Délibérations du comité permanent du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement
Fascicule 3 - Témoignages du 1er juin 2005
OTTAWA, le mercredi 1er juin 2005
Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd'hui à 12 h 13 pour examiner l'utilisation de langues autres que le français et l'anglais pour les travaux parlementaires.
Le sénateur David P. Smith (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, la réunion d'aujourd'hui porte principalement sur l'utilisation de la langue inuktitut au Parlement. Nous allons y revenir dans un instant, mais nous allons d'abord régler quelques détails administratifs.
Hier, le sénateur Di Nino était absent, mais certains de ses collègues étaient présents, lorsqu'il a été question de savoir si le comité devait concentrer ses travaux sur l'admissibilité des présidents des comités à siéger à la Régie interne, ce qui est le cas actuellement. Certains sénateurs ont soulevé la question. Nous avons convenu de la soumettre à nos caucus respectifs. Au sein de notre caucus, personne n'a semblé très pressé d'aborder la question et d'adopter un règlement, pour l'instant. Je sais que la Régie interne compte un comité directeur pour l'établissement des budgets où les membres autres que le président ou la présidente ne sont pas présidents de comités. Tout le monde semble être assez satisfait du statu quo et ne désire pas ouvrir la question. Sénateur Di Nino, êtes-vous en mesure de nous dire où vous en êtes dans votre caucus?
Le sénateur Di Nino : Je ne suis pas certain que notre caucus a été aussi clair sur la question que ce que vous venez de dire, mais il n'y a certainement pas de consensus dans un sens ou dans l'autre. D'un côté comme de l'autre, plusieurs ont donné leur opinion indiquant qu'il n'y a pas de consensus clair qui se dégage.
Le président : Nous pouvons donc laisser la question de côté pour l'instant. S'il vient à se dégager un consensus clair, vous pourriez en faire rapport au comité.
Le sénateur Di Nino : D'accord.
Le président : Pour l'instant, nous allons laisser la question de côté, si les membres du comité sont d'accord.
Le sénateur Di Nino : D'accord.
Le président : Ensuite, nous sommes saisis de la question qui nous a été renvoyée dans la motion du sénateur Bank, c'est-à-dire l'examen article par article que vous connaissez. On m'a avisé que les greffiers au Bureau, en l'occurrence Mme Heather Lank et M. Gary O'Brien, seront à notre disposition pour la discussion. Je suis sûr que nous allons faire de la recherche. Selon les progrès que nous réaliserons aujourd'hui sur la question dont nous sommes saisis, je propose que l'étude article par article soit le principal point à l'ordre du jour de notre réunion de mardi prochain. Est-ce que les membres sont d'accord? Nous accueillerons Mme Lank et M. O'Brien mardi au moment où la principale question à l'étude sera la motion soumise à notre comité par le sénateur Banks.
Nous allons maintenant passer à la question du jour. Je sais que certains sénateurs présents ne sont pas membres de notre comité et qu'à un moment donné, les sénateurs Corbin, Watt et Adams pourraient souhaiter intervenir. Nous allons d'abord consacrer cinq minutes à l'examen de la note d'information envoyée par les attachés de recherche de la Bibliothèque, c'est-à-dire le document rédigé sur du papier vert que vous avez devant vous. Si vous n'avez pas eu la chance de l'examiner, veuillez le faire maintenant.
Le sénateur Corbin : Je l'ai lu.
Le président : Je suis sûr que c'est le cas, sénateur Corbin, tout comme moi.
Le sénateur Corbin : Je suis prêt à intervenir.
Le président : Je vais demander à M. Robertson de présenter son mémoire, après quoi nous inscrirons votre nom en tête de liste, sénateur Corbin, pour les observations et les questions.
M. James Robertson, attaché de recherche, Bibliothèque du Parlement : Brièvement, en ce qui concerne la motion déposée par le sénateur Corbin et qui a été renvoyée à votre comité, quelques observations ont été faites au Sénat et à la réunion du comité le mercredi 18 mai, sur la constitutionnalité du changement proposé. La présente note d'information a été rédigée pour donner suite à ces observations. On y fait état de l'article 133 de la Loi constitutionnelle qui permet l'utilisation du français ou de l'anglais dans les deux chambres du Parlement du Canada. On y fait également référence aux dispositions pertinentes de la Charte canadienne des droits et libertés, plus particulièrement aux articles 16 et 17. Le paragraphe 17(1) dispose ceci :
Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et travaux du Parlement.
On passe ensuite à l'article 18 qui dispose que les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux du Parlement sont imprimés et publiés en français et en anglais. On fait également référence à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui porte sur les Autochtones et les droits ancestraux.
La jurisprudence est résumée brièvement. Les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la Charte des droits et libertés ont été utilisées à maintes reprises devant les tribunaux, mais en général, c'était sur d'autres aspects de la langue, notamment le pouvoir constitutionnel relatif à la langue, la langue des lois, des tribunaux et ainsi de suite. À notre connaissance, aucune cause ne porte spécifiquement sur l'utilisation du français, de l'anglais ou d'autres langues dans le cadre des travaux parlementaires.
D'autres compétences, dont le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut, prévoient spécifiquement l'utilisation de diverses langues autochtones. Ces langues peuvent être utilisées et le sont en fait largement dans ces assemblées législatives. Du même souffle, les articles 133 et 17 ne s'appliquent pas spécifiquement aux trois territoires.
Il est fait référence à la pratique de la Chambre des communes, qui consiste à permettre aux députés de l'autre endroit de s'adresser à la Chambre en une langue autre que l'anglais ou le français. Cela ne s'est fait que de façon aléatoire jusqu'à maintenant. Lorsqu'une objection a été soulevée en 1995, le Président a répondu qu'il n'existait aucune règle empêchant un député d'utiliser une langue autre que le français ou l'anglais.
Il y a eu discussion générale sur les enjeux en cause. Règle générale, il semble que les motifs invoqués pour l'utilisation de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et, en fait, de la Charte canadienne des droits et libertés, permettaient de le faire. Ces motifs remontent à il y a longtemps, mais l'objectif semble avoir été de s'assurer et de garantir que tout député pouvait s'adresser à la Chambre en français ou en anglais. Cela n'exclut pas ou n'empêche pas spécifiquement l'utilisation d'autres langues ailleurs que dans les rapports officiels de la Chambre.
L'article 18 de la Loi constitutionnelle, cité en page 8 de la note d'information en anglais, indique que les privilèges du Sénat et de la Chambre des communes incluent le droit de réglementer leurs propres affaires, et que ces règlements ne peuvent être contestés dans aucun autre forum. Par conséquent, cela semble permettre aux deux chambres de déterminer quelles langues autres que le français ou l'anglais peuvent être utilisées, dans la mesure où rien dans la Constitution ne l'interdit de façon spécifique.
La dernière section porte brièvement sur l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui renforce les droits des Autochtones et les droits ancestraux. On doit également noter que l'article 22 de la Charte dispose que les articles 16 à 20, qui portent sur le français et l'anglais, n'ont pas pour effet de porter atteinte aux droits, privilèges ou obligations qui existent ou sont maintenus aux termes d'une autre disposition de la Constitution du Canada. Par conséquent, s'il existe actuellement un droit en vertu de l'article 35, rien dans les autres dispositions de la Charte portant sur la langue ne prive quiconque de ces droits, mais nous n'avons pas consacré beaucoup de temps à cet aspect particulier du problème.
Le président : Y a-t-il des questions au sujet de la note d'information?
Le sénateur Watt : En ce qui concerne les arguments constitutionnels de la Charte des droits et libertés par rapport à l'article 35 de la Constitution qui a été négociée en 1982, si je me souviens bien, l'article 35 a été négocié en sachant fort bien qu'il y aurait, à l'occasion, conflit entre les droits envisagés en vertu de l'article 35 et ceux qui sont prévus dans la Charte des droits et libertés. Pour cette raison, cela n'a pas été inscrit dans la Charte des droits et libertés et a été placé délibérément dans une autre colonne de sorte que ces droits ne s'annulent pas mutuellement.
Sommes-nous en train de mélanger des pommes et des oranges lorsque nous soutenons que cela n'a pas de répercussions sur la Charte des droits et libertés? Je pense que nous devrions le préciser de façon absolument claire. Qu'est-ce que nous étudions ici?
M. Robertson : De toute évidence, l'article 35 ne fait pas partie de la Charte des droits et libertés. La partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, c'est la Charte. La partie II commence avec l'article 35, donc ça ne faisait pas partie de la Charte.
Le sénateur Watt : L'article 35, c'est-à-dire la clause non dérogatoire, a été inclus pour servir de bouclier contre la Charte des droits et libertés.
M. Robertson : Je n'ai aucun doute que certains sénateurs ici présents en connaissent davantage que moi sur la question. Je crois que, si vous avez deux droits, qu'ils relèvent de la Constitution ou de la Constitution de 1867, et qu'ils sont couverts ou non par la Charte, il y a coexistence des deux et l'un ne peut annuler l'autre.
Le sénateur Watt : C'est essentiellement ce que j'essaie d'expliquer.
M. Robertson : Dans bien des cas, les tribunaux ont dû décider comment un droit pouvait coexister avec un autre et faire en sorte que les gens profitent de toutes les protections garanties par les deux.
Le sénateur Watt : C'est ce que je pense.
Le sénateur Corbin : Peut-être pourrais-je proposer qu'en tant que parrain de la motion, je fasse certains commentaires avant que nous entrions dans les détails.
Le président : Oui, allez-y, sénateur Corbin.
Le sénateur Corbin : Je ne veux pas manquer de politesse. Vous entrez dans le vif du sujet. Si vous me donnez l'occasion de faire mes observations, je vais ensuite vous laisser travailler.
Le président : Nous ne vous demandons pas de partir. Vous pouvez rester ou partir, comme bon vous semble.
Le sénateur Corbin : Le processus habituel est que...
Le président : Sénateur Corbin, vous avez la parole.
Le sénateur Corbin : Si vous invitez un ministre à défendre un projet de loi, vous lui donnez l'occasion de le faire. Merci.
Je ne crois pas qu'il y ait ici de problème d'ordre constitutionnel. Il y en aurait si l'on tentait de priver les gens d'un droit prévu dans la Constitution. La Constitution est un document évolutif. À ce que je sache, elle ne souffre pas d'arthrite. C'est un instrument évolutif sur lequel on peut bâtir, et que nous pouvons améliorer.
L'objectif de mon initiative est de reconnaître une pratique ou une tradition qui existait avant l'arrivée dans ce pays des deux peuples fondateurs. L'inuktitut et de nombreuses langues autochtones, y compris celles qui sont perdues pour toujours, étaient parlées au Canada avant que, comme on dit, « nous » arrivions. Mon objectif est de combler ce que je considère être une lacune importante dans la Constitution en ce qui concerne le français ou l'anglais.
Il y a 20 ans, lorsque je siégeais au Sénat depuis seulement environ un an, j'ai pressenti certains membres de la direction du Sénat pour faire ce que je tente de faire aujourd'hui, et j'ai essuyé un refus catégorique. Le pays venait tout juste de terminer de longues négociations sur le bilinguisme et le biculturalisme. Le Parlement venait d'adopter la première Loi sur les langues officielles et on en appliquait les dispositions. Personne ne voulait entendre parler d'une initiative comme celle dont nous sommes saisis aujourd'hui.
C'est pour vous montrer à quel point le monde évolue. Les mentalités changent effectivement. Je suis très flatté de voir que le comité me donne la possibilité d'intervenir au sujet de cette motion si tôt au début de son calendrier chargé. Je vous en remercie.
J'ai essayé de briser la glace. Je n'ai pas la solution, je n'ai pas tous les arguments, mais je veux briser la glace au sujet de cette question et je voudrais que la discussion se tienne selon les mérites des arguments. Le principal argument est que l'inuktitut était une langue qui existait avant tout ce que nous avons fait depuis que nous occupons le territoire de ce pays.
Avant d'arriver, aujourd'hui, je me suis entretenu avec Andy Scott que la plupart d'entre vous ont vu à la télévision hier soir en train de signer une lettre d'intention avec le gouvernement du Canada. Je lui ai demandé dans quelles langues les ententes ont été rédigées. Il m'a répondu que la plupart d'entre elles étaient en français et en anglais, mais qu'il y en avait une en français, en anglais et en inuktitut. Voilà qui est important en ce qui concerne l'attitude du gouvernement du pays envers les langues autochtones. Je suis sûr que d'autres ententes ou lettres d'intention, ou peu importe comment on appelle ces documents, seront rédigées dans d'autres langues autochtones tout autant qu'en inuktitut.
Pourquoi l'inuktitut? Comme je l'ai dit, j'aurais pu continuer et proposer l'utilisation d'autres langues autochtones. Je dis cela sans préjudice quelconque pour toute autre langue non autochtone ou non officielle. Ce n'est pas mon propos et je ne nie pas mon intérêt pour cette question. Le Sénat du Canada a le mandat particulier d'intervenir au nom des minorités, de protéger leurs droits et de faire valoir les préoccupations des régions. Je dis que nous devons relever ce défi tête première afin de répondre aux besoins de nos collègues dont la langue maternelle n'est ni le français ni l'anglais. Je suis certain que les sénateurs Adams et Watt manifesteront avec éloquence la passion que cette question soulève chez eux.
J'ai eu un peu de temps pour lire le document, monsieur le président, ce qui m'a empêché de participer à une bonne partie de mon caucus ce matin. Or, je ne rends pas justice à ce document. Il me semble que, tout compte fait, rien n'empêche l'adoption d'une telle initiative. Il s'agit de trouver des moyens de répondre aux désirs actuels de deux sénateurs qui se sentiraient beaucoup plus à l'aise et seraient probablement plus expressifs si on leur permettait de parler dans leur langue maternelle. Je ne pense pas que l'on puisse les empêcher de parler l'inuktitut dans le cadre des délibérations du Sénat ou de ses comités, s'ils le désirent.
Le problème, c'est l'impression des témoignages et des débats. Cependant, si l'on décide d'adopter cette voie, il nous incombe — et c'est là l'élément clé de la question — de veiller à ce que l'institution fournisse l'interprétation de leurs discours de sorte qu'ils puissent parler avec leur cœur et leur âme des questions qui les animent fortement.
Je me suis rendu compte à maintes reprises qu'ils ne nous expliquent pas leurs points de vue de façon à nous en faciliter la compréhension à cause de ce handicap, à savoir qu'ils sont forcés de parler une langue qui n'est pas leur langue maternelle. Je vais m'en tenir à cela pour l'instant.
Je vous laisse le soin de régler les questions constitutionnelles. Les détails de la mise en œuvre d'une telle proposition peuvent être facilement réglés. Après tout, nous offrons l'interprétation aux dignitaires en visite lorsqu'ils s'adressent aux deux chambres du Parlement. Je pourrais vous dresser une longue liste de cas où l'institution, que ce soit la Chambre des communes, le Sénat ou les deux, a offert des services d'interprétation à ces gens. Je vous laisse sur ces réflexions. Je crois que les sénateurs Watt et Adams pourront donner plus de détails. Je mets toute ma confiance en votre sens de l'équité et en votre bon jugement.
Le président : Quelqu'un veut-il poser des questions au sénateur Corbin?
Le sénateur Di Nino : Dans votre motion, vous ne proposez qu'une langue, l'inuktitut; est-ce exact?
Le sénateur Corbin : Pour l'instant, oui.
Le sénateur Di Nino : Vous comprenez et vous êtes effectivement d'accord avec moi — et je ne parle pas ici des avantages pour l'instant — que nous allons devoir inclure d'autres langues autochtones peu de temps après. Seriez- vous d'accord pour dire que c'est là une question que nous allons examiner dans quelques mois?
Le sénateur Corbin : Ce qui me préoccupe ici, ce sont seulement les langues autochtones.
Le sénateur Di Nino : Nous parlons des langues autochtones. Je suis d'accord avec vous. Votre argument à ce sujet est solide.
Le sénateur Corbin : Pourriez-vous répéter votre question?
Le sénateur Di Nino : Je crois que pour l'instant vous recommandez que nous recourions aux services d'interprétation pour la langue inuktitut.
Le sénateur Corbin : C'est exact.
Le sénateur Di Nino : Et pas d'autres langues, même si aujourd'hui, elles peuvent être représentées au Sénat. Il y a d'autres Autochtones qui parlent une autre langue que l'inuktitut.
Le sénateur Corbin : Oui, il y en a. Le sénateur Sibbeston parle le déné.
Le sénateur Di Nino : C'est ma question pour l'instant.
Le président : Vouliez-vous poser une question, sénateur Stratton?
Le sénateur Stratton : J'aimerais obtenir quelques éclaircissements. S'il est établi que nous permettrons l'interprétation des langues autochtones — et je ne suis pas contre l'idée — et que, par exemple, une personne est nommée au Sénat qui provient d'un autre pays et parle la langue de ce pays, c'est-à-dire sa langue première, est-ce que nous établissons ici un précédent avec ces personnes qui viennent au Sénat et dont la langue maternelle est une autre langue qu'une langue autochtone, que le français ou l'anglais? Non seulement j'aimerais que le sénateur Corbin réponde à cette question, mais que nous examinions également cette situation.
Le sénateur Corbin : En mettant cette question sur la table, je tiens pour acquis que notre politique d'immigration dispose que lorsqu'une personne arrive au Canada, elle doit apprendre l'une ou l'autre des langues officielles, soit le français ou l'anglais. Je reconnais que le problème soulevé existe effectivement. Cependant, je ne veux pas m'y attaquer. C'est une autre question, totalement étrangère à l'objectif premier de la motion. Nous parlons actuellement ici de langues autochtones. Il faut briser la glace. Il faut avoir une période d'essai avec l'inuktitut, après quoi on tablera là-dessus pour l'avenir. C'est ce que je dis.
Le sénateur Stratton : Je ne suis pas en désaccord. Je me demande simplement si on n'est pas en train de créer un précédent.
Lorsque vous parlez des travaux parlementaires, par exemple, si quelqu'un parle déné ou inuktitut, il pourrait le faire dans tous les comités; dans tous les travaux du Sénat, on offrirait l'interprétation à ces personnes qui parlent dans ces langues, peu importe que l'on se rencontre à l'extérieur du Sénat. Par exemple, si un comité devait voyager dans le pays, accepteriez-vous que cela fasse partie des travaux parlementaires et que les mêmes services d'interprétation devraient être offerts?
Le sénateur Corbin : Je crois que la question est posée. J'aurais dû préciser que, comme première expérience, j'aimerais que cette initiative s'applique d'abord et avant tout aux discours prononcés à la Chambre des communes. Je m'arrête là.
Le président : Votre motion ne fait référence qu'au Sénat.
Le sénateur Corbin : Excusez-moi, elle s'applique au Sénat. Nous pourrions partir de là, en ce sens que cela pourrait s'appliquer aux comités ou peu importe. Je n'ai jamais assisté, à mon grand regret, à aucune réunion du Comité sur les Autochtones, mais je crois qu'il est prévu qu'il y a interprétation pour les personnes qui ne parlent ni le français ni l'anglais. Ça existe déjà.
Le sénateur Stratton : Je ne conteste ni n'approuve cette motion, je parle simplement de la façon dont nous pourrions encadrer tout cela. Comprenons-nous pleinement ce dans quoi nous nous embarquons ici, non seulement en créant un précédent en ce qui concerne d'autres langues, mais quant à savoir jusqu'où cela peut aller? Nous avons besoin de réponses à ces deux questions avant d'examiner le sujet plus en détail.
Le président : Entendons d'abord les questions qui sont posées au sénateur Corbin avant de revenir à la liste des personnes qui veulent en poser sur le document d'orientation et les aspects constitutionnels. Je sais que vous êtes sur cette liste, sénateur Adams.
Le sénateur Adams : J'aimerais intervenir au sujet des questions que le sénateur Corbin et le sénateur Stratton ont posées au sujet de ma langue. Je peux répondre à certaines d'entre elles.
Au Nunavut et dans les territoires, tout est prévu pour l'utilisation de l'inuktitut. À la réunion du Cabinet hier avec le premier ministre, nous avions trois langues, le français, l'anglais et l'inuktitut. Je n'ai pas de problèmes avec cela. Je veux simplement que l'on commence à utiliser la langue inuktitut. Qujannamiik. Merci, monsieur le président.
Hier, le sénateur Watt et moi avons demandé aux interprètes ce qu'ils pensaient de l'utilisation de la langue inuktitut sur le parquet du Sénat. Je vous signale, monsieur le président, que je parle un peu français. Si un sénateur parlait français au Sénat, je pourrais traduire ses observations en inuktitut. Je pourrais le faire sans difficulté. Toutes les organisations au Nunavut offrent des services d'interprétation. Lorsque les visiteurs viennent d'Ottawa, ils ont droit aux services d'interprétation.
En 1960, les Affaires indiennes ont commencé à envoyer des administrateurs dans les communautés du Nunavut et des territoires. Tous ces administrateurs régionaux ont dû apprendre l'inuktitut. Maintenant que les gens de l'endroit sont élus au gouvernement territorial, cela ne se produit plus. On peut enseigner aux gens du Sud comment vivre sur la terre, comment aller chasser. Ces connaissances ne sont plus transmises aux gens du Sud parce que tout a changé.
Nous sommes en train de perdre notre langue. Les enfants dans les écoles aujourd'hui ne parlent pas l'inuktitut. L'inuktitut, la langue maternelle, n'est transmise qu'à la maison, pas dans les écoles. C'est la règle au Canada.
J'aimerais parler ma langue maternelle. Sept langues différentes étaient parlées à l'Assemblée législative de Yellowknife avant la création du territoire du Nunavut, et les sept langues étaient traduites à Yellowknife.
Il est temps de commencer maintenant. Nous avons un commissaire aux langues pour l'inuktitut. Je lui ai parlé à Rankin Inlet la semaine dernière. Il pense que c'est extraordinaire que le Sénat tente de faire quelque chose pour nous. L'espoir est que d'autres langues autochtones seront utilisées à l'avenir. Le sénateur Watt voudrait peut-être ajouter quelque chose.
Le président : J'ai encore trois sénateurs sur la liste des gens qui veulent poser des questions au sénateur Corbin.
Le sénateur Dyck : Sénateur Corbin, vous avez parlé d'inclure de nombreuses autres langues autochtones, de tenter une expérience et d'accepter les langues maternelles. Comme je suis de la Saskatchewan, je sais que la plupart des peuples des Premières nations chez nous parlent l'un des dialectes cris. Je vois la mesure du sénateur Corbin comme un début, comme vous l'avez dit, dans le but d'inclure d'autres langues autochtones. Pour moi, la question touche probablement davantage le principe que l'objectif qui est de répondre aux besoins des sénateurs actuels.
J'avais l'intention d'utiliser des mots de cri dans certains de mes discours. Même si je ne parle pas le cri, j'en apprends actuellement des petits bouts et je veux le parler plus couramment. Je vois ceci comme un début et non comme une fin.
Le président : Souhaitez-vous répondre à cela, sénateur Corbin?
Le sénateur Corbin : Je crois que cette déclaration est on ne peut plus éloquente.
Le sénateur Jaffer : Sénateur Corbin, d'après ce que je comprends, le problème n'est pas l'utilisation d'une langue maternelle, c'est plutôt l'histoire de notre pays que cela concerne.
Le sénateur Corbin : C'est exact.
Le sénateur Jaffer : Compte tenu de notre histoire, il est proposé que nous utilisions les langues des peuples des Premières nations, plus le français et l'anglais. Ainsi, nous pourrions encadrer la question. Êtes-vous d'accord?
Le sénateur Corbin : Je ne sais pas si dans les traités, peu importe comment on appelle ces ententes, ces documents ou ces lettres d'intention, il y a un groupe autochtone qui a abandonné sa langue maternelle. Je n'en sais rien. Si j'ai tort, corrigez-moi. Alors, on respecte l'article 35 de la Constitution. Il y a des conséquences à tout cela, mais je suis loin d'être un expert en la matière.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Je voudrais tout simplement que le sénateur Corbin m'assure que l'adoption de ce changement au Règlement ne ferait pas en sorte que les sénateurs qui parlent une autre langue que l'anglais et le français, une langue autochtone, pourraient s'exprimer de la même façon, comme le sénateur Adams l'a fait à quelques reprises, avec le consentement des sénateurs, n'est-ce pas? Je ne voudrais pas, en raison de ce règlement, que les autres soient exclus. Je ne crois pas que c'est l'objet de votre proposition.
Le sénateur Corbin : Non, mais je pense que dans toute initiative, il faut commencer quelque part. Je ne suggère pas une extension automatique pour rendre service à quiconque veut parler une autre langue. Si un sénateur, dans le cadre de son discours, veut dire quelques mots en italien ou en ukrainien, par exemple, parce qu'il y a des invités dans la galerie, nous ne nous objectons pas à cette façon de faire. Le Sénat est très ouvert à ces perspectives sur le monde, à ces cultures et à ces autres langues. Cela touche au plus profond de notre raison d'être comme Chambre seconde qui s'occupe des droits des minorités et des régions. Je n'ai pas à en dire davantage.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Je félicite le sénateur Corbin de l'initiative qu'il a prise. Je crois qu'il soulève un élément important de la définition du Canada. Je tiens également à remercier M. Robinson de l'aperçu qu'il nous a donné des droits linguistiques énoncés dans la l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et la Charte.
Cependant, je tiens à faire remarquer qu'il existait des droits linguistiques avant l'adoption de ces deux documents. Le premier est le premier traité qui a été signé entre 49 tribus autochtones et le gouvernement français, représenté par le gouverneur, en 1701 à Montréal. J'ai examiné les traités pour voir quelle langue a été utilisée la première fois qu'il y a eu rencontre, si vous voulez, dans le but de régler les questions de gouvernance. Il est clair d'après les traités qu'il y avait interprétation et que cette interprétation était fournie par les Français, pas par les Autochtones.
Lorsque les peuples autochtones signaient des traités, ils ne les signaient pas dans la langue française, en fait il les signait à l'aide de pictogrammes ou d'hiéroglyphes représentant chaque tribu comme un renard, un aigle, un oiseau et ainsi de suite. Il y a 49 de ces pictogrammes, et les Français, sous chacun des pictogrammes, identifiaient la tribu que le pictogramme représentait.
Lorsque les Britanniques ont pris le contrôle en vertu de la Proclamation royale de 1763, ils ont reconnu le droit des peuples autochtones de préserver leurs terres et, dans leurs rapports avec eux, s'adressaient dans leur propre langue. Lorsqu'ils signaient des traités avec les peuples autochtones, ils ne les forçaient pas à parler l'anglais, ils s'adaptaient aux langues des peuples autochtones.
En fait, l'an dernier, la Cour suprême, dans sa décision prédominante concernant les peuples autochtones du Canada, dans l'arrêt Nation Haida c. Colombie-Britannique, 2004, a dit ceci à la page 25 :
En bref, les Autochtones du Canada étaient déjà ici à l'arrivée des Européens; ils n'ont jamais été conquis.
Autrement dit, on ne peut imposer quelque chose à ces gens qui ne les définisse pas, et une chose qui les définit, c'est leur langue.
La situation est totalement différente avec les Français. Les Français ont été conquis. La Proclamation royale reconnaissait les peuples qui avaient été conquis. On y indique clairement que les Français ont été conquis et qu'ils devaient donc parler anglais. Cependant, en 1774, l'Acte de Québec a été adopté, 10 ans après la Proclamation royale. Toutefois, en ce qui a trait à la politique, en même temps, Westminster a décidé de restaurer le droit de la population française à parler français. Je suis Canadien-Français. C'est de là que découlent mes droits. L'Acte de 1774 fait partie de la Constitution canadienne, comme il est précisé à l'annexe de ce document, tout comme la Proclamation royale de 1763.
Or, comment résoudre ce problème? Pour moi, ce n'est pas un problème, mais un atout. Si le Parlement du Canada, et plus particulièrement le Sénat, adopte une mesure permettant aux peuples autochtones d'utiliser leur langue, il permet à ces peuples d'être eux-mêmes, de faire la preuve de leur véritable identité en tant que composante du Canada et élément respecté de notre pays.
En réponse au sénateur Stratton, il y a une distinction à faire entre quelqu'un qui est de descendance autochtone et quelqu'un qui provient d'une autre région du monde. Comme quelqu'un l'a dit ici, si vous êtes immigrant, les gouvernements, fédéral et provinciaux, vont vous donner la possibilité d'apprendre l'une des langues officielles de sorte que vous puissiez vous intégrer. Vous êtes capable de vous intégrer, de parler, de participer au développement du Canada. Cependant, les peuples autochtones sont issus de régimes constitutionnels totalement différents. C'est ça que nous devons apprendre à gérer.
Je serais très déçu de ne pas avoir une vue plus large de cette question, et vous avez tout à fait raison de soulever les points que vous soulevez. Nous voudrions peut-être faire ce qu'il faut mais nous nous perdons dans les détails. Il faut être clairs à ce sujet, si nous consentons à l'utilisation de la langue inuktitut après avis approprié de plusieurs heures ou d'une journée ou deux, nous devrons également reconnaître le droit de l'autre sénateur autochtone, peu importe qui, à utiliser sa langue autochtone afin d'exprimer son opinion.
J'ai lu récemment qu'en 2020, 12 langues autochtones auront disparu parce que les peuples ne les utilisent pas. Aujourd'hui, dans la fameuse réserve huronne près de Québec, personne ne parle huron. Cette langue est perdue depuis au moins 80 ans. Le chef Gros-Louis, que nous connaissons tous très bien, est un leader autochtone coloré, mais il ne parle pas un seul mot de huron. Personne dans la réserve ne parle un mot de huron. Au fil des ans, d'autres langues autochtones se sont perdues parce que les peuples autochtones n'avaient pas la possibilité de les parler. Quand on n'a pas la capacité d'affirmer son identité, on se tourne progressivement vers les langues dominantes.
C'est une question de principe qui doit reposer sur la Constitution et qui, pour moi, repose aussi sur la Charte. L'article 22 de la Charte est clair. Il vient immédiatement après la reconnaissance du français ou de l'anglais au Parlement. On y précise ceci :
Les articles 16 à 20 n'ont pas pour effet de porter atteinte aux droits et privilèges, antérieurs ou postérieurs à l'entrée en vigueur de la présente Charte et découlant de la loi ou de la coutume, des langues autres que le français ou l'anglais.
Autrement dit, la Constitution reconnaît qu'il y a d'autres langues au Canada qui peuvent être parlées en vertu du droit coutumier. Je dis simplement que les peuples autochtones ont ce droit de parler leur langue.
Cependant, ce n'est pas de cette façon que le sénateur Corbin a présenté sa motion. D'après ce que j'y vois, elle n'affirme pas un droit. Elle offre une façon technique de s'assurer qu'un sénateur autochtone puisse parler en inuktitut pendant qu'il siège au Sénat. La motion est restreinte au Sénat d'après ce que je peux voir parce qu'en comité, je peux occuper n'importe quel siège. Si l'on précise que le sénateur peut utiliser cette langue lorsqu'il siège, on parle alors ici du Sénat.
Cependant, ce sénateur doit donner un préavis de sorte que les services techniques puissent être fournis. Peut-être pourrions-nous étendre la portée de l'avis afin que l'on puisse prendre les arrangements techniques adéquats.
Cela étant dit, je crois vraiment que le sénateur autochtone a le droit de parler sa propre langue et la Constitution le reconnaît. Lorsque nous avons adopté la Charte — et je m'adresse directement à vous, monsieur le président, sénateur Corbin et sénateur Watt qui étiez là à l'époque — nous avons inclus cette disposition précisément parce que d'autres droits n'étaient pas définis et que nous savions qu'un jour nous devrions les aborder. Nous ne voulions rien faire qui empêche ces langues d'être reconnues et parlées dans les institutions gouvernementales.
Comme le sénateur Corbin l'a dit, le temps est venu de passer à l'action. Nous devons déterminer comment procéder en pratique. Le sénateur Stratton nous conseille sagement sur la façon de nous y prendre sans perturber les délibérations. Il ne fait aucun doute qu'une chambre du Parlement a le privilège d'établir, dans sa façon de procéder, les moyens techniques pour permettre aux sénateurs autochtones de parler leur langue. Il est étrange que l'on ait attendu si longtemps pour s'en rendre compte.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, si des sénateurs autochtones n'avaient pas été nommés au Sénat en nombre raisonnable, comme le reste, la question n'aurait jamais été soulevée. Ils sont parmi nous. Ils font partie du Canada. Ils ont un rôle crucial à jouer pour bâtir le Canada. Nous voulons préserver leur identité. Comme on le dit en français, nous voulons valider leur identité. Nous devons leur offrir la possibilité de parler leur langue dans les moments opportuns de la vie de notre nation, c'est-à-dire lorsque les grandes décisions législatives et délibérées doivent être prises qui permettent à un pays de se développer.
On voudra peut-être préciser certains aspects techniques. Comme l'a fait remarquer le sénateur Stratton, nous devons procéder de façon pratique. Cependant, en ce qui concerne les principes en cause, il faut aller au-delà de notre langue et de notre identité.
Je suis Canadien-Français et vous êtes Canadien-Anglais. Nous devons régler le problème de la langue au Canada. Nous ne devons pas essayer de tout rationaliser. Nous devons chercher à respecter l'identité culturelle et l'identité fondamentale du peuple. C'est là une valeur canadienne qui définit qui nous sommes et ce que nous sommes comme pays.
Le président : J'essaie de me rendre au bout de la liste des personnes qui veulent poser des questions au sénateur Corbin. Je ne crois pas que cette question lui était adressée.
Le sénateur Maheu : J'aimerais lui en poser une.
À l'élément numéro 3 de votre motion, vous dites que le greffier du Sénat prendra les arrangements nécessaires et vous précisez qu'au moins quatre heures d'avis doivent être données. Je ne sais pas quel soutien technique existe à Ottawa. Est-ce que c'est possible? Les services sont-ils offerts ici?
Le sénateur Corbin : À mon avis, oubliez les aspects techniques. Je devais commencer quelque part. J'ai utilisé cette motion pour entrebâiller la porte. On m'a dit que les services d'interprétation sont disponibles, mais on ne veut pas nécessairement avoir un interprète en disponibilité 24 heures sur 24.
Tous les sénateurs qui font des déclarations importantes au Sénat le savent bien longtemps à l'avance, à moins qu'ils interviennent à brûle-pourpoint en raison des circonstances. Si un sénateur présente une demande ou qu'il a l'intention de participer au débat sur un projet de loi important et qu'il souhaite le faire en inuktitut, il se prépare au moins une journée à l'avance. À ce moment-là, le personnel a le temps de trouver un interprète qui sera dans la cabine au moment voulu. C'est tout ce que c'est. Ne vous arrêtez pas là-dessus.
Le sénateur Maheu : Ce n'est pas ce que je fais. Cette question nous a été confiée dans le cadre de notre mandat. Le greffier doit recevoir un préavis de quatre heures. Peut-être devrions-nous modifier ce délai.
Le président : C'est un point de départ.
Le sénateur Corbin : Bien sûr, je m'attends à ce que vous amendiez la motion comme bon vous semblera.
Le président : J'ai le sénateur Adams et le sénateur Milne qui veulent poser des questions à M. Robertson. Sénateur Di Nino, avez-vous une question pour le sénateur Corbin ou pour M. Robertson, ou voulez-vous intervenir?
Le sénateur Di Nino : Je veux intervenir.
Le président : Je pense que c'est tout pour les questions adressées au sénateur Corbin. Sénateur Adams, vouliez-vous poser une question sur les aspects constitutionnels?
Le sénateur Adams : Je ne veux pas tout mêler. J'aimerais parler de l'entente entre le Canada et nos peuples. Le sénateur Watt voudra peut-être intervenir aussi.
M. Robertson a parlé des traités. Les Inuits n'ont pas de traités. Nous voulons nous assurer que les gens comprennent cela. Nous sommes comme tout autre Canadien. La seule chose que nous avons actuellement au Nunavut, ce sont les revendications territoriales. C'est relié au système d'éducation et aux services médicaux offerts par le gouvernement du Canada. Autrement, nous sommes tout simplement comme les autres Canadiens.
Nous n'avons pas de système multiculturel inuit parce que nous sommes Canadiens. D'autres personnes ont un système multiculturel reconnu par le reste du Canada. Nous avons des cultures différentes. Le système multiculturel n'est pas reconnu parce que nous sommes Canadiens, des Canadiens-Inuits. Nous devons nous assurer que tout le monde sait ce que cela veut dire. C'est la raison pour laquelle nous voulons être davantage en mesure de conserver la langue inuktitut.
Au Nunavut aujourd'hui, tout document, comme la correspondance du gouvernement, doit être en inuktitut et en anglais. Quiconque se rend au Nunavut doit pouvoir communiquer en français, en anglais ou en inuktitut.
Nous avons une commission de la langue au Nunavut dont le mandat est de s'assurer que nos langues sont utilisées. L'anglais a pris le dessus, nous sommes en train de perdre nos langues. Par exemple, il fut un temps où nous avions des mots pour décrire 10 types différents de neige. Mais aujourd'hui, les gens peuvent à peine dire qu'il neige. C'est le genre de détails que nous voulons pour conserver notre culture et notre langue.
Le président : J'en déduis que votre intervention est davantage un discours qu'une question.
Le sénateur Adams : Oui, c'est un discours. Le sénateur Watt et moi croyons que les Inuits n'ont pas conclu de traités avec les Affaires indiennes il y a plus de 100 ans. Les Inuits ne l'ont pas fait.
Lorsque le système d'aide sociale est entré en vigueur, nous recevions nos chèques du gouvernement fédéral. Je reçois toujours ces chèques. Ma mère doit aller à la Baie d'Hudson pour percevoir le sien. Nous n'avons pas le droit d'utiliser une signature inuite sur les chèques. On ne peut mettre qu'un « X » comme dans l'ancien temps.
C'est un début. Nous appuyons le sénateur Corbin dans sa motion. C'est la bonne façon de procéder. Cependant, je crois vraiment que le gouvernement devrait faire davantage pour les Autochtones au Canada. En tant que Canadiens, nous devrions avoir le droit d'utiliser notre langue.
Le sénateur Milne : J'aimerais poser une question et faire une brève déclaration.
Monsieur Robertson, quand je lis ceci, je ne vois rien qui interdise l'usage d'une autre langue. Partout dans la Charte et dans la Constitution, on précise que l'anglais et le français doivent être utilisés, mais rien n'interdit l'utilisation d'une autre langue.
Je vous ferai remarquer également que nous n'avons pas fait référence au paragraphe 15(2) de la Charte qui permet spécifiquement au gouvernement de prendre des mesures pour promouvoir un groupe ou un intérêt minoritaire.
Je suis tout à fait d'accord, mais je m'interroge sur certains détails de la motion du sénateur Corbin. Quatre heures, ce ne serait peut-être pas assez pour trouver les interprètes. Je m'étonne également que l'on ne parle que de l'inuktitut. Commencer par l'inuktitut serait peut-être un bon projet pilote, mais j'aimerais qu'on lise dans la motion : « toute langue autochtone » plutôt que « l'inuktitut ».
Le président : En ce qui concerne le libellé et les étapes qui suivront, nous pourrions avoir, disons, un comité de rédaction de trois personnes qui discutera de la question avec les deux leaders pour voir si l'on peut dégager un consensus. On fera peut-être quelque chose, et je veux certainement que nous fassions quelque chose.
Le sénateur Di Nino : Moi aussi je suis très en faveur du principe de cette motion. Ce n'est pas la première fois que l'on entend cette conversation autour de la table, mais je pense qu'il vaut la peine de répéter que la motion ne peut pas être strictement restreinte à l'inuktitut. À mon avis, comme les autres l'ont dit ici, si tel est le cas, pour l'instant ça devrait être limité ou restreint aux langues autochtones. Cependant, je ne suis pas spécialiste de la question. D'autres qui ont plus de connaissances peuvent peaufiner le libellé pour éviter l'écueil d'un quelconque dialecte obscur parlé dans un coin reculé et pour lequel il serait pratiquement impossible d'obtenir des services d'interprétation. Je suis en faveur de l'esprit de la motion, mais moi aussi je crois qu'on devrait inclure toutes les langues autochtones.
Je vais laisser le soin au personnel de déterminer le délai nécessaire pour recruter des interprètes, mais je pense que cela devrait prendre plus de temps. À moins que quelqu'un soit engagé à cette fin, je ne suis pas certain que l'on puisse trouver une personne, dans un délai de quatre heures, pour faire de l'interprétation. Je vous signale qu'on aurait besoin de deux interprètes, pas d'un. L'interprétation devrait être faite dans deux langues en même temps. Il faut quelqu'un qui comprenne l'inuktitut pour traduire vers l'anglais et une autre personne pour traduire en français. Quatre heures, ce n'est pas long.
Ce sont là les deux principaux points que je voulais soulever. Monsieur le président, vous suggérez de créer un petit sous-comité chargé d'examiner cette question. Les membres des caucus devraient également en être informés, pour qu'ils aient une idée de ce que nous sommes en train de faire. Je suis en faveur du principe et je l'appuie, avec les changements proposés.
Le président : Je pense que tout le monde veut que cela se fasse sans que cela ne coûte trop cher.
Le sénateur Watt : Si vous me permettez de faire une remarque sur l'intention du texte du sénateur Corbin, si je le comprends bien, la mesure ne s'applique qu'au Sénat. Autrement dit, cela ne s'appliquerait pas au travail des comités.
Le président : C'est ainsi qu'est libellée la motion pour l'instant.
Le sénateur Watt : Si tel est le cas, peut-être que le sénateur Corbin, en tant qu'auteur de la motion, pourrait essayer de trouver une façon innovatrice qui permettrait que cela s'applique au travail des comités.
Le sénateur Corbin : Je suis tout à fait d'accord.
Le sénateur Watt : Cela serait utile.
Le sénateur Corbin : Le but de la motion est de faciliter les conditions de travail et la libre expression de vos pensées et de vos interventions. Si vous voulez vous exprimer dans votre langue autochtone en tant que membres du Sénat, que ce soit sur le parquet du Sénat ou en comité, cela serait merveilleux. C'est l'intention de la motion.
Le sénateur Watt : J'aimerais soulever un autre point, et puisque le sénateur Corbin est l'auteur de cette motion, j'aimerais le consulter pour avoir son opinion sur ceci. Donner au moins un préavis de quatre heures avant le début de la séance du Sénat pourrait être quelque peu compliqué. Je ne dis pas que cela ne peut pas se faire. Peut-être pourrions- nous avoir plus de souplesse et avoir le droit de ne pas avoir un délai fixe. Je soulève le problème et je pense que l'on devrait s'y intéresser parce que nous pourrions peut-être avoir de la difficulté à trouver des interprètes qui seraient disponibles pour répondre à nos besoins après un bref préavis. Cela pourrait peut-être créer un problème. Qui va rester là à attendre notre appel? Je sais qu'il y a beaucoup d'interprètes pigistes à Ottawa qui parlent inuktitut, anglais et français, mais ils sont tous très occupés. Si nous voulons que l'affectation les intéresse, je pense alors que nous devrions rendre le poste attirant. Autrement dit, plutôt que d'embaucher une personne à temps partiel, nous devrions penser à recruter un interprète à temps plein. Est-ce que le sénateur Corbin a réfléchi un peu à cela?
Le sénateur Corbin : Je pourrais peut-être vous dire comment ce texte a été rédigé. Je ne l'ai pas rédigé personnellement. Mes efforts personnels ont été déployés il y a 20 ans, mais mes efforts plus récents se sont étalés sur environ deux ans parce que j'ai dû consulter beaucoup de gens.
J'ai rencontré M. Audcent, légiste et conseiller parlementaire. J'ai discuté avec lui de l'objectif qui sous-tend ces efforts. On m'a d'abord suggéré de déposer une motion demandant que le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration — le sénateur Furey ne le présidait pas à l'époque — mette un système en place pour permettre à nos collègues qui parlent l'inuktitut de s'exprimer dans leur langue maternelle sur le parquet du Sénat. Après réflexion, nous nous sommes dit que si nous nous adressions immédiatement à la Régie interne, celle-ci dirait qu'on ne peut rien faire à cause d'un problème constitutionnel, si bien qu'on nous a suggéré de nous adresser au Comité du Règlement. J'ai dit que c'est ce que nous ferions. J'ai demandé que l'on me rédige un texte qui me permettrait de présenter la question ou le défi sur le parquet du Sénat. J'ai demandé un texte qui entrebâillerait la porte. J'ai dit que je ferais mes commentaires, que d'autres sénateurs emboîteraient le pas, et que nous pourrions remanier le texte selon notre bon vouloir. Nous pourrions le modifier dans la mesure où le principe n'est pas évincé. Je me fous de la façon dont on procédera.
Je ne connais pas tous les moyens à notre disposition pour répondre à nos besoins, mais on m'a dit qu'il y a à Ottawa des interprètes qui, si on leur donne un préavis suffisant, peuvent venir au Sénat. C'est pourquoi je dis cela.
C'est la raison pour laquelle je vous demande de ne pas vous arrêter à tous les mots et à tous les paragraphes de cette motion.
Déchirez-la mais conservez-en le principe, trouvez les moyens de faire en sorte qu'elle puisse être adoptée. C'est le conseil que je vous donne. Le libellé n'est pas sacré dans la mesure où l'on ne jette pas le bébé avec l'eau du bain.
Le président : Nous sommes saisis de la motion. On peut supposer qu'avant que le comité adopte tout rapport, nous allons demander une opinion des services de traduction et déterminer la rentabilité de cette mesure. J'ai entendu dire que le système à Yellowknife n'est pas rentable, mais ça c'est une autre histoire.
Le sénateur Corbin : Si je peux faire une suggestion ici, même si elle peut paraître prématurée, des agences privées offrent des services d'interprétation dans de nombreuses langues, dont l'inuktitut.
Le président : Intéressant.
Le sénateur Furey : J'aimerais ajouter ma voix à ceux qui ont félicité le sénateur Corbin pour avoir proposé cette bonne initiative. Comme je suis moi aussi en faveur, je constate qu'il est impossible d'ajouter à l'éloquente intervention de notre collègue, le sénateur Joyal.
Le sénateur Robichaud : Il a fait un très bon discours.
[Français]
Le sénateur Chaput : J'appuie l'intervention du sénateur Corbin et je le félicite. J'aimerais qu'on s'assure de le faire de façon coordonnée et en toute justice pour les peuples autochtones. Il faut aussi examiner l'impact de ce système sur le fonctionnement des comités du Sénat. Il faut que le tout se fasse de façon à démontrer que nous croyons qu'il s'agit d'un droit et non d'un privilège qu'on leur accorde.
[Traduction]
Le sénateur Di Nino : C'est une bonne idée de créer un comité.
Le président : Si vous êtes d'accord, nous allons discuter avec le leader de la possibilité de créer un comité directeur de trois personnes pour continuer de discuter de la motion. À notre réunion de mardi prochain, M. Gary O'Brien et Mme Heather Lank vont faire le point sur l'examen article par article. Nous devrions demander à M. O'Brien s'il est aussi disposé à faire rapport sur le contexte. Le greffier a fait remarquer que c'est lui qui supervise le service d'interprétation.
M. Blair Armitage, greffier du comité : M. O'Brien est chargé de faire la liaison avec les services d'interprétation pour s'assurer que tous les sénateurs reçoivent le service à la chambre du Sénat et aux comités. Il est en bout de ligne responsable de cela et nous devrions lui demander son opinion.
Le président : Nous devrions avoir d'autres renseignements sur la question; nous n'en aurons pas terminé en une seule séance. Nous allons continuer notre discussion sur le sujet.
La semaine prochaine, nous allons examiner la question de l'examen du projet de loi article par article. Cela pourrait peut-être se faire en une séance, puis nous reviendrons à la motion.
Le sénateur Watt : Par l'entremise du président, je pose une question au sénateur Corbin sur le fait que cette motion s'applique seulement aux discours prononcés à la chambre du Sénat. Je suis d'avis que cela devrait aussi s'appliquer aux réunions des comités.
Le président : Tout dans la transcription des délibérations d'aujourd'hui sera examiné et nous allons demander des opinions. Parfois il faut se traîner avant de marcher et marcher avant de courir. La motion du sénateur Corbin permet d'entrouvrir la porte. Elle n'est peut-être pas parfaite au départ, mais nous allons demander d'autres contributions.
Le sénateur Watt : Si vous me permettez, il y a une autre façon d'aborder la question des services d'interprétation. Je ne peux pas parler pour les autres groupes autochtones actuellement. Mais si on veut procéder au cas par cas, nous pourrions le faire, même si cela me préoccupe un peu. Pour l'instant, cela ne s'appliquerait qu'à un ou deux sénateurs qui parlent des langues autochtones. Mais dans l'avenir, cela pourrait s'appliquer à tous les sénateurs autochtones.
Le président : Je le comprends.
Le sénateur Watt : Je tiens à préciser que je ne suis pas contre l'idée d'inclure tous les groupes autochtones, mais je m'inquiète des répercussions.
Le sénateur Di Nino : Je veux m'assurer que le mandat du sous-comité est d'examiner l'utilisation au Sénat des langues autochtones seulement, et non d'autres langues, parce que cela équivaudrait à ouvrir une boîte de Pandore.
Le président : Nous avons consensus là-dessus, je crois. J'ai entendu le sénateur Robichaud à ce sujet. Cela pourrait être une route semée d'embûches.
Le sénateur Watt : J'utiliserais la langue de la Constitution.
Le président : On me dit que certains parlent de 50 langues, d'autres de 53, et que ça pourrait aller jusqu'à 70. Si personne au Sénat ne parle ces langues, la question est théorique. Nous allons concevoir la bonne terminologie pour créer le principe et les moyens pratiques. Nous devons nous rappeler que cela implique l'argent des contribuables et qu'il ne faut pas dépasser les bornes.
M. Armitage : J'aimerais soumettre un problème pratique aux sénateurs. Les cabines d'interprétation du Sénat, telles qu'elles sont actuellement montées, ne permettraient pas l'interprétation à trois voix, et nombre des salles de comité sont conçues de la même façon. Cela devra être pris en considération.
Le sénateur Corbin : Ce n'est pas comme ça ici.
M. Armitage : Ici, on peut le faire, mais toutes les salles de comité ne sont pas installées de cette façon.
Le sénateur Di Nino : C'est la raison pour laquelle c'est la salle du comité des Autochtones.
La séance est levée.