Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 1 - Témoignages du 17 novembre 2004
OTTAWA, le mercredi 17 novembre 2004
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 22, afin d'examiner l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergeants au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, et aux audiences publiques sur l'état des médias d'information au Canada. Nos premiers témoins à comparaître ce matin font partie de la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités, qui a été établie en 1919 et qui représente environ 10 000 femmes au Canada.
Madame Russell, allez-y.
Mme Susan Russell, directrice générale, Fédération canadienne des femmes diplômées des universités : Il me fait plaisir d'être ici aujourd'hui. Nous vous remercions de nous permettre de comparaître et de présenter ce rapport sur la situation actuelle des industries canadiennes et des médias. La Fédération canadienne des femmes diplômées des universités, la FCFDU, est la plus importante des 78 organisations qui composent la Fédération internationale des femmes diplômées des universités. La FCFDU est un groupement visant l'égalité des femmes qui représente environ 10 000 femmes diplômées des universités au Canada, qui proviennent de toutes les disciplines. Les membres participent activement aux affaires publiques, notamment dans le but d'améliorer la situation socioéconomique et juridique des femmes et de faire progresser les dossiers liés à l'éducation, l'environnement, la paix, la justice et les droits de la personne. La FCFDU surveille la législation et les questions actuelles, intervient sur les questions internationales et travaille à faire connaître ses politiques. Il s'agit d'une organisation non gouvernementale, non partisane, sans but lucratif, qui s'autofinance et qui est doté d'un statut consultatif spécial auprès de la Commission de la condition de la femme de l'Organisation des Nations Unies. À titre de membre de la Fédération internationale des femmes diplômées des universités, la FCFDU a des liens avec d'autres organisations des Nations Unies et est représentée à l'UNESCO, au Comité sur l'éducation et au Sous-comité canadien de l'UNESCO. Les membres de la FCFDU cherchent à réagir aux préoccupations en présentant des résolutions qui font l'objet de recherches et de discussions intensives dans tout le pays et qui deviennent des politiques lorsqu'elles sont adoptées lors de l'assemblée générale annuelle. Cette présentation traite donc des droits et des responsabilités des médias, tels qu'ils sont définis par la politique de la FCFDU.
Mme Sheila Clarke, directrice, législation, Fédération canadienne des femmes diplômées des universités : Je suis privilégiée d'être ici et de vivre dans un pays où les groupes de partout au pays peuvent venir s'adresser au gouvernement. Cela est très important pour nous d'être ici. Les sénateurs ont en main nos documents de référence. Permettez-moi de préciser que la présentation que je fais ce soir a été rédigée par la présidente de la FCFDU. Le document de référence contient tous les renseignements nécessaires.
La FCFDU croit que l'identité canadienne pourrait être menacée par les tendances actuelles à la monopolisation des médias, par l'éventualité grandissante de la propriété étrangère dans les médias canadiens, qui menacent les médias publics, par exemple Radio-Canada, et par l'insuffisance de la protection accordée aux droits d'auteur des écrivains, des radiodiffuseurs, des photographes et des journalistes au Canada. La FCFDU s'inquiète des pressions accrues sur l'industrie de la publicité canadienne. Je traiterai de ces questions telles qu'elles sont décrites dans les politiques de la FCFDU.
Nous avons consulté les transcriptions du comité et son rapport intérimaire depuis un certain moment. J'ai été surprise du fait que nous étions l'un des rares groupes sans liens directs avec l'industrie à avoir présenté un témoignage. Les questions relatives aux droits des médias et leurs responsabilités sont importantes pour les gouvernements. Vous êtes le troisième comité à s'être penché sur cette question dernièrement. Cela indique clairement que c'est un dossier important qui aura des effets directs sur la définition de notre pays.
La vraie question est la suivante : quelle voie les Canadiens désirent-ils emprunter tout en préservant leur identité culturelle? Les questions de la propriété canadienne des sources de communication, y compris l'édition au Canada, ont été bien débattues dans le rapport de Patrimoine Canada; dans le document de travail intitulé « Ownership by Canadians »; et dans le rapport d'Industrie Canada. Les deux premiers documents visaient surtout les droits et les responsabilités des médias par rapport à la culture et à l'identité canadienne. Le dernier document abordait le sujet par rapport au développement économique. Nous espérons que ces deux éléments ne seront pas complètement séparés.
Je vais commencer par parler de l'effet des monopoles. J'aimerais préciser quelque chose au sujet du terme « monopole » qui est utilisé dans notre politique. La mode actuelle est d'utiliser le terme « convergence ». J'aimerais attirer l'attention des sénateurs sur un article rédigé par Rich Gordon, un professeur de journalisme de la Northwestern University, en Illinois. Il a fait un article détaillé et excellent au sujet du mot « convergence » et sa signification. Ce terme est devenu très utilisé et possède divers sens.
La présidente : Madame Clarke, pourrez-vous donner au greffier la référence précise avant de quitter?
Mme Clarke : D'accord. La technologie des médias est un domaine où l'on utilise ce terme pour parler de convergence de modes. Nous connaissons bien la signification du terme convergence lorsqu'il s'applique au courriel, à l'Internet, à la télévision, à la radiodiffusion, à la câblodistribution, etc.
L'autre utilisation du terme, qui relève l'organisation des médias, se rapporte à la propriété, au marketing tactique, à l'accroissement des recettes ainsi qu'à la collecte et la présentation de l'information. Dans ce sens, le terme signifie plutôt monopole, et c'est ce sens que nous utilisons.
Je vais lire nos résolutions au fur et à mesure afin de les intégrer à notre présentation. Sur la question des monopoles :
Il est décidé que la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités insiste auprès du gouvernement du Canada pour qu'il modifie les dispositions de la Loi sur la concurrence régissant les pratiques commerciales de l'industrie de la presse écrite et électronique au Canada, en particulier celles figurant à l'alinéa 79(1)a) de la loi, en remplaçant le mot « peut » par le mot « devrait ». Ce faisant, la loi interdirait la constitution de monopoles;
Il est décidé que la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités étudie les répercussions de la fusion des entreprises dans le domaine des médias de masse et prenne des mesures additionnelle, s'il le faut, pour préserver la diversité des opinions et la liberté d'expression au sein de la presse canadienne.
Je précise que nous utilisons une politique de 1997, car à cette époque, nous avons été témoins de la tendance grandissante de la concentration des médias, ce qui nous préoccupait. Nos préoccupations n'ont pas diminué. À mesure que les entreprises de médias ont acquis des journaux, des revues, des réseaux de radio et de télédiffusion, elles ont réalisé des économies d'exploitation grâce à la centralisation, amélioré l'efficacité du personnel, abaissé les coûts de livraison et amélioré la couverture publicitaire, bref, elles ont mis en œuvre tout ce qui est aujourd'hui considéré comme de saines pratiques commerciales. M. Dwayne Winseck, de l'Université Carleton, a écrit ceci :
En raison de ces changements, les Canadiens possèdent maintenant l'un des réseaux médiatiques les plus intégrés dans les pays développés et un éventail sans pareil de propriétés multimédias. Dans un laps de temps étonnamment court, la propriété multimédia est devenu la norme au lieu de l'exception.
Comme les entreprises de radiodiffusion cherchent à profiter des occasions de développement économique, il importe de considérer comment ces activités peuvent affecter la liberté de pensée, afin de protéger le droit des auteurs et des autres contributeurs canadiens et de préserver la culture et les valeurs canadiennes dans les médias.
La FCFDU met en doute la valeur de la multiplication sans précédent des fusions d'entreprises pour les Canadiens qui désirent une presse libre, indépendante et diversifiée, comme le garantit la Charte des droits et libertés. Cela pose aussi la question de la propriété étrangère, qui est considérée par certains comme une réponse à la concentration de propriété. La FCFDU souligne le passage suivant de la Loi sur la radiodiffusion :
Le système canadien de radiodiffusion doit être, effectivement, la propriété des Canadiens et sous leur contrôle... et il est ordonné au conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes de ne pas délivrer de licence de radiodiffusion ni d'accorder de modifications ou de renouvellement de telles licences aux demandeurs qui ne sont pas Canadiens.
Le détenteur d'une licence de radiodiffusion, en ce qui a trait à la propriété étrangère, est limité à 20 p. 100.
La FCFDU croit, tout comme Peter Murdoch, que « ceux qui possèdent les médiums sont ceux qui contrôlent le message ». La propriété étrangère accrue en matière de radiodiffusion a soulevé la question suivante : De quels pays les Canadiens entendront-ils les nouvelles? Bien sûr, nous devons nous demander si nous aurons nos nouvelles et si elles seront interprétées de notre manière.
Nous nous demandons également si des sociétés d'autres pays qui viendraient contrôler nos médias seraient immunisées contre les forces de la convergence ou du monopole.
Une autre politique de la FCFDU traite de la question de la propriété canadienne de l'industrie de l'édition au Canada et de l'appui aux éditeurs canadiens. On pourrait dire, par rapport à cette question, que le comité se penche sur les médias et que des travaux ont été effectués au sujet de l'édition des livres. Nous avons été habitués de faire une différence dans les catégories de média, soit les journaux, la radio, les télécommunications et l'édition. Mais il s'agit ici de voix, des voix des Canadiens dans les médias canadiens.
Un exemple de cela s'est produit avril, et c'était la première fois qu'une licence commune créative était utilisée et qu'un auteur faisait lire son livre, un chapitre à la fois, par des personnes qui le faisaient de manière bénévole et qu'il l'a affiché gratuitement sur l'Internet pour de courtes périodes. Ceci est définitivement un croisement entre l'édition et la question de la responsabilité des médias.
La politique de la FCFDU précise ce qui suit :
Il est résolu que la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités incite le gouvernement du Canada à renforcer l'infrastructure de l'industrie de l'édition que possèdent et contrôlent des intérêts canadiens en assurant le financement continu des programmes qui aident les éditeurs canadiens à publier et à distribuer des œuvres écrites par des Canadiens.
Il est résolu que le Fédération canadienne des femmes diplômées des universités presse le gouvernement du Canada de renforcer la Loi sur l'investissement Canada de manière à faire en sorte que, lorsqu'elles sont mises en vente, les maisons d'édition possédées et contrôlées par des Canadiens restent entre les mains de Canadiens ou d'immigrants reçus.
Comme l'a précisé le Comité permanent du patrimoine canadien, les subventions gouvernementales ont permis à l'industrie d'atteindre des objectifs culturels importants, soit publier des auteurs canadiens et les faire connaître au Canada et partout dans le monde. Cependant, l'établissement d'une industrie financièrement stable et durable est demeuré un objectif lointain.
En ce qui concerne la question du regroupement d'entreprises et des monopoles, voici quelques-uns des principaux changements qui se font dans l'industrie de l'édition du livre canadienne : le regroupement des points de vente sous la forme de magasins à grande surface contrôlés par un petit nombre de sociétés; l'introduction des marchés électroniques dans Internet; et une diminution de l'achat institutionnel de livres. La distribution sur Internet et le regroupement de la distribution de détail mettent une pression accrue sur les éditeurs, les incitant à offrir des prix plus bas aux distributeurs. De plus, il y a eu des problèmes réels en ce qui concerne les pratiques des retours, dans les contrats avec les détaillants principaux comme Indigo. La FCFDU presse le gouvernement d'offrir un appui continu à l'industrie de l'édition canadienne par rapport à ces défis.
Sur la question des droits d'auteurs des médias, la FCFDU déclare ce qui suit :
Il est décidé que la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités insiste auprès du gouvernement du Canada pour qu'il confie au ministère ou à l'organisme de réglementation compétent (comme le CRTC) la responsabilité de surveiller et de réglementer les pratiques commerciales de la presse écrite et électronique au Canada, en particulier lorsque ces pratiques violent la Loi sur le droit d'auteur du Canada et les droits d'auteur des journalistes pigistes;
La FCFDU appuie tous les efforts déployés en vertu de la Loi canadienne sur le droit d'auteur afin de protéger la propriété intellectuelle des journalistes, des photographes et des artistes.
Une affaire qui illustre ce point est celle de Heather Robertson. Mme Robertson, une écrivaine ontarienne qui collaborait depuis longtemps avec Thompson Newspapers, a découvert qu'une partie très importante de son œuvre était offerte en vente sans sa permission et sans rémunération, sur la base de données de Thompson, Infomart. Elle a intenté en 1996 une poursuite, Robertson contre Thompson, qui donné lieu à un recours collectif clé. Une décision récente a établi que l'utilisation électronique des œuvres d'un auteur constitue effectivement une utilisation distincte et qu'elle doit être rémunérée à part. La cause a duré sept longues années et a déjà coûté 20 000 $ à Mme Robertson. On s'attend à ce l'affaire dure encore trois ans et soit portée devant la Cour suprême du Canada. On estime qu'elle coûtera encore 20 000 $. Mais il y a eu récemment un règlement. Le 7 octobre 2004, la Cour d'appel de l'Ontario a accueilli la décision du tribunal inférieur selon laquelle les droits d'auteur ou les travaux d'un pigiste appartiennent à l'auteur. Les travaux sont disponibles pour les sociétés de médias, qui peuvent les utiliser conformément au contrat et ne peuvent les réutiliser sans permission ni rémunération.
Cependant, tout de suite après cela, il y a eu un communiqué de l'Association des éditeurs de revues du Canada, le 3 novembre. Je ne sais pas si vous êtes au courant de cela, mais CanWest Global a fait un nouveau contrat pour ses fournisseurs de contenu. Ce contrat contient le paragraphe suivant :
Les créateurs donneront à CanWest Global le droit exclusif de l'utilisation et de l'exploitation du contenu, quel qu'en soit le mode d'utilisation et le média utilisé, connu ou non, partout dans l'univers et de façon permanente.
Il ne peut y avoir de contrat plus global que celui-là. Alors que la décision en faveur de l'affaire Robertson a été rendue, ce contrat de CanWest annule toute la chose.
Les lois canadiennes relatives au droit d'auteur et à la concurrence devraient protéger la diversité canadienne, l'expression et le choix canadien et l'image canadienne qui sont exprimés par les milliers d'écrivains, photographes et artistes pigistes dans l'édition canadienne. La FCFDU appuie également un système national public indépendant fort :
Il est décidé que la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités incitera le gouvernement du Canada et les gouvernements des provinces et des territoires à reconnaître la valeur et l'importance incomparables d'un réseau public national de radiotélévision qui soit fort et indépendant, et qui permette aux Canadiens et aux Canadiennes de mieux se connaître et se comprendre, et qui soit le véhicule par excellent de l'identité et de la culture canadienne;
Il est décidé que la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités priera instamment le gouvernement du Canada de protéger et d'appuyer un réseau public national de radiotélévision, et d'en renforcer l'efficacité, en accordant de nouveau à la Société Radio-Canada un financement suffisant, garanti, stable et à long terme. Le réseau public sera ainsi en mesure :
De maintenir une programmation au contenu canadien de qualité dans toutes les régions du Canada;
D'éviter de se trouver dans une relation de trop grande dépendance avec les commanditaires du secteur privé et de subir ainsi leur contrôle;
De préserver sa liberté d'information.
La FCFDU se demande où les résidants du Canada pourront trouver des nouvelles communautaires et nationales canadiennes produites par des journalistes canadiens sans un système de diffusion public fort qui assure une expression libre et non restreinte par l'influence des entreprises. La FCFDU s'inquiète de la réduction constante du financement de la Société Radio-Canada et de l'avenir pour les médias indépendants et forts au Canada.
Le sondage Ispos-Reid publié en avril 2004, qui vous a déjà été remis, a révélé que 85 p. 100 des Canadiens souhaitent « voir la société Radio-Canada renforcée dans leur partie du Canada » et que 80 p. 100 étaient d'accords avec l'énoncé suivant : « Nous devons construire une nouvelle SRC capable d'offrir une programmation canadienne de haute qualité avec un contenu régional fort partout au Canada », ce qui est à l'opposé de ce qui se produit actuellement.
En résumé, la FCFDU appuie fortement l'augmentation du financement de la SRC, ainsi que les recommandations du Comité du patrimoine canadien sur la question de la propriété étrangère des médias et des communications. Le comité a recommandé que soient maintenues au niveau actuel les restrictions actuelles sur la propriété étrangère relatives à la radiodiffuse et aux télécommunications.
La FCFDU s'oppose à l'assouplissement des restrictions concernant la propriété étrangère dans le domaine de l'édition et des médias électroniques au Canada. La FCFDU vous presse de soutenir les auteurs, les photographes et les journalistes, qui sont des sources de contenu, afin que leur voix puisse continuer d'être entendue. La FCFDU fait appel au gouvernement du Canada pour qu'il apporte son soutien entier à Radio-Canada.
Le comité a également demandé d'être informé sur le rôle potentiel ou actuel des médias dans les écoles. Nous sommes heureux d'annoncer que nous venons d'adopter une politique l'été dernier à ce sujet. La politique de la FCFDU sur les bibliothèques scolaires précise particulièrement l'importance d'un financement adéquat et d'une dotation en personnel adéquate dans les bibliothèques scolaires afin de permettre l'initiation à la culture informationnelle :
Il est décidé que la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités priera instamment le gouvernement du Canada et les gouvernements des provinces et des territoires à :
Promouvoir l'importance de la culture informationnelle dans la société d'aujourd'hui;
De promouvoir le rôle fondamental des bibliothèques scolaires à tous les niveaux scolaires et à enseigner les compétences en matière de culture informationnelle;
Il est résolu que la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités incitera le gouvernement du Canada et les gouvernements des provinces et des territoires à :
Financer, appuyer et entretenir les bibliothèques scolaires à tous les niveaux scolaires, et à les doter de libraires-enseignants qualifiés;
Adopter des politiques et des normes pour les bibliothèques scolaires et les libraires-enseignants en travaillant avec des organisations professionnelles comme l'association canadienne des librairies scolaires.
Le XXIe siècle est un caractérisé par les changements technologiques rapides, la messagerie instantanée et la publication instantanée de nouvelles. La connaissance de l'information doit être une partie intégrante de l'éducation du public au Canada, et elle est bien incorporée dans les programmes scolaires des écoles élémentaires et secondaires lorsque les écoles possèdent des bibliothèques bien garnies avec des libraires-enseignants qualifiés qui montrent aux étudiants les aptitudes permettant d'évaluer et d'appliquer l'information.
La FCFDU félicite le comité de s'intéresser à l'industrie canadienne des médias, et en particulier aux droits et aux responsabilités de cette industrie au Canada.
La présidente : Merci beaucoup. Voilà de quoi réfléchir sérieusement; la première question sera posée par le sénateur Tkachuk.
Le sénateur Tkachuk : Si M. Turner déménageait CNN d'Atlanta à Toronto, est-ce que l'on pourrait empêcher cela?
Mme Clarke : Est-ce possible de préciser votre question?
Le sénateur Tkachuk : Et bien, si les Canadiens sont les seuls qui peuvent posséder une station de télévision ou de radio, et si M. Turner disait « Je veux déménager CNN d'Atlanta à Toronto et nous allons diffuser à partir de là », est- ce qu'il le pourrait?
Mme Clarke : C'est une question intéressante, et qui fait peut-être référence aux procédures et au protocole dont devrait discuter le gouvernement en matière de réglementation.
Je pense que nous respectons votre question et que nous reconnaissons ce que vous dites. Mais je crois que nous ne parlons pas des procédures. Nous parlons du concept de la protection de l'identité et de la culture canadiennes. À ce sujet, nous demandons au gouvernement de discuter des méthodes qui permettraient d'obtenir un équilibre entre les besoins des entreprises de médias pour atteindre une durabilité économique et, en même temps, la protection de la culture et de l'identité canadiennes.
Le sénateur Tkachuk : Autrement dit, la propriété étrangère à la bonne place est acceptable?
Mme Clarke : Voulez-vous parler du contrôle complet d'une société de médias canadienne?
Le sénateur Tkachuk : Oui, c'est cela. M. Turner ou d'autres personnes qui la détiennent.
Mme Clarke : Nous dirions qu'il est important de conserver le contrôle des sociétés canadiennes.
Le sénateur Tkachuk : Alors, il faudrait qu'elle soit une société canadienne pour qu'elle puisse déménager à Toronto.
Mme Russel : À ce sujet, nous croyons que cela dépend si cela se traduirait par un arrêt du financement de la part de la SRC, car il faudrait être naïf pour supposer que nous ne regardons pas les émissions américaines et d'autres pays. Nous appuyons le financement de sociétés de propriété canadienne.
Le sénateur Tkachuk : Lorsque vous parlez du financement des sociétés de propriété canadienne, voulez-vous parler de sociétés publiques?
Mme Russel : Nous sommes en faveur du contenu canadien.
Le sénateur Tkachuk : Cela voudrait dire, par exemple, la radio et la télévision de Radio-Canada, et toutes les subventions de programmation de télévision, de cinéma, etc.?
Mme Clarke : Cela comprendrait les sociétés commerciales également.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez cité M. Dwayne Winseck de l'Université Carleton : « ... Les Canadiens possèdent maintenant un des réseaux médiatiques les plus intégrés dans les pays développés et un éventail sans pareil de propriétés multimédias ». Croyez-vous que cette situation s'explique par un manque de concurrence? Autrement dit, selon vous, faudrait-il améliorer l'accès sur le marché? Devrions-nous empêcher les réseaux de télévision d'acheter des journaux, et inversement?
Mme Clarke : C'est une question intéressante, car ce regroupement de sociétés a eu lieu, pour la première fois, et c'est nouveau dans les pays développés. Cela semble être conforme à la Loi sur la concurrence, par exemple, en ce qui a trait au regroupement ou à la formation de monopoles. Là où la loi décrivait le regroupement en termes de propriété dans un domaine, c'est devenu comme un moyen utilisé par les entreprises pour acquérir d'autres sociétés. Cette loi a été appliquée en se demandant si elle avait empêché une société d'acquérir une autre société. En ce sens, la préoccupation primaire a été le développement économique de la société, et non l'intérêt du public qui subit les effets de ces acquisitions.
L'autre jour, j'ai entendu un commentaire intéressant à la radio. Il y avait une discussion au sujet de l'économie du Canada. Le commentateur a dit que les sociétés se retenaient ou se sont retenues pendant un certain moment pour évaluer le marché actuel, et le marché s'est amélioré, tout comme l'économie. Les sociétés recommencent à faire des acquisitions, et ce type d'acquisitions et de regroupements est devenu la norme dans notre économie. Nous ne disons pas que cela est une bonne ou une mauvaise chose, mais nous disons qu'il faut évaluer les conséquences pour les industries de médias, particulièrement par rapport à notre identité canadienne.
Le sénateur Tkachuk : Avons-nous plus de sources de nouvelles au Canada aujourd'hui qu'il y a 30 ans?
Mme Clarke : Je ne peux répondre à cette question exactement. Pouvez-vous me donner la réponse?
Le sénateur Tkachuk : Oui, je pense que je le peux, mais je ne suis pas le témoin. Je pose la question parce que vous avez parlé de la consolidation et que l'objectif principal de notre étude est de comprendre l'industrie des nouvelles d'aujourd'hui. Bien qu'il y ait de la propriété multimédia, pensez-vous qu'aujourd'hui nous avons plus de sources de nouvelles au Canada? Il semblerait que les Canadiens ont plus de sources de nouvelles aujourd'hui.
Mme Clarke : Je vais essayer de deviner la réponse. Premièrement, je dois reconnaître que j'étais nouvelle au Canada en 1968. Je crois savoir qu'avant 1968, il n'y avait pas de journaux nationaux. J'ai trouvé cette situation des plus étranges. Évidemment, maintenant il y en a deux. Je m'installe devant l'ordinateur tous les jours et je lis trois journaux sur Internet et il y a plus de sources disponibles. Un exemple pourrait être la Colombie-Britannique où il y a de nombreuses sources disponibles et la plupart d'entre elles appartiennent à une même entreprise. Est-ce que la réponse à votre question serait : oui, il y a plus de sources disponibles. Ou est-ce que la réponse serait : il y a plus d'occasions de lire de l'information provenant d'une même source? Cette question de la voix du propriétaire est importante.
Le sénateur Tkachuk : La personne de Vancouver peut également lire toutes les nouvelles de Toronto par un simple clic de la souris.
Mme Clarke : Elle peut le faire si elle en a envie et si elle en a la capacité. Pour cette réponse, j'attirerais votre attention sur la discussion que nous avons eue sur la sensibilisation aux médias dans les écoles.
Le sénateur Munson : Bienvenue au comité. Je préfère l'autre version que vous nous avez donnée auparavant. Il me semblait que vous frappiez plus fort en ce qui concerne les médias. Vous avez parlé de l'identité canadienne qui était grandement menacée dans l'autre rapport. Vous avez utilisé un langage très ferme, ce qui ne manque pas de plaire à une personne comme moi qui a déjà œuvré dans les médias.
Pour faire suite aux questions d'autres sénateurs, il peut y avoir de nombreuses voix qui se font entendre dans notre société, mais elles sont concentrées dans quatre ou cinq groupes de propriétaires. Est-ce bon pour la démocratie?
Mme Clarke : On vient juste de me tendre une autre perche. Je vais vous lire une citation savoureuse de la Cour suprême de Floride :
Le droit du public de connaître tous les points de vue dans une controverse et d'être en mesure, de faire un choix éclairé à partir de cette information est en voie d'être compromis par la concentration de plus en plus grande de la propriété des médias de masse entre des mains de moins en moins nombreuses, ce qui entraîne ultimement une forme de censure privée.
Je dirais que la démocratie se définit par l'accès à toute l'information en provenance de nombreux points de vue différents. Il s'agit d'un élément extrêmement important de la démocratie. Je reviendrai sur la notion de sensibilisation des adultes et des enfants aux médias. Nous sommes inondés d'information et ce, pendant que les entreprises continuent de croître et de s'intégrer. Les entreprises médiatiques qui fournissent cette information sont des organismes à but lucratif. L'utilisation qu'elles font de leurs plates-formes soulève la possibilité que l'information ne soit pas impartiale. En tant que personnes, nous devons être en mesure d'interpréter cette information. Je trouve qu'il s'agit d'un élément intéressant faisant l'objet de vos dernières questions. Comment les Canadiens sont-ils en mesure de comprendre et d'évaluer l'information qu'ils reçoivent? D'une part, nous pouvons traiter des notions de monopoles issus de la convergence, mais d'autre part, nous devons traiter de la façon dont nous aidons les Canadiens à réagir aux pressions qui s'exercent dans le marché des médias.
Le sénateur Munson : Dans la même veine, il n'y a pas si longtemps, vous pouviez lire le Ottawa Citizen et entendre une voix différente de celle du National Post ou de la Gazette de Montréal. Pourtant, si vous êtes desservis par les médias aujourd'hui, vous entendez la même voix dans de nombreux journaux. Il y a moins de voix aujourd'hui, bien qu'il puisse y avoir un nombre d'emplois un peu plus grand, pour essayer de comprendre une histoire particulière sur la colline, touchant le gouvernement. Êtes-vous d'accord?
Mme Clarke : Oui.
Le sénateur Munson : On peut dire la même chose des pigistes qui semblent une race en voie de disparition au pays et qui semblent contrôlés par les médias. Lorsque les pigistes écrivent quelque chose, même s'il y a une Loi sur le droit d'auteur au pays, leur reportage peut être vendu plusieurs fois, créant ainsi des profits pour ces nouvelles entreprises plus grosses.
Mme Clarke : Comme nous l'avons noté, le recours collectif de Heather Robertson a été tranché en sa faveur par la Cour d'appel de l'Ontario. La question peut encore se retrouver devant la Cour suprême, mais l'autorité en matière de droit d'auteur a été retournée au créateur par le tribunal.
Le sénateur Munson : J'ignorais tout de cette affaire. Peut-être qu'ils sont peu nombreux à la diffuser.
Mme Clarke : Il est intéressant que l'on n'ait pas parlé de cette affaire dans les médias. J'en ai entendu parler par un courriel que m'a adressé quelqu'un de notre organisme qui est spécialisée dans les médias. Elle m'a donné de cette information.
Elle m'a également informé du nouveau contrat de CanWest Global, ce dont vous n'avez peut-être pas entendu parler. Je vais juste répéter ce paragraphe.
La présidente : Le comité est déjà en possession de ce contrat; il nous a été transmis et sera mis en circulation dès qu'il aura été traduit. Nous traduisons les documents.
Le sénateur Munson : Ma dernière question porte sur le CRTC. J'ai posé la question l'autre jour parce qu'une partie de notre mandat consiste à voir quelle devrait être l'orientation de la réglementation gouvernementale dans l'avenir. Le CRTC semble prendre certaines décisions controversées. Il refuse la diffusion de RAI Television au Canada parce qu'elle ferait concurrence à la télévision italienne locale à Toronto. Dans le cas d'Al-Jazeera, il prévient qu'il y a des choses que l'on peut dire dans ce pays et d'autres que l'on ne peut pas dire. Je ne suis pas d'accord avec Fox Television, mais cela ne me ferait rien de voir cette station diffusée au pays, parce que j'ai beaucoup de plaisir à voir comment ces gens rapportent les nouvelles et les interprètent. Il s'agit d'une frontière transparente maintenant. Quel est votre point de vue sur la question de laisser tout le monde entrer et transmettre de l'information dans ce nouvel univers?
Mme Clarke : C'est déjà ce qui se passe à l'heure actuelle. Vous pouvez mettre votre téléviseur en marche et selon le type de service auquel vous êtes abonnés, vous pouvez avoir accès, d'une façon ou d'une autre, à presque n'importe quel média dans le monde. Moi aussi j'ai trouvé certaines de ces décisions intéressantes et peut-être un peu controversées.
La FCFDU n'a aucune objection à ce qu'on ait accès à différentes voix. Le point que nous voulons faire valoir, c'est que dans le contexte de cette approche, du marché actuel et de la grande diversité des sources qui sont accessibles, les voix que nous créons et que nous surveillons au Canada devraient refléter notre identité. Si nous autorisons la propriété étrangère et si nous permettons à d'autres pays de contrôler nos médias, j'ai bien peur qu'il est certain qu'un monopole dans un autre pays, qui contrôlerait une de nos entreprises médiatiques, n'exprimerait pas notre voix. Initialement, cette entreprise pourrait dire qu'elle le fera, mais si l'on considère que le but, c'est le profit et la viabilité économique de l'entreprise, l'objectif de l'entreprise sera de faire entendre sa propre voix.
Mes lectures sur Clear Channel aux États-Unis, l'entreprise de médias et de radio, et sur la façon dont elle a réalisé son intégration aux États-Unis, m'ont soudainement inspiré cette vision, dont le comité a parlé, j'en suis sûre, que si nous levons l'interdiction touchant la propriété étrangère et si nous nous laissons dominer par d'autres cultures et entreprises, qu'est-ce qui empêchera ce processus de se poursuivre à l'échelle mondiale? Nous pourrions en arriver à la situation absurde où quatre entreprises pourraient contrôler tous les médias dans le monde.
Chaque pays a le droit de respecter, de préserver et de surveiller sa propre identité et sa propre culture. Nous savons que nous sommes différents. Des études très variées montrent que nous avons une sensibilité différente de celle que l'on retrouve dans d'autres pays. Nous sommes le produit de ce que nous sommes en tant que peuple. Mais nous sommes également le produit de l'image que nous nous renvoyons à nous-mêmes. Lorsque nous lisons, lorsque nous regardons la télévision, lorsque nous allons sur Internet, ce que nous voyons nous dit et nous aide à définir qui nous sommes. C'est une raison pour s'intéresser de près à la question de la sensibilisation aux médias. C'est aussi une raison pour s'intéresser de près à la question de savoir quel est le message véhiculé par ces entreprises médiatiques. Ce n'est pas l'un ou l'autre. Cela ne veut pas dire qu'une entreprise médiatique ne peut être économiquement stable. C'est bien qu'elle le soit. Mais en même temps, le défi que vous avez, en tant que gouvernement, c'est de permettre la stabilité des médias tout en conservant notre voix canadienne. Nous vous confierions également le défi de résoudre la question de la sensibilisation aux médias, de la connaissance informationnelle, au sein de notre population. Il s'agit d'une notion extrêmement importante.
La présidente : Vous présentez un plaidoyer très éloquent en faveur de la préservation de sources de nouvelles saines, diversifiées et canadiennes, et des médias canadiens, et je suis certaine que nous en dirions autant. Mais la question, c'est comment faites-vous pour y arriver? S'il devenait évident que pour des raisons économiques réelles, il fallait choisir entre permettre une concentration encore plus grande de la propriété ou permettre la propriété étrangère, laquelle de ces possibilités choisiriez-vous?
Mme Clarke : Nous sommes pris entre l'arbre et l'écorce, n'est-ce pas?
La présidente : Laquelle choisiriez-vous?
Mme Clarke : Encore une fois, je vais revenir à la notion de principe par opposition au processus. Je n'accepterais tout simplement pas cette définition parce que nous avons le droit, en tant que gouvernement, en tant que peuple, de déterminer notre propre destiné. Nous avons le droit de regarder la Loi sur la concurrence et de dire, très bien, nous sommes allés dans une direction, peut-être devrions-nous envisager de régler ce problème en faisant marche arrière et en ne permettant pas une intégration aussi intense que celle que nous avons vécue. Nous avons le droit de dire que nous continuerons à imposer des restrictions sur la propriété étrangère. En d'autres mots, nous avons le droit de faire les deux. Nous avons permis l'intégration sans limite. C'est ce qui est arrivé dans les médias.
De nombreuses questions se posent sur le fait que cela se produit à l'heure actuelle. Comme je l'ai dit, c'est une situation sans précédent. Il s'agit du troisième comité qui se penche sur l'importance des médias vis-à-vis la culture et l'économie de la structure des médias. Il s'agit d'un débat national d'une importance capitale. J'ai remarqué dans votre site Web, je pense que c'est là que je l'ai vu, que vous envisagez de parcourir le pays. Je crois que c'était dans votre rapport provisoire. C'est une idée merveilleuse que d'aller rencontrer les Canadiens pour savoir ce qu'ils pensent de ce concept, mais soyez certaine, madame la présidente, de présenter le concept exactement comme vous l'avez fait. Comme vous l'avez dit, voulons-nous d'une intégration continue de manière que les médias se retrouvent concentrés entre des mains de moins en moins nombreuses? Voulons-nous avoir une propriété étrangère de nos médias? Ce n'est pas l'un ou l'autre. J'ai bien peur de ne pas pouvoir répondre à votre question, parce que la réponse, c'est « ni l'un ni l'autre ».
La présidente : Ne me blâmez pas d'avoir essayé de vous acculer au pied du mur sur cette question, parce qu'il s'agit du genre de questions qui nous posent un défi extrêmement difficile.
Le sénateur Eyton : Lorsque vous avez débuté votre déclaration, vous avez parlé de deux sortes de convergence, l'une étant celle que l'on retrouve dans le domaine des monopoles, du Code criminel et ce genre de choses désagréables, l'autre étant la convergence dans les médias. Il me semble que dans vos observations, vous avez largement ignoré la convergence dans les médias pour parler de ce que j'appellerais les types traditionnels ou anciens de médias; télévision, radio, journaux et, peut-être, livres. Nous avons vu des chiffres qui démontrent que l'habitude de la lecture, par exemple, chez les jeunes Canadiens n'est pas terrible et qu'elle est en déclin. Nous savons tous en regardant les enfants qui nous entourent que leur utilisation des autres formes de médias augmente de manière prononcée.
À mon point de vue, je suis ancien. J'ai beaucoup trop de diversité. J'ai de la difficulté à gérer toute l'information qui m'est présentée, que je regarde mon écran d'ordinateur ou un site Web, que je regarde la télévision pour laquelle j'ai un choix de postes par satellite ou d'autres services. J'ai plus de canaux de télévision que je ne peux en gérer. Comme vous le savez tous, on présente actuellement des demandes au CRTC pour un type différent de services de radiodiffusion au Canada.
Mme Clarke : Le numérique.
Le sénateur Eyton : Il me semble que la convergence dont vous parlez est très bien, si vous voulez ignorer tout ce qui se passe à l'heure actuelle. J'aurais cru, étant donné les tendances actuelles et tout ce qui se passe en ce moment, que vous auriez été forcée de reconnaître qu'il y a une diversité incroyable. La voix canadienne, quel que soit le sens que vous donniez à cette expression, a toutes sortes de moyens de s'exprimer. Je peux créer un site Web en une semaine. Je peux rejoindre les producteurs de blé de la Saskatchewan qui aiment les serpents et je peux créer un site Web qui s'adressera à tous ceux que cette question intéresse; alors, il y a plein d'occasions pour que la voix canadienne se fasse entendre.
Dans votre déclaration et dans les résolutions que vous avez présentées, avez-vous tenu compte de ce qui se passe à l'heure actuelle dans la façon dont les gens communiquent entre eux, dans la façon dont ils expriment leur voix ou communiquent leur information ou leurs diverses formes de divertissement?
Mme Clarke : En un sens, je dois vous faire remarquer que nous sommes liés par la politique. Ce que vous suggérez, c'est que, d'un côté, nous traitions d'un domaine que nous n'avons pas encore encadré par une politique. Cependant, nous avons effectivement une politique qui traite des problèmes liés aux droits d'auteur dans les utilisations multimédias. Nous avons effectivement une politique qui traite des préoccupations que nous avons face aux monopoles dans les médias. Lorsque nous parlons des monopoles médiatiques, nous parlions initialement de la propriété multimédia, fondamentalement. L'intégration verticale ou la convergence de mode au sein de la technologie a été extrême. Nos préoccupations portent toujours sur l'effet de monopole et la convergence soulève effectivement la possibilité de monopole. Si vous avez une entreprise qui contrôle le câble, les journaux et qui est un fournisseur de services Internet, vous avez une intégration verticale. Vous pouvez rejoindre un très grand nombre de personnes par le biais de la même entreprise, ce qui est toujours notre préoccupation et cela, c'est l'intégration de la propriété au sein des entreprises.
Il est vrai qu'il y a de nombreuses possibilités pour l'expression indépendante des opinions. Je le sais. Je peux avoir un journal en ligne demain matin. Je peux avoir un site Web, et j'en ai eu un. Mais ces derniers ont un auditoire limité. Un géant médiatique a la possibilité de rejoindre un très grand nombre de personnes. Nous pouvons examiner les exemples que nous avons parlé. Par exemple, le sénateur a fait allusion à Fox News. Or, Fox News exerce une influence extraordinaire sur les événements aux États-Unis. Des millions d'Américains se sont tournés vers cette voix. C'est quelque chose de bien différent du site Web d'un particulier; n'est-ce pas? Lorsque nous parlons des inquiétudes que nous avons face aux monopoles, voilà quelle est notre préoccupation.
Le sénateur Eyton : Vous pouvez voir le nombre de visiteurs sur un site. Je sais qu'un encan aura lieu à Toronto lundi. Les responsables ont mis cela sur Internet il y a une semaine et ils recevaient 100 000 visites par jour.
Mme Clarke : Qu'est-ce qu'on mettait à l'encan?
Le sénateur Eyton : Il y avait un élément canadien dans cette histoire. Un site Web peut être utilisé pour la communication personnelle, mais je pense qu'il a un auditoire beaucoup plus vaste que cela.
Je vais faire une variation sur ce thème. Je pense que les consommateurs, et nous tous, avons beaucoup de choix aujourd'hui et, à mon point de vue, cette situation ne fera que s'aggraver. Il y aura beaucoup trop de choix et j'ai beaucoup de difficulté à faire un choix.
Dans vos observations, il y a une prémisse selon laquelle un propriétaire a un point de vue sur tous les sujets et qu'il va l'imprimer, le publier ou le diffuser. En un sens, nous sommes une sorte de victime du fait que ces messages nous parviennent, nous les absorbons et cela s'arrête là.
J'ai été personnellement mêlé à cette question à titre d'avocat lorsque j'ai travaillé pour un certain nombre de radiodiffuseurs au cours des ans, il y a longtemps. Je ne l'ai pas fait récemment. Je vais vous donner des exemples précis : Standard Broadcasting, où j'ai aidé la famille Slaight à réunir ses stations de radio, Astro Communications que j'ai aidée du point de vue de la radiodiffusion et de la cinématographie, et quatre ou cinq autres entreprises. La motivation de ces gens a toujours été d'avoir l'auditoire le plus vaste possible. Ils n'avaient pas un message du genre : « Les victimes sont là et je vais promouvoir ce point de vue particulier ». Cela n'a jamais été le cas. Ils essayaient toujours de façonner un produit qui attirerait le plus vaste auditoire possible.
Je ne pense pas qu'il y a une voix. Je lis le Globe and Mail tous les jours. Il y a une diversité de voix dans ce journal et je suis en désaccord avec un bon nombre d'entre elles. Je lis le National Post et il y a également une variété de voix dans ce journal. Je ne vois pas ce type de conspiration visant à exprimer un point de vue sur une variété de questions canadiennes. Je vois de la diversité et même lorsque je ne la vois pas, je ne pense pas qu'il s'agisse du genre de contrôle que vous imaginez, pour deux raisons : premièrement, les gens sont différents et s'expriment différemment; deuxièmement, si vous voulez attirer le plus grand nombre de consommateurs possibles, vous allez essayer de vous plier à leurs exigences. CBC le fait et connaît un immense succès à la radio, particulièrement au cours de l'émission matinale animée par Andy Barrie et ses amis. Ces gens font cela parce qu'ils cherchent à rejoindre le plus vaste auditoire possible.
J'ai beaucoup de difficulté à comprendre l'inquiétude qu'on se fait pour la voix des Canadiens, étant donné toute cette diversité et ce que je pense être la véritable motivation des propriétaires, à savoir accrocher le plus grand nombre possible de consommateurs.
Mme Clarke : Vos arguments sont très connus et ont été présentés par beaucoup de personnes. Pour y répondre, je vous dirais que la préoccupation de la FCFDU, c'est que la création d'un monopole médiatique entraîne la possibilité que l'on diffuse une information normalisée. Elle crée également la possibilité de partis pris dans les éditoriaux, et on a vu des cas de ce genre. Nous le savons. Une des réponses possibles à cela est de limiter un propriétaire ou l'éditeur d'une série de journaux à une position éditoriale exprimée dans un de ces derniers — un sur quatre, par exemple.
Cependant, si le développement des monopoles dans les entreprises médiatiques se poursuit, l'observation même que vous venez de faire peut jouer dans les deux sens. Si le message ou le mantra est d'attirer le plus grand nombre possible de téléspectateurs ou l'auditoire le plus vaste possible, la question devient que font ces entreprises pour créer cet auditoire. Quels sont leurs objectifs? Quels sont leurs fondements économiques?
Vous soulevez la possibilité de créer une entreprise qui se plie aux exigences de ce qui rapporte le plus grand nombre de téléspectateurs.
Le sénateur Eyton : Par exemple, Radio-Canada?
Mme Clarke : Je faisais allusion à Clear Channel. Rush Limbaugh fait partie de leur brochette d'animateurs parce qu'il attire beaucoup d'auditeurs. Il se pose des questions quant à savoir comment nous allons refléter notre propre identité.
Le sénateur Tkachuk : Qu'y a-t-il de mal chez Rush Limbaugh?
Mme Clarke : Je n'ai pas dit qu'il y avait quelque chose de mal chez lui.
Le sénateur Tkachuk : Quel est le point que vous vouliez faire ressortir?
Mme Clarke : Le point, c'est qu'il s'agit d'une entreprise énorme et qu'elle possède une brochette d'animateurs qui attirent le plus grand nombre possible d'auditeurs, dans un but, celui d'attirer le plus grand nombre possible de personnes pour écouter les publicités.
Quel est votre but ultime? Fournir des consommateurs aux annonceurs ou établir un équilibre entre les besoins économiques des entreprises et l'identité et la culture de votre pays?
Le sénateur Eyton : Quel était l'objectif ultime, disons, des gens qui participent au concours Giller et qui écrivent des livres?
Mme Clarke : Le prolongement de la voix des auteurs canadiens.
Le sénateur Eyton : Vous ne me dites pas.
Mme Clarke : Oui.
Le sénateur Eyton : J'aurais cru que les écrivains essayaient d'écrire un livre à succès qui rejoindrait le plus grand nombre possible de gens au Canada ou ailleurs.
Mme Clarke : Si vous demandiez à n'importe quel auteur quelle a été la principale raison pour laquelle il a écrit son livre, vous auriez de nombreuses voix différentes qui diraient des choses différentes, mais je ne pense pas que la réponse commune serait que c'était pour faire de l'argent.
La présidente : Si vous le permettez, Samuel Johnson a dit que seul un imbécile n'écrit pas pour de l'argent.
Le sénateur Trenholme Counsell : Veuillez excuser mon retard. Je devais être ici parce que vous êtes ici. J'ai beaucoup de respect pour la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités, puisque j'ai été membre. Je ne le suis pas maintenant.
Mme Clarke : Nous allons vous faire parvenir une demande d'adhésion.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je devrai devenir membre à Sackville, Nouveau-Brunswick. Je devrais redevenir membre.
Il est possible que j'aie raté les premiers points qui ont été discutés, alors, encore une fois, veuillez m'en excuser. Je suis si heureuse de lire ce que vous dites au sujet du système canadien de radiodiffusion. J'espère que c'est là que vous allez continuer à utiliser votre voix d'une manière très forte, à la fois à la télévision et à la radio. Il s'agit d'une chose si précieuse dans notre pays. Je vous demande de le faire.
Je constate que je suis d'accord avec le sénateur Eyton lorsqu'il a parlé de ce que j'appellerais le bombardement d'information que nous subissons aujourd'hui. Si vous prenez la population en général — et je ne parle pas de la minorité des gens qui choisissent attentivement ce qu'ils lisent —, je pense que les gens ont un très grand choix. Si vous regardez les canaux de télévision — entre cela et la radio le matin et la radio le soir, au retour à la maison, où les gens prennent connaissance des nouvelles —, il y a tellement de choix, que ce soit à la radio ou à la télévision.
Je pense qu'un des défis à relever, c'est d'éduquer nos jeunes gens pour qu'ils puissent faire des choix. Je sais que vous comptez beaucoup sur l'éducation. Comment répondriez-vous à cette question?
Mme Clarke : J'y répondrais en incitant fortement le gouvernement à appuyer et à accorder une attention très spéciale à la connaissance informationnelle dans les écoles.
Je parlerais du point que vous avez fait valoir précédemment et répondrais aux nombreux choix qui sont disponibles, les choix inépuisables. C'est quelque chose que j'aurais dit au sénateur Eyton également. Vous pensez que vous avez de nombreux choix. Un des points que l'on doit faire valoir revient à la discussion sur le droit d'auteur que nous avons eue plus tôt. Comme vous le diront de très nombreux journalistes frustrés, ils rédigent un article pour une entreprise et peuvent l'entendre aux nouvelles à la télévision, peuvent le voir dans un journal, peuvent le voir dans un certain nombre de sources différentes qui appartiennent à une même entreprise. Bien que vous pensiez entendre des histoires différentes dans un grand nombre de médias, ce n'est pas nécessairement le cas.
Le sénateur Trenholme Counsell : Si vous le permettez, je ne pense pas que ce soit le cas avec nos canaux de télévision au Canada. Vous ne voyez pas beaucoup de chevauchement d'un canal à un autre. Je parle en grande partie pour le Canada atlantique. Chacun a son propre reporter. Si vous changez de canal pendant les nouvelles, ce que bon nombre d'entre nous faisons, vous voyez des personnes différentes. Elles peuvent parler de la même histoire, mais elles la racontent différemment. C'est l'impression que j'ai en tant que Canadienne de l'Atlantique.
Certains reporters ont une position bien tranchée sur cette question, mais j'aimerais savoir si vous pensez que les entreprises qui achètent les journaux le font à des fins commerciales ou à des fins de contrôle des médias. Quelle est à votre avis, la raison principale? S'agit-il d'une décision d'affaires? S'agit-il d'une décision dans le but de contrôler l'information?
Mme Clarke : Je pense qu'en ce moment, il s'agit d'une décision d'affaires. Les fusions et les acquisitions sont considérées comme une bonne chose au plan des affaires. Dès qu'une entreprise en acquiert une autre, le prix de ses actions grimpe. On pourrait se poser des questions à cet égard également, mais je suis certaine qu'il s'agit d'une décision d'affaires.
La présidente : Merci beaucoup, madame Clarke et madame Russell. Ce fut une séance extrêmement intéressante. Comme vous pouvez le voir par les questions, vous nous poussez à réfléchir sérieusement.
Mme Clarke : Vous nous avez poussées en retour.
La présidente : C'est la meilleure chose que les témoins puissent faire. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir été avec nous et nous vous remercions de remettre quelques références à notre greffier.
Honorables sénateurs, notre prochain témoin est M. Ken Alexander, éditeur et directeur de la rédaction du nouveau magazine canadien d'intérêt général The Walrus, qui s'adresse à un lectorat avisé. Je pense qu'il s'agit d'une description assez juste. Il s'agit, en fait, d'une occasion très intéressante d'examiner une situation de démarrage dans le mode des médias, le ciblage de l'auditoire, le contenu canadien et toutes ces autres questions.
Merci beaucoup d'être présents parmi nous. Je pense que vous connaissez notre formule. Je vais vous demander de faire une déclaration liminaire d'environ 10 minutes et, ensuite, nous allons vous poser des questions.
M. Ken Alexander, éditeur, The Walrus : Je vais débuter par une histoire sur ma fille qui est assez connaissante en matière de média. Nous ne la laissons pas regarder la télévision ce qui explique pourquoi je pense qu'elle est connaissante en matière de média. C'était son septième anniversaire récemment et elle a nous à dit, à mon épouse et à moi-même, qu'elle voulait des petits gâteaux. Sharyn a répondu : « Je ne suis pas vraiment le genre de mère qui fait cuire des petits gâteaux, mais je peux en acheter pour toi. » Claire a répondu : « Je ne suis pas vraiment le genre de fille qui accepte des petits gâteaux achetés au magasin. »
Je raconte cette histoire parce que je m'inquiète lorsque j'entends les gens faire la promotion excessive — je suis un ancien enseignant — de la sensibilisation aux médias dans les écoles. Claire, je pense, possède une certaine perspicacité intellectuelle parce que nous ne lui avons pas beaucoup parlé des médias et fait son éducation dans les domaines fondés sur les compétences. Nous l'avons plutôt laissée réagir au monde et nous avons tenté de nous assurer qu'elle lisait beaucoup.
La chose la plus importante pour les enfants à l'école, ce n'est pas de développer des compétences, mais de développer leur curiosité, de devenir des lecteurs avides et d'avoir des histoires fantastiques à raconter. D'après mon expérience dans l'embauche de journalistes à la sortie des écoles de journalisme et d'autres, ce sont ces enfants qui savent reconnaître qu'on leur ment ou que l'on utilise un langage codé, les pierres de touche de l'esprit sensibilisé aux médias.
Je devrais dire quelque chose au sujet de toute la question de la convergence. Je vous recommanderais l'ouvrage de Robert McChesney, Rich Media, Poor Democracy, une assez bonne étude qui examine de près les problèmes qu'entraîne le fait d'être propriétaire de stations de télévision et de journaux dans une même entité administrative et pourquoi il existe des lois aux États-Unis, en particulier, interdisant la propriété multimédia. Il s'agit d'une lecture solide qui traite surtout de la situation aux États-Unis.
Au Canada, le point soulevé au sujet de Vancouver est valable, de même que les points soulevés dans le cas de Toronto. Il est vrai qu'il y a plus de quatre journaux à Toronto. Il y a le magazine Now et le magazine I et il y a de nombreuses autres sources. Vous pouvez entendre ou lire une grande variété de points de vue, y compris des points de vue faisant autorité, ce qui est important. Cependant, à Vancouver, presque toute l'information vient de CanWest Global. Je ne sais pas pourquoi on m'a invité à comparaître devant votre comité, mais cela pourrait être lié à ma remarque de fin finaud faite à l'intention de Leonard Asper et de son utilisation du mot « prepurposing ». Il a dit qu'il aimerait que Murdoch Davis écrive, de Winnipeg, les éditoriaux non seulement pour les pages éditoriales des journaux partout au pays, mais également pour toutes les plateformes — journaux, radio, Internet, etc. Ce genre de propos donne certainement des frissons dans les salles de nouvelles, que ce soit à la radio ou dans la presse.
La question de la qualité et de l'autorité est importante. Je n'accorde pas beaucoup d'importance à l'argument voulant que, puisque Internet existe, tout le monde a accès à ce qu'il veut. La vérité, c'est que sur Internet, n'importe qui peut être un éditeur. La vérification des faits n'est pas à l'ordre du jour et, en conséquence, les gens n'ont pas tendance à accorder à l'Internet le même genre d'autorité, à tort ou à raison, qu'à un journal national, par exemple. Oui, vous pouvez créer votre propre chronique Internet et vous êtes soudainement un éditeur et vous avez un auditoire. Cependant, cette chronique n'a pas la même autorité qu'un journal national.
Nous devons assurer la qualité des médias et ne pas trop nous inquiéter de savoir si le choix est en voie de disparition ou s'il y a un choix. Il y a beaucoup de choix. Je ne sais pas quelles sont les prédispositions des gens pour s'orienter vers ces choix, mais ils sont nombreux.
La présidente : Que feriez-vous pour assurer la qualité?
M. Alexander : Eh bien, je pense que vous devez vous intéresser aux tenants et aboutissants. Des publications comme Atlantic Monthly, Harper's, Mother Jones, Utne Reader et de nombreux autres périodiques aux États-Unis n'existeraient tout simplement pas sans l'appui des fondations, parce qu'elles perdent de l'argent chaque année. Des gens font ce travail non pas pour faire de l'argent, mais parce qu'ils pensent qu'il est important que ces voix soient entendues. Les lois sur les dons de charité aux États-Unis sont telles que les fondations peuvent donner de l'argent, par exemple à Harper's, pour que la revue continue d'être publiée.
C'est là une façon de s'assurer qu'il y a des voix multiples qui, j'ajouterais, sont de qualité. La question de la qualité est d'une importance capitale et j'aimerais que ce genre de développement ait lieu ici au Canada.
Le sénateur Tkachuk : Pourquoi votre publication s'appelle-t-elle The Walrus?
M. Alexander : Je pense que je dois donner le crédit pour le nom du magazine à Anne Michaels, Linda McQuaig et quelques autres fortes têtes féminines. Je m'inquiétais de ce que ce titre soit trop « masculin ». Elles ont soutenu que ce titre avait du cran et que si je ne le gardais pas, elles me retireraient leur appui. Mais pour être franc, ce nom est le résultat de plusieurs longues soirées de discussion bien arrosées.
Le sénateur Tkachuk : Nous avons entendu parler des subventions aux magazines canadiens au Canada et cela a suscité beaucoup de discussions. Nous avons entendu les témoins de la presse ethnique en parler. Je suppose qu'ils parlaient de la subvention postale.
M. Alexander : C'est habituellement le cas.
Le sénateur Tkachuk : Comment fonctionne-t-elle? Est-elle suffisante? De toute évidence, c'est une bonne chose pour vous. Pourquoi est-elle nécessaire?
M. Alexander : Je ne peux pas vraiment parler des besoins spécifiques des magazines à créneaux comme ceux dont vous parlez. Je peux parler en meilleure connaissance de cause des magazines d'intérêt général ou de ce que je décrirais comme des magazines intelligents, d'intérêt général ou des magazines destinés à un lectorat avisé. Je peux vous parler de la différence entre le tirage réglementé et le tirage payé et certains des problèmes auxquels les magazines doivent faire face au Canada, y compris pourquoi, dans la catégorie des magazines d'intérêt général, on a eu tendance à s'orienter vers le tirage réglementé — travailler très fort sur un magazine pour ensuite le donner gratuitement, ce qui semble contre-intuitif.
La réponse de l'industrie à notre idée de lancer un magazine intelligent au Canada a été que c'était une bonne idée, mais pas au Canada. Les raisons sont assez simples. Le Canada est un grand pays dont la population n'est pas très concentrée, mais plutôt éparpillée le long de la frontière et, donc, difficile à rejoindre. De même, les périodiques américains ont accaparé le marché. Pour les premières raisons — grand pays dont la population est éparpillée, de nombreux magazines ont opté pour le tirage réglementé, ce qui veux dire inclure le magazine dans un journal de fin de semaine et le livrer à des centaines de milliers d'adresses gratuitement. Ce faisant, ils répondent aux besoins de certains annonceurs qui aimeraient avoir un tirage immédiat de 200 000 ou plus; et ils peuvent obtenir des revenus de publicité en même temps.
Mon idée sur les magazines à tirage réglementé, c'est qu'ils sont beaucoup de choses, sauf des magazines. Ils se rapprochent des dépliants publicitaires et aboutissent habituellement dans le bac de recyclage avec le reste des journaux dès le lendemain. S'il s'agit d'un magazine mensuel, il devrait avoir une durée de vie d'au moins un mois. De même, si le but est d'attirer des revenus de publicité immédiatement, alors le contenu n'est pas la préoccupation principale, mais vient probablement au deuxième ou au troisième rang.
Plus important encore, il est impossible, à mon point de vue, de développer un contrat authentique avec un lecteur par le biais d'un magazine à tirage réglementé. Quelqu'un qui reçoit un magazine gratuitement, en d'autres mots, quelqu'un qui ne prend pas la peine de faire la démarche de l'acheter, ne développera pas le même genre de relation avec ce magazine que quelqu'un qui l'achète. Ce qui m'intéresse vraiment, c'est le contrat avec le lecteur et la relation avec le lecteur.
Le sénateur Munson : Avant que nous abordions d'autres questions concernant votre magazine, je suis curieux, pouvez-vous nous parler un peu des luttes que vous avez dû livrer pour démarrer votre publication et nous dire quel est votre tirage. Êtes-vous optimiste face à l'avenir? Il y en a parmi nous qui la lisent, mais les amis qui ne la lisent pas sont nombreux.
M. Alexander : Je suis assez optimiste à son sujet et je suis enchanté par la réponse initiale que la publication a obtenue. Le tirage est maintenant de 50 000 exemplaires, par abonnement payé ou dans les kiosques à journaux, ce qui est assez extraordinaire après un an. Il y a beaucoup de bonne volonté autour du magazine. Cela indique qu'il existe une demande réelle pour un produit canadien qui n'a pas un mandat local.
Il n'y a rien de mal à renvoyer l'image du Canada aux Canadiens; c'est absolument correct. Cependant, je prétends que dans le monde actuel, cela peut être un peu limitatif pour nos contributeurs et un peu limité en termes de ce que nous faisons. Le Canada a besoin d'établir sa place dans le monde. Je pense que nos écrivains — et heureusement, nous avons la chance d'avoir des écrivains fantastiques — peuvent se mesurer favorablement aux meilleurs du monde.
J'ai été très chanceux ces quatre ou cinq derniers mois, j'ai fait le travail éditorial pour des rédacteurs tels que Richard Ford, Marci McDonald, Tariq Ali et Allan Gregg. Il est très important pour un rédacteur d'avoir ce genre d'olympiade internationale; il peut se mesurer aux autres rédacteurs et cela fait partie de ce qui est excitant dans ce travail.
Les choses comme la livraison au kiosque à journaux, par exemple, comptent parmi les difficultés. Les magazines canadiens à tirage payé, comme le nôtre, représentent entre 10 et 12 p. 100 de ce qui est à l'étalage des kiosques. Pour cette raison, c'est un désagrément pour les distributeurs qui seraient plus enclins à les laisser sur la palette plutôt qu'à les livrer.
C'est aussi pour cela que certains magazines sont passés au tirage vérifié. Pour le plus grand mal de nos magazines, le secteur canadien de la distribution aux kiosques est loin d'être aussi performant qu'en Europe ou même aux États- unis.
Le sénateur Munson : Qu'est-il arrivé à Saturday Night? Il était populaire pendant longtemps. Puis il est passé, à ce que vous appelez, le tirage vérifié et vous avez bien raison, il ne semblait pas avoir le même succès.
M. Alexander : Je pense qu'ils ont commis une erreur stratégique. Je ne sais pas, personne ne sait, ce qui s'est vraiment passé. Il y a tellement de rumeurs. Pour augmenter le tirage et les recettes publicitaires, ils avaient décidé de passer au tirage vérifié. Dès qu'un magazine est gratuit, sa valeur diminue. Son image change en quelque sorte.
Il n'y a pas de tirage vérifié, aux États-unis, à l'exception du New York Times Magazine publié par le même groupe. La majorité des gens achètent The Sunday Times plus pour le magazine que pour le journal. Ils n'ont pas de tirage vérifié. Le tirage vérifié a certainement causé beaucoup de tort au secteur canadien des magazines.
Je crois que c'est parce que la qualité est reléguée au deuxième plan, pour revenir à ce que je disais tout à l'heure. Les gens achètent les magazines de qualité comme New Yorker, Atlantic Monthly et Guardian. La qualité de ces magazines leur permet de ne pas dépendre entièrement sur les recettes publicitaires.
Le sénateur Munson : Des témoins nous ont parlé de la concentration des médias étrangers. Que pensez-vous d'intérêts étrangers dans des magazines canadiens?
M. Alexander : Pas grand-chose. Conrad Black a réussi un coup fabuleux avec le National Post à ses débuts, c'était formidable. Je le crois quand il disait vouloir acheter un journal parce qu'il y croyait. Il exigeait de la qualité, ce qui est une preuve de son intégrité.
Un étranger propriétaire d'un produit canadien ne me gêne pas tant qu'il fait du bon travail. Cela ne me dérange pas du tout et je crois que les Canadiens tout aussi capables de faire la même chose dans les autres pays. Comprenez bien que je travaille dans ce secteur parce que je crois que le magazine occupe une place particulière dans le discours public entre les journaux grand format et les livres. Imaginez, par exemple, que vous êtes éditeur de livres non romanesques, mais que vous n'êtes pas seulement intéressés par des biographies. Où allez-vous trouver des histoires élémentaires si vous n'avez pas de magazines offrant du journalisme sérieux? C'est ce genre de magazines qu'ils recherchent. Je crois que le manque de ces moyens au Canada affaiblit le secteur canadien de l'édition des livres non romanesques. Il y a des tas de facteurs, mais j'ai perdu le fil, de quoi parlions-nous?
Le sénateur Munson : Des intérêts étrangers.
M. Alexander : Oui, j'y reviens. Le problème, c'est que — c'est lié en quelque sorte — à cause du manque de vrais moyens, nos talents quitteront le pays. Le nombre de Canadiens qui travaillent régulièrement au New Yorker est incroyable. Évidemment, ils y sont parce que c'est les États-unis, il y a l'attrait de l'argent et la fascination, mais aussi à cause du manque de moyens au Canada.
Vous savez, David Rakoff que j'ai rencontré récemment me disait qu'il était difficile à un dîner à New York de ne pas entendre les démocrates mécontents dire qu'ils allaient venir habiter au Canada. Je lui ai dit que nous avions besoin de gens au-dessus du 60e parallèle, donc s'ils arrivent dans leur VLT, qu'ils les remplissent de gens.
Que des étrangers achètent des magazines canadiens ne me dérange nullement tant qu'ils exigent de la qualité.
Le sénateur Eyton : Il se trouve que, pendant quelques années, je publiais un bulletin et, à mon grand regret, ça n'a pas marché. Vous avez brièvement mentionné deux facteurs qui pourraient intéresser le comité. Vous avez lancé un nouveau un magazine, pourriez-vous nous dire comment vous vous êtes pris pour vendre des abonnements et en vendre 50 000, c'est énorme pour un magazine au Canada. Dites-nous un mot sur la distribution de ce magazine et sur les coûts inhérents qui, à votre avis, pourraient ou devraient être diminués.
M. Alexander : Il y a énormément de dépenses au départ, quand on cherche son lectorat; en fait, les abonnements sont coûteux. C'est lorsqu'ils renouvellent...
Le sénateur Eyton : Comment les vendez-vous au début? Comment entendent-ils parler de votre magazine? Comment recevez-vous les commandes?
M. Alexander : Par les relations publiques, par messages publipostés, de plusieurs façons et même moi qui en parle publiquement. Le magazine a fait beaucoup parler de lui à sa sortie et il a suscité beaucoup d'intérêt. Je pense que cela prouve qu'il existait une demande de quelque chose d'authentique, de grandes idées et de grandes aspirations. Comme quelqu'un me l'a dit « quelque chose de non canadien, » non pas que je sois de cet avis. On peut ensuite jeter de la poudre aux yeux, mais tôt ou tard il faut fournir de la qualité.
Il faut publier un magazine qui s'améliore au fil des numéros, sinon c'est l'échec. C'est cela qui nous motive.
Avons-nous choisi cette profession parce que nous sommes sains d'esprit, pas du tout, c'est parce que nous croyons qu'il est important d'être présents dans les médias.
Le sénateur Eyton : Pouvez-vous parler de la distribution?
M. Alexander : Bien sûr. Je commence par les kiosques à journaux.
Le sénateur Eyton : Comment se fait la livraison aux kiosques?
M. Alexander : Tous ceux qui se situent entre le lectorat et l'éditeur de journal reçoivent quelque chose. Il y a des distributeurs nationaux de journaux aux kiosques travaillant avec des grossistes qui recueillent les magazines dans des endroits centralisés de l'imprimeur et les distribuent dans tout le pays. C'est coûteux en temps et en argent. Transcontinental Inc., située à Winnipeg, imprime notre magazine. Nous avons de gros problèmes au niveau de la livraison dont trois des sept premiers points. Le magazine n'était pas livré aux kiosques dans les délais. C'est le genre d'obstacles que nous devons surmonter.
Le sénateur Eyton : Y a-t-il suffisamment de concurrence dans le secteur?
M. Alexander : Je dirais que non. Il est très difficile d'obtenir un excellent service de la part des intermédiaires, qu'il s'agisse des maisons d'exécution, des distributeurs aux kiosques ou des distributeurs en gros. Tous ces secteurs pourraient améliorer considérablement les services qu'ils offrent. Puisque je n'aime pas parler en général, je prendrais un exemple particulier. Le dépanneur à proximité de notre bureau vend notre magazine chaque fois qu'il en reçoit des exemplaires. Ils n'ont jamais retourné d'exemplaire; environ huit exemplaires leur sont régulièrement livrés. Les huit exemplaires du dernier numéro ont été vendus en dix jours. On peut supposer que 10 ou 12 exemplaires du numéro suivant leur auront été livrés, mais seulement quatre ont été livrés, à croire que les fournisseurs ne sont pas de notre côté. Un magasin de Danforth a reçu 131 exemplaires. Ils ont trouvé le magazine bon, mais pas plus. Ils ont donc retourné 50 exemplaires le lendemain. Des 81 exemplaires qu'il restait, ils en ont quand même vendu 77 ou 78. On aurait pu imaginer qu'ils recevraient 90 exemplaires du prochain numéro mais non, on leur a livré 150. Deux numéros ont été livrés en même temps à un magasin de Calgary. Leur réaction : « On aime bien le numéro du mois d'octobre, mais qu'allons-nous faire de celui du mois de septembre? »
Voilà le genre de problèmes. Ils sont endémiques et coûteux; nous avons des problèmes semblables avec les abonnements.
Le sénateur Eyton : Qu'en est-il des magazines expédiés par la poste?
M. Alexander : La subvention postale n'est pas accordée au cours de la première année. Ce serait formidable si elle était versée dès le départ. On devrait faire le maximum pour aider les nouveaux magazines.
Le sénateur Eyton : Quelle est la quantité et quels sont les coûts?
M. Alexander : Je n'ai plus les chiffres en tête, mais la subvention postale est versée après la première année, ce qui réduit les coûts d'expédition des magazines aux abonnés.
Le sénateur Tkachuk : Pourquoi après la première année?
M. Alexander : Je crois qu'il faut prouver que le magazine est viable. Les magazines exigent au départ de fortes dépenses. Il faut les aider financièrement pour éviter la faillite à cause d'une seule erreur. Par exemple, notre cinquième numéro était nul, mal conçu et en plus la page de couverture était terriblement mauvaise. On a failli y passer du fait que notre budget était serré. Je suis tout à fait d'accord pour améliorer de façon permanente le contenu, mais on devrait disposer de plus de fonds.
La présidente : Pour revenir à ce que vous disiez au sujet du National Post, en fait c'était un vrai choc électrique dans le milieu journalistique canadien. Ils perdent encore énormément d'argent, peut-être pas autant que durant la première année, mais d'après ce que j'ai appris dernièrement, il faut vraiment avoir beaucoup de finances pour exploiter une telle entreprise. Serait-ce déplacé de ma part de vous demander si votre magazine est rentable?
M. Alexander : Il n'est pas du tout rentable.
La présidente : Quand espérez-vous, au moins, atteindre le seuil de rentabilité, si tout se passe comme prévu?
M. Alexander : La gestion de Harper's est faite de manière un peu irresponsable. Je ne sais pas si tel est vraiment le cas, mais Lewis Lapham, rédacteur e chef de Harper's n'a qu'à dire « Notre année a été bonne, mais pas excellente » et Rick McArthur, l'éditeur du magazine lui donnera un chèque. David Remnick du New Yorker a une approche plus responsable, il essaie d'atteindre le seuil de rentabilité. Les magazines comme le nôtre ne sont pas rentables. Ils ne sont pas conçus pour cela. Cependant, ils devraient essayer d'atteindre le seuil de rentabilité et je crois qu'ils peuvent y arriver. Notre plan d'affaires prévoit que nous atteindrons le seuil de rentabilité à la fin de 2007. Si vous voulez appelez cela une période de lancement, elle est plutôt longue et exige un investissement considérable. Il peut être extrêmement difficile, sinon impossible, de trouver des investisseurs privés car ils veulent savoir où va leur argent. Walrus Magazine Incorporated est une société sans capital-actions, sans but lucratif car elle ne cherche pas à réaliser des profits. On s'implique dans ce genre d'entreprise parce qu'on juge que c'est important, pas parce qu'on veut gagner de l'argent. Donc, on espère que ce sera dans cinq ans et peut-être entre 3 et 5 millions de dollars.
La présidente : C'est beaucoup d'argent. Je suppose que vous n'avez pas l'intention de faire faillite avant la fin de cette période. Qu'en est-il de votre lignage publicitaire? Quelle est la réaction à vos tentatives de vente d'annonces publicitaires?
M. Alexander : Très bonne. On pense souvent qu'il n'y en aura pas au cours de la première année, on risque donc de se sentir obligé d'offrir de l'espace publicitaire. C'est un précédent dangereux. Nous n'avons pas eu besoin de le faire. Étant donné la nature de notre lectorat, je crois que les entreprises commencent à s'en rendre compte. Une étude faite, à notre demande, par Allan Gregg a révélé que nos lecteurs étaient à notre image, des universitaires instruits, intelligents et exigeants. Ils ont des revenus disponibles et de grandes attentes. Ils aiment voyager, apprécient le bon vin et les bonnes lectures. Ils lisent The New York Review of Books, The Sunday Times et The New Yorker. Ils apprécient le fait que quelqu'un au Canada ait décidé de publier un magazine. Ce sont nos lecteurs. Puisqu'ils achètent le magazine, c'est donc qu'ils veulent le lire alors les publicitaires, quand ils apprennent cela, le trouve beaucoup plus intéressant qu'un magazine à tirage vérifié que les gens n'achètent pas.
Le sénateur Chaput : Vous avez lancé votre magazine en 2003, n'est-ce pas?
M. Alexander : C'est exact.
Le sénateur Chaput : En considérant la première année et les résultats positifs, feriez-vous fait quelque chose différemment si vous deviez recommencer?
M. Alexander : Pratiquement tout.
Le sénateur Chaput : Pouvez-vous nous décrire de quelle façon?
M. Alexander : Je ne sais pas ce que vous savez exactement. Tout récemment, il semble qu'une de nos histoires va faire l'objet d'un segment dans « 60 minutes ». Il est intéressant de noter que toutes les demandes des médias étrangères concernent toujours le contenu. Par exemple, elles diront : « Cet article est vraiment intéressant. Où l'avez-vous obtenu? Nous voudrions contacter l'auteur. »
En ce qui concerne les droits d'auteurs et de propriétés, puisque ce point a été soulevé, la propriété des articles revient à nos rédacteurs dès que le magazine n'est plus vendu. Autrement dit, dans la majorité de cas nous sommes propriétaires des articles pendant 30 jours.
Bon nombre des questions posées par les médias canadiens s'articulent autour de ce qui se passe au bureau. Si vous connaissez l'histoire du New Yorker, ce n'est pas par modestie qu'ils n'ont pas publié de bloc-générique mais parce qu'ils ignorent qui va collaborer au prochain numéro.
Notre coefficient de rotation est assez élevé. À mon avis, c'est parce que les gens ont évolué dans un milieu à tirage vérifié et qu'ils ne comprennent pas que le contenu d'un magazine est roi et qu'il doit toujours l'être. Cela exige une certaine rigueur au niveau de la rédaction. Je crois que notre magazine peut s'enorgueillir.
Pour revenir à la question de la qualité, l'un des problèmes auxquels font face aujourd'hui beaucoup de quotidiens, c'est que non seulement ils paient les pigistes 30 cents le mot, mais en plus ils ne vérifient rien. Nous vérifions nos lettres, absolument tout. Nous commettons des erreurs de temps en temps, mais nous vérifions même les lettres adressées au rédacteur en chef. Nous nous sommes engagés à offrir de la qualité et nous sommes déterminés à continuer à le faire.
Pour revenir à votre point. J'aurais étudié et fait plus de recherche et j'aurais fait preuve de beaucoup plus de prudence à l'égard des opinions, en majorité incorrectes, d'un grand nombre de consultants du secteur des magazines. Les consultants sont comme ces gens qui sont loin de chez eux avec leur mallette et leur queue de cheval, ils assistent à des réunions, se lèvent et partent sans que leurs propos aient une incidence quelconque. La caractéristique de notre magazine, c'est qu'il faut avoir des intervenants. Voilà ce que j'ai appris.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je n'ai pas lu le magazine, mais je vais en acheter un. J'étais en train de me demander si ce serait un beau cadeau de Noël.
M. Alexander : C'est un excellent cadeau de Noël.
Le sénateur Trenholme Counsell : L'autre jour au Sénat, j'ai déclaré que je dirais au plus grand nombre possible de gens qui voudraient bien m'écouter que j'offrirais un livre et une corde à sauter aux enfants pour Noël. Je vais donc étudier la liste des personnes auxquelles je vais offrir des cadeaux pour voir lesquelles apprécieraient The Walrus.
M. Alexander : Bravo.
Le sénateur Trenholme Counsell : Si vous n'étiez pas éditeur, seriez-vous plus préoccupé par la qualité et le contenu de nos magazines ou par ceux de nos journaux? Qu'est-ce qui vous préoccupe le plus, les magazines ou les journaux canadiens?
M. Alexander : Sans vouloir user de faux fuyants, je dirais les deux. La situation est telle que des bureaux à l'étranger ferment leurs portes. Le contenu d'un magazine coûte de l'argent. J'ai envoyé une journaliste à la recherche de trois jeunes Afghans qui ont été détenus à la base de Guantanamo. Elle prépare un article sur leur retour en Afghanistan. Nous l'y avons envoyée. Cela est très coûteux. Si l'industrie d'imprimerie commence à grignoter l'argent et les ressources consacrées à la préparation des articles, cela signifie qu'elle est en difficulté. Par conséquent, les magazines et les journaux sont en difficulté.
Je reste inquiet pour les magazines et pour les journaux, mais plus pour les magazines car, comme le diraient certains, l'industrie des magazines n'existe pas au Canada. Il faut qu'elle existe et qu'elle occupe une grande place.
Le sénateur Trenholme Counsell : Il est facile de dire « les deux. »
M. Alexander : Je suis plus inquiet pour les magazines.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je vous ai forcé la main.
M. Alexander : J'habite à Toronto. À Toronto, nous avons de la chance. Il y a quatre quotidiens et un grand nombre d'autres journaux qui ont des problèmes financiers, mais qui fournissent encore une diversité d'opinions, de points de vue, etc.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je voudrais savoir comment vous cibler votre publicité. Je suis dégoûté par la publicité dans la plupart des magazines que je lis non seulement ceux du Canada, mais certainement des États-Unis. Je ne cesse de me promettre que la prochaine fois que je tombe sur une autre publicité d'une crème antirides ou quelque chose de ce genre, je déchirerai le magazine. Est-il extrêmement difficile, dans une situation telle que la vôtre, où l'on exige de vous de la qualité, d'offrir des publicités de qualité ou qui ont du cachet? Je l'ignore car je ne travaille pas dans les médias.
M. Alexander : Nous avons un problème supplémentaire. La rédaction et la publicité sont séparées par une muraille de Chine. La publicité n'a aucun effet sur notre rédaction. Nous sommes complètement autonomes. Beaucoup de publicitaires nous demanderons de faire une colonne sur un sujet particulier en nous promettant d'envisagerons par la suite de placer une annonce publicitaire dans le magazine. » Beaucoup de magazines existent pas pour le contenu, mais pour la publicité. Ils servent essentiellement de supports publicitaires.
Notre magazine est complètement fondé sur contenu. Un publicitaire voudra placer des annonces dans notre magazine afin d'associer son image à celle d'un produit de qualité ciblant des lecteurs avertis. C'est tout ce que nous pouvons offrir.
Le sénateur Trenholme Counsell : Faites-vous de la publicité pour Volvo?
M. Alexander : Volvo? Pas encore.
La présidente : Cela rejoint ce qu'il essayait de dire tout à l'heure quand il parlait de convaincre les agences publicitaires que le public qu'elles veulent vraiment cibler est celui qui lit votre magazine.
M. Alexandre : Oui.
Le sénateur Tkachuk : Lorsque vos rédacteurs se rendent à une réception ou qu'ils ont en réunion avec vous, parlent- ils de la convergence? Est-ce un sujet qui retient beaucoup d'attention? Ils écrivent leurs articles pour un journal, mais ne craignent-ils pas que ces articles soient aussi utilisés sur Internet ou à la télévision?
M. Alexander : Absolument. Nous avons conclu un contrat. Nous avons une autorisation spéciale. Nous ne mettons pas tout dans notre site Web, car c'est avant tout un magazine. Si vous voulez lire les articles, il faut acheter le magazine. Même, par exemple, pour un petit article comme celui de Wayne Johnston, nous lui demanderons la permission de l'afficher dans notre site Web? » Il a le droit de refuser. En fait, il en est propriétaire. Il a le droit de dire « D'accord, mais je veux 200 ou 300 $ de plus. » Ils en parlent de la convergence.
Le sénateur Tkachuk : En parlent-ils uniquement parce qu'ils estiment ne pas être suffisamment payés?
M. Alexander : Les rédacteurs canadiens gagnent en moyenne 11 000 $ par an. Très peu de rédacteurs-pigistes canadiens peuvent gagner leur vie en travaillant à la pige. La plupart d'entre eux doivent avoir un autre travail. Nous payons plus que la moyenne dans l'industrie — pas par complaisance, mais parce que nous pouvons leur demander de travailler plus.
Je peux vous dire que les rédacteurs canadiens utilisent un style d'écriture différent ou ont pris l'habitude d'utiliser un style d'écriture différent pour les périodiques publiés au Canada comparativement au style qu'ils utilisaient pour les périodiques américains, car ils savaient que les Américains sont plus rigoureux au niveau de la rédaction, que les articles leur seraient renvoyés plusieurs fois et que les normes seraient différentes. C'est ce que j'essaie d'établir ici, des normes plus rigoureuses.
Beaucoup de gens qui nous ont envoyé des articles et qui n'avaient jamais été vérifiés, ignoraient que cette soumission était une première ébauche et qu'il y en aurait peut-être six.
Le sénateur Tkachuk : Je n'ai pas de mal à le croire.
M. Alexander : C'est l'une des raisons pour lesquelles il est important que le secteur des magazines soit vital.
Le sénateur Munson : En 1965, j'ai commencé avec un salaire de 32 $ par semaine à Radio CJLS à Yarmouth. C'est un rude métier.
La présidente : Cette même année, je gagnais 50 $. Je gagnais plus que vous.
Le sénateur Munson : À cette époque, il y avait aussi beaucoup de contrôle.
Notre mandat est de déterminer le rôle que peut jouer le gouvernement dans tout cela. À votre avis, que devrait faire le gouvernement au plan de la réglementation ou de la déréglementation non seulement pour les magazines, mais aussi pour les journaux, la télévision, etc. Quel est le rôle du gouvernement? Devrait-il rester en dehors de cela et laisser le marché libre fonctionner?
M. Alexander : J'y ai pensé maintes et maintes fois. Je pense qu'être propriétaire d'une station radio, d'une station de télévision et d'un journal dans la même juridiction pose un problème. Je pense que les lois adoptées aux États-unis pour empêcher ce genre de propriété étaient progressistes et intelligentes. Pour revenir au mot « réorientation » utilisé par Leonard Asper, il y a une tentative visant à créer un contenu pouvant être utilisé sur plusieurs plates-formes. C'est la terminologie employée. Il faut, à mon avis, être très prudent dans le discours afin de ne pas utiliser des mots dont le sens et la signification demeurent vagues, par exemple, intégration verticale et ce genre d'expressions. Il faut les examiner en fonction de leur réelle signification. Le gouvernement devrait intervenir pour empêcher ce genre de situation qui existe aujourd'hui à Vancouver. C'est malsain. Il ne suffit pas de dire que les gens peuvent utiliser Internet. Internet n'a pas la même autorité qu'un journal dans une boîte dans la rue, qu'une émission de télévision ou qu'un journal télévisé.
Le gouvernement devrait élaborer une réglementation dans ce domaine. Je pense aussi que nous devons avoir un nombre raisonnable de médias complètement indépendants. C'est le cas aux États-unis avec la National Public Radio (NPR) et Public Broadcasting System (PBS) au moyen d'abonnements. Elles reçoivent de l'argent des sociétés qui est disponible, il n'est pas attribué. Les médias indépendants doivent exister d'une façon ou d'une autre. Si elles n'existent pas, ne sont pas disponibles ou ne sont pas publiées par des fous comme moi, le gouvernement devrait alors créer l'espace qui permettrait à ces médias d'exister. Autrement dit, je pense que le gouvernement devrait soutenir la SRC.
Il y a un rôle à jouer pour le gouvernement, car le capital a toujours tendance à aller vers le monopole. Cela a toujours été le cas, ce le sera toujours. Il y a un rôle à jouer pour le gouvernement. Il reste à savoir à quel point il veut être actif dans ce domaine.
Le sénateur Munson : Cela pose la question de la liberté de la presse et de la liberté de manœuvre. Un magazine tel que le vôtre ne déclarerait—il pas que cela ne peut pas se faire dans une société démocratique?
M. Alexander : Je pense que c'est l'argument de poids. Vous dites que nous avons les médias des entreprises puis vous suggérez les médias du gouvernement. C'est l'argument de poids. C'est pour cela qu'il faut être prudent et le faire au moyen de subventions progressives, d'aide financière aux entreprises qui débutent — sans vouloir paraître intéressé — et ce genre de stratégies.
La présidente : À ce propos, d'où proviennent vos fonds de démarrage?
M. Alexander : Pour le moment, c'est mon argent. Je pense que c'est un cas intéressant. Si le magazine Harper's qui est publié par Harper's Magazine Foundation, est autorisé à être distribué au Canada — et il est autorisé — cela voudrait-il dire que le Canada donne au magazine Harper's un avantage commercial indu comparativement à quelqu'un comme moi avec The Walrus qui n'est financé par aucune fondation?
La présidente : Oh! Voilà une discussion philosophique bien sérieuse. Afin de ne pas nous engager immédiatement dans ce sujet et pour revenir à une politique canadienne plus tangible, vous avez mentionné la possibilité d'aider les entreprises qui débutent. Quel genre de politique gouvernementale pourrait aider?
M. Alexander : Cela entre dans le domaine de la politique gouvernementale. Aujourd'hui au Canada, aucun magazine ne reçoit des dons de bienfaisance. Les fondations canadiennes ne leur donnent pas de l'argent pour démarrer.
La présidente : Si vous parlez d'exclure un magazine étranger, c'est tout un autre argument et sous quel motif.
M. Alexander : Si le gouvernement empêche, par ses lois fiscales, les fondations privées d'aider financièrement de telles entreprises, ne devrait-il pas les aider...
La présidente : Est-ce que notre loi empêche des fondations privées d'investir dans des magazines?
M. Alexander : Absolument et obtenir un reçu aux fins de l'impôt pour dons de bienfaisance. Si cela existe aux États- Unis — depuis 150 ans — pour revenir à ce que je voulais dire, est-ce que ces magazines n'ont pas un avantage commercial indu à l'échelle du continent? Si le gouvernement voulait maintenir sa politique, ne devrait-il pas répondre en annonçant qu'il aidera ce secteur avec le maximum de fonds.
La présidente : Avec un financement maximum du gouvernement ou par des changements dans le droit fiscal ou par des lois régissant les dons de bienfaisance?
M. Alexander : Vous pourriez aligner le droit fiscal et les lois régissant les dons de bienfaisance sur le droit fiscal et les lois régissant les dons de bienfaisance des États-Unis.
La présidente : Avez-vous d'autres suggestions concernant l'aide aux entreprises qui débutent?
M. Alexander : L'aide aux jeunes entreprises est un domaine très large et très intéressant. Je voudrais que vous acceptiez mon point de vue sur la différence entre les magazines à tirage payé et les magazines à tirage vérifié. Je pense qu'ils sont diamétralement opposés. Je vous demanderais de considérer que les magazines à tirage payé sont de vrais magazines qui ont probablement besoin de toute l'aide que vous pouvez leur donner.
La présidente : Suggérez-vous des allégements fiscaux différentiels pour la publicité dans ces magazines. Est-ce cela que vous voulez dire?
M. Alexander : Non, j'estime que la phase de démarrage d'un magazine n'est pas deux ou trois numéros publiés ou deux ou trois mois. C'est plutôt trois, quatre ou cinq ans. C'est ce temps dont ont besoin les magazines pour commettre une erreur ici et là et pour survivre, pour savoir s'ils peuvent vraiment réussir. En l'absence de dons de bienfaisance et d'investissements privés, il y a vraiment un grand besoin d'aide du gouvernement.
Le sénateur Chaput : Je ne connais pas très bien ce programme. Savez-vous quelque chose au sujet des industries culturelles par rapport à l'industrie cinématographique? À la fin de l'année, elles reçoivent des fonds en fonction du nombre de personnes qu'elles ont embauchées. Elles peuvent demander un refinancement d'une partie du revenu qu'elles ont payé à la fin d'une année complète. Cet argent peut donc être utilisé pour l'année suivante. Avez-vous des informations à ce sujet?
M. Alexander : Est-ce lié à Téléfilm Canada? Je ne suis pas sûr.
Le sénateur Chaput : Je ne suis pas sûr, mais c'est lié à l'industrie cinématographique.
M. Alexander : Je ne connais rien de comparable dans le secteur des magazines. Ce genre de chose peut être certainement très utile.
Le sénateur Chaput : Le programme aide les petites industries dans leurs coûts de démarrage. Certaines de ces petites industries qui bénéficient de ce genre de financement se consolident au fur et à mesure.
M. Alexander : Je pourrais présenter un argument de poids, si nous considérons les possibilités d'emploi et le maintien des talents au Canada, ce qui est important.
Le sénateur Chaput : C'est exactement ce qui se passe avec les industries qui reçoivent de tels fonds. Nous devrions obtenir des renseignements à ce sujet.
M. Alexander : Tout notre personnel compte environ 20 personnes. Les rédacteurs et les artistes ne sont pas inclus.
La présidente : C'est beaucoup pour une petite entreprise qui démarre. Vous essayez vraiment de faire les choses comme il faut.
M. Alexander : Cela comprend les stagiaires-rédacteurs. Si vous voulez vérifier les faits, etc., il faut avoir les ressources.
La présidente : Cette séance a été vraiment intéressante, monsieur Alexander.
M. Alexander : Merci.
La présidente : Afin d'éviter toute confusion dans la transcription, j'aimerais revenir sur une chose. Tout à l'heure, vous avez mentionné la fermeture de bureaux étrangers. Je suppose que vous parliez des bureaux étrangers d'agences de presse canadiennes.
M. Alexander : C'est exact.
La présidente : Vous ne faisiez pas allusion aux bureaux d'agences de presse étrangères implantées au Canada.
M. Alexander : C'est exact.
La présidente : C'était les bureaux canadiens à l'étranger.
M. Alexander : Oui.
La présidente : Merci.
La séance est levée.