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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 25 - Témoignages du 23 novembre 2005


OTTAWA, le mercredi 23 novembre 2005.

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-49, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes) se réunit aujourd'hui à 16 h 35 pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous étudions aujourd'hui le projet de loi C-49, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes). Le ministre se joindra à nous bientôt. Nous accueillons du ministère de la Justice, Mme Carole Morency, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal. C'est d'abord Mme Morency qui prendra la parole et, si elle n'y voit pas d'inconvénient, ce sera au tour du ministre dès qu'il arrivera. Je crois que le ministre doit retourner à la Chambre parce qu'il doit participer à un vote ou à une réunion d'un comité ministériel.

Carole Morency, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Je vous remercie, madame la présidente. C'est le ministre qui fera la déclaration préliminaire. Si c'est ce que souhaitent les membres du comité, je répondrai volontiers à leurs questions d'ordre technique sur le projet de loi C-49.

Le sénateur Milne : On m'a confié la tâche de piloter ce projet de loi au Sénat puisque le sénateur Jaffer est absente cette semaine. J'ai certaines préoccupations qui sont liées à la base de données sur les délinquants sexuels ainsi que sur les échantillons de matériel génétique. Si je ne m'abuse, le projet de loi définit la « traite » comme une activité qui peut avoir lieu pour d'autres raisons que des raisons sexuelles et notamment fournir une main-d'œuvre à bon marché.

Je me demande s'il convient d'inscrire le nom de certaines personnes sur la liste des délinquants sexuels lorsqu'elles s'adonnent à la traite des personnes pour fournir une main-d'œuvre bon marché à un atelier clandestin.

Mme Morency : Comme vous le faites remarquer, le projet de loi C-49 propose d'ajouter le nom des personnes reconnues coupables de l'infraction de traite des personnes au registre des délinquants sexuels et à la banque de données génétiques.

Il est vrai que ceux qui s'adonnent à la traite des personnes ne le font pas nécessairement à des fins d'exploitation sexuelle. Ils peuvent le faire dans le but de contraindre certaines personnes à du travail forcé. Voilà pourquoi l'infraction principale est définie de la façon dont elle est définie dans le projet de loi. Il n'en demeure pas moins que ces deux types d'infractions sont semblables et comportent les mêmes conséquences pour la victime, à savoir que celle-ci se trouve dans une situation d'esclavage et est contrainte de fournir ses services. Il s'agit d'un crime grave contre la personne. Par ailleurs, la banque de données génétiques ne contient pas seulement des données sur les délinquants sexuels. Pour ce qui est du registre des délinquants sexuels, nous constatons que les accusations qui sont portées actuellement en vertu du Code criminel dans le cas de traite de personnes sont liées aux infractions sexuelles.

Nous avons voulu définir la plus grave des trois infractions pour que les deux autres puissent être incluses dans cette définition et pour ainsi fournir un autre outil aux organismes d'application de la loi pour leur permettre de sévir contre les coupables de la traite de personnes.

Le sénateur Milne : Savons-nous pourquoi les personnes reconnues coupables de traite de personnes à des fins autres que l'exploitation sexuelle devraient figurer sur la liste des délinquants sexuels? Ces personnes seraient ainsi considérées comme des délinquants sexuels notoires lorsqu'elles ne le sont pas. Elles seraient coupables de traite de personnes mais non d'exploitation sexuelle.

Mme Morency : L'ajout du nom d'une personne reconnue coupable de traite de personnes à la liste des délinquants sexuels se justifie de la même façon que l'ordonnance générale à cette fin. Les mêmes arguments pourraient être invoqués en faveur et contre l'inscription au registre des délinquants sexuels.

Le sénateur Milne : Par qui?

Mme Morency : Par le tribunal.

Le sénateur Milne : Ce n'est pas la réponse que je voulais entendre, mais je poserai aussi la question au ministre lorsqu'il arrivera.

Le sénateur Ringuette : Savez-vous combien d'accusations semblables ont été portées devant les tribunaux canadiens au cours des dernières années?

Mme Morency : Des accusations de traite de personnes peuvent être portées au Canada de deux façons. Elles peuvent d'abord l'être en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, et des accusations de cette nature ont été portées en avril de cette année à Vancouver.

Le Code criminel prévoit déjà des infractions qui visent certains aspects de la traite de personnes comme l'enlèvement et bon nombre des infractions de nature sexuelle comme le proxénétisme. De mars 2004 à février 2005, il ressort de la jurisprudence portant sur ces dispositions qu'au moins 31 personnes ont été accusées d'infractions liées à la traite de personnes. Ces accusations se sont soldées par 19 condamnations et 12 affaires sont toujours en suspens.

Le Code criminel permet actuellement d'intenter des accusations dans un certain nombre de cas, mais pas dans tous. À titre d'exemple, les accusations qui ont été jusqu'ici portées en vertu du Code criminel avaient davantage trait à la traite de personnes à l'intérieur du pays.

L'infraction de traite de personnes prévue dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés s'applique à la traite transfrontalière. Il s'agit donc d'une infraction de nature internationale.

Certaines accusations ont été portées en vertu de cette loi. Certaines se sont soldées par des condamnations et d'autres affaires sont toujours en suspens. Le projet de loi C-49 nous permettrait de traiter de tous les aspects de la traite de personnes par l'entremise du Code criminel. La traite de personnes est l'infraction principale et elle tient pleinement compte de l'exploitation de la victime et des conséquences de cette exploitation. Il s'agit d'une autre approche que celle qui est adoptée en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Dans ce cas, l'exploitation de la victime est vue comme un facteur aggravant aux fins du prononcé de la peine.

Le sénateur Ringuette : Pour ce qui est des 19 accusations que vous avez mentionnées, existe-t-il un lien entre les accusations portées et celles qui ont été retenues par les tribunaux? L'exploitation sexuelle constituait-elle un aspect de ces accusations? Y a-t-il un lien entre la traite des personnes en soi et le projet de loi précédent en ce qui touche les délinquants sexuels? Pourquoi traitons-nous de ces questions dans ce projet de loi? Il doit bien y avoir une raison.

Mme Morency : Comme je l'ai dit, les accusations portées en vertu du Code criminel qui nous semblent liées à la traite des personnes visaient jusqu'ici des infractions sexuelles comme le proxénitisme et les agressions sexuelles.

Quant à la question précédente que vous posiez, le projet de loi C-49 propose que le nom des personnes reconnues coupables de l'infraction de traite de personnes soit inclus à la partie facultative et non obligatoire du registre. Si le coupable de l'infraction est reconnu coupable également d'exploitation sexuelle de la victime, la Couronne peut demander que son nom soit inscrit au registre des délinquants sexuels, mais ce n'est pas obligatoire qu'il le soit. Le nom n'est pas inscrit au registre si le tribunal en décide autrement. Il n'est pas obligatoire qu'il le soit et cette demande ne sera faite que lorsqu'il y a exploitation sexuelle.

Le sénateur Milne : De quel article du projet de loi s'agit-il?

Mme Morency : De l'article 6.

La présidente : Bienvenue monsieur le ministre. Pendant combien de temps pouvez-vous être des nôtres?

L'honorable Irwin Cotler, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Jusqu'à ce que retentisse la sonnerie qui nous appelle au prochain vote.

La présidente : Veuillez commencer, monsieur le ministre.

M. Cotler : Vous avez eu la chance de pouvoir parler avec la spécialiste du sujet, Mme Morency. Elle connaît à fond le domaine.

[Français]

M. Cotler : Madame la présidente, il me fait plaisir d'être ici aujourd'hui au sujet du projet de loi C-49, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes).

[Traduction]

Peu après que j'aie été nommé ministre de la Justice et procureur général du Canada, j'ai indiqué que la traite de personnes serait l'une de mes priorités et ce l'est toujours. J'en ai fait une priorité parce que la traite de personnes, qu'on appelle souvent aujourd'hui le commerce mondial des esclaves, constitue une violation criminelle persistante et répandue des droits les plus fondamentaux de la personne, soit les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne.

[Français]

Comme je l'ai signalé lors de mes comparutions précédentes devant le présent comité et ailleurs, j'ai toujours cru que la véritable mesure de l'engagement d'une société à l'égard des principes de l'égalité et de la dignité humaine se traduit dans la façon dont elle protège ses membres les plus vulnérables.

[Traduction]

Ce sont les personnes les plus vulnérables de notre société, à savoir les femmes et les enfants, qui risquent le plus d'être victimes de la traite des personnes. Le projet de loi C-49 vise donc à protéger ceux qui sont les plus vulnérables dans notre société. Notre engagement et notre message au sujet du projet de loi C-49 sont clairs. Nous dénonçons vivement et criminalisons la traite de personnes. Nous sommes résolus à augmenter la protection accordée aux personnes qui sont les plus susceptibles d'être victimes de ce crime odieux et nous sommes fermement résolus à sanctionner ceux qui en sont coupables.

Je suis heureux que l'importance de cet engagement soit reconnue et comprise, comme le reflète le fait que le projet de loi C-49 jouit de l'accord de tous les partis. Il ne s'agit pas d'une question qui se prête à la politicaillerie. Il s'agit d'une question d'intérêt général. Le fait que ce projet de loi ait été appuyé par l'ensemble des partis alors que le gouvernement est minoritaire reflète bien l'importance de cette mesure.

Pour comprendre l'importance du projet de loi C-49, il faut imaginer l'inimaginable, c'est-à-dire la réalité quotidienne de quelqu'un qui est victime de ce crime. Il faut aller au-delà des statistiques qui sont en elles-mêmes horrifiantes et comprendre que derrière chaque statistique se trouve un être humain qui a un nom et une identité. Les victimes peuvent être enlevées et droguées; les femmes et les enfants peuvent être vendus par leur mari ou leurs parents; les victimes peuvent être attirées au Canada sous de fausses promesses d'un emploi légitime, pour se rendre compte, dès leur arrivée au pays, qu'elles ont été vendues à l'industrie du sexe ou pour fins de travaux forcés. Elles sont contraintes de subir des actes de violence ou des menaces de violence, y compris des agressions sexuelles, contre elles-mêmes ou les membres de leurs familles.

Imaginez cette réalité horrible, à savoir celle d'être privé de liberté, d'endurer des mauvais traitements physiques, sexuels et psychologiques et d'être considérés comme une marchandise humaine. Il s'agit d'une des industries criminelles qui prend le plus d'ampleur dans le monde et elle génère des profits qu'on évalue à 10 milliards $US pour le crime organisé. Seul le commerce illégal des drogues et des armes à feu est plus lucratif.

D'après les Nations Unies, jusqu'à 900 000 personnes sont victimes de traite des personnes dans le monde chaque année. L'UNICEF évalue à 1,2 million le nombre d'enfants qui sont victimes chaque année de ce crime dans le monde.

En mai 2005, l'Organisation internationale du travail estimait à 2,5 millions le nombre de personnes victimes de la traite des personnes qui sont contraintes au travail forcé. Plus de un million d'entre elles, soit 43 p. 100, sont victimes d'exploitation sexuelle. Presque toutes ces personnes, soit 98 p. 100, sont des femmes et des enfants.

Au Canada, la GRC estimait en 2004 que chaque année, de 600 à 800 personnes font l'objet de traite vers le Canada et que 1 500 à 2 000 personnes font l'objet de traite en provenance du Canada vers les États-Unis. Les États-Unis estimaient en 2004 que 14 500 à 17 500 personnes de partout au monde font l'objet de traite vers les États-Unis tous les ans. Autrement dit, la traite des personnes est un sujet de préoccupation de portée globale, régionale et interne.

N'oubliez pas que ces statistiques portent sur des êtres humains, soit des personnes qui ont une famille, des rêves et des espoirs. La plupart des personnes qui font l'objet de la traite à des fins sexuelles et à des fins de travail forcé sont des femmes et des enfants. Des hommes peuvent aussi faire l'objet de la traite en particulier pour travailler dans des ateliers clandestins ou dans les industries de l'agriculture, la construction ou du conditionnement des viandes.

L'occasion nous est donnée comme législateurs de lutter contre ce fléau en adoptant le projet de loi C-49. Nos objectifs en ce qui concerne ce projet de loi sont de trois ordres : réprimer la traite des personnes; protéger ces victimes et intenter des poursuites contre ceux qui commettent ce crime. Le projet de loi C-49 propose de créer trois nouveaux crimes visant spécifiquement la traite des personnes. Le premier et le principal crime est lié au fait pour une personne de recruter, de transporter et d'héberger une personne ou de contrôler ses mouvements dans le but d'exploiter ou de faciliter l'exploitation de cette personne. La personne accusée de ce crime ne pourra jamais alléguer avoir obtenu le consentement de la victime. L'infraction principale de traite des personnes entraîne un emprisonnement maximal à perpétuité lorsqu'elle comporte un enlèvement, des voies de fait graves, une agression sexuelle grave ou lorsqu'elle cause la mort de la victime; dans tous les autres cas, l'infraction entraînerait un emprisonnement maximal de 14 ans.

Le deuxième crime créé par le projet de loi est lié au fait pour une personne d'obtenir un avantage notamment d'ordre financier sachant que cet avantage est lié à la traite d'une autre personne. Il s'agit d'empêcher que le trafic de personnes rapporte de l'argent à des personnes qui ne commettraient pas elles-mêmes le crime principal. La peine maximale proposée est de 10 ans d'emprisonnement.

La troisième nouvelle infraction interdirait à quiconque de retenir ou de détruire des documents, comme les documents de voyage ou les pièces d'identité de la victime, ou les documents relatifs à son statut en matière d'immigration, pour commettre ou faciliter une infraction de traite des personnes. Cette infraction entraînerait un emprisonnement maximal de cinq ans.

En créant ces nouvelles infractions, le projet de loi C-49 lutte contre l'élément principal de la traite des personnes, soit l'exploitation des victimes. Quelle que soit la forme qu'elle prend ou quel que soit son but, la traite de personnes suppose toujours l'exploitation de la victime. Le projet de loi C-49 définit clairement ce qu'on entend par « exploitation » en ce qui touche les crimes liés à la traite des personnes. Aux termes de cette définition, une personne est exploitée si elle est contrainte, parce qu'elle craint pour sa propre sécurité ou celle d'une personne qu'elle connaît comme un membre de sa famille, de fournir son travail ou certains services comme des services sexuels ou de faire don d'un organe ou de tissus.

Le projet de loi C-49 comporte aussi des modifications corrélatives permettant d'ajouter le nom des personnes reconnues coupables de traite des personnes à la banque de données génétique et au registre des délinquants sexuels. Ces modifications permettraient aussi à la police d'avoir recours à l'écoute électronique lors de ses enquêtes.

[Français]

De plus, les victimes de la traite des personnes pourront profiter des nouvelles mesures adoptées dans le cadre du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables) en vue de faciliter le témoignage des enfants et d'autres victimes et témoins vulnérables; ces mesures entreront en vigueur le 2 janvier 2006.

[Traduction]

J'ai aussi comparu devant le comité pour discuter de ce projet de loi. Madame la présidente, en créant ces nouveaux crimes, le projet de loi C-49 nous aidera beaucoup à lutter contre la traite des personnes. À l'heure actuelle, nous cherchons à réprimer ce crime par les dispositions actuelles du Code criminel qui portent sur l'enlèvement, la séquestration et l'agression sexuelle grave.

La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés de 2002 prévoit également une infraction particulière visant la traite des personnes lorsque l'intégrité des frontières est en cause. La première accusation relative à cette infraction a été déposée par la GRC en avril 2005 et est actuellement devant les tribunaux. Bien que ces mesures aient connu un certain succès, elles ne permettent pas de s'attaquer à l'ensemble des actes qui sont liés à la traite des personnes. Elles ne reflètent pas non plus de façon adéquate les conséquences de la traite des personnes pour les victimes ou la société canadienne. Le projet de loi C-49 accroîtra la portée des discussions actuelles et nous permettra de réprimer de façon globale la traite des personnes quelles que soient les fins qu'elle vise, quelle que soit la forme qu'elle prend et peu importe le lieu, que ce soit simplement au Canada ou à l'échelle transfrontalière ou internationale. Il fournira aux policiers et aux procureurs des outils additionnels pour s'assurer que les accusations portées correspondent aux faits et aux circonstances entourant chaque cas.

Des lois canadiennes plus sévères contre la traite des personnes contribueront aussi aux efforts entrepris sur la scène internationale en vue de lutter contre la traite des personnes. Le Canada a participé activement à l'élaboration de la Convention contre la criminalité transnationale organisée des Nations Unies et son protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, et a été l'une des Premières nations à la ratifier. Ces deux instruments établissent le cadre international largement accepté pour apporter des solutions au problème de la traite des personnes tel qu'il se pose aujourd'hui.

Nous continuons à contribuer au renforcement de ce cadre international de lutte contre la traite des personnes en collaboration avec d'autres pays, non seulement par l'entremise des Nations Unies, mais par celle d'autres organismes multilatéraux dont l'Organisation des États africains où j'ai abordé cette question lors de discussions, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, le G8 récemment, le Forum sur la criminalité transfrontalière, et dans le cadre du Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité auquel participent aussi les États-Unis et le Mexique.

J'aborde la question de la traite des personnes lors de chaque réunion bilatérale que j'ai avec mes homologues d'autres pays. Il y a deux semaines, j'ai discuté de la question avec le ministre de la Justice de la Slovaquie. D'autres pays participent aux efforts de lutte contre ce fléau mondial.

Comme je l'ai dit, ce projet de loi jouit de l'appui de tous les partis au Canada. Nous nous sommes aussi engagés à l'échelle internationale pour combattre le fléau que constitue ce commerce mondial des esclaves. Au Canada, le projet de loi C-49 fait partie d'un large spectre de mesures fédérales qui ont été prises au cours des 18 derniers mois pour lutter contre le trafic des personnes. Bien que ce crime ne soit pas nouveau, l'on commence cependant seulement à comprendre quelles formes il peut prendre à l'échelle mondiale et nationale ainsi que ses manifestations quotidiennes. Au cours des derniers mois, nous avons voulu sensibiliser davantage les gens à ce problème ainsi que de trouver des moyens d'y faire face. Nous le faisons tant au sein du gouvernement qu'à l'extérieur de celui-ci. Nous avons appuyé la formation à l'intention des policiers, des poursuivants, du personnel de l'immigration et des douanes set les représentants consulaires au sujet de la traite des personnes. Nous avons appuyé l'organisation de tables rondes regroupant les organismes gouvernementaux et non gouvernementaux et y avons participé afin de discuter des mesures de prévention et des meilleures pratiques pour répondre efficacement à ces problèmes. L'une des premières conférences internationales auxquelles j'ai participé portait sur la façon de combattre la traite des personnes. Cette conférence a eu lieu à Ottawa peu de temps après mon entrée en fonction.

Nous avons aussi produit du matériel éducatif et d'information destiné au public, dont une brochure dénonçant la traite des personnes qui est disponible dans 14 langues. Une affiche, qui est en voie de traduction, sera disponible dans 17 langues. Ce matériel a été largement diffusé au Canada et à l'étranger par l'entremise des ambassades canadiennes et il vise à empêcher que les personnes qui voudraient venir s'installer au Canada pour des raisons légitimes soient victimes de ceux qui s'adonnent à la traite des personnes. Nous avons aussi créé un site Web sur la traite des personnes auquel on a accès par l'entremise du site Web du ministère de la Justice.

Bien qu'il s'agisse de mesures importantes, nous reconnaissons qu'il faut faire davantage pour lutter contre la traite des personnes. Voilà pourquoi nous avons créé un groupe de travail interministériel sur la traite des personnes qui est coprésidé le ministère que je dirige et par le ministère des Affaires étrangères. Ce groupe de travail compte des représentants de 17 ministères et organismes fédéraux. Outre qu'il coordonne les mesures que nous prenons pour lutter contre la traite des personnes, le groupe de travail élabore une stratégie fédérale globale en vue de coordonner et d'améliorer la lutte au niveau fédéral contre la traite des personnes.

Le projet de loi C-49 est l'une des premières mesures que comportera la stratégie globale.

En conclusion, le projet de loi C-49 renforcera considérablement les moyens dont nous disposons pour dénoncer et prévenir la traite des personnes. Il vise aussi à faire savoir que nous considérons la traite des personnes comme un crime très grave et que nous comptons mieux protéger les personnes qui en sont victimes. Le projet de loi vise aussi à punir ceux qui commettent ce crime odieux.

Nous sommes conscients du fait qu'il faut faire davantage pour lutter contre la traite des personnes, mais le projet de loi C-49 est un pas important en vue de la réalisation de cet objectif.

[Français]

Le sénateur Rivest : Monsieur le ministre, comme vous l'avez indiqué, l'ensemble des parlementaires partage les objectifs que le gouvernement canadien poursuit afin de combattre cette véritable infamie que constitue la traite des personnes. Cela va totalement à l'encontre de la dignité des gens et tout le monde va apprécier que le Canada exerce un certain leadership dans ce domaine.

Concrètement, comment s'effectue l'entrée d'un groupe de personnes qui, par exemple, viendrait au Canada pour travailler dans le domaine agricole ? Est-ce que quelqu'un se présente en demandant un nombre X de personnes ? Y a-t-il un suivi par après ? Récemment, un reportage présenté sur le réseau français de la Société Radio-Canada nous a montré qu'on a fait entrer des gens, soi-disant pour travailler dans une industrie quelconque, mais que ce n'était qu'une façade puisque ces personnes étaient plutôt contraintes à participer à des activités de nature sexuelle.

C'est toujours un peu suspect. Par exemple, la jeune fille qui parlait à la télévision faisait partie d'un groupe de dix personnes venues de Roumanie. Il me semble que c'est assez étrange. Est-ce le ministère de la Justice ou le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration qui traite ce genre d'arrivée ?

M. Cotler : C'est le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration qui s'occupe de ces questions, ainsi que celui de la Sécurité publique et de la Protection civile. Les deux ministères ont la responsabilité de faire une enquête et d'assurer la sécurité des Canadiens dans le processus d'immigration.

[Traduction]

Mme Morency : Comme le ministre l'a dit, nous collaborons étroitement avec nos collègues de Citoyenneté et d'Immigration et de l'Agence des services frontaliers du Canada. Nos collègues de ces ministères évaluent les demandes de visa et de permis de travail temporaire présentées par des personnes souhaitant venir au Canada. Il leur appartient d'appliquer les politiques qui découlent de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Dans le cadre de ce processus, ils évaluent régulièrement les demandes pour déceler celles qui semblent louches.

[Français]

Le sénateur Rivest : Dans le reportage que j'ai vu à la télévision, la personne qui témoignait était sans doute entrée au Canada en respectant les procédures pour travailler dans une industrie quelconque. Cependant, en cours de route, les personnes qui la parrainaient l'ont plutôt obligée à prendre part à des activités sexuelles. Il s'agissait d'un groupe de jeunes filles. Est-ce que le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration fait un suivi sur les visas temporaires qui sont émis et sur ce que les gens font comme travail ? Cette jeune fille-là a été complètement laissée à elle seule; son groupe a été exploité pendant des mois et des mois.

[Traduction]

Mme Morency : Tout dépend de la situation. Pour reprendre l'exemple que vous donnez, si les personnes qui sont venues au Canada grâce à un permis de travail temporaire ou un visa sont exploitées sexuellement, ce renseignement doit être communiqué aux organismes d'application de la loi qui peuvent alors agir.

Citoyenneté et Immigration ainsi que l'Agence des services frontaliers du Canada visent, en appliquant certaines lignes directrices, à empêcher que des personnes viennent au Canada pour se trouver ensuite victimes de la traite de personnes.

Si cette information est communiquée aux organismes d'application de la loi, ces derniers peuvent intervenir.

Est-ce une préoccupation du point de vue de la prévention? Devrions-nous faire davantage pour sensibiliser les gens à ce problème afin que les organismes d'application de la loi réussissent plus efficacement à le prévenir? C'est ce que nous essayons de faire par l'entremise du groupe de travail interministériel.

[Français]

Le sénateur Rivest : Dans le cas dont j'ai parlé précédemment, il s'agissait de jeunes femmes qui avaient quitté leur pays pour venir au Canada et dont le but du voyage a été détourné. Il est extrêmement traumatisant pour une personne qui est déjà victime d'abus — il s'agissait d'un réseau de prostitution — de porter plainte ou de signaler cela aux autorités. La jeune fille se demandait : « Qu'est-ce qui va m'arriver? Je n'ai plus de papiers, je n'ai plus rien, je suis dans un pays étranger, je ne parle pas la langue. » C'est dans ce sens que je demandais si le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration peut voir deux, trois ou six mois après l'arrivée d'un groupe de personnes, ce qu'elles sont devenues.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : Je crois avoir vu la même émission. La difficulté, c'est que les jeunes femmes n'avaient pas de pièces d'identité. La personne qui les fait entrer au pays conserve souvent leurs passeports et leurs demandes. Ces jeunes femmes se retrouvent dans la rue sans rien. Je crois que c'était le cas de certaines femmes.

[Français]

M. Cotler : C'est la responsabilité du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. À la fin, peut-être que cela peut concerner la traite des personnes. Quand c'est une question de traite des personnes, cela peut être une infraction à l'égard de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Si nous adoptons ce projet de loi, cela peut aussi être une infraction à l'égard de celui-ci, à la fin de ce même processus.

La présidente : Vous avez parlé qu'un groupe de travail interministériel sera formé. Est-ce qu'il y aura des initiatives particulières qui pourront aider l'immigration des victimes ou qui porteront sur la coopération internationale du Canada en matière de traite des personnes ?

M. Cotler : Ce comité est déjà en place. Un représentant du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration est membre du comité. La GRC est aussi une des agences présentes au comité et a instauré un système pour contrer la traite des personnes, pas seulement à l'échelle nationale, mais à l'échelle internationale.

[Traduction]

Le sénateur Milne : Monsieur le ministre, on m'a demandé de parrainer ce projet de loi au Sénat. J'ai accepté de le faire parce que je suis convaincue du bien-fondé de cette cause.

J'ai cependant quelques réserves à l'égard des articles 5 et 6 du projet de loi qui prévoient que les personnes reconnues coupables de la traite des personnes seront tenues de fournir un échantillon de matériel génétique et que leur nom sera inscrit dans le registre des délinquants sexuels.

Vous avez dit que 98 p. 100 des victimes de la traite des personnes sont des femmes et des enfants. Qu'en est-il des 2 p. 100 restant qui sont contraints au travail forcé? Je ne vois pas pourquoi il serait nécessaire d'obtenir un échantillon de matériel génétique de ce genre de criminels. Cela n'aiderait pas la police à les retrouver parce qu'on les fait venir surtout pour travailler dans les champs. Je me demande pourquoi on veut inscrire le nom de ce petit nombre de criminels dans le registre des délinquants sexuels.

M. Cotler : Comme vous l'avez dit, la traite des personnes est un crime grave et ce ne sont que les personnes qui sont reconnues coupables de crimes graves de ce genre qui doivent fournir un échantillon de matériel génétique. Nous cherchons simplement à faire preuve de cohérence en ce qui touche l'application de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques.

Comment pourrions-nous dire que ce crime est odieux comme c'est le cas et accepter que la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques ne s'y applique pas. Il s'agit d'une question de cohérence. Cette loi doit s'appliquer aux personnes reconnues coupables de la traite des personnes.

Le sénateur Milne : Qu'en est-il du registre des délinquants sexuels?

Mme Morency : Vous tirez ce chiffre de 98 p. 100 de la déclaration du ministre. C'est le Bureau international du travail qui estime que 2,5 millions de personnes victimes de la traite des personnes sont contraintes au travail forcé. De ce nombre, 43 p. 100, soit un peu plus d'un million, ont fait l'objet de la traite des personnes à des fins d'exploitation sexuelle. De ce nombre-là, 98 p. 100 sont des femmes et des enfants.

M. Cotler : C'est 98 p. 100 de 43 p. 100.

Mme Morency : Le projet de loi prévoit l'inscription facultative dans le registre des délinquants sexuels. Si vous regardez la disposition 4 du registre des délinquants sexuels et le paragraphe 190.012(2), vous verrez que le procureur peut demander l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et doit prouver au-delà d'un doute raisonnable que la personne qui a commis l'infraction avait l'intention de... Cela vise l'une des infractions sexuelles.

Comme j'ai dit plus tôt, il n'en demeure pas moins que le procureur demandera cet enregistrement seulement si l'infraction sexuelle constitue une partie de l'exploitation de la victime.

Le sénateur Milne : Voilà la réponse dont j'avais besoin. Si je dois répondre à des questions là-dessus, j'aimerais savoir exactement ce qu'il en est.

Le sénateur Ringuette : Monsieur le ministre, vous avez dit dans votre déclaration préliminaire que les forces policières estiment à entre 600 et 800 le nombre de personnes qui sont victimes chaque année au Canada de la traite des personnes. On nous a aussi dit qu'entre mars 2004 et février 2005, 30 accusations de traite de personnes ont été déposées. Monsieur le ministre, il ne s'agit que de 5 p. 100 des cas de traite de personnes en vertu de la loi actuelle.

Il est toujours bon de resserrer la loi. Vous avez parlé aussi de l'élaboration d'une stratégie globale. À l'heure actuelle, les forces policières ne peuvent intenter des poursuites que dans 5 p. 100 des cas.

En quoi ce projet de loi aidera-t-il les forces policières? Je songe aussi aux agents d'immigration et aux agents de douane parce qu'ils sont la porte d'entrée pour ce genre de crimes.

C'est bien de faire en sorte qu'il soit plus facile d'intenter des poursuites contre ceux qui commettent ce genre de crimes, mais affecte-t-on les ressources humaines nécessaires pour qu'il y ait plus de 5 p. 100 de cas qui fassent l'objet de poursuites au Canada?

M. Cotler : Pour ce qui est des poursuites, comme je l'ai dit, c'est en avril 2005 que les premières accusations ont été portées en matière de traite des personnes en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Un examen de la jurisprudence découlant du Code criminel, puisqu'on peut intenter des poursuites en matière de traite des personnes en vertu des dispositions du Code, révélera qu'entre mars 2004 et février 2005, au moins 31 personnes ont été accusées de traite de personnes et que 19 d'entre elles ont été reconnues coupables de ce crime. Douze affaires sont toujours en suspens.

Le projet de loi C-49 est une démarche plus complète et plus concrète pour la criminalisation de ces actes, grâce à la création de nouvelles infractions, soit les trois infractions dont j'ai parlé.

En parallèle, il y aura une formation pour la GRC, les policiers, les douaniers, etc. Outre la formation, la GRC s'est engagée dans sa propre démarche, à la tête d'un effort international visant à lutter contre la traite des personnes. Il s'agit d'un guide intitulé : Human Trafficking : Reference Guide for Canadian Law Enforcement. Il ne s'agit pas que d'un document national, il peut être utilisé aussi au palier international.

Au sujet du Forum transfrontalier et des États-Unis, nous avons 15 équipes intégrées de la police des frontières. Nous collaborons aussi, aux frontières, en matière de poursuites. J'ai décrit plus tôt les affiches et les dépliants publiés respectivement en 17 et 14 langues et dont l'objectif est de créer une culture de la prévention et de prévenir la traite à sa source, avant qu'elle sorte du pays.

Je présume qu'il y a encore d'autres cas qui n'ont pas été déclarés. Je crois qu'on commence à voir augmenter le nombre d'enquêtes, de poursuites et de déclarations. Le projet de loi C-49 ajoutera à ce cadre de travail, tant du point de vue du droit criminel que du point de vue parallèle de l'application de la loi.

Le sénateur Ringuette : Au sujet des forces de l'ordre et d'une question posée plus tôt par le sénateur Rivest, y a-t-il échange de renseignements sur les cas potentiels, entre les services d'immigration, la GRC et les autres corps policiers? Y a-t-il un partage de renseignements visant à faciliter le repérage de cas comme celui dont parlait le sénateur Rivest?

M. Cotler : L'information est partagée, grâce au service de lutte contre la traite des personnes de la GRC. La GRC collabore avec Citoyenneté et Immigration Canada. Le partage de l'information a lieu dans le cadre de groupes de travail interministériels regroupant des services de l'Immigration, de la Sécurité publique, de la GRC, du ministère de la Justice, etc. Il y a une meilleure coordination des activités d'application de la loi et du partage des renseignements. Au plan international, les renseignements sont partagés avec l'INTERPOL.

Le sénateur Andreychuk : Monsieur Cotler, je suis en faveur de ce projet de loi et je l'ai dit clairement dans mon discours. Ce qui me cause du souci, c'est que lorsque nous adoptons des projets de loi et que nous parlons du bien qu'ils feront, le public est rassuré et croit que nous avons les solutions à ces graves problèmes. Quiconque a travaillé dans ce domaine, qu'il s'agisse des policiers, des groupes de femmes ou des ONG, tant au Canada qu'à l'étranger, pourra vous dire que le problème, ce n'est pas la loi, mais l'administration d'une loi. Deuxièmement, la loi n'est qu'un tout petit élément de solution dans la lutte contre la traite des personnes. C'est surtout un problème de développement social et économique. Avant d'être un problème juridique, c'est bien autre chose.

Vous l'avez dit, ce projet de loi témoignera de la façon dont nous voyons le problème mais je trouve étrange de parler dans le projet de loi du trafic des personnes au Canada et à l'extérieur alors qu'à la Chambre des communes, on semble envisager de légaliser la prostitution. C'est contradictoire et j'aimerais savoir quelle est la position exacte du gouvernement. Nous disons que la traite des personnes est une abomination, et pourtant, nous envisageons la légalisation de la prostitution.

Allons-nous accepter certains types de prostitution, tout en prenant des mesures législatives visant à la prévenir? Il me semble que c'est contradictoire. Quelle est la position du gouvernement au sujet de la prostitution?

M. Cotler : Je ne voudrais pas faire croire, à tort, que ce projet de loi est une panacée pour ce problème. Vous avez raison, la loi est un élément important, mais seulement un élément de solution. Pour nous, ce projet de loi a pour objectif trois P : la prévention de la traite des personnes, la protection de la victime et la poursuite du responsable de ce crime.

Il nous faut manifestement une approche exhaustive. C'est pourquoi nous avons mis sur pied le groupe de travail regroupant des représentants des 17 ministères et organismes peu de temps après mon entrée en fonction, quand il est devenu clair que cette question était une priorité. Dans l'un de mes premiers discours que j'ai prononcé en mars 2004, j'ai fait la même déclaration que vous aujourd'hui : il nous faut une approche holistique pour lutter contre ce problème.

Maintenant, en ce qui concerne la prostitution, la prostitution comme telle n'est pas illégale. Ce sont certaines activités liées à la prostitution qui sont criminelles.

Le sénateur Andreychuk : Merci de me corriger.

M. Cotler : Nous attendons le rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne que j'ai chargé de se pencher sur la façon de traiter de toutes les infractions liées à la prostitution dans leurs dimensions fédérale, provinciale et municipale. Ce problème est différent de celui de la traite des personnes en ce sens qu'on ne peut jamais prétendre qu'une personne a consenti à faire l'objet de la traite, alors que les activités de la prostitution présentent certains éléments consensuels. Il s'agit donc de deux types d'infractions bien distincts. Je reconnais qu'il y a un certain chevauchement mais, en général, les infractions de trafic sont des activités non consensuelles fondées sur la contrainte et les infractions de prostitution sont consensuelles. Dans le cadre de la prostitution, il y a toutefois des interdictions concernant les mineurs, l'absence de consentement et l'exploitation.

Le sénateur Andreychuk : Il y a aussi la difficulté de distinguer entre le passage de clandestins et la traite des personnes. Bien des gens entrent au pays clandestinement pour ensuite se retrouver mêlés à la traite de personnes. Il faut trouver une façon de distinguer ces deux choses.

Selon la vérificatrice générale, les services de police, surtout la GRC, n'ont pas suffisamment de personnel dans bien des endroits et leurs effectifs manquent de formation. Les sommes que vous avez prévues pour la formation, notamment pour la justice pénale pour les adolescents, sont considérables mais ne se traduisent pas nécessairement en de grandes améliorations sur le terrain. Par conséquent, nous ne sommes pas en mesure de faire face à ces graves problèmes. Cela m'apparaît important, parce que les victimes de la traite des personnes sont doublement victimisées. Dès que s'amorcent l'enquête de police ou le procès, la plupart des victimes qui témoignent le font contre leur gré car elles craignent ceux qui les contrôlent ou parce qu'elles ont été conditionnées à croire ce qu'ils leur disaient. Je crains que les dispositions de ce projet de loi visant à protéger les victimes ne suffisent pas à véritablement aider les victimes de la traite des personnes. Tout ce projet de loi entraînera leur revictimisation dans le cadre de la procédure judiciaire. C'est probablement ce qui explique que nous en soyons maintenant à 5 p. 100. Peu de victimes sont disposées à témoigner par crainte d'être renvoyées dans leur pays. C'est un problème humain et social qu'on ne peut régler dans le cadre d'un programme ordinaire de protection des témoins.

Comment mieux aider les victimes sur le terrain?

M. Cotler : Je répondrai à vos questions une à une. D'abord, en ce qui a trait au passage de clandestins et à la traite des personnes, que l'on confond souvent, j'estime aussi important de bien faire la distinction.

Dans les médias, on en parle souvent comme si c'était la même chose. Nous sommes tous influencés par les médias et sans que nous nous en rendions compte, ces mots entrent dans le vocabulaire et sont employés comme des synonymes. Toutefois, ils ne sont pas synonymes. Le passage de clandestins, c'est aider les personnes à franchir une frontière illégalement et leur permettre ensuite d'aller où bon leur semble. À l'opposé, la traite des personnes peut se faire à l'intérieur des frontières d'un pays et au-delà de ces frontières et les victimes ne choisissent pas leur destination. C'est là qu'interviennent la cœrcition et l'exploitation.

Cependant, les personnes voulant entrer clandestinement dans un pays peuvent devenir victimes de traite et il y a un certain chevauchement. Les personnes participant à l'immigration clandestine peuvent être exploitées à leur arrivée à destination, si elles sont incapables de payer leurs passeurs, par exemple. Ainsi, elles perdent leur liberté et, d'immigrants clandestins, elles deviennent victimes de traite des personnes.

Ceci m'amène au second point qui concerne le témoignage des victimes. J'en ai parlé dans mes remarques. Je suis aussi venu témoigner à ce comité au sujet du projet de loi C-2 sur la protection des enfants et des autres personnes vulnérables, qui aborde toute la question de la protection des enfants face aux pratiques prédatrices de la pornographie et à ce genre de chose. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er novembre. D'autres dispositions visant à faciliter le témoignage des victimes et des témoins vont entrer en vigueur le 2 janvier 2006.

Cette partie du projet de loi C-2 facilitera les témoignages de victimes ou de témoins dans le cas de personnes victimes d'une traite. Je pense que ce sera une ressource importante car le projet de loi C-49 ne sert pas simplement à intenter des poursuites, il a aussi une optique de protection des victimes. L'une de ces protections consiste à faciliter leurs témoignages en assurant leur sécurité. C'est ce qui se fera dans les dispositions du projet de loi C-2 qui s'appliqueront au projet de loi C-49.

Le sénateur Eyton : Le projet de loi C-49 a une portée très vaste, mais il semble viser particulièrement les délinquants, ceux qui perpètrent l'infraction. Il y a des dispositions concernant la protection des victimes, mais le projet de loi ne semble pas mettre l'accent sur la même chose que dans la loi américaine parallèle — le Trafficking Victims Protection Act — qui comme son nom l'indique insiste sur autre chose. Qu'en pensez-vous?

M. Cotler : La loi américaine, comme l'indique sa démarche et même son texte, aborde la question sous l'angle de l'esclavage. Nous l'abordons sous l'angle de l'infraction criminelle que constitue la traite de personnes.

Par ailleurs, le titre même de la loi américaine, qui parle de « victimes de la traite », semble montrer qu'on se classe du point de vue des victimes. Toutefois, dans notre cas, il faut replacer le projet de loi C-49 dans le contexte du cadre de protection établi par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Aux États-Unis, les dispositions de protection des victimes se retrouvent dans la loi sur la traite des personnes elle-même.

En fin de compte, cela revient à peu près au même : nous avons des initiatives et des objectifs parallèles. J'en ai discuté avec l'ancien procureur général américain John Ashcroft et le procureur général actuel, M. Gonzales, et nous nous sommes reportés à leur loi quand nous avons rédigé la nôtre. Les trois objectifs de prévention, de protection et de poursuite sont les mêmes. Toutefois, si vous regardez isolément les trois nouvelles infractions et la dimension importante de l'exploitation que nous exposons dans notre projet de loi, il faut le faire dans le contexte du cadre de protection que définit la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Le sénateur Mitchell : Si je comprends bien ce texte, l'individu qui exécute l'aspect technique du crime — l'enlèvement ou l'agression — est passible de l'emprisonnement à vie. En revanche, la personne qui reçoit un avantage pécuniaire ne risque que 10 ans de prison. Il me semble pourtant qu'on pourrait très facilement soutenir que les individus qui retirent les profits financiers sans intervenir directement dans l'acte lui-même peuvent très bien être les chefs des réseaux et devraient être tout aussi coupables, sinon plus, que les simples exécutants de l'enlèvement.

Est-ce que c'est logique? Et dans ce cas, pourquoi ne prévoit-on pas l'emprisonnement à vie pour ces individus-là aussi?

M. Cotler : J'ai essayé de préciser dans mes remarques préliminaires que les personnes qui commettaient l'infraction directe seraient passibles de l'emprisonnement à perpétuité. Les individus qui n'y participent pas directement ne sont pas tellement les chefs de réseaux — car on pourrait attraper les chefs de réseaux — mais plutôt des accessoires. Leurs sanctions, qu'ils aient détruit des documents ou tirer un avantage quelconque de leur acte, seraient moindres parce qu'ils n'interviendraient pas directement dans l'exploitation directe. Ils pourraient être accusés en tant que complices.

Le sénateur Mitchell : Une fois que le procès commence, on ne s'occupe plus des victimes. Est-ce qu'on les renvoie automatiquement dans leur pays? Est-ce que c'est prévu par la Loi sur les réfugiés dont vous parliez? On ne les renvoie tout de même pas dans les familles qui les ont vendues au départ, n'est-ce pas?

M. Cotler : Ceci nous ramène à ce que disait le sénateur Andreychuk. Nous ne voulons pas que ces personnes soient doublement victimes, que non seulement elles soient victimes de la traite mais qu'en plus on les renvoie chez elles.

Pour ce qui est de leur protection, il existe dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés des dispositions permettant aux victimes de traite de demander à rester au Canada de façon temporaire ou permanente. Je vais rapidement vous expliquer ces mesures. Il y a d'abord la catégorie des personnes à protéger, où l'on prévoit d'aider les personnes qui, si elles étaient renvoyées vers leur pays d'origine, seraient exposées à un risque de torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou de peines cruelles et inusitées. Il y a donc cette catégorie.

La deuxième catégorie, c'est celle du permis de résidence temporaire, où l'on prévoit l'octroi d'un permis discrétionnaire pour permettre à des ressortissants étrangers de rester au Canada pendant une certaine durée lorsqu'il existe des raisons impérieuses qui l'emportent sur les autres risques. Là encore, la demande concerne une victime de traite.

La dernière catégorie est celle qui s'appuie sur les motifs humanitaires et de compassion, dans le cas des personnes qui ne respectent pas les exigences de la loi ou seraient autrement exclues. Ces trois dispositions figurent dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, mais on peut les invoquer directement pour protéger des victimes de traite et leur octroyer un permis de résidence temporaire ou leur permettre de rester au Canada pour des motifs humanitaires et de compassion.

Nous travaillons avec Citoyenneté et Immigration à améliorer le plus possible ce cadre de protection. La pire chose qui puisse arriver, c'est qu'une victime de traite soit doublement victime, c'est-à-dire qu'elle soit en plus renvoyée dans son pays où elle risque d'être torturée, maltraitée, etc.

Le sénateur Joyal : Monsieur Cotler, qu'a fait votre ministère pour répondre aux besoins de toutes ces femmes attirées au Canada dans le cadre des programmes de recrutement de danseuses exotiques, qui se sont retrouvées bien malgré elles entraînées dans le commerce du sexe au Canada?

M. Cotler : C'est une question qui relève de Citoyenneté et Immigration Canada et de Ressources humaines et Développement des compétences Canada. Toutefois, je ne voudrais pas me contenter de cette réponse. Nous avons tous une certaine responsabilité.

Ces deux ministères gèrent actuellement ensemble l'accès de tous les travailleurs étrangers au Canada dans le cadre de la LIPR. Pour autant que je sache, le gouvernement du Canada n'a jamais eu de « programme » visant à faciliter l'entrée de danseuses exotiques au Canada. En décembre 2004, il y a eu un texte sur le marché national du travail qui concernait les danseuses exotiques. Il a été annulé et remplacé par une approche plus stricte au cas par cas et divers critères de protection et d'évaluation supplémentaires.

Le Canada n'a pas pour politique de recruter des danseuses exotiques à l'étranger. Il n'a pas de programme à cet effet, et l'opinion émise concernant le marché national du travail et ce genre de chose a été annulée en décembre 2004 et remplacée par une approche au cas par cas plus rigoureuse.

Actuellement, l'ensemble du gouvernement, y compris CIC et RHDCC, revoit la législation, les politiques et les programmes fédéraux pour qu'il y ait une démarche cohérente et globale face à la traite de personnes de façon à éviter que certaines personnes risquent de « passer entre les mailles du filet ».

Il n'y a pas de programme pour les danseuses exotiques, mais il y a une évaluation de l'immigration au cas par cas dans ce domaine. Pour ce qui est de la traite de personnes, Ressources humaines et Développement des compétences va collaborer avec le ministère de la Justice.

La présidente : Merci, monsieur le ministre. Nous vous reverrons demain matin.

M. Cotler : Oui, je comparaîtrai pour parler du projet de loi C-53, Loi modifiant le Code criminel à propos des produits de la criminalité. J'ai déjà dit au caucus et ailleurs que le Sénat faisait un travail admirable. Les médias n'en sont peut-être pas conscients, et le public ne se rend donc peut-être pas bien compte que si ces deux projets de loi sont adoptés, ce sera grâce au fait que le Sénat a bien voulu prolonger ses heures de séance pour examiner ces projets de loi, comme il l'a fait pour le projet de loi sur les conjoints de même sexe.

La présidente : Nous nous en souvenons.

M. Cutler : Il y a des gens qui ne cesseront de me le rappeler. Je me rappelle aussi que nous avons siégé pendant quatre heures pendant une chaude soirée de juillet. Je pense que cela a fait grandement honneur au Sénat et que je l'ai déclaré à l'époque.

La présidente : Madame Morency, voulez-vous répondre aux questions du sénateur Joyal?

Le sénateur Joyal : Sauf votre respect, je pense que le ministre n'a pas répondu à ma question.

Près de 2 000 femmes ont été attirées au Canada par ce programme. En 2003, 661 d'entre elles sont venues de pays de l'Europe de l'Est. Depuis la création dudit programme de danseuses exotiques, plus de 1 000 femmes ont été attirées au Canada, le plus souvent par de fausses promesses selon lesquelles elles travailleraient dans l'hôtellerie ou le tourisme. Une fois rendues sur place, elles étaient obligées de devenir des danseuses. D'après les rapports de police, la plupart d'entre elles finissent par être forcées de travailler dans le commerce du sexe et tombent entre les mains du crime organisé. Je tire ce renseignement d'un article paru dans l'Ottawa Citizen le 6 février.

Comme ces femmes ont été attirées au Canada, nous ne pouvons pas simplement abolir le programme et nous laver ostensiblement les mains de leur sort. Je sais que le programme a été aboli, mais la plupart de ces femmes sont encore au Canada et nous ne savons pas ce qu'il leur ait arrivé. Nous ne savons pas quelle protection nous pouvons leur offrir en vertu de la responsabilité gouvernementale. Il ne suffit pas d'abolir un programme, parce que c'est le gouvernement qui a créé ce programme. Sans vouloir tomber dans des comparaisons démagogiques, on peut se rappeler que le premier ministre a annoncé qu'il indemniserait les ex-résidents des pensionnats. Ce programme est peut-être issu des meilleures intentions, mais il a engendré un problème. Qu'entend faire le gouvernement pour régler les problèmes qu'il a lui-même créés? À un certain moment, le programme a vraisemblablement été instauré pour répondre aux besoins du marché, mais j'ai mon opinion à ce sujet.

Un programme gouvernemental a engendré un problème humain et a exposé ces femmes à la traite de personnes. Nous ne pouvons pas oublier ces femmes. Comme le sénateur Rivet l'a mentionné, la plupart d'entre elles se sont fait confisquer leur passeport et elles vivent dans la pauvreté. Permettez-moi de vous renvoyer au rapport de la Commission du droit paru en 2004 et intitulé Travailler oui mais... le droit du travail à retravailler. Vous le connaissez sans aucun doute parce que c'est le ministère de la Justice qui l'a commandé.

Toutes les études que j'ai étudiées jusqu'à maintenant montrent que ces travailleuses sont très vulnérables. Il y a une étude rédigée par trois femmes de l'Université de Toronto et payée par le gouvernement du Canada, qui s'intitule : Les travailleuses migrantes du sexe originaires d'Europe de l'Est et de l'ancienne Union soviétique : le dossier canadien. Et il y en a d'autres.

C'est un problème auquel le gouvernement doit s'attaquer.

Mme Morency : Je ferai de mon mieux pour aider votre comité. Étant fonctionnaire du ministère de la Justice, je ne puis assumer le rôle d'un fonctionnaire de Citoyenneté et Immigration Canada même si nos deux ministères collaborent étroitement.

Tout d'abord, il n'y a jamais eu de tel programme à proprement parler. En vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, tout ressortissant étranger peut demander un permis de travail temporaire au Canada. Dans ces cas-là, RHDCC demande un avis relativement au marché du travail pour déterminer si l'importation par certaines entreprises de main-d'œuvre temporaire d'autres pays risque d'avoir des effets défavorables sur la main-d'œuvre au Canada.

Ce que l'on appelle la danse exotique n'est pas illégal au Canada. Si quelqu'un avait demandé un permis de travail temporaire afin de pouvoir venir au Canada pour exercer ce métier, sa demande aurait été traitée avant décembre 2004. L'avis favorable relatif au marché du travail aurait indiqué qu'il y a une pénurie de travailleuses dans ce domaine au Canada. L'octroi de permis de travail temporaire à des étrangers n'aurait pas d'effets défavorables sur la main-d'œuvre au Canada. Des personnes pouvaient entrer légalement au Canada pour occuper des emplois qu'elles croyaient légitimes. Certaines ont peut-être été trompées et attirées au Canada dans un but tout autre. On leur a peut-être fait croire qu'elles travailleraient comme vendeuses ou comme gardiennes d'enfants, mais à leur arrivée au pays elles se sont retrouvées dans une situation différente.

Quand l'avis favorable concernant l'impact sur le marché du travail a été annulé en décembre 2004, cela a suscité des préoccupations quant aux conséquences pour les danseuses exotiques.

Quiconque cherche à obtenir un permis de travail temporaire pour venir au Canada s'il y a une occasion d'emploi légitime a droit à ce que sa demande soit traitée et cela inclut les danseuses exotiques.

Les fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration examinent chaque demande de permis et rendent leur décision au cas par cas. Ils sont formés pour déceler et écarter les personnes qui pourraient être des victimes potentielles de traite des personnes. Ils examinent le contrat offert à la personne qui demande le permis de travail temporaire pour vérifier qu'il est légitime. Il vérifie que des arrangements sont pris pour que le travailleur puisse retourner dans son pays à l'expiration du permis de travail, et ils examinent les critères en matière de santé et de sécurité.

Comme vous l'avez dit, les médias se sont intéressés ces derniers mois à un certain nombre de permis. Nous avons reçu des renseignements de nos collègues de Citoyenneté et Immigration. Je crois d'ailleurs que ces renseignements sont rendus publics dans leur rapport. Ils nous ont dit qu'en 2004, ils ont délivré environ 400 permis de travail à des danseuses exotiques. Cela comprend 350 prolongations de permis accordées à des danseuses qui se trouvaient déjà au Canada et 50 nouveaux permis à des candidates qui se trouvaient à l'étranger. Apparemment, huit ont été délivrés à des citoyennes roumaines, le taux de refus étant de 90 p. 100.

Le taux de refus donne à penser que le processus de sélection comporte une évaluation de la situation au cas par cas.

Si des personnes viennent au Canada légalement, c'est parce qu'elles sont attirées par des occasions d'emploi légitime. En fait, elles constatent une fois au Canada que ce n'est pas du tout le cas. Elles se retrouvent victimes de la traite des personnes, et c'est exactement la situation visée par le projet de loi C-49. La troisième infraction vise directement la personne qui retient ou détruit des documents pour empêcher la victime de s'enfuir.

Si une personne est victime de la traite, la situation doit être signalée aux autorités, que ce soit par des ONG ou d'autres intervenants, et les autorités peuvent alors intervenir, secourir la victime et lui offrir de l'aide.

Ce que nous tentons de faire, en collaboration avec nos collègues de CIC, c'est d'empêcher au départ la traite des personnes. C'est l'objet de l'examen plus étendu, c'est-à-dire qu'on se demande si les programmes sont bien appliqués et si la sélection est efficace. En fait, bien qu'on ait qualifié l'admission de danseuses exotiques de programme, il n'y a jamais eu de tel programme. C'était un avis favorable concernant l'impact sur le marché du travail, lequel ne s'applique plus maintenant.

Pouvons-nous en faire plus? Absolument. Nous devons examiner tout l'éventail des programmes et politiques qui sont en place dans l'ensemble de l'administration fédérale. C'est ce processus qui est actuellement en cours. Nous travaillons avec nos homologues provinciaux dans le domaine du droit criminel. Nous travaillons avec eux, de concert avec les services aux victimes, pour faciliter l'aide aux victimes quand elles sont identifiées, pour s'assurer qu'elles soient traitées et reconnues comme des victimes.

Sur le plan fédéral, nous travaillons avec nos collègues de CIC et de l'Agence des services frontaliers du Canada pour nous assurer que, dès qu'on identifie des victimes — peut-être aux points d'entrée —, on reconnaisse leur situation et qu'on s'efforce de les aider.

Nous travaillons dans le cadre des paramètres existants. Le projet de loi C-49 nous donne des outils supplémentaires. Des lois plus rigoureuses peuvent empêcher la perpétration de l'infraction. Cela peut avoir un effet dissuasif et les intervenants sont déterminés à en faire plus, de manière plus étendue.

Le sénateur Joyal : Je vais tenter d'aborder la question sous un autre angle.

Votre ministère finance-t-il des ONG qui s'inquiètent des conditions de vie des travailleurs migrants, des gens qui viennent au Canada temporairement? Par exemple, quand ils viennent pour faire les récoltes, munis d'un permis de travail temporaire, pour répondre à un besoin précis pendant une certaine période, votre ministère finance-t-il des ONG qui prendraient ces gens-là en charge?

Je songe au rapport dont le sénateur Rivest a fait mention. Nous avons vu des travailleurs migrants venus du Mexique pour travailler dans des fermes pendant l'été. La personne responsable de ces travailleurs, nommément l'agriculteur, garde ces gens-là plus ou moins prisonniers sur sa ferme. Ils doivent acheter tout ce qu'il leur faut dans un magasin déterminé et ils subissent des contraintes quant à leurs déplacements. Ils n'ont pas le droit de parler aux gens de l'endroit. Ils n'ont pas le droit de quitter la ferme.

On a lu des descriptions de leurs conditions de vie. Par exemple, s'ils sont blessés au travail, les soins sont très limités, à moins qu'ils soient mourants, auquel cas, bien sûr, on les fait sortir en douce et en vitesse pour éviter toute enquête.

Il y a des problèmes dans ce système. À l'article 3 du projet de loi C-49, il est question d'exploiter ces personnes ou de faciliter leur exploitation, mais c'est affaire de jugement pour le ministère de l'Immigration qui doit déterminer si l'agriculteur assume sa responsabilité de renvoyer les travailleurs chez eux à l'expiration de leur permis et de leur assurer des conditions de vie convenables.

Nous avons besoin actuellement de ces travailleurs migrants. Le Canada aura besoin plus que jamais de ces travailleurs migrants au cours des prochaines années.

Le sénateur Milne : En Ontario, on fait des inspections et les agriculteurs doivent signer des documents.

Le sénateur Joyal : Ils signent, mais d'après ce que j'ai vu — je pourrais apporter le document si nous avons une autre séance, mais j'en doute —, ces gens-là ne reçoivent aucun soutien en dehors de l'environnement étroitement encadré de leur milieu de travail. En cas d'abus, on les empêche de se plaindre. C'est pourquoi j'estime qu'il faut appuyer les ONG qui sont sensibles au sort de ces gens-là.

Ils sont vulnérables et nous le savons. Ils sont ici temporairement et ils travaillent dur pour envoyer de l'argent chez eux. Ils font des travaux que la plupart des Canadiens ne veulent pas faire. Il semble qu'il n'y ait pas les éléments voulus pour assurer des conditions de vie convenables pour ces gens-là.

Mme Morency : On m'a demandé si, à ma connaissance, le ministère de la Justice finance directement des ONG qui sont au service de ses communautés; nous ne les finançons pas au sens que vous l'entendez, c'est-à-dire pour fournir des services aux gens qui peuvent se retrouver victimes de traite de personnes ou d'autres formes d'exploitation. Ce que nous faisons, à même nos ressources existantes, c'est de travailler avec des ONG qui s'intéressent au sort de certains groupes jugés particulièrement vulnérables à la traite des personnes, et nous tentons de diffuser les meilleures pratiques et de comprendre les méthodes adoptées par ces organisations.

Le ministre a évoqué la possibilité de tenir des tables rondes là-dessus. Il l'a fait ici à Ottawa et à Vancouver avec des ONG qui ont constitué une coalition contre la traite des personnes pour s'attaquer à ces problèmes.

À l'avenir, nous espérons être plus engagés, grâce à la stratégie fédérale proposée, et aider directement ces groupes à fournir des services aux groupes les plus vulnérables à la traite.

Nous finançons actuellement des recherches pour tenter de préciser les besoins des victimes de la traite des personnes; nous voulons établir une feuille de route pour utiliser au mieux les ressources à l'avenir en vue de répondre à ces besoins.

En fin de semaine aura lieu une autre activité de conscientisation regroupant des ONG qui travaillent dans la collectivité. Ce que nous avons tenté de faire jusqu'à maintenant, c'est surtout de faire prendre conscience aux gens du problème. Certaines victimes de la traite des personnes ne savent même pas que c'est illégal et qu'elles peuvent demander de l'aide.

Nous continuons de travailler avec nos partenaires fédéraux. Citoyenneté et Immigration travaille avec des ONG, lesquelles travaillent à leur tour directement avec des gens qui arrivent au Canada. Il se fait peut-être du travail dans le dossier des travailleurs migrants.

Il se fait donc des choses actuellement, mais il faut en faire plus. En partenariat avec le Centre national de prévention du crime, on s'efforce activement d'obtenir l'engagement des ONG au niveau local au moyen de discussions, en diffusant les meilleures pratiques et en donnant de l'aide à ceux qui travaillent avec ces groupes. La question est de savoir comment nous pouvons, au gouvernement fédéral, apporter notre contribution.

Vous avez raison. C'est une question importante. Nous devons en avoir une meilleure compréhension et réagir plus énergiquement.

Le sénateur Joyal : J'ai deux questions sur l'interprétation de l'article 3. Il y est fait mention d'« une influence sur les mouvements d'une personne ». Par le mot « mouvement », est-ce qu'on entend les déplacements de part et d'autre de la frontière, ou bien à l'intérieur du Canada?

Mme Morency : La phrase dit « exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements d'une personne. » En vertu de certains cas énoncés dans le cadre des infractions existantes du Code criminel, une personne peut être considérée victime de la traite de personnes, même si on ne lui a pas interdit de sortir de la chambre ou de l'immeuble où elle se trouve. Ses mouvements sont complètement contrôlés par le trafiquant ou le facilitateur.

Le libellé de l'article 3 vise à créer une infraction qui s'applique à toute une gamme d'agissements qui pourraient aider à faciliter la traite de personnes.

Par exemple, le fait d'obliger quelqu'un à rester enfermé dans une chambre. Ou encore, de contrôler les mouvements de cette personne. Certaines personnes peuvent avoir la permission de quitter leur chambre ou l'immeuble, mais elles ne se sentent pas libres de partir. Elles n'ont plus de documents officiels. On parle ici de passeport ou d'autres documents d'identité.

Ce libellé existe déjà à l'alinéa 212(1)h) du Code criminel. Il s'agit de la disposition relative aux entremetteurs, en vertu de laquelle toute personne qui, « aux fins d'exercer un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements de [...] », se rendrait coupable d'une infraction.

Nous souhaitons que le libellé et l'interprétation de la nouvelle infraction soient conformes au libellé qu'on retrouve à l'aliéna h) afin que cette infraction s'applique à toute la gamme d'agissements dont j'ai parlé.

Le sénateur Joyal : Dans le même article, le mot « exploitation » est utilisé à deux reprises : « en vue de l'exploiter ou de faciliter son exploitation ».

Comment définissez-vous le terme « exploitation » dans le contexte pénal?

Mme Morency : La définition est donnée à l'article 279.04 du projet de loi. Dans le premier cas, aux termes de l'aliéna a), des personnes sont exploitées lorsqu'elles sont forcées ou amenées à fournir leur service ou leur travail, ou proposent de fournir leur service ou leur travail, alors qu'elles craignent que leur sécurité ou la sécurité d'autrui est menacée.

En gros, elles craignent que leur vie ou leur intégrité physique soit menacée, ou dans le cas de traite de personnes, que leur famille soit menacée dans leur pays d'origine. Cela arrive souvent.

Selon l'aliéna b), des personnes sont exploitées lorsque, par le biais de l'usage de la menace ou tout autre moyen, un organe ou des tissus sont prélevés. Ceci est conforme à la norme internationale établie dans la Convention des Nations Unies contre le crime organisé transnational et son protocole relatif à la traite de personnes. Cela vise à s'assurer que si une personne est exploitée, quelle qu'en soit la raison, que ce soit à des fins sexuelles, de travail forcé ou pour prélever un organe ou des tissus humains, l'infraction s'applique.

Le sénateur Milne : Je vais reprendre la question que le sénateur Mitchell a posée au ministre à propos des sanctions à l'encontre de ceux qui sont les utilisateurs finaux des services fournis par ces personnes. Ne sont-ils pas encore plus coupables que ceux qui enlèvent les victimes?

Il me semble que dans ces circonstances, on pourrait mettre ces personnes en accusation en vertu de la loi antigang relative aux organisations criminelles et elles seraient passibles d'emprisonnement à vie.

Mme Morency : Vous avez tout à fait raison. Il y a différentes façons pour la police ou un procureur d'aborder une affaire de traite de personnes. La criminalité organisée est très souvent impliquée dans la traite des personnes et, de ce fait on peut déposer des chefs d'accusation relatifs à la criminalité organisée. On peut très bien également accuser quelqu'un d'être partie à une infraction.

Le projet de loi C-49 crée un mécanisme permettant d'arrêter et de juger les personnes jouant un rôle dans la traite de personnes, même si ce ne sont pas elles qui s'occupent du recrutement physique.

Les peines proposées dans le projet de loi C-49 sont semblables à celles d'autres pays.

La présidente : Merci, madame Morency. Plaît-t-il au comité de passer à l'étude article par article du projet de loi C-49?

Des voix : Oui.

Le sénateur Andreychuk : Aux fins du contre rendu, j'aimerais dire que cela ne crée pas un précédent pour ce comité.

La présidente : Je suis tout à fait d'accord avec vous, nous ne procédons pas normalement de cette façon. Nous voulions entendre encore de nombreux témoins, mais nous ne pouvons le faire étant donné la situation.

Plaît-il aux sénateurs de reporter le titre?

Des voix : D'accord.

La présidente : Plaît-il aux sénateurs d'adopter l'article 1?

Des voix : D'accord.

La présidente : Adopté. Plaît-il aux sénateurs d'adopter l'article 2?

Des voix : D'accord.

La présidente : Adopté. Plaît-il aux sénateurs d'adopter l'article 3?

Des voix : D'accord.

La présidente : Adopté. Plaît-il aux sénateurs d'adopter l'article 4?

Des voix : D'accord.

La présidente : Adopté. Plaît-il aux sénateurs d'adopter l'article 5?

Des voix : D'accord.

La présidente : Adopté. Plaît-il aux sénateurs d'adopter l'article 6?

Des voix : D'accord.

La présidente : Adopté. Plaît-il aux sénateurs d'adopter l'article 7?

Des voix : D'accord.

La présidente : Adopté. Plaît-il aux sénateurs d'adopter l'article 8?

Des voix : D'accord.

La présidente : Adopté. Plaît-il aux sénateurs d'adopter l'article 9?

Des voix : D'accord.

La présidente : Adopté. Plaît-il aux sénateurs d'adopter le titre?

Des voix : D'accord.

La présidente : Plaît-il aux sénateurs d'adopter le projet de loi sans amendement?

Des voix : D'accord.

La présidente : Adopté. Plaît-il aux sénateurs que je renvoie ce projet de loi sans amendement au Sénat?

Des voix : D'accord.

La présidente : Adopté. Le projet de loi C-49 est adopté. Demain matin, à 10 h 45, nous traiterons du projet de loi C-53.

La séance est levée.


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