?

M. Horgan : Il est vrai que certains groupes religieux reconnaissent cela.

Le sénateur Milne : Je crois que nous avons établi plus tôt qu'il n'appartient pas au gouvernement de favoriser certains groupes religieux aux dépens d'autres groupes religieux, car c'est justement cela que la Charte protège, n'est-ce pas?

M. Horgan : Je n'ai pas admis cela, madame la sénateur.

Le sénateur Milne : Vous n'avez pas convenu de cela, mais c'est la protection que prévoit la Charte.

Vous demandez au gouvernement de définir le mariage de votre façon, et de faire fi des droits prévus dans la Charte, et de la position d'un grand nombre de groupes religieux. Vous voulez que le gouvernement adhère à votre conception du mariage. Comment pouvez-vous exiger que le gouvernement favorise certains groupes religieux alors qu'il est clair que vous croyez, tout comme moi, que la Charte protège tous les Canadiens d'une telle intervention gouvernementale?

M. Horgan : Je crois que vous présentez une fausse dichotomie. Comme l'a déclaré M. Hartt, d'autres options n'ont pas été présentées.

J'ai participé à titre d'intervenant dans le cadre des affaires entendues par les diverses cours d'appel. Même si des arguments ont été présentés à la Cour divisionnaire de l'Ontario, à la Cour d'appel de la Colombie-Britannique et à la Cour supérieure du Québec, et que chacun de ces tribunaux avait initialement signalé son intention de laisser le Parlement trancher, le comité de la justice de la Chambre des communes a tenu des audiences. Ces audiences ont commencé en 2002 et se sont poursuivies pendant une bonne partie de 2003. Je crois savoir que plus de 647 témoins ont comparu à l'occasion de ces audiences. Le livre blanc du gouvernement, émis par le Procureur général, énonçait trois ou quatre solutions de rechange à l'égard desquelles le comité entendait des exposés.

On a divulgué aux diverses cours d'appel le fait que ce processus était en cours. J'étais présent, en avril 2003, quand cette observation a été présentée aux trois juges de la Cour d'appel de l'Ontario, par exemple. Il était entendu que ce processus législatif était sur le point d'être amorcé. Nous avons vu l'impact de ce processus législatif. S'il s'agissait tout simplement d'un changement de définition, il n'y aurait pas eu d'audiences publiques sur le projet de loi C-38. Il n'y aurait pas eu d'amendements au projet de loi. Nous aurions eu un projet de loi de trois articles, et on présume qu'il aurait été maintenu par la Cour suprême du Canada. Ce n'est pas le projet de loi que vous avez devant vous aujourd'hui. Il y a eu un processus législatif. Tout cela a été court-circuité par la Cour d'appel de l'Ontario qui a dit : « nous contrôlons la common law. Nous pouvons changer la décision. » J'aurais pensé que, à titre de sénateurs, de fait, comme tout législateur — vous auriez été gravement préoccupés par l'initiative d'un tribunal d'adopter un rôle aussi important au chapitre de l'évolution des politiques du gouvernement. Dans ce cas-là, ils n'ont pas tenu compte des préoccupations législatives, des répercussions générales sur la société, ou de l'impact que cela aura, encore moins de la pertinence d'une telle démarche dans la vie publique canadienne.

Tout ce que je demande instamment au Sénat de faire, c'est ceci : si vous avez raison d'appuyer ce projet de loi, laissez les citoyens décider. Il y aura bientôt une campagne électorale fédérale. Cela n'occasionnera pratiquement aucun préjudice aux couples de même sexe existants, ou aux couples cherchant à obtenir une licence de mariage qui devront attendre jusqu'à l'an prochain — dans la plupart des provinces — , si on permet de ralentir les choses et de remettre l'entrée en vigueur de la loi jusqu'à ce que les citoyens du Canada aient peut-être l'occasion de se pencher sur la question, ainsi que sur d'autres enjeux, dans le cadre d'une autre campagne électorale fédérale. De quoi avez-vous peur? Pourquoi craignez-vous de consulter la population canadienne sur cette question?

Le sénateur Milne : Monsieur Horgan, je soupçonne fortement que cette question a longuement mûri dans l'esprit des gens. C'est un enjeu à l'égard duquel aucune propagande électorale ou sermon de prédicateur ne pourra changer l'idée des gens. C'est une question à l'égard de laquelle les gens se sont déjà fait une idée. Je ne vois pas en quoi le fait de retarder le processus changerait quoi que ce soit.

M. Horgan : Vous n'avez eu aucune rétroaction du public sur cette question. Quand on soulevait cette question à l'occasion de la dernière campagne électorale, j'ai entendu de nombreux représentants de tous les partis politiques répondre : « nous attendons que la Cour suprême du Canada prenne une décision. » Cela ne constitue pas une position permettant à une personne d'élire un candidat. Je comprends que les sénateurs n'ont pas de compte à rendre à l'électorat. Par contre, à titre de bastion de la démocratie, quel mal y a-t-il à permettre que le projet de loi soit mis sur la glace jusqu'à ce que la population du Canada ait l'occasion de se prononcer? Si vous avez raison, vous en ressortirez gagnants.

Le sénateur Milne : L'une des raisons pour lesquelles les droits sont protégés par la Charte tient au fait que les droits ne sont pas soumis à la règle de la majorité.

M. Horgan : Je vous le concède, sénateur, mais il y a d'autres options. Vous venez tout juste d'explorer cela avec moi. Vous avez effectivement dit qu'il s'agit soi d'un mariage totalement inclusif soit d'une sorte de mariage exclusif, alors que, de fait, il peut y avoir une foule de catégories de relations. Il y a peut-être une foule d'occasions pour le gouvernement de reconnaître une relation autre que le mariage qui permettrait d'accéder à certains avantages financiers ou autre. Dans la mesure où, de fait, ce que vous avez fait correspond à l'adoption d'une conception élargie du mariage, vous avez également légitimiser le comportement qui sous-tend cette nouvelle définition, ce qui, en toute franchise, fait courir un grand risque à la majorité des Canadiens, et la majorité des religions du monde éprouvent de la difficulté à reconnaître la moralité des comportements qui sous-tendent ces relations.

Le sénateur Milne : Vous revenez à l'une de mes questions. Vous croyez, manifestement, que le gouvernement peut choisir une religion.

M. Horgan : Vous avez choisi.

Le sénateur Milne : Cela va à l'encontre de la protection de la liberté de religion, prévue dans notre Charte.

M. Horgan : Je suppose que je ne peux que vous répondre la même chose, madame la Sénateur. Comment le Sénat ou l'organe législatif peut-il me garantir que notre statut d'organisme de bienfaisance ne sera pas contesté, que mon organisme ou d'autres organismes ne seront pas accusés de crimes haineux? Quelles seront les conséquences lorsque des organismes et des groupes religieux comme le nôtre critiqueront le comportement qui sous-tend les relations de conjoints de même sexe?

Le sénateur Milne : Il y a une disposition là-dedans, dans les amendements corrélatifs du projet de loi.

M. Horgan : Si vous permettez, sénateur, il s'agit de l'article 3.1.

Le sénateur Milne : C'est article-là aussi, mais il y en a un également dans la section des amendements corrélatifs.

M. Horgan : Parlez-vous de l'article 10.1?

Le sénateur Milne : C'est ça. Cet article porte spécifiquement sur cette question.

M. Horgan : Je vous prie, madame la Sénateur, de ne pas perdre de vue de quelle façon les articles 3.1 et 10.1 sont arrivés là. C'était dans le cadre du processus législatif.

Le sénateur Milne : Cela est du ressort de l'assemblée législative.

M. Horgan : Peut-être, mais on nous a dit qu'il y aura une élection dans huit à dix mois. Mettez ce projet de loi sur la glace jusqu'à ce qu'on tienne cette élection. À vrai dire, ce serait un geste merveilleux de la part du Sénat, de combler le déficit démocratique au pays, en disant à la Chambre : « le Sénat exerce son pouvoir de report à l'égard de ce processus de la Chambre des communes, mais croit qu'il s'agit vraiment de quelque chose qui devrait être présenté à la population. »

Le sénateur Milne : Madame la présidente, je ne crois pas que le Sénat ait pour mandat de faire fi de la Charte des droits et libertés.

[Français]

Le sénateur Rivest : Vous représentez la Catholic Civil Rights League. Convenez-vous qu'il y a un nombre important de catholiques qui ne partagent pas nécessairement votre point de vue et qui peuvent être en désaccord avec les dispositions ou la position officielle de l'Église catholique sur cette question?

[Traduction]

M. Horgan : Je peux convenir avec vous, monsieur le sénateur, qu'il y a peut-être des gens qui se qualifient de catholiques et qui adoptent un point de vue ouvert à l'égard de la forme que pourrait prendre le mariage, mais un vrai catholique ne peut faire cela.

[Français]

Le sénateur Rivest : Croyez-vous que l'Église catholique devrait sévir contre les prétendus catholiques qui sont en accord avec le projet de loi actuel?

[Traduction]

M. Horgan : Je crois que l'Église catholique est en mesure d'imposer des mesures disciplinaires à ses propres fidèles ou aux gens par qui le scandale arrive au sein de la communauté catholique.

[Français]

Le sénateur Rivest : Pensez-vous que Dieu sera d'accord avec l'action de discipline que l'Église catholique prendra contre ses fidèles hérétiques, dans toute sa mansuétude ou dans toute sa miséricorde?

[Traduction]

M. Horgan : Je suis très humble lorsque je parle de Dieu. Dieu joue un rôle très important dans ma vie, dans la mesure où je ne présume pas être Dieu » — ni vous-même ni votre organisme ne devriez présumer cela non plus. J'ai l'impression que vous devriez également comprendre que vous vous adonnez, par l'orientation même de vos questions, au genre de comportement qui nous préoccupe énormément, car nos croyances, nos traditions et les merveilleuses émotions et croyances d'une grande majorité de Canadiens sont effectivement occultées par cette tentative de redéfinir le « mariage ».

[Français]

Le sénateur Rivest : Dans quelle mesure concevez-vous que la religion, et quel que soit la religion aussi respectable et éminemment respectable qu'elle peut être, doit déterminer la nature d'une institution civile?

[Traduction]

M. Horgan : Je crois que nos autorités civiles peuvent apprendre de grandes choses en étant à l'écoute de ce que les religions ont eu à dire, et de ce que les religions continuent de dire à l'égard d'un large éventail d'enjeux, qu'il s'agisse d'enjeux de la vie, d'enjeux liés à l'euthanasie, d'enjeux liés à la pauvreté, ou de la théorie de la guerre juste. L'Église catholique romaine a des positions et des opinions à l'égard de tous ces enjeux. Quand l'Église se prononce sur la question du mariage, qui se trouve à être l'un de ses sacrements et à être une croyance fondamentale de notre communauté, on la ridiculise et on la marginalise. On perçoit sa position comme étant de droite. Bien souvent, on la taxe d'homophobe ou de fanatique. J'ai vécu une telle expérience. Quand l'Église parle d'aider les pauvres, de participer à l'aide au tiers monde, d'amorcer des efforts diplomatiques pour éviter une guerre, l'Église pourrait bien être critiquée pour ses opinions de gauche. J'ai l'impression que c'est là le rôle important que les Églises et les religieux assument, pour ce qui est d'informer la société de questions d'intérêt public. Oui, l'Église a un rôle important. Cela fait partie de la raison d'être de la Ligue catholique des droits de l'homme.

[Français]

Le sénateur Rivest : Vous êtes avocat et vous savez qu'au Québec le mariage est une institution civile inscrite au Code civil. Sa définition, sa conception et sa nature doivent être acceptées ou acceptables pour toutes les religions, y compris pour les citoyens du Québec qui n'ont pas de croyances religieuses.

Dans quelle mesure pourrait-on justifier que la nature et la définition du mariage devraient correspondre absolument aux critères ou à la définition de l'Église catholique?

[Traduction]

M. Horgan : Je ne demande pas cela, sénateur. Les enseignements de l'Église catholique à l'égard du mariage, sont, franchement, beaucoup plus profonds et reflètent une plus grande compréhension de l'obligation sacramentelle conférée au couple que quelque chose qu'on obtient dans le bureau d'un juge de la paix. Vous laissez entendre que l'Église catholique tente d'imposer sa conception du mariage à la société. L'Église catholique tente d'attirer l'attention des gens sur le fait que, si on accepte une redéfinition du mariage, et c'est ce qui est proposé ici, on dévalue cette conception du mariage qui appartient à une tradition plus riche, c'est-à-dire l'idée d'unir les sexes dans le mariage, d'élever des enfants, d'observer les relations entre les générations, et ainsi de suite.

Dans la mesure où vous mentionnez les athées ou les membres d'autres religions qui n'acceptent pas une conception catholique du mariage, je ne crois pas qu'un grand nombre d'athées ou d'autres personnes s'opposant à la conception catholique du mariage se soient abstenus de se procurer une licence de mariage civil avant cette modification de la loi. Ils avaient la possibilité de le faire, et ils ont toujours cette possibilité. Cependant, ce qu'on fait maintenant correspond à transformer une définition du mariage couramment et mondialement acceptée afin d'y intégrer quelque chose qui ne lui convient pas, c'est-à-dire l'union entre deux personnes du même sexe. L'élément que vous tentez de modifier dans la loi continuera de se buter à une importante protestation au sein de la société canadienne, et à quel coût?

[Français]

Le sénateur Rivest : À la suite de l'adoption de ce projet de loi, vous craignez que des poursuites soient intentées parce que le texte de la Bible ou l'expression des croyances religieuses, en particulier de la religion catholique, soit contraire à la disposition du projet de loi. À ma connaissance, le texte même de la Bible a une expression totalement différente des lois civiles adoptées au Canada, par exemple, en ce qui concerne l'avortement et le divorce.

Est-ce qu'il y a eu une menace à l'endroit de l'Église catholique parce qu'elle a affirmé l'indissolubilité du mariage alors qu'on a une loi sur le divorce? Ou bien parce qu'elle est contre l'avortement et qu'on a une loi sur l'avortement? Ou encore parce qu'elle est contre les moyens de contraception alors que le gouvernement et la société civile l'appuient? Ma question est relativement simple. Tout en respectant profondément les croyances religieuses de l'ensemble des Canadiens, ne croyez-vous pas que la société civile procède à partir des propres valeurs qui sont des valeurs civiles et que, finalement, cela ne cause aucun préjudice — et ne doit causer aucun préjudice — aux croyances religieuses des Canadiens?

[Traduction]

M. Horgan : Je suis heureux que vous posiez la question, car cela renvoie à une importante observation formulée par notre organisme, ainsi que par d'autres grands groupes religieux. Premièrement, vous parlez d'une menace perçue. Je suppose que cette question devrait être posée à Mgr Henry. La question pourrait être posée, en théorie, si une accusation était portée contre mon organisme ou d'autres organismes, simplement pour avoir distribué un dépliant incitant les gens à parler à leur député. Il s'agit de menaces bien réelles. Je les prends au sérieux. Ce sont des organismes gouvernementaux, c'est un agent de police de l'unité des crimes haineux de Toronto qui mène une enquête. Franchement, c'est le genre de résultats qui surviendra.

Et parlons-en, des résultats. Vous avez soulevé une notion intéressante, celle de changer les lois régissant le divorce, ou de déréglementer lentement l'avortement au Canada. Pensez à ces changements. À l'époque, le divorce devait être offert lorsqu'il y avait de la violence conjugale, et ce genre de choses. Si vous regardiez les chiffres, monsieur le sénateur, vous verriez que le nombre d'avortements a monté en flèche à compter de 1970, et que cette ascension s'est accrue encore davantage depuis 1986, quand on a apporté d'autres changements aux lois provinciales régissant le patrimoine familial.

En ce qui a trait à l'avortement, je me souviens que le ministre de la Justice de l'époque avançait que cela ne toucherait que de 50 à 100 cas par années, en 1969. Maintenant, on procède à environ 105 000 avortements par année au pays, et on a perdu peut-être trois millions de vie dans le cadre de ce processus, alors j'ai l'impression que l'assemblée législative actuelle doit comprendre que ses gestes peuvent parfois avoir des conséquences imprévues. J'apprends à mes enfants que leurs actions ont des conséquences. Nous vivons dans une société qui dit que nos actions n'ont pas de conséquences, et la promiscuité sexuelle et les autres problèmes qui en découlent occasionnent des coûts au chapitre des soins de santé.

Je suis tout à fait convaincu du fait que la redéfinition du mariage aura des conséquences non intentionnelles et imprévues. L'impact de l'adoption de cette loi contre la volonté de ce que je crois être 65 à 67 p. 100 de la population canadienne est remarquable. Est-ce que quelqu'un est à l'écoute de ces Canadiens?

Le sénateur Cools : Non.

M. Horgan : D'autres possibilités et options sont proposées par des groupes, catholiques et non catholiques, religieux et non religieux, pour résoudre ce problème. C'est frustrant, car les gens s'absentent de leur emploi, comme je l'ai fait, pour vous parler. Je n'ai pas l'impression qu'il y a une ouverture à écouter des suggestions raisonnables qui permettraient peut-être d'aller de l'avant. Ce qui me préoccupe davantage, et j'ai mentionné cela au début de mon exposé, c'est que je m'interroge sur l'ouverture du Sénat à envisager des amendements ou à envisager la possibilité d'apporter des amendements à ce projet de loi.

Quelle que soit la voie que vous choisissez, je vais certainement en aviser ma communauté, et je présume qu'elle prendra les mesures qui s'imposent, en temps opportun.

Le sénateur Prud'homme : La Ligue catholique des droits de l'homme s'oppose sûrement à l'avortement.

M. Horgan : Certainement.

Le sénateur Prud'homme : C'est un honneur de vous accueillir ici. C'est la raison d'être du Sénat. Il est inhabituel pour le Sénat de siéger au beau milieu de l'été. Vous avez raison de dire que nous pourrions bloquer ou modifier le projet de loi. Pourtant, vous demandez à ce même Sénat ce que le Sénat refuse de faire. J'invite les juristes ici présents à me corriger si je me trompe, mais le Canada est probablement l'un des rares pays occidentaux à ne pas avoir adopté une loi sur l'avortement. Qui l'a bloquée? Le Sénat : il s'agissait du projet de loi C-43, et le vote était de 43 à 43. Ce n'est pas la Cour suprême qui a aboli l'avortement; c'était, au bout du compte, le Sénat. Je vois des éditoriaux dans le Globe and Mail et dans d'autres journaux qui disent que la Cour suprême a aboli l'avortement. Ce n'est pas vrai. J'invite mes amis avocats à me corriger si je me trompe, mais la Cour suprême a ordonné au Parlement de faire quelque chose. M. Mulroney a fait quelque chose. C'est de justesse que le projet de loi a passé dans la Chambre des communes. Quand il est arrivé au Sénat, il est tombé. Par conséquent, personne n'a proposé d'autres lois sur l'avortement. Nous n'avons aucune loi relative à l'avortement.

Je crois savoir que votre position à cet égard est ferme. Pour ma part, je suis pour la vie. Par conséquent, j'ai lutté contre la peine de mort à trois reprises, dans mon district. Je suis contre l'avortement, mais j'étais déchiré, et je me suis demandé en quoi je pourrais imposer ce point de vue à d'autres personnes qui ne partagent peut-être pas mes convictions religieuses.

Ne croyez-vous pas qu'il est ambigu de nous demander de bloquer ou de modifier ce projet de loi, ce que nous pourrions faire, quand c'est le même Sénat, qui finalement, par sagesse ou par manque de sagesse, a décidé de ne pas avoir de loi sur l'avortement?

M. Horgan : Je présenterais votre exemple sous un angle positif, c'est-à-dire que le Sénat a la capacité d'imposer à tout le moins une pause à cette avalanche qui déferle sur les citoyens canadiens, contre ce qui me semble être la volonté de la majorité.

Pour ce qui est de l'exemple du projet de loi C-43, même si le blocage de la loi a eu des conséquences tragiques, le Sénat avait déterminé qu'il n'était pas prêt à laisser passer ce projet de loi. Dans le cas qui nous occupe, le Sénat pourrait soutenir le projet de loi tout en veillant », comme je l'ai suggéré, à ce que son entrée en vigueur ait lieu après une élection fédérale, lorsqu'un nouveau gouvernement, dûment élu, aurait la possibilité d'adopter un autre point de vue et de tenir compte de la volonté des Canadiens sur cette question.

Je crois qu'une telle mesure témoignerait de la grande responsabilité du Sénat. Il pourrait approuver le projet de loi tout en imposant une pause pour permettre aux Canadiens de se prononcer directement sur les enjeux.

[Français]

Le sénateur Ringuette : Je suis catholique. On ne m'a pas excommuniée. Dans les dernières discussions que j'ai eues avec mon évêque, il ne me semblait pas avoir de problème avec les différentes positions que j'épousais. Vous avez indiqué dans votre présentation, et je cite :

Le mariage est l'institution dédiée premièrement aux enfants.

Cela veut-il dire que si un couple de foi catholique se présentait pour prendre un engagement de mariage et indiquait qu'il serait impossible pour eux d'avoir des enfants, le mariage leur serait refusé?

[Traduction]

M. Horgan : Non, mais, à titre de catholique, vous sauriez que l'une des trois questions que l'on vous pose à l'occasion de votre mariage concerne votre volonté d'avoir des enfants et de les élever dans la foi catholique. Même s'il semble improbable pour certains d'avoir des enfants, cette possibilité demeure, lorsqu'il s'agit d'un homme et d'une femme. Nous connaissons tous des couples qui ont tenté pendant de nombreuses années, en vain, de concevoir un enfant, et qui ont enfin réussi à faire un enfant, après avoir abandonné. Le fait que certains mariages homme-femme ne mènent pas à des enfants n'élimine en rien le postulat selon lequel un mariage homme-femme offre la possibilité d'avoir des enfants.

Le sénateur Ringuette : Est-ce que cela signifie que ma mère de 88 ans, qui est catholique, ne pourrait se marier parce qu'elle ne peut avoir d'enfants?

M. Horgan : Non : après la ménopause, il y a une limite naturelle quant à sa capacité d'avoir des enfants.

Le sénateur Ringuette : Je suppose qu'on explique tout ça dans la Bible.

Le sénateur Cools : C'est tout à fait répréhensible. Les témoins ne viennent pas ici pour se faire ridiculiser.

M. Horgan : Vous devriez peut-être lire au sujet d'Abraham et de Sarah, qui, si je ne m'abuse, ont eu un enfant tard dans leur vie.

Histoire de répondre sérieusement à votre question, je dis que le mariage met l'accent non pas sur l'adulte, mais sur l'enfant. Et j'ai déjà dit cela au comité de la Chambre des communes. Le mariage est une institution qui unit les sexes. C'est une médiation entre les sexes. Le fait que certaines personnes n'ont pas d'enfants ou choisissent de ne pas avoir d'enfants ne mine aucunement le fait que le mariage est une union des sexes. La grande majorité des couples de notre pays ont des enfants et sont père et mère. Vous avez parlé, avec le témoin précédent, de manipulation sociale. Nous affirmons effectivement dans nos lois qu'il n'y a aucune exigence à l'égard de la nature du « parent », outre celle d'aimer son enfant. Il n'est plus nécessaire qu'il y ait une mère et un père; il suffit qu'il y ait deux parents, ou peut-être même un seul parent.

Quel est l'impact de tout cela? Statistique Canada possède des données sur les répercussions négatives, pour les enfants, de ne pas avoir une mère et un père tout au long de leur enfance, et plus tard dans leur vie. Vous demandiez s'il s'agit d'un exercice de manipulation sociale, et j'avancerais que c'est le cas.

Je n'envisage pas cela du point de vue religieux. L'étude longitudinale sur les enfants, présentée en 1998, révélait que l'incidence du comportement antisocial dans les foyers brisés — qu'il s'agisse de décrochages, d'activités criminelles, de l'exposition à la drogue ou de diverses autres choses — est huit fois plus grande. Nous savons que c'est vrai. C'est une tragédie nationale. Nous n'aidons pas les gens mariés en dévaluant le mariage, en le décrivant tout simplement comme une relation entre adultes, et c'est effectivement ce que fait ce projet de loi.

Le sénateur Ringuette : Venez-vous de dire que les jeunes adoptent des comportements antisociaux et des comportements qui frisent l'illégalité parce que leurs parents se sont séparés?

M. Horgan : Je vous dis que Statistique Canada a mené des études sur la question — je peux vous les fournir — , et que ces études montrent effectivement que l'incidence de ce type de comportements s'accroît lorsque les parents se séparent. Par conséquent, il me semble que nous aurions avantage à nous doter de politiques publiques favorisant le maintien des mariages. Avec ce projet de loi, nous dévaluons le mariage — quelque chose qui a de l'importance, d'une génération à l'autre — , et nous reconnaissons qu'une relation romantique est égale à ces relations qui sont, bien souvent, axées sur la procréation.

On m'a invité, en 2004, à assister à un mariage de personnes de même sexe qui allait être présenté sur les ondes de la SRC, à l'époque où la Cour d'appel de l'Ontario avait ouvert la porte aux mariages de personnes de même sexe. J'ai décliné l'invitation. On ne reconnaissait aucunement qu'il était moralement difficile pour moi à assister à une cérémonie que je considère comme inacceptable. À ce moment-là, trois de mes cinq enfants avaient la varicelle. J'ai songé au message que je pourrais transmettre en me présentant au mariage avec mon épouse et mes trois enfants atteints de la varicelle, pour montrer la vraie nature du mariage. Être marié, c'est s'occuper de ses enfants qui ont la varicelle et élever ses enfants en société.

Le sénateur Ringuette : Nous ne voyons pas les choses du même œil, car j'estime qu'il est important de montrer à ces enfants à respecter et à comprendre que les enfants et les adultes ne viennent pas tous du même milieu, qu'ils n'ont pas tous les mêmes gènes, la même perspective et les mêmes désirs dans la vie. À titre de mère catholique, j'ai élevé ma fille de façon à ce qu'elle accepte, respecte et accueille toute personne, quelle que soit sa religion, quelles que soient ses origines ethniques. Et quand on vit dans une collectivité rurale du Nouveau-Brunswick, où l'accès à la diversité ethnique est limité, ce n'est pas chose facile. Toutefois, en tant que mère catholique, j'ai pris cet engagement afin que ma fille apprenne à accepter des cultures différentes, si ce n'est que par sa mère. C'est également important à titre non seulement de catholique, mais aussi de femme francophone, toujours en situation minoritaire.

Le sénateur Joyal : Monsieur Horgan, si vous le permettez, j'aimerais revenir aux quatre recommandations qui figurent sur la deuxième page de votre résumé des recommandations. Si je comprends bien les recommandations deux, trois et quatre, elles portent sur la responsabilité provinciale. La recommandation deux porte sur la célébration du mariage, car elle concerne les commissaires aux mariages et autres employés prenant part aux cérémonies civiles. La troisième porte sur les programmes d'enseignement, et la quatrième, sur le droit des parents de retirer leurs enfants.

M. Horgan : Il y a en a peut-être d'autres. Je n'ai pas élargi la portée.

Le sénateur Joyal : L'article 3.1 du projet de loi C-38 porte sur la compétence provinciale. Au moment de son témoignage, hier soir, le ministre nous a informés du fait qu'il avait écrit à ses homologues provinciaux et territoriaux en janvier, pour les inviter à mettre en œuvre la conclusion de la Cour suprême en ce qui concerne la protection des fonctionnaires civils prenant part à la célébration du mariage. Savez-vous que le ministre a fait cela; êtes-vous au courant des résultats?

M. Horgan : Je sais que le ministre a fait cela. Je ne suis pas au courant de ce qui a été dit, et j'ignore l'impact qu'un procureur général fédéral pourrait avoir sur les provinces, pour ce qui est de les charger d'adopter une loi, ou de les encourager à le faire. En Ontario, dans ma province, le projet de loi C-171 a été adopté pratiquement sans débat, presque sous le couvert de la nuit, deux jours après sont dépôt en Chambre. On a refusé aux citoyens ou à d'autres intervenants la possibilité de se prononcer sur les enjeux et de soulever des préoccupations. Je crains que certaines provinces n'aient même pas été aussi loin que l'Ontario, en particulier lorsqu'il est question de ce qui constitue un lieu sacré ou la propriété d'une communauté religieuse, aux fins de son utilisation. C'est ce qu'on tente actuellement de faire valoir devant la Commission des droits de la personne de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Joyal : J'étais en train de lire l'article 18.1(1) de la loi ontarienne. Vous avez raison, on l'a adopté en mars. Le paragraphe 18.1(1) semble donner suite partiellement à votre préoccupation, dans la mesure où l'Ontario cherche à protéger le commissaire aux mariages. On peut y lire ce qui suit :

18.1(1) Ne constitue pas une atteinte aux droits, reconnus dans la partie I, à un traitement égal en matière de services et d'installations le fait pour une personne inscrite en vertu de l'article 20 de la Loi sur le mariage de refuser de célébrer un mariage, de permettre qu'un lieu sacré soit utilisé pour la célébration d'un mariage ou pour la tenue d'un événement lié à la célébration d'un mariage, ou de collaborer d'autres façons à la célébration d'un mariage, si le fait de célébrer le mariage, de permettre l'utilisation du lieu sacré ou de collaborer d'autres façons est contraire :

a) soit à ses croyances religieuses;

b) soit aux doctrines, rites ou coutumes de la confession religieuse à laquelle elle appartient.

Cet article de la loi ontarienne correspond à ce qu'a déclaré la Cour suprême aux paragraphes 57 et 58 du Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, qui se lisent comme suit :

57. Le droit à la liberté de religion consacré à l'alinéa 2a) de la Charte englobe le droit de croire ce que l'on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement nos croyances religieuses et le droit de les manifester par leur enseignement et leur propagation, par la pratique religieuse et par le culte : Big M Drug Mart, précité, p. 336- 337. L'accomplissement de rites religieux représente un aspect fondamental de la pratique religieuse.

58. Il semble donc clair que le fait d'obliger les autorités religieuses à marier des personnes du même sexe contrairement à leurs croyances religieuses porterait atteinte à la liberté de religion garantie à l'alinéa 2a) de la Charte. Il semble aussi qu'en l'absence de circonstances exceptionnelles — que nous ne pouvons pas prévoir maintenant —, une telle atteinte ne pourrait être justifiée au sens de l'article premier de la Charte.

Il me semble que la Cour suprême s'exprime clairement, du moins, dans ces deux paragraphes, au sujet de la protection de ce que j'appelle la « pratique religieuse » et des « croyances religieuses ». Une Église peut refuser de célébrer un mariage et de prêter ses lieux sacrés — tel que prévu dans la loi ontarienne — à cette fin, ou de fournir toute autre forme d'aide.

L'article 18.1 de la loi ontarienne constitue un bon point de départ, pour ce qui est d'enchâsser la protection que vous cherchez à obtenir. Quand je regarde dans le Code civil du Québec, je vois que l'article 521.2 prévoit qu'aucun ministre du culte ne peut être contraint de célébrer une union civile contre laquelle il existe quelque empêchement selon sa religion et la discipline de la société religieuse à laquelle il appartient. Autrement dit, il semble qu'on accepte en principe, dans au moins deux provinces, que les provinces sont ouvertes à reconnaître la protection des droits des fonctionnaires civils de refuser de célébrer un mariage et d'interdire l'accès aux installations de l'Église pour des fins autres que la célébration de leur propre foi.

M. Horgan : Je crois que vous soutenez mon argument. Penchons-nous sur le cas de ces provinces. En Ontario, on permet les mariages de personnes de même sexe depuis juin 2003. Ce n'est qu'en 2005 qu'on a intégré ces protections à la législation provinciale. Au Québec, on a des unions civiles depuis environ la même période, en 2003. Ces changements ont été apportés un bon bout de temps plus tard. Pendant ce temps, il y a des commissaires aux mariages en Colombie-Britannique, en Saskatchewan, au Manitoba et à Terre-Neuve qui sont invités à remettre leur démission. Quelle protection leur offre-t-on dans ces provinces? Donnez-leur le temps de se pencher sur la question.

Le sénateur Joyal : Dans le cas de l'Ontario, on ne saurait dire que l'Ontario a traîné de la patte. La Cour suprême a tranché le 9 décembre, et le projet de loi a été adopté le 9 mars. C'est rapide.

M. Horgan : Lisez le préambule du projet de loi 171 de l'Ontario. On fait amplement référence à la décision de la Cour d'appel de l'Ontario de juin 2003. Le projet de loi donnait suite au changement que les tribunaux imposaient à la loi ontarienne à l'époque.

Le sénateur Joyal : J'ai ici le préambule du projet de loi, et on peut y lire ce qui suit :

La Charte canadienne des droits et libertés et les lois de l'Ontario reflètent les valeurs de tolérance, de respect, d'égalité et de liberté.

Et le paragraphe suivant prévoit que :

La Charte canadienne des droits et libertés protège le droit de manifester sa croyance religieuse par la pratique religieuse et protège le droit des autorités religieuses qui célèbrent des mariages et contrôlent l'utilisation de lieux sacrés de ce faire conformément à leurs croyances religieuses.

On fait directement allusion à la décision de la Cour suprême.

M. Horgan : Encore une fois, monsieur le sénateur, vous convenez qu'il faut donner aux provinces le temps de corriger leurs lois.

Le sénateur Joyal : Oui, mais je crois que les provinces peuvent faire ce qu'elles ont à faire à leur propre rythme, surtout à la lumière des directives de la Cour suprême du Canada selon lesquelles les provinces doivent prendre des mesures; sinon, elles courent le risque de litiges fondés sur la Charte canadienne des droits et libertés.

M. Horgan : Non, sénateur, ce sont des particuliers qui se font poursuivre.

Le sénateur Joyal : Nous voulons tous protéger les droits des personnes religieuses — de personnes qui ont la foi, et qui refusent de participer à la célébration d'un mariage, autant que nous voulons protéger les Églises qui s'élèvent contre la pratique qui consiste à refuser de prêter ses installations. Je crois que tout le monde ici s'entend sur cela. Il n'incombe pas au gouvernement canadien de forcer les provinces à faire cela. Dans le renvoi à la Cour suprême, le gouvernement a posé une question relative à cet aspect, et elle a été, jusqu'à un certain point, refusée par le tribunal qui a motivé le tribunal à rédiger les paragraphes 57 et 58, au lieu de faire fi de la question posée par le gouvernement canadien. Le ministre de la Justice nous a dit qu'il prend l'initiative de rationaliser cette protection.

M. Horgan : Cela prend du temps.

Le sénateur Joyal : Votre argument relatif au temps est essentiellement un jeu politique.

M. Horgan : Je crois être dans un lieu où on pratique la politique, sénateur.

Le sénateur Joyal : Je veux tracer une ligne claire. Sur le principe de la protection, je suis totalement d'accord avec vous, et rien n'est plus urgent que de demander instamment au ministre fédéral de la Justice de rencontrer ses homologues provinciaux et d'agir rapidement, comme on l'a fait en Ontario. S'il s'agit uniquement de s'amuser à ralentir le processus pour faire de cette question un enjeu électoral, alors nous ne sommes peut-être pas du même avis.

M. Horgan : À vrai dire, vous répondez à votre propre question. Si les sénateurs sont unanimes dans leur volonté de protéger les droits et libertés des groupes religieux qui sont chers à un si grand nombre de Canadiens — et je demande instamment à la plupart des sénateurs ici présents de le faire —, alors je présume que cela devrait se faire dans le cadre de l'exercice conjoint avec les provinces. Pour que cela se fasse, il faut donner aux provinces le temps de se rattraper. Vous vous attachez à changer la loi fédérale, et, ce faisant, vous faites courir à des gens comme moi ou à d'autres citoyens religieux le risque de devoir nous défendre — à l'égard d'une éventuelle violation des droits de la personne, d'une infraction au Code criminel ou d'une diversité d'autres choses — sans que ces protections soient en place.

À certains égards, la formulation actuellement utilisée dans le projet de loi C-38 permettrait peut-être de répondre à toutes les préoccupations du détective Hogan, de l'Unité des crimes haineux de la police de Toronto, si je lui montrais l'article 3.1 La réalité, c'est que cela ne m'est d'aucune utilité si je suis un commissaire aux mariages au Manitoba, en Saskatchewan ou ailleurs. En fait, nous avons besoin d'un meilleur dialogue que celui-ci. Les tribunaux, dans la merveilleuse métaphore du professeur Hogg, sont engagés dans un dialogue. Cela ressemble davantage à une dictée.

Quoi qu'il en soit, si on veut un dialogue véritable, pas seulement entre les tribunaux et le gouvernement fédéral, il faut donner aux gouvernements provinciaux le temps de se rattraper. De nombreuses provinces — et l'Alberta est l'exemple évident — ne sont pas exactement chaudes à l'idée de changer la définition du mariage. En ma qualité de représentant d'un organisme national, je présume que les honorables sénateurs sont préoccupés par l'impact que cela pourrait avoir en Alberta, à l'Île-du-Prince-Édouard ou dans d'autres provinces où les droits relatifs à la propriété, à l'éducation et à l'emploi ne sont pas enchâssés dans la loi.

Voici une solution. Elle ne bloque pas le projet de loi, mais elle prévoit un délai offrant aux provinces l'occasion de faire du rattrapage.

Le sénateur Joyal : L'un n'empêche pas l'autre. Ce projet de loi peut être adopté avec la protection prévue à l'article 3.1, qui énonce de nouveau la définition du mariage traditionnel tel que vous le concevez. Je reconnais et je respecte pleinement cela. Par ailleurs, le ministre de la Justice amorce un processus auprès de ses homologues provinciaux, en ce qui concerne la compétence. La Cour suprême a clairement déclaré que le gouvernement du Canada ne peut légiférer en la matière. Le ministre canadien de la Justice peut promouvoir, auprès de ses homologues provinciaux, la modification des lois provinciales afin que les objectifs que vous privilégiez et que nous acceptons et partageons à la lumière des paragraphes 57 et 58 du renvoi soient réalisés. Nous ne sommes pas en désaccord avec le fait que nous visons tous la même chose.

M. Horgan : Votre solution est dans votre proposition. En effet, de tels problèmes surviendront pendant qu'on tente de s'adapter à l'échelon provincial, et cela aura bien peu d'incidence sur les couples de personnes de même sexe dans huit provinces et un territoire qui peuvent déjà obtenir une licence de mariage. Votre argument serait peut-être plus solide si c'était là votre préoccupation. Franchement, les couples de même sexe ont déjà accès à ce qu'ils demandent.

Le sénateur Joyal : Cela a déjà force de loi dans au moins huit provinces et un territoire.

M. Horgan : Quel mal y a-t-il à mettre ce projet de loi sur la glace jusqu'à ce que les autres provinces aient adopté un projet de loi permettant de fournir le soutien qui, selon vous, est l'objectif unanime du Sénat?

Le sénateur Joyal : C'est une question de droit des minorités, il s'agit d'une minorité qui a été victime de discrimination.

M. Horgan : On peut obtenir une licence de mariage en Ontario et au Manitoba.

Le sénateur Joyal : L'entrée en vigueur immédiate de ce projet de loi étendrait l'accès à l'union civile aux deux provinces et aux deux territoires où elle n'est pas offerte à l'hcure actuelle.

Le sénateur Cools : Monsieur Horgan, aux fins du compte rendu, vous n'êtes pas ici pour représenter l'Église catholique romaine. Vous êtes ici pour représenter la Ligue catholique des droits de la personne.

M. Horgan : C'est ça. Il s'agit d'un organisme laïc national.

Le sénateur Cools : Vous ne pouvez parler au nom du clergé, et ainsi de suite. Monsieur Horgan, de nombreuses gens voient une personne ayant une foi profonde, comme vous, comme quelque chose de bizarre, ou comme un dinosaure. J'ai beaucoup de respect pour ce que vous faites, et j'ai beaucoup de respect pour la retenue et la patience dont vous avez fait preuve aujourd'hui. Je vous remercie.

Ne vous en faites pas, monsieur Horgan, car, quoi qu'on dise aujourd'hui, le droit est de votre côté lorsque vous affirmez croire en Dieu. D'ailleurs, la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, c'est-à-dire la Charte canadienne des droits et libertés, prévoit ce qui suit :

Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit :

Est-ce que les autorités et notre gouvernement croient toujours à ces idéaux? C'est ça, la vraie question. Je pourrais produire des dizaines de documents juridiques traçant l'historique de l'évolution du mariage dans notre pays, et je pourrais prouver en droit que ces deux termes, soit la suprématie de Dieu et la primauté du droit, sont en soit suffisants pour protéger le sacrement du mariage, tel que nous le connaissons depuis de nombreuses années. Si vous mettez de tels arguments de l'avant, certains se paieront votre tête, mais un peu de dérision, ça forme le caractère. N'oubliez pas cela.

Fait intéressant à signaler, il fut une époque où le parti Libéral du Canada était le parti privilégié des électeurs catholiques romains de partout au pays. J'ai vu cette fidélité s'effondrer, et je crois que c'est une bonne chose. Nous ne devons pas perdre de vue que l'Église catholique romaine a, pendant de nombreuses années, joué un rôle important pour ce qui est de préserver la culture canadienne-française au Québec.

J'aimerais revenir à la question de l'accord constitutionnel sur le mariage, tel qu'il figure dans l'AANB, qui faisait partie de l'Accord constitutionnel de la Confédération.

Aux fins de la Constitution, le mariage a été structuré surtout en fonction des exigences des Catholiques romains de partout au Canada, mais ce sont les Catholiques romains du Québec qui ont fait avancer les choses. Il n'est pas juste, de la part des gouvernements ou de quiconque, de faire valoir que le mariage peut être redéfini parce que le sens du mot dans l'AANB était conforme à la conception de l'Église anglicane et de l'Église catholique romaine. C'était l'état du droit à l'époque. Il n'appartient pas aux gouvernements de dire qu'ils ont changé d'idée, et de s'attendre à ce que le Parlement accède à tous leurs caprices, comme une bande de serviteurs.

J'aimerais maintenant passer à certains enjeux importants que vous avez soulevés. Je suis anglicane, mais, depuis de nombreuses années déjà, nous savons que tous les mariages sont des unions civiles. Le gouvernement crée une fausse dichotomie, car chaque mariage religieux s'assortit d'un volet civil. Il y a deux dimensions à chaque mariage. Il y a, d'une part, le contrat civil, et, d'autre part, les considérations ecclésiastiques, et ces deux dimensions coexistent depuis un certain temps déjà.

Comme vous l'avez dit, les vœux du mariage au sein de l'Église catholique romaine prévoyaient autrefois qu'il fallait se montrer ouvert à avoir des enfants; même si de nombreuses gens ont oublié cela aujourd'hui, l'incapacité d'avoir des enfants ou de consommer le mariage était utilisée pour empêcher une personne de participer à un mariage. Il y avait des listes complètes de choses comme ça, qu'on qualifiait d'incapacité juridique.

Vous déclarez que, personnellement, vous condamnez certaines activités sexuelles. La liturgie de l'Église anglicane nous dit que les liens matrimoniaux visent à consacrer l'union entre un homme et une femme en vue de procréer et d'élever leurs enfants dans la crainte et l'amour du Seigneur. Le gouvernement a choisi de faire fi de cela. Lorsque le gouvernement est incapable de composer avec la loi telle qu'elle est, ou non disposé à le faire, il dit que cela ne fait pas l'affaire, que cela ne veut rien dire. Le gouvernement dit que le mariage n'a rien à voir avec les enfants, car de nombreuses personnes se marient et n'ont pas d'enfants. Mais il n'en demeure pas moins que c'est ce que dit le droit canon. L'Église catholique romaine, l'Église anglicane et la plupart des religions partout dans le monde adhèrent à cette conception du mariage.

Quelques juges, soutenus par le Procureur général, ont été en mesure de découvrir ce que personne n'a vu pendant des milliers d'années. Ils possèdent des connaissances secrètes selon lesquelles l'institution du mariage pourrait s'appliquer aux homosexuels, et ils ont échafaudé des arguments artificiels, et présenté la question de façon fallacieuse, comme s'il s'agissait d'un enjeu touchant les droits de la personne. Jusqu'à tout récemment, l'expression « droits de la personne » était bien peu connue, et presque jamais utilisée au Canada. Le gouvernement l'a enchâssée à titre de droit prévu par la Charte, alors que le mariage n'a jamais été un droit. Certaines personnes ne pouvaient se marier parce qu'elles ne trouvaient personne pour célébrer le mariage, et elles ne pouvaient engager des poursuites pour protéger leur droit de se marier, car le mariage n'est pas un droit; le mariage a toujours été un grand privilège.

L'ensemble du débat s'est poursuivi dans ce contexte fallacieux, à titre d'enjeu lié à la Charte, afin qu'on puisse éviter toute discussion sur la sexualité humaine. Il y a des millions de personnes au pays qui croient que le corps humain a une fonction et est soumis à un équilibre, et que la sexualité humaine a une fonction, un but, et un équilibre. En droit, nous n'avons jamais appuyé la promiscuité générale. La loi s'est toujours abstenue de faire ce genre de chose.

Je crois sincèrement que le débat, s'il avait été fondé sur la question de la sexualité humaine, se serait éteint, et que si on était ensuite passé à des questions d'ordre moral, le débat se serait éteint. Il fallait donc s'accrocher à un terme juridique, et c'est là que les droits entrent en jeu.

Avez-vous déjà réfléchi à cela? Hier soir, j'ai demandé au ministre ce qu'était l'union sexuelle. On peut lire ici que le mariage est la consécration de l'union sexuelle. Je lui ai demandé quelle est la nature et le caractère de l'union sexuelle entre des homosexuels, union que nous demandons à l'ensemble du pays d'appuyer et d'approuver. J'adhère encore à la croyance de M. Trudeau selon laquelle l'État n'a pas sa place dans les chambres à coucher du pays. Je n'ai reçu aucune réponse du Ministre.

Avez-vous réfléchi à cela? Ou avez-vous trouvé un moyen d'articuler cela?

M. Horgan : J'y ai réfléchi, et j'aborde la question d'un angle peut-être un peu trop théologique pour certains sénateurs. Je préférerais qu'on aborde la question du point de vue du rôle de l'État en général. Vous avez parlé du fait que l'État n'a pas sa place dans les chambres à coucher du pays. Eh bien, de fait, l'État est actuellement dans la chambre à coucher. On voit poindre à l'horizon une attitude totalitaire en ce qui concerne le comportement considéré comme acceptable ou inacceptable.

J'ai récemment rencontré un groupe de Torontois d'origine polonaise. Une femme dans ce groupe, qui avait probablement déjà goûté au totalitarisme, ayant grandi en Pologne pendant les années 70 et 80 avant d'immigrer au Canada au milieu des années 90, a dit quelque chose qui m'a fasciné, en tant que Torontois de naissance n'ayant jamais vécu ce genre d'expérience. Elle a dit que, quand le gouvernement communiste en Pologne a commencé à dire aux gens comment ils pouvaient ou ne pouvaient pas pratiquer leur religion, et ce qu'ils pouvaient ou ne pouvaient pas croire, le peuple polonais en a eu assez, et on a assisté à la montée de la solidarité, à la montée des mouvements de travailleurs, à la montée des réformes démocratiques et, finalement, à la tombée du communisme.

Je crains qu'il s'agisse d'engagements similaires. Il s'agit d'un engagement à redéfinir le mariage. Si on veut redéfinir le mariage, on peut présumément redéfinir la relation parent-enfant. On peut présumément redéfinir le nombre de personnes dans un mariage. Pourquoi n'aurions-nous pas des mariages en groupe? Pourquoi ne reconnaîtrait-on pas une autre façon de vivre où une commune de huit personnes élèverait ses enfants communs ensemble? Pourquoi ne devrions-nous pas profiter de tout avantage financier ou autre qui existe?

En s'engageant dans ce genre de débats, on joue avec les convictions profondes d'une grande majorité de Canadiens, qu'ils soient religieux ou non.

[Français]

Le sénateur Chaput : Mes parents m'ont élevée dans la religion catholique. Sans aucun regret, j'ai appris le respect des autres, la tolérance, la compréhension et à ne pas juger. On m'a aussi enseigné que mes actions et mes paroles ont des conséquences. D'un côté, c'est ce qu'on m'enseignait et de l'autre côté, à l'époque, les catholiques étaient très durs envers les leurs qui, pour quelque raison que ce soit, étaient différents, pas nécessairement par choix, mais parce que c'était des choses qui arrivaient dans la vie.

Nous avons donc été durs pour les filles enceintes. Nous avons aussi été durs pour les enfants de couples divorcés. Nous avons été très durs en tant que catholiques.

J'ai vécu cette réalité et d'autres l'ont vécue aussi. Je n'aime pas en tant que Sénateur me faire dire que nous n'avons pas suffisamment consulté. Nous les sénateurs, sommes ici la semaine et retournons dans notre province, dans notre comté les fins de semaine.

Nous rencontrons différents groupes de personnes. Nous allons dans les écoles. Nous discutons avec les pasteurs et les évêques. Nous faisons notre travail en tant que sénateurs.

Ce projet de loi circule depuis plusieurs années ainsi que l'idée d'une redéfinition du mariage civil. Nous avons donc énormément consulté.

J'ai de la difficulté, aujourd'hui, et plusieurs autres catholiques partagent également cette difficulté, même s'ils ne le disent pas ouvertement. Dans un premier temps, il n'y a pas de problème avec la définition du mariage religieux, car l'Église catholique la définit telle qu'elle l'entend. C'est l'union entre un homme et une femme, et ce sera toujours le cas.

Mais pourquoi y a-t-il une difficulté à accepter que le mariage civil soit redéfini quand, à toutes fins pratiques, l'Église catholique n'accepte pas le mariage civil? Si je me marie civilement, je ne suis plus membre de mon Église.

Pourquoi donc cette grande difficulté de la part de la ligue catholique avec la redéfinition du mariage civil qui, de toute façon, n'est pas la forme de mariage reconnue par l'Église catholique?

[Traduction]

M. Horgan : Vous vous livrez en quelque sorte à une fausse dichotomie, en ce sens que nous avons une idée unique du mariage au Canada. À coup sûr, la vaste majorité des mariages en Ontario et ailleurs sont célébrés par le clergé. Toutefois, si ce projet de loi est adopté, je présume que nous nous dirigerons vers une distinction entre les concepts de mariages civil et religieux, et ce, dans une certaine mesure, au détriment du pays.

À l'heure actuelle, il n'existe qu'une sorte de mariages. Vous tentez vraiment de diviser le concept de mariage en établissant une distinction entre le rite religieux reconnu par les tenants de la religion et un exercice purement bureaucratique reconnu par d'autres personnes. Une telle dichotomie ne s'inscrit pas dans nos traditions. Cette loi aura pour conséquence d'engendrer une division au sein du pays. Il s'agit là de l'une des conséquences non voulues ou peut- être inconnues de la modification de la loi dans l'avenir.

Je n'ai entendu parler d'aucune étude qui aurait formulé des suppositions sur ce qui pourrait se produire. On pourrait assister à l'émergence de différents types de mariages. Dans certaines religions, on pourrait instituer le mariage covenant. On pourrait créer d'autres types de relations. Certaines provinces pourraient fort bien instaurer des mariages de différents degrés. Même si cela ne s'inscrit pas dans les traditions canadiennes, de telles mesures susciteraient à coup sûr des réactions. C'est pourquoi j'estime qu'il serait approprié d'adopter une proposition afin de laisser aux autres provinces le temps d'examiner cette question. La vaste majorité des mariages célébrés dans ma province ou ailleurs sont des mariages religieux. Certains membres du clergé m'ont abordé en me confiant qu'ils avaient un problème. Ils veulent que je remplisse un formulaire de licence de mariage faisant mention d'un « demandeur » et d'un « codemandeur ». Je ne marie pas les gens en me fondant sur de tels principes. J'unis un mari et une femme. Si je modifie le formulaire, vais- je invalider le mariage? Des employés titulaires de permis provinciaux exécutent déjà cette fonction, mais vous insistez ici sur un type de mariages qui diffère de celui célébré par les membres du clergé.

[Français]

Le sénateur Chaput : Que se passait-t-il lorsque des employés catholiques avaient à approuver ou à signer des documents de divorce, alors que l'Église catholique est contre le divorce?

[Traduction]

M. Horgan : Soyons clairs. Je ne crois pas que c'est là une interprétation juste de ce qui s'est produit. Examinons ce point. En vertu du droit canon, au sein de l'Église catholique, par exemple, rien n'empêche les gens d'obtenir la protection des autorités civiles dans des cas d'abus ou d'autres problèmes. En fait, même le divorce était accordé dans certains cas. Toutefois, c'est la question du remariage à la suite d'un divorce qui pourrait poser problème.

On a critiqué sévèrement la vision catholique du rôle que devrait jouer l'Église en matière de divorce et de mariage. Selon l'enseignement catholique, le mariage ne devrait pas se terminer par un divorce, mais le Code de droit canonique n'interdit pas le divorce. En fait, il stipule que vous pourriez faire appel aux autorités civiles et bénéficier de certaines procédures si la situation le justifie à ce moment. Toutefois, vous n'auriez pas nécessairement le droit de vous remarier à la suite d'un divorce civil.

Je n'apprécie pas beaucoup de devoir vous contredire, mais je ne crois pas qu'il soit approprié de se fonder sur une vision ancienne de ce que l'Église catholique a dit ou pourrait avoir dit concernant certains mariages, ou sur le fait que les perceptions qui prévalaient lorsque vous étiez jeune n'ont pas évolué. L'Église catholique tente d'offrir des services de pastorale aux personnes qui affichent des tendances homosexuelles. Elle les invite à demeurer chastes. Cette requête n'est peut-être pas acceptable aux yeux de la communauté homosexuelle, mais elle n'en constitue pas pour autant une forme de discrimination. Il s'agit d'un dogme religieux selon lequel nous considérons certains types de comportements comme étant coupables.

[Français]

Le sénateur Chaput : J'ai fait ce commentaire à mon archevêque lorsque je l'ai rencontré : je pense que l'Église catholique pourrait être beaucoup plus compréhensive à l'égard des gens qui sont différents. C'était mon dernier commentaire.

[Traduction]

M. Horgan : Je ne voudrais pas orner la beauté même, Sénateur, mais l'Église catholique est, à l'occasion, calomniée à tort pour ses prises de position par rapport au fondement de la foi. Si vous me le permettez, l'Église catholique existe depuis 2 000 ans et survivra probablement au Canada en tant qu'entité juridique. À ce sujet, mes adversaires m'ont traité de fanatique et de toutes sortes d'autres épithètes. Je les ai rencontrés et j'ai débattu avec eux d'un grand nombre de sujets. Les gens m'accusent d'être un fanatique parce que je crois que certains dogmes et enseignements de l'Église catholique devraient avoir une influence sur notre mode de vie et nos comportements.

En outre, l'Église catholique a joué un rôle de premier plan en offrant des soins palliatifs, des soins de santé et toutes sortes d'autres services aux membres de la communauté homosexuelle. Trop souvent, on condamne injustement les positions de l'Église catholique par rapport aux personnes homosexuelles. Si vous voulez me traiter de fanatique vous aussi, c'est très bien. Cependant, sachez que des fanatiques comme moi pourraient faire bien prendre soin de vous plus tard dans votre vie, lorsque vous en aurez besoin. J'espère que vous comprendrez que, si l'Église catholique doit changer ou adopter un point de vue différent, j'espère néanmoins qu'on aura davantage de respect pour les enseignements de l'Église, en ce qui touche sa vision de la condition humaine.

Le sénateur St. Germain : Bravo.

La présidente : Comme prochains témoins, nous entendrons un groupe d'experts composé de M. Daniel Cere, du Centre d'études sur le mariage, le droit et la culture de l'Université McGill, de Mme Margaret Somerville, directrice intérimaire du Centre de médecine, d'éthique et de droit de l'Université McGill, de Mme Katherine Young, professeure de la faculté d'études religieuses de l'Université McGill et de M. Iain Benson du Centre for Cultural Renewal.

M. Cere, veuillez prendre la parole.

M. Daniel Cere, Centre d'études sur le mariage, le droit et la culture, Université McGill : Depuis ses débuts pratiquement, le libéralisme a insisté sur la nécessité que l'État garde ses distances par rapport aux institutions de base de la société civile, le mariage, la religion et l'économie. John Rawls, l'un des grands philosophes du libéralisme, qualifie cette longue tradition de libéralisme politique. Ce libéralisme rejette l'imposition de toute idéologie globale, y compris de l'idéologie libérale elle-même, à la société civile. Le combat pour protéger l'institution du mariage de la manipulation politique apparaît dans les textes fondamentaux de la tradition libérale.

Dans ses traités sur le gouvernement, John Locke soutient que le mariage est une institution pré-politique indispensable au bien-être de l'être humain. « La société conjugale, écrit Locke, a été formée par un accord volontaire entre l'homme et la femme;... elle consiste particulièrement en une communion et en le droit que l'un a sur le corps de l'autre, ce qui est nécessaire à sa fin principale, la procréation ». « La société entre les parents et les enfants, et les droits et les pouvoirs distincts qui leur appartiennent, écrit-il, sont bien différents d'une société politique. » Plus récemment, John Rawls a allégué que la vie familiale devait être protégée contre toute ingérence du gouvernement. Selon Rawls, les principes politiques du libéralisme ne s'appliquent pas directement à la vie interne de la famille.

Toutefois, ces dernières années, nous avons assisté à l'émergence d'une nouvelle politique et d'un nouveau type de libéralisme. Dans la foulée de la révolution des droits, Michael Ignatieff fait remarquer qu'une nouvelle tendance de libéralisme a fait entrer le discours sur les droits dans les chambres à coucher de la nation. Le nouveau libéralisme a fait tomber les frontières entre le politique et le social. Le libéralisme social veut s'immiscer profondément dans les domaines sociaux de la vie afin d'adapter de force la famille et le mariage aux valeurs libérales. Les tribunaux sont ainsi maintenus à l'écart de leur rôle essentiel de bouclier protégeant la société civile pour devenir des épées de l'État, appliquant de force les normes libérales dans le domaine social.

Le fleuron du néo-libéralisme est la reconstitution de l'institution sociale la plus fondamentale de la société. La nouvelle doctrine affirme que le mariage doit être libéralisé et défini comme un engagement intime entre adultes consentants. Le mariage doit demeurer aveugle à la différence sexuelle, à la procréativité et aux liens naturels entre parents et enfants. Le sens historique donné au mariage est qualifié de discriminatoire et chassé de la place publique. Ces changements non seulement sont un accroc à la tradition libérale, mais en plus ils ont de graves répercussions sur l'institution du mariage, les droits des enfants et les libertés civiques.

Parlons de l'incidence sur le mariage. Les meilleures études interdisciplinaires sur les institutions sociales concluent que ces institutions sont façonnées par leur signification publique commune. Selon un récipiendaire du prix Nobel, Douglas North, les institutions sont des toiles de signification qui établissent les normes publiques ou les règles du jeu qui guident et façonnent la conduite sociale. Cela permet d'expliquer la nature hautement complexe des conflits sur la définition publique des institutions comme le mariage. Changer la signification publique d'une institution, c'est changer la réalité sociale de cette institution.

Quelles sont les implications pour le mariage? Les tribunaux et le gouvernement veulent dépouiller le mariage de sa signification reconnue et le réduire à une liaison centrée sur le couple. Trois éléments fondamentaux du mariage disparaissent : combler les différences sexuelles, promouvoir la procréation au sein du mariage et relier les enfants à leurs parents naturels.

La recherche indique que les segments de la société favorables à ce modèle de mariage fondé sur les relations intimes semblent marqués par une diminution du nombre des mariages, une baisse de la natalité, un accroissement de l'instabilité matrimoniale et une fragmentation des liens parents-enfants. Ainsi, si on impose cette idéologie à l'ensemble de la société canadienne comme étant la norme qui fait autorité, on peut s'attendre à encore davantage.

Est-ce bien là ce que souhaitent les Canadiens? Selon une récente étude nationale, les aspirations des Canadiens sont encore assez traditionnelles. La grande majorité des Canadiens souhaitent encore se marier, avoir des enfants, être de bons parents et entretenir des relations durables. Même les adolescents ont des aspirations traditionnelles. Quatre- vingt-dix pour cent d'entre eux déclarent qu'ils ont l'intention de se marier, d'avoir des enfants et de vivre avec le même partenaire toute leur vie. Toutefois, le pendant de cette étude montre que les tendances sociales actuelles — y compris la baisse du nombre des mariages, l'importance de l'instabilité matrimoniale et la baisse de la natalité — sonnent le glas de ces aspirations. Selon les statistiques actuelles, moins de la moitié des jeunes adultes se marieront, et près de la moitié de ces mariages se solderont par un divorce. Bref, en donnant pleine force de loi à ces tendances, nous conduisons les générations futures à l'échec.

En ce qui a trait à l'incidence sur les enfants, le projet de loi C-38 exige une redéfinition fondamentale de la parentalité. Il supprime du droit public le concept de parent naturel pour le remplacer par celui de parent légal, parce que donner un poids juridique aux parents naturels compromettrait les revendications parentales des couples de même sexe.

Selon un juriste, la tradition consistant à privilégier la parentalité biologique constitue une contrainte hétérosexuelle sur le vaste éventail de formes et de pratiques familiales. En rejetant le lien biologique du mariage conjugal et en faisant de la diversité familiale la norme fondamentale à promouvoir, l'État s'érige contre l'idéal de la famille intacte. Il appuie les tendances sociales qui contribuent à son érosion.

En appuyant le maintien des mariages conjugaux dans leur intégralité, on promeut le droit de naissance des enfants d'être reliés à leur mère et à leur père. De nombreuses recherches sérieuses en sciences sociales montrent que c'est une bonne chose. Rejeter la norme publique du mariage revient à rejeter l'ensemble complexe des droits de naissance enchâssés dans l'institution.

Pour ce qui est de l'incidence sur la liberté, l'État libéral moderne est maintenant confronté à des conceptions solidement ancrées et contradictoires sur la valeur du mariage. Environ 30 p. 100 des Canadiens s'identifient aux principes de relations intimes, tandis que les autres sont favorables à la conception historique du mariage, soit l'union de conjoints de sexe opposé.

Le projet de loi C-38 se fonde sur des décisions judiciaires qui ont condamné comme étant discriminatoire la signification historique du mariage, si essentielle à nos communautés religieuses et culturelles. Les libéraux socialistes soutiennent que cette vision du mariage doit être soustraite au débat public pour trouver refuge derrière le voile toujours plus mince de la liberté religieuse. Des amendements du projet de loi C-38 ont tenté de garantir une place à la conception historique conjugale du mariage et de protéger sa valeur dans les consciences.

Cependant, toutes ces promesses de protection ne permettent pas d'échapper réellement à la logique de la loi. Le projet de loi C-38 voit d'un mauvais œil la conception historique du mariage et l'écarte du droit public. Les tenants de la norme historique du mariage peuvent toujours se réfugier dans les sanctuaires de la religion et de la conscience, mais sans plus. Les promesses politiques ne peuvent remédier aux points de vue partiaux qui sont en train d'être érigés au titre de la loi.

J'aimerais recommander deux amendements de base à la loi. Premièrement, il faudrait supprimer les amendements corrélatifs, tels qu'ils sont appelés dans le projet de loi C-38, concernant la parentalité. Le projet de loi C-38 supprime le concept de « parent naturel » de la loi fédérale. Personne ne connaît ou ne peut expliquer les répercussions de l'abolition de la notion de parent naturel sur les lois concernant la parentalité, et le projet de loi C-38 ne fournit aucun éclaircissement.

La loi laisse supposer qu'on doit modifier la notion de parentalité si on modifie le mariage. Pourquoi? Parce que, depuis les 30 dernières années, nous sommes confrontés à une scission de plus en plus marquée entre les lois sur la parentalité, les lois sur l'affiliation et les lois du mariage, notamment en raison des taux de divorce élevés et du fait que de nombreux enfants vivent dans une maison où l'un des deux conjoints n'est pas le parent légal. Toutes les décisions judiciaires qui prônent la redéfinition du mariage précisent que la parentalité et le mariage sont deux notions distinctes, et que le mariage ne se rapporte pas à la parentalité. Pourquoi donc alors relier ces deux notions dans la loi? On devrait amorcer un important débat public sur la parentalité. Le projet de loi C-38 aborde cet enjeu important de façon maladroite.

Deuxièmement, il faudrait reconnaître l'existence de deux conceptions du mariage légalement valables, mais certainement contradictoires au sein de la société canadienne. Après tout, la notion de mariage conjugal fait partie de la vie des Canadiens depuis le début de la Confédération et même avant. Cette norme fait partie intégrante de notre histoire juridique et sociale, et la plupart des Canadiens y accordent encore une grande importance. Pourquoi donc la rejeter?

En incluant côte-à-côte dans la loi la conception historique du mariage et cette nouvelle conception du mariage fondée sur les relations intimes, on pourrait remédier aux problèmes de la partialité de la loi. En enchâssant dans la législation les deux visions du mariage, on pourrait étendre cette institution aux couples de même sexe tout en permettant à la conception historique du mariage de conserver la place qui lui revient au sein du droit public.

Nous vivons dans un pays qui se distingue par la dualité et la diversité. Nous évoluons dans des systèmes judiciaires doubles. Pourquoi le droit public canadien ne reconnaît-il pas diverses conceptions du mariage? Cette approche se fonde sur la valeur canadienne traditionnelle de la dualité englobante. En faisant officiellement une place aux deux conceptions sociales du mariage dans le droit canadien, on pourrait rendre le mariage accessible aux couples de même sexe tout en reconnaissant à leur juste valeur les diverses opinions des Canadiens au sujet de cette institution sociale fondamentale.

Mme Margaret Somerville, directrice intérimaire du Centre de médecine, d'éthique et de droit de l'Université McGill : Un vieil adage sur les droits de la personne dit que les droits de la personne sont les plus menacés lorsque nous agissons soi-disant dans le but de faire uniquement le bien. En effet, nos bonnes intentions nous empêchent de voir les dommages inévitables qui résulteront également de nos actions. Selon moi, la légalisation du mariage de conjoints de même sexe en est un exemple.

Comme le soutiennent ses défenseurs, ce sera une déclaration publique vigoureuse contre la stigmatisation, la discrimination et le viol des droits de la personne dont ont souffert les homosexuels. Cependant, je crois qu'on ne s'y prend pas de la bonne manière pour formuler cette importante déclaration publique. La légalisation du mariage gai reniera également les droits fondamentaux des enfants, un groupe vulnérable de Canadiens qui n'ont pas voix au chapitre sur la place publique ni aucun pouvoir de se protéger aux urnes. J'aimerais donc parler au nom de ces enfants et faire valoir le fait que, si nous acceptons les mariages de conjoints de même sexe, nous devrions à tout le moins inclure dans la loi des dispositions visant la protection des droits des enfants, ou édicter une nouvelle loi connexe à cette fin.

Hier soir, j'ai rapidement lu devant vous une partie du témoignage du ministre de la Justice. Il a déclaré qu'il se penchait sur trois enjeux cruciaux : l'utilisation de la disposition d'exemption, la question de savoir s'il est possible d'en arriver à une égalité en autorisant l'union civile des couples homosexuels ou de tous les couples et le mariage des couples hétérosexuels, et la menace qui pèse sur la liberté religieuse. Dans ses remarques, il ne fait nulle part mention des droits des enfants, ce que je trouve absolument étonnant. Je suppose qu'il a évité le sujet parce qu'il est extrêmement difficile pour les personnes qui prônent le mariage homosexuel de répondre aux arguments qui peuvent être formulés au nom des enfants.

Lorsqu'il se limite à l'union d'un homme et d'une femme, le mariage établit, comme étant la norme, les droits des enfants d'avoir un père et une mère biologiques connus et d'être élevés au sein de cette famille biologique, à moins que de bonnes raisons justifient le contraire, dans l'intérêt supérieur de l'enfant en question. L'adoption, par exemple, constitue une telle exception. Le Canada a signé la Convention relative aux droits de l'enfant, qui officialise ces droits à l'échelle internationale.

Ces droits sont nécessairement balayés par le mariage de conjoints de même sexe, du fait que ce type de mariage ne permet pas de protéger le droit de l'enfant d'avoir une mère et un père. En fait, il fait complètement le contraire. On m'a demandé plus tôt en quoi le mariage homosexuel pouvait avoir une incidence sur les enfants. En voilà un exemple. Quelqu'un m'a demandé pourquoi le mariage de deux personnes de sexe opposé âgées de 80 ans n'était pas également hors norme. Cela s'explique de la façon suivante : même si, au niveau personnel, ce mariage n'a pas pour objet la procréation, au niveau symbolique et au niveau de la création de valeur, pour l'ensemble de la société, il ne contrevient pas au symbolisme comme le fait le mariage homosexuel. Voilà la différence.

Bref, la modification du mariage entraîne la modification de la parentalité, un fait expressément reconnu, comme M. Cere vous l'a dit, dans des dispositions supplémentaires du projet de loi C-38. En vertu de ces dispositions, l'expression juridique « parentalité naturelle ou biologique » actuellement utilisée est remplacée par l'expression « parentalité juridique ». Ce changement a une incidence énorme sur les droits des enfants et sur le fondement juridique de la famille au Canada. On n'a pratiquement jamais abordé cet aspect dans les débats entourant le mariage homosexuel. On a dit qu'on pourrait organiser une conférence sur la famille par la suite, et discuter de cette question dans l'avenir. Toutefois, cette loi concerne directement les droits des enfants. Nous sommes confrontés à deux questions conflictuelles touchant les droits de la personne et nous devons choisir celle à laquelle nous accorderons la priorité.

En outre, au cours des huit derniers mois, j'ai travaillé sur l'incidence conjointe du mariage homosexuel et des nouvelles technologies de reproduction. Celles-ci existent depuis 20 à 25 ans. Au cours de la dernière année, nous avons constaté que les jeunes adultes nés de l'utilisation de ces technologies, les « adultes conçus par des donneurs » comme ils s'appellent eux-mêmes, ont été, pour la plupart, incapables de retrouver leurs parents biologiques. Quelques-uns d'entre eux ont réussi à le faire, mais, de façon générale, les tentatives à ce chapitre se soldent par un échec. Ces jeunes adultes ont formé des organisations sur Internet afin de communiquer entre eux et d'exercer des pressions dans l'arène politique pour tenter de faire changer les choses. Ils allèguent que la moitié, voire la totalité, de leur identité biologique leur est inconnue, du fait qu'ils ignorent qui sont leurs parents biologiques. Même à un niveau pratique, grâce à nos nouvelles techniques de cartographie du génome humain, la médecine sera fondée sur la pharmacogénomique, et il est extrêmement important que les gens en prennent conscience. Notre Loi sur la procréation assistée actuelle interdit expressément la divulgation de l'identité des donneurs de gamètes sans leur consentement, et ce consentement n'est pas obligatoire.

Par conséquent, j'ai souhaité savoir, notamment, quelles étaient les leçons que nous pouvions tirer de ce que nous avions appris au cours de nos 25 années d'expérience avec les nouvelles technologies de reproduction, et comment nous pouvions appliquer ces leçons à la question du mariage homosexuel. En fait de leçons, on constate tout d'abord que, lorsqu'on a adopté des lois sur les technologies de reproduction — essentiellement dans les premières années — on ne faisait pas de cas des enfants. L'enjeu était très semblable à celui entourant le mariage gai; nous nous préoccupions des droits des adultes — le droit de fonder une famille et le droit d'avoir accès à ces technologies. On s'inquiétait du bien- être physique des enfants nés de l'utilisation de telles technologies, mais on ne se préoccupait pratiquement pas de leur vie future, ou des problèmes psychologiques ou émotifs dont ils pourraient souffrir du fait d'être nés dans de telles conditions.

À présent, nous constatons que ces pratiques ont des répercussions très graves pour ces enfants. Vous savez peut- être qu'on a récemment adopté, au Royaume-Uni, une loi interdisant le don anonyme de gamètes, de sperme ou d'ovules. Or, on trouve dans ce pays une banque de sperme (voir le site Internet www.mannotincluded). Cette banque, qui cible plus particulièrement les couples de lesbiennes, exploite une faille de la loi en précisant à ses clients qu'ils peuvent quand même avoir des enfants et en leur garantissant que l'identité du père de leur enfant ne sera pas reconnue et ne pourra être révélée d'aucune façon à l'enfant. À l'heure actuelle, le Canada applique une politique incohérente à l'égard des enfants qui savent qui sont leurs parents biologiques.

Ceux qui s'intéressent à ce domaine connaissent les avancées des travaux. Depuis au moins dix-huit mois, on effectue des recherches en vue de déterminer s'il est possible de concevoir un bébé à partir de deux spermatozoïdes ou de deux ovules. Si vous désirez en savoir davantage sur les technologies qui seront utilisées à cette fin, je pourrai vous en parler pendant la période de questions. Ainsi, il pourrait être possible pour les couples de même sexe d'avoir un enfant commun. Il y a environ trois semaines, on a annoncé que des chercheurs suédois avaient réussi, il y a tout juste un mois, à fabriquer des gamètes issus de cellules souches adultes. Il sera donc possible, en théorie, d'utiliser cette procédure pour permettre à des couples de même sexe d'avoir leur propre enfant commun. En outre, aux États-Unis, on a déjà réussi à créer un bébé à partir de trois parents génétiques.

Selon moi, les enfants ont le droit d'avoir un patrimoine biologique naturel, c'est-à-dire d'être conçus à partir du sperme naturel d'un homme identifié et d'un ovule naturel d'une femme identifiée. On pourrait penser qu'il serait possible d'adopter une loi à ce sujet, et c'est tout à fait vrai. Toutefois, je présume qu'une telle loi entraînerait le même genre de problèmes que ceux découlant du débat sur le mariage gai.

En ce qui touche le droit international, j'ai été étonnée de voir mon ami Irwin Cotler en parler hier soir sans mentionner que chacune des lois sur les droits de la personne qu'il avait évoquées stipulait que les hommes et les femmes avaient le droit de se marier et de fonder une famille. Il s'agit de la seule disposition, dans les instruments internationaux, où il est fait mention des hommes et des femmes. Pour ce qui est des autres droits de la personne, on retrouve plutôt des formulations du genre « toute personne a le droit [...] ». Suivant le principe d'interprétation législative, cela signifie donc que la disposition qui fait mention d'un homme et d'une femme est différente.

La cour d'appel de la Nouvelle-Zélande a contesté cette disposition comme étant discriminatoire devant la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. La Commission des droits de l'homme des Nations Unies a statué que le fait de restreindre le mariage à une union entre un homme et une femme ne constituait pas un acte discriminatoire illégal. L'honorable ministre vous a présenté une loi stipulant qu'il n'est pas nécessaire de permettre le mariage de conjoints de même sexe pour éviter toute faille dans les droits de la personne en relation avec la discrimination au chapitre du mariage. Le fait est que, si nous interdisons l'utilisation de ces nouvelles technologies à des fins de procréation, nous supprimerons à moitié le droit au mariage. En vertu du droit international, le droit au mariage équivaut au droit de se marier et de fonder une famille.

J'ai entendu dire d'une source qui, selon moi, devrait être normalement considérée comme fiable, que la Loi sur la procréation assistée actuelle sera contestée, du fait qu'elle interdit actuellement la rémunération des mères porteuses, ce qui établit une discrimination liée au droit des hommes homosexuels mariés de fonder une famille, puisqu'il leur est impossible de le faire sans retenir les services d'une mère porteuse. De même, il est interdit de payer pour obtenir des gamètes, ce qui entraîne, comme on peut se l'imaginer, une baisse considérable des dons de gamètes, et plus particulièrement des dons d'ovules. On assiste à une grave pénurie de dons d'ovules au Royaume-Uni, du fait que leur vente est interdite. Une fois encore, je présume qu'on contestera cette loi en alléguant que, si l'interdiction du mariage de conjoints de même sexe constitue une mesure discriminatoire, et que le mariage a en partie pour objet la création d'une famille, toute interdiction, et plus expressément toute disposition empêchant la création d'une famille, sera également jugée contraire à l'éthique.

Je travaille dans ce domaine depuis longtemps. Il est donc difficile pour moi de résumer la question devant vous en aussi peu de temps. J'aimerais toutefois vous faire part des considérations éthiques suivantes : premièrement, dans notre société individualiste, nous mettons fortement l'accent sur le consentement éclairé, et il s'agit en effet d'un principe d'éthique extrêmement important. Cependant, comme le disent à présent les enfants devenus adultes et conçus par des donneurs, les principaux intéressés, qui ne fournissent pas leur consentement dans ce cas-ci, sont les enfants qui sont affectés par la famille dans laquelle ils entrent et par la façon dont ils s'y sont retrouvés.

Selon un principe d'éthique, on devrait accorder la préférence aux personnes les plus vulnérables. Nous avons beaucoup entendu parler de la vulnérabilité de la communauté homosexuelle, et nous devons assurément remédier à ce problème. Par contre, la vulnérabilité des enfants est un fait hautement reconnu, et si nous devions choisir le groupe le plus vulnérable, ce serait, selon moi, les enfants.

Nous sommes confrontés à la question de l'expérimentation sur les enfants. J'ai fait de l'expérimentation médicale ma thèse de doctorat à la fin des années 70, époque à laquelle ce sujet était peu connu. Selon moi, on assiste actuellement à une expérimentation sociale massive sur les enfants qui se répercute, par conséquent, sur toutes sortes de principes, comme celui du fardeau de la preuve. Par exemple, si on affirme qu'on ne peut prouver qu'un enfant fonctionne moins bien dans une famille homosexuelle, le fardeau de la preuve est incorrect puisque, s'il s'agit d'une expérimentation, la personne qui effectue l'expérimentation doit prouver que l'enfant ne s'en porte pas plus mal.

Du point de vue de l'éthique, il existe une différence entre la chance et le choix. Bien entendu, on trouvera toujours des enfants nés de couples de même sexe ou d'une mère célibataire, mais on relève une différence sur le plan moral lorsque cela se produit pour d'autres motifs, comme le respect de la vie privée, l'autodétermination ou l'autonomie. Nous ne nous ingérons pas dans la vie de ces personnes, et, bien sûr, nous ne devrions pas le faire dans des domaines aussi personnels que le droit à la reproduction. Toutefois, c'est tout autre chose que la société institue la procréation assistée à titre de norme et devienne complice de priver les enfants de leurs droits relatifs à une famille biologique, et c'est ce que nous sommes en train de faire avec le mariage gai — en soutenant, en finançant et, enfin, en autorisant la procréation assistée.

Nous devons admettre que le tort que nous faisons constitue un problème d'éthique. De toute évidence, nous ne l'avons fait dans aucun des débats officiels sur le mariage gai, et, en outre, nous devons tout d'abord nous assurer de ne causer aucun préjudice. C'est là un principe fondamental. Ainsi, nous devons réfléchir aux préjudices que nous pourrions causer aux enfants dans ce cas-ci.

En conclusion, je vous rappelle que nous sommes en train de parler des enfants et de tous leurs descendants. N'oubliez pas que si un enfant ignore ses origines, il en sera de même de ses descendants. Les enfants qui ne connaissent pas leur origine génétique ne peuvent se sentir intégrés à un réseau de personnes, dans le passé, le présent et l'avenir, par lesquels ils peuvent tracer la ligne du passage de la vie, des générations passées jusqu'à eux, mais également à partir d'eux-mêmes.

Autant qu'on sache, les humains sont les seuls animaux pour qui le rapport génétique fait partie intégrante de leur identification propre. C'est ainsi que l'on noue des relations, que l'on crée son identité et que l'on trouve un sens à sa vie. Nous savons que l'élimination de ce rapport a des incidences dommageables pour les enfants, les parents biologiques, les familles et la société.

Le mariage de conjoints de même sexe met en péril le droit des enfants de connaître leur patrimoine génétique, d'en être fiers et d'en bénéficier tout au long de leur vie. Il empêche la société de reconnaître l'importance de ce patrimoine pour les enfants, l'ensemble de leur famille et elle-même.

Enfin, le mariage homosexuel ouvre la porte à la question plus vaste et totalement sans précédent des exigences éthiques relatives au respect du mode de transmission de la vie humaine à une nouvelle personne.

Si vous avez l'intention d'approuver cette loi, j'insiste pour que vous examiniez également la possibilité d'y joindre une charte des droits des enfants incluant le droit d'être conçu à partir du sperme naturel d'un homme identifié et d'un ovule naturel d'une femme identifiée, de même que le droit de connaître l'identité de ses parents biologiques, un droit que le mariage homosexuel supprimera. C'est pourquoi je vous invite à réexaminer cette question objectivement et attentivement. En principe, dans notre société, les enfants devraient avoir le droit normalisé de connaître leurs parents biologiques et d'être élevés par eux. Autrement dit, un enfant devrait être élevé par son père et sa mère, à moins que de bonnes raisons justifient le contraire, dans l'intérêt supérieur de l'enfant en question.

Nous devons évaluer l'acceptabilité du mariage gai du point de vue de l'éthique en examinant l'incidence qu'il aura sur les droits des enfants et sur l'obligation, pour la société canadienne, de respecter et de promouvoir ces droits, et certainement pas de les violer intentionnellement, ce que fait la présente loi.

Mme Katherine K. Young, professeure, Faculté d'études religieuses de l'Université McGill : Pour commencer, j'aimerais vous parler un peu de mon parcours. Je suis professeure de religion et d'éthique comparées, spécialisée en religion asiatique.

À titre d'information — je ne crois pas que cela soit pertinent à mes travaux universitaires — je suis, politiquement, de tendance libérale, mais je dois admettre que je suis un peu perturbée ces temps-ci. Bien que j'enseigne dans une faculté d'études religieuses, je suis laïque. Toutefois, en menant des études empiriques sur la religion d'un point de vue interculturel, j'ai acquis un grand respect pour la sagesse que recèlent de nombreuses traditions religieuses. Néanmoins, j'ai constaté qu'on doit examiner attentivement les enseignements religieux afin de déterminer quels sont les éléments essentiels ou importants pour la condition humaine et quelles sont les variables ou les expériences négatives qui peuvent ou doivent être éliminées. Seules les études comparatives permettent de séparer le bon grain de l'ivraie. Grâce à cet exercice, on peut confirmer une bonne partie de la sagesse, y compris la sagesse liée à la reproduction, que recèlent les religions du monde, c'est-à-dire l'hindouisme, le bouddhisme, le confucianisme, le taoïsme, le christianisme, l'Islam, et cetera.

En outre, je suis hétérosexuelle, mais j'ai effectué une bonne partie de mes travaux sur ce sujet avec un homosexuel, l'un de mes anciens étudiants d'origine juive et qui travaille à présent avec moi sur ces projets de recherche. Nous maintenons entre nous une communication constante, non pas seulement pour mettre en commun nos données empiriques et nos méthodes de recherche, qui diffèrent considérablement, mais aussi pour tenter de corriger les biais qui pourraient survenir tout au long du processus.

J'aimerais vous faire part aujourd'hui de ce que je perçois, à titre d'universitaire, comme un certain nombre de demi- vérités véhiculées par les tenants du mariage gai, de nombreux politiciens, les décisions judiciaires et les médias en général.

La première dit que le mariage est une question d'amour entre deux personnes. On entend souvent cet argument. En fait, cette vision du mariage peut être exprimée sous forme d'un syllogisme. Le mariage est une institution visant à promouvoir l'amour entre deux personnes. Les homosexuels peuvent s'aimer tout autant que les hétérosexuels. Par conséquent, le mariage devrait être accessible aux homosexuels. Le second énoncé est vrai. Le troisième en est le corollaire logique. Toutefois, le premier est faux et, par conséquent, ce raisonnement n'est pas sensé.

Pourquoi cet énoncé est-il faux? Si vous procédez à une étude comparative du mariage entre des sociétés de petites dimensions et de grandes dimensions, y compris entre les religions du monde, vous pourrez relever certaines caractéristiques universelles récurrentes. Ces caractéristiques comprennent le fait que le mariage encourage la procréation dans des conditions précises, reconnaît l'interdépendance des hommes et des femmes, définit des partenaires admissibles, est appuyé par une autorité et des mesures incitatives, a une portée publique et procure un soutien mutuel non seulement entre les hommes et les femmes, mais aussi entre ceux-ci et leurs enfants.

L'objectif ultime consiste à promouvoir la durabilité de la relation, puisque avoir des enfants ne signifie pas seulement concevoir et donner naissance à des enfants, mais aussi les élever jusqu'à l'âge adulte. Il s'agit non pas seulement d'une fonction biologique, mais d'un processus qui se rapporte à la culture. La culture doit compléter la biologie pour compléter le cycle de la reproduction humaine. Si on supprime la culture ou qu'on l'affaiblit, le cycle de reproduction fonctionnera moins efficacement, si tant est qu'il fonctionne.

Le mariage présente des caractéristiques universelles. Selon moi, celles-ci sont étroitement liées à la condition humaine. La nature doit compléter la fonction biologique pour assurer le renouvellement des espèces, un processus qui, lui, bien sûr, se déroule à l'échelle de la famille.

Il existe également des caractéristiques presque universelles que je ne décrirai pas en détail ici. On trouve de nombreuses variables. Tout ceux qui critiquent le mariage en alléguant que cette institution a changé se fondent uniquement sur une analyse des variables du mariage. Ils n'en analysent jamais les caractéristiques universelles, du fait qu'ils n'ont jamais procédé à l'exercice comparatif qui permet de les faire ressortir.

Cet argument concernant l'amour doit être réexaminé, et soyez assurés qu'il le sera dans la recherche, même si l'on adopte ce projet de loi.

La seconde demi-vérité dont j'aimerais parler stipule que le fait de maintenir la définition actuelle du mariage va à l'encontre de la Charte canadienne. Bien entendu, nous avons souvent entendu parler de l'article 15.1 et du fait que les homosexuels s'en sont servis pour revendiquer leur droit à la liberté et à la dignité. Or, la Charte inclut également l'article premier, lequel prévoit qu'on peut apporter des restrictions à l'article 15. Pour cela, on doit prouver l'existence d'un lien rationnel entre la raison d'être du mariage et son accessibilité exclusive aux couples hétérosexuels. Les tribunaux ont allégué qu'il n'existait pas de lien rationnel. En m'appuyant sur mes travaux universitaires, je peux prouver que ces arguments sont extrêmement faibles. Nous pouvons, au contraire, prouver qu'il existe un lien rationnel, et que l'article premier peut être utilisé. Par conséquent, le fait d'affirmer que l'ensemble des débats sur le mariage vont à l'encontre de la Charte ne constitue qu'une demi-vérité. Je peux vous fournir des explications plus détaillées à ce sujet si vous le désirez.

L'argument fourni constitue une demi-vérité parce qu'il précise que le Canada appuie la position des Nations Unies sur les droits des personnes, tandis que ce n'est pas le cas. L'ONU a maintenu la Convention relative aux droits de l'enfant, laquelle prévoit que l'enfant devra être enregistré immédiatement après sa naissance et qu'il aura le droit d'avoir un nom, d'avoir une nationalité et, dans la mesure du possible, de connaître ses parents et d'être élevé par eux. La définition hétérosexuelle du mariage a été mise à l'épreuve en Nouvelle-Zélande. La contestation a suivi toute la procédure judiciaire, et l'ONU a maintenu le concept d'union entre un homme et une femme.

Le Canada exerce des pressions secrètes sur l'ONU pour qu'elle modifie sa définition. Comme vous le savez peut- être si vous avez suivi le débat dans les journaux, certains journalistes ont dû recourir à la Loi sur l'accès à l'information pour pouvoir connaître les propos exacts tenus par les responsables.

Cela m'amène au point suivant — la demi-vérité selon laquelle il existe des fondements intellectuels solides permettant de conclure qu'une nouvelle définition du mariage ne présenterait aucun risque pour les enfants. D'après mon analyse de la preuve — et j'ai vu et lu beaucoup de choses — cet argument a été utilisé à maintes reprises. Selon moi, il s'agit du produit d'un savoir engagé, qui consiste à déterminer un objectif — dans ce cas-ci la légalisation du mariage gai — et de rassembler des preuves et des arguments afin de prouver le résultat auquel on veut parvenir. Cette pratique se double souvent d'une négligence des preuves contradictoires ou d'une intimidation des critiques intellectuels et des témoins experts, ce qui n'a jamais été dénoncé.

Si les tribunaux sont, entre autres choses, responsables de procéder à des évaluations des risques, surtout en ce qui concerne les enfants, on doit souligner que la question des enfants n'a jamais été soulevée dans de telles décisions judiciaires. On ne pourra prouver le contraire, même en passant au crible ces décisions. Des études cruciales ont montré qu'un enfant pouvait s'épanouir au maximum s'il était entouré de parents biologiques de sexe opposé, vivant dans une union stable. C'est là une preuve qui n'a jamais prêté à controverse. Comment pouvons-nous adopter une loi tandis que nous n'avons même pas entendu les preuves contradictoires? L'une des principales études que vous devriez absolument connaître, si vous désirez poursuivre dans cette voie, est une étude rédigée par deux professeurs de l'Université de Chicago, intitulée No Basis : What the Studies Don't Tell Us About Same-Sex Parenting. Permettez-moi de vous en lire le sommaire :

On soutient couramment dans les tribunaux, les journaux et les médias que le fait, pour un enfant, d'être élevé par une mère et un père, par deux pères ou par deux mères ne fait aucune différence. On fait souvent référence à des études socio-scientifiques qui auraient prétendument « prouvé » cette hypothèse. Toutefois, en procédant à une analyse objective, on constate que cette assertion est sans fondement.

L'évaluation examine comment chaque étude comporte six pistes de recherche clées, en formulant une hypothèse et un modèle de recherche qui permettent de contrôler les effets non apparentés, de mesurer les concepts, l'échantillonnage et les tests statistiques, de remédier aux problèmes des faux négatifs et ainsi de suite. Les auteurs ont constaté que les recherches recelaient de nombreuses failles, surtout celles fondées sur de petits échantillons qui n'incluaient pratiquement aucun sujet. Par ailleurs, nous savons que le cycle de reproduction traverse les périodes de la vie. On entend souvent dire que le mariage gai est autorisé depuis deux ans et que rien ne s'est passé. Or, il faudra attendre toute une vie pour en connaître les répercussions. En fait, on devra probablement mener des études longitudinales sur une période équivalant à plusieurs générations. Où en sont les recherches à ce sujet? Pourquoi n'a-t- on pas abordé cette question dans des tribunes comme celle-ci? Comment pouvons-nous adopter des lois tandis que nous ne disposons même pas du savoir intellectuel nécessaire pour prendre de telles décisions?

Enfin, on relève une demi-vérité selon laquelle le sujet du mariage gai a été étudié de façon totale et équitable au Canada. Selon moi, cette affirmation découle de manœuvres politiques du Parti libéral depuis le commencement. Il y a tout juste un mois, je discutais de ce sujet avec Martin Cauchon, à l'Association de droit Lord Reading de Montréal, et il se vantait de vouloir laisser sa marque dans l'histoire en autorisant le mariage gai, précisant que c'était son objectif depuis le tout début. Autrement dit, au cœur de notre système juridique, il y avait une décision à prendre, et on peut voir par qui certaines décisions ont été prises.

Pourquoi n'a-t-on pas examiné les risques pour les enfants? Pourquoi n'a-t-on pas utilisé l'article premier de façon consciencieuse à cette fin? Pourquoi a-t-on créé des précédents par décret judiciaire, autrement dit par des décisions du tribunal qui disaient « Allez, mariez-vous. Vous n'avez pas à attendre que l'on adopte une loi », pour ensuite faire volte-face et alléguer que ces décisions constituaient un précédent? Pourquoi les procès n'ont-ils pas été portés devant la Cour suprême? Pourquoi n'a-t-on pas autorisé la tenue d'un vote libre? Par contre, on a exercé des pressions secrètes auprès du Comité des droits de l'enfant de l'ONU et on a caché aux Canadiens le contenu des données, les arguments utilisés pour promouvoir le mariage gai et les études réfutées par des documents comme celui-ci. La liste des accusations pourrait s'allonger. Je crois que nous connaissons tous un peu les manœuvres politiques qui se trament ici.

Puis, on retrouve une demi-vérité selon laquelle être contre le mariage gai est un peu comme être contre le mariage interracial. Vous auriez vraiment intérêt à consulter la documentation provenant de la communauté noire des États- Unis qui a traversé des crises familiales, depuis l'époque de l'esclavage et au cours des siècles qui ont suivi, et à lire les critiques que cette communauté a formulées. Nombre de ses représentants n'acceptent pas cette analogie interraciale. Nous devons examiner ces documents.

En ce qui concerne la demi-vérité selon laquelle seuls les gais et les lesbiennes sont victimes d'intimidation, sachez que j'ai moi-même été victime d'intimidation, de telle sorte que l'affidavit que j'ai fourni dans l'affaire Halpern à titre de témoin experte n'a pu être pris en considération. Lorsque Paul Nathanson et moi avons fait une communication à l'Association de droit Lord Reading le mois dernier, nous avons eu une discussion animée avec l'un des membres du Barreau du Québec — si je peux appeler cela une discussion. Il utilisait tous les jurons possibles pour essayer de nous intimider. Il y a un document savant là-bas. Je l'ai donné à la commission parlementaire. Je vous invite à le consulter si vous le désirez.

Enfin, on relève une demi-vérité selon laquelle les médias ont contribué à assurer le traitement impartial et complet de la question. On a effectivement beaucoup parlé à ce sujet, mais on relève de nombreux biais dans la sélection des personnes interrogées, le temps alloué et l'importance de la couverture médiatique chaque fois qu'il y avait un vote ou une audience importante du tribunal.

M. Iain Benson, Centre for Cultural Renewal : Honorables sénateurs, j'aimerais tout d'abord remercier les membres du Comité de m'avoir également invité à venir leur parler aujourd'hui. J'ai aussi eu la chance d'assister, tout comme vous, à toutes les délibérations de la journée, et je dois dire que j'ai trouvé l'expérience des plus intéressantes; les échanges étaient courtois et sensés. Je vous suis reconnaissant de m'avoir permis d'y participer.

[Français]

Je suis désolé de ne pouvoir vous fournir la traduction de ma présentation, car j'ai été invité au dernier moment. Je vous la transmettrai aussitôt que possible.

[Traduction]

Le sénateur Prud'homme : Sur ce point, comme je le soutiens depuis 41 ans, vous avez le droit de suivre toute la procédure en anglais. Vous nous avez transmis votre mémoire. Vous n'avez pas besoin de vous imposer un fardeau supplémentaire. C'est notre devoir, en tant qu'organisation, de faire traduire les documents par notre personnel. Si vous possédez les documents dans les deux langues, c'est très bien. C'est dommage que nous ne puissions pas sensibiliser les francophones et les anglophones à la télévision, mais tout citoyen canadien peut comparaître et présenter son mémoire dans l'une ou l'autre des deux langues officielles. Nous disposons du personnel pour traduire les documents; ne vous imposez donc pas du travail supplémentaire.

M. Benson : Toute loi doit prendre soigneusement en considération la tâche délicate consistant à établir un équilibre entre des opinions et des intérêts opposés. Dans le cas d'un enjeu aussi fractionnel que celui touchant à la nature du mariage, cependant, on doit porter une attention particulière au processus et à l'analyse.

Il faut porter un soin particulier à la question du mariage homosexuel, compte tenu des préoccupations soulevées par de nombreux groupes — religieux ou non — concernant leur capacité de contester avec respect la nouvelle norme constitutionnelle incluant le mariage homosexuel, telle qu'elle a été créée par la loi et la politique.

J'ai remis deux mémoires au greffier; celui que j'ai rédigé et dont je vous parlerai aujourd'hui, ainsi qu'un mémoire plus approfondi, touchant surtout à la philosophie, et que j'ai soumis au comité de la Chambre.

Dans le premier mémoire, j'ai tenté d'examiner certaines des questions que vous avez soulevées aujourd'hui au sujet de la nature de la société civile et de la société religieuse. J'espère que cet enjeu ne sera pas laissé de côté du simple fait que je n'ai pas le temps de m'y attarder aujourd'hui. Je suppose que vous pourriez trouver ce document utile. J'ai constaté avec la plus grande satisfaction que certains des amendements proposés dans le premier mémoire ont effectivement été inclus dans la loi. J'espère être témoin d'un miracle semblable aujourd'hui.

Avec tout le respect que je vous dois, j'estime que le projet de loi, dans sa forme actuelle, a été mal pensé. J'ai exposé en détail mes arguments à ce sujet dans mon mémoire, comme je l'ai dit, et je n'y reviendrai pas aujourd'hui. Je désire insister sur plusieurs erreurs graves de principe et de rédaction qui se trouvent toujours dans le projet de loi et qui doivent être modifiées. Si aucun changement n'est apporté, le projet de loi, dans sa formulation actuelle, entraînera de la confusion, mènera à des litiges et ne pourra qu'exacerber un mécontentement social que le Canada ne peut guère se permettre de maintenir dans un domaine aussi litigieux que celui-ci.

Les recommandations qui suivent font état d'erreurs de principes généraux et de certains détails spécifiques qui nous intéressent. Ce sont ces derniers qui doivent être amendés par le présent comité.

Par exemple, le préambule, contrairement aux dispositions importantes du projet de loi, reconnaît que les citoyens canadiens pratiquant une religion et les groupes religieux ne sont pas les seuls qui doivent être officiellement protégés contre les répercussions possibles de la modification des lois. Tous les Canadiens, qu'ils pratiquent ou non une religion, ont le droit de jouir d'une liberté de conscience et de religion en vertu de l'article 2 de la Charte, et le projet de loi proposé ne fait aucune place à ce droit dans ces articles importants ou dans les amendements corrélatifs. Seuls les organismes de bienfaisance religieux sont protégés dans l'amendement corrélatif, à présent appelé disposition 11.1.

Pourtant, il existe au Canada de nombreux organismes de bienfaisance qui n'ont pas de vocation religieuse, mais qui pourraient faire bien souhaiter exprimer leur opinion sur le mariage et la famille autrement qu'en approuvant le mariage homosexuel. Tout comme la Charte canadienne, qui protège à la fois la liberté de conscience et de religion — comme le note le préambule — le préambule du projet de loi fait état de cette possibilité, mais, une fois encore, le projet de loi ne le fait pas. Il s'agit là d'une erreur grave et importante qui doit être corrigée par la présente Chambre au moyen d'un amendement, et il est de votre devoir de formuler de telles recommandations une fois ce genre d'erreurs relevées. Ces erreurs peuvent être corrigées par des amendements. J'aimerais à présent m'y attarder de façon spécifique.

Premièrement, on relève le besoin de protéger tous les citoyens, tous les membres de groupes religieux de même que les représentants. À cet égard, le préambule de la disposition 3 fournit des renseignements incohérents et insuffisants. Il est à noter que le préambule du projet de loi stipule expressément :

« [...] que la présente loi n'a pas pour effet de porter atteinte à la garantie dont fait l'objet cette liberté, en particulier celle qui permet aux membres des groupes religieux d'avoir et d'exprimer les convictions religieuses de leur choix, et aux autorités religieuses de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses. »

Toutefois, si vous vous reportez à la disposition de fond 3 du projet de loi proposé, vous constaterez que, contrairement au préambule, on ne fait aucunement mention des membres. Les dispositions stipulent simplement :

Il est entendu que les autorités religieuses sont libres de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses.

La protection des opinions religieuses des membres de groupes religieux est tout aussi importante pour la société que la protection des opinions des autorités religieuses et devrait également être incluse dans la disposition 3. De la même manière, d'autres citoyens, qui ne pratiquent pas de religion, ont tout autant le droit de jouir de la liberté de conscience que les citoyens qui expriment les opinions différentes fondées sur des croyances religieuses. La liberté de conscience est un droit universel.

Passons à la recommandation 3. Nous devons nous assurer que cette loi protège la liberté de conscience ainsi que les croyances religieuses. J'ai fourni des précisions claires sur ce point. J'aimerais ajouter à cela que nous devons nous assurer que les gouvernements provinciaux et fédéral parviennent à une entente avant que l'on légifère, ou du moins prévoir un certain délai, comme l'a proposé un précédent témoin, de sorte que l'on puisse mettre en place ce type de protection.

D'ailleurs, ce n'est qu'en incluant la question de la conscience qu'on pourra traiter tous les citoyens également. Le projet de loi et une bonne partie des débats font une large place aux préoccupations religieuses soulevées par les groupes religieux et les personnes pratiquantes. Une fois de plus, on trouve dans la société de nombreuses personnes qui ne pratiquent pas de religion, mais qui s'opposent quand même, dans leur conscience, au mariage homosexuel.

Examinons maintenant la recommandation 4. Le statut d'organisme de bienfaisance et l'amendement sur la protection des organismes de bienfaisance doivent être élargis pour s'appliquer non plus seulement aux organismes de bienfaisance à caractère purement religieux, et déboucher sur des mesures concrètes de même que sur des pénalités, compte tenu des préoccupations formulées par les témoins devant le comité de la Chambre et de la couverture médiatique, comme celle qui a fait la une du Ottawa Citizen il y a quelques semaines, en annonçant que certains activistes homosexuels avaient l'intention de contester le statut d'organisme de bienfaisance de certains groupes religieux qui ne reconnaissaient pas le mariage gai, en alléguant que cette attitude constituait en soi une forme de sectarisme qui devrait mener à la suppression du statut d'organisme de bienfaisance. J'ai été heureux de constater l'ajout du paragraphe 11(1), mais je remarque que les seuls organismes de bienfaisance qui bénéficient d'une protection sont, comme je l'ai dit, ceux qui sont voués à l'avancement de la religion.

En vertu de la loi de l'impôt sur le revenu, ce n'est pas là le seul motif autorisant l'octroi du statut d'organisme de bienfaisance. Comme vous le savez, on compte au moins quatre motifs; la religion en est un. Si je suis membre d'un groupe de réflexion ou d'un organisme de bienfaisance qui n'est pas à caractère religieux, pourquoi ne pourrais-je pas bénéficier de la même protection que les organismes de bienfaisance religieux? Les membres d'un institut pour la famille, par exemple, pourraient, sans poursuivre de visées religieuses, être très préoccupés par la nature de la famille et la protection des enfants, et ils ne seraient pas protégés en vertu de l'amendement proposé.

Je passe maintenant à la recommandation 5. Il s'agit d'une recommandation complexe, et je crois bien que nous devrons y revenir pendant la période de questions. On devrait supprimer le terme « civil » du titre actuel et appeler le projet de loi « Loi sur le mariage ». On devrait supprimer l'expression « sur le plan civil » de la disposition 2 du projet de loi. Le fait d'appeler la loi « loi sur le mariage civil » et d'utiliser la phrase « sur le plan civil » dans la disposition 2 laisse supposer une scission marquée entre le mariage civil et le mariage religieux. Cette situation n'est équitable ni pour l'État, ni pour les religions.

Tous les citoyens, qu'ils pratiquent ou non une religion, sont des membres à part entière de la société civile. Il vaudrait mieux maintenir le mariage comme une institution unique au sein de la société dans laquelle nous vivons actuellement et assurer la protection efficace des croyances religieuses que de créer une scission franchement séculariste en établissant une notion de « civilité » exempte de religion.

Il faut se souvenir que la Cour suprême du Canada a jugé que l'expression « principes séculiers » incluait la religion, lorsque cette expression lui a été soumise dans l'affaire Chamberlain en 2002. Si nous vivons dans une société laïque qui inclut la religion, comment pourrions-nous donner au terme « civil » un sens qui exclut la religion?

La recommandation 6 vise l'ajout d'une seconde définition du mariage dans la loi sur le mariage. Le préambule prévoit que diverses visions du mariage doivent être tolérées. Cette disposition a été incluse, à ma grande satisfaction, après les délibérations du comité de la Chambre. On affirme que diverses visions du mariage doivent être tolérées et pourtant, le projet de loi ne fournit, dans la disposition 2, qu'une définition incluant le mariage gai, ce qui peut être offensant pour de nombreuses personnes. Le fait d'inclure côte-à-côte les deux définitions possibles du mariage dans la loi sur le mariage témoignerait d'un équilibre plus juste et correspondrait aux déclarations du préambule. Ainsi, la disposition devrait stipuler : Aux fins de la loi canadienne, le mariage peut désigner (1) le mariage entre deux personnes, quelles qu'elles soient, ou (2) le mariage entre un homme et une femme. Cette précision peut sembler être un détail anodin, mais sur le plan de la reconnaissance symbolique de l'opinion des personnes qui sont totalement opposées au mariage homosexuel, l'inclusion de cette double déclaration dans une disposition de fond permettrait en quelque sorte de calmer le sentiment d'exclusion.

Vous constaterez en lisant mon mémoire qu'il y a également un débat, tiré de l'exposé au comité de la Chambre, sur une stratégie de remplacement qui irait entièrement dans le même sens que le projet de loi. Selon moi, à ce stade-ci, une telle proposition pourrait être jugée hallucinogène, pour reprendre l'expression utilisée par l'un des premiers conférenciers de la journée. Je ne m'étendrai pas sur le sujet, mais vous pouvez consulter le document si vous le désirez.

Selon moi, personne au Canada n'a vraiment examiné le rôle de l'État par rapport au mariage en tentant de déterminer pourquoi nous nous fondons sur des marqueurs sexuels pour allouer des prestations. Si l'État ne devrait pas s'immiscer dans les chambres à coucher de la nation, pourquoi nous fondons-nous sur le type de relations conjugales pour allouer des prestations fédérales? Nous devons procéder à une analyse généralisée — puisque personne ne l'a fait — afin de déterminer pourquoi l'État s'ingère dans l'institution du mariage. Des associations athées comme l'Association humaniste du Canada ou les clubs Rotary, ou encore des groupes religieux de toutes sortes pourraient fort bien se charger de célébrer les mariages — et l'Église communautaire métropolitaine pourrait célébrer des mariages gais. Les groupes associatifs de la société civile seraient ainsi libres de célébrer des mariages dans le respect de leurs convictions, l'État se contentant d'enregistrer les unions au moyen d'un système de marqueurs non sécularisé. Je n'irai pas plus loin.

Permettez-moi d'ajouter un point au sujet du rôle du Sénat. Vous en savez plus que moi sur cette question, mais j'aimerais citer une déclaration qui a été formulée il y a fort longtemps et qui, selon moi, est tout à fait pertinente dans une situation aussi décisive.

Une Chambre haute ne serait d'aucune utilité si elle n'exerçait pas, quand elle le juge opportun, le droit de s'opposer à un projet de loi de la Chambre basse, de l'amender ou de le retarder. Elle ne serait d'aucune utilité si elle se bornait à sanctionner les décrets de la Chambre basse.

Je cite, bien entendu, le premier Premier ministre du Canada, Sir John A. Macdonald, qui est très apprécié par l'un des sénateurs ici présents, à en juger par ce que j'ai entendu aujourd'hui.

Si certains affirment, et c'est le cas — on peut s'en rendre compte en surfant sur des sites Internet portant sur votre comité — que le Comité sénatorial et le Sénat lui-même n'examineront pas les amendements et souhaitent renvoyer précipitamment cette loi à un autre ordre de gouvernement sans l'avoir étudié convenablement, qu'est-ce que cela révèle au sujet du respect que l'on a pour cette importante institution? Quel héritage de méfiance et d'aliénation toujours plus marquée léguerons-nous ainsi aux citoyens et aux collectivités qui croient déjà que la vision des activistes homosexuels leur est imposée par des groupes dirigeants qui ne les écoutent pas?

Tel que mentionné, c'est le Sénat qui, de par sa nature et son histoire, est responsable de procéder à un examen approprié des lois proposées par l'autre Chambre. Il serait extrêmement grave que le Sénat réduise le temps nécessaire à une étude appropriée des enjeux importants et se contente d'enregistrer les décrets de la Chambre des communes. Cette crainte peut toucher à toutes les questions soumises au Sénat, mais elle est encore plus pertinente lorsqu'il s'agit d'enjeux aussi fondamentaux pour la société canadienne que la nature du mariage et l'incidence que pourrait avoir sur les citoyens canadiens l'adoption de nouvelles politiques dans ce domaine.

La loi proposée menace la nature même du pluralisme. Je crains fort que le projet de loi actuel ne contienne des erreurs graves dont nous subirons les conséquences, à moins d'y remédier. Il faut agir dès maintenant, et, avec tout le respect que je vous dois, vous êtes responsables d'amorcer le processus.

Le sénateur St. Germain : J'aimerais revenir sur la dernière déclaration de M. Benson. Peu importe qui était le premier ministre à l'époque, parce que le système de sélection des sénateurs et la composition du Sénat qui en résultait étaient, en soi, si marqués par la partisanerie que votre allégation ne pourrait être vérifiée que par un examen du déficit démocratique, qui a fait couler beaucoup d'encre dans tout le pays. J'espère me tromper en affirmant que le Sénat, sous sa forme actuelle, ne peut satisfaire à vos demandes, et je ne voudrais pas que vous soyez déçu.

Monsieur Cere, dans un document que vous avez rédigé antérieurement, vous déclarez que les rédacteurs du projet de loi C-38 savaient que la loi susciterait de vives inquiétudes au sujet de la liberté culturelle et religieuse, ce pourquoi ils ont inclus une étrange mesure de protection : l'État ne s'immiscera pas dans les sanctuaires de la religion pour forcer les autorités religieuses à célébrer des mariages à l'encontre de leur conscience. Le fait que la loi soulève expressément le spectre d'une mesure aussi draconienne ne fait que souligner sa nature perfide.

J'aimerais que vous nous fournissiez davantage de détails à ce sujet. Certains d'entre nous sont convaincus que l'adoption de la loi proposée menacerait la liberté de religion et d'expression. Je partage votre avis, mais, en tant qu'universitaire, vous êtes en mesure de décrire cette question de façon plus juste. Avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet?

M. Cere : Il est évident qu'on a soulevé, au cours des trois dernières années, de graves préoccupations au sujet de la liberté religieuse, culturelle et universitaire dans le débat entourant le projet de loi proposé. La formulation des décisions judiciaires laisse entendre, pour l'essentiel, que la vision historique du mariage est discriminatoire, restrictive et correspond en quelque sorte à une forme de racisme, analogie qui a été souvent utilisée. Dans l'affaire Goodrich aux États-Unis, on a déclaré que les soupçons étaient fondés sur la haine et les préjugés.

La portée de ce mouvement et le besoin d'établir une nouvelle doctrine du mariage qui rompt avec la vision historique et conjugale laissent supposer que cette vision historique et conjugale contient des failles fondamentales et viole les droits de la personne. Si l'on s'engage dans cette voie, cela soulève toutes sortes de questions. Si l'on rejette la vision historique et conjugale en vertu de ces critères juridiques, on devra inclure dans la loi toutes sortes de mesures de protection.

Le projet de loi fait état, d'entrée de jeu, de cette mesure de protection quelque peu étrange, puisqu'il évoque la possibilité que toute tentative de restreindre le mariage aux hétérosexuels, même de la part d'un ecclésiastique, pourrait être jugée véritablement discriminatoire et être ainsi apparentée à des traditions religieuses tentant d'exclure des personnes en raison de leur couleur. Le projet de loi doit donc offrir aux membres du clergé qui célèbrent des sacrements une certaine protection contre l'ingérence de l'État.

Le fait qu'on en soit rendu là témoigne de l'émergence d'un nouveau contexte dans lequel la conception historique et conjugale du mariage est considérée comme une vision totalement empreinte de préjugés. C'est pourquoi, pendant les audiences de la Chambre des communes, j'ai suggéré d'inclure les deux définitions du mariage dans la loi proposée afin de remédier rapidement et efficacement au problème de la liberté. Nous évoluons dans une société fondée sur la vision historique et conjugale du mariage depuis que le Canada existe et même avant. Nous proposons à présent d'éliminer cette vision du droit public parce que nous la jugeons discriminatoire, mais nous désirons quand même protéger les tenants de cette vision discriminatoire et leur offrir certains types de garantie contre l'ingérence de l'État. Nous avons tenté de faire valoir ce point depuis trois ans dans différents amendements. On pourrait mettre fin à toute cette confusion en adoptant une mesure typiquement canadienne et en incluant les deux visions dans la loi. De cette façon, nous pourrions faire taire toutes les préoccupations relatives à la liberté religieuse, culturelle et universitaire, puisque les deux visions seraient considérées comme les conceptions acceptables du mariage au sens de la loi canadienne.

Le sénateur St Germain : Ma prochaine question concerne les enfants et l'éducation. Bien entendu, je ne me considère pas comme un universitaire, madame Young et madame Somerville, mais certains d'entre nous sont extrêmement préoccupés du fait que nous nous trouvons sur le bord d'une pente glissante, à force de passer du coq à l'âne en examinant cet enjeu. La question de l'éducation a été soulevée en Colombie-Britannique au cours de la fin de semaine dernière, lorsqu'on a signalé qu'un couple tentait de faire reconnaître le droit des gais dans les écoles, ce qui suscitera un gigantesque débat. Certains d'entre nous transmettent la foi à leurs enfants chez eux, puis les envoient à l'école, où on leur transmet des valeurs. Nous ne souhaitions pas que l'enseignement religieux à la maison soit ébranlé d'aucune façon par le processus éducatif.

Y a-t-il des commentaires? À votre avis, où cela nous mènera-t-il? En résumé, l'article disait qu'un couple de gais, Murray et Peter, se battent pour que l'on modifie le programme du Ministère de façon à intégrer dans le système d'éducation publique des portraits plus positifs des gais et des lesbiennes; ils veulent que l'on force le système et les établissements d'enseignement publics ou privés financés par le système public à faire une plus grande place à ce type d'éducation positive — c'est ainsi que le couple le décrit.

M. Benson : J'ai travaillé à titre d'avocat pendant de nombreuses années et j'ai représenté devant les tribunaux divers groupes qui intervenaient dans ce type d'affaires, y compris l'affaire Egan, j'ai été partie intervenante en 1994, et, ces dernières années, j'ai aussi agi à titre d'avocat dans des causes portant sur le mariage. Je m'intéresse actuellement à la nature du pluralisme au Canada et en particulier aux relations qu'entretiennent les diverses collectivités religieuses dans la société canadienne. C'est intéressant de voir l'évolution de ces causes, qui traitaient au départ des avantages, non pas du mariage. C'était dit dans chaque cause. Les juges l'ont répété, y compris dans l'affaire Egan et dans l'affaire M. et H., que l'enjeu tenait aux avantages, non pas au mariage.

Soudainement, cela concerne le mariage, mais pas le mariage religieux. Cette logique ne fonctionne pas parce que, en réalité, on réclame la reconnaissance sociale. Cela sous-tend la plupart des témoignages d'aujourd'hui. On parle de reconnaître, de légitimer, d'accueillir et d'aimer tous ceux qui se sentent exclus. Si l'on accueille cette revendication, c'est qu'on a compris deux choses : premièrement, toute la douleur cachée, deuxièmement, l'impossibilité d'une solution juridique.

Une société qui essaie de résoudre le problème de l'exclusion des personnes en s'appuyant sur la loi est une société qui permet à la loi d'aller trop loin. Pendant que nous faisions l'éloge de la tolérance, de la diversité et de tout le reste, nous avons oublié l'histoire. L'histoire du Canada nous a déjà fourni des cas d'exclusion liés à la religion, et le sujet a déjà été débattu. Les protestants voulaient que les choses se déroulent de façon protestante, les catholiques voulaient que les choses se déroulent de la façon catholique, et ils ont mené une âpre lutte sur ce point. Comment avons-nous réglé le débat concernant l'éducation, le dogme et les croyances fondamentales des protestants et des catholiques? Nous avons décidé que certaines questions ne pouvaient pas être réglées sur la scène publique. Les questions de dogme relevaient de la sphère privée.

Pour revenir à la déclaration du premier ministre au sujet du rôle du gouvernement dans la chambre à coucher des Canadiens, le point fondamental du débat sur le mariage au Canada, c'est que le mariage est, à un point de vue ou à un autre, une affaire de sexe. Ce que l'on ne dit pas dans le débat sur le mariage, c'est qu'on réclame une reconnaissance publique des préférences sexuelles. Nous devons commencer à envisager les préférences sexuelles comme nous avons déjà envisagé les croyances religieuses. Pourquoi devrait-on valider publiquement un dogme sexuel alors que nous n'acceptons plus de le faire quand il s'agit de dogme religieux? Dans les salles de classe des écoles publiques, il faut que les revendications touchant la reconnaissance des préférences sexuelles soient considérées de la même façon que les revendications touchant les croyances religieuses. En faisant cela, nous pourrons envisager d'un œil neuf toutes les questions de la reconnaissance publique des préférences sexuelles.

Mme Young : On peut établir une distinction et soutenir les gais dans tous les aspects de la vie, à l'exception de leurs revendications visant le mariage. On peut encore beaucoup améliorer l'image des gais et la rendre plus positive. Mais on sait aussi qu'ils sont maintenant décidés à investir chacune des commissions scolaires locales. J'ai participé au défilé gai à Montréal, l'an dernier, et j'y ai vu des autobus scolaires. C'était pour le mouvement une façon de dire que la prochaine série de victoires ne seraient pas aussi retentissantes que celle du mariage entre personnes de même sexe, mais qu'elle se vivrait plutôt à l'échelle locale. Autrement dit, je crois que le mouvement vise maintenant les Églises et les commissions scolaires.

Quant à l'éducation, je suis d'avis que l'on doit respecter la liberté universitaire, celle des enseignants comme celle des étudiants, et leur donner le droit de peser le pour et le contre de cette situation complexe, comme ils en ont le droit, en leur donnant les meilleures ressources pédagogiques possibles, en leur laissant le droit d'en discuter. De toute façon, même si la loi est adoptée, le sujet sera encore d'actualité. Je vous assure que nous allons encore en entendre parler pendant un certain temps.

Cela signifie que nous devons faire vraiment attention quand il est question de la liberté universitaire. Je n'en ai pas parlé ici, mais je suis extrêmement préoccupée car je crois que l'intimidation et l'opposition existent déjà et que l'on craint de discuter de ces choses. Quand la loi entrera en vigueur, ce sera encore pire. Ne serait-ce que pour cette raison, je crois qu'il faut laisser les choses là où elles en sont.

Mme Somerville : J'aimerais faire un bref commentaire sur ce sujet. Hier, justement, un médecin de famille qui s'occupe beaucoup d'adolescents en détresse est venu me consulter. Son problème, c'est qu'il parlait beaucoup du développement normal de l'identité sexuelle et du fait que les adolescents prépubères passent par une phase pendant laquelle ils nouent des liens très étroits avec une personne de leur sexe. La génétique vient de nous révéler le phénomène que l'on appelle « les empreintes génétiques »; certains gènes — cela vient d'être démontré scientifiquement par un de mes collègues de McGill, qui a étudié le comportement des rats à l'égard des soins aux petits — certains gènes doivent profiter d'une certaine stimulation environnementale à une période critique de notre vie. Sans cette stimulation, ces gènes ne pourront jamais s'exprimer.

Prenons par exemple l'apprentissage d'une langue seconde; si l'on n'a jamais appris un langue seconde avant la puberté, on ne pourra jamais en apprendre une et la maîtriser après la puberté, et c'est à cause d'un gène qui devient inactif à ce moment-là. À mon avis, et même si cela n'est pas prouvé, il est fort possible que l'on découvre un jour des gènes liés au développement de la sexualité, parce que, dans la plupart des cas, les choses vont ainsi par étapes.

Son problème, c'était qu'il ne savait pas quoi faire avec les adolescents qui venaient le voir pour des problèmes liés à leur identité sexuelle et qu'il se demandait si la loi aurait une incidence sur les conseils qu'il leur prodiguait. Il ne voulait pas se mettre dans le pétrin et se faire dire qu'il agissait de façon discriminatoire envers les homosexuels. C'est une des nombreuses questions que nous devons aussi considérer.

Le sénateur Pearson : Je m'adresse à la fois à Mme Somerville et à Mme Young et j'aimerais parler des droits des enfants. Je vous remercie d'avoir attiré notre attention sur ce sujet.

J'ai lu vos commentaires, madame Somerville, et je suis à moitié d'accord avec ce que vous affirmez. Je ne vais pas aussi loin que vous, mais je suis d'accord pour dire qu'on doit avoir le droit de connaître ses parents, son identité biologique, et ainsi de suite. C'est une question à laquelle je réfléchis depuis de nombreuses années quand il est question du droit des enfants adoptés et des nouvelles technologies de reproduction. Vous avez visé juste. J'y ai aussi réfléchi après avoir lu un article scientifique dans le New York Times, il y a environ un an, sur le fait que les obstétriciens prédisent que 10 p. 100 des enfants ne seront pas les enfants de leur père.

Mme Somerville : Selon les derniers chiffres que je connais, ce serait plutôt 25 p. 100.

Le sénateur Pearson : Je ne vois pas ce que cela ajoute à la discussion. Vous voulez dire : attention aux tests d'ADN?

Soyons sérieux. Je suis tout comme vous inquiet à l'idée que l'on produise des gamètes à partir de tissus prélevés chez des adultes. Cela m'inquiète profondément, parce qu'il y a des conséquences. Je me préoccupe moi aussi du fait que l'on n'a pas demandé leur avis aux enfants qui sont nés à la suite d'un don de sperme. Personne n'y a pensé, aux répercussions sur les enfants. D'un autre côté, personne n'a demandé leur avis à mes enfants. Ils n'ont pas consenti à naître, et je ne sais pas dans quelle mesure la question du consentement est un argument valable.

En ce qui concerne la question des droits des enfants, une chose est sûre pour moi. L'enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes montre que le développement sain des enfants est lié à trois conditions essentielles. Il faut d'abord que les familles avec enfants aient un revenu adéquat. Nous n'en parlerons pas ici, même si c'est une question très importante. Les deux autres conditions essentielles, ce sont de bonnes compétences parentales au sein de familles fortes et unies, et, enfin, des communautés inclusives où l'on peut trouver du soutien.

Quand on parle de bonnes compétences parentales et de familles fortes et unies, on ne parle pas nécessairement de familles composées d'une mère et d'un père biologiques. On parle de familles fortes et unies, quelle que soit leur composition. À mon avis, c'est là le plus important. Notre monde évolue, et nous devons tous accepter les énormes changements qui ont affecté le mariage, le divorce, et cetera. Mais ce qui me préoccupe le plus, ce sont les conditions de vie des enfants qui subissent les mauvais traitements des familles, la violence à l'endroit des enfants, ces sortes de choses. Quand nous parlons des droits des enfants, nous devons parler de tous les droits des enfants, non pas seulement du droit à une famille biologique, qui peut ne pas être bonne pour un enfant.

Mme Somerville : Vous avez raison, mais nous devons quand même définir la présomption de base, et une présomption de base ne peut être neutre puisqu'elle établit une norme. Nous devons justifier les exceptions en fonction de cette norme. Et cette loi vient changer complètement la présomption de base.

La présomption de base qui sous-tend le mariage entre personnes de sexe opposé, c'est que les enfants ont un père et une mère et qu'ils sont élevés par leurs parents biologiques. Il y a bien sûr des exceptions, dont le divorce. En passant, un certain nombre de recherches récentes portant sur les enfants du divorce montrent que les effets de celui-ci sur les enfants sont beaucoup plus durables et profonds qu'on aurait pu le croire.

Il faut aussi parler de cette croyance selon laquelle l'identité des parents importe peu. Il faut d'abord savoir s'il s'agit ou non de ses parents biologiques. Selon certaines statistiques, les personnes plus susceptibles d'infliger de mauvais traitements à des enfants sont leurs beaux-parents. Il semble qu'après tout les liens biologiques ont leur importance.

Le sénateur Pearson : En fait, il s'agit de la mère, mais vous pouvez laisser tomber.

Mme Somerville : Les mères célibataires. C'est différent.

On peut envisager les différences entre les hommes et les femmes sous l'angle de la nouvelle biologie et de la nouvelle génomique. Les études montrent que les hommes et les femmes interagissent différemment avec les enfants. Les hommes les laisseront prendre beaucoup plus de risques que les mères. Les études montrent aussi que cela donne aux enfants des capacités différentes, qu'ils n'auraient pas eues s'ils devaient interagir avec une femme. Cela ne signifie pas qu'un enfant est prédéterminé par ses gènes, mais je crois qu'il est logique de dire que c'est ainsi que nous fonctionnons, comme une machine. Nous sommes plus qu'une machine, mais il est évident que nous devons avoir certaines capacités pour devenir plus qu'une machine comme nous le serons plus tard. Je crois que nos enfants qui n'ont pas un parent de chaque sexe sont privés de quelque chose.

Le sénateur Pearson : Je constate personnellement des changements. Je crois que les hommes sont souvent le parent qui calme et qui fournit des soins tandis que la mère encourage les activités risquées. On connaît les caractéristiques des mâles, mais il est toujours dangereux de généraliser à partir d'une caractéristique. On peut reconnaître que les enfants ont besoin de vivre certaines expériences, au cours de la vie, pour développer leur plein potentiel. Mais je ne voudrais pas qu'on limite ces expériences à certains types, puisqu'ils sont susceptibles de changer.

Mme Somerville : Katherine Young est une experte de cette question; elle a écrit des ouvrages sur le sujet.

Le problème c'est peut-être, entre autres, que nous avons supprimé l'expression de la masculinité chez les hommes.

Mme Young : Vous avez parlé des données en sciences sociales. Je dois ajouter que de nombreuses études universitaires contestent l'opinion que vous venez de présenter. On ne peut pas s'y fier.

Mme Somerville vient de dire qu'en général les parents biologiques dont le mariage est stable prennent mieux soin de leurs enfants et sont moins susceptibles de leur infliger des mauvais traitements. Les données des sciences sociales le prouvent.

Le sénateur Pearson : Si leur mariage est stable, c'est justement parce que ce sont de bonnes personnes.

Mme Young : Je poserai donc la question suivante : pourquoi, tout au long de l'histoire de l'humanité, avons-nous voulu que les hommes et les femmes s'unissent? On peut l'expliquer d'une part par le fait que nous devons faire rentrer l'homme dans la famille, en lui donnant un peu de patine culturelle, pour qu'il noue des relations avec les femmes et avec les enfants. Les hommes sont importants parce que les garçons ont un corps qui ressemble à celui de leur père, non pas à celui de leur mère. Qui pourra leur conférer une identité conforme à ce qu'ils vivent dans leur corps? Les féministes disent depuis longtemps que les hommes n'ont aucune idée de la façon dont les femmes ressentent et vivent la réalité. C'est un facteur lié à notre corps. La même chose se passe chez les garçons et, vous pouvez me croire, les garçons ont de plus en plus de difficulté à vivre en société. Les hommes représentent environ 40 p. 100 des personnes admises à l'université, à l'heure actuelle, et cette proportion pourrait augmenter. Leur taux de suicide est quatre fois plus élevé que celui des femmes. Il se passe quelque chose de grave.

Si on dissociait la culture hétérosexuelle qui tisse des liens entre les hommes et les femmes en permettant aux enfants de faire confiance aux hommes, parce qu'ils participent aux relations familiales, et si nous laissons tomber l'apprentissage hétérosexuel qui a cours depuis si longtemps, comment pouvons-nous penser que les garçons et les hommes tisseront des liens avec les femmes, à l'avenir? Rien ne permet d'affirmer cela. Nous pouvons laisser tomber cette culture.

On a réalisé au Canada un film très intéressant intitulé Men and Women Unglued (hommes et femmes : dissociés). On y explique qu'il est de plus en plus difficile pour les hommes et les femmes de former une relation stable et que la situation se répercute sur les enfants. Dans la nouvelle loi, les hommes ne sont plus des pères selon la définition biologique. Ils sont tout simplement un portefeuille. Une femme qui a un enfant, que ce soit le sien ou celui d'une autre personne, aura droit, pour toujours peut-être, à des paiements, et la contribution spéciale de l'homme à la vie de l'enfant, à la vie de son fils, à la vie de la famille dans son contexte social, n'est plus reconnue.

Les féministes réclament l'autonomie en matière de reproduction depuis environ 20 ans. Ce que l'on propose ici équivaut presque à une autonomie déguisée pour les femmes en matière de reproduction. C'est un phénomène intéressant. Nous donnons l'image d'une société tolérante pour les gais, aujourd'hui, mais qui aura des enfants? Ce seront les femmes lesbiennes; je vous assure que les hommes gais ne seront pas très nombreux à le faire. Cela désassociera les hommes des femmes et des enfants. Et nous savons que cela pourrait causer d'énormes problèmes familiaux, nous en avons tiré des leçons de l'histoire de la famille des Noirs des États-Unis et d'autres sociétés qui ont connu des problèmes semblables.

C'est facile de citer ces études, mais si l'on tient compte de la taille de l'échantillon et de l'hypothèse de départ, les études ne résistent pas à l'examen. Nous entreprenons quelque chose de beaucoup plus important que cela.

Quand on admet le fait que toute la culture du mariage est fondée sur des raisons historiques valables, ce qui explique qu'il s'agit d'une institution universelle, nous devons trouver une façon beaucoup plus efficace de traiter les exceptions.

La manière dont on traite les gais n'est pas toujours acceptable. Je crois par exemple que le fait de critiquer l'homosexualité en en faisant une catégorie n'est pas acceptable. Cependant, puisque nous sommes une société tolérante — le Canada est une société tolérante — nous pouvons traiter avec respect à la fois les gais et le mariage.

M. Cere : La question centrale, c'est la manière dont on a relié la question du mariage et la question de la parentalité, dans le projet de loi C-38, et on pourrait dire qu'on est passé par la porte de service en apportant des modifications corrélatives. L'une des raisons pour lesquelles je recommanderais que l'on laisse tomber ces modifications corrélatives visant la redéfinition de la parentalité, c'est que cela suppose que l'État n'a aucun intérêt à soutenir les familles intactes, mais qu'il s'intéresse en réalité au soutien de la diversité familiale, quel qu'en soit le prix. Pourtant, les recherches en sciences sociales montrent que la structure familiale a une incidence sur les enfants, et que cette incidence est grande. Dans mon mémoire, je cite l'organisme Child Trends :

[...] la structure familiale qui offre le plus de soutien est une famille dirigée par les deux parents biologiques dont l'union est heureuse... En faisant la promotion de mariages stables et solides unissant les parents biologiques, on favorise les enfants.

Cela résume bien l'unanimité actuelle des chercheurs en ce qui concerne les structures familiales favorables aux enfants. Les enfants confiés aux soins de parents substituts, et en particulier d'hommes avec lesquels ils n'ont aucun lien, sont plus susceptibles d'être victimes de violence physique ou sexuelle. C'est la vérité.

Le sénateur Joyal : Non, on essaie encore une fois de faire diversion. Cela n'est pas vrai, monsieur.

M. Cere : Prenez mon mémoire et lisez les notes de bas de page. Robin Wilson, un éminent chercheur, a fait plusieurs études. Son article intitulé « Children at Risk : The Sexual Exploitation of Female Children After Divorce » (des enfants à risque — l'exploitation sexuelle des filles après un divorce) a été publié dans la Cornell Law Review. « Fractured Families, Fragile Children — The Sexual Vulnerability of Girls in the Aftermath of Divorce » (familles éclatées, enfants fragiles — vulnérabilité sexuelle des filles après un divorce) a été publié dans le périodique Child and Family Law Quarterly. Les données probantes sont nombreuses. La notion selon laquelle la famille biologique est destructrice et dangereuse et que les enfants sont tout aussi en sécurité auprès de parents substituts n'est sûrement pas étayée par ces données.

[Français]

Le sénateur Rivest : J'aimerais vous remercier d'avoir apporté la dimension des enfants qui est une question plus large, comme l'a mentionné madame le sénateur Pearson, ainsi que la reproduction assistée.

Quelle est la proportion d'enfants, au Québec ou au Canada, qui vivent sans la présence de leur mère et de leur père biologiques?

[Traduction]

Mme Somerville : Je n'ai pas de statistiques sur cet aspect-là. Je lis de temps à autre des statistiques concernant le nombre d'enfants nés grâce à des technologies de reproduction, mais cette statistique-là devrait aussi inclure les enfants qui vivent dans des familles reconstituées. J'ignore la réponse.

[Français]

Le sénateur Rivest : Ma préoccupation est la suivante. Ce projet de loi a un but très limité, celui de donner un statut juridique à l'union de personnes de même sexe. J'accepte volontiers les conclusions des études scientifiques selon lesquelles il est dans l'intérêt d'un enfant de vivre avec le modèle féminin et le modèle masculin, donc en présence de sa mère et de son père.

Cependant, je me pose une question à l'égard des enfants et à l'égard de l'accès aux techniques de reproduction. Qu'est-ce que ce projet de loi change en réalité? Des enfants qui n'ont pas la présence de leur père et de leur mère biologiques, il en existe actuellement un nombre important. Cela découle des divorces, des séparations, de certains problèmes familiaux ou encore des gens qui choisissent de vivre une situation monoparentale et d'avoir des enfants. Cela vient également du fait que nos lois sur l'adoption autorisent une personne seule à adopter un enfant. Je ne vois pas ce que l'accès aux techniques de reproduction ajoute. Les techniques sont accessibles. C'est la même chose pour les personnes de même sexe. Sans ce projet de loi, il y a au Canada des personnes de même sexe vivant ensemble qui peuvent avoir accès à des techniques de reproduction ou qui peuvent avoir des enfants d'un mariage antérieur. Je ne vois pas pourquoi le fait de donner un statut juridique à cette union créera un problème additionnel aux enfants ou à l'accès aux techniques de reproduction. Il n'y aura pas plus de personnes de même sexe qui vont décider de vivre ensemble parce qu'elles auront un statut juridique. Ces personnes ont déjà des enfants et ont déjà accès aux techniques de reproduction. Cela ne leur facilitera pas l'accès aux techniques de reproduction — sur lesquelles on peut se questionner sur le plan éthique. Cela ne changera pas la situation des enfants. On n'ajoutera pas de nouvelles personnes gaies avec ce projet de loi. On leur donne simplement un statut juridique identique à celui de l'ensemble des citoyens. C'est le seul objectif de ce projet de loi. Je ne comprends pourquoi vous dites qu'il aura des conséquences extrêmement importantes pour les enfants au Canada ou qu'il pourrait faciliter de façon significative l'accès aux techniques de reproduction. Il n'y a pas de lien de cause à effet entre ces deux problèmes très importants — et sur lesquels nous vous remercions d'avoir attiré notre attention — et ce projet de loi.

[Traduction]

Mme Somerville : En réalité, pour les enfants, la différence est énorme, et pas seulement pour les enfants issus d'un mariage entre conjoints de même sexe puisque, comme le reconnaît le projet de loi C-38, on modifie le lien sur lequel est fondé la parentalité; le lien qui unit les parents et les enfants n'est plus un lien naturel ou biologique, c'est un lien juridique, c'est-à-dire un lien fondé sur les valeurs sociales associées à la parentalité. C'est un énorme changement. En fait, cela modifie le fondement même de la loi sur la famille.

Selon l'analyse juridique habituelle de la loi sur la famille, les parents ont un droit de primauté par rapport à leurs enfants biologiques. L'État peut, de façon exceptionnelle, contester ce droit dans certaines conditions, par exemple la négligence ou les mauvais traitements infligés à l'enfant, mais il a le fardeau de la preuve quand il exerce ce droit d'intervention. Autrement dit, la loi est appliquée au modèle de la parentalité naturelle. Cependant, elle sert aussi à reconnaître la parentalité biologique et, exceptionnellement, la parentalité non biologique comme dans le cas d'adoption, mais c'est parce qu'il s'agit d'une exception.

Dans ce nouveau modèle de parentalité, c'est la loi qui institue le lien parental. Elle ne reconnaît plus du tout les liens biologiques et naturels. On les a éliminés. La loi reconnaît, mais elle peut aussi ne plus reconnaître. Aujourd'hui, la parentalité est fondée sur la loi, elle est constituée par la loi, ce n'est plus la loi qui reconnaît la parentalité. Il faudra réfléchir aux implications futures de cet état de fait.

Par exemple, selon la doctrine relative à la vie privée des familles, l'État ne doit pas intervenir dans les affaires privées des familles, comme on dit que l'État n'a rien à faire dans les chambres à coucher. La loi ne peut porter atteinte à la vie privée des familles que dans des cas exceptionnels. Je vois surtout cela dans le contexte de mon travail, en ce qui concerne la maladie et l'éthique médicales, par exemple lorsque des enfants sont très gravement malades et que leurs parents entretiennent certaines croyances religieuses ou encore ne jurent que par la naturopathie, et refusent tout simplement les traitements ordinaires. Nous devons expliquer devant les tribunaux, et dans le moindre détail, pourquoi nous sommes justifiés de porter atteinte au droit à la vie privée de la famille. On pourrait agir de la même manière, mais, naturellement, ce ne sera pas la même chose à l'avenir.

En outre, le droit au mariage n'est pas un droit simple. C'est un droit complexe. C'est le droit de se marier et de fonder une famille. Plutôt que de faire des technologies reproductives, encore une fois, l'exception plutôt que la norme afin de pouvoir les limiter de façon justifiée en vertu des lois —, je crois qu'on peut soutenir que cela est conforme à la Charte. Par exemple, la Loi sur la procréation assistée interdit pour le moment le clonage, qui est une méthode de reproduction. C'est une méthode de réplication asexuée plutôt qu'une méthode de reproduction sexuée. C'est totalement interdit au Canada. Vous pouvez prétendre que, étant donné que nous avons placé l'accent sur le droit des enfants à des parents naturels et biologiques, la loi changera tout cela. Il est aussi important de définir la norme et les exceptions. Pour l'instant, la norme, ce sont les parents biologiques, et c'est cette norme qui détermine les valeurs fondamentales que nous essayons de défendre et de véhiculer à l'intention des enfants. Le projet de loi modifie cette norme. Il fait en sorte que ce qui est pour le moment une exception deviendra la norme. C'est un changement de taille.

Mme Young : Cela revient à dire certaines choses que j'ai déjà dites. Vous adoptez la position de ceux qui disent qu'il n'y a pas de mauvais côté à cette affaire. Tout continuera comme si de rien n'était. L'essentiel de votre argumentation consiste à dire qu'il y aura quelques personnes de plus, et que tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes. Comme je l'ai signalé, il ne s'agit pas seulement des enfants de couples de gais ou de lesbiennes; il s'agit de l'ensemble de la culture hétérosexuelle. Il faut toujours recourir à la culture pour compléter la biologie. Cela suppose un énorme effort sur le plan de la culture. Et c'est pour cela que ces valeurs sont enchâssées au plus profond des religions, et c'est pourquoi les États participent au débat. On ne peut pas présumer qu'il suffit d'un simple rapport sexuel pour avoir des enfants et en faire des adultes sains.

Il faut aussi parler de la question de l'identité masculine et de la paternité. Nous ne pourrons plus parler publiquement de l'importance de la paternité. C'en est fini de cette question. C'en est fini parce que toutes les relations sont aussi bonnes les unes que les autres et que l'on ne peut plus dire que la paternité est importante pour les enfants.

Il est vrai que le mariage ne va pas très bien ces temps-ci. Nous en sommes rendus à un point où le mariage diminue rapidement, mais nous en sommes à un carrefour. Quelle direction doit-on prendre?

[Français]

Le sénateur Rivest : Je vous ai peut-être donné l'impression que je considère qu'avec ce projet de loi, tout va bien aller. Permettez-moi de vous retourner la remarque. Je trouve que la nature de vos propos constitue vraiment la vue la plus pessimiste. Vous semblez dire que tout va aller mal et que la société va changer.

Il y a des personnes homosexuelles dans la société actuellement. Cela ne change pas la condition des hétérosexuels. Le fait qu'on légalise le mariage ne changera pas la définition du mariage telle que les gens la conçoivent, selon leur religion et leur valeur morale.

Il y a des enfants qui vivent dans des couples homosexuels actuellement. Par exemple, si un couple de lesbiennes a eu recours à une technique assistée de reproduction et qu'elles se séparent, l'enfant n'aura qu'un seul recours et qu'un seul soutien, soit sa mère biologique.

Les gens n'acquièrent pas seulement des droits lorsqu'ils se marient. Les deux parents auront des obligations à l'égard des enfants. Ce n'est pas la vie en rose. C'est une réalité très concrète. Vous voyez le côté négatif de ce projet de loi. Vous avez des inquiétudes. C'est tout à fait légitime et je ne vous le reproche pas.

Nous dire, par contre, que tout sera sombre et que ce sera l'enfer, ce n'est pas exact. Je veux bien croire que cela ne sera pas le ciel, mais cela ne sera pas l'enfer non plus. Il s'agira seulement de conditions et de réalités humaines qui iront dans le sens d'une égalité juridique pour l'ensemble des Canadiens.

Voilà toute l'ambition de ce projet de loi.

[Traduction]

Mme Young : Nous n'avons jamais changé la définition du mariage. C'est vraiment une expérience. Nous ne savons pas ce qui va arriver parce que personne ne peut prédire l'avenir. Aucune société humaine n'a jamais fait du mariage entre conjoints de même sexe la norme. Il y a eu des exceptions, mais cela n'a jamais été la norme, et nous ignorons ce qui va se passer.

[Français]

Le sénateur Rivest : Une décision du Conseil privé a été prise, au Canada, pour reconnaître le fait qu'une femme était une personne. Cela n'a pas révolutionné la société canadienne.

[Traduction]

Le sénateur Cools : Ça n'a même pas rapport.

Mme Young : C'est une autre analogie courante.

Le sénateur Cools : C'est comme pour les Noirs.

Mme Young : C'est comme l'analogie avec les Noirs.

La présidente : Nous n'en discuterons pas.

Le sénateur Cools : Je suis prête à en discuter ce soir même. Je suis prête. Je suis fatiguée depuis longtemps de toutes ces sottises. Je suis contente que quelqu'un mette le sujet sur la table. Aux États-Unis d'Amérique, les Noirs reprennent vie, et il se publie beaucoup de recherches sur leurs objections à l'appropriation de la langue des droits civils ...

La présidente : Ce n'est pas notre sujet.

Le sénateur Cools : J'y arrive.

La présidente : Nous devons attendre encore de nombreuses personnes qui ont demandé à participer, et j'ai le devoir de leur permettre de participer.

Monsieur Benson, veuillez prendre la parole.

M. Benson : En réaction à tout ce qui a été dit, j'aimerais faire quelques observations importantes. Ce sera assez difficile à faire, mais elles sont valables. La première est, en fait, une citation tirée d'un article signé par un éminent professeur de droit canadien et paru dans un grand périodique de droit canadien. Voici ce qu'il dit :

Puisque, dans les institutions religieuses, la discrimination fondée sur le sexe, l'orientation sexuelle ou l'identité sexuelle est en train de disparaître, la nécessité d'une exemption fondée sur la religion disparaît elle aussi de la sphère privée religieuse. Même s'il est peu probable que je vive assez longtemps pour voir cela, j'espère qu'un jour, par exemple, la première papesse lesbienne présentera ses excuses pour tous les péchés commis par l'Église catholique romaine contre les personnes LGBT [lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres] du monde entier. Et je suis sûr que Bertha Wilson aimerait que ce jour vienne, elle aussi.

Cet extrait tiré de la conférence Bertha Wilson, organisée en 2002 à l'école de droit de l'Université de Toronto. Il ne s'agit pas d'une publication marginale, et cet exposé n'a pas été prononcé par un universitaire marginal. Il a été prononcé par un éminent chercheur du domaine du droit constitutionnel canadien qui s'intéresse à cette question, Robert Wintemute.

Vous devez comprendre les préoccupations des personnes qui étudient cette question de près depuis des années. Ce qui est préoccupant, c'est qu'il s'agit là d'un mouvement social radical qui s'en prend à la façon dont jusqu'ici on comprenait les institutions sociales centrales. Cela ne concerne pas seulement le mariage; cela concerne le mariage, et cela ne le concerne pas.

Il y a quelques années, un chercheur de l'Union soviétique, Igor Shafarevich, a rédigé un ouvrage important intitulé The Socialist Phenomenon (le phénomène socialiste). Dans cet ouvrage, il affirme que le socialisme millénariste s'attaquera toujours à trois aspects de la culture — la religion, la propriété privée et l'institution de la famille.

Nous sommes attaqués dans notre cœur même, et les attaques sont si nombreuses que nous ne pouvons même pas voir d'où elles viennent, la religion et la famille sont attaquées, et, pour certains d'entre nous, cela veut dire que la famille et le mariage sont attaqués. Si vous n'avez pas vu cela, vous n'avez pas envisagé la question de la façon dont il faudrait, à mon humble avis, que vous l'envisagiez.

Vous avez devant vous, autour de la table, quelques chercheurs dont je connais bien les recherches, et ils peuvent vous donner beaucoup de détails éclairants sur cette question. M. Cere a réalisé une analyse historique absolument brillante sur deux approches du mariage et sur les aspects qui les opposent de façon tout à fait inéconciliable; il y a le concept constructiviste, selon lequel le mariage est un produit de la volonté, et un autre concept selon lequel le mariage est reconnu, non pas créé, par l'État ou les lois. Ces deux opinions s'opposent fondamentalement, et l'on ne peut pas comprendre ce qu'elles signifient pour la société si on les étudie avec des oeillères. Cela est fondamental pour le Canada et pour toutes les cultures occidentales.

À mon humble avis, la tâche qui vous attend est énorme. Vous êtes en effet le « commando de la toute dernière heure » et vous devez régler cette question complexe en utilisant un ensemble de clauses apparemment simples. Mais elles ne sont pas simples. Mes collègues ont essayé de vous faire comprendre que vous avez là une lourde responsabilité.

Le sénateur Milne : Madame Somerville, je suis d'accord avec vous pour dire qu'un enfant doit avoir le droit de connaître ses parents biologiques. Je suis d'accord avec vous de tout cœur et sans réserve. Mais, malheureusement, le Canada ne reconnaît pas ce droit aux enfants. On ne peut donc pas aborder le débat sous cet angle.

De quels droits spécifiques ce projet de loi privera-t-il les enfants? Je n'en vois aucun. Des conjoints de même sexe peuvent déjà avoir un enfant, et, dans certaines administrations, ils peuvent aussi en adopter. En conséquence, vous réclamez pour les enfants des droits que la loi canadienne a déjà supprimés.

Mme Somerville : Sénateur, la loi ne les a pas supprimés. La loi actuelle reconnaît que l'enfant a le droit d'avoir une mère et un père. C'est l'institution du mariage qui reconnaît ce droit aux enfants.

Dans le débat sur les mariages entre conjoints de même sexe, on s'attache beaucoup aux droits des adultes dans le mariage. Lorsque l'unité matrimoniale est formée d'un homme et d'une femme, on n'a pas à s'inquiéter du droit de l'enfant de connaître ses parents ou d'avoir une mère et un père, puisque ces droits sont inhérents à l'unité maritale. Mais, quand vous dites que les couples de même sexe ont le droit de se matrimoniale et que ce serait discriminatoire que de les empêcher, vous créez un conflit entre les droits des adultes de former un couple de conjoints de même sexe et les droits des enfants de naître au sein de leur propre famille biologique et, dans la mesure du possible, d'être élevés par leur famille.

Le sénateur Milne : Madame Somerville, dans la plupart des régions du Canada, les conjoints de même sexe ont déjà le droit de se marier. La loi n'y changera rien. Elle ne fera qu'étendre ce droit aux quelques régions du Canada où ce droit n'est pas encore reconnu. On en est déjà rendu là. Vous n'êtes peut-être pas d'accord, et je ne suis probablement pas d'accord parce que, à mon avis aussi, les enfants devraient être élevés par un homme et une femme. Pourtant, en réalité, partout dans notre pays, des enfants sont élevés par des conjoints de même sexe et par des parents d'adoption.

Mme Somerville : Oui, mais le Parlement doit faire un choix, même s'il ne veut pas qu'on en discute. Il peut renverser la situation dans les provinces où, en raison d'une décision arbitraire des tribunaux, le mariage entre conjoints de même sexe est permis. Il peut pour cela utiliser la clause nonobstant; il peut aussi affirmer qu'il est d'accord avec les tribunaux, imposer la loi à l'échelle du pays et l'approuver. C'est le but de ce projet de loi. C'est à cela qu'il mène. Mais le Parlement n'y est pas obligé.

Je crois que la clause nonobstant inscrite dans la Constitution est un moyen d'assurer l'équilibre en laissant le dernier mot au Parlement. Celui-ci a le pouvoir d'imposer une période de réflexion de cinq ans quand les dossiers controversés de ce type l'exigent, par exemple lorsque le pays entier participe au débat et que celui-ci est source de divergences d'opinions marquées. Je ne crois pas que d'autres débats puissent être aussi fondamentaux, peut-être quand il sera question de l'euthanasie, ce qui pourrait bien arriver. Voilà exactement pourquoi il faudrait recourir à la clause nonobstant et imposer une période pendant laquelle nous pourrons réfléchir à ce qu'il convient de faire. Mais on nous donne l'impression que c'est une horrible chose à faire, que cela signifie automatiquement que nous ne tenons pas compte du droit des autres et que nous approuvons la discrimination. Excusez-moi, mais je crois que c'est une mauvaise interprétation de la Constitution.

Le sénateur Milne : Cela dit, cela reste l'interprétation de la Constitution.

J'ai une question à adresser à Mme Young, qui dit être libérale, mais une libérale plutôt tiède désormais.

Le sénateur Cools : C'est une maladie courante.

Le sénateur Andreychuk : Stressée.

Le sénateur Milne : Perturbée. C'est le mot que vous cherchez.

Le sénateur Cools : C'est une maladie sociale commune chez les Canadiens, aujourd'hui. J'en ai souffert longtemps.

Le sénateur Milne : Nous sommes quelque peu perturbés. Mais laissez-moi s'il vous plaît poser ma question à Mme Young. Puis-je poser ma question à Mme Young, s'il vous plaît?

La présidente : Allez-y.

Le sénateur Milne : Madame Young, vous rappelez-vous à quel moment la question du mariage entre conjoints de même sexe a été posée au congrès national du Parti libéral? Si vous ne le savez pas, moi, je m'en souviens.

Le sénateur Cools : Pourquoi posez-vous la question?

Le sénateur Milne : Je répondrai donc : ce sont les jeunes Libéraux du Canada qui ont abordé la question lors du congrès national du Parti libéral de 1994. C'est un sujet de discussion au sein du Parti depuis lors. Elle figure maintenant dans le programme du congrès libéral, dans le programme du Parti, et cela fait déjà un certain temps. Ce n'est pas un concept nouveau. On n'a forcé personne.

Le sénateur Cools : Le procureur général n'en a rien su avant 2002.

La présidente : Sénateur Cools, vous n'avez pas la parole.

Le sénateur Milne : Je ne vous ai pas interrompue une seule fois, Sénateur Cools.

Le sénateur Cools : Je ne vous ai pas interrompue; c'est une tradition, au Parlement, que de « chahuter ».

La présidente : À l'ordre, s'il vous plaît. Silence!

Le sénateur Prud'homme : Madame, vous n'êtes pas à la Chambre des communes.

Mme Young : Cela fait peut-être partie de la politique du Parti, dans les congrès, mais quand vous pensez que quelque chose cloche et que les recherches empiriques semblent vous donner raison, je crois que c'est le moment idéal pour exposer son point de vue. C'est encore un bon moment, alors nous exposons notre point de vue. J'ai beaucoup d'expérience de dossiers qui durent des siècles ou des millénaires. Dans ce contexte, deux années, 1994 ou 2005, ce n'est qu'une minuscule étincelle sur l'écran radar.

Le sénateur Milne : C'est à peine un clin d'œil par rapport à l'histoire du monde.

J'ai une dernière question pour M. Benson, mais ce n'est pas vraiment une question, j'en ai bien peur.

M. Benson : Non, c'est moi qui ai peur.

Le sénateur Milne : Vous avez indiqué pendant votre exposé que la troisième disposition du projet de loi ne fait aucune mention des membres, même si elle s'oppose ainsi au préambule. On reconnaît que les autorités religieuses ont le droit de refuser de marier deux personnes. Vous avez compris que la troisième disposition ne parle que des autorités religieuses, parce qu'elles seules peuvent célébrer un mariage. Les membres d'une congrégation ou d'un groupe religieux ne peuvent le faire. Les autorités religieuses sont les seules à pouvoir légalement célébrer un mariage.

M. Benson : Mais le préambule est beaucoup plus général que cela, n'est-ce pas?

Le sénateur Milne : Oui, mais selon le projet de loi proprement dit, seules les autorités peuvent célébrer un mariage. Donc, pourquoi faudrait-il parler des membres ici?

M. Benson : Il ne s'agit pas seulement de la célébration des mariages. Il s'agit de la liberté de parole et d'opinion sur le mariage, ce qui est tout autre chose. Il faut aussi tenir compte des inquiétudes de nombreux citoyens au sujet des répercussions de cette loi sur la société en général. Cela ne concerne pas seulement le mariage.

Le sénateur Milne : Monsieur Benson, l'article 3 mentionne les autorités. L'article 3.1 dit aussi ce qui suit : « il est entendu que nul ne peut être privé des avantages [...] »

M. Benson : C'est cela. J'en parle dans mon exposé. Je parle du problème de l'interprétation des lois, c'est-à-dire de l'interprétation d'une sous-section par rapport à la section principale. L'article 3.1 ne peut pas avoir plus d'importance que la disposition qu'il modifie. Le problème, en conséquence, c'est que l'article 3 s'attache aux autorités. Le paragraphe 3.1 essaie d'aller plus loin, et je crois que c'est à cause des suggestions présentées devant le comité de la Chambre. À mon avis, il rate son but. C'est ce que je voulais dire.

Le sénateur Andreychuk : Madame Somerville, je vous remercie d'avoir abordé la question des enfants parce que, tout au long de l'exercice, personne n'en a vraiment parlé. Nous vivons pourtant dans une société, et cela concerne particulièrement la sphère politique, qui dit toujours que les enfants sont l'avenir. Pourtant, je ne connais pas beaucoup de lois fondées sur le droit des enfants. L'un des problèmes viendrait peut-être du fait que, même si nous avons signé et ratifié la Convention relative aux droits de l'enfant, nous ne l'avons pas réellement assortie, à l'échelle provinciale ou fédérale, d'une philosophie fondée sur leurs droits?

Mme Somerville : Nous ne l'avons pas fait, c'est bien vrai. Depuis quelque temps, on publie des articles dans lesquels on explique que, même si nous prétendons être une société ouverte aux enfants, nous n'en sommes pas vraiment une. Peut-être à cause de la façon dont nous envisageons la technologie et les objets de la technologie comme une partie de nous-mêmes — on a réalisé une étude sur la façon dont les jeunes et les moins jeunes considéraient leur téléphone cellulaire. En réalité, les jeunes considèrent que leur téléphone cellulaire fait partie de leur corps. Ils ne le voient pas un appareil technologie séparé, tandis que les moins jeunes considèrent le téléphone cellulaire comme un appareil qu'ils utilisent pour parler à quelqu'un d'autre, mais certainement pas comme quelque chose qui fait partie de leur corps.

Je suis en train d'étudier certaines de ces questions et je me demande entre autres si, par exemple, notre maîtrise des nouvelles technologies de reproduction ne nous a pas amenés à voir les enfants d'une étrange manière; comme s'il s'agissait d'une partie de nous-mêmes, quelque chose que nous désirons avoir et qu'il est temps d'avoir. Et pourtant nous ne les voyons pas comme des personnes distinctes qui ont leurs propres droits à défendre.

Nous sommes ici aussi devant un paradoxe. D'un côté, nous commençons à comprendre l'importance et la complexité énormes de la génétique, son mystère et ses promesses. De l'autre, nous rabaissons sa valeur pour les enfants, ce faisant, et nous disons qu'il n'est pas important pour eux de rester dans l'ignorance. Cela a des liens avec les changements profonds qui affectent notre société, et il y en a un grand nombre. Cela n'est pas dû à un seul de ces changements.

On fonctionnait, avant, de façon communautaire; maintenant, on parle d'un individualisme poussé. On avait l'habitude de tolérer un certain mystère, mais, aujourd'hui, on cherche à résoudre le mystère comme si c'était un problème. Et pour résoudre les problèmes, notre société utilise la technologie. Il y a des gens qui ne tolèrent pas du tout d'avoir l'impression de ne pas tout contrôler. Des raisons comme celles-là, il y en a plein.

Le commentaire que M. Benson a fait plus tôt est très important : notre sujet ne représente que la pointe de l'iceberg d'un énorme débat de société. Il en sera encore question, par exemple, quand on déposera des projets de loi sur le suicide assisté ou l'euthanasie. Les facteurs qui sous-tendent le débat sur le mariage entre conjoints de même sexe sont exactement les mêmes pour le débat sur l'euthanasie. C'est une question complexe. Il faut prendre le temps de mesurer sa complexité.

Si vous le permettez, madame la présidente, j'aimerais revenir au Parti libéral, qui a commencé à discuter de la question en 1992. Plusieurs de mes étudiants, y compris le professeur Robert Wintemute, qui enseigne aujourd'hui à l'école d'économie de Londres, et qui a été l'un des étudiants les plus brillants que j'aie jamais eus, avaient prévu cela. Ils avaient l'habitude de venir m'en parler. Je ne les blâme pas. C'est ce qu'ils voulaient faire, et ils l'ont fait de façon magistrale. J'ai essayé de dire aux autres : « Voici ce qui se passe. Voici ce que font les personnes qui sont d'accord et qui veulent que cela se passe. Voici les recherches qu'ils font. Voici comment ils vont défendre leurs opinions. » Ainsi, William Eskridge de Yale, le juge Michael Kirby de la Cour suprême d'Australie, Robert Wintemute, et toutes sortes de gens brillants ont préparé ce dossier. Les personnes qui pensaient que ce n'était pas une bonne idée me regardaient comme si je venais de tomber du ciel et elles me répondaient : « Tu plaisantes. Il n'y a pas de problème. Il n'y aura pas de débat. » Il a fallu beaucoup de temps pour que les personnes qui pensaient que le mariage entre conjoints de même sexe n'était pas une bonne idée pour la société se décident à passer à l'action et à faire des recherches sur le sujet.

M. Benson : C'est justement en réaction aux arguments selon lesquels il ne s'agit que d'une simple inclusion. On l'a dit souvent, et aujourd'hui encore, plusieurs sénateurs l'ont dit, qu'il ne s'agissait que d'une simple inclusion, un ajout à la catégorie du mariage. Mais c'est tout, sauf une simple inclusion, parce que pour de nombreuses personnes — pas tout le monde, mais de nombreuses personnes, y compris les principaux théoriciens — , c'est une attaque intentionnelle — c'est le terme qu'ils utilisent — contre l'hétéronormativité, qui, selon leur description, s'appuie principalement sur le mariage et la famille. C'est une stratégie de dissolution, non pas d'inclusion. Si vous n'avez pas compris cela, permettez-moi de vous dire avec tout le respect que je vous dois vous êtes naïfs.

La présidente : Je ne crois pas que nous sommes naïfs, monsieur Benson.

Le sénateur Andreychuk : Ça arrive à certains d'entre nous, de temps à autre.

Le sénateur Joyal : Il faudrait dire « ça peut nous arriver ».

Le sénateur Andreychuk : Monsieur Benson, je vais lire l'article 2 du projet de loi :

Le mariage est, sur le plan civil, l'union légitime de deux personnes, à l'exclusion de toute autre personne.

Mme Somerville a parlé des changements que cela signifie, en particulier pour les enfants. J'ai reçu des lettres des deux parties. Vous parlez maintenant de leurs effets sur les hétérosexuels. Mme Somerville a expliqué les répercussions de cette disposition sur les enfants. J'ai aussi reçu des lettres d'universitaires de l'Université de Toronto et je peux dire, pour n'en citer qu'une, qu'ils craignent que cette disposition ne limite les relations entre conjoints de même sexe puisqu'elle ne cible que la relation des adultes entre eux à l'exclusion de toute autre personne. Leur crainte, c'est qu'ils ne pourront pas devenir parents. Pensez-vous que le risque est réel? Aurions-nous accidentellement adopté une définition qui lésera les deux parties ou qui pourrait léser les deux parties?

M. Benson : Je n'oublie pas que mes collègues sont des gens brillants, et je demanderai à l'un d'entre eux de répondre à cette question.

Le sénateur Andreychuk : En fait, c'est une opinion juridique que j'aimerais obtenir.

M. Benson : Je suis désolé, je ne sais pas quoi vous répondre.

M. Cere : L'abandon de la notion de « parent naturel » a soulevé beaucoup de difficultés en raison des problèmes qui suivent la dissolution d'une relation, même quand il s'agit de conjoints de même sexe. En général, dans un couple de lesbiennes, l'un des conjoints est la mère biologique. Nous avons déjà eu à traiter quelques cas de divorce ou de dissolution de la relation dans lequel l'autre partenaire réclame la garde parentale, à titre d'autre mère. Il semble que, pour la mère biologique, cela crée certaines difficultés puisque, soudainement, elle est liée à un rôle comaternel, à cause de son enfant, même si elle désire passer à autre chose.

Pour redéfinir en les interreliant le mariage et la parentalité, on a peut-être malgré nous créé quelques problèmes. Je ne parle pas seulement de la redéfinition de la parentalité pour l'ensemble de la société, ou de l'élimination, dans la loi, de la notion de parent naturel, je parle aussi des nouveaux problèmes que cela pourrait représenter pour les lesbiennes, en particulier, qui ont plus d'enfants. Si je me souviens bien, les lesbiennes sont cinq fois plus nombreuses que les gais à avoir des enfants. Cela semble déjà créer un problème.

Le sénateur Andreychuk : M. Benson, vous avez fait des commentaires au sujet de l'engagement religieux et de la pensée religieuse. Nous allons modifier la Loi sur le droit fédéral et le droit civil de la province de Québec pour indiquer que le mariage exige un « consentement libre et éclairé ». Aucun témoin n'a expliqué comme il faut ce que signifiait le mot « éclairé » accolé au consentement. Auparavant, cela voulait dire qu'il fallait obtenir une consultation matrimoniale, dans une Église, et ces sortes de choses; cela signifiait que quelqu'un pouvait nous guider tout au long du mariage. Mais qui nous éclairera, maintenant? Je n'avais pas vraiment entendu cette expression utilisée dans ce contexte.

M. Benson : Je n'ai aucune idée.

Le sénateur Andreychuk : J'attendrai un autre témoin.

Mme Somerville : Je pourrais peut-être vous l'expliquer. C'est une expression tirée du concept du consentement donné en toute connaissance de cause, que l'on utilise en médecine. Selon les lois du Québec, l'expression consentement donné en toute connaissance de cause équivaut à « consentement libre et éclairé ». « Libre », parce qu'il est tout à fait volontaire, « éclairé » parce que vous connaissez tous les risques, préjudices, avantages et avantages potentiels liés à l'acte que vous voulez ou ne voulez pas poser. Officiellement, voilà ce que ça veut dire.

Le sénateur Andreychuk : Nous allons prendre le consentement donné en toute connaissance de cause, et l'intégrer ici.

Mme Somerville : Je crois que c'est de là que vient l'expression.

Le sénateur Hervieux-Payette : Je me demandais si, cette fois-ci, ce ne sont pas les Libéraux qui ont lancé les dés. Madame Young, je suis d'accord avec vous. Il nous reste à peine une minute. Je suis de la même opinion que vous au sujet des enfants. J'ai demandé à trois étudiants de réaliser une étude sous la supervision d'un titulaire de doctorat de l'UQAM. Ils ont donné à leur étude le nom suivant : « Revue des études empiriques sur le développement cognitif et psychosocial et la qualité de l'environnement familial des enfants conçus à l'aide des techniques de procréation assistée ». Il leur a fallu une année pour réaliser cette étude. Ils ont fait un examen documentaire de tous les documents parus sur le sujet au Canada, aux États-Unis, en France et en Hollande. Je vais vous parler un peu de cette étude.

Premièrement, les sujets étaient des enfants de couples de même sexe, mais aussi des enfants de couples de sexe opposé qui ont eu recours aux technologies de reproduction. Environ 80 p. 100 des sujets de l'étude étaient issus de couples de même sexe. Dans le monde, deux études seulement ont porté sur ce sujet. Quand j'ai appris qu'on allait déposer un projet de loi, je me suis dit qu'il fallait que je sache ce qu'il en était de ces enfants. Je suis une disciple de Mme Dolto, la psychiatre française. Je crois que les enfants ont le droit de savoir qui sont leurs parents parce que c'est important sur les plans biologique et psychologique. Ceux qui ne le savent pas souffrent toute leur vie.

C'était mon hypothèse de départ. L'étude disait en conclusion qu'il était difficile de procéder à une réelle évaluation parce que, disent les auteurs, c'est la mère qui a fait l'évaluation. L'étude a suivi les enfants jusqu'à 13 ans. Ça ne représente même pas une génération. Les études ont commencé il y a 13 ans seulement.

Les quatre étudiants de troisième cycle ont conclu qu'il fallait d'autres études. Premièrement, nous ne devons pas nous limiter à des études sur des études. Avec l'argent dont je disposais, je ne pouvais pas faire comme Statistique Canada l'aurait fait et étudier un échantillon de bonne taille. Je ne pouvais pas non plus procéder de manière très scientifique.

Puisque nous n'avons pas d'études sur le sujet, nous devons décider de l'avenir de bien des gens en société. Le Sénat étudie le dossier des maladies mentales. J'ai entendu dire que les maladies mentales sont un très grave problème dans notre pays. Pourriez-vous dire, selon vos études, quelles seraient les répercussions sur la santé mentale dans l'avenir? Je ne veux pas dire par là que ces personnes deviendront folles. Nous avons débattu de la définition des personnes et nous avons dit que, lorsqu'une personne définit sa propre identité, il y a un processus. Il y a des périodes critiques dans la vie des enfants qui deviennent des humains à part entière. Est-ce que nous prenons un risque en adoptant ce projet de loi dans sa forme actuelle, puisque nous savons que nous ne connaîtrons pas l'identité des parents biologiques? Nous savons qu'ils auront accès à ces informations, mais nous ne saurons pas qui est le père ni qui est la mère. Comment pouvons-nous savoir si l'enfant n'est pas conçu par un frère et une sœur? On ne saura pas d'où le sperme provient. Il se peut que des gens aient des liens de parenté qui remontent à une banque de sperme, sauf si on va à Vancouver quand on habite à Montréal.

On dirait que personne n'a examiné ces questions. Il y a un an, j'ai été effrayée parce que je me suis dit que cela arriverait. Je connaissais la loi maintenant en vigueur, et aussi l'étude de Mme Somerville. Ce qu'elle a réalisé, dans ce domaine, est à mon avis digne de respect.

Cependant, je me suis dit que nous allions prendre une décision. Je vous appuie, mais je pourrais comparer la façon dont nous avançons le dossier de ce projet de loi à un plongeon dans une piscine dont on ignore la profondeur.

Que proposez-vous? Vous avez proposé que l'on fasse connaître le nom des parents biologiques; avez-vous d'autres idées?

Mme Somerville : On commence tout juste à connaître les résultats des études consacrées à ce sujet. Le grand philosophe Isaiah Berlin a dit à peu près ceci : « Je suis la partie de moi que je vois reflétée dans l'œil des autres ». Je viens tout juste de prendre connaissance de l'étude réalisée par un professeur de l'Université de Chicago qui a décidé, il y a environ un an, d'entreprendre l'examen de la question que vous venez justement de soulever. Je m'excuse, j'ai oublié son nom. Il prétend que les gens les plus importants, chez qui nous pouvons observer notre reflet, sont entre autres les membres de notre famille biologique. En effet, nous pouvons cerner en nous-mêmes les éléments qui leur ressemblent, mais aussi des éléments qui nous en distinguent. C'est ce qu'on appelle le pouvoir positif de l'identification négative. On peut dire par exemple : « Je ne veux pas ressembler à ma mère ni à mon père ». Cet auteur prétend que les enfants qui n'ont aucun lien biologique avec leurs parents se retrouvent dans les limbes, car ils ne peuvent pas faire cela. Ils ne peuvent pas trouver une image d'eux-mêmes chez leurs parents, pas plus que chez leurs frères et sœurs ou chez les membres de la famille étendue, et ils ont le même sentiment à propos de leurs grands-parents.

Vous allez peut-être trouver cela anecdotique, mais il existe un site Web baptisé « Tangled Webs » créé par les enfants issus de donneurs, et de nombreuses lettres y sont affichées. Ces enfants disent : « Je me regarde dans le miroir tous les matins, et je vois qu'il me manque la moitié de mon identité. Comment la société a-t-elle pu penser qu'elle avait le droit de me faire ça? » Ils deviennent de plus en plus actifs. Il existe aussi des sites Web grâce auxquels des frères et des sœurs essaient de retrouver leur trace, et même des demi-sœurs ou des demi-frères, et ce phénomène est, lui aussi, tout à fait nouveau. On voit maintenant que les nouvelles technologies de reproduction se combinent à la technologie d'Internet, et de toute évidence cela mérite qu'on y consacre beaucoup de recherches; selon ce que je sais, cela ne fait que commencer.

Le sénateur Hervieux-Payette : J'aimerais que nous revenions au congrès du Parti libéral, le sénateur Prud'homme était présent, moi aussi, et nous avons proposé à cette époque que tous ceux qui voulaient prendre en charge une personne, ou être en même temps pris en charge par elle, pouvaient signer une entente en ce sens. Il pouvait s'agir d'un frère, d'une sœur, d'un cousin ou d'une cousine, ou même d'une personne sans liens de parenté, mais il n'était pas nécessaire d'aller jusque dans la chambre à coucher pour savoir s'ils jouissaient de leurs droits. C'est seulement lorsque l'on veut prendre la responsabilité d'un autre être humain que l'on accepte de dire : « Nous allons vivre ensemble. Nous pouvons prendre soin l'un de l'autre, et nous aimerions que cette relation soit réciproque. » Les exemples sont nombreux : dans le cas du sénateur Prud'homme, il s'agit de sa sœur. Quoi qu'il en soit, la proposition a été rejetée, mais la proposition qui portait sur le mariage gai a été retenue. Je m'en rappelle. Ce que je veux dire, c'est qu'il y a là plus qu'on voit de prime abord. S'il avait été question de droits, une proposition qui irait jusqu'à écarter le sexe de tout cela aurait été plus juste pour toutes les personnes qui prennent soin du nôtre.

J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet, parce que, de cette manière, on aurait pu éviter le piège qui nous fait tomber dans la chambre à coucher des personnes afin de reconnaître certains droits.

M. Cere : Cette proposition figurait dans la première partie du rapport « Au-delà de la conjugalité » de 2001, de Rod MacDonald, qui était alors président de la Commission du droit du Canada. Il proposait fondamentalement un système universel de compagnonnage, dans lequel chaque Canadien pouvait désigner un autre Canadien avec lequel il entretenait une relation étroite d'interdépendance sociale et économique. Comme le laisse entendre le nom du rapport, « Au-delà de la conjugalité » adoptait une approche qui n'était pas fondée sur le sexe.

Ce qui fait la beauté de cette approche, c'est son universalité. Elle est très inclusive. Elle aborde des situations dans lesquelles des frères et des sœurs vivent ensemble pendant une longue période et, pour le moment, ne peuvent profiter des prestations de retraite de l'autre personne, notamment. Elle écarte l'État du dossier lourdement chargé d'avoir à négocier et de prendre position sur la question litigieuse de la nature d'une institution comme le mariage.

La seule difficulté, dont le rapport fait état, c'est que la question de la parentalité n'est pas réglée. Il y a toujours un problème dans les chambres à coucher de la nation, puisqu'on y produit encore des enfants, et ce sont principalement les couples faits de conjoints de sexe opposé qui produisent 99 p. 100 des enfants au pays.

Une partie de ce débat exige que nous prenions du recul, comme nous le faisons depuis 30 ans au regard des grandes tendances matrimoniales observées dans notre société. Par exemple, en ce qui concerne le déclin du taux des mariages, le Québec affiche un taux de 2,8 p. 100, à l'heure actuelle. Au Québec, 60 p. 100 des enfants sont nés à l'extérieur des liens du mariage. Les tendances relatives à la culture du mariage sont très importantes et, à certains égards, cette loi reconnaît et renforce certaines tendances en imposant une doctrine du mariage qui sera reprise à l'échelle de la société, en vertu des pouvoirs de l'État.

Ce que je veux dire, c'est qu'il existe d'autres façons plus créatives de résoudre certains problèmes, et je pense notamment au rapport « Au-delà de la conjugalité » et à ce système de relations étroites qu'on y propose, un système universel et légal de compagnonnage que les Canadiens pourraient utiliser, et on pourrait dans la foulée essayer de régler la question de la filiation. Cette question n'est toujours pas réglée.

Mme Young : Quand j'ai rencontré les membres du Comité parlementaire, j'avais déjà préparé un certain nombre d'amendements en supposant que la loi allait être adoptée. J'ai dit qu'il fallait faire en sorte que Statistique Canada recueille de bonnes statistiques. Il fallait charger un groupe de spécialistes des sciences sociales, triés sur le volet, de la collecte des données et de la formulation des questions. Pour cela, nous avons besoin de financement. Nous devons faire des pressions pour que ces statistiques soient recueillies, et nous devons, tous les cinq ans, examiner leur évolution. C'est la seule manière d'évaluer adéquatement le risque et de remplir nos obligations éthiques envers les enfants.

Le sénateur Mitchell : Tout cela a été très stimulant. C'était une longue et intéressante journée. En Alberta, on dirait tout simplement qu'on se sent « complètement vidé ».

Premièrement, madame Young, j'ai l'impression, jusqu'à un certain point, que vous dites être en mesure de définir ce qu'est un bon parent. Vous prenez la catégorie des personnes gaies ou lesbiennes et vous dites, d'une certaine façon, qu'elles ne peuvent pas être de bons parents parce que — et Mme Somerville reprend dans une certaine mesure la même idée — parce que les enfants ont besoin d'une influence masculine. C'est peut-être vrai, mais c'est une position très dangereuse à tenir dans quelque société que ce soit. C'est une pente très glissante. On peut faire d'autres études scientifiques portant sur les questions sociales et découvrir qu'il existe d'autres catégories de personnes qui ne sont pas de bons parents, elles non plus. Je ne juge pas. Il se peut qu'une personne sans emploi ne puisse pas mettre en place un environnement efficace pour élever des enfants, ou une personne qui, selon nous, a un problème d'alcool, ou encore une personne qui n'est pas aussi scolarisée que d'autres. Je pourrais fournir de nombreuses variables à partir desquelles on détermine qu'une personne est un meilleur parent qu'une autre.

De façon générale, vous avez peut-être raison, mais nous protégeons les droits des personnes parce que la généralisation n'est pas efficace. Je vous garantis que je peux trouver des enfants qui ont été élevés par deux gais ou deux lesbiennes et qui réussissent aussi bien, sinon mieux, peu importe les paramètres que vous utiliserez pour en juger, que des enfants qui ont été élevés dans votre famille classique et traditionnelle comptant deux parents et trois enfants. Vous avez voulu explorer cette voie, et cela me remplit d'effroi.

Vous avez beaucoup parlé, comme bien d'autres personnes, des répercussions négatives qui pourraient suivre cette décision. Mais personne ne semble vouloir parler des répercussions d'une absence de décision. Laissez-moi en passant défendre mon point de vue : si nous ne protégeons pas les droits des personnes, les droits de tous sont menacés. Voilà des répercussions négatives. Si on parle plus précisément des gais ou des lesbiennes, quelles seront les répercussions du débat et des jugements — je parlerais même presque d'arrogance — en ce qui concerne ce que ces personnes sont capables de faire, de faire à d'autres personnes dans notre société. Ces personnes existent aujourd'hui même. On ne parle pas de personnes qui pourraient naître, dans l'avenir, et ne pas être bien élevés. Elles existent aujourd'hui. Le message qu'on leur envoie me trouble énormément. On n'a qu'à penser au taux de suicide chez les jeunes homosexuels. Je suis presque content que l'audience ne soit pas télévisée. Imaginez un jeune homosexuel de 16 ans qui nous écoute débattre de ce sujet. Ne serait-il pas ravagé?

Laissez-moi vous lire une lettre envoyée au rédacteur en chef du National Post, et qui a paru dans un journal le 8 mars. On y dit clairement ce que j'essaie de dire. La lettre a été envoyée en réaction à un article du Père Raymond De Souza intitulé « Speaking of Man and Wife » (en parlant du mari et de la femme). La lettre a été écrite par Jason Reede de Toronto le 5 mars.

Je me demande si les personnes qui s'opposent avec tant d'âpreté au mariage entre conjoints de même sexe se sont jamais demandé à quel point c'était important pour les homosexuels. Elles ne savent pas ce qu'on ressent, adolescent — quand la norme devient si importante — et qu'on réalise avec horreur qu'on est homosexuel. Elles ne savent pas ce qu'on ressent quand ses amis disent qu'ils haïssent les tapettes et qu'ils devraient tous mourir. On pense au suicide, parce qu'on ne veut pas que les autres découvrent la vérité; la honte est insupportable.

Ces personnes ne peuvent comprendre à quel point j'ai été rempli d'espoir quand j'ai appris que le Canada envisageait de permettre le mariage entre conjoints de même sexe. Cette loi va beaucoup plus loin que le mariage. C'est un symbole. C'est le symbole de l'espoir et des rêves d'un monde meilleur auquel aspirent les homosexuels. J'ai maintenant 18 ans, j'ai finalement admis mon homosexualité et je n'éprouve plus la honte qui m'a presque poussé au suicide. Au moins, maintenant, j'ai l'espoir. Ce qui m'échappe, c'est la raison pour laquelle des personnes comme le Père De Souza, qui semble-t-il a pour mission de redonner espoir aux gens, sont aussi déterminées à étouffer celui-ci.

Imaginez les répercussions de ce que vous dites. Je n'ai pas besoin d'études universitaires pour savoir qui peut être un bon parent.

Mme Young : Le plus difficile, c'est que même si certains enfants peuvent réussir très bien dans la vie, dans des circonstances exceptionnelles, nous devons élaborer des politiques publiques et proposer une solution. Nous devons aussi examiner la documentation des sciences sociales. Vous pensez que cela vient de moi, mais cela vient — et je veux que cela soit noté — de différentes études, comme celle de Robert Lerner et Althea Nagai, qui s'intitule « No Basis : what the studies don't tell us about same sex parenting » (pas de preuves : ce que les études ne disent pas sur les parents conjoints de même sexe).

Que faisons-nous? Nous devons tenir compte des normes, mais aussi des exceptions. Une fois que nous avons bien cerné la norme qui, après tout, s'applique à 95 p. 100 de la population, nous devons faire de notre mieux pour réagir aux exceptions. Je ne dis pas qu'il ne faut pas faire preuve de compassion ni qu'il ne faudrait pas réévaluer la question des prestations ou nous doter d'un bon régime.

Le sénateur Mitchell : À quoi ressemble la famille normale dans la société d'aujourd'hui? Quatre-vingt-quinze pour cent de nos familles sont différentes aujourd'hui. Combien y a-t-il de familles monoparentales? Et combien de chefs de familles monoparentales ne peuvent pas être de bons parents aujourd'hui, avons-nous dit? Comment établit-on une norme?

Mme Young : À la base, quand il est question des compétences parentales, il y a un fait : nous avons un corps différent. Nous devons revenir à la question du corps.

Le sénateur Mitchell : Et pourquoi cela?

Mme Young : Vous êtes un homme, je suis une femme. Comment pourriez-vous dire à votre fils, si vous en avez un — avez-vous un fils?

Le sénateur Mitchell : Cela ne change rien à rien pour mes fils. Leur génération ne s'en préoccupe pas du tout. Ça n'existe absolument pas pour eux.

Mme Young : Il y a des manières d'envisager les exceptions. Mais il y a aussi de nombreuses histoires navrantes de pères qui quittent leurs enfants et le mariage parce que la culture ne les appuie pas, des histoires de femmes qui ne peuvent trouver un homme à marier parce que le système matrimonial ne tient plus debout, mais qui veulent néanmoins un père pour leurs enfants. C'est désespérant, et cela impose aux enfants des souffrances de toutes sortes. Si nous réglons un problème, nous risquons d'en créer de nouveaux. C'est ce qui s'est passé quand on a permis le divorce. Ça a réglé le problème dans des cas extrêmes, mais cela a aussi imposé à un grand nombre d'enfants la culture du divorce.

Ça n'est pas facile. Dans le fond, vous prétendez que si nous ne pouvons pas envisager la question dans toute sa complexité, c'est que nous sommes contre les gais.

Le sénateur Mitchell : Ce que je dis, c'est que nous devons envisager la question de la famille dans toute sa complexité. S'il est vrai que certains homosexuels ont peut-être de la difficulté à élever leurs enfants, on peut rétorquer que de nombreux hétérosexuels ont aussi de la difficulté à élever des enfants, et que le problème n'est pas plus étendu dans un cas ou dans l'autre. Si l'on veut parler du problème de l'éducation des enfants, je crois qu'on ne devrait pas établir de distinction en disant qu'un groupe de personnes est plus susceptible d'avoir des problèmes qu'un autre groupe. Je suis sûr qu'il y a autant de mères célibataires que de familles dirigées par deux lesbiennes où il n'y a pas l'influence d'un homme. Il faut examiner ces problèmes, mais il ne faut pas que l'on mette tous ces problèmes sur le dos des gais et des lesbiennes en disant : « Vous êtes l'incarnation de ces problèmes et nous allons trouver le moyen de résoudre les problèmes de la société en ne faisant pas cela. »

Mme Somerville : J'aimerais que ce soit clair aux fins du compte rendu : êtes-vous en train d'insinuer qu'une personne qui est contre le mariage entre conjoints de même sexe est aussi contre les gais et qu'elle ne veut rien savoir des homosexuels?

Le sénateur Mitchell : Non, ce n'est pas ce que j'insinue. Ce n'est pas cela que je dis.

Mme Somerville : Vous dites qu'il y a là un lien entre la reconnaissance du mariage entre conjoints de même sexe et le respect pour les homosexuels et les familles d'homosexuels?

Le sénateur Mitchell : Oui.

Mme Somerville : C'est donc une seule et même affaire. Vous avez dit, aussi, qu'il y a autant de mauvaises personnes dans les familles d'hétérosexuels que dans les familles d'homosexuels.

Le sénateur Mitchell : J'ai dit qu'ils éprouvaient probablement autant de difficultés, oui.

Mme Somerville : Néanmoins, ils n'ont peut-être pas le même type de difficultés. En outre, ce dont nous parlons, ici, c'est de la question de savoir si nous devons abandonner la règle fondamentale selon laquelle un enfant a le droit d'avoir une mère et un père, de préférence ses propres parents biologiques. C'est la question principale. Si vous dites que les enfants n'ont aucun droit, alors vous êtes d'accord avec le concept du mariage entre conjoints de même sexe. Si vous dites que les enfants ont ce droit, vous ne pouvez pas permettre le mariage entre conjoints de même sexe, parce que ce type de mariage les prive de ce droit.

Lorsque vous dites que nous n'intervenons pas auprès des familles d'hétérosexuels, parce que nous pensons qu'il s'agit peut-être de mauvais parents, c'est vrai, mais c'est parce que nous n'intervenons pas sur le fait biologique, qui existe déjà. C'est différent lorsqu'on nous demande de fournir un soutien sociétal pour créer ce type de famille, et c'est ce que nous faisons en permettant le mariage entre conjoints de même sexe.

Si un couple dont les conjoints sont de même sexe a un enfant, c'est correct; nous n'avons pas à intervenir. Mais quand on nous dit que nous devrions rendre accessibles des technologies de reproduction sans imposer de restrictions quelconques, cela signifie que la société est en faveur.

Le sénateur Mitchell : Les technologies de reproduction soulèvent bien des questions, et vous avez bien expliqué votre position à ce sujet. Toutefois, le problème subsiste, que le mariage gai soit permis ou non, parce que des groupes hétérosexuels qui veulent des enfants sur mesure pourraient aussi se buter aux mêmes problèmes. Ce sont les gens qui décident du type de famille qu'ils veulent. Souvent, ils décident qu'ils veulent élever seuls leur famille, ou vivre en union de fait et élever des enfants. On reconnaît toujours aux couples homosexuels le droit de prendre ces décisions. Pourquoi la société dirait-elle que nous imposons le concept des parents biologiques, alors que dans la moitié des familles d'aujourd'hui, le père et la mère ne vivent pas ensemble?

Le sénateur Cools : On n'impose rien.

M. Benson : J'aimerais faire un commentaire au sujet de la réplique à la lettre du Père De Souza. Voici la logique de cette allégation : parce que je suis gai, je me sens exclu de la société en raison de déclarations de personnes comme ce prêtre catholique. Maintenant, appliquons cette logique à votre discours. Cela voudrait dire que, parce que plus de 90 % des mariages en Ontario sont célébrés devant un ecclésiastique, cet homosexuel se sentirait pour toujours exclu tant qu'on distinguera les mariages civils et les mariages religieux. Il y aura toujours sur la Terre des personnes comme ce De Souza, et ils feront toujours partie de la société. Vous avez frappé juste en lisant cette lettre.

Quoi qu'il en soit, j'aimerais que vous examiniez cette question non pas avec des oeillères, mais dans le contexte culturel général du débat. Le père de Souza et d'autres personnes de toutes confessions religieuses n'accepteront jamais que le comportement homosexuel soit au cœur des revendications visant le mariage entre conjoints de même sexe. La semaine prochaine, l'année prochaine peut-être, cette personne et les groupes qui représentent l'auteur de la lettre s'en prendront aux communautés religieuses qui n'appuient pas leur opinion, parce que ces communautés refusent toujours de les « accepter ».

C'est pourquoi on fait fausse route quand on prétend que toute cette affaire est fondée sur la question de la dignité. La jurisprudence se fonde aussi là-dessus, et c'est une erreur. Si vous rejetez mes croyances religieuses, vous ne me rejetez pas. Pourquoi est-ce que je vous rejetterais en rejetant vos croyances à titre d'homosexuel?

M. Cere : À mon avis, il n'est pas vrai que de nombreuses femmes choisissent d'élever seules un enfant. C'est tout simplement quelque chose qui arrive, comme c'est arrivé à ma fille. Environ 90 p. 100 des jeunes Canadiens espèrent toujours se marier et avoir des enfants issus d'un mariage. Ce n'est pas toujours comme ça que ça se passe parce que, dans nos sociétés, la culture du mariage est en train de s'effriter. Ils ne peuvent pas réaliser leurs aspirations.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à ce qui est dit en substance dans la Loi sur la procréation assistée, dont vous avez parlé, madame Somerville. Avez-vous témoigné devant le comité de la Chambre des communes au moment de l'étude du projet de loi? Il a été déposé au Parlement il y a des années.

Mme Somerville : Oui, je crois que j'ai fait un témoignage devant ce comité.

Le sénateur Joyal : Avez-vous aussi témoigné devant le comité du Sénat, quand le projet de loi y a été présenté?

Mme Somerville : Je ne me rappelle plus.

Le sénateur Joyal : Le projet de loi a été approuvé par le Sénat en 2004, si je m'en rappelle bien, et les appuis venaient des deux côtés de la Chambre. Il a été présenté par le sénateur Morin, appuyé par le sénateur Keon, et adopté à mains levées; je crois que le Sénat était divisé, mais que la Chambre, peut-être, était unanime. Le projet de loi comportait une disposition relative à un examen après cinq ans — c'est peut-être trois ans.

Mme Somerville : Oui.

Le sénateur Joyal : Quand on adopte des lois touchant la recherche scientifique, on soulève des inquiétudes parce que leurs résultats peuvent souvent être imprévisibles. Dans votre exposé, vous parlez des nombreux types de recherches portant sur cette question en disant qu'on en découvre toujours plus chaque jour. C'est pourquoi vous présentez des arguments irréfutables, parce que vous êtes convaincue que l'on doit pouvoir connaître l'identité du donneur.

Les articles 538 à 542 du Code civil du Québec, qui concernent la filiation des enfants nés grâce à la procréation assistée, ont été adoptés en 2002 par l'Assemblée nationale du Québec. L'article 542 précise que : « les renseignements nominatifs relatifs à la procréation médicalement assistée d'un enfant sont confidentiels ». Avez-vous présenté à l'Assemblée nationale votre point de vue sur cet aspect de la procréation assistée?

Mme Somerville : Je n'ai pas témoigné sur le sujet, à Québec.

Le sénateur Joyal : Vous travaillez à l'Université McGill. Êtes-vous de Montréal?

Mme Somerville : Oui.

Le sénateur Joyal : C'est votre gouvernement, je suis surpris que vous n'ayez pas témoigné

Mme Somerville : Excusez-moi, sénateur, on me demande fréquemment de faire un exposé sur de nombreux dossiers d'intérêt public. Je ne demande jamais à témoigner devant un comité ou à prononcer une allocution dans le cadre d'une conférence. Je réponds aux invitations, et on ne m'a pas invitée là. J'ai lu ces articles du Code civil. Je trouve intéressant de voir qu'au moment d'adopter des lois sur les unions civiles, qui touchent aussi les conjoints de même sexe, le Code reconnaît les projets parentaux qui supposent le recours à la procréation assistée. On lui dit que « l'enfant... est présumé avoir pour autre parent le conjoint de la femme qui lui a donné naissance », qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme. La femme qui vit en union civile avec la mère peut s'inscrire à titre de père sur le certificat de naissance de l'enfant. Aucune disposition ne prévoit la divulgation de l'identité du père biologique. Comme vous l'avez dit, il s'agit de renseignements confidentiels.

J'aimerais ajouter que j'ai pris connaissance d'un rapport de la Commission du droit de la Nouvelle-Zélande, déposé au Parlement de la Nouvelle-Zélande, dans lequel on propose d'élaborer un nouveau certificat de naissance. Sur celui- ci, on pourrait inscrire le nom de trois parents ou plus.

Il est aussi intéressant de voir qu'au Québec deux femmes vivant en union civile peuvent s'inscrire à titre de parents, mais qu'aucune disposition ne permet à deux hommes vivant en union civile de s'inscrire à titre de parents. Je me demande parfois si on ne pourrait pas contester cela.

Le sénateur Joyal : Si je fais ces commentaires, c'est parce que c'est un dossier tout chaud et que la question est importante. Le débat n'a pas pour point de départ notre projet de loi, il se faisait déjà au moment de l'adoption de la Loi sur la procréation assistée, il y a un an, et l'examen et les débats ont duré trois ou quatre ans au Parlement. La décision n'a pas été prise sur un coup de tête. Le projet de loi a été présenté trois fois, si je me rappelle bien. Le premier ministre à le présenter a quitté le Parlement au moment de son adoption. La question fait l'objet d'un débat public au Canada depuis des années, parce que le Canada accuse un retard par rapport à la Grande-Bretagne quant à l'adoption de ce type de mesures.

Je suis surpris de vous voir insister aujourd'hui sur cet aspect du mariage gai; vous avez pourtant eu l'occasion d'expliquer votre opinion, dans le passé. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faut revoir certains éléments de ce projet de loi. Mais il me semble que vous prenez une position politique quand vous parlez du mariage gai.

Mme Somerville : Si vous me permettez, sénateur, j'aimerais vous dire qu'après l'adoption de la Loi sur la procréation assistée, les dispositions sur la confidentialité des donneurs m'ont beaucoup tourmentée. J'ai parlé à quelqu'un de Santé Canada et j'ai demandé pourquoi on avait inclus ces dispositions, parce que je ne savais pas du tout qu'elles avaient été incluses. On m'a répondu que c'était une demande des provinces, qui voulaient avoir le temps d'adopter des lois visant à dégager les donneurs de toute responsabilité légale envers les enfants. Ces lois n'existaient pas dans toutes les provinces, à cette époque, et les représentants de Santé Canada m'ont dit qu'ils prévoyaient être en mesure de modifier la loi d'ici trois ans environ. Tout dépend quand même de la volonté du Parlement de la modifier. Je vous avoue que je suis intervenue dans ce dossier. Ce n'est pas juste parce qu'il est question du mariage entre conjoints de même sexe que j'en parle.

Le sénateur Joyal : Je vous inviterais à faire un suivi parce que nous sommes tous intéressés. Le projet de loi sera présenté une autre fois, au moment approprié, après lqu'il sera devenu caduc. Vous avez tout à fait raison, madame Young, de demander des fonds supplémentaires. À mon avis, lorsque nous avons discuté de ce projet de loi, nos connaissances statistiques et notre expertise étaient minimes, parce que nous explorions un nouveau territoire. Je ne prétends pas que tout le monde pense que le résultat sera dû au hasard, mais la procréation assistée est encore entourée d'un certain mystère, et il faudra, à un moment ou à un autre, le dissiper, surtout lorsque nous ferons l'examen du projet de loi, dans quatre ans.

Deuxièmement, j'aimerais parler de votre affirmation concernant le statut des parents homosexuels. J'ai revu le témoignage de l'Association canadienne de psychologie, présenté devant le Comité de la Chambre des communes le mois dernier, soit le 2 juin 2005. Et je cite :

[...] la preuve scientifique dont nous disposons indique que les enfants de parents gais et lesbiens ne sont pas très différents des enfants de parents hétérosexuels sur le plan psychosocial et en ce qui concerne le développement de la sexualité et de l'identité.

[...] Les couples homosexuels sont comparables aux couples hétérosexuels lorsqu'il s'agit de mesurer une relation de qualité. Les parents lesbiens et gais sont tout aussi capables que les parents hétérosexuels d'assurer à leurs enfants un milieu encourageant et sain. L'identité sexuelle, la personnalité et la sociabilité se développent de la même façon chez les enfants de parents homosexuels ou hétérosexuels.

Ici, on change de ton :

Même si l'orientation sexuelle des parents ne cause pas d'entraves psychologiques chez les enfants, le fait que ces familles peuvent être stigmatisées et isolées en conséquence des préjugés publics et systémiques ainsi que de la discrimination peut en effet causer des souffrances.

La croyance selon laquelle les adultes gais et lesbiens sont inaptes à être parents ou que le développement psychosocial des enfants de parents gais et lesbiens soit compromis ne repose sur aucune base scientifique. Notre position se fonde sur un examen d'environ 50 études empiriques et sur au moins 50 articles et chapitres de livre, et non sur les résultats d'une seule étude. Ces articles sont parus dans des revues comme Developmental Psychology, Journal of Child Psychology and Psychiatry,American Psychologist, Marriage & Family Review, American Journal of Orthopsychiatry, et dans des revues traitant de relations familiales, de rôles sexuels et de travail social.

C'était le témoignage de l'Association canadienne de psychologie. Vous n'êtes peut-être pas d'accord, puisque vous êtes une scientifique, mais nous devons en tenir compte lorsque nous posons un jugement; rappelez-vous qu'on nous a accusés de naïveté. Je ne suis pas un scientifique, et en général, je fais confiance aux associations de psychologues professionnels. Vous n'êtes pas en psychologie, si j'ai bien compris?

Mme Somerville : Non, sénateur.

Le sénateur Joyal : Vous vous intéressez au mariage, au droit et à la culture. Moi, je parle de psychologie. Quand je m'appuie sur des rapports de psychologues, et on nous a fourni des tonnes de rapports de toutes sortes, je m'appuie sur leurs conclusions. Vous n'êtes peut-être pas d'accord, et je respecte votre avis. Les sciences sociales ne sont pas des sciences exactes. C'est comme le droit. Il arrive que deux avocats défendent des thèses contraires, et il arrive aussi que les professionnels des sciences sociales défendent deux points de vue différents. Quoi qu'il en soit, je ne crois pas que votre opinion sur le sujet soit la seule opinion que l'on connaisse.

Mme Somerville : Je ne prétendrai jamais cela, sénateur. Puis-je préciser aux fins du compte rendu que je n'ai jamais accusé personne de naïveté?

Le sénateur Joyal : Je retire ce que j'ai dit, en ce qui vous concerne.

Mme Somerville : Puis-je ajouter que nous devons examiner de très près ces données-là. Dans un autre ordre d'idées, je m'intéresse actuellement, entre autres, aux organismes prétendument neutres qui prennent position sur les changements climatiques, les cliniques de fertilité, les aliments génétiquement modifiés ou l'étiquetage de ces aliments, par exemple. Quand on sait qui réalise ces études, qui les soutient et à qui profitent leurs résultats, on est parfois très désillusionné. Il s'agit supposément d'organismes neutres et libres, mais ils abritent un bon nombre de groupes de défense de leurs droits et de leurs intérêts.

Tout ce que je peux dire, c'est que voici un document d'orientation qui met en question certaines de ces données, et je peux vous le laisser. C'est un très court document. Ses conclusions sont en partie vraies, j'en suis sûre, mais, encore une fois, comme Mme Young l'a dit, les questions ne sont pas neutres. Si vous demandez si les enfants ont accès à une certaine forme de soutien, la réponse est oui. Il faut ensuite se demander qui vous dit qu'ils obtiennent une certaine forme de soutien. Ce document d'orientation met en relief, entre autres, le fait que bon nombre des personnes ayant participé à l'étude sont les mères des enfants. Pensez-vous qu'une mère dira : « Non, mon enfant ne trouve pas beaucoup de soutien du côté de la société »? Il faut faire très attention quand on examine ce type de preuve. Il est quand même possible que tout soit correct.

Quoi qu'il en soit, je me pose encore la même question : par où doit-on commencer? Devrions-nous prendre comme point de départ ce que nous défendons depuis des milliers d'années, c'est-à-dire qu'un enfant est beaucoup mieux avec sa mère et son père, et poursuivre dans cette direction? Devrions-nous abandonner cela et dire qu'il importe peu qu'un enfant ait sa mère et son père? C'est ce que propose le projet de loi, et c'est ce qui, à mon avis, est erroné.

Le sénateur Cools : Madame la présidente, Mme Somerville a dit que nous pourrions avoir quelque chose, mais cela n'est pas indiqué dans le compte rendu. Pourriez-vous inscrire le nom du document sur le compte rendu, et le faire circuler, s'il vous plaît? Quel est le nom de l'étude?

Mme Somerville : Il s'agit d'un document d'orientation de l'IMAPP intitulé « Do Mothers and Fathers Matter? ».

La présidente : Nous en ferons faire des copies.

Le sénateur St. Germain : Est-ce que ça fera partie du compte rendu?

La présidente : Oui. Vous en doutez, sénateur St. Germain? J'espère que non.

Le sénateur St. Germain : J'ai des doutes, mais pas à ce sujet.

Le sénateur Cools : Merci, madame la présidente. Je crois que je deviens de plus en plus fatiguée à mesure que la journée s'achève. Merci à tout le monde d'avoir pris des arrangements pour modifier vos horaires de vol.

J'aimerais remercier de tout cœur tous les témoins de leur présence. Il y en a que je connais assez bien. Madame Somerville et Madame Young, je vous remercie, votre exposé était une prouesse sur les plans intellectuel et scientifique. J'ai été élevée dans le respect des femmes qui savent réfléchir et présenter un dossier. Merci de nous avoir expliqué tout cela.

J'ai ici une longue liste de petites notes. Au départ, je crois que c'est Mme Young qui a parlé de l'ancien ministre Martin Cauchon. Celui-ci a prononcé un discours, le 1er mai 2004, à Philadelphie, aux États-Unis. Il a dit en substance qu'il ne savait pas s'il pouvait faire pencher le caucus libéral du même côté que lui. Il a trouvé une manière; laissez-moi vous lire un extrait :

J'aimerais aussi remercier de tout cœur deux autres personnes : le greffier du Conseil privé, Alex Himelfarb, et mon sous-ministre de la Justice, Morris Rosenberg. Tous les quatre, nous avons formé une équipe fantastique qui a permis que l'on dépose l'avant-projet de loi devant la Cour suprême.

Cela explique comment le projet a vu le jour. Bon nombre des notions adoptées par le procureur général ne proviennent pas du caucus, elles n'avaient rien à voir avec le caucus. Ne croyez pas un seul instant que les membres du Parlement ont eu leur mot à dire au regard de ces politiques, qui ont été adoptées et qui nous engagent.

Je voudrais aussi souligner que cela ne fait pas tellement longtemps qu'Allan Rock a déclaré que ce projet de loi ne toucherait pas le mariage. La ministre McLellan a dit récemment que ce projet de loi ne toucherait pas le mariage. Vous pouvez me faire confiance, il n'y touchera pas du tout; fiez-vous à nous.

En réalité, à titre de membre du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, il y a quelques années, la ministre McLellan nous a amenés à croire qu'elle allait bientôt prendre une décision dans le dossier des partenariats civils, qui seraient accessibles à tout le monde. Bien des gens ont dit que cela ne se réaliserait jamais.

En tant que témoins, vous avez raison. Je suis sûre que le projet de loi va être adopté, parce que rien de ce que vous dites ne changera d'un iota l'objectif du gouvernement actuel. Ce que j'essaie de vous faire comprendre, c'est que ce projet de loi aura des conséquences que notre Comité n'a pas encore commencé à examiner. Je suis heureuse que vous, au moins, vous ayez abordé certains sujets auxquels chacun des sénateurs pourra réfléchir.

J'ai observé la loi sur le divorce, qui allait dans une certaine direction, puis est allée dans la direction opposée et a commencé à avoir des répercussions négatives sur les enfants. En toute franchise, la Loi sur le divorce n'est maintenant rien de plus qu'une façon de transférer la richesse des hommes aux femmes.

Les enfants subissent des préjudices. Chaque année, 50 000 enfants sont visés par des ordonnances relatives à la garde et au droit de visite. Le gouvernement actuel se préoccupe très peu des conséquences de ces lois sur l'ingénierie sociale, tout simplement parce qu'une personne a décidé que le mariage opprimait les femmes. Cela n'a peut-être rien à voir, mais ça nous ramène à ce que vous dites.

Contrairement à ce que croit le sénateur Mitchell, l'enjeu ne concerne pas la façon de déterminer qui est plus qualifié pour être un parent. L'enjeu, c'est que le projet de loi modifiera de fond en comble la loi et la manière dont nous considérons depuis 2000 ans les droits relatifs à la filiation et au mariage. Cela me préoccupe vraiment, surtout quand on me dit que ce projet de loi n'a pas été présenté en raison des modifications de la loi qu'il propose, mais en raison « de l'honneur et de la dignité » de certaines personnes. À mon avis, cela est faux.

Pour la première fois dans l'histoire du droit, on fait passer les besoins sexuels d'adultes, ou leurs désirs de gratification ou de satisfaction sexuelle, avant les droits des enfants. Pour la première fois dans l'histoire du droit, la loi brisera le lien qui existe entre les enfants et leurs « parents naturels ». C'est une question à laquelle peu de personnes ont réfléchi, mais c'est un changement monumental. C'est prodigieux.

J'aimerais vous demander de réfléchir à ce concept à la lumière des nouveaux et magnifiques textes publiés aux États-Unis dans lesquels on donne à de nombreux universitaires noirs et à de nombreux Noirs des États-Unis d'Amérique une nouvelle forme d'espoir. Ces textes montrent que l'indicateur le plus fiable du bien-être d'un enfant est sa structure familiale; cet indicateur est beaucoup plus fiable que la race ou la situation économique. Autrement dit, ni la pauvreté, ni la race.

En ce qui concerne les familles de Noirs, quelqu'un parmi vous a parlé de Daniel Patrick Moynihan. Avant d'être sénateur, il a produit des ouvrages magnifiques sur les familles de Noirs. Vous avez indiqué qu'il y avait beaucoup de données, mais vous pourriez peut-être y revenir très brièvement et faire un lien avec le fait que les Noirs des États-Unis se sont rendu compte que, de toute évidence, c'est grâce à l'appropriation de la langue des droits civils que l'on a réussi à formuler cette question du mariage. De nombreux leaders noirs l'ont réalisé, et ils sont tout à fait contre.

Je ne parle pas souvent de la question de la race, mais laissez-moi vous dire que je ne m'y intéresse pas seulement de façon passagère. La couleur de ma peau est éloquente à cet égard.

Comme je le disais, aux États-Unis, un grand nombre de penseurs et de personnes influentes américains ont commencé à faire connaître leurs objections. La dernière chose dont ont besoin les fragiles familles de Noirs, c'est qu'on ajoute un autre étage à une structure déjà chambranlante.

Mme Young : Je vais vous lire une autre citation d'un Afro-Américain sur le même sujet :

Les différences raciales sont des différences bénignes entre les personnes, et elles ne modifient en rien la nature hétérosexuelle du mariage ou sa fonction de procréation. Le mariage interracial n'a aucune incidence sur l'institution du mariage.

On ne peut tout simplement pas établir une comparaison. En fait, il arrive souvent que les membres d'un groupe ne se marient qu'entre eux; c'est ce qu'on appelle l'endogamie.

Il est malheureux que l'on établisse une équation avec la question de la race. On avait de bonnes raisons de l'éliminer. C'est une des variables du mariage. Ce n'est un point essentiel pour aucune structure. On peut établir une analogie avec les personnes qui pratiquent une religion et qui ne se marient qu'avec les membres de leur collectivité religieuse.

J'aimerais conclure rapidement sur un dernier point. Lorsqu'on m'a invitée à vous présenter un exposé, j'ai demandé que mon coauteur, qui est gai, y participe. Il n'a pas été invité. J'imagine que le gouvernement vous a demandé de limiter le nombre de personnes pouvant paraître, mais j'ai quand même l'impression, en conséquence ...

Le sénateur Prud'homme : Un instant, s'il vous plaît. Je n'aime pas que l'on fasse des insinuations comme cela à notre propos. Auriez-vous l'obligeance de répéter ce que vous venez de dire?

La présidente : Pourriez-vous répéter ce que vous venez de dire?

Le sénateur Prud'homme : Personne ne nous dit quoi faire.

Mme Young : J'ai simplement dit que j'avais demandé que mon coauteur soit présent.

Le sénateur Prud'homme : Cela, je l'ai très bien compris.

Mme Young : Il n'a pas été invité, et j'ai laissé entendre que vous deviez probablement limiter le nombre des témoins. Quoi qu'il en soit, je considère que cette décision vous prive d'un témoin important.

Le sénateur Prud'homme : D'accord. Mais ce n'est pas ce que vous avez dit.

Mme Young : Qu'est-ce que j'ai dit?

Le sénateur Prud'homme : Vous avez insinué que nous avions un patron qui nous disait qui pouvait présenter des exposés, mais c'est correct.

Mme Young : Je crois que vous m'avez mal comprise. J'ai dit que selon des instructions du gouvernement, vous ne pouviez pas tenir des audiences pendant deux semaines. Les audiences peuvent durer, quoi, trois jours?

La présidente : Nous n'essayons pas d'adopter ce projet de loi à toute vapeur. C'est faux. Je suis peut-être naïve, mais cela, je ne l'accepte pas.

Le sénateur Cools : Tout le monde au Canada sait que la présentation du projet de loi au Sénat se fait au pas de course. Ce n'est un secret pour personne. Tous ceux qui assistent aux audiences savent que c'est cela qui se passe.

On compare souvent les homosexuels qui réclament le droit de se marier et les Noirs qui n'avaient pas le droit de marier des Blancs. Je connais bien le dossier. Je suis une descendante de gens de couleur libres. Le métissage était une chose indésirable et défendue, et je ne parle pas d'une époque récente. Je parle de ce qui se passait il y a des décennies, voire des siècles. La raison pour laquelle les mariages entre Noirs et Blancs étaient interdits n'avait rien à voir avec le fait que le mariage devait se faire entre conjoints de sexe opposé. Ce qu'on cherchait à éviter, c'était la naissance de petits enfants bruns. On essayait d'empêcher le métissage. L'opposition au métissage était énorme; il s'agit donc de deux choses différentes. Lorsqu'on a modifié la loi pour permettre le mariage entre gens de race noire et de race blanche, on n'a pas modifié la nature ou le caractère du mariage proprement dit. J'espère encore qu'un jour, quelqu'un pourra nous présenter les faits de manière scientifique.

Je suis bien renseignée sur ce sujet et sur l'arrivée des gens de couleur libres, les mulâtres. Quand ce type de relations a commencé, il y a des siècles, les enfants ainsi créés ont été nommés « mulâtres »; l'expression vient de mules parce qu'à l'époque, les gens ignorants et peu renseignés croyaient que c'était l'équivalent d'un croisement entre un âne et un cheval. Le rejeton ne ressemblerait à rien, et il serait même incapable de se reproduire. C'est pourquoi on a forgé le mot « mulâtre ». On a même créé toutes sortes de catégories pour désigner ces personnes selon la quantité de sang noir qui coulait dans leurs veines.

La présidente : Je crois qu'il faudrait laisser les témoins répondre aux questions.

Le sénateur Cools : Tout le monde peut parler de ce qui les perturbe. On peut s'incliner devant les homosexuels, mais je parle ici de la lutte des gens de couleur libres.

La présidente : Nous sommes au courant, Sénateur Cools, et vous le savez.

Le sénateur Cools : En 1790, on imposait une amende de 1 000 livres à ceux qui émancipaient les enfants et les sortaient de l'esclavage. Savez-vous combien d'argent cela représente? On faisait tout pour les en empêcher. Ne m'amenez pas sur ce terrain-là.

La présidente : Sénateur Cools, je vous en prie. M. Cere aimerait faire un commentaire.

M. Cere : L'historien noir Shellby Steele s'est penché sur l'analogie raciale que propose cette analyse. Il fait observer que la couleur de la peau n'a aucune incidence sur l'écologie sexuelle de la reproduction humaine, mais que la différence entre les sexes a une incidence très importante et très nette sur l'écologie socio-sexuelle de la vie de l'être humain. On peut donc prétendre que la différence entre les sexes est un facteur important dont il faut tenir compte dans le présent débat.

Le sénateur Cools : Je voulais simplement faire remarquer que, quand on me voit, bien des gens croient qu'un de mes parents est blanc ou noir, alors que c'est faux. Il n'y a pas de Blanc parmi mes parents, mes grands-parents, mes arrières-grands-parents, et cela, depuis bien des générations.

La présidente : Est-ce que je peux remercier nos témoins, Sénateur Cools?

Le sénateur Cools : Je suis fatiguée, maintenant.

La présidente : Merci de votre présence ici aujourd'hui. Nous sommes peut-être naïfs, monsieur Benson, mais nous avons écouté tout ce que vous aviez à dire. La séance est levée.

M. Benson : Puis-je ajouter un mot au sujet de ce commentaire? Je n'accuse pas un sénateur ou un autre de naïveté; je dis que, sur le plan de la philosophie, c'est une question de fait. À mon avis, dans le contexte actuel, on ferait preuve de naïveté en n'adoptant pas une certaine philosophie. Je ne cherche pas à blesser quiconque.

La présidente : Je l'espère bien.

La séance est levée.


Haut de page