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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 21 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le mercredi 13 juillet 2005

Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-38, Loi concernant certaines conditions de fond du mariage civil, se réunit aujourd'hui à 9 h 2 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Je déclare ouverte la séance de ce comité. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles poursuit, aujourd'hui, son étude sur le projet de loi C-38. J'aimerais préciser pour nos téléspectateurs que le comité n'en est pas à sa première réunion sur ce projet de loi. Nous avons eu le plaisir d'accueillir, lundi soir, l'honorable Irwin Cotler, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Au cours de cette réunion, qui a duré plus de trois heures et demi, le ministre a bien voulu répondre aux nombreuses questions des sénateurs.

Le comité a également siégé hier, pendant toute la journée. Malheureusement, cette réunion n'a pu être télédiffusée, car le Comité sénatorial permanent des finances nationales avait l'antenne. Il est à noter que durant la saison estivale, les services de télévision du Parlement ne peuvent diffuser les débats que d'un seul comité à la fois.

Ce matin, de 9 heures à 11 heures, nous accueillons, en table ronde, les représentants de la Conférence des évêques catholiques du Canada. Nous aimerions tout particulièrement saluer Son Éminence le cardinal Marc Ouellet. Le cardinal Ouellet est accompagné de Me Hélène Aubé.

[Traduction]

Devant nous, nous avons M. Bruce Clemenger et Mme Janet Epp Buckingham, respectivement présidente et directrice, Droit et politique publique, de l'Alliance évangélique du Canada. Nous avons également un représentant du Conseil islamique des imams du Canada, M. Abdul Hai Patel. Bienvenue à tous.

[Français]

Sans plus tarder, j'aimerais céder la parole à Son Éminence le cardinal Ouellet. Vous disposez de dix minutes pour faire votre présentation liminaire, après quoi nous entendrons les autres membres du panel. Encore une fois, nous vous souhaitons la bienvenue à notre comité.

M. le cardinal Marc Ouellet, Conférence des évêques catholiques du Canada : Madame la présidente, au nom de la Conférence des évêques catholiques du Canada, je tiens tout d'abord à remercier les honorables membres du Sénat pour cette occasion qui nous est offerte de réagir à nouveau au projet de loi C-38 du gouvernement libéral qui propose une nouvelle définition du mariage visant à inclure les unions homosexuelles.

[Traduction]

Comme nous atteignons la fin d'un processus politique qui risque grandement de changer la nature essentielle du mariage et d'entraîner des conséquences fortement imprévisibles mais sans aucun doute négatives pour la société canadienne, nous nous tournons vers vous, honorables sénateurs, les protecteurs de l'intérêt le plus considérable de notre pays, dans l'espoir que vous empêchiez l'adoption de cette loi injuste.

[Français]

Contrairement à ceux qui cherchent à nous renvoyer dans la sphère religieuse chaque fois que nous prenons la parole, nous affirmons que le débat actuel est avant tout un débat social sur la nature et la valeur du mariage dans notre société. C'est pourquoi nous avons fait valoir des arguments fondés sur le droit naturel et sur le sens commun qui transcende les limites confessionnelles et religieuses. Nous les rappellerons brièvement dans notre mémoire en exprimant aussi notre vive inquiétude pour l'avenir de la liberté religieuse dans notre pays.

Une définition tronquée qui dénature le mariage.

Depuis trois ans, de nombreuses voix se sont fait entendre pour dénoncer le projet gouvernemental qui ne correspond pas aux besoins réels ni aux attentes légitimes de la population du Canada. Plusieurs estiment qu'il est fondé sur une fausse compréhension de la dignité humaine et de l'égalité fondamentale entre les personnes, sur une fausse compréhension des droits des minorités, sur une mauvaise interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés et sur une compréhension tronquée de la liberté de religion. Nous sommes de ceux qui partagent cet avis.

En bonne logique, toute définition comporte un genre et une différence spécifique. Aristote définit l'homme, par exemple, comme un « animal raisonnable », un genre et une différence spécifique. Or, la définition du mariage comme une union de deux personnes, à l'exclusion de toute autre, exclut la différence spécifique du mariage qui est son constitutif essentiel à savoir la différence sexuelle, l'union d'un homme et d'une femme. C'est une définition tronquée, applicable peut-être aux anges qui sont de purs esprits, mais qui n'est pas adéquate pour les êtres humains qui sont, par nature, sexués et complémentaires.

Ne nous faisons pas d'illusions. La redéfinition proposée par le projet de loi C-38 ne favorise pas l'évolution du mariage mais rompt irrévocablement avec le sens et la nature du mariage tel que compris rationnellement et universellement dans toutes les cultures et toutes les époques. Il s'agit d'une distorsion de l'institution du mariage qui sape le fondement le plus solide de l'institution de la famille entraînant, par conséquent, une dévalorisation de son rôle social et de son apport indispensable à la société.

Si ce projet de loi est adopté, on appellera « mariage » ce qui ne sera qu'un pseudo-mariage, une fiction, une imitation et, pour emprunter le terme de l'honorable sénateur Céline Hervieux-Payette, une imposture. Au lieu d'imposer cette pseudo-définition qui mine les valeurs traditionnelles du mariage et de la famille, le gouvernement devrait protéger et reconnaître ces valeurs, car le mariage comme l'union légitime d'un homme et d'une femme, à l'exclusion de toute autre personne, est une institution de droit naturel qui précède et donc prévaut sur toute réglementation positive de l'État.

De plus, comme cette institution engendre de nouveaux citoyens et fournit le cadre idéal pour l'éducation des enfants, l'État se doit de la protéger et de la favoriser au nom de son propre intérêt et du bien commun de la société.

Une fausse interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés.

Les promoteurs du projet de loi C-38 prétendent que la définition universelle du mariage violent le droit à l'égalité de la minorité canadienne composée de partenaires de même sexe, bafoue leur dignité et engendre une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Une telle lecture de la Charte peut se réclamer d'une certaine jurisprudence, mais elle n'est pas conforme à l'esprit de la Charte qui affirme solennellement, dans son préambule, la suprématie de Dieu et du droit. Or, cette suprématie ne signifie pas l'imposition d'une religion en particulier, elle signifie qu'on reconnaît l'existence d'un droit supérieur découlant de l'existence d'un être suprême. À ce droit supérieur, la société canadienne, l'État et les religions reconnaissent une primauté dans la Charte des droits et libertés qui régit notre pays. La définition du mariage relève de ce droit supérieur, puisque c'est Dieu et non l'État qui est l'auteur de la nature humaine.

Dans cet esprit, on ne doit pas considérer comme discriminatoire le fait d'accorder à des personnes un traitement ou un statut différent en raison de différences réelles. Au contraire, en agissant ainsi, on agit en toute justice et de façon équitable. Or, la comparaison de l'union homosexuelle et de l'union hétérosexuelle révèle des différences qui justifient qu'on les traite ou les nomme différemment. Dans la première, il y a une relation affective d'interdépendance entre adultes consentants. Il n'y a pas, à proprement parler, de relation conjugale, faute de complémentarité sexuelle, ni d'ouverture naturelle à la procréation. On ne peut pas non plus attribuer raisonnablement à cette union un potentiel équivalent à l'union d'un homme et d'une femme pour l'éducation des enfants.

Compte tenu de ces différences, il n'est pas injuste ni discriminatoire de nommer et de traiter différemment deux réalités aussi intrinsèquement différentes, au plan anatomique et psychoaffectif, pour ne rien dire des appréciations fort diversifiées que ces unions obtiennent au plan social. Au contraire, il serait injuste et discriminatoire à l'égard des couples hétérosexuels, et offensant pour l'ordre social, de les traiter de façon identique.

Permettez-moi de citer ici l'opinion d'un maître de la philosophie politique, Pierre Manent, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales de Paris.

Il est possible, dans notre régime, de satisfaire la plupart des revendications des homosexuels, ou de ceux qui s'expriment en leur nom. Mais pas toutes. Ou plutôt une seule est impossible à satisfaire. Il est impossible que le corps politique « reconnaisse » leur « style de vie » : aucun « style de vie » n'est « reconnu » par notre régime. C'est pourquoi il est libéral. Mais il « reconnaît » le « mariage hétérosexuel »? Certes, et pour une bonne raison : ce mariage produit des enfants, c'est-à-dire des citoyens, et cela relève de l'intérêt public.

Refuser le droit au mariage aux couples homosexuels ne constitue pas une discrimination injuste à leur égard qui bafouerait leur dignité humaine, car ils n'appartiennent pas en toute justice à cette catégorie. La Commission des droits humains de l'ONU l'a reconnu en 2002, en refusant d'entendre une plainte contre la Cour d'appel de la Nouvelle- Zélande. Les homosexuels sont dignes de respect en tant que personnes humaines comme toutes les autres; ils ne peuvent exiger que la société ou l'État entérine également leur style de vie pour se considérer citoyen à part entière.

[Traduction]

Au cours des dernières années, nous avons observé un phénomène extrêmement préoccupant, phénomène qu'a particulièrement bien décrit le professeur Schmid de l'Université Oxford, qui a déclaré que chaque personne s'opposant à l'idée d'un mariage entre des conjoints de même sexe est accusée d'homophobie. Entendu comme une crainte pathologique, ce phénomène exclut la position des opposants, considérée comme entièrement irrationnelle. Étant donné que la condamnation du comportement homosexuel concerne non pas les personnes, mais les actes, la conclusion selon laquelle toute opposition aux unions homosexuelles dénote un manque de respect et de considération envers les autres est un raisonnement absolument dépourvu de logique.

Les tentatives d'intimidation des personnes qui ne partagent pas la vision convenue du mariage pourraient très bien se multiplier après l'adoption du projet de loi C-38. Si l'État impose une nouvelle norme énonçant que le comportement homosexuel est socialement accepté, les personnes qui s'y opposent pour des raisons axées sur la religion ou la conscience seront considérées comme des fanatiques et des homophobes et risqueront d'être poursuivies en justice. Elles ne se sentiront pas libres d'exprimer leurs opinions ou d'enseigner leurs croyances à ce sujet.

[Français]

En conclusion, nous réitérons avec force qu'il serait injuste et contraire au bien commun de redéfinir le mariage dans le sens du projet de loi C-38. Une telle loi dénature le mariage et détruit la reconnaissance publique que l'État doit accorder, dans l'esprit de la Charte et par respect du droit naturel, à l'union d'un homme et d'une femme à l'exclusion de toute autre personne.

En réclamant le mariage, les personnes de même sexe recherchent une reconnaissance sociale qu'il serait injuste de leur accorder de cette manière puisqu'on leur demanderait de s'afficher socialement de façon différente à ce qu'ils sont réellement. Leur union ne remplit pas la condition essentielle de complémentarité sexuelle et d'ouverture naturelle à la procréation des enfants qui caractérise d'institution matrimoniale. Vouloir à tout prix cette reconnaissance sociale au détriment des valeurs communes du mariage et de la famille dans la société canadienne entraînerait des conséquences désastreuses, qu'on expérimente déjà, et qui mette en danger non seulement la liberté de conscience et de religion, mais aussi la qualité future de l'éducation publique et privée.

L'État doit protéger le droit prioritaire à la liberté de religion, non seulement pour les ministres du culte, mais pour toute la population. Il doit faire respecter le droit et la justice concernant les personnes et les unions homosexuelles, mais sans céder au mouvement culturel excessif qui menace les valeurs fondamentales du mariage et de la famille.

Nous comptons sur vous, honorables sénateurs, qui pouvez voter en toute liberté de conscience et nous faisons appel à vous au nom d'une majorité de Canadiennes et de Canadiens : sauvez l'institution fondamentale du mariage. Votre institution parlementaire en sortira plus crédible et plus fidèle à la Charte canadienne des droits et libertés qui est susceptible d'une interprétation plus juste que celle soutenu par ce projet de loi.

[Traduction]

M. Bruce Clemenger, président, Alliance évangélique du Canada : Bonjour. Merci de nous permettre de comparaître ce matin. Mme Janet Epp Buckingham et moi partagerons le temps alloué à l'Alliance évangélique du Canada, une association nationale de 40 confessions protestantes évangéliques, de même que d'établissements d'enseignement, d'organismes du ministère et d'églises. En tant qu'association, nous croyons que chaque personne a été conçue à l'image de Dieu et qu'elle devrait être traitée avec dignité et respect. Nous croyons aussi que le mariage est l'union d'une femme et d'un homme et nous ne croyons pas que ces deux idées sont incompatibles.

Le cœur de ce débat concerne la nature et la structure du mariage. Les Canadiens de bonne volonté ne s'entendent vraiment pas sur la signification du mariage. Le « mariage » est-il simplement un autre mot pour désigner une relation entre deux êtres adultes ou est-ce plutôt une institution et un idéal culturel et sociétal qui réunit deux personnes de sexes différents? Dans ce dernier contexte, la structure et la nature du mariage fournissent un milieu stable et plein d'empathie qui permet à un homme et une femme d'exprimer le lien physique et psychologique qui les unit et d'élever des enfants au sein d'une relation sérieuse. D'une certaine façon, notre société s'engage à accorder à l'enfant le droit d'être élevé par une mère et un père et, par extension, par des grands-mères, des grands-pères, des tantes et des oncles au sein d'une relation unie par les liens du mariage.

Si l'on adopte cette première vision du mariage, quelle sera la limite naturelle du mariage? La Cour suprême a réfléchi à la question, mais elle n'y a pas répondu. En adoptant cette définition, le gouvernement délaissera l'unique méthode législative qu'il a pour affirmer et promouvoir le droit des enfants d'être élevés par leur mère et leur père.

L'État, qui a tout d'abord reconnu la valeur de l'institution religieuse et sociale déjà en place, présume maintenant en être l'auteur. Il isole la dimension civique du mariage et impose une nouvelle signification publique du mariage au moyen de lois et de politiques. Il élimine les termes de mari et de femme de la loi fédérale, et, plutôt que de reconnaître la condition parentale et la famille comme des éléments indépendants de l'État et de tenir compte par la suite des exceptions à l'égard des intérêts des enfants, l'État présume maintenant être le définisseur de la « famille » et de la « condition parentale ».

Pour ceux qui croient en la deuxième définition, c'est-à-dire le mariage entre un homme et une femme, quel terme pouvons-nous utiliser en public pour déterminer la relation qui fait partie de notre tradition religieuse et qui est fondamentale à notre société? Le Canada représente-t-il une mosaïque multiculturelle et religieuse ou est-ce un creuset? Dans une société multiculturelle comprenant diverses opinions sur les relations humaines, nous exigeons que la langue exprime les différences et l'espace public de façon à promouvoir et à encourager des modes de vie que différents groupes jugent précieux. L'égalité ne doit pas exiger l'uniformité. Surtout si nous voulons demeurer une société multiculturelle.

Ce projet de loi changera la signification publique du mariage. Si le mariage est redéfini, serons-nous en mesure, en tant que groupes confessionnels, parents et citoyens, de trouver le libellé qui nous permettra de déterminer l'union distincte entre un homme et une femme, une relation intergénérationnelle complexe remplie de rituels, de symboles et de termes distincts? Aurons-nous l'espace public nécessaire pour encourager et promouvoir l'union exclusive et durable d'un homme et d'une femme? Aurons-nous la liberté d'être fidèles à nos croyances et pratiques religieuses dans notre vie professionnelle, notre collectivité, nos établissements d'enseignement et nos discours publics sans que l'on nous dise que nous sommes intolérants, fanatiques ou non canadiens?

Mme Janet Epp Buckingham, directrice, Droit et politique publique, Alliance évangélique du Canada : Merci de nous inviter à prendre la parole aujourd'hui. Pour être brève, je désire mettre l'accent sur deux enjeux dont on m'a parlé de façon régulière. L'Alliance évangélique du Canada aborde cet enjeu depuis bon nombre d'années. Nous avons participé à toutes les affaires judiciaires en tant qu'intervenants et nous avons assez souvent parlé de cet enjeu avec les représentants des médias, qui nous ont posé deux questions en particulier. La première, c'est « pourquoi croyons-nous que la liberté religieuse sera menacée, compte tenu que la Charte la protège? » La deuxième, c'est « de quelle façon le fait de redéfinir le mariage pour comprendre les couples de même sexe aura-t-il des répercussions sur les autres mariages?

Pour répondre à la première question, pour obtenir un portrait d'ensemble des répercussions possibles sur les adeptes de la religion, j'aimerais prendre quelques minutes pour expliquer la façon dont les évangélistes voient le mariage. Ce n'est pas un sacrement pour nous. En fait, contrairement à l'Église catholique romaine, nous jugeons généralement un mariage valide même s'il a été célébré dans une autre confession ou même s'il s'agit d'un mariage civil. Toutefois, le mariage est fortement axé sur la religion dans notre collectivité. On le considère comme un engagement devant Dieu et on le prend très au sérieux; nos mariages sont célébrés au cours d'une cérémonie qui a lieu à l'église. Au sein de la collectivité évangélique, le mariage est principalement une institution religieuse qui comporte des conséquences civiles et sociales.

Pour cette raison, bon nombre de personnes dans notre collectivité rejettent la notion selon laquelle l'État a la capacité de changer la signification de l'institution du mariage. Ce n'est pas l'État qui l'a créée, mais il l'a reconnue à certaines fins. Par conséquent, l'État ne peut pas la modifier.

Quelles sont les répercussions sur la liberté religieuse? Notre collectivité se tourne toujours vers les écritures, qui régissent notre doctrine et nos pratiques religieuses. Dans ce cas, les écritures sont claires : au moment de la création, Dieu a présenté le mariage comme l'union d'un homme et d'une femme. Même si les pratiques de l'Ancien Testament ne correspondaient pas à cet idéal, Jésus et les apôtres ont affirmé, dans le Nouveau Testament, qu'il s'agissait de la norme à laquelle les croyants devaient se conformer.

Je parle de cette question en détail pour montrer que nos pratiques ne peuvent pas changer à cet égard et qu'elles ne changeront pas. C'est une question non négociable pour nous. Au cours des cinq dernières années, à mesure que les tribunaux et le Parlement ont débattu de cette question, on nous a considérablement injuriés et marginalisés. Bien sûr, nous ne sommes pas les seuls.

Il y a seulement quelques semaines, lorsque le Comité législatif chargé du projet de loi C-38 examinait une modification de la loi pour protéger le statut d'organisme de bienfaisance, les porte-parole du mariage gai ont fait valoir que les églises encourageaient la « bigoterie », comme ils l'appellent, et qu'elles ne devraient pas avoir le statut d'organismes de bienfaisance. Même dans le préambule du projet de loi, on énonce que la redéfinition du mariage est la chose que le Canada doit faire et qu'elle est conforme à la Charte. Doit-on vraiment se demander pourquoi les personnes qui ont des croyances religieuses allant à l'encontre de celles-ci sont préoccupées?

La jurisprudence ne nous réconforte guère. Je suis avocate et j'ai un doctorat en droit. Par conséquent, lorsque je parle des cas, je le fais selon une perspective juridique. Les tribunaux examinent une cause où un enseignant chrétien fait face à des mesures disciplinaires pour avoir, en dehors de son travail, formulé des commentaires en public concernant son opinion sur l'homosexualité. Il y a aussi le cas de l'évêque Henry de Calgary contre qui on a déposé une plainte concernant les droits de la personne en raison d'une lettre pastorale énonçant l'opinion de l'Église catholique romaine sur le mariage et l'homosexualité. Un groupe des Chevaliers de Colomb, un groupe d'hommes catholiques, fait également l'objet d'une plainte relative aux droits de la personne pour avoir refusé de louer son local, qui est un bien de l'église, à des personnes qui voulaient célébrer un mariage entre lesbiennes.

Les commissaires de mariage qui célèbrent des mariages civils ont été obligés de célébrer des mariages homosexuels ou de démissionner dans plusieurs provinces. Au Manitoba et en Saskatchewan, ils ont déposé des plaintes devant leur commission des droits de la personne.

De plus, j'ai reçu des appels de la part de personnes travaillant dans l'industrie du mariage, des fleuristes, des traiteurs, des musiciens et des photographes, qui, si je comprends bien la loi, devront tous participer à des mariages homosexuels en dépit de leurs pratiques religieuses. Je ne crois pas que le droit canadien, de la façon dont on l'interprète actuellement, contienne un droit relatif à la conscience pour l'un ou l'autre de ces fournisseurs de services.

Quelle est ma réponse? Comme vous le savez, seuls les gouvernements provinciaux peuvent protéger la liberté religieuse à l'égard de la célébration du mariage. La Cour suprême du Canada a clarifié cette question, et vous avez entendu ce témoignage précédemment. Selon moi, on ne devrait pas redéfinir le mariage, mais on devrait promouvoir l'égalité au moyen d'autres mécanismes.

En 2003, le Comité de la justice de la Chambre des communes a débattu d'une autre possibilité, celle de remplacer le mariage civil par quelque autre structure institutionnelle et de laisser le mariage aux églises. Je crois que la province de l'Alberta a également fait cette proposition.

Une autre option — on en a parlé avec vous hier, et je crois que c'est le sénateur Kinsella qui a fait cette proposition — permettrait d'intégrer les deux définitions du mariage à la loi. Cela permettrait de préciser qu'il existe différentes conceptions du mariage et, je l'espère, d'empêcher les personnes qui le désirent d'imposer la nouvelle définition aux autres. Je n'ai pas vraiment eu le temps d'aborder la deuxième question, c'est-à-dire les répercussions qu'aura cette modification apportée à la définition du mariage sur les mariages hétérosexuels au Canada.

Je crois que d'autres témoins en ont parlé ou qu'ils en parleront. Je me contenterai de dire que le projet de loi ne contient qu'une seule définition du mariage celle concernant l'union de deux personnes. S'il n'existe qu'une seule définition, elle sera imposée à tous les Canadiens. Cela aura des répercussions importantes sur l'institution du mariage. C'est non pas un peaufinage du mariage, mais un changement fondamental qui aura des répercussions. En effet, cette définition transforme le mariage en une relation axée sur les adultes qui tente de répondre aux besoins des adultes.

M. Abdul Hai Patel, Conseil islamique des imams du Canada : Le Conseil islamique des imams du Canada est un regroupement d'imams, ou ministres du culte, du pays. Créé en 1990, le conseil est formé d'érudits islamiques qui servent la collectivité musulmane de partout au Canada et compte des membres de deux principales sectes, c'est-à-dire les Sunnites et Chiites. Nous délibérons sur bon nombre d'enjeux touchant la collectivité et nous proposons des solutions lorsque c'est possible de le faire. On estime la population musulmane du Canada à plus de 650 000 personnes, et plus de la moitié d'entre elles vivent dans la région du Grand Toronto.

Le 11 mars 2003, notre conseil a comparu devant le comité parlementaire à Toronto pour parler de cette question et souligner la position islamique sur le mariage homosexuel. Le 2 juin, j'ai comparu devant le Comité de la Chambre des communes, au nom du Conseil. Au cours de cette rencontre, j'ai souligné les problèmes éventuels et leurs solutions, qui prendraient la forme d'une protection, ce qui exige des modifications du projet de loi C-38. Le Comité m'a demandé de présenter les modifications.

Le 15 juin, j'ai présenté les modifications, en collaboration avec plusieurs dirigeants spirituels de confession juive, hindoue, sikhe, catholique, baptiste, arménienne, de même que des dirigeants spirituels de scientologie et de confessions chrétiennes, notamment la Christian Alliance de la RGT, qui comprend 400 églises dans la région du Grand Toronto. À la suite de notre proposition, on a passé en revue la protection des chefs religieux, mais on n'a pas réussi à étendre la protection aux opinions religieuses. Cela va ouvrir la voie à des contestations judiciaires, ce qui va entraîner des dépenses inutiles pour les tribunaux et les gens.

Je dis cela en tant qu'ancien commissaire à la Commission ontarienne des droits de la personne. Je suis très sensibilisé à la nécessité de respecter les droits de chaque personne. Toutefois, je trouve que le projet de loi C-38 contient certaines parties qui, si elles sont appliquées, pourraient faire l'objet de contestations futures en vertu du Code des droits de la personne de l'Ontario.

Sous la rubrique « mariage » de l'article 3 du projet de loi C-38, la protection est expliquée de façon beaucoup plus claire qu'avant. Toutefois, on présume que le mot « autorités » fait allusion aux ministres du culte ou aux personnes autorisées à célébrer des mariages. Le personnel qui travaille dans une institution religieuse font-ils partie ou non de cette définition? Ce n'est pas clair. Si la première demande de mariage présentée dans une institution par un couple de même sexe est rejetée par le membre du clergé, ce denier est-il protégé?

En Ontario, il pourrait être nommé comme une partie intimée dans une plainte relative aux droits de la personne, même s'il a appliqué la politique de l'institution religieuse. Toutefois, à l'avenir, les tribunaux pourraient faire une différence entre une violation présumée des droits de la personne ou de la Charte et une action au civil. Seul le temps nous dira si les mesures de protection comprises dans le projet de loi auront l'effet escompté.

Le projet de loi n'est toujours pas clair en ce qui concerne les domaines suivants : on présume que le mot « autorités » se limite aux membres du clergé ou aux ministres du culte dans les lieux de culte. Si le refus provient de l'extérieur de l'enceinte d'un lieu de culte, est-ce que la protection s'applique? Les exemples suivants illustreront mon propos. Le libellé de la loi doit être explicite pour protéger non seulement la personne, mais également l'institution religieuse, car la plupart des lieux de culte, surtout dans les confessions non chrétiennes, sont institutionnalisés; par conséquent, on confie au personnel, aux bénévoles, aux groupes et aux comités la célébration de services religieux en délivrant des autorisations religieuses à l'égard du mariage. Le fait de ne pas réussir à les protéger ouvre la voie à d'autres contestations en raison de convictions religieuses.

Il y a peu de différences entre une entreprise opérationnelle et un lieu de culte. Par exemple, le responsable d'une salle de réception peut embaucher un ministre du culte autorisé à célébrer des mariages et offrir un forfait à des clients éventuels en ce qui concerne tous les services requis pour un mariage. Un refus constituera une violation du Code des droits de la personne de l'Ontario, car le ministre sera traité comme une entreprise et est donc tenu de célébrer la cérémonie. Où est la protection de la croyance religieuse à cet égard? Les juges de paix et les autres commissaires ne sont pas protégés non plus.

En tant que commissaire des droits de la personne de l'Ontario, je devais garantir la protection des droits de chaque Ontarien, sans égard à son orientation sexuelle. Toutefois, j'avais également le choix de m'abstenir de régler certaines questions si elles entraient en conflit avec mes croyances religieuses. Au cours de mon mandat de six ans, je n'ai jamais dû m'abstenir.

Les juges n'ont pas recours à la même disposition relative à l'abstention, ce qui veut dire que des personnes qui adoptent certaines religions ne seront pas en mesure d'accepter une nomination en tant que juge. Par conséquent, je propose les modifications suivantes, que j'ai présentées devant le Comité de la Chambre des communes :

1. Aucun article de cette Loi ne devrait obliger les chefs religieux de toutes confessions religieuses, leurs employés ou leurs représentants, à célébrer un mariage que ces personnes jugent incompatible avec leurs croyances religieuses. Pour une plus grande certitude, un chef religieux, ses délégués, employés ou représentants devraient, en tout temps, avoir le droit de refuser de célébrer une cérémonie de mariage ou tout service auxiliaire qu'ils jugent incompatible avec leurs croyances religieuses, notamment, sans toutefois s'y limiter, en ce qui concerne l'application générale de ce qui suit :

a. présider la cérémonie de mariage proprement dite;

b. présider toute célébration de ladite cérémonie de mariage, prendre la parole au cours d'une telle célébration ou y participer;

c. fournir des installations pour la célébration de la cérémonie du mariage ou toute autre célébration connexe, nonobstant le fait que de telles installations ont été accessibles au grand public ou ont été accessibles dans le cadre de services non religieux;

d. fournir un appui ou une attestation du mariage.

2. Tout juge de paix ou tout célébrant qui a été dûment autorisé par un organisme gouvernemental municipal, provincial ou fédéral devrait, en tout temps, avoir le droit de refuser de célébrer un mariage où les conjoints sont de même sexe, selon ses convictions religieuses personnelles, nonobstant les dispositions de toute loi provinciale ou fédérale en matière de droits de la personne ou d'autres lois.

En ce qui concerne les articles possiblement en relation avec les institutions elles-mêmes :

3. Les tâches exécutées par des institutions religieuses, de même que par toute entité connexe ou affiliée à l'intérieur de lieux loués ou exploités par la même institution ou de lieux dont elle est propriétaire, devraient être exclues des dispositions de cette Loi, nonobstant le fait qu'une telle discrimination serait contraire à toute loi provinciale ou fédérale en matière de droits de la personne ou à toute autre loi.

4. Les institutions religieuses, y compris leurs directeurs, célébrants, employés et représentants, devraient avoir le droit de refuser de célébrer le mariage de deux personnes du même sexe, de même que tout service connexe ou auxiliaire, à l'intérieur ou à l'extérieur des lieux détenus en fiducie, loués ou exploités par de telles institutions ou des lieux dont elles sont propriétaires.

5. Toute entité ou personne à laquelle s'applique (l'article 4 ci-dessus) devrait également avoir le droit de refuser l'accès aux lieux qu'elle loue, détient en fiducie ou exploite ou dont elle est propriétaire à toute personne ou à tout groupe qui se propose d'utiliser de telles installations si cette utilisation violerait les croyances religieuses des personnes ou des institutions fondées sur l'opinion de leurs directeurs à l'égard du mariage entre conjoints de même sexe.

Veuillez remarquer que le problème inhérent aux points 4 et return;5, c'est la définition d'« institution religieuse ». Une personne pourrait faire valoir que certaines institutions définies comme un organisme de bienfaisance ont entre autres comme objectif de promouvoir la religion. Toutefois, cela exclurait des organismes sans but lucratif, qui n'ont pas un tel objectif, du moins au même sens que les organismes de bienfaisance.

La définition pourrait peut-être comprendre les organismes de bienfaisance ayant des objectifs axés sur la religion, de même que des organismes sans but lucratif et des organismes et des associations qui exploitent des institutions religieuses.

Nous avons besoin d'une définition d'« institutions religieuses » qui permettrait à toutes les parties concernées de savoir avec certitude si elles sont touchées par l'exemption.

Le projet de loi redéfinit la disposition à l'égard de l'égalité des sexes aux fins du mariage. Une telle égalité s'étendra- t-elle aux toilettes et aux vestiaires dans des lieux publics? Les employeurs, les unités de négociation collective et les responsables des commissions des droits de la personne tentent toujours de régler les problèmes relatifs aux toilettes et aux vestiaires au cours des périodes transitionnelles entre les opérations pour changement de sexe, périodes pendant lesquelles on ne peut catégoriser la personne comme un homme ou une femme.

Enfin, je presse le Comité sénatorial d'examiner de nouveau ces propositions de modifications et je propose qu'il intègre mes propositions ou qu'il les passe en revue.

[Français]

Le sénateur Nolin : Votre Éminence, je limiterai mes questions à votre présentation. Vous soulevez la question fort importante de la suprématie de Dieu. Cela m'interpelle en tant que catholique et vos arguments de ce matin ne me laissent pas indifférent. Cela dit, en tant qu'avocat, mon rôle est d'examiner la Charte de façon rigoureuse. Alors comment, à la lumière de l'importance de la suprématie de Dieu prévue au préambule de la Charte, organiser l'interprétation de la Charte? Devrait-on se référer tout d'abord au préambule pour ensuite utiliser les mécanismes qui sont prévus ailleurs dans la Charte chaque fois qu'on veut l'interpréter?

M. le cardinal Ouellet : Je ne saurais vous donner un avis juridique à ce sujet, parce que cela n'est pas de ma compétence, mais la déclaration initiale doit marquer l'interprétation de tous les droits énoncés par la suite. Notre Charte n'est pas athée. Elle reconnaît la suprématie de Dieu, c'est-à-dire qu'elle reconnaît que rationnellement il y a un être suprême et notre société le reconnaît de façon transconfessionnelle. Il ne s'agit pas d'un Dieu en particulier, c'est l'affirmation qu'il y a un être suprême créateur d'un ordre, donc de la nature humaine, et que l'ordre de la nature humaine n'a pas été déterminé par les gouvernants ou les sociétés. Il est reçu. C'est ce qu'on appelle la nature humaine.

Il y a un droit supérieur qui est reçu et dont on doit tenir compte dans le droit positif. C'est ce qu'on appelle le droit naturel, et la définition du mariage, c'est-à-dire l'union entre un homme et une femme appartient à ce droit. C'est pourquoi je trouve que la façon dont on redéfinit le mariage ne tient pas compte de la suprématie de Dieu, de la reconnaissance que les religions, la raison et les gouvernants et la société canadienne donnent dans son institution la plus fondamentale à Dieu.

Le sénateur Nolin : Les experts en interprétation des droits nous enseignent que, puisque cette suprématie de Dieu est prévue au préambule de la loi, que cela a moins d'importance que si cela avait été inscrit dans le corps de la Charte. Comment pouvez-vous juxtaposer votre opinion à celle des experts en interprétation des droits?

M. le cardinal Ouellet : Il semble que le législateur ne parle pas pour ne rien dire. Si le législateur affirme une chose et la place d'entrée de jeu au début de la Charte, cela indique au contraire une affirmation très importante. Je sais que dans certaines écoles, on dit que cette phrase est là et qu'on pourrait l'enlever sans que cela ne change rien, mais justement, cela irait contre l'esprit de la société canadienne qui se traduit dans sa Charte et dans sa Constitution où il y a cette reconnaissance de l'être supérieur qui est auteur de la nature humaine et de la création et auquel nous sommes soumis et auquel les lois doivent s'inscrire dans ce cadre.

[Traduction]

Mme Buckingham : Notre organisme a suivi cette question de très près. Nous faisons plusieurs interventions juridiques. Nous considérons toujours le préambule comme un outil servant à l'interprétation. C'est parce que la deuxième partie, la règle de droit, a été appliquée à mesure que le tribunal a interprété la Charte. Toutefois, même si la question a été soulevée en cour, on a laissé tomber les dispositions relatives à la suprématie de Dieu, à tel point qu'une juge de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a déclaré que cette partie du préambule est « lettre morte », comme elle le dit, et que seule la Cour suprême du Canada peut rétablir.

Par contre, la règle de droit est un principe profond et important dans le droit canadien, et je crois que la suprématie de Dieu devrait avoir une certaine valeur interprétative.

[Français]

Le sénateur Nolin : Ce qui m'amène, Éminence, au dernier volet de mes questions. La Conférence des évêques catholiques est intervenue devant la Cour suprême à l'occasion du renvoi sur le projet de loi. Je présume que vous avez soulevé cette question de la valeur interprétative du préambule de la Charte?

Mme Hélène Aubé, avocate, Conférence des évêques catholiques du Canada : Je ne crois pas que cela ait été soulevé.

Le sénateur Nolin : Je pense que c'est majeur, parce que la cour ne s'est jamais prononcée sur l'élément interprétatif de cette fameuse formule de la suprématie de Dieu, sauf une seule fois pour reconnaître l'existence ou la reconnaissance d'un être suprême, mais c'est tout. C'est un élément central dans toute notre façon d'interpréter la Charte, surtout lorsque cela soulève des conflits possibles dans l'exercice des droits religieux.

M. le cardinal Ouellet : La réflexion a porté sur d'autres points, mais là nous sommes au Sénat. C'est la dernière instance, alors il faut aller au plus profond de l'interprétation. C'est pourquoi nous l'apportons ici en particulier.

Le sénateur Nolin : Mais Éminence, vous savez, nous aimons bien entretenir un dialogue fructueux avec les autorités judiciaires. Et la Cour suprême étant cette autorité suprême, nous aurions aimé que vous souleviez avec elle cet argument pour que nous puissions entretenir ce dialogue fructueux.

Le sénateur Prud'homme : Mais le Parlement est suprême.

Le sénateur Joyal : J'ai une opinion différente de celle de mon collègue et ami, le sénateur Nolin, sur la référence au principe de la suprématie de Dieu dans le préambule de la Charte.

Cette référence a été ajoutée très tardivement dans l'élaboration de la Charte, au printemps 1981, dans les dernières semaines précédant l'adoption de la Charte.

Dans l'une de ses premières décisions au sujet de la liberté religieuse, l'affaire de la Loi du dimanche que vous connaissez sûrement très bien puisque c'est une des décisions clés de la définition de la liberté religieuse au Canada, La Cour suprême du Canada a défini quelle était la nature obligatoire, si je puis dire, de la référence à Dieu.

Je cite la Cour suprême dans R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985, à la page 355, en anglais :

[Traduction]

L'évolution du Canada en tant que société pluraliste et multiculturelle et la mention de « Dieu » plutôt que d'une conception manifestement chrétienne de Dieu ne peuvent avoir aucune importance ni en ce qui concerne la caractérisation des lois qui visent à imposer des observances spécifiquement chrétiennes, ni en ce qui a trait à leur classification comme lois relevant de la compétence du Parlement en matière de droit criminel.

[Français]

Le sénateur Joyal : Qu'est-ce que cela veut dire? Si vous relisez le texte du préambule, on dit :

Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit [...]

Or, nous savons très bien qu'il y a des Canadiens qui ne reconnaissent pas l'existence de Dieu et qui vivent sans référence au divin. Il y en a un nombre réel dans notre société et il suffit de voir les derniers résultats de Statistique Canada.

Le Canada est une société pluraliste et il y a toutes sortes de croyances en Dieu. Il y a ce qu'autrefois on appelait le paganisme, les animistes, ainsi de suite. Il y a au-delà de 31 religions différentes au Canada présentement. Il y a donc des Canadiens qui réfèrent à des principes divins dans l'élaboration de leur comportement et d'autres qui n'y réfèrent pas.

Ceux qui réfèrent au principe divin sont protégés par l'article 2 de la Charte. En d'autres mots, pour exercer sa croyance religieuse, on recourt à la protection telle que définie à l'article 2.

J'ai écouté attentivement votre présentation et vous avez fait une présentation très éloquente de ce qu'est la position de l'Église catholique. C'est la doctrine — je n'oserais pas dire le mot traditionnel — séculaire ou millénaire de l'Église catholique, et je dois le reconnaître.

Cependant, tout le débat de la loi naturelle n'est pas un débat qui se commande à tous les esprits rationnels, comme vous le savez. Je voudrais référer à un entretien du cardinal Ratzinger, à l'époque où il était préfet de la Sacré Congrégation de la foi, avec le philosophe italien Paolo Flores d'Arcais, qui est directeur de la revue romaine MicroMega que vous connaissez très bien. C'est un débat qui a eu lieu en 2000 et le professeur d'Arcais dit ceci :

Le christianisme estime que ses vérités sont, aussi, des vérités naturelles. [...] La clé de tout cela, c'est l'idée de loi naturelle, de loi morale naturelle, qui serait déjà inscrite dans l'être humain, dans la réalité même. Les lois naturelles constitueraient comme des chromosomes de l'univers et de la réalité. Il s'agirait alors seulement, par notre raison, de les découvrir et d'obéir à ces lois.

Il continue en disant :

Tout cela est absolument faux et indéfendable. Il n'existe aucune loi naturelle, mais beaucoup de lois humaines qui, souvent au cours de l'histoire, ont des traits communs, mais qui n'ont jamais tous les traits communs. Donc la volonté d'identifier par une loi naturelle une morale en particulier, aussi élevée et noble soit-elle, porte en soi tous les dangers de l'intolérance.

Je suis certain, Éminence, que vous connaissez ce débat. Il est fameux et a été reproduit dans le journal Le Monde après l'élection de Sa Sainteté Benoît XVI au pontificat puisqu'on y voyait là la base de référence du positionnement de l'Église à l'égard de la loi naturelle.

Mais dans le domaine du droit civil, la loi naturelle n'a pas de référence obligée. À telle enseigne que, comme vous le savez, à une certaine époque on soutenait — par exemple à l'époque d'Aristote que vous avez cité, ou Socrate, Saint Augustin, Saint Thomas d'Aquin — que la femme, d'après la loi naturelle de l'époque, n'était pas l'égale de l'homme et ne devait pas participer aux débats publics. Votre prédécesseur à l'évêché de Québec, Mgr Bégin, l'avait allégué devant la commission parlementaire à Québec qui étudiait le droit du vote des femmes en 1940.

On a eu aussi, évidemment, tout le débat sur l'esclavage. Si l'égalité inné, ontologique des hommes avait été inscrite dans la loi naturelle, on l'aurait découvert avant 1800; quatre de vos prédécesseurs à Québec ont eu des esclaves. Le dernier, Mgr Plessis, l'a même amené avec lui en Europe en 1918-1919.

Si cela avait été la loi naturelle d'établir l'égalité ontologique des hommes, quelque soit leur couleur ou leur origine ethnique, on l'aurait découvert avant 1800. Les grands philosophes comme Saint Thomas et Saint Augustin l'auraient identifié et les premiers pères de l'Église l'auraient identifié. Même Saint Paul dit aux esclaves d'obéir à leurs maîtres.

La loi naturelle est un élément fondamental de la définition de la doctrine de l'Église catholique et je le reconnais et l'accepte. Mais dans le domaine du droit civil, lorsqu'il s'agit pour nous de légiférer dans une société pluraliste, nous ne pouvons pas nous référer au droit naturel d'une façon aussi absolue que le fait l'Église catholique. C'est là notre problème ou notre dilemme.

Dans l'aménagement du projet de loi C-38, nous devons nous assurer que la liberté religieuse de l'Église catholique, de fonder dans la loi naturelle la définition de ses principes, soit protégée.

Dans le contexte de ce que la Cour suprême a dit, concernant les officiers civils qui ont la responsabilité de célébrer les mariages dans les responsabilités de compétence provinciales; est-ce que, selon vous, nous ne devrions pas, à cette étape-ci, nous concentrer sur l'objectif d'assurer l'exercice, comme vous l'avez dit, de la liberté de conscience pour les personnes, qu'elles occupent un poste public ou qu'elles pratiquent une foi privée, d'exprimer leur conception du mariage sans risquer des conséquences qui ne sont pas acceptables dans une société démocratique, c'est-à-dire sans avoir la garantie du respect de leur foi?

C'est pour nous l'élément important de ce projet de loi, autrement dit il s'agit de garantir que les Églises représentées ici ce matin, puissent exercer leurs croyances, dans toute leur intégralité, dans toute leur orthodoxie, sans cependant être obligées d'assumer des responsabilités civiles qui soient contraires à leur foi.

C'est d'ailleurs ce que nous a demandé hier la Ligue des droits catholiques : nous assurer de cet aspect en particulier pour les mois à venir.

Selon votre connaissance, est-ce que, dans les différents diocèses du Canada, la position de vos collègues à cet égard, vis-à-vis des autorités provinciales, nous inciterait à nous assurer éventuellement que ces garanties soient obtenues dans les chartes des droits provinciales et dans les lois provinciales, comme la Cour suprême l'a reconnu dans sa décision du mois de décembre dernier?

M. le cardinal Ouellet : Sur ce point, nous vous demandons des garanties que vous ne pouvez pas nous donner, parce que la loi que vous faites et que vous changez maintenant ne sera pas appliquée par le gouvernement fédéral mais par les provinces. Vous n'avez pas fait d'entente préalable ou pris de garanties afin que les ministres qui doivent célébrer les mariages puissent être protégés et ne pas être obligés. Peut-être qu'à un endroit cela ira et qu'à un autre endroit cela n'ira pas. Nous ne nous sentons pas protégés, surtout à la lumière de ce qui a été mentionné ici, à savoir les pressions qui ont été exercées. Il y a vraiment une menace.

La question de fond n'est pas là. C'est la réalité anthropologique du mariage qui n'est pas reconnue. C'est cela le problème de fond. C'est ce que nous touche le plus. Vous avez beau dire que c'est dans le domaine du mariage civil, il reste que c'est un mariage. Vous avez beau dire « civil », mais cela qualifie une réalité anthropologique qui est la même, que ce soit un mariage religieux ou civil.

C'est la même réalité anthropologique, autrement dit l'union d'un homme et d'une femme. C'est ce qui heurte non seulement nos sensibilités religieuses et morales, mais aussi notre raison, tout simplement. Que l'on redéfinisse ainsi le mariage, cela étonne complètement les gens que vous pouvez questionner dans la rue; si vous demandez à vos familles, à des gens qui ne sont pas sous pression médiatique ou autre, ils vont exprimer leur étonnement et se demander comment il se fait que nous en sommes arrivés à redéfinir ainsi le mariage. C'est ce qui heurte.

Le sénateur Joyal : Nous comprenons parfaitement qu'il y aura une période d'ajustement, cela ne fait aucun doute. Le gouvernement de l'Ontario, comme vous le savez, a adopté une loi le 9 mars dernier qui reconnaît clairement, dans son l'article 18.1, à ses officiers la capacité de refuser de célébrer un mariage qui serait contraire aux croyances religieuses, de refuser que les locaux, les édifices servant au culte puissent servir à d'autres fins que le mariage tel que défini par les différentes églises, de même que de refuser d'utiliser des éléments reliés au culte, quel qu'il soit, de manière à heurter les croyances des individus.

Le Code civil du Québec, sauf erreur, dans ses dispositions reconnaît très bien qu'aucun ministre du culte ne peut être contraint à célébrer une union contre laquelle il existe quelques empêchements selon sa religion et la discipline de la société religieuse à laquelle il appartient. C'est l'article 521.2 du Code civil du Québec. Le gouvernement albertain a annoncé hier qu'il légifèrerait pour protéger les ministres et fonctionnaires publiques. On voit donc très bien qu'il y a développement d'un droit positif au Canada qui protège la liberté de conscience, de croyance et de pratique, comme vous l'exprimez et comme nous sommes conscients que nous devons le défendre.

C'est au-delà, certainement, de notre responsabilité immédiate constitutionnelle, mais cela ne nous empêche pas de le promouvoir, comme législateurs et comme Parlement.

M. le cardinal Ouellet : Je crois que ce qui heurte, aussi, c'est que vous mettez sur le même pied et que vous proposez comme ayant valeur égale l'union hétérosexuelle et l'union homosexuelle. Vous la mettez dans la même catégorie et en faites la promotion comme si c'était de valeur égale, ce qui est faux.

Ce n'est pas juste et c'est ce qui est offensant pour les personnes qui sont mariées, qui s'engagent devant la société et qui donnent des enfants à cette société, leur assure un contexte pour leur éducation ce que l'union homosexuelle ne peut pas offrir. Vous mettez cela sur le même pied et vous voulez que la population canadienne accepte cela comme le summum de la justice.

J'avoue que je trouve cela irrationnel, personnellement.

[Traduction]

M. Clemenger : Je ferai tout d'abord allusion aux commentaires sur la suprématie de la Charte dans le préambule de la Charte. Plutôt que de m'attarder à établir à quel dieu on fait allusion, je me demande, en creusant un peu plus, si le préambule n'énonce pas que notre droit n'est pas autosuffisant, autonome, indépendant; il existe plutôt des idées, des principes, des croyances et des valeurs qui soutiennent et façonnent notre Constitution et notre Charte et qui influent sur celle-ci. La Charte énonce également des principes fondamentaux de justice, mais elle ne les détermine pas vraiment.

Ce qui est sous-jacent au débat sur la redéfinition du mariage pourrait nous donner l'occasion de commencer à analyser ces principes fondamentaux de justice. Quelle est la nature de la dignité humaine? Selon moi, au cœur de la décision prise par la Cour d'appel de l'Ontario qui a modifié la définition du mariage dans la common law, la dignité humaine est dialogique. En d'autres mots, vous avez uniquement une dignité humaine si je confirme qui vous êtes; elle n'est pas innée. La dignité humaine devrait-elle être reconnue par le droit ou est-ce le droit qui nous la confère?

Selon la réponse que vous donnez, vous pourriez avoir une opinion différente : le mariage devrait-il ou non conférer la dignité ou la reconnaissance de l'État à l'égard des relations distinctes des couples homosexuels et pourrait-elle conférer une dignité à ces derniers? La question n'est pas uniquement de savoir quel dieu; la société canadienne doit mener une discussion plus nuancée et détaillée concernant ces préceptes fondamentaux de justice et ces notions de dignité qui sous-tendent notre droit fondamental.

Même si, dans son renvoi, la Cour suprême a très clairement mentionné que, en vertu du paragraphe 2a), les membres du clergé et les représentants religieux sont protégés, notre préoccupation s'étend également à la liberté de conscience des commissaires de mariage, qui peuvent être ou non des membres du clergé ou des représentants religieux. Ils sont vulnérables à cette question.

Comme vous, qui formez le Sénat, partie intégrante du Parlement relevant de la compétence fédérale, ne pouvez les protéger, vous les rendez vulnérables en promulguant cette loi.

Nous avons quelques modifications à apporter et quelques propositions pour ralentir le processus ou patienter jusqu'à ce que les gouvernements provinciaux mettent de l'ordre dans leurs affaires. La province de l'Ontario est allée de l'avant, mais ne protège pas vraiment les commissaires de mariage. Elle étend simplement la protection de façon minimale à l'égard de ce que la Cour suprême a énoncé. D'une certaine façon, la Cour suprême s'appuyait uniquement sur les faits pour formuler ses commentaires.

Le sénateur St. Germain : Ma question s'adressera au groupe de témoins, mais j'aimerais tout d'abord remercier la présidente d'avoir pris des dispositions pour obtenir une couverture médiatique de la réunion d'aujourd'hui. Sénateur Prud'homme, j'aimerais vous remercier de votre soutien visant à obtenir une couverture médiatique.

La présidente : Lorsqu'on dispose d'une équipe, on y fait appel.

Le sénateur St. Germain : Merci beaucoup. C'est important que les Canadiens voient ces débats.

Le sénateur Milne : Si je peux me permettre, il aurait été préférable que les Canadiens voient tout le processus, de façon intégrale.

Le sénateur St. Germain : Cardinal Ouellet, vous avez clairement expliqué la situation aux Canadiens lorsque vous avez dit qu'il s'agit d'un projet de loi libéral qui passe rapidement dans le système, à la dernière minute de cette session parlementaire. Vous avez dit que ce projet de loi sera adopté au détriment total de notre entière société. L'honorable Irwin Cotler, ministre de la Justice et procureur général du Canada, a comparu devant le Comité lundi soir; lorsqu'on l'a questionné à l'égard de la protection de la liberté et de l'expression de la religion, il a mentionné qu'aucun droit n'est absolu. Il a également dit, comme vous l'avez souligné au sénateur Joyal, que les provinces ne font pas cause commune et qu'elles ne sont pas prêtes à ça, que l'on adopte une approche fragmentée pour tenter de réagir aux droits des commissaires et des diverses autres personnes affectées par ce projet de loi. Des défenseurs des droits de la personne ont déjà pris des mesures contre Mgr Henry, évêque de Calgary, comme l'a mentionné Mme Epp Buckingham ce matin.

Cardinal Ouellet, dans votre dissertation, vous avez dit qu'il est impossible de satisfaire la communauté homosexuelle. Je suis un fidèle de l'Église catholique romaine, mais, jusqu'à ce qu'on réécrive la Bible et qu'on enlève les parties avec lesquelles les homosexuels ne sont pas d'accord, je ne vois pas de quelle façon on pourrait satisfaire aux exigences de cette communauté. Cette situation est renforcée par le fait que, déjà, à mesure que progresse ce projet de loi, un couple homosexuel de la Colombie-Britannique souhaite changer le programme de toutes les écoles publiques afin que l'on enseigne ce mode de vie à nos enfants. Cela pourrait aller à l'encontre de la foi de certains d'entre nous, qui avons d'autres croyances. Il ne s'agit pas d'une histoire mythique ou inventée. Cela fait partie de ce que d'autres personnes et moi appelons un empire du mal de plus en plus présent au Canada — une pente glissante qui nous mènera à un monde totalement sécularisé où les chrétiens et les personnes d'autres confessions n'auront pas le droit de pratiquer leur culte. Pouvez-vous commenter ce genre d'activité et la façon dont elle affecte négativement les chrétiens, les musulmans et les autres collectivités religieuses? À moins qu'on ne réécrive la Torah, le Coran ou la Sainte Bible, ils ne seront jamais satisfaits. Pouvez-vous faire des commentaires à cet égard, s'il vous plaît?

[Français]

M. le cardinal Ouellet : L'effet d'une loi comme celle-ci sera tout à fait notable au plan de l'éducation nationale et dans les institutions d'enseignement. Les manuels scolaires seront adaptés pour mettre sur le même pied d'égalité l'union homosexuelle et l'union hétérosexuelle. À mon avis, cela ira contre la liberté des parents qui ne désirent pas que leurs enfants entendent un tel discours à l'école, mais qui seront désormais obligés d'entendre ce discours qui va vraiment contre leurs convictions. Cette conséquence est grave au plan de l'éducation et elle doit être prise en compte lorsqu'on adopte un changement d'une telle importance.

[Traduction]

Mme Epp Buckingham : L'un des problèmes auxquels nous faisons face dans le domaine de l'éducation, c'est que, au cours des 15 dernières années, on a exclu la religion des écoles publiques. À une certaine époque, la religion était prépondérante dans les écoles publiques, mais, à la suite d'une série d'affaires judiciaires et d'interventions de l'État, elle a été exclue.

Ce n'est qu'une des mesures prises pour augmenter le contenu homosexuel dans les écoles, au moment où la religion est exclue. Au sein de la collectivité religieuse, nous croyons que la collectivité homosexuelle demande quelque chose que nous ne pouvons pas offrir — une image plus positive des homosexuels dans l'histoire. Il n'y aucune représentation de chrétiens ou de musulmans ou de catholiques, mais plutôt une représentation de personnes dans l'histoire. Si nous devons maintenant parler de l'identité d'une personne, nous devons alors faire preuve d'équité et d'égalité dans la façon dont nous traitons cette personne.

Nous nous préoccupons de la décision rendue dans l'affaire Chamberlain c. Surrey School District No. 36 par la Cour suprême, qui a énoncé que des perspectives religieuses ne pouvaient pas entraver une représentation positive des parents de même sexe; le juge en chef a déclaré que si des parents religieux ne sont pas d'accord avec cette situation, ils n'ont qu'à faire sortir leurs enfants du système d'éducation publique. Toutefois, personne n'a jamais proposé à des parents homosexuels qui n'aimaient pas le système d'éducation publique de retirer leurs enfants des écoles. Pourtant, c'est ce qu'on nous demande de faire. Le traitement n'est pas équitable, et nous ne voyons pas comment nous pouvons vivre en tant que société multiculturelle. Les gens souhaitent obtenir un droit qui empiète sur un autre droit, mais ils ne veulent pas accommoder les autres.

J'espère que nous allons trouver des façons de plaire à tout le monde et de nous entendre. Je comprends que les homosexuels se soient sentis exclus du système d'éducation publique, mais maintenant, c'est au tour des groupes religieux. Toute cette situation est néfaste, et nous devons trouver de meilleures façons d'atteindre une certaine réconciliation et un traitement équitable qu'en portant les causes devant les tribunaux. Vous avez raison, sénateur. Si nous présentons une image positive des homosexuels aux dépens des adeptes de la religion, sans reconnaître les croyances religieuses et nous y adapter, alors nous avons un grave problème, car nous leur imposons cette image.

Le sénateur St. Germain : Madame Epp Buckingham, comment cela fonctionnerait-il de façon précise? Le mode de vie des homosexuels entre en conflit direct avec les croyances des chrétiens, des musulmans et d'autres confessions religieuses. Est-ce possible? Peut-on y arriver?

Mme Epp Buckingham : Actuellement, on ne peut pas y arriver, car la religion est exclue des écoles. Il n'y a aucune façon d'obtenir un équilibre entre les deux. Je vois un véritable problème d'exclusion des élèves chrétiens. J'entends des commentaires de la part de parents et d'enseignants chrétiens de partout au pays qui se sentent de plus en plus exclus du système d'éducation publique. Actuellement, il n'y a aucune façon de tenir compte de leurs besoins. Les commissions scolaires et les directeurs leur disent que le présent système, dans sa structure actuelle, ne peut tenir compte de leurs besoins et que leurs croyances religieuses doivent être exclues. Toutefois, on doit enseigner les croyances relatives au dogme sexuel. Vous avez raison lorsque vous dites qu'il n'y a aucun moyen d'y arriver, et c'est ce qui est mal. Nous avons besoin d'un recours, mais je n'ai pas la réponse. J'espère que, d'une façon ou d'une autre, en dialoguant, nous arriverons à trouver la réponse pour régler le problème. Soit nous excluons la sexualité, l'homosexualité et les modes de vie sexuels de nos écoles, soit nous trouvons une façon de nous adapter aux croyances et opinions religieuses pour enseigner ces sujets dans les écoles.

Le sénateur St. Germain : Cardinal Ouellet, je connais assez bien le mouvement évangélique puisque j'ai travaillé en étroite collaboration avec l'Université Trinity Western, un magnifique établissement où l'on trouve une présence catholique romaine sur son campus. Port Coquitlam est l'une des premières paroisses où j'ai vécu pendant plusieurs années. Nous avons créé la première école paroissiale à cet endroit, qui compte également les salles et l'église.

Ce groupe fait actuellement l'objet d'une plainte déposée par un couple de lesbiennes qui désirait célébrer son mariage dans la salle des Chevaliers de Colomb, laquelle fait partie des établissement paroissiaux.

Nous avons entendu divers sénateurs dire que tout est parfait, que tout sera couvert. Pourtant, le même gouvernement, les mêmes personnes disent qu'elles n'ont aucun contrôle sur les mesures prises par les provinces. Il est de ressort provincial de promulguer des lois.

La présidente : Arrivez-en au fait, je vous en prie.

Le sénateur St. Germain : Le genre de lois promulguées par les provinces et le genre de protection qu'elles offrent peuvent varier. Pouvez-vous proposer une modification de ce projet de loi afin que tout soit uniforme partout au pays, qu'au moins toutes les paroisses ou tous les organismes religieux soient traités de la même façon? Les Libéraux veulent adopter ce projet de loi en laissant une grande marge de manœuvre afin qu'ils puissent blâmer les provinces et dire : « Nous avons fait ce que nous avions à faire ». Puis, nous descendons la pente glissante et perdons notre droit d'exprimer nos croyances religieuses. Pouvez-vous faire des commentaires à ce sujet?

[Français]

M. le cardinal Ouellet : Je pourrais ajouter aux difficultés et amplifier l'effet multiplicateur. Si je prends l'exemple de la cérémonie du baptême, selon notre droit canonique, nous ne pouvons accepter les signatures de deux pères ou deux mères comme parents d'un enfant. Avec une loi qui officialise ces unions, des situations de ce type vont se multiplier et cela risque de perturber non seulement l'usage de nos territoires mais aussi nos archives et d'autres aspects de la vie des communautés.

Il se forme également une espèce de climat où l'on n'ose plus dire ce qu'on pense. Même du haut de la chaire, on se sent menacé si on rappelle la morale sexuelle de l'Église. Cela aussi cela fait partie de la liberté de religion. Même à l'intérieur de nos églises, ces propos dérangent et l'on craint d'être accusé d'homophobie, de haine ou de nuire aux personnes homosexuelles. Je le répète, il faut absolument respecter les personnes homosexuelles, qui ont le droit d'être respectées, mais cela ne veut pas dire que l'on doive approuver les actes homosexuels.

Il y a une différence entre la personne et ses actes. La personne ne se réduit pas à ses actes. Le respect n'inclut pas qu'on doive accepter tous les actes des personnes. C'est comme en politique, il y a différentes options qu'on ne partage pas, mais il faut respecter les personnes qui ont des opinions différentes. C'est un point très important qu'il faut rappeler.

[Traduction]

M. Patel : J'aimerais vous remercier de vos commentaires. Je suis d'accord avec plusieurs points que vous avez soulevés, mais ma question est la suivante : quelle loi aura la suprématie, le projet de loi C-38 ou la loi provinciale? En Ontario, comme l'a souligné mon collègue, c'est très vague. La protection accordée en vertu de la décision de l'Ontario sur le mariage homosexuel s'applique uniquement aux membres du clergé. Le Code des droits de la personne entre en conflit avec cette protection. Qu'est-ce qui détient la suprématie — le Code des droits de la personne soutenu par la Charte ou le projet de loi en Ontario? Il y a confusion.

Si les modifications que j'ai proposées, qui soulignent la protection, sont intégrées au projet de loi C-38, je crois que ce dernier aurait priorité sur le règlement provincial. Il devrait y avoir un certain libellé qui aurait priorité sur toute loi provinciale en ce qui a trait à la protection.

J'aimerais également ajouter que, dans les écoles, l'éducation en matière d'homosexualité a commencé dans les années 90, en 1992 ou en 1993, à la Toronto School Board. On l'enseigne à cet endroit. Plusieurs parents musulmans, ainsi que d'autres parents, s'y sont opposés, mais ils n'ont pas le choix. Au nom de la tolérance, ils doivent être présents dans la classe. Ils ont dit : « Si vous n'êtes pas présents dans la classe, votre collectivité, votre foi est intolérante ».

Une enquête dans la région du Grand Toronto révélerait la présence d'une population plutôt croyante. Les gens de cette région pratiquent diverses fois. Ce sont de nouveaux Canadiens, de deuxième ou troisième génération. Le pourcentage d'homosexuels dans la population est très faible. Je suis d'accord avec les commentaires de Mme Buckingham à l'égard de l'exclusion — une minorité exclut la majorité en retirant la religion des écoles.

Un ministre baptiste de Toronto a donné un exemple bien connu au moment où le massacre de Columbine a eu lieu. Les enfants lui ont demandé où était Dieu lorsque cela s'est produit. Le ministre a répondu : « On ne m'a pas permis d'entrer dans l'école. Je ne pouvais pas protéger les enfants. »

C'est la tendance, et la tendance qui consiste à modifier le contenu de la Bible, du Coran ou de la Torah a déjà commencé au nom des crimes haineux. Quelques versets des trois principales saintes écritures du monde seront visés par les lois contre les crimes haineux de l'Ontario et d'autres provinces. On demandera de retirer ou de modifier ces versets. On a déjà formulé cette exigence. Où nous arrêterons-nous? C'est ce qui me préoccupe.

Je proposerais de renvoyer ce projet de loi devant la Chambre des communes afin qu'on y apporte des modifications et qu'il comprenne une plus grande protection des chefs religieux. La religion de l'Islam, de même que d'autres religions, j'en suis sûr, n'est pas intolérante envers le mode de vie. Toutefois, nous sommes préoccupés par la façon dont nous pouvons vivre ensemble, satisfaire aux besoins de tous et chacun, assurer la protection de tous et ne pas exclure la majorité aux dépens de leur foi.

Mme Epp Buckingham : J'aimerais apporter une précision : les sénateurs savent probablement tous que la liberté de religion suit la compétence et qu'il est impossible pour le gouvernement fédéral de se substituer à la compétence provinciale. J'ai écrit à tous les procureurs généraux du pays pour leur demander d'enchâsser la protection de la liberté de religion dans la Constitution. J'aimerais présenter quelques-unes des réponses que j'ai reçues afin que vous voyiez ce que les procureurs généraux provinciaux disent à ce sujet.

Le sénateur Prud'homme : Non seulement les voir, mais aussi les verser au compte rendu des débats d'aujourd'hui.

Le sénateur Cools : Pourrions-nous l'ajouter en annexe au compte rendu d'aujourd'hui?

La présidente : Oui.

Le sénateur Andreychuk : Madame Buckingham, vous avez dit que vous ne pensiez pas qu'on pourrait avoir recours à des mesures d'adaptation raisonnables. Les juges de la Cour suprême ont déclaré qu'il y a une liberté de religion et une valeur axée sur les droits de la personne concernant l'homosexualité et que, selon eux, on pourrait avoir recours à des mesures d'adaptation raisonnables. Le ministre a dit que cela se pouvait. Toutefois, vous n'avez pas répondu à la question suivante : qu'est-ce qui se produit en l'absence de mesures d'adaptation raisonnables? Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez?

Vous dites que, si nous commençons à enseigner dans les écoles que le mariage homosexuel est acceptable, cela porte atteinte à votre liberté de religion puisque ce n'est pas ce que vous croyez et que vous ne serez pas en mesure d'y réagir; en d'autres mots, deux philosophies ne peuvent coexister.

Le mieux que le ministre a pu dire, c'est qu'il pensait que le projet de loi C-38 enchâssait les valeurs canadiennes. En quoi cela est-il lié à votre droit de parler librement de votre religion?

Mme Epp Buckingham : Il s'agit vraiment de la principale préoccupation de ma collectivité. Ce que nous constatons en premier lieu, même avant l'adoption de ce projet de loi, c'est que la liberté de religion n'est pas définie de façon précise dans bon nombre de domaines. Il y a l'affaire des Chevaliers de Colomb, de même que l'affaire Chris Kempling, où un enseignant de la Colombie-Britannique a fait l'objet de mesures disciplinaires pour avoir formulé des commentaires, en dehors de la classe, à ce sujet; il y a également le cas des commissaires de mariage qui ne sont pas protégés. En raison de la façon dont les cas sont réglés et de la tendance, notre collectivité a l'impression qu'on ne reconnaît pas la liberté de religion.

Nous n'avons pas le droit d'exprimer publiquement notre opinion sur le mariage sans crainte de représailles. Les lettres des gouvernements provinciaux révéleront que ces procureurs généraux croient que ce sont des célébrants civils, que la définition du mariage a changé et que nous devrions nous habituer à cette situation. Ils n'ont que faire de nos scrupules religieux, du fait que nous ne reconnaissons pas cela dans nos croyances religieuses. Ils disent que la vie a évolué depuis hier et que nous devons nous aussi évoluer.

Ce sont des croyances religieuses fortement ancrées dans notre collectivité. Nous avons entendu des témoins — notamment ceux d'Égale — dire que l'on devrait tenir compte des besoins de ces personnes, mais ce n'est pas ce qui se produit en réalité. Une personne est allée jusqu'à dire que les chrétiens devront s'enfermer dans les placards d'où sont récemment sortis les homosexuels.

J'aimerais souligner que nous pouvons régler ces problèmes et que les personnes devraient être capables de s'entendre et de tenir compte des besoins des autres, mais ce n'est pas ce que l'on vit actuellement. Notre collectivité est très préoccupée et éprouve une grande crainte; nous avons l'impression d'être ciblés et marginalisés, qu'on nous considère comme des « non-Canadiens » et que nos valeurs et principes, même s'ils sont, depuis longtemps, fortement ancrés dans notre collectivité, sont tout à coup inacceptables. On nous dit maintenant que nous sommes homophobes et sectaires et que nous devrions nous ôter du chemin. C'est une situation très désagréable à vivre; c'est tout ce que je peux dire.

[Français]

Le sénateur Chaput : Je vous souhaite, tout d'abord, la bienvenue à notre comité. Dans un premier temps, j'aimerais partager avec vous une réflexion sur le sujet qui nous concerne aujourd'hui. N'étant pas avocate, ma perspective n'est donc pas juridique, mais cette réflexion ne se fera pas non plus au point de vue politique. C'est à titre personnel, aujourd'hui, que je m'adresse à vous. J'ai d'ailleurs fait part de cette réflexion à Mgr Goulet, archevêque de Saint- Boniface.

Voilà maintenant plusieurs années que l'on discute du thème qui nous réunit ici aujourd'hui. Le sujet des couples de même sexe n'est pas nouveau. Le phénomène existe depuis longtemps. Dans le passé, on ne parlait pas de tels sujets, alors qu'aujourd'hui on en parle ouvertement.

Nous avons parlé plus tôt du fait que Dieu est l'auteur de la nature humaine. Je suis née telle que je suis. Je n'ai pas choisi ma nature, j'ai été créée ainsi. Toute personne est digne de respect. Toute personne prend ses décisions, doit assumer les conséquences de ses décisions et aura un jour à répondre de ses actes devant une personne qui est le Créateur. Telle est ma philosophie.

Je comprends que les institutions religieuses — dans le cas échéant, l'Église catholique, mon Église catholique — ont le droit et même le devoir de se prononcer à l'égard de certains modes de vie. Elles ont le droit de porter jugement et de désapprouver. Toutefois, à titre personnel, je ne crois pas avoir le droit de porter jugement sur autrui.

Lorsque j'étais en première année, dans les années 1948 ou 1949, je fréquentais une école catholique. Une jeune étudiante, fille d'une mère divorcée, fréquentait également cette école. À cette époque, le fait d'être fille d'un parent divorcé était une situation peu enviable. Cette enfant pleurait souvent et craignant que sa maman aille en enfer à cause de son divorce. Étant très jeune, ce fait m'a particulièrement marquée.

Aujourd'hui, mes petites-filles fréquentent l'école française où l'on enseigne la religion catholique. Je suis toujours catholique, et mes enfants et petits-enfants le sont également. Dans cette école se trouve une jeune fille qui a deux mères. Vais-je aller dire à ma petite-fille qu'il est mal d'avoir deux mamans? Bien sûr que non.

Faisons la distinction entre le mariage religieux et le mariage civil. À mon avis, il est très important que les institutions religieuses aient le droit de définir le mariage. Mon Église doit continuer de pouvoir définir le mariage comme étant une union entre un homme et une femme. Cette notion m'a été enseignée et incarne ce que je suis et ce que je vis. Toutefois, il n'en est pas de même pour tout le monde. Certaines institutions religieuses ont des croyances qui diffèrent des miennes. Mes croyances sont celles de l'Église catholique.

Par conséquent, je ne peux pas, personnellement, m'opposer à une extension du mariage ni au mariage civil. Ce serait porter un jugement sur un style de vie qui est différent du mien. Je ne peux pas, non plus, accepter le fait que ce genre d'union mènera à des conséquences désastreuses et posera des dangers. À mon avis, les conséquences seront déterminées selon certaines conditions à savoir, par exemple, si on accepte ou non ces personnes ou par le fait que les enfants de ces unions sont heureux ou non. Voilà où j'en suis, Votre Éminence.

M. le cardinal Ouellet : J'accueille votre réflexion et ce que vous exprimez. Je crois qu'elle reflète une sensibilité humaine qui est tout à fait louable. Je crois également, comme vous dites, qu'il ne faudrait peut-être pas dire à un enfant, dans une situation concrète, qu'il est mal que sa compagne de classe ait deux mères au lieu d'un père et d'une mère. Il existe des situations et des cas que nous devons observer et respecter, car les personnes humaines vivent parfois certaines situations complexes.

Cependant, nous sommes ici devant l'institution pour déterminer comment un gouvernement ou une société doit gérer les réalités qui sont d'intérêt public. Le mariage est une réalité d'intérêt public, car il donne à la société son avenir et ses futurs citoyens. C'est pourquoi la réalité anthropologique du mariage comme étant une union entre un homme et une femme doit être reconnue, protégée et encouragée par l'État, parce qu'elle a une contribution unique à la société. Un style de vie privée, comme le style de vie homosexuel, n'offre pas une telle contribution à la société. Il doit être respecté comme style de vie privée, mais il ne doit pas être canonisé, si vous voulez, comme valeur sociale qui doit être imposée au point de changer la définition du mariage.

En changeant la définition du mariage, on inclut les personnes homosexuelles mais on exclut le mariage; on exclut le spécifique du mariage, qui est la relation entre un homme et une femme, en voulant inclure ce qui n'est pas le mariage. Je crois qu'il y a là un problème très sérieux sur lequel la société et le gouvernement doivent se pencher. Le gouvernement et la société doivent se créer des options en fonction des institutions qui apportent à la société une contribution unique. Le mariage fait partie de ces institutions.

Le sénateur Chaput : Permettez-moi de citer un autre exemple, celui de l'adoption. Présentement, les couples formés d'hommes et de femmes adoptent des enfants. D'ici peu, nous aurons, si ce n'est déjà le cas, des couples de personnes de même sexe qui adopteront des enfants.

M. le cardinal Ouellet : Là aussi il y a un problème. On ne peut pas raisonnablement affirmer que, pour l'éducation des enfants, le couple homosexuel est égal au couple formé d'un père et d'une mère.

Je crois même que des associations de pédiatres commencent à se prononcer à ce sujet, car l'expérience est relativement brève, du moins pour ce qui a été analysé scientifiquement, mais il y a des conséquences dans la structuration de la personnalité s'il manque le pôle masculin ou féminin dans l'interaction éducative. Là aussi, il y a un problème pour l'État, qui doit protéger le bien public, l'avenir de ses citoyens et leur croissance, à mettre sur le même pied au plan éducatif l'union homosexuelle et l'union hétérosexuelle. Il y a un problème grave.

[Traduction]

Le sénateur Milne : Votre Éminence, je pourrais peut-être commencer par dire que je suis une femme mariée depuis longtemps et mère de trois enfants. Je suis mariée au même homme depuis près de 49 ans.

Le sénateur Prud'homme : Un excellent homme.

Le sénateur Milne : Oui, c'est un excellent homme. Il doit l'être pour me supporter.

Je ne suis pas du tout offensée par le mariage homosexuel — absolument pas. Je n'ai pas l'impression que ça menace mon mariage, ma religion, ou mon Église d'une façon ou d'une autre.

J'écoutais la traduction anglaise, alors si je déforme vos propos, veuillez me le dire. Je crois que vous avez dit que l'on avait fait une erreur au moment d'interpréter la Charte des droits, mais que cette supposée erreur a été commise par 30 juges de partout au Canada, dans différents tribunaux, à différents niveaux et dans différents jugements rendus. Si nos juges commettent des erreurs en ce qui concerne l'interprétation de la Charte des droits et libertés en ce qui a trait à l'égalité des droits, je souhaite sincèrement qu'ils ne font pas d'erreur en interprétant les dispositions relatives à la liberté de religion, qui représentent une partie très importante de notre Charte. Je ne crois pas qu'ils commettent d'erreurs, monsieur.

Je peux peut-être faire allusion à un exposé présenté par un autre groupe qui était ici hier. Mme Young, de l'Université McGill, a déclaré, et je paraphrase, que les arguments en matière de politique présentés par l'Église contre le mariage entre conjoints de même sexe reposent sur des allégations selon lesquelles la sexualité doit être hétérosexuelle, car elle vise à permettre la procréation.

Cette allégation laisse plusieurs questions sans réponse. Tout d'abord, ce ne sont pas toutes les relations hétérosexuelles qui servent à la procréation, car certains couples sont infertiles, d'autres ont recours à la contraception ou d'autres encore ont des relations postménopausiques. Dans des documents où on s'oppose au mariage entre conjoints de même sexe, on souligne que quelques exceptions n'invalident pas l'aspect de la procréativité des relations hétérosexuelles. Toutefois, cette opinion, c'est-à-dire, que les exceptions n'invalident pas la règle, ouvre la porte à l'idée selon laquelle au moins quelques formes de contacts sexuels sont jugées licites, au cours de relations possiblement non procréatrices. Si la non-procréativité n'invalide pas la règle, on doit donc trouver un meilleur argument pour exclure les couples homosexuels puisqu'on ne comprend pas bien pourquoi certaines exceptions sont plus valides que d'autres. L'argument concernant la procréativité fait que le mariage repose entièrement sur la reproduction, mais depuis les années 60 dans la société canadienne, on reconnaît clairement que la compagnie d'égaux représente la principale fonction du mariage et que la reproduction et la procréation pourraient ou non faire partie de cette relation.

J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet, monsieur, et peut-être même celle des autres témoins.

M. le cardinal Ouellet : Puis-je répondre en français?

Le sénateur Milne : Oui, allez-y.

[Français]

M. le cardinal Ouellet : Tout d'abord, je dirai que sur la question de fond, les juges ne se sont pas prononcés sur la définition traditionnelle du mariage, n'est-ce pas? Ils ne se sont pas encore prononcés parce que la chose ne leur a pas été soumise ou du moins ils ont voulu laisser au Parlement le soin de déterminer. Il reste des choses à définir du point de vue de la Cour suprême.

Pour revenir à votre dernière question, concernant les exceptions, il reste que le mariage est d'abord et avant tout conjugalité. Il est entendu qu'il peut y avoir ou non procréation. Il y a des cas où il n'y a pas procréation, par exemple quand l'âge est passé. Mais c'est toujours essentiellement conjugalité, autrement dit un homme et une femme, ce qui n'est pas le cas des unions de même sexe; il n'y a pas de conjugalité parce qu'il n'y a pas de complémentarité sexuelle. Par le fait même, il n'y a pas d'ouverture naturelle à la transmission de la vie.

L'essence du mariage c'est la conjugalité. Si vous voulez parler d'un autre type de relation, très bien; mais si vous parlez du mariage, vous parlez de conjugalité, donc d'ouverture à la vie. Sur ce point, je crois que les juges devraient prendre cela en considération très sérieusement, parce que c'est lié à l'ordre de la nature des choses. Depuis les temps immémoriaux les enfants viennent au monde à travers la conjugalité, autrement dit l'union entre un homme et une femme. C'est la donnée de base qui garantit l'avenir et le présent de la société.

Les juges doivent prendre cela en considération très sérieusement, même s'il y a des pressions culturelles pour égaliser l'union hétérosexuelle et l'union homosexuelle.

[Traduction]

M. Clemenger : Dans mes commentaires oraux, de même que dans votre présentation, la procréation, la capacité de procréer ou l'ouverture à la procréation représentait certainement l'un des éléments du mariage. Il en existe de nombreux autres. Nous considérons que le mariage est beaucoup plus dynamique, beaucoup plus englobant et beaucoup plus vaste. Il est rempli de rituels et de symboles — les futurs mariés, les demoiselles d'honneur et le garçon d'honneur. On trouve les notions de mari et de femme. On voit l'origine du mariage ...

Le sénateur Milne : Cela ne fait pas partie d'un mariage religieux.

M. Clemenger : C'est bien le mariage. Cela représente le mariage. Hier, vous avez entendu parler Mme Katherine Young, qui a réalisé une étude importante sur le mariage dans de petites et de grandes cultures et sociétés. Le mariage, c'est l'union d'un homme et d'une femme, l'écologie sociale de l'union sexuelle entre un homme et une femme, la complémentarité des sexes. Tous les enfants ont une mère et un père. C'est l'idéal sociétal. C'est un désir sociétal visant à garantir que les enfants ont une mère et un père.

Oui, certains couples mariés n'ont pas d'enfants. Oui, certaines personnes se marient même si elles ne sont plus en âge de procréer. Qu'arrive-t-il alors? Dans mon cas, après le décès de mon père, ma mère s'est remariée, et cela a permis à ma fille d'avoir un grand-père, qu'elle n'avait pas, mais, encore une fois, une grand-mère et un grand-père unis par les liens du mariage. C'est intergénérationnel. C'est l'ouverture à la procréation, mais cela représente également le lien entre un homme et une femme, le fait pour un enfant d'avoir une mère et un père, des grands-parents, des tantes et des oncles unis par les liens du mariage.

C'est complexe. Nous considérons que cela fait partie intégrante de notre nature. Nous sommes une espèce dimorphe. Nous existons en tant qu'hommes et femmes. Le mariage est l'union d'un homme et d'une femme. Nous considérons que cela fait partie d'une réalité biologique, et c'est l'union d'un homme et d'une femme qui dure toute la vie, cette relation exclusive et durable est confirmée par diverses traditions religieuses. Il est important qu'elle soit confirmée par la société et ses institutions et autorisée par le droit et la politique publique.

En vertu de ce projet de loi, le mariage serait réduit à la simple idée de l'union entre deux personnes. Dans ce cas, pourquoi devrions-nous appeler cela un mariage? N'est-ce pas seulement une relation entre deux adultes?

Le sénateur Milne : Je trouve que l'expression « réduire le mariage » constitue une façon intéressante de voir la chose. La « compagnie d'égaux » semble être la façon dont la plupart des Canadiens voient le mariage ces jours-ci.

M. Clemenger : Après nous, vous entendrez les commentaires de représentants de la Commission du droit du Canada. Ils ont publié un rapport intitulé « Au-delà de la conjugalité » qui énonce que la notion d'une union d'êtres égaux s'appliquerait de façon égale à diverses relations entre adultes. Pourquoi alors définissons-nous le mot « mariage », qui, je crois, comporte une signification culturelle, sociétale et religieuse importante, tout comme une relation entre adultes? Pourquoi ne pas élaborer d'autres catégories pour ces relations, si on juge qu'elles ont de la valeur à l'égard du droit et de la politique publique?

Le sénateur Milne : Je suis d'accord avec vous pour dire que bon nombre de Canadiens croient que le terme « mariage » comporte certains renvois culturels et historiques et qu'ils trouvent ce fait plutôt troublant. Toutefois, au cours de toutes ces années pendant lesquelles les gens ont parlé de ce sujet, personne n'a trouvé un meilleur terme que « mariage » pour définir une relation légalement constituée entre deux personnes du même sexe.

M. Clemenger : Comme je l'ai dit plus tôt, si nous redéfinissons le terme, d'autres collectivités du Canada qui croient que le mariage est, comme je l'ai décrit, une reconnaissance complexe et intergénérationnelle des liens unissant deux personnes de sexe opposé, et cetera, perdront le terme public pour exprimer cette relation.

Le sénateur Milne : Dans un pays multiculturel comme le Canada, nous avons déjà différentes définitions du mariage. Je suis certaine que M. Patel vous dira que, dans la religion musulmane, les hommes ont le droit d'épouser quatre femmes. Il s'agit, selon moi, d'une définition différente du mariage.

M. Patel : Ce n'est pas une définition du mariage; c'est seulement un privilège. Dans la religion islamique, le mariage est une relation conjugale sanctionnée par la volonté divine. Le fait que deux personnes s'unissent dans une relation conjugale est sanctionnée par la volonté divine et célébrée sous les auspices de Dieu.

Le sénateur Milne : Seulement deux personnes, à l'exclusion de toutes les autres?

M. Patel : Oui, deux personnes, et le Coran définit ces deux personnes comme un homme et une femme.

Le sénateur Milne : Est-ce à l'exclusion de toutes les autres?

M. Patel : Voulez-vous dire à l'exclusion de tous les autres sexes?

Le sénateur Milne : Je veux dire des trois autres.

M. Patel : Les trois autres ne font pas du tout partie de la définition du mariage. À l'ère préislamique, il n'y avait aucune limite imposée à l'égard du nombre de femmes qu'un homme pouvait épouser. L'islam a limité ce nombre à quatre femmes, seulement si vous pouvez faire droit à chacun d'elle.

Parfois, certaines femmes d'une société avaient besoin de soutien, contrairement à la situation actuelle dans la société d'aujourd'hui, où bon nombre de femmes poursuivent une carrière et veillent à leurs propres besoins. Au Moyen-Âge et même avant cette période, et même encore aujourd'hui dans certains pays ravagés par la guerre, davantage de femmes que d'hommes ont besoin de soutien, alors ceux-ci, puisqu'ils ont la responsabilité de soutenir la famille, peuvent avoir la garde de ces femmes en vertu du « mariage ».

Le mariage entre un homme et une femme est inscrit dans le Coran. Autrement, ce n'est pas considéré comme un mariage, alors les mariages homosexuels n'ont aucun fondement dans l'Islam. On ne peut célébrer de mariages homosexuels en vertu de la loi islamique.

La présidente : Je suis désolée, sénateur, votre temps est écoulé.

Le sénateur Milne : J'ai trouvé le document sur lequel je voulais poser une question à M. Patel. Il a soulevé un point intéressant sur lequel j'aimerais poursuivre.

La présidente : Vous pouvez poser votre question plus tard, si nous avons le temps.

Le sénateur Cools : J'aimerais remercier les témoins d'être présents aujourd'hui. J'aimerais particulièrement souhaiter la bienvenue à Son Éminence, le Cardinal.

Nous sommes honorés de votre présence, votre Éminence. Vous êtes un membre éminent de ce qui est probablement la plus vieille organisation du monde. En ce sens, votre organisation perpétue une culture particulière et spéciale que nous avons tous appris à apprécier et à respecter. Je vous respecte grandement, tout comme votre travail. Je vous encourage à continuer. Si le projet de loi est adopté, vous serez très occupé au cours des prochaines années, et je ne vois aucune façon d'y échapper.

J'aimerais parler de vos préoccupations à l'égard du fait que l'on vous menace. Je confirme que vos craintes sont bien fondées. Il ne fait aucun doute que la liberté de religion dans un pays est assaillie et grandement menacée. De nos jours, chaque personne qui adopte une position contraire à celle du troupeau fait face à la dérision, à l'opposition, aux menaces, et cetera. Je le vis quotidiennement. Vos craintes sont très bien fondées. Vous n'êtes pas paranoïaque. Je ne comprends pas l'aveuglement volontaire et la naïveté qui font que vous continuez de nier ce que disent les personnes qui vous entourent et celles avec lesquelles vous interagissez. J'en entends parler chaque jour et je reçois de nombreux appels.

Je suis certaine que vous connaissez ma position depuis un bon moment. Je vous félicite pour ce que vous avez dit à propos des 18 juges qui, grâce à une certaine connaissance mystérieuse qu'eux, et seulement eux possèdent, ont trouvé ce dont aucune personne n'a eu connaissance pendant mille ans, c'est-à-dire que les mariages peuvent unir des homosexuels ou que l'union hétérosexuelle équivaut à une union homosexuelle. Personne n'était au courant de ce fait pendant mille ans; pourtant, eux ils l'ont découvert. Je dis aux honorables sénateurs que cette situation ne constitue pas une loi ou une interprétation de la jurisprudence. Je déclare qu'il s'agit d'une déclaration de leurs propres désirs, opinions et croyances. De nos jours, la documentation est remplie d'activisme judiciaire, et un groupe d'« érudits » prolifère actuellement dans le cadre de cet activisme.

Si ces juges avaient respecté la jurisprudence, ils n'auraient pu tirer cette conclusion, car la jurisprudence et la Constitution de ce pays ont, depuis bon nombre d'années, depuis la bataille des plaines d'Abraham, protégé le mariage.

Le mariage, comme nous le connaissons actuellement, est passé du droit civil au droit canon pour se rendre par la suite jusqu'en Angleterre.

Même lorsque Henry VIII s'est séparé de l'Église catholique romaine — et le compte rendu devrait en faire mention — il n'a pas transféré le pouvoir exercé sur le mariage aux autorités civiles, il l'a transféré vers une autre Église, qui était la même que l'Église catholique romaine, mais qu'il a appelée l'Église anglicane.

J'ai fait des recherches à ce sujet. Ce n'est pas un fait très bien connu. Henry VIII est demeuré, en un certain sens, chrétien jusqu'au jour de sa mort. Il voulait obtenir ce pouvoir à l'égard du mariage. Puis, ce pouvoir de célébrer les mariages a été accordé au Canada, et vous avez absolument raison, votre Éminence, lorsque vous dites que le mariage civil et le mariage religieux représentent un seul et même mariage. Au moment où on a commencé à le célébrer au Canada, c'était un seul et même mariage. C'était le droit civil qui régissait auparavant les aspects civils du contrat de mariage. L'un des aspects est l'union volontaire d'un homme et d'une femme.

Je veux simplement confirmer que vous respectez très bien le droit à ce sujet. J'aimerais également ajouter, aux fins du dossier, en ce qui concerne l'affaire Miron c. Trudell sur la question de l'éducation religieuse, que le tribunal a rejeté l'assertion et qu'il a souligné que l'entente conclue au moment de la création de la Confédération n'a pas été supplantée par la promulgation de la Loi constitutionnelle de 1982 et que le projet de loi 30 n'a pas fait l'objet d'un examen fondé sur la Charte.

Honorables sénateurs et honorables témoins, c'est la vérité sur le sacrement qu'était le mariage. Il faisait partie de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, l'entente constitutionnelle, le pacte constitutionnel, surtout pour tenir compte des besoins des catholiques romains du Québec, qui, à cette époque, s'inquiétaient terriblement du fait que ces protestants voudraient leur imposer toutes sortes de situations indésirables. Il s'agit du mariage décrit aux articles 91 et 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. C'était précisément une union volontaire entre un homme et une femme à l'exclusion de toute autre personne.

Ma question se transforme plutôt en commentaires, mais ils s'adressent à toutes les personnes intéressées par l'histoire des lois du mariage et non par l'histoire du jargon, qui est composée de beaucoup de déclarations pieuses, ou par l'histoire des sentiments ou des désirs. La loi sur le mariage est une chose merveilleuse, car tous ces juges, de même que l'actuel procureur général, aimeraient nous faire croire que l'affaire de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, Hyde c. Hyde, datait d'octobre 1866. Les conférences de Londres ont eu lieu peu de temps après — lorsque je dis Londres, je veux dire Londres, Angleterre — et, au cours de ces conférences, la célébration a été retirée du mariage et du divorce pour être intégrée à l'article. Les deux articles étaient distincts.

Ces juges veulent nous faire croire, votre Éminence, que Sir John A. Macdonald, qui se tenait sur la tribune lorsque Lord Carnarvon a présenté l'Acte de l'Amérique du Nord britannique en Angleterre, et Lord Penzance, dans Hyde c. Hyde, avait bien rappelé à Lord Carnarvon et Sir John A. Macdonald ...

La présidente : Sénateur Cools, si vous avez des questions, il ne vous reste plus de temps.

Le sénateur Cools : C'est correct. Je sais ce qu'il pense.

La présidente : Avez-vous des questions ou voulez-vous simplement faire un commentaire?

Le sénateur Cools : Non, non, laissez-moi terminer.

La présidente : Votre temps est presque écoulé.

Le sénateur Cools : C'est extrêmement arrogant de leur part de vouloir nous faire croire que Lord Penzance, qui était membre de la Chambre des Lords, Lord Carnarvon, qui a présenté l'Acte de l'Amérique du Nord britannique à la Chambre des Lords et Sir John A. Macdonald ne savaient pas vraiment ce qu'ils avaient en tête au moment de définir le mot « mariage ». Si vous avez un commentaire à ce sujet je serais enchantée de l'entendre, mais vous avez absolument raison. Je n'utiliserai pas des termes comme « hérésie », mais ces personnes, au nom de la Charte des droits, ont pris une tradition ancienne, votre institution, et l'ont corrompue et ils l'ont transformée en quelque chose qu'elle n'est pas.

[Français]

M. le cardinal Ouellet : Je vous remercie pour ces observations. Je veux simplement rappeler que le mariage et la famille, même les familles nombreuses, ont été la plus grande valeur du Québec. La permanence de cette collectivité était justement basée sur le mariage et la famille. Cette valeur est actuellement en crise au Québec autant qu'en occident, et nous avons toutes les raisons pour soutenir l'institution du mariage telle qu'elle est dans son essence, et nous devons combattre tout ce qui peut la détruire ou détruire la reconnaissance que l'État doit lui accorder dans son propre intérêt et dans l'intérêt du bien commun de la société. Dans le contexte actuel de la civilisation, il faut absolument travailler pour soutenir l'union des personnes mariées qui donne à la société justement son avenir.

On retrouve un individualisme exacerbé dans la culture contemporaine et si on adopte cette définition du mariage, on affaiblit le rapport de l'homme et de la femme et on affaiblit le don qu'ils font à la société. Cette reconnaissance est nécessaire. Elle a été la force du Québec, et c'est une valeur fondamentale du Canada qu'il faut maintenir.

Le sénateur Ringuette : Dans les présentations que nous avons entendues hier, on nous a indiqué que Trinity College enseignait qu'il était péché d'être homosexuel. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.

[Traduction]

La présidente : Madame Buckingham, voulez-vous répondre?

Mme Buckingham : Sur quel aspect voulez-vous que je fasse un commentaire, l'examen?

Le sénateur Ringuette : Pouvez-vous commenter l'énoncé selon lequel l'homosexualité est un péché?

M. le cardinal Ouellet : Est-ce que la question s'adresse à moi?

Le sénateur Ringuette : À l'un d'entre vous.

Mme Buckingham : C'est votre domaine.

M. le cardinal Ouellet : Ce n'est pas un péché d'être gai, mais cela peut être péché d'avoir des agissements homosexuels, selon notre doctrine. C'est ce que vous voulez savoir. Selon le point de vue de l'Église catholique et celui de la Bible, il est manifeste que l'homosexualité n'est pas moralement acceptable.

[Français]

Mme Aubé : Tout comme l'acte sexuel!

M. le cardinal Ouellet : Cependant, cela ne veut pas dire que la personne est condamnée. Certains actes sont jugés immoraux mais la personne n'est pas condamnée pour autant.

[Traduction]

La présidente : Quelqu'un veut-il répondre à cette question?

M. Clemenger : Parlez-vous de l'Université Trinity Western?

Mme Buckingham : J'ai entendu Trinity College, qui est un établissement d'enseignement.

Le sénateur St. Germain : L'université Trinity Western se trouve en Colombie-Britannique.

M. Clemenger : Et c'est sur ce dernier point que porte votre question?

Le sénateur Ringuette : Oui.

M. Clemenger : L'université a une politique en matière de mode de vie à laquelle les étudiants doivent se conformer; elle demande d'éviter tout type d'activités sexuelles en dehors des liens du mariage. On demande aux étudiants de se conformer à cette politique au cours de leurs études à l'université. L'université en soi ne fait pas de discrimination à l'encontre des étudiants homosexuels et ne leur refuse pas l'accès.

Mme Buckingham : C'est une université chrétienne privée. Ce n'est pas une université publique.

Le sénateur Ringuette : Ce n'est pas pertinent à ma question, qui était : « Est-ce vrai que le fait d'être gai constitue un péché? »

[Français]

J'ai une question pour le cardinal. Comment, comme dirigeant de l'Église catholique au Canada, voyez-vous la Charte canadienne des droits et libertés qui est au sein de notre Constitution?

M. le cardinal Ouellet : Je crois l'avoir déjà exprimé. Je crois que la Charte canadienne des droits et libertés, si elle est interprétée à la lumière de son préambule — sur lequel j'ai insisté — reconnaissant la suprématie de Dieu et du droit, doit être respectée.

Ceci pourvu qu'elle soit justement interprétée dans cette lumière, et qu'elle ne soit pas interprétée d'une façon purement athée ou bien qu'elle soit interprétée d'une façon purement évolutive sans qu'il n'y ait rien de ferme.

Il y a des réalités qui sont fermes. On ne changera pas la nature humaine qui est faite d'hommes et de femmes. Un homme est un homme et une femme est une femme. La nature humaine se propage et se perpétue à travers l'union de l'homme et de la femme. Il peut y avoir beaucoup de variations, de styles de vie et de choix personnels, mais le rapport de l'homme et de la femme qui donne à la société son avenir, cela est fixe et ne change pas.

Je crois que cela doit être protégé par la loi quand il y a des mouvements culturels. C'est la tâche des juges de protéger les institutions fondamentales quand il y a des mouvements culturels qui les menacent et de garder justement l'interprétation de la Charte à l'intérieur d'un contexte de valeurs qui forment une société. La Charte ne doit donc pas être interprétée de façon purement formelle comme dans un vide. C'est la Charte qui est à l'intérieur d'une société qui a des valeurs, des institutions qui doivent être protégées. C'est pourquoi je crois que la Charte peut très bien servir si elle est bien interprétée.

Le sénateur Ringuette : Vous savez, j'ai un peu de difficulté — je suis une catholique — avec le fait de dire que la Charte doit être fixe, ne pas changer et doit garder le contexte de valeurs. Il n'y a pas si longtemps, si les épouses catholiques ne produisaient pas un enfant par année, c'était un péché et elles devaient se rendre au confessionnal. C'était immoral et c'était contre la loi naturelle.

Il y a eu une évolution et les femmes ont accepté, positivement je dois dire, cette évolution. Dans toute chose, il y a une évolution. S'il n'y a pas d'évolution, le statu quo n'est pas acceptable. Dans la Charte, par exemple, figure l'égalité des deux sexes. Mais jamais la justice n'a enfreint aucune religion concernant l'égalité des deux sexes dans le processus des différentes religions.

Tout à l'heure, avant qu'on commence, mon collègue le sénateur St. Germain m'a dit que les religions sont comme des clubs privés, qu'ils ont leurs règlements et qu'on doit les observer si on veut faire partie du club. Je respecte cela, mais il y a tout un monde qui vit à l'extérieur des clubs.

Il y a trois différents clubs ici ce matin et il y a des différences marquées; on passe du mariage d'un homme à une femme à un mariage d'un homme et quatre femmes. J'ai donc bien de la difficulté à pouvoir raccorder les différentes doctrines de l'Église qui ne sont pas nécessairement la suprématie de Dieu et l'ordre naturel humain de Dieu. Parce que si Dieu est suprême et que tout ce qui est ordonné par Dieu est naturel, l'homosexualité est naturelle et devrait être acceptée par Dieu et les doctrines des différentes Églises.

M. le cardinal Ouellet : Je crois que dans ce que nous avons dit ici, nous sommes tous d'accord — le musulman, mes amis ici et nous-mêmes — que le mariage est entre un homme et une femme. Si on veut changer cette définition, on va non seulement contre ce que les religions disent, mais ce que la raison dit. C'est ce qui est le plus grave. La Charte se réfère à Dieu du point de vue de la raison; pas du point de vue des religions, mais du point de vue de la raison. C'est ce qui est le plus grave, qu'on aille contre la raison.

La présidente : Nous faisons une deuxième ronde, mais nous n'irons pas plus loin que 11 h 15. Il y a d'autres gens qui attendent pour témoigner.

Le sénateur Prud'homme : Je voudrais d'abord, Éminence, remercier Sa Sainteté Jean-Paul II qui a fait de vous un cardinal. C'est un honneur qui rejaillit sur tout mon peuple canadien-français et catholique du Québec et sur l'ensemble du Canada.

J'ai eu le grand privilège de connaître et de rencontrer Sa Sainteté à cinq reprises. Une phrase qui m'a toujours réconforté est celle qu'il a dite au début de son pontificat : « N'ayez pas peur ».

Nous vivons sur une planète troublée, dangereusement divisée, et affolée par tous ces nouveaux mouvements. Lorsque Jean-Paul II s'est rendu à Paris, on prévoyait que ce serait une grande catastrophe et qu'il n'y aurait personne. Pourtant, il y avait un million de jeunes gens de partout dans le monde pour écouter un vieillard. Qu'est-ce qu'il avait à dire, ce vieillard? Qu'est-ce qu'il a apporté à ces jeunes? Il apporté une chose dont a besoin sur la planète, c'est l'espoir.

Il n'est pas allé dans un concours de popularité en disant : « Vous voulez l'avortement? Mais oui. Vous voulez l'homosexualité pratiquée? Certainement. Vous voulez l'euthanasie éventuellement? Allez-y. » Éminence, vous savez très bien que l'euthanasie sera notre prochain problème.

Ce qui nous a choqués, ma collègue Mme Payette et moi, c'est lorsque nos seigneurs les évêques du Québec ont abandonné trop rapidement leur droit constitutionnel à l'enseignement religieux aux écoles. Ils l'ont fait en retour d'une promesse électorale. C'est moi qui ai demandé que Mme Marois comparaisse ici à Ottawa pour expliquer pourquoi elle voulait retirer ce droit constitutionnel de nos écoles au Québec. Il n'existe plus.

Dans un an, il est encore possible de renouveler la clause nonobstant. Le feront-ils? Éminence, je laisse cela entre vos mains. Au nom de l'humanité, je vous demande de nous livrer un message. Prenez tout le temps nécessaire et profitez de l'occasion qui vous est offerte au Sénat.

Je regrette que le Sénat ne soit pas plus indépendant. Je croyais joindre un endroit où l'on écoute, où l'on change d'idée et où l'on se convainc. C'est ce qu'est le Sénat du Canada. Entre parenthèse, le Parlement siège, contrairement à ce que certains médias ont dit. C'est une grosse erreur d'interprétation.

Éminence, s'il vous plaît, essayez de nous réconcilier. Vous savez que chacune de vos paroles peut ajouter aux divisions. Essayez de jeter un baume d'encouragement parce que je pense que les gens voient en vous un réconciliateur.

La tâche ne sera pas facile car nous vivons dans une société éclatée. Par devoir et non pas par amour, je passe mes étés à Saint-Félix-de-Valois dans un camping, où je vois que les choses ont changé. Dans votre temps et le mien, les parents avaient une multiplicité d'enfants. Aujourd'hui nous voyons des enfants avec une multiplicité de parents. C'est la réalité, Éminence.

Comment pouvez-vous nous ramener un message d'espoir pour essayer de convaincre ces gens?

M. le cardinal Ouellet : Je vous remercie de vos bonnes paroles. Je crois que le Sénat a un rôle de sagesse très important à jouer dans notre société. Nous nous rendons compte que le débat sur la question du mariage est fondamental. Je suis étonné que le gouvernement n'ait pas pu laisser tous les députés libres de voter selon leur conscience sur cette question et que l'on ait accéléré et clos les débats.

Tout se passe comme s'il y avait une urgence extraordinaire à ce que cette question soit réglée au plus vite. Je dois dire que je ne comprends pas vraiment cette urgence. Il aurait fallu consacrer beaucoup plus de temps à cette question pour que la population puisse y réfléchir. Mais plus on y réfléchit, plus on s'aperçoit que c'est irrationnel, que ce n'est ni conforme à nos valeurs, ni à la Charte canadienne des droits et libertés et qu'en bout de ligne, il faut que la définition du mariage soit changée.

Face à cette question, la situation est très grave et les autorités parlementaires et gouvernementales devront rendre compte à la population des décisions qu'elles ont prises. Quand on affirme qu'il s'agit d'une question de pure justice, je crois que cela ne correspond pas à la vérité parce que la vérité du mariage, c'est la relation entre l'homme et la femme et la justice doit se fonder sur la vérité. Ce sont ces valeurs communes qui permettent à une société d'être une société et de ne pas être divisée et encore plus divisée.

Autour de cette question, nous avons vu la division œuvrer jusque dans nos églises, au nom de l'égalité et d'une certaine conception de la justice qui ne correspond pas à la vérité anthropologique. Je crois que cela est grave. Pour assurer un avenir de paix pour notre société, l'État doit protéger les valeurs du mariage et de la famille. L'État doit traiter les personnes homosexuelles avec respect et trouver les aménagements qui correspondent à leurs droits sans les classer dans une catégorie à laquelle ils n'appartiennent pas, soit la catégorie du mariage.

Le sénateur Prud'homme : J'ai une question supplémentaire.

La présidente : Sénateur Prud'homme, nous n'avons pas assez de temps. Nous allons entendre d'autres témoins et nous ne pouvons pas procéder à un deuxième tour de questions. Malgré l'importance de nos visiteurs, nous sommes obligés de nous limiter dans le temps.

[Traduction]

M. Clemenger : Je suis d'accord avec les commentaires du Cardinal Ouellet. La question parlait d'espoir. Partout dans le monde, on considère que le Canada souhaite vivre dans une société pluraliste, fortement multiculturelle et religieuse et qu'il a adopté une façon d'y arriver. Quelques-uns des plus grands érudits du monde en ce qui concerne une théorie politique sur le pluralisme sont canadiens, par exemple, Charles Taylor et Will Kymlicka.

La Charte n'est pas un document auto-explicatif. Nous avons parlé de la doctrine d'un arbre vivant. Pensez aux érables au printemps : une force les anime et leur donne la vie.

Ce débat sur le mariage soulève également la question d'une discussion plus fondamentale à l'égard de la Charte. On ne devrait pas utiliser cette dernière comme un chausse-pied ou un marteau. On ne devrait pas l'utiliser pour imposer de nouvelles définitions à des institutions sociales existantes.

Pour en parler, nous devons revenir en arrière et discuter du préambule. Nous devons discuter des principes fondamentaux de justice et de la nature de la compréhension de l'égalité de la dignité. Quelle est la nature de la liberté, de la conscience, de la liberté de religion et de la liberté de conscience? Nous n'avons pas mené cette discussion de fond.

Au cours de cette discussion, nous avons utilisé la Charte comme un marteau. On nous a dit que si nous ne sommes pas d'accord avec les conclusions d'un juge quelconque à l'égard de l'interprétation de la Charte, nous sommes en quelque sorte non canadiens et nous exprimons des valeurs non canadiennes. Alors, la Charte ne nous décrit pas comme une société pluraliste. Elle fait allusion à une certaine tradition au sein d'une société pluraliste. Nous devons aborder cette question. Par contre, je ne sais pas comment y arriver. Nous devons mener une discussion de fond. C'est là, selon moi, que repose un peu d'espoir.

J'ai cru comprendre que le sénateur St. Germain a dit que les religions étaient comme des clubs privés.

Le sénateur St. Germain : J'aimerais rectifier cela aux fins du compte rendu. Elle a absolument tort à ce sujet.

M. Clemenger : Je considère les groupes confessionnels comme une partie de la société civile. Il existe différentes expressions, collectivités et associations au sein d'une société, et nous avons tous besoin de mener un dialogue respectueux pour tenter de déterminer le genre de pluralisme que nous avons, la nature du Canada et les éléments qui font partie de notre intérêt commun. Je ne regrette qu'une chose, c'est que le débat, même s'il est engagé depuis plusieurs années au Canada, est mal ciblé. Nous avons tenté de mettre l'accent sur quelques-uns des enjeux les plus fondamentaux.

Je regrette que les membres du Comité de la Chambre des communes n'aient pas eu suffisamment de temps. Ils n'ont discuté que des modifications. Dans le cadre du Comité, j'ai bien aimé la discussion d'aujourd'hui et celle d'hier et j'ai bien hâte d'en entendre davantage cet après-midi.

Toutefois, nous devons recevoir davantage de commentaires de fond pour connaître les aspirations des Canadiens. C'est là que l'espoir du Canada correspond à quelque chose de différent. Nous, en tant que groupes confessionnels, avons un rôle intégral et important à jouer à cet égard, tout comme d'autres secteurs au sein de la société canadienne. Il faut trouver des façons de faciliter ce dialogue. D'aborder ces questions de fond et de ne pas dévier de notre voie ou utiliser la Charte pour imposer quelque chose, mais de s'en servir davantage comme un prisme qui définit qui nous sommes en tant que société canadienne.

Le sénateur St. Germain : J'aimerais m'expliquer sur une question personnelle, madame la présidente.

La présidente : Oui.

Le sénateur St. Germain : J'aimerais préciser aux fins du dossier que je n'ai jamais dit, dans le cadre de ce Comité, que ma religion était un club privé, sous quelque forme que ce soit. C'est important que je rectifie ce point. Le sénateur Ringuette a fait consigner cela au compte rendu. C'est un affront. J'ai parlé de ma foi et je maintiens ce que j'ai dit. J'ai déclaré que ma foi a priorité sur la Charte, et c'est le cas.

Je vous remercie de m'avoir permis de rectifier cela.

[Français]

Le sénateur Ringuette : Je confirme les propos, dans la salle qu'on peut appeler l'antichambre ; je n'avais aucune mauvaise intention, mais j'ai rapporté les propos tels qu'ils ont été dits.

La présidente : Vous vous êtes exprimés tous les deux. J'aimerais juste ajouter que, à la Chambre des communes, des députés ont voté contre la ligne de leur parti, dans chacun des partis politiques représentés, excepté le Cabinet, évidemment, puisque, comme vous savez, c'est un projet de loi du gouvernement et un seul ministre a démissionné parce qu'il ne pouvait pas le faire. Je voulais rétablir le fait qu'il n'y avait pas de ligne de parti imposée. Ils ont voté selon leur conscience et, dans chaque parti, des députés n'ont pas voté comme leur parti.

[Traduction]

M. Patel : Je suis d'accord avec les commentaires des autres témoins, surtout les derniers commentaires qui soutiennent le mariage et la religion.

J'aimerais préciser le point selon lequel l'islam est un mode de vie. Il n'est pas classé comme une religion. C'est un mode de vie régi par un code de conduite, un code d'éthique révélé par Dieu par l'entremise d'un messager.

L'homosexualité n'est pas un mode de vie admis ou accepté dans le code de conduite islamique. Le mariage est important pour les musulmans puisque le mode de vie lui-même commence par la pureté des actes et la pureté de l'union en vertu de la règle sanctionnée par la volonté divine. Toute autre chose serait considérée comme inacceptable, immorale, ou tout autre terme utilisé pour définir une violation de la religion.

Par conséquent, les musulmans ne seront pas à l'aise avec le projet de loi C-38 et ne l'accepteront pas. Cela dit, la Charte des droits et libertés enchâsse les droits de chaque personne. Tout le monde, même les homosexuels, ont des droits. En tant que commissaire des droits de la personne, je crois que chaque personne a le droit de choisir le mode de vie qu'elle veut adopter. Toutefois, je crois fermement, en tant que musulman et Canadien, que personne ne peut imposer une croyance particulière à d'autres collectivités. Nous trouvons que le projet de loi C-38 empiète sur les autres groupes confessionnels en raison d'une définition qui fait partie de leur foi; ces droits ne sont alors pas protégés. Les droits sont violés.

La Chambre des communes a pris une mesure audacieuse en adoptant ce projet de loi tel qu'il est, c'est-à-dire qu'il offre très peu de protection aux autres groupes confessionnels. Nous voyons que la religion perd du terrain. Au cours des années à venir, nous perdrons encore plus de terrain, car ce projet de loi et d'autres projets de loi créeront des précédents. Lorsque nous changeons les institutions fondamentales de la vie, comme le mariage, qui se prête à l'aspect mental et à d'autres éléments de réconfort des gens dans leur foi, alors le mode de vie sera différent à l'avenir. Les lois créées par les êtres humains qui ont priorité sur les lois divines diminuent certainement la valeur de la foi dans chaque collectivité.

Je presse le Comité sénatorial de mener une nouvel examen de ce projet de loi en ce qui concerne la protection des droits de religion et le droit de la personne de pratiquer sa foi.

En tant que musulmans, nous tolérons tout mode de vie, en espérant pouvoir le réformer afin qu'il soit conforme aux lois naturelles de Dieu. Si c'est impossible, si l'être humain est incapable de le faire et que nous ne pouvons rien changer, nous l'acceptons.

En tant que musulmans canadiens, nous coexisterons avec tous les autres groupes confessionnels du pays, mais une croyance particulière ne devrait pas avoir priorité sur les autres ou imposer sa loi. Par conséquent, ce projet de loi devrait protéger les croyances fondamentales de la religion, ce qu'il ne fait pas.

Au cours de mon exposé, j'ai souligné plusieurs domaines dont il faudra tenir compte. Je présenterai les modifications pour que vous puissiez les examiner. Je vais vous demander d'intégrer ces modifications au projet de loi afin que les droits des groupes confessionnels soient protégés dans ce domaine.

[Français]

La présidente : Au nom des sénateurs, je vous remercie de votre présence, du temps que vous avez consacré aujourd'hui à venir discuter et dialoguer avec les sénateurs qui représentent l'ensemble des régions et qui représentent aussi la défense des minorités. Je pense que c'est une des responsabilités des sénateurs que de représenter les minorités, de représenter la diversité canadienne. C'est ce que nous tentons de faire et de faire connaître à ceux que nous invitons pour échanger ensemble.

[Traduction]

Nous allons prendre une pause de cinq minutes. Je suis désolée que des gens attendent après nous, mais nous ne pouvons faire autrement.

M. Yves Le Bouthillier, président, Commission du droit du Canada : Honorables sénateurs, merci d'inviter la Commission du droit du Canada à parler de l'enjeu du mariage entre conjoints de même sexe en ce qui a trait à son rapport intitulé « Au-delà de la conjugalité : La reconnaissance et le soutien des rapports de nature personnelle entre adultes ». Nous avons eu l'occasion de présenter le rapport devant un Comité de la Chambre des communes avant qu'il n'étudie le projet de loi C-38, de même que tout récemment. C'est la première fois que nous avons l'occasion de le présenter aux membres du Sénat. Je suis accompagné de Mme Pelot, une agente de recherche principale à la Commission du droit du Canada, qui a participé à ce projet dès le début et qui répondra à vos questions sur le rapport.

La Commission du droit du Canada est un organisme fédéral indépendant dont le mandat consiste à fournir des conseils sur l'amélioration, la modernisation et la réforme des lois du Canada. Dans le préambule du projet de loi se trouvent des principes importants qui guident le travail de la CDC : la Commission doit être ouverte et inclusive et être accessible à tous les Canadiens; elle doit situer le droit et le système judiciaire dans le vaste contexte socio-économique; elle doit être souple et responsable et travailler en partenariat avec un grand nombre de groupes d'intérêt et de personnes; et elle doit tenir compte des répercussions du droit sur les divers groupes et les diverses personnes lorsqu'elle formule des recommandations.

Même si le rapport a été déposé devant la Chambre des communes en 2002, il est encore très pertinent puisque non seulement son dernier chapitre aborde directement la question du mariage homosexuel, mais il recommande également des modifications à apporter à une série de lois fédérales qui confèrent actuellement certaines responsabilités ou certains droits et avantages axés sur la conjugalité. Nous recommandons d'étendre la question aux relations étroites entre adultes fondées sur une interdépendance financière et psychologique.

Le rapport représentait le point culminant de trois années de travail, au cours desquelles la CDC a mené plusieurs projets de recherche et de vastes consultations à l'égard de ces enjeux. Tout au long du processus, comme c'est le cas dans d'autres projets de la Commission, notre but consistait à aborder des enjeux axés sur la réforme du droit en examinant tout d'abord la façon dont les Canadiens vivent le droit et la façon dont la société et les valeurs ont évolué et, par la suite, la façon de combler l'écart entre le droit et la réalité. Notre rôle consistait à étudier la question et à formuler nos recommandations. Il était manifeste pour la Commission que la nature des relations étroites entre adultes dans la société avait évolué de façon importante au fil des ans et que le mariage et la conjugalité, utilisés pendant un long moment comme marqueurs de l'interdépendance psychologique et financière, n'étaient plus les seuls indicateurs de l'interdépendance.

La Commission a conclu que les Canadiens ont un grand nombre de relations étroites de nature personnelle entre adultes. Bon nombre d'entre eux sont mariés ou vivent avec un conjoint, tandis que d'autres peuvent partager une maison avec des parents, des grands-parents ou des aidants membres de la famille. Actuellement, le droit canadien soutient et reconnaît les relations étroites de nature personnelle entre adultes; toutefois, il a mis l'accent sur les relations conjugales à l'exclusion des autres. La Commission du droit du Canada a souligné en particulier que les gouvernements réglementent et reconnaissent les relations de nature personnelle entre adultes de deux façons distinctes. Il est important d'établir une distinction entre ces deux rôles.

Tout d'abord, par l'entremise de plusieurs lois, le gouvernement offre des avantages ou impose des obligations en fonction des relations. Ces lois visent à reconnaître l'interdépendance financière et psychosociale qui caractérise souvent les relations de nature personnelle entre adultes. Par exemple, les dispositions sur le roulement de la Loi de l'impôt sur le revenu facilitent les transactions entre les couples afin de reconnaître et de soutenir leur interdépendance financière.

Afin de soutenir davantage les objectifs, qui consistent à servir les diverses relations existantes, la Commission du droit du Canada recommande au gouvernement d'examiner de nouveau ces lois. Le chapitre 3 du rapport décrit en détail cette approche.

[Français]

Le second rôle des gouvernements est examiné dans le chapitre 4 du rapport. Il s'agit pour l'État de permettre aux citoyens et citoyennes d'organiser leur rapport de façon à répondre aux besoins de stabilité et de certitude. Dans ce chapitre, la Commission du droit examine divers mécanismes permettant de reconnaître publiquement l'étroite relation existant entre des personnes concernant les relations non conjugales, comme par exemple des frères et des sœurs vivant ensemble ou encore un parent âgé vivant avec un enfant adulte. La Commission du droit recommande que les gouvernements mettent sur pied des systèmes permettant l'enregistrement de ces relations. L'enregistrement pourrait aussi être possible dans les rapports conjugaux. Un tel système d'enregistrement, complètement volontaire, formaliserait publiquement une relation et viendrait définir les droits et obligations des personnes impliquées dans une relation sur la base des besoins particuliers de ladite relation.

Par la suite, la Commission du droit a examiné le mariage comme mécanisme pour reconnaître une relation personnelle étroite. À ce sujet, la commission a étudié les possibilités suivantes, essentiellement quatre : le maintien du statu quo; la création d'un système d'enregistrement pour remplacer le mariage, autrement dit que l'État sorte du mariage et le laisse aux communautés religieuses; l'existence d'un mariage civil juridique et d'un mariage religieux non juridique; et finalement, l'élargissement du mariage aux personnes du même sexe.

La Commission du droit du Canada a conclu en 2002 que la meilleure solution était cette dernière. Elle a écarté les autres possibilités pour les raisons suivantes : d'abord si l'état opte pour le remplacement du mariage par l'enregistrement, à savoir l'abandon de la consécration du mariage aux confessions religieuses, cela empêcherait certains couples d'exercer un choix qui leur tient à cœur, à savoir le mariage civil. Notre rapport conclut qu'il est important d'offrir plus et non moins de choix dans une société de plus en plus diversifiée.

À cet égard, la commission a noté que les cérémonies de mariage civil constituent une proportion croissante des mariages célébrés au Canada. La commission a ensuite examiné l'option du mariage civil, c'est-à-dire l'exclusion de l'autorité religieuse de la définition légale de mariage. Dans cette optique, les confessions religieuses continueraient à célébrer le mariage mais il n'aurait pas d'effet juridique sauf après enregistrement devant une autorité civile. C'est ce qui se fait dans de nombreux pays, notamment en France. La commission n'a pas retenu cette solution parce qu'elle était d'avis qu'elle obligerait les gens qui tiennent à une cérémonie religieuse à prendre les mesures pour une cérémonie devant l'autorité civile, ce qui nécessite un surcroît de temps ainsi qu'une mise en disposition par l'État du personnel et les installations nécessaires.

La commission a retenu la solution d'élargir le mariage entre personnes de mêmes sexes. Elle a tenu à ce sujet le raisonnement que vous trouverez dans le rapport. Il y a divers points de vue au sujet des mariages homosexuels et cette question est très émotive. C'est ce que la commission a reconnu. Pour les couples homosexuels qui souhaitent se marier, l'interdiction des mariages homosexuels représente le rejet de leur aspiration personnelle et l'absence de reconnaissance de leur identité. Ils sont d'avis que sans accès légal à l'institution du mariage, leur capacité de célébrer leur amour et leur vie sur la base de l'égalité était en péril. Ils ont le sentiment qu'on leur refuse un choix personnel fondamental.

À l'opposé, il y a ceux qui affirment, avec tout autant de passion, que le mariage a toujours été défini comme l'union d'un homme et d'une femme et qu'il devrait toujours en être ainsi. Pour les opposants au mariage entre personnes du même sexe, il s'agit de préserver une institution qui a résisté au temps, une institution sacrée.

Bien qu'un certain nombre d'organisations religieuses célèbrent aujourd'hui des cérémonies d'engagement pour les couples de même sexe, une part de l'opposition à l'extension du droit au mariage à ces couples découle de croyances religieuses. L'argument selon lequel le mariage devrait être réservé au couple hétérosexuel, de l'avis de la commission, ne peut être soutenu dans le contexte où les objectifs de l'État qui sous-tendent la réglementation contemporaine du mariage est de fournir un cadre ordonné dans lequel les couples peuvent exprimer leur engagement réciproque et accepter volontairement un éventail de droits et d'obligations juridiques.

L'intérêt de l'État en matière de mariage n'est nullement lié à la promotion de quelque conception que ce soit le rôle dit approprié des sexes, non plus que l'État réserve aux couples mariés la procréation et l'éducation des enfants. Les gens peuvent se marier même s'ils n'ont pas d'enfants ou n'ont pas l'intention d'en avoir. La commission ajoutait dans son rapport que le refus des mariages homosexuels viole ou non la charte — puisque c'était écrit, je vous le rappelle, en 2002 —, l'adhésion aux valeurs fondamentales d'égalité, de choix et de liberté de conscience et de religion exige d'éliminer les restrictions imposées au mariage homosexuel. Le statu quo renforce la stigmatisation que ressentent ces couples.

Enfin, concernant la relation entre le mariage civil et la religion, la commission a fait les observations suivantes : il est important aussi de souligner que le fait que la reconnaissance civile des mariages homosexuels n'altère en rien le droit des confessions religieuses de célébrer des cérémonies de mariage sans interférence de l'État et conformément aux valeurs et aux traditions de leur foi. Bien que l'État pourrait reconnaître les mariages de personnes du même sexe aux fins du mariage civil, il ne pourrait prendre position en matière de mariage religieux.

Comme c'est le cas maintenant, certaines organisations religieuses choisiraient de sanctifier les unions homosexuelles comme mariage, d'autres feraient l'inverse. De conclure que c'est un résultat qui devrait être célébré dans une société qui valorise le pluralisme, notamment le pluralisme religieux. Je vous remercie, et il nous fera plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Ringuette : Merci de votre présentation. Je suis à la page 131 de votre document qui a constitué votre conclusion de ce matin. Lorsque vous avez fait votre étude, pour arriver à ces conclusions, avez-vous fait l'analyse des conditions au mariage des différentes nominations religieuses au pays?

Mme Lorraine Pelot, Agent principal de recherche, Commission du droit du Canada : Nous avions tenu compte du fait que certaines religions reconnaissaient le mariage entre couples de même sexe et d'autres non, mais nous n'avons pas fait de sondage de toutes les religions.

Le sénateur Ringuette : Avez-vous dressé un tableau des conditions demandées par les différentes religions au pays concernant le mariage? Dans votre conclusion vous dites :

[Traduction]

Les conditions préalables à chaque type de mariage, religieux ou laïc, pourraient différer comme c'est souvent le cas aujourd'hui. Par exemple, comme on l'a déjà mentionné, l'Église catholique romaine ne permet pas le divorce et ne célèbre pas de mariage religieux lorsque l'un des deux conjoints est divorcé. Le droit canadien permet toutefois et le divorce et le remariage civil quelle que soit la religion des parties. C'est là un résultat qui devrait être célébré dans une société qui favorise le pluralisme religieux.

Vous avez observé les différentes religions au Canada, leurs conditions relatives au mariage religieux et les conséquences du divorce et d'un deuxième mariage. Au cours de ses trois années de recherche, je présume que la Commission du droit du Canada a mené un vaste examen des différentes religions, des conditions préalables au mariage et la façon dont elles affectent l'aspect civil avant de conclure qu'il s'agit là d'un résultat qui devrait être célébré dans une société qui valorise le pluralisme religieux.

Mme Pelot : Dans le rapport, nous établissons la distinction, comme nous l'avons fait tout au long du projet, selon laquelle l'État joue un rôle laïc dans la reconnaissance d'un mariage civil ou religieux. C'était différent du rôle que les religions jouaient en ce qui concerne leur reconnaissance et l'application de leurs propres règles en ce qui concerne la façon dont elles désiraient marier les gens. Nous n'avons pas analysé en détail la façon de faire de toutes les religions qui existent actuellement au Canada; nous avons simplement souligné quelques exemples où il y avait des distinctions entre ce que les religions et ce que l'État acceptaient comme des conditions préalables et qui n'existaient pas du côté juridique ou de l'État.

Le sénateur Ringuette : L'Église catholique romaine accepte certains divorces, en autant que vous prouviez que le mariage n'a pas été consommé, même si vous avez eu des enfants.

Le sénateur St. Germain : Parlez-vous d'une annulation?

Le sénateur Cools : Elle veut dire « annulation ». Ce n'est pas la même chose.

Le sénateur Ringuette : Une annulation ou un divorce, c'est la même chose. Si vous obtenez une annulation, vous pouvez vous remarier dans la foi catholique. Avez-vous tenu compte de ce fait?

Mme Pelot : C'est une exception à la règle générale. Nous ne déclarons pas être experts en une religion particulière, mais je tiens compte de votre point, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une exception à la capacité de se remarier dans l'Église catholique. Toutefois, nous avons mis l'accent sur le rôle de l'État en ce qui concerne les aspects civils du mariage. À cet égard, la Commission du droit du Canada a conclu que le rôle de l'État consistait à faciliter les relations harmonieuses entre adultes unis de façon intime et qui désirent s'acquitter d'obligations et de droits communs et à fournir un cadre juridique à cet égard.

Le sénateur St. Germain : Nous avons entendu parler du manque de considération concernant les répercussions de cet enjeu sur les enfants. Les experts qui ont comparu devant nous hier nous ont dit qu'on n'avait aucunement tenu compte des répercussions de ce projet de loi sur la famille nucléaire ou sur les enfants de notre société. En avez-vous tenu compte? Je crois que les droits des enfants doivent faire partie intégrante de vos préoccupations.

Le ministre responsable de ce projet de loi a témoigné devant le Comité lundi soir et a dit qu'il n'existe aucune organisation bien définie à l'échelle provinciale. On trouve diverses interprétations. Il existe diverses formes de protection pour les commissaires de mariage dans certaines administrations, tandis que d'autres, comme la Saskatchewan — et corrigez-moi si j'ai tort — ont dit que les commissaires de mariage feront ce que le gouvernement leur demande de faire, sans égard à leur foi.

La Commission du droit du Canada, en tant qu'organisme, appuie-t-elle ce projet de loi, et la façon dont ce dernier est présenté aux Canadiens, c'est-à-dire adopté comme il l'est, de force, à la fin d'une session? Certains indices portent à croire que le gouvernement n'est pas prêt à accepter des modifications ou qu'elles seront rejetées. La Commission du droit du Canada se préoccupe-t-elle du fait que les lois de notre territoire sont modifiées à l'échelle fédérale? Il ne semble pas y avoir une mesure de responsabilité à l'échelle fédérale pour s'assurer que les choses sont en ordre à l'échelle provinciale. L'officialisation du mariage est une responsabilité des gouvernements provinciaux. Est-ce que cela vous préoccupe, et avez-vous exprimé votre opinion à ce sujet?

J'ai un exemplaire de votre rapport, « Au-delà de la conjugalité ».

M. Le Bouthillier : Le rapport analyse les relations étroites de nature personnelle entre adultes et ne met pas l'accent sur les enfants. L'un des chapitres du rapport traite de la question du mariage entre conjoints de même sexe.

Évidemment, nous ne voulons pas commenter le processus, mais si la question consiste à savoir si le projet de loi est conforme aux recommandations de la Commission, énoncées dans le chapitre 4 de son rapport, le but visé par ce projet de loi est très conforme à nos recommandations, c'est-à-dire reconnaître le mariage entre conjoints de même sexe et adopter également les dispositions relatives à la liberté de religion.

Le sénateur St. Germain : Vous dites « est très conforme », mais qu'est-ce que cela signifie? Ce matin, nous avons entendu les témoignages de trois des principaux chefs religieux du pays, de foi islamique, catholique et évangélique. Ils ont présenté leur exposé et ont déclaré qu'ils sentaient qu'on les menaçait. Vous êtes supposés être les protecteurs de ce qui est bien et mal dans ce pays d'un point de vue légaliste, ce qui mène à la Constitution. Lorsque vous dites « est très conforme », pouvez-vous dire sans équivoque que la liberté de religion est entièrement protégée, non seulement la liberté de pratiquer sa religion, mais la liberté d'exprimer sa religion sur toutes les tribunes?

En tant que Commission, vous êtes supposés être les protecteurs du droit.

Mme Pelot : Le rôle de la Commission consiste à étudier le comportement des Canadiens et à les écouter, et nous avons probablement écouté les mêmes commentaires que les députés et vous avez entendus. En écoutant tous les points de vue, nous en sommes venus à la conclusion énoncée plus tôt, c'est-à-dire que le mariage devrait comprendre les couples de même sexe. Nous avons également mentionné que nous établissions un équilibre entre le droit à la liberté de religion et le droit de diverses confessions de marier les couples de la façon qu'ils jugent appropriée, comme ils le faisaient par le passé.

Comme vous l'avez souligné, nous ne sommes pas un groupe de défense des droits et nous ne sommes pas tenus de commenter la législation gouvernementale en soi. Il semble que le projet de loi, de même que la décision de la Cour suprême sur le renvoi, tente d'atteindre cet équilibre entre l'ouverture de l'institution du mariage aux couples de même sexe et le respect des pratiques de diverses religions. À ce titre, il semble être conforme à l'approche que nous avons également énoncée.

Le sénateur St. Germain : Avez-vous fait connaître votre interprétation du mariage?

Mme Pelot : Dans le cadre de notre projet, nous avons mené diverses études sur l'histoire du mariage. Au cours de nos consultations, nous avons analysé la signification du mariage. Nous avons entendu diverses personnes parler grandement de la signification de l'institution du mariage. Nous nous sommes par la suite concentrés plus particulièrement sur le rôle du mariage pour l'État, car c'est ce dont traitait notre rapport.

Pour nous, le rôle d'un État laïc dans le mariage consiste à fournir un cadre visant l'acceptation des divers droits et responsabilités entre adultes unis et créant des attentes à l'égard de ce qui surviendra dans ces relations conjugales.

Le sénateur Cools : Objection : les témoins n'arrêtent pas d'utiliser le terme « l'État », et son utilisation ne fait pas vraiment partie de la common law. Peut-être pourraient-ils expliquer ce qu'ils veulent dire par « l'État ». Qu'est-ce que l'« État »?

M. Le Bouthillier : Dans ce cas, ce serait le gouvernement fédéral à l'égard de la définition du mariage.

Le sénateur Cools : Par le mot « État », vous voulez dire le gouvernement. Pourquoi n'avez-vous pas dit « le gouvernement »? « L'État » ne veut pas dire le « gouvernement ».

M. Le Bouthillier : Le gouvernement, merci — le rôle des gouvernements. Si vous examinez les recommandations, nous utilisons en réalité le terme « gouvernement » et non « État ». Vous avez raison.

Le sénateur Cools : Ce terme « État » est utilisé de plus en plus souvent, et on ne sait pas vraiment ce qu'il signifie.

Le sénateur St. Germain : J'ai une dernière question : au cours de votre étude, avez-vous cherché ou tenté d'établir la véritable interprétation du mariage traditionnel comme étant l'union d'un homme et d'une femme et aviez-vous l'impression que l'on devrait protéger cette interprétation?

Mme Pelot : Nous avons examiné, comme je l'ai mentionné, la transformation historique de la signification du mariage au fil des ans. Certaines études révèlent que la signification a évolué de plusieurs façons au cours des années, notamment avant qu'elle ne soit reconnue par l'Église catholique au moyen entre autres de diverses cérémonies. Nous ne sommes pas des experts à ce sujet. Nous avons fait appel à des experts pour examiner cette question.

Par conséquent, nous avons considéré le terme comme un élément en évolution, mais nous nous sommes tournés vers le rôle des gouvernements pour le définir de façon juridique pour eux-mêmes et l'utilisation qu'ils en font.

Le sénateur St. Germain : Merci.

Le sénateur Milne : À la page 140 de votre rapport, vous discutez longuement de l'intérêt du gouvernement envers le mariage. Vous affirmez ce qui suit :

Une revue historique de la réglementation gouvernementale du mariage aide à mettre en lumière le fait que l'intérêt de l'État en matière de mariage n'est nullement lié à la promotion de quelque conception que ce soit de rôles dits « appropriés » des sexes. Non plus que l'État réserve aux couples mariés la procréation et l'éducation des enfants. Les gens peuvent se marier même s'ils ne peuvent pas avoir d'enfants ou n'ont pas l'intention d'en avoir. L'objet qui sous-tend la réglementation gouvernementale contemporaine du mariage est de fournir un cadre ordonné dans lequel les couples peuvent exprimer leur engagement réciproque et accepter volontairement un éventail de droits et d'obligations juridiques. Le droit tente également d'assurer, à la rupture d'une relation, la résolution ordonnée et équitable des affaires des conjoints.

Seriez-vous d'accord pour dire, simplement en élargissant la définition du mariage et en conservant la même structure d'obligations et de droits conjugaux, cela va, en réalité, montrer l'intérêt historique de l'État dans la réglementation du mariage? Par respect pour le sénateur Cools, je vais dire l'intérêt historique du gouvernement dans la réglementation du mariage. Est-ce que le fait d'élargir la définition modifierait cela?

M. Le Bouthillier : Oui, cela préservera le rôle du gouvernement, et, en fait, le rendra encore plus pertinent, car il examinera le mariage en tenant compte de la façon dont il a évolué dans la société. Le renvoi de la Cour suprême du Canada soulignait par la suite cette question lorsque les juges ont déclaré que le présumé consensus sur l'interprétation du mariage n'existait plus. La reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe dans bon nombre de provinces canadiennes et dans trois pays européens est contraire à la proposition selon laquelle ce terme n'a pas évolué et ainsi de suite.

Nous voulions précisément donner aux Canadiens l'occasion de choisir d'organiser leurs relations, entre autres le mariage, l'enregistrement et une union de fait en vertu des règles existantes. Le mariage représentait un choix, mais on avait l'impression que l'on devait élargir la définition du mariage afin qu'elle soit équitable pour tous les Canadiens.

Le sénateur Milne : Alors, ce n'est pas vrai que ce projet de loi, le projet de loi C-38, n'est qu'un exercice du rôle historique du gouvernement dans la réglementation du mariage?

M. Le Bouthillier : Ce projet de loi traite de la capacité juridique de marier « civilement » deux personnes. Cela dit, il tient également compte des préoccupations de la Commission, qu'elle a formulées en 2002, concernant la liberté de religion.

Le sénateur Milne : Cela mène directement à ma dernière question. Sur le plan juridique, est-il possible que le fait de permettre aux couples homosexuels de se marier civilement puisse affecter le mariage religieux?

M. Le Bouthillier : Encore une fois, chaque confession déterminera, selon ses propres règles religieuses, le genre de mariage qu'elle célébrera. C'est un mariage civil; pour ces confessions, c'est un mariage religieux.

Le sénateur Milne : Cela n'affecte d'aucune façon le mariage religieux?

M. Le Bouthillier : Il existe une multiplicité de mariages religieux. Ici, on parle du mariage civil.

[Français]

Le sénateur Joyal : J'aimerais vous référer à la page 141 de votre rapport.

M. Le Bouthillier : Vous faites référence à la version française ou anglaise?

[Traduction]

Vous avez parlé du renvoi à la page 62.

[Français]

Je me réfère à la page 142, dans la version française.

Je citerai, à la page 142, un extrait du premier paragraphe sur lequel j'aimerais attirer votre attention.

L'objet laïc du mariage est de fournir un cadre ordonné dans lequel les gens peuvent exprimer leur engagement réciproque, recevoir une reconnaissance et un soutien publics et accepter volontairement un éventail de droits et d'obligations juridiques. Le droit actuel ne reflète pas les faits sociaux : comme l'a reconnu la Cour suprême du Canada, la capacité de former des rapports conjugaux caractérisés par l'interdépendance affective et économique n'a rien à voir avec l'orientation sexuelle.

Vous donnez au soutien de ce paragraphe la référence 62 qui est la cause M c. H.

Dans cette cause, il me semble que la Cour suprême a défini la conjugalité. Cela a été une des questions référée par certains témoins ce matin, selon laquelle la conjugalité n'avait pas été définie et qu'elle demeurait une question floue. C'était, entre autres, la position du cardinal Ouellet. Il a invité le législateur et les tribunaux à se pencher sur cette question.

Si je réfère à la cause M c. H, à laquelle vous référez pour soutenir cette affirmation, il me semble que la conjugalité au Canada maintenant, du moins tel que la Cour suprême l'a définie en 1999, a une portée qui est relativement claire. Si je lis le paragraphe 59 de la décision de la Cour suprême, elle réfère à une cause de l'arrêt Molodovich c Pettinen de l'Ontario. La Cour suprême mentionne que la cause Molodovich énonce — une cause relativement ancienne de 1980 — les caractéristiques généralement acceptées de l'union conjugale, soit le partage d'un toit, les rapports personnels et sexuels, les services, les activités sociales, le soutien financier, les enfants et aussi l'image sociétale du couple. Toutefois, il a été reconnu que ces éléments peuvent être présents à des degrés divers et que tous ne sont pas nécessaires pour que l'union soit tenue pour conjugale.

S'il est vrai que l'image sociétale des couples de même sexe ne fait pas nécessairement l'objet d'un consensus, on s'entend pour dire qu'ils ont en commun bon nombre des autres caractéristiques conjugales. Pour être visé par la définition, ni les couples de sexe différent ni les couples de même sexe n'ont besoin de se conformer parfaitement au modèle matrimonial traditionnel afin de prouver que leur union est conjugale.

Au paragraphe suivant, la cour continue en disant que les tribunaux ont eu la sagesse d'adopter une méthode souple pour déterminer si une union est conjugale. Il doit en être ainsi parce que les rapports dans les couples varient beaucoup. La cour d'appel, dans les circonstances, a eu raison de conclure que rien ne donne à penser que les couples de même sexe ne satisfont pas aux exigences de la définition juridique du mot conjugal.

En d'autres mots, si je comprends ce que la Cour suprême a dit dans cette cause qui référait à une définition de la conjugalité qui remontait à 1980, il n'est pas nécessaire que tous les éléments que l'on tient habituellement comme étant des éléments qui sont inclus dans la notion de conjugalité doivent coexister en même temps pour que l'union soit reconnue comme conjugale.

Est-ce qu'à votre avis, le contexte à l'intérieur duquel le mariage civil se définit actuellement, correspond parfaitement à la définition de conjugalité comme la Cour suprême l'a déterminée en 1999? En d'autres mots, la définition actuelle de l'union du mariage civil, est-elle relativement souple pour inclure tous les aspects de la notion de conjugalité que la Cour suprême avait définie en 1999?

M. Le Bouthillier : Je pense que vous avez raison de dire et de préciser que la question de la définition de la conjugalité est un ensemble de facteurs et pas nécessairement comme a dit la cour tous les facteurs, il peut y avoir des agencements différents.

Par exemple, sous la récente loi de l'immigration et du statu de réfugié que le Parlement a adoptée, on a aussi le concept dans la réglementation de partenaire conjugal. Cela va dans la même direction que vous avez invoquée, par rapport à la définition d'un partenaire conjugal. Ce sont les mêmes types de facteur que nous retrouvons dans l'affaire M c. H.

Par ailleurs, le mariage civil a une importance différente. Il vient formaliser et reconnaître publiquement une relation, formellement et par conséquent, en réalité, il y a un élément de certitude qui n'existe pas toujours dans la simple conjugalité où il n'y a pas un acte formel en droit parce qu'effectivement, la conjugalité est de mesurer, de regarder un ensemble de facteurs, de les mettre dans la balance et de dire est-ce un couple conjugal? Quand un couple se marie, c'est le droit qui parle, c'est l'acte formel. C'est là où il y a une différence. Le simple concept de conjugalité apporte une précision et une certitude à une relation. Ce concept aide beaucoup, par exemple, dans une situation où quelqu'un voudrait parrainer de l'étranger son partenaire conjugal qui ne serait pas marié, on se demanderait : est-ce qu'il y a vraiment un couple? On regarderait les critères que vous avez évoqués mais lorsque les personnes sont mariées, c'est différent.

Mme Pelot : Je suis d'accord et d'ailleurs, c'est une question d'une différence entre les fonctions des personnes dans la vie et leur statut. C'est vraiment le fondement de notre rapport dans son ensemble. C'est d'aller aussi dans les autres chapitres, au-delà de la conjugalité, c'est-à-dire que les couples conjugaux ont certaines fonctions à accomplir, notamment l'interdépendance émotionnelle et économique et qu'il y a d'autres types de rapport personnel entre adultes qui ont ces mêmes fonctions et qui devraient parfois être reconnues dans la loi.

Le sénateur Joyal : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Cools : Bienvenue au comité. Je n'ai pas lu votre rapport « Au-delà de la conjugalité » récemment, mais j'en ai déjà discuté avec votre ex-présidente, Natalie Desrosiers, et je le connaissais bien à ce moment. Je ne suis pas d'accord avec la majeure partie du contenu du rapport et je le considère comme une apologie du mariage entre conjoints de même sexe.

Je ne suis pas d'accord avec le fait que vous utilisiez le terme « État ». Il ne s'agit pas d'un terme normalement utilisé dans le contexte de la common law. On peut parler de ministères d'État ou de funérailles d'État. Lorsqu'on l'utilise de la même façon que M. Trudeau l'utilisait, ce terme signifie le pouvoir coercitif du gouvernement.

Le sénateur Austin : Pas du tout.

Le sénateur Cools : Si vous pouvez me donner un exemple d'une autre utilisation de ce terme, je serais très heureuse de l'entendre, sénateur Austin.

Le sénateur Austin : Il a utilisé le terme « État » comme un terme normatif qui n'a aucune valeur.

Le sénateur Cools : Qu'est-ce que ça veut dire?

Le sénateur Austin : Ça signifie l'entité politique à laquelle contribue la société en ce qui a trait à la coopération commune et au règlement des intérêts et des problèmes.

Le sénateur Cools : Si je disais que le ministère de la Justice est un ministère d'État, cela ne signifie pas ce que vous venez de dire.

Le sénateur Austin : Non, mais tous les ministères appartiennent à l'État. Nous sommes tous membres d'un État.

Le sénateur Cools : C'est différent.

Le sénateur Austin : Mon point, c'est que le mot « État » n'a pas de valeur négative.

Le sénateur Cools : Je n'ai pas dit que c'était le cas.

Le sénateur Austin : C'est un terme politique normatif.

Le sénateur Cools : Je dis que ce n'est pas un terme généralement employé dans la common law pour désigner les gouvernements. L'emploi usuel, c'est « ministère d'État », « affaires d'État », « chefs d'État » et ainsi de suite. Il n'est pas couramment utilisé dans ce sens.

On peut en débattre à un autre moment.

Le sénateur Austin : Je suis d'accord avec vous, la discussion ne va nulle part.

Le sénateur Cools : Toutefois, son emploi est généralisé. Si je me rappelle bien, le terme « État » signifie de nombreuses choses différentes. Quelquefois, cela veut dire Parlement, et d'autres fois, gouvernement, mais ce n'est pas l'emploi correct.

Comme je le disais, mon opinion sur l'histoire du mariage, c'est que le gouvernement n'a pas vraiment réglementé le mariage, car il a laissé cette question au droit civil, au droit canon, en grande partie en raison de l'existence d'une certaine courtoisie entre les systèmes de droit. C'est l'une des raisons pour lesquelles, par exemple, le Parlement n'a pas grandement légiféré en vertu du paragraphe 91(26). C'est la façon dont je le vois. Je pourrais me tromper, mais je ne crois pas que ce soit le cas.

En tout cas, j'aimerais maintenant vous poser des questions concernant trois aspects de la question et je vais vous les poser en ces termes. Dans votre introduction à la page xix, vous dites ce qui suit :

Remplacement du mariage par l'enregistrement.

Un régime d'enregistrement pourrait servir à remplacer le mariage comme institution juridique.

Dans le même paragraphe, vous continuez et vous dites un peu plus loin :

Nous concluons que, bien qu'un débat plus approfondi sur le rôle approprié de l'État en matière de mariage soit utile, l'élimination du mariage comme mécanisme juridique pour exprimer un engagement dans un rapport personnel n'est pas susceptible, à l'heure actuelle, de constituer une option attrayante pour la majorité de la population canadienne.

Pouvez-vous m'expliquer ce que cela signifie? C'est dans le sommaire.

L'autre question concerne ce qui suit : vous appuyez fortement le mariage entre conjoints de même sexe, car vous dites, à la fin de ce chapitre, que l'État :

[...] devrait élargir l'éventail des rapports recevant ce genre de reconnaissance et de soutien de l'État par le biais de la création d'un régime d'enregistrement et de la légalisation du mariage homosexuel.

Je considère que vous tentez de créer une sorte de justification légale pour le mariage entre conjoints de même sexe. Ce rapport a été rédigé il y a quelques années. La première question c'était : « Que voulez-vous dire à la page xix? »

L'autre question concerne ces régimes d'enregistrement. J'ai cru comprendre que, dans les pays où les systèmes d'enregistrement existaient, les couples homosexuels ne les utilisaient pas. Je l'ai lu dans votre rapport, si je peux le trouver. Je ne l'ai pas lu depuis un bon moment.

Pourquoi proposeriez-vous de mettre en place un régime d'enregistrement pour par la suite souligner que les couples homosexuels d'autres administrations ne l'utilisaient pas?

Le premier énoncé concerne l'enregistrement plutôt que le mariage, et l'autre, le non-recours à ce régime dans les administrations où il était en place.

M. Le Bouthillier : Je vais laisser Mme Pelot répondre. Je peux parler plus tard si vous le souhaitez.

Mme Pelot : Le commentaire formulé dans le sommaire, selon lequel le fait d'avoir uniquement un système d'enregistrement et d'éliminer le mariage en tant qu'option juridique représente un choix peu attrayant, correspond au point soulevé par M. Le Bouthillier au début de ses commentaires. Actuellement, il existe certaines formes de mariage que l'on reconnaît sur le plan juridique, par exemple le mariage civil, et qui pourraient être retirées sous divers régimes. Un système d'enregistrement constituerait la forme de reconnaissance juridique, éliminant par conséquent le mariage civil, mais puisque bon nombre de personnes cherchent à obtenir cette forme de reconnaissance juridique, on éliminerait un choix pour les personnes. Notre approche consiste à maximiser les choix.

Le sénateur Cools : Je comprends ce que cela signifie. Je tentais de comprendre pourquoi vous aviez écrit cette conclusion. La Commission du droit du Canada conclut que le mariage devrait être éliminé en tant que mécanisme juridique pour ensuite énoncer que nous ne devrions peut-être pas le faire, car bon nombre de personnes n'apprécieraient pas.

M. Le Bouthillier : Nous voulions simplement présenter toutes les options. Notre recherche a révélé que, par exemple, en Colombie-Britannique, la majorité des mariages sont des mariages civils. Toutefois, l'exercice consistait à présenter les diverses possibilités pour nous assurer que nous n'arriverions pas ici en disant que nous avions seulement examiné une option.

De plus, si vous jetez un coup d'œil au rapport, il se fondait vraiment sur des choix. L'autonomie des personnes, des couples, des adultes qui entretiennent une relation étroite de nature personnelle représente le fondement de ce rapport. C'est pourquoi le chapitre 4 n'est que l'un des enjeux dont nous avons tenu compte. J'espère vraiment que les sénateurs reliront les autres chapitres.

La présidente : Sénateur Cools, votre temps est écoulé.

Le sénateur Cools : J'ai lu le rapport assez attentivement lorsque j'ai débattu de la question avec votre présidente. C'était un débat assez long. Lorsque vous dites que vous avez examiné les options, je me demande comment l'abolition du mariage en tant qu'institution juridique pourrait être considérée comme une option. J'aurais aimé que vous répondiez à cette question.

La deuxième question à laquelle vous n'avez pas répondu concerne les administrations qui ont eu recours à un régime d'enregistrement.

La présidente : Nous lui donnerons le temps de répondre à la question, mais votre temps pour poser des questions aux témoins est écoulé.

Le sénateur Cools : Apparemment, il n'est pas utilisé par les couples homosexuels.

Mme Pelot : En fait, nous avons rencontré une personne dans une université pour analyser les divers systèmes d'enregistrement offerts à cette époque partout dans le monde. Il y avait certains systèmes d'enregistrement ouverts aux couples, en particulier aux couples homosexuels, mais les données révélaient — même si les systèmes n'étaient pas en place depuis très longtemps — qu'il n'y avait pas beaucoup de couples homosexuels qui s'en servaient. À ce moment, on demandait pourquoi c'était comme ça. Les systèmes n'étaient pas en place depuis assez longtemps pour que l'on puisse répondre à la question. À l'heure actuelle, on a peut-être réalisé quelques travaux à ce sujet.

Le sénateur Cools : Ils ont été mis en place il y a de nombreuses années.

[Français]

Le sénateur Chaput : Je veux parler de la question de sexualité. La base du défi qui se pose présentement à nous, de toutes ces émotions qui circulent, c'est la question de la sexualité. Autrement dit, comment on choisit d'exprimer sa sexualité et avec qui on le fait. Interviennent, évidemment, les différentes religions qui peuvent accepter ce comportement ou le rejeter, dépendamment de leurs croyances religieuses.

Dans votre recherche, version française, page 23, vous parlez de la liberté de conscience et de religion, et de la Charte canadienne des droits et libertés qui a

[...] consolidé en partie en garantissant la liberté de conscience et de religion et en interdisant la discrimination religieuse.

À la page 24, toujours, de la version française, en haut de la page :

Ainsi, une majorité religieuse ou l'État à sa demande ne peut, pour des motifs religieux, imposer sa propre conception de ce qui est bon et vrai aux citoyens qui ne partagent pas le même point de vue.

Ceci m'amène à la considération suivante : au Canada, il y a au moins une trentaine de religions. On me dit qu'environ 20 p. 100 de ces religions acceptent le mariage homosexuel. Conséquemment, la liberté de religion est très importante. Il y a des religions qui l'acceptent, des religions qui ne l'acceptent pas et c'est leur droit.

À votre avis, le projet de loi que nous avons présentement devant nous, qui recommande une extension au mariage civil et non pas au mariage religieux, permet-il toujours la liberté de religion pour que, à titre d'exemple, ces 30 différentes religions acceptent ou non le mariage homosexuel, toujours selon leurs croyances?

Est-ce que la liberté de religion est toujours là?

M. Le Bouthillier : La liberté de religion est protégée par la Charte. D'ailleurs, le préambule du projet de loi fait référence à ces éléments et à la Charte.

Il est intéressant, également, de voir le renvoi de la Cour suprême du Canada qui indiquait qu'il peut se produire des conflits apparents entre certains droits conférés par la Charte. Toutefois, lorsqu'on fait un examen prudent où l'on cherche la réconciliation des droits, la cour était d'avis qu'il se produisait rarement un véritable conflit.

On cherche l'équilibre. Telle est l'intention de la commission et, je présume, celle de tous les sénateurs et parlementaires. Notre charte possède, à la fois, un concept fondamental d'égalité et de liberté de religion. À travers le monde, on a incorporé ces dispositions aux instruments législatifs et on les a conciliés. Je crois qu'il en sera de même au Canada.

Dans le contexte de ce renvoi, la Cour suprême dit également qu'elle protégera fortement la liberté de religion. Voilà donc l'intention qui se dégage.

Mme Pelot : Pour les religions qui désirent célébrer le mariage entre couples de même sexe, on pourrait renforcir la liberté de religion avec un projet de loi protégeant également la reconnaissance de ces mariages, par opposition à une définition selon laquelle de telles cérémonies du mariage ne sont pas reconnues juridiquement.

Le sénateur Nolin : J'aimerais, dans un premier temps, que nous nous penchions sur votre recommandation 31 qui traite du régime d'enregistrement. Je dois vous avouer que je n'ai pas lu votre rapport au complet. La réponse à ma prochaine question s'y trouve peut-être.

Ce régime d'enregistrement découlerait de quelle compétence? Est-ce le fédéral ou les provinces qui auraient cette responsabilité?

M. Le Bouthillier : Dans le rapport, nous avons noté que la conception d'un tel régime d'enregistrement poserait certes plusieurs questions à considérer. À ce titre, j'aimerais attirer votre attention à la page 132 de la version française de notre rapport. Au deuxième paragraphe, on peut lire ce qui suit :

Le fait d'adopter un régime fédéral d'enregistrement comporte d'importantes implications intergouvernementales. Le champ de compétence du gouvernement fédéral pour mettre en œuvre un régime d'enregistrement est limité.

D'ailleurs, le renvoi de la Cour suprême démontre également que l'implication du gouvernement fédéral serait très limitée. On a donc reconnu cette difficulté.

Le sénateur Nolin : Vous admettez qu'il s'agit d'une recommandation très logique mais difficilement réalisable au Canada.

M. Le Bouthillier : Cette recommandation n'assurerait pas nécessairement l'uniformisation. Le renvoi de la Cour suprême dit également, au paragraphe 69, que l'uniformité du droit est essentielle.

À mon avis, cette uniformité n'est réalisable que si on accepte comme prémisse l'élargissement du mariage.

Le sénateur Nolin : L'idée est bonne et réaliste dans d'autres pays, mais au Canada elle est presque impossible à réaliser.

M. Le Bouthillier : Chaque province pourrait...

Le sénateur Nolin : Comment alors atteindre l'uniformité?

M. Le Bouthillier : Je suis d'accord avec vous au niveau de l'uniformisation.

Le sénateur Nolin : On créerait une commission fédérale qui, comme aux États-Unis, verrait à uniformiser le droit criminel?

M. Le Bouthillier : On pourrait aspirer à un fédéralisme de collaboration.

Le sénateur Nolin : J'appuie cette notion.

M. Le Bouthillier : Il existe différentes options. Une province pourrait permettre un système d'enregistrement. D'ailleurs, le facteur d'uniformisation serait le respect de notre constitution incluant la Charte. Ce cadre impose quand même certaines limites.

Le sénateur Nolin : J'aimerais m'arrêter d'avantage sur la question de la juridiction provinciale, comme il est fait mention au paragraphe 92, les conflits de loi et l'uniformisation du respect des droits des conjoints. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la Cour suprême a indiqué que l'uniformisation était essentielle.

M. Le Bouthillier : Du point de vue du mariage.

Le sénateur Nolin : Car on ne peut pas avoir différents types de régimes.

M. Le Bouthillier : En effet.

Le sénateur Nolin : À la page 143 de votre rapport, votre recommandation 33 se lit comme suit :

Le Parlement et les législatures provinciales et territoriales devraient graduellement retirer de leurs lois les restrictions sur le mariage entre deux personnes de même sexe.

Le terme « graduellement » m'intrigue. Comment peut-on graduellement retirer des lois une restriction?

Mme Pelot : Ayant fait partie des discussions tout au long de ce projet, je me permettrai de répondre à votre question.

On faisait référence au fait que plusieurs débats, comme celui d'aujourd'hui et ceux que nous avons depuis l'an 2000, seraient nécessaires. Le sujet en est un d'actualité. Par conséquent, des débats non seulement politique mais également avec les membres du public et entre les divers niveaux de gouvernement sont indispensables. L'idée était donc de reconnaître cet aspect social de l'enjeu.

Le sénateur Nolin : Votre recommandation mériterait sans doute d'être réécrite, car, à mon avis, l'idée véhiculée n'est pas très claire.

Mme Pelot : J'en conviens.

Le sénateur Nolin : On ne peut avoir un certain nombre d'individus ayant des droits et d'autres qui prétendent avoir des droits acquis sans toutefois les avoir.

Mme Pelot : Je suis d'accord.

M. Le Bouthillier : Nous dépassons maintenant le cadre de notre recommandation.

Le sénateur Prud'homme : Nous vivons dans une société différente de celle d'autrefois. Toute ma vie, je me suis battu et je me défendrai jusqu'à la fin, politiquement, pour que chaque Canadiens et Canadiennes ait des droits et des avantages égaux devant la loi.

Peut-on être à la fois égal et différent?

On dit que le Québec est une société distincte. J'y crois profondément, tout comme l'honorable sénateur Nolin. Nous sommes et nous nous considérons égaux à tous les autres Canadiens. Toutefois, nous sommes à la fois distincts et égaux.

N'aurait-on pas pu trouver une formule, dans le cadre du projet de loi C-38, qui offre tous les avantages?

La question est intergénérationnelle. Les personnes âgées acceptent l'égalité dans les couples entre hommes et femmes. Les jeunes, pour leur part, ne voient pas d'inconvénients à ce que deux hommes et deux femmes puissent se marier et bénéficier des mêmes avantages.

N'existe-t-il pas une autre solution que celle proposée dans le projet de loi C-38? Car veuillez me croire ce projet de loi nous déchirera pour des années à venir.

M. Le Bouthillier : Pour aboutir à l'égalité réelle il faut différents droits, effectivement, on peut l'envisager. Par ailleurs, lorsqu'on dit qu'on veut avoir les mêmes droits et obligations pour tous dans un contexte particulier, je pense qu'il faut la même formule. Vous avez raison de dire, qu'en droit, on reconnaît dans certains cas, qu'il faut avoir différents types d'agencement de droits pour avoir une égalité réelle. Faut-il chercher les mêmes droits et obligations pour les couples quels qu'ils soient? La position de la commission est qu'il faille chercher la formule.

Le sénateur Prud'homme : Au mot « mariage », il n'y n'a pas d'égalité, seulement le mot « mariage » doit être employé. C'est ce qui excite tout le monde.

M. Le Bouthillier : Il y a le mariage pour tous et d'autres options pour ceux qui ne voudraient pas choisir le mariage. Essentiellement, tout le monde a une option, que ce soit le système d'enregistrement dans cette voie qui est peut-être plus difficile comme le sénateur Nolin l'a remarqué.

La présidente : Je remercie nos témoins d'être venus nous rencontrer.

M. Le Bouthillier : Nous vous remercions.

La séance est levée.


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