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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 5 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 14 février 2005

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 9 h 35, pour étudier, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle, l'application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi.

Le sénateur Eymard G. Corbin (président) au fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue à tous et à toutes. Joyeuse Saint-Valentin loin de vos conjoints. Je vous remercie du fond du coeur d'être ici ce matin. Je sais que cela représente des sacrifices considérables pour vous d'être ici ce matin. Votre appui aux langues officielles ne cesse de m'épater.

L'exercice dans lequel nous nous engageons aujourd'hui, qui se poursuivra les lundis 7 et 21 mars, a pour objet de compléter l'étude amorcée par ce comité à l'automne de 2003. L'objet de l'étude ne porte pas sur les établissements d'enseignement d'immersion en français langue seconde ni sur les écoles bilingues. C'est délibérément que nous avons convenu de concentrer notre attention et notre réflexion sur l'éducation, de la petite enfance jusqu'au collège et l'université, dans une logique de continuité.

Il s'agit donc de la formation pédagogique, de l'adéquation de la qualité de l'instruction. Il est question des établissements scolaires, du droit des parents de gérer ces établissements et d'être consultés dans la détermination des ententes de quelque nature qu'elles soient, de l'accès à ces établissements aux ayants droit. C'est de leur implantation dans un contexte communautaire, dans leur contexte culturel, et autres qu'il s'agit.

Nous entendrons des experts, des analystes, des chercheurs et surtout des organismes représentatifs habilités à parler pour l'ensemble des parents et des enfants des communautés de langue française au Canada, qui doivent souvent inventer, innover, parfois au prix de sacrifices personnels énormes allant jusqu'à la contestation judiciaire pour faire reconnaître leurs droits et maintenir le respect qui leur est dû.

Honorables sénateurs, nous sommes heureux et fortunés de pouvoir commencer ce matin avec le M. Pierre Foucher, professeur titulaire à l'Université de Moncton. Vous avez devant vous les notes biographiques et un bref curriculum vitae de M. Foucher.

Monsieur Foucher a aussi plaidé devant les tribunaux. Il est généralement reconnu qu'il est un expert dans le domaine du droit constitutionnel et il vient de publier, d'ailleurs, avec Paul T. Clark, un livre qui s'intitule : École et droits fondamentaux : Portrait des droits collectifs et individuels dans l'ère de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a aussi contribué à un article de fond à la deuxième édition du livre intitulé : Les droits linguistiques au Canada, sous la direction de Michel Bastarache.

Monsieur Foucher, je vous invite donc à faire le point sur les droits en matière scolaire de la minorité francophone au Canada.

M. Pierre Foucher, professeur titulaire, Faculté de droit, Université de Moncton : Je vous remercie de cette invitation. Merci également d'avoir entrepris ce travail de réflexion et d'analyse autour d'une question extrêmement importante, qui est celle de la protection des droits scolaires des minorités linguistiques.

Je vous ai fait parvenir un texte dans les deux langues officielles que je n'ai pas l'intention de lire au complet, mais dont j'aimerais vous présenter les grandes lignes ce matin. Je tâcherai d'être le plus clair possible, le moins technique et juridique possible, de manière à ce que le tout soit compris de tous et chacune.

Je vais d'abord vous rappeler le texte de la Charte, et ensuite vous parler brièvement de son but, de son contenu, de sa mise en œuvre et des obstacles à sa mise en œuvre. Ce qui nous réunit ce matin est l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, un article adopté en 1982.

C'est un article qui garantit des droits à trois catégories de personnes : les citoyens canadiens dont la langue est minoritaire dans leur province de résidence; deuxièmement, des citoyens canadiens qui ont fait leurs études primaires dans la langue de la minorité; troisièmement, des citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit présentement l'instruction dans la langue de la minorité.

Voilà les trois catégories de personnes qui ont des droits en vertu de la Charte. Ces gens ont le droit de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité, là où le nombre le justifie. Comme tout texte constitutionnel, celui-ci a besoin d'être interprété. Et lorsqu'on interprète, on doit tenir compte du but du texte constitutionnel.

Quel est le but de l'article 23? Ce but, a été identifié par la Cour suprême du Canada comme étant le suivant :

... il vise à maintenir les deux langues officielles du Canada ainsi que les cultures qu'elles représentent et à favoriser l'épanouissement de chacune de ces langues, dans la mesure du possible, dans les provinces où elle n'est pas parlée par la majorité. L'article cherche à atteindre ce but en accordant aux parents appartenant à la minorité linguistique des droits à un enseignement dispensé dans leur langue partout au Canada.

Le but est donc d'abord un but sociolinguistique. L'éducation est un moyen par lequel on pourra réussir à maintenir les langues minoritaires française ou anglaise au Canada.

Il ne faut donc pas se laisser distraire par des points techniques. Il faut toujours garder en tête le but de la disposition lorsqu'on se pose des questions sur son contenu. L'article 23 est un droit collectif qui profite aux communautés francophones ou anglophones qui sont minoritaires au Canada.

Un premier but est donc le maintien et l'épanouissement des communautés de langues officielles en situation minoritaire. Un deuxième but, qui a toujours été identifié par les tribunaux, est la réparation. L'article 23 a été intégré à la Charte pour réparer des torts ou des injustices passés.

Je n'ai pas le temps ce matin de vous faire l'historique de l'éducation en langue minoritaire au Canada, mais cette histoire révèle qu'il y a en effet eu des torts et des injustices et que l'article 23 vise à les réparer.

De plus, la cour ne juge pas de la sagesse de la décision d'inclure l'article 23 de la Charte. Le troisième but : la réparation sera obtenue en atteignant l'égalité en éducation. Je vais citer encore une fois la Cour suprême :

... l'histoire révèle que l'article 23 était destiné à remédier, à l'échelle nationale, à l'érosion progressive des minorités parlant l'une ou l'autre langue officielle et à appliquer la notion de « partenaires égaux » des deux groupes linguistiques officiels dans le domaine de l'éducation.

J'aimerais dire deux mots sur l'égalité. L'égalité ne signifie pas l'uniformité. Il est possible que les minorités aient besoin d'un traitement différent des majorités pour atteindre une égalité réelle.

Je vais vous donner un exemple que j'ai connu personnellement, celui de l'affaire Arsenault-Cameron à l'Île-du-Prince-Édouard.

Les enfants devaient faire une heure d'autobus pour partir de Summerside et aller à l'école Évangéline à Abram-Village. Lorsque le procès a été plaidé, la province a dit : « Pourquoi vous plaignez-vous, Acadiens, puisque les enfants anglophones aussi voyagent une heure? ». La cour a répondu que c'était parce que le choix que vous demandez aux francophones, vous ne le demandez pas aux anglophones. Le choix des francophones, c'est de rester à Summerside, aller à l'école anglaise et s'assimiler, ou faire une heure d'autobus pour être capable d'avoir de l'instruction en français.

Les études montraient qu'il y avait un potentiel de 300 enfants qui pouvaient fréquenter une école française à Summerside, mais 19 prenaient l'autobus. Et la province de demander pourquoi les 300 enfants ne sont-ils pas dans les autobus? Quand vous donnez le choix à un parent d'envoyer son jeune de six ans faire un trajet d'une heure ou d'une heure et quart dans un autobus pour avoir de l'instruction en français ou d'aller à l'école au coin de la rue, qu'est-ce que vous croyez que le parent va choisir? C'est un choix que la communauté anglophone n'avait pas à faire.

Donc, lorsqu'on dit que l'égalité ne signifie pas l'uniformité, c'est ce qu'on veut dire. Les conséquences des choix qui sont offerts ou des décisions gouvernementales qui sont prises ne sont pas les mêmes pour la majorité que pour la minorité. Je vais vous donner un autre exemple, cette fois-ci du sud-ouest de l'Ontario. Le gouvernement ontarien met un moratoire sur les rénovations d'écoles.

La communauté de Windsor, en Ontario, poursuit le gouvernement ontarien en disant : « Notre école de langue française tombe en ruine, nous avons besoin de rénovation, c'est urgent ». Le gouvernement leur répond : « Il y a un moratoire, c'est la même chose pour tout le monde. »

Le juge a dit : « C'est peut-être la même chose pour tout le monde mais les conséquences pour la communauté franco-ontarienne sont beaucoup plus sérieuses que pour la majorité. Les francophones de Windsor n'ont qu'une seule école qu'ils risquent de perdre si elle n'est pas rénovée. » Donc, encore une fois, égalité ne veut pas dire uniformité.

Ceci étant dit, regardons brièvement le contenu des droits qui sont garantis. À quoi les gens ont-ils droit? D'abord, ils ont droit à de l'instruction. L'instruction peut se dispenser de bien des manières : par Internet, par la télévision, dans des classes, des écoles, par des activités socioculturelles.

Ensuite, ils ont droit à des établissements d'enseignement de la minorité, en général des écoles homogènes. Enfin, ils ont le droit de gérer ces écoles. L'application de ces droits est conditionnée par une condition de nombre. La Charte le dit bien : « Là où le nombre le justifie ».

Je reçois toujours beaucoup de questions sur la question des nombres. La difficulté vient du fait que les juges nous ont dit qu'on ne peut pas fixer des nombres à l'avance. Cela dépend de chaque situation. Ce n'est pas à vous que je vais apprendre que dans un pays aussi vaste et diversifié que le Canada, en effet, il serait un peu ridicule d'établir à l'avance des nombres minimaux. Cela va dépendre des circonstances et des situations dans chacun des cas. Cela dépend aussi de ce que l'on va demander. Un enfant a peut-être le droit à une connexe Internet, dix enfants ont peut-être le droit à une classe. 100 enfants ont le droit à une école, 300 enfants ont le droit à une polyvalente. Est-ce que ces enfants sont en ville ou en campagne? Y a-t-il du transport en commun? Quel est leur âge? Faut-il construire un gymnase, une cafétéria? Qu'est-ce qu'on veut? Est-ce qu'il faut des laboratoires? Faut-il des salles de classes, des enseignants, des orthopédagogues? On ne peut pas d'avance établir des nombres, ce serait beaucoup plus simple mais ce n'est pas ce que nous demande la Charte.

Lorsqu'on établit les conditions de nombre, rappelons-nous l'objectif de l'article 23 : « Le maintien et le développement des communautés minoritaires ». L'égalité ne signifie pas l'uniformité. On doit donc être prêt à accepter des nombres moindres pour les communautés minoritaires que pour les majorités.

Je vais vous dire maintenant un mot sur la mise en œuvre de l'article 23. Je reçois aussi souvent des questions me demandent pourquoi a-t-on besoin de tant de procès et de recours aux tribunaux, si les provinces, en 1982, ont accepté la Charte et l'article 23? Je pense que c'est parce que les provinces ne comprennent pas nécessairement l'article 23 de la même manière que les communautés minoritaires. C'est peut-être aussi parce que les provinces ont accepté l'article 23 un peu à contrecœur. Quoi qu'il en soit, le fait est qu'il y a eu des procès, qu'il y en a encore et qu'il semble qu'il y en aura encore plusieurs. Ce n'est pas l'idéal car un procès implique beaucoup de ressources, des temps, d'énergie, de l'argent qui pourrait être mis ailleurs. Ce n'est certainement pas l'idéal.

La mise en œuvre est aussi aidée par le gouvernement fédéral. Le programme des langues officielles en enseignement favorise plusieurs initiatives. Le plan d'action pour les langues officielles du gouvernement fédéral a prévu des fonds neuf pour l'instruction dans la langue de la minorité.

Le gouvernement fédéral respecte donc l'engagement qu'il a pris dans la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Il pourrait sans doute faire encore mieux. Je vais laisser aux experts en administration publique le soin de vous expliquer comment. Il y a des obstacles à la mise en œuvre de l'article 23, et je vais compléter cette présentation en vous les expliquant.

La situation de l'enseignement du française hors Québec est préoccupante. Vous entendrez sans doute des démographes vous expliquer ce qui se passe. Du côté juridique, je peux vous dire que les ayants droit se heurtent à de la résistance active ou passive dans plusieurs provinces. Un des obstacles majeurs que les ayants droit rencontrent c'est l'inertie des gouvernements. Les communautés francophones — je peux vous le dire pour les avoirs rencontrées et les avoirs entendues — sont extrêmement frustrées par la lenteur des processus de prise de décision au sein des gouvernements provinciaux, comme si l'éducation dans la langue de la minorité n'était pas une priorité. Le temps est un facteur essentiel. La Cour suprême l'a reconnu dans l'affaire Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse. Si on attend, l'assimilation continue. Si l'assimilation continue, les nombres diminuent. Si les nombres diminuent, on a un problème avec la clause « là où le nombre le justifie ». Les provinces ont donc à se croiser les bras, attendre, laisser passer le temps et dire aux communautés que les nombres ne sont plus suffisants. C'est la raison pour laquelle il faut agir maintenant.

La deuxième difficulté que rencontrent les parents, c'est l'imputabilité. J'espère que vous entendrez des représentants des communautés de parents au Canada. Ils sont certainement curieux de savoir où sont passés les milliards, où vont les sous du gouvernement fédéral. Comment les provinces dépensent-elle cet argent? Je ne suis pas familier avec les procédures et mécanismes l'imputabilité pour la mise en œuvre des ententes fédéral-provincial, mais je pense qu'il y a lieu de réfléchir à de meilleurs systèmes qui vont permettre aux provinces d'être imputable de l'argent qu'elles reçoivent du gouvernement fédéral pour la mise en œuvre de l'article 23.

De plus, je pense que vous devriez être attentifs au fait que plusieurs provinces ne bougent pas tant que le gouvernement fédéral ne s'impliquera pas, comme si l'éducation n'était pas leur première responsabilité.

Je sais, que dans certains cas il y a des projets de construction et de rénovation dans les provinces qui attendent parce que les gouvernements provinciaux attendent de voir ce que le fédéral va faire.

Et le gouvernement fédéral attend de voir ce que les provinces vont faire. Tout le monde attend, et pendant qu'on attend, l'assimilation continue et les nombres diminuent. Cela aussi n'est pas acceptable. Les provinces ne doivent pas prétexter qu'elles attendent le gouvernement fédéral. Et le gouvernement fédéral lui-même doit faire diligence lorsqu'il reçoit des demandes des provinces.

Un troisième problème qu'on rencontre dans plusieurs endroits au Canada, c'est la qualité. Plusieurs écoles de la minorité se trouvent dans des endroits où vous ne voudriez pas envoyer vos enfants. Des sous-sols, des roulottes, des bâtisses désaffectées reconverties, un garage, un club-social. À l'Île-du-Prince-Édouard, c'est dans le Club Lyons.

Quand l'école se retrouve dans une vraie bâtisse, qui a été construite comme une école, c'est souvent une vieille bâtisse désaffectée qu'on a donnée à la commission scolaire de langue française et qui a besoin de rénovation. Voilà en ce qui concerne le parc physique, mais les conseils scolaires de la minorité manquent de ressources pour faire face aux besoins pédagogiques. Ils manquent d'enseignants qualifiés, de livres, de programmes, de cours à option. Cette inertie et cette absence de qualité causent des dommages aux jeunes d'abord, qui ne reçoivent pas l'éducation de qualité auxquels ils ont droit, ensuite au personnel enseignant, qui peut perdre son énergie et son enthousiasme, ce que requiert l'enseignement en milieu minoritaire. Les conseillers scolaires se trouvent pris entre l'arbre et l'écorce. Les conseillers scolaires vont voir la province qui leur répond de s'en occuper, mais sans leur donner les ressources voulues.

Cela entraîne des dommages pour la communauté qui s'assimile et des dommages aux droits en tant que système puisqu'on perd confiance dans la capacité de la Charte de vraiment assurer les droits. Quels sont les défis qui attendent les communautés dans la mise en œuvre de l'article 23? Un premier défi, c'est la démographie qui change.

Le Canada change, se diversifie, et les écoles de la minorité accueillent de plus en plus de jeunes qui n'ont pas le français comme langue première ou langue à la maison. Il y a le défi du recrutement et de la rétention pour que les gens fréquentent l'école de la minorité et y demeurent jusqu'à la fin de leurs cours. Il y a aussi le défi des activités culturelles et sociales dans la langue de la minorité; le coût du matériel pédagogique qui est plus élevé dans la langue de la minorité, surtout en français; le besoin de formation continue et de ressourcement des enseignantes et des enseignants; les ressources spécialisées en français et les infrastructures physiques adéquates.

Si on ne bouge pas plus rapidement, il y aura plus de poursuites et des poursuites de plus en plus importantes. En Saskatchewan, présentement, la commission scolaire de langue française poursuit le gouvernement provincial pour dix millions de dollars de réparation et pour une augmentation de son budget. Le Manitoba vient d'annoncer qu'il va intenter des poursuites contre le gouvernement fédéral. Ailleurs au Canada, d'autres communautés songent à intenter ce genre de poursuite, de sorte que, éventuellement, la facture risque d'être beaucoup plus élevée que si nous sommes proactifs.

Il me semble de plus que cela ne devrait plus être nécessaire aujourd'hui de saisir les tribunaux d'une demande pour construire une nouvelle école lorsqu'il y a des précédents qui montrent que pour le même genre de nombre, des écoles sont construites.

On a besoin d'un plan de mise en œuvre de l'article 23 beaucoup plus considérable que le Plan d'action sur les langues officielles, un plan dans lequel il va y avoir des ressources et des mécanismes d'imputabilité. Voilà quel était l'essentiel de mes remarques. Maintenant je vais, avec plaisir, recevoir vos questions concernant l'article 23 et sa mise en œuvre.

Le président : Vous êtes sensibilisés au fait que notre prochain témoin doit comparaître à 11 heures, alors je demande aux sénateurs d'être précis dans leurs questions.

Le sénateur Comeau : Vous avez dit qu'égalité ne signifiait pas uniformité. Est-ce la Cour suprême qui a dit cela?

M. Foucher : Oui, dans l'arrêt Arsenault-Cameron.

Le sénateur Comeau : C'était dans le contexte des minorités?

M. Foucher : Oui.

Le sénateur Comeau : Vous avez fait mention de réparations. Le concept de réparation vient-il de la Cour suprême?

M. Foucher : Cela vient dès 1984. La Cour suprême l'a dit dans une cause en provenance du Québec. Elle l'a répété en 1990 dans une cause en provenance de l'Alberta et elle l'a ensuite répété en 2003, dans la cause Doucet-Boudreau qui venait de chez vous, la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Comeau : Est-ce que ce concept s'applique au-delà de la question de la scolarité ou directement à celui de l'école?

M. Foucher : Cela s'applique d'abord à l'article 23 lui-même, qui parle d'enseignement primaire et secondaire. Et c'est dans ce contexte que le concept de réparation a été fait. L'idée au départ était de dire : vous devez accepter que cela va coûter plus cher que pour les majorités; vous devez accepter de payer ce que cela va coûter; vous devez accepter d'en faire plus pour de plus petits nombres. L'idée est de réparer, de refranciser, de combattre l'assimilation. Est-ce que cela peut s'étendre au préscolaire? Probablement qu'il y a un bon argument dans le fait que si on veut que l'instruction primaire ait lieu, qu'il faut aller chercher les enfants dès la petite enfance, le préscolaire. Il faut avoir la garderie dans l'école de la minorité.

Je vais vous parler du cas concret d'une école victime de son succès à Yellowknife. Quant j'y suis allé, en 1988, il y avait huit enfants entassés dans une roulotte et demie située dans la cour de l'école française. Maintenant, ils ont une école française. L'année passée, il y avait 125 élèves, cependant, il y avait tellement de demandes d'inscription que l'école débordait. On a alors été obligé de sortir la garderie de l'école. Sortir la garderie de l'école, c'est perdre les 15, 20, 25 enfants qui la fréquentaient. Est-ce que ces enfants vont retourner à l'école française ensuite? On a vu la même chose à l'Île-du-Prince-Édouard et un peu partout dans les écoles de la minorité. Avoir les garderies dans l'école, c'est s'assurer que l'on va donner accès aux enfants dès le début.

Pour étendre donc l'article 23 au préscolaire, le concept de réparation offre de bons arguments pour le postsecondaire, parce que la question est souvent posée : est-ce que cela donne le droit à un enseignement postsecondaire dans sa langue? C'est pour cela que le droit est un art et non une science. Je ne suis pas du même avis que certains de mes collègues. Il y en a qui disent oui, moi, je pense que non. Cela porterait le texte plus loin que ce qu'il dit. Il est clair : le texte de la Charte dit « primaire et secondaire ». Dire que cela comprend le postsecondaire, je ne le pense pas.

Le sénateur Comeau : En tant qu'avocat, je vois les limites autour desquelles vous voyez l'applicabilité de cet argument.

Par contre, comme avocat si vous faisiez face à une question devant la Cour suprême qui serait autre que directement liée à l'article 23, auriez-vous tendance à utiliser les mêmes arguments?

M. Foucher : Oui, parce que tout cela s'inscrit dans une dynamique globale de dualité linguistique au Canada. Mais, ce ne serait pas nécessairement fondé sur l'article 23.

Le sénateur Comeau : Vous en feriez mention seulement en passant?

M. Foucher : À titre de référence, oui.

Le sénateur Comeau : La Charte mentionne « là où le nombre le justifie », — je n'ai pas le texte français devant moi, je vais lire la version anglaise — « the right applies wherever in the province the number of citizens who have such a right and not necessarily who so request ... »

M. Foucher : Exact.

Le sénateur Comeau : Ceci m'amène à la question des communautés ou des villages qui se sont assimilés. J'ai vu en Nouvelle-Écosse des villages qui se sont complètement assimilés en une génération. Ne pourrions-nous pas dire que ces villages ont ce droit même s'il n'y a pas de francophones?

M. Foucher : Je pense qu'une commission scolaire de la minorité est justifiée d'appliquer ce qu'on appelle une clause grand-père et d'admettre dans ces écoles des enfants de deuxième ou de troisième génération comme cela s'est passé à plusieurs endroits en Nouvelle-Écosse et à l'Île-du-Prince-Edouard. Il est certainement possible de compter à l'intérieur du nombre qui le justifie, même si techniquement ils ne sont pas des ayants droit.

Le sénateur Comeau : Je présume que pour trouver le nombre des ayants droit, on utilise les chiffres de Statistique Canada.

M. Foucher : Oui.

Le sénateur Comeau : Pourrions-nous prendre un autre moyen pour trouver ces nombres?

M. Foucher : Oui, parce que ces chiffres ne sont pas fiables. Je vais laisser les démographes vous expliquer pourquoi.

Le sénateur Comeau : Madame le sénateur Chaput pourrait vous en parler aussi.

M. Foucher : Ces chiffres ne sont pas nécessairement fiables, mais c'est le point de départ. Il y a d'autres moyens qui sont employés. En Colombie-Britannique, au début des années 80, une dame a pris le bottin téléphonique de sa ville et elle a téléphoné à toutes les personnes portant un nom francophone pour vérifier s'ils avaient des enfants qui pourraient fréquenter l'école. C'est comme cela qu'ils ont réussi à mettre sur pied l'école française de Power River. À Summerside, ils ont embauché Mme Angéline Martel pour faire une étude dans la communauté pour trouver s'il y aurait un potentiel de 300 enfants.

Ce qui est difficile c'est lorsqu'on demande aux communautés francophones, aux minorités de faire ces recherches. Elles n'ont pas nécessairement les ressources, le temps et les moyens pour le faire. C'est un lourd fardeau à leur imposer. Le gouvernement leur demande de prouver leurs nombres. Cela est difficile à faire. Il faudrait penser à des façons proactives pour aider les gouvernements à identifier les nombres. Ce ne serait pas nécessairement les nombres qu'ils demandent parce que les gouvernements provinciaux ont toujours tendance à dire qu'ils n'ont reçu qu'une demande pour huit ou dix personnes. Mais cela ne veut pas dire qu'il y en a huit, dix ou 12. Encore une fois, à Yellowknife c'est parti de huit personnes et ils ont maintenant 125 personnes. À Summerside, cela va très bien, ils étaient 17 élèves lors de l'ouverture de l'école et ils en sont à 48 élèves, trois ans plus tard.

Le président : Professeur Foucher, vous avez fait un lapsus. Vous avez parlé d'une roulotte dans la cours de l'école française.

M. Foucher : Anglaise.

Le sénateur Chaput : Je veux tout d'abord vous remercier, monsieur Foucher. Vous nous avez présenté l'article 23 d'une façon simple, facile à comprendre avec des exemples très concrets.

En ce qui a trait à l'article 23, vous avez mentionné que le but de cet article était sociolinguistique, et que l'on veut remédier à l'érosion progressive d'une communauté, et que l'éducation était un des moyens. C'est cela, n'est-ce pas?

M. Foucher : Exact.

Le sénateur Chaput : Un des moyens d'utiliser l'article 23 à son maximum est l'éducation. On pourrait possiblement aller plus loin pour que l'article s'étende aussi dans le contexte de la petite enfance. Est-ce qu'on peut le pousser plus loin?

Au Manitoba, nous avons besoin de nos écoles, de garderies, de services à la petite enfance en français pour continuer à remédier à l'érosion de notre communauté et vous le savez. De plus, dans ces communautés où nous avons une école et où nous avons une garderie, si nous sommes privilégiés, cela nous prend aussi une vie en français. Lorsque l'enfant et les parents ne sont pas à l'école, et qu'ils vont à une caisse populaire par exemple, on fait face a toute la question des services en français, ce qui nous amène à la Loi sur les langues officielles et aux plaintes que nous devons loger continuellement auprès de la commissaire parce que nous ne recevons pas les services dans notre langue. Est-ce que l'article 23 va aussi loin que de toucher cet aspect dans la communauté à l'extérieur de l'école?

M. Foucher : Non, malheureusement. On peut quand même l'étendre et le pousser, par exemple à la vie culturelle à l'école. L'article 23 pourrait être élargi; s'il y a une pièce de théâtre du Cercle Molière, peut-être pourrait-elle être jouée dans les écoles franco-manitobaines. S'il y a des artistes franco-manitobains qui se produisent et qui reçoivent de l'aide, il serait bon de financer une tournée dans les écoles. On peut élargir l'article 23 à la vie culturelle.

En ce qui a trait à la vie sportive peut-être que l'article 23 peut demander que ces sports se pratiquent en langue française. Si on se sert de l'école comme terrain de soccer ou on se sert du gymnase pour faire du basketball, il faudrait que l'entraînement se fasse en langue française. Il faudrait s'assurer que les équipes sportives des écoles de langue française aient des entraîneurs francophones. On a eu un problème à Dieppe, au Nouveau-Brunswick, où une équipe voulait embaucher un entraîneur unilingue anglophone. C'est inacceptable, cela ne devrait pas se faire. L'équipe sportive de l'école devrait être entraînée par une personne qui parle français. Dans ce sens, oui, on peut élargir l'article 23 aux au-delà de la salle de classe. On peut aussi concevoir l'école de langue française dans plusieurs milieux — c'est ce qu'on fait — comme un centre communautaire où l'on va et qui regroupe la bibliothèque, la caisse populaire et différents services. D'ailleurs là-dessus, je pense que le gouvernement fédéral a une contribution importante à faire sur le développement de l'aspect communautaire de cette école de façon à ce que l'école de langue française soit le centre de vie française dans plusieurs régions, villages ou villes où c'est la seule institution identifiée à la communauté francophone. De là à dire qu'on va réclamer devant les tribunaux des services privés en langue française, je ne le pense pas. Je ne pense pas que l'article 23 puisse être poussé au point où il comprend les magasins, les caisses, les services bancaires. On doit quand même être prudent parce que si l'on pousse trop loin l'article 23, et si l'on fait dire à cet article des choses qu'il ne dit pas, la moyenne de la population va voir cela et va peut-être se révolter.

Le sénateur Chaput : Ce que je voulais dire c'était plutôt non pas les services privés mais les services des ministères fédéraux, s'ils ont des bureaux dans ces endroits.

M. Foucher : C'est la même chose. La Loi sur les langues officielles vient rajouter des droits.

Le président : Il y a évidemment des liens de cause à effet, mais de grâce tenons-nous en à l'éducation, à la formation des jeunes. Ce sont des domaines connexes et importants que nous pourrions explorer à d'autres occasions, mais concentrons-nous ici sur l'éducation et les droits à l'éducation.

[Traduction]

Le sénateur Buchanan : Monsieur Foucher, bien que je sois vice-président du comité des langues officielles, je ne parle pas français. Par contre, je parle anglais couramment et étudie le français avec l'aide du sénateur Comeau. D'ailleurs, ma belle-fille est francophone. Elle est originaire de Moncton, au Nouveau-Brunswick, et habite maintenant à Halifax. J'ai de bonnes bases, mais à mon âge, je ne suis pas convaincu qu'un jour je pourrai parler français couramment, mais il faut garder espoir.

Je me souviens bien de l'article 23 de la Charte des droits et libertés. En effet, j'ai été premier ministre de Nouvelle-Écosse de 1978 à 1982, à l'époque de l'adoption de la Loi constitutionnelle et de la Charte des droits et libertés, du rapatriement, et cetera. On se souviendra, et les procès-verbaux de l'époque l'attestent, que la Nouvelle-Écosse avait appuyé sans réserve l'article 23 et n'avait eu aucune objection à ce qu'il fasse partie de la Charte. J'ose espérer que depuis son adoption, cet article a bien été mis en œuvre. Pour ma part, je ne peux vous parler que de la période entre 1982 et 1991, c'est-à-dire les dernières années de mon mandat de premier ministre provincial. Je pense que nous appliquions bien l'article 23. En effet, dans le courant des années 80, nous avons créé des commissions scolaires francophones au Cap-Breton et dans l'ouest de la Nouvelle-Écosse. Nous avons également ouvert le Carrefour du Grand-Havre, qui est une école sensationnelle. Jusqu'en 1991, nous avons créé des programmes d'immersion francophone dans la région de Halifax-Dartmouth et ailleurs dans la province. Par contre, il me serait difficile de vous parler des nouveaux développements, c'est-à-dire de 1991 à aujourd'hui, soit de l'affaire Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse et du reste. D'après moi, l'article 23 a été respecté; par contre, s'il y a des régions de la province dans lesquelles cet article n'a pas été bien appliqué, j'aimerais que vous le disiez.

M. Foucher : Je ne connais pas bien la situation de l'ensemble des régions de la Nouvelle-Écosse. Par contre, à ma connaissance, le Carrefour du Grand-Havre marche bien. L'école est même victime de son propre succès. En effet, il n'y a plus suffisamment de places, ce qui veut dire qu'il faudra soit rénover le bâtiment soit construire une autre école.

Le sénateur Buchanan : C'est ce que j'ai entendu dire.

M. Foucher : Par contre, l'affaire Doucet-Boudreau a révélé que dans d'autres régions, il y a des problèmes au niveau de l'enseignement secondaire en français. Depuis la décision du juge Leblanc, ce problème a été corrigé. Par contre, dans certaines régions de la province, il y aurait des bâtiments donnés au Conseil scolaire acadien provincial qui ne sont pas adéquats et ont besoin d'être rénovés.

Je ne connais pas tous les détails, mais c'est ce qu'on m'a dit. Il semblerait qu'il y ait également une pénurie de ressources spécialisées, comme par exemple les orthophonistes, les psychologues et les spécialistes des enfants demandant une prise en charge supplémentaire. Il y a encore place à l'amélioration. J'en ai d'ailleurs parlé dans mon exposé. Les parents ne devraient pas être obligés de poursuivre le gouvernement pour assurer la prestation de ces services. J'estime qu'ils devraient plutôt être proactifs et se faire aider par le gouvernement fédéral.

Le sénateur Buchanan : J'ai oublié de mentionner qu'en 1988-1989, nous avons ouvert le Collège de l'Acadie, qui relève de l'Université Sainte-Anne. Je pense que le succès qu'a connu le collège à ses débuts n'a jamais diminué. Le connaissez-vous?

M. Foucher : Il a connu un tel succès qu'il s'est maintenant propagé à Wellington, dans l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Buchanan : Effectivement.

M. Foucher : Le Collège de l'Acadie offre ses propres cours.

Le sénateur Buchanan : On a fait de bien bonnes choses à cette époque-là.

M. Foucher : Tout n'est pas sombre, mais les besoins sont énormes et il reste beaucoup de choses à faire. Ce qui a été fait est très bien, mais ce n'est pas une raison pour nous reposer sur nos lauriers. Comme je l'ai dit, nous devons rénover les installations qui en ont besoin et améliorer l'enseignement spécialisé, surtout au niveau secondaire.

Le sénateur Buchanan : Dès que j'en aurai l'occasion, j'en parlerai avec le premier ministre John Hamm. Peut-être qu'il pourrait même y consacrer une partie des nouveaux fonds de développement extracôtier, qui n'existeraient pas aujourd'hui, soit dit en passant, si je n'avais pas négocié puis signé l'accord de 1986, comme le sait pertinemment le sénateur Murray. Je dirai donc au premier ministre Hamm qu'une partie de ce financement doit être réservé pour les besoins des francophones de la région.

Le sénateur Jaffer : Je voudrais savoir si les familles dont la langue maternelle est une langue minoritaire ont été comprises dans les statistiques que vous nous avez données.

M. Foucher : Oui, elles seraient prises en compte si leur deuxième langue était le français, à l'extérieur du Québec.

Le sénateur Jaffer : Et si le français était leur langue maternelle?

M. Foucher : Elles seraient aussi incluses.

Le sénateur Jaffer : Est-ce qu'elles ont droit à l'éducation?

M. Foucher : En vertu de la Charte, elles n'y ont pas droit mais, en général, les commissions scolaires francophones les acceptent.

Le sénateur Jaffer : Elles n'y ont pas droit même en étant francophones?

M. Foucher : C'est bien ça. Ces personnes n'y ont droit qu'à partir du moment où elles obtiennent leur citoyenneté. En effet, l'article 23 est réservé aux citoyens. C'est essentiellement en raison de la situation du Québec.

Le sénateur Jaffer : Quand ces personnes deviennent citoyennes, est-ce que les statistiques changent?

M. Foucher : Oui, cela les gonflerait. Par contre, concrètement, quand ces personnes arrivent au pays et veulent inscrire leurs enfants à l'école francophone, elles s'adressent à la commission scolaire de langue française. Les enfants sont acceptés parce qu'ils parlent français. Une dernière chose : ces personnes deviennent des ayants droit. En effet, en vertu d'une des dispositions de la Charte, en devenant citoyen canadien, on devient également un ayant droit. Par exemple, l'enfant d'un ressortissant d'un pays du Moyen-Orient qui parle le français comme langue seconde serait accepté. L'obtention de la citoyenneté confère automatiquement le statut d'ayant droit.

[Français]

Le sénateur Léger : J'aurais peut-être un commentaire, mais c'est pour le garder dans la ligne de l'éducation que j'ai des problèmes. Parce que pour moi, le mot « éducation », c'est souvent le reste.

Je n'ai pas de problème avec l'énoncé selon lequel l'anglais et le français sont égaux. Cependant, l'expression « là où le nombre le justifie » existe toujours dans l'article 23. Selon moi, c'est ce qu'il faut changer, de même que le mot « minorité ». Ce n'est pas tout à fait la culture. Pourriez-vous dire un ou deux mots là-dessus?

M. Foucher : S'agissant d'abord de la minorité, c'est la langue qui est minoritaire au sens où elle n'est pas parlée par l'ensemble de la population. S'agissant de « là où le nombre le justifie », encore là, les tribunaux n'ont pas mis beaucoup d'emphase là-dessus parce que ce n'est pas le plus important. Dans l'optique de la réparation, même un petit nombre demande qu'on fasse quelque chose pour les enfants. C'est toujours une question de contexte. Par exemple, à Summerside, le nombre de 100 enfants justifie une école primaire. Dans d'autres endroits du Canada, s'il y a deux ou trois enfants qui font une demande, par exemple, dans une région isolée du nord de la Saskatchewan, on va leur fournir un ordinateur, un tuteur et une ligne Internet pour qu'ils puissent suivre des cours à distance. Dans ce sens, le nombre est une question pratique, une question d'application et n'est pas ce qui détermine si avez des droits ou non.

Le sénateur Léger : J'apprécie vos explications. Dans votre exemple où il n'y avait que quelques élèves, cela a passé quand même?

M. Foucher : Oui, et voici un autre exemple. En Colombie-Britannique, pour certains cours de douzième année, vous savez ce qu'ils font? Ils réunissent les jeunes à Vancouver pendant deux ou trois fins de semaine et ils leur donnent un cours intensif. C'est une grosse fête en même temps. Pendant une fin de semaine, ils ont un cours de sciences sociales, de droit ou de quoi que ce soit au programme. Au lieu de suivre un cours tous les jours dans une école, ils vont à Vancouver, peut-être deux ou trois fois par année, ils suivent un cours intensif et ils obtiennent les crédits associés au cours.

Il y a toutes sortes de façon d'avoir le nombre. Ce n'est pas un obstacle, c'est plus la façon de le faire que de savoir si on a des droits ou non. Votre question est importante. Il y a encore des règlements au Canada où l'on a fixé des nombres à l'avance. En Colombie-Britannique, cela prend 10 élèves. Si on a les 10, mais qu'il y en a un qui quitte parce que le père est transféré et que la famille déménage, on va tomber à neuf et on va perdre la classe. Ces chose-là ne doivent pas arriver.

Le sénateur Léger : On se demande comment attaquer le problème de la résistance active et passive. On entre dans l'esprit, dans la mentalité et c'est plus complexe.

M. Foucher : Suite au lancement de mon livre, je suis allé donner des conférences dans l'Ouest canadien et je me suis aperçu que nous avons beaucoup de travail d'éducation à faire auprès des majorités qui ne comprennent pas l'article 23. Ils le voient comme un privilège et ils ne voient pas pourquoi les francophones auraient quelque chose de spécial. Nous devons leur faire comprendre de quoi il s'agit.

Le sénateur Léger : Il est très urgent de changer la mentalité selon laquelle le français et l'anglais sont égaux. C'est important parce que la démographie change royalement. Souvent, les Autochtones, c'est comme s'ils n'existaient pas au point de vue des langues.

M. Foucher : Là on tombe en dehors de l'article 23 et ce n'était pas dans mon mandat de vous expliquer les droits des Autochtones. En effet, cela peut poser certains problèmes. Vous avez raison lorsque vous dites que la démographie change et on doit faire un travail au niveau de l'éducation pour s'assurer que la dualité canadienne est maintenue. C'est avec les droits scolaires — la cour l'a dit — que le Canada va conserver ses deux langues officielles. C'est en ayant des écoles où les jeunes seront scolarisés en français en dehors du Québec qu'on va maintenir la langue française. Sinon, l'anglais est un rouleau compresseur qui va balayer le Canada.

Le président : Je voudrais revenir à la question du droit. C'est un droit fondamental?

M. Foucher : Oui.

Le président : C'est un droit qui implique des obligations de la part de certaines parties?

M. Foucher : Oui.

Le président : Quelles sont ces parties?

M. Foucher : Les gouvernements.

Le président : Les gouvernements qui se sont liés au texte constitutionnel?

M. Foucher : Oui.

Le président : Donc neuf provinces...

M. Foucher : Neuf provinces, les territoires et le gouvernement fédéral.

Le président : Lorsqu'on ne remplit pas ses obligations, qui a le droit de poursuivre les parties?

M. Foucher : Les ayants droits et ceux qui les représentent. Vous voyez donc des parents et des commissions scolaires de la minorité intenter des poursuites.

Le président : Est-ce qu'avant d'aller plaider, il y aurait d'autres moyens pour inciter les parties à respecter leurs engagements?

M. Foucher : On doit jouer sur tous les tableaux. On doit leur dire que s'ils ne le font pas, ils vont être poursuivis et ils seront responsables de leur décision. On doit aussi leur expliquer pourquoi c'est la bonne chose à faire.

Le président : Et s'ils ne le font pas?

M. Foucher : C'est la même chose que dans le domaine privé. Si vous signez un contrat avec un entrepreneur et qu'il ne respecte pas ses engagements, vous pouvez négocier avec lui et s'il refuse, vous pouvez vous adresser aux tribunaux. C'est la façon civilisée, dans une démocratie, de faire respecter les droits.

Le président : Ai-je raison de croire qu'il y a des gouvernements qui se sont liés à ces obligations qui ne font qu'attendre qu'on les amène en cour pour réagir?

M. Foucher : C'est possible qu'ils se servent de cela pour des raisons de stratégie politique.

Le président : Ne trouvez-vous pas honteux et scandaleux qu'on agisse ainsi?

M. Foucher : Tout à fait. Je trouve cela inqualifiable. Cela ne devrait pas exister, mais malheureusement, cela existe.

Le président : Considérez-vous que le Parlement assume pleinement ses obligations?

M. Foucher : Je ferais une distinction entre le Parlement et le gouvernement. Le gouvernement fédéral pourrait en faire plus. Est-ce que le Parlement, lui-même fédéral, assume ses responsabilités? Dans la mesure de l'étendue de sa juridiction, oui.

Le président : Le Parlement édicte les lois.

M. Foucher : Il édicte les lois mais la Constitution ne lui permet pas de légiférer en matière d'éducation. Par contre, le gouvernement fédéral a le pouvoir de dépenser de l'argent dans le domaine. Il le fait, mais comme je l'ai dit tantôt, il pourrait faire plus et mieux.

Le président : Dans votre expérience, monsieur Foucher, est-il arrivé à des éléments de la majorité linguistique au pays à se joindre aux efforts de la minorité pour la reconnaissance de leurs droits?

M. Foucher : Oui, plusieurs fois.

Le président : Pouvez-vous nous donner des exemples?

M. Foucher : Par exemple, on parlait de deuxième génération de clause grand-père.

Je connais des endroits au Canada où ceux qui demandent de l'instruction en français sont justement des parents dont les parents parlaient français mais qui n'ont pas eu la chance d'être scolarisés en français et qui voudraient que leurs enfants renouent avec leur culture d'origine. Il y en a beaucoup et ce sont de précieux alliés dans la lutte pour la reconnaissance des droits scolaires. Il y a des fonctionnaires de langue anglaise et la majorité de ceux qui travaillent au ministère de l'Éducation, dont certains ou certaines croient en l'instruction de la langue de la minorité. Ils font tout ce qui est en leur possible, dans la mesure de leurs moyens et de leurs fonctions, pour que cela fonctionne. Par contre, d'autres ne semblent pas comprendre.

Le président : Vous êtes professeur de droit administratif également?

M. Foucher : Aussi.

Le président : Vous avez une formation en ce sens?

M. Foucher : Aussi.

Le président : Trouvez-vous que le gouvernement fédéral administre bien la Loi sur les langues officielles?

M. Foucher : Je serai nuancé comme un professeur. Il y a des endroits où on le fait bien et d'autres où cela pourrait être amélioré, entre autres, la partie VII de la Loi sur les langues officielles qui sert d'appui à l'intervention fédérale en éducation.

Le sénateur Murray : J'ai lu votre document au cours du week-end, dans sa version anglaise bien sûr. Je constate que plusieurs des questions que vous avez soulevées sont traitées de façon plus détaillée par des témoins qui comparaîtront plus tard. C'est fort utile d'avoir établi un contexte pour leur présentation. Je ne peux m'empêcher de vous demander d'élaborer sur l'affirmation suivante et je la cite dans sa version anglaise :

[Traduction]

L'interprétation selon laquelle l'article 23 oblige le gouvernement fédéral à financer à même le Trésor public l'éducation en langue minoritaire est fondée. D'ailleurs le gouvernement fédéral respecte actuellement cette obligation.

[Français]

Y a-t-il une jurisprudence sur cette question ou s'agit-il d'une d'idée qui commence à germer chez vous?

M. Foucher : C'est un argument. J'ai des raisons de croire que cela pourrait être accepté par des tribunaux, mais aucun ne l'a dit jusqu'à maintenant.

[Traduction]

Je suppose que c'est un peu théorique.

[Français]

Le sénateur Murray : Tout le monde sait que le gouvernement fédéral dépense déjà de l'argent. Il n'est pas exagéré de dire que le gouvernement fédéral finance en majeure partie les écoles minoritaires dans la province.

M. Foucher : Vous avez probablement raison.

Le sénateur Murray : Dans une autre déclaration, vous posez la question suivante :

[Traduction]

devrait-on concevoir un mécanisme auquel pourrait avoir recours une collectivité dont les droits ont été bafoués? Par le biais de ce mécanisme, il serait possible d'informer rapidement l'organisation désignée de la situation. Devrait-on avoir des recours juridiques qui permettraient un traitement plus rapide que ceux qui existent actuellement? Pourrait-on accélérer le processus en renforçant le programme de recours juridiques?

[Français]

Qu'avez-vous à l'esprit? Avez-vous élaboré un plan à ce sujet?

M. Foucher : Non. Ce sont simplement des idées que j'ai émises parce que je constate que les procès sont longs et coûteux. Actuellement, le commissaire aux langues officielles du Canada fait des enquêtes ou des interventions au sujet de l'article 23. Elle intervient, mais techniquement, ce n'est pas son mandat principal. On ne peut pas loger de plaintes auprès du commissariat pour violation des droits scolaires car elle ne peut pas enquêter. Ces enquêtes se limitent à la loi fédérale. Je pensais un peu à quelque chose de ce genre. Peut-être élargir la compétence ou penser à un organisme administratif qui interviendrait rapidement et qui porterait plainte; il y aurait une enquête et une proposition de recommandations plutôt que de devoir passer par les tribunaux. Je lance cette idée.

Le sénateur Murray : Qui hériterait d'une telle agence?

M. Foucher : Cela pourrait venir du Conseil des ministres en éducation du Canada.

Le sénateur Murray : Avec un statut quasi-administratif?

M. Foucher : Oui, bien sûr.

Le sénateur Murray : J'aurais un autre commentaire à formuler.

[Traduction]

Il serait peut-être aussi envisageable de donner directement des fonds publics aux commissions scolaires de langue minoritaire. Ainsi, ce serait les commissions, et non les gouvernements provinciaux, qui devraient rendre compte de leurs activités.

[Français]

Je dirai franchement que c'est à déconseiller et pas seulement pour des raisons constitutionnelles.

[Traduction]

Je pense qu'il ne faut pas non plus dégager les gouvernements provinciaux de toute pression, c'est leur responsabilité en vertu de la Constitution.

[Français]

M. Foucher : Vous avez raison sur ce point — vous voulez que les gouvernements provinciaux continuent d'assumer leurs responsabilités — si une partie des fonds du gouvernement fédéral est donnée directement aux associations francophones.

Le sénateur Murray : Je sais mais vous parlez des conseils scolaires.

M. Foucher : C'est la même chose. Vous pourriez prendre une partie des fonds fédéraux et la redonner aux conseils scolaires pour leur dire de développer le volet culturel ou des volets communautaires. Vous aurez des représentants des conseils scolaires et vous verrez s'ils sont d'accord ou non. Le rôle d'un professeur est de lancer des idées et vous verrez ce qu'il y a de bon.

Le sénateur Comeau : J'aimerais revenir sur la question de la possibilité de rendre des fonds disponibles pour les conseils scolaires. Prenons l'exemple d'un conseil scolaire qui voudrait un centre communautaire. On voit dans presque tous les documents qu'un centre communautaire fait partie des besoins des communautés. Ce n'est peut-être pas possible dans toutes les communautés en situation minoritaire. On est en train de débattre de cette question dans ma région présentement. Beaucoup de gens veulent un centre communautaire. Un autre groupe de personnes très actives disent qu'on est en train de fermer des édifices, la Légion n'a plus de fonds, les Chevaliers de Colomb ont des problèmes fiscaux, l'Université Sainte-Anne a beaucoup d'édifices qui ne sont utilisés pas à pleine capacité. Si les fonds étaient transmis aux centres scolaires, ceux-ci les dépenseraient pour un nouvel édifice et ce n'est peut-être pas le moyen le plus pratique de répondre aux besoins de la communauté. Il faut donc être prudent lors des transferts de fonds directement à un groupe attaché strictement à l'éducation.

Cela ne va pas répondre aux besoins potentiels de la communauté. C'est la raison pour laquelle je suis un peu en désaccord avec notre président qui mentionne qu'il faut parler strictement d'éducation. Il faut nous situer dans un contexte beaucoup plus large qui est la communauté.

M. Foucher : Avec tout le respect que j'ai pour les Chevaliers de Colomb, leurs droits ne sont pas garantis dans la Charte.

Le sénateur Comeau : Vous n'avez pas compris ma question. Je parle d'une communauté où beaucoup d'édifices sont en train d'être fermés alors qu'on est en train d'en bâtir d'autres.

M. Foucher : En effet, si ces édifices sont adéquats pour l'éducation en langue française, on pourrait rénover ces édifices.

Le sénateur Comeau : Pour un centre communautaire, pas pour une école?

M. Foucher : Pour un centre communautaire rattaché à l'école, ce serait utile, c'est une question de contexte local. Ce n'est peut-être pas une solution qui serait une panacée qu'on doit utiliser dans chaque cas. C'est selon la communauté. Dans d'autres communautés, le centre communautaire est rattaché à l'école parce que c'est la seule institution de langue française dans la ville. Dans d'autres communautés où les Acadiens sont en plus grand nombre et plus concentré, il y a d'autres institutions francophones dans la communauté aussi. Alors ces situations appellent des réponses différentes selon les contextes.

Le sénateur Comeau : Cela m'amène à ma question. On devrait peut-être considérer, avant de transférer des fonds aux autorités qui s'occupent de l'éducation, que leur décision n'est peut-être pas à l'avantage de la communauté en général.

M. Foucher : C'est possible.

Le sénateur Chaput : Je suis d'accord avec vous, monsieur Foucher, lorsque vous dites qu'il faut aller beaucoup plus loin avec le plan d'action sur les langues officielles. Le gouvernement fédéral a un plan d'action sur les langues officielles. On parle d'éducation et cela ne bouge pas vite. Lorsqu'on parle de le pousser plus loin et de mettre sur pied des mécanismes d'imputabilité pour les provinces, je dis que cela s'applique aussi au gouvernement fédéral.

Qu'est-ce que nous permet l'article 23? Combien plus loin peut-on le pousser pour sa mise en œuvre et quels seraient les mécanismes d'imputabilité?

M. Foucher : Sur les mécanismes d'imputabilité des gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral, je crois que cette question devrait être posée à des experts en administration publique plutôt qu'en droit. Je pense à la vérificatrice générale et à la commissaire aux langues officielles. On a déjà des mécanismes qui rendent les gouvernements imputables dans certains domaines. On n'en a pas pour l'éducation dans la langue de la minorité.

Le président : La vérificatrice générale, pour ce qui est de l'attribution des fonds, et la commissaire aux langues officielles pour ce qui est du respect de la Charte et de la loi?

M. Foucher : Oui.

Le président : Chacun dans son domaine?

M. Foucher : Oui ou une autre institution. Et là je pense que des experts en administration publique seraient mieux qualifiés que moi. C'est le genre de choses auxquelles je pense pour ne plus qu'on ait de rapports comme celui qui a été écrit en 1996 et qui demandaient : où sont passés les milliards? On entend toutes sortes de choses. Je ne sais pas si cela est vrai ou non. On entend les communautés dire : la province a pris les fonds et a construit des routes. La province a pris les fonds et a bâti des écoles d'immersion. La province a pris des fonds et les a dépensés dans toutes sortes d'autres choses que l'instruction dans la langue de la minorité. Les gouvernements provinciaux répondent : ce n'est pas vrai, nous avons dépensé les fonds pour l'instruction dans la langue de la minorités. Qui dit vrai? Il devrait y avoir des mécanismes qui permettent de vérifier ces allégations et de demander des comptes pour ne plus qu'on entende ce genre de choses.

Le président : Honorables sénateurs, avez-vous d'autres questions? Alors professeur Foucher, je tiens à vous remercier de votre contribution, pour vous être déplacé jusqu'à Ottawa. Je vous souhaite très bonne chance dans toutes vos entreprises, surtout celles qui touchent les droits de la minorité ou des minorités linguistiques au pays.

M. Foucher : Je vous remercie de l'invitation. Je vous souhaite une bonne continuation des travaux. Je peux vous assurer que mes collègues et moi, on va attendre vos rapports avec impatience et les lire avec attention.

La séance est suspendue.

La séance reprend.

Le président : Nous accueillons maintenant de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, Mme Terry Price, présidente, Liliane Vincent, directrice des services aux francophones, Gilberte Michaud, présidente du comité consultatif du français langue première de la FCE, de Saint-André, au Nouveau-Brunswick, Paul Taillefer, membre du comité consultatif du français langue première et président de l'AEFO, et Anne Gilbert, directrice de la recherche, Francophonie et minorité au CIRCEM, Université d'Ottawa. Vous avez des notes biographiques et un bref curriculum vitae sur chacun des témoins.

Les personnes qui comparaissent devant nous sont des expertes et experts, chacun dans leur domaine. Ces personnes ont une vaste expérience et elles sont engagées dans le domaine professionnel de l'éducation. Elles ont à cœur le succès du système scolaire au Canada et du système d'apprentissage du français, langue première.

[Traduction]

Je demanderais à Mme Price de commencer son exposé.

Mme Terry Price, présidente, Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants : Nous sommes heureux de comparaître devant ce comité. La Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants représente 210 000 enseignants à l'échelle du pays, y compris les 10 000 professeurs qui enseignent dans les écoles francophones et en milieux minoritaires. Nous sommes la seule organisation qui représente 100 p. 100 de ces enseignants. Nous représentons aussi les enseignants anglophones du Québec. Avec l'aide de divers collaborateurs, dont divers ministères fédéraux, nous avons effectué un examen approfondi du système éducatif en milieux minoritaires francophones. Nous sommes ravis que la chercheure Mme Anne Gilbert ait pu nous accompagner aujourd'hui, ainsi que Mme Liliane Vincent, directrice des Services aux francophones. Je demanderais à Mme Vincent de vous tracer un portrait des activités de notre fédération.

[Français]

Mme Liliane Vincent, directrice des services aux francophones, Fédération canadienne des enseignants et des enseignantes : La réflexion et l'action de la FCE sur les deux grands thèmes que j'ai l'honneur d'aborder aujourd'hui, la petite enfance et l'enseignement en milieu minoritaire francophone sont ancrés dans deux principes fondamentaux. D'abord, la FCE, défenseur de longue date des minorités de langues officielles souscrit au principe que la survie et l'épanouissement de ses collectivités et leur protection contre l'assimilation constituent un droit que les autorités canadiennes ont le devoir de promouvoir et de sauvegarder.

Deuxième principe, l'école est un instrument d'importance majeure dans le maintien d'une communauté linguistique vivante, d'où le titre de notre plan de recherche action que la FCE dirige ces dernières années : L'école au coeur d'une francophonie vivante. C'est un titre que nous avons choisi bien avant de savoir que nous serions invités le jour de la Saint-Valentin.

C'est la recherche effectuée jusqu'à présent qui nous permet de vous présenter certains éléments du portrait de l'éducation de langue française que votre comité cherche à construire et à approfondir.

Commençons par le commencement, la petite enfance. Je vous invite à vous imaginer enseignant ou enseignante à la rentrée d'une salle de classe de première année, le premier jour de septembre. Vous accueillez quelque 25 élèves et vous êtes soudainement en présence d'une mosaïque d'antécédents culturels et linguistiques. Vous pensez : je dois intégrer tous ces enfants dont bon nombre ont eu peu de contacts avec la langue française et la culture au foyer et dans leur communauté. Vous devez aplanir leurs différences de la connaissance du français autant que possible et rapidement tout en évitant d'abaisser le niveau au détriment des autres pour qui le français fait partie de leur vécu quotidien. Pour ajouter au poids de cette responsabilité, vous savez qu'une proportion importante de ces élèves, jusqu'à 35 p. 100 en Saskatchewan, pourra décrocher et s'inscrire à des écoles d'immersion ou de langue anglaise, dès la deuxième année, si leur intégration à l'école française n'est pas heureuse.

Vous comprendrez que l'école francophone fait face à de grands défis. Elle n'attire qu'une faible majorité des ayants droit. Elle a du mal à garder ceux et celles qu'elle y attire et leurs chances de réussir sont fortement tributaires de leurs compétences linguistiques dans la langue d'apprentissage. Notre regard sur la petite enfance vise l'intégration la plus complète possible à l'école francophone, sur les plans quantitatif et qualitatif des enfants d'ayants droit, d'où le titre de notre rapport de 2003 : « La petite enfance, porte d'entrée à l'école de langue française ».

Cette étude a comporté des études préparatoires dont un portait des expériences de minorités dans d'autres pays du monde. Nous avons étudié comment la langue française s'apprend en milieu bilingue au Canada et nous avons dressé un portrait national des services à la petite enfance en milieu minoritaire.

Nous avons fait des études communautaires dans des milieux représentatifs de la francophonie canadienne. Je vais les nommer rapidement : Orléans et Timmins en Ontario; la région Chaleur au Nouveau-Brunswick; la Baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse; Calgary et Edmonton en Alberta.

Par la suite, nous avons tenu des forums régionaux. C'est sur cette masse d'information que nous nous sommes appuyés pour élaborer une vision de la petite enfance. En ce qui concerne le tableau international, on peut dire que les services gratuits sont offerts en milieu scolaire pour tous les enfants de quatre ans, sinon de trois ans en Belgique, en Espagne, en Italie, et ainsi de suite.

On a également mis en place des cadres pédagogiques nationaux liés à l'apprentissage scolaire pour tous les groupes d'âge. Votre idée du continuum d'apprentissage mentionnée dans votre lettre d'invitation est déjà très présente en Europe pour les minorités. Et j'ajoute qu'une tendance transnationale se dessine très clairement vers l'exigence d'un diplôme universitaire pour quiconque travaille auprès des jeunes enfants, et pas seulement dans les salles de classe.

Quel contraste avec ce que nous avons trouvé au Canada où l'État n'a pas vraiment joué un rôle prépondérant dans la mise en place de services à la petite enfance. Il y a un manque flagrant de services. On pourra vous donner beaucoup de statistiques si vous en désirez.

Les services qui existent sont très précaires, sont d'une grande vulnérabilité financière, doivent avoir recours à des casinos et des bingos; ils se font ballotter d'un local à l'autre et doivent subir des fermetures pendant certaines périodes de l'année parce qu'on n'a pas les moyens de payer les salaires.

Il y a aussi une disparité énorme, non seulement dans la disponibilité des services, mais aussi dans la qualité des services. Chaque personne se débrouille un peu avec les moyens à sa disposition. Les familles les plus pauvres n'y ont pas accès. Il y a donc beaucoup d'inégalités dans les services.

Un grand obstacle que je voudrais souligner au progrès réel dans ce dossier de la petite enfance est la pénurie de personnel qualifié et l'absence de programmes de formation en technique de garde éducative. On a même vu parfois des services où ils devaient choisir des anglophones parce qu'ils préféraient la formation à la compétence langagière, donc on met des anglophones dans des centres de la petite enfance censément destinés à la francophonie.

Aussi, on a vu qu'il y a très peu de liens entre le scolaire et ce qui précède, donc un arrimage déficient à l'école et à la programmation scolaire. La transition à l'école est redoutable, pas juste pour les enfants et les parents mais pour le personnel enseignant et le personnel de direction des écoles.

L'école peut difficilement compenser le manque d'encadrement linguistique et culturel en bas âge des enfants. Les parents, les ministères, les éducatrices, les dirigeants des conseils scolaires invités à nos forums de consultation ont été unanimes pour dire que nous pouvons et devons faire mieux pour préparer les enfants à intégrer l'école francophone. C'est urgent, nous en perdons trop avant et nous en perdons trop en cours de route.

Il est urgent de faire contrepoids à la prédominance de l'anglais dans les premières années de vie des enfants, période critique pour l'apprentissage sur le plan langagier. Il est urgent de leur offrir la chance de partir sur un pied d'égalité avec les élèves de la majorité.

Il est urgent d'offrir aux parents des options qui les inciteront tout naturellement à opter pour l'école francophone. Un pourcentage de 97 p. 100 des 180 parents que nous avons interviewés dans les garderies et les centres avaient la ferme intention d'inscrire leurs enfants à l'école de langue française. La problématique du recrutement serait atténuée avec l'existence de services de qualité de langue française pour les enfants en bas âge.

Les services à la petite enfance sont clairement un lieu de rencontre, un point d'attache pour la communauté francophone. Les enseignantes de première année que nous avons encore une fois interviewées ont affirmé, sans exception, que les enfants ayant profité de services en français s'adaptent mieux au milieu scolaire où la langue d'apprentissage est le français.

Cette confiance qu'acquièrent les enfants facilite l'apprentissage, favorise la persévérance en milieu scolaire; ils auront moins de risques de décrocher après la première année et s'ensuivra un attachement à la francophonie susceptible de se maintenir, d'où le lien entre la petite enfance et la vitalité des communautés.

Les données et avis recueillis ont engendré la vision suivante dont je ne peux que vous donner les grandes lignes : un ensemble de services est nécessaire. Il n'y a pas un seul type de services qui suffirait. Il faut des groupes de jeux, des centres de ressource, des garderies, des prématernelles et des maternelles.

L'école, de par sa protection constitutionnelle, qui assure sa stabilité et son accessibilité, apparaît comme la meilleure structure pour encadrer le développement des services à la petite enfance. L'intégration des services sous l'égide de l'école aussi favoriserait cette continuité qui nous apparaît essentielle, faciliterait cette transition à l'école et permettrait également aux parents d'apprivoiser un milieu scolaire francophone plus tôt et de mieux préparer l'enfant.

Mais, et c'est un gros « mais », le rôle premier dans la gestion des services ne devrait pas revenir à l'école, mais bien à la communauté car c'est elle qui a pris l'initiative de mettre sur pied des services depuis le début.

Vous savez que l'OCDE préconise une administration unifiée pour la petite enfance. Faute d'une autorité centrale qui s'occupe de la petite enfance au Canada, ce n'est pas aussi simple. On préconise l'établissement et le maintien de mécanismes de concertation entre tous les intervenants en ce qui concerne la petite enfance, les services de santé, les services sociaux, les structures d'appui aux familles et, bien sûr, l'éducation.

Une distinction importante à faire entre la prématernelle, la maternelle et les services destinés aux plus jeunes est qu'il y ait une programmation et une formation pour les gens qui y travaillent, pour les gens qui s'occupent des enfants de zéro à trois ans. Elles requièrent un bagage particulier. C'est une étape qu'il faut reconnaître comme étant distincte de l'étape scolaire dans la vie de l'enfant. Les enfants de 4-5 ans seraient pris en charge par des enseignantes et des enseignants certifiés.

En vue d'uniformiser la qualité des services, on recommande une programmation-cadre, axée sur des objectifs à atteindre en vue de l'intégration à l'école. Le mot « cadre » est ici le mot clé car il y aurait, bien sûr, lieu de l'adapter aux différentes réalités minoritaires; ce n'est pas une question d'uniformiser à la grandeur du pays, mais d'avoir un ensemble d'objectifs vers lequel nous tendrons ensemble.

Un autre point qui est ressorti clairement est qu'il faut protéger l'intégrité du caractère français des services à la petite enfance. Dès qu'on commence à diluer cet aspect, on va à l'encontre de l'objectif d'établir des services de langue française.

Il faut toutefois prendre garde de ne pas exclure les parents de foyers exogames, les parents anglophones. Il faut songer à des moyens d'intégrer ces parents; élaborer des outils de francisation et ainsi de suite.

Si nous résumons en une dizaine de mots, dans notre vision nationale qui est bien expliquée en détails dans le rapport que Mme Gilbert a rédigé pour nous, il faut un ensemble de services sous le signe de la cohérence — « cohérence » est le mot d'ordre ici — l'école agissant comme pivot en partenariat avec la communauté. Autrement dit, nous avons du pain sur la planche et il y en a pour tous les intervenants.

[Traduction]

Je voudrais maintenant passer à l'anglais car nous représentons une organisation bilingue et je suis le produit du système d'éducation en langue française.

Après avoir examiné l'expérience préscolaire des jeunes enfants, nous avons mis l'accent sur l'expérience des enseignants auxquels on confie l'éducation de ces enfants dans les 12 communautés minoritaires, symbolisées par les 12 cercles sur la couverture de notre rapport. Ce rapport a été publié en septembre et est intitulé « Le personnel enseignant face au défi de l'enseignement en milieu minoritaire francophone ».

Le processus que nous avons utilisé était parallèle à celui appliqué à notre étude de la première enfance. Premièrement, nous avons posé la question : quelles leçons peut-on tirer de la littérature existante sur le sujet? Deuxièmement, nous nous sommes dit : allons sur le terrain pour recueillir des renseignements en s'adressant aux enseignantes et aux enseignants. Troisièmement, dès le début du processus, nous nous sommes dit qu'il fallait amorcer le dialogue avec les principaux intervenants pour partager les données, bien sûr, mais surtout pour explorer des pistes d'action future.

Notre point de départ était la mission de l'école de langue française. On trouve beaucoup de citations sur la mission particulière des écoles de langue française étant donné qu'elles doivent fonctionner en milieu minoritaire. Je cite Patrimoine canadien qui décrit cette mission en ces termes : « Les écoles pour les groupes linguistiques minoritaires ont un objectif supplémentaire : le maintien et le perfectionnement des compétences en français ainsi que le développement du patrimoine et de la culture de ces groupes. » Nous avons une foule de citations que nous pourrions vous présenter pour montrer que l'école en milieu minoritaire est considérée comme un outil de survie, un outil identitaire et un outil pour la reproduction des modèles sociaux dans les communautés francophones.

Nous voulions savoir si les enseignantes et les enseignants estimaient que leur travail comporte des défis qui résultent directement de cette mission. La réponse est sans équivoque : un oui catégorique, avec seulement quelques légers écarts selon les régions. Nous leur avons ensuite demandé s'ils étaient conscients qu'il y a des défis spécifiques à ce contexte et leur avons demandé de nous décrire ces défis. Dans une question libre, nous leur avons demandé d'énumérer les cinq principaux défis. Le premier sur la liste est celui des ressources humaines : enseignants, remplaçants possédant les qualités requises, spécialistes tels que les orthophonistes, conseillers et professeurs de mathématiques et de sciences. Nous avons entendu parler d'orthophonistes qui ne parlent pas un mot de français et qu'on a envoyé travailler dans des écoles françaises et aussi d'enseignants qui, à cause du manque de personnel, sont forcés d'enseigner dans des domaines autres que le domaine de spécialisation pour lequel ils ont reçu une formation. Le deuxième sur la liste est celui du matériel pédagogique, d'un bout à l'autre du pays. On estime fortement que le manque de matériel pédagogique en français reflétant la réalité des communautés minoritaires est un obstacle majeur à l'accomplissement de la mission des écoles de langue française. Les enseignants croient qu'il n'est pas satisfaisant d'importer du Québec des manuels qui ne correspondent pas aux réalités quotidiennes des étudiants.

Le troisième sur la liste est celui des installations, des locaux, dont on a parlé dans notre première présentation ce matin, plus précisément du manque d'espace pour la préparation des cours, les cours eux-mêmes, les bibliothèques, les gymnases, les activités parascolaires et même les cafétérias. Le problème sous-jacent à tout cela est bien sûr le manque de ressources financières. Il y a eu des études intéressantes là-dessus en Ontario, l'étude Rozanski, et aussi l'étude Comtois au Manitoba. Il y a eu une autre étude au Nouveau-Brunswick montrant qu'il n'y a pas corrélation entre l'équité, l'égalité et le traitement égal.

Les ressources sont donc en tête de liste, suivies par la démographie et le contexte socioculturel, qui joue évidemment un rôle. La lutte contre l'assimilation et la promotion de la langue et de la culture française dans un environnement majoritairement anglophone est une tâche énorme pour les enseignants dans les écoles de langue française.

Le fait que les étudiants vivent très peu en français à l'extérieur des murs de l'école rend la tâche difficile aux enseignants, qui tentent de les motiver à perfectionner leur français et à avoir des activités sociales en français. Les enseignants sont accablés par la tâche de devoir compenser le manque de continuité dans l'utilisation de la langue et les contacts culturels. Plus souvent qu'on ne l'imagine, on entend des enseignants dire : « Oh! Quand les parents viennent prendre leurs enfants après l'école, avant même d'avoir passé la porte, ils reviennent à l'anglais. » Comment peut-on s'attendre à ce que les étudiants soient motivés quand ils n'ont pas ce soutien à l'extérieur du contexte de l'école de langue française.

On a demandé aux enseignants de mesurer le degré d'importance d'une liste de 31 difficultés considérées comme des obstacles à l'atteinte de la mission de l'école. En tête de liste vient la lourdeur de la charge de travail, qui résulte probablement de la somme de toutes les difficultés que je viens de décrire et en particulier du fait qu'il faut enseigner et préparer un trop grand nombre de cours sans l'aide du matériel pédagogique nécessaire ni des spécialistes voulus. Ce problème est aggravé par le manque de fournitures, par exemple de logiciels en français, qui correspondent à la situation de la communauté. La diversité des sujets pour lesquels les enseignants n'ont aucune formation spécialisée ainsi que la pénurie de spécialistes et de ressources ont été mentionnés par 65 p. 100 des répondants comme principales difficultés.

Le manque de renforcement dans un environnement socioculturel est accablant pour les enseignants à qui l'on demande en fait de produire des francophones, sans aucun soutien par ailleurs. C'est comme d'essayer d'apprendre à quelqu'un à jouer du piano en sachant que l'élève ne verra jamais de piano nulle part ailleurs et ne pourra peut-être jamais mettre en pratique les leçons à l'extérieur de la salle de classe. Il est évident que jamais un pianiste de concert ne sortira d'une telle classe de piano.

Diverses mesures ont été proposées dans notre rapport final et j'ai signalé quatre des besoins fondamentaux. Les enseignants ne croient pas qu'ils ont la formation voulue pour relever efficacement les défis particuliers au milieu minoritaire. La formation, à la fois préalable et en cours d'emploi, doit tenir compte de cette composante essentielle de leur rôle. J'ai le plaisir de dire que les facultés d'éducation ont manifesté beaucoup d'intérêt envers nos travaux et ont demandé beaucoup d'exemplaires de notre rapport. J'ai bon espoir que cela va lancer le mouvement pour ce qui est de mettre au point une formation différente pour nos enseignants qui travaillent en milieu francophone.

Non seulement leur faut-il une formation mieux adaptée, mais ils ont aussi besoin d'une approche de l'enseignement qui reflète la réalité de manière à assurer l'épanouissement maximum du potentiel humain de chaque enfant en termes de réussite scolaire et d'épanouissement de leur propre identité, pour qu'ils deviennent des membres à part entière enrichissant la communauté francophone.

L'intégration linguistique et culturelle a été identifiée comme un problème énorme qui ne fera que prendre de l'ampleur. Les deux tiers des enfants d'âge scolaire qui ont droit à l'éducation en langue française viennent de familles linguistiquement mixtes. La plupart arrivent à l'école avec une connaissance limitée et souvent nulle de la langue et de la culture française.

Les facteurs associés au cadre minoritaire qui influe sur le travail des enseignantes et des enseignants doivent être pris en compte pour déterminer leurs affectations et le temps consacré aux diverses tâches, compte tenu de la pénurie de ressources facilement disponibles en français. Par ailleurs, les enseignants ont proposé la mise au point d'un portail national que la technologie rendrait disponible et qui regrouperait tout le matériel pédagogique en langue française par année scolaire et par sujet. Ainsi, les enseignants d'un bout à l'autre du pays y auraient accès.

On recommande aussi la mise en commun des ressources des commissions scolaires en matière de formation. Les petites commissions scolaires n'ont pas les mêmes ressources que les grandes pour ce qui est d'offrir des possibilités de perfectionnement professionnel. Ne pourrait-on pas mettre davantage en commun les ressources entre commissions scolaires? Une autre recommandation est d'adopter de nouvelles stratégies de recrutement et de prendre des mesures incitatives dans les régions où il est difficile de convaincre les étudiants d'étudier dans des facultés d'éducation en français parce qu'il n'y a pas de programme en langue française près de chez eux. Ne pourrions-nous pas trouver le moyen de les aider et de les envoyer par exemple étudier à l'Université de Moncton, après quoi ils reviendraient à l'Île-du-Prince-Édouard pour enseigner en français?

De la même manière que la petite enfance est la porte d'entrée des écoles de langue française, les écoles secondaires doivent aussi être considérées comme la porte d'entrée des études postsecondaires en français. On a le sentiment que beaucoup d'élèves et de parents choisissent, après l'école primaire, les études dans des écoles secondaires de langue anglaise pour préparer les élèves aux études supérieures, car il n'y a pas d'établissement d'enseignement supérieur en français dans leur région. Ils savent qu'ils ne vont pas étudier en français plus tard et poursuivent donc leurs études en anglais au niveau secondaire. Nous perdons beaucoup d'élèves, qui s'en vont à l'école secondaire anglaise. L'élément postsecondaire est tout aussi important que la petite enfance dans ce continuum.

[Français]

J'aimerais résumer en une douzaine de mots significatifs ce que j'ai tenté de vous transmettre ce matin. Le point de départ et le point de mire doivent rester la mission propre de l'école francophone, qui est largement connue comme étant le milieu de scolarisation, de socialisation, d'acculturation et de communalisation. Notre étude fait ressortir les facteurs clés qui influent sur la capacité de réaliser cette mission : le profil démographique de plus en plus hétérogène de la francophonie canadienne, la prédominance de l'anglais dans le parler et le vécu, donc l'aspect socioculturel. Il y a, bien sûr, toute l'approche pédagogique à repenser. Dans quelle mesure l'approche pédagogique favorise-t-elle la réussite et inculque-t-elle le sens d'identité et d'appartenance chez les jeunes? Autre question omniprésente, incontournable, le financement, comme on l'a évoqué plus tôt ce matin dans la présentation de M. Foucher.

Là où il est question de financement et surtout de traitement différent, la politique est incontournable. Les grands facteurs, vous les voyez à l'écran. Il faut toujours garder au cœur de notre réflexion et de notre action les élèves pour qui les systèmes existent. Afin qu'ils optent pour l'école francophone, les parents doivent sentir que l'école francophone offrira une éducation de première qualité à leurs enfants, ce qu'il incombe au gouvernement d'assurer en fournissant aux conseils scolaires les moyens voulus pour outiller le personnel enseignant, le protagoniste principal de cette mission, au jour le jour.

Toutefois, les écoles ne peuvent pas agir seules. Toute la communauté doit se coaliser. Vous voyez de nouveau les douze cercles qui évoquent les douze communautés francophones et minoritaires que vous avez devant vous à l'écran. J'espère vous avoir donné une idée assez précise de ce continuum que nous voyons dans l'apprentissage de la petite enfance jusqu'au postsecondaire.

Nous félicitons le comité d'avoir encadré cette journée dans cette optique d'un continuum qui débute depuis le bas âge jusqu'au postsecondaire. Nous en sommes fort heureux. C'est tout à fait conforme à ce que nous avons réuni comme avis et données dans la communauté. Je vous remercie beaucoup de votre attention et nous sommes prêts à répondre à vos questions.

Le président : Nous vous sommes reconnaissants, madame Vincent, d'avoir entrepris cette étude et cette analyse qui nous amènent au cœur de la problématique et de la responsabilité du gouvernement fédéral de protéger les droits des minorités linguistiques au pays, plus particulièrement la minorité francophone. Vous nous rendez un fier service. Vos commentaires vont se répercuter dans la présentation d'autres témoins, ce qui est heureux. Nous allons maintenant passer aux questions et je vais m'autoriser la première, exceptionnellement.

Compte tenu de la dichotomie entre la responsabilité première des gouvernements provinciaux et territoriaux pour l'éducation et le rôle proactif que doit jouer, en vertu des dispositions constitutionnelles et des décisions des cours, le gouvernement fédéral, comment en arrivez-vous à sensibiliser ces deux paliers aux besoins que vous venez d'identifier ce matin, leur rappelant leurs devoirs?

De quelle façon procédez-vous, par exemple, auprès du gouvernement provincial ou du gouvernement fédéral, hormis ce comité et les parlementaires en général? Quels sont vos modes d'action et de sensibilisation? Pourriez-vous nous éclairer un peu sur cette voie?

Mme Vincent : Mes collègues auront sûrement des choses à ajouter en ce qui concerne surtout les provinces et les territoires. Pour ce qui est du palier fédéral, nous avons entrepris plusieurs travaux de recherche avec l'appui de gouvernement fédéral : Patrimoine canadien, Développement Social, ainsi de suite. Nous sommes sans cesse en train de les sensibiliser aux besoins de bâtir cet appui à l'égard de notre recherche. Vous avez posé une question plus tôt aussi dans la première présentation, à savoir quels sont nos mécanismes d'information et de sensibilisation. La recherche est primordiale. Des recherches solides et crédibles avec nos partenaires, M. Landry du l'ICRML et Mme Gilbert du IRCEM, démontrent que nous pouvons nous appuyer sur ces données pour faire avancer le dossier. Je crois que c'est essentiel.

Nous avons des partenaires au palier fédéral avec qui nous entretenons un dialogue constant. Dans les provinces et territoires, la FCE est un regroupement de la profession enseignante. Nous avons deux représentants des regroupements provinciaux ici, M. Taillefer, de l'Ontario, et Mme Gilberte Michaud, du Nouveau-Brunswick, qui pourraient vous expliquer comment ils font écho dans les provinces et territoires à l'action que nous menons au plan national.

Au plan national, nous entretenons des liens constants avec les autres regroupements nationaux, comme la Commission nationale des parents francophones et la Fédération nationale des conseils scolaires. Nous travaillons étroitement avec eux et nous les tenons toujours au courant de nos projets. Nous les invitons à nos forums de consultation, qui ont toujours fait partie de nos démarches de recherche qui ont justement cet objectif, qui n'est pas simplement de recueillir des données mais de solidariser tous les joueurs sur la scène nationale en qui concerne l'éducation de langue française. Chapeau aux chercheurs qui ont élaboré cette méthodologie! Ce fut un point important dans la réussite de nos recherches.

La FCE entretient également des rapports constants avec le Conseil des ministres de l'Éducation. Sur le plan national, cela vous donne un aperçu du genre de travail que nous tentons d'effectuer. Peut-être que mes collègues voudraient ajouter des éléments d'information.

Le président : J'inviterais Mme Michaud et M. Taillefer à intervenir de la façon la plus concise possible.

Mme Gilberte Michaud, présidente du Comité consultatif du français langue première, Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants : Au Nouveau-Brunswick, les moyens utilisés pour communiquer le rapport ont consisté à envoyer des lettres à tous les députés et à tous les membres des assemblées législatives, à informer les universités, les gens du ministère, le Forum de concertation des organismes acadiens, les conseils d'éducation des districts, les associations de parents afin de leur faire part de la recherche et de sensibiliser la communauté francophone à leurs droits en vertu de la Charte des droits et de l'article 23. Tout cela a fait en sorte que dorénavant la communauté francophone va pouvoir réclamer ce qui lui revient.

M. Paul Taillefer, membre du Comité consultatif du français langue première, Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants : En Ontario, il est évident que suite au rapport Rozanski qui a déterminé que pour avoir une équité dans les services et l'enseignement de la langue de la minorité, il devait y avoir une injection de capitaux assez considérable, entre 120 à 150 millions immédiatement pour le redressement et des considérations annuelles, nous revendiquons son application dans des délais très restreints. Le gouvernement s'est engagé d'ailleurs à mettre en place toutes les recommandations du rapport. Nous nous sommes joints aux conseils scolaires de langue française dans un groupe de travail. Nous rencontrons de façon régulière le ministre de l'Éducation ainsi que d'autres ministres du parti libéral provincial pour revendiquer les droits des francophones.

C'est une lutte que nous poursuivons. Nous avons des alliés dans la communauté, et l'AEFO travaille de pair avec la communauté francophone pour faire en sorte qu'il y ait dès ce printemps, nous l'espérons, un organisme de revendication politique francophone en Ontario qui pourrait nous aider à mener à bonne fin ce dossier.

[Traduction]

Mme Price : Je voudrais commenter brièvement sur le reste du Canada. Dans notre structure, les seules provinces qui ont des fédérations distinctes pour les enseignants francophones sont le Nouveau-Brunswick et l'Ontario. Dans toutes les autres provinces et territoires, il y a des sous-groupes à l'intérieur des fédérations pour regrouper les enseignants francophones qui enseignent dans les écoles en milieu minoritaire. Ils sont des membres très actifs de la communauté et sont même souvent des leaders dans la communauté francophone, ce qui fait écho aux observations de Mme Vincent sur le rôle additionnel que les enseignants doivent assumer pour renforcer la culture et le patrimoine. Ils travaillent activement avec les commissions scolaires et les groupes de parents pour tenter d'influencer le gouvernement de leur province ou territoire respectif. Tous nos travaux de recherche sont remis aux fonctionnaires de ces gouvernements ainsi qu'aux groupes de parents et aux commissions scolaires. Ils sont tous très conscients de ce que l'on dit dans le reste du pays au sujet de l'éducation en français.

Le président : Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris, mais vous ne semblez pas intervenir directement auprès du gouvernement fédéral. Vous collaborez, et en fait, le gouvernement fédéral peut même financer certains de vos travaux de recherche, mais votre principal interlocuteur est le gouvernement provincial dont vous dépendez pour transmettre vos préoccupations et prendre en compte toutes négociations éventuelles.

Mme Price : Comme on l'a dit tout à l'heure, l'éducation est de compétence provinciale et nous combattons cela constamment. La Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants a participé au symposium sur les langues officielles. Nous travaillons aussi activement que possible avec la Direction générale des programmes de soutien aux langues officielles pour déterminer ce que nous pouvons faire au niveau fédéral. Une grande partie de la promotion et du contrôle doit se faire au niveau provincial et territorial.

Le président : Je suis curieux de savoir si le Québec fait partie de votre fédération.

Mme Price : Les enseignants anglophones du Québec sont membres de notre fédération. Les enseignants francophones au Québec font partie de la Centrale des syndicats du Québec.

[Français]

Le sénateur Comeau : Je voudrais revenir sur la question de la petite enfance. Vous faites une distinction entre les groupes d'âges de zéro à trois ans et de quatre à cinq ans. Si je comprends bien, vous considérez le groupe de zéro à trois ans comme étant des garderies et celui de quatre à cinq ans comme le préscolaire. Vous avez dit que le préscolaire serait sous la responsabilité du système scolaire et les garderies sous celle de la communauté.

Avez-vous examiné le potentiel ou l'impact que le système des garderies pourrait avoir sur les enfants qui se joindront à l'âge de quatre ans, c'est-à-dire ceux qui auraient bénéficié d'un système de garderies comparé à ceux qui auraient passé du temps à la maison avec leurs parents?

Mme Vincent : Je suppose qu'Anne aura certainement quelque chose à dire. Les enseignantes que nous avons interviewées ont dit que la clé est le rôle parental. Les enfants qui ont été bien encadrés au foyer en français sortent certainement gagnants par opposition à ceux qui vivent toujours en anglais au foyer mais qui vont à la garderie quelques heures par semaine en français. Que ce soit au foyer ou en garderie, il faut que l'enfant ait été exposé à la langue et à la culture avant d'arriver à l'école et soit obligé d'apprendre dans un milieu où la langue d'instruction est le français. Ils ont dit clairement qu'il n'y a absolument rien qui ne remplace la responsabilité assumée par les parents pour ce qui est de la transmission de la motivation et non pas juste des connaissances.

Mme Anne Gilbert, directrice de la recherche, Francophonie et minorités, Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les études minoritaires, Université d'Ottawa : La famille joue un rôle fondamental. Il faut réaliser que, compte tenu de la structure actuelle des familles où l'exogamie est de plus en plus présente et indépendamment de la vie en milieu minoritaire où beaucoup de familles voient les deux parents occupés sur le marché du travail. On place beaucoup d'importance sur les services formels à la petite enfance qui doivent prendre une diversité de visages. C'est ce que la recherche a révélé.

Il y avait plusieurs formules gagnantes dans les milieux où ils ont été implantés. Il ne s'agit pas de mettre en place une structure unique à l'échelle du Canada qui pourrait satisfaire aux besoins de toutes les familles. Il faut essayer de mettre en place des modèles diversifiés pour répondre aux besoins de service à mi-temps, temps complet, avec des horaires plus diversifiés, des services où les familles, les parents peuvent jouer un rôle et d'autres services où les parents sont moins impliqués. Voilà la réalité des besoins des familles. Néanmoins, même s'il y a cette diversité, nous avons observé, dans l'examen des expériences en cours, que ce sont les structures les plus formelles qui sont les plus gagnantes.

Le sénateur Comeau : Cela a du sens.

Mme Gilbert : Il faut être réaliste. Les structures mise en place par des parents dans des sous-sols d'églises, des centres communautaires, sur la base de subventions ponctuelles, n'ont pas une capacité de durer dans le temps. Quels que soient les modèles, il faut envisager les structures les plus formelles possible pour assurer une durabilité et c'est là que l'école vient jouer un rôle important.

Le sénateur Comeau : Il n'est pas nécessaire de faire de grandes études pour en arriver à cette conclusion. Dans le cas où un tel système est en place — de zéro à trois ans, garderie et de quatre à cinq ans, préscolaire, ne devrions-nous pas encourager les parents dont les enfants demeurent à la maison à les envoyer en garderie ou au préscolaire afin qu'ils ne soient pas désavantagés et ainsi créer deux catégories d'enfants au système scolaire régulier?

Mme Gilbert : C'est la voie que beaucoup de pays européens ont prise pour favoriser une plus grande égalité des jeunes au moment de l'entrée dans le système scolaire, de favoriser des services gratuits, accessibles au plus grand nombre de façon à ce que tous aient la même chance. De là à créer des mesures coercitives, il y a un pas à ne pas franchir. Il faut offrir la plus grande variété de services au prix le plus bas possible, cela ne peut être que bénéfique, surtout dans un contexte où les familles ont souvent de la difficulté à jouer le rôle qu'on attend d'eux au plan linguistique et culturel.

Le sénateur Comeau : Ce serait plus avantageux pour les parents dont les enfants sont à la maison d'envoyer leurs enfants dans ces programmes s'il y a un système de haute qualité?

Mme Gilbert : Et de les aider en tant que parents à compléter le rôle des garderies en leur fournissant les meilleurs outils de francisation possibles.

Le sénateur Comeau : Il y a un nombre considérable d'enfants qui reste à la maison jusqu'à l'âge de cinq ans. Il ne faut pas créer d'autres problèmes. Surtout dans les communautés rurales, les enfants arrivent et ils n'ont fait partie d'aucun groupe durant les cinq premières années de leur vie. Ils ne se sont pas faits des amis.

Le gouvernement fédéral a proposé la somme de 5 milliards de dollars. Avons-nous les fonds nécessaires pour créer ce système et répondre aux besoins?

Mme Gilbert : Je ne peux répondre à cette question.

[Traduction]

Mme Price : J'ignore si quelqu'un peut répondre à cette question. Je ne sais pas si les provinces vont cesser de se quereller sur les questions de responsabilité. Les questions comme celles que vous posez sur les garderies obligatoires pour les parents sont au cœur des problèmes avec lesquels se débat le ministre Ken Dryden. Dans la communauté francophone, il est plus critique d'inciter les parents à inscrire leurs enfants à des activités culturelles en français dès le plus jeune âge et dans toute la mesure du possible avant le début de leur scolarisation. L'école maternelle est obligatoire dans la plupart des provinces et cela touche la plupart des enfants de cinq ans. Les programmes de prématernelle acceptent les enfants de quatre ans. Ce sont normalement des programmes d'une demi-journée, mais c'est tout de même bon pour les familles où l'on parle anglais à la maison. Ces citoyens des communautés francophones sont éparpillés et leurs voisins ne sont pas nécessairement francophones. Les enfants avec qui ils jouent dans la rue parlent anglais. C'est d'autant plus crucial d'encourager les familles francophones à inscrire leurs enfants à de nombreuses activités en français au plus jeune âge possible.

[Français]

Le sénateur Chaput : Je veux, dans un premier temps, vous féliciter pour l'excellence du mémoire que vous nous avez fait parvenir. Je l'ai lu attentivement en fin de semaine avec grand intérêt. C'est un document qui reflète la vraie réalité, c'est un document recherché qui présente des éléments de solution.

Mais comme tout élément de solution, cela se fait à long terme. Il y a tellement d'actions à poser. J'ai lu dans le document que vous aviez des partenaires, des partenaires du gouvernement et des partenaires de l'éducation. Voici ma préoccupation. Je suis originaire du Manitoba. En fin de semaine, j'étais chez moi au Manitoba et nous avons rencontré des ministres provinciaux qui m'ont dit très directement que le gouvernement fédéral, dans les ententes qu'ils sont à négocier, ne donnait pas suffisamment de fonds aux écoles françaises. Le gouvernement fédéral n'avait pas suffisamment de fonds pour les écoles françaises.

Lors d'une autre rencontre avec des parents, j'ai rencontré un parent francophone qui demeure à Lorette, au Manitoba, une petite communauté où ils ont une école française. Il me disait qu'ils avaient une garderie bilingue — les garderies ne font pas nécessairement partie de nos écoles — et qu'il n'envoyait pas son fils dans une garderie bilingue. Ce parent travaille à Saint-Boniface, amène son fils avec lui le matin et le place dans une garderie francophone. Ensuite, il va l'envoyer dans une école qui n'est pas dans sa communauté.

Comment arrive-t-on, d'après vous, à assurer la mise en œuvre de cet excellent document en tenant compte de toutes ces particularités et de ces difficultés? Nous savons tous que chaque journée compte. L'assimilation est galopante. Nous perdons de plus en plus nos enfants qui ne vont plus à l'école française parce qu'ils ont été placés dans des garderies anglophones. Comment faire une mise en application à travers le Canada, que ce soit pour les francophones hors Québec ou les anglophones au Québec, de façon concrète et spécifique? C'est un bon document mais je suis inquiète.

Mme Vincent : La question est large et elle n'est pas simple. Je crois qu'il faut travailler sur tous les fronts possibles. Je ne pense pas qu'il existe une seule piste à suivre. C'est la raison pour laquelle la FCE travaille avec le Conseil des ministres de l'Éducation et qu'elle essaie de faire de la sensibilisation, de produire des recherches, et essaie d'attirer la plus grande attention possible sur ces constats.

Dans les provinces et territoires, nos collègues font exactement la même chose. Il s'agit d'avoir un écho des provinces. Nos agents de liaison francophones — c'est un réseau pancanadien — travaillent avec leur conseil scolaire et à l'intérieur de leurs écoles. Je pense qu'il faut vraiment travailler sur tous les fronts.

La priorité, en ce qui concerne la petite enfance, a été définie dans nos forums régionaux : occupons-nous tout de suite des quatre et cinq ans. On veut tout avoir pour les enfants de zéro à trois ans et de quatre et cinq ans. Mais c'est urgent. Il faut vraiment enrayer cet exode des écoles françaises, on en perd déjà tellement. On les attire pendant un certain temps, mais ils se découragent, les parents se découragent et ils se sentent démunis. Les francophones ne pensent pas qu'ils peuvent bien encadrer leurs enfants. On a vraiment besoin d'encadrer le plus tôt possible ceux que nous avons entre les mains, ces quatre et cinq ans. C'était la priorité qui est ressortie clairement des forums.

Mme Gilbert : Une des conclusions de la recherche sur les avenues à prendre est celle de la nécessité d'une politique nationale en matière de la petite enfance en milieu minoritaire, de façon à encadrer tout ce mouvement qui est en train de s'amorcer. Il y a plusieurs initiatives qui s'y rattachent. Il faut pouvoir donner à ce dossier l'importance qui lui revient.

Une autre recommandation qu'on avait faite à la fin de la recherche était, compte tenu du rôle important de l'école, de ne peut-être pas offrir tous les service sous l'égide du système scolaire, mais faire de l'école un lieu durable, un lieu protégé par la Charte et, en fait, l'école comme lieu le plus important de développement de la vie en français hors Québec.

Pourquoi ne pas élargir le Protocole d'entente relatif à l'enseignement dans la langue de la minorité pour y inclure l'aspect de la petite enfance? Pourquoi ne pas en faire une partie intégrante du protocole d'entente? C'est quelque chose qui peut se faire rapidement dans un cadre qu'on a déjà et qui permettrait de mieux structurer l'intervention dans ce dossier.

Le président : Êtes-vous prêts à en faire une recommandation?

Mme Vincent : Cette recommandation sur l'élargissement des paramètres du protocole d'entente est clairement énoncée dans notre rapport sur la petite enfance. Notre présidente a écrit au CMEC et à son prédécesseur pour les encourager dans ce sens. Nous avons aussi parlé à Patrimoine canada de la possibilité d'élargissement d'un protocole pour qu'il y ait des mesures ciblées pour la petite enfance en milieu minoritaire francophone.

Mme Michaud : Il faut dire aussi que les provinces ont de grands défis. Le secteur de la petite enfance est souvent divisé entre plusieurs ministères pour offrir des services quelconques. C'est un grand défi parce qu'on se lance un peu la balle : ce n'est pas ma juridiction, c'est ta juridiction. Ce sont toujours les petits enfants qui en souffrent. L'autre défi qu'on rencontre, c'est que la province doit mettre un dollar pour avoir un dollar du gouvernement fédéral. La somme qui est consacrée à la Francophonie n'a pas toujours ces fonds à cause des coûts supplémentaires. Si on parle de livres, par exemple, les défis sont plus importants. Notre dollar va moins loin. On n'a pas les dollars pour avoir une somme égale du gouvernement fédéral. Pour répondre à la question de madame le sénateur, cela prend une grande volonté politique très sérieuse et engagée de la part du gouvernement pour faire une différence.

Mme Vincent : La question de la politique nationale que Mme Gilbert a évoquée est doublement importante. Nous l'avons constatée dans l'étude des expériences internationales. Une observation qui m'a frappée et que j'ai retenue, c'est que ce n'est pas juste le statut officiel qui fait que cela va bien fonctionner pour les minorités, c'est le prestige social de la langue et de la communauté qui la parle.

Le prestige social va de pair avec cette reconnaissance. Y aller à coup de poursuites judiciaires est une façon d'imposer, bien sûr, mais ce n'est pas ce qui va créer une ambiance favorable à un véritable épanouissement. Je pense qu'une politique nationale irait loin non seulement en termes politiques, mais en termes de prestige social qu'on reconnaîtrait à la langue et à la communauté.

Le président : Sénateur Chaput, vous avez provoqué bien des réactions, ce qui est excellent. Je vous rappelle, honorables sénateurs, que c'est sous la présidence du sénateur Losier-Cool que ce comité avait lancé cette enquête à l'automne 2003. Bienvenue à notre comité, chère whip.

Le sénateur Losier-Cool : Je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui. Je vous écoutais et j'aurais voulu être là pour participer avec vous.

Ma première expérience avec le Sénat était en 1982-1983 lorsque j'occupais le même poste que vous, madame Michaud. J'étais venue rencontrer le groupe que l'on appelait les GPR : le groupe parlementaire Robichaud.

On disait presque les mêmes choses, mais je dois avouer qu'il y a eu du progrès à la FCE. J'étais une de celles qui se battaient pour avoir ces structures que vous avez mises en place, et je vous en félicite.

Je vais parler maintenant de l'importance d'une politique nationale en disant que, premièrement, c'est pour l'enfant. Il faudra faire attention que dans tous les programmes de garderie éducative — et je suis d'accord pour qu'on les mette en place — on ne culpabilise pas les parents ou un des parents qui fait le choix de rester à la maison. C'est important. Il se dit peut-être que son enfant est moins bien que les autres, parce qu'il ne va pas à garderie, d'où l'importance d'un programme structuré, gratuit, accessible et motivant pour les parents.

Mon autre question concerne le tableau qui mentionne la mission de l'école francophone. Je sais que vous rencontrez dans le cadre de cette mission les enseignants, les conseils scolaires, le gouvernement. Mais les élèves et les enfants font-ils partie des recherches? Font-ils partie des témoignages? Sont-ils assez impliqués dans nos discussions? On dirait qu'on est ici et on parle de ceux qui sont là-bas, ou dans la salle de classe. Je voudrais que l'on fasse une plus grande place des élèves dans la mission.

Au deuxième tour, j'aurais autre chose à dire sur la formation des enseignants, mais je voudrais parler des enfants pour le moment.

Mme Gilbert : Je peux peut-être vous répondre en tant que chercheure. Lors de l'étude de la petite enfance, on avait envisagé d'aller observer des jeunes, de leur parler, de voir un peu comment ils réagissaient à différents types d'expériences en milieu de garde.

Vous pouvez imaginer que c'est extrêmement difficile de pouvoir faire des recherches auprès des enfants et d'obtenir les permissions pour ce faire. Chaque parent doit consentir. Chaque organisme qui offre des services de garde doit consentir. Nos tentatives n'ont pas été très fructueuses. Les dirigeants des services de garde sont extrêmement protecteurs de leurs jeunes enfants.

On a observé, mais sans pouvoir interagir directement. On a observé dans les services de garde comment cela fonctionnait avec des responsables qui se servaient d'une langue et de l'autre et comment les jeunes fonctionnaient entre eux. Mais on n'a pas pu aller beaucoup plus loin.

Dans l'étude qui touchait au défi des enseignants, si nous avons choisi de privilégier les enseignants cette fois-ci, c'est qu'il y a quand même un certain nombre d'études sur les jeunes en milieu minoritaire, sur leurs aspirations, sur leur engagement, sur leur façon de voir la vie, sur leur façon de voir leur avenir.

On avait donc trouvé à ce moment que le besoin le plus urgent, compte tenu de nos préoccupations, était de connaître les enseignants, sachant cette fois-ci qu'il y avait un certain nombre d'études en cours sur les jeunes en milieu minoritaire. Ces études ne sont jamais suffisantes pour qu'on puisse faire dire tout ce qu'on aimerait. Elles seront compensées par des initiatives en cours, notamment Statistique Canada qui mène une grande étude nationale sur l'engagement des membres des communautés minoritaires. On a donc choisi délibérément d'aller vers les enseignants.

C'est très difficile d'agir auprès des enfants et de faire des recherches auprès des enfants, les institutions les protégeant très étroitement, et c'est tant mieux.

Le sénateur Losier-Cool : Mais à partir de dix ans, ils sont capables de venir témoigner et de dire des choses. Dans bien des écoles, ils ont des conseils d'étudiants et ce sont les premiers concernés. Je me demande souvent si on a acquis l'habitude d'être plus inclusif, de les voir témoigner, de nous dire des choses. C'est peut-être la grand-mère qui parle parce que j'entends mes petits-enfants me dire des choses et je voudrais que ces choses soient entendues par tout le monde.

Mme Vincent : Nous venons tout juste d'amorcer un projet qui, je pense, vous fera grand plaisir. Nous sommes en train de rencontrer des groupe de maternelle et de première année, c'est-à-dire les jeunes enfants. De fait, c'est un suivi de notre étude sur la petite enfance : un profil d'entrée à la première année dans une perspective langagière et culturelle. C'est le ministre Dryden qui, dans sa sagesse, nous a accordé une subvention pour effectuer ce travail, de pair avec Patrimoine canadien.

C'est un profil d'entrée des enfants; quel bagage langagier et culturel devraient-ils posséder, en arrivant en première année, pour bien réussir leur intégration à l'école francophone? L'équipe de recherche est en train d'organiser des rencontres de jeunes enfants de 5 et 6 ans pour leur parler. Comment est-ce qu'ils perçoivent leurs capacités?

Le président : Mais c'est toujours dans le contexte minoritaire français langue première?

Mme Vincent : Tout à fait. C'est un profil d'entrée à la première année dans une perspective langagière et culturelle pour les minoritaires francophones.

Mme Michaud : Nous avons également un troisième volet à notre projet recherche action qui va parler plus spécifiquement de l'école et de la communauté. On envisage d'aller voir des groupes d'élèves pour connaître leur définition d'une communauté francophone.

À ce moment, on aura aussi l'apport des élèves au secondaire et à la fin du primaire. Et je peux vous dire, pour avoir enseigné toute ma carrière en maternelle, qu'on peut tenir des discours fort intéressants avec des enfants de cinq ans.

Le sénateur Losier-Cool : Au deuxième tour, je toucherai la formation.

[Traduction]

Le sénateur Buchanan : Tout au long de mes nombreuses années au gouvernement de Nouvelle-Écosse, j'ai été un grand partisan du syndicat des enseignants de Nouvelle-Écosse, le NSTU. Après avoir entendu les présentations d'aujourd'hui, je ne doute pas que je serai un grand partisan de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants. Les enfants de partout au Canada, qu'ils soient francophones ou anglophones, sont entre bonnes mains. Est-ce que le NSTU fait partie de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants?

Mme Price : Oui.

Le sénateur Buchanan : Madame Price, vous avez dit que le Nouveau-Brunswick est la seule province de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants qui sert les francophones?

Mme Price : Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Dans notre structure, il y a deux provinces où il existe des organisations indépendantes d'enseignants francophones, le Nouveau-Brunswick et l'Ontario. En Nouvelle-Écosse, par exemple, les enseignants francophones font partie du NSTU et sont représentés par une sous-section du NSTU.

Le sénateur Murray : Votre mémoire et ceux d'autres organisations que nous entendrons plus tard aujourd'hui font observer qu'il y a peut-être plus du tiers de ceux qui ont le droit à l'éducation en langue française qui en profite réellement. C'est un grave problème et il y a diverses manières de s'y attaquer. Dans certains mémoires, on a notamment proposé deux choses. Premièrement, il y a le besoin d'améliorer l'infrastructure communautaire pour les francophones, ce qui devient flagrant quand vous nous dites que plus de 37 p. 100 des francophones vivent dans des collectivités où ils représentent moins de 5 p. 100 de la population. Cela nous en dit long sur la situation.

Deuxièmement, on propose de mettre l'accent sur la petite enfance, les garderies et les prématernelles. Il est évident que parmi ce tiers, la moitié ou les deux tiers des élèves admissibles arrivent à l'école armés d'une connaissance du français qui se situe à des degrés divers. La mise en place d'un lien entre la petite enfance et le cadre scolaire est la clé.

[Français]

Mme Gilbert demande une politique nationale de la petite enfance. La petite enfance inclut les niveaux de maternelle et préscolaire. Je fais la distinction entre une politique du gouvernement fédéral et une politique nationale. À mon avis, la seule politique efficace sera une politique nationale qui impliquera pleinement, pour reprendre un terme québécois, les deux ordres de gouvernement — on ne parle pas au Québec de niveau de gouvernement, mais plutôt d'ordre de gouvernement.

Comme vous savez, les négociations qui se poursuivent actuellement entre le gouvernement fédéral et les provinces envisagent un système ou un réseau national qui n'est pas nécessairement public. D'après ce que disent les journaux et les médias d'information, on envisage plutôt un système mixte entre le secteur privé, public et les institutions à but non lucratif.

Êtes-vous prêts à vous adapter à un tel système, si c'est en effet ce qui se produira à la fin des négociations en cours?

[Traduction]

Mme Price : C'est une question politique. La Fédération canadienne est fortement en faveur de l'éducation publique, telle est notre position politique. L'accès aux services en français est l'élément le plus important de ce dossier.

Le sénateur Murray : Je suis d'accord.

Mme Price : Je vais maintenant m'exprimer plus personnellement et dire...

Le sénateur Murray : Il est important que ce programme national comporte une dimension mettant l'accent sur les langues minoritaires. Je suis entièrement d'accord avec vous là-dessus.

Mme Price : Je ne dirai rien de plus à moins que vous ne m'y forciez.

Le sénateur Murray : Je ne peux pas vous y forcer, mais je vous y invite. L'école prématernelle ou maternelle, comme vous l'avez signalé, est un service public qui est même obligatoire dans certaines provinces.

Mme Price : Il est obligatoire partout sauf à l'Î.-P.-É.

Le sénateur Murray : Je pense que nous devrons envisager cet aspect parce qu'on semble discuter, dans le cadre du débat sur la petite enfance et l'école préscolaire ou maternelle, d'un système qui sera en partie privé, en partie à but non lucratif et en partie public. Je vois des gens qui lèvent les yeux au ciel autour de la table. Je vous en prie, exprimez-vous. Est-ce que cela pourrait fonctionner?

Mme Price : L'élément le plus important est que ce soit accessible — pour tous les enfants. C'est l'élément crucial pour nous sur le plan politique et...

Le sénateur Murray : Accessible?

Mme Price : Oui.

Le sénateur Murray : Bon, très bien.

Mme Price : L'accessibilité dépend du coût; c'est l'unique facteur qui peut bloquer l'accessibilité.

Le sénateur Murray : En réponse à la question posée par mon collègue, que Dieu me pardonne de dire une chose pareille, mais 5 milliards de dollars, ce n'est pas beaucoup sur cinq ans, étant donné les besoins; et nous le savons tous. Vous savez que le gouvernement provincial...

[Français]

Les gouvernements provinciaux craignent que le fédéral ne se retire du programme ou, dans un autre contexte fiscal, ne réduise sa contribution. Madame Vincent, désiriez-vous ajouter quelque chose sur cet aspect?

Mme Vincent : Notre présidente nationale a bien répondu à cette question. C'est une question d'accessibilité. Si on impose des coûts, les pauvres en assumeront le poids. Notre étude a révélé que les familles les plus pauvres étaient absentes des quelques services existants, car ils n'ont pas les moyens de s'en prévaloir. On va encore pénaliser les pauvres qui sont sans doute ceux qui en ont le plus besoin et qui n'ont pas d'autres moyens au foyer d'encadrer l'enfant sur le plan éducatif.

Encore une fois, je pense que l'on fait persister les disparités, dans une certaine mesure.

[Traduction]

Mme Price : Je voudrais ajouter une observation qui ne porte pas sur le niveau préscolaire et la question de l'accessibilité. Je suis conseillère scolaire à Whitehorse, au Yukon, depuis 15 ans. J'ai pleuré chaque fois que j'ai inscrit des enfants en âge d'aller au secondaire issus de la commission scolaire francophone. Bien souvent, pour ces étudiants, le problème est que dès qu'ils atteignent la partie le plus difficile du programme secondaire, ils n'ont plus aucune ressource, par exemple s'ils ont besoin d'encadrement en mathématiques; et je défie quiconque de faire ce que les enfants font en 11e et 12e années de nos jours. Les services n'existent pas. Comme Mme Vincent l'a signalé, les familles qui n'ont pas les moyens d'embaucher des tuteurs privés se tournent vers l'école anglaise pour obtenir les services dont ils ont besoin.

Le sénateur Murray : Vous signalez qu'il n'y a pas suffisamment de matériel pédagogique en français; si un manuel sur les mathématiques ou les sciences est publié au Québec et est envoyé au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse ou en Ontario, cela ne pose certainement pas de problème? Je suppose que vous n'avez pas une telle étroitesse d'esprit que vous rejetteriez le manuel simplement parce qu'il vient du Québec.

Avec les autres, comment réglez-vous le problème associé au coût de publication des manuels scolaires? Est-il possible d'obtenir des manuels de sociologie ou d'histoire sans s'endetter? Quels domaines posent des problèmes? S'agit-il de manuels d'histoire, de sociologie et d'éducation civique?

[Français]

M. Taillefer : C'est vraiment la gamme des sujets parce qu'on parle d'un curriculum qui a été conçu en Ontario, pour les Franco-Ontariens. Ce n'est pas toujours évident de faire le lien entre ce curriculum et un manuel qui a été produit au Québec. Là où on peut s'en servir, on le fait. On vient de passer à travers une refonte considérable du curriculum ontarien tant en français qu'en anglais. Je dois dire que c'était la course dans les maisons d'édition pour essayer de produire du matériel qui se liait étroitement à notre curriculum.

Je sais que dans nos écoles, parce que cela ne fait pas si longtemps que je suis sorti d'une école, on nous vendait un chapitre à la fois d'un livre de sciences. Pour nous, c'est totalement inacceptable.

Le sénateur Murray : Quelle est votre solution à ce problème? Vous avez ce qu'on appelle une masse critique d'étudiants chez vous et au Nouveau-Brunswick. Mais quand même, c'est très difficile de publier des livres.

M. Taillefer : La réponse à cela est qu'on est en train d'inciter le gouvernement de ne pas embarquer dans des refontes du curriculum tous les trois ou quatre ans pour donner une chance aux maisons d'édition de faire leur rattrapage et produire leurs volumes.

C'est notre première intervention mais je dois dire — on est peut-être dans la cinquième année — qu'on est en train de faire une révision des curriculums et présentement, des manuels très importants et à la page, viennent d'être publiés dont Histoire franco-ontarienne, spécifiquement écrit pour nous par un chercheur de l'Université d'Ottawa, Michel Bock. On voit ces manuels s'infiltrer dans le système. C'est une question de décalage de temps et on espère que d'ici quelques années, on pourra avoir un ensemble de manuels, un inventaire assez important pour répondre aux besoins de nos élèves.

Le sénateur Murray : Est-ce que le problème est moins aigu chez vous qu'au Nouveau-Brunswick?

[Traduction]

Mme Price : Il s'agit d'un autre problème politique. L'élaboration des programmes d'études relève des provinces. L'Ontario dispose d'une masse critique d'élèves francophones qui pourrait justifier la publication de manuels scolaires rédigés en fonction de son programme d'études. Cependant, ce n'est pas le cas des autres provinces ou territoires.

Les manuels scolaires pour les sciences et d'autres sujets qui sont rédigés au Québec sont peut-être parfaitement appropriés au point de vue technique, mais ne correspondent pas au programme de cours enseignés dans les autres territoires et provinces. Les commissions scolaires francophones des autres régions du pays ont besoin de ressources pour créer les outils supplémentaires qui permettront aux enseignants de s'appuyer sur des manuels existants. Évidemment, nous n'avons pas d'argent pour imprimer un manuel qui corresponde à notre programme de cours. Nous avons abordé un autre problème politique et tant que le programme de cours relèvera des provinces, le problème ne disparaîtra pas.

Le président : Le gouvernement fédéral pourrait aider.

Mme Price : Il pourrait fournir de plus amples ressources. Mme Vincent a mentionné le portail national. Chaque fois qu'on demande à un élève de faire un travail de recherche sur un sujet particulier, il doit avoir recours à l'Internet en anglais. Nous avons donc repoussé les élèves dans la culture de la majorité. Un portail national de ressources en français, un plus grand nombre de sites Internet en français, les médias, et non pas simplement des médias distincts en anglais et en français mais des médias écrits dans les deux langues officielles, ou certains articles en français et d'autres en anglais, seraient certainement un pas énorme dans la bonne direction. Il faut faire ressortir les prestiges du français comme langue parlée et il faut améliorer le profil de la culture francophone dans le Canada tout entier et non pas simplement dans quelques régions ici et là. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons doubler le nombre de jeunes bilingues au Canada d'ici dix ans.

[Français]

Mme Michaud : Au Nouveau-Brunswick, on a quand même la production du ministère de l'Éducation. On a la dualité et oui on le fait dans nos programmes. Mais on a le même problème qu'en Ontario où il y a plusieurs réformes et on passe beaucoup de notre temps à essayer d'adapter les manuels et à les refaire pour répondre aux besoins du ministère.

Le sénateur Murray : Le curriculum vient de la partie anglaise de votre ministère?

Mme Michaud : Non, je dois dire qu'on ne fait pas une dualité dans ce sens. On fait notre propre production de notre matériel.

Le président : Rapidement, nous allons ajourner dans cinq à dix minutes pour un petit goûter avant de continuer 45 minutes plus tard. Je donne la parole aux sénateurs Comeau, Losier-Cool et Chaput.

Le sénateur Comeau : Madame Vincent, vous avez parlé plus tôt d'une étude que vous êtes en train de faire du profil d'entrée de la petite enfance. Est-ce que vous faites une distinction entre le profil d'entrée, par exemple au Nouveau-Brunswick, dans la région de Mme Michaud, en Saskatchewan, au Manitoba ou en Nouvelle-Écosse? Êtes-vous en train de repartir un peu comme vous avez fait avec votre document, là où vous avez été dans différentes communautés? Je peux vous assurer qu'il y a une très grande différence entre la petite enfance dans la région de Mme Michaud et la petite enfance à la baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse. Faites-vous cette distinction?

Mme Vincent : C'est une question philosophique essentielle. Nous avons dû y réfléchir très sérieusement. Mais la définition du profil exclut une diversité. Le profil doit constituer l'idéal commun vers lequel nous devrions tendre dans l'établissement de nos services à la petite enfance. Autrement dit, nous allons tenter de décrire le bagage langagier culturel que devrait idéalement posséder tous les petits d'ayants droit qui arrivent en première année dans nos écoles de langue française. Cela ne veut pas dire que ce sera au Nouveau-Brunswick, et en Saskatchewan, non. Ils devraient tous arriver en première année prêts à apprendre en milieu d'apprentissage francophone.

L'idée d'un profil n'est pas de décrire la réalité mais plutôt de décrire un idéal qui servirait ensuite de phare, si vous voulez, pour la mise en place des différents services menant jusqu'à la première année.

Donc cela donnera la piste ou le point de mire vers lequel on pourra se tourner lorsqu'on élaborera des programmes-cadres, comme nous le recommandons pour les zéro à trois ans. Que leur apprendra-t-on de zéro à trois ans pour qu'ils arrivent en première année prêts à apprendre et à réussir dans les écoles de langue française?

Vous avez sans doute pris connaissance du rapport récent du Conseil des ministres de l'Éducation sur l'apprentissage. M. Landry a joué un rôle clé dans cette étude. Cette étude a démontré clairement que la compétence linguistique est à la base du succès de l'apprentissage dans toutes les matières.

L'idée est de démontrer aux parents, aux éducatrices de la petite enfance et aux ministères concernés comment on doit structurer les services destinés des zéro à six ans de manière à ce que ceux qui arrivent à l'école de langue française soient tout à fait prêts et de façon égale à réussir à l'école. C'est un profil descriptif de l'idéal et non pas des réalités diverses. C'est la distinction.

Le sénateur Comeau : Pourriez-vous nous faire parvenir la méthodologie par laquelle vous allez le faire?

Le sénateur Losier-Cool : Je laisse la petite enfance et je passe directement à la formation des enseignants et enseignantes. J'essaie en même temps de me rattacher au mandat du comité qui se penche sur les institutions assujetties à la Loi sur les langues officielles, les institutions, les maisons de formation. Je crois qu'un enseignant pour enseigner aux francophones en situation minoritaire a besoin d'une formation spéciale.

Sinon il va s'épuiser et c'est ce qui arrive. Nous avons rencontré l'année dernière des enseignants francophones d'Edmonton qui sont très motivés. En même temps qu'ils enseignent, ils doivent s'occuper de toute la paperasse d'une salle de classe. Ils ont la motivation culturelle. J'ai rencontré des enseignants de la Grande Terre, dans le sud de Terre-Neuve, et c'est la même chose. Ils sont tellement isolés. Ils n'ont reçu aucune formation.

Est-ce qu'il existe à l'Université de Moncton ou à l'Université d'Ottawa, un volet pour la formation en situation minoritaire pour aider les enseignants?

M. Taillefer : Pour appuyer ce que vous dites, il est très important pour nous d'avoir ce genre de formation. Nous préconisons qu'il est primordial que tous les gens qui sont dans le système aient cet appui.

Lorsque vous avez dit que c'est épuisant comme tâche, je peux vous citer des statistiques provinciales de l'Ontario où nous sommes quand même choyés comparativement à l'ensemble du pays. Nos collègues anglophones de l'enseignement se prévalent du service d'assurance invalidité de longue durée. Environ 16 personnes sur 1 000 font des demandes. Chez les francophones, c'est 36 sur 1 000, dont 50 p. 100, qui en font la demande à cause de problèmes mentaux et nerveux. L'ampleur de la tâche a des répercussions semblables chez nous. Je peux m'imaginer ce qui se passe dans les autres provinces. Il est clair que la tâche de l'enseignant est très lourde et nous avons besoin des mécanismes qui favorisent l'apprentissage des gens pour œuvrer dans une situation minoritaire qui est très différente.

Mme Gilbert : La situation familiale des enseignants et enseignantes ne ressemblent pas beaucoup à celles des élèves à qui ils ont à enseigner. Ils ont, pour la plupart, des conjoints francophones; la très grande majorité des enseignants ont été élevés dans des familles où les deux parents étaient francophones. Généralement, il n'y a pas cette compréhension de l'expérience des jeunes à qui ils enseignent. Cet élément de la formation devrait être abordé.

Pour répondre à votre question à savoir si des universités ou des facultés d'éducation offriraient de la formation sur ce plan, je pense que la préoccupation est en train de s'installer. Ce n'est pas tellement répandu.

Il ne s'agit pas seulement de formation préparatoire. Il faut réaliser que beaucoup d'enseignants et d'enseignantes, qui oeuvrent dans les écoles françaises au Canada, ont été formés au Québec. Le quart d'entre eux viennent du Québec. Je ne pense pas qu'on puisse demander au système post-secondaire québécois d'offrir une formation de ce type mais il faut demander aux conseils scolaires, qui accueillent ces enseignants venus du Québec, de pouvoir pallier à ce manque de formation dans le système de base qu'ils ont.

Mme Michaud : Au Nouveau-Brunswick, il y a des cours à option sur la situation en milieu minoritaire qui ne sont pas obligatoires.

Le président : Le sénateur Léger, qui est tellement loquace au théâtre, n'a presque pas pris la parole ce matin.

Le sénateur Léger : J'aimerais vous féliciter pour les présentations que vous avez faites. Votre discours était totalement tissé de vie, de culture de tous les enfants, les plus petits, de zéro à la cinquième année. Le prestige social est crucial. Vous l'avez dit. Et je trouve que vos discours doivent être annoncés et criés partout. Il y a des compressions n'importe où. S'il y a grève au Québec présentement, on va faire des réductions dans les arts. La première réduction qui arrive, c'est toujours le côté para-études ou l'aspect moins tangible de l'éducation.

Le président : C'est bien dit, quand même.

Le sénateur Chaput : Les ententes de contribution à l'éducation fédérales-provinciales sont maintenant à l'étape de la négociation. Nous nous attendons à ce qu'elles soient signées en 2005. Ces ententes, présentement, ne comprennent pas les services à la petite enfance. Ces ententes sont habituellement signées pour trois, quatre ou cinq ans. Ce qui voudrait dire que si la suggestion, la recommandation, à titre d'exemple est d'élargir ces ententes de contribution, il faudrait commencer à s'organiser pour la prochaine signature qui serait dans trois, quatre ans et cela voudrait dire que ce serait des ententes avec plusieurs partenaires. Présentement c'est uniquement avec le ministère du Patrimoine canadien. Si on ouvre la négociation à la petite enfance, celle-ci serait entre le ministre responsable des services de garde tant au gouvernement fédéral qu'avec la province, n'est-ce pas? Est-ce que je comprends bien que ces ententes seraient étendues à de multiples partenaires?

Mme Vincent : Exactement, comme je l'ai signalé, il n'y a pas d'enseignement unifié au Canada. C'est compliqué. Il faut avoir des mécanismes de concertation et de mise en commun de tous les intervenants. C'est pour cela qu'il faut agir sur tous les fronts et faire de la sensibilisation.

Le sénateur Losier-Cool : Il ne faut pas que les ententes aient pris les cinq milliards de dollars du programme des garderies. Selon moi, ce serait un débat intéressant. Je pense que les cinq milliards sont alloués pour les garderies pour tout le monde. Les ententes communautés-Canada, c'est un autre objectif.

Le sénateur Chaput : Et les ententes en éducation, c'en est une autre aussi.

Le président : Je vous remercie tous. Avant d'ajourner pour le goûter, je vous invite, vous qui venez de nous nourrir intellectuellement, à partager notre modeste repas. Nous reprendrons nos travaux avec M. Landry de l'Université de Moncton, à 13 h 15.

La séance est suspendue.

La séance reprend.

Le président : Bon après-midi à tous. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Rodrigue Landry, directeur général de l'Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques à l'Université de Moncton.

M. Landry nous a fait parvenir une bibliographie de neuf pages d'études et d'analyses de recherches qu'il a faites seul ou en collaboration avec d'autres chercheurs. Il a été professeur à l'Université de Moncton de 1975 à 2002, il a occupé différentes responsabilités en tant que directeur du Département d'éducation spéciale. Il a été chercheur invité à l'Institut de recherche interethnique et interculturelle de l'université de Nice, il a été doyen de la faculté des sciences de l'éducation et directeur fondateur du Centre de recherche et de développement en éducation.

Il est détenteur d'un doctorat en psychologie éducationnelle. Il compte à son actif plusieurs publications et rapports de recherche portant sur la vitalité ethnolinguistique, l'éducation en milieu minoritaire, le bilinguisme et l'apprentissage scolaire. Je n'en dirai pas davantage. Le professeur Landry a écouté les témoignages de ce matin et nous avons hâte de l'entendre.

M. Rodrigue Landry, directeur général, Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques : Je vous remercie, monsieur le président, pour l'invitation. Il me fera bien sûr plaisir de répondre à toutes vos questions. Aussi, je suis heureux que vous vous intéressiez à ce domaine qui, comme le titre de mon mémoire le dit, est la pierre angulaire de la revitalisation des communautés francophones et acadienne.

Je sais que le comité focalise sur un mandat très large de l'éducation qui va de la petite enfance au postsecondaire. Mon mémoire essaie de vous inviter à voir l'éducation dans un tout cohérent qui s'intègre aux valeurs, aux politiques linguistiques et aux lois du pays.

En ce qui concerne mon texte traduit en anglais, j'ai eu la chance de le lire mais je n'ai pas eu le temps de réagir à temps. En fait, il y a quelques mots que j'aurais peut-être dits différemment, mais autrement, la traduction est excellente. Je ne pense pas que cela affecte la compréhension du texte pour ceux qui l'auraient lu en anglais.

Le président : Si vous voulez bien nous faire parvenir les corrections, nous verrons à ce que votre texte soit publié dans un anglais correct.

M. Landry : Oui, mais les corrections sont quand même relativement mineures.

On a entendu parler ce matin de l'article 23, qui représente une source d'espoir pour les communautés francophones et acadienne. Parmi les progrès qui ont été faits, beaucoup concernent l'accès à l'éducation, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus d'obstacles ou qu'il n'y a plus de problèmes de participation à l'école de langue française.

Afin de vous situer dans le contexte, on sait que lorsqu'on regarde l'historique de l'article, on voit qu'il a été fortement influencé par les travaux de la commission Laurendeau-Dunton, la Commission royale d'enquête sur le biculturalisme qui avait commencé ses travaux en 1963 jusqu'en 1969. Je n'étais pas très vieux à l'époque mais j'ai pu examiner les documents.

Si on pouvait reprendre les travaux de la commission, les recommandations qui étaient déjà positives à l'époque seraient encore plus étendues et plus englobantes qu'elles ne le sont maintenant. Aujourd'hui, on dirait qu'une vision globale de l'éducation inclut la petite enfance, l'alphabétisation et les études postsecondaires.

La recherche révélerait également que l'éducation, aussi essentielle qu'elle soit, ne peut à elle seule assurer l'épanouissement d'une minorité. Notre propre analyse nous amène à conclure que l'érosion progressive des minorités francophones au Canada est telle qu'il faut maintenant instituer non pas une plus forte résistance à l'assimilation, mais plutôt procéder à une véritable revitalisation ethnolinguistique.

Il faut viser à renverser les transferts linguistiques par une approche globale qui donnera un nouvel essor aux communautés francophones et acadienne. Le mémoire tente justement de faire ressortir le fait que l'éducation peut être la pierre angulaire de cet effort de revitalisation.

Le mémoire, que je ne lirai pas parce qu'il est très long, est divisé en trois parties. Je vais quand même démontrer qu'il existe au Canada des tendances démo-linguistiques très difficilement réversibles qui nous amènent à conclure qu'il faut travailler à une revitalisation. Je donnerai aussi quelques exemples de défis qui sont autres que des défis éducationnels et, enfin, je mettrai l'accent sur la façon dont l'éducation peut être au cœur de cette revitalisation.

La première tendance qu'on observe au Canada, c'est une territorialisation des langues officielles. J'utiliserai des expressions que je n'aime pas mais qui aident à comprendre le message. On parle parfois du Canada anglais et du Canada français. On pourrait résumer le tout et dire que le Canada anglais devient plus anglais et que le Canada français devient plus français, ce qui fait que dans chacun de ces territoires, les minorités de langue officielle perdent de la valeur.

La deuxième grande tendance, c'est le taux croissant d'allophones au pays. Tous savent maintenant que les allophones sont des personnes qui parlent d'autres langues que le français ou l'anglais. On s'aperçoit qu'à l'heure actuelle, 18 p. 100 de la population parlent une autre langue que le français ou l'anglais. À l'extérieur du Québec, en ce qui touche les francophones, c'est 20,4 p. 100 de la population. Ce sont donc les immigrants qui contribuent maintenant le plus à la croissance démographique du pays.

La troisième grande tendance qui a un effet à la fois sur les populations allophones et les populations francophones, c'est une attraction sociale pour l'anglais plus forte que jamais. Au Canada, ce ne sont pas tous les allophones qui font des transferts linguistiques mais parmi ceux qui en font, 44 p. 100 vont vers l'anglais et 3 p. 100 vont vers le français, et cela inclut le Québec.

L'attraction sociale de l'anglais contribue à une faible continuité linguistique chez les francophones hors Québec. Actuellement, 38 p. 100 des francophones n'utilisent pas le français comme principale langue au foyer. Le taux de transfert des allophones vers le français est, à toutes fins pratiques, négligeable. Je dirais même que ce statut de la langue anglaise explique en partie pourquoi la minorité anglophone du Québec est avantagée sur le plan de la continuité linguistique.

Par exemple, imaginons que le taux de continuité est de 100 p. 100. Cela signifie qu'il y a autant de personnes qui parlent la langue à la maison qu'il y en a pour qui c'est la langue maternelle. Chez les francophones, ce taux est à 0,62, ce qui signifie que 38 p. 100 ne parlent pas le français. Chez les anglophones du Québec, le taux de continuité est de 1,26.

Il y a donc beaucoup plus de personnes qui parlent l'anglais à la maison qu'il y a d'anglophones. On peut l'expliquer par cette attraction sociale de l'anglais qui est tellement forte qu'elle pénètre même au Québec.

Ensuite, tout cela pourrait être facilité pour les francophones, si on avait encore ce qu'on a connu à une certaine époque et qu'on appelait « la revanche des berceaux ». Le taux de fécondité aujourd'hui est très faible. En seulement 40 ans, le taux de fécondité des francophones hors Québec est passé de 5 à 1,5. Les démographes nous disent que cela prend 2,1 enfants par famille, seulement pour garder la population stable.

Parmi les tendances, le taux croissant d'exogamie, c'est-à-dire des mariages interlinguistiques, est peut-être la plus importante parce qu'elle est reliée à quelque chose que je vais présenter tout à l'heure sur les solutions pour la situation des francophones. C'est tout à fait normal en situation minoritaire qu'il y ait de l'exogamie. En 2001, 37,4 p. 100 des francophones hors Québec qui vivaient en couple avec un conjoint anglophone et 4,6 p. 100 avec un conjoint allophone, ce qui fait un taux d'exogamie de 42 p. 100; c'est-à-dire 42 p. 100 des francophones qui se marient hors de leur langue et de leur culture.

L'effet le plus dommageable est que cela affecte la langue transmise aux enfants. Je vais revenir là-dessus plus tard. Cela touche la langue que l'on transmet au foyer, mais j'insiste pour dire — et j'y reviens — que l'exogamie n'est pas la cause directe de cela, mais c'est un facteur. C'est un facteur qui mène à cette situation. Je vais m'expliquer plus tard.

Du fait que c'est un phénomène relativement récent qui se produit le plus souvent chez les nouveaux couples qui sont en âge d'avoir des enfants, même avec un taux d'exogamie de 42 p. 100, c'est 64 p. 100 de tous les enfants qui sont des enfants d'ayants droit aujourd'hui, selon l'article 23, qui proviennent de foyers exogames. De tous les enfants qui peuvent aller à l'école française, 64 p. 100 viennent de familles mixtes, c'est-à-dire de familles de mariages mixtes, francophone et anglophone.

Il n'y a rien de mal à cela; on sait que l'exogamie est basée sur l'amour et l'amour a des raisons que la langue n'a pas, mais il reste quand même que cela a un effet très considérable sur la langue transmise.

À cause du taux très élevé d'exogames et à cause du fait qu'on transmet la langue à peine à 23 p. 100 des enfants dans ces familles, cela fait en sorte que maintenant, sur tous les enfants qui peuvent aller à l'école française, seulement un enfant sur deux a le français comme langue maternelle et seulement quatre sur dix parlent le français, le plus souvent à la maison.

Ceci contribue donc à une baisse de la population scolaire. Si on y ajoute les autres facteurs comme le taux de fécondité et les transferts linguistiques, cela fait en sorte que même la clientèle admissible à l'école française est en baisse.

Dans les derniers 15 ans, chez les enfants d'âge scolaire de 5 à 17 ans, la baisse a été de 17 p. 100; et chez les enfants de zéro à quatre ans, la baisse est de 27 p. 100 en 15 ans. C'est un signe que la tendance à la baisse s'accentue aussi avec le temps.

Il me reste deux tendances à examiner. Il y a le vieillissement de la population, que l'on calcule d'une façon relativement simple : c'est la proportion de personnes qui ont 65 ans et plus par rapport au nombre de personnes qui ont 15 ans et moins.

Pour vous donner une idée, il y a eu une époque où le taux était seulement de 0,27; c'est-à-dire qu'il y avait seulement une personne âgée pour quatre jeunes. Aujourd'hui, le taux global pour le pays est maintenant de 0,63. C'est quand on commence à regarder entre les différentes langues que cela devient intéressant. Chez les anglophones, le taux est de 0,5; c'est-à-dire qu'il y a une personne âgée pour deux jeunes, mais chez les francophones hors Québec, le taux est de 1,15. Cela veut dire qu'il y a plus de personnes de 65 ans et plus qu'il y a de jeunes. En Saskatchewan, le taux est de 4,14. C'est donc dire qu'il y a quatre fois plus de personnes âgées qu'il y a de jeunes.

Une dernière tendance démontre pourquoi il faut travailler à une revitalisation : il s'agit de l'urbanisation grandissante du Canada et l'exode des jeunes. Beaucoup de jeunes quittent leur région pour les études, et pour des raisons économiques n'y reviennent pas toujours. Cela a toutes sortes de conséquences qui font en sorte que les communautés francophones s'affaiblissent et les jeunes deviennent plus vulnérables à l'assimilation. Pour le jeune qui part de Caraquet, où il n'y a pas d'assimilation, et qui va s'installer dans un endroit comme Edmonton en Alberta, un endroit où le taux d'assimilation est de 80 p. 100, la réalité change drôlement. Les jeunes se mettent dans des situations plus vulnérables.

Les tendances que je viens de décrire sont des tendances sur le plan sociologique. On ne peut pas les renverser du jour au lendemain. C'est très difficile. C'est pour cela que je dis que ce n'est plus le temps de parler de résistance à l'assimilation, mais c'est le temps de parler d'une revitalisation.

Certains auteurs, qui travaillent sur une variété de minorités linguistiques à travers le monde, ont étudié la faisabilité de cela. Ce ne sont pas des choses faciles. Il y a très peu d'exemples de succès de revitalisation ethnolinguistique. Il y a même des démographes qui vont jusqu'à dire qu'on pourrait perdre jusqu'à la moitié des 6 000 langues du monde d'ici deux générations. Je ne suis pas en mesure de juger s'ils ont raison ou non, mais il reste que c'est quand même très inquiétant.

J'ai dans mon mémoire plusieurs points qui font en sorte que s'il y a quelques exemples de succès, le français en milieu minoritaire a des chances de l'être, du fait de l'appui du gouvernement fédéral, de par la structure du pays, de par nos lois, du fait que c'est une langue officielle et internationale. Même si c'est difficile, s'il y a un endroit où on devrait pouvoir réussir à faire de la revitalisation, c'est bien auprès des francophones hors Québec.

Pour expliquer les facteurs, j'ai présenté dans cette deuxième section du mémoire un modèle théorique. Je ne prétends pas vouloir l'expliquer, mais c'est pour montrer le message central qui démontre qu'il faut travailler sur plusieurs plans en même temps pour espérer réussir à faire une revitalisation.

Ce modèle que vous avez à la page 8 du rapport démontre que ce qui arrive aux minorités dépend, d'un côté de l'appui des gouvernements, et aussi des facteurs de vitalité tels le nombre, le support institutionnel, le statut de la langue; et d'un autre côté cela dépend aussi de la prise en charge des personnes, de leur propre conscience collective et du travail qu'ils vont faire pour réussir dans leur communauté.

Certains essaient de rendre cela aussi simple que de dire que c'est soit un meurtre ou un suicide. Moi, je dis que c'est les deux à la fois. Il y a des appuis qui ne sont pas là parfois et qui seraient de la thèse du meurtre, mais il y a aussi parfois le manque de prise en charge par la communauté elle-même qui serait dans la thèse du suicide. Les deux jouent en même temps.

Parmi les grands principes que j'ai énumérés dans le mémoire, je vais insister sur deux aspects. Plus les interventions de l'État et celles du groupe minoritaire agissent en synergie, mieux ce sera. Et ceci tout au long du continuum de société à l'individu, que ce soit au niveau idéologique du pays, au niveau institutionnel ou au niveau de la socialisation des jeunes et au niveau de ce qui se passe chez les jeunes. Plus on agit sur tous ces aspects en même temps et qu'il y a une synergie des actions communautaires et gouvernementales, plus on a de chances de réussir la revitalisation ethnolangagière.

Si nos actions sont compartimentées, sont fragmentées et que l'on tire la couverture chacun de notre côté, les chances sont qu'on va avoir beaucoup de difficultés à réussir cette revitalisation.

Le deuxième principe sur lequel je veux insister est que seules les politiques linguistiques et les interventions, qui ont une influence sur le vécu langagier des personnes, ont une chance d'avoir un effet durable sur la vitalité d'une communauté. En d'autres mots, on peut faire toutes sortes de beaux projets. Si en bout de route ces actions n'ont pas d'influence sur le vécu des personnes et sur leur identité, les chances que ces actions aient un impact sont très minimes.

Comme le regretté Roger Bernard le disait, on ne naît pas anglophone ou francophone, on le devient. C'est la socialisation qui est importante. Cette socialisation se vit dans la communauté, dans les écoles, un peu partout.

Pour prouver qu'on a des défis en dehors de l'éducation, je donne comme exemple, dans mon mémoire, de redéfinir l'identité canadienne des francophones. Je comprends très bien la situation du Québec, je l'ai beaucoup étudiée. Les Québécois ont voulu, pour se prendre en charge, territorialiser leur identité. Ils sont passés de Canadiens français à Québécois. Mais cela a amené toutes les autres communautés francophones à aussi territorialiser leurs identités. Ils sont devenus des Franco-Ontariens, des Franco-Manitobains, des Franco-Ténois, et cetera. Les Acadiens ont gardé la même identité, mais elle était complémentaire, à une certaine époque, de l'identité canadienne-française. Aujourd'hui, on vit la même compartimentation de l'identité.

Sans nier les identités territoriales, il est important pour les francophones du Canada, incluant ceux du Québec, de se redécouvrir une identité commune et se doter d'institutions nationales, représentant l'ensemble des francophones du Canada. Je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas y avoir, dans les écoles — je ne dis pas dans tout le curriculum, je sais que c'est de juridiction provinciale —, un même cours d'histoire de la francophonie qui serait donné au Québec et partout ailleurs, pour voir l'identité commune de tous les francophones?

Un autre grand défi serait d'accroître l'immigration francophone. Vu le bas taux de fécondité que l'on connaît, ce serait une des seules façons de développer le pays. On peut donc travailler sur deux plans : accroître l'immigration francophone et l'immigration francotrope. Pour la première, ce sont les francophones qui arrivent d'autres pays, mais l'immigration francotrope, ce sont des populations qui, par leur éducation et leur culture, même s'ils ne sont pas francophones de langue maternelle, ont plutôt tendance à aller vers le français. Je pense aux personnes qui arrivent de certains pays d'Afrique. Le français n'est pas leur langue maternelle, mais leur éducation est faite en français. Ils devraient s'intégrer aux communautés francophones. Heureusement, la nouvelle loi de 2002 sur l'immigration et la protection des réfugiés donne comme objectif de le faire, mais il y a encore énormément de travail, que ce soit au niveau de la sélection, de l'information ou des structures d'accueil.

L'autre grand défi sera d'accroître la synergie des actions gouvernementales et communautaires. On a parlé, ce matin, du Plan d'action sur les langues officielles. Je pense que c'est une des plus belles initiatives du gouvernement fédéral depuis la révision de la Loi sur les langues officielles, en 1988. Elle touche à trois axes prioritaires : l'éducation, le développement communautaire et la fonction publique. Elle veut rendre imputables tous les ministères. Je ne pense pas que ce soit intentionnel, mais par ricochet, ce qui arrive et ce que j'observe, c'est qu'en ayant voulu responsabiliser tous les ministères, il y a des sommes d'argent qui sont dispersées, et on court chercher l'argent ici et là, et il n'y a plus de plan d'ensemble. Les communautés francophones, on ne les voit pas beaucoup travailler sur des plans communs. Les services sont là, mais il manque la synergie; le plan intégré ne semble pas vraiment y contribuer.

Je pourrais donner d'autres exemples là-dessus. Par exemple, les conférences ministérielles sur les affaires francophones qui regroupent toutes les provinces et les territoires. Ils ne se sentent pas vraiment inclus dans le plan national. Le plan met l'accent sur les actions du fédéral et les actions du gouvernement provincial ne sont pas nécessairement intégrées dans ce plan. Il y a encore du travail à faire pour augmenter la cohésion par des ententes fédéral-provincial. Il y a plusieurs secteurs dans lesquels on pourrait travailler. Je ne vais pas mentionner ces secteurs parce que l'on doit se concentrer sur l'éducation.

J'arrive donc à l'éducation. Dans le cadre d'un partenariat global de collaboration, si on pouvait créer cette entente globale de voir le défi de revitalisation communautaire dans son ensemble, ce serait d'y insérer tout le continuum de l'éducation tout au long de la vie. Dans un livre que j'ai écrit avec le juriste Serge Rousselle, on parlait d'aller au-delà de l'article 23. Je ne sais pas si mon collègue Pierre Foucher serait d'accord, mais l'article 23 est limitatif. Il n'y a rien qui empêche le gouvernement, avec l'engagement de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, d'aller au-delà de l'article 23. Si on perd la moitié des enfants avant l'entrée scolaire et qu'on en perd un autre tiers à la sortie de l'école secondaire, parce qu'ils s'en vont dans les universités anglophones, l'article 23 est loin de jouer son plein impact sur la communauté. Et c'est là que je dis qu'on doit penser au-delà de l'article 23.

Je propose six défis prioritaires dans le domaine de l'éducation de la petite enfance à l'éducation postsecondaire.

Je vais appuyer mes collègues de la FCE et probablement mes collègues de la Commission nationale des parents francophones, en disant que le défi numéro un est de favoriser la socialisation précoce en français pendant la petite enfance, et maximiser la participation aux établissements scolaires de langue française. Ce que j'ai intitulé, dans une étude récente, « libérer le potentiel caché de l'exogamie ».

Je suis convaincu que cette action peut avoir la plus forte incidence sur la vitalité future des communautés francophones et acadienne. Même si c'est loin d'être mon expertise, j'ai quand même travaillé dans le domaine de la petite enfance. Le sénateur Corbin a mentionné que j'étais en éducation spéciale; je m'intéresse à l'enfance en difficulté en particulier. Beaucoup de recherches montrent que les investissements dans le domaine de la petite enfance sont très rentables : pour chaque dollar investi dans la petite enfance, la société épargne plusieurs dollars. Il y a de plus en plus de recherches qui nous le font dire maintenant.

Comme je le disais, près des deux tiers de la clientèle admissible à l'école de langue française, selon l'article 23, viennent maintenant de foyers exogames. On sait qu'on ne parle pas beaucoup français dans ces familles. On a aussi vu que dans la population scolaire, seulement un peu plus de 50 p. 100 des enfants, qui pourraient fréquenter l'école française, y vont vraiment. Même si le Plan d'action sur les langues officielles parle de 68 p. 100, ce qui est un peu exagéré, d'après moi.

Pour pleinement apprécier les possibilités de redressement d'une telle situation et pour reconnaître le potentiel caché de l'exogamie, il faut prendre conscience du fait que l'exogamie n'est pas la cause directe. Ce n'est pas la structure familiale qui est la cause, c'est la dynamique langagière que choisissent les parents. Nos recherches le démontrent : même en situation d'exogamie, le parent francophone qui décide de parler français à son enfant, même s'il parle anglais au parent anglophone, et que cet enfant fréquente une école de langue française — donc il parle le français à la maison avec le parent francophone et à l'école de langue française —, en 12e année, on ne pourra le distinguer des autres enfants qui viennent de deux parents francophones, ni sur le plan de l'identité ni sur le plan des compétences. Après 12 ans de scolarisation en français, avec l'appui de la famille, cela produit le meilleur bilinguisme au pays. Il n'y aucun autre programme scolaire qui peut produire un bilinguisme aussi élevé que les enfants de famille exogame qui vont à l'école de langue française. D'ailleurs, il y a un principe simple chez tous les enfants de milieux minoritaires : plus on met l'accent sur la langue faible, plus l'apprentissage des deux langues est facile. Il y a beaucoup de personnes qui l'ont compris. Plusieurs des parents qui sont en situation d'exogamie ont compris ce message. Ils choisissent l'école de langue française et ils obtiennent un excellent résultat.

J'aimerais insister sur le grand potentiel démographique que présente l'exogamie pour la francophonie. Je vais utiliser un exemple. À la page 15 de mon mémoire, vous trouverez le tableau pour chaque province et territoire. Je vais utiliser l'exemple du Manitoba, pour faire plaisir au sénateur Chaput. Toute chose étant égale, on devrait s'attendre à qu'il y ait à peu près la même proportion d'enfants francophones dans le système scolaire provincial qu'il y a de francophones dans la province, si on a tous le même nombre d'enfants par famille, s'il n'y a pas d'assimilation, et cetera. Cela devrait être à peu près pareil. On a ici les données de 1996 parce qu'on n'a pas encore de données fiables pour 2001. En 1996, la proportion de francophones, au Manitoba, était de 4,5 p. 100. Mais au niveau de la population scolaire, les élèves francophones représentaient 2,2 p. 100 de la population.

Donc, un manque à gagner assez important. Ce qui est intéressant et qui montre le potentiel caché de l'exogamie, c'est que si tous les enfants d'ayants droit francophones, surtout ceux qui sont en foyer exogame envoient leurs enfants à l'école française, le potentiel de représentation provinciale est de 7,4 p. 100. Ils pourraient mathématiquement presque tripler leur population scolaire.

Les minorités francophones suite à cela sont devant un grand dilemme. Est-ce qu'on fait une excellente publicité pour aller chercher tous ces enfants? Des enfants qui ne parlent pas le français à la maison, et dans ce cas on transforme l'école française en école d'immersion. L'autre partie du dilemme, si on ne fait rien avec les deux tiers des enfants qui proviennent de ces familles, et dans l'Ouest canadien c'est 83 p. 100 et même jusqu'à 91 p. 100 dans certaines provinces et territoires qui sont de foyers exogames, s'ils ne font rien, ils vont gérer des écoles vides. Il faut trouver une solution entre ces deux extrêmes. C'est pour cela que je propose une stratégie tripartite. Il faut que les trois partis de la stratégie soient travaillés de façon simultanée.

La première étape est une campagne nationale de conscientisation des ayants droit et de la population canadienne, qui comprend quatre volets : premièrement, il leur faut comprendre leurs droits constitutionnels. Beaucoup de parents ne savent même pas qu'ils ont des droits. J'oserais même dire qu'il y a beaucoup d'enseignants qui travaillent dans le système scolaire avec ces enfants et qui ne savent pas qu'ils ont des droits. Deuxièmement, une sensibilisation aux conditions requises pour produire un excellent bilinguisme. Troisièmement, les effets bénéfiques de l'école française sur ce bilinguisme et, quatrièmement, les conséquences d'un mauvais choix et les conséquences constitutionnelles de ne pas se prévaloir de ses droits constitutionnels.

On a fait plusieurs sondages auprès des parents et on leur a demandé ce qui serait mieux pour leurs enfants s'ils avaient le choix soit de scolariser leur enfant en anglais, surtout en anglais, à peu près moitié-moitié, surtout en français, ou complètement en français? C'est incroyable le nombre de parents qui disent que l'idéal pour leur enfant ce serait le 50-50. Ils renvoient la balle à l'école. Ils oublient qu'il y a une société, une anglodominance dans à peu près toutes les institutions qui les entourent et ils ne tiennent pas compte de ce facteur.

Monsieur le président, je sais que ce n'est pas un endroit pour lancer des farces, mais je trouve que mon anecdote illustre bien ce que je veux dire. Mon père a fait la guerre et il me racontait que pendant la guerre on leur servait parfois de la soupe qui était moitié cheval, moitié lapin. Ils disaient un cheval, un lapin. Je pense qu'on met un cheval et un lapin dans la soupe des parents. Ils pensent que le 50-50 va réussir. C'est de réaliser la force du cheval peut-être!

C'est pour cela que dans la campagne, je parle d'un marketing social de l'école française. Un marketing à l'échelle nationale dans les médias anglophones comme francophones — il ne faut pas se leurrer, les médias anglophones sont les plus écoutés — pour faire connaître les droits des personnes.

Je parlais à des personnes dans le domaine du marketing, ils disaient qu'on pourrait donner un statut positif et valorisé à l'appellation d'ayants droit, ce qui est très mal connu.

Cette campagne nationale, qui peut attirer l'attention sur le phénomène, viendrait ensuite aider les conseils scolaires à faire ce que j'appelle le marketing sociocommunautaire aux niveaux personnel, local et provincial. Je ne suis pas un spécialiste du marketing, mais j'ai travaillé avec des gens qui s'y connaissent pour tester le concept et plusieurs sont convaincus que cela pourrait avoir un impact majeur. D'ailleurs, je pense que le plan stratégique de la Fédération nationale des conseils scolaires parle de l'importance de cette campagne.

La deuxième composante de la stratégie : si on recrute plus d'enfants par une campagne efficace, il faut s'assurer que les enfants sont prêts pour l'école de langue française. C'est là que je rejoins mes collègues de ce matin et les collègues de la Commission nationale des parents francophones. La commission parle dans son programme de l'importance d'avoir des structures de garderie, des centres de la petite enfance et de la famille attachées aux structures scolaires. Le gouvernement fédéral parle d'une possibilité d'implanter un système national de garderies. Il ne faudrait pas manquer le bateau. Je suis frappé de constater comme il peut y avoir des incohérences dans notre système fédéral où, par exemple, le Plan d'action sur les langues officielles reconnaît l'importance de la petite enfance.

Le ministre Dion, lors du lancement de notre institut, a dit qu'il espérait que nous fassions de la recherche sur la petite enfance parce que c'était le défi numéro un. Par contre, on a rédigé récemment deux ententes sur la petite enfance : l'Entente sur le développement de la petite enfance en 2000, et le Cadre multilatéral pour l'apprentissage et la garde des enfants en 2003, des ententes fédéral-provincial. Toutefois, on ne parle pas des minorités francophones ou même des minorités de langue officielle. Si on en parle, c'est à mot découvert. Pourtant c'est une valeur du pays, une valeur de viser cette égalité et on manque des chances. J'espère qu'on ne va pas manquer le bateau avec le système de garderies qui s'en vient et d'oublier que ce système pourrait être une des meilleurs choses qui pourrait arriver aux francophones, d'avoir leur propre structure de garderies attachée à la structure scolaire pour encourager, aider et palier aux problèmes de participation des enfants à l'école de langue française.

La troisième composante, plus simple à expliquer, est celle d'une structure d'accueil à la fois affirmative et ouverte. Si on va recruter d'autres personnes, surtout des familles exogames, qu'on va recruter parmi les immigrants, les populations francophones de certains endroits vont changer. Elles ont déjà commencé à changer. Donc notre structure d'accueil doit être ouverte à cette diversité culturelle. En même temps, et c'est le sens du mot affirmative, rester affirmatif de la mission de l'école française. Quand cela est bien expliqué, les parents exogames vont le comprendre. Ils vont comprendre que c'est le français qui domine dans l'école, mais cela ne veut pas dire qu'entre les quatre murs de la classe, l'enseignant ne peut pas expliquer aux parents anglophones ce qui se passe avec son enfant dans l'école française.

J'aimerais vous citer un exemple tiré d'une étude faite par Angéline Martel où elle cite un jeune parent :

Moi, je suis une [exogame], mais je ne le savais pas. Bien sûr, le mot a peu d'importance, mais j'ai vécu dans un foyer mixte sans me rendre compte des enjeux que cela représentait pour moi et pour mes enfants. Avec mon conjoint, je parlais anglais. Quand les enfants sont venus, cela a été beaucoup plus facile de parler anglais. En fait, on ne s'est pas posé la question.

Il faut comprendre que les parents ont toutes sortes de préoccupations, ce ne sont pas des sociolinguistes, ils ne font pas de réflexion profonde sur l'avenir du pays en termes d'égalité linguistique. Ils ont besoin d'être informés pour prendre les bonnes décisions. Je ne parle pas ici de forcer les enfants d'ayants droit à fréquenter l'école française. Il faut que ce soit un choix libre, mais un choix éclairé à la suite d'information, d'évidence et de recherche.

Les autres défis sont importants, mais peut-être pas aussi centraux que celui de la petite enfance. La croissance de l'urbanisation et l'exode des régions rurales fait en sorte que l'on a de plus en plus besoin de centres scolaires communautaires. C'est un concept commencé au Nouveau-Brunswick et qui est maintenant répandu à travers le pays. Il faut aussi savoir exploiter ces centres de façon plus créative. Dans les centres urbains, la population francophone est rarement concentrée. Les centres scolaires communautaires permettent d'ajouter à la vie scolaire une vie communautaire qui permet aux parents d'aller à l'école, et d'avoir une certaine vie communautaire qui est essentielle pour la continuité linguistique. Les chercheurs s'entendent pour dire que s'il n'y a pas de vie communautaire, il y a très peu de chances de transmettre la langue de génération en génération.

Le troisième grand défi est la mise en œuvre d'une pédagogie actualisante et « communautarisante ». La pédagogie actualisant est le propre de tous les systèmes scolaires. On veut tous actualiser le plein potentiel d'apprentissage de nos enfants et les écoles francophones ne font pas exception. L'aspect « communautarisant », que l'école travaille avec la communauté pour contribuer à sa vitalité, est un aspect dont la majorité n'aura pas à s'occuper.

Ici, cette partie « communautarisante » doit se fonder sur un partenariat école-famille-communauté et il y a beaucoup de choses à faire dans ce domaine.

Dans la figure 1 du modèle théorique, je parle de trois vécus importants, un vécu socialisant, autonomisant et conscientisant : ce sont de grands mots mais c'est pour simplifier des concepts assez difficiles. L'école doit jouer sur ces trois plans.

Elle doit socialiser les enfants dans leur langue et leur culture, amener les enfants à choisir leur identité et ne pas leur faire sentir qu'elle leur est imposée de force. Ils doivent être conscientisés à leur droit de minoritaires. Cela peut faire partie du curriculum scolaire « pédago-communautaire ».

Tout faire cela, on en a parlé ce matin avec la FCE, prendra une formation initiale et continue très poussée des professionnels en éducation. Je dis très poussée parce que cela ne demande rien d'autre qu'un changement de paradigme. Pour amener les enfants à faire des choix autonomes, il faut aller les chercher de l'intérieur.

Cela n'a pas été toujours le propre des facultés d'éducation. J'ai été doyen pendant 10 ans. Je sais ce dont je parle. J'ai travaillé sur ce concept. Mais on a surtout préparé les enseignants à faire ce que j'appellerais une socialisation de l'extérieur. On transmet la culture, la connaissance, on contrôle par la discipline. Ce sont des choses faite de l'extérieur.

Une socialisation de l'intérieur est d'amener les jeunes en les sensibilisant de l'intérieur à être eux-mêmes autonomes, responsables, conscientisés, et ainsi de suite.

L'avantage de faire cela est que l'enseignement devient beaucoup plus facile. Le sénateur Losier-Cool mentionnait qu'il fallait impliquer les enfants. Ils s'impliquent directement comme agents de leur propre formation avec cette approche.

Le cinquième grand défi est de favoriser l'accès et la participation à des établissements postsecondaire de langue française. L'Association des universités de la Francophonie canadienne a préparé un plan d'action très bien fait, je pense que je ne peux pas ajouter à leur plan.

J'aimerais dire, cela fait 30 ans que j'étudie les communautés minoritaires, c'est avec les études postsecondaires que l'on prépare les leaders de la communauté. Si on ne peut pas les préparer en français, les chances qu'ils travaillent pour la communauté francophone sont minces.

Le dernier défi est de favoriser le retour des jeunes francophones dans leur communauté après les études postsecondaires. Beaucoup de jeunes, même bien intentionnés, développent de nouvelles habitudes de vie lorsqu'ils sont aux études et ne pensent plus retourner dans leur communauté pour être ces leaders.

La petite communauté ne leur donne pas de possibilités de carrière dans leur formation et on peut même établir des cercles vicieux : on s'éloigne parce qu'il n'y a pas de possibilités et parce qu'il n'y a pas de possibilités explique que l'on n'y retourne pas.

En conclusion, notre mémoire a voulu montrer que la vitalité décroissante des communautés francophones et acadienne est criante et fait appel à une approche globale de revitalisation « ethno-langagière ».

L'éducation tout au long de la vie, de la petite enfance au troisième âge, peut être la pierre angulaire de cette revitalisation mais elle a besoin de faire partie d'un tout, d'un plan global et concerté qui unirait les acteurs gouvernementaux et communautaires.

Les minorités des langues officielles sont parmi les minorités linguistiques les mieux protégés et appuyés au monde. Je ne dis pas cela pour dire que l'on a plus rien à faire. C'est une réalité qu'il faut reconnaître.

La langue française toutefois, particulièrement en Amérique du Nord, fait face à des défis sans précédent. Aucune force colonisatrice ou militaire dans le passé n'a pu avoir autant d'emprise sur les minorités linguistiques que tout le mouvement de la mondialisation fondée principalement sur l'économie mondiale. Les communautés francophones sont situées tout près de l'épicentre de ce véritable tsunami de la mondialisation économique menée par les corporations multinationales à travers le monde. En Amérique du Nord, on est à l'épicentre de cette vague de fond.

La langue anglaise est le véhicule privilégié de cette mondialisation et elle fait l'envie dans son vécu quotidien de la grande majorité des francophones minoritaires et même du Québec.

Cet envahissement idéologique et linguistique constitue, selon certains auteurs, une nouvelle forme de colonialisme. Il s'agit d'une colonisation des cerveaux car on intègre ces modèles et on pense que c'est pour le mieux de nos jeunes d'aller vers l'anglais. Le défi de la revitalisation « ethno-langagière » des communautés francophones et acadienne comporte non seulement le besoin de créer une vie communautaire francophone mais aussi de favoriser une conscientisation collective face aux enjeux et défis.

Il reste à savoir si la volonté politique canadienne et la solidarité des organismes communautaires francophones sont suffisamment fortes pour mener à terme une véritable campagne de revitalisation des communautés francophones et acadienne.

Le président : Nous allons maintenant passer aux questions; sénateur Comeau suivi du sénateur Losier-Cool.

Le sénateur Comeau : Vous avez terminé votre présentation en parlant de la solidarité entre les communautés. Dans votre présentation, vous avez fait mention du territorialisme de chacune de nos communautés en partant du Québec. Le Québec a voulu se créer une identité nationaliste et ensuite, on a vu les Franco-Manitobains et vous avez indiqué que pour les Acadiens, c'était un peu différent. Je suggère que ce n'est pas différent en Acadie. Il y a 20 ans, il y avait l'Acadie qui comprenait le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et l'Île-du-Prince-Édouard et on a même vu une perte de cette identité dans ces trois provinces.

Très souvent, vous allez voir que l'Acadie est souvent présentée comme étant le Nouveau-Brunswick, il n'y a plus d'Acadiens en Nouvelle-Écosse et à l'Île-du-Prince-Édouard. Ce sont les institutions qui font cela. Vous n'avez qu'à lire l'Acadie Nouvelle. Très souvent on va voir des promotions de l'Université de Moncton, mon alma mater, se proclamant comme seule université francophone de l'Atlantique.

Récemment, la commissaire aux langues officielles mentionnait qu'on devait avoir un nouvel employé dans l'Atlantique. Vous pouvez vous imaginez où le nouvel employé est allé? À Moncton. C'est une continuation de territorialisation qui s'aggrave.

En tant que chercheur, ne serait-il pas possible de voir s'il y a des moyens de se redéfinir? Y a-t-il un moyen par lequel on pourrait solidifier ces liens que nous avions dans le passé?

M. Landry : Quand j'ai dit que les Acadiens étaient différents, c'était dans le sens que le nom n'avait pas changé. Je suis d'accord avec votre analyse. Ce sont des réalités. On pourrait reprocher à mon commentaire en disant que nous avons tous ces organismes nationaux qui regroupent des personnes de toutes les provinces ensemble. On travaille tous ensemble. C'est vrai, je le reconnais.

Mes études portent sur le commun du peuple, chez les enfants, les parents. Il ne faut pas croire que cette unité qu'on peut ressentir dans un monde associatif, qu'on le voie chez le commun du peuple. On peut se sentir relativement isolé dans son identité.

Un des reproches que fait le sociologue Joseph-Yvon Thériault du CIRCEM — qui témoignera à votre comité — lorsqu'il parle de l'école d'en bas, il dit qu'on a tellement focalisé sur notre petite école locale qu'on oublie de se voir comme représentant un pays. C'est ce problème que je veux soulever.

Je suis content. Il y a un bon côté. C'est bon d'avoir une identité territoriale. Mais il est bon aussi de voir ce que nous avons en commun dans cette identité. C'est pour cela que je parlais par exemple d'un cours d'histoire; je ne parle pas du curriculum entier d'histoire, car je sais que c'est le domaine des juridiction provinciales, mais il pourrait y avoir des composantes qui permettraient aux jeunes de se rendre compte qu'ils font partie de cette francophonie nationale. À ma connaissance, il existe actuellement très peu de curriculums communs de ce type. Ce serait un des moyens, on pourrait certainement en inventer beaucoup d'autres, simplement pour aider les jeunes à voir qu'il y a des composantes à leur identité, autres que seulement leur identité de francophone dans une petite région qui fait parfois pitié.

Le sénateur Losier-Cool : Je ne sais pas si j'ai une question ou un commentaire; je vais essayer d'inclure mon commentaire dans une question à laquelle vous pourrez vous permettre de répondre ou non, et dont peut-être le comité pourrait envisager de faire une recommandation.

Nous sommes en train d'étudier, afin de faire rapport, l'application de la Loi sur les langues officielles. En entendant votre présentation et celles de ce matin, je me dis : on doit encore continuer de légiférer. Car, vous l'avez bien dit, la Loi sur les langues officielles nous permet d'être un des « meilleurs pays du monde » pour cette loi. On parle du Nouveau-Brunswick, du programme de chances égales. Si nous avons avancé au Nouveau-Brunswick c'est à cause de nos lois. Je parle aussi de la Loi sur l'immigration.

Cela m'amène à dire l'importance, vous l'avez dit et je suis d'accord, d'avoir un plan national sur les garderies. Si on a un plan national des garderies, cela fera partie des services du gouvernement fédéral et ce plan sera assujetti à la Loi sur les langues officielles.

Cela étant dit, pour arriver à cette synergie dont vous avez parlé vous suggérez différents organismes. On se sert de beaux mots, on parle du marketing et ainsi de suite. Cela fait longtemps qu'on en parle, on en a parlé avec le ministre Dion. Est-ce qu'on doit penser à légiférer certaines synergies?

J'en viens à la question de savoir si on devrait avoir un ministère responsable de tous ces organismes qui font la promotion. On y a déjà pensé.

M. Landry : Je ne voudrais pas commencer — et je ne serais pas dans le domaine de mon expertise — à discuter la question de savoir si on doit légiférer ou non.

Néanmoins, de mon propre jugement, on n'a peut-être pas besoin de légiférer, on a juste à appliquer ce que l'on a déjà. On a parlé ce matin de la jurisprudence concernant l'article 23 et de son objet d'aider la communauté à s'épanouir. La Loi sur les langues officielles nous dit déjà qu'il doit y avoir un engagement fédéral pour favoriser cet épanouissement.

Je sais que la Cour d'appel fédérale, récemment, a dit que cet engagement fédéral de la partie VII, en particulier l'article 41, n'était probablement pas exécutoire, mais elle dit que c'est une question de volonté politique. C'est pour cette raison que si on exerce cette volonté politique avec les lois que l'on a, on n'a pas besoin de créer un ministère national de l'éducation. Je ne pense pas qu'il serait bien accepté. Mais on pourrait avoir des ententes fédéral-provincial pour favoriser au niveau de la petite enfance l'accès à des garderies, parce que c'est préparatoire à l'école en langue française. C'est très cohérent avec l'article 23; pour favoriser ensuite la fréquentation dans chacune des provinces de programmes postsecondaires en français.

Je pense que nous avons tout ce qu'il faut, pour autant qu'il y ait une volonté politique, pour le faire avec les lois que avons présentement. Je ne dis pas que certains règlements ne devraient pas être changés. Je ne suis pas sociologue de formation, mais une des choses que j'ai apprises dans ma formation de psychologue, c'est que lorsqu'on a des valeurs, comme l'égalité des langues officielles, le progrès vers l'égalité réelle et non seulement formelle, si ce sont de vraies valeurs, il faut, comme on le dit parfois, « que les bottines suivent les babines ». Il faut qu'il y ait de la cohérence entre l'action et la valeur, sinon ce n'est même pas une valeur. Les psychologues vous diront que, une valeur sur laquelle on n'agit pas, ce n'est pas une vraie valeur. C'est ce qui me choque quand on signe des ententes fédéral-provincial et on oublie des valeurs aussi fondamentales que la protection des minorités de langues officielles, qui font partie d'un des grands principes de notre pays selon la Cour suprême.

Si on l'oublie, on ne me fera pas accroire que c'est une vraie valeur. Ma formation me dit que, si on l'oublie, ce n'est peut-être pas une valeur encore bien intégrée. C'est en ce sens que l'on peut encore faire beaucoup de progrès, même en appliquant seulement les lois que nous avons déjà.

Le sénateur Losier-Cool : Vous avez parlé de grandes campagnes nationales de sensibilisation. Vous avez dit aussi que quand on est francophone de Caraquet ou de la péninsule acadienne, c'est plus facile de reconnaître ses valeurs et de se reconnaître en tant que francophone. Mais quand on déménage dans une région de l'Ouest canadien, comme Edmonton ou Calgary, l'attraction de la langue et de la culture anglaise fait que, tout d'un coup — personnellement, j'ai des enfants qui m'ont dit : « On t'a trop vu te battre, on n'a pas le goût de recommencer tout cela » — c'est plus facile de laisser aller, surtout si on va vivre en région minoritaire.

Jusqu'à quel point peut-on avoir une campagne nationale assez forte, sans légiférer?

M. Landry : C'est un excellent point. Il y a un phénomène en science qu'on appelle l'émergence. Des fois, beaucoup de petites choses peuvent faire des grandes choses. Si, par exemple, on travaille au niveau du curriculum, dans chacune des écoles où les enfants sont avertis — on dit qu'une personne avertie en vaut deux — je pense que très peu d'écoles font de la sensibilisation des jeunes sur la très grande possibilité pour eux d'être plus tard dans un foyer exogame, et pour ensuite les amener à discuter de ce qu'ils feront avec leurs enfants. Si, pour la personne qui part de Caraquet et qui va en Alberta, il y a déjà des structures d'accueil pour les francophones, des garderies, un centre scolaire communautaire, et cetera — les personnes moindrement averties ont moins de chances de s'intégrer à cette communauté — la continuité peut se faire.

S'il y a une chose centrale que j'essaie de vous communiquer, et cela me frappe parce que c'est dit dans la conclusion du plan sur les langues officielles, c'est que c'est l'ensemble de toutes ces actions qui aura un impact. On oublie parfois de les mettre ensemble. C'est le message que j'essaye de passer ici, essayons d'amener nos actions à être plus cohérentes, d'agir plus en synergie. Cela ne coûte pas plus cher d'agir en synergie que de façon disparate. Des fois même cela coûte moins cher parce qu'il y a moins de gaspillage. Nous serons plus efficaces dans nos actions si nous prenons le temps de dire quelles sont les grandes priorités, d'amener le monde communautaire et le monde gouvernemental à s'entendre sur ces priorités. Cela demande un certain leadership, j'en suis convaincu, et il faut que quelqu'un l'assure. C'est dans le domaine du faisable.

On ne peut pas dire quelle action est la meilleure, mais il faut s'assurer que des actions essentielles sont faites en synergie, et c'est là que se verra le phénomène de l'émergence; on va voir des choses changer plus qu'on ne le pensait possible. Je suis un éternel optimiste.

Le sénateur Losier-Cool : Nous allons mettre cela dans les recommandations de notre comité.

Le sénateur Chaput : Depuis ce matin, on entend des groupes de personnes qui font des présentations et qui lancent du pain sur la planche, si je peux m'exprimer ainsi.

C'est une réalité. Même si on croit connaître la réalité, on ne poussera jamais la réflexion aussi loin qu'on ne le fait aujourd'hui. Il ne fait pas de doute que les politiques nationales sont importantes. On a besoin d'une campagne nationale de marketing bien ciblée et qui rejoint véritablement les parents. Ces derniers doivent voir les bénéfices qu'apporte l'apprentissage des deux langues officielles.

Il faut inclure la petite enfance dans les ententes fédéral-provincial en matière d'éducation, de façon à avoir un ensemble. Vous avez apporté l'idée du cours d'histoire et je la trouve très intéressante. Les petits francophones de ma province devraient apprendre l'histoire acadienne.

Plus tôt, j'ai voulu savoir quelles étaient les limites de l'article 23. J'ai bien aimé votre intervention lorsque vous avez dit qu'il fallait aller au-delà de l'article 23. Vous savez comme moi qu'il y a beaucoup de joueurs et que c'est très compliqué. Même si je sais qu'il y a une lueur d'espoir, je ne suis pas capable de la cerner.

Suite à tout le travail qui a été effectué, qui, d'après vous se lèvera pour rassembler tous les intervenants concernés et pour leur expliquer les mécanismes existants? Qui nous poussera dans le dos et nous encouragera à agir? Il faut absolument trouver une réponse à cette question.

M. Landry : C'est le genre de question que je n'aime pas parce que généralement, j'essaie de rester relativement neutre. Toutes mes recommandations s'appuient sur la compréhension de la recherche sur les minorités. J'ai beaucoup étudié l'approche systémique et c'est pourquoi je suis convaincu que la création d'une synergie est nécessaire.

À l'intérieur d'un système, plus les éléments agissent à l'unisson, meilleur est son fonctionnement. Le corps humain est un système. Imaginez-vous si le cœur décidait d'aller à un endroit et les poumons à un autre. Le corps humain fonctionne en synergie et nous garde vivant. C'est la même chose pour un système social.

La théorie systémique dit aussi que dans toute situation complexe, il faut une certaine centralisation, ne serait-ce que pour mieux éclairer les choses qui doivent se faire à la base. Si on impose tout à partir du haut, on oublie la créativité du bas.

La question de savoir s'il faut commencer à travailler en haut ou en bas est pour moi très simple. Il faut travailler aux deux endroits à la fois, mais il faut tout de même la présence d'un leadership au sein d'une vision globale, jumelé à une créativité locale.

On se partage une vision qui se compose de grands concepts. La créativité locale, quant à elle, s'exerce selon les besoins et il faut respecter cette créativité. Le danger, c'est de vouloir tout imposer à partir du haut. Si chaque province commence à exercer son leadership, rien ne se concrétisera puisqu'il doit y avoir une cohésion.

La FCFA pourrait travailler avec des partenaires clés dans le but de jumeler les efforts et en arriver à la cohésion d'action et ce, autant avec le gouvernement fédéral qu'avec le Conseil des ministres de l'Éducation du Canada. Les différents joueurs doivent s'asseoir à la table et trouver des façons de créer une synergie d'action.

Je ne suis pas négatif au point de croire que rien n'est fait, mais il y a place à l'amélioration. Il faut une certaine synergie pour favoriser l'émergence de toutes les petites choses qui ont un impact assez fort.

Il y a, par exemple, la campagne nationale de conscientisation concernant l'école française. À la télévision, on a tendance à remarquer surtout les publicités qui sont faites avec créativité. On pourrait, via une publicité à la télévision, véhiculer un message disant que l'école française développe un excellent bilinguisme dans les foyers où cohabitent les deux langues et les deux cultures.

Il y a une nouvelle revue sur le marché qui traite des familles exogames. En fait, il existe beaucoup de matériel mais personne n'en est vraiment conscient. Jumelés ensemble, le travail du haut pour conscientiser au fait qu'il existe des choses et le travail d'en bas pour aider les parents à faire des choix éclairés, auront beaucoup plus d'impact. Il est beaucoup plus encourageant de travailler avec l'appui d'un programme national que de le faire sans la présence d'un appui massif.

Le président : Il nous reste cinq minutes. Je vais demander à madame le sénateur Léger et au sénateur Murray de se partager le temps.

Le sénateur Léger : Vous suggérez d'aller au-delà de l'article 23. Croyez-vous que l'ajout d'autres langues pourrait enrichir les deux langues officielles au Canada? Pourrait-on commencer à y penser?

On pourrait ajouter les langues autochtones ou le chinois. On dit toujours que le français et l'anglais sont les deux langues officielles, mais est-ce trop tôt pour commencer à inclure d'autres langues?

M. Landry : La Loi sur le multiculturalisme vise à encourager les minorités allophones à conserver leur langue et leur culture. Malheureusement pour eux, cette loi ne va pas aussi loin que l'article 23 de la Loi sur les langues officielles. J'ai déjà dit que les minorités s'assimilaient moins au Québec qu'à l'extérieur du Québec, simplement parce que le français n'est pas aussi imposant que l'anglais peut l'être en Amérique du Nord.

Les jeunes qui s'intègrent dans le système scolaire français ont plus de chances de conserver leur autre langue. Il y a même des recherches qui démontrent qu'on peut développer un excellent trilinguisme. Je crois que la Loi sur les langues officielles protège d'abord les minorités de langue officielle et que les allophones ne peuvent pas tout de suite bénéficier des mêmes droits.

Mais éventuellement, sur le plan scolaire, ils s'intègrent à chacune des deux grandes communautés linguistiques. Les parents doivent faire un choix, savoir s'il est préférable d'envoyer l'enfant à l'école française ou anglaise. Et même si le français n'est pas leur langue, il y aurait des avantages pour ce que j'appellerais les « francotropes ».

Je suis d'accord avec le fait d'encourager d'autres langues. Je pense que le Canada a été le premier pays au monde à se doter d'une politique de multiculturalisme. C'est un pays ouvert, mais il ne faudrait pas perdre de vue les grands défis pour la minorité francophone.

Le sénateur Léger : Être citoyen canadien, parler anglais et français et, éventuellement, tout le reste. Je n'en demanderai pas davantage.

[Traduction]

Le sénateur Murray : Monsieur le président, j'aimerais faire un ou deux commentaires qui encourageront peut-être nos témoins à ajouter quelque chose. De toute façon, je vais les faire officiellement. C'est absolument extraordinaire à quel point les témoignages que nous avons entendus ce matin et ceux que nous entendrons cet après-midi se complètent. Des commentaires sont faits dans un mémoire, et on retrouve un commentaire identique dans un autre mémoire présenté par un groupe complètement différent. Cette journée est donc fort intéressante et permet à certains d'entre nous de mieux comprendre la situation.

On devrait faire une affiche géante portant des lettres de trois mètres de haut que l'on présenterait dans le pays tout entier et qui ferait état de la situation des enfants qui sont élevés dans une communauté minoritaire de langue française : ceux qui utilisent le plus le français à l'école et à la maison sont ceux qui ont le plus grand bilinguisme à effet positif; ils acquièrent une excellente maîtrise du français et leurs compétences en anglais sont semblables à celles de la majorité des anglophones. Ces renseignements devraient être présentés sur des affiches avec des lettres de trois mètres de haut parce que tout le monde ne le croirait pas.

J'ai lu à quelque part que 50 p. 100 des parents francophones semblent croire que la meilleure façon de devenir bilingue est de fréquenter une école bilingue, mais pourtant ce n'est pas le cas, n'est-ce pas?

M. Landry : En effet, c'est faux.

Le sénateur Murray : Monsieur Landry, vous avez dit que les francophones qui vivent en communauté acadienne ont plusieurs avantages, des avantages que vous avez cités. Le français est l'une de vos langues officielles, et il a le même statut juridique que l'anglais, tel que le dicte l'article 23 de la Loi sur les langues officielles.

[Français]

Mais il existe d'autres atouts pour la francophonie canadienne. Radio-Canada ainsi que plusieurs autres postes français privés sont accessibles aux francophones. Les francophones ont à leur disposition le ministère du Patrimoine canadien. De nombreux événements leurs sont offerts, tels les Jeux de la Francophonie, regroupant des athlètes du pays et du monde entier, le 400e anniversaire de Port-Royal, le 250e anniversaire du Grand Dérangement, le Congrès mondial des Acadiens et, d'ici quelques années, le 400e anniversaire de la ville de Québec.

[Traduction]

Il y a les arts de la scène, les musiciens, les étoiles du rock qui se produisent non seulement au Québec, mais également dans les autres régions francophones du pays. La musique qu'ils produisent n'est peut-être pas très musicale à mes oreilles ou même aux vôtres, mais les jeunes aiment ça.

Il est donc possible de créer un meilleur sentiment d'appartenance à la communauté francophone et ce, dans toutes les régions du pays.

[Français]

Je ne vous reproche pas d'avoir omis de mentionner ces éléments. Toutefois, le comité doit se pencher sur le rôle que peuvent jouer ces autres facteurs pour bâtir un meilleur sens de la communauté francophone au Canada.

M. Landry : Votre commentaire enrichit mon message. Je n'ai pas expliqué la théorie du modèle, allant de la société à l'individu, qui illustre le rapport de force entre les domaines, les institutions et la socialisation. Les organismes que vous avez mentionnés œuvrent sur cet aspect.

On ne voit pas de synergie entre ces composantes qui agissent sur le continuum. Si nous pouvions travailler davantage sur la synergie de nos ressources et de leurs actions sur le milieu, nous aurions probablement plus d'impact. Voilà le message essentiel.

Les choses que vous avez soulevées sont très importantes. Nous devons, bien entendu, œuvrer dans tous les domaines pertinents, et les médias ne font pas exception. Le comité désire adresser particulièrement l'aspect de l'éducation. Bien que je ne l'aie pas soulevé, il va sans dire que je suis tout à fait d'accord avec vous.

Le président : Monsieur Landry, le comité tient à vous remercier sincèrement de votre présentation. Son contenu sera fort utile voire essentiel à la bonne conduite de nos travaux. Nous vous sommes très reconnaissants de vous être déplacé.

M. Landry : Je vous remercie de l'invitation et vous souhaite bon succès dans votre vaste projet.

Le président : Il nous fait maintenant plaisir d'accueillir Mme Ghislaine Pilon, présidente de la Commission nationale des parents francophones. Elle est accompagnée de Mme Murielle Gagné-Ouellette, directrice générale de la Commission nationale des parents francophones.

Madame Pilon a habité un peu partout au Canada. Elle a vécu l'expérience d'une famille en milieu minoritaire et connaît également les options en matière d'éducation en milieu minoritaire. Elle est présidente de deux conseils d'écoles francophones dans la région de Mississauga et elle représente les parents francophones de l'Ontario, dans région du Grand Toronto, au sein de l'organisation Parents partenaires en éducation de l'Ontario (PPE) depuis le mois de février 2001. Madame Gagné-Ouellette est originaire de Saint-Pierre Joly au Manitoba. Sans plus tarder, je cède la parole à Mme Pilon.

Mme Ghislaine Pilon, présidente, Commission nationale des parents francophones : Au nom de la Commission nationale des parents francophones, je vous remercie tout d'abord de cette occasion d'échanger avec vous. Le moment est opportun. Nous devons réunir toutes les forces visant un progrès véritable en matière de langues officielles au Canada.

Comme vous savez, le ministère du Développement social négocie présentement des ententes avec les provinces et territoires pour la mise en œuvre d'un système national de garde d'enfants. Ce projet revêt une grande importance pour les communautés en milieu minoritaire. Cette question nous tient à cœur, il est important de le souligner en ce 14 février. Nous aimons nos enfants et désirons leur apporter ce qu'il y a de mieux. Bien que nous ayons maintenant une nouvelle appréciation de la recherche sur leur développement, ce sont nos sentiments qui nous poussent à agir en leur nom.

Depuis 30 ans, les recherches scientifiques ont démontré que les traits de personnalité déterminants se fixent chez l'enfant à l'âge préscolaire. Cette période de développement est donc celui qui doit être ciblé par les investissements dans le capital humain. Comme société, il est rare que nous investissions au bon moment. Souvent, nous préférons attendre. Toutefois, plus on attend, plus il en coûte et moins on a de résultats. Notre système d'éducation est en quelque sorte un vaste projet de rattrapage pour ce qui n'a pas été fait au moment opportun.

L'apprentissage se fait tout au long de la vie. Cependant, la santé, la confiance en soi, la motivation et le savoir-vivre se développent principalement dans les premières années de la vie. Nous le savons tous, les adolescents traversent une période de croissance plus tumultueuse. À l'âge adulte, le développement des traits de caractères fondamentaux est presque inexistant. Les politiques publiques au Canada ne reconnaissent pas cette réalité. Elles préfèrent remédier aux problèmes de façon sommaire après coup. Cette méthode s'avère toutefois de plus en plus coûteuse.

La recherche indique clairement que le développement cognitif, social et émotionnel atteint son apogée dans les trois premières années de la vie. L'effet de ce développement est permanent. L'épanouissement engendre l'épanouissement comme le succès mène au succès. Ces traits fondamentaux ont tendance à poursuivre dans la voie qu'elles ont entamée. On dit parfois que dans le cas d'un enfant il existe un monde de différence entre un bon départ et un mauvais départ.

Voilà donc le plaidoyer que nous faisons devant vous aujourd'hui en faveur de la petite enfance. Nous avons besoin de l'aide du Sénat.

Il y a quelques années, la commission réussissait à mettre la petite enfance à l'ordre du jour grâce au ministre Stéphan Dion. Le développement social, depuis ce jour, fait partie du Plan d'action sur les langues officielles. La commission a rencontré trois ministres qui se sont succédés dans le dossier du développement de la petite enfance francophone en milieu minoritaire, soit les ministres Stewart, Frulla et Dryden. Nous avons d'ailleurs une excellente relation avec le ministère du Développement social.

Il y a un an, nous avons obtenu un financement de l'ordre de 1 million de dollars, sur 25 mois, pour le projet Partir en français. En octobre dernier, le ministre Raymond Simard annonçait, lors du gala qui s'est tenu à Winnipeg commémorant le 25e anniversaire de la Commission, un financement pour le même projet de l'ordre de 2, 365 000 $, sur huit mois. Ces fonds serviront à accroître la capacité de nos membres et de leurs partenaires sur le terrain. Le domaine de la petite enfance est de juridiction provinciale et territoriale. Notre réseau apprécie grandement cet appui du ministère.

D'autre part, nous collaborons étroitement avec le secteur de la recherche appliquée dans le but d'orienter le projet pilote de garde d'enfants prévu au Plan d'action. Ce projet pilote représente près 10,8 millions $.

Deux représentants de la Commission nationale ainsi que plusieurs chercheurs francophones du milieu minoritaire siègent au comité consultatif de recherche. Cette recherche permettra de développer des assises scientifiques cruciales pour les politiques et les programmes futurs du ministère.

Il est de plus en plus reconnu du monde des affaires que l'investissement dans le développement précoce donne lieu à des économies substantielles et durables. La recherche confirme que ces économies sont réalisées dans les systèmes publics les plus dispendieux tels ceux de l'éducation, de la justice, de la santé et des services sociaux. La démarche en fonction de l'avenir représente certes des coûts importants. Toutefois, le prix de l'inactivité est incalculable.

La société ne pourra pas continuer à soutenir ces systèmes sans une approche préventive auprès de la population la plus jeune. Dans les nouvelles économies, investir dans le capital humain est la clé de l'innovation et de la créativité. C'est pourquoi la question du système national de garde d'enfants nous préoccupe.

Les besoins et priorités en milieu minoritaire ne sont pas les mêmes que pour la majorité au Canada. On ne s'attend pas à ce que les gouvernements des provinces et des territoires apprécient pleinement ces besoins et ces priorités. Nous leur demandons toutefois de réserver une place de choix à leur communauté francophone, comme le gouvernement fédéral l'a fait à notre égard.

Notre discours ressemble à celui que nous avons tenu il y a dix ans lors du débat sur la gestion scolaire. Cette coïncidence n'est pas le fruit du hasard. En excluant les centres de la petite enfance du Québec, seulement 8 p. 100 des enfants au Canada ont aujourd'hui accès à une place de garde accréditée. Bien que leurs besoins soient urgents, les francophones en milieu minoritaire sont encore plus mal servis. Plus de la moitié d'entre eux sont assimilés avant l'âge de cinq ans et ne se rendent même pas à l'école française. On peut imaginer les conséquences à long terme.

Selon les recherches, l'apprentissage d'une langue — ou de deux, pour les familles exogames — commence au sixième mois de la grossesse et atteint son apogée avant l'âge de trois ans. Parler et lire à l'enfant sont des éléments essentiels. La stimulation des sens, tels le toucher, l'ouïe et la vue, favorise le développement du cerveau. Sans cette stimulation, l'enfant perd une partie de ses capacités d'apprentissage ainsi que le plaisir et la curiosité d'apprendre. Cette réalité est déterminante pour l'avenir des francophones.

La politique familiale du Québec est pour nous un bon modèle. En plus de l'accent sur la qualité, deux éléments clés de la démarche des CPE au Québec sont à retenir. Les minorités anglophones et autochtones sont desservies sur une base égalitaire. Il va de soi que les communautés francophones au Canada doivent recevoir des services de leur gouvernement sur cette même base.

Puis, il y a la participation des parents. Au Québec, les parents sont les gestionnaires des centres de la petite enfance. Pour ce faire, ils bénéficient d'un encadrement professionnel et d'une formation continue. Pour les parents francophones en milieu minoritaire, il n'est pas question de laisser la majorité gérer les centres de la petite enfance et de la famille. La gestion des écoles françaises est pour nous une question d'importance. D'ailleurs, nous avons dû recourir aux tribunaux afin d'en obtenir le privilège. La gestion des centres de la petite enfance et de la famille est encore plus importante, car les enfants concernés sont plus jeunes et plus vulnérables.

Les communautés francophones doivent bénéficier des ententes de financement fédérales, provinciales et territoriales en matière de petite enfance. Les partenaires dans les communautés sont bien placés pour négocier avec leur gouvernement. Ils exigent une part équitable de ce financement. Cette part sera destinée spécifiquement au développement des communautés francophones sur une base stable et durable.

Il est possible que les provinces et territoires acceptent d'accorder une place de choix aux communautés francophones. Toutefois, si tel n'est pas le cas, il faudra trouver d'autres avenues.

Grâce à l'organisme Société Santé en français, d'excellentes solutions furent avancées pour le domaine de la santé. D'autres solutions ont vu le jour pour le domaine économique et des ressources humaines avec l'avènement du Comité national des ressources humaines francophones du Canada et le Réseau de développement économique et d'employabilité (RDEE). Nous comprenons bien le langage de la gestion et sommes prêts à explorer de nouvelles avenues avec le ministère.

Le réseau de la Commission nationale se mobilise avec ses partenaires. Partout, on demande aux fédérations de parents d'informer, de sensibiliser et de conscientiser les niveaux de gouvernement en prévision des négociations de financement dans le cadre du projet de système national de garde d'enfants. Nous invitons les gens à communiquer avec le ministère du Développement social, plus particulièrement avec le ministre Ken Dryden ainsi qu'avec ses homologues des provinces et territoires.

Nous avons formulé quatre demandes de base. Tout d'abord, nous aimerions que l'accent soit mis sur le développement de la petite enfance. Nous voulons que les politiques publiques favorisent une approche intégrée en santé, en apprentissage et en développement social dans les milieux minoritaires. Cette approche doit être centrée sur l'intervention auprès des familles dans les premiers mois et les premières années suivant la naissance.

Deuxièmement, nous aimerions que des centres de la petite enfance et de la famille — appelés communément les CPEF — rattachés à chacune des écoles primaires de langue française soient créés. Les CPEF sont un lieu de coordination et d'intervention au foyer offrant une variété de services aux enfants, tels la garde éducative, les ressources prématernelles, les groupes de jeu et le dépistage précoce.

Troisièmement, nous aimerions avoir accès aux ententes fédérales, provinciales et territoriales. Les communautés francophones en milieu minoritaire doivent pouvoir bénéficier des ententes fédérales, provinciales et territoriales. Le fédéral doit s'assurer qu'un financement équitable soit réservé aux francophones dans chaque juridiction. Les gouvernements doivent considérer les communautés francophones comme priorité et passer à l'action immédiatement. Nous ne pouvons nous permettre d'attendre que le reste de la population se décide.

Quatrièmement, nous aimerions que soient mis sur pied des réseaux de la petite enfance. Les gouvernements doivent, d'urgence, appuyer la consolidation des réseaux de partenaires, tels les établissements professionnels, les établissements de formation, les établissements communautaires et gouvernementaux. Ils doivent leur fournir la capacité de se regrouper, de s'informer et de faire la promotion du développement de la petite enfance francophone dans leur province ou leur territoire.

En bref, nous voulons des politiques sociales et éducatives qui puissent intervenir dans les enjeux importants, soit dans l'appui prénatal et postnatal aux jeunes parents, dans le bien-être des enfants et dans l'apprentissage précoce qui commence à la maison. Le fait de ne pas investir dans la petite enfance en milieu minoritaire a pour résultat d'affaiblir notre capital humain à un point de non-retour.

Déjà la moitié des enfants commencent leur vie sur une pente plutôt raide, puisque leurs capacités sur les plans de la langue, de la culture et de l'identité sont en grande partie négligées. Au lieu de bâtir sur le bilinguisme déjà présent au sein de la famille, des parents mal informés laissent tomber cet aspect fondamental de développement et d'enrichissement personnel pour eux et leurs enfants. Cette perte d'identité n'est pas négligeable sur le plan de la réussite et de la motivation. Au contraire, ce premier échec risque d'engendrer plusieurs échecs ultérieurs. Collectivement, il s'agit d'une anesthésie progressive, conséquence tragique de politiques nationales insoucieuses à l'égard des enfants.

On remarque même chez les enfants qui fréquentent les écoles françaises un manque de motivation et de confiance en soi quant à l'usage du français dans des situations autres que celles en salle de classe. Ces facteurs sont liés aux dimensions non cognitives de l'apprentissage qui, sans doute, ont le plus grand impact sur le comportement langagier. On a remarqué un important taux de décrochage chez ces enfants après la maternelle ou la première année. Ils sont simplement incapables de suivre le programme. Ni la garde éducative à trois ans, ni l'école à cinq ans ne sont en mesure, dans les conditions actuelles, de renverser adéquatement la perte d'identité. Nous nous trouvons alors dans un contexte de rattrapage où les torts sont, à toutes fins utiles, permanents.

Il ne faut pas pour autant diminuer l'appui au système scolaire francophone. Les élèves francophones sont souvent logés dans des édifices de deuxième classe que les anglophones ne veulent pas. Voilà une autre raison pour laquelle l'école française ne fait pas fureur. L'environnement physique et matériel attire les élèves. Il est un indicateur visible et incontournable de la qualité de l'éducation.

Honorables sénateurs, le Canada néglige ses enfants et, en particulier, abandonne ses jeunes francophones. La perte est incalculable, tragique et injustifiable. L'enjeu est l'avenir de nos familles, de nos écoles et de nos communautés. Il est aussi l'avenir de la dualité linguistique, de la pluralité culturelle et du capital humain de la nation. Pouvons-nous compter sur vous?

Le président : Madame Pilon, je vous remercie de votre présentation. Nous allons maintenant passer à la période des questions.

Le sénateur Comeau : Permettez-moi tout d'abord de vous souhaiter la bienvenue, madame Pilon. Nous vous remercions d'avoir accepté de nous aider à examiner les défis qui sont devant nous.

J'aimerais revenir à la question que j'ai posée ce matin aux représentants de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants. Vous avez mentionné cet organisme dans votre document. J'aimerais savoir si votre définition du système est la même que celle de la Fédération. Pour les enfants de zéro à trois ans on parle d'un système de garderie, et pour ceux de quatre à cinq ans d'un système préscolaire.

Mme Pilon : Notre définition n'est pas tout à fait la même. Nous désirons que le système soit plus qu'un service de garderie. Nous voulons des centres de la petite enfance et de la famille qui incorporeraient une panoplie de services en français, notamment pour aider les parents et les sensibiliser dès la naissance ou même avant la naissance de leur enfant.

Les recherches ont révélé que la langue s'apprend dès le sixième mois de la grossesse. L'enfant entend sa mère qui parle l'anglais ou le français. Il faut donc plus qu'un système de garde. Il faut des services offerts aux parents et aux enfants. La garderie a ses mérites. Toutefois, elle doit être structurée de façon pédagogique.

Le sénateur Comeau : Lorsqu'un des parents peut demeurer à la maison avec l'enfant, êtes-vous d'avis que cet enfant devrait tout de même être envoyé en garderie afin d'éviter qu'il soit exclut du système?

Mme Pilon : Non, ce n'est pas notre travail de les encourager à aller à la garderie. Si on a déjà sensibilisé le parent au moins neuf mois avant que l'enfant ne soit né, ce parent est conscient de l'importance d'amener son enfant à socialiser en bas âge, à parler français, à réaliser que le français existe autour de lui, pas juste la télé en anglais à la maison, que l'enfant peut interagir avec les autres enfants, que la maman ou le papa peut aller chercher des ressources pour être un meilleur parent. C'est plus qu'un service de garde. Ce qu'on appelle le « glorified baby sitter », on n'en veut pas. Cela n'aidera pas les francophones. C'est plus important que cela. Il faut les sensibiliser à l'importance de ce qui se passe entre zéro et trois ans.

Le sénateur Comeau : S'il y a un certain nombre d'enfants qui sont dans une école de zéro à trois ans en train d'apprendre avec leurs pairs, est-ce que cela ne serait pas désavantageux pour les enfants à la maison avec leur parent vis-à-vis les petits amis qui sont dans un système éducatif jusqu'à trois ans? On se pose ce genre de questions. Ce n'est pas pour vous causer des ennuis ni rien. Pour nous, c'est important de le savoir.

Mme Murielle Gagné-Ouellette, directrice générale, Commission nationale des parents francophones : La Commission nationale et notre réseau de parents au pays, nous avançons le concept de centre de la petite enfance et la famille. C'est beaucoup plus large que la garderie. Cela ne veut pas dire que nous sommes contre la garderie. Si on a une garderie, il faut un programme éducatif qui fera avancer l'enfant à l'intérieur de cette garderie afin qu'il puisse entrer dans le système scolaire à quatre ou à cinq ans.

La Commission nationale soutient la question de la petite enfance et de la famille où il y a tous les services intégrés aux parents. Souvent dans les régions rurales, ils n'ont pas de garderie institutionnelle comme on le reconnaît dans le plan national. Par contre, souvent ce sont des garderies familiales. Ce qu'on dit, c'est que cela pourrait être autant des garderies familiales qu'institutionnelles où il y a un programme éducatif, où il y a un appui aux parents tout le long, de zéro à trois ans pour l'enfant.

Le sénateur Comeau : Je vais laisser tomber la question. Nous avons présentement la proposition que le gouvernement fédéral donnerait 5 milliards de dollars sur cinq ans. Dans le passé, des programmes fédéral-provinciaux, des programmes nationaux peuvent avoir des problèmes lorsqu'ils arrivent au renouvellement, surtout si le gouvernement fédéral sent qu'il n'y a pas eu assez de publicité afin de promouvoir le nom du gouvernement fédéral dans les programmes. De temps à autre, si le déficit cause des ennuis, les fonds ne sont pas là lors du renouvellement de ces argents.

Avez-vous discuté de cela avec M. Dryden afin de lui faire part de ces problèmes après que le système sera installé à savoir qu'il faut à tout prix une continuité?

Mme Gagné-Ouellette : Nous avons avancé ce propos à M. Dryden en disant que c'est une continuité et qu'il ne faut pas arrêter ce programme du jour au lendemain. On a revendiqué la question des francophones et des besoins des centres de petite enfance et de la famille plutôt que la question de la continuité, sauf que les partenaires nationaux anglophones l'ont fait : le besoin d'une continuité existe et c'est là qu'il faut que les provinces avancent leur juste part à l'intérieur du programme.

Le sénateur Comeau : Ces provinces, pour utiliser une expression, se sont faits brûler dans le passé en partenariat avec le fédéral. On a institué des programmes nationaux. Le gouvernement fédéral, par la suite, peut dire qu'il n'a pas assez d'argent, et qu'il va effectuer des compressions. On l'a vu dans le système des soins de santé. Les provinces ont dû combler les manques de contribution de la part du gouvernement fédéral. On a vu le résultat. Ce qui me fait peur, c'est que les provinces brûlées dans le passé voudront venir à la table, en pensant que c'est un autre programme national qu'elles devront appuyer dans le futur si le gouvernement fédéral n'est plus là.

Je le dis pour différentes raisons. La dernière fois, c'était l'excuse du déficit; la prochaine fois, ce sera la même excuse ou que le nom du gouvernement fédéral n'est pas assez dans les manchettes.

Mme Gagné-Ouellette : On ne peut pas voir dans le futur ce que les gouvernements vont faire mais on sait que les recherches démontrent que l'investissement sur le plan de la petite enfance est primordial dès la naissance de l'enfant. On espère que les gouvernements, que le gouvernement change ou non, continueront d'investir dans le domaine de la petite enfance.

Le sénateur Comeau : Même si le fédéral recule à cause de problèmes de coût?

Mme Gagné-Ouellette : Je parle du gouvernement fédéral ou provincial, que l'on change de parti ou non, on espère que les gouvernements protègent l'investissement pour les jeunes enfants.

Le sénateur Comeau : S'ils ne l'ont pas fait dans les soins de santé, le feront-ils pour la petite enfance?

Mme Gagné-Ouellette : C'est la même chose dans l'éducation et dans d'autres domaines. On espère que tous les gouvernements et tous les partis puissent faire avancer ce dossier dans sa grande justesse.

Le sénateur Comeau : Il y a des approches du gouvernement fédéral depuis un certain nombre d'années par l'entremise de la création de fondations qui s'assurent qu'on donne des sommes considérables et après que les sommes sont placés dans ces fondations, le gouvernement fédéral ne peut plus les enlever. Est-ce que vous envisagé cette approche?

Mme Gagné-Ouellette : Sur le plan de la Commission nationale on sait que dans les dernières discussions de la fin de semaine, les francophones ne sont pas mentionnés dans le communiqué du gouvernement fédéral. Les provinces sont encore en discussion avec le gouvernement fédéral sur la question des francophones. Nous avançons la possibilité de regarder toutes les questions de fonds comme la société de santé en français. Nous sommes à regarder cela avec le ministère.

Mme Pilon : Toutes les recherches prouvent qu'un dollar investi en petite enfance vous sauvera huit dollars à long terme sur le plan de la santé et de la justice. Juste l'investissement présentement semble beaucoup, mais à long terme, vous allez épargner. Il devrait y avoir une façon de garder cet investissement de façon continue.

Le sénateur Comeau : Je connais cette réalité très bien. Il faut faire cela lorsque l'eau commence à pisser au travers du toit de notre maison, si tu ne le répares pas, tu vas avoir des problèmes plus graves!

Le président : C'est du bon parler acadien. Vous avez rencontré le ministère Dryden; avez-vous parlé à l'honorable Mauril Bélanger qui a été mandaté par le premier ministre? Il a trois chapeaux dont une responsabilité vis-à-vis l'application de la Loi sur les langues officielles. C'est un peu, à la fois, un inquisiteur et un confesseur vis-à-vis tous les autres ministères qui ont des responsabilités en matière de langues officielles. Et parmi ces responsabilités, c'est ce qui m'a été expliqué, c'est ce qu'il a dit à ce comité, il doit s'assurer que lorsque le gouvernement fédéral annonce un nouveau programme ou conclut ou se propose de conclure des ententes avec les autorités provinciales, il a la responsabilité de veiller à ce qu'il y ait une composante pour la minorité francophone au Canada.

L'envers de la médaille est vrai aussi pour les anglophones du Québec, d'une certaine façon. Il n'est pas ministre seulement pour les francophones, il a des responsabilités au titre du bilinguisme. Lui avez-vous fait part de vos préoccupations?

Mme Pilon : Nous parlons à M. Bélanger de façon régulière. Nous l'avons vu à différentes occasions; il nous a fait une présentation de « Partir en français 1 », la conférence de presse s'est faite avec M. Bélanger et Mme Frulla. Il est conscient de tout cela. Il a peut-être beaucoup de mandats à remplir, mais je suis certaine qu'il ne nous a pas oubliés. Nous allons retourner le voir, de toute façon. Le fait que les communautés francophones n'étaient même pas mentionnées lors du dernier communiqué de presse nous a peut-être un peu inquiétés d'un côté mais, voyant le bon côté des choses, je me suis dit que peut-être il y aura une fondation pour la petite enfance en français.

Le président : Je l'ignore.

Le sénateur Losier-Cool : Merci à Mme Pilon et à Mme Gagné-Ouellette, cette présentation était très bien.

Je dois dire que j'ai trouvé le dernier paragraphe un peu fort, quand vous dites que le Canada néglige ses enfants. Peut-être que oui, même si les Nations Unies, lorsqu'elles font leur évaluation du Canada, disent toujours que, sur la question des enfants, le Canada est au dernier rang. Pourtant le Canada a ratifié la Convention de Genève. Cela m'a saisie et j'ai relu tout le texte.

J'aimerais revenir, à la page 5, à votre deuxième demande de base, en suivant le concept des centres de la petite enfance. Pour suivre le raisonnement du sénateur Comeau, peut-être que le gouvernement fédéral peut se retirer d'un plan de financement, mais peut-être aussi que les provinces peuvent prendre cet argent et le mettre dans le budget général de la province. Il y a ce danger, aussi, auquel il faut veiller.

Dans le concept des CPE du Québec, est-ce que cela fait partie des écoles? Quand vous dites « rattacher », les écoles c'est du domaine provincial; est-ce que c'est rattaché physiquement?

Mme Pilon : On aimerait que ce soit sous le même toit, si c'est possible. Quand on vit en situation minoritaire, la seule chose qui nous rallie ce sont les centres scolaires communautaires ou les écoles, qui sont aussi des écoles communautaires.

Les francophones qui veulent aller à l'école française sont sous le même toit que l'école ou le centre scolaire communautaire. Si quelqu'un arrive, une personne francophone, et voit qu'il y a une école francophone, un centre de la petite enfance rattaché ou tout près, le cheminement normal qui se ferait pour le petit enfant arrivé en service de garde ou en « copain de jeu » — peu importe le service demandé — irait tout de suite à l'école. Pour nous, c'est notre seule structure visible. Ce serait un bon départ.

Le sénateur Losier-Cool : Ce serait rattaché de façon physique, comme les centres communautaires qu'ils ont à Fredericton. Cela ne fait pas partie du ministère de l'Éducation?

Mme Pilon : Non, c'est rattaché et toujours géré par les parents. Il faut que ce soit géré par les parents. C'est pour cela que cela fonctionne si bien au Québec. C'est ce que nous avons de plus précieux : nos enfants. C'est notre ressource naturelle la plus importante au Canada, celle qui se refait d'année en année, qui ne s'épuisera jamais. On en prend très peu soin comparativement à d'autres ressources naturelles. C'est la raison pour laquelle j'ai dit qu'on les négligeait, c'est dans ce sens.

Il y a aussi le fait que nos éducatrices sont si peu payées. Dans les garderies, les éducatrices sont payées au salaire minimum. Elles s'occupent de ce qu'on a de plus précieux au monde. C'est pour cette raison qu'on parle de négligence.

Le sénateur Losier-Cool : Est-ce les parents dans les centres de la petite enfance du Québec qui vous disent qu'ils sont satisfaits de gérer cela?

Mme Pilon : Oui, c'est un conseil d'administration où les parents sont majoritaires. Avec de l'appui en formation, ils le gèrent de façon très satisfaisante.

Le sénateur Losier-Cool : Ce n'est pas ce que les médias nous disent.

Mme Pilon : Nous sommes allés en mission exploratoire au Québec et nous avons parlé avec les parents, avec les éducatrices, nous avons visité cinq ou six centres. Les parents étaient enchantés de ce système. Ce que les médias vous disent, ce n'est pas ce que j'ai vécu avec les parents que j'ai rencontrés.

Le sénateur Losier-Cool : Ma question était plutôt : comment est-ce que, au Québec, les CPE vont faire partie de la bâtisse mais pas du système du gouvernement et du système d'éducation?

Mme Pilon : Cela ne fait même pas partie de la bâtisse de l'éducation. Les CPE sont installés un peu partout. Pour les enfants en situation minoritaires, ce serait favorable, parce que c'est l'endroit où les francophones se réunissent. Tandis que, au Québec, tout le monde est francophone autour d'eux. Ils vont dans un petit quartier près de la maison, au début, ce qui est avantageux car la maman qui amène son bébé veut être proche de chez elle. Nous demandons au moins, comme base de départ, d'être dans nos écoles francophones ou tout près — car des écoles sont déjà pleine à craquer — afin que le cheminement de l'enfant se fasse tout de suite à l'école, lorsqu'il a l'âge, soit quatre, cinq ou six ans selon les provinces — ce n'est pas uniforme non plus.

Mme Gagné-Ouellette : Déjà, dans nos communautés, lorsque nos écoles francophones peuvent permettre d'avoir des garderies ou des centres de ressources éducatifs, elles nous laissent l'espace libre. Cela se fait dans certaines communautés. Si elles ne peuvent pas rattacher le centre à l'école, bien souvent c'est dans la communauté, mais tout près des écoles. Dans certaines régions cela se fait déjà. Par contre on sait que c'est du bénévolat. Ce n'est pas financé.

Le sénateur Losier-Cool : Dans vos chiffres, avez-vous le pourcentage des provinces qui ont le plus d'enfants inscrits dans un programme de zéro à cinq ans et moins?

Mme Gagné-Ouellette : Nous sommes en train de terminer cette recherche. On sait que, en Ontario francophone — on pourrait le vérifier par la suite auprès de M. Charbonneau — la plupart des conseils scolaires ont les quatre et cinq ans déjà inscrits dans leur système; ils offrent même les locaux et un programme éducatif, le matin, l'après-midi ou une journée dans la semaine; l'autre partie est faite avec les éducateurs et éducatrices.

On sait qu'il y a plusieurs garderies francophones aussi au Nouveau-Brunswick. Au Manitoba, le gouvernement provincial donne son appui, il vient d'ouvrir deux centres pilotes en petite enfance et cela va assez bien. Pour les autres régions, nous sommes en train de finir notre étude sur ce sujet.

Le sénateur Losier-Cool : Je crois que le Nouveau-Brunswick a un haut pourcentage.

Mme Gagné-Ouellette : Il ne faut pas mélanger bilingue et francophone.

Le sénateur Losier-Cool : C'est vrai. Vos données sont pour les francophones seulement.

Le sénateur Chaput : J'ai une courte question concernant les centres de la petite enfance, qui incluent, dans le concept auquel vous pensez, un centre de ressources éducatives pour appuyer les parents.

Ce centre peut-il aussi appuyer la mère qui a décidé de rester à la maison avec son enfant tout comme celle qui a placé son enfant à la garderie? C'est donc un concept qui peut répondre aux deux?

Mme Gagné-Ouellette : Également des groupes de jeu, de la formation parentale, avec des ateliers, de la formation continue pour les parents et sur le plan éducatif aussi pour les enfants.

Le sénateur Chaput : Quand vous mentionnez le fait que les communautés francophones doivent bénéficier des ententes de financement fédéral-provincial en matière de petite enfance, quelles ententes ciblez-vous? Est-ce que vous parlez des ententes à venir en éducation qu'il faudrait ouvrir pour y inclure la petite enfance, de l'entente Canada-Manitoba, dans le cas du Manitoba, ou d'une autre?

Mme Gagné-Ouellette : On ciblait deux ententes par cette intervention : les ententes fédéral-provincial et fédéral-territorial avec le développement social, qui étaient en discussion en fin de semaine dernière. Comme francophones, nous n'avons pas du tout été mentionnés dans le communiqué de presse mais on sait qu'ils sont encore en discussion.

On poursuivra nos discussions avec le ministère en temps et lieu. La garde des enfants et l'éducation sont de juridiction provinciale et il y a tout le volet des ententes fédéral-provincial en éducation.

Nous, comme parents, encourageons les conseils scolaires à intégrer les enfants de quatre et cinq ans au sein d'un programme éducatif. Pour les francophones de quatre et cinq ans, il est important de les faire avancer pour qu'ils soient prêts à faire leur entrée à l'école.

Le sénateur Murray : Je suis conscient de l'importance d'un système national de garderies accessibles à tous nos enfants. Il est aussi très important que lors des négociations on accorde une attention particulière aux communautés linguistiques. Force est de constater, cependant, que les négociations qui se poursuivent entre les gouvernements provinciaux et le fédéral sont d'abord basées sur ce qu'on appelle le « Social Union Framework Agreement » négocié il y a quelques années sous le gouvernement Chrétien avec neuf des provinces.

Si tel est le cas, il faudra l'accord de six provinces, une majorité des provinces, avant qu'un tel programme démarre. De plus, si une province ne veut pas adhérer au programme mais veut plutôt créer un programme ayant les mêmes objectifs, elle aura droit à un remboursement de la part du gouvernement fédéral.

Il semble que dans les négociations, il était question d'un système mixte de garderies, soit des garderies publiques ou privées, à but lucratif. Êtes-vous prêts à composer avec cette réalité si jamais un tel système était le résultat des négociations en cours?

Mme Gagné-Ouellette : Pour nous, que les garderies soient publiques ou privées, cela ne nous importe peu. Nous vivons toujours en fonction des besoins de notre province ou de notre localité. En région rurale, on sait que des garderies institutionnelles de 20 enfants, cela n'existe pratiquement pas. On y voit plutôt des garderies familiales de cinq enfants. En fait, tout ce qui nous importe, c'est que les garderies familiales aient un programme éducatif qui répond aux besoins des enfants.

Le sénateur Murray : Vous êtes également en faveur avec la création de centres éducatifs qui regroupent les réseaux de petite enfance. Les gouvernements doivent procéder d'urgence à la consolidation de réseaux de partenaires, d'établissements professionnels, de formateurs, de communautés et de gouvernements et doivent leur fournir la capacité de faire la promotion du développement de la petite enfance francophone.

Cela comprendrait une variété de services aux enfants tels que garde éducative, centre de ressources, prématernelle, groupes de jeu, dépistage précoce. Croyez-vous vraiment que c'est ce que M. Dryden est en train de négocier?

Mme Gagné-Ouellette : Nous savons que ce n'est pas ce que le gouvernement est en train de négocier. Mais nous, les francophones, demandons la création de centres de petite enfance et de famille. Lorsque nous avons rencontré le ministre Dryden, il a reconnu les besoins particuliers des francophones pour ce genre de service.

Des garderies privées, institutionnelles ou familiales, on en a besoin autant que les anglophones, mais on examine un concept beaucoup plus large qui va inclure une garderie familiale ou institutionnelle dans une localité, dépendant de la circonstance.

M. Murphy : Les négociations devraient donc avoir lieu avec les provinces suite à la mise sur pied d'une entente.

Mme Gagné-Ouellette : En octobre dernier, le gouvernement manitobain a lancé deux projets démonstrateurs de centres de petite enfance et de famille.

M. Murphy : C'est un projet qui est très attrayant, j'en conviens, mais cela doit être négocié avec les provinces.

Mme Gagné-Ouellette : Les organisations provinciales de parents et leurs partenaires rencontrent présentement chacun des ministres pour faire avancer le modèle.

[Traduction]

Le sénateur Buchanan : Ne craignez-vous pas d'être oubliés dans cet espèce de remaniement qui se produira au cours des prochains mois?

Mme Gagné-Ouellette : Cela fait déjà 100 ans que nous sommes bousculés d'un endroit à un autre et nous survivons toujours.

Le sénateur Buchanan : Je sais, et j'ai écouté vos commentaires avec attention. Cependant, je crains que lorsque votre programme se retrouvera à la table de négociation du gouvernement fédéral et des représentants des dix provinces, il risque d'être laissé de côté. J'ai beaucoup d'expérience dans le secteur, et je crains que cela ne se produise. C'est regrettable, et je ne dis pas qu'il faut oublier votre programme, mais cela risque de se produire.

Il y aura peut-être des ententes lors de cette réunion, mais vous viendrez au deuxième rang après ces ententes. Est-ce que cela vous inquiète?

Mme Gagné-Ouellette : Nous espérons que nous ne viendrons pas au deuxième rang désormais. Nous savons que ce sont-là les besoins de la collectivité et que nous devons poursuivre dans cette voie. Les CPEF sont la solution pour nos collectivités et pour nos écoles si l'on veut que nos enfants fréquentent des écoles françaises. C'est pourquoi nous appuyons le principe des CPEF.

Il y a 10 ou 20 ans, le conseil national avait proposé que nos écoles soient administrées par des commissions scolaires francophones. Il nous a fallu beaucoup de temps pour atteindre cet objectif et nous avons dû nous tourner vers les tribunaux à maintes reprises. Nous espérons que ce ne sera plus nécessaire, mais nous avons bien établi les besoins de nos collectivités Nous avons obtenu un consensus sur la question l'année dernière et nous n'avons pas l'intention de rajuster notre tir.

Nous espérons que le gouvernement comprendra notre position et nos besoins. Le ministre de l'Éducation sait que nous avons des écoles francophones, et l'intégration de services de garderie aux écoles est la solution aux problèmes des collectivités.

Le sénateur Buchanan : Je vous souhaite beaucoup de chance.

Mme Gagné-Ouellette : Merci.

Le sénateur Buchanan : J'espère que vous n'aurez pas besoin de vous tourner vers les tribunaux, parce que dans ces circonstances, les seuls gagnants sont les avocats.

Mme Gagné-Ouellette : Nous ne voulons pas avoir recours aux tribunaux. Cependant, nous savons que dans les quatre dernières affaires dont a été saisie la Cour suprême, les parents ont eu gain de cause. Nous avons plus de 400 écoles francophones au Canada. Nous savons que le concept des CPEF est une réponse aux doléances de la communauté.

Le sénateur Buchanan : Madame Pilon, il y a quelque chose que je ne saisis pas très bien. Je crois que vous avez dit que les anglophones et les Premières nations reçoivent un traitement égal au Québec.

Mme Pilon : Oui, c'est le cas au Québec. Tout le monde au Québec a le droit de fréquenter les centres de la petite enfance. Les francophones ont leurs CPEF, les anglophones ont leur CPEF, et il en va de même pour les Autochtones. Les Autochtones ont leur propre cégep pour devenir éducateurs dans leurs collectivités lorsqu'ils y retournent, de sorte à aider les enfants et à communiquer avec eux dans leur propre langue. C'est comme un rêve devenu réalité lorsque vous allez au Québec et que vous constatez que tout le monde est égal.

Le sénateur Buchanan : Je n'étais pas au courant.

Mme Pilon : Nous avons été fort impressionnés lorsque nous avons visité la région.

Le sénateur Losier-Cool : J'ai posé une question au Sénat l'autre jour sur les services de garderie et les anglophones au Québec. Est-ce que cette situation existe parce qu'il s'agit d'un programme provincial?

Mme Pilon : Effectivement, c'est un programme provincial. Il n'est pas encore national au Québec. Ce programme provincial est universel, en ce sens qu'il est ouvert à tout le monde. Tous les enfants ont le droit de fréquenter le centre de la petite enfance de leur choix.

Le sénateur Buchanan : Cela s'applique-t-il aux garderies au Québec?

Mme Pilon : Il s'agit bien de garderies, mais je parle plutôt de soins à la petite enfance. Je dois vous dire que moi-même, je me rends dans ces centres pour montrer aux gens de quoi il s'agit. J'en ai visité un qui compte un grand nombre d'immigrants. Je les ai interrogés au sujet des enfants de un à trois ans qui, manifestement, ne parlent ni le français ni l'anglais. J'ai demandé à l'éducatrice comment ces enfants apprenaient la langue et à quelle vitesse ils pouvaient l'apprendre. Elle m'a répondu que la plupart des enfants venant d'ailleurs arrivaient à parler le français après trois mois. J'étais fort impressionnée.

C'est pour cette raison que nous préconisons ce genre de centre. Les sénateurs comprennent-ils bien pourquoi l'apprentissage rapide survient avant l'âge de trois ans, comme l'ont montré les travaux de recherche? Un petit enfant de parents immigrants ne parle ni le français, ni l'anglais à la maison, il va dans une garderie ou dans un centre de la petite enfance et, en trois mois, il a appris à parler à son éducatrice en français. Après un an, tous ces enfants parlent couramment la langue, même s'ils ne sont âgés que d'un an ou deux.

Le sénateur Buchanan : Puis-je répéter sans crainte aux gens de l'extérieur de la province qu'au Québec, les services d'enseignement à la petite enfance et les services de garde sont offerts de la même façon aux anglophones, aux francophones et aux Autochtones? Ces trois groupes sont-ils traités de la même façon partout au Québec?

Mme Pilon : Oui, c'est ce que nous avons constaté.

Le sénateur Buchanan : Je l'ignorais et d'ailleurs, on nous avait dit que c'était le contraire.

Mme Pilon : C'est pourquoi nous avons effectué des visites, pour poser ce genre de questions. Peut-être les gens qui vous ont dit cela avaient-ils des plaintes à formuler, mais quoi qu'il en soit, c'est ce que nous avons pu constater lorsque nous sommes allés au Québec.

[Français]

Le président : J'aurais à mon tour une question à poser.

Je ne veux pas me poser en inquisiteur ou m'approprier les pouvoirs de la commission Gomery, mais quand le gouvernement fédéral vous accorde un million de dollars sur 25 mois pour le projet « Partir en français » et 365 millions sur huit mois pour « Partir en français 2 », voulez-vous me dire spécifiquement ce que vous faites avec cet argent?

Mme Pilon : Je voudrais vous dire que c'était 365 000 $ et non pas millions parce qu'on aurait des CPEF partout. Je ne serais pas ici! Je ne voudrais pas que vous induisiez les gens en erreur.

Le président : Le réviseur aurait corrigé le lapsus. Mais que faites-vous avec cet argent? Je lis un peu un peu loin :

Ces fonds servent à bâtir la capacité de nos membres et de leurs partenaires sur le terrain.

Qu'est-ce que c'est, au juste? Nous avons un Comité sénatorial des finances nationales — qui a été présidé par le sénateur Murray pendant quelques années — qui a pour rôle de vérifier où va l'argent. Alors je revêts ce chapeau pour quelques minutes et je vous demande de nous dire candidement ce que vous faites avec cet argent.

Mme Gagné-Ouellette : Le montant a l'air énorme. Lorsque Mme Frulla nous a annoncé que nous recevrions la somme d'un million de dollars, nous avons reçu des appels de centres des garderies dans différentes provinces francophones qui nous demandaient s'ils pouvaient recevoir une partie de cet argent. Cela a l'air beaucoup un million de dollars pour trois ans. Par contre, bâtir la capacité, c'est du financement que nous recevons grâce au Plan d'action sur les langues officielles dans le montant de 22 millions accordé pour la petite enfance. Bâtir la capacité, nous avons fait une tournée pancanadienne pour faire valider notre concept de petite enfance.

Le président : Faire valider auprès de qui?

Mme Gagné-Ouellette : De nos fédérations de parents. La Commission nationale est formée de 11 membres des fédérations de parents dans chacune de nos provinces. Ces fédérations de parents ont aussi des comités de parents ou d'autres regroupements de parents ou de prématernelle, préscolaire, qui sont membres de leur réseau. Ils sont nos partenaires, tant au niveau des conseils scolaires que des groupes de santé ou des associations porte-parole des groupes de programme d'action communautaire pour enfants. Chacune des provinces a ses propres partenaires. Nous avons fait une tournée pancanadienne. Plus de 400 personnes ont participé à ces rencontres.

Au mois d'octobre, nous avons eu un congrès pancanadien, tenu à Winnipeg, et auquel plus de 300 personnes ont participé. Nous avons aussi appuyé nos provinces et territoires, nos fédérations de parents pour préparer des plans d'action des centres de petite enfance et de la famille afin qu'ils puissent les présenter à chacun de leur ministère, leur gouvernement, pour faire avancer le dossier.

Il y a aussi du travail qui se continue au courant de la prochaine année. Nous sommes à préparer un « scan » environnemental sur tout ce qui existe en petite enfance francophone à travers le pays pour voir comment sont financés ces programmes francophones de petite enfance.

Donc le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires auront un portrait de ce qui se passe dans la petite enfance francophone de leurs provinces et territoires et au niveau national.

Ce « scan » sera terminé d'ici le 15 avril. On voudra certainement le diffuser à la grandeur du pays.

Le président : Nous serions heureux d'en recevoir une copie. Est-ce que les autorités provinciales participent financièrement à vos activités?

Mme Gagné-Ouellette : Elles vont plutôt participer aux activités de chacune de nos fédérations provinciales. Nos fédérations, certaines d'entre elles, du ministère de la petite enfance, selon son appellation, du Manitoba et de l'Ontario reçoivent un financement et certaines autres reçoivent du ministère de l'Éducation.

Le président : Est-ce pour des activités ciblées?

Mme Gagné-Ouellette : Au Manitoba, par exemple, il y a eu du financement pour deux centres de petite enfance et de la famille. C'était une somme de 75 000 $. Ce n'est pas énorme pour mettre sur pied deux centres de petite enfance et de la famille. Grâce à l'appui des conseils scolaires, les locaux sont gratuits, ils ont du matériel gratuit et de l'appui.

Le président : Je suis content que vous mentionniez les conseils scolaires car nous allons entendre ces témoins après vous. Est-ce que vous œuvrez en coopération avec les conseils scolaires?

Mme Gagné-Ouellette : Certainement. C'est grâce à la Commission nationale que nous avons des conseils scolaires partout au pays. Il y a 25 ans, on n'en avait pas. C'est certain que comme parents nous guettons de très près les conseils scolaires et nous travaillons de très près avec eux. La Commission nationale, pour répondre à une question du sénateur Chaput, au niveau du leadership et de l'éducation, a une table éducation. Madame Chevalier et M. Charbonneau pourront vous en reparler. La table éducation regroupe tous les intervenants au niveau national. Ils vont vous parler de la stratégie, la petite enfance est à l'intérieur de la stratégie. Nous allons collaborer et travailler de très près avec les conseils scolaires.

Le président : S'il n'y a pas d'autres questions, je tiens à vous remercier bien sincèrement au nom du Comité sénatorial des langues officielles. Votre contribution nous est valable et nous tiendrons compte de vos commentaires. Vous demandiez si on vous entendait, on vous entend.

Mme Pilon : Merci.

Le président : Nous sommes un peu en avance sur notre horaire. Ce qui est heureux parce que la météo annonce du mauvais temps en début de soirée. Le sénateur Murray a 60 kilomètres à faire pour rentrer chez lui ce soir.

J'inviterais donc nos prochains témoins de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones à s'installer. Nous avons le plaisir d'accueillir maintenant de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, Mme Madeleine Chevalier, présidente des services aux francophones à la Fédération des conseils scolaires. Elle est accompagnée de M. Charbonneau, directeur général de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones.

Mme Madeleine Chevalier, présidente, Fédération nationale des conseils scolaires francophones : Merci beaucoup, monsieur le président, nous vous remercions de nous avoir invités dans le cadre de votre examen de l'éducation de la langue de la minorité.

Effectivement, je suis la présidente de la Fédération nationale et je suis accompagnée du directeur général, M. Charbonneau.

Comme vous le savez, les 30 conseils scolaires francophones répartis à travers le Canada que nous représentons ont reçu une obligation constitutionnelle. Ils doivent assurer que la minorité francophone du Canada reçoive une instruction dans sa langue, qui soit de qualité égale à celle qui est donnée aux élèves de la majorité. Cette responsabilité nous est confiée en même temps qu'au palier de gouvernement provincial, territorial et fédéral. C'est en assumant pleinement cette responsabilité que nous nous présentons devant vous.

Nous prendrons quelques minutes pour vous exposer l'état actuel du système d'éducation en français et de ses besoins. Nous vous présenterons notre stratégie pour compléter ce système, conformément à la vision de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

La situation actuelle de notre système d'éducation est inquiétante. En deux mots, nous pensons qu'il est sous perfusion. Nous sommes bien loin de l'épanouissement souhaité aux communautés par la Loi sur les langues officielles.

Certes, depuis 1982, nous comptons sur les droits scolaires garantis par la Charte et vous savez combien il en a coûté à nos communautés francophones et acadienne pour arracher devant les tribunaux la pleine reconnaissance de ces droits.

Il a fallu trois jugements clés de la Cour suprême du Canada, l'arrêt Mahé en 1990, le Renvoi manitobain en 1993 et l'arrêt Arsenault-Cameron en 2000 pour forcer les gouvernements des provinces et des territoires à concéder la gestion scolaire à la minorité francophone. Pendant ce temps, l'assimilation maintenait le chantier ouvert il y a un siècle par les différentes interdictions qui ont condamné l'instruction en français à disparaître ou à vivoter à travers le Canada.

Depuis une quinzaine d'années, nous avons donc connu de grands succès en créant progressivement 31 conseils scolaires francophones qui gèrent aujourd'hui quelques 675 écoles. Nous sommes fiers de veiller à l'instruction qui est dispensée à ces quelque 150 000 élèves pour lesquels les attentes ne sont pas minces. En plus des standards scolaires canadiens, on souhaite que nos élèves acquièrent une connaissance de leur culture, de leur histoire et des valeurs de leur société, qu'ils développent une fierté de la langue, une conscience d'être minoritaire, une identité forte, un leadership envers leur communauté et une capacité multilingue.

Dans quel contexte devons-nous réaliser cette mission? Pour en avoir une idée précise, notre fédération a récemment commandité un inventaire des besoins en matière scolaire. Parmi une cinquantaine de besoins importants ressentis dans les conseils scolaires francophones, il en est ressorti une dizaine que l'on a reconnus d'un commun accord, comme étant prioritaires. De plus, nous avons consulté une cinquantaine d'organismes communautaires qui ont généralement validé ces besoins et clairement exprimé l'importance de rapprocher l'école et la communauté afin de soutenir la vitalité ethnolinguistique de celle-ci.

Comme vous le savez, l'absence ou la faiblesse des écoles de langue française au Canada depuis un siècle a gravement réduit l'effectif scolaire visé par l'article 23 de la Charte. Cette injustice passée, comme l'a qualifiée la Cour suprême du Canada, a fait en sorte qu'à peine plus de la moitié des enfants des ayants droit fréquentent actuellement l'école de langue française. Cette école manque aujourd'hui de moyens.

Elle ne peut offrir une variété de programmes d'étude, de services spécialisés et d'équipements comparables à ce qui est offert dans les écoles de langue anglaise ou même les écoles d'immersion concurrentes. Souvent ces infrastructures sont désuètes ou inadéquates. Elles manquent de personnel enseignant et administratif. Elle a en outre des besoins qui sont propres à sa situation minoritaire pour recruter les ayants droit et promouvoir l'école auprès d'eux, pour franciser les jeunes avant et même pendant leur inscription scolaire, pour accueillir et accompagner les parents exogames.

Enfin, pour accroître ses chances de réussite, l'école doit pouvoir compter sur des services à la petite enfance et des services de garde qui préparent les enfants à une scolarité en français. Force est donc de constater que nous, les conseils scolaires, les gouvernements provinciaux et territoriaux et le gouvernement fédéral n'assumons pas pleinement les obligations relativement à la minorité francophone dictée par la partie VII de la Loi sur les langues officielles, la Charte et le principe constitutionnel de protection des minorités. Il y a donc urgence de donner un coup de barre pour changer cette situation.

Comment y parvenir? Comment mettre en œuvre dans leur plénitude les droits scolaires annoncés par l'article 23? Notre fédération a adopté la stratégie proposée par son comité de direction, présidé par M. Gallant. Cette stratégie d'actions se fonde à la fois sur l'analyse des besoins et sur les contextes juridiques et politiques actuels.

D'abord, nous jugeons que les droits et les obligations en matière scolaire pour les minorités de langue officielle sont maintenant clairement établis par la jurisprudence. Il est préférable de procéder diligemment à leur mise en œuvre plutôt que de continuer à combattre devant les tribunaux.

Au plan politique, le regain d'intérêt tant attendu pour la dualité linguistique de la part du gouvernement fédéral augure un vent nouveau pour la gestion scolaire francophone en milieu minoritaire. Le Plan d'action pour les langues officielles de 2003 promet de nouveaux investissements et vise haut en matière de résultats : faire passer le taux de participation de l'effectif scolaire cible francophone à 80 p. 100 d'ici 2013.

Il nous apparaît que seul une stratégie concertée des intervenants communautaires, des conseils scolaires, des gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral sera en mesure de relever ce défi. À notre sens, les provinces et territoires sont aujourd'hui ouverts à envisager une telle stratégie. Un représentant du Conseil des ministres de l'Éducation a d'ailleurs pris part aux travaux de notre comité de direction et nous rencontrons bientôt le Bureau de la conférence interministérielle sur les affaires francophones. Nous avons aussi des rencontres prévues avec les directeurs généraux de l'éducation des provinces et territoires et avec les hauts fonctionnaires fédéraux.

Du côté communautaire, notre fédération a rallié les principaux organismes entretenant un mandat à l'égard de l'éducation. Je vous ferai grâce de tous vous les énoncer puisqu'ils sont déjà à la liste, mais vous remarquerez aussi que la CLPF est très présente à la table. C'est désormais conjointement que nous préparons le plan d'action pour réaliser les promesses de l'article 23.

De plus, nous comptons inviter les représentants des gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral à prendre part à l'exercice, puisqu'il en va aussi de leurs responsabilités. À cette fin, nous tiendrons en juin prochain un sommet des intervenants en éducation pour la mise en œuvre de l'article 23 en milieu francophone minoritaire.

Comme votre comité l'a si bien noté, l'éducation doit être vue comme un continuum s'étendant de la petite enfance jusqu'au palier postsecondaire. Bien que notre intérêt principal soit le système scolaire, nous ne pouvons écarter les services à la petite enfance qui préparent les élèves, le contexte de l'alphabétisme familial qui conditionne les élèves et la perspective de poursuivre des études au niveau collégial ou universitaire.

Notre stratégie comporte ainsi six axes d'intervention pour redynamiser le système d'éducation : l'identification, le recrutement et la rétention de la clientèle scolaire admissible, les infrastructures scolaires, le recrutement, la formation et la rétention d'un personnel qualifié en français, les services à la petite enfance, la programmation scolaire et les ressources pédagogiques, et l'encadrement linguistique et culturel.

Compte tenu du nombre d'intervenants engagés dans cette stratégie, nous préconisons la mise en place de mécanismes de coordination permanents, auxquels participeront les représentants des conseils scolaires, des gouvernements et des communautés.

Nous demandons aussi qu'une réévaluation budgétaire globale soit entreprise afin de tenir compte des investissements requis par cette stratégie. Certes, le programme des langues officielles en enseignement reste un outil privilégié pour soutenir cette stratégie, mais il ne devrait pas être le seul. Le gouvernement fédéral auquel vous faites vos recommandations devra aussi accroître sa contribution à plusieurs titres : au niveau du développement des ressources humaines dans le secteur de l'éducation, de la mise en place des infrastructures scolaires, de l'appui au leadership exercé par les conseils scolaires et les organismes communautaires, de l'appui à la petite enfance et au réseautage technologique des écoles et des communautés, de l'appui au volet socioculturel de l'instruction des jeunes francophones.

Il est utile de rappeler que la jurisprudence a clairement reconnu au conseil scolaire l'autorité de définir les besoins propres de leur communauté et de dépenser les fonds prévus pour l'instruction de la minorité. En outre, le plus haut tribunal a jugé que les ressources accordées aux écoles de la minorité linguistique doivent être au moins équivalentes à celles accordées à la majorité et qu'elles doivent parfois être supérieures, compte tenu des besoins qui leur sont particuliers. Enfin, mentionnons que le plan d'action devra prévoir un cadre d'imputabilité afin d'en assurer la transparence et de faciliter l'atteinte de ces objectifs.

En terminant, nous souhaitons rappeler qu'il y a urgence à l'égard de l'éducation de la minorité francophone. Les ayants droit sont en nombre décroissant parce que bon nombre de leurs enfants ne sont pas actuellement instruits en français. Dès lors, ces derniers ne pourront plus à leur tour passer leurs droits à leurs enfants. L'avenir de la dualité linguistique canadienne est en jeu si nous ne pouvons maintenir la vitalité de la minorité francophone.

Nos conseils scolaires en ont pris conscience. Appuyés des organismes de nos communautés, ils ont entrepris de changer la donne par une sérieuse prise en charge de leur avenir. Il reste à convaincre le gouvernement fédéral de l'importance de cette stratégie et de son urgence. Nous espérons vivement pouvoir compter sur l'appui de votre comité à cette fin.

Le président : Je voudrais relever un petit problème que nous avons découvert cet après-midi. Je constate d'ailleurs que M. Landry a quitté. Lors de sa présentation, M. Landry, de l'Institution canadien de recherche sur les minorités linguistiques, affirmait à la page 14 de sa présentation :

Quoique les chiffres varient selon les études, nous pouvons affirmer qu'à peine un peu plus de 50 p. 100 de la clientèle admissible fréquente les écoles gérées par les minorités francophones.

Je comprends que lorsque vous dites dans votre mémoire et je cite :

... faire passer le taux de participation de l'effectif scolaire cible francophone de 68 à 80 p. 100 d'ici 2013.

Votre citation est une citation du plan d'action n'est-ce pas? Ce sont les données du gouvernement fédéral?

M. Charbonneau : Voilà.

Le président : M. Landry a sérieusement mis en question cette donne. Il va falloir qu'on cherche à la clarifier, à moins que vous puissiez nous apporter une quelconque lumière sur cette différence de perception de données?

M. Charbonneau : Pour être franc avec vous, je crois que M. Landry a raison. Nous avons pris les chiffres officiels sans avoir connu la mécanique qui a conduit à cette équation. Selon nos propres données du recensement, on aurait environ entre 48 à 52 p. 100 des effectifs scolaires dans nos écoles.

Le président : Pouvez-vous le confirmer?

M. Charbonneau : On n'a pas osé contredire M. Dion, mais on pourrait confirmer ce que dit M. Landry.

Le président : Il va falloir retourner le gouvernement fédéral à ses devoirs et lui demander de nous donner des chiffres précis.

M. Charbonneau : J'ai l'impression qu'ils ont actualisé le dernier recensement, mais je n'en suis par certain. On pense que c'est environ 50 p. 100 des effectifs qui sont présentement desservis.

Le président : Considérez-vous qu'il est réaliste de vouloir atteindre un taux de participation des ayants droit à 80 p. 100 d'ici 2013? C'est tout un saut que de passer de 50 à 80 p. 100.

M. Charbonneau : On a le même dilemme que le ministère de l'Éducation sur le plan provincial. C'est une chose d'avoir des objectifs aussi ambitieux mais si on n'a pas les ressources pour atteindre ces objectifs, on ne pourra pas le faire.

Si on pouvait aller chercher 80 p. 100 des ayants droit qui se dirigent vers nos écoles en bas âge, c'est réaliste. Il est toutefois évident qu'avec le budget accordé dans le plan d'action, peu se fera.

Le sénateur Comeau : À la dernière page de votre présentation, vous dites :

Enfin, mentionnons que le plan d'action devra prévoir un cadre d'imputabilité afin d'en assurer la transparence et de faciliter l'atteinte de ces objectifs.

Faites-vous référence au plan d'action de transfert de fonds du fédéral au provincial et de l'imputabilité de la province?

Mme Chevalier : On fait référence au plan d'action de la mise en œuvre de la stratégie pour la pleine gestion, pour compléter le système d'éducation en français langue première au Canada.

Le sénateur Comeau : À plusieurs reprises aujourd'hui, on a soulevé le fait que les provinces ne dépensent pas les fonds de la façon proposée par le gouvernement fédéral. Nous avons eu plusieurs commentaires à l'effet qu'on doit étudier ce dossier et que le vérificateur général doit les examiner. Qu'en pensez-vous?

Mme Chevalier : Une des grandes préoccupations de la fédération est en fonction de la transparence des fonds. Dans certaines provinces, les sommes sont investies pour les francophones, mais ce n'est pas uniforme à travers le Canada. On souhaiterait voir se multiplier cela à travers les provinces. Ce qui se passe de bien dans une province, on voudrait qu'il en soit de même dans toutes les provinces.

Le sénateur Comeau : Vous en faites une recommandation.

Mme Chevalier : Absolument.

M. Charbonneau : Il y a deux façons de financer les provinces pour nous aider présentement. Il y a le protocole multilatéral avec le Conseil des ministres en éducation duquel découle des plans d'action provinciaux, des ententes bilatérales. En principe, en parallèle, il devait y avoir le plan d'action qui prévoyait des ententes bilatérales, chaque province individuellement avec le gouvernement fédéral. Pourquoi le plan d'action fait référence à un cadre d'imputabilité et de transparence? C'est que le protocole comme tel ne permet pas cette transparence.

On pourrait donner l'exemple de la Nouvelle-Écosse. Il y a une eu enquête du ministère du Patrimoine canadien pour vérifier là où les fonds avait été affectés et on n'a jamais vu le rapport. On soupçonne qu'ils n'ont jamais pu réussir à le trouver.

Si on prend l'exemple du Nouveau-Brunswick, comment se fait-il que le per capita pour un Acadien en milieu rural ou urbain est le même que celui d'un anglophone en milieu rural ou urbain. On n'a pas d'explication à cela. On sait que les montants vont dans un fonds consolidé. Nous avons toujours demandé d'être formellement consulté. Le protocole s'inspire d'une tradition des années 1970 où l'on n'existait pas.

Présentement, lorsqu'un plan d'action est présenté au gouvernement fédéral pour une province, dans 65 p. 100 des cas nous ne sommes pas consultés sur le plan d'action et on peut prendre connaissance de ce plan d'action 18 mois après sa réalisation pour constater qu'il y avait dans le plan des projets qui nous concernaient et que les transferts de fonds n'ont jamais été fait.

On soupçonne que le ministère fait vivre sa machine à lui dans plusieurs endroits. Peut-être que les projets ont été faits, mais dans plusieurs endroits, on n'a pas de preuves. Nous disons que la meilleure façon pour le gouvernement fédéral de s'assurer que ces montants vont véritablement ce pourquoi on les a prévus, en principe, la plupart de l'activité scolaire se fait par les conseils scolaires. Ils ont juste à nous consulter sur le plan d'action avant et nous demander à la fin comment ont a dépensé l'argent. Présentement, c'est encore en négociation et on a eu une réponse timide du ministère du Patrimoine canadien. Ils nous disaient qu'ils voulaient bien, mais que cela dépendra si le CMSC peut être unanime sur cette question. Je ne crois pas que nous soyons dans le protocole cette année non plus.

Le sénateur Comeau : Je voudrais vous féliciter pour l'excellent travail que votre fédération fait depuis plusieurs années. J'ai pu constater en Nouvelle-Écosse les énormes bénéfices donnés à nos jeunes. C'est remarquable et j'apprécie ce que vous faites.

Le sénateur Chaput : Ma question porte sur votre document de stratégie qu'on a reçu préalablement. Cela concerne le premier axe où on parle d'identification et de recrutement. Je suis préoccupée plus particulièrement par la question des nouveaux immigrants et je cite :

Promouvoir de façon active l'école de langue française auprès des nouveaux immigrants.

Le gouvernement fédéral accorde une attention particulière aux recommandations formulées par la commissaire ainsi que la FCFA.

Pouvez-vous me rappeler l'essentiel des recommandations de la commissaire aux langues officielles ainsi que celles de la FCFA?

M. Charbonneau : Pour résumer la problématique, il y a tout un mécanisme d'immigration qui ne nous concerne pas vraiment mais qui ne tient véritablement pas compte — pas suffisamment — de la Francophonie hors Québec. Un immigrant n'est pas informé qu'on existe en dehors du Québec la plupart du temps. Dans notre cas spécifique, c'est qu'on ne fait pas d'offre active à ces gens. On n'a pas développé un mécanisme lorsque les gens arrivent dans la communauté. Pour être franc, on en discutait lors de mon passage à la Fédération canadienne des enseignants en fin de semaine dernière. On n'a pas formé notre personnel à accueillir et intégrer des immigrants dans les écoles. Cela se fait dans les grands centres comme à Ottawa et Toronto, un peu à Saint-Boniface et Vancouver, mais j'oserais dire qu'on n'a pas un esprit très ouvert par rapport à cette problématique. Par contradiction cela voudrait dire qu'on a l'esprit fermé, mais c'est surtout parce qu'on n'est pas habitué, on n'a pas de mécanisme d'intégration. C'est ce qu'il faudrait développer.

Le sénateur Murray : Madame Chevalier vous êtes membre d'un conseil scolaire, pouvez-vous nous dire où?

Mme Chevalier : Je suis conseillère scolaire pour le Conseil des écoles catholiques du centre est d'Ottawa.

Le sénateur Murray : Et vous, monsieur Charbonneau?

M. Charbonneau : Les conseils scolaires m'ont embauché pour parler en leur nom. Je suis un employé.

Le sénateur Murray : Je sais que les francophones ont droit à la gestion de leurs écoles grâce aux décisions des tribunaux, mais je dois avouer que j'ignore comment tout cela s'organise d'une province à l'autre. Y a-t-il une différence d'une province à l'autre? Il ne s'agit pas d'un conseil scolaire pour chaque école?

Mme Chevalier : Chaque province est distincte. En Ontario, vous avez 12 conseils scolaires francophones. Je ne pourrais pas vous donner le nombre d'écoles, mais c'est la province qui compte le plus grand nombre de francophones.

Le sénateur Murray : Douze conseils?

Mme Chevalier : Douze conseils scolaires.

Le sénateur Murray : Vous parliez de votre conseil scolaire qui est catholique?

Mme Chevalier : Oui. En Ontario, vous avez des conseils scolaires publics francophones et des conseils scolaires catholiques francophones. C'est la même chose en Alberta où il y a des conseils scolaires francophones publics et catholiques.

Le sénateur Murray : Les 12 conseils regroupent les publics et les catholiques?

Mme Chevalier : Il y a quatre systèmes publics et huit systèmes catholiques.

Le sénateur Murray : Et dans les autres provinces?

Mme Chevalier : Dans les autres provinces, le nombre est beaucoup plus petit sur le plan des effectifs. Il y a un système scolaire pour la francophonie au Manitoba, un à l'Île-du-Prince-Édouard et un en Nouvelle-Écosse. C'est différent au Nouveau-Brunswick car il y en a cinq. En Alberta, il y en a quatre et les autres provinces en ont un.

Le sénateur Murray : Tous les conseillers sont élus de façon démocratique?

Mme Chevalier : Absolument.

Le sénateur Murray : Quelle est la durée de leur mandat?

Mme Chevalier : C'est quatre ans dans certaines provinces et trois ans dans d'autres.

Le sénateur Murray : Ici en Ontario?

Mme Chevalier : C'est trois ans.

Le sénateur Murray : C'est votre premier ou votre deuxième mandat?

Mme Chevalier : Troisième.

Le sénateur Murray : Je lisais la version anglaise de votre présentation et quelque chose m'a frappé. Les représentants de la Commission nationale des parents francophones nous ont dit qu'ils visaient un système de services de santé communautaires, la création de centres de la petite enfance et de la famille rattachés à chacune des écoles primaires de langue française et une variété de services aux enfants tels que garde éducative, centres de ressources, prématernelle, groupe de jeu et dépistage précoce.

[Traduction]

Voilà qui est fort ambitieux. Il me semble que lorsqu'on dresse la liste des problèmes et des besoins, ceux-ci sont beaucoup plus primaires. Il y a des problèmes qui sont primaires, dont l'état de l'infrastructure, le nombre d'enseignants et ainsi de suite. Ces problèmes me semblent beaucoup plus fondamentaux que le programme plus ambitieux de certains autres organismes que nous avons entendus plus tôt. Est-ce que mon impression est la bonne?

[Français]

Mme Chevalier : Vous trouvez que nos besoins sont plus ambitieux et plus exigeants?

Le sénateur Murray : Non, que les autres témoins ont un plan plus ambitieux que le vôtre.

Mme Chevalier : Je n'ai malheureusement pas pu être présente pour les autres présentations, mais j'ai pu entendre la conclusion de la présentation de la CNPF. Tout se tient dans ces besoins. On tente également d'explorer en fonction du sommet qui aura lieu en juin. En francophonie, il est bien important de s'assurer que chacun fasse le travail qui lui revient. Le système scolaire ne peut pas faire tout ce travail seul. La Commission nationale des parents francophones a sa part de responsabilités, de même que tous les autres organismes énumérés dans notre mémoire. Tout le monde a un rôle à jouer sur le plan de l'éducation. On voudrait voir chaque partenaire prendre ses responsabilités en fonction de son créneau. Cela faciliterait la tâche aux conseils scolaires qui rencontreraient leurs engagements en fonction de la langue et de la culture, mais d'une façon communautaire.

Il faut aussi reconnaître que sur le plan de la francophonie en milieu minoritaire, les communautés sont très répandues. Le noyau de la communauté est l'école et c'est pourquoi on rattache tous les services au sein de l'école. C'est peut-être pour cette raison que vous trouvez les autres intervenants plus ambitieux, mais il y a quand même une convergence vers les systèmes scolaires.

M. Charbonneau : On a fait une erreur il y a quelques années lorsqu'on est allé devant les tribunaux et qu'on a gagné nos conseils scolaires. D'ailleurs, j'étais partie prenante puisque je suis le directeur général fondateur de la CNPF. On a demandé ce qu'on connaissait. Au fond, on demandait une école française comme les anglophones avaient une école anglaise. On a demandé un conseil scolaire français comme les anglophones avaient un conseil scolaire anglais. D'ailleurs, nos lois sont à peu près les mêmes que celles qui ont créées le conseil scolaire anglophone.

C'est à l'usage — parce qu'on ne savait pas ce que c'était — qu'on s'est rendu compte que lorsque la Cour suprême disait que nous avions une obligation de résultats, cela ne voulait pas dire qu'on avait besoin du même système scolaire que la majorité. On aurait pu le définir différemment. À la rigueur, en 1982, on aurait pu argumenter qu'une école française commence à un an ou deux ans — un peu comme Pierre Foucher vous l'a dit ce matin —, mais on ne l'a pas fait.

Dans plusieurs communautés où il y a des familles exogames — mes enfants viennent d'une famille exogame —, c'est tout un travail de conserver le français lorsqu'il n'y a pas de garderies ou de ressources pour les enfants avant leur entrée à l'école, surtout si la mère est anglophone. C'est très ambitieux ce que la CNPF veut faire, mais d'une certaine façon, c'est indispensable. Sans cela, la plupart des couples exogames dont la mère est anglophone ne réussissent pas à transmettre la langue. Ce n'est pas par mauvaise volonté, mais plutôt parce que les deux parents travaillent et qu'ils voient leurs enfants peut-être deux heures par jour.

Le sénateur Murray : Dans votre mémoire, vous dites que souvent, les infrastructures des écoles françaises sont désuètes ou inadéquates. La Commission nationale des parents francophones va plus loin, et je cite :

Tant que les élèves seront logés dans des édifices de deuxième classe, ceux que les anglophones ne veulent pas, l'école française ne fera pas fureur.

C'est une affirmation qui semble généralisée. Est-ce que cela décrit la situation des écoles francophones des neuf provinces en majorité anglophone? Est-ce juste de qualifier ainsi les écoles?

Mme Chevalier : Vous trouverez au moins un exemple comme celui-là dans chaque province. Certaines écoles sont beaucoup plus pitoyables que d'autres. On a des écoles adéquates dans des endroits où il y avait un besoin et où on a construit une nouvelle école. Cependant, lorsque les francophones héritaient d'une école du système anglophone, elle était désuète et dysfonctionnelle. De nos jours, on a encore des écoles sans gymnase et même des écoles où on questionne l'eau potable. Il existe de telles situations dans nos systèmes scolaires.

Le sénateur Murray : Pouvez-vous être plus précise? Est-ce que cela existe en Ontario?

Mme Chevalier : Absolument.

Le sénateur Murray : Est-ce que c'est répandu?

Mme Chevalier : Monsieur Charbonneau peut peut-être répondre à cette question. Je peux vous dire que chaque conseil scolaire fait des pressions auprès du gouvernement au niveau des fonds d'adéquation qui ont été mis en place pour répondre à ces besoins. Puisque l'argent n'est pas là, cela prend des années afin de rectifier toutes ces iniquités. Pendant ce temps, d'autres attendent.

Le sénateur Murray : Vous dites qu'en général, sur ce plan, ces écoles sont inférieures à celles des anglophones, en Ontario.

Mme Chevalier : Pas seulement en Ontario, à travers le Canada.

M. Charbonneau : C'est plus courant dans le nord de l'Ontario. Je vais vous donner l'exemple de la Saskatchewan. Le conseil scolaire là-bas veut avoir une école pour Moose Jaw. Ils sont dans un sous-sol, présentement. Le fédéral est censé collaborer au financement, et on espère que cela se réglera, mais cela fait cinq ans qu'ils sont dans un sous-sol.

À Saskatoon, il y avait une école portable héritée des anglophones, mais elle est pleine à craquer.

Je suis allé à Terre-Neuve, la semaine dernière. À Labrador City, ils ont une école où le vent passe à travers les fenêtres, à -40 oC. Vous me direz qu'ils n'ont pas beaucoup de jeunes, mais quand même!

À Saint-Jean, Terre-Neuve, jusqu'à l'an passé, il y avait un projet fédéral pour aider à construire un centre scolaire communautaire. Ils étaient dans le sous-sol d'une école anglophone qui était contaminée.

En Alberta, qui est la province la plus riche, le conseiller de Léo Piquette demande encore une école qu'ils n'ont pas. Même chose à Edmonton, il y a une autre école qui doit être changée. En Colombie-Britannique, il y en a deux ou trois. Quoi qu'il y a eu un certain élan. On a attendu assez longtemps qu'on en a eu quelques-unes. Oui, c'est courant.

Le sénateur Murray : Est-ce qu'il existe une étude ou un document quelque part qui résume la situation?

M. Charbonneau : Je pourrais vous faire la liste. Si elle n'est pas dans l'étude de Daniel Bourgeois, j'ai une recherche à ce sujet.

Le sénateur Chaput : Ce matin, M. Pierre Foucher nous a fait une présentation concernant l'article 23 qui disait que le but était socio-linguistique et que l'éducation est un moyen. L'objet général, c'est de viser à maintenir les deux langues officielles du Canada ainsi que les cultures qu'elles représentent.

Ensuite, on a entendu les présentations des autres groupes. Maintenant, vous êtes devant nous et vous avez développé un document, celui que j'ai mentionné tout à l'heure, qui parle d'une stratégie pour compléter le système d'éducation en français, langue première au Canada.

Il est intéressant de voir à l'intérieur de ce document ce que les autres groupes nous ont demandé ce matin ou nous ont recommandé; cela se retrouve.

C'est un document qui a été discuté avec l'ensemble, et dans ce document, vous arrivez avec une mise en œuvre de la stratégie, et là vous avez le niveau national et le niveau provincial.

Qu'est-ce qui a été fait depuis la production de ce document? Où en êtes-vous rendus? A-t-il été distribué à des gouvernements? Avez-vous fait des présentations? Quelles sont les prochaines étapes? Le document, d'après moi, est très bien.

Mme Chevalier : Merci beaucoup. Nous avons effectivement fait la distribution à tous les gens touchés de près ou de loin par l'éducation. Cela veut dire à tous les paliers, fédéral, provincial et territorial.

Nous avons aussi demandé les plans d'action de chaque organisme communautaire avec lesquels nous avions eu des consultations au début de l'étude pour pouvoir rallier leur plan d'action et en arriver à un plan d'intégration. Par la suite, nous travaillerons avec chaque intervenant au niveau communautaire et des conseils scolaires, pour commencer à entamer le travail afin que lorsque nous arriverons au sommet, que le plus gros du travail soit fait et que ce soit vraiment un engagement de toute la communauté. À ce moment, on s'attend à ce que le gouvernement puisse débloquer des fonds, parce que si on n'a pas les fonds, on ne peut pas continuer à avancer sur le plan du système d'éducation francophone.

M. Charbonneau : M. Landry disait tantôt qu'il faut du leadership et qu'il faut avoir un effet de synergie. C'est ce qu'on a cherché à faire. On a les groupes communautaires qui relèvent de l'éducation, on a les groupes institutionnels comme les enseignants, on aura les groupes politiques comme la FCFA.

Évidemment, on veut gagner les provinces. On les invite d'ailleurs à une rencontre sur cette question en mars. On invite tous les hauts fonctionnaires de chacune des provinces en éducation ainsi que ceux responsables des services en français. On a fait une présentation aussi au personnel de Patrimoine canadien. Le bureau de Mauril Bélanger est au courant du dossier. La plus grande difficulté que l'on rencontre présentement est de convaincre le gouvernement fédéral qu'il a un rôle à jouer en éducation.

Ce qu'ils nous répondent toujours, c'est que le dossier est de juridiction provinciale, qu'ils ne peuvent pas y toucher.

On leur répond que nos conseils scolaires sont particuliers; ils ne ressemblent pas aux autres. On est le seul palier de gouvernement qui a une raison d'être constitutionnelle avec les provinces et le gouvernement fédéral. On pourrait fermer tous les conseils scolaires anglophones du pays, en dehors du Québec, sauf les nôtres.

À preuve, au Nouveau-Brunswick, on avait fermé les conseils scolaires, et on est obligé de les recréer parce que les Acadiens avaient droit, en vertu de l'article 23, à un conseil scolaire.

On sait aussi que, par le Renvoi sur la sécession du Québec en Cour suprême, la cour a dit qu'il y avait cinq principes non écrits dont un concernant directement les minorités. L'interprétation qu'on en fait, c'est que le gouvernement fédéral doit s'investir en éducation, même s'il n'a pas le droit de changer les lois ou les règlements, ou de modifier les structures provinciales.

Présentement, on frappe presque un mur. C'est facile pour des fonctionnaires de nous dire que cela regarde les provinces. Si on était un conseil scolaire comme les autres, on n'irait pas voir les représentants gens du gouvernement fédéral. Il va falloir qu'il y ait une volonté politique de la part du gouvernement fédéral de s'investir directement dans ce dossier.

Ce sera l'étape la plus difficile à accomplir d'ici notre sommet de juin. Si le fédéral ne nous aide pas à mettre sur pied un secrétariat permanent, un mécanisme permanent, même s'il n'investit pas des tonnes en éducation — parce qu'il faut dire que, pour la minorité francophone, le gouvernement fédéral investit probablement cinq p. 100 de l'équivalent de nos budgets —, il nous manquera un gros joueur.

Je pense qu'on aura moins de difficultés à rallier une majorité de provinces, sans avoir toutes les provinces, qu'on en a présentement à convaincre Ottawa de s'impliquer aussi.

Le gouvernement fédéral a dépensé, en 2002-2003, environ 90 millions dans l'éducation en français langue première en milieu minoritaire, sur à peu près 1,5 milliard de dollars du budget pour les conseils scolaires francophones. Le budget fédéral pour les francophones hors Québec — sans compter l'immersion ni les anglophones au Québec — varie entre cinq et 6 p. 100 de l'équivalent de tous nos budgets.

Le sénateur Murray : Est-ce que ce sont les provinces qui financent...

M. Charbonneau : Les provinces nous financent la plupart du temps comme on finance les conseils scolaires anglophones — quoique, à mon avis, cela coûte plus cher — et versent à la trentaine de conseils que nous avons environ 1,5 milliard de dollars.

Le président : Faut-il alors croire les éditoriaux ou certaines manchettes qu'on a vues récemment à l'effet que les sommes dispensées par le gouvernement fédéral pour le bilinguisme produisent peu et que c'est du gaspillage?

M. Charbonneau : Non, ce n'est pas du gaspillage. Je pense que même si nous ne sommes pas toujours en mesure de savoir où l'argent va, nous avons su faire bon usage des montants que nous avons reçus.

Le président : Pour vous, c'est vraiment bien placé?

M. Charbonneau : Ce n'est pas beaucoup, mais c'est bien placé. Si on prend la mise en œuvre de la gestion scolaire, il y a eu des ententes avec chacune des provinces pour des fonds supplémentaires afin de partir les conseils scolaires. Ces fonds étaient bien placés. Si on prend l'exemple de tous les projets de centres scolaires et communautaires, le fédéral contribue dans tous ces projets, et c'est également bien placé.

En d'autres moments, par contre, par exemple lorsqu'on parle de ressources pédagogiques, on soupçonne que la plupart des subventions qui devraient aller au français langue première vont sans doute pour développer du matériel d'immersion qu'on nous refile par la suite. On n'est pas certain si les sommes ont été bien placées. Mais on a des exemples de succès.

Le président : L'immersion, ce n'est pas la même clientèle que vos élèves?

M. Charbonneau : Non. Mais la plupart du temps, ce sont les ministères qui gèrent le programme d'immersion et les ressources pédagogiques pour nous aussi. Sauf en Nouvelle-Écosse et en Colombie-Britannique, ce sont les ministères qui développent notre matériel pédagogique. Et je soupçonne qu'ils prennent une partie de nos budgets pour l'immersion. Mais je n'ai pas la preuve, parce qu'on n'a pas cette information officiellement.

Le président : J'ai quelques questions à vous poser. Je dois révéler que j'ai eu une conversation préalable avec M. Charbonneau et M. Gallant, qui est absent aujourd'hui. Il est bon, parfois, de rencontrer d'avance les témoins, afin d'aller plus à fond dans les dossiers. Mais je ne m'en cache pas, je déclare tout conflit possible qui pourrait surgir.

Le comité que je représente, avec le Sous-comité du programme et de la procédure et la greffière, a tenté de convoquer à cette étude le Conseil des ministres de l'éducation. Son porte-parole a dit non. Nous sommes revenus à la charge, ils ont dit non. Nous essayons d'obtenir la comparution de la ministre du Patrimoine canadien, qui est chargée de plusieurs de ces programmes, de la négociation de ces ententes et on nous dit encore, ces derniers jours, que c'était une question délicate. On n'est pas sûr qu'on voudrait comparaître devant notre comité pour parler de ces questions. Pour votre part, vous me dites que vous parlez à ces gens, vous parlez au Conseil des ministres, vous avez rencontré le président, qui est le ministre de l'Éducation du Québec.

M. Charbonneau : En fait non; nous avons rencontré l'appareil bureaucratique du Conseil des ministres en éducation, le directeur général, en décembre. Nous avons parlé au bureau de M. Reid, mais formellement, malheureusement, nous n'avons pas rencontré le conseil. Le conseil a pour tradition de ne pas avoir d'invités. Parfois il crée un comité pour entendre des groupes; nous allons à nouveau le solliciter à cette occasion. Jusqu'ici nous n'avons pas réussi à rencontrer le conseil dans son ensemble.

Mme Chevalier : Pour souligner cela, depuis le mois d'août nous demandons à rencontrer la ministre du Patrimoine canadien et nous nous voyons toujours renvoyés à d'autres gens que la ministre.

Le président : Est-ce qu'il y a une raison à cela?

Mme Chevalier : Elle est trop occupée. Je trouve cela très regrettable qu'on ne puisse pas rencontrer les porte-parole officiels des conseils scolaires au niveau national, surtout compte tenu de la responsabilité du gouvernement fédéral vis-à-vis de la minorité francophone.

Le président : Est-ce que vous l'avez dit à l'honorable Mauril Bélanger?

Mme Chevalier : Nous ne le lui avons pas réitéré cela, car nous venons d'essuyer ce dernier refus seulement cette semaine.

Le président : Personnellement, mes collègues pourront parler pour eux-mêmes, je suis scandalisé par cette attitude. On parle quand même de problèmes de défis, de négligence, on parle de récupération de notre monde, une situation qui durait depuis avant l'arrivée de la première Loi sur les langues officielles. Il y a eu la deuxième loi, la Charte a été mise en place et je suis vraiment choqué de constater la dose d'indifférence qui semble s'être infiltrée, à plusieurs niveaux, au sein de l'administration.

Il y a des obligations en vertu de la Charte, des obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles, et on fait traîner le monde. On est en retard dans la négociation de protocoles d'ententes. Non seulement on est en retard, mais bien souvent on ne veut pas autoriser les personnes les plus concernées à faire partie du débat.

Cela m'amène à la prochaine question. Considérez-vous que vous avez un droit, en vertu de la Charte et tout ce qui en découle — les décisions de la cour — de participer aux négociations fédéral-provincial en ce qui concerne l'éducation en milieu minoritaire francophone?

Mme Chevalier : Je vous dirais qu'on a un droit et que tout le système au complet en bénéficierait. Car à ce moment-là, l'énergie serait employée pour tendre en commun vers un but ultime, au lieu de continuer à manquer de transparence et d'imputabilité, comme on le mentionnait plus tôt. Finalement, c'est l'enfant qui est en milieu scolaire qui écope de toutes ces négligences, de ces frictions qui existent au sein des gouvernements. C'est vraiment très malheureux. L'enfant n'est pas conscient de ce qui lui manque. Il ne fait que subir ce manque. La réalité, c'est que l'enfant, quand il grandit et se rend compte que dans les écoles anglophones c'est plus beau et qu'il y en a plus, se dit que c'est peut-être là qu'il veut aller. En fin de compte, notre dualité linguistique, dans dix ans, où en sera-t-elle? C'est la grande préoccupation.

M. Charbonneau : D'ailleurs, toute la jurisprudence dit très bien et énonce clairement le fait que seul les francophones peuvent décider pour toutes les questions de langue et de culture relevant de l'éducation. La seule structure moderne qui existe, sauf au Nouveau-Brunswick où ils ont la dualité, ce sont les conseils scolaires francophones.

C'est un autre exemple du fait que, lorsque nous avons demandé nos lois scolaires, nous n'avons pas prévu cela. On a laissé toutes les fonctions de ressources pédagogiques et de curriculum dans les ministères. Au fond, on pourrait encore les laisser là, mais on devrait au moins avoir le droit de dire si on les veut ou non, si on est d'accord ou non. La Charte a bien dit que cela nécessitait une structure homogène. Ce n'est pas un bureau d'éducation française dans un ministère bilingue qui peut se permettre d'énoncer nos besoins à notre place.

Le président : Il est évident que le processus électoral peut causer des retards dans les négociations des ententes, mais je pense que le processus électoral en soi n'est pas une raison majeure. Pourquoi y a-t-il autant de retard dans la reconduite de ces ententes? Pouvez-vous nous l'expliquer? Ce n'est pas le Conseil des ministres qui va venir nous le dire et je ne sais pas si la ministre du Patrimoine canadien va nous le dire.

M. Charbonneau : Il y a eu le changement de ministres — il y en a eu trois en peu de temps. Les provinces entre elles ne s'entendent pas, car elles ne veulent pas avoir un plan, ce qu'on appelle le Plan Dion, séparé du protocole. Ils — les représentants des ministères de l'Éducation provinciaux — disent que nos budgets n'ont pas été indexés depuis des années et ils ont raison. Ils disent que les 209 millions de dollars du Plan Dion devraient servir à indexer les budgets du protocole.

Le gouvernement fédéral ne peut pas être favorable à cela parce que le plan d'action prévoit voir un cadre de reddition et une souplesse bilatérale que le protocole ne peut pas permettre.

L'autre élément est que, sur une base historique, les propositions budgétaires accordées à une province ou à une autre viennent d'une tradition des années 70 par laquelle on finançait un coût par personne. Dans les premiers protocoles, on finançait 125 $ de plus, pour un étudiant en français, en coûts supplémentaires. À ce moment, les provinces qui avaient déjà des écoles françaises se trouvaient avoir plus d'argent que les provinces qui n'en avaient pas. Les petites provinces disent qu'il faut briser cette base historique et qu'on a meilleur compte à suivre un plan d'action sur les langues officielles de façon bilatérale, pour pouvoir répondre à nos véritables besoins, plutôt que de se fier à l'histoire.

En parallèle, le gouvernement fédéral, c'est bien clair, ne veut pas imposer beaucoup de conditions. Leur devise est vraiment « don't rock the boat », ne pas faire de vagues. Ils veulent négocier au plus simple, avec le moins de monde possible dans le décor. Présentement, depuis trois mois — du moins jusqu'à la semaine dernière — ce sont les provinces entre elles qui ne s'entendaient pas.

Il y a eu une gaffe dans tout cela. Mme Sherrer, lorsqu'elle était ministre de Patrimoine canadien, je pense que c'était un jour ou deux avant les élections, a signé une lettre accordant aux provinces l'intégration au protocole du Plan Dion. Je dois vous dire franchement que je pense qu'elle n'a pas eu le temps de lire la lettre, mais il y a un engagement de la part de Patrimoine canadien de faire comme cela. Je pense que Mme Frulla essaie de défaire cela, mais elle doit avoir de la difficulté parce que les écrits restent.

Quand nous avons appris qu'un tel engagement était pris, qui allait complètement à l'encontre de tout ce qui avait été demandé, nous avons manifesté notre objection, de même que tous les groupes. Je pense que certaines difficultés sont liées également à cela.

Mme Chevalier : Nous n'avions effectivement pas été consultés sur ce point non plus avant que cette lettre ne paraisse. Cela a été vraiment fait à notre insu.

Le président : Donc je vous pose la question : considérez-vous que, en vertu de la Charte des droit et libertés, vous avez un droit inaliénable de faire partie de la négociation entre le fédéral et les provinces?

M. Charbonneau : À moins que chacune des provinces nous donne un ministère autonome de l'éducation en français, oui.

Le président : Est-ce que vous avez d'autres questions?

Le sénateur Comeau : Une question seulement. Quand nous étions dans l'Ouest l'année dernière, nous avons eu à comprendre que la Saskatchewan était un cas tout à fait particulier et avait des difficultés particulières sur la question de l'accès à des informations du gouvernement provincial. Est-ce toujours un des cas particulièrement difficile ou est-ce que je me trompe?

M. Charbonneau : Vous demandez à savoir si c'est difficile partout?

Le sénateur Comeau : Le cas de la Saskatchewan était un cas particulièrement difficile.

M. Charbonneau : Il y a aussi le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve, l'Île-du-Prince-Édouard pour l'entente du protocole de l'Ontario et non pas pour l'entente du Plan Dion. Il n'y a pas de problèmes au Manitoba, mais il y en a un peu en Saskatchewan, en Colombie-Britannique et en Alberta.

Quant au Nouveau-Brunswick, l'entente est négociée par le ministère des Affaires intergouvernementales pour l'éducation. La consultation sur le plan d'action dure à peu près 35 minutes par année.

Le sénateur Comeau : C'est incroyable.

Le sénateur Léger : Vous avez vraiment répondu à toutes mes questions. Vous avez dit que le protocole ne permettait pas la transparence et vous avez donné un exemple concret.

M. Charbonneau : Tout ce que je peux dire, c'est que cela ne va pas bien.

Le sénateur Léger : Venant du Nouveau-Brunswick, vous ouvrez une porte. Vous dites que cela ne fonctionne pas?

M. Charbonneau : On a de bonnes écoles, mais cela pourrait être mieux. Dans le contexte des relations fédéral-provincial, il est bien évident que c'est tellement caché qu'on croit que cela ne fonctionne pas. Je pense vraiment qu'on devrait faire partie des négociations.

Le sénateur Léger : Vous n'êtes pas au Nouveau-Brunswick, c'est ce que vous voulez dire?

M. Charbonneau : Ce que je veux dire, c'est que lorsqu'il y a des négociations entre les gouvernements fédéral et provinciaux, nous ne sommes pas présents et on ne sait pas ce qui se passe.

J'aimerais vous citer le libellé actuel du Protocole de 2002-2003.

Le président : Allez-y, je vous en prie.

M. Charbonneau : On dit ce qui suit :

Chaque gouvernement provincial/territorial accepte également, lorsque cela est jugé nécessaire, de consulter les associations et les groupes intéressés quant aux programmes d'éducation mis en place en vertu de ce Protocole. Ces consultations auront lieu, dans la mesure du possible, annuellement, et les gouvernements fédéral et provinciaux pourront s'entendre pour les tenir conjointement.

Il est mentionné : « Lorsque cela est jugé nécessaire ».

Le sénateur Léger : On dit aussi : « ... pourront s'entendre... »

Mme Chevalier : « ... dans la mesure du possible ».

M. Charbonneau : Cela ressemble à « où le nombre le justifie ».

Le président : Et en anglais, c'est la différence entre « may » et « shall ».

Puisqu'il n'y a pas d'autres intervenants, nous allons clore cette partie de notre séance. Je tiens à vous remercier bien sincèrement, madame Chevalier et monsieur Charbonneau, pour votre présentation et votre franchise. Vous avez nos meilleurs vœux pour l'avenir.

Nous allons ajourner cette partie de la séance, mais nous allons immédiatement à huis clos pour la considération d'un rapport d'étape. Je demanderais à tous ceux qui ne sont pas sénateur et à notre personnel de quitter la salle. Nous avons cependant besoin des services d'interprétation.

La séance est levée.


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