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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 27 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le mardi 20 septembre 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner les questions relatives à la santé mentale et à la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue. Je remercie tous nos invités d'être venus de si loin pour se présenter devant le comité aujourd'hui et partager leurs points de vue sur ces questions importantes.

Le comité est sur le point de terminer son étude sur la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie. Le rapport du comité sera publié en janvier 2006. Le sénateur Gill, qui vit encore dans une réserve au Québec et d'autres membres du comité ont jugé important d'ajouter un jour qui sera exclusivement consacré aux questions touchant les Autochtones. Les témoignages sur les taux d'incidence nous ont consterné. Il est important que nous entendions des points de vue de toutes les régions du pays.

Je demande aux témoins de se présenter et de proposer au comité trois des cinq recommandations clés visant à améliorer, pour les gens qui y travaillent, les services en santé mentale, en maladie mentale et de lutte contre les toxicomanies. Puis, nous aurons une discussion qui permettra au comité d'avoir l'apport des témoins sur les questions qui l'intéresse et le préoccupe et de leur poser des questions. Le comité a reçu quelques brefs comptes rendus qui seront lus. Cependant, pour les fins de la discussion, il serait utile d'entendre ces recommandations aujourd'hui. Mme Gideon, je vous invite à prendre la parole. Veuillez limiter votre intervention à pas plus de cinq ou dix minutes.

Mme Valerie Gideon, directrice du Secrétariat à la santé et au développement social, Assemblée des Premières nations : Nous avons eu l'occasion de vous parler le 21 juin, Journée nationale des Autochtones. Vous avez des notes que j'ai prises au cours de cette discussion et qui donnent une vue d'ensemble de certaines de nos idées et recommandations. Aujourd'hui, nous allons soulever des points précis entourant les quatre questions posées par le comité dans son rapport intérimaire.

Les premières questions concernent les grandes priorités auxquelles le gouvernement fédéral doit donner suite alors qu'il entreprend de changer sa prestation de services en santé mentale et de lutte contre les toxicomanies. Lors de notre dernière assemblée générale annuelle au mois de juillet, une résolution a été adoptée par les chefs, cette résolution demandait que le gouvernement du Canada soit redevable de sa décision d'allouer des ressources très limitées pour la prévention du suicide chez les jeunes sans encourager la participation, à long terme, des Premières nations dans l'élaboration de cette stratégie. La résolution demandait aussi un plus grand soutien du gouvernement fédéral pour l'élaboration d'une stratégie globale et holistique visant le bien-être des Premières nations. La santé mentale et la prévention du suicide seront certainement les points essentiels de cette stratégie. La stratégie visera une approche holistique des mécanismes permettant aux collectivités la flexibilité d'allouer des ressources aux priorités et d'établir des liens avec certains déterminants de la santé tels que l'enseignement, le logement et les questions sociales et environnementales. Le chef régional Shawn Atleo, en tant que détenteur d'un portefeuille à l'Assemblée des Premières nations pour le logement, aimerait parler de certaines de ces questions connexes.

La résolution défend aussi la nécessité d'un financement approprié versé aux Premières nations pour développer et administrer des établissements régionaux de traitement pour lutter contre les toxicomanies et les abus de solvants. Les Premières nations ont soumis plusieurs excellentes propositions portant sur le développement ou la création de nouveaux centres dont les traitements ne se limiteront pas à ceux de l'alcoolisme, par exemple, ou des drogues les plus populaires. Un tel mandat leur permettra d'étudier certaines nouvelles drogues, comme la méthamphétamine par exemple, qui joue un rôle capital au plan de la santé mentale et des suicides dans nos collectivités.

L'Assemblée des chefs a demandé que le gouvernement fédéral trouve une solution au problème du partage des compétences au plan des services en soutenant et en favorisant des stratégies et des planifications élaborées par les Premières nations pour leurs membres. L'Assemblée des chefs a aussi demandé que soit donné à chacune des Premières nations la possibilité de choisir des organisations urbaines locales appropriées pour établir ces liens tout en reconnaissant que la majorité de nos populations vit à l'extérieur des réserves et dans des centres urbains où elles connaissent des taux élevés de pauvreté et d'autres problèmes sociaux et liés à la santé. L'Assemblée des chefs a aussi demandé que le gouvernement du Canada fournisse aux Premières nations des services approuvés qui permettront à leurs collectivités d'accroître leur capacité à gérer efficacement et durablement les problèmes permanents tels que l'héritage des pensionnats et à reconnaître les diverses approches à la prévention du suicide chez les jeunes dans les diverses collectivités des Premières nations.

La résolution énonce quelques recommandations du rapport Romanow et de la Commission royale sur les peuples autochtones qui avaient expressément proposé une augmentation du transfert du financement aux collectivités des Premières nations pour développer et entretenir leurs propres établissements de santé et les services en santé mentale au moyen de liens stratégiques établis avec les compétences provinciales et territoriales. Nous pensons que cette approche s'aligne sur la reconnaissance du rapport de nation à nation et de la compétence des Premières nations dans le domaine de la santé actuels.

Un plan d'action conjoint et une stratégie du bien-être élaborés entre le gouvernement fédéral et les Premières nations résoudraient immédiatement la crise de la santé mentale d'une façon collaborative, globale et pertinente sur le plan culturel. Le renouvellement à long terme de la Fondation autochtone de guérison est un élément critique de la réussite de cette stratégie de bien-être. La Dre Gail Valaskakis fournira de plus amples renseignements sur ces activités. Nous croyons que pour élargir et maintenir des mesures de guérison communautaire, il convient de tirer parti de l'énorme travail qu'a fait cette organisation ces dernières années. L'augmentation sensible du nombre des travailleurs de première ligne formés et du nombre des professionnels autochtones en santé mentale et en lutte contre les toxicomanies est essentielle pour ce travail.

La deuxième question posée dans votre rapport intérimaire porte sur les structures appropriées qui assureraient une participation appropriée des Premières à la conception des services dont elles ont besoin. J'ai déjà répondu tout à l'heure à certaines de ces préoccupations. Les gouvernements des Premières nations doivent être reconnues pour leur rôle actuel dans la prestation de services de santé et pour le rôle plus important qu'elles recherchent; rôles qui proviennent, à leur avis, de leur droit inhérent à l'autonomie qui a été affirmé dans l'accord politique signé le 31 mai à la retraite du Cabinet par le chef national et l'honorable ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, Andy Scott, au nom du gouvernement du Canada.

Je ne vais pas m'attarder sur les recommandations concernant les données. J'ai déjà suggéré que l'Enquête régionale longitudinale sur la santé des Premières nations devrait être considérée comme une option et un outil pour répondre aux besoins en données des Premières nations.

Je suis contente que Donna Lyons soit ici. Elle gère cette initiative et pourra vous donner plus de détails. L'Assemblée appuie totalement cette initiative comme source de données et comme surveillance permanente de la qualité et de l'accès aux services en santé mentale dans les collectivités des Premières nations.

La participation des guérisseurs traditionnels et l'inclusion des aînés dans les approches visant à fournir un équilibre entre les méthodes scientifiques et traditionnelles dans les services en santé mentale sont essentielles. Je tenais à signaler qu'en 2002, le gouvernement du Canada par l'intermédiaire de Santé Canada, l'Assemblée des Premières nations et Inuit Tapiriit Kanatami ont élaboré conjointement un cadre pour la santé mentale des Premières nations et des Inuits qui est pertinent à ce jour.

La façon dont le gouvernement fédéral pourrait mieux s'organiser pour fournir des services d'une manière plus efficace et plus efficiente constitue votre troisième question. Il est essentiel que les collectivités des Premières nations y participe, aussi bien dans tous les aspects de l'élaboration de la politique et que leur inaction dans les structures de rapport et de financement. Ces structures devraient être transformées pour aider au lieu d'empêcher la mise en oeuvre par les collectivités d'approches holistiques à la santé mentale. Les dispositions en matière de financement pluriannuel flexible et les rapports fondés sur des résultats et non sur des données administratives sont des exemples de cette transformation.

M. Shawn Atleo, chef A-in-chut, chef régional de la C.-B., Assemblée des Premières nations : La question qui se pose vraiment est de quelle façon le gouvernement devrait aider les Premières nations dans leurs collectivités et comment habiliter les dirigeants et les experts de ces collectivités qui ont les solutions.

J'apprécie le fait que Mme Gideon ait apporté une certaine cohérence au dernier rapport, mais quand elle aura conclu, je voudrais intervenir pour parler de la situation dans ma collectivité qui a, je crois, des implications plus larges.

Le président : Certainement.

Mme Gideon : J'aimerais souligner que la collaboration avec Santé Canada, l'assemblée et ITK continue dans ce domaine. Au cours des deux derniers mois, nous avons créé un comité consultatif sur la santé mentale des Premières nations et des Inuits. Le comité cherche à élaborer un plan d'action et une stratégie à court, à moyen et à long termes pour continuer à collaborer. Le plan traitera des secteurs prioritaires et fera des propositions spécifiques au gouvernement fédéral sur la façon de réaliser des progrès. Nous vous serions reconnaissants d'appuyer cette initiative ainsi que toute occasion que vous pourriez nous offrir pour attirer l'attention sur cette initiative à la prochaine réunion des premiers ministres sur les questions autochtones.

Votre quatrième question dans le rapport visait à savoir si les Premières nations soutiendraient des incitatifs financiers qui encourageraient les Autochtones du Canada à devenir des travailleurs en santé mentale. Nous soutenons totalement de tels incitatifs. Le mentorat des Premières nations et l'établissement d'un lien direct avec les collectivités autochtones qui ont ce type d'initiatives dans les domaines de la formation et de l'éducation constituent la clé de la réussite. Les communautés peuvent ensuite encourager leurs jeunes à entrer dans ces professions et continuer à les aider durant toutes leurs études et leur formation afin qu'ils puissent revenir travailler dans les communautés et assurer un soutien pour les sept générations futures.

Il est important de s'assurer que ce lien existe et que ces incitatifs financiers ne se limitent pas aux établissements et organismes non autochtones.

Je vais conclure là-dessus.

[M. Atleo s'exprime en langue autochtone.]

M. Atleo : Je suis de la maison de Klakishpiitl dans la Première nation Ahousaht sur la côte Ouest de l'île de Vancouver. On me connaît aussi sous le nom de Shawn Atleo. Mon nom de famille « Atleo » est un nom Ahousaht historique. « Atleo » vient du mot « ukleatlo » qui signifie la branche du cèdre. L'« atliuu » est une corde torsadée faite avec de la racine de cèdre et qui était utilisée dans la chasse à la baleine. Mon arrière arrière grand-père était le dernier à chasser selon la tradition Ahousaht. L'« atleo » évoque la recherche des ressources, la préparation spirituelle, la préparation physique et la pragmatique liée à la chasse à la baleine. Cela demande des mois de planification, de préparation et beaucoup de travail d'équipe au sein de la collectivité.

Quand une baleine est apportée au village, chaque Ahousaht a un droit de fait à un morceau de cette baleine. C'est une forme de gouvernance que nous avons encore aujourd'hui dans nos noms et notre façon de gouverner. À notre connaissance, je suis le 23e chef héréditaire de mon peuple. Donc, pour moi la gouvernance est pratiquement une activité familiale.

Je suis aussi coprésident du Conseil tribal de Nuu-chah-nulth qui représente 14 Premières nations sur la Côte Ouest de l'île de Vancouver. Depuis un an et demi, j'occupe les fonctions de chef régional pour la Colombie-Britannique.

Je me réjouis de la présence de Mme Gideon aujourd'hui. Elle est la coordinatrice nationale de la question de la santé de l'Assemblée des Premières nations et elle fait un travail excellent. Je me réjouis de l'occasion qui m'est donnée de jeter un peu de lumière sur cette question et de souligner son importance. Je n'arrive pas à imaginer combien elle est importante. C'est une vraie crise.

J'aurai 39 ans bientôt et je vous avoue franchement que je ne m'attendais pas atteindre cet âge. Il y a 10 ans que je fête cela, car je pensais qu'atteindre l'âge de 29 ans était une grande réussite. Je suis content de pouvoir en rire aujourd'hui, et j'en ris, car j'adore la vie. Toutefois, seulement 50 p. 100 de personnes de mon groupe d'âge sont encore en vie dans mon village. La plupart des enfants avec lesquels j'allais pêcher et jouer sur les plages de mon village ont tragiquement disparu, la plupart se sont suicidés ou ont subi d'autres morts violentes.

La plus récente tentative de suicide dans mon village a eu lieu la fin de semaine dernière. Une jeune personne a essayé de se pendre. Mais, il n'y a pas que les jeunes qui tentent de se suicider. Des personnes au milieu de la cinquantaine et des enfants âgés d'à peine huit ans se suicident et tentent de se suicider.

Pendant des années, je n'ai pas voulu assister à des funérailles. Pendant des années, je suis allé à des funérailles où les gens ne voulaient pas parler de la situation. Cela a changé dans mon village, le village de Ahousaht. Il y a eu plus de 60 tentatives dans les six mois qui ont suivi un suicide réussi au mois de décembre. Comme je l'ai dit, il y a eu une autre tentative seulement la fin de la semaine dernière. Il est très important que vous vous collaboriez avec nos experts et nos organismes pour régler cette situation qui a explosé.

J'ai apporté quelques renseignements supplémentaires de mon village concernant le suicide et j'espère pouvoir vous les distribuer. Durant les années 1990, nous avons assisté à une baisse des tentatives de suicide et des suicides parmi les Nuu-chah-nulth. Même si nous ne pouvons pas indiquer un seul facteur, je sais que le travail de la Fondation autochtone de guérison a été extraordinaire pour notre peuple. La Fondation a permis la création et la prestation de services de guérison fondées sur les collectivités. Nous ne cachons pas du tout le fait que notre collectivité, je crois qu'il est juste de le dire, est dans un état post-traumatique.

Des personnes telles que mon père étaient au pensionnat Alberni Indian pendant 12 ans; il a connu là-bas les pires abus qu'on pouvait lui infliger, y compris lui piquer la langue quand il voulait s'exprimer en langue autochtone. J'ai de bons souvenirs de la vie dans mon petit village, la pêche et la culture. Je me souviens aussi des pires — les abus, la violence, les meurtres, les viols, les suicides en masse et la toxicomanie; tout cela existe encore dans un grand nombre de nos collectivités.

Dans mon village de Ahousaht, quand les travailleurs ont commencé à dire aux dirigeants, « nous ne pouvons plus continuer ainsi, nous sommes en train de nous épuiser », le débat s'est amplifié et, en fait, les médias de la côte ouest en ont parlé. Certains d'entre vous ont peut-être lu les articles sur les suicides à Ahousaht. Notre village compte 90 habitants. Notre population est de 1 800. Nos jeunes sont dans un état de désespoir. Les réponses que Mme Gideon nous a données offrent une perspective large. Une perspective nationale dont on a besoin. Nous perdons des personnes et des personnes se trouvent dans un état de désespoir profond.

Il y a peu de temps, je me trouvais à la législature de Nisga'a. Comme beaucoup d'entre vous le savent, ils sont à la cinquième année de la mise en œuvre de leur traité. J'ai parlé avec leur directeur de la santé qui m'a dit que l'année dernière, il y a eu 16 tentatives de suicide pour 6 000 personnes à Nisga'a. Ils étaient très préoccupés par cela. Je leur ai dit ce que les Ahousaht tout seuls ont vu en six mois. Seulement 1 800 des 8 000 Nuu-chah-nulth, seulement 1 800 dans ma collectivité ont assisté à cela. Il est crucial que nos experts regardent là où cette situation est la plus grave.

Nos collectivités ont toujours dit clairement ce qu'il fallait faire. Il faudrait des solutions conçues par les collectivités et mises en œuvre par elles. Il faut l'autorité que mon regretté grand-père disait que je ne devrais jamais céder à qui que ce soit, l'autorité d'un chef. Il faut reconnaître de manière appropriée les compétences des collectivités.

Pour citer des gens comme le ministre de la Justice, Irwin Cotler, c'est la révolution des droits des Autochtones. Des universitaires disent qu'il faut reconnaître le pluralisme juridique et la loi des Premières nations. Pour quelqu'un comme moi au service de 200 collectivités en Colombie-Britannique, cette idée paraît juste.

Les réunions qui se préparent offrent beaucoup d'espoirs, à mon avis. Nous nous rencontrons la semaine prochaine pour parler d'une contribution du gouvernement provincial de la Colombie-Britannique au plan directeur national pour la santé. Il y a la réunion des premiers ministres prévue pour novembre. Nous avons eu la Table ronde Canada- Autochtone en avril dernier. Plus récemment, nous avons eu la retraite du Cabinet au cours de laquelle le premier ministre a parlé de la reconnaissance de droits inhérents. En Colombie-Britannique, nous allons conclure une entente appelée « New Relationship document » entre les trois organisations politiques provinciales des Premières nations et le gouvernement provincial. Les mots historiques prononcés par le premier ministre Gordon Campbell ont, à notre sens, effacé 140 ans de non reconnaissance de la part de notre gouvernement provincial. Les signes indiquent qu'il y a une reconnaissance du besoin de notre peuple à pourvoir à ses besoins et à se gouverner — ces signes sont extraordinaires, vraiment historiques, il est nécessaire que cette volonté politique soient soutenues, comme l'a indiqué Mme Gideon, afin qu'il y ait aux différents paliers des ministères, particulièrement dans ce cas, la possibilité pour les Premières nations de trouver activement des solutions à des problèmes tels que les suicides.

Il ne fait pas de doute. Ce problème particulier est une vraie crise. Nous perdons des gens. Nous avons beaucoup trop de funérailles. L'histoire orale de ma culture ne fait état d'aucun suicide sur la côte ouest. Les aînés disent qu'à leur connaissance il n'y en a pas eu et nous avons beaucoup d'aînés qui connaissent bien notre passé et qui sont en mesure d'offrir des enseignements solides.

Nous faisons face à un phénomène moderne lié à l'héritage des pensionnats. Mon père était l'un des premiers dans l'Ouest canadien à recevoir un doctorat. Parmi ceux qui ont fréquenté les pensionnats, certains y ont survécu. Il y en a aussi beaucoup qui n'ont pas eu de problème et ne se sont pas sentis maltraités. En fait, ils en gardent un bon souvenir. Mais on peut certainement dire que, globalement, pour des personnes comme mon père, ma famille et notre collectivité, ce passé était honteux. Ahousaht n'est qu'un microscome d'une situation réelle qui, nous le savons, existe partout au Canada. C'est pour cette raison, que je me réjouis de l'occasion de participer à cet exposé en compagnie de Mme Gideon au nom de l'assemblée des Premières nations. Je vous remercie de votre attention.

Mme Onalee Randell, directrice de la santé, Inuit Tapiriit Kanatami : Le président du Comité national Inuit sur la santé, Larry Gordon, un Inuvialuk d'Inuvik, s'est exprimé devant le comité plus tôt cette année, aussi ne vais-je pas reprendre ses propos sur les incidents et les problèmes liés à la santé mentale que connaissent les collectivités Inuits. Je parlerai de certains défis et des recommandations faites suite à ces défis.

L'accès ou le manque d'accès à un système cohérent et intégré et les questions de compétence liées à la planification et la prestation de services de santé mentale continuent à toucher durement justement la prestation de ces programmes et services aux Inuits. Le débat entourant les responsabilités continue, que ce soit celles du gouvernement fédéral ou celles des gouvernements provinciaux et territoriaux. En fait, ce débat a fini par devenir plus important que la prestation de services aux Inuits et fait obstacle à cette prestation dont on a grand besoin. Le débat entraîne aussi de mauvaises communications et une mauvaise coordination entre non seulement les fournisseurs de services de santé de différentes régions, mais aussi entre les agences intergouvernementales. Les responsables du logement ne veulent jamais parler de l'effet du logement sur la santé mentale. Les responsables de l'éducation ne veulent jamais parler de révision ou de changement des programmes d'études afin d'inculquer à l'étudiant l'estime de soi et des habiletés d'adaptation.

L'impact du manque d'intégration est apparent au niveau de la collectivité. Les toxicomanes qui vont suivre des traitements reviennent dans leurs collectivités sans que les services de santé ou les services sociaux aient été avisés ni de leur retour ni du suivi des résultats de leur traitement. Les enfants et les jeunes qui ont tenté de se suicider sont envoyés à l'extérieur de leurs collectivités pour recevoir des soins et reviennent sans suivi et, dans certains cas, sans que les infirmières des centres de santé qui les ont elles-mêmes envoyés soient tenus informées du retour de ces jeunes.

Les ressources humaines constituent un problème qui revient constamment. Les collectivités Inuits reconnaissent le besoin de former des fournisseurs Inuits de soins de santé. La formation et le soutien aux travailleurs de première ligne continuent à être inadéquats et incohérents. Il arrive souvent que la collectivité ne compte qu'un seul travailleur en santé mentale qui traite souvent des cas impliquant, directement ou non, des membres de sa famille et des personnes de sa connaissance sans aucune aide et sans aucun lien avec les personnes qui pourraient l'aider.

Il y a eu, au Labrador, une initiative visant à aider les personnes qui vont suivre une formation et les problèmes particuliers aux personnes entrant dans le domaine de la santé et notamment de la santé mentale.

Par exemple, une femme Inuk mère de six enfants qui voudrait devenir une travailleuse en santé mentale sera forcée de quitter sa collectivité pendant deux ans et de prendre ses enfants. Il y a peu d'aides financières disponibles qui tiennent compte des coûts que doit assument cette personne et des défis qu'elle doit relever. Le plus souvent, toute la famille doit déménager qu'il y ait ou non des possibilités d'emplois où elle se rend. Ce type d'aide est absent des programmes d'aide actuels aux Inuits qui veulent travailler dans le domaine de la santé.

Il n'y a pas suffisamment de cours de formation offerts aux nombreux Inuits qui veulent étudier. Ils doivent, au minimum, quitter leurs collectivités et souvent leur région natale. Un Inuk résidant à Nunavik, au nord du Québec, et voulant s'inscrire à une l'école d'infirmières doit se rendre à Montréal ou même plus loin.

Des programmes fédéraux actuels ne tiennent pas compte des réalités des Inuits. Je vais parler brièvement des services de santé non assurés qui comportent un élément d'intervention immédiate. Nous venons de finir une analyse des dépenses faites en 2003-2004 pour les services de santé non assurés. Nous avons découvert que pour cette année, environ 60 000 $ ont été dépensés pour la santé mentale dans les collectivités inuites : 60 000 $ pour des collectivités qui enregistrent jusqu'à 11 fois la moyenne nationale du taux de suicides. Il semble y avoir une inéquité. Le programme est conçu pour offrir une consultation d'urgence à court terme. Certaines collectivités n'ont pas d'intervenants qui puissent faire ce type de consultation et, dans de nombreux cas, les collectivités préfèrent ignorer ces consultations d'urgence à court terme. Des personnes se présentent après un suicide, elles passent trois jours dans la collectivité puis s'en vont et alors, la collectivité se retrouve sans ressources additionnelles ni moyens qui lui permettrait de s'attaquer au problème des suicides.

Le financement incertain à court terme crée rend extrêmement difficile prestation de programmes de santé mentale. Je répéterai certaines choses dites par Mme Gideon : le financement pluriannuel flexible est nécessaire. Il est difficile pour les petites collectivités d'élaborer des programmes sans savoir si ces programmes seront financés l'année suivante. Les programmes doivent aussi être fondés sur la collectivité.

Il semble que nous traversons une période au cours de laquelle le financement du gouvernement fédéral n'est pas fondé sur la collectivité; il s'agit d'un financement régional qui implique des collectivités particulières. Ce financement est insuffisant pour le secteur de la santé mentale. Comment déterminer qu'une collectivité a besoin d'un programme de santé mentale? Serait-ce une collectivité où il n'y a pas eu de suicide ou une où il y en a eu quatre, cinq, six ou sept dans l'année?

En ce qui concerne le financement incertain et à court terme, je prends la Fondation autochtone de guérison pour exemple. Des collectivités inuites ont attendu presque trois ans avant d'être en mesure de présenter une demande de financement. Or, le financement cessera en 2007. Tous les jours, nous recevons des demandes pour davantage d'argent. Je suis sûr que la Fondation autochtone de guérison reçoit le même nombre de demandes. Durant les trois premières années de ce financement, les collectivités ont essayé de déterminer leurs besoins et leur application et même d'avoir recours à de l'assistance pour rédiger des propositions, assistance qui a été fournie par la Fondation autochtone de guérison. Quand finalement des initiatives ayant des échéanciers de trois à cinq ans sont mises en place dans les collectivités, le financement a cessé. Il est peu probable que des employés quittent un emploi permanent pour travailler dans un projet ne pouvant durer que deux ans; il est donc difficile de recruter du personnel qualifié.

Le manque de données spécifiques aux Inuits les empêche de travailler ensemble dans toutes les régions du Canada. Des données sur la fréquence des suicides au niveau des collectivités sont fournies par des conseils régionaux. Il n'existe pas de système national d'enregistrement des suicides chez les Inuits. Les renseignements proviennent des collectivités. Les niveaux de données sur le taux de tentatives ou le taux de maladie mentale sont différents. Il est crucial que les collectivités disposent de données pour prendre des décisions.

Que veulent les Inuits? Ils veulent une gamme continue de services pertinents sur le plan culturel et qui engloberait le savoir et les pratiques traditionnelles de leur collectivité natale ou, du moins, de leur région natale. Des services d'aide aux personnes et à leurs familles. Des services qui éliminent les barrières et qui prennent en compte les déterminants médicaux et non médicaux de la santé mentale, y compris dans les domaines de l'économie, de l'environnement, du logement et de l'éducation.

Le logement est une priorité particulièrement importante pour les Inuits. Les données indiquent que la majorité des Inuits vivent dans des maisons surpeuplées que les Canadiens moyens jugeraient inacceptables. Pour évaluer l'impact d'une telle situation sur la santé mentale, vous n'avez qu'à imaginer 14 personnes, comprenant quatre générations, vivant dans une maison qui a deux chambres à coucher, et une ou deux de ces personnes ont peut-être des emplois à plein temps.

Nous voulons aussi des programmes conçus pour les Inuits et qui tiennent compte du contexte actuel des collectivités inuits. Je ne vais pas parler de la Fondation autochtone de guérison car quelqu'un est ici pour en parler. Les Inuits qui ont examiné le programme de la Fondation autochtone de guérison ont conclu qu'il fallait en élargir la portée et qu'il ne souligne pas seulement les pensionnats et leur effet négatif en termes d'abus, mais aussi l'effet négatif lié à la perte de la langue, la perte culturelle et la perte des compétences parentales. Ceux qui ont fait cette recommandation ont déclaré ne pas avoir subi d'abus aux pensionnats; ils croient que les pensionnats ont été une expérience positive. Toutefois, ils ne parlent pas leur langue et ils éprouvent un sentiment de perte de culture. À l'heure actuelle, peu de programmes cherchent à résoudre ce problème.

Vient la question de la réinstallation. Pour les collectivités inuit, la réinstallation s'est faite ces 50 dernières années. Des familles entières ont été déracinées de leur région et envoyées dans une autre. Aucun programme n'a traité de manière approfondie les effets de ce déracinement.

Nous avons collaboré étroitement avec le National Inuit Youth Council. Malheureusement, le conseil est établi à Iqaluit et à Cambridge Bay et les délégués n'ont pas pu venir. Le conseil a créé un cadre national de prévention du suicide chez les jeunes Inuits. Nous avons distribué des copies de cette initiative. Cette initiative incroyable a été complètement élaborée par des jeunes des collectivités inuits. Voici leurs recommandations : la culture guérit, nous devons donc savoir ce que pensent les Inuits du suicide et de la dépression afin d'élaborer des outils de dépistage et des stratégies de traitement conçus pour les Inuits et de former des Inuits pour qu'ils puissent fournir les services dans leurs propres collectivités. Nous devons encourager la communication et établir, dans les collectivités, des réseaux de soutien entre les systèmes officiels et les systèmes officieux et entre les Inuits de tout le Nord circumpolaire. Nous devons faire en sorte que ces documents soient disponibles dans un langage clair, accessible et approprié.

Tout l'Arctique a été sensibilisé à la marche pour la prévention du suicide chez les Autochtones entreprise par deux filles inuit. À la journée mondiale de la prévention du suicide qui s'est tenue le 10 septembre, 200 jeunes ont organisé une marche à Cambridge Bay en vue de sensibiliser le public et faire la promotion de la vie dans leurs collectivités.

La jeunesse a clairement indiqué qu'elle voulait participer à l'élaboration et à la prestation de programmes. Les jeunes veulent participer en faisant connaître leur culture aux non-Inuits travaillant dans leurs collectivités. Les jeunes veulent parler ouvertement de la prévention des suicides, dans des forums par exemple.

Ils veulent qu'on mette l'accent sur le positif et que l'on cesse de parler des aspects négatifs de la santé mentale. Le cadre national de prévention des suicides chez les jeunes Inuits s'appelle « Embrace Life »; ils préfèrent ne pas utiliser l'expression « prévention des suicides », mais de parler des façons d'apprendre à embrasser la vie.

Ils veulent des programmes de promotion de modes de vie sains au moyen de programmes de loisirs, de modèles de rôles, d'activités culturelles, des programmes qui résoudront les problèmes de logement et qui offriront des possibilités de développement économique à la jeunesse leur donnant ainsi de l'espoir. Un jeune d'une collectivité qui ne croit pas qu'il aura un emploi à la fin de ses études éprouvera des difficultés à rester motivé pour continuer ses études.

Le conseil d'administration de Inuit Tapiriit Kanatami, ITK, a fait des recommandations concernant en particulier l'alcool et la toxicomanie dans les collectivités inuits. Il faut des programmes de counselling, au niveau de la collectivité, pour les toxicomanes et les alcooliques qui soient pertinents au plan culturel. Ces programmes peuvent s'inspirer de plusieurs modèles : la stratégie de réduction des méfaits et la stratégie d'abstinence. Il faut augmenter le nombre de conseillers inuits en toxicomanie et en intervention précoce. Nous avons besoin de services pour assurer la post-cure et le suivi dans les collectivités. Les jeunes ne sont plus heureux de suivre un traitement de six mois dans un établissement et revenir à la maison pour retrouver la même situation; le même logement surpeuplé, les mêmes coûts élevés et aucun soutien.

Il est nécessaire d'augmenter les traitements en établissement. Seulement deux centres de traitement offrent, aujourd'hui, aux toxicomanes inuits des programmes pertinents sur le plan culturel. Il se trouve que l'un de ces programmes est à Ottawa.

Nunavut a indiqué qu'elle est la seule compétence provinciale ou territoriale au Canada à ne pas disposer de centre de traitement. Nunavut Tunngavik Incorporated a établi qu'un centre de traitement serait une priorité et aimerait collaborer avec le gouvernement fédéral et le gouvernement territorial pour en créer un.

En élaborant tous ces programmes et en mettant en œuvre les recommandations mises au point par les Inuits, il est important de reconnaître que dans toutes les régions revendiquées par les Inuits, les accords sur une revendication territoriale ont été signés et demandent certaines responsabilités de la part des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, et demandent aussi le contrôle des Inuits dans l'élaboration, la conception et la prestation de programmes pour les Inuits.

Mme Donna Lyon, directrice, Organisation nationale de la santé autochtone : Bien que je représente le Centre des Premières nations, je suis aussi ici pour représenter l'Organisation nationale de la santé autochtone, l'ONSA, et la mission de notre organisation est d'améliorer la santé autochtone. Nous nous intéressons particulièrement aux produits de connaissance. Nous faisons beaucoup de rapports et d'analyses sur les questions liées à la santé et nous animons et organisons des débats chez les praticiens et les décideurs politiques. Beaucoup d'organisations et de nos membres de conseils d'administration sont présents aujourd'hui. Nous avons l'ITK dans notre conseil, ainsi que l'APN, l'Association des femmes autochtones du Canada, le Congrès des Peuples Autochtones et le Ralliement national des Métis.

Au sein de l'ONSA, il y a trois centres d'excellence : le Centre des Premières nations, le Centre des Inuits et le Centre des Métis. Chaque centre reste informé des questions liées à la politique en matière de santé qui sont importantes pour sa clientèle et chaque centre a contribué à mon mémoire. Un grand nombre de groupes avec lesquels nous avons affaire rencontrent les mêmes problèmes.

Au sein des Premières nations, il semble que les questions de compétence, à savoir qui doit fournir les services de santé, reviennent constamment. Nous avons le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral et quand il y a des problèmes pour savoir qui paie pour quel service, beaucoup de personnes sont victimes des lacunes et un grand nombre de services nécessaires ne sont pas fournis. La plus grande part du financement de la santé mentale est fondée sur la capacité financière et non sur le besoin. Le financement pour ce type de service doit être augmenté.

Beaucoup d'autres groupes ont indiqué que le taux de suicide est élevé. Il est le plus élevé chez les Premières nations, chez les Inuits et peut-être dans les collectivités métisses. Il est très difficile d'avoir accès à ces services. Des réserves se trouvent dans des régions isolées ou dans des régions géographiques qui rendent difficile l'accès aux services urbains. Nous rencontrons aussi beaucoup de problèmes à ce niveau.

Les services de lutte contre les toxicomanies n'ont pas reçu suffisamment de financement. Les listes d'attente pour le counselling sont longues et le financement pour le transport des patients est insuffisant. La plus grosse partie du financement sert en priorité aux soins actifs et aux interventions d'urgence à court terme.

Il n'y a pas suffisamment de praticiens de la santé mentale qui fournissent des services aux Premières nations. Cela est également vrai en ce qui concerne les psychologues et les intervenants qui visitent les collectivités.

Il existe une certaine intolérance à l'égard des méthodes traditionnelles de guérison, c'est la raison pour laquelle nous voulons plus.

Quand ils ont des crises, les patients sont envoyés dans des établissements provinciaux. Même si fait épargner à Santé Canada les coûts des traitements, les coûts de transport des patients seraient mieux investis dans des mesures communautaires de la santé mentale. Les patients retournent souvent à la collectivité après leur traitement et, quelquefois, ils sont stigmatisés ou ils prennent des médicaments. Il y a un manque de suivi. Nous devons mettre fin à ce cycle.

Pour aller de l'avant et réitérer ce que Mme Gideon a dit, nous mettons l'accent sur l'élaboration d'une stratégie de la santé mentale pour les Premières nations ou une stratégie de bien-être. Elle doit être faite en consultation avec les Premières nations et avec nos partenaires de la prestation. Il est nécessaire d'avoir un financement approprié pour la recherche, la prévention et l'intervention au niveau fédéral et qui doit être inclus dans les stratégies de prévention des suicides. Nous avons besoin de partenariats avec les collectivités pour appuyer les initiatives des Premières nations en matière de recherche.

Comme l'a mentionné Mme Gideon, nous avons l'enquête régionale sur la santé au Centre des Premières nations à l'ONSA, et l'enquête est faite au niveau des collectivités. Elle est unique dans ce sens car c'est la seule enquête où les personnes chargées de l'enquête se rendent dans les réserves et recueillent des données sur les Premières nations. Il existe certainement une possibilité d'utiliser ce genre de système pour recueillir des données sur la santé mentale, des données qui semblent manquer.

Nous avons aussi besoin de protocoles et de financement approprié pour aider les collectivités en crise. Comme Mme Randell l'a mentionné, le National Indian Health Board, NIHB, a une politique d'urgence en matière de santé mentale. Cependant, nous devons aussi accroître la capacité des collectivités à faire face à leurs propres situations d'urgence.

Je veux revenir sur un autre élément souligné par Mme Randell, c'est-à-dire la pénurie de professionnels de la santé et de travailleurs en santé mentale dans les communautés. Il est certain qu'il est nécessaire d'inciter les gens à faire carrière dans le domaine de la santé. C'est d'ailleurs un domaine dans lequel j'ai déjà travaillé. Ce qu'on a omis de faire observer aujourd'hui, c'est que les travailleurs du milieu de la santé, au sein des collectivités, qui oeuvrent dans les domaines du suicide et des situations de crise grave ont également besoin de soutien. Bon nombre d'entre eux sont épuisés et débordés à un point tel qu'ils n'arrivent plus à fournir efficacement les services parce qu'ils sont toujours dans des situations de crise.

J'ai aussi quelques points à faire valoir de la part de notre Centre inuit, qui relève de l'Organisation nationale de la santé autochtone; ils reprennent probablement certains des points exprimés aujourd'hui. La santé mentale est une des principales préoccupations des Inuits. La formation et les ressources sont restreintes, voire inexistantes. Elles sont fragmentées et souvent difficiles à obtenir. L'éloignement géographique exceptionnel de nos régions et le taux de chômage extrêmement élevé contribuent non seulement aux problèmes, mais aussi aux solutions.

Les initiatives en matière de santé mentale qui existent ont tendance à être élaborées par des personnes qui vivent bien loin de nous et qui ne sont pas d'origine inuite. Ces gens comprennent mal notre culture et ne connaissent pas la langue, ce qui rend les initiatives inefficaces. Il s'agit là d'un grave problème.

La participation des Inuits est nécessaire pour faire en sorte que les services de santé mentale soient conformes à la culture inuite et efficaces. Il faut accroître le nombre de praticiens inuits en santé mentale et il faut également établir des mesures de contrôle propres aux Inuits en matière de surveillance, de collecte et d'analyse de données, d'application des connaissances et de diffusion d'information juste. Tout cela est essentiel au dépistage précoce et à une intervention efficace.

Il ne fait aucun doute que la participation des Inuits à l'élaboration d'une stratégie fédérale de prévention du suicide est nécessaire. Il faut mettre en place une approche intégrée et multidisciplinaire qui tient compte des problèmes socioéconomiques qui ont une incidence particulière sur la santé des Inuits.

Il faut aussi cibler les difficultés et les besoins particuliers. Nous devons donc définir des mesures propres aux Inuits. On ne peut pas assumer que les mesures destinées à la population en général fonctionneront chez les Inuits. Il faut viser les difficultés et les besoins particuliers liés au développement des capacités des professionnels et de la communauté. En plus, il faut faire en sorte que les Inuits puissent effectuer des interventions qui soient efficaces et conformes à la culture, de concert avec les praticiens inuits en santé mentale.

Pour revenir à la question du financement, je dois dire que nous avons besoin de financement permanent.

Au sein du Centre métis, environ 30 p. 100 des Métis font partie du groupe cible de la population autochtone. Un grand nombre des initiatives destinées aux Premières nations ne vise pas les Métis et probablement pas non plus les Inuits. Les Métis ne sont pas non plus visés par le National Indian Health Board et ils n'ont pas accès au Programme national de lutte contre l'abus de l'alcool et des drogues chez les Autochtones. Il existe très peu de données et de recherches sur la santé des Métis. Aucun financement n'est accordé pour ce type de recherche.

Le Centre des Premières nations possède les enquêtes régionales sur la santé, qui peuvent être utilisées comme modèle par d'autres groupes pour procéder à la collecte de ce type de données.

Il faut aussi penser que le système de soins de santé est fragmenté. Les Métis peuvent bénéficier de certaines initiatives fédérales en matière de santé, par exemple les initiatives concernant le VIH et le sida ainsi que le diabète, mais ils n'ont pas accès aux services curatifs en cas de problèmes aigus ou chroniques.

Les Métis ont besoin de services de santé mentale adaptés à leur culture. Le nombre de travailleurs métis en santé mentale doit augmenter comme c'est le cas chez les Inuits et les Premières nations en général. Il faut aussi accroître les services à leur égard et régler le problème des compétences de sorte qu'ils aient accès aux programmes fédéraux ou provinciaux de santé mentale destinés aux Autochtones.

Enfin, lorsqu'ils élaborent des programmes d'application générale, les gouvernements doivent respecter et tenir compte des concepts qu'ont les Premières nations, les Métis et les Inuits sur le plan de la santé et de la guérison. Il faut que les Premières nations, les Métis et les Inuits mènent eux-mêmes des recherches en santé mentale.

Davantage de gens doivent être formés pour assurer des services de santé et des services de santé mentale. En outre, le gouvernement fédéral doit admettre qu'il a l'obligation en vertu d'un traité ou de la Constitution, selon le cas, d'offrir des programmes de santé aux trois peuples autochtones.

Nous avons aussi besoin de combler l'écart qui existe entre les problèmes de santé mentale et l'accès à des services de qualité. Pour ce faire, le gouvernement fédéral doit prendre les choses en main et reconnaître qu'il a une responsabilité à assumer à cet égard.

Dre Gail Valaskakis, directrice de la recherche, Fondation autochtone de guérison : J'aimerais faire valoir quelques points d'ordre général, dont un grand nombre traduisent les propos qui ont été tenus aujourd'hui. Une grande partie de ce qui a été dit vient appuyer les solutions possibles à un certain nombre des problèmes dont on a parlé.

Premièrement, il est important de soutenir une approche axée sur les facteurs qui influent sur la santé afin de comprendre la santé mentale par rapport à la santé physique, au logement, aux droits issus de traités, à l'emploi, à l'environnement et à bien d'autres éléments. Cela est essentiel à la compréhension du problème et à la résolution des questions qui y sont liées.

Deuxièmement, il faut intégrer les approches relatives à la santé mentale et comprendre qu'on ne peut pas cloisonner les services de santé mentale, les services de santé physique et les services de toxicomanie.

Troisièmement, comme on l'a déjà dit, il faut uniformiser les services à l'échelle du pays, surtout les services de counseling en cas de crise. Les services varient sur le plan de la gratuité et de leur existence. Il s'agit là d'une question critique.

Quatrièmement, dans tous les aspects de la prestation des services de santé mentale, il faut reconnaître l'importance de la participation des Autochtones à la conception, à la mise en œuvre et au contrôle. Il est extrêmement important de comprendre cela. Nous disposons maintenant de données sur le sujet grâce à la Fondation autochtone de guérison.

Cinquièmement, il faut reconnaître que l'efficacité des services est liée à l'application d'approches autochtones et même traditionnelles, notamment l'utilisation des méthodes des aînés, des cercles de guérison et des connaissances indigènes. Nous devons admettre que ces éléments sont importants dans le cadre de la prestation de n'importe quel service de santé mentale.

Sixièmement, nous devons offrir de la formation dans l'ensemble des communautés autochtones canadiennes dans le domaine des services de santé mentale. Je le répète, on ne pense vraiment pas beaucoup à cela. La formation ne doit pas viser uniquement les infirmières et les médecins. Il faut que les Autochtones assurent la formation d'autres Autochtones. Il faut permettre aux travailleurs autochtones de se reposer et d'obtenir du soutien afin d'éviter le surmenage.

On a entendu parler à maintes reprises de la nécessité du financement pluriannuel. On ne rend service à personne en mettant en place un programme pour une année ou deux seulement. On ne fait que susciter des attentes. C'est tout à fait inefficace. En fait, c'est peut-être exactement ce que nous ne devrions pas faire. Ce qu'il faut, c'est du financement pluriannuel, sinon on ne devrait offrir aucun financement, à mon avis.

Il faut toujours penser à ceux qui sont invisibles. Je parle des gens qui ne sont pas ici et qui n'auront jamais l'occasion de l'être — les sans-abri et les détenus, que l'on oublie souvent.

Enfin, il faut miser sur une approche intégrée pour l'élaboration d'une stratégie en matière de santé mentale; c'est un processus qui a déjà commencé grâce au travail de Santé Canada, de l'ITK et de l'Assemblée des Premières Nations.

Comme j'ai déjà comparu devant le comité le 21 juin, je ne veux pas revenir en détail sur ce que j'ai déjà dit. Cependant, j'aimerais signaler deux éléments, car, comme vous le savez, la Fondation autochtone de guérison amorce l'étape finale. Tous les fonds ont été distribués et nous avons maintenant terminé l'ébauche de notre rapport final en trois volumes. J'ai mis en relief certains points émanant de ce rapport dans le document que je vous ai remis aujourd'hui. L'ébauche du rapport et ces points en question ont déjà été présentés au juge Frank Iacobucci, qui s'occupe du dossier général des pensionnats et des solutions possibles aux problèmes dans un contexte plus vaste qui englobe un certain nombre de facteurs.

La Fondation autochtone de guérison a été mise sur pied en 1998 pour un mandat de dix ans. On lui a donné un an pour s'établir et quatre années pour distribuer ses fonds, ce qu'elle a maintenant terminé. Elle a conclu 1 346 accords de contribution avec les communautés concernant des projets de guérison. Grâce à ces projets, environ 86 000 personnes qui ont été victimes des pensionnats sont encore en vie aujourd'hui. En outre, si nous extrapolons les chiffres tirés des enquêtes régionales sur la santé, de l'Enquête auprès des peuples autochtones et du recensement ainsi que l'information que nous sommes en mesure d'obtenir, nous pouvons évaluer qu'environ 287 350 personnes ont subi les répercussions intergénérationnelles des pensionnats. Le nombre total d'Autochtones touchés s'élève donc à 373 350, dont un grand nombre n'ont pas encore reçu de services. En extrapolant les données de nos trois enquêtes nationales, nous avons déterminé qu'environ 204 564 personnes ont participé aux projets de guérison, dont la presque totalité ont pris part à la première étape de la guérison liée au traumatisme et aux répercussions du traumatisme historique découlant du régime des pensionnats. Nous savons que pas plus du tiers d'entre elles avaient déjà participé à un projet de guérison et que près de 50 000 personnes ont pu prendre part à des projets de formation par l'entremise de la Fondation autochtone de guérison.

Grâce à ces enquêtes, à nos groupes de discussion et à nos études de cas, nous savons que la guérison prend environ 36 mois. C'est le temps qu'il faut pour déterminer les problèmes que vit la personne, établir un lien avec elle et amorcer un programme de guérison. Moins du tiers des projets parrainés par la Fondation autochtone de guérison ont disposé de 36 mois pour mener ce processus. Jusqu'à maintenant, environ 55 p. 100 des personnes ont effectué la première étape du processus de guérison grâce à la Fondation. Nous savons que la guérison est un long processus qui se déroule par étape. Dans le document que je vous ai remis, vous trouverez des images qui présentent les étapes des processus de guérison communautaire et individuelle. Les deux sont différents, mais très liés. Nous connaissons les problèmes qu'a entraînés le régime des pensionnats et l'héritage qu'il a laissé, et nous savons qu'il faut beaucoup d'efforts pour inciter les gens à entreprendre un processus de guérison. Les gens sont réticents, comme nous l'avons mentionné plus tôt, et le fait d'être disposé à amorcer le processus joue un rôle important sur le plan de la guérison de la maladie mentale. Environ 20 p. 100 des communautés viennent de commencer leur guérison; 65,9 p. 100 des communautés visées par les enquêtes — les trois enquêtes dont j'ai parlé plus tôt — ont atteint quelques objectifs, mais elles ont encore beaucoup à faire; et 14,1 p. 100 des communautés ont déclaré qu'elles avaient atteint de nombreux objectifs. Ces communautés ont reçu du financement pendant 36 mois ou davantage. Les participants nous ont affirmé que leurs objectifs ont changé au fil des activités et qu'ils sont devenus plus conscients d'eux-mêmes, de leurs relations avec les autres, de leurs connaissances et de leur culture. La majorité ont dit qu'ils se sentaient mieux parce qu'ils avaient trouvé de la force, qu'ils avaient une meilleure estime d'eux-mêmes et qu'ils étaient en mesure de commencer à se sortir de leur traumatisme. Ces facteurs peuvent sembler banals, mais ils sont essentiels pour pouvoir admettre les problèmes causés par les pensionnats et pour être apte à y faire face.

Dans le document, deux graphiques illustrent cette importance. Je crois que j'ai abordé ce point lors de la séance du 21 juin, mais il est important que je le répète. On a demandé aux répondants à quels services ils avaient recours le plus souvent, et au-delà de 1 400 d'entre eux ont mentionné les services de guérison, les séances de sensibilisation à l'héritage des pensionnats et les ateliers. Au bas de la liste figuraient les thérapies occidentales. Quand on leur a demandé quels services ils trouvaient les plus efficaces, ils ont cité dans cet ordre les méthodes des aînés, les cérémonies, les séances de counselling individuelles, les cercles de guérison, les cercles de la parole et la médecine traditionnelle. Les Autochtones ont toujours su cela, mais ce n'avait jamais été documenté auparavant. Maintenant, cette enquête, à laquelle ont participé plus de 1 400 personnes, en fait état. Les méthodes de guérison traditionnelles sont efficaces et on doit en tenir compte. Il est certain toutefois que les thérapies occidentales sont intégrées d'une certaine façon dans quelques approches liées à la maladie mentale. Nous ne connaissons pas suffisamment les méthodes traditionnelles — nous devrions mieux les connaître — mais nous savons qu'elles sont efficaces.

Nous estimons qu'il faut en moyenne une dizaine d'années à une communauté pour mettre fin à la dénégation, créer un sentiment de sécurité et amener les gens à prendre part au processus de guérison. Nous savons que ce processus dépend du degré de sensibilisation au sein de la communauté, de la mesure dans laquelle les gens sont prêts à guérir, de l'existence d'une infrastructure organisationnelle et de l'accès à du personnel compétent. Ainsi, les projets financés par la Fondation autochtone de guérison ont contribué de façon essentielle à l'amorce du processus de guérison en établissant des partenariats, en déterminant et en comblant les écarts au niveau des services et en faisant participer les survivants et ceux qui subissent les répercussions intergénérationnelles.

Deux études démontrent clairement les liens qui existent entre les services de santé mentale et la situation globale. La première est l'Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants, menée par la Commission du droit du Canada, que le comité devrait examiner, s'il ne l'a pas déjà fait. L'étude révèle que la violence envers les enfants entraîne des coûts extrêmement élevés pour le Canada sur le plan de l'emploi et de l'éducation et d'autres aspects de la vie. En raison du régime des pensionnats, la société canadienne paie environ 440 millions de dollars par année en services correctionnels, en services sociaux et en services d'éducation spéciale et de santé. Nous en sommes arrivés à ce montant en quelque sorte grâce aux données que renferme l'étude de la Commission du droit sur la violence envers les enfants.

La deuxième étude a été cofinancée par le Groupe de la politique correctionnelle autochtone, qui relève du solliciteur général du Canada, et par la Fondation autochtone de guérison. Cette étude compare la guérison à l'incarcération dans la réserve Hollow Water. Elle révèle que la guérison est plus rentable que l'incarcération et, qu'en fait, elle fait diminuer le taux d'incarcération. Pour chaque 2 $ consacré au programme communautaire des cercles de guérison, les gouvernements fédéral et provinciaux économisent de 6 $ à 16 $ en frais d'incarcération. Il s'agit d'une estimation prudente, calculée en maintenant le coût du système constant et en ajoutant le coût d'un détenu. Si on tenait compte du coût du système, le gouvernement fédéral réaliserait de grandes économies. La guérison est rentable et efficace sur le plan individuel et social.

La Fondation autochtone de guérison a proposé une façon d'appuyer à long terme la guérison — les trois dernières diapositives portent sur l'investissement dans la guérison. La somme de 600 millions de dollars permettrait d'appuyer une stratégie de guérison s'échelonnant sur 30 ans, en tenant compte d'un taux d'inflation de 2,5 p. 100. En outre, cet investissement entraînerait un rendement de 5 p. 100. Ainsi, 28,7 millions de dollars par année seraient disponibles pour financer des projets dans les communautés. Cela signifie qu'au bout de 30 ans, la Fondation autochtone de guérison aurait investi 1,2 milliard de dollars dans la guérison.

L'ampleur de cette somme comparativement à ce que nous n'avons pas encore accompli est aussi importante que ce que nous avons déjà accompli. Les Inuits ont mis du temps à participer aux programmes, mais ils prennent maintenant une part active aux projets appuyés par la Fondation autochtone de guérison. Il a été encore plus ardu d'atteindre les Métis, qui constituent un groupe cible. Il a aussi été difficile d'atteindre un grand nombre de personnes qui sont invisibles à nos yeux, comme les sans-abri et les détenus, et une grande partie de ce qui a été entrepris dans les réserves et dans les régions urbaines sera perdu en raison d'un manque de financement pour les projets de la Fondation. La priorité en matière de financement devrait être accordée aux communautés autochtones qui ont des besoins particuliers et qui ne reçoivent pas suffisamment de services. Il nous faudrait aussi favoriser les occasions d'amorcer le processus de guérison dans les régions où cela ne s'est pas encore produit. En outre, il faut continuer d'appuyer les communautés autochtones et les communautés d'intérêt en permettant à la Fondation de financer des projets pendant encore une dizaine d'années en moyenne. Il faut aussi que l'on puisse continuer de documenter et d'évaluer les pratiques efficaces de guérison et qu'on en fasse part à toutes les parties intéressées. Il y a beaucoup à faire à cet égard. Il faudrait également encourager l'autodétermination et l'autonomie chez les communautés autochtones par l'entremise de services de guérison adaptés à la culture et par l'intermédiaire de cours de formation et de l'établissement de réseaux.

Par conséquent, nous recommandons que le gouvernement du Canada renouvelle le mandat de la Fondation autochtone de guérison pour une période de 30 ans. Nous recommandons que le nouveau mandat porte sur l'héritage de violence et de blessures sociales, psychologiques, culturelles et spirituelles, y compris les répercussions intergénérationnelles. Nous recommandons aussi que le mandat soit conçu de façon à compléter et à pouvoir faire progresser les divers objectifs liés entre eux, à savoir la reconnaissance et la réparation des torts, la guérison et la réconciliation, la création d'une nouvelle relation — pour faire suite d'une certaine façon au plan « Rassembler nos forces » — et la reconnaissance des liens entre les Autochtones et le reste de la population canadienne. Nous recommandons par ailleurs que la Fondation reçoive du financement pour mettre en place des mesures de sensibilisation, effectuer des recherches, partager les connaissances au sujet de l'héritage de violence et promouvoir la guérison et la réconciliation. Enfin, nous recommandons qu'une subvention de 600 millions de dollars soit accordée à la Fondation pour s'acquitter de son nouveau mandat de 30 ans.

Mme Jennifer Dickson, directrice exécutive, Pauktuutit Inuit Women's Association : Merci, honorables sénateurs. Je vous assure que je ne parlerai pas une seule fois de financement adéquat, à long terme et moins coûteux.

La Pauktuutit Inuit Women's Association est un organisme national qui représente l'ensemble des femmes inuites canadiennes, tant celles qui habitent dans l'Arctique que celles qui vivent dans les régions du sud de notre grand pays. Notre association est ravie d'avoir l'occasion de partager ses idées et de faire des recommandations dans le cadre de cette importante étude menée par le Sénat du Canada.

Je vous présente ma collègue, Leesie Naqitarvik. Elle est responsable de plusieurs dossiers liés à la violence. Nous savons que dans l'Arctique la violence sous toutes ses formes est répandue. Il s'agit d'un problème qui a de graves répercussions sur la santé mentale de tous les Inuits.

L'association travaille sous la direction d'un conseil d'administration composé de 13 femmes inuites provenant de toutes les régions de l'Arctique, y compris de jeunes femmes et des femmes des milieux urbains. Nous participons à une vaste gamme de programmes dans l'Arctique, qui concernent notamment l'héritage du régime des pensionnats, l'équité entre les sexes, la prévention de la violence, la protection de la culture et du savoir traditionnel et le développement économique.

Dans le domaine de la santé, nous défendons certaines causes depuis longtemps et nous prenons part à des programmes visant l'abus d'alcool et de drogues, le VIH et le sida, l'hépatite C et d'autres questions de santé sexuelle, le diabète, la lutte au tabagisme, la prévention du suicide et les services de répit à l'intention des aidants, pour ne mentionner que ceux-là.

Puisque ce sont les femmes qui s'occupent de nos citoyens les plus vulnérables, qui représentent l'avenir, l'association a toujours mis l'accent sur le bien-être des enfants dans le cadre de son travail. Nos programmes axés sur les enfants portent notamment sur l'exercice traditionnel des sages femmes, la maternité, les soins aux bébés, les soins prénataux, la grossesse chez les adolescentes, le suicide chez les jeunes et les agressions sexuelles contre les enfants.

Voilà en bref en quoi consiste notre travail. Je vais vous citer un ou deux faits pour vous donner une idée de la situation.

La population inuite du Canada fait partie de l'une des plus anciennes civilisations d'Amérique du Nord. Ce peuple et sa culture sont présents dans les régions circumpolaires du monde depuis plus de 5 000 ans. La majorité des 47 000 Inuits du Canada habitent dans 52 communautés de l'Arctique réparties sur des milliers de kilomètres depuis la frontière avec l'Alaska à l'ouest jusqu'aux côtes du Labrador à l'est. Ce territoire occupe environ un tiers de la masse terrestre du Canada. Il s'agit d'une population jeune qui est en rapide croissance. L'énorme héritage culturel et géographique se retrouvera bientôt entre les mains de notre précieuse jeunesse. L'âge moyen de la population inuite du Canada est de 20 ans, comparativement à 38 ans chez les Canadiens non autochtones. Imaginez un peu si la moyenne d'âge dans cette salle était de vingt ans.

Nous avons préparé de magnifiques diapositives pour vous, mais il est malheureux que vous n'aurez pas l'occasion de les voir. Peut-être que je vais vous les faire parvenir par courriel.

Le président : C'est une bonne idée.

Mme Dickson : Merci.

Le sujet d'aujourd'hui concerne particulièrement les femmes inuites puisque leur bien-être — physique, émotionnel, économique et spirituel — constitue un facteur déterminant de leur santé mentale et de celle de leur famille et de leur communauté. Nous savons qu'en termes de quantité, de qualité et d'efficacité, les services offerts aux femmes inuites et ceux qui s'adressent à leurs enfants sont bien loin d'être comparables aux services fournis à l'ensemble des Canadiens.

Si nous voulons véritablement améliorer la santé mentale dans l'Arctique, il faut aborder ce défi selon une approche holistique et il faut également élaborer des programmes et des politiques à long terme interdépendants.

Vous allez peut-être penser que nous nous sommes rencontrés tous les quatre pour établir un seul et même discours, mais en fait c'est que ce sont de très sérieuses questions.

Le développement économique, le logement adéquat, l'éducation, l'équité entre les sexes, la protection de l'environnement et les questions juridiques ne sont que quelques enjeux qui nécessitent une approche vigoureuse et holistique. En outre, pour qu'ils soient efficaces, les programmes doivent être adaptés aux circonstances, à la culture et aux besoins uniques des communautés inuites.

Je ne vais pas décrire en détail la gravité de la situation. Vous avez entendu les faits et les statistiques. J'ai examiné la transcription des délibérations de vos séances précédentes et j'ai été étonnée de la vaste gamme de renseignements que vous avez obtenus, alors n'ayez crainte, je ne vais pas répéter tous les faits qu'on vous a présentés.

Les consultations que vous avez menées le printemps dernier avec nos collègues de l'ITK et la table ronde d'aujourd'hui témoignent de votre préoccupation. Cependant, n'oublions pas que le passé et la transition que vit notre société, à la suite notamment de règlements imposés, de la réinstallation et des pensionnats, ont créé dans de nombreuses communautés éloignées de l'Arctique des conditions économiques et sociales qui figurent aux extrêmes d'un grand nombre d'indicateurs de Statistique Canada. Il y a entre autres les taux de chômage les plus élevés, le revenu le plus faible, le coût de la vie le plus élevé, les pires conditions de logement, les plus hauts taux de maladies transmissibles et la plus courte espérance de vie parmi l'ensemble des Canadiens.

Nous avons certaines recommandations à vous faire en vue de régler ces problèmes.

Premièrement, ayons recours à la prise de décisions par la communauté davantage qu'à l'heure actuelle. La plupart des politiques et des programmes qui fonctionnent le mieux pour les Inuits ont été pensés, conçus, offerts et gérés par les Inuits.

Deuxièmement, faisons en sorte que tous les programmes soient adaptés à notre culture. La culture et le savoir traditionnels sont au cœur de la santé et du bien-être des Inuits. La sagesse des Inuits et leurs façons de faire doivent être intégrées dans tous les programmes pour qu'ils aient des répercussions positives sur la santé des personnes et de la communauté. Comme vous l'écrivez dans votre rapport intérimaire, l'objectif est de détenir « un continuum des services adaptés à la culture assorti de connaissances et de pratiques traditionnelles fondées sur la famille, la collectivité ou la région. »

Troisièmement, améliorons les réseaux de services et créons-en de nouveaux de sorte que les collègues puissent travailler ensemble et partager l'information, l'expérience et l'expertise malgré les obstacles attribuables aux facteurs géographiques et aux sphères de compétences. Des réseaux de services coordonnés sont nécessaires dans les régions et les collectivités nordiques.

Bâtissons une capacité. Les familles inuites sont au courant de la grave pénurie de personnel et de la mauvaise répartition géographique des professionnels en santé mentale et en traitement des toxicomanies. C'est ce que vous dites également dans votre rapport. Cependant, les communautés peuvent déjà compter sur des ressources importantes. Par exemple, appuyons-nous sur les forces existantes en faisant appel aux aînés et en offrant de la formation et des possibilités de développement qui correspondent aux objectifs des collectivités éloignées. Faisons la promotion du savoir traditionnel et du savoir provenant d'autres sources et adaptons ces savoirs afin d'enseigner à des Inuits et à d'autres Canadiens des pratiques de guérison adaptées à la culture des gens du Nord.

Utilisons le téléenseignement et la télésanté, deux domaines en croissance, pour développer notre capacité. Pour accroître notre capacité en matière de ressources humaines, d'infrastructures et de programmes, il est essentiel de bénéficier d'un financement adéquat, souple et continu — je n'étais pas censée parler de cela.

Faisons en sorte d'établir un système intégré. L'association offre son aide pour effectuer la coordination et l'intégration des programmes et des services fédéraux, provinciaux et territoriaux offerts aux Inuits.

Améliorons les statistiques. Ce n'est qu'avec des données actuelles sur les Inuits que nous pourrons mettre en œuvre, développer et évaluer des programmes et des services fondés sur des chiffres pertinents et fiables.

La principale recommandation est la suivante : suivons la jeunesse inuite. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, à l'instar d'autres témoins, l'âge moyen de la population inuite est de 20 ans. Le National Inuit Youth Council, le NIYC, a élaboré un cadre permanent, mobilisateur et holistique de prévention du suicide chez les jeunes. Mme Randell vous en a remis un exemplaire, qui décrit en détail un grand nombre des concepts et des recommandations que je suis en train de formuler et qui l'ont été par d'autres témoins à cette table. Vous devez absolument consulter le site Web du NIYC, car ce qu'ont fait ces jeunes est incroyable.

Les gens qui sont heureux et qui se sentent bien ne se font pas de mal. Si nous améliorons et protégeons la santé mentale, cela contribuera considérablement à prévenir les suicides.

Faisons en sorte qu'il existe un centre de guérison dans chaque collectivité éloignée de l'Arctique canadien. Il doit y avoir des travailleurs bien formés en santé mentale. Ces centres pourraient fournir des endroits où les aînés, les adultes, les jeunes et les organismes pourraient s'écouter véritablement l'un l'autre et participer à des interventions et à des méthodes de guérison traditionnelles.

Les écoles peuvent appuyer le développement du bien-être global en favorisant non seulement la réussite scolaire, mais aussi en prévoyant des cours d'activités physiques et en enseignant aux élèves des habiletés d'adaptation. Les groupes communautaires de jeunes peuvent prendre part à des activités d'imitation de rôles et à des activités culturelles, et on peut leur donner une formation en prévention du suicide.

Appuyons la culture de façon sérieuse. La population inuite connaît une croissance plus rapide que toute autre population au Canada. Les jeunes ont besoin de soutien pour maintenir leurs valeurs, leur langue et leurs traditions. Un des piliers de la culture est la langue. Il faut préserver et améliorer l'inuktitut et en faire la promotion à l'échelle de l'Arctique. Nous devons aussi faire la promotion de la vie et du bien-être et bâtir des collectivités solides. Les stratégies holistiques en matière de santé mentale doivent comporter des programmes d'emploi et de transition, des programmes visant l'apprentissage d'un métier et l'obtention d'un diplôme équivalent à un DES et des programmes de logement destinés aux jeunes adultes. Les programmes d'éducation de la petite enfance constituent une bonne base pour le bien- être global de l'enfant. Une analyse comparative entre les sexes contribuera grandement à assurer l'équité aux femmes inuites. Les lignes d'écoute téléphoniques et les centres de guérison dans chaque collectivité peuvent donner accès à du soutien.

Les femmes inuites sont véritablement les agents du changement dans l'Arctique canadien. Si elles sont motivées, incluses et appuyées, elles peuvent contribuer, et contribueront, considérablement à l'établissement de collectivités solides, stables, saines et heureuses. En leur nom, je vous invite à poser des questions.

Le président : Je vous remercie tous pour le soin que vous avez pris de toute évidence pour préparer vos exposés. La constance de vos propos nous est utile. Il est ainsi beaucoup plus facile pour nous d'élaborer des recommandations.

Avant de donner la parole au sénateur Gill, j'aimerais poser une question d'ordre général sur un point que bon nombre d'entre vous ont abordé. Ce n'est pas très clair. Beaucoup d'entre vous ont parlé du fait que les ministères fédéraux ou le gouvernement fédéral et les provinces ne s'entendent pas sur le financement initial ni sur le financement continu. En ce qui a trait aux Premières nations ou aux Inuits qui vivent dans les réserves, je ne comprends pas pourquoi les provinces s'en mêlent. Je sais que vous obtenez des services dans leurs hôpitaux, mais je croyais que le financement destiné à ces deux groupes provenait entièrement du gouvernement fédéral. Est-ce que le conflit concerne le ministère des Affaires indiennes et du Nord ou la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits de Santé Canada? Soit dit en passant, si un d'entre vous veut exprimer son opinion sur la question de savoir si ces deux entités devraient être fusionnées de sorte que le financement en matière de santé provienne d'un seul organisme, j'aimerais bien l'entendre.

Je crois que c'est Mme Randell qui a déclaré que le financement consacré à la santé mentale dépend des fonds disponibles, et non pas des besoins. C'est ce qu'a affirmé l'un d'entre vous, et cela m'a frappé. Mis à part le fait que cette situation soit stupide et scandaleuse, j'aimerais savoir si la santé mentale est toujours le dernier domaine à être financé. Selon vous, est-ce qu'on finance tous les autres domaines de la santé en premier et on laisse les miettes à la santé mentale, s'il en reste, ou est-ce que tous les domaines de la santé manquent de financement?

Mme Randell : Votre première question concerne les responsabilités provinciales, territoriales et fédérales en matière de soins de santé. Aux yeux des collectivités inuites, les deux paliers ont un rôle à jouer. Par exemple, en 1988, le gouvernement fédéral a transféré la responsabilité d'assurer les soins de santé aux Territoires du Nord-Ouest et, lorsque le Nunavut a été créé, il lui a également transféré cette responsabilité. La Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits offre des programmes de prévention et de promotion et, dans certains cas, des programmes de soins et de traitement limités à l'intention des collectivités inuites par l'entremise des deux gouvernements territoriaux. Ils sont offerts pour les Inuits vivant au Nunavut et à Inuvialuit par l'entremise de la Régie régionale de la santé et des services sociaux Nunavik du Québec et par l'intermédiaire de la Labrador Inuit Health Commission pour les Inuits du Labrador. À Nunavik, par exemple, dans le nord du Québec, une personne qui a besoin de services importants en santé mentale est transportée par Medivac dans un hôpital montréalais qui a conclu un partenariat ou une entente. En fait, un lit est réservé aux Inuits de Nunavik dans le réseau hospitalier de Montréal.

Le président : Ce coût est-il assumé par le gouvernement fédéral?

Mme Randell : Je crois qu'il est assumé par le gouvernement provincial.

Le sénateur Gill : Un remboursement est ensuite demandé au gouvernement fédéral.

Mme Randell : Le Labrador vient tout juste de signer son accord de revendications territoriales, mais la province de Terre-Neuve-et-Labrador fournit encore les services de santé. Elle gère tous les centres de santé du Labrador. En vertu de l'accord, cela changera au cours des 10 prochaines années, mais, pour l'instant, les services hospitaliers et les services de santé sont fournis par l'entremise de la province.

Mme Gideon : Il s'agit d'une question complexe. À la rencontre des premiers ministres, qui aura lieu le 25 novembre, nous voulons recommander que l'on clarifie les rôles et les responsabilités en matière de santé dans le plan pour la santé autochtone. Au cours de la dernière année, un grand nombre d'entre nous ici présents ont consacré tout leur temps à l'élaboration de ce plan. La discussion sur la clarification des rôles et des responsabilités a lieu en ce moment uniquement en raison du partage complexe des compétences entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et parce que nos organismes ont exigé que l'on éclaircisse les points obscurs. Je le répète, pour que nous puissions assumer davantage de responsabilités, financières ou autres, il nous faut davantage de compétences. Il y a un coût associé aux rôles et aux responsabilités, alors il existe une certaine réticence à les assumer. Je vais faire de mon mieux pour expliquer les domaines d'activité et les points obscurs.

Les territoires et les provinces reçoivent des fonds du gouvernement fédéral au titre de la santé et des services sociaux à l'intention des Premières nations qui habitent sur leur territoire, mais ils n'ont pas l'obligation de rendre des comptes aux Premières nations quant à la façon dont cet argent est dépensé. Il est difficile de savoir quel usage ils en font quand on compare les sommes reçues et les dépenses. Nous avons été en mesure d'obtenir quelques renseignements à cet égard, mais, je le répète, il n'y a presque aucune reddition des comptes.

Le président : Parlez-vous des membres des Premières nations qui habitent dans les réserves ou à l'extérieur des réserves?

Mme Gideon : Les deux. Ils font tous partie de la population qui habite dans la province. Le gouvernement fédéral, par l'entremise de Santé Canada et de certains services liés à la santé qui sont fournis par le ministère des Affaires indiennes et du Nord, offre un certain soutien dans les réserves pour la promotion et la prévention ou pour les services de soins de première ligne. Même certains services infirmiers de base sont utilisés dans le contexte du traitement de la maladie mentale ou dans les domaines du bien-être et de la prévention du suicide. Rien n'est bien défini. Certains programmes de santé communautaire, comme Grandir ensemble : Pour des collectivités en bonne santé, consacrent la majeure partie de leurs fonds aux services de santé mentale. Il y a aussi les services de santé non assurés, qui sont de toute évidence financés par Santé Canada. Comme Mme Randell l'a signalé, une somme minime est consacrée aux services de santé mentale destinés aux Inuits. Notre analyse montre que la croissance moyenne annuelle des dépenses en santé mentale à l'intention des Premières nations s'élève à 7,3 p. 100 dans le contexte du programme des services de santé non assurés. Je n'ai pas la somme exacte dans mes notes, mais je pourrais la trouver si vous voulez avoir une idée. C'est un peu un fouillis. Certains programmes de santé communautaire, comme Grandir ensemble, sont conçus pour s'adapter aux communautés. Les collectivités qui ont négocié une entente relative au transfert de pouvoirs en matière de santé, comme la majorité de nos communautés — je parle de celles qui vivent dans les réserves — bénéficient d'une certaine souplesse quant à la somme qu'elles souhaitent affecter aux services de santé mentale. Le problème, c'est que les fonds sont loin d'être suffisants.

Un autre problème, c'est qu'il y a très peu de coordination entre les services de santé communautaire et ceux que la province devrait financer dans les secteurs des soins secondaires et tertiaires. Même lorsqu'il y a une certaine coordination, les Premières nations n'ont pas vraiment leur mot à dire sur la façon dont les services offerts par les provinces sont fournis.

Surtout dans les provinces où la plupart des décisions sont effectuées par des autorités régionales de la santé relativement indépendantes, les collectivités des Premières nations doivent veiller à forcer ces autorités à leur rendre compte du type de services qu'elles fournissent à leurs membres. Toutefois, le fait est que ces autorités n'ont pas la capacité de leur fournir des services. Un nombre très restreint d'autorités régionales de la santé cherchent à établir des liens avec les collectivités des Premières nations.

C'est la raison d'être du projet sur la santé des Autochtones sur lequel nous travaillons. J'essaie de boucler la boucle. J'aimerais pouvoir présenter des recommandations précises sur les questions de santé mentale et de bien-être susceptibles d'être approuvées au cours de la conférence, mais nous n'en sommes pas encore là. De notre côté, nous préconisons ce que j'ai expliqué aujourd'hui, c'est-à-dire une approche de proximité, une approche holistique. Nous examinons ainsi les mécanismes administratifs de base que le gouvernement fédéral peut mettre en place pour appuyer cette approche. Voilà ce sur quoi Santé Canada, l'Assemblée des Premières nations et ITK collaborons.

Mme Dickson : Je voudrais revenir sur le manque de cohésion interministérielle dont vous avez parlé dans votre question. Pendant que d'autres intervenaient, j'ai compté que nous transigeons avec six ministères ou services fédéraux différents toutes les semaines pour divers programmes, politiques et projets : Patrimoine canadien, Affaires indiennes et du Nord Canada, la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits à Santé Canada, Condition féminine Canada, Développement social Canada, l'organisme Résolution des questions des pensionnats indiens du Canada et l'Initiative canadienne de recherche pour la lutte contre le tabagisme. Nous traitons également avec deux fondations privées, la Fondation McConnell et la Fondation Lawson. Vous pouvez imaginer à quel point c'est compliqué étant donné qu'ils demandent tous des rapports et des propositions à des dates différentes et veulent des présentations, des tableaux, des modèles et des renseignements complètement différents, ce qui est exigeant pour nous. J'écrivais justement à un organisme dimanche après-midi, et l'un de mes frères qui était à la maison m'a demandé si j'étais actionnaire d'IBM parce que j'avais déjà 46 pages de texte sur le sujet. Je n'ai toujours pas présenté le document parce que je n'ai pas encore fini. Ce qui est triste, c'est que les problèmes dont nous traitons sont graves. Tous ceux qui se rendent dans les localités éloignées se demandent ce que nous faisons. Pourtant, l'organisme national qui représente les femmes — je ne peux pas parler des autres, mais je vois votre sourire d'approbation — nous surveille comme si nous avions commis des tas de fautes, parce que nous pourrions détourner des fonds ou ne pas respecter nos engagements.

Ce n'est pas une question de transparence ou de responsabilité. Pourquoi ne pas venir effectuer une vérification exhaustive et, ensuite, s'il semble que nos activités sont irréprochables depuis 20 ans, nous pourrons peut-être alors produire un rapport de trois pages ou d'une page?

Disons que nous travaillons sur les pensionnats et que nous présentons une proposition quinquennale. Après la première année, nous produisons un rapport. La deuxième année, pensez-vous qu'on va nous permettre de nous reporter à ce qui figure dans la proposition quinquennale à propos de l'an deux? Non, nous devons présenter une autre proposition avec toute une série de rapports. C'est à devenir fou à cause, non seulement de la somme de travail que cela exige, mais de ce que cela laisse entendre à propos de l'intégrité et de la capacité des gens que nous servons. C'est inacceptable sur le plan de l'intégrité.

Voilà ce que je tenais à dire. Les gestionnaires de projets des ministères — avec qui nous faisons vraiment affaire, et non leurs supérieurs qui élaborent les politiques — sont aussi frustrés que nous. Tous ceux avec qui nous négocions s'arrachent les cheveux et se confondent en excuses. Ils essaient de nous aider, mais ils relèvent de leur service des finances, du Conseil du Trésor, de Dieu ou quelqu'un d'autre, je ne sais pas.

La bonne nouvelle, c'est que, la semaine dernière, le Conseil du Trésor a organisé une conférence d'une semaine, et plusieurs d'entre nous ont pu y assister pendant quelques heures. L'objectif était d'essayer de comprendre. Tous les ministères étaient réunis. Ils vont essayer d'établir une formule de gestion que tout le monde pourrait adopter. Je n'ai participé à la rencontre que très brièvement mais mon agent des finances y est resté un certain temps, tout comme Mme Randell. Le Conseil du Trésor va-t-il rendre la nouvelle formule facultative ou obligatoire pour les ministères? Ils ont répondu timidement que ce serait facultatif.

C'est une autre semaine de passée. C'est exigeant et je n'y consacre probablement pas loin du tiers de mont temps. Ce n'est pas productif.

Le président : Il est dommage que les écrits ne fassent pas ressortir la frustration qui est si évidente. Merci beaucoup.

Le sénateur Gill : J'ai un commentaire à faire.

[Français]

J'aimerais remercier toutes les personnes qui ont fait des présentations ainsi que tous ceux et celles qui ont contribué à cette séance. Vous avez accompli un travail considérable. Je suis d'accord avec presque tout ce que vous avez dit. C'est tout à fait réaliste et cela représente des solutions qui sont adaptées aux besoins. J'ai commencé ma vie publique en 1956. Cela fait 49 ans maintenant que j'entends parler de ces problèmes dont je suis témoin régulièrement car je retourne dans ma réserve, au Lac Saint-Jean, toutes les fins de semaine.

J'aimerais remercier les sénateurs pour le temps qu'ils ont pris afin d'étudier la question de la santé mentale et de la toxicomanie. Ce ne fut pas une tâche facile. J'aimerais plus particulièrement remercier le président pour l'organisation de ces tables rondes à travers le pays. Le rôle d'un comité comme celui-ci est d'informer nos collègues et de faire des représentations auprès de la Chambre des communes.

Le président du comité a décidé de prendre le taureau par les cornes. C'est lui qui m'a encouragé à participer à ce comité en me disant que les informations recueillies seraient transmises à tous les paliers de gouvernement et que des mesures concrètes seraient prises pour combler les lacunes exposées lors des discussions. Si le rapport que nous présentons est applaudi par l'ensemble des Premières nations, Inuits et autres, et contesté par nos pairs au gouvernement, ce sera bon signe. Ce sera peut-être un barème à utiliser. Une réforme sur cette question n'est pas facile, mais elle sera primordiale pour favoriser l'harmonie dans le pays et contribuer à ce que les Autochtones se sentent inclus et puissent vivre convenablement dans un pays qui leur appartient aussi.

Il existe sur le sujet un manque flagrant d'information. Nos gouvernements sont-ils conscients ou non de ce manque? Il ne faut pas se surprendre si les solutions se font attendre. On n'a pas réussi à régler la situation autochtone au pays. Vous connaissez l'histoire; cela a mal commencé. Il faut dont poursuivre l'intégration des services. On a connu beaucoup de diversifications : différents ministères, tant au fédéral qu'au provincial, offraient différentes solutions.

Alors que j'étais aux Affaires indiennes, on me répétait toujours la même chose : les Autochtones relèvent de la compétence fédérale. Cependant, lorsqu'il est question d'éducation, c'est de compétence provinciale dont on parle. Comment pouvons-nous concilier les deux? La santé est de compétence provinciale! Il faut clarifier cela. C'est la Cour suprême, à la fin des années 1930, qui a tranché la question de la détermination de la compétence pour les Inuits, car chaque palier de gouvernement revendiquait son droit de gestion. Le provincial était très intéressé, mais était-ce pour les Inuits eux-mêmes ou pour les ressources naturelles que recelaient leurs territoires?

Il y a eu beaucoup de représentations du côté autochtone concernant la prise en charge, l'autonomie. On a réussi jusqu'à un certain point du côté des communautés, des conseils de bande et des Inuits, à travers des ententes. Même chose pour l'éducation. On a fait un bout de chemin, mais aujourd'hui, cela ne fonctionne pas toujours bien, selon les commentaires rapportés un peu partout. Des accusations sont portées contre certains conseils de bande et, malheureusement, on généralise. Dans ces cas particuliers, il y a une mauvaise gestion quant aux conseils et à l'éducation. On envoie ainsi le message que lorsque l'on fait confiance aux Autochtones, il ne faut pas toujours s'attendre à une réussite.

Si notre rapport préconise de donner la responsabilité de la gestion des services aux Autochtones, on risque d'entendre la même réponse qu'on a reçue quant à l'éducation et la gouvernance, à savoir qu'il n'est pas si sûr que ce soit la bonne formule, car ce ne fut pas un succès dans le passé.

A l'heure actuelle, dans le domaine de l'éducation et de la gouvernance, c'est encore le ministère des Affaires indiennes qui détient le contrôle complet. Les rapports qu'il exige n'en finissent plus. Il est donc aussi faux de dire que la responsabilité appartient aux Premières nations.

Il faut aller plus loin que laisser la gestion de simples corporations aux Autochtones, il faut leur donner un contrôle à partir des ministères. Il ne faut pas que les lois votées au Parlement tombent ensuite entre les mains des fonctionnaires, non pas que les fonctionnaires sont mauvais, mais leur rôle consiste à contrôler. Si on ne poursuit pas notre action, on retombera dans le même pétrin.

[Traduction]

Le président : Quelqu'un aimerait revenir sur l'un ou l'autre de ces propos?

M. Atleo : Sénateur Gill, vos observations sont pertinentes, surtout celles sur qui a le contrôle. Je me disais, en écoutant les autres remarquables exposés, que le comité devrait peut-être confier la gestion de toute cette question aux invités d'aujourd'hui, et nous pouvons peut-être ajouter cela à la liste des recommandations parce que c'est un thème qui revient.

Si un des aînés de ma communauté se trouvait ici aujourd'hui, il dirait : [le témoin s'exprime dans une langue autochtone]. C'est une pratique traditionnelle pour nous sur la côte ouest, que je traduirais littéralement par « faire face à la réalité et éliminer les problèmes ».

C'est ce que les exposés font ressortir. Il faut se demander si on comprend la situation. Peut-être pas. Je crois que l'éducation est importante. C'est la première fois que ma fille de seize ans a un manuel scolaire sur les Premières nations qui est pertinent et à jour.

La semaine dernière, j'ai discuté de la situation du logement, dont j'ai parlé plus tôt, avec trois sous-ministres de trois ministères différents. Morris Rosenberg de Santé Canada est venu visiter mon village. Nous avons vu ensemble un bateau sortir de la brume près du rivage. J'ai expliqué à M. Rosenberg que, quand j'étais jeune, je partais très souvent en bateau avec mon père, comme tous mes concitoyens. Il y avait beaucoup de bateaux sur l'eau. J'ai parlé de la pêche à la baleine et du rôle qu'elle jouait pour les membres de ma communauté. J'ai parlé de la gouvernance, du bien-être et de l'intérêt à porter aux gens et à la terre. Nous n'avons plus de lien avec ces responsabilités. Il y a eu rupture avec la responsabilité et le pouvoir que mon nom confère. En effet, « A-in-chut » veut dire aider les gens. Nous devons trouver de nouveaux moyens de pêcher la baleine en quelque sorte, pour aider les gens. Il faut rétablir le lien. M. Rosenberg a compris ce que j'essayais de dire au sujet de la pêche. Nous avons un litige en matière de pêche. Après dix ans de négociations infructueuses en vue de jouer un rôle dans le domaine des pêches, il n'y a plus que trois licences dans le village d'Ahousaht, qui compte 900 habitants.

Je vous ai parlé tout à l'heure du nombre de tentatives de suicide dans mon village au cours des six premiers mois de l'année. Au même moment, le Canada exposait sa défense dans le litige qui nous oppose à lui et faisait valoir que le peuple Nuu-chah-nulth n'existe pas.

S'il y a une la volonté politique de la part du premier ministre du Canada et de celui de la Colombie-Britannique, sur le terrain, on continue comme par le passé de nous rejeter et de chercher à nous faire disparaître. C'est un problème. Si un des aînés de ma communauté était ici, il y aurait tellement d'incompréhension. Cependant, c'est encore la même chose. Il faut faire face à la réalité, adopter une perspective à long terme, réunir les bonnes personnes. Il ne faut pas avoir peur de prendre des décisions courageuses et de faire des choix difficiles.

Cette discussion est vraiment importante et elle m'amène à me demander quel lien il existe entre le travail de votre comité et l'intention louable du premier ministre de changer les choses pour corriger les conditions déplorables que d'autres ont observées dans les communautés.

Le président : Je vais vous répondre. Notre comité a entrepris ces travaux une fois terminée notre étude sur les soins de santé. Grâce à la Cour suprême du Canada, et à d'autres décisions prises par les gouvernements provinciaux, la grande majorité des recommandations formulées dans cette étude ont été prises en compte. Nous avions commencé à examiner la question avant que l'actuel premier ministre soit en poste, il y a un certain temps déjà.

Pour ce qui est des résultats sur le sujet, je vais m'assurer que le ministre de la santé et le premier ministre connaissent notre point de vue avant la conférence des premiers ministres. Il leur appartiendra de décider quoi faire, mais je vais veiller à ce qu'ils sachent ce que le comité pense.

Dans un précédent rapport, nous avons indiqué ne pas approuver les principes énoncés par la commission Romanow qui voulait jeter l'argent par les fenêtres pour essayer de régler le problème. Nous avons proposé d'essayer de faire des changements sur le terrain, ce pour quoi nous avons été sévèrement critiqués par toutes sortes de gens y compris des membres de mon parti. Il reste qu'on s'entend maintenant dans le domaine de santé pour faire face à la réalité et essayer de trouver des solutions pratiques. Nous allons faire la même chose dans ce cas-ci. On va nous critiquer. Nous le savons. Notre objectif est d'essayer de faire avancer les choses, pas d'être populaires. Je suis heureux de constater la cohérence des propos entendus autour de la table. Les conclusions seront plus faciles à tirer pour nous.

Autre fait intéressant, c'est que le comité n'a jamais produit de rapport qui n'était pas unanime. Il n'y a pas de partisanerie entre nous. Vous ne pouvez pas dire à quel parti appartiennent ceux qui posent les questions. Ce n'est pas un problème pour notre comité.

Mme Valaskakis : J'aimerais revenir sur ce que le sénateur Gill a dit. Nous le remercions du travail qu'il a accompli au cours des 40 dernières années.

J'en ai déjà parlé, mais j'aimerais rappeler que les travaux de Michael Chandler, qui est professeur à l'Université de la Colombie-Britannique, et Christopher Lalonde, qui enseigne à l'Université de Victoria, viennent confirmer les observations faites au sujet du contrôle et de la culture. À propos du suicide, ils se sont demandé ce qui se passe dans les communautés où il n'y a pas de suicide. Ils ont recueilli des données empiriques sur la question pendant 30 ans pour constater que les communautés où il n'y a pas de suicide depuis longtemps exercent énormément de contrôle, ce qui entraîne une continuité sur le plan culturel. D'après leur hypothèse, on ne peut pas envisager l'avenir sans avoir de passé. Ce passé est essentiel. C'est ce qui se vérifie quand on a, par exemple, une influence sur le système d'enseignement ainsi que sur les négociations de traités, de revendications territoriales et de droits autochtones, tout comme quand on a un droit de regard sur les services de police, de santé et de logement et qu'on peut s'engager dans son milieu.

C'est une étude déterminante qu'on veut maintenant effectuer au Manitoba et, si tout va bien, chez les Inuits. On verra si les mêmes résultats se confirment. Leurs travaux montrent qu'on ne peut oublier que c'est un facteur important qui peut expliquer le problème de suicide qui frappe les communautés autochtones de tout le pays.

Le sénateur Keon : J'aimerais d'abord remercier tous les témoins. Vous nous avez présenté des exposés très intéressants. Nous avons énormément appris sur ce sujet depuis quelques années, et plus j'en apprends là-dessus, plus je suis gêné d'être un non-Autochtone parce que je constate que la situation est dramatique.

Cela dit, nous ne pouvons pas en rester là. Nous devons essayer de vous aider, d'une certaine façon, à changer les choses. Chef Atleo, j'ai bien aimé votre exposé. Je l'ai trouvé très intéressant. Vous comprenez tellement bien la situation.

J'ai eu le grand privilège de me trouver à Iqaluit au moment de l'arrivée d'une baleine. J'ai vu les habitants de la ville descendre dans la baie avec leurs contenants. En l'espace d'une heure ou deux, ils avaient tous leur part de baleine. C'était vraiment impressionnant à voir.

Je ne sais pas à qui adresser ma première question. Je vais la poser à Mme Dickson parce qu'elle a un plan qui pourrait figurer dans nos recommandations en vue de vous aider à établir un cadre comme celui qui a fonctionné ailleurs au Canada. À certains égards, la situation des Autochtones peut se comparer à celle du Canada. Notre pays est vaste et peu peuplé et les besoins varient beaucoup d'une région à l'autre. Quand on essaie de centraliser et d'imposer des décisions, on freine les initiatives locales et on ne répond pas aux besoins des gens. Je ne comprends pas la situation aussi bien que vous, mais je crois qu'il faut vous aider à échanger les informations et les ressources tout en préservant l'autonomie de chacun.

Madame Dickson, j'ai remarqué que votre organisation s'adresse à tous les Inuits. C'est un concept très intéressant qu'il faut appuyer. J'admire les femmes depuis que je suis jeune parce que je suis le 13e enfant de ma famille et que ma mère s'est retrouvée veuve alors que j'avais six ans. Elle était enseignante. Pouvez-vous imaginer une femme toute seule avec autant d'enfants, qui ont tous fait des études universitaires? Toute ma vie j'ai été impressionné par ce que font les femmes. Est-ce que ce serait une bonne idée d'étendre cette formidable initiative à l'ensemble des Autochtones?

Mme Dickson : Je suis d'accord avec vous pour dire que la situation des Autochtones se compare à celle de l'ensemble du pays, si c'est ce que vous voulez dire. Leur situation pourrait se comparer à la situation dans le monde entier.

C'est intéressant que vous demandiez d'étendre nos activités à l'ensemble des femmes autochtones du Canada parce que je cherche activement à collaborer plus étroitement avec l'Association des femmes autochtones du Canada qui, malheureusement, ne pouvait pas être représentée ici aujourd'hui. J'annonce en primeur qu'à son assemblée générale annuelle de jeudi et vendredi derniers, l'Association a adopté à l'unanimité l'ébauche d'une entente de partenariat que nous allons signer au cours d'une cérémonie à notre assemblée générale annuelle. L'entente prévoit que nos deux organismes vont travailler en étroite collaboration pour servir les femmes de nos communautés. Cela dit, je ne sais pas s'il faudrait fusionner les deux groupes en un seul. Les Inuits sont aussi différents des Premières nations que les Japonais le sont des Chinois, et cela pas seulement sur le plan culturel, linguistique et géographique, mais aussi sur le plan racial, historique et de la sensibilité. Une collaboration fructueuse est possible mais, à bien des égards, les Inuits du nord du Canada ont plus d'affinités avec d'autres populations nordiques de la région circumpolaire. Ce qui ne veut toutefois pas dire qu'elles ne devraient pas unir leurs efforts; je pense que toutes les femmes du monde devraient s'unir. Il est temps que nous le fassions, parce que nous ne pouvons pas faire pire que les hommes. Pensons, par exemple, à ce qui se passe en Louisiane.

Nous avons beaucoup de points en commun et nous estimons que la collaboration est possible sans avoir à fusionner ou à établir une hiérarchie. Nous pouvons collaborer sur des questions d'intérêt commun. Par exemple, nous connaissons depuis longtemps des problèmes de violence, comme les incidents survenus à l'exploitation porcine près de Vancouver. À la suite de ce drame, le programme « Soeurs d'esprit » a été créé par l'AFAC et nous en sommes partenaires. De notre côté, nous pouvons fournir des conseils pratiques, concrets et efficaces et, de son côté, l'Association peut apporter le point de vue des gens du Sud, un point de vue plus général et national. Le financement a été obtenu après que l'AFAC eut pressenti le gouvernement fédéral. De plus, l'AFAC est capable de discuter de bien des questions en notre nom pour des raisons obscures qui m'échappent. Le gouvernement fédéral n'a pas encore reconnu l'Association Pauktuutit comme l'un des six organismes autochtones national au Canada. Il y en a cinq qui sont reconnus, mais pas le nôtre. En quoi ne sommes-nous pas un organisme national autochtone? Les réponses qu'on nous fournit à cette question sont bien étranges mais, essentiellement, on pense que nous pouvons enlever aux cinq autres organismes leur part du gâteau, ce qui n'est pas vrai. Nous nous intéressons surtout à l'élaboration de politiques, et la participation d'un plus grand nombre d'intervenants pourrait accroître les appuis et non les diminuer. Nous sommes souvent exclus ou délibérément marginalisés des tables de discussion du pays. L'AFAC défend parfois notre cause quand il est question plus précisément du point de vue des femmes.

J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit à propos de votre mère. Au fait, ma mère aussi a élevé six enfants et elle n'a pas fini. Les femmes ne proposent pas nécessairement de discuter de questions féminines. Elles apportent plutôt un point de vue féminin sur tous les sujets d'intérêt. Je sais que les sénatrices le savent, comme la plupart des femmes en général. Cependant, il est étonnant qu'il faille le répéter. Les gens vont nous demander si notre association s'intéresse au cancer du sein, au métier de sage-femme, aux garderies et peut-être à certaines questions d'équité. Nous répondons que oui, nous nous intéressons à toutes ces questions, mais aussi à la gestion des déchets nucléaires, à l'intégrité environnementale, aux affaires internationales, au savoir traditionnel et à la propriété intellectuelle. Les gens sont surpris et se demandent de quoi nous parlons. Il faut répéter que les questions féminines nous intéressent, mais que nous voulons aussi exprimer le point de vue des femmes sur tous les sujets d'actualité.

Dans le Nord, les Inuites sont incroyablement sages et pratiques. Les idées qu'elles expriment quand elles le peuvent, c'est-à-dire quand elles en ont la possibilité, sont des leçons pour nous tous, sur le plan national et mondial. Ai-je bien répondu à votre question, monsieur le sénateur?

Le sénateur Keon : Oui. Merci.

Chef Atleo, expliquez-nous votre perception des grands réseaux d'ensemble. Je ne parle pas des organismes hiérarchisés, mais des réseaux qui peuvent vous aider à obtenir les ressources dont votre communauté a besoin pour s'attaquer au problème du suicide, par exemple. À mon avis, on ne peut pas avoir des connaissances spécialisées et médicales dans toutes les petites localités. Par conséquent, tout le monde doit comprendre, mais les ressources devront être partagées d'une certaine façon. Pourriez-vous nous en dire un peu plus là-dessus?

M. Atleo : Je vais essayer. Je suis d'accord avec Mme Dickson, et c'est en partie la raison pour laquelle j'appuie le travail du comité. C'est lié votre première question sur la collaboration. Comme je l'ai déjà dit, en tant qu'A-in-chut, j'ai la responsabilité d'exercer les pouvoirs conférés par ma naissance, comme mon grand-père. Notre constitution reconnaît trois groupes distincts. Nous sommes en voie de définir des compétences multiples et plus d'une souveraineté — un pluralisme juridique — comme je l'ai déjà dit. À cet égard, nous vivons des moments emballants.

Je crois comprendre ce que vous demandez. Je crois qu'il est possible — et j'espère que c'est ce que nous visons dans un proche avenir — de conserver notre autonomie tout en échangeant ressources et informations et de nous entraider dans un cadre permettant à tous d'exercer les pouvoirs reconnus. Je sais bien que je parle de plus de 600 communautés des Premières nations. C'est un défi. En Colombie-Britannique, il y a 32 groupes linguistiques qui veulent conserver leur langue et leurs enseignements dans le respect et avec du soutien. Je vais bientôt partir à la chasse à la baleine. Il y aura énormément de controverse dans la baie Clayoquot. Nos ancêtres sont habitués à faire face à la controverse. La sécurité de mon peuple me préoccupe, mais je ne veux surtout pas qu'on se trompe sur l'importance de la baleine pour notre santé et notre bien-être, ne serait-ce que sur le plan alimentaire. Nous essayons d'exercer nos compétences par la voie de la négociation. J'ai parlé du problème de pêche. La pêche et la baleine sont intimement liées dans mon milieu.

En Colombie-Britannique, pour la première fois depuis 30 ans, les trois organismes politiques des Premières nations ont signé un accord sur le leadership ce printemps. On ne l'avait jamais fait avant tout simplement parce que, pendant 30 ans, notre façon d'envisager l'autonomie gouvernementale était différente. Certains revendiquaient la souveraineté absolue et le statut de nation et d'autres voulaient pouvoir déclarer la guerre, déclarer faillite, construire des voitures et demander de l'aide étrangère. C'était leur idée de l'autonomie gouvernementale.

Les chefs nationaux ont maintenant pris un engagement constructif sans perdre de vue l'objectif général, ce qui respecte l'héritage que m'a laissé mon grand-père. Nous devons trouver une façon d'exprimer la gouvernance, qui se dit de 32 façons différentes en Colombie-Britannique et de 60 façons différentes dans l'ensemble du pays. Nous avons l'engagement du premier ministre que le droit inhérent des peuples autochtones du Canada existe déjà et n'a pas à être établi par les tribunaux. C'est une déclaration importante dont j'ai parlé plus tôt. La réalité est bien différente sur le terrain actuellement. Il y a de multiples sphères de compétence. Mme Gidéon a bien montré la situation du financement pour les Autochtones. Je fais tout ce que je peux, en tant que chef régional, pour palier cet important handicap.

Je suis sûr que Mme Gidéon a contribué à régler des crises internes. Pour boucler la boucle, je crois qu'il faut songer à établir des cadres qui peuvent favoriser l'autonomie et le pouvoir des Premières nations.

Je crois vraiment qu'il faut admettre qu'il y a des organismes qui possèdent les compétences et les capacités pour régler les problèmes, autant à l'égard des femmes qu'en milieu urbain. Que ce soit au sein de l'Assemblée des Premières nations ou en tant que chef régional de la Colombie-Britannique, je suis impatient d'établir les liens étroits avec, par exemple, des organismes autochtones en milieu urbain pour offrir de meilleurs services de santé. Je reste toujours responsable de ceux qui ont quitté la réserve. Mes responsabilités dépassent les limites de la réserve.

Le sénateur Cook : Je vais vous raconter une histoire. Mme Dickson tient à ce que je le fasse. Il y a bien des années, j'assistais à une conférence de l'Église unie au cours de laquelle on nous demandait qui allait guérir le monde. Un leader Ojibway du nom de Art Solomon faisait partie de mon groupe. Nous avons tous répondu à la question, sauf lui, qui a demandé d'attendre au lendemain pour le faire. Le lendemain matin, il a répondu que c'était la tâche des femmes, parce qu'elles étaient responsables de l'état du monde. Je suis un peu comme Art Solomon. Il va falloir que je réfléchisse à tout ce que vous avez dit aujourd'hui. Je vais vous faire part de mes observations pour que vous puissiez orienter ma réflexion.

Dans mes notes, je trouve d'abord le mot « compétence », puis « besoins » et enfin les mots « intégration et comment y parvenir ». J'ai l'impression que le Sud a rejoint le Nord dans toute sa complexité. Il faut le faire pour bâtir des communautés solides, comme le dit Mme Dickson dans son exposé, si nous pensons que les gens ont le droit de vivre où ils veulent. Comment y parvenir?

La Bibliothèque du Parlement m'a fourni un petit document sur le logement social et la toxicomanie. Divers services fédéraux, comme Santé Canada, la santé publique et Patrimoine canadien s'occupent du logement. Cependant, pour ce qui est de la toxicomanie, je ne vois que Santé Canada et les Services correctionnels. Je me demande si les mandats des divers organismes fédéraux sont compartimentés pour ce qui est d'aider les populations du Nord à bâtir une communauté solide et dynamique et de respecter leur droit de vivre où ils veulent.

Je pense alors à ma province d'origine, Terre-Neuve, où les infirmières et les enseignants vont dans le Nord pour soigner les gens et éduquer la jeune génération. Ce sont les enfants qui vont former le Nord de demain. Je me demande quels programmes existent pour sensibiliser les gens aux différences culturelles. Je crains qu'il n'y en ait pas beaucoup. J'ai parlé l'autre jour à une enseignante qui s'en allait travailler à Iqaluit. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m'a répondu qu'elle toucherait un bon salaire. Je suis certaine que c'est une bonne enseignante et qu'elle va faire du bon travail, mais c'est d'abord ce qu'elle m'a dit. Elle est payée avec des fonds fédéraux.

Je pense au fait de compartimenter les responsabilités d'un point de vue financier. À la suite des graves problèmes survenus à Davis Inlet, des fonds fédéraux ont été versés aux provinces pour le programme. Les enfants sont retournés chez eux sans soutien. Personnellement, en tant que Canadienne, je ne sais pas ce qui leur est arrivé. Je perçois des failles dans le service. Je peux seulement parler de ce que je connais et d'où je viens. La population de Davis Inlet a été déplacée à fort prix pour le gouvernement fédéral. J'ai appris que leurs conditions de vie et leur bien-être culturel et social ne s'étaient pas améliorés.

Nous n'agissons pas. Il y a quelque chose qui nous échappe et je cherche à découvrir ce que c'est. Est-ce un partenariat avec la gouvernance du Canada? Ou avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord, ou encore avec Santé Canada? En bout de ligne, il faut qu'il y ait un partenariat entre cette population et ceux qui, par nécessité, contrôle en partie sa destinée.

Voilà où j'en suis. Monsieur le président, nous nous sommes éloignés des questions de santé mentale. Nous avons élargi le débat ce matin pour discuter de ce que c'est que vivre dans le Nord, un milieu difficile, et comment garder son identité dans le village global. C'est le problème, n'est-ce pas? C'est la difficulté que nous avons. Il y a trop d'organismes, trop d'intervenants et trop de services qui essaient de s'occuper de la même chose.

Comme je suis membre de l'Église unie du Canada, je suis au courant de la question des pensionnats. Dans les années 1980, quand l'Église cherchait à déterminer sa responsabilité et à établir des programmes et des pratiques, on a demandé aux femmes de recueillir un million de dollars sur deux ans pour le fonds de guérison. Puis, au début des années 1990, Stan McKay, un leader clé, nous a aidés à comprendre. Nous, à Terre-Neuve, n'avions pas la moindre idée des mauvais traitements infligés dans les pensionnats. Il a fallu être informés pour comprendre.

Je n'ai rien entendu ici au sujet des organismes non gouvernementaux et du processus de guérison autochtone. Je pense que cet ONG a fait beaucoup. Si vous pouviez me dire ce que vous pensez, cela m'aiderait à comprendre en vue de la production de notre rapport.

Mme Dickson : J'ai bien hâte que la personne qui vous a dit qu'elle allait enseigner à Iqualuit parce que le salaire était bon aille acheter une orange dans un magasin local. Elle va comprendre pourquoi les salaires sont élevés.

Je me suis demandé ce qu'un gouvernement ou une société peut faire à part jeter l'argent par les fenêtres et forcer un village à aller s'installer ailleurs, ce qui est très mal inspiré. C'est un extrême. À l'autre extrême, comme on l'a dit aujourd'hui, on finance des projets à court terme, en demandant aux gens de présenter des propositions pour obtenir des fonds, de produire des rapports et de refaire leurs devoirs l'année suivante, ce qui ne donne pas beaucoup de résultats. Entre les deux, on peut s'engager calmement à moyen et à long terme à réaliser des mesures concrètes. Si le gouvernement fédéral voulait faire preuve de leadership, c'est ce qu'il essaierait de faire. Il devrait établir un modèle qui prévoit un cadre fiduciaire solide de gouvernance et de partenariat, avec les ONG dont vous avez parlé. C'est ce que nous sommes en train de faire, ou c'est ce que font ceux qui estiment être les mieux placés pour mettre en œuvre les politiques publiques dans le Nord, pour que des liens stables se créent entre l'organisme et le gouvernement sur le plan financier, même s'il faut transiger avec neuf ministères; il suffit d'obtenir leur collaboration. Si on peut parvenir à cela, un organisme peut planifier de façon stratégique et prévoir des activités axées sur des résultats à long terme plutôt que sur des résultats immédiats. Cela ferait une énorme différence.

Voici un exemple. Un volet de notre programme le plus important concerne la santé sexuelle; et une partie de celui-ci touche la prévention du VIH/sida. Nos bailleurs de fonds nous posent continuellement des questions au sujet des résultats. Nous leur répondons toujours que moins de gens contractent le virus. Mais comment en faire la démonstration à un bailleur de fonds qui songe à ne plus vous accorder de financement l'année suivante? La solution consiste peut-être à conclure un engagement à long terme. Un Canadien moyen paie des impôts au gouvernement, qui les dépense dans le meilleur intérêt de la population. C'est ça la démocratie. Peut-être pourriez-vous inclure les Premières nations dans ce processus démocratique, de façon à ce que les Autochtones ainsi que les organisations qui travaillent pour et avec eux ne pensent plus qu'à la fin d'un exercice financier ou d'un projet, ils devront de nouveau solliciter des fonds. On se sent étranger parfois, sans droit ni légitimité, quelque part; c'est à se demander si nous sommes vraiment les bienvenus, si nous faisons vraiment partie du système. On passe beaucoup de temps à prouver les droits historiques, les droits traditionnels, et à insister sur leur importance. Si tout cela pouvait être acquis, nous pourrions nous engager à long terme, comme société, pour 40 ou 400 ans.

C'est inacceptable que des personnes soient victimes d'abus, contractent le VIH ou soient tellement en dessous du seuil de la pauvreté qu'elles ne peuvent participer à la vie communautaire, qu'elles soient autochtones ou non. Il faut essayer de faire bouger les choses. La réponse au problème se situe quelque part entre la stricte proposition de projets et la dépense de sommes astronomiques.

Mme Valakakis : Concernant ce qu'a dit le sénateur Cook, nous devrions appuyer certains des projets en cours. Un de ceux-ci est la stratégie pour la santé mentale présentement mise au point par Santé Canada, l'ITK et l'APN. C'est une initiative importante pour régler les problèmes de façon intégrée et coordonnée.

Un autre de ces projets est le plan d'action sur la santé des Premières nations, développé par l'APN. Cela doit être au coeur des actions entreprises.

Quant au rôle des ONG, sachez qu'on a fait appel à la Fondation autochtone de guérison, à l'Assemblée des Premières nations ainsi qu'à d'autres organisations et à toutes nos églises pour qu'elles s'occupent de la question des pensionnats indiens. Les églises sont très engagées dans le processus de règlement mené par le juge Iacobucci. Nous nous réjouissons de leur coopération, de leur intérêt et de leur travail à ce chapitre.

En outre, il convient d'offrir une formation de sensibilisation aux différences culturelles aux gens qui décident d'aller travailler dans le Nord ou dans les réserves en général. L'histoire que je vais vous raconter illustre à quel point c'est important. On m'a demandé de prendre la parole devant des étudiants en médecine de deuxième année de l'Université d'Ottawa. Lorsque j'ai commencé à parler des pensionnats indiens, une femme a levé la main, dans le fond de la salle, et m'a demandé : « Veuillez m'excuser, mais que sont les pensionnats indiens? » Personne dans l'assistance ne connaissait la réponse, et il n'y avait pas non plus d'Autochtones, évidemment. L'Université d'Ottawa s'efforce de remédier à la situation, ce que j'apprécie.

Dans tout le Canada, nous estimons qu'il y a environ 200 médecins autochtones, dont seulement une psychiatre : Cornelia Wieman. Il y avait aussi Clare Brant de Tyendinaga, mais il nous a quittés. Ce sont les deux seuls psychiatres autochtones au Canada.

Bien qu'il soit capital d'initier les gens qui décident de s'établir dans le Nord à la culture autochtone, il est encore plus important de mettre l'accent sur la formation des Autochtones dans des domaines spécialisés. Nous avons accès à des programmes de certificat, mais nous voulons aussi des diplômes universitaires. Le sénateur Gill et moi-même avons beaucoup travaillé pour le collège Manitou, il y a 30 ans. Les besoins en matière d'éducation post-secondaire pour les Autochtones sont encore présents aujourd'hui.

Le besoin de soutenir le rythme de croissance dont nous sommes actuellement témoins sur le plan de l'éducation autochtone est criant, et ce soutien doit aussi s'appliquer aux études supérieures et au perfectionnement professionnel. Dans dix ans, nous aurons beaucoup plus de médecins. Si nous avions fait dans le domaine des services médicaux ce qui s'est fait dans le domaine juridique dans le cadre d'un programme de formation des Indiens de la Saskatchewan, nous aurions des médecins. Nous ne serions pas assis à la table pour discuter du fait que nous n'avons qu'un seul psychiatre autochtone. Le programme de la Saskatchewan a fait ses preuves. Nous comptons toutes sortes d'avocats autochtones. En raison du programme de droit inuit offert à Iqaluit, nous avons maintenant beaucoup plus d'avocats inuits. Si nous pouvions faire la même chose dans le domaine de la médecine, nous ferions des merveilles. C'est extrêmement important.

Le sénateur Callbeck : Comme je viens de l'Île-du-Prince-Édouard, l'actuel débat m'a vraiment ouvert les yeux. Pour enchaîner sur ce qu'a dit Mme Valaskakis, bon nombre d'entre vous, aujourd'hui, avez parlé du manque de personnel dans le domaine de la santé et de personnel formé issu des Premières nations, des Métis et des Inuits. Que fait le gouvernement fédéral actuellement? Sommes-nous dans la bonne voie? Est-ce que nous faisons mieux? Devrions-nous faire plus que ce que nous faisons actuellement? De quelle façon devrions-nous modifier notre façon d'attirer dans le domaine des soins de santé plus de membres des Premières nations, des Métis et des Inuits?

Mme Lyon : Voilà une excellente question. Pour ce qui est d'inciter plus d'Autochtones à faire carrière dans le domaine de la santé, le gouvernement fédéral fournit un soutien à l'éducation par l'intermédiaire des Affaires indiennes et du Nord canadien, mais cette aide n'a pas suivi le rythme de croissance de la population. Par conséquent, bien des gens n'ont pas accès aux fonds et, s'ils reçoivent de l'aide, ils obtiennent parfois une allocation de subsistance qui est souvent insuffisante. Ainsi, des familles doivent vivre avec 1 100 $ par mois peut-être, alors que le chef de famille tente de faire des études.

Là où je travaillais auparavant, nous avions l'habitude d'administrer le programme d'admission des infirmières autochtones à partir de Lakehead University. Des gens venaient à Thunder Bay des collectivités du Nord accompagnés de familles de six enfants, ce qui soulevait bien des questions sociales en termes de réinstallation, de vie en milieu urbain et ainsi de suite. Souvent, ce genre de choses ne reçoit pas de soutien. Il est difficile de mener ses études jusqu'au bout. Même dans ma propre situation, il faut déployer cinq fois plus d'efforts pour y arriver. Les infirmières autochtones qui ont réussi à faire quatre ou cinq années d'études universitaires sont des personnes très déterminées et, une fois qu'elles sont sur le marché du travail, des ressources très solides.

Le problème est essentiellement un manque de fonds. Il faut aussi fournir plus d'information sur les carrières dans le domaine de la santé. Comme nous avons travaillé dans ce domaine pendant un bon bout de temps, nous constatons, tout comme pour la pénurie des médecins et d'infirmiers, que tout le monde se précipite pour promouvoir tout à coup les carrières dans le domaine de la santé. Nous en faisons la promotion depuis 15 ans maintenant, dans le cadre du Programme des carrières de la santé pour Indiens et Inuit, une initiative lancée par un médecin autochtone qui travaille actuellement à Thunder Bay. Sur certains plans, nous avons fait œuvre de pionniers, mais, par contre, nous accusons du retard sur le plan du financement. Nous avons besoin de plus de fonds pour admettre plus de personnes dans ces programmes.

Le sénateur Callbeck : Vous avez dit tout à l'heure que certains d'entre eux sont incapables d'obtenir du financement. Quelle en est la raison?

Mme Lyon : Prenons l'exemple de l'étudiant en médecine. Les frais annuels de scolarité s'élèvent en moyenne à 15 000 $, par opposition à d'autres programmes qui ne coûtent que 5 000 $ ou 6 000 $ par année. Plus de ressources sont consacrées à ce genre de programme. Si j'ai bien compris, l'aide financière est plafonnée à quatre ans. Or, pour être admis à l'école de médecine, il faut tout d'abord un grade de premier cycle, ce qui prend quatre ans. Ainsi, avant même d'entrer à l'école de médecine, vous avez déjà reçu l'aide maximale.

Il en va de même pour le programme des infirmières autochtones. Il existe un programme de préparation, mais à la fin de la quatrième année, il ne reste plus rien pour la cinquième. Ce sont là des problèmes également. Les collectivités qui contrôlent les fonds consacrés à l'éducation doivent tenir compte des priorités. Il y n'y a tout simplement pas assez de fonds.

Mme Randall : Pour renchérir sur ce qu'a dit Mme Lyon, un des plus grands obstacles à l'augmentation des ressources humaines dans le domaine de la santé, au sein des collectivités inuites, est le taux de décrochage au niveau secondaire, qui est de 76 p. 100 dans toutes les régions inuites. Or, si vous ne terminez pas vos études de niveau secondaire, il est fort probable que vous ne ferez pas d'études postsecondaires.

Le gouvernement fédéral examine certaines stratégies relatives aux ressources humaines dans le domaine de la santé, plus particulièrement, des stratégies inuites, ce qui faisait partie des 700 millions de dollars annoncés. Le défi a été incroyablement difficile à relever, et il a fallu beaucoup de temps pour convaincre ceux qui détiennent le pouvoir de décision au sujet de cet argent que le meilleur endroit peut-être où commencer à dépenser cet argent n'est pas à l'université, qu'il faut d'abord lutter contre le décrochage chez les jeunes. Il faut que les programmes offerts dans les collectivités inuites correspondent aux besoins d'éducation des Inuits. De nombreuses collectivités n'offrent pas de cours de mathématiques, de sciences et d'anglais de niveau suffisamment élevé. Il faudra considérablement les enrichir si l'on veut que les jeunes soient diplômés à la fin de leurs études secondaires. Quant à la pertinence du programme d'études d'un point de vue inuit, celui du Nunavut s'inspire du modèle albertain. Des rencontres avec des étudiants inuits ont permis d'établir que la principale raison du décrochage au secondaire est l'ennui. Il faut offrir des programmes axés sur la collectivité et certains de ces programmes de certificat. L'accréditation et les possibilités de formation régionale ont un rôle à jouer. Comme exemple, parlons du rôle de la sage-femme. Allez dans les centres de naissance de Nunavik ou de Rankin Inlet et observez par vous-même ce que font les sages-femmes. Elles ne l'ont pas appris à l'université.

Sur le plan des ressources humaines dans le domaine de la santé, un autre problème qui fait constamment surface est le besoin de mentorat et de débloquer des ressources pour ceux qui prennent les décisions, de même que le besoin de faciliter la progression. Si quelqu'un souhaite devenir un représentant communautaire de la santé et qu'il travaille au sein de la collectivité, le soutien consiste à aider la personne à devenir une infirmière ou une conseillère en bien-être mental ou à continuer à gravir les échelons comme elle le souhaite. Il faut inclure du mentorat dans toute stratégie relative aux ressources humaines.

Nous sommes en train, suite à l'annonce fédérale, de développer une stratégie relative aux ressources humaines dans le domaine de la santé, et nous insistons sur les jeunes. En fait, on nous a dit d'insister sur les jeunes. Ce sont eux l'avenir, et si l'on peut les empêcher de décrocher, ils deviendront les travailleurs de demain.

M. Atleo : J'aimerais intervenir brièvement pour dire que mon père, Richard Atleo, a, dans le cadre d'un projet de recherche en éducation mené en Colombie-Britannique il y a 15 ans, examiné la question des études en milieu scolaire. Il se plaît à me rappeler que pendant des milliers d'années les Premières nations Nuu-chah-nulth réussissaient fort bien à préparer leurs membres à assumer tous leurs rôles dans la vie de manière à avoir une collectivité équilibrée et saine. Ce n'est en réalité que depuis 140 ou 150 ans, sur la côte ouest du Canada, que nous n'arrivons plus à le faire, un échec inédit dans notre histoire. Je dois souligner à nouveau que mon père est reconnu comme étant un des premiers membres des Premières nations de l'ouest du Canada à faire des études de doctorat. Il importe toujours de garder à l'esprit non seulement le but, mais aussi le point de départ.

Ce qui m'a vraiment aidé, c'est la connectivité, voire la capacité de faire ma maîtrise à distance, à partir de mon territoire ancestral, sans avoir à me rendre à l'Université de Colombie-Britannique. J'ai fait mes études dans quatre universités; ainsi, j'ai suivi des cours de l'University of Technology, à Sydney, en Australie, de l'University of the Western Cape, en Afrique du Sud, de l'Université de Linkoping, en Suède, et de l'Université de la Colombie- Britannique. J'ai une maîtrise en éducation avec concentration en changement mondial et en apprentissage des adultes.

Voici ce que je pense : nous sommes en train de faire un exercice d'apprentissage au sujet des lacunes et des problèmes. Une partie de la solution pourrait être la connectivité. Si nous pouvons soutenir l'accès aux bonnes connexions à haute vitesse, nos membres peuvent demeurer chez eux et n'auront plus à s'exiler. Ainsi, ils réussissent à intégrer leur apprentissage, préférablement dans un contexte éducatif démocratique qui accorde de la valeur aux enseignements et aux traditions des Premières nations comme étant l'égal de la recherche scientifique, par exemple. Je crois que ce pourrait être une des nombreuses solutions. À nouveau, il faut que les cours soient conçus par les Premières nations, et ce qui s'est dit au sujet du nombre de psychiatres m'a intéressé. Ma fille songe à devenir psychiatre, et je vais l'encourager à le faire.

[Français]

Le sénateur Pépin : Ma question s'adresse à Mmes Randell et Gideon. À mon avis, la formation devrait être offerte dans vos communautés. Toutefois, comment procéder? Il est difficile pour une personne ayant des enfants de quitter pour Montréal pendant deux ans. Il faut garder les enfants dans les écoles et leur servir de mentor.

Dès l'âge de 11 ans, j'ai su que je voulais devenir infirmière, grâce à deux infirmières, proches de moi, qui m'ont inspirée.

Lorsque je suis allée à Iqaluit et à Kujuak, j'ai pu constater certains faits. Les mères, par exemple, accouchent dans des maisons de naissance plutôt que de faire appel à un obstétricien. Que pourrait-on faire pour s'assurer que la formation aux infirmières traditionnelles soit offerte dans vos communautés?

L'appui à l'éducation et aux programmes de mentorat est important. Quelles suggestions auriez-vous pour faire en sorte qu'une personne ne soit pas obligée de s'expatrier à Montréal ou en Alberta pendant deux ans pour suivre sa formation?

Mme Gideon : Il est difficile de répondre à cette question. Si on avait la réponse, les démarches seraient déjà entamées. À mon avis, le point de départ se situe dans les écoles de nos communautés, notamment avec l'établissement de commissions scolaires. Dans les Premières nations, il n'existe aucune commission scolaire qui appuie les écoles primaires et qui établisse des liens avec les écoles secondaires provinciales. La plupart de nos membres doivent se rendre à l'extérieur de la communauté pour fréquenter l'école secondaire. Des liens doivent donc exister avec ces écoles pour développer et mettre en œuvre des programmes visant à appuyer les étudiants intéressés aux domaines des soins infirmiers.

Au niveau universitaire, il faudrait créer des établissements accessibles pour les milieux où on retrouve une concentration de communautés de Premières nations. Il faudrait également disposer de moyens technologiques facilitant la communication à distance, tel que suggérés par le chef régional. Un étudiant pourrait ainsi compléter une bonne partie de ses études à domicile, tout en étant supervisé par vidéoconférence — on pense, par exemple, à Télésanté. Ces outils technologiques seraient très utiles.

L'exemple du Dr. Weiman soulevé par le Dr. Vlaskakis est très intéressant. Le Dr. Weiman est membre de la réserve des Six Nations. Elle s'est rendue dans sa communauté pour pratiquer la médecine. Toutefois, on ne pouvait lui verser un salaire suffisant pour lui permettre de survivre, car la communauté n'avait pas le financement nécessaire pour lui offrir une rémunération adéquate à son champ d'expertise. Le Dr. Weiman a dénoncé cette réalité avec beaucoup de courage lors de plusieurs forums.

Une des priorités que nous soulevons en matière de ressources humaines dans le secteur de la santé est l'importance des salaires compétitifs. Il faut aider les communautés à être compétitives afin qu'elles puissent attirer des professionnels. Malheureusement, ce soutient n'existe pas pour l'instant.

Mme Randell soulevait la stratégie d'investissement de 100 millions de dollars annoncée en septembre 2004. Le roulement de ce financement n'est toujours pas en marche et se limite aux agences centrales. Santé Canada refuse de reconnaître la nécessité de concevoir des stratégies spécifiques à chaque population des Premières nations et Métis. Par conséquent, le concept d'une stratégie Autochtone n'inclut pas un financement auquel les communautés ont accès. Le financement est utilisé par des organismes, pour la plupart non Autochtones, qui établiront des programmes ciblant les Autochtones. Il est impossible de déterminer à quel point les communautés seront impliquées dans ces initiatives. Cette mesure ne réussira donc pas à fermer le cercle du processus par lequel un étudiant quitte vers un établissement d'enseignement et retourne à sa communauté. À un certain point, la communication se brise dans cette stratégie artificielle. Cette stratégie admet l'existence des peuples autochtones, toutefois elle ne considère pas les différences culturelles.

Pour établir et renforcer les liens entre les communautés et le secteur de l'éducation, les communautés devraient recevoir le financement directement et disposer d'un pouvoir de décision sur le développement des stratégies. Il serait important de souligner cet aspect.

[Traduction]

Mme Randell : J'aurais quelques observations à faire si l'on veut avoir des programmes de niveau communautaire réalistes et pertinents. Tout d'abord, il faut créer la demande, et celle-ci commence dans le système scolaire même : il faut que les jeunes veuillent devenir infirmiers, médecins, astronautes — qu'ils rêvent d'une certaine carrière même si ce n'est pas dans le domaine de la santé. S'ils ont des buts et des aspirations, ils auront une meilleure santé mentale, ce qui aura un grand effet sur la santé.

Pour ce qui est des questions de compétences, il faut les examiner du point de vue des ressources humaines en matière de santé. Le système de santé affirme que nous sommes responsables d'améliorer et d'accroître le nombre d'Autochtones ou d'Inuits qui travaillent dans le domaine de la santé, mais qu'il vaut mieux que nous nous tenions à l'écart du système d'éducation parce qu'il s'agit là d'une responsabilité provinciale. La barrière à surmonter est si grande. La stratégie qu'ont proposée les Inuits est réduite en pièces. On nous a déjà dit que bon nombre des recommandations ne peuvent pas être mises en œuvre parce qu'elles sont du ressort du ministère de l'Éducation des provinces et des territoires.

Voyez quels programmes sont efficaces, comme le programme de droit d'Iqaluit. Il y a des enseignements à en tirer. Les enseignants se sont rendus dans la collectivité, de sorte que les étudiants n'ont pas eu à la quitter. Les étudiants ont reçu de l'aide. On les a payés pour faire des études de manière à ce qu'ils puissent suivre des cours, continuer de soutenir leurs familles et vivre dans une région où le coût de la vie est élevé.

Et qu'en est-il du programme de soins infirmiers? Il fallait prévoir une année de rattrapage pour la mise à niveau des connaissances avant que l'étudiant puisse commencer les cours universitaires. Quatre étudiants de Pelly Bay, je crois, souhaitaient le faire, de sorte qu'ils ont déplacé le programme jusqu'à Pelly Bay et ont permis à ces quatre étudiants d'y demeurer durant cette année-là et de faire leurs études ainsi.

Il faut aussi examiner les régions. Les communautés inuites sont très réalistes. Elles comprennent qu'au sein d'une communauté de 200 ou de 400 âmes, il est probable qu'il n'y aura pas de programme de soins infirmiers ou même de programme de certificat en bien-être mental. La population n'appuie pas l'idée. Cependant, on nous a demandé de mettre sur pied des programmes régionaux et nationaux. Les Inuits de Nunatsiavut souhaitent travailler de concert avec les Inuits du Nunavik à élaborer un programme de traitement de la toxicomanie axé sur la culture et les valeurs inuites. Pour l'instant, il est difficile de partager les renseignements et les ressources parce que les sources de l'argent fédéral ne sont pas les mêmes au sein de chaque compétence. Ainsi, les Inuits du Nunatsiavut l'obtiennent de la Région atlantique alors que ceux du Nunavik l'obtiennent de la Région de Québec, et jamais les deux ne se rencontreront. C'est là un obstacle, mais il importe de dire qu'on reconnaît que toute la formation ne peut pas se faire au niveau communautaire. Il reste encore beaucoup à faire pour avoir une formation de niveau régional.

Le sénateur Gill : Je tiens à souligner ce qui a été dit au sujet de l'éducation et des différents établissements. Mme Valaskakis a mentionné que nous avions accompli quelque chose dans le domaine du droit, mais pas grand chose dans les autres domaines. Une des sources de problèmes pour la plupart des gens, c'est que bien que nous aimerions avoir plus de services, comment arriver à une concertation des Indiens de plus de 600 communautés? Comment arriver à une solution pour chacune d'entre elles? Rien ne se fait parce qu'on ne sait pas quoi faire.

Pendant longtemps, il y a eu la Loi sur les Indiens et les Affaires indiennes, et la seule institution reconnue dans la Loi sur les Indiens était le conseil de bande. Je suis innue, et ma nation se trouve sur la côte nord du Labrador. Quand on souhaite s'organiser, sur le plan politique ou sur tout autre plan, c'est impossible. On ne vous reconnaît pas comme interlocuteur valable. La seule façon est de passer par le conseil de bande. Je ne souhaite pas lancer un débat à cet égard. Ma bande, par exemple, fait partie d'une nation, qui en compte douze. Ainsi, au Québec, il y a neuf nations, non pas 42. Nous sommes 42 bandes, mais nous représentons neuf nations. Si nous reconnaissons le fait dans l'institution que nous souhaitons créer, ce sera plus facile, mais jusqu'ici rien ne s'est fait.

Quand il est question de santé, d'éducation, de culture et ainsi de suite, nous n'arrivons pas à nous organiser de manière à avoir différentes compétences à différents niveaux — c'est-à-dire un certain pouvoir au niveau de la nation, un autre au niveau de la bande, du pouvoir au niveau provincial et du pouvoir au niveau fédéral. Je suis représentée par l'APN. Ce sont eux mes chefs, ce sont eux qui représentent mes nations. Cependant, aux yeux du gouvernement, tout dépend. Si le chef négocie bien et qu'il s'entend bien avec le ministre, nous obtiendrons peut-être quelque chose. Toutefois, il n'existe rien, sur le plan juridique, qui serve de tribune commune au gouvernement et à ces gens. Nous avons besoin d'institutions organisées par nos membres, par les Premières nations et par les Inuits, et il faut ensuite que ces institutions soient reconnues. Nous pourrions alors chercher à répondre à nos besoins en matière de santé, par exemple former des médecins, et à mettre sur pied nos propres programmes et institutions. Peut-être pouvons-nous le faire avec les universités et d'autres, mais de cette façon, les gens pourront obtenir ce qu'ils veulent et commencer à se prendre en charge. Je tenais à vous le dire.

Le vice-président : Nous allons maintenant nous arrêter pour le déjeuner et nous serons de retour à 13 heures précises.

La séance est levée.


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