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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 6 - Témoignages du 16 février 2005 - Séance du matin


TORONTO, le mercredi 16 février 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit ce jour à 9 h 2 pour étudier les questions concernant la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Sénateurs, je vais commencer par remercier nos témoins qui sont venus d'un peu partout au Canada pour nous rencontrer à Toronto, dans cette ville où l'on vient occasionnellement des quatre coins du pays mais que l'on est aussi heureux de quitter — que voulez-vous, c'est cela Toronto.

Nous ouvrirons nos débats d'aujourd'hui par la question de la santé mentale vue sous l'angle médico-légal et, pour cela, nous allons accueillir des représentants de trois corps policiers de différents endroits au Canada qui s'occupent tous de liaison entre les services de santé mentale et les services de police.

Nous enchaînerons par un témoin de la Société Elizabeth Fry et d'autres qui assurent eux aussi la liaison entre les services de police et les services de santé mentale, mais pas du côté des policiers cette fois. Ces personnes ont pour vocation d'aider les détenus. À la fin de la séance, nous accueillerons deux juges du tribunal ontarien spécialisé en santé mentale avec qui nous bouclerons la boucle.

Nos trois premiers témoins sont Terry Coleman, chef de police à Moose Jaw et co-président du Canadian National Committee for Police/Mental Health Liaison; Michael Arruda qui est responsable des questions de santé mentale à la police de Montréal et Sean Ryan qui, comme nous nous en sommes tous deux rendu compte à l'occasion de quelques mots échangés tout à l'heure, vient de la ville même où ont grandi ma mère et mon grand-père et où nous avons beaucoup d'amis communs. Sean Ryan, comme vous avez pu le constater d'après son nom et son accent, vient de St. John's. Merci beaucoup d'avoir répondu à notre appel. Sean appartient au Royal Newfoundland Constabulary, un nom que j'adore.

Nous commencerons par entendre les exposés après quoi nous passerons aux questions. Merci beaucoup de vous être déplacés. Nous l'apprécions.

M. Terry Coleman, chef du service de police de Moose Jaw, coprésident du Canadian National Committee for Police/ Mental Health Liaison : Je suis chef de police de Moose Jaw, mais si je suis ici aujourd'hui, c'est parce que je copréside le Canadian National Committee for Police/Mental Health Liaison, qui est un sous-comité de l'Association canadienne des chefs de police. Merci de nous avoir donné la possibilité de vous apporter le point de vue de la police et, dans une certaine mesure, celui de l'appareil de justice. On vous a sans doute remis un document, préparé par nous trois, qui présente des informations sur ce que je me propose de traiter dans un instant. Il vous aidera, je pense, à nous poser des questions.

Je suis entré dans la police il y a plus de 36 ans, à Calgary, et je suis maintenant à Moose Jaw. Ce dont nous allons vous parler, l'inspecteur Ryan, l'agent Arruda et moi-même, est caractéristique du milieu policier au Canada, même s'il existe des différences d'une ville à l'autre. La police entre inévitablement en contact avec des personnes souffrant de troubles mentaux et, dans une certaine mesure, c'est même nécessaire. Après tout, nous offrons un service téléphonique de 24 heures sur 24 et de sept jours sur sept et nous avons le personnel nécessaire pour répondre aux appels généraux et à ceux de personnes en crise. Les services policiers consacrent énormément de temps et d'argent à s'occuper de personnes souffrant de troubles mentaux qui sont en situation de crise.

Le service de police de London, en collaboration avec l'Université Western Ontario, a réalisé une recherche à cet égard, il y a environ deux ans, et je pense que vous trouverez utile que ces gens-là viennent faire une présentation. Je ne vous parlerai pas de la recherche de l'université, mais elle s'est avérée extrêmement utile d'autant qu'elle est rare dans le contexte canadien. Il s'agissait —

Le président : Excusez-moi de vous interrompre, s'agissait-il de l'étude réalisée par le service policier de London en Ontario?

M. Coleman : C'est exact.

Le président : Vous avez un nom?

M. Coleman : Oui.

Le président : Pourriez-vous nous le donner plus tard?

M. Coleman : Oui, j'ai le nom d'une personne.

Le président : Ce serait merveilleux. Merci.

M. Coleman : Ce genre d'études est donc rare dans le contexte canadien et l'inspecteur Ryan vous parlera davantage de cette recherche avant que nous ne terminions.

Comme je le disais, cette recherche est chargée d'enseignements outre qu'elle est seule du genre à avoir été effectuée au Canada, à ma connaissance. Elle a permis de constater qu'en règle générale les corps policiers consacrent énormément de ressources à s'occuper de malades mentaux. J'insiste sur le mot « énormément ». Comme je le disais, je vous recommande de vous procurer ce rapport et de le lire et peut-être même de rencontrer les auteurs.

Je ne dis pas cela en adoptant le point de vue du policier qui estime que ça coûte trop cher, même si nous manquions de ressources comme nous le savons tous, mais il se trouve que cette étude fait ressortir le fait que les corps policiers s'occupent déjà beaucoup des questions de santé mentale. Il serait intéressant d'effectuer le même genre d'études ailleurs au Canada, mais la recherche est coûteuse et il faudrait plus de temps pour produire un document semblable. Quoi qu'il en soit, après avoir examiné la méthodologie appliquée à London et à en juger d'après mon expérience, j'estime que les constats de l'étude sont représentatifs de ce qui se passe dans le milieu policier en général au Canada.

Dans le cadre de la tribune qui nous réunit aujourd'hui, voici les questions que nous nous sommes souvent posées : les policiers sont-ils les mieux placés pour s'occuper de personnes qui souffrent de troubles mentaux et sont-ils outillés pour répondre à leurs besoins et protéger leurs intérêts? La réponse est essentiellement non à ces deux questions, du moins pas après au-delà du premier contact et pas après qu'une situation potentiellement violente a été désamorcée.

Il demeure que nous sommes souvent frustrés de ne pouvoir confier ces personnes à des professionnels de la santé ou à des installations adaptées afin qu'elles soient prises en compte et traitées. Dans la police, nous rendons un service à la clientèle et nous nous trouvons frustrés de ne pas pouvoir bien faire notre travail sur ce plan.

Certes, des améliorations ont été apportées dans certains endroits au cours des dernières années et d'excellents programmes ont été adoptés pour mettre un terme au genre de frustrations que j'ai exprime ici, ce qui est tout à fait encourageant, mais comme toujours, il y a place pour l'amélioration.

Nous devons continuer à évaluer et à améliorer la consultation et la collaboration. La désinstitutionnalisation des personnes atteintes de troubles mentaux graves a eu des effets directs sur les corps policiers un peu partout au Canada. Je ne veux pas rentrer ici dans le débat de la justification occasionnée par la désinstitutionnalisation, mais mes collègues et moi-même de partout au Canada savons que ni la police ni les collectivités ne sont prêtes à accueillir ces malades. Pourquoi?

Eh bien, pour simplifier quelque peu une situation par ailleurs fort complexe et pour être bref, sachez que personne ne nous a dit ce qui allait se passer ni quels effets cette orientation politique aurait sur les collectivités. Nous n'étions pas préparés. Je vous parle de ça pour deux raisons, mais aussi pour vous amener à tirer les enseignements qui s'imposent. Nous devons veiller à ce que les professionnels de la santé et les groupes de consommateurs communiquent et travaillent avec la police — et que cela se fasse aussi dans le sens inverse — et nous devons aussi nous assurer que, dans l'avenir, la police sera consultée pour faire en sorte que les personnes souffrant de maladie mentale reçoivent toute l'attention et tous les soins qu'elles méritent.

Je m'en voudrais de ne pas parler de cette fausse panacée qu'on nous vante tant pour régler les problèmes associés à l'intervention des corps policiers auprès de malades mentaux. Je veux parler de cette idée que l'on peut tout régler grâce à la formation. Pourquoi pas donner un peu plus de formation et le problème sera réglé? Eh bien ce n'est pas ainsi que ça fonctionne.

Dans la mesure où il y a eu communications dans le passé, celles-ci ont émané d'organismes qui ont proposé aux corps policiers ou aux associations de chef de police, aux échelons provincial, fédéral ou national, d'adopter leur formation dans le programme d'instruction des policiers.

D'ailleurs, c'est parce que j'étais frustré de voir le nombre d'organismes qui démarchent la police, chacun pour faire valoir ses propres intérêts, pour que nous offrions la formation les intéressant, que j'ai adhéré à ce comité et que j'en suis devenu le co-président, parce que j'estime que les collèges de police et les corps policiers ne sont pas des lieux adaptés pour offrir des cours sur les différentes maladies mentales.

Au cours des deux dernières années, le Dr Cotton et moi-même avons effectué une recherche sur notre temps personnel — dont nous manquons tous deux — à la suite des recommandations du coronaire qui a fait enquête sur le décès d'une personne lors d'une intervention policière. Il arrive très souvent que nous tombions sur des gens qui souffrent de maladie mentale. Les recommandations du coronaire ne portent pas toutes sur une augmentation de la formation offerte aux policiers dans le domaine de la santé et de la maladie mentale, beaucoup en font état et si la formation peut effectivement être une solution dans certains cas, elle ne peut tout régler. On peut donc se demander si cela était nécessaire.

Les professionnels de la santé mentale et les policiers doivent collaborer pour mettre en œuvre de nouvelles structures qui nous permettront de mieux nous comprendre mutuellement et de travailler ensemble, en complément l'un de l'autre, pour offrir ce dont les clients et leurs familles ont besoin et ce dont ils méritent. Il s'agit d'un problème systémique et pas simplement d'un problème de formation. Le fait d'ajouter la formation à un problème structurel ne nous permettra pas d'améliorer ce que nous voulons améliorer.

Le fait de travailler au côté de personnes souffrant de maladie mentale et de les aider relève de notre mandat d'organisations policières et va dans le sens de la philosophie contemporaine du maintien de l'ordre. D'ailleurs, les quatre principes fondamentaux du maintien de l'ordre moderne, c'est-à-dire la police communautaire, comme vous le savez peut-être, sont : l'insistance placée sur la clientèle et la communauté, la consultation et la collaboration avec le milieu, la qualité et l'appréciation des services à la clientèle et l'amélioration des communications. Tout cela concerne également notre travail au contact des personnes souffrant de maladie mentale et des systèmes qui s'en occupent.

Je me dois de vous faire part des quelques progrès auxquels j'ai contribué dans le domaine de la santé mentale au sein des organisations policières, parce que nous avons fait notre part. Le comité des ressources humaines de l'Association canadienne des chefs de police, dont dépend le comité que je représente aujourd'hui, va organiser une conférence sur les ressources humaines à Vancouver à la fin du mois de mars sur le thème des défis opérationnels dans le domaine de la gestion des ressources humaines. Nous aurons un exposé et une discussion sur la santé mentale au sein des services policiers. C'est là un grand progrès dans notre culture où la maladie mentale est quelque chose d'extérieur mais que nous hésitons souvent à reconnaître dans nos rangs.

C'est cela aussi qui pousse les organisations policières. Comme vous pouvez le voir, nous sommes, nous aussi, axés sur la clientèle. Le processus est certes important, mais ce sont les résultats qui nous préoccupent le plus. Au nom du milieu policier, je suis heureux de vous annoncer que nous tenons à faire partie de la solution. Nous sommes prêts à travailler sur ces questions dans l'intérêt des clients, de leurs familles et de leur milieu. Les crises occasionnent très souvent des changements dans le secteur public et la police n'échappe pas à cette règle. On dirait qu'il faut une tragédie pour attirer l'attention des décideurs et de ceux qui sont en moyen d'affecter les ressources nécessaires. Je n'ai certainement pas besoin de vous dire que ce n'est pas ainsi que nous préférons faire notre travail de policier.

Laissez-moi vous répéter que nous nous réjouissons de la possibilité que vous nous donnez de contribuer à la formulation de solutions à un problème important et complexe. Nous espérons que la police fera partie de ces solutions dans l'avenir, que ce soit à l'échelon local ou à un échelon plus général.

Nous aimons à penser que notre présence aujourd'hui marque un tournant positif à cet égard. D'habitude, des tribunes comme celle-ci ne portent pas sur des discussions de ce genre et nous espérons donc pouvoir continuer à contribuer à votre travail et je vous remercie pour votre invitation. Ce travail est tout à fait conforme à notre mandat et il est conforme à la philosophie contemporaine du maintien de l'ordre. Au nom des organisations de police et des agents de police, je vous remercie.

M. Michael Arruda, agent conseiller, Section des stratégies d'actions avec la communauté, dossier santé mentale et déficience intellectuelle, Service de police de la Ville de Montréal : Sénateur Kirby, sénateur Keon, honorables membres du comité permanent, j'ai eu l'occasion de suivre vos audiences, de lire certains extraits de vos dernières retranscriptions et de rencontrer certaines personnes qui ont souffert de maladie mentale dans le passé ou qui sont encore des patientes et qui sont venues témoigner devant vous. Je tiens à remercier les membres du comité pour leur engagement dans ce dossier et pour m'avoir invité aujourd'hui.

Je suis heureux que le gouvernement se penche enfin sur la question de la santé mentale et de penser que nos recommandations seront peut-être appliquées un jour. C'est un début, une période de changement, une époque où les gens commencent à parler de santé mentale comme s'il s'agissait de n'importe quel autre problème de santé. Comme j'appartiens à une famille dont un membre est atteint de troubles de santé mentale, je compatis avec les personnes qui souffrent de telles maladies et avec leurs familles et je comprends leurs frustrations. Pour décrire les personnes qui souffrent de maladie mentale, certains parlent de « échappés », et je comprends pourquoi.

En tant que policier, je trouve très troublant et triste que ces personnes et des membres de leurs familles doivent se tourner vers les services de police dans l'espoir d'obtenir les soins appropriés. Cela nous montre à quel point notre système est détraqué, pour ne pas dire malade. Bien que les interventions policières soient souvent très traumatisantes pour toutes les parties, les personnes ayant un vécu psychiatrique, autrement appelées PVP, et les membres de leurs familles savent que c'est probablement le seul service qui fonctionne 24 heures sur 24, sept jours sur sept et 365 jours sur 365, partout au Canada, et qui soit en mesure de réagir immédiatement pour maîtriser une personne en crise.

Les familles attendent des policiers qu'ils confient leurs proches à des professionnels de la santé. Ironiquement, la plupart du temps, ces professionnels de la santé ne sont pas disponibles et, dans certains endroits, il n'y en a même pas. Là où les services sont offerts, généralement dans les hôpitaux locaux, on demande que deux agents gardent la personne malade en attendant qu'un médecin vienne la voir. Je me suis demandé quand, pour la dernière fois j'ai ainsi monté la garde en attendant qu'un patient souffrant de cancer ou de diabète soit traité.

Le plus alarmant de tout, c'est le nombre d'appels que nos agents reçoivent un peu partout au pays au sujet de personnes qui sont en crise. Ces appels vont de celui ou de celle qui est confus et qui erre sans but dans les rues, à la personne qui veut se suicider.

Les crises ne sont qu'une facette des interventions policières. Il arrive très fréquemment que les agents soient appelés à appréhender les personnes en vertu de la Loi sur la santé mentale, à interroger témoins et victimes ayant eu des problèmes de santé mentale et à arrêter des personnes souffrant de santé mentale pour divers actes illégaux.

En outre, les gens fuient souvent les sans-abri, passant ainsi à côté des véritables problèmes qui sont l'absence de services en santé mentale, le manque d'installations et de logements supervisés. Il est plus facile d'appeler la police.

Quand ils interviennent, les agents ne peuvent pas vraiment apporter de solution. Ils ne sont pas spécialistes de ces questions parce qu'ils n'ont pas reçu de formation structurée dans le domaine, mais certains doivent porter un jugement et évaluer la personne qui représente un danger pour elle-même ou pour les autres. Dans les petites localités rurales, où peu de services sont offerts, les agents doivent intervenir dans des situations désespérées, dans certains cas, ces solutions trouvent un dénouement triste et tragique. Les agents sont dépassés par les événements et ils se sentent mal outillés pour intervenir adéquatement. Ces interventions exigent une attention et une technique particulières.

Comme les honorables membres du comité permanent le savent déjà, les difficultés auxquelles se heurtent toutes les parties intéressées sont multiples et il serait fastidieux et répétitif que je vous énumère ces problèmes.

Cela étant, y a-t-il quoi que ce soit de positif dans le cas des services policiers? Oui. Tout d'abord, je dois vous prévenir que les programmes offerts le sont généralement dans les grands centres urbains et que rares sont les corps policiers à en disposer. Certains services de police ont eux-mêmes décidé de former leur personnel en intervention de crise pour les cas de santé mentale. Les cours de formation de base offrent de quatre à 26 heures sur ce thème en salle de classe. On présente aux agents les techniques de communication, l'intervention verbale en cas de crise, les cas psychologiques anormaux, les méthodes d'observation, on leur donne des notions médicales et on les initie à la terminologie médicale. Les services de police commencent à regrouper des données afin d'évaluer les services offerts dans ce domaine et à mieux comprendre les situations.

Les grands corps policiers ont désigné des agents de liaison en santé mentale qui mettent sur pied des unités spécialisées et qui sont chargés d'élaborer des procédures d'intervention normalisées que tout le monde doit respecter dans leur secteur.

Des lettres et des protocoles d'entente conclues entre les corps policiers et les établissements de santé définissent le rôle de la police et du corps médical. D'autres services de police ont lancé des initiatives du genre programme conjoint police-communauté ou ont mis sur pied des équipes d'intervention en situation de crise constituées de personnel des installations de santé locales. Les programmes de coopération, comme Car87 à Vancouver, Coast à Hamilton et le modèle de réponse conjoint de Montréal sont destinés à répondre aux besoins des collectivités desservies.

Des comités de liaison police/services de santé mentale, locaux et régionaux, ont également été mis sur pied dans différentes villes pour essayer de régler les problèmes immédiats et à long terme. Le Canadian National Committee for Police/Mental Health Liaison a également été mis sur pied pour appuyer les divers organismes au Canada, les renseigner et les guider sur toutes les questions touchant à la santé mentale.

L'Ontario a mis sur pied des tribunaux spécialisés en santé mentale, tandis que différentes provinces offrent des programmes de déjudiciarisation. Des agents ont été formés à l'emploi d'armes moins létales quand ils interviennent dans des situations impliquant une personne à haut risque, et la négociation de crise est devenue la norme dans les grands centres.

Des initiatives plus audacieuses, comme des comités consultatifs usagers/PVP, ont été mis sur pied pour conseiller, éduquer et renseigner les corps policiers sur la façon d'intervenir auprès de personnes souffrant de problèmes mentaux. Les clients et PVP sont, de loin, les meilleurs conseillers que l'on puisse trouver dans le domaine de la santé mentale, pas uniquement à cause de ce qu'ils savent, mais pour leur vécu.

Des projets de formation réciproques ont également étélancés. Des spécialistes — psychiatres, psychologues,infirmiers-infirmières, chercheurs, enseignants, responsables du secteur de la santé, responsables de logements à faible revenu, fonctionnaires et autres personnes s'occupant directement de santé mentale — sont invités à faire des patrouilles en compagnie de policiers pour voir le genre de situation qu'ils rencontrent. Ils participent ensuite à un débriefing où ils font l'analyse des interventions et proposent des solutions plus appropriées. Les agents sont, quant à eux, invités à travailler dans le milieu de leurs accompagnateurs, pour connaître la réalité de l'autre côté de la barrière, et la même chose se répète.

Les usagers/PVP sont partie intégrante au processus. Il est question de comprendre la réalité de tout le monde et les difficultés auxquelles se heurte chaque organisation. On cherche des solutions en tenant compte des limites imposées sur chacun. De plus, des liens de qualité exceptionnelle sont créés. Les participants peuvent mettre des visages sur des noms. Ce n'est plus simplement un policier, un psychiatre, un client, mais Michel, Nadia ou John.

Comme vous le voyez, des efforts et des projets sont entrepris. Nous attendons du gouvernement qu'il relève les défis et prenne l'initiative. Comment pourrions-nous améliorer nos services? Eh bien, très simplement en nous permettant de nous exprimer.

Le président : Merci, monsieur Arruda.

M. Sean Ryan, inspecteur, Royal Newfoundland Constabulary : Bonjour, sénateur Kirby. Comme mes collègues, je tiens à remercier les membres de votre éminent comité de nous avoir donné l'occasion de prendre la parole devant eux aujourd'hui à propos de cette question sociale incroyablement complexe.

Je viens d'une famille de 20 frères et sœurs à Terre-Neuve et, moi aussi, je peux vous parler d'expérience, personnelle et professionnelle, pour vous dire que le système actuel est loin d'être suffisant pour répondre aux besoins permanents des personnes qui souffrent de maladie mentale.

À l'instar de nombreux autres corps policiers au Canada, le Royal Newfoundland Constabulary a tiré ses conclusions après avoir analysé la façon dont il traite des questions concernant les personnes qui souffrent de troubles mentaux et le manque de collaboration avec notre système de santé.

En 2000, des agents du Royal Newfoundland Constabulary sont intervenus dans deux cas de fusillade dont a été mortel. La même année, nos homologues de la GRC, à Terre-Neuve sont intervenus dans un incident du même genre. Malheureusement, dans les trois cas, il s'agissait de personnes qui souffraient de maladie mentale.

Après son enquête judiciaire au sujet des deux incidents mortels, l'honorable juge Donald Luther a formulé plusieurs recommandations bien pesées et très intéressantes.

Le chef Coleman a élégamment dressé la table tout à l'heure en vous donnant un aperçu de la façon dont la police travaille de nos jours et en vous faisant un historique de la situation. L'agent Arruda, pour sa part, vous a précisément relaté la façon dont fonctionnent quotidiennement les policiers un peu partout au Canada, le trait commun étant que la police fait tout ce qui est humainement possible pour venir en aide à ceux qui en ont besoin.

Dans les quelques prochaines minutes, je me propose de vous adresser des recommandations sur la façon dont le gouvernement fédéral que vous représentez pourrait nous aider.

Nous vous recommandons de mettre sur pied un organisme central et national chargé de recueillir des données auprès des corps policiers au Canada, données qui seraient analysées afin de produire des synoptiques tactiques de qualité en vue de favoriser l'élaboration de stratégies. Par ailleurs, nous croyons que les mêmes données pourraient être analysées pour fournir une analyse stratégique tout aussi valable à partir de laquelle nous pourrions mettre sur pied des services normalisés adaptés aux besoins de la clientèle et dégager des tendances ou des thèmes communs.

Nous avons également besoin de vous pour recommander qu'un financement soit accordé aux fournisseurs de soins de santé et aux corps policiers pour qu'ils collaborent à des recherches sur ces problèmes et pour appuyer également des recherches indépendantes sur le même thème commun.

La recherche accessible au Canada est rarement d'origine canadienne. La plupart des données dont nous nous servons sont américaines, ce qui est triste à dire, sauf, comme le mentionnait le chef Coleman, dans le cas de l'étude de London.

Les recherches que nous envisageons auront pour objet d'améliorer les services offerts par les divers organismes de même que les projets de collaboration. Nous demandons votre appui pour le financement d'initiatives de formation et d'éducation nationales pour les policiers et les travailleurs en santé mentale, grâce à un programme d'éducation nationale et publique qui permettrait de combattre la triste stigmatisation dont pâtissent ceux et celles qui sont atteints de troubles mentaux.

Nous avons besoin de votre appui pour aider les services policiers et les services de soins de santé à briser les barrières bureaucratiques et réglementaires auxquelles nous nous heurtons dans nos tentatives d'échanges d'informations, des informations pourtant essentielles qui peuvent nous fournir les renseignements dont nous avons besoin pour préparer des réactions efficaces.

Nous avons besoin de votre appui pour dresser le cadre d'une tribune nationale qui permettra de rassembler tous les organismes d'exécution de la loi au Canada afin de parler des pratiques exemplaires, un peu sur le même modèle que la tribune qui a été lancée dans les années 90 et qui a amené l'Association canadienne des chefs de police à adopter un modèle national en matière d'utilisation de la force. Cette tribune a donné de tels résultats qu'elle a été adoptée partout au Canada et qu'elle sert de modèle. Je crois que nous pourrions faire la même chose dans le dossier de la santé mentale.

Mesdames et messieurs, nous tous ici sommes conscients, au même titre que les organisations et nos provinces, de l'obligation qui nous est faite d'offrir le meilleur service possible aux personnes souffrant de maladie mentale. Nous nous rendons compte que l'amélioration de la formation, à partir d'une recherche de qualité, pourra certainement nous aider, nous les policiers et les fournisseurs de soins de santé, à adopter des mesures prophylactiques pour ceux et celles qui souffrent de troubles mentaux graves et qui, à un moment donné, finissent par avoir des démêlés avec la justice.

Je m'en voudrais si je n'insistais pas sur l'énorme contrainte financière qu'imposent nos modes d'intervention dépassés auprès des personnes souffrant de maladie mentale sur les budgets déjà limités des corps policiers. Comme l'agent Arruda vous l'a dit, il arrive que des policiers passent des heures à rechercher l'aide nécessaire pour les gens dont ils s'occupent tout en contribuant, par leur simple présence, à lutter contre la stigmatisation de criminalité dont les malades font les frais.

Je tiens à vous préciser que si nous sommes venus ici pour demander votre appui, cela ne veut pas dire que nous le faisons au nom de la police. Ce n'est pas pour nous tout cela. C'est pour ceux que nous servons et, encore une fois, c'est parce que nous voulons exploiter les possibilités qui nous sont offertes pour apporter les meilleurs soins possibles à ceux qui en ont désespérément besoin.

Les trois policiers qui sont ici devant vous et les milliers de collègues que nous représentons sont des porte-parole de la maladie mentale et nous nous en enorgueillissons. Nous ne prétendons pas avoir toutes les réponses, mais nous avons hâte de vous aider et d'aider quiconque voudrait trouver des réponses.

Avec votre aide, nous pourrons offrir le genre de services qui répondront aux besoins du milieu et si, par le biais d'une tribune de ce genre, nous pouvons changer les choses pour le mieux, alors il n'y a pas de raison de s'en empêcher.

Je vous remercie de l'occasion que vous nous avez donnée de comparaître devant vous et pour le travail fantastique que vous avez déjà accompli. Nous sommes prêts à vous aider au meilleur de nos capacités et nous vous souhaitons bonne chance. Merci.

Le président : Merci beaucoup à vous trois pour ces déclarations réfléchies et, comme je le disais, pour les efforts que vous avez déployés afin d'être présents parmi nous.

Avant de céder la parole à mes collègues, pourrais-je tirer certaines choses au clair avec vous trois?

Vous avez parlé d'une tribune nationale dans un autre domaine du travail de police. Qui la finance? Est-ce le gouvernement fédéral ou quelqu'un d'autre?

M. Coleman : En fait, ce n'était pas financé. Il s'agissait d'un travail réalisé en collaboration par le comité des ressources humaines de l'Association canadienne des chefs de police et par le collège de police de l'Ontario qui en a été le chef de file. Il y avait un représentant qui siégeait à ce comité et c'est un comité que nous avons constitué ensemble. Il a fallu plusieurs années pour que tout le monde parvienne à s'entendre à ce sujet, mais il n'y a pas vraiment eu de financement, même si différents organismes ont contribué à son fonctionnement en fournissant des ressources humaines et matérielles.

Le président : Chef, cette tribune était essentiellement un symposium d'une semaine ou quelque chose du genre?

M. Coleman : C'était une série de symposiums.

Le président : Et vous voudriez faire quelque chose de semblable pour les questions de santé mentale.

M. Ryan : Tout à fait, sénateur, et je vous ai donné cet exemple parce que c'était une question importante dans la façon dont la police effectue son travail et c'est grâce à un travail de collaboration d'un océan à l'autre qu'il a été possible d'établir un cadre que nous avons adopté et qui fonctionne maintenant très bien. Ce que je voulais dire, c'est que si nous avons pu le faire pour cette facette du maintien de l'ordre, nous pourrons certainement le faire pour cet autre domaine.

Le président : Deuxième question. Vous avez parlé des obstacles à la communication d'informations. S'agit-il d'obstacles entre les corps policiers eux-mêmes ou entre la police et les autorités de la santé à l'échelon local, et de quel genre d'informations parlez-vous?

M. Ryan : Il s'agit d'une combinaison des deux. Ce sont des problèmes et bien sûr il y a aussi les questions qui se posent à l'échelon provincial avec les lois sur la protection de la vie privée. Il y a la bureaucratie de chaque organisation qui est jalouse de son territoire et qui empêche la communication d'informations; pourtant, tout renseignement communiqué par un organisme de soins de santé nous aide à adapter nos réactions mais, bien souvent, quand nous n'avons pas ces informations, nous sommes obligés de deviner ce qui ne va pas et d'essayer de déterminer tout de suite par nous-mêmes ce qui se produit.

On s'attend à ce que ce genre de problème soit résolu par la formation, ce dont le chef Coleman vous a parlé. La société ne peut s'attendre à transformer les policiers en diagnosticiens de la rue. Soyons honnêtes, il est difficile d'amener deux psychiatres à s'entendre sur un diagnostic et en l'absence de certains renseignements, il est difficile à un policier de déterminer ce dont souffre la personne à qui il a affaire et de parvenir à une réponse adaptée. Toutefois, il serait possible d'améliorer la situation grâce à la communication d'informations, sans enfreindre le caractère confidentiel des renseignements médicaux, et l'on pourrait ainsi protéger la sécurité de la personne et d'autres.

Le président : À l'heure actuelle, les professionnels de la santé, notamment les médecins, hésitent-ils à communiquer ces renseignements?

M. Ryan : Cela arrive.

Le président : Est-ce à cause des lois sur la protection de la vie privée?

M. Ryan : Parfois, les gens hésitent mais, dans la plupart des cas, les services voudraient bien nous communiquer des renseignements mais il arrive que le professionnel de la santé de service ce soir-là se mette à réfléchir à deux fois sur les conséquences éventuelles de la communication d'informations qu'on lui demande.

Je soulève ce problème, mais je me rends bien compte qu'il n'y a pas de bonne réponse. Je vous soumets simplement mes suggestions pour que vous les examiniez.

Le sénateur Cook : J'ai eu l'occasion de parcourir très rapidement le document très soigné que vous nous avez fait remettre. Je vais vous poser plusieurs questions, mais je vais surtout m'attarder sur la question de l'efficacité de la loi sur la santé mentale.

Nous, nous travaillons à l'échelon fédéral et vous au niveau provincial — ce qui nous cloisonne peut-être. Je constate que le taux d'arrestations des personnes souffrant de maladie mentale est le plus élevé de tous. Sean, je vais m'adresser à vous, surtout parce que je viens moi aussi de Terre-Neuve. J'ai été bénévole au Pottle Centre, organisme qui a pour vocation d'offrir un milieu d'accueil aux patients désinstitutionnalisés — quel mot! — à ceux qui sortent de Waterford. Quoi qu'il en soit, ce genre de soutien communautaire n'était pas offert avant et les gens ne pouvaient pas vivre dans la société. La société les avait laissé tomber et nous essayons de faire du rattrapage depuis lors. Vous pouvez réagir si vous voulez.

M. Ryan : Vous avez tout à fait raison. C'est un problème que nous avons récemment constaté dans nos enquêtes judiciaires sur les décès de Darryl Power et de Norman Reid.

L'un d'eux appartenait à un milieu rural dépourvu de tout réseau social susceptible de l'appuyer et le juge Luther, dans ses recommandations, en a clairement parlé. Il y a eu la question des ordonnances de traitement en milieu communautaire et dans plusieurs collectivités rurales, les gens ont essayé de s'adapter à ces ordonnances. Le constable Arruda et moi-même en avons parlé à propos des collectivités qui se trouvent hors des grands centres urbains.

L'infrastructure en place dans les centres urbains est loin d'être satisfaisante. À l'extérieur, elle est quasiment inexistante et je crois que des tribunes comme celle-ci sont absolument essentielles pour amener les fonctionnaires à parler de ce qui est indicible. Si nous ne le faisons pas, nous ne sommes pas justes envers les gens que nous essayons de servir, c'est-à-dire ceux qui souffrent de maladie mentale.

Le sénateur Cook : D'après votre mémoire, je constate qu'il existe des circonstances où vous tombez sur des gens qui semblent souffrir de maladie mentale et être victimes de crimes et je vois que, selon vous, la police ne devrait pas être en première ligne pour intervenir auprès de la plupart des personnes souffrant de maladie mentale. Eh bien, si vous ne le faites pas, qui va le faire?

M. Ryan : Des recommandations ont été formulées après l'enquête de Terre-Neuve. Conformément aux programmes conjoints en place, comme le célèbre programme côtier à Hamilton, nous avons recommandé de mettre sur pied une équipe d'intervention mobile spécialisée en santé mentale, équipe qui serait rattachée aux divers centres de santé. Nous estimions que, même dans le cadre d'une intervention conjointe, il ne fallait pas négliger l'action éventuellement criminelle des personnes atteintes de troubles mentaux.

Dans la plupart des interventions policières auprès de personnes souffrant de maladie mentale, il n'y a pas criminalité, mais les services de police font office de filet de récupération d'un réseau social non existant, et je suis là très honnête avec vous. Excusez-moi si...

Le président : Pas de problème, ne vous excusez pas. Vous pouvez être direct. Ce comité a déjà déclaré dans un rapport précédent que, selon nous, les prisons sont devenues les asiles du XXIe siècle. On désinstitutionnalise les patients, mais l'on n'a aucune structure d'accueil et les prisons deviennent le seul lieu où placer ces gens. Ainsi, ne vous gênez pas, vous pouvez être direct parce que cela vous nous aider.

M. Ryan : Merci.

Le sénateur Cook : Dans votre mémoire, vous parlez aussi de stratégies locales et j'estime que vous faites un travail très louable, sur place, mais vous cherchez quelque chose de plus, si je comprends bien. J'ai aimé votre association avec les chauffeurs de taxi, parce que la personne qui souffre de troubles mentaux et qui se fait recueillir dans une voiture par un policier en uniforme peut s'en trouver très stressée ou avoir d'autres problèmes.

M. Ryan : Eh bien, madame, pour bien illustrer ce que vous venez de dire, sachez que j'ai été commandant du district central de St. John's et, dans ce poste, je me rappelle avoir eu la visite de deux agents patrouilleurs, un matin, qui étaient bouleversés pour plusieurs raisons.

Lors du quart qu'ils venaient d'achever, ils avaient passé10 heures dans une salle d'urgence d'un hôpital à côté d'une femme qui souffrait de dépression, simplement parce qu'il n'y avait personne. On nous avait demandé d'intervenir. Nous répondons quotidiennement à des appels où l'on nous demande si nous pouvons transporter telle ou telle personne à Waterford.

Nous portons des uniformes, nous sommes armés et nous conduisons des véhicules qui ne passent pas inaperçus. Ainsi, ne faisons-nous pas davantage partie du problème que de la solution? Cela nous préoccupe beaucoup et c'est également frustrant parce que — Mike et moi-même vous en avons parlé — nous vous parlons d'expérience pour avoir connu ce genre de problèmes dans nos familles et dans nos vies professionnelles. Eh bien, je pense que, pour la plupart des Canadiens, ce genre de choses n'arrivent qu'aux autres — il faut admettre que c'est vrai — et que ces problèmes ne revêtent une certaine importance que quand ils vous touchent de près.

Nous sommes venus vous rencontrer pour vous dire à quel point cela est important, mais pas pour la police. Ce n'est pas une question de badge. Ce n'est pas une question d'uniforme. Nous avons affaire à des personnes qui souffrent de troubles physiologiques, biochimiques, comparables à un cancer, à une tuberculose, mais dont le traitement est radicalement différent.

Le sénateur Cook : Pensez-vous qu'une loi efficace sur la santé mentale vous aiderait?

M. Ryan : Bonne question! Oui, parce que la loi fédérale supplanterait toutes les autres, mais je crois qu'il est impératif d'abord de mener des consultations avec les responsables de l'appareil judiciaire et des organismes d'exécution de la loi.

Il est impératif de parler avec les gens sur le terrain. Nous voyons bien ce qui se produit dans le milieu des affaires où les cadres parlent de certaines questions entre eux sans jamais aller voir ce qui se passe vraiment sur le parterre de l'usine. Eh bien c'est la même chose dans notre cas. Mike et Terry et moi pourrions vous dire ce à quoi ressemblaient nos premiers pas dans la police, à quel point c'était horrible.

Je vous parle ici de ce qui s'est passé à Terre-Neuve — et ce n'est peut-être pas la même chose dans d'autres coins du Canada — mais il y a peu de temps, une unité de séjour de courte durée a été ouverte à l'Hôpital psychiatrique Waterford de St. John's. Avant cela, il fallait qu'une personne réponde à trois conditions pour être détenue par la police en vertu de la Loi sur la santé mentale — conditions qui datent d'une autre époque : risquer de se blesser, risquer de blesser d'autres personnes ou risquer d'occasionner des dégâts à la propriété. S'il n'était pas possible au policier de transporter cette personne dans un hôpital, il ne lui restait qu'à l'enfermer dans la prison municipale. Vous parlez d'une façon d'aggraver la situation!

Le sénateur Cook : Effectivement. Nous sommes ici pour essayer de comprendre ce qui se passe et pour faire ce qu'il y a de mieux pour les patients, pour les personnes qui, selon moi, souffrent le plus de stigmates sociaux. Je me réjouis bien sûr de me trouver ici et de savoir que le Pottle Centre cuisine des repas pour nourrir 45 personnes et qu'il leur achète des provisions, mais je suppose que tout doit commencer quelque part.

Quoi qu'il en soit, j'ai l'impression que nous voulons faire davantage, monsieur le président. Nous voulons mettre en œuvre une norme nationale grâce à laquelle tout le monde —vous-même, les clients des services de santé mentale et les équipes de soignants — pourra évoluer dans la dignité et faire ce qu'il faut. Encore une fois, je dois vous féliciter pour le travail que vous effectuez à l'échelon provincial, mais il y a des limites à tout.

Quand j'examine le budget, je me sens vraiment mal, parce que peu importe la valeur des programmes qui y sont annoncés, où pensez-vous qu'on va effectuer les éventuelles coupures qui pourraient être nécessaires un jour? Sans doute dans le genre de programmes que vous recommandez d'appliquer. Comment garantir la continuité de ces programmes? Que va permettre la loi?

M. Ryan : Eh bien, nous nous sommes nous-mêmes posé ces questions et je me les suis posées à plusieurs reprises. Que font nos responsables politiques? Ils travaillent pour nous et pour nos concitoyens et ils devraient nous annoncer, haut et clair, qu'en cas de réduction budgétaire concernant quelque programme que ce soit, ils ne porteront pas directement atteinte à la santé, aubien-être, ni à la simple dignité des Canadiens.

Le sénateur Cook : Quoi qu'il en soit, nous savons tous deux que, dans la réalité, ce n'est pas ainsi que ça se passe parce que, même à l'école, quand on réduit les budgets, ce sont les cours de musique et de gymnastique qui sont touchés les premiers.

Je conclurai sur ces mots, monsieur le président : je cherche une façon de faire adopter une norme nationale qui soit efficace, sous la forme d'une loi ou autres, pour nous assurer que nous n'allons pas porter atteinte à ce qui nous a été remis sous la forme de ce merveilleux document.

M. Ryan : J'aurais aimé vous fournir des réponses.

Le sénateur Cook : Je pense que cela nous appartient.

Le président : Effectivement!

M. Ryan : Merci.

Le président : Et c'est ce que nous allons faire.

M. Ryan : Je l'espère.

Le sénateur Pépin : J'ai une question supplémentaire à poser relativement à ce dont le sénateur Cook vient de parler, parce que dans le projet de loi C-10 qui a été déposé en Chambre le 7 février dernier, il est question d'autoriser les agents de la paix à arrêter un accusé qui s'est placé en infraction d'une ordonnance d'évaluation ou de mise en liberté, à le détenir, à le contraindre à comparaître ou à le déposer dans un lieu précisé dans l'ordonnance. Cela pourrait-il faciliter les choses?

Le sénateur Cook : C'est un début.

Le sénateur Pépin : C'était là, mais je me demandais si vous étiez au courant de cette disposition, puisque la loi a été déposée la semaine dernière, si je ne m'abuse.

Vous avez parlé de la formation des policiers qui peut prendre de quatre à 26 heures. Je me demande comment vous allez, par exemple, décider que tel groupe de policiers aura besoin de quatre heures, tel autre de 10 et un autre encore de 26 heures? Est-ce en fonction du temps disponible, de la disponibilité des gens ou de leurs bagage? Comment structurez-vous tout cela?

M. Arruda : J'ai parlé d'une formation de quatre à 26 heures parce que des corps policiers différents offrent des formations différentes. Certains services de police n'offrent que quatre heures et d'autres une seule journée. D'autres enfin vont donner jusqu'à trois ou quatre jours de formation.

Le sénateur Pépin : Bien.

M. Arruda : À Montréal, par exemple, nous dispensons une journée de formation pour tous les agents patrouilleurs. Les agents sur le terrain sont obligés de suivre cette formation qui fait donc partie de la formation de base.

Le sénateur Pépin : Je comprends et je pense qu'il sera très intéressant de savoir comment les services de police, qui sont les employeurs, s'y prennent face au problème de la maladie mentale, c'est-à-dire dans le cas d'un employé, d'un policier, qui est atteint de troubles mentaux graves ou de quelqu'un de sa famille qui souffre de maladie mentale. Nous savons que le travail de la police est stressant. Quel genre de programme avez-vous? Tout d'abord, offrez-vous un quelconque programme à vos employés, du genre counselling ou établissement de diagnostic, et comment aidez-vous les policiers quand ils reviennent au travail? Vous pourriez peut-être nous apprendre certaines choses dans ce domaine.

M. Arruda : Effectivement, la plupart des corps de police emploient des psychologues. À Montréal, nous avons une équipe de quatre psychologues qui fait partie du personnel et qui est au service des employés. Les employés peuvent consulter n'importe quand, puisque les psychologues sont disponibles 24 heures sur 24.

En cas d'incidents majeurs, les agents ayant participé à l'opération doivent automatiquement rencontrer un psychologue pour une séance d'objectivation. Si le policier ne se trouve pas bien ou si le psychologue ou le personnel médical estime qu'il n'est pas en mesure de retourner au travail, on le met en congé de maladie. Quand il se sent prêt, quand le personnel médical estime qu'il est prêt, l'agent est progressivement réintégré.

Nous avons aussi une ligne 1-800 à laquelle les agents peuvent appeler s'ils ont des problèmes. S'ils ne se sentent pas bien ous'ils veulent rencontrer un psychologue, nous avons uneligne 1-800 qui leur permet d'appeler d'autres agents de police qui ont vécu la même chose qu'eux et qui peuvent les conseiller.

Le sénateur Pépin : M. Coleman ou M. Ryan auraient-ils quelque à ajouter?

M. Coleman : Sénateur, je travaille dans ce milieu depuis longtemps et je dois dire que nous avons assisté à d'incroyables changements au cours des 20 dernières années. Michael a raison. La plupart des grands corps policiers ont maintenant des psychologues maison et, dans les plus petits, il nous appartient de communiquer avec nos employés et avec les services d'assistance familiale pour obtenir de l'aide, mais les gens ont encore beaucoup de mal dans nos organisations à admettre qu'ils peuvent avoir besoin d'aide et ce genre de recours n'est certainement pas courant.

À Calgary, après qu'un policier a participé à une opération où il y a eu mort de personnes ou blessures graves, il doit obligatoirement consulter le psychologue maison; si ce n'était pas obligatoire, beaucoup ne le feraient pas. C'est sans doute la meilleure façon de faire en sorte que ces agents consultent un psychologue.

Nous avons donc réalisé énormément de progrès, mais nous sommes encore très loin de l'objectif à atteindre et nous allons chercher à faire passer cela à l'échelle nationale lors de notre conférence de Vancouver, en mars. Ce sera la première de nos conférences et il sera intéressant de voir ce que nous pouvons en tirer.

Le sénateur Pépin : Il y a sans doute un parallèle à faire entre la police et les forces armées à cet égard.

M. Coleman : Tout à fait.

M. Ryan : Nous offrons le genre de services que ceux décrits par l'agent Arruda et le chef Coleman. Nous communiquons avec un psychologue pour régler les problèmes extérieurs et nous aidons bien sûr l'employé par le biais d'un programme d'assistance.

Cela, je pense, nous en dit long sur l'ensemble des questions de santé mentale — j'en ai parlé lors de l'enquête judiciaire — parce que nous avons eu, une fois, un agent qui a malheureusement tué quelqu'un. La victime souffrait de maladie mentale et, à la suite de cet incident, le policier en question et les membres de sa famille ont eu énormément de difficultés psychologiques, à cause de la couverture médiatique dont l'événement a fait l'objet. Les enfants de ce policier, les membres de sa famille et ses amis lui posaient des questions et ce genre de pression a considérablement perturbé l'intéressé dans son travail.

Nous avons à faire à toute une série de problèmes, non seulement à cause des personnes qui souffrent d'une maladie mentale, mais à cause des répercussions que cela peut avoir sur nos services, d'où la nécessité de disposer de psychologues maison, avant de nous adresser à l'extérieur.

Le sénateur Pépin : C'est certainement un grand progrès qu'un policier comme vous se rende compte que ses employés ont besoin de ce genre de service, à cause du stress dans votre travail qui rend les choses très difficiles.

M. Ryan : Tout à fait, et je vous remercie de l'avoir souligné.

M. Coleman : J'aimerais ajouter une chose. On dit parfois que le taux de suicide dans les services policiers est supérieur à la moyenne.

Un professeur de l'Université de Lethbridge, dont le nom m'échappe, a effectué des recherches à ce sujet — j'ai lu son livre — et cela pourrait peut-être vous intéresser dans le cadre de votre étude. Il a constaté que le taux de suicide n'est pas vraiment plus important que celui de la population en général, mais qu'on parle de ce phénomène pour plusieurs raisons.

Nous avons tous connu, j'en suis sûr, des amis qui se sont suicidés. J'étais arrivé à Moose Jaw depuis quelques semaines à peine quand un de nos policiers s'est suicidé dans les vestiaires, aux petites heures du matin, un dimanche. Il avait de gros problèmes et cela a occasionné tout un remous au sein de l'organisation où nous n'étions pas très nombreux. Nous sommes donc cruellement au courant de ce problème, mais ce professeur de Lethbridge a effectué des travaux très intéressants sur l'incidence du suicide dans les services de police.

M. Arruda : Si vous me le permettez, j'ajouterai qu'à Montréal, par exemple — je n'ai pas les chiffres exacts — en 1999, les policiers ont consulté 1 600 fois et, en 2002, ils l'ont fait 2 700 fois. Il y a donc une augmentation. Les agents de police sont moins réticents à réclamer de l'aide.

Le sénateur Pépin : Merci beaucoup.

Le président : Comme c'est de plus en plus le cas dans la population en général. Nous venons de loin, mais la tendance s'améliore.

Le sénateur Cochrane : Je me réjouis, moi aussi, de vous accueillir et je vais poser ma première question au chef Coleman.

Vous intéressez-vous à la santé mentale uniquement dans le cadre de votre organisation ou le faites-vous pour en apprendre davantage sur la santé mentale et sur tous les problèmes qu'elle entraîne pour ensuite ramener cette information au niveau de votre institution afin de mettre en œuvre certains changements appliqués ailleurs?

M. Coleman : Le sous-comité que nous représentons aujourd'hui est issu d'une initiative lancée par le Dr Cotton que vous allez accueillir tout à l'heure, si je ne m'abuse. Elle pourra vous en faire la genèse, mais sachez que nous avons mis sur pied un groupe de gens intéressés à ce dossier. Nous organisons une conférence annuelle qui n'a cessé de prendre de l'ampleur année après année. Nous sommes en train d'organiser notre quatrième conférence annuelle qui se tiendra à Vancouver et où nous avons invité le sénateur Kirby à prendre la parole. Nous avons tout organisé.

Nous échangeons — excusez ce cliché, mais je n'ai pas mieux — sur les pratiques exemplaires. Nous cherchons à savoir ce que les autres font, dans le cadre du programme Coast à Hamilton, du programme Car 87 à Vancouver et de divers programmes offerts un peu partout et qui sont plutôt bons. Tous ces programmes visent un même objectif, mais obéissent à des modèles légèrement différents.

Nous sommes effectivement un groupe de liaison, d'où le nom que nous portons. Nous nous réunissons, nous communiquons entre nous et nous explorons divers dossiers. Nous avons suscité l'attention de gens à l'étranger. Ainsi, on est venu nous voir d'Irlande, il y a deux ans, parce que les gens là-bas avaient les mêmes problèmes que nous tous ici. Nous avons également accueilli des Américains l'année dernière.

Notre groupe échange des informations, principalement lors des conférences annuelles, mais le Dr Cotton a dressé une liste de 200 personnes environ qui contribuent à tout ce travail, et nous débattons des différentes questions qui nous sont soumises, selon le sujet qui préoccupe plus particulièrement tel ou tel corps policier. Nous cherchons à obtenir des réponse en nous adressant aux autres, tant aux travailleurs de la santé mentale qu'aux autres policiers, de partout au Canada.

Le sénateur Cochrane : Avez-vous communiqué ailleurs dans le système certains des éléments positifs que vous avez établis dans ce cadre et sur lequel vous avez été nombreux à travailler?

M. Coleman : Effectivement, mais je ne peux vous parler qu'en ce qui concerne la police.

J'ai, par exemple, encouragé des représentants de notre collège provincial de la police, en Saskatchewan, à participer à nos conférences et ces gens-là ont restructuré la formation des recrues et des agents en service en fonction des problèmes que nous abordons. Nous essayons de faire circuler l'information et nous donnons un coup de main aux gens.

Le sénateur Cochrane : C'est merveilleux. Dans votre exposé, vous avez dit que la police n'est pas la mieux placée pour intervenir face à ce genre de problème, mais qu'on vous appelle pourtant souvent. J'aurais tendance à dire que cela tient sans doute au fait que c'est parce que vous êtes les plus facilement accessibles, que vous avez un service de 24 heures sur 24 et que vous avez des lignes 1-800. N'est-ce pas? Où pensez-vous que les gens devraient appeler? Que devraient-ils faire s'ils ont besoin d'aide?

M. Coleman : Eh bien, je vous paraîtrai peut-être un peu naïf, mais s'il existait suffisamment de services de soutien dans nos collectivités, nous ne tomberions sans doute pas sur autant de gens dans cette situation. Mais c'est une vision utopique.

La plupart, la plupart des personnes souffrant de maladie mentale auprès de qui nous intervenons sont dans la rue, mais ce n'est pas le cas de tout le monde bien sûr. Elles ne peuvent pas recourir à un travailleur de la santé mentale ni même se présenter à une salle d'urgence, parce qu'il n'y a pas les ressources nécessaires en situation de crise.

Nous reconnaissons devoir jouer un rôle de première intervention pour stabiliser la situation. Nous essayons de faire en sorte que les gens obtiennent les services qu'il leur faut, mais ce qu'il y a de frustrant, et je vais peut-être passer pour un policier rouspéteur, nous passons beaucoup trop d'heures dans les salles d'urgence.

Ce serait bien si vous pouviez amener les urgentologues à mieux comprendre ce genre de situation, parce que nous voyons bien les médecins dans les hôpitaux qui sont très occupés à réparer une jambe cassée, à arrêter un saignement, à intervenir en cas de crise cardiaque ou autres. La personne qui est en crise est encadrée par deux agents de police parce que, trop souvent, les hôpitaux se sont départis de leur personnel de sécurité et qu'il n'y a plus personne sur place pour jouer ce rôle. Nous nous retrouvons à passer tout notre temps dans des salles d'hôpitaux à garder ces gens-là, mais mes collègues vous en ont parlé.

Dans un monde idéal, nous ne tomberions pas sur ce genre de personnes dans la plupart des cas. Pour nous, le mieux consisterait, en deuxième lieu, après avoir stabilisé et évalué la situation, à renvoyer l'individu vers quelqu'un mieux outillé que nous. Je dirais que le modèle de Montréal est excellent, mais il existe d'autres modèles au pays qui donnent les mêmes résultats; il n'y a rien d'universel dans ce domaine.

Le sénateur Cochrane : Hier, nous avons entendu parler de certains cas plutôt tristes, les gens affirmant qu'ils n'obtiennent pas le service qu'ils mériteraient. D'après ce que vous avez vu, après avoir accompagné ce genre de personnes dans les hôpitaux, est-ce que les médecins les traitent comme les autres patients?

M. Ryan : Non!

Le sénateur Cochrane : À cause de la stigmatisation, n'est-ce pas?

M. Ryan : Eh bien, nous avons constaté qu'on les traite en tout dernier et que, si quelqu'un se présente, on les fait passer encore derrière tout le monde. C'est incompréhensible, parce que...

Le sénateur Cochrane : Parce qu'il ne s'agit pas de véritables urgences.

M. Ryan : Rarement. Il est triste, dans la société avancée dans laquelle nous vivons, de constater que l'on peut souffrir d'un problème respiratoire ou d'autres maux d'ordre physiologique et appeler une ambulance pour recevoir une attention médicale, mais qu'on appelle systématiquement la police dès que quelqu'un est en détresse psychologique. C'est horrible.

M. Arruda : Je tiens à souligner un paradoxe ici. Quand les policiers accompagnent à l'hôpital une personne qui a des problèmes de santé mentale, qui veut se suicider, c'est parce qu'il existe un danger grave pour sa santé. Pourtant, quand nous arrivons sur place, les médecins et le personnel médical ne voient pas le danger et ils traitent en priorité une jambe cassée ou une lésion cutanée, même si notre client est vraiment en danger de mort, ce que les policiers trouvent frustrant.

Nous accompagnons ces patients parce qu'ils sont en danger grave et, une fois que nous arrivons à l'hôpital, on les classe catégorie 4 ou 5, ce qui correspond à la priorité la moins élevée. Souvent, quand nous laissons ces gens-là sur place, ou qu'ils y vont tout seul, ils doivent attendre deux, trois ou quatre heures; or ce sont des personnes qui sont en situation de crise grave. Il y en a quelques-unes qui s'en vont et qui vont se suicider, parce qu'elles ne reçoivent pas l'attention dont elles ont besoin.

M. Ryan : Pour ajouter à ce que vient de dire l'agent Arruda, je dirais qu'il n'est pas possible de savoir pourquoi une personne se suicide. Quand nous parlons avec des gens qui ont essayé de se suicider et que nous essayons de comprendre leur raisonnement, on s'aperçoit qu'il n'y avait pas forcément de raison particulière. C'était simplement qu'il n'y avait pas de réseau à leur disposition, qu'ils n'avaient nulle part où aller et que personne n'était prêt à les accueillir. Nous n'avons pas d'infrastructure en place et, à cause de cela, des Canadiens et des Canadiennes meurent chaque jour. Nous sommes là, à essayer de déterminer pourquoi ils ont commis quelque chose d'aussi horrible, mais selon moi, mesdames et messieurs, c'est simplement parce que dans bien des cas, il n'y avait personne pour les aider.

Le sénateur Cochrane : Chef Coleman, diriez-vous que c'est le cas un peu partout au pays?

M. Coleman : Certainement. Bien sûr, nous rencontrons des policiers et des travailleurs de la santé mentale d'un peu partout au pays lors de nos conférences et quand nous échangeons à propos de nos expériences, officieusement ou officiellement, ou encore par courrier électronique, nous constatons que cette situation est à peu près la même partout.

Le sénateur Cochrane : Avez-vous une idée du pourcentage de votre budget que vous consacrez aux questions de santé mentale?

M. Coleman : Il devient problématique de codifier nos interventions auprès de personnes souffrant de maladie mentale, parce que nous progressons à tâtonnement et ainsi, quand nous consultons nos bases de données, toutes aussi fabuleuses soient-elles, les informations ne sont pas forcément chargées et nous ne pouvons pas les exploiter.

Nos services prennent diverses formes. Nous pouvons recevoir un appel concernant des problèmes dans un dépanneur ou à cause de dégâts occasionnés à une voiture. Ce n'est pas nécessairement codifié comme un incident qui concerne une personne atteinte de troubles mentaux. En revanche, nous pourrions vous donner une idée du temps que nous passons dans les hôpitaux à attendre que les professionnels de la santé prennent la relève des policiers.

L'étude dont je vous ai parlé, celle de London en Ontario, est très structurée, elle est solide, elle est scientifique. Les auteurs ont consulté la base de données de la police de London et ont effectué un superbe travail. Je ne me rappelle pas les chiffres. Comme je le disais plus tôt, je vous recommande de prendre connaissance de ce rapport. Je l'ai lu et j'en ai un exemplaire ici — on me l'a communiqué à titre d'information — et je trouve qu'il est très représentatif de la situation. Tout est relatif, selon la taille du service concerné, mais j'estime qu'il est assez représentatif de ce qui se passe un peu partout au Canada et il est très fouillé.

Le sénateur Cochrane : Très bien. Nous allons nous le procurer.

Le sénateur Keon : Je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre présence. Je suis médecin, chirurgien et, dans le cadre de ma formation, j'ai passé beaucoup de temps dans les salles d'urgence, quand j'étudiais la chirurgie, et je peux effectivement vous confirmer que lorsqu'on nous amenait quelqu'un qu'il fallait attacher, nous demandions que les policiers restent là, parce qu'il nous semblait que ce serait bien pour les autres et que nous ne savions pas que faire de cette personne dont les policiers s'occupaient.

J'ai toujours eu la plus grande admiration pour les policiers qui doivent parfois intervenir dans des situations terribles, des situations de violence, et qui l'instant d'après doivent agir avec compassion. Je vais vous raconter une petite histoire, qui est sans rapport immédiat avec notre propos, mais peu importe.

Il y a quelque 25 ans, deux jeunes hommes fortement armés ont volé une banque à Ottawa. La police a été appelée, elle a pénétré dans la banque, il y a eu des échanges de coups de feu, l'un des voleurs a été touché à la tête et l'autre au thorax. En une fraction de seconde, les policiers qui étaient sur place ont changé d'état d'esprit, ils ont sorti les deux jeunes hommes et les ont transportés dans l'arrière de leur auto-patrouille. Ils n'ont pas appelé l'ambulance et ils ont prévenu l'hôpital d'avance qu'ils transportaient deux blessés, l'un à la tête, l'autre à la poitrine.

On m'a appelé tout de suite et j'ai répondu: « Transportez tout de suite celui qui est blessé à la poitrine dans la salle d'opération. Ne vous arrêtez pas dans la salle d'urgence », et les policiers se sont présentés avec lui dans la salle d'opération. Là, son cœur s'est arrêté. Il avait été touché au cœur, mais nous avons réussi à le ranimer et à refermer les plaies aux points d'entrée et de sortie, après quoi il s'est remis et a fait son temps en prison. Quand il est sorti, il est venu me voir et m'a dit qu'il avait l'intention d'entreprendre une vie productive.

J'ai perdu sa trace. Je ne sais pas ce qu'il est devenu, mais je pense que c'est un cas classique de changements rapide d'état d'esprit de la part de policiers. À un moment ils défendaient des employés de la banque, parce que les balles volaient dans toutes les directions et, l'instant d'après, ils ont fait preuve d'une compassion totale envers des voleurs qui reposaient par terre, même s'ils avaient tiré sur tout le monde l'instant d'avant.

Je vais maintenant parler du système. Si nous parvenons à faire ce que nous voulons faire d'ici l'automne prochain, nous aurons proposé un cadre structurel et, nous l'espérons, élaboré une stratégie nationale pour s'attaquer à la question de la santé mentale au Canada; nous aurons aussi, je l'espère, défini les éléments essentiels de ce système, des installations de garde judiciaire jusqu'aux installations communautaires.

Nous avons l'occasion de faire cela correctement, surtout pour ce qui est des installations communautaires, ce qui s'entend des hôpitaux, des établissements de soins primaires et des soins à domicile. Je pense que votre point de vue pourrait nous être très utile si nous devions faire appel aux urgentologues, parce que nous avons consacré beaucoup de temps, depuis le 11 septembre et le problème du SRAS, dans nos comités, à travailler sur la conception de systèmes de services d'urgence au Canada. Je crois que nous parviendrons à proposer des systèmes de services d'urgence qui soient assez réalistes, comme vous le disiez, agent Ryan, surtout dans les villes. En revanche, la chose risque d'être plus difficile dans les petites collectivités mais dans les villes au moins, je peux vous garantir que nous ne laisserons rien au hasard pour voir ce qui peut être fait.

Il serait utile de faire intervenir les gens des services d'urgence pour voir comment les faire fonctionner avec les services communautaires, hospitaliers et policiers en sorte que vos agents sachent exactement où aller ou qui appeler quand ils tombent sur quelqu'un dans la rue ou sur une personne violente.

J'aimerais que vous répondiez tous les trois à cela.

M. Ryan : Merci, sénateur, pour vos aimables propos. Nous accepterons toute l'aide qui pourra nous être donnée.

Il existe un cadre et un système dans les grands centres grâce auxquels les policiers savent où aller, dans le cadre des procédures normales. Comme je le disais, avant l'enquête judiciaire au sujet des deux morts par balle, notre seul recours était de détenir les gens dans les prisons de la ville jusqu'à ce qu'ils voient un psychiatre. Dieu merci, cela a changé. Vous avez raison, il faut établir un lien entre tous les services d'urgence.

Comme je le disais plus tôt également, nous nous heurtons à certaines difficultés, soit la circulation de l'information et les restrictions imposées aux organismes sur la façon de communiquer cette information et le moment de le faire. Quand vous appelez quelqu'un à 3 h du matin pour voir s'il peut communiquer une information qui va permettre de déterminer si Sean Ryan a un penchant pour la violence ou si un diagnostic particulier a été établi dans son cas, ce n'est pas toujours facile. C'est un des éléments clés nécessaire dans l'instauration d'une réaction qui devra faire intervenir plusieurs organismes.

La société s'attend à ce que nous soyons omnipotents, omniprésents, télépathiques, que nous soyons des médecins, des avocats, des prêtres et des conseillers. Nous acceptons cette responsabilité avec plaisir, avec honnêteté, mais nous sommes des êtres humains et cette tribune nous donne d'ailleurs l'occasion, aujourd'hui, de vous dire que parfois nous sommes fatigués de tout cela.

Sénateur, je suis d'accord avec ce que vous dites quant à la nécessité d'établir des liens entre les divers organismes concernés pour parvenir à une réponse efficace, mais la toute première question qui me vient à l'esprit, c'est celle de la communication de l'information et vous devriez peut-être en parler dans votre rapport.

M. Coleman : J'inclus — et je pense que vous le faites — le personnel des salles d'urgence parmi les groupes chargés des services d'urgence. Ce sont des gens merveilleux, surchargés, et nous ne voulons pas vous donner l'impression que nous voulons nous déverser sur eux, mais il faudrait les sensibiliser en plus grand nombre.

Permettez-moi de faire un retour en arrière. En 1978, à Calgary, j'étais l'un des quatre policiers à avoir constitué ce qui a été la toute première unité d'enquête pour agression sexuelle au Canada. Nous voulions améliorer la façon dont ce faisaient les enquêtes dans ce domaine. Avant cela, les choses ne se passaient pas très bien, en partie à cause de notre ignorance et en partie parce que nous n'avions pas les ressources voulues. Nous cherchions les meilleures preuves possibles qui, dans bien des cas pour ne pas dire dans la plupart des cas émanent des médecins urgentologues qui examinent les victimes. L'un de mes collègues a élaboré ce que nous appelons maintenant la trousse de l'agression sexuelle qui comporte tous les cotons-tiges appropriés et tout ce qu'il faut pour recueillir les preuves. Or, tout cela était plutôt étrange pour les urgentologues et il se trouve que nous avons pas mal d'hôpitaux et beaucoup d'urgentologues à Calgary.

Grâce à la collaboration des hôpitaux, nous avons passé du temps au contact des médecins pour leur expliquer — en quelque sorte pour les former. Nous avons même fait inscrire ce genre de séances d'information au programme de l'école de médecine de l'Université de Calgary. Une fois par an, nous prenons la parole devant les futurs médecins pour leur expliquer ce que nous cherchons, comment les choses fonctionnent, pourquoi c'est important et tous les avantages que nous pouvons en tirer. Nous avons instauré des rapports très intéressants avec les médecins dans ces salles d'urgence à l'occasion de problèmes d'agression sexuelle.

Je pense qu'il serait très utile de faire quelque chose d'à peu près semblable dans le domaine de la maladie mentale et de faire part au corps médical du rôle que nous jouons à cet égard afin d'essayer d'instaurer de meilleures relations pour le plus grand bénéfice des personnes souffrant de troubles mentaux.

Je vais vous parler un peu de la communication de l'information, à présent. Les différentes lois sur la protection de la vie privée en vigueur au Canada sont source de frustration, parce qu'elles ont limité le genre d'information que l'on peut communiquer, mais il est possible que des erreurs aient été commises dans le passé, bien que je ne sois pas au courant des détails. Bien qu'il existe des dispositions dans les diverses mesures législatives en question qui permettent de communiquer des renseignements dans certaines circonstances, le personnel du milieu médical en particulier, ce qui s'entend des secouristes, du personnel ambulancier notamment, sont paralysés par cette loi et réagissent de façon excessive. Ils nous disent qu'ils ne peuvent pas nous communiquer ceci ou cela à cause de la loi.

Dès que l'on fouille un peu et que l'on s'adresse à quelqu'un assez haut dans la hiérarchie, dans le domaine de la santé, on nous dit « dans ce genre de circonstances, ils peuvent vous communiquer cette information » parce que ceci et parce que cela. Or, ces gens-là ne veulent pas risquer de se faire rappeler à l'ordre ou de perdre leur emploi pour avoir enfreint les dispositions d'une loi et, au bout du compte, nous n'obtenons pas l'information qui nous aurait permis d'aider des gens.

M. Arruda : En fait, à Montréal, nous avons commencé à rassembler les gens qui travaillent dans les services d'urgence. Comme je le disais plus tôt, nous avons mis sur pied un comité de liaison entre le domaine de la santé mentale et les services locaux de police, comité auquel siègent des gens travaillant dans les services d'urgence, des policiers, des techniciens ambulanciers, des représentants du ministère de la Santé et des médecins. Nous discutons de la façon dont nous pourrions améliorer nos services.

Nous avons constaté que les informations nous sont communiquées plus facilement. Sans entrer dans le détail, disons qu'il y a moins de barrière. Les gens savent à qui ils s'adressent désormais ce qui veut dire que les comités d'urgence donnent de bons résultats et qu'il conviendrait de les étendre à l'échelle du pays.

Le sénateur Callbeck : Bienvenue, monsieur.

Je veux revenir au projet de loi C-10 dont on a parlé il y a quelques minutes et qui se trouve actuellement devant le Sénat. Cette loi modifie le Code criminel dans le cas des personnes qui ne sont pas aptes à subir un procès ou que l'on juge criminellement non responsables. Le projet de loi confère beaucoup de pouvoirs aux commissions d'examen, il y est question des déclarations des victimes, et cetera, et il donne plus de pouvoirs à la police. Il lui donne notamment plusieurs possibilités quant elle arrête quelqu'un qui a enfreint une disposition.

Je vais vous situer un peu en contexte. En 1992, nous avons adopté un amendement au Code criminel qui devait être examiné au bout de 10 ans, ce qu'un comité de la Chambre des communes a fait en 2002. Je sais que la police a beaucoup participé à cet examen qui a débouché sur le projet de loi C-10.

Y a-t-il d'autres amendements que la police aurait souhaité et qui n'apparaissent pas dans le projet de loi C-10? Ce serait utile à savoir, parce que ce projet de loi se trouve maintenant devant le Sénat et qu'il va être soumis à un comité permanent.

M. Ryan : Sénateur, j'étais en train de parler avec mon collègue et nous nous disions que tout cela était nouveau pour nous. Je ne suis pas au courant de l'évolution du projet de loi C-10 et, dans les cercles policiers, je n'ai jamais entendu parler de quelque consultation que ce soit à ce sujet. Je ne connais pas les nuances des changements dont vous venez de parler et je ne pourrai donc pas réagir en toute connaissance de cause. Chef?

M. Coleman : Je suis un peu gêné parce que, moi non plus, je ne connais pas le projet de loi C-10. Je suppose que le comité d'amendement des lois de l'Association canadienne des chefs de police travaille avec les autorités concernées à ce sujet. Nous pourrions examiner la chose et vous répondre par écrit, si vous le désirez, mais je ne peux vous en parler tout de suite.

Le sénateur Callbeck : Qui devrais-je contacter pour obtenir des renseignements à ce sujet?

M. Coleman : À quel égard, madame?

Le sénateur Callbeck : Pour savoir si l'association de police veut faire des suggestions ou des recommandations dont nous devrions tenir compte dans le projet de loi C-10 à propos de choses qui ne sont pas déjà là.

M. Coleman : Je pourrais vous servir d'intermédiaire. Je communiquerais avec le comité d'amendement des lois de l'Association canadienne des chefs de police, qui se trouve à Ottawa, et qui est très active dans le domaine des nouvelles lois et de la modification des lois existantes. Je verrai quelle soumission ces gens-là ont faite et si on les a même invités à intervenir.

Le sénateur Callbeck : Merci.

Le sénateur Cordy : Ma question sera assez brève, parceque vous en avez déjà un peu parlé, il s'agit de la question des obstacles qui est très importante. Il a fallu le 11 septembre2001 pour que les ministères fédéraux commencent à se parler sur les questions de sécurité au Canada, mais des 11 septembre, il en arrive tous les jours dans le domaine de la santé mentale.

Comment allons-nous réaliser l'équilibre entre la protection de la vie privée des gens, qui est très importante, et la protection des intérêts du patient qui veut dire obtenir de l'aide? Je pense que nous devrions faire connaître l'importance du rôle assumé par les policiers dans le domaine de la santé mentale, parce que nous parlons toujours des médecins dans le secteur des soins primaires, qui sont en première ligne, mais en fait c'est vous qui vous trouvez en première ligne dans bien des cas, en présence de personnes atteintes de maladie mentale. Comment pouvez-vous obtenir l'information? Vous avez dit que les gens au sommet de la hiérarchie savent quelle information ils peuvent communiquer, mais que dans les services d'urgence, les gens ne le savent pas.

M. Ryan : Comme le disait le chef Coleman, nos lois respectives sur la protection de la vie privée renferment des dispositions qui permettent la communication d'information en cas d'urgence, mais cela n'est pas connu aux travailleurs que l'on appelle en pleine nuit, parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils peuvent faire et ce qu'ils ne peuvent pas faire. Comme le chef Coleman l'a aussi indiqué, les gens se disent qu'il vaut mieux ne rien dire et passer pour un imbécile que de prendre position et de supprimer ainsi tous les doutes. C'est la position que certains adoptent, sans penser à mal, parce qu'ils craignent des répercussions.

Le sénateur Cordy : Et l'on ne peut pas vraiment les en blâmer.

M. Ryan : Non, sans compter qu'il incombe à l'employeur, à ceux qui sont en haut de la hiérarchie, de régler ce problème.

Comme nous le disions, les PDG et ACO — peu importe les acronymes qu'ils se donnent — connaissent les dispositions réglementaires qui s'appliquent à eux, mais ces dispositions ne semblent pas être communiquées en bas de l'échelle, à ceux et celles qui travaillent sur le plancher de l'usine et qui devraient être au courant. Or, à trois ou quatre heures du matin, c'est nous qui avons à faire aux travailleurs qui assurent le quart de nuit.

Le sénateur Cordy : Vous venez de faire une excellente remarque et je vous remercie aussi pour votre exposé qui va nous être très utile.

Le sénateur Trenholme Counsell : Merci, monsieur le président et chers collègues, et merci à vous distingués membres du milieu policier venus d'un peu partout au Canada.

Je vais faire une remarque à propos de ce que vous avez dit sur le fait que les candidats au suicide n'obtiennent pas toujours de l'aide. Je suis médecin de famille de formation et je dois vous dire qu'il existe une grande différence entre ceux qui menacent de se suicider, qui en parlent, qui s'entaillent les poignets et ainsi de suite, et ceux qui se suicident effectivement. Dans bien des cas, l'aide existe, elle est proposée, mais j'ai l'impression qu'une fois la décision prise — cette décision peut avoir été prise 15 minutes avant ou deux heures avant ou peut-être plusieurs jours avant l'acte final — il est très difficile d'arrêter la personne qui a pris cette décision.

Si nous avons assez de temps, j'aimerais que nous discutions un peu des services de police communautaire parce que je pense que c'est au cœur du débat et comme vous venez d'une petite collectivité, tout comme moi, vous savez que ce genre d'opération est logique. Je ne suis cependant pas certain que ce type de service donne les mêmes résultats à Montréal, à Regina ou à St. John's.

Parlons de communication de données. Un peu partout au pays, on peut rentrer un numéro de plaque numéralogique dans un ordinateur et obtenir le nom du propriétaire et d'autres informations. Eh bien, supposons que vous ayez à intervenir dans le cas d'une personne bipolaire en pleine phase maniaque. Cette base de données que vous avez, je pense — et il est possible que vous ne puissiez pas nous en dire plus — renferme-t-elle un dossier indiquant que la personne est bipolaire, qu'elle est schizophrène ou autres? Qu'y a-t-il dans cette base de données?

M. Coleman : Eh bien, la réponse est non. Les bases de données sont administrées par les divers corps policiers, à leur niveau, et elles peuvent contenir un dossier à la suite d'une intervention auprès d'une personne appréhendée en vertu de la Loi sur la santé mentale ou d'une disposition semblable, mais vous ne saurez pas si cette personne était bipolaire.

Le sénateur Trenholme Counsell : Avez-vous une mention du genre « incident lié à la santé mentale » qui circule à l'échelon local, par exemple entre un corps policier municipal et la GRC, un peu partout au pays?

M. Coleman : Il existe une base de données nationale, mais celle-ci est essentiellement d'application locale et elle est particulière à chaque corps policier. Cependant — et que l'on me corrige si je me trompe — la plupart des services policiers en Ontario sont en train de se relier entre eux.

Le ministère du Solliciteur général dispose d'un programme de gestion intégrée des données. Je ne me rappelle pas exactement comment il s'appelle, mais il porte un acronyme accrocheur, que seul le gouvernement peut imaginer. Nous sommes donc en train d'instaurer des liens entre les différentes bases de données au pays, mais ce processus est lent et coûteux et je ne suis pas certain que cela puisse répondre à votre question.

Le sénateur Trenholme Counsell : Monsieur le président, je voulais avoir cette réponse parce que je crois qu'elle est très importante. Je vais vous donner un petit exemple de ce que les gens comprennent, en général. J'ai contribué à des expériences sur les réactions des diabétiques à l'insuline et, à une certaine étape, nous avons constaté que les gens traités ainsi deviennent très agressifs. Je me rappelle notamment cette personne que l'on nous avait amenée au service d'urgence et que l'on avait considérée comme très violente. Il m'a fallu peu de temps pour découvrir que cette personne souffrait d'un diabète de type 1, traité à l'insuline.

Je sais que dans un hôpital du Nouveau-Brunswick, tous les renseignements médicaux sont à présents communiqués au service intéressé. Les choses évoluent, les données vont circuler et je crois que les Canadiennes et les Canadiens doivent réfléchir à tout cela.

Je vais vous poser une question au sujet de votre service de police communautaire qui obéit à une philosophie merveilleuse. J'ai vu ce que cela donne dans certaines villes, dans le cas des jeunes et de la drogue, de la criminalité dans les rues et ainsi de suite. N'est-ce pas ce qu'il nous faut, car les policiers sont ainsi en contact avec chaque famille dans chaque rue, avec chaque propriétaire d'entreprise et que les jeunes font partie des familles contactées? Je sais que cette formule a donné des résultats dans les petites villes, mais qu'en est-il des grands centres?

M. Coleman : Je suis heureux que vous abordiez cette question, qui est pertinente, d'autant que, selon moi, rares sont ceux qui comprennent ce dont il est question et, si vous me le permettez, je vais vous parler du principe de la police de quartier, du maintien de l'ordre contemporain.

D'ailleurs, je vous ai déjà parlé un peu de ces principes : insistance sur le service à la clientèle, consultation et collaboration avec le milieu, qualité et appréciation du service à la clientèle, amélioration et changement continu, travail d'équipe, décentralisation de l'autorité et de la prise de décision, implication totale — ce sont tous des principes envers lesquels nous nous sommes engagés — leadership participatif, amélioration de la communication, alignements internes et externes afin que les processus internes à nos organisations soient alignés sur les besoins extérieurs. La police moderne est axée sur les résultats, autrement dit plutôt que de calculer le nombre d'arrestations effectuées, nous nous demandons quelle différence nous avons apportée dans le milieu. Notre nouveau service repose sur l'application régulière de la loi, sur l'équité et la justice. Ces éléments sont importants dans la prestation d'un service public.

C'est cela le maintien de l'ordre moderne. On en arrive ensuite à la collaboration avec les personnes souffrant de maladie mentale, avec les districts de la santé et des groupes du genre. Cela permet de tendre vers les objectifs visés qui sont la qualité et la valeur du service envers le client, envers la collectivité.

En fait, on comprend assez mal ce que police communautaire veut dire, même dans mon milieu.

Le sénateur Trenholme Counsell : Eh bien, je crois que dans le domaine de la santé mentale, nos témoins d'hier nous ont parlé de la même philosophie. Ils ont des problèmes au niveau individuel, mais il y a aussi des problèmes au niveau communautaire et ils nous ont fait part d'histoires désolantes, mais aussi d'histoires absolument merveilleuses. En un sens, tout cela tournait autour de la notion de communauté, parce qu'il est très difficile pour les gens de travailler en isolement et de ne pas avoir de suivi.

Par exemple, supposons que vous deviez intervenir dans le cas d'une personne qui est en phase maniaque — nous savons à quel point c'est horrible et je suis sûr que cela vous arrive souvent — eh bien, recommandez-vous à vos agents de passer disons cinq minutes avec la famille, histoire de rétablir le contact et de placer les choses dans une perspective différente, quelques semaines après l'incident ou quand la personne est sortie de l'hôpital?

M. Arruda : Effectivement, notre philosophie de la police communautaire prévoit que l'on effectue un suivi. Malheureusement, cela ne se fait pas. Le principe est superbe, mais il n'est pas appliqué dans la pratique. Ainsi, il appartient au policier patrouilleur de rencontrer la famille s'il veut savoir ce qu'il est advenu du patient.

Quand nous intervenons auprès des particuliers, qui sont en crise, nous les confions aux autorités appropriées. Une fois le transfert effectué, nous perdons contact avec cette personne. Nous ne revenons pas voir comment elle va. En principe, nous devrions revenir pour rencontrer la famille et voir comment va la personne. En théorie, c'est ce que nous sommes censés faire, mais dans la pratique, cela n'arrive pas.

Le sénateur Trenholme Counsell : Et nous savons pourquoi, c'est parce que vous êtes trop occupés, et tout cela ce sont des idéaux.

M. Ryan : On peut sans doute affirmer que ce que le constable Arruda nous a indiqué est valable à l'échelle nationale, en ce sens que la plupart des organismes policiers accrédités ont adhéré à la philosophie de la police communautaire et qu'ils aimeraient beaucoup avoir la possibilité de revoir la personne pour savoir comment elle va. Or, le travail ne nous le permet pas. Tout cela est une question de ressources et, dans la majorité des cas, ça ne se fait pas.

M. Coleman : J'ajouterais simplement que, si des personnes souffrant de maladie mentale sont victimes de crime — si elles ont été agressées, détroussées ou poignardées, ce qui arrive souvent dans les rues et dans les cas des sans-abri — il est évident que de nombreuses organisations policières, comme celle pour laquelle je travaillais et celle pour laquelle je travaille actuellement, des organisations qui sont axées sur les victimes et qui sont composées d'un grand nombre de bénévoles, il est évident donc que ces organisations prennent contact avec les gens par la suite et, si l'affaire aboutit devant les tribunaux, ils vont même en cour pour les aider et pour les accompagner dans les dédales du système.

Le programme des services aux victimes — en place dans de nombreux endroits au Canada — permet d'assurer ce suivi, mais ce n'est que dans le cas des victimes de « crime ».

Le président : Merci à vous tous de vous être déplacés, vous ne savez pas à quel point vos témoignages nous seront utiles. C'est fantastique.

Pour terminer, je vais faire une remarque sur une question que nous avons tous appréhendée de façon intellectuelle mais que vous avez tous les trois su fort illustrer. L'un de vous a dit que, si une personne a une crise cardiaque et qu'elle risque de mourir, il lui suffit d'appeler le 911. D'un autre côté, celui ou celle qui envisage de commettre un suicide, et qui est aussi en danger, appelle la police. On voit là se dessiner le problème, soit que la maladie mentale n'est pas vraiment considérée comme une maladie et que ce genre de dichotomie se poursuit à votre arrivée à l'hôpital, parce que ce genre de malade est admis en dernier lieu parce que, comme le sénateur Keon le disait, nous savons ce qu'il faut faire dans le cas d'une personne qui fait une crise cardiaque. Nous ne savons pas forcément que faire dans votre cas, mais le stigmate rattaché à la maladie mentale est tellement profondément ancré dans notre société qu'il se révèle dès le premier appel téléphonique, ce qui nous en dit long sur la nature du système.

M. Coleman : Permettez-moi de vous répondre, monsieur. Nous avons été heureux de comparaître devant vous et nous serions absolument ravis de continuer à collaborer avec votre comité, que ce soit collectivement ou individuellement, parce que nous aussi nous sommes particulièrement intéressés par ce dossier.

Le président : Nous reprendrons contact avec vous. Merci beaucoup de vous être déplacés.

Chers collègues sénateurs, un peu plus tard dans le cadre de nos audiences sur le système de santé mentale judiciaire nous allons, comme vous le savez, accueillir deux membres de l'appareil judiciaire. Toutefois, nous allons commencer par entendre des personnes qui, le plus souvent, accueillent ceux et celles qui sortent de prison. J'ai cité, Kim Pate, directrice générale de l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, le Dr Dorothy Cotton, co-présidente du Canadian National Committee for Police/Mental Health Liaison et Randy Pritchard qui appartient à l'unité d'habilitation du CTSM.

La Dre Dorothy Cotton, coprésidente, Canadian National Committee for Police/Mental Health Liaison; psychologue : Je vais répéter ce que tout le monde a dit, à savoir que je suis très heureuse de me trouver ici aujourd'hui et que j'apprécie tout particulièrement le fait que vous nous ayez accordé quatre heures pour vous parler plutôt que les cinq minutes imparties à tout le monde.

Je porte plusieurs chapeaux. Comme vous l'avez dit, je suis co-présidente d'un groupe dont on vous a parlé tout à l'heure, mais je suis aussi psychologue de formation et je suppose que je représente donc le secteur de la santé mentale.

Je suis aussi psychologue auprès du Service correctionnel du Canada. Je siège à l'exécutif du Collège des psychologues de l'Ontario et, avant, j'ai été directrice d'un programme médico-légal dans un hôpital psychiatrique provincial. J'ai également été cliente et j'ai de nombreux membres de ma famille qui sont des usagers des services de santé mentale. Ma famille n'est pas aussi importante que celle de Sean, mais tout de même.

En ma qualité d'employée du gouvernement fédéral, je commencerais par émettre la réserve d'usage voulant que je m'exprime en mon nom et pas au nom des groupes dont je vous ai parlé. Je suis particulièrement intéressée à conserver mon emploi.

Je dois vous prévenir que vous ne trouverez pas ma présentation très cohérente, mais comme vous allez entendre divers groupes, je me propose de traiter les aspects qui nel'auront pas été plutôt que de vous répéter ce que vous avez entendu de 50 personnes, du genre « nous n'offrons suffisamment de services ». Je suppose que vous connaissez ce message maintenant.

Mon premier message sera celui-ci et je pense qu'on vous a remis l'exemplaire de mon mémoire : parler avec la police. En qualité de directrice d'une unité judiciaire et de psychologue qui travaille dans un hôpital depuis 25 ans, je n'ai jamais imaginé que les policiers avaient quelque chose à faire dans sa spécialité et je suis gênée de vous l'avouer. Nous espérons que cette méprise sera une chose du passé. Permettez-moi de vous parler d'autres choses maintenant.

La communication et la circulation de l'information est un gros problème, peu importe le niveau du système dont on parle, sans vouloir contredire les témoins qui m'ont précédée et qui vous ont dit que les praticiens en santé mentale sont confus — ils vont certainement m'assassiner après cela —, les choses ne sont pas aussi simples qu'ils semblent l'avoir laissé paraître.

Dans mon poste actuel, dans ma profession, je suis régie par des lois fédérales et provinciales, par la Loi provinciale sur la protection de la vie privée, par la LSCMLC, par la Loi sur l'enregistrement des psychologues, par la Loi sur la santé mentale, par la Loi sur les professions de santé réglementées et par d'autres mesures législatives dont je ne parviens pas à me souvenir tout de suite, parce que je suis trop nerveuse.

Tous ces textes prescrivent ce que je peux dire et à qui et je vais vous dire une chose : même si je suis présidente du comité des plaintes du Collège des psychologues, ce que je peux dire quand un de mes clients est en crise m'échappe complètement et, à cause de cela, je ne dis rien à personne.

Ce qui est de plus en plus troublant, c'est que les choses se dérouleraient tout à fait différemment si j'étais travailleuse sociale plutôt que psychologue. La plupart des gens qui travaillent dans des organismes communautaires de santé mentale ne sont pas des fournisseurs de soins de santé réglementés et ils sont régis par des lois entièrement différentes et je l'espère moins nombreuses.

La question de la communication par rapport à la loi est un énorme problème.

Deuxièmement, pour ce qui est de la communication des données, je me plais à dire que j'effectue des recherches de pointe au Canada dans le domaine de la liaison entre les corps policiers et le milieu de la santé mentale. Toutefois, cela n'est pas aussi impressionnant que j'aime à le faire paraître. Il y a d'autres chercheurs canadiens dans ce domaine. Ce genre de recherche n'est pas financé et nous ne pouvons nous appuyer sur aucune donnée. Si votre thème de recherche consiste à compter le nombre de passants au coin d'une rue, vous n'aurez pas de mal à être le second chercheur le plus important. Nous n'avons pas de données. Nous ne recueillons pas de données de façon routinière et toutes les études dont on parle dans ce domaine sont américaines.

Au service correctionnel, nous ne savons pas exactement qui sont nos clients, quels sont leurs besoins en matière de santé mentale. Nous disposons bien de quelques données, mais rien d'extraordinaire. Dans la série d'audiences qui a précédé, vous avez accueilli des témoins du SCC et je sais qu'ils doivent revenir la semaine prochaine, mais nous sommes confrontés à un grave problème de données et de financement de la recherche.

D'ailleurs, policiers et chercheurs qui travaillent auprès de la police n'ont pas accès à des fonds. Si l'on n'est pas universitaire, il est quasiment impossible d'obtenir des fonds au Canada. Je suis universitaire à temps partiel et je ne parle pas, non plus, pour l'Université Queen's. L'université fait partie des nombreux groupes au nom de qui je ne m'exprime pas.

Il n'est pas possible de bénéficier de fonds de recherche au Canada si l'on n'est pas universitaire et, pour vous dire la vérité, aucun universitaire sain d'esprit n'entreprendra de recherche au niveau dont vous parlez ici. Il est question de faire du simple recensement et pas d'entreprendre une recherche fondamentale, descriptive. Personne ne publierait d'articles à ce sujet. D'ailleurs, on m'a récemment refusé un article sous le prétexte que je n'avais pas cité de recherche antérieure dans ce domaine. Or il n'y en a jamais aucune qui a été effectuée. Nous ne devons complètement changer de cadre de référence.

Contrairement à ce que beaucoup d'entre nous pense dans les professions de la santé, beaucoup d'officiers ont des diplômes, des diplômes de haut niveau, même des doctorats, et ils peuvent entreprendre une recherche de haut niveau, mais ils ne sont pas admissibles à un financement des IRSC ou d'autres organismes, parce qu'ils ne sont pas affiliés à des établissements d'enseignement.

Je tiens également à vous dire que nous sommes tout simplement en mal de leadership. Nous avons été confrontés à un grand dilemme pour nous préparer, ce matin parce que vous êtes une tribune fédérale, une tribune nationale et que les compétences en matière de police et de santé sont provinciales. Vous n'êtes pas sans savoir cela. Que pouvons-nous donc faire à l'échelon national pour améliorer les choses? Eh bien, je pense qu'une grande partie du problème est due à une guerre de drapeau.

Il n'existe pas de champion dans ce domaine, personne ne dirige la charge. Il n'y a pas de chef des services de santé mentale au Service correctionnel du Canada. Il n'existe pas de poste chargé de la santé mentale. Il n'y a pas non plus de champion dans la recherche, dans tous les domaines. Nous pourrions retenir cette formule des champions. La directrice des services de santé n'a pas de formation en santé mentale, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'est pas une très bonne personne et qu'elle ne fait pas un excellent travail, mais elle n'est pas spécialiste du domaine.

Le président : Une grande partie du travail qu'a effectué notre comité, dans le cadre de cette étude et de notre étude précédente sur les soins de santé, était du domaine des compétences provinciales. Nous avons formulé plusieurs recommandations dans ces domaines à propos desquelles le gouvernement fédéral ne pouvait pas donner suite, mais cela n'a pas semblé déranger les ministres provinciaux de la Santé ni les premiers ministres provinciaux. Ils ont tout de même pris nos rapports antérieurs et en ont retenu de grandes parties pour les mettre en œuvre dans les différentes provinces, considérant qu'il s'agissait davantage d'un rapport national que d'un rapport émanant de « politiciens fédéraux ». Nous sommes très heureux d'empiéter, en quelque sorte, dans les domaines de compétence provinciale et personne ne semble s'en inquiéter.

Mme Cotton : Eh bien, c'est parfait.

Ensuite, j'aimerais vous parler de choses auxquelles le gouvernement fédéral s'intéresse directement, deux secteurs dont vous avez parlé dans vos rapports antérieurs : le Service correctionnel du Canada et la GRC. Le SCC est le plus important employeur de psychologues au Canada et la GRC emploie, elle aussi, un grand nombre de psychologues.

Le gouvernement fédéral est un mauvais employeur sur ce plan : les salaires sont facilement de 30 pour cent inférieurs à ceux du marché. C'est humiliant pour les psychologues et cela contribue à entretenir le stigmate associé à la maladie mentale.

J'ai quitté un emploi de cadre supérieur dans un hôpital pour assumer un poste de travailleur en première ligne dans les services correctionnels, ce qui est sans doute l'échelon le plus bas que l'on puisse trouver dans ma profession. Je suis certaine que les trois quarts des habitants dans la petite ville où j'habite supposent que j'ai été congédiée de mon emploi précédent, parce qu'ils ne s'expliquent pas ce changement de ma part. Pour mémoire, sachez que je n'ai pas été congédiée de mon emploi précédent, ce changement correspondant sans doute à une crise de la quarantaine.

Je vais reprendre ce que beaucoup ont dit avant moi et ce que vous avez indiqué dans vos rapports antérieurs au sujet de la stigmatisation. Comme je viens juste de vous le mentionner, ce problème ne concerne pas uniquement ceux et celles qui souffrent de problèmes de santé mentale, mais tous ceux qui travaillent dans le cadre du système. Je serai prête à parier que l'agent de liaison spécialisé en santé mentale au sein d'un corps policier a peu de chance de remplacer un jour son chef. Dans la plupart des cas — et j'en suis désolée, Michael — il ne s'agit pas de postes de très haut niveau.

Je me rends bien compte que je ne suis pas très logique dans tout ce que je vous dis, mais sachez que l'appareil juridique devient de plus en plus la grande porte pour accéder aux services de santé mentale au Canada. Si vous enfreignez la loi, on peut vous envoyer dans un hôpital et un juge peut ordonner que vous y soyez traité, mais si vous n'avez pas de démêlés avec la justice, personne ne vous donnera de traitement. Un juge peut émettre une ordonnance de traitement dans un hôpital, même si aucun lit n'est disponible pour d'autres patients. Si un juge dit que vous devez être interné, vous serez interné.

Si vous enfreignez la loi et êtes inculpé, vous avez une chance de bénéficier du programme de déjudiciarisation et votre gestionnaire de cas vous mettra en communication avec les services communautaires, quels qu'ils soient, mais si vous ne vous placez hors la loi, vous n'obtiendrez pas ce genre de service. Si vous enfreignez la loi et êtes condamné, vous pourrez être placé sous la responsabilité d'un surveillant de liberté conditionnelle qui suivra votre comportement, veillera à ce que vous receviez les traitements nécessaires et à ce que vous ayez accès à des soins, mais si vous n'avez jamais eu de difficultés avec la loi, vous n'obtiendrez pas ces services. Si vous embêtez votre voisin et que vous perturbez souvent la paix du voisinage, personne ne fera attention à vous jusqu'au moment où la police ou l'appareil juridique s'intéressera à votre sort.

Ainsi, d'une certaine façon, si vous souffrez d'une maladie mentale, mieux vaut que vous ayez des démêlés avec la justice. Vous aurez accès à nombre de services auxquels vous n'auriez pas accès autrement, mais attention, il y a un retour de bâton, parce qu'une fois que vous devenez un « délinquant atteint de troubles mentaux » — quelle expression flatteuse et adorable — vous n'avez plus accès à ces services du tout parce que les organismes communautaires de santé mentale ont des critères d'exclusion. Ils refusent tous ceux et toutes celles qui ont un passé criminel ou qui sont toxicomanes. Or, il va sans dire que ces gens-là représentent la quasi-totalité de la population carcérale.

Je travaille dans un hôpital psychiatrique du service correctionnel fédéral et il nous est absolument impossible de transférer à des organismes communautaires les délinquants, ayant des besoins en santé mentale, qui sont libérés.

Comme vous le savez fort bien, les services psychiatriques des établissements correctionnels sont loin d'être suffisants. Nous nous arrêterons là-dessus.

Le président : Merci, Dorothy. Vous venez de soulever beaucoup de questions sur lesquelles nous reviendrons.

Mme Kim Pate, directrice exécutive, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Je suis heureuse de me trouver ici et je vous remercie de m'avoir invitée.

Cela fait plus de 20 ans que je travaille, d'abord auprès des jeunes, puis auprès des hommes et, depuis 13 ans, à la Société Elizabeth Fry, auprès des femmes incarcérées. Tout comme les nombreux témoins que vous avez accueillis, tout comme les nombreuses personnes qui travaillent dans ce domaine, je me présente devant vous avez mon bagage professionnel, familial et personnel après avoir eu le privilège et parfois la difficulté de travailler au contact de certaines personnes.

Je représente 25 sociétés membres réparties à l'échelle du Canada qui travaillent auprès de femmes et de jeunes filles dans la collectivité. Pour certaines d'entre elles, nous sommes la seule ressource communautaire à laquelle elles peuvent avoir accès. Certaines sociétés sont provinciales, même si elles ne sont pas composées que de deux ou trois employés, mais l'objectif, le mandat de notre organisation est de travailler auprès de toutes celles qui sont marginalisées, qui sont criminalisées et qui ont été emprisonnées. Certains d'entre vous savez que je suis avocate et enseignante de formation, ce qui ajoute à mon bagage. Je suis en train de suivre un programme postsecondaire en santé mentale judiciaire.

Nous avons commencé à nous dire que nous devions intervenir dans le domaine de la santé mentale il y a plus de 10 ans, parce que nous avons commencé à nous rendre compte que le système carcéral était, comme le Dr Cotton nous l'a dit, la porte d'entrée privilégiée dans le système. À la faveur de la désinstitutionnalisation qui a été un phénomène mondial, nous avons constaté que de plus en plus de femmes et de jeunes filles se retrouvaient en prison, elles qui, depuis toujours, avaient été surreprésentées dans les établissements de soins psychiatriques et de santé mentale, mais sous-représentées en prison.

J'ai constaté que nous manquons fondamentalement d'analyses sur les répercussions que tout cela peut avoir sur les femmes et les filles en particulier et il vous intéressera sûrement de savoir que, si les taux de criminalité et d'incarcération sont globalement en train de décliner, ce n'est pas le cas pour les femmes. D'ailleurs, les femmes constituent la population carcérale qui accusent la croissance la plus rapide, pas uniquement au Canada, mais dans le monde entier, encore plus si elles sont autochtones et souffrent de maladie mentale diagnostiquée, si elles sont étiquetées, si elles ont de la difficulté, si elles ont des maladies ou des handicaps, peu importe l'étiquette en question. Voilà la tendance à la hausse.

Il n'est pas étonnant de savoir que nous avons d'abord constaté cette tendance à la prison pour femmes de Kingston où un certain nombre de détenues étaient maintenues en isolement, la plupart d'entre elles venant des provinces maritimes. Pourquoi donc, me demanderez-vous? Eh bien, si vous connaissez notre histoire économique, politique et sociale, vous savez que certaines des premières coupures, des coupures les plus profondes, se sont produites dans cette province. À cause des coupures occasionnées par la suppression du régime d'Assistance Canada et de l'adoption d'une approche sans obligation du genre de celles dont vous avez parlé, nous avons assisté à une augmentation du nombre de personnes qui sont oubliées par les services de santé mentale, les services sociaux et les services d'éducation et qui aboutissent donc dans le système de justice criminelle. Cela tient au fait qu'il s'agit du seul système qui ne peut fermer ses portes en disant « Non, nous sommes complets, nous n'avons plus de lit », et qu'il n'est pas difficile d'associer un comportement souvent symptomatique d'une maladie mentale à un comportement criminel. Parfois, les gens commettent de simples méfaits, de simples vols et parfois, quand ils résistent à leur arrestation, on peut les accuser d'agression et c'est là que l'on commence à voir apparaître certaines des tendances dont j'ai parlé.

Nous sommes à présent dans une situation où le service correctionnel, comme le soulignait le Dr Cotton, est l'un des plus importants employeurs de psychologues au Canada. La difficulté survient quand on essaie d'analyser la chose sous un angle différent de celui des services correctionnels et nous en avons fait l'expérience quand nous avons voulu intervenir dans le cas d'une femme qui s'était suicidée dans une unité de santé mentale relativement nouvelle, dans la prison fédérale de la province. Nous ne sommes pas parvenus à trouver un psychologue qui soit disposé à témoigner lors d'une enquête et à critiquer les politiques du service correctionnel. Mes plus récentes entreprises dans le domaine de l'éducation découlent de ce constat.

Le problème, c'est que des gens bien intentionnés, comme mes voisins à cette table, sont déterminés à essayer d'apporter un remède à ce que l'on a parfois baptisé de besoins invalidant du milieu correctionnel. Nous savons que le rapport du groupe de travail sur les détenues sous responsabilité fédérale, signé par la juge Arbour, paru l'année dernière, qui est en fait le rapport de la Commission canadienne des droits de la personne, il est question de traitement discriminatoire dont les femmes font l'objet dans nos prisons fédérales, notamment dans le domaine de la santé mentale. Très souvent, le modèle de justice criminelle et l'étiquette de « femme criminelle » viennent souvent entraver la capacité de réponses aux besoins constatés en matière de santé mentale.

C'est particulièrement vrai dans le cas des femmes, même si les services correctionnels et d'autres ont consacré énormément de ressources, de temps, d'énergie et de bonne volonté à la mise sur pied de services maison, celles qui sont perçues comme constituant le plus important problème pour le système — pas nécessairement sous la forme d'une menace à la sécurité publique — aboutissent en prison et se retrouvent très isolées de leurs familles.

Nous voyons de plus en plus de femmes qui sont placées dans des centres à sécurité maximale, qui sont isolées et placées en isolement. Même quand leur comportement est identifié dans un hôpital, le plus souvent, il n'est possible de les interner que lorsqu'elles sont en crise. Vous ne pouvez imaginer le nombre de fois où j'ai dû m'agenouiller devant une cellule d'isolement pour m'entretenir avec une détenue par le passe-plat, afin d'essayer de la convaincre d'arrêter de se taper la tête contre le mur et d'entendre dire par un membre du personnel qu'on lui a précisé qu'il fallait compter jusqu'à 20 parce que, après 20, on n'a pu à faire à un comportement qui consiste simplement à attirer l'attention, mais que l'on est peut-être en présence d'une situation dangereuse pour la vie. Ce n'est pas parce que ce personnel est mal intentionné, mais parce qu'il a été formé pour croire que, jusqu'à un certain point, ce genre de comportement tient uniquement à la manipulation.

Nous devons examiner certains de ces aspects parce que, si l'on ne forme pas tout le monde dans les centres correctionnels pour les transformer en professionnels de la santé mentale — ce qui n'est pas faisable — nous devons élaborer des stratégies pour faire sortir certaines personnes de ce système. On a essayé par le biais des tribunaux spécialisés en santé mentale et par le truchement d'autres véhicules. Au sein du service correctionnel, comme je le disais, ce n'est que lorsqu'une personne est en crise totale qu'il est possible de la faire transporter dans un hôpital psychiatrique. Il nous arrive souvent de voir des patientes qui s'améliorent dans les 24 heures parce que, sans vouloir être simpliste, on les a étiquetées de malades mentales ou malades psychiatriques et pas de criminelles. L'intervention peut donner beaucoup plus vite lieu à des résultats positifs.

De plus, les personnes concernées se rendent très vite compte qu'elles se retrouvent dans une installation de santé mentale et, même si elles ont parfois de la réticence à accorder leur consentement pour être traitées, la plupart d'entre elles, mais aussi les hommes et les jeunes avec qui j'ai travaillé, disent qu'ils veulent qu'on les soigne, parce qu'ils se rendent compte que quelque chose ne va pas. Ces gens-là peuvent ne pas savoir quoi.

En ce qui nous concerne, nous estimons qu'il faudrait encourager de plus en plus de groupes de promotion de la santé mentale et des soins psychiatriques à intervenir dans des situations de ce genre.

Je trouve les rapports extrêmement utiles, si ce n'est qu'ils ne comportent pas beaucoup d'analyses de sexospécificité, quand on en trouve, et je sais d'expérience pour avoir travaillé avec des collègues à l'étranger, que le problème est le même aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Les modèles en place ne répondent pas forcément aux besoins des femmes qui se retrouvent dans de telles circonstances et on continue de considérer que nos consoeurs constituent certains des problèmes les plus importants et elles finissent par être criminalisées parce qu'elles veulent survivre et qu'elles négocient leur évolution dans le système.

Dans certains des modèles que vous examinez, il est beaucoup question de plans pour tout un ensemble de services, on insiste sur l'intégration des services sociaux et des services de santé. Nous savons que, pour qu'il y ait effectivement intégration, même si les services de santé mentale sont excellents, c'est-à-dire comportent tout ce que tout le monde réclame, s'il n'y a pas de place pour accueillir des patients en résidence, si ces gens-là n'ont pas des moyens de soutien, les problèmes de santé reprennent vite le dessus. Nous savons ce que les gens disent : « Si je pouvais avoir un emploi, un lieu où vivre, je me sentirais bien mieux ». Le rapport intitulé « Beyondblue » traite un peu de la façon d'améliorer les conséquences de la dépression et des autres phénomènes de santé mentale dans un contexte où l'on a du mal à imaginer comment les gens peuvent survivre.

Ce serait bien si votre comité, dans ses recommandations, pouvait établir un lien entre la santé mentale et les moyens de soutien ainsi que les services sociaux et les autres normes nationales qui ont été quasiment éliminés quand le régime d'assistance publique du Canada a été supprimé, je pense que nous ferions beaucoup de progrès dans le sens d'une solution, parce que nous avons besoin de ce genre de service intégré.

Bien sûr, il faut également s'assurer que les dispositions de la Charte et de la Loi sur les droits de la personne sont respectées. Si cela vous intéresse, sachez qu'il existe toute une série de rapports très complets produits par le Réseau d'action des femmes handicapées du Canada et par notre organisation, rapports qui contiennent des recommandations sur le genre d'intervention qui permettrait d'aider les femmes dans ce système. Beaucoup de ceux qui les ont lus nous ont dit qu'ils pourraient aussi aider les hommes. Je crois que c'est vrai.

On recommande aux intervenants de contribuer à la négociation de l'accès aux programmes et aux services, quand il y en a. Vous avez beaucoup entendu parler du manque de services et je n'y reviendrai pas.

Il faut offrir des services communautaires, quasiment sous la forme d'un service de médiation. Nous utilisons ce terme, mais nous sommes ouverts à suggestion pour l'améliorer, pour parler des cas où, après qu'un diagnostic a été posé, qu'une personne est étiquetée « malade mentale », il faut contrôler l'affectation des ressources et prévoir un suivi pour s'assurer que les besoins constatés sont comblés.

On constate, par exemple, dans les communautés de femmes autochtones, une augmentation impressionnante du nombre de femmes et d'enfants atteints du syndrome d'alcoolisme fœtal, des effets de l'alcoolisme fœtal, de troubles neurologiques liés à l'alcool et ainsi de suite, ce qui nous a amenés à recommander que, si ce diagnostic donnait lieu au déblocage de fonds, nous assisterions à deux choses : tout d'abord, pour être directe, je dirais que nous ne verrions pas ce genre de diagnostic apparaître aussi rapidement; deuxièmement, nous aurions un meilleur accès aux ressources.

Pour ce qui est du cadre législatif, nous vous recommandons d'adopter un peu ce qu'a recommandé le comité chargé de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents afin de s'assurer que les principaux fondamentaux sont mis en place et puissent ainsi être utiles.

Tout d'abord, ce serait un grand progrès que d'avancer en principe que toute personne souffrant de maladie mentale ne doit pas être criminalisée, car cela inciterait les provinces et les localités à se doter des ressources nécessaires grâce auxquelles, en plus des normes nationales en vigueur, les gens auraient une meilleure chance d'accéder à des ressources communautaires.

Il serait également utile de maintenir le principe qui consiste à appliquer des mesures moins intrusives en vertu des protections qu'accordent la Charte et la Loi sur les droits de la personne, outre qu'il faudrait envisager des stratégies et des lignes directrices nationales pour inciter les services d'accès à offrir des options communautaires et axés sur la clientèle auxquels les gens pourront s'adresser.

J'ai d'autres remarques à faire, mais je crains d'avoir dépassé le temps qui m'était accordé et je vais donc céder la parole à mon voisin.

M. Randy Pritchard, témoignage à titre personnel : J'ai lu avec empressement le premier des trois volumes que vous avez produits et, quand j'ai vu la vision que vous y énoncez en matière de services axés sur la clientèle et même administrés par les clients, j'ai été emballé.

Je suis alors passé à la lecture des autres volumes et je me suis demandé comment vous en étiez venu à cette vision; j'ai alors consulté la liste des témoins à la fin des volumes et j'ai compris.

La Mental Health Legal Advocacy Coalition est un groupe ontarien sans but lucratif. Pour y adhérer, il suffit d'avoir été interné dans un service psychiatrique. Nous essayons de répondre aux préoccupations des membres quand il y chevauchement entre problèmes de santé mentale et problèmes avec la loi. Jusqu'ici, nous sommes parvenus à intervenir dans trois causes devant la Cour suprême. D'abord, dans notre incarnation précédente, quand nous nous appelions le Queen Street Patients Council, nous sommes intervenus dans l'affaire LePage qui a ensuite été intégrée à l'affaire Winko et qui a donné lieu à une décision clé par la Cour suprême du Canada. Nous sommes aussi intervenus dans l'affaire Starson qui traite de la compétence à donner son consentement pour un traitement et dans l'affaire Pinet et Tulikorpi, deux clients de services judiciaires, qui a permis de préciser une fois pour toute qu'il faut systématiquement appliquer des dispositions moins restrictives et moins lourdes pour la totalité du mandat de dépôt.

Après avoir remporté ces victoires, certains ont cru qu'on les laisserait tranquille. Toutefois, nous avons assisté à une multiplication des tentatives du système de santé mentale pour contourner les décisions de la Cour suprême du Canada.

Peu après la décision Starson, un atelier a été organisé au Centre for Addiction and Mental Health, ici à Toronto, afin d'informer le personnel sur ce qu'il devait maintenant faire pour contourner les dispositions découlant de ce jugement. Pour nous, cela n'a rien de nouveau. Nous l'avons vu auparavant.

Initialement, j'avais l'intention de vous remettre mes propos par écrit, mais j'ai tout jeté à la poubelle, hier, après avoir témoigné lors d'une enquête qui s'est déroulée à North Bay, mardi. Elle portait sur le suicide par pendaison d'un client d'un service médico-légal. Après avoir eu la possibilité d'examiner les trois volumes de documents, les notes cliniques, les divers tests médicaux effectués et les témoignages de particuliers, j'ai été révolté de constater qu'on avait refait les mêmes erreurs. À la lecture de votre document, j'ai constaté que, quand vous avez adopté la philosophie du rétablissement, vous avez repris la définition antérieure. Eh bien, je dois vous donner une leçon d'histoire.

La philosophie du rétablissement a d'abord été adoptée aux États-Unis dans le cas de patients souffrant de problèmes mentaux, car on s'était rendu compte que 30 pour cent des symptômes disparaissaient chez ceux qui s'éloignaient du réseau de santé mentale. Et je pense que les gens se sont trompés en parlant de « rétablissement » ou de « guérison » pour décrire ce qui n'était qu'une façon d'indiquer aux fournisseurs de service : « Ce que vous dites s'applique peut-être à d'autres, mais pas à moi ». Cette expression a été reprise par les fournisseurs de service et la définition sert maintenant de moteur d'intervention.

Hier, vous avez accueilli les gens du Gerstein Centre de Toronto. À la question « Pourquoi ne retrouve-t-on pas ce genre d'installation partout au Canada? », l'un des témoins a répondu: « Eh bien, parce que ce ne sont pas des établissements médicaux » ce qui est effectivement la raison.

Il y a 15 ans, le gouvernement fédéral savait comments'y prendre. Il y a 15 ans, il veillait à ce qu'un grandnombre d'utilisateurs de service soient consultés. Mes collègues et moi-même avons participé, à Ottawa, à une consultation fédérale-provinciale financée par le gouvernement fédéral. Nous représentions environ un tiers des personnes présentes — au côté des fournisseurs de service et de bureaucrates — et notre position était très différente de celles des autres. À la façon dont je vois le problème, je dirais que vous devez revenir à cette vision d'un changement orchestré par les utilisateurs.

Il est ironique que nous ayons pu intervenir dans des causes devant les tribunaux, pour faire respecter nos droits et constater, par ailleurs — vous ne pouvez pas imaginer à quel point cela m'a horrifié — à la lecture de l'exposé de la société de schizophrénie, qu'il est recommandé de retirer aux patients de psychiatrie légiste le droit de refuser un traitement en vertu du Code criminel.

Nous devons prendre acte de ce qu'a déclaré la Cour suprême dans la cause Winko. Elle fait état de toutes les protections en place, notamment de notre droit de refuser un traitement, pour ne pas avoir baptisé cela d'infraction à l'article 15 de la Charte.

Nous avons fait un exposé devant le comité parlementaire chargé d'étudier les modifications au Code criminel et nous vous avons d'ailleurs fait remettre un exemplaire de notre mémoire, parce que nous croyons savoir que le comité sénatorial va examiner aussi cette question. Je vous implore d'assumer votre fonction de chambre haute chargée de jeter un second regard à ce sujet, parce que certaines dispositions horribles viennent saper les droits que nous confère la Charte.

Dans le cadre d'une contestation judiciaire qui a présidé au lancement d'un petit programme, nous avons sondé des gens dans le système médico-légal en Ontario et en Colombie-Britannique. Nous avons été surpris de découvrir que ces réseaux de santé, pour prouver qu'ils sont responsables, vous communiquent les résultats de sondages qu'ils effectuent. Il existe un merveilleux sondage sur la satisfaction de la clientèle qui a été réalisé par le programme de droit et de santé mentale du Centre for Addiction and Mental Health, à Toronto — sondage qui est auto-administré — selon lequel les gens sont généralement assez heureux de leur sort. Or, quand on sonde les mêmes personnes mais de façon différente, on obtient des réponses très différentes; selon moi, cela tient au fait que, si des membres du personnel administrent un sondage de satisfaction de la clientèle et que leur opinion détermine votre liberté de patient, vous risquez d'être un peu plus prudent dans vos réponses. Tous ces mécanismes n'ont aucune valeur.

J'étais révolté quand j'ai quitté North Bay, après avoir été témoin de la tentative évidente déployée pour certains d'échapper à leurs responsabilités dans des problèmes tout à fait physiques qui ont poussé cet homme à mettre fin à ses jours. Il a fallu 16 ans pour qu'il soit arrêté, ce qui est un autre problème courant dans le système : je veux parler de la tendance à nous considérer en fonction de l'étiquette que nous portons, à nous déshumaniser et à nier nos réalités.

Un membre de notre organisation s'est plaint pendant des années de douleurs à l'estomac et on lui a sans cesse répété : « Ne t'inquiète pas, cela fait partie de ta maladie. » Récemment, on lui a enfin fait subir des tests médicaux et on lui a trouvé une masse dans l'estomac qui, Dieu merci, était bénigne et qui ne le tuera pas, mais voilà un autre exemple.

À North Bay, deux patients ont déclaré avoir aperçu le malade dont je vous parlais à l'instant, peu après qu'il eut quitté l'établissement, ce qui aurait dû déclencher une réaction à l'interne. Cette réaction aurait consisté à appeler la police pour faire une déclaration de personne manquante. L'infirmière a décidé de ne pas agir ainsi. Deux heures plus tard, un technicien d'entretien, qui travaillait dans l'établissement, a également aperçu cet homme dans le même secteur et l'a signalé par téléphone. Cette fois-ci, elle l'a cru et a déclenché les recherches. Les deux premières heures auraient été amplement suffisantes pour le rejoindre là où on l'a finalement trouvé pendu.

Ce qu'il faut bien comprendre ici, c'est que les gens ne deviennent pas subitement fous. Cela fait 15 ans que je refuse de parler d'une chose, mais je vais le faire ici. J'ai été déclarée non coupable de possession d'explosifs illégaux en 1981, parce qu'on m'a jugeait déséquilibré. J'ai passé 10 ans dans le système médico-légal avant, du jour au lendemain, d'un simple coup de crayon, d'être déclaré « guéri » de ma maladie mentale, ce qui m'a permis de sortir du système. Aujourd'hui, nous ne sommes pas des dangers pour le public.

Ce qu'il y a eu d'incroyablement ironique dans toute ma situation, c'est ce qui s'est passé à la dernière audience de la commission d'examen quand on m'a demandé : « Comment pouvons-nous avoir la certitude que, dans l'avenir, vous allez demander l'aide de quelqu'un si vous avez des problèmes? » J'ai répondu: « Ne vous inquiétez pas, je reviendrais vous voir. » Ce genre de question peu donner lieu à une lourde sanction. Si vous êtes franc et honnête au sujet de vos difficultés, vous devez vous attendre à rester plus longtemps, vous devez vous attendre à ce que votre incarcération se poursuive. J'ai déclaré: « Ne vous inquiétez pas, j'ai tellement détesté mon séjour parmi vous, que je ferai tout ce qu'il faut pour ne plus jamais avoir affaire à vous. » Où d'autre pensez-vous qu'on accepterait ce genre de critique en vous répondant: « Fort bien. Cela nous va. Vous pouvez partir! » Et c'est exactement ce qui s'est passé.

Rien n'a changé. Le jour où j'ai témoigné en cour à North Bay, j'ai appris qu'un autre patient d'un centre médico- légal, à l'Hôpital Royal d'Ottawa, s'était suicidé. Durant moncontre-interrogatoire, l'avocat de l'hôpital a essayé de démonter tout ce que j'avais déclaré, « Vous conviendrez avec moi, » a-t-il dit, « que l'hôpital a fini par fournir cet équipement médical. » Il voulait parler d'un appareil de ventilation en pression positive continue qui permettait à cet homme de respirer la nuit. Je lui ai répondu : « Je suis d'accord qu'après 16 ans et de multiples preuves de son état physique, je suis d'accord que deux mois avant son décès, vous lui avez fourni son appareil. Oui, je suis d'accord avec vous. »

Il existe une base de données qu'on a ironiquement appelée la première base de données annuelle sur les mandats des populations du lieutenant-gouverneur. Celle-ci a été commandée en 1989 par le ministère fédéral de la Justice et par les commissions d'examen de partout au Canada, et on la doit à un certain Chris Webster, chercheur qui, à l'époque, travaillait au Clarke Institute. Il s'agit d'une étude démographique de la population au Canada, étude qui part de certaines statistiques intéressantes, comme le manque d'instruction des patients qui fréquent le réseau médico-légal.

C'est en Alberta que la note moyenne la plus élevée a été accordée, avec 11. En Ontario, la note est de 9, 25 pour cent des personnes n'avaient aucun revenu à l'époque de leur infraction. Elles ne bénéficiaient d'aucune aide sociale. Elles n'avaient aucune assistance. Rien! Vingt-cinq pour cent de cette population était sans abri. On a également constaté un chômage massif dû à un manque d'instruction ou de formation professionnelle et les logements étaient inférieurs aux normes, quand il n'étaient pas inexistants.

Même l'Organisation mondiale de la santé, en 1990, a reconnu que les niveaux de revenu sont des facteurs déterminants de la santé mentale et nous semblons avoir oublié tout cela. Nous nous disons que c'est cela qui est nécessaire, tandis que ce qu'il nous faut en fait, c'est d'étendre massivement au niveau communautaire les services qui sont actuellement offerts par le secteur institutionnel.

Hier, vous avez posé des questions au sujet des équipes ACT. Ces équipes ont été une véritable catastrophe. En 1990, dans le cadre de mon travail, on m'a demandé de revoir le prototype des équipes ACT dans cette province, à l'hôpital psychiatrique de Brockville, sous la direction du Dr LeFevre. La bataille était déjà bien enclenchée entre le personnel qui prêchait pour les institutions et d'autres qui penchaient davantage pour les services en milieu communautaire. L'objectif visé à l'époque était de traiter de cinq aspects de la vie des gens : le logement, l'emploi, l'instruction, les loisirs et la situation sociale.

Quand des gens se présentaient à l'hôpital, à la salle d'urgence, pour être admis, on les dirigeait vers le Dr Lefevre. Celui-ci les renvoyait chez eux en compagnie du personnel qui devait rester sur place jusqu'à ce que le problème commence à se régler. Il a pu ainsi fermer 38 lits du service psychiatrique. Il a perdu la bataille pour le contrôle et, à cause de cela, le secteur institutionnel a gagné la partie et c'est la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.

Je pourrais continuer ainsi jusqu'à plus soif, mais je n'ai plus de temps.

Le président : Merci à vous trois de vous être déplacés. Je vais vous poser une question à vous trois.

Quels services reçoivent les très nombreuses personnes incarcérées qui souffrent de maladie mentale — je ne parle pas ici nécessairement des cas extrêmes — si elles en reçoivent? Quand elles sortent de prison, est-ce que leurs problèmes ont été traités, s'est-il aggravé ou est-ce que rien n'a changé?

M. Pritchard : J'aborderai la chose sous l'angle de la population traitée par le réseau psychiatrique légiste, parce que c'est celui que je connais le mieux. Nombre de ceux qui ont fréquenté le système carcéral et le système de santé mentale, du moins le système de psychiatrie légiste, disent en général préférer la prison parce que celle-ci semble leur offrir plus d'options.

L'une des recommandations que nous avons adressées au jury, à North Bay, reprenait le modèle de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, modèle voulant que des postes non cliniques soient créés avec pour seule fonction d'accompagner les personnes qui sont admises par le système et ayant pour seule préoccupation de disposer des outils nécessaires au moment où les gens partent afin de les aider à régler leurs problèmes. En effet, si l'on ne règle pas ces problèmes, qui sont les principales causes de ce qu'on appelle les maladies mentales, après plusieurs années d'incarcération, si l'on dit à la personne « Maintenant, prends ta vie en main et ne fais pas de bêtises » on court à la catastrophe.

La Dre Cotton : Cela ne vous étonnera pas, mais je vais vous donner une réponse légèrement différente de celle de Randy. Les gens dont il parle font partie du réseau de la santé mentale, il s'agit des patients médico-légaux. Ils ne sont pas incarcérés et je dois préciser qu'en Ontario, dans le système psychiatrique légiste, les normes de soins sont exactement les mêmes que dans les autres branches de la psychiatrie. Je vous laisse décider de ce que valent ces normes, mais j'ai constaté que les choix offerts par les programmes médico-légaux sont à peu près identiques à ceux qui sont offerts dans un hôpital ou dans un service psychiatrique normal.

Pour m'être entretenue avec des patients, des utilisateurs de soins et des PVP, j'ai constaté que l'une des principales raisons pour lesquelles les gens préfèrent souvent la prison à un traitement en centre psychiatrique légiste, tient à la durée de la peine. Quand j'étais directrice des services médico-légaux, nous avons accueilli un patient qui avait volé le sac à main d'une dame. On ne lui aurait pas, pour ce crime, infligé cinq minutes de prison, mais il a passé cinq ans parmi nous. Les gens préfèrent de loin faire une peine de prison, parce qu'ils sortent beaucoup plus tôt, à moins qu'ils ne soient condamnés pour meurtre.

Pour ce qui est de votre question relative aux services, je vous dirais personnellement — et j'espère que je ne vais pas bientôt me retrouver au chômage — que la norme de soins dans le système correctionnel fédéral est loin de correspondre à la norme appliquée dans le milieu communautaire. Les principes du traitement en milieu correctionnel reposent sur la criminogénèse, sur le degré de risque et les facteurs de réponse, si bien que les problèmes de santé mentale ne sont traités que s'ils concernent le comportement criminel.

Les besoins d'ordre plus général, à moins qu'ils soient très aigus, ne sont généralement pas traités dans le système correctionnel. Cela ne fait pas partie du mandat. Croyez-moi, les pénitenciers ne sont pas des centres de soins. On n'y dispense pas des soins de santé. Ce sont des prisons. La santé n'est pas une très grande priorité dans le système.

Dans mon service, il y avait huit psychologues, trois infirmières, un travailleur social, un OT et un commis. Il s'agit d'un hôpital. Nous sommes l'hôpital du service correctionnel fédéral pour l'Ontario. Il nous faut remplacer la cartouche d'encre de notre imprimante, que nous partageons à 15, mais on nous a dit qu'il faudrait attendre le prochain exercice financier pour en avoir une; comme vous le savez, cet exercice commence en avril. Voilà le genre de priorité qu'on nous accorde. Nos soins ne correspondent pas à la norme de soins communautaires.

Le président : Je peux donc conclure de ce que vous dites — et je ne parle pas à présent des patients des services médico-légaux, mais de la population carcérale en général — que ceux et celles qui ont vraiment besoin d'un traitement en santé mentale, que ce soit sous la forme de conseils ou autres, ne reçoivent pas ce genre de service en général et que, ce faisant, ils ne ressortent pas dans un meilleur état pour ne pas dire qu'ils sont pires qu'avant.

La Dre Cotton : Si leurs problèmes de santé mentale sont directement liés à la commission d'un crime, il est fort probable qu'ils bénéficient d'un traitement, mais qui ne sera pas très poussé ni permanent, contrairement à celui qu'ils auraient reçu dans des services communautaires. Toutefois, si les troubles mentaux ont un rapport direct avec leur infraction criminelle, ils sont plus susceptibles de recevoir un traitement.

De plus, tout dépend de ce dont on parle. Il existe beaucoup de traitements permanents, de haut niveau, intensifiés, pour les délinquants sexuels et, malgré ce que le public semble penser, ce sont des traitements qui donnent d'assez bons résultats. Toutefois, le taux de dépression, par exemple, chez les délinquants incarcérés dans le système fédéral, est incroyablement élevé pour toute une diversité de raisons que vous pouvez imaginer et si l'on ne considère pas que la dépression est associée à un comportement criminel, elle n'est pas traitée en priorité.

Des établissements autres que les hôpitaux psychiatriques accueillent 400 à 600 délinquants pour lesquels il y a peut- être quatre ou cinq psychologues de service, pas plus. Il n'y a pas d'équipe soignante.

Le dernier élément de ce casse-tête, c'est le lien avec le monde extérieur. Le service correctionnel fédéral n'assure pas de suivi à la sortie. Il n'y a pas de système de libération conditionnelle ni de psychologues qui travaillent auprès des ex- délinquants au sein de la collectivité. Toutefois, si quelqu'un a besoin de soins plus importants, il est possible de le réintégrer dans les mêmes services que tous les autres. Bien sûr, c'est assez difficile pour qui que ce soit d'accéder à ce genre de services et ce l'est encore plus pour celui qui a un casier judiciaire.

Mme Pate : Mon expérience est à peu près semblable à celle qui vient d'être décrite, si ce n'est que pour quelqu'un qui est isolé, très souvent, n'importe quel autre endroit paraît mieux. Je veux être bien clair sur une chose, quand on interne un détenu ou une détenue dans un établissement psychiatrique ou de santé mentale, ce n'est généralement pas quelque chose que l'on va claironner, mais quand on est confronté au risque d'un décès en cellule d'isolement, on peut obtenir l'ordonnance d'un tribunal pour soumettre la personne à une évaluation psychiatrique et c'est parfois la seule façon de faire passer leur cas devant un tribunal. Dans la plupart des cas, nous sommes arrivés à nous ménager un peu d'espace pour revenir sur ce qui leur est arrivé dans le système carcéral. Ne pensez cependant pas que je suis en train de prêcher pour que l'on confie ces gens-là aux services médico-légaux. Ce n'est pas le cas.

La situation est sans doute un peu différente pour les femmes parce que cinq nouveaux services de santé mentale ont été ouverts un peu partout dans les prisons pour femmes au Canada, après qu'on a pris acte de la réalité dont je vous ai parlé plus tôt. Toutefois, les femmes qui se retrouvent là ne sont pas celles pour qui on avait destiné ces services à l'origine et, en majeure partie, cela est dû au fait que les programmes et les services qu'on y offre ne répondent pas à leurs besoins.

On y trouve des techniciens en science du comportement offrant des traitements axés sur la modification du comportement psychosocial qui, comme on l'a démontré ailleurs, ne sont pas les traitements les plus efficaces pour ce genre de personnes, qu'elles soient en prison ou dans un établissement de soins psychiatriques. Nous avons constaté que, là où il existe des services de soutien, ceux-ci sont généralement fournis en dehors du milieu correctionnel et ils sont dispensés par une personne qui fait cela sur son temps. Il s'agit d'une personne qui prend le temps d'offrir certains services. Il peut y avoir un lien avec la communauté. Il peut s'agir d'un intervenant en contact avec la personne incarcérée et il est vrai que les services communautaires font actuellement cruellement défaut, principalement parce qu'ils ne sont pas une priorité. Quand quelqu'un tombe en bas de la liste de priorité, on peut dire qu'il garde une certaine place, mais j'ai constaté qu'il arrive que des gens n'apparaissent même plus sur la liste de priorité.

Nous avons des femmes qui ont entamé une peine de 18 mois et qui sont là depuis 18 ans, tout cela à cause d'accusations accumulées pendant qu'elles étaient incarcérées et tout cela pour leurs problèmes de santé mentale. La plupart d'entre elles sont retenues derrière les barreaux jusqu'à expiration de leur mandat, parce qu'elles ont eu le malheur d'avoir un comportement criminel associé à la santé mentale et qu'à cause de cela, on considère qu'elles sont plus dangereuses, même si la recherche prouve le contraire, recherche dont vous avez sans doute entendu parler. Bien des gens, notamment ceux qui ont vécu cette expérience, pourront vous dire qu'il n'y a pas de rapport entre la santé mentale ou les étiquettes de santé mentale et la violence, ce qui n'empêche que l'on rattache automatiquement la violence aux troubles mentaux.

Le fait de résister à une arrestation ou de défoncer la porte d'une cellule d'isolement qui heurte quelqu'un vaut au coupable ou à la coupable une accusation d'agression contre ses gardiens, ou quelque chose du genre. Il arrive qu'un détenu agresse un gardien, parce que c'est la personne qui se trouve simplement à barrer le chemin.

J'ai été dans le service d'isolement et j'ai souvent réclamé, le plus souvent en vainc, qu'on déverrouille les portes et je ne me suis jamais faite agressée. Ce dont parlait Randy concerne une personne différente dans un contexte différent. La personne auprès de qui on intervient comprend que vous êtes là pour l'aider, pour devenir sa porte-parole, et pas pour empiéter davantage sur ses droits. Je ne suis pas en train de dire qu'il y a une solution magique. Les choses sont assez simples. Quand on peut contrôler sa vie, on peut exercer ce contrôle d'une façon qui vous est bénéfique et qui est bénéfique pour les autres en général, même si vous vous trouvez dans un état qui est différent de ce que l'on appelle souvent un état « normal ».

Comme je le disais, malgré tous les efforts qui ont été déployés pour offrir des programmes et des services derrière les barreaux, on ne parvient pas à répondre aux besoins de la population carcérale parce qu'on offre ces services et ces programmes dans une optique correctionnelle.

C'est pour cela que le Réseau d'action des femmes handicapées du Canada et nous-mêmes avons recommandé d'adopter une disposition dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pour que l'on permette aux personnes malades — et les personnes qui souffrent de maladie mentale tombent dans cette catégorie — de quitter la prison à un moment donné de leur peine pour être transférées dans des services de santé plus adaptés susceptibles de répondre à leurs besoins au sein de la communauté. Ce genre de mécanisme n'exige pas une réforme de la loi, mais il pourrait être l'occasion d'examiner des formules à l'échelon communautaire.

Il y a, par exemple, eu le cas de cette femme qui avait été condamnée à vie et qui avait dépassé de 15 ans sa date d'admissibilité à une libération conditionnelle à cause essentiellement de ses troubles mentaux, et qui n'a même pas été en mesure d'obtenir les rapports des services correctionnels avant de comparaître devant la Commission nationale des libérations conditionnelles. On a établi un lien entre les infractions commises et son état mental, bien que personne n'ait été en mesure de dire pourquoi étant donné qu'elle n'avait jamais été violente dans les 25 années passées en prison.

La seule façon de dénoncer cela publiquement a constitué pour nous à demander à un cinéaste de faire un film que je vous recommande d'aller voir si vous ne l'avez déjà vu, film qui s'intitule Sentence Vie/Sentenced to Life. Faites-le en comité ou individuellement. Je crois que ce film traite exactement de ce dont nous parlons, de la façon dont les gens se retrouvent plongés dans le système et ne peuvent plus jamais en sortir. La folie du système, et j'emploie ce terme à dessein, a été d'énoncer publiquement l'adoption de mesures correctives qui ont consisté à ne plus placer cette femme en isolement et à permettre qu'elle ait un certain contrôle sur les services auxquels elle devait accéder. Je suis heureuse de dire qu'elle passe maintenant plus de la moitié de son temps dans la collectivité, qu'elle vient de s'installer dans une de nos maisons de transition et qu'elle bénéficie de services de soutien supplémentaires. Malheureusement nous manquons encore de ressources.

Vous serez frappé si vous regardez les millions de dollars qui ont été investis dans des services de santé mentale, par le service correctionnel, dans des prisons pour femmes, services qui ne répondent encore pas aux besoins, par rapport aux coûts que représenterait l'emploi d'un travailleur supplémentaire en santé mentale ou d'un intervenant communautaire.

À deux reprises, j'ai pris des congés d'une semaine pour aller marcher avec des personnes que nous considérons comme particulièrement remarquables. Notre organisation a en effet recensé 17 femmes dites « remarquables » auprès de qui notre bureau de deux employées intervient directement.

Même quand nous déployons les ressources, force est de constater qu'il n'existe presque rien dans la communauté et ce sont nos maisons de transition que l'on contacte pour offrir ce genre de services aux femmes. En revanche, à cause d'un manque de personnel, nous ne sommes pas en mesure de leur apporter une aide. On ne met pas en œuvre des moyens qui seraient plus humains et qui seraient aussi beaucoup plus rentables.

Le sénateur Trenholme Counsell : L'une des questions que j'ai posées hier concernait les renseignements dont on dispose sur les détenus. Je voulais savoir si, étant donné le type d'interrogatoire et d'examen poussé qui précède la mission dans une installation à sécurité maximale ou moyenne, à l'arrivée d'un futur détenu, vous recueillez des données suffisantes, de bonne qualité et utiles, relativement à l'état de santé ou au statut social de cette personne? Je pense bien sûr ici à tout ce qui concerne la santé mentale. Est-ce que des membres du personnel proposent ce genre d'information? Est-ce obligatoire?

Mme Pate : Mon expérience dans ce domaine est limitée, parce que je ne suis généralement pas là lors des procédures d'admission, mais d'après les enquêtes que nous avons effectuées, d'après les interventions que nous avons faites devant les tribunaux et d'après le travail d'intervention que je fais sur le terrain, il m'est souvent arrivé de voir ces documents, parce que les femmes elles-mêmes me demandent de les consulter. En général, si l'état mental est en rapport direct avec l'infraction, comme le disait le Dr Cotton, on considère alors qu'il s'agit d'un facteur criminogène. Si les autorités considèrent que ce lien existe, il est mentionné, mais d'une façon très étrange.

Je vais vous donner le cas de cette femme qu'on avait étiquetée de schizophrène. Elle avait été violée par son père et on avait vu que les deux entretenaient des relations contre nature. Eh bien, il était notamment mentionné dans son dossier qu'un des facteurs ayant contribué à sa criminalité était le fait qu'elle avait eu des relations sexuelles avec son père. Il était également fait mention d'un comportement inapproprié et j'ai dit que, dans ce contexte, on avait l'impression qu'elle avait été consentante. Ensuite, comment faire ce saut qui consiste à établir un lien entre ses relations et ses démêlés avec la justice. Il est possible qu'à cause de son passé d'enfant violentée, elle ait dû se défendre contre l'homme qui l'a attaquée quand elle se prostituait dans la rue, mais rien, selon moi, n'est indicatif d'un problème de santé mentale dans ce cas.

L'une des raisons pour lesquelles la juge Arbour, la vérificatrice générale, le Comité des comptes publics et la Commission canadienne des droits de la personne ont recommandé d'appliquer cette stratégie pour évaluer la classification des femmes, c'est qu'en général on fait un recoupement avec les modèles établis pour les hommes. Si une femme a été victime de violence et qu'elle a réagi, cela déclenche souvent le besoin chez elle de se protéger contre tout risque éventuel, ce qui amène les autorités à la considérer comme présentant elle-même un risque. On peut alors lui demander de suivre un programme de gestion de la colère, programme dans lequel nous lui dirons, pour ne pas sanctionner le recours à la violence, qu'il est très difficile, dans le cas d'une femme qui a eu toute une vie marquée par la violence et qui réagit à un acte violent commis contre elle mais sans être elle-même violente, de dissocier sa violence de son vécu passé et présent.

Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais effectivement, il existe des informations. Le plus grand problème tient souvent au fait que ces informations sont utilisées sous l'angle de la criminalité.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous avez répondu en partie à ma question mais je me demandais, par exemple, s'il existe un dossier social, un dossier de travail, un dossier médical, un dossier criminel ou autres? Est-ce que toutes ces informations apparaissent de façon succincte et accessible quelque part?

Vous parliez des difficultés qui se posent dans le cas d'un viol ou d'une réaction à un acte violent. Ces cas-là n'ont rien de subtile, mais je m'attendrais à ce qu'une documentation soit établie dans ces situations. Comme je ne fais pas partie du système, je ne sais pas combien d'informations peuvent apparaître dans un dossier, mais est-ce qu'un agent des services correctionnels, et vous-même tant qu'intervenante, avez accès à ces informations et est-ce que vous en savez beaucoup sur les détenus?

Mme Pate : J'obtiens l'essentiel de mes renseignements en m'entretenant avec les personnes mêmes.

Le sénateur Trenholme Counsell : Quoi qu'il en soit, vous n'avez pas ce que l'on appelle un dossier de patient. Il n'existe pas de dossier quelconque que vous pourriez consulter rapidement.

Mme Pate : Au Service correctionnel du Canada, il y a la procédure d'admission. Nous avons contesté certaines dispositions de cette procédure que nous jugeons inconstitutionnelle, parce qu'elles portent sur des aspects comme la condition sociale et qu'elles débouchent sur la formulation de facteurs de risque.

Ces facteurs sont constitués, par exemple, par le fait qu'on a résidé dans une région où le revenu est faible, quand on n'a pas beaucoup d'instruction ou quand d'autres membres de la famille ont un dossier criminel. Nous avons appris, dans le rapport Causey, qu'en Alberta 90 pour cent des hommes autochtones ont un dossier criminel avant qu'ils n'atteignent l'âge de 30 ans.

Pour classer les détenus à leur admission dans ces différentes catégories, il faut porter un jugement et il faut alors déterminer l'appartenance à telle ou telle catégorie constitue un facteur de risque. Or, ce travail peut être réalisé par un travailleur de cas tout nouveau qui a 25 ans.

La Dre Cotton : Permettez-moi d'intervenir à ce sujet. Nous prenons énormément de détails sur le passé des gens à leur arrivée, mais il s'agit uniquement d'éléments concernant leur passé criminel et de facteurs liés aux infractions commises.

Je suis neuropsychologue pour l'Ontario et je vois toutes les personnes institutionnalisées que l'on considère comme ayant subi une forme ou une autre de « lésion cérébrale », ce qui veut dire tout et rien. Rien dans les dossiers ne constitue ce qu'un hôpital pourrait qualifier d'historique social, ce qui fait problème pour les raisons soulevées par Kim.

Il est possible d'utiliser beaucoup d'informations contre les délinquants, tout comme les rapports. Je me trouve dans une position délicate quand je dois dire que tel homme a subi des lésions importantes au niveau du lobe frontal et qu'il a des problèmes à contrôler ses impulsions à cause de lésions au lobe frontal gauche. D'un côté, je me dis qu'on va le garder plus longtemps en prison, parce qu'on va supposer qu'il risque de récidiver, ce qui n'est pas forcément vrai. D'ailleurs, nous n'avons aucune donnée pour appuyer ce genre de constat, mais en théorie il semble logique.

Cela veut dire aussi qu'il existe des centaines de millions de dossiers qui circulent dans le système correctionnel, de sorte que le travail que nous effectuons, moi-même et les travailleurs de la santé, n'est pas accessible, par exemple, aux agents des libérations conditionnelles. À cause des règles de confidentialité, à moins qu'il n'y ait un problème de santé, les surveillants de liberté conditionnelle n'ont pas accès aux dossiers, tout comme vous n'auriez pas accès aux dossiers médicaux d'une personne hospitalisée. Le patient dispose du droit fondamental à ce que son dossier de santé ne devienne pas public et tout cela devient très confus dans le système correctionnel.

On dresse plutôt des dossiers sur les infractions criminelles, sur la consommation de substances illégales, ce qui arrive en tête de liste. Quand un futur détenu donne volontairement ce genre d'information, on le soumet à un interrogatoire où l'on cherche à déterminer s'il a été traité pour des troubles mentaux ou autres, mais il n'y a pas vraiment d'évaluation psychiatrique globale d'effectuée à ce stade. En règle générale, le secteur correctionnel n'emploie pas de travailleurs sociaux et nous ne disposons donc d'aucun renseignement qui pourrait être assimilé à des antécédents sociaux.

Le président : Kim, ne nous avez-vous pas dit que, selon un rapport concernant l'Alberta, 90 p. 100 des femmes autochtones ont un dossier criminel avant l'âge de 30 ans?

Mme Pate : Ce sont des hommes. Il s'agit d'hommes. Avant30 ans, 90 p. 100 des hommes autochtones ont un dossier criminel. Il s'agit du rapport Causey, concernant l'Alberta. Nous savons à présent que près du tiers des femmes condamnées à des peines de deux ans ou plus sont autochtones. Il est de plus en plus rare de trouver des familles qui ne comptent pas un membre ayant un casier judiciaire qui est utilisé contre eux.

Le sénateur Callbeck : Merci de vous être déplacés ce matin et de nous avoir fait vos exposés. J'ai une brève question pour chacun de vous.

Madame Pate, est-ce que la Société Elizabeth Fry prend contact avec ces femmes après leur incarcération ou avant?

Mme Pate : Cela varie beaucoup d'une collectivité à l'autre, mais nous faisons les deux. En général, nous les contactons avant. Un grand nombre de nos sociétés locales offrent des services d'intervention précoce. Certaines offrent aussi des services aux victimes un peu partout au pays, et tout dépend de la collectivité concernée.

Le sénateur Callbeck : Vous avez dit que le segment de la population carcérale qui progresse le plus rapidement est celui des femmes et vous avez également affirmé que c'est au pénitencier de Kingston que l'on constate la plus forte augmentation de détenues venant de la région Atlantique. Cela veut-il dire que ce sont les femmes de la région de l'Atlantique qui constituent le gros de l'augmentation de la population carcérale féminine dans les pénitenciers?

Mme Pate : Merci de poser cette question, parce que, de toute évidence, je n'ai pas été claire. Je voulais dire que notre organisation a repéré ce problème il y a plus de 10 ans parce que nous avons constaté cette tendance dans le cas des femmes venant de la côte atlantique. Le phénomène s'est maintenant propagé à la grandeur du pays, mais il est vrai que pendant sept ans environ, les Services correctionnels du Canada ont placé des unités à sécurité maximale dans les prisons pour hommes. Dans l'Atlantique, c'était à l'établissement de Springhill. Chaque fois que j'ai visité cet établissement, ces unités étaient pleines de femmes présentant de graves problèmes de santé mentale. C'était le problème que l'on constatait a priori. Si vous alliez dans un des pénitenciers de la Saskatchewan, vous y trouviez des femmes autochtones et l'on avait diagnostiqué chez nombre d'entre elles des problèmes de santé mentale.

Je ne dis pas qu'il s'agit d'un phénomène limité à la région de l'Atlantique. Toutefois, c'est en faisant ce constat que nous nous sommes dit qu'il fallait surveiller la situation.

La Dre Cotton : Puis-je faire une remarque à ce sujet? Un ami, qui était psychologue en chef à la prison pour femmes de Kingston, m'a dit en passant que les peines infligées aux femmes dépendaient un peu du bon vouloir des juges. J'ai l'impression, et vous me corrigerez si j'ai tort, qu'il y avait une certaine tendance, dans le Canada Atlantique, à donner des peines de deux ans exactement, surtout aux femmes, parce que cela permettait à l'appareil judiciaire provincial d'accéder aux établissements fédéraux, plutôt que d'engorger les prisons provinciales. S'il y a effectivement place à l'amélioration dans le système correctionnel fédéral, celui-ci est une véritable Cadillac comparé aux prisons des provinces et, quand les systèmes provinciaux sont particulièrement détaillants, on se retrouve avec un régime de peine à deux vitesses.

Mme Pate : Effectivement. À un moment donné, le nombre de femmes de la région de l'Atlantique incarcérées dans des pénitenciers a quintuplé. Depuis, ce nombre a nettement diminué, puisqu'il a été réduit de près de moitié, mais il représente encore le double de ce qu'il était à la prison pour femmes, parce qu'avant, il y avait une prison là-bas. Ce nombre a triplé dans la région des Prairies.

On constate-là les répercussions des réductions budgétaires que les provinces ont pu effectuées dans les services sociaux, les soins de santé et l'éducation, parce que beaucoup de gens passent ainsi au travers des mailles du filet. Pour ce qui est des femmes, nous assistons à une augmentation des fraudes du bien-être social, à des transports de paquets de l'autre côté de la frontière et, à l'échelle du pays, à une augmentation de la prostitution parce que les femmes veulent joindre les deux bouts. Plusieurs femmes autochtones incarcérées pour avoir commis un vol qualifié à main armée, voulaient simplement être payées après avoir vendu leur corps, mais leurs clients ont simplement déclaré qu'elles étaient en train de les voler. Après tout, il ne s'agit que de femmes autochtones et si elles ont des problèmes de santé mentale, comme Randy le disait, qui va-t-on croire?

Le sénateur Callbeck : Dr Cotton, vous avez dit que lessalaires des psychologues du service correctionnel fédéral sont de 30 p. 100 inférieurs à la moyenne. Je sais que nous manquons de psychologues dans le système, mais est-ce que des postes sont actuellement vacants?

La Dre Cotton : Il existe des postes vacants, sur papier. Je ne suis pas certaine que l'on cherche vraiment à les combler. Je sais que, dans mon service par exemple, nous avons trois bureaux de psychologues qui sont vides parce que ceux qui les occupaient sont partis ailleurs et que leurs postes sont maintenant vacants, mais dans les livres. On nous dit toujours qu'il n'y a pas d'argent.

Le recrutement est un gros problème. C'est encore plus important dans le cas de la GRC. J'ai constaté, dans votre rapport antérieur — ce qui m'a beaucoup frappée — qu'aucune information n'a été obtenue de la GRC, ce qui en dit long.

Je travaille également dans le domaine de la psychologie policière, qui n'existe pas au Canada. Je ne prendrai cependant pas cette tangente aujourd'hui. Cela est indiqué dans mon mémoire. Avec un professeur de l'Université de Moncton, nous allons réaliser une enquête nationale sur l'utilisation des services psychologiques par les corps policiers et, gros problème, sur l'incapacité de recruter des psychologues, surtout à la GRC.

Le salaire d'un psychologue au gouvernement fédéral est d'environ 70 000 $. La norme, dans le secteur privé, est d'environ 90 000 $. Dans les services correctionnels, nous percevons ce qu'on appelle une indemnité de poste, c'est-à- dire 1 000 $ de plus par semaine, par mois ou par an, ou quelque du genre — je ne me rappelle plus exactement — qui ne fait pas partie de notre salaire et qui peut nous être retirée n'importe quand. La GRC ne propose pas cela.

Ainsi, la GRC essaie d'engager des psychologues à qui elle offre 20 000 à 30 000 $ de moins que dans les hôpitaux du coin, ce qui est évidemment impossible. Si j'avais reçu dix sous chaque fois que la GRC m'a démarchée pour travailler pour elle, je serais riche, mais il demeure qu'on ne peut recruter des gens quand on propose aussi peu. Cela en dit également long de la façon dont la GRC considère la profession.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Pritchard, j'ai une question pour vous. Je n'ai pas eu le temps de lire votre mémoire, mais je vais le faire.

Toutefois, vous faites quelques remarques concernant le projet de loi dont est actuellement saisi le Sénat.

M. Pritchard : Vous parlez du projet de loi C-10?

Le sénateur Callbeck : C'est cela, le projet de loi C-10. J'ai remarqué que la disposition concernant la déclaration des victimes s'appliquerait aux cas des personnes qui ne sont pas criminellement responsables de leur acte.

M. Pritchard : Exact.

Le sénateur Callbeck : Ce projet de loi mettrait donc en place un système de déclaration de la victime.

M. Pritchard : Cela existe déjà dans la loi. La loi les rend plus lourds de conséquence parce que, après tout, dans le jugement Winko, il est question de l'utilité de ce genre de déclaration dans un procès au pénal. La victime a la possibilité d'influer sur la peine imposée.

Comme ce système a été créé à l'intention des patients du système médico-légal, des accusés non criminellement responsables, ce qu'il faut essentiellement retenir c'est qu'aucune sanction n'est permise en droit dans ce cas. Cela retire toute valeur à la déclaration de la victime. Celui ou celle qui a été victimisé par une personne désignée criminellement non responsable, a certes le droit d'être entendue, mais pas à ce niveau. Il faut trouver d'autres mécanismes pour cela. Actuellement, il n'y a pas de lieu dans le système pour quelqu'un qui, à cause de troubles mentaux, n'a pas eu d'intention criminelle, n'a pas eu d'intention coupable.

Le sénateur Callbeck : Et où pensez-vous qu'il faudrait entendre ces personnes?

M. Pritchard : Il existe des mécanismes. J'ai un ami qui a bénéficié des services offerts aux victimes, ici en Ontario. Je ne sais pas ce que représente le fait de pouvoir confronter l'agresseur plus d'une fois sur le plan de la guérison mentale de la victime.

Dans la loi actuelle, les victimes peuvent faire une déclaration écrite dont le juge peut tenir compte dans la première ordonnance portant décision. Il est maintenant proposé que cette déclaration puisse être faite en personne et qu'elle puisse être retenue à demeure pour les ordonnances portant décision, ce qui est contraire à l'intention du projet de loi. Cela n'a pas sa place ici.

On dirait qu'on essaie de faire un parallèle entre les deux systèmes, mais il n'y en a pas. Cela n'est pas permis en droit et je vous dirais que si de telles dispositions devaient être adoptées, nous serions les premiers à monter au créneau pour contester cette décision. Celle-ci est contraire aux dispositions de l'article 15 de la Charte des droits et nous n'avons pas l'intention d'être les gentils petits patients mentaux qui sont prêts à accepter ce genre de chose. Nous ne l'accepterons pas.

Le sénateur Pépin : Madame Pate, je tiens à vous remercier pour votre exposé. Je m'intéresse à la question de la violence faite aux femmes depuis plus de 25 ans, mais ce que vous avez déclaré ce matin m'a beaucoup apporté parce que je me rends compte que j'ignorais beaucoup de choses, surtout dans le cas des détenues. Je sais que les services correctionnels ne sont peut-être pas très à jour, mais je me demande ce qu'il en est de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

Quand ces gens-là voient des patients, savez-vous s'ils connaissent la maladie de la personne qu'ils ont devant eux? Sont-ils formés pour faire ce genre d'entrevues? Êtes-vous au courant de cette partie, parce que ce sont les membres de la Commission nationale des libérations conditionnelles qui décident si ces patients vont être remis en liberté.

Mme Pate : Merci de votre question et je pense effectivement que le travail de la Commission nationale des libérations conditionnelles suscite de plus en plus d'intérêt, de la part de notre vice-présidente, et que nous travaillons de plus en plus à cet échelon.

En fait, la commission nous a invités à donner une séance de formation il y a deux ans. Elle est en train d'effectuer des recherches sur la prise de décision, sur la façon dont les décisions varient selon qu'il s'agit d'un homme ou d'une femme et sur l'interprétation des répercussions des décisions sur les hommes et sur les femmes, par exemple dans le cas de femmes ayant été victimes de violence.

Il y a effectivement place à l'amélioration. Toutefois, l'un des problèmes, c'est que la Commission des libérations conditionnelles se fie sur les renseignements qui lui sont fournis et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous recommandons que davantage d'intervenants et de groupes comme celui de Randy et d'autres, participent au processus. Je ne suis pas en train de dire que nous manquons de travail, mais c'est pour cela que nous participons à des causes à l'échelle nationale, en plus de celle dont je vous ai parlé.

Nous nous sommes rendu compte que, dans nos interventions, nous devons quasiment reconstruire la situation. Nous avons pu le faire dans le cas d'une femme renvoyée en détention. La commission s'était appuyée sur les renseignements communiqués par les services correctionnels. Ce n'est pas que les gens ne voulaient pas aider la détenue, mais ils interprétaient leur contribution à la cause de façon tout à fait différente de nous. Je peux vous dire que ce processus — c'est moi qui me suis occupée de ce cas — a nécessité une bonne fontaine d'heures passées à interviewer les mêmes personnes, à parler avec les mêmes psychologues et à essayer de parvenir à une autre version de la cause.

Résultat : la détenue en question a été remise en liberté, mais à plusieurs conditions. Puis, un jour, elle a dit qu'elle était sur le point de rechuter, elle a pris une voiture, s'est en allée puis l'a abandonnée. Elle a laissé les clés à l'intérieur. Le propriétaire n'a pas voulu porter d'accusation, mais c'est à cause de cet incident, qu'elle a été renvoyée en prison pour y servir sa peine jusqu'au bout, bien que toutes les personnes concernées se disaient qu'elle aurait peut-être mieux fait de conduire cette voiture jusqu'à la maison de transition pour y déclarer qu'elle venait de la voler. Techniquement, elle a effectivement volé une voiture et c'est à cause de cela que la Commission des libérations conditionnelles l'a renvoyée en prison. Les commissaires ont estimé qu'ils n'avaient pas d'autres choix parce qu'il s'agissait d'une libération statutaire sans récurrence possible. Autrement dit, elle n'avait que cette chance de demeurer en liberté et, à la première infraction d'une des conditions fixées, elle retournait en prison.

Quand elle a été enfin libérée, la commission s'est senti obligée d'en informer la police parce qu'une structure avait été mise en place. Finalement, cela fait maintenant un an et demi qu'elle était en liberté après être restée 10 ans en prison. Au départ, elle avait été condamnée à trois ans. Elle a encore des problèmes, mais les gens n'en reviennent pas à quel point sa santé mentale s'est améliorée. Je ne veux pas vous paraître désinvolte, mais si nous laissions sortir un plus grand nombre de détenues et si nous avions des structures pour les accueillir, par exemple des structures communautaires et un endroit où elles puissent vivre, leurs problèmes de santé ne disparaîtraient pas automatiquement mais, comme Randy le disait, plus on éloigne ces gens du système et moins on risque d'associer tout ce qu'ils font à leur passé criminel.

Le président : Je vous remercie tous trois de vous être déplacés et j'ai apprécié le temps que vous nous avez consacré.

La séance est levée.


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