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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 15 - Témoignages du 11 mai 2005 - Séance de l'après-midi


FREDERICTON, le mercredi 11 mai 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 13 h 2, pour examiner la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, j'aimerais que chacun des témoins puissent prononcer leur déclaration avant qu'on ne passe aux questions.

[Français]

Mme France Daigle, coordonnatrice provinciale, Programme de prévention du suicide, ministère de la Santé et du mieux-être, Nouveau Brunswick : Monsieur le président, je vais vous donner un compte-rendu bref de la recherche que l'on a fait auNouveau-Brunswick au sujet des décès par suicide. La recherche a débuté le 1er avril 2002 pour se terminer le 31 mai 2003. Pendant notre recherche, il y a 109 personnes qui sont décédés par suicide, et on a pu réviser 102 cas, c'est quand même une très bonne moyenne.

La recherche, c'est un partenariat entre le ministère de Santé et mieux-être, le Bureau du Coroner en chef du Nouveau-Brunswick et le Centre de recherche Fernand Séguin du Québec, dont Monique Séguin, Alain Lesage, Gustavo, étaient nos chercheurs principaux.

Le but de cette recherche était justement d'étudier les circonstances sociales, psychosociales des gens décédés par suicide. On a aussi repris toute la vie de ces gens là depuis le début jusqu'au temps du décès. Autre chose aussi qu'on voulait regarder, c'était au niveau de la trajectoire de services. Est-ce que les gens qui sont décédés ont eu des services, ont été chercher des services? Si oui, est-ce que c'était efficace, sinon, alors qu'est-ce qu'on peut faire pour pouvoir améliorer?

Qu'est-ce qu'on a trouvé dans notre recherche sur les 102 cas? Sur les 102 cas, on a rencontré face à face à peu près 55 familles; pour les autres nous avons étudié leurs dossiers, — les familles nous disaient qu'ils n'étaient pas prêts pour nous rencontrer mais que par contre, ils voulaient faire partie de la recherche — de leur santé mentale, leurs dossiers d'hôpitaux, de toxicomanie et tous les services que les personnes ont eus.

On se rend compte que deux tiers des personnes qui sont décédées par suicide, le problème majeur était au niveau de l'alcool et drogue. Cette conclusion est revenue dans deux tiers des cas qui sont décédés par suicide. Le problème majeur était alcool et/ou la drogue.

Une autre composante assez sérieuse dans 60 p. 100 des cas, c'était la dépression. Dans plusieurs des cas, on s'est rendus compte que les problèmes des personnes étaient des problèmes qui existaient depuis longtemps. Ce n'était pas quelque chose qui venait juste d'arriver, c'était quelque chose qui existait depuis plusieurs années. On se rend compte aussi en étudiant la trajectoire de vie de ces personnes, qu'il y a des personnes qui à leur naissance étaient déjà à risque dans le sens que leurs milieux étaient soi des milieux abusifs ou des milieux où les parents avaient des problèmes d'alcool et de drogues. On se rend compte aussi que, quand ils ont quitté le foyer familial, c'est comme si leur résilience n'était plus là. Par contre, quand il y a des événements de vie qui sont survenus, c'est que par le passé, il n'y avait pas de « coping skills » comme on dit, alors à ce moment-là c'est comme si les personnes régressaient et les problèmes d'alcool et de drogue survenaient.

On se rend compte aussi dans notre étude que plusde 50 p. 100 des gens ont été en contact avec des services. Quand on parle de services, on parle des services de santé mentale ou de services médicaux de première ligne et/ou deuxième ligne. On a aussi évalué au niveau des services, la trajectoire de services le mois avant le suicide, un an avant le suicide puis aussi à vie. On se rend compte que l'année avant le suicide, plus de 60 p. 100 des gens avaient eu des contacts avec les services, soit des services de dépendance et de santé mentale de première ligne. Au moment du décès, seulement 10 p. 100 de ces personnes là étaient suivies par soit le service de première ligne. Cela nous a amené à nous poser des questions, à savoir si nos services étaient adéquats? Qu'est-ce qu'on pourrait faire de plus?

On se rend compte qu'au niveau des services santé il y a un manque pour les personnes qui souffrent et qui on reçu un diagnostic ou deux, et même plus. C'est un aspect qui est quand même revenu assez fréquemment.

Alors, qu'est-ce qu'on a fait suite à l'étude? On a fait des recommandations au gouvernement du Nouveau- Brunswick. Les quatre recommandations majeures que nous avons faites sont : qu'il y ait, au niveau provincial, des protocoles d'entente entre les services; par exemple, que les intervenants en santé mentale, les services de dépendances, les services médicaux de première ligne se parlent et travaillent ensemble. On s'est rendu compte que les gens qui étaient suivis recevaient des services plus ou moins offerts en « silos ». On demande que les gens travaillent plus ensemble. C'est une des recommandations, qu'il y ait des protocoles au niveau provincial.

Deuxièmement, on demande au gouvernement de regarder de quelle façon on offre les services, pour justement s'assurer que les personnes ne tombent pas dans les « craques » comme on dit, et de s'assurer que lorsque le client se présente on peut relancer la personne et faire plus de « outreach », et travailler plus avec la famille.

Troisièmement, on demande que nos professionnels d'intervention soient de première ligne c'est-à-dire qu'ils soient formés dans la prévention du suicide, de la toxicomanie. C'est un problème très complexe et très fréquent.

Quatrièmement, on demande à ce que les familles soient appuyées dans leurs demandes d'aide, parce qu'on s'est rendus compte dans notre recherche que les familles pouvaient détecter les signes avant-coureurs, par contre, ils ne savaient pas quoi faire pour aller cherche de l'aide. C'est aussi un aspect qu'on aimeraitre garder plus près.

Une stratégie canadienne nationale pour la prévention du suicide a été suggérée et on aimerait qu'elle soit endossée. Les Premières nations relèvent du gouvernement fédéral, et puisque qu'on s'occupe des Premières nations, il serait bien qu'on puisse tous travailler ensemble. Dans les dossiers que je reçois pour la prévention du suicide, j'ai aussi les dossiers des Premières nations. Au cours des deux dernières années on a développé un groupe de travail au Nouveau-Brunswick entre les Premières nations, le ministère de la Santé mentale et d'autres partenaires pour voir comment on peut faire pour travailler ensemble. On est très limité parce qu'on n'a pas de fonds. La province nous dit qu'il y a plusieurs programmes et des opportunités d'aide, et que nous avons le mandat pour intervenir, mais qu'elle n'a pas les ressources financières. Comment pourrions-nous travailler ensemble pour partager soit des fonds ou des transferts.

Un autre aspect très important est celui de l'éducation. On sait que le suicide, c'est un problème de société et c'est un problème très complexe. Comment pouvons-nous travailler ensemble pour offrir des cours de sensibilisation et d'éducation aux familles, aux membres de la communauté, aux services de santé de première ligne et de deuxième ligne? Un des résultats de notre recherche, c'est que plus de la moitié des gens qui sont décédés par suicide avaient vu leur médecin de famille la semaine, le mois avant leur suicide. Nous avons beaucoup de travail à faire ensemble comme partenaires.

J'aimerais que vous reteniez que le suicide est un problème de société. Il faut qu'on arrête de se mettre des barrières et de dire que ce problème ne nous concerne pas. Notre mandat c'est de s'assurer que toute la communauté soit en bonne santé physique et mentale.

Lors de notre étude on a rencontré 40 personnes qui ont fait des tentatives de suicide. On a rencontré ces personnes pour justement avoir un peu la même information qu'on a reçu avec le groupe et pour nous donner aussi des points de repère pour apporter certaines améliorations dans les services ou la façon qu'on offre les services. Les résultats du deuxième groupe devraient être prêts pour l'automne 2006.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, nous allons maintenant donner la parole à notre deuxième témoin, M. Bernard Galarneau, du Centre de rétablissement Shepody.

M. Bernard Galarneau, psychologue, directeur politique, Centre de rétablissement Shepody : Monsieur le président, honorables sénateurs, c'est pour moi un privilège de discuter avec vous d'une question aussi importante que les besoins des personnes souffrant de troubles mentaux au Canada.

Avant de passer au troisième rapport, au sujet duquel vous nous avez demandé de vous faire part de nos observations, j'aimerais me présenter et vous parler de notre organisation.

J'ai été formé comme psychologue clinicien et judiciaire. Après avoir travaillé pendant cinq ans pour les Forces au sein du Royal 22e Régiment, les tristement célèbres Van Doos, je suis retourné aux études et j'ai obtenu une maîtrise en psychologie clinique.

L'exercice de mon métier de psychologue m'a amené à travailler dans divers milieux. J'ai commencé comme interne à l'Hôpital Restigouche à Campbelton, au Nouveau-Brunswick, au service des soins actifs pour les femmes. Ayant acquis une bonne connaissance du modèle médical, j'ai par la suite travaillé à la Clinique de santé mentale de Moncton à titre de psychométricien. C'est en septembre 1984 que j'ai commencé à travailler comme psychologue contractuel auprès de Service correctionnel du Canada, ou SCC, au pénitencier Dorchester, qui, avant l'ouverture de l'établissement de l'Atlantique à Renous, était un pénitencier à sécurité maximale.

On m'a embauché pour que je conçoive et que je mette en place un programme de lutte contre la toxicomanie, ce que j'ai fait jusqu'à l'année suivante, alors que les fonds ont manqué et que j'ai été réaffecté à l'aile psychiatrique du pénitencier Dorchester. Ce fut une époque très intéressante.

C'est en 1987 que j'ai commencé à travailler pour le SCC à titre de psychologue de l'établissement pour une périodeindéterminée. Le psychologue de l'établissement s'acquitte d'un grand nombre de tâches. Comme nous nous occupons de 100 à 200 détenus, nous ne pouvons consacrer que très peu de temps à la véritable psychothérapie. On agit plutôt comme un urgentologue, c'est-à-dire qu'on gère les crises au fur et à mesure qu'elles éclatent et on fait beaucoup d'évaluations des risques. On n'accorde pas beaucoup d'importance à la santé mentale. Malheureusement, c'est le lot des psychologues dans les établissements.

À l'époque, mon centre d'attache était ce qu'on appelait le Centre de traitement régional de l'Atlantique. Vers 1990, le centre a reçu pour mandat de concevoir, de développer et de mettre en œuvre un programme pour les délinquants sexuels. Je me suis porté volontaire pour faire ce travail, avec un petit groupe de collègues, et j'ai finalement travaillé pendant 10 ans dans ce domaine. Avec le temps, je suis devenu directeur clinique du programme intensif pour délinquants sexuels et du programme régional d'évaluations des délinquants sexuels. Ce dernier comportait un programme spécial pour les délinquants sexuels qui avaient commis une infraction d'ordre sexuel et qui souffraient d'un déficit d'apprentissage ou d'un trouble mental quelconque leur empêchant d'avoir accès aux programmes destiné à l'ensemble de la population.

En 2002, j'ai changé de camp, comme se plaisent à dire mes collègues du syndicat, pour devenir administrateur sous le titre de directeur clinique du Centre de rétablissement Shepody.

Parallèlement à ma carrière au SCC, j'ai continué à travailler à titre de psychologue clinique et judiciaire indépendant. J'ai également été membre du Comité d'évaluation des candidatures et président du Collège des psychologues du Nouveau-Brunswick pendant un mandat.

Le Centre de rétablissement Shepody héberge 46 lits. Il est situé au sein du pénitencier Dorchester, dans le village de Dorchester, au Nouveau-Brunswick. On a tout d'abord attribué le nom de Centre de traitement régional de Dorchester, puis de Centre régional de l'Atlantique, au Centre de rétablissement Shepody. C'est en 2000, que le centre s'est transformé en institut indépendant doté de son propre budget et d'un directeur exécutif, M. Luc Doucet, et d'une équipe multidisciplinaire comprenant des agents correctionnels, des infirmiers, des ergothérapeutes, des psychiatres, des psychologues, des agents de libération conditionnelle, des médecins, des travailleurs sociaux, et cetera. Depuis 2001, le centre s'appelle Centre de rétablissement Shepody.

Il est vrai que le terme « rétablissement », dans le sens de« guérison », n'a pas plu à tout le monde, mais il a été retenu, car il reflète le fait que les personnes qui souffrent de troubles mentaux doivent être traitées selon une approche holistique et inclusive; une approche qui va au-delà des disciplines traditionnelles que sont la psychiatrie, la psychologie, les sciences infirmières et le travail social. Le terme « traitement », pour sa part, émane du modèle médical qui veut que les personnes souffrant de troubles physiques soient malades et qualifiées de patients.

On entend notamment par « rétablissement » la participation accrue des autres, notamment du clergé, des agents de liaison inuits-autochtones, des bénévoles, de la famille, des amis et des membres de groupes d'entraide comme Alcooliques Anonymes, ou AA, ou encore Narcotiques Anonymes, ou NA. L'approche fondée sur le rétablissement est sans doute intrinsèquement plus égalitaire et plus axée sur le client et lui permet de jouer un rôle plus actif dans son rétablissement que les modèles médicaux traditionnels. Évidemment, il y a un côté spirituel et réparateur au rétablissement.

Depuis cette époque, sous la gouvernance et le leadership deM. Doucet, le Centre de rétablissement Shepody s'est véritablement lancé dans le XXIe siècle grâce à une approche qui permet de gérer le travail extrêmement complexe d'une organisation qui doit respecter le Code criminel, la Charte des droits et libertés, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, les règlements sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, les directives du commissaire, les instructions régionales, les règles de pratique et la Loi sur la santé mentale du Nouveau-Brunswick, sans parler des codes de déontologie des différents groupes professionnels qui sont représentés au sein de notre institution. Je me dois également de mentionner que l'application d'une approche axée sur le client dans un environnement paramilitaire, où les règles, la structure, la responsabilité, la discipline et la sécurité sont primordiales, comporte sa part de difficultés.

Permettez-moi maintenant de vous parler de M. Doucet qui devait venir aujourd'hui : comme vous le savez, avant d'assumer le poste de directeur exécutif au SCC en 2000, M. Doucet avait fondé un service de défense des patients au Nouveau-Brunswick et avait travaillé à la défense des patients pendant un certain nombre d'années. Il va sans dire qu'il a ainsi pu identifier les nombreux problèmes des patients et les multiples visages de la maladie mentale, de la stigmatisation rattachée à la maladie mentale au désarroi des familles, en passant par les lacunes du système. Mais il a aussi pu constater la détermination et le dévouement sans faille des travailleurs oeuvrant dans le secteur de la santé mentale qui prennent au sérieux leurs rôles et responsabilités. M. Doucet est, professionnellement parlant, travailleur social, mais il est également un vrai défenseur des personnes souffrant de troubles mentaux. Il se plait à dire « Nous, les travailleurs en santé mentale, ainsi que les autres professionnels de la santé, devons défendre ceux qu'on doit considérer comme étant les personnes les plus vulnérables de notre société mais également de notre système de soins de santé ».

Bien évidemment, M. Doucet était déçu de ne pas pouvoir discuter lui-même de toutes ces questions avec un public aussi érudit. Quant à moi, je suis désolé qu'il n'ait pas pu venir et suis convaincu qu'il vous aurait fait part de ses vastes connaissances et de ses opinions sur ces questions ainsi que de sa passion pour la cause. D'un autre côté, je suis heureux que ce soit moi qui soit ici et que ce soit moi qui ai l'occasion de m'entretenir avec vous.

Je dois vous avouer que je n'ai pas lu les deux premiers rapports, mais j'ai lu le dernier attentivement. Je sais que Brenda McPherson a lu le premier rapport attentivement également. Il ne fait que 280 pages. Pour ce qui est du troisième rapport, je l'ai lu avec grand intérêt et en j'ai parlé longuement avec mon estimé collègue, le travailleur social John Lutes, qui m'a fait part de beaucoup d'idées intéressantes à ce sujet. N'oubliez pas son nom parce qu'on en reparlera plus tard dans le cadre d'une importante initiative provinciale à laquelle participe le SCC, qui cadre bien avec la discussion d'aujourd'hui.

Vous avez sans doute remarqué que je n'ai pas encore utilisé le terme « maladie mentale ». J'ai préféré utiliser les mots « troubles mentaux » sciemment pour diverses raisons. Traditionnellement, à ma connaissance, dans le domaine médical, on a tendance à utiliser le mot « trouble » pour décrire une maladie incurable. Une maladie qui peut être traitée et maîtrisée, mais pas guérie. À l'inverse, la maladie peut être guérie et les traitements sont souvent disponibles et efficaces.

J'aimerais pouvoir vous dire qu'il est possible de guérir la schizophrénie et les troubles bipolaires, mais nous savons tous que c'est faux et que la maladie peut se manifester à nouveau. En effet, les traitements ne sont pas toujours efficaces et il y a des risques de rechute. C'est en tout cas ma perception du modèle médical du traitement des maladies. Il s'agit d'un modèle qui est utilisé efficacement depuis longtemps pour traiter les maladies physiques mais qui n'est pas adapté au problème de santé mentale et d'inadaptation.

Ce qui est intéressant, c'est que dans la quatrième édition du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux,le DSM-IV, l'American Psychiatric Association précise que le terme « trouble mental » est inadéquat, mais qu'étant donné l'accent mis sur le dualisme de l'esprit et du corps, il leur est impossible de trouver des termes mieux adaptés. Je ne tenterais même pas d'en proposer, car je n'oserais pas douter de l'opinion de cette association.

Bien évidemment, les problèmes de santé mentale n'ont rien à voir avec les germes, les microbes ou encore les bactéries et se rapportent plutôt à nos besoins, tels que nous les vivons et tels qu'ils sont exprimés. Ces troubles ont des symptômes comme une tristesse inhérente et une incapacité à résoudre des problèmes personnels et à s'adapter à l'environnement. Je dis souvent à mes clients que les personnes qui sont heureuses et bien adaptées n'agressent pas autrui. Elles respectent la vie et la propriété des autres, tout simplement parce que c'est dans leur avantage et elles apprécient la paix et l'harmonie. C'est ce que je pense.

Quand nos besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits, et par besoins, j'entends essentiellement les besoins émotifs mais également les besoins physiques et psychologiques, notamment la spiritualité chez certaines personnes, on souffre de problème d'adaptation. Les problèmes de santé mentale sont des symptômes de tristesse, mais sont également le reflet des lacunes de la société et de nos systèmes juridiques et de santé mentale.

Les changements auxquels mènera votre processus de consultation ne viseront pas uniquement les infrastructures et l'amélioration de la prestation de soins de santé primaires, secondaires et tertiaires. Ils viseront également nos valeurs et il faudra qu'on change de façon dramatique notre façon de penser. Par exemple, dans le rapport, les termes « axé sur le patient/client », « axé sur le patient », « patients » et « sujet » sont des quasis synonymes. Mais il faut savoir que le terme « patient » est issu du modèle médical. Les termes « accès sur le patient /client » sont presque antinomiques lorsque le patient est vu comme une personne qui reçoit un traitement, par opposition au client qui participe activement à son évolution thérapeutique. Avec tout le respect que je vous dois, je vous dirais qu'il est essentiel que l'on intervertisse les termes pour parler de « axé sur le client/patient » de façon à préciser que le patient a droit au chapitre, ce qui l'amène à se prendre en main et à se positionner au cœur du traitement qu'il reçoit.

Sachez également que l'on parle beaucoup du concept de consultation, ce qui est évidemment une partie importante de l'approche axée sur le client/patient qui intègre des professionnels en tous genres : les travailleurs communautaires et les clients/patients eux-mêmes. Par contre, ne devrions-nous pas aller chercher plus loin que les consultations? Ne devrions-nous pas adopter une approche qui soit plus exhaustive et inclusive? Après tout, le consultant est toujours étranger, joue un rôle assez passif peut facilement être écarté si son opinion n'est pas satisfaisante pour une raison ou une autre.

Je pense qu'en parlant de partenariat et de coalition, au lieu de consultation, on se rapproche sensiblement d'une relation véritablement inclusive et égalitaire. Les partenariats établis dans le cadre de coalitions font participer des personnes qui font partie du système et qui travaillent activement ensemble pour l'améliorer. Avec tout le respect que je vous dois et sans vouloir être impertinent, y a-t-il des membres permanents qui souffrent de troubles mentaux, des partenaires de longue date? C'est vrai que des personnes ayant des troubles mentaux ont été consultées, mais l'idéal serait d'en avoir à titre de membres permanents, car elles pourraient jouer un rôle actif et être consultées tous les jours à titre de partenaires égaux.

Par rapport à votre rapport, je dirais tout d'abord que j'ai été très impressionné par son caractère exhaustif et par la pertinence des questions qui y sont posées. Je ne peux qu'être admiratif face à la complexité des questions auxquelles vous vous attaquez et je suis enthousiasmé par votre dévouement évident et la solidité de vos recherches. Je vous avoue que je suis content de ne pas être obligé de répondre à toutes les questions que vous posez, mais je pense que le processus est bon et j'espère que mes observations vous seront utiles.

La deuxième chose qui m'a frappé dans votre rapport, c'est l'absence relative d'observations portant directement sur les délinquants ou les prisonniers souffrant de troubles mentaux, délinquant étant un terme qualifiant ceux qui font partie de la communauté. Lorsque, au chapitre 2, le comité traite de segments de la population spécifiques, les prisonniers ne sont pas mentionnés à proprement parler, sauf dans un court passage à la fin de la rubrique 2.4, Cas complexes, où on renvoie le lecteur au chapitre 7. Au chapitre 7, on mentionne les besoins des prisonniers des pénitenciers, mais uniquement sous la rubrique Le rôle du gouvernement fédéral. La seule question qu'on se pose par rapport aux prisonniers est de savoir si l'accessibilité et la qualité des services et du soutien peuvent être améliorées dans les pénitenciers.

Les prisonniers sont donc traités comme un segment de la population, comme un groupe qui n'est pas tellement différent des autres groupes de Canadiens qui souffrent de troubles mentaux. À notre avis, si cette perception est fréquente, elle n'en est pas moins erronée. Par exemple, dans notre institution jumelée du pénitencier Dorchester et de Shepody, de 20 à 25 p. 100 de la population est soignée en consultation psychiatrique externe. Les prisonniers passent du pénitencier au centre Shepody pour consulter un psychiatre et reçoivent un traitement psychiatrique quelconque. Je me demande quelle est la part des citoyens de la collectivité qui ont besoin de services psychiatriques. Évidemment, la population du pénitencier Dorchester n'est pas représentative de la collectivité moyenne, mais ça ne fait que renforcer ma position.

Les prisonniers sont atteints d'une panoplie de troubles mentaux, notamment des troubles de l'Axe 1 et d'un grand nombre de troubles de l'Axe 2, surtout du trouble de la personnalité. Les troubles de l'Axe 2 comprennent la débilité mentale et le trouble de la personnalité, surtout le trouble de la personnalité antisociale, mais également le trouble de la personnalité limite comme entre autre le narcissisme.Il y en a beaucoup qui souffrent de co-morbidité et de troubles convergents ou pour qui un diagnostic mixte a été posé.Parmi les prisonniers des établissements fédéraux, entre70 et 75 p. 100 souffrent soit de troubles mentaux ou de toxicomanie. C'est même étonnant, presque, de rencontrer un prisonnier qui ne souffre ni de toxicomanie ni de troubles mentaux. Quand on est toxicomane, on a 2,3 fois plus de chances de souffrir d'un trouble mental et, à l'inverse, quand on a un trouble mental, on a 2,7 fois plus de chances d'être toxicomane.

Il est important de préciser que les professionnels de la santé mentale ont tendance à traiter les troubles un à la fois. On traite la toxicomanie, puis l'autre trouble. Et pourtant, des recherches récentes semblent démontrer qu'une approche intégrée serait plus efficace.

Mme Daigle : C'est ce qu'on essaie de dire. Merci.

M. Galarneau : C'est effectivement ce que vous essayez de dire. Il est évident que je suis d'accord avec vous sur un grand nombre de questions.

Il faudrait donc s'attaquer parallèlement aux problèmes de toxicomanie et aux troubles mentaux; aux aspects mentaux et physiques de chacun et à la distorsion cognitive qui alimente l'attitude dysfonctionnelle par rapport à la vie, aux traitements et aux autres questions pertinentes. La scission entre la santé mentale et la santé physique se manifeste de toutes sortes de façons.

Je suis désolé d'aller si rapidement, mais nous n'avons pas beaucoup de temps. Par exemple, au SCC, lorsque les contrevenants ont reçu leur peine et passent au système correctionnel, ils se retrouvent dans un centre de réception où leurs besoins, le risque qu'ils posent et leur réceptivité aux interventions sont évalués afin de générer un placement pénitencier en fonction de leur évaluation et de leur crime. Par contre, au SCC, il n'existe aucun système qui permette de dépister les troubles mentaux ou les problèmes de santé mentale. Ce n'est que lorsque la communauté signale un problème de santé mentale ou que la nature du crime, par exemple les agressions sexuelles ou violentes, le dicte, qu'une évaluation psychologique lors de l'arrivée du prisonnier est effectuée. Il n'y a pas de dépistage systématique pour l'ensemble des contrevenants. Étant donné le nombre important de prisonniers souffrant de troubles mentaux, ne serait-il pas important de régler ce problème?

Comme les centres de santé mentale sont séparés des centres de réception — dans mon cas le centre de réception est à Spring Hill et le centre de traitement régional à Dorchester — les personnes qui nécessitent des soins psychiatriques et psychologiques importants et doivent être hospitalisées sont envoyées au centre de traitement, ce qui veut dire que le processus de réception doit être interrompu le temps de régler les troubles mentaux. Il est vrai que parfois, le personnel du centre de réception se rend jusqu'au centre de traitement, mais on est loin d'un modèle de service intégré axé sur le client.

En ce qui concerne l'intégration des services, vous dites dans votre rapport que la coordination des services entre les organismes gouvernementaux, provinciaux et fédéraux pose souvent des difficultés. Les détenus atteints de troubles mentaux qui prennent des médicaments psychotropes reçoivent généralement, au moment de leur libération, une provision de médicaments pour deux semaines. Combien de temps doivent-ils attendre avant de voir un médecin ou un psychiatre qui renouvellera leur ordonnance? Et l'on sait très bien que s'ils ne peuvent prendre leur médicament, beaucoup d'entre eux auront des rechutes qui pourraient les amener à commettre d'autres crimes.

Dans un louable effort de collaboration intergouvernementale et de réflexion proactive, John Lutes, dont j'ai déjà parlé,Jean-Louis Bouchard, le directeur des Services de santé mentale du Nouveau-Brunswick et Leslie Reid, un représentant des services correctionnels provinciaux, ont défini ensemble un protocole. Il est encore à l'état d'ébauche, mais c'est un excellent document qui vise à garantir aux détenus libérés un accès rapide aux traitements et aux services dont ils ont besoin, au moment opportun.

Je ne peux vous remettre un exemplaire de ce document, parce qu'il n'est pas terminé, mais M. Bouchard a indiqué qu'il sera heureux de vous le faire parvenir une fois qu'il aura été officiellement approuvé.

Permettez-moi de soulever quelques questions importantes. Il importe d'améliorer les connaissances et la formation des policiers et des autres intervenants du système de justice pénale. On n'offre pratiquement aucune formation dans ce domaine aux juges et aux avocats, comme nous l'ont signalé des étudiants et des praticiens qui travaillent déjà dans le système judiciaire. On offre très peu de formation sur la santé mentale. Il y a cependant des projets encourageants comme le Tribunal de la santé mentale à Saint Jean et en Ontario, que vous connaissez sans doute.

La détection précoce est extrêmement importante pour qu'une intervention soit efficace, tout comme l'acquisition de compétences parentales. Bien que les compétences parentales soient sans rapport avec les troubles mentaux découlant d'un déséquilibre biochimique connu, il y a trop de parents mal préparés à leur rôle qui négligent ou maltraitent leurs enfants, ou se montrent incapables de répondre aux besoins physiques, émotifs et psychologiques d'êtres humains en devenir.

Nous sommes favorables à l'idée de consacrer des fonds à former un plus grand nombre de professionnels de la santé mentale autochtones, mais il faut rappeler que la formation de professionnels autochtones dans ce domaine est la solution que nous préconisons. C'est notre modèle et pas celui des Autochtones, qui pourraient bien avoir une opinion différente; voilà pourquoi nous devons les laisser choisir leurs propres solutions, car elles seront peut-être plus efficaces que celles qui découlent de nos modes de penser conventionnels.

Nous sommes en faveur des incitatifs financiers pour les médecins. Je trouve excellente l'idée que les médecins consacrent plus de temps aux personnes atteintes de troubles mentaux. Les services de santé mentale doivent être incorporés dans le régime de santé canadien. Nous devons supprimer la dichotomie qui existe entre la santé mentale et la santé physique, car on sait par exemple que les gens...

[Français]

— dans les maisons pour les personnes âgées, les aînés vont avoir une meilleure santé physique lorsqu'on leur donne le choix de choisir où ils s'assoient et ce qu'ils vont manger au déjeuner.

[Traduction]

Si ces choix apparemment sans conséquence ont un effet sur votre santé physique, imaginez les conséquences pour un enfant ou un adulte du fait d'être privé de ce dont il a besoin. En effet, il faut réserver des fonds exclusivement aux services de santé mentale dans l'enveloppe des soins de santé. C'est là notre position.

Permettez-moi d'aborder brièvement l'Inforoute Santé du Canada. C'est un excellent projet. Il faut cependant protéger le caractère confidentiel des renseignements. C'est un risque inhérent à toute communication électronique de renseignement. Toutefois, la création d'un portail national contenant de l'information fiable et approfondie sur les troubles mentaux, les traitements et les effets indésirables de ces traitements favorisera grandement la participation des patients à leur propre traitement et permettra d'instaurer une approche vraiment centrée sur le client.

Mme Brenda McPherson, coordonnatrice provinciale, Psychiatric Patient Advocate Services : Monsieur le président, mesdames et messieurs du comité, merci de m'avoir invitée à participer à cette réunion. Je n'ai reçu l'invitation que mercredi dernier, si bien que j'ai dû me préparer rapidement et que mon rapport n'est pas encore prêt, bien qu'il soit terminé. Il en est à l'étape de la révision finale; il sera ensuite traduit et je pourrai vous le faire parvenir. Je l'enverrai par voie électronique à votre greffière d'ici une semaine ou deux, et vous aurez alors toutes les données, y compris les statistiques.

Comme vous l'avez mentionné, monsieur le président, je suis coordonnatrice des Services de défense des droits des patients psychiatriques du Nouveau-Brunswick. Mon poste a été créé en 1994, au moment de l'adoption de la Loi sur la santé mentale du Nouveau-Brunswick. Notre rôle primordial est d'assurer que la Loi sur la santé mentale est appliquée correctement et uniformément partout dans la province. Si mon rôle est axé sur le client, il assure également un certain équilibre entre les professionnels de la santé, les consommateurs, les patients et leurs familles.

Nous desservons 12 établissements de soins psychiatriques au Nouveau-Brunswick, dont le Centre de rétablissement Shepody au pénitencier de Dorchester, qui est un établissement fédéral avec lequel nous travaillons en partenariat. Nous avons aussi deux établissements de détention à long terme pour les délinquants atteints de maladie mentale, l'un à Campbellton et l'autre, à Saint-Jean. Les autres unités sont aussi situées dans les hôpitaux régionaux.

Je vous ai remis un exemplaire de notre Loi sur la santé mentale et je suis sûre que, tout comme moi, vous allezpasser la journée de dimanche à la lire. Soit dit en passant, j'ai lui les 280 pages du premier volume de votre rapport, parce qu'on ne m'a pas indiqué qu'il fallait lire le troisième volume. Je l'ai cependant trouvé très intéressant et très instructif et cela m'a donné un canevas à partir duquel préparer mon intervention d'aujourd'hui.

Permettez-moi de vous décrire les modalités de notre programme. Dans un premier temps, on inscrit sur une formule appelée le certificat d'examen le nom des patients qui doivent être évalués par un psychiatre au Nouveau- Brunswick. Cette évaluation peut-être ordonnée par le tribunal ou par un médecin. Une fois le patient admis à l'établissement psychiatrique, le psychiatre peut le garder pendant auplus 72 heures pour procéder à l'évaluation. Le psychiatre peut également traiter le patient ou lui administrer des médicaments. Cependant, il doit choisir l'une des trois options suivantes : donner son congé au patient, après lui avoir donné, au besoin, une ordonnance; garder le patient sous observation pendant 72 heures en vertu de la Loi sur la santé mentale et, avant l'expiration de ce délai, lui demander s'il consent à suivre un traitement et à rester plus longtemps dans l'établissement; demander l'internement du patient contre le gré de ce dernier et lui administrer sans son consentement un traitement médical courant. Si le patient est interné et traité contre sa volonté, il y a audience d'un tribunal, pendant laquelle le patient peut intervenir. Il en a le droit.

Le patient a droit à tous les renseignements transmis au tribunal et notre rôle, en tant que défenseur de ses droits, est de veiller à ce que le patient reçoive toute l'information. Nous rencontrons les patients, nous leur offrons des conseils et des ressources dans la mesure du possible. Nous les encourageons aussi à se préparer en vue des audiences, en rédigeant des notes. Certains patients décident de ne pas participer aux audiences; c'est leur choix. Les membres de leur famille participent aussi à ces audiences.

Une fois l'audience terminée, le président peut décider seul ou avec les autres membres si le patient doit être interné contre son gré. Si la demande d'internement est acceptée, elle est valide pendant 30 jours au maximum. Ensuite, on peut demander de prolonger la durée de l'internement à 60 jours ou à 90 jours. Je n'entrerai pas dans les détails. Vous pourrez les lire dans la Loi sur la santé mentale, qui n'est pas très volumineuse, comme vous le voyez. On y décrit les modalités correspondant à chaque étape, y compris la procédure d'appel. Nous nous occupons aussi des personnes sous tutelle et des personnes incapables ou qui sont déclarées incapables, de même que des cas de planification de succession. Gross modo, voilà ce dont traite la Loi sur la santé mentale.

En tant que défenseur des droits des patients, notre rôle premier consiste à sensibiliser et à informer la population au sujet de nos services. Notre rôle consiste aussi et surtout à accompagner les patients à toutes les étapes du processus, à les seconder et à les aider à comprendre. Il est très difficile pour un patient qui se sent déjà très vulnérable de s'y retrouver dans un processus très long et qui peut leur sembler très formel. En réalité, le processus n'est pas très formel si on le compare, par exemple, au système judiciaire où l'on doit comparaître devant un juge, mais pour ces personnes, la situation s'apparente beaucoup à la comparution devant un juge. Malheureusement, elles ont parfois l'impression d'être traitées comme des criminels. Nous essayons de combattre la stigmatisation des patients et de les aider à comprendre ce qui se passe, mais notre rôle n'est pas celui d'un clinicien. Nous n'avons pas la responsabilité de conseiller les patients, de les aider à comprendre les troubles dont ils souffrent, et cetera. Voilà, en gros, comment le programme fonctionne.

En ce qui concerne notre clientèle, nous comptons 500 patients de plus qu'en 2001. Au cours du dernier exercice, nous avons offert nos services à 1 579 patients au Nouveau-Brunswick. Ce sont toutes des personnes visées par la Loi sur la santé mentale. Bien sûr, ce chiffre n'inclut pas les patients qui consentent à leur internement. Cette statistique est extrêmement révélatrice, étant donné la population du Nouveau-Brunswick.

Il convient de mentionner que 810 de ces patients ontentre 16 et 40 ans; la plupart d'entre eux ont entre 20 et 35 ans. Je trouve cela alarmant. Nous observons en ce moment un afflux de jeunes dans le système. Je crois que vous avez mentionné ce phénomène dans le premier volume de votre rapport. J'aimerais bien me reporter au troisième volume, mais c'est impossible, car je ne l'ai pas lu. Je promets cependant de le lire.

Si nous sommes si préoccupés par ce phénomène, c'est à cause des problèmes particuliers qui touchent cette clientèle. Premièrement, la stigmatisation, qui est un grave problème. Deuxièmement, les ressources et services prévus pour les patients de cet âge posent problème. Ces personnes font face à différents obstacles, entre autres sur le plan du revenu, du logement et de l'accès aux médicaments.

De plus, beaucoup d'entre eux vivent encore chez leurs parents. Mettez-vous à la place d'un jeune de 25 ans qui vient de recevoir un diagnostic de trouble bipolaire et qui habite encore chez ses parents. Cela remet en cause sa dignité, il se sent dévalorisé et se demande quelle place lui revient dans la société. Il est donc très difficile de travailler avec cette clientèle.

C'est ce qui aboutit au syndrome de la porte tournante, phénomène fréquent dont vous avez fait mention dans le premier volume de votre rapport. Malheureusement, plus le patient est jeune, plus il risque d'être interné à nouveau, parce que les jeunes sont moins susceptibles de continuer à prendre leurs médicaments après avoir reçu leur congé. Ils prennent des drogues illicites et d'autres médicaments, si bien qu'ils deviennent de plus en plus malades. Voilà pourquoi nous voyons souvent des cas de psychose d'origine médicamenteuse chez des jeunes de 19 ans qui, après cinq ans, souffrent de schizophrénie caractérisée et n'ont accès à aucune ressource en raison de leur âge. Il y a des lacunes liées à l'âge des patients. Qui, outre les parents du patient de 25 ans, acceptera la responsabilité de prendre soin de ce jeune, quand on sait par exemple qu'il y a beaucoup d'obstacles à l'intérieur de notre système et dans d'autres organismes également?

Ces facteurs démographiques sont très préoccupants. Nous éprouvons aussi d'autres problèmes avec les parents et les soignants. C'est le revers de la médaille de la situation que je viens de vous décrire. Pour les parents et les soignants, la protection des renseignements personnels est un obstacle majeur. Je reçois des appels tous les jours à ce sujet. En tant que coordonnatrice, je traite surtout avec les gestionnaires, mais les défenseurs des droits des patients au Nouveau- Brunswick se font appeler par les parents qui leur disent : « Pourquoi nepouvons-nous pas avoir accès à l'information? On ne nous dit rien au sujet de notre fils de 30 ans. Nous ne savons pas quels traitements il reçoit, ni quand il va recevoir son congé, ni ce qui va se passer ». En pareil cas, nous ne pouvons rien faire d'autre que leur conseiller d'obtenir le consentement de leur fils. Or, ces personnes sont généralement trop malades pour vouloir donner leur consentement. C'est pour elles une question de fierté et de dignité : pourquoi devrais-je permettre à mes parents d'avoir accès à ces renseignements?

Ceux qui s'occupent ou prennent soin de ces patients se trouvent aux prises avec une situation difficile parce qu'une fois que le patient a reçu son congé de l'hôpital, il faut pratiquement tout recommencer à zéro. Ils ne comprennent pas la maladie. Ils estiment qu'on les a tenus à l'écart au moment de définir le plan de traitement et qu'on ne les a pas informés des résultats de l'évaluation. C'est un grave problème pour les soignants. Si nous ne les aidons pas à participer, comment pourrons-nous garantir la sécurité et la continuité de services et de soins de grande qualité pour nos clients?

Un autre problème tient au fait que beaucoup des parents ou des soignants de ces patients sont littéralement épuisés.Ils prennent soin de ces personnes depuis qu'elles ont l'âge de 12, 13 ou 14 ans. Les soignants sont passés par toutes les étapes du système judiciaire, ils ont connu le système des foyers d'accueil, et cetera. Quand leurs enfants ont 25 ou 30 ans, ce sont de jeunes adultes qui sont parfois peu fonctionnels et à ce moment-là, ces soignants naturels sont totalement épuisés et ont accès à peu ou pas du tout de ressources. Voilà pourquoi j'estime que le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer; il doit s'associer au gouvernement provincial pour améliorer les services et les ressources dont dispose la province.

À l'heure actuelle, l'une des plus grandes sources de frustration pour les soignants et les clients — qui sont également les patients — est que les séjours à l'hôpital ne cessent de raccourcir, et nous savons pourquoi. C'est parce qu'on a réduit le nombre de lits et qu'on veut libérer ces lits le plus vite possible. Or, cela pose problème lorsqu'un jeune de 22 ans reçoit pour la première fois un diagnostic de trouble bipolaire et qu'on lui donne son congé deux semaines plus tard. Ce jeune doit apprendre à composer avec sa maladie, se procurer ses médicaments et se renseigner sur sa maladie ou s'intégrer à un réseau, ce qui n'est pas facile, car il n'y a peut-être pas de réseau accessible. Là encore, c'est un problème de taille. À notre avis, le raccourcissement des séjours à l'hôpital ne profite pas nécessairement aux clients à moins qu'ils aient accès concrètement à des ressources dans la collectivité.

Notre rôle consiste à protéger la société et également à protéger l'individu. Contrairement aux lois d'autres provinces, la Loi sur la santé mentale du Nouveau-Brunswick stipule que la personne doit présenter un danger pour elle-même ou autrui, et pas seulement pour autrui. Je suis fier de le souligner parce que je pense qu'on limite trop la portée de la loi en stipulant que la personne doit seulement présenter un danger pour autrui.

En terminant, j'aimerais souligner que les responsables de notre programme souscrivent à la déclaration qui figure à la page 171 du premier volume de votre rapport. Vous y affirmez qu'il faut s'attaquer à l'approche compartimentée qui sévit dans le domaine de la planification des politiques et de la prestation des services de santé mentale et des services de traitement de la toxicomanie, en misant sur une meilleure intégration, des partenariats et de la collaboration.

Idéalement, j'aimerais que votre comité recommande que tous les intervenants des services de défense des droits des patients psychiatriques, qu'il s'agisse de services formels ou de services offerts en vertu des lois sur la santé mentale des autres provinces, puissent se regrouper, échanger de l'information et discuter des obstacles afin de trouver les façons de les surmonter et d'améliorer notre système. C'est là une des graves lacunes de notre système à l'heure actuelle. J'ai eu l'occasion et le plaisir de rencontrer des représentants du Bureau de l'intervention en faveur des patients des établissements psychiatriques de l'Ontario et avec des représentants de la Colombie-Britannique, mais nous n'avons malheureusement jamais pu nous rencontrer en personne pour discuter de ces questions. Je crois qu'il faudrait encourager de tels échanges.

Enfin, le mandat que nous confère la Loi sur la santé mentale comporte des difficultés pour beaucoup d'intervenants avec qui nous interagissons. Après tout, nous faisons affaire avec des personnes vulnérables qui souffrent de troubles mentaux graves. Cependant, nous devons absolument jouer notre rôle en tenant compte des droits de ces personnes. C'est un système de poids et contrepoids. Merci de votre attention.

Le président : Je vous remercie pour vos témoignages.

Avant de donner la parole au sénateur Trenholme Counsell, j'aimerais vous poser à tous une question au sujet d'un aspect soulevé par Mme McPherson. Dans différentes régions du pays, des témoins que nous avons entendus ont évoqué la difficulté de concilier, d'une part, le droit du patient au respect de sa vie privée et, d'autre part, le désir des parents et des soignants de les aider. Ce n'est pas que ces gens veuillent se mêler de ce qui ne les regarde pas, ils veulent vraiment aider le patient, mais les règles qui s'appliquent en matière de respect de la vie privée les en empêchent. Comme quelqu'un l'a signalé, je ne sais pas si c'est le premier témoin, mais nous avons effectivement signalé qu'il faut demander le consentement du patient d'une façon quelconque. Or, le principe même de l'obtention du consentement du patient repose sur la présomption que le patient est capable de peser le pour et le contre et de donner son consentement, alors que dans bien des cas, les patients n'en sont pas capables. Vous travaillez tous les trois dans ce domaine. Que devrions-nous faire à votre avis?

Mme McPherson : Premièrement, quand je m'entretiens avec les parents, j'insiste sur l'importance de partager l'information. Les parents se sentent isolés, mais rien ne les empêche de rencontrer les fournisseurs de soins et les professionnels de la santé et de leur dire ce qu'ils ont observé et la situation qu'ils vivent. Je pense qu'ils se sentent un peu intimidés et c'est pourquoi nous voulons les encourager à fournir le plus de renseignements possible. Cela aide à élaborer le plan de soins.

Au sujet de la confidentialité, je vais vous donner un exemple. J'avais un patient de Moncton qui s'est retrouvé à Québec. J'ai téléphoné à Québec et j'ai dit : « J'appelle au nom du Service d'intervention au nom des patients des établissements psychiatriques. Nous cherchons à faire transférer un patient qui veut revenir au Nouveau-Brunswick. Serait-il possible d'en discuter avec quelqu'un? » La personne du Québec à qui je parlais m'a opposé un refus catégorique, disant : « Je ne peux même pas vous dire si ce patient est ici ou non ».

Comme c'est une question de confidentialité et une question éthique, nous devons respecter cela. J'ignore comment nous y prendre. Nous devrons peut-être envisager des services davantage intégrés et donc travailler davantage en partenariat de manière à partager l'information, en plus d'avoir une législation quelconque permettant tout au moins à certains ministères de travailler ensemble. De plus, il faut englober les familles sur certains points au sujet de ce partage de l'information.

Mme Daigle : Au sujet de la recherche que nous faisons, quand quelqu'un présente un risque de suicide et habite avec des membres de sa famille, bien souvent, les membres de la famille n'ont aucune idée que la personne a des pensées suicidaires, car cette dernière à honte d'en parler à sa famille. Parfois, quand la famille appelle à l'aide, nous leur disons : « Désolés, vous devez nous l'amener », parce que nous refusons de voir les membres de la famille. C'est pourquoi nous proposons, dans les cas où le client refuse l'aide, de faire en sorte que la famille devienne le client. Cela veut dire que l'on peut alors les informer, travailler avec eux, essayer de les aider et de leur donner une orientation quant à la manière dont ils peuvent convaincre le membre de leur famille d'aller chercher de l'aide ou de demander de l'aide.

Au sujet des relations entre les organismes, la première chose que les gens disent, c'est toujours : « Je ne peux rien vous dire parce que c'est confidentiel ». Cependant, quand on est en présence d'une personne qui risque de se suicider, c'est bien beau de respecter la confidentialité, et nous le faisons, car nous avons un code d'éthique, mais qu'est-ce qui est le plus important? Il faut le faire savoir à la famille et aux autres membres de l'entourage. Je trouve que, parfois, nous, dispensateurs de soins, membres de la famille ou professionnels, invoquons le prétexte de la confidentialité. Nous devons commencer à travailler ensemble.

Le président : Vous pouvez comprendre pourquoi nous sommes exaspérés.

[Français]

Le sénateur Pépin : Lorsque des familles veulent avoir de l'information sur leur fils ou leur fille de 30 ans, et qu'on leur répond : « on ne peut pas vous le dire à cause de la confidentialité », ne trouvez-vous pas que la famille a aussi une responsabilité. Je comprends très bien la famille qui veut avoir de l'information, parce que ce sont eux qui en ont la responsabilité aussi. Alors, c'est bien beau de dire que l'information est confidentielle, mais c'est leur responsabilité aussi. Alors, comment avoir l'information?

Mme Daigle : Souvent de telles questions sont liées au traitement du patient. Ce n'est pas tellement la question de savoir comment va le patient, parce qu'il y a les droits de visites. Il y a des situations où on peut quand même avoir des contacts. L'interprétation du patient n'est pas la même que celle du professionnel. On entend souvent le client nous dire « bien là, ils m'ont donné tel ou tel médicament » puis après vérification, c'est le contraire. C'est totalement faux. La perception du client, c'est que « oui, ils m'ont donné un certain médicament. » Le patient partage donc cette information avec son parent, à ce moment là, le parent lui est confus, puis il se pose des questions pour savoir ce qui se passe. Mais le parent n'a pas accès au dossier. Lorsque le patient quitte l'hôpital, le parent va à la pharmacie chercher des médicaments et prend peut-être deux, trois petits dépliants pour se renseigner. Ce n'est vraiment pas adéquat pour pouvoir soigner et assurer une continuité des soins de qualité pour le patient.

[Traduction]

Le président : Au moins deux membres du groupe, le sénateur Cordy et moi-même, avons vécu cette situation à titre de membres d'une famille dispensateur de soins. J'ai rarement été davantage frustré dans toute ma vie.

Le sénateur Cordy : Je suis entièrement d'accord. C'est tellement frustrant quand on veut faire partie de l'équipe, aider un membre de la famille et qu'on n'arrive pas à obtenir l'information voulue. À un moment donné, mon mari est allé à l'hôpital et a dit qu'il comprenait tout à fait pourquoi les familles renonçaient, ce qui est une chose épouvantable à dire. Il parlait de sa sœur. Les familles renoncent parce qu'elles sont laissées à l'écart. Les gens essaient d'aider le membre de leur famille et font de leur mieux, mais on les exclut ou bien on les laisse dans le noir. Je pourrais vous raconter des histoires, mais je vais m'abstenir. Cela arrive-t-il? Vous arrive-t-il d'entendre des membres de la famille dire : « Assez! »?

Mme McPherson : J'en reviens au groupe des 16 à 40 ans que j'ai évoqué. Beaucoup de ces gens-là se retrouvent dans larue sans ressources, sans logement, sans sécurité du revenu. Une personne adulte frappée par la maladie reçoit un montant limité en termes d'aide au revenu. On ne peut pas vraiment vivre avec 290 $ ou 300 $ par mois.

Beaucoup d'entre eux ne comprennent pas la nature bureaucratique de l'ILD, l'invalidité de longue durée, et c'est un autre problème de longue date. Comment simplifier cela? Comment faire pour que ce soit accessible aux patients? Je peux comprendre à quel point c'est lourd également pour les médecins. Ils doivent remplir une foule de rapports. Ils ont déjà une clientèle de 200 ou 300 patients et ils essaient d'obtenir l'ILD pour que ces gens-là aient au moins une certaine qualité de vie. C'est un autre obstacle. Oui, réclamons une plus grande indépendance et une meilleure intégration communautaire, mais en même temps, comment faire pour faciliter l'accès aux services comme l'ILD et pour les aider à vivre de manière indépendante?

Le sénateur Cordy : Nous avons entendu un père deTerre-Neuve nous raconter son histoire. J'ignore s'il s'agissait de l'ILD ou du Régime de pensions du Canada, mais son fils adulte refusait de signer des documents et le gouvernement refusait d'accepter la demande parce que le fils en question avait plus de 18 ans. C'est lui qui devait signer les documents, pas les parents, ce qui ajoutait encore une autre responsabilité financière à la famille.

M. Galarneau : Je pense que l'accès et le partage de l'information entre professionnels est facile à résoudre. Le concept du « besoin de savoir » est crucial. Au SCC, chacun peut obtenir plein de renseignements. Tout est fonction du« besoin de savoir ».

Pour ce qui est de partager l'information avec les familles, c'est alors plus difficile de définir le « besoin de savoir ». Les renseignements communiqués peuvent être faussés, mais il est certain que nous devons nous pencher sur le problème de la honte que les gens ressentent d'en parler et sur le manque d'information dans les familles. Cela aiderait de surmonter ce problème.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je pense que nous avons entendu cet après-midi de brillants exposés. Il est vrai que je suis quelque peu partiale, mais je pense que c'était probablement les meilleurs que nous ayons entendus.

Je m'intéresse aux enfants et aux adolescents. Je n'ai pas soulevé cette question devant le comité autant que j'ai l'habitude de le faire ailleurs.

Madame Daigle, au sujet du suicide chez les jeunes, je soupçonne que vous en avez sept ou huit de moins de 20 ans. J'étais présente lorsque, dans l'une de nos écoles secondaires, nous en avons eu trois de suite en une période de moins de deux ans. J'ai également entendu l'un de vous dire qu'un pourcentage très élevé, je pense que c'était 75 p. 100 ou plus, des suicidés ont une comorbidité et une grave maladie mentale, qu'elle soit diagnostiquée ou pas. Parmi les adolescents, disons les jeunes de moins de 20 ans, cela demeure-t-il vrai? Je sais, surtout après avoir écouté Mme McPherson, que le diagnostic est posé de plus en plus précocement et c'est pourquoi les chiffres augmentent. Nous reconnaissons les premiers symptômes et nous posons le diagnostic et bien sûr c'est une bonne chose. Par ailleurs, il y a toute la question des drogues. Je voudrais toutefois que vous me parliez des moins de 20 ans pour cette année, car cette année-ci ne représente pas l'année dont je parle, et je pense que vous savez tous à quoi je fais allusion.

Mme Daigle : Normalement, au Nouveau-Brunswick, nous avons en moyenne sept ou huit jeunes de moins de 18 ans qui meurent par suicide.

Le sénateur Trenholme Counsell : Par année?

Mme Daigle : Par année, en moyenne. Cependant, si l'on examine le nombre de tentatives de suicide parmi ces jeunes-là, le chiffre est astronomique, pour une foule de raisons.Pour revenir au rapport, des 102 cas que nous avons étudiés, environ 60 p. 100 avaient subi des agressions sexuelles, physiques ou psychologiques entre 6 et 18 ans.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous voulez dire pour l'année particulièrement visée par l'étude?

Mme Daigle : Oui, le nombre de jeunes qui ont été vus ou diagnostiqués ou qui ont fait l'objet de prévention pendant cette période n'était pas très élevé. On semble croire que c'est chose normale pour les jeunes de se comporter de cette manière. On dirait que nous avons peur de poser un diagnostic chez les jeunes. C'est pourquoi nous devons faire beaucoup d'éducation et de prévention. Nous devons leur donner des outils pour être capables de rebondir. Si l'on se penche sur l'ensemble de ces jeunes ou de tous les gens qui meurent par suicide, si l'on examine les facteurs de risque et les facteurs de protection, on constate qu'ils ont tous les facteurs de risque et pratiquement aucun facteur de protection.

Le sénateur Trenholme Counsell : Quand vous dites facteurs de risque, voulez-vous parler d'agression sexuelle et psychologique?

Mme Daigle : Je veux dire agression sexuelle, agression psychologique et problèmes familiaux.

Le sénateur Trenholme Counsell : Un diagnostic latent de trouble bipolaire...

Mme Daigle : C'est bien cela : antécédents familiaux de tentative de suicide, de troubles mentaux ou de tout ce qui constitue un facteur de risque, par opposition aux facteurs de protection. En tant qu'êtres humains, nous subissons tous un stress dans la vie, mais nous avons un bon soutien, de bonnes habiletés d'adaptation, et l'estime de soi. Bien souvent, on n'a jamais inculqué à ces jeunes aucune de ces habiletés — l'estime de soi, les habiletés d'adaptation, comment se comporter ou réagir, parce que tout ce qu'ils ont jamais vu pendant leur enfance, quand maman était en colère ou quand maman perdait son emploi, c'est qu'elle se mettait à boire, ou bien que papa battait maman, ou bien maman faisait une tentative de suicide, ou quelque chose du genre.

Si nous ne brisons pas ce cycle, ou si nous ne leur donnons pas pendant qu'ils sont encore jeunes les outils qui leur permettront de renforcer leur résistance, c'est assez difficile de sauver quelqu'un quand il a atteint l'âge de 20 ans et qu'il accumule ce lourd bagage depuis l'âge de six ans. Un monsieur à qui nous avons parlé a vu ses deux parents se tuer quand il avait 13 ans. Il s'est retrouvé sans aucun facteur de protection, sans soutien familial, sans rien. Nous devons leur donner plus d'outils, des habiletés d'adaptation, apprendre à nos jeunes comment composer avec les problèmes, le stress, la colère, et je pourrais continuer pendant longtemps parce que cela me passionne beaucoup.

Mme McPherson : Je voudrais faire un commentaire peut-être dans la même veine que celui de Mme Daigle, au sujet de ce que je vois dans les hôpitaux parmi le groupe d'âge des 16 à 25 ans, je dirais même 30 ans qui est encore un jeune âge de nos jours.

J'ai une adolescente de 18 ans et elle est dans ses meilleures années. Autant Mme Daigle parle des facteurs de risque, et nous le constatons nous aussi, autant nous voyons de plus en plus non seulement de familles dysfonctionnelles, mais aussi beaucoup de familles tout à fait fonctionnelles, mais il faut tenir compte de l'hérédité.

Ce que je trouve regrettable, c'est que nos jeunes sont de moins en moins compétents pour affronter le stress et de moins en moins équipés pour composer avec les éléments de stress dans la vie, et il y en a beaucoup plus de nos jours. Dès qu'on allume la télé, on ne voit que la guerre. Il y a les médias et il y a les jeux vidéo, mais je pense que nos jeunes se tournent davantage vers d'autres types de solutions comme la drogue et l'alcool, au lieu de trouver d'autres habiletés pour s'en sortir dans la vie. Parce qu'ils sont déjà prédisposés — nous avons tous des gènes —, plus ils sont confronté à du stress, plus ils ont de chance de se retrouver avec des troubles mentaux.

On dit que la prévention est importante, mais il est également important de voir comment l'on peut amener les jeunes à se tourner vers d'autres activités pour envisager leur avenir. Quel est le meilleur moyen de les encourager à envisager de futures entreprises, de les motiver? Voilà ce qui manque. Les gens qui se retrouvent à l'hôpital sont souvent prédisposés, mais ils ne savent pas comment composer avec les aléas de la vie. Peu importe qu'ils viennent d'une famille fonctionnelle ou dysfonctionnelle. C'est la vie. C'est la réalité.

Le sénateur Trenholme Counsell : Monsieur le président, j'espère que tout cela est enregistré et j'espère que nous consacrerons beaucoup de temps aux jeunes, parce qu'à mes yeux, c'est la priorité. Essayez de...

Le président : De déceler précocement?

Le sénateur Trenholme Counsell : Ce que nous avons appris aujourd'hui est tellement excellent. Je veux dire à mes collègues que c'est un grand privilège et une grande source d'espoir d'aller au Shepody Healing Centre. J'avais invité les sénateurs de l'Atlantique, dont beaucoup sont ici, à venir au Centre, et nous ne l'avons pas fait. Un ou deux sénateurs ont pu s'y rendre, mais nous reviendrons à la charge et tenterons de faire cette visite. J'ai eu le privilège d'y aller et de participer à certaines activités. C'est une expérience extraordinaire. Je vous félicite, monsieur Galarneau, et je vous remercie d'être ici.

Vous n'avez pas dit un mot de toute la question des difficultés d'apprentissage, de l'hyperactivité avec déficit de l'attention, de la corrélation entre les troubles d'apprentissage et la littératie, ou de tout ce qui concerne l'éducation. Pouvez-vous donner un chiffre quant au nombre de jeunes qui souffrent peut-être de difficultés d'apprentissage ou du THADA dans votre population?

M. Galarneau : Je ne connais pas exactement les chiffres pour ce qui est des troubles d'apprentissage. Je pourrais vous donner une approximation et vous dire qu'entre 15 p. 100 et 25 p. 100 des détenus souffrent de graves troubles d'apprentissage. Nous savons que 60 p. 100 des délinquants ont une scolarité inférieure à la huitième année et il y a donc d'énormes besoins à combler de ce côté-là aussi.

Le sénateur Trenholme Counsell : En conclusion, nous avons reçu trois excellents rapports et je suis impressionnée par l'honnêteté et la méticulosité. Je trouve que c'est remarquable qu'au nom du gouvernement du Nouveau- Brunswick, vous ayez signalé les lacunes dans la prestation des services. C'est remarquable et tellement complet. À la page 26 du mémoire de Mme Daigle, à la rubrique Interventions reçues, Interventions requises, c'est d'une grande franchise. Je voudrais vous remercier madame, ainsi que le gouvernement pour ce document.

Le sénateur Cochrane : Ma question s'adresse à l'un ou l'autre des membres du groupe. L'intervention et la détection précoces, comme vous l'avez déjà dit et comme nous le savons — beaucoup nous l'ont dit — sont vraiment importantes parce que si l'on ne répond pas à leurs besoins, les enfants ressentent profondément un sentiment, mais ce n'est pas seulement un sentiment. Chaque jour, cela empire et, en fin de compte, il y a probabilité qu'ils passent à l'acte et commettent une infraction, et qu'arrive-t-il alors? Qu'est-ce que la société pense d'eux à ce moment-là? Plus personne ne veut les côtoyer. Les gens verrouillent leurs portes à leur approche. Ma question est celle-ci : Pensez-vous qu'il y ait un besoin d'éducation pour conscientiser les gens à ce problème avant qu'il surgisse, même dans le système scolaire? Votre organisation communique-t-elle avec les enseignants, les directeurs d'école ou les surintendants du système scolaire qui pourraient s'attaquer à ce problème, et s'y sont-ils attaqués?

Mme Daigle : Au Nouveau-Brunswick, nous faisons de la formation pour la prévention du suicide. Dans le réseau de langue anglaise, le programme scolaire comporte un module sur la prévention du suicide. Le secteur français a un programme qui commence dès la maternelle pour inculquer l'estime de soi, il y a aussi un programme sur l'agression sexuelle, et cetera. Nous avons certains enseignants qui ont reçu une formation. Nous essayons d'amener les enseignants à en connaître plus sur les problèmes précis auxquels les jeunes sont confrontés de nos jours. Dans certaines de nos régions, nous avons ce que nous appelons des comités communautaires de prévention du suicide. Ces comités sont composés d'intervenants de tous les milieux : gouvernemental, non gouvernemental, et membres de la famille. Tous travaillent ensemble pour élaborer des documents pour se former mutuellement.

Un programme élaboré dans la région de Grand-Sault s'appelle The Link. Il vise à former les enseignants et les directeurs d'école pour les aider à déceler les signes précoces de dépression, de pensées suicidaires ou de risque chez les jeunes et on leur explique où s'adresser pour obtenir de l'aide. Tous les enseignants suivent cette formation et ils ont un carton sur leur porte. Les jeunes reçoivent également cette formation et savent donc que, quand ils voient ce petit carton sur la porte d'un professeur, ils peuvent s'adresser en toute confiance à ce professeur. Après la première année, on a fait une évaluation de l'efficacité du programme. Environ 70 p. 100 des jeunes au cours de l'année en question ont demandé de l'aide, ne serait-ce que pour poser une question. Ils n'étaient peut-être pas à risque, mais cherchaient simplement de l'aide ou voulaient s'assurer qu'ils étaient sur la bonne voie.

À partir de cette région, le programme se répand dans l'ensemble de la province dans le réseau scolaire. On l'applique maintenant aux hommes dans certains lieux de travail parce que, comme nous le savons, les hommes sont plus nombreux à se suicider et ils ne demandent pas d'aide. Ce programme a commencé chez les jeunes et on l'applique maintenant aux adultes. Nous devons travailler ensemble. Nous devons être animés de cette volonté parmi tous les intervenants et les partenaires clés.

En outre, il faut informer les gens au sujet du stigmate car on ne parle toujours pas de la maladie mentale et du suicide. Nous devons travailler ensemble car il y a des écoles et des lieux de travail où nous avons du mal à faire de la prévention.

Le sénateur Trenholme Counsell : Est-ce que vous voulez dire qu'il y a des enseignants qui ne veulent pas vous aider?

Mme Daigle : Oui, il y en a, mais ceux qui nous aident sont presque des champions. Leur exemple montrera aux autres que ce n'est pas si mal, que ça ne prend pas tellement de temps et que c'est réellement efficace. C'est ainsi que les attitudes et les choses changent, mais cela prend du temps. Il faut être patient.

[Français]

M. Galarneau : J'ajouterais que c'est très important de former les enseignants pour détecter le suicide et les troubles mentaux.

[Traduction]

Il est également très important de mobiliser les étudiants d'un certain âge. C'est ainsi que nous pouvons activement lutter contre le stigmate, en ayant des discussions en classe sur ce qui est la dépression, sur ce qu'est une pauvre estime de soi. Nous savons qu'il y a des programmes comme ceux-là, mais je pense que les discussions doivent être plus approfondies et plus franches. C'est ainsi que nous allons démystifier et déstigmatiser les troubles mentaux. Dans les écoles, il doit y avoir des discussions entre étudiants. Ils doivent apprendre à reconnaître ceux d'entre eux qui sont malheureux, ce qui leur arrive, que ce soit un cas de négligence ou d'autre chose.

Le sénateur Cook : Madame Daigle, j'ai lu vos recommandations avec intérêt. Quand les avez-vous remises à votre gouvernement? Combien d'entre elles ont été mises en œuvre? Où en êtes-vous à ce chapitre? Puis j'aimerais aller plus loin. Lorsque vous dites que vous formulez ces recommandations à l'intention du gouvernement fédéral, je m'interroge sur le processus et l'échéancier, car des recommandations feront partie de notre rapport.

Vous êtes très bien placée. Vous avez présenté à votre gouvernement un rapport qu'il vous avait commandé. Vos recommandations ont-elles été mises en œuvre?

Mme Daigle : Ce rapport a été déposé la semaine dernière seulement, alors l'encre a à peine eu le temps de sécher.

Le président : Il n'a pas encore été mis en œuvre?

Mme Daigle : Pendant que nous faisions la recherche, nous avons commencé à constater que certaines questions revenaient constamment de sorte que nous avions déjà commencé à faire certaines choses à ce moment-là. Par exemple, on a déjà fait les travaux préliminaires pour donner suite aux recommandations visant l'adoption de protocoles entre organismes, tels que les services de toxicomanie et les services de santé mentale. Déjà, des rencontres ont été organisées avec les services de toxicomanie et les services de santé mentale pour créer des groupes de travail.

Nous allons également créer des groupes de travail plus nombreux auxquels participeront les membres des familles ainsi que les personnes ayant des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. Certains de ces groupes existent déjà. Je ne connais pas la liste complète par cœur. Je l'ai lue tellement souvent, je devrais pourtant la connaître. Toutefois, d'après ce que le ministre disait en conférence de presse la semaine dernière, toutes les recommandations seront mises en œuvre.

Le sénateur Cook : Vous êtes convaincue qu'on donnera suite à vos recommandations.

Mme Daigle : Oui.

Le sénateur Cook : Lorsque vous avez commencé le rapport, vous avez constaté qu'il y avait déjà des travaux en cours, qu'il n'y avait rien de nouveau sous le soleil. Vous avez semblé vouloir les rassembler pour dire...

Mme Daigle : Oui, c'est exact. Nous sommes fiers de dire que c'est notre objectif. Nous devons changer notre façon de penser ou de travailler et cesser d'espérer des progrès ou des changements du jour au lendemain mais plutôt commencer quelque part et viser cet objectif. Je sais que de nouveaux postes ont été créés suite à notre rapport.

Le sénateur Cook : Ma prochaine question s'adresse àM. Galarneau. Je viens de Terre-Neuve et la plupart des gens de ma province qui sont condamnés sont envoyés soit à Springhill ou au Nouveau-Brunswick — d'après l'information anecdotique dont je dispose. À l'heure actuelle, il n'y a pas d'installations à Terre-Neuve-et-Labrador. Même si ces personnes ont été reconnues coupables d'un crime ou d'un délit mineur,pensez-vous que le fait d'être séparées de leur famille et d'être privées de leur appui est un facteur dans le travail que vous faites?

M. Galarneau : Absolument. Le soutien familial est essentiel pour quelqu'un qui doit retourner dans la collectivité. Cela ne facilite pas les choses que quelqu'un soit déporté de sa propre province. C'est effectivement un problème.

Le sénateur Cook : Dans ma province et peut-être dans d'autres, on a établi un partenariat avec une autre province qui offre ce service. J'ai entendu dire également qu'il y a à Springhill un groupe de soutien chargé de s'occuper de cette clientèle. En avez-vous entendu parler, comment est-ce que cela fonctionne?

M. Galarneau : Non, je n'en ai pas entendu parler.

Le sénateur Cook : Il s'agit de bénévoles. Des familles de Springhill qui rendent visite aux personnes provenant d'une autre province et qui deviennent en quelque sorte une seconde famille, un groupe de soutien.

M. Galarneau : Je n'étais pas au courant de cela. C'est possible. Je peux vous dire que dans le village de Dorchester, il y a une maison qui accueille les familles de détenus qui veulent rendre visite à leurs proches et qui peuvent payer la modique somme de cinq ou dix dollars la nuit, ou même séjourner gratuitement.

Le sénateur Cook : Cela pose le problème du transport. Dans le temps de Noël, j'ai entendu parler d'une famille qui donnait de l'argent aux familles de détenus qui voulaient faire le voyage, ce que je trouve louable et c'est quelque chose qu'il faudrait peut-être examiner.

Madame McPherson, vous dites qu'il nous faut des partenariats à tous les niveaux, en ce qui concerne la protection de la vie privée. C'est un problème pour nous. Avez-vous des solutions originales qui pourraient nous aider, pouvez- vous nous offrir une option, car nous devons résoudre ce problème?

Mme McPherson : J'ai eu le privilège de participer à une séance d'information sur la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Il s'agit de la loi fédérale qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2004. J'ai participé à cette conférence, et je comprends pourquoi cette loi a été adoptée. Elle s'adresse surtout au secteur privé.

Je pense que la loi est importante et que les provinces devraient également légiférer afin de s'assurer le contrôle sur l'information partagée. Il serait difficile de faire cela au niveau fédéral ou national, mais il existe des mécanismes, et je crois que certaines provinces ont des lois régissant le partage d'information entre professionnels de la santé. Nous avons un mécanisme qui permet à un certain professionnel de la santé de partager de l'information. L'éducation est exclue, mais au moins dans le secteur de la santé, il peut y avoir un partage.

Le problème ce n'est pas les professionnels. J'en reviens au problème que j'ai soulevé. Le problème concerne ceux qui fournissent des soins à des personnes de 16 ans et plus. Dans notre province, les services sociaux s'adressent aux personnes de la naissance jusqu'à 16 ans, alors qu'au Québec, cela va jusqu'à 18 ans. L'une des choses que pourrait faire la province c'est de repousser l'âge d'admissibilité aux services afin d'assurer un meilleur accès à une certaine population. Cette question a souvent été soulevée et débattue.

Pour ce qui est du partage de l'information avec les parents, les professionnels de la santé doivent être mieux informés sur le rôle actif qu'ils doivent jouer dans l'obtention du consentement des patients. Il s'agit de demander au patient de signer un document dans lequel il donne à son médecin la permission de parler avec ses parents. Je pense que nous avons tendance à trop dramatiser la question du consentement et qu'il faudrait cesser. Les professionnels de la santé doivent en comprendre l'importance. Il faut peut-être ouvrir la porte et nous demander comment nous devons informer les professionnels de la santé afin qu'ils comprennent et qu'ils soient plus conscients qu'il ne s'agit pas d'un manquement à l'éthique, que ça ne leur nuira pas en tant que professionnels mais que le défaut de le faire peut nuire à leurs clients. Il s'agit de trouver un équilibre. Il faudrait peut-être en discuter avec le collège des médecins et les autres associations professionnelles afin de trouver une manière éthique de répondre aux besoins de ceux qui fournissent les services tout en protégeant l'intégrité professionnelle. S'ils résistent, ce n'est pas par manque de volonté. C'est plutôt parce qu'ils ne peuvent pas le faire.

Il y a deux aspects à cela. D'abord, il faut que nos professionnels de la santé deviennent conscients de l'importance d'obtenir le consentement, et c'est ce que l'on appelle, je crois, « la loi de français ». Je ne crois pas qu'ils le demandent ni qu'ils envisagent de le faire. Je crois qu'ils s'en tiennent au statu quo : ils ne peuvent pas le faire, et s'en lavent les mains. À mon avis, c'est un peu trop simpliste. Nous devons au contraire faire en sorte que les médecins s'intéressent à la question et acceptent d'aborder le problème avec le fils, la fille ou la mère du patient pour offrir leur aide. Il faut encourager les médecins à agir de la sorte, plutôt qu'ils s'avouent impuissants car liés par l'éthique.

[Français]

Le sénateur Pépin : Monsieur Galarneau, quand on vous écoute, on sait ce qui se passe actuellement dans les services correctionnels. Je pense que les malades mentaux sont stigmatisés. Je pense que si les gens réalisaient le pourcentage de détenus qui ont des problèmes mentaux ou psychologiques, l'attitude serait différente, et il y aurait peut-être un petit peu plus de visites de leurs familles et de leurs amis.

M. Galarneau : Absolument.

Le sénateur Pépin : Madame Daigle, vous avez mentionné que pour certains des jeunes que vous avez vus, il y avait des fois jusqu'à trois ou quatre diagnostics de donnés. On nous dit souvent cela. Je sais que je vais toucher ici à la confidentialité, mais si on avait des dossiers électroniques pour les médecins, pensez-vous qu'il y aurait peut-être un peu moins de diagnostics ou bien que les gens pourraient orienter leurs patients un peu mieux, s'ils avaient accès aux dossiers électroniques?

Mme Daigle : Oui, on en parle beaucoup. Au Nouveau-Brunswick la santé mentale et les services de « détox » sont sous le même volet, alors les dossiers électroniques pourraient éliminer beaucoup de choses dans le sens qu'on peut se partager de l'information.

Le sénateur Pépin : Ça faciliterait beaucoup.

Mme Daigle : Mais encore là, comment du côté de la confidentialité -

Le sénateur Pépin : Surtout dans votre domaine?

Mme Daigle : Exact, mais c'est sûr que cela faciliterait beaucoup les choses. Dans certains dossiers par exemple, il peut y avoir un plan de traitement commun. Toutefois, certaines informations ne sont pas disponibles à d'autres intervenants. Comme exemple, quand je travaillais à l'urgence comme travailleuse sociale on avait un dossier, et s'il contenait un plan de traitement commun pour le patient, le médecin prenait le dossier et il y avait une note qui l'amenait directement au plan de traitement. Il voyait le plan de traitement et ce n'est pas compliqué à faire. Il y a des façons de faire. Je comprends que la confidentialité est importante pour le patient.

Le sénateur Pépin : Je pense que cela serait bien important.

Mme Daigle : Un plan de traitement commun, oui.

[Traduction]

Le président : Je vous remercie tous de votre présence. Nous vous avons gardés beaucoup plus longtemps que prévu, mais vous nous avez été d'une grande aide.

J'aimerais accueillir maintenant notre prochain groupe de témoins, et je demanderai d'abord à Constance McKnight de nous faire sa déclaration.

Mme Constance McKnight, directrice exécutive nationale, Réseau national pour la santé mentale : Mesdames et messieurs du Sénat, au nom du Réseau national pour la santé mentale, je vous remercie de nous avoir invités à prendre la parole. Afin d'utiliser à meilleur escient le temps qui m'est imparti, je vais vous expliquer qui nous sommes et quels sont les enjeux qui sont importants pour nous pour aider notre clientèle.

Comme vous le savez, la plupart des Canadiens qui souffrent de problèmes de santé mentale vivent dans le désespoir. Ils n'ont aucune estime d'eux-mêmes et vivent souvent dans des environnements qui ne les aident en rien. Notre réseau est actuellement la seule organisation nationale axée sur sa clientèle mais qui ne pose pas de diagnostics. Nous avons lancé quelques programmes et projets essentiels destinés à aider à développer la capacité de nos clients. Un de nos projets s'appelle le projet BUILT, qui vise à habiliter nos clients par l'apprentissage et le travail d'équipe. Vous trouverez dans notre trousse les chiffres révélateurs pour l'an dernier : grâce à notre programme BUILT, nous avons maintenant quatre milieux d'intervention au Canada depuis l'an dernier. Cette expansion a pris du temps, mais nous avons réussi néanmoins à faire passer 97 de nos clients sur le marché du travail en l'espace de sept semaines à peine, ce qui est véritablement inédit. Nous estimons que nous aurons réussi à faire épargner au gouvernement du Canada cette seuleannée 1 905 000 $ environ, grâce aux économies qu'auront pu faire nos clients, aux avantages qu'ils auront pu obtenir et aux taxes qu'ils auront remboursées sous forme d'impôts à leurs collectivités. Nous avons un projet BUILT de ce genre ici même à Moncton.

Un autre de nos projets s'appelle « Consommateurs en action ». Ce projet vise à permettre à nos clients de partout au Canada de développer leurs capacités de façon à ce qu'ils puissent se défendre efficacement par eux-mêmes, comprendre ce que c'est que la santé mentale, comment il faut l'atteindre et comment la retrouver. L'année dernière, nous avons envoyé 69 personnes à Ottawa. Le premier ministre a d'ailleurs dû décliner notre invitation parce qu'il devait se rendre à Washington. Toutefois, deux ministres du gouvernement fédéral et un adjoint parlementaire ont assisté à notre activité. Ce genre de manifestations nous permet de faire changer la façon de penser de notre clientèle et de lui redonner espoir. En effet, le plus grand défi qui se pose à nos clients, c'est de trouver l'espoir. Une fois que l'on a diagnostiqué chez quelqu'un la maladie mentale, malgré tous les médicaments ou toutes les interventions dont on dispose parfois — la plupart du temps sans que le gouvernement ne verse un sou — on perd espoir. Nous, au Réseau national pour la santé mentale, nous voulons redonner l'espoir.

Hormis ces deux projets, il faut savoir que le Réseau national pour la santé mentale fait partie depuis 1998 de l'Alliance canadienne pour la maladie mentale et la santé mentale qu'il a fondée. Nous jouons un rôle très actif au cœur de cette coalition. Cette année, nous avons lancé une coalition nationale de consommateurs regroupant des organisations communautaires, régionales et provinciales en vue de rapprocher notre clientèle de partout au pays pour qu'elle puisse décider par elle-même ce qu'elle veut obtenir du système, ce dont elle a besoin et ce qu'il lui faut pour fonctionner.

Nous sommes actuellement en train de former une nouvelle coalition avec la Société pour les troubles de l'humeur du Canada et l'Association canadienne pour la santé mentale des Autochtones. Si nous nous sommes regroupés, c'est que nous avons reconnu qu'il nous fallait un nouveau modèle de leadership en matière de santé mentale au Canada. Nous avons donc formé la Coalition de la santé mentale du Canada dont vous entendrez parler plus amplement au cours du prochain mois.

Vous trouverez dans notre mémoire les témoignages de consommateurs et de membres de leurs familles, de partout au Canada. Je m'en voudrais de ne pas mentionner que l'un des plus grands défis qui se pose aux consommateurs que nous sommes, dans le système actuel, c'est la discrimination que nous subissons de la part d'autres organisations de santé mentale. C'est une discrimination à laquelle nous soumettent les organisations et les institutions. Autrement dit, nous subissons plus de discrimination systémique que de discrimination de l'extérieur. Autrement dit, si je choisis de m'adresser à un auditoire de représentants du secteur de la santé mentale, je m'adresserai à une poignée de gens. Mais si je m'adresse aux Canadiens, ou à un ministère qui m'a demandé de prendre publiquement la parole pour parler de santé mentale et de troubles mentaux, peu importe où je serai, je m'adresserai à un grand nombre d'auditeurs et je ferai salle comble. Cela est très révélateur de la place que les consommateurs de services que nous sommes occupent dans le milieu de la santé mentale. Mais aujourd'hui, nous refusons d'être des alibis : nous exigeons des fonctionnaires gouvernementaux qu'ils comprennent que nous savons désormais quels sont nos besoins et comment il faut les combler.

M. Armand Savoie, président, Association canadienne pour la santé mentale, chapitre du Nouveau-Brunswick : Bonjour. Au nom de l'Association canadienne pour la santé mentale, chapitre du Nouveau-Brunswick, nous vous remercions de nous donner l'occasion de prendre la parole.

Vous savez sans doute déjà que notre association est la seule organisation canadienne volontaire de bienfaisance qui s'intéresse à la fois à la santé mentale et aux problèmes de santé mentale. Notre chapitre est l'un des 11 que compte l'association au Canada. Le Nouveau-Brunswick compte sur son territoire huit filiales indépendantes incorporées. Le chapitre du Nouveau-Brunswick gère un programme tout à fait unique au Canada, en plus de promouvoir la santé mentale et de proposer des changements stratégiques en matière de services destinés à ceux qui sont aux prises avec des maladies mentales. Ce programme se fonde sur un modèle de partenariat avec le gouvernement et la collectivité. Le gouvernement subventionne une agence qui est bien implantée dans la collectivité et dont l'objectif est d'informer celle- ci et de la sensibiliser à nos enjeux de même qu'à soutenir le réseau clinique officiel. Ce dont je parle, c'est du Programme des travailleurs communautaires régionaux, créé en 1979 et basé sur les principes suivants : d'abord, les programmes de promotion et de prévention sont des éléments essentiels d'un système global de santé mentale; deuxièmement, les soins de santé mentale concentrés dans la collectivité constituent le modèle le plus approprié de renforcement du rôle individuel; troisièmement, les programmes d'entraide et les autres systèmes de soutien en collectivité sont essentiels; et quatrièmement, les services doivent rendre des comptes à la clientèle desservie. Ces quatre principes sont tout aussi pertinents aujourd'hui, en 2005, qu'ils l'étaient en 1979.

Dans notre province, comme ailleurs au Canada, il reste encore à déterminer quels changements seront les plus utiles pour mieux gérer les maladies chroniques complexes ainsi qu'élaborer les stratégies nécessaires pour empêcher l'éclosion de ces maladies, dans la mesure du possible. Le Programme des travailleurs communautaires régionaux s'appuie sur des résultats ainsi que sur des mesures qui mettent l'accent sur la promotion d'une bonne santé mentale et le recours à un système de traitements et d'interventions appropriés, de même que sur l'édification d'un système solide de soutien en collectivité.

Une bonne partie de la population du Nouveau-Brunswick est rurale. Cette réalité a une incidence sur la prestation des services et sur le développement des capacités des collectivités ainsi que le soutien de celles-ci. Notre programme de travailleurs communautaires régionaux compte 11 personnes qui sont à pied d'œuvre dans les différentes parties de la province.Ces 11 travailleurs s'inscrivent dans le cadre de travail qui compte quatre grands objectifs : d'abord, promouvoir une bonne santé mentale, deuxièmement, promouvoir le recours approprié au système de soins de santé mentale; troisièmement, promouvoir la sensibilisation de la collectivité aux questions de santé mentale et permettre le développement de services et de programmes communautaires; et quatrièmement, soutenir les bénéficiaires en santé mentale. Ces objectifs sont la raison d'être de notre programme et sont aussi les jalons nous permettant de constater nos réussites. Même s'il s'agit là de mesures concrètes que les organes subventionnaires doivent continuer à soutenir, ce ne sont pas là les seules mesures de réussite. La réussite se mesure chaque fois que nous aidons un individu à naviguer dans un système fragmenté. La réussite se mesure chaque fois que quelqu'un va voir un de nos travailleurs après une séance d'information pour lui expliquer que ce qu'il a entendu l'a aidé à comprendre qu'il devait se faire traiter avant de recourir à des moyens radicaux. La réussite se mesure chaque fois qu'un jeune de la rue explique aux travailleurs que pour la première fois, il s'est senti traité comme quelqu'un de spécial. Un de nos programmes appelé « J'suis quelqu'un » est justement un programme destiné à renforcer l'estime de soi que nous dispensons aux élèves de troisième année.

Dans le Programme des travailleurs communautaires régionaux, les travailleurs ont organisé 500 séances allantd'une heure à une journée. Ils travaillent avec environ10 000 Néo-Brunswickois. Ils travaillent avec le Comité provincial de prévention du suicide et ils ont organisé17 séances de deux jours avec 400 participants. Ces participants ont appris à reconnaître les signes annonciateurs et à intervenir correctement auprès des personnes à risque.

Nous suggérons que dans les régions rurales, ce modèle d'aide à la communauté au niveau local soit envisagé dans le cadre d'une démarche générale face à la maladie mentale et la santé mentale. Nous invitons aussi le comité à envisager des annonces ciblant la population des jeunes et nous recommandons qu'il y ait un élément d'activité amusante dans toute stratégie ciblant la santé mentale.

Il y a eu aussi du travail au niveau de Santé Canada. On a réalisé des annonces télévisées qui ont été diffusées dans la communauté.

Nous suggérons au comité d'appuyer l'idée de financer une expérience pour voir quelle serait la meilleure forme d'aide en ligne pour répondre aux besoins immédiats des personnes qui sont en situation de crise.

L'étude de ces modèles devra se faire en consultation avec les représentants des Premières nations car c'est la communauté qui aura probablement le plus besoin d'une réponse adaptée à sa culture. Il y a déjà eu des groupes de travail et un certain travail a été fait avec les Autochtones. Nous travaillons aussi en collaboration avec la ligne de soutien téléphonique appelée Chimo.

Nous demandons que le comité recommande qu'on assure un soutien financier protégé aux partenariats à la base destinés à informer la communauté pour contribuer à réduire le taux de suicide.

Par ailleurs, le chapitre du Nouveau-Brunswick de l'ACSM appuie les recommandations de l'élément national de l'ACSM qui invite le gouvernement en général à prendre l'initiative d'une stratégie pancanadienne sur la maladie mentale et la santé mentale. L'association nationale a aussi demandé des informations sur l'aide au logement et au revenu.

En résumé, il y a dans cette province de bonnes initiatives qui fonctionnent et qui progressent bien.

Le président : Honorables sénateurs, notre témoin suivant est Judith Shamian. À propos, je vous rappelle que lors de l'étude précédente, elle est aussi venue témoigner deux fois, mais à l'époque elle était conseillère principale pour le secteur infirmier à Santé Canada.

Mme Judith Shamian, présidente-directrice générale, Ordre des infirmières de Victoria : J'étais directrice principale de la politique des soins infirmiers.

Le président : Et auparavant professeure de soins infirmiers à l'Université de Toronto.

Mme Shamian : Je suis très heureuse d'être ici et j'admire profondément le travail que vous faites. Vos documents sont des lectures de base dans le cours de politique que je donne à l'Université de Toronto aux étudiants qui préparent un diplôme et un doctorat. Ils présentent un aperçu complet de diverses questions et exposent des choses que beaucoup plus de Canadiens devraient connaître, parce que ce travail que vous faites au nom des Canadiens est vraiment fantastique. Merci.

Je suis probablement la seule personne ici cet après-midi qui ne soit pas une experte en santé mentale, en maladies mentales et en troubles mentaux, bien que j'aie trouvé cette discussion très intéressante et instructive.

Je suis quelqu'un qui a un solide bagage clinique. Je suis infirmière. Au cours des 11 derniers mois, j'ai assumé le rôle de présidente et directrice générale de l'Ordre des infirmières de Victoria, VON, qui est un organisme de charité à but nonlucratif qui offre à la population des services sociaux depuis plus de 108 ans.

Je suis accompagnée aujourd'hui de deux collègues du Nouveau-Brunswick, Joe MacDonald, directeur de toutes les divisions du Nouveau-Brunswick, et Sue McLellan, qui vient du bureau de Fredericton. Ils s'activent tous les deux à prendre des photos.

Je vais faire quelques remarques au sujet de VON et j'aimerais ensuite faire quatre brefs commentaires. Vous avez sous les yeux un mémoire comportant 17 recommandations et je me ferai un plaisir d'en discuter avec vous, mais j'aimerais me concentrer sur un ou deux points.

L'originalité de VON, par comparaison avec les autres organisations, c'est que nous avons une vocation beaucoup plus axée sur la communauté. Nous avons des bureaux partout au Canada. Nous avons des discussions sur des questions de politique et nous comparaissons devant des groupes comme le vôtre, mais nous assurons aussi quotidiennement des services. Nous sommes présents dans plus d'un million de foyers chaque année. Nous avons plus de 20 000 personnes payées et bénévoles qui vont chez les Canadiens travailler avec eux. Nou avons 63 sections locales qui ont chacune leur conseil communautaire local et nous sommes donc une organisation à vocation profondément communautaire. Les sections locales et les bureaux de VON sont toujours à l'affût des besoins de la communauté. C'est pourquoi nous administrons plusde 50 programmes différents au Canada, et je vais vous en laisser la liste. Les programmes varient en fonction des besoins dans les diverses provinces.

La réforme des soins de santé dans les années 90 a amené VON à relever divers défis. Nous avons senti en profondeur ces transitions, mais nous avons pu maintenir notre concentration sur les besoins communautaires, le développement communautaire et l'aide que nous pouvons apporter.

Plus de 12 000 de nos 20 000 collaborateurs sont des bénévoles. Si vous pensez aux millions de foyers dans lesquels nous intervenons et au nombre d'existences que nous touchons, vous voyez qu'il s'agit d'un mouvement qui va de la base au bureau national et au conseil national à Ottawa. Ma vision et la vision que nous vous présentons dans ce mémoire sont profondément ancrées dans cette perspective d'ensemble.

Voici les quatre points que je voudrais aborder. Premièrement, il y a manifestement un besoin d'action. Je crois que si je débarquais de Mars et que je voyais les rapports de ce comité et de la réunion des premiers ministres, la RPM, et cetera, je me dirais que je suis en présence d'un pays éclairé qui a beaucoup fait pour la santé mentale. Nous savons que la réalité est différente. Je partage votre frustration et la frustration d'autres sénateurs qui voudraient désespérément venir en aide à des membres de leur famille et faire quelque chose, et qui abandonnent à maints égards. J'ai un cousin itinérant qui faisait partie du club des millionnaires d'une compagnie d'assurance et qui a décidé un beau jour de devenir un itinérant. Nous avons perdu sa trace. Vous vous battez pendant 20 ans et vous vous dites : « Mon Dieu, comment vais-je pouvoir secouer ce système pour que cela aille mieux? » Je n'avais pas pensé à lui en me préparant pour cette comparution, je n'y ai pensé qu'en entendant la discussion tout à l'heure. J'ai abandonné il y a longtemps. La vie continue, et pourtant c'est mon cousin le plus cher. Je suis une enfant unique, une survivante de l'holocauste, d'une toute petite famille. C'est mon cousin le plus cher. Dieu sait où il se trouve en ce moment.

La réalité est complexe pour nous tous. Les études et enquêtes montrent qu'un Canadien sur huit sera hospitalisé. Ce qui est encore plus inquiétant quand on pense au système, c'est le rapport de l'OMS qui dit que dans 20 ans, les problèmes liés au stress seront la deuxième ou troisième cause principale d'invalidité dans le monde.

Certes, on parle de santé mentale et de maladie mentale, mais sur un plan plus général, il y a le problème du facteur de stress mental. Il y a dans votre troisième rapport un débat très important sur le rôle des employeurs. J'en ai parlé à mon service des ressources humaines et je leur ai posé la question :« Que faisons-nous? » « Quels sont les services disponibles? »« Qu'y a-t-il dans le programme d'aide aux employés, le PAE? » Je crois que si chaque employeur faisait simplement cela, se demandait comment on pourrait améliorer les choses, nous aurions un Canada meilleur. Je crois que ce sont des questions fondamentales.

Mes recherches portent sur l'absentéisme des infirmières et infirmiers et les pressions au travail. D'après les données de Statistique Canada, c'est chez les infirmières et infirmiers que le taux d'absentéisme est le plus élevé. Quand on creuse la question, on constate que c'est dû en grande partie au stress et aux pressions qu'ils subissent au travail.

J'espère que vous parlerez aussi de questions relatives à des maladies précises, mais il y a une question beaucoup plus large dont nous devons traiter et pour laquelle il faut agir. Je sais que vous avez déjà beaucoup fait pour mobiliser les gens et pour faire avancer le dossier et j'espère que vous y arriverez à nouveau.

Mes deuxième, troisième et quatrième arguments ont déjà été présentés, mais je les effleurerai pour vous donner un point de vue un peu différent.

L'accès intégré : Je n'ai pas à ajouter grand-chose à l'exposé que nous avons entendu plus tôt, et on vous en parlera sans doute à tous les endroits que vous visiterez. Il est irréaliste de continuer à cloisonner les façons d'offrir des soins. La maladie mentale, les troubles mentaux ou quelle que soit l'étiquette qu'on adopte, cela fait partie de ce qui vient entre la santé et la maladie, de tout ce qu'il y a entre être bien et ne pas être bien. L'intégration à notre travail, ce que cela signifie pour l'enseignement, pour les enseignants et pour les collectivités, voilà toutes des questions pertinentes.

Faut-il parler de panier de services? Quand je pense aux discussions sur les soins à domicile de la RPM, je ne sais plus quoi recommander. Je pense que c'est nécessaire, mais il faut trouver la volonté politique. À VON, nous venons tout juste d'entamer notre réflexion sur le message à livrer au pays sur ce que sont la santé communautaire et la santé des ménages et sur ce à quoi doit s'attendre le pays. Il ne s'agit pas d'une discussion sur la RPM, mais sur les besoins du Canada. Il faut continuer à faire avancer le dossier jusqu'à ce que certains de ses éléments soient mis en œuvre et j'espère que c'est ce que donnera votre travail sur la santé mentale. Si on confie ce plan à l'ensemble du pays, il y a suffisamment de groupes très passionnés par leur intérêt pour promouvoir les éléments qui les intéressent. La notion d'intégration, de ce que cela devrait être est un élément important.

Ma troisième observation porte sur le soutien aux soins communautaires et aux soins à domicile. Pour cette question et celle des aidants naturels, je suis plus à l'aise puisque c'est mon lot quotidien. C'est aussi le quotidien de 20 000 de mes collaborateurs de l'ensemble du pays.

Il y a quelques mois, j'ai eu des entretiens avec le sénateur Kirby. Je lui ai fait part de mon expérience quand je suis arrivée à VON. Je pensais bien connaître les soins de santé. J'avais travaillé dans ce domaine pendant des années. Je croyais comprendre les soins de santé et la santé communautaire mais j'ai découvert que j'en ignorais presque tout. À mon arrivée, j'ai pu voir ce qu'étaient vraiment les communautés, non pas en en parlant avec des théoriciens, mais en voyant ce qui se produit dans la réalité et j'ai été ébahie. Qui se rend dans les foyers pour nous aider, que ce soit pour une question de fragilité mentale ou physique? Dans les communautés, ce qu'on voit, insuffisamment mais réellement, ce sont des professionnels qui vont à domicile ou qui reçoivent des clients dans le cadre de programmes de jour, entre autres. Ce sont aussi des aides à domicile, des personnes qui n'ont pas reçu une formation officielle mais qui sont extraordinaires puisqu'elles font le travail de Dieu en aidant les gens chez eux et dans leurs collectivités. On voit aussi des bénévoles. Nous avons des milliers et des milliers de bénévoles qui se rendent chez les gens deux fois par semaine, leur livrer les repas de la popote roulante. Ils sont bien placés pour nous signaler que quelque chose ne va pas, que Mme Smith depuis deux ou trois semaines, ne prend plus soin d'elle-même, qu'elle a peur d'ouvrir sa porte parce qu'elle craint les visiteurs, et cetera. Nous avons une armée de bénévoles au pays, que ce soit au sein de VON ou d'autres organismes de bénévolat, qui peuvent nous dire que quelque chose ne va pas.

J'ai travaillé pour Santé Canada, je connais bien le système et je ne contesterai jamais l'idée qu'on peut toujours dépenser davantage, mais la question est toujours la même : Comment utiliser le système au maximum pour que nous obtenions ce qu'il nous faut et que nous trouvions des solutions? Il y a beaucoup de possibilités avec une formation minimale et c'est l'une des choses que nous envisageons dans notre modèle de prestation de services. Comment enseigner aux bénévoles, qui peuvent être notre seul point de contact avec beaucoup de ces gens qui vivent chez eux, à être à l'écoute pour toutes les questions physiques et mentales et à faire rapport? Je ne peux pas m'attendre à ce qu'ils posent un diagnostic ni à ce qu'ils traitent les patients, mais je peux m'attendre à ce qu'ils s'aperçoivent d'un changement. Ce simple signe peut suffire. Il n'est même pas nécessaire de donner une description détaillée, il suffit de dire : « Je vais chez cette personne depuis deux ans et tout d'un coup, quelque chose a changé ». Cela pourrait être le déclencheur nécessaire pour un mécanisme d'intervention.

Je pense qu'il est important de comprendre ce que peuvent faire les communautés, et de faire appel à des organismes, mais pas seulement à des organismes comme VON. Je suis convaincue qu'on peut faire appel aux clubs Rotary et à d'autres, pour de l'aide et pour mettre en œuvre ce dont nous avons discuté, par exemple les communautés et les villes saines. Ils peuvent nous aider et nous pouvons faire beaucoup ainsi.

Enfin, une chose qui me passionne et dont VON parle continuellement : ce que nous faisons ou plutôt ce que nous ne faisons pas pour les aidants naturels. En faisant un tour de table, je parie qu'on pourrait constater que nous sommes tous des aidants naturels pour quelqu'un, que ce soit pour nos parents, nos conjoints ou quelqu'un d'autre. Hier, je suis allée à Bear Island, une toute petite île de 200 habitants, une communauté autochtone où VON fournit des services. J'étais censée déjeuner avec le chef.

Le président : Parlez-vous de Bear Island en Nouvelle-Écosse?

Mme Shamian : Non, c'est en Ontario, près de North Bay. Le chef n'a pas pu arriver à temps pour le déjeuner parce qu'il devait prendre son bateau pour amener sa femme à la clinique : tout le monde est un aidant naturel. Le téléphone sonne et quelqu'un dans notre famille a besoin de nous, de vous, et cetera. Je pense qu'on ne se penche pas suffisamment sur cette question. Je félicite le gouvernement fédéral d'avoir nommé Tony Ianno ministre d'État pour la famille et les aidants naturels. Nous avons eu d'excellentes discussions avec lui. Nous demandons entre autres un portail, un guichet unique pour les aidants naturels. Je pense que j'ai entendu des propos semblables autour des solutions qui sont nécessaires pour la santé mentale. Les aidants se disent : « Comme aidant naturel, je suis dans une nouvelle situation. Comment trouver les ressources qui sont à ma disposition dans ma communauté? » Le bouche à oreille, c'est bien. Si vous allez à l'église, quand je vais à la synagogue, on nous informe de différentes choses, souvent assez compliquées. Presque chaque foyer a un téléphone ou un ordinateur lui permettant de trouver l'information et de commencer à aider les aidants.

Est-ce que nos politiques sur le répit sont suffisamment fortes? Encourageons-nous et soutenons-nous suffisamment nos aidants naturels? Est-ce que nous renseignons nos professionnels sur la façon de transmettre de l'information aux aidants naturels qui doivent se débrouiller dans des situations nouvelles pour eux? J'ai vécu une expérience de ce genre en décembre. Deux de mes enfants m'ont aidée parce que les conjoints n'étaient pas très utiles. J'ai une fille qui est dentiste, une autre qui est étudiante au doctorat et j'ai mon doctorat. Il a fallu nous mettre à trois pour savoir ce qu'il fallait faire quand on m'a renvoyée chez moi après 12 heures. S'il faut un tel effort mental pour comprendre quoi faire, comme aidants naturels, que font la plupart des autres Canadiens? Deux de nous trois...

Le président : La plupart des Canadiens sont beaucoup plus futés que les personnes ayant un doctorat; je suis bien placé pour le dire.

Mme Shamian : Ils ont un sens pratique beaucoup plus développé.

Le président : Oui beaucoup plus développé, vous avez raison.

Mme Shamian : Précisément. Vous et moi pouvons le dire, vu que nous sommes membres du même club. Mais soyons sérieux. Que pouvons-nous faire pour soutenir les aidants naturels qui ne sont pas en mesure d'aider les personnes qui en ont besoin et de gérer leur anxiété? Les maladies et les troubles mentaux sont des questions tellement épineuses, aussi bien d'un point de vue social que d'autres points de vue.

Je vous exhorterais à garder au premier plan vos délibérations et vos recommandations sur les aidants naturels, pour continuer à amener de l'eau au moulin.

Je vais en rester là. Je suis ravie d'avoir pu vous retrouver aujourd'hui, vu que cela n'a pas été possible quand j'étais à Montréal.

Le président : Nous n'y étions pas.

Mme Shamian : Non, mais votre travail est si important que je crois bien que j'irais témoigner partout où vous me le demanderiez.

Le président : Il y a deux problèmes qui reviennent sans cesse. J'ai une question d'ordre général à vous poser à tous les trois, puisque vous vous entendez sur ces deux problèmes : que pouvons-nous recommander qui soit de nature concrète? Le premier problème a trait au soutien et aux groupes d'entraide — essentiellement des consommateurs aidant des consommateurs. Est-ce seulement une question d'argent? À mon sens, l'argent joue un rôle, mais je ne suis pas sûr que ce soit le moteur essentiel pour favoriser un travail dans ce domaine. Comme je l'ai dit plus tôt aujourd'hui lors de la séance, quand les consommateurs ont répondu à nos questionnaires, ce qui nous a le plus surpris a été que chaque réponse mentionnait l'entraide comme étant essentielle. À vrai dire, sans ces réponses, le sujet ne nous serait pas venu à l'esprit. D'où la question que je pose maintenant : d'un point de vue concret, que peut-on faire dans ce domaine? C'est en fait trois éléments.

Le second problème est celui qu'a souligné Mme Shamian : la nécessité, que tous reconnaissent, d'un tel programme de relève des familles. J'ai une question plus générale : existe-t-il d'autres besoins des familles, des aidants naturels et des soignants? Faut-il de la formation? Qu'entend-on au juste par relève? S'agit-il simplement d'un après-midi de libre pour aller voir un film ou quelque chose?

Troisièmement, je suis intrigué par le commentaire deMme Shamian et de Mme McKnight sur le secteur bénévole. Je pense que le secteur bénévole est sous-utilisé ou, en tout cas,sous-apprécié au Canada. Existe-t-il des possibilités de développement en ce qui concerne la maladie mentale ou les patients souffrant de problèmes mentaux? Je pense, par exemple, à l'élaboration de documents de formation pour former des bénévoles. Les instances fédérales n'offriraient pas les programmes mais il me semble que c'est l'occasion ou jamais d'investir dans un ensemble d'outils éducatifs de premier ordre et de laisser chacun les utiliser.

En matière de soutien par les pairs et d'entraide, pour les soignants, les aidants naturels et les bénévoles, pour ces trois groupes de personnes, quelqu'un a-t-il une suggestion sur des recommandations pratiques, applicables, que nous pourrions suggérer spécifiquement? Comme vous l'avez constaté dans notre rapport précédent, nous avons beaucoup de recommandations pratiques et c'est pourquoi les divers gouvernements provinciaux les mettent à présent en oeuvre. C'est comme ça qu'il faut s'y prendre sur le terrain.

Mme McKnight : Je pense que nous nous heurtons essentiellement à un état d'esprit : celui des bureaucrates qui doutent de la valeur du soutien des consommateurs et de l'entraide et celui d'autres organismes. Cela s'explique en partie par le fait que certaines personnes s'estiment sans doute plus qualifiées pour élaborer les programmes et les offrir. Je ne sais pas si on voit en nous une menace dans la mesure où l'administration ne pourrait pas fournir les mêmes services pour un même montant. Je sais qu'en Ontario, les instances fédérales ont consacré de grosses sommes d'argent à la santé mentale; or, malgré tout l'argent disponible, seule une organisation de consommateurs s'est trouvée parmi les bénéficiaires. Dans tous les autres cas, ce sont les prestataires de services dans les collectivités qui en ont bénéficié. C'est une très bonne chose mais, pour y avoir travaillé, je peux vous assurer que les organismes de consommateurs s'occupent de situations critiques tous les jours. Nous nous occupons de prévention du suicide. Quand les portes sont fermées partout ailleurs, c'est vers nos pairs que nous nous tournons. Je ne compte plus les appels que j'ai reçus au milieu de la nuit, appels lancés d'un bout à l'autre du pays, simplement parce que quelqu'un a besoin de parler. Ils savent qu'ils doivent parler pour ne pas craquer; ils savent que s'ils craquent, c'est la fin.

Mon meilleur ami s'est suicidé en 1997. Ça été un véritable traumatisme pour moi parce qu'avant qu'il ne se suicide, je suis allée pour la première fois dire à un juge de la paix qu'il fallait qu'il soit hospitalisé. Je n'aime pas beaucoup les hôpitaux. Je n'aime pas beaucoup les médicaments, mais je me suis rendu compte que mon ami avait besoin d'aide. On est venu le chercher pour l'amener à l'hôpital. Il avait un canif. La police l'a sorti du centre d'accueil et l'a amené à l'hôpital. Il en est ressorti le lendemain. Il s'est suicidé peu de temps après. Lorsque la responsable du service de psychiatrie de cet hôpital psychiatrique provinciale, qui à ce moment dirigeait l'Association des psychiatres de l'Ontario, a rencontré l'un de nos pairs dans le couloir tout de suite après le suicide, la première chose qu'elle a dite est ceci : « Il n'a rien dit à mon sujet dans sa note, n'est-ce pas? » C'est d'abord à cela qu'elle a pensé.

Ce genre de comportement est fréquent. Les attitudes doivent changer. Je suis une personne intelligente et je comprends le système. Je comprends quels sont mes besoins. Je sais quand j'ai besoin de prendre des médicaments. Je sais quand mon sommeil est perturbé. Tout comme vous savez ce qui vous perturbe, je sais ce qui me perturbe moi. Personne ne nous connaît mieux que nous-mêmes. Nous le savons lorsque nous avons besoin d'aide. Il est injuste et inacceptable qu'on refuse d'accepter ce que nous disons à l'égard de nos besoins devant un comité ou devant une assemblée quelle qu'en soit la nature et qu'on ne fasse confiance à cet égard qu'à des spécialistes provenant d'autres organismes et d'autres professions. Cette attitude doit changer.

M. Savoie : Des programmes de formation destinés aux bénévoles seront utiles. La formation c'est une bonne chose, mais il serait bon aussi de mettre sur pied un programme d'incitatif et de reconnaissance des bénévoles parce que nous pouvons tirer parti de nombreuses ressources.

Mme Shamian : J'aimerais faire une observation sur les partenariats. Je sais que nous sommes le secrétariat de la Coalition canadienne des aidantes et aidants naturels et nous avons constitué cette coalition pour combler un vide que nous avions constaté dans le domaine du soutien aux aidantes et aux aidants naturels. La Fondation McConnell a parrainé de nombreuses activités dans ce domaine au cours des cinq ou six dernières années. Il faut lui rendre hommage pour cela.

Vous avez parlé du défi qui consiste à amener les diverses organisations à concerter leurs efforts. La question est de savoir si les organisations sans but lucratif et les groupes de consommateurs peuvent vraiment former un partenariat. Il ne s'agit pas d'une mainmise. Les jeunes qui sont confrontés à ces difficultés peuvent offrir du soutien. Il est question de constituer un réseau de bénévoles, et qui serait un meilleur bénévole qu'une personne qui a elle-même connu ce genre de problème et à laquelle les spécialistes pourraient faire appel? Si un bénévole faisait partie d'un réseau de santé mentale, on ne mettrait pas en doute son évaluation de la situation si après avoir fait du bénévolat auprès d'une personne pendant six mois, elle disait craindre qu'elle ne se suicide.

Un témoin appartenant au groupe précédent a mis en opposition le consommateur et le patient. Peu m'importe les titres. Si j'ai appris quelque chose au cours des 11 derniers mois — et je pensais être bien renseignée —, c'est qu'il importe de savoir qui mène la barque. Et ce sont les gens du milieu qui doivent mener la barque.

Il y a une semaine, nous avons tenu une réunion à laquelle ont participé 20 chercheurs et 20 VON et où il a été question de l'élaboration d'un programme destiné aux parents qui ont perdu un enfant. Les recherches indiquent que ce sont les parents qui ont déjà perdu un enfant qui, avec l'aide de spécialistes, sont les mieux placés pour aider d'autres parents dans la même situation. Les modèles actuels ne fonctionnent pas nécessairement. Il faudrait peut-être songer à d'autres types de partenariats entre les groupes de consommateurs et les groupes de spécialistes.

Tout le monde a besoin de formation, de l'aidant naturel au psychiatre en chef, et le psychiatre en chef a sans doute besoin de davantage de formation que le bénévole.

Le président : Quelqu'un sait-il s'il existe un bon programme de formation destiné aux bénévoles, aux consommateurs qui vont être des bénévoles ou aux membres de la famille qui sont des aidants naturels? Je sais qu'il existe des brochures. Quelqu'un offre-t-il un programme de formation? Savez-vous si ce genre de programme existe?

Mme McKnight : Il y a le projet Consumers in Action. Au cours des six dernières années, nous avons collaboré avec laSelf-Help Connection, en Nouvelle-Écosse, en vue d'élaborer six modules de formation portant sur différents sujets...

Le président : Nous avons entendu parlé de cet organisme. C'est intéressant que vous le mentionniez. Il a produit un manuel qui est destiné aux aidants naturels. C'est un document qui est apparemment très utile.

Mme McKnight : Nous avons également conçu un programme de formation avec cet organisme. Soixante-neuf personnes sont venues l'an dernier à Ottawa pour suivre le programme de formation des formateurs et ces personnes ont pu ensuite retourner dans leurs collectivités et renseigner leurs pairs sur ce qu'est la bonne santé mentale. Qu'est-ce qu'une bonne santé mentale? Il faut surveiller sont alimentation, sa condition physique, son sommeil et connaître les facteurs qui influent sur sa santé mentale. Il faut savoir aussi notamment comment défendre ses intérêts. L'information est présentée de manière à être compréhensible à une personne qui a une huitième année. Tous les modules sont bien faits. Nous avons reçu des fonds de Développement social Canada et on nous appelle souvent pour nous demander de nouveaux exemplaires de ces documents qui disparaissent des tablettes.

Le président : Pourriez-vous nous en envoyer des exemplaires?

Mme McKnight : Je n'en ai pas amenés, mais je veillerai à ce qu'on vous en envoie.

Le président : Nous vous en serions reconnaissants.

Mme Shamian : Nous avons de l'information destinée aux aidants naturels qui ne porte cependant pas spécifiquement sur la santé mentale. Nous collaborons aussi actuellement avec huit organismes, dont la Fondation des maladies du cœur du Canada et le centre local de services communautaires, le CLSC. Nous vous ferons parvenir volontiers cette information.

Le président : On ne s'adresse sans doute pas de la même façon aux personnes atteintes de maladie mentale qu'aux personnes qui souffrent de problèmes cardiaques. Monsieur Savoie, l'ACSMa-t-elle établi des lignes directrices à cet égard?

M. Savoie : Je crois que chaque région s'est penchée sur cette question. Je ne suis pas sûr si nous avons des lignes directrices.

Le président : Je vois, ce n'est pas national, mais régional. Très bien.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous avez vraiment raison d'insister sur l'importance de la collectivité. J'ai grandi dans un village et je vis maintenant dans une petite municipalité. La collectivité signifie quelque chose. C'est un mot qui n'a pas le même sens si l'on vit à Toronto, à Vancouver ou dans de nombreuses autres villes du pays.

Avant de poser ma question, j'aimerais faire un petit préambule. Lorsqu'une personne subit une colostomie à l'hôpital, on lui donne habituellement en partant de l'information sur cette intervention médicale et on la dirige aussi vers un réseau de soutien. Ma question ne porte que sur les personnes qui sont hospitalisées pour cette intervention, mais elle pourrait aussi s'appliquer dans le cas des patients qui sont vus dans les bureaux de médecin : une fois qu'on quitte l'hôpital après le début du traitement, remet-on une trousse d'information au patient? Lui donne-t-on, par exemple, le numéro de téléphone et l'adresse d'un organisme auquel il peut s'adresser. Offre-t-on ce genre de service dans tout le pays.

Mme Shamian : Jusqu'à il y a six ans, pendant 10 ans, j'ai été présidente des services infirmiers à l'hôpital Mont Sinai de Toronto. Nous avions une petite équipe de soins psychiatriques et une très importante clinique externe, de même qu'un programme de soins psychiatriques. Nous recevions surtout des patients de Toronto et d'ailleurs qui avaient besoin de soins très actifs. Je vous dirais que oui, absolument, nous leur donnions de l'information. On peut cependant se demander ce qu'il advient de cette information. Beaucoup de personnes atteintes de maladie mentale ont aussi d'autres maladies; elles n'ont pas nécessairement de réseau familial et il arrive qu'elles soient sans domicile fixe. Les hôpitaux fixent le rendez-vous suivant de ces personnes et vérifient, avant de leur donner leur congé, qu'elles sont en rapport avec différentes ressources, mais ces mesures ne se concrétisent pas nécessairement.

Le sénateur Trenholme Counsell : On nous donne souvent beaucoup de documentation et ne savons plus quoi en faire. Il arrive qu'on la jette tout simplement.

Mme McKnight : Cela dépend souvent de ce qu'on va donner au patient pour faciliter son retour dans la collectivité, quand on a les ressources. Je le sais parce que j'ai moi-même constitué beaucoup de ces trousses. On peut y inclure une pièce de 25 cents pour faire un appel téléphonique, un billet d'autobus, une carte de la ville, du shampoing, du savon, du désodorisant et d'autres choses qu'on ne donne pas nécessairement au patient à l'hôpital, mais qui sont nécessaires. Je sais qu'on leur donne certaines choses, mais très peu, parce qu'on n'a pas l'argent nécessaire pour le faire; cela se fait généralement par l'entremise des services aux consommateurs de soins ou des conseils de patients.

Le sénateur Trenholme Counsell : Ce n'est pas de cela que je voulais parler. C'est plutôt de votre section du Réseau national pour la santé mentale, de l'Association canadienne pour la santé mentale ou de tout autre groupe de soutien qui pourrait exister. C'est cela que je voulais dire : une enveloppe ou même un feuillet d'information qu'on pourrait glisser dans sa poche ou dans son sac à main.

Tout récemment, j'ai eu l'occasion, au Sénat, de parler de la Stratégie nationale de lutte contre le cancer; j'ai appris que nous avons un grand nombre d'organisations et de ressources. Nous nous divisons en une multitude de groupes parce que nous voulons faire beaucoup de choses, mais est-ce que cela n'entraîne pas la fragmentation des efforts dans les collectivités? Cette fragmentation des services existe-t-elle à l'échelle nationale, mais aussi dans les collectivités? J'aimerais savoir ce que chacun de vous en pense.

Mme Shanian : Le Réseau canadien de recherche enpolitiques publiques a mené plusieurs études sur les organismes de bienfaisance sans but lucratif; il a étudié plus de100 000 groupes au Canada, et pas seulement dans le domaine de la santé. Certains de ces groupes oeuvraient dans beaucoup d'autres domaines, par exemple l'organisation d'activités pour les scouts. Il y a cependant une véritable prolifération des organisations de bienfaisance sans but lucratif, si bien qu'on peut s'interroger sur les effets que cela peut avoir sur les dons en argent, les bénévoles, et ainsi de suite. Mme McKnight a indiqué qu'une foule de groupes d'utilisateurs ou d'autres associations s'occupent de questions semblables, ce qui peut causer certaines difficultés.

Pour revenir à votre question au sujet des trousses d'information ou d'articles qu'on remet aux patients à leur sortie de l'hôpital, vous avez mentionné la Stratégie nationale de lutte contre le cancer. Cela m'a fait penser au Réseau canadien du cancer du sein. Si vous êtes hospitalisée pour un cancer du sein, une femme appartenant à ce réseau va venir s'entretenir avec vous pendant que vous êtes encore à l'hôpital. Elle vous donnera son numéro de téléphone pour que vous puissiez l'appeler. En écoutant vos échanges au sujet des utilisateurs, j'ai pensé qu'on pourrait mettre sur pied un système analogue pour les personnes atteintes de maladie mentale. Il appartiendra à chaque personne de choisir d'entretenir cette relation ou non, mais il y a d'excellents modèles qui existent déjà pour les personnes atteintes de maladie.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je crois que ce maintien des liens est très important. Quand j'exerçais la médecine familiale, je pense que nous ne donnions pas assez d'information au patient quand il quittait l'hôpital, mais les choses s'améliorent, par exemple en ce qui concerne l'allaitement maternel. La jeune mère sait qu'elle peut appeler quelqu'un si elle a des difficultés à allaiter après avoir quitté l'hôpital. Il y a quelqu'un qu'elle peut appeler. Le patient ne pourra probablement pas joindre un médecin de famille ou un psychiatre. C'est une solution concrète et faisable, et sans doute peu coûteuse.

Le président : Étant donné la nature du réseau d'entraide dans le domaine de la santé mentale — et je ne savais pas qu'il existait un réseau pour les femmes atteintes de cancer du sein, bien que le sénateur Pépin me fait signe indiquant qu'elle était au courant — je suis surpris qu'un tel réseau n'existe pas, d'après ce que je peux voir.

[Français]

Le sénateur Pépin : Monsieur Savoie, dans une de vos recommandations, vous demandez au comité de considérer la publicité ciblée particulièrement pour les jeunes.

[Traduction]

... qui devrait faire partie intégrante de toute stratégie sur la santé mentale.

[Français]

Parce que si on comprend bien, on se fait dire souvent nos jeunes sont difficiles à rejoindre. Est-ce que vous avez un plan bien spécifique ou quelque chose que vous pensez qu'on pourrait faire qui serait plus efficace que tout le reste? Qu'est ce qui marche?

M. Savoie : Bien disons qu'est-ce qui a marché avec l'expérience qu'on a eu, ce la n'a pas coûté tellement cher et on a eu un petit peu d'assistance financière. Puis on a utilisé des jeunes acteurs d'une agence de publicité pour des clips commerciaux.

Le sénateur Pépin : Sensationnel.

M. Savoie : Puis cela a vraiment bien fonctionné.

Le sénateur Pépin : Est-ce que cette publicité passait à la télé?

M. Savoie : Ça passait à la télévision ou à la radio, et on leur demandait, s'ils avaient des problèmes de contacter tel numéro la ligne CHIMO.

Le sénateur Pépin : Sensationnel.

M. Savoie : Le nombre d'appels a aussi augmenté.

Le sénateur Pépin : Oui, parce qu'on a eu le résultat. Je trouve que ce sont des choses comme cela qui aident. Avec les jeunes, il faut les prendre dans leur milieu et cela les touche beaucoup. Ils regardent beaucoup la télévision. Je suis membre du comité des affaires sociales et je n'aurais jamais pensé qu'il y aurait eu tant de jeunes ou d'adolescents qui avaient besoin du service. Le groupe de témoins qui vous a précédés parlait de l'étude sur le suicide et nous parlait de moyens de rejoindre ces jeunes.

M. Savoie : C'est d'aller dans leur milieu.

Le sénateur Pépin : On pourrait faire la même chose avec les personnes du troisième âge également car on s'aperçoit qu'on les laisse un peu de côté. Ce serait un groupe à cibler.

M. Savoie : Il y aurait même du travail qui pourrait être fait avec les gens du troisième âge puis les jeunes.

Le sénateur Pépin : Exactement.

M. Savoie : Il y aurait des programmes, un genre de connexion.

Le sénateur Pépin : On a fait cela pour les Services de Guerres. On avait recommandé dans certains endroits que lesgrands-parents, les personnes âgées, aillent à l'heure de la récréation pour leur donner leur repas ou bien les faire sortir et cela marche à certains endroits. En fait, on pourrait faire cela.

M. Savoie : Oui, il y a tellement de choses qu'on peut apprendre des gens du troisième âge.

Le sénateur Pépin : Oui, je vous remercie beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Cordy : Je trouve ces échanges captivants. J'aimerais aborder tout d'abord la formation des bénévoles, ainsi que la formation des membres de la collectivité. On entend souvent parler de cas où un voisin dit : « Je n'ai vu aucun signe d'activité dans cette maison depuis trois ou quatre semaines, mais je ne voulais pas appeler la police et je ne savais pas qui d'autre je pouvais appeler. » Prenons le cas des bénévoles de la Popote roulante; si un bénévole, au moment de livrer un repas à domicile, remarque que la personne a une tenue débraillée, sait-il qui il doit appeler? Les gens se parlent souvent entre eux mais ils ne savent pas à qui s'adresser pour que quelqu'un s'occupe du problème. Premièrement, comment faire en sorte que tous les membres d'une collectivité deviennent des bénévoles ou prêtent l'oreille? Deuxièmement, pouvons-nous former les bénévoles qui oeuvrent dans d'autres secteurs afin qu'ils alertent la bonne personne aux signes de problèmes qu'ils ont observés chez un bénéficiaire de leur service?

Mme Shamian : Je vais vous faire une suggestion audacieuse. Je pense que dans l'avenir, vous devriez vous pencher sur la santé communautaire, non pas du point de vue des services traditionnels, mais exactement comme vous venez de le décrire. Nous croyons que, parce que nous avons transformé tout le système, les valeurs ont changé. D'après mon humble expérience des 11 derniers mois, et quand je repense à bien des collectivités où j'ai travaillé pendant ma carrière, ce n'est pas le cas. Il faut probablement conserver l'idée de l'ancienne configuration des collectivités, en adoptant une perspective moderne. Je n'ai pas de solutions ou de suggestions absolues à vous proposer, mais dans quelques mois, j'aimerais discuter davantage de cette question avec vous parce que c'est exactement le problème à mon avis. Comment l'Ordre des infirmières et infirmiers de Victoria pourraient-il jouer un rôle de chef de file dans certaines collectivités et inviter d'autres organismes bénévoles? Cela nous ramène à la notion générale de santé de la population. Nous devons nous regrouper et nous demander comment nous pouvons aider la collectivité. J'ai appris récemment qu'à Brockville,10 organisations différentes font la livraison de repas à domicile. Nous n'avons pas besoin de 10 popotes roulantes, mais nous aurions peut-être besoin de bénévoles qui conduiraient les personnes âgées à la banque, à la clinique médicale, au bingo ou ailleurs. Nous avons besoin de projets qui nous permettront d'explorer les relations communautaires modernes et de créer de véritables collectivités au XXIe siècle. Beaucoup d'articles ont été écrits à ce sujet, mais absolument rien ne se fait en ce moment au Canada. Quant à moi, je suis obsédée par cette question, mais je n'ai pas les réponses. Nous les trouverons un jour.

Vous avez demandé ce qu'on peut faire pour former les bénévoles; je crois qu'il faut rassembler beaucoup d'information et en parler. Je crois que l'Ordre des infirmières et infirmiers de Victoria participeraient à cette formation parce que nous avons probablement le plus grand nombre de bénévoles travaillant dans les collectivités dans le domaine de la santé.

Le sénateur Cordy : Rendez-vous visite aux gens à leur domicile?

Mme Shamian : Absolument.

Le sénateur Cordy : Il y a aussi la question des aidants naturels, les membres de la famille qui prennent soin de malades. Je sais que vous en avez déjà parlé. Vous avez évoqué la création d'un portail pour ces soignants. Pourriez- vous nous donner plus de précisions à ce sujet?

Mme Shamian : Nous avons commencé à travailler avec Dominic Cowey de l'Université de Waterloo qui est bien connu au Canada et avec un groupe d'universitaires qui sont des experts en technologie. Pour l'instant, on peut avoir accès essentiellement à l'information sur Internet et il suffira de consulter un seul site qui permettra aux soignants d'avoir accès à l'information sur les services offerts dans leur localité. On donne d'abord de l'information générale, mais la personne peut ensuite se renseigner sur les services offerts à Fredericton ou dans sa localité. Nous voulons que toute cette information soit versée au système pour que les gens puissent y avoir accès. Si nous y parvenons, j'en serais très heureuse. Nous allons demander des subventions et tâcher de lancer le projet pilote au cours des six prochains mois. Une fois le projet pilote terminé, nous allons demander au gouvernement fédéral et au gouvernement provincial d'investir dans cette initiative que nous mènerons à bien. Cela ne devrait pas être compliqué. C'est une solution relativement simple. Tous les Canadiens n'y auront peut-être pas accès, mais si 40 p. 100 des aidants naturels y ont accès, ce sera 40 p. 100 de plus qu'aujourd'hui. On pourra aussi avoir accès à l'information par d'autres moyens, entre autres par téléphone.

Le sénateur Cordy : Il y a des cas où les aidants naturels ne se rendent pas compte qu'ils ont besoin d'aide. Je pense particulièrement aux femmes âgées qui prennent soin de leur mari — et on sait que la grande majorité des soignants sont des femmes. Lorsque les membres de l'Ordre des infirmières et infirmiers de Victoria font des visites à domicile, leur arrive-t-il de dire à ces femmes qu'elles ont besoin d'aide ou du moins d'avoir un peu de temps à elles?

Mme Shamian : Absolument. Je pense que cela fait partie du problème. On a posé une question sur le grand nombre d'organisations au Canada. L'organisme qui n'a qu'une seule fonction ne peut faire qu'une chose. Cependant, les grandes organisations peuvent faire beaucoup plus de choses; quant à nous, nous offrons 50 programmes par l'entremise de bénévoles et d'employés rémunérés. Si je le souligne, ce n'est pas pour faire la promotion de notre organisme, mais pour apporter un élément de solution. Prenons le cas d'un programme de soins palliatifs, où un membre de notre organisation rend visite à une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer pour l'aider dans ses activités quotidiennes; le membre remarque que l'épouse du malade doit se lever toutes les nuits pour s'occuper de son mari. Dans ce cas, on essaie de proposer à la famille d'envoyer un bénévole à domicile deux fois par semaine, par exemple, pour permettre à la dame d'aller jouer avec ses petits-enfants. Ou encore lui proposer d'emmener son mari avec nous pour lui permettre de dormir pendant quelques heures, d'aller chez le coiffeur ou de faire autres choses qui sont importantes et d'avoir l'impression de vivre une vie relativement normale.

Nous pouvons offrir tous ces services sans avoir à faire appel à d'autres organisations ni à attendre pendant six mois pour qu'elles le fassent. Nous pouvons élaborer des solutions. Une organisation peut-elle seule offrir les services ou faut-il s'allier à une foule d'autres organismes? Tant que chacun comprend qu'on est là pour aider et non pas pour se mettre en valeur ou pour défendre son territoire, tant qu'on comprend pourquoi nous existons, le partenariat peut donner d'excellents résultats. Pour nous, c'est formidable parce que nous mettons en place les différents éléments de service et nous continuerons à le faire.

Le sénateur Cordy : Nous revenons à notre sujet initial : la collaboration, la concertation et l'entraide dans la collectivité.

Mme Shamian : Et il faut être sur place afin de comprendre les besoins de la collectivité. Les besoins varient d'une localité à l'autre.

Le sénateur Cordy : C'est juste.

Le président : Je vous remercie tous d'avoir été des nôtres, mais permettez-moi de vous poser cette question à laquelle vous pourrez répondre plus tard. Ce qui est très frappant dans le domaine de la santé mentale, comme nous l'avons constaté dans notre étude précédente qui portait sur le système des soins actifs, appelons-le le système des hôpitaux et des médecins, c'est que toute l'attention est concentrée sur le milieu hospitalier. On ne s'attache qu'aux grands hôpitaux et parfois aux cliniques, en donnant beaucoup d'importance à la dimension de ces établissements et au professionnalisme des intervenants. Or, deux choses me frappent depuis que nous avons commencé à nous entretenir avec des gens qui ont une expérience concrète de ces réalités, comme vous qui travaillez sur le terrain, dans le système de santé mentale. Premièrement, il faut mettre l'accent sur la collectivité, et non pas sur les établissements. Deuxièmement, les services ne doivent pas nécessairement être offerts par des professionnels. Bien entendu, les professionnels ont évidemment un rôle à jouer, mais tout ne repose pas entre les mains des professionnels comme dans les hôpitaux et les cliniques médicales. Il n'est pas facile d'amener les ministères de la Santé à repenser leur approche en fonction de ces deux critères parce que les activités des ministères de la Santé sont entièrement axées sur a) les professionnels et b) les immeubles. Ce que vous nous avez dit correspond à ce que tous les autres témoins nous ont dit et voilà pourquoi vos témoignages nous ont été aussi utiles. J'aimerais bien connaître vos suggestions si vous en avez, parce que nous pouvons très bien dire, il faut mettre l'accent sur les collectivités et il faut que les non-professionnels jouent un rôle important, mais les ministères se contenteront d'exprimer leur accord du bout des lèvres et ils continueront à fonctionner comme ils le font en ce moment. Pour les amener à changer leur mode de fonctionnement, nous devons leur faire des propositions très concrètes, leur suggérer des changements que nous pourrons surveiller de manière à pouvoir les harceler s'ils ne les font pas. Si vous avez des idées à ce sujet, ce serait très utile pour nous.

Mme Shamian : En fait, le Nouveau-Brunswick est le modèle parfait parce que les services sociaux et les services de santé y sont fusionnés. Dans la plupart des provinces, ils relèvent de ministères différents, et je n'ai pas besoin de vous le dire...

Le président : En effet. Dans toutes les autres provinces, ces services relèvent de ministères différents.

Mme Shamian : Oui. C'est quelque chose de très concret à mon avis. J'ai discuté avec des gens de l'Ontario et d'autres provinces et pour adopter cette approche relative aux collectivités, il faut tout d'abord parler aux gens des services sociaux.

Le président : C'est une excellente idée, mais avez-vous des suggestions plus précises.

Le sénateur Trenholme Counsell : En réalité, on a redivisé le ministère au Nouveau-Brunswick.

Le président : C'est vrai?

Le sénateur Trenholme Counsell : J'aimerais savoir ce que vous en pensez, parce que ce n'est pas à moins d'exprimer mes idées en ce moment. Je pense que si je commençais ma carrière et si nous voulions améliorer les choses dès demain — et je crois que le Nouveau-Brunswick a la bonne approche en ce qui concerne les centres de santé communautaire — je tâcherais de construire des centres de santé communautaire dans chaque localité; les médecins de famille et tous les membres de ces organisations y seraient regroupés. À mon avis, ceux qui fréquentent les cliniques de santé mentale seront toujours stigmatisés. Je pense que dans l'avenir il faut offrir le service dans ces centres de santé où tout le monde travaillera sous le même toit, ou dans une annexe de ce centre. On parlera de santé communautaire et personne ne serait stigmatisé; les professionnels de la santé de tous les domaines y travailleraient, de même que les associations communautaires. Il faudrait créer ces centres le plus tôt possible à mon avis. Je ne sais pas quelle forme ils pourraient prendre au centre-ville de Toronto, mais j'ai mentionné cette idée à Toronto quand nous y avons tenu des audiences.

Mme Shamian : Effectivement. Je n'envisagerais pas cette solution du point de vue de la santé et des soins actifs. Je parlais sérieusement lorsque j'ai dit que je serais au septième ciel si votre comité appliquait la même approche qu'il a déjà appliquée pour comprendre ce qu'est une collectivité et ce qu'est le tissu social. Nous avons tous notre point de vue à ce sujet, mais il faudra éclaircir bien les choses. Je ne sais pas si on a vraiment tiré tout cela au clair. Il faudrait examiner ce qui se fait dans certains pays scandinaves et certains pays en développement qui ont trouvé des solutions remarquables.

Le président : Comme Joan Cook se plaît à dire : « Quand on n'a pas d'argent, on peut être étonnamment créatif. »

Je remercie tous les témoins d'être venus ici contribuer au débat.

Chers collègues, nous avons un témoin de dernière minute aujourd'hui, M. Charles LeBlanc. Monsieur LeBlanc, nous vous remercions d'être venu nous rencontrer. Je crois comprendre que vous voulez faire une déclaration et nous aurons sans doute le temps de vous poser une ou deux questions avant de quitter pour prendre l'avion. Vous avez la parole.

M. Charles LeBlanc, témoignage à titre personnel : Je suis heureux d'apprendre que j'étais censé comparaître à 16 heures. Sénateur Trenholme, je suis ravi de vous revoir. C'est la deuxième fois que vous venez ici à titre de sénateur. Je suis désolé que vous deviez m'écouter encore pendant quatre minutes. On m'a dit que vous ne poseriez pas de questions au sujet de mon exposé?

Le président : Nous aurons le temps de vous poser une ou deux questions. En règle générale, nous ne le faisons pas. Cela dépend tout simplement du temps dont nous disposons.

M. LeBlanc : Je pensais que c'était parce que l'audience portait sur la santé mentale et qu'on ne me jugeait pas assez intelligent pour répondre aux questions. Voilà pourquoi cela m'inquiétait.

Le président : Non, quand nous avons tenu des audiences avec des hommes d'affaires sur la question de fusion de banques, la même règle s'appliquait. Cela n'a rien à voir avec le sujet des audiences.

M. LeBlanc : D'accord. Vous avez vu comment je me suis comporté la dernière fois. Quatre minutes, est-ce possible? Je dois faire vite. Je n'ai que quatre minutes.

Le président : Très bien, allez-y.

M. LeBlanc : Je suis né à Memramcook et j'ai grandi à Saint John.

Il y a six ans, j'ai appris que je souffre du trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention, ou pour utiliser l'acronyme, du THADA. J'ai écrit un article dans le Reader et le Telegraph Journal de Saint John. Par la suite, j'ai reçu une quarantaine d'appels de parents qui m'ont raconté, en pleurs, comment leurs enfants étaient traités dans le système scolaire. Moi, je n'ai pas d'enfants et j'en remercie le ciel. J'ai communiqué avec Bernard Lord et je lui ai dit que je voulais lui parler de la question du Ritalin. Il m'a répondu qu'il savait qu'il s'agit d'un problème grave parce que beaucoup de gens appelaient son bureau dans la circonscription de Moncton-Est à ce sujet. Il m'a dit qu'une fois qu'il serait au pouvoir, il allait étudier cette question. Mais voilà qu'après avoir été élu premier ministre, il renie ce qu'il m'a dit et affirme que le Ritalin ne pose pas de problème.

Quand j'ai appris que je souffrais du THADA, je travaillais pour la famille Irving. Je travaillais pour une compagnie de construction qui lui appartenait. J'ai dû subir une analyse d'urine, parce qu'on fait passer des tests aux employés pour détecter des drogues. Je leur ai dit — et je m'excuse de parler très vite, car je suis pressé. Bref, ils ont fait des tests pour voir si les employés avaient pris de la drogue. Je leur ai dit que je ne prends pas de drogue mais que je prends du Ritalin parce que je suis atteint du THADA. Je m'attendais à ce qu'ils me disent : « C'est vrai, mais vous êtes débordant d'énergie, venez vous joindre à notre équipe. » Ils m'ont dit, au contraire, que je n'avais pas le droit d'apprendre un métier ou quoi que ce soit. Je parle très vite et je m'en excuse. C'est que je n'ai que quatre minutes. C'est un très grave problème.

J'ai porté plainte devant la Commission des droits de la personne du Nouveau-Brunswick. Ils m'ont envoyé une note par télécopieur; je l'ai avec moi; mais je n'ai pas le temps de vous la lire. Ils m'ont dit que j'étais limité parce que j'avais le THADA et que je prenais du Ritalin. On ne m'a pas permis d'apprendre un métier. J'ai été moins bien rémunéré que tous les autres et on ne m'a pas permis de conduire une voiture. La Commission des droits de la personne du Nouveau-Brunswick, qui est une gigantesque farce dans notre province, excusez-moi de le dire, a déclaré que les gens qui souffrent du THADA sont limités, que ce sont presque des arriérés mentaux. C'est absolument faux. Les gens atteints du THADA sont très intelligents. Voilà pourquoi en 2002, j'ai fait la grève de la fin devant l'Assemblée législative pendant 12 jours. Le gouvernement n'a pas voulu faire une étude sur le Ritalin. En 2003, j'ai monté une tente devant leParlement de la province et j'y suis resté pendant six mois. Vous étiez au courant, n'est-ce pas Marilyn? Ensuite, j'ai recueilli 10 000 signatures de gens qui disaient être d'accord — ce que je dis n'est pas drôle. Il y a deux jeunes femmes là-bas derrière qui rient à gorge déployée.

Le président : Ce sont des interprètes. Elles ont du mal à vous suivre.

M. LeBlanc : Cela m'a distrait.

Le président : Veuillez continuer.

M. LeBlanc : Qu'est-ce qu'il y a de drôle dans ce que j'ai dit? Je n'ai que quatre minutes.

Le président : Vous parliez très vite et elles essayaient de vous interpréter.

M. LeBlanc : Je sais, mais que puis-je y faire?

Le président : Veuillez continuer votre déclaration.

M. LeBlanc : Les personnes qui souffrent du THADA sont facilement distraites. Voilà où je veux en venir. On inclut ces personnes dans les classes normales. Il y a des enfants atteints d'autisme, du THADA et de la sclérose en plaques, tous de la même classe. Les élèves qui souffrent de THADA se font distraire facilement par tout ce bruit. Voilà pourquoi leur intégration dans les classes normales ne donne pas des bons résultats dans cette province.

J'ai recueilli 10 000 noms avec une pancarte disant ceci : « Le Ritalin est trop souvent prescrit dans cette province. » Les citoyens du Nouveau-Brunswick ont demandé que la question fasse l'objet d'une étude.

Au cours de la manifestation, on m'a dit que les enfants étaient étiquetés comme étant idiots ou stupides parce qu'ils prenaient du Ritalin. C'est triste. Certains enfants en ont besoin. Il faut bien l'admettre. Si une personne prend du Ritalin, on lui appose cependant une étiquette.

La Commission des droits de la personne du Nouveau-Brunswick a rendu à huis clos une décision dans laquelle on associe le Ritalin à l'arriération mentale, ce qui est inacceptable.

Ces histoires me sont racontées par des gens dans la rue. J'étais dans une tente et j'ai entendu quelqu'un dire que des enfants étaient forcés de prendre le Ritalin et que cela les amenait par la suite à consommer des médicaments plus puissants comme des analgésiques. Ces enfants sont très intelligents. Bill Gates souffre du HDA. Vince McMann de la World Wrestling Federation, la WWF, dont vous avez sûrement entendu parler, a révélé à l'émission 60 Minutes qu'il souffrait aussi de ce problème. Seul un cerveau atteint de l'HDA peut produire un téléfeuilleton où on s'adonne à la lutte. Son cerveau n'arrête jamais. Bill Clinton souffre aussi de l'HDA. Ne me dites pas le contraire, parce que cet homme ne se tait jamais et on le paie des millions pour parler. Ça revient tout simplement à cela. Les politiciens à Ottawa et à Fredericton refusent de prendre du Ritalin, mais on voit bien à leur comportement qu'ils ont l'HDA. Au Nouveau-Brunswick, cela coûte moins cher d'administrer des médicaments aux enfants que de les traiter avec dignité.

Je n'ai que deux autres points dont j'aimerais vous parler. On me dit qu'il y avait 22 parents qui reçoivent de l'aide sociale qui suivent des cours de rattrapage scolaire. Tous leurs enfants prennent du Ritalin.

On a effectué une étude à double insu. Un jour le pharmacien donne un comprimé de vitamine et l'autre jour, du Ritalin. On voit ensuite s'il y a un changement dans le comportement de l'enfant. Malheureusement, ce genre de test coûte 1 400 $ et bien des personnes pauvres ne peuvent pas se le permettre. Que fait-on donc? Voici ce que m'a dit M. Furlong qui était ministre de la Santé et ministre de l'Éducation : « Le Ritalin n'est pas trop prescrit, mais l'HDA est diagnostiquée chez trop de personnes. »

L'administration du Ritalin pose problème au Canada. Il faut cesser de droguer et de tuer nos enfants. Voilà ce que je voulais vous dire.

Le président : Monsieur LeBlanc, je vous remercie de votre témoignage. Nous n'aurons pas de temps pour poser des questions parce qu'il y a un deuxième témoin de dernière minute, n'est-ce pas?

Le chef Susan Levi-Peters, témoignage à titre personnel : Oui, mais je ne prendrai qu'une minute.

Le président : Très bien.

M. LeBlanc : Elle n'a qu'une minute. Je ne pense pas qu'elle souffre de l'HDA.

Mme Levi-Peters : J'allais venir vous saluer parce que je me souviens du jour où vous êtes venu rencontrer nos cadets de la marine.

Le sénateur Trenholme Counsell : Oui.

Le président : Allez-y.

Mme Levi-Peters : Je voudrais remercier ce comité de me permettre de prendre la parole devant lui aujourd'hui. J'ai été invitée à participer à cette réunion et je suis heureuse d'être ici. Je suis fermement convaincue que tout ce qui se produit a une raison d'être. Je suis vraiment honorée de prendre la parole devant le comité. Je n'étais pas sûre de pouvoir le faire.

Ce que j'aimerais vraiment, c'est que les membres des Premières nations soient davantage consultés sur toutes les questions de ce genre et je songe notamment aux questions liées à la santé mentale. Je suis chef de la Première nation Elsipogtog, la plus importante Première nation du Nouveau-Brunswick. Deux mille sept cents personnes appartiennent à notre Première nation. À une époque, le taux de suicide était très élevé dans notre population. Comme vous le savez tous, nous avons été confrontés aux problèmes dont vous ont parlé les spécialistes. Je pense que mon personnel et que les spécialistes qui travaillent pour nous pourraient être d'une grande utilité pour le comité. Avez-vous des interprètes vers le Mi'kmaq? Nous manquons de fonds. Le gouvernement fédéral n'accorde aucun financement aux Premières nations pour lutter contre les problèmes de santé mentale. Quand nous nous adressons au gouvernement provincial, on nous répond que c'est un domaine decompétence fédérale. Le gouvernement fédéral nous dit de nous adresser à la province à qui il donne des fonds. Nous sommes les laissés-pour-compte.

Je pourrais vous entretenir de tous les sujets qui ont été abordés et je comprends la frustration des membres du comité. Il existe pourtant des solutions à ces problèmes. Il faudrait notamment que les fournisseurs de soins reçoivent davantage de soutien. Par l'intermédiaire du système scolaire, on devrait aussi mettre l'accent sur la prévention du suicide auprès de nos enfants et en particulier de nos adolescents, augmenter la formation dynamique de la vie et accroître le soutien communautaire. Il s'agit de mesures positives qui ont été recommandées. Or, les Premières nations ne sont pas consultées sur les mesures qu'il convient de prendre alors qu'elles font partie du Canada. Nous faisons partie du Nouveau-Brunswick.

Le président : Absolument. Permettez-moi de faire deux observations. Premièrement, nous sommes totalement gagnés à votre cause. La situation des Premières nations sur le plan de la santé, et en particulier sur le plan de la santé mentale, est tout a fait inacceptable dans un pays moderne comme le Canada. Nous avons déjà dit dans un rapport précédent que la véritable question qui se pose est de savoir comment régler le problème. Il est bien évident que le gouvernement fédéral ne s'acquitte pas bien de ses responsabilités dans ce domaine qui relève de sa compétence, dans la mesure où un pays comme le nôtre ne devrait jamais permettre des conditions comme celles qui existent dans le tiers monde et c'est le cas dans les réserves. Nous ne ménagerons pas nos mots à cet égard dans notre rapport.

Deuxièmement, nous allons obtenir beaucoup d'aide des dirigeants des Premières nations lorsque nous serons à Edmonton. Nous ne sommes pas encore allés dans l'Ouest et tout dépend de la tenue d'élections. Nous irons à Edmonton soit en juin, soit en octobre. Quoi qu'il en soit, le Mental Health Board of Alberta compte un comité consultatif composé d'aînés, comité qui porte le nom de Wisdom Council (Conseil de la sagesse). Le conseil discutera de toutes ces questions avec le comité pendant toute une soirée. Il existe un groupe analogue en Colombie-Britannique que nous rencontrerons aussi. Nous trouvons très encourageant le fait que bon nombre de chefs et d'aînés se préoccupent très sérieusement du problème général de la prestation des services de santé dans les réserves et plus particulièrement de la prestation des services de santé mentale, et notamment des services de prévention du suicide. Je n'étais pas sûr que ces chefs et ces aînés étaient disposés à nous rencontrer, mais les dirigeants autochtones de ces deux provinces me disent qu'ils sont tout à fait prêts à le faire. Nous sommes donc complètement gagnés à votre cause.

Je reviens à ce que je disais tantôt : la réalité, c'est que si la plupart des Canadiens étaient conscients des résultats et de la situation sur le plan de la santé chez les personnes vivant dans les réserves, ils seraient tellement horrifiés qu'ils insisteraient pour qu'on fasse quelque chose. En effet, c'est vraiment scandaleux, et croyez-moi, nous n'allons pas mâcher nos mots à cet égard. Donc, même si la plupart des Premières nations se situent à l'ouest de la frontière Ontario-Manitoba, nous sommes vraiment ravis que vous soyez venus nous parler.

Voulez-vous ajouter une dernière observation?

Mme Levi-Peters : Oui, une seule et dernière. J'espère que vous allez entendre des membres des Premières nations de l'Est, puisque le fait est que moi aussi, je crois fermement aux traités. C'est ici au Canada atlantique qu'on les a conclus. Je crois fermement que le cœur du Canada se situe au Canada atlantique. J'ai un parti pris.

Le président : Ce sont surtout des Canadiens de l'Atlantique qui sont autour de la table. Je sais que le sénateur Trenholme Counsell va faire une observation. Malheureusement, je dois me dépêcher pour me rendre à l'aéroport parce que mon avion décolle dans une heure.

Le sénateur Trenholme Counsell : Ce n'est qu'une observation.

Le président : Et le sénateur Pépin aimerait faire une observation aussi.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je n'étais pas là au début, mais j'espère, monsieur le président, que l'on donnera suite à ces instances, que nous aurons une section sur la santé mentale dans les collectivités autochtones. Peu importe le temps qu'il faudra y mettre, j'estime que ce serait irresponsable de produire un document qui n'en parle pas.

Mme Peters : Oui. Effectivement, quand j'ai entendu le principal intervenant de ce côté-ci parler de la solution et des problèmes comme s'il s'agissait de se rendre dans un pays un tiers monde, je voulais lui dire, venez dans ma collectivité si vous voulez voir le problème, la solution, et éventuellement l'avenir. Venez nous regarder.

Le sénateur Joan Cook (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

Le sénateur Pépin : Nous avons également le sénateur Rivest qui se joint à nous, et il est le chef à Pointe Bleue. Il vient du Québec. Mais c'est un leader très important de votre communauté au Québec. Il était censé être là, mais malheureusement il n'a pas pu venir ici, mais il participera aux séances du comité dans le reste du pays.

Mme Levi-Peters : Puis-je soumettre des recommandations au comité, et où est-ce que je dois les envoyer? Nous n'avions plus d'argent pour notre programme de santé mentale à Elsipogtog, si bien que nous y avons réaffecté le financement de notre programme après avoir épuisé le financement fédéral. Merci beaucoup.

La présidente suppléante : Je tiens à vous remercier de votre témoignage. Si vous le souhaitez, vous pouvez envoyer des observations écrites au comité, et nous les examinerons attentivement et en tiendrons compte au moment de la préparation de notre rapport. Vous n'avez qu'à les envoyer au Sénat du Canada, et nous les recevrons.

Mme Peters : Merci beaucoup.

La présidente suppléante : Sénateurs, pour la forme, la séance est levée.

La séance est levée.


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