Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 2 - Témoignages du 23 novembre 2004
OTTAWA, le mardi 23 novembre 2004
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 35, pour examiner l'état actuel des industries des médias du Canada; les tendances émergentes et les développements au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures pertinentes.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Nous continuons aujourd'hui notre étude des médias d'information canadiens et du rôle que l'État devrait jouer pour aider nos médias d'information à demeurer dynamiques, indépendants et diversifiés, compte tenu des bouleversements qui ont touché ce domaine au cours des dernières années — notamment la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration de la propriété.
[Français]
Nous sommes heureux d'accueillir ce matin M. Ben Chin, chef d'antenne de la chaîne radiophonique Toronto One CKXT, à laquelle le CRTC a récemment octroyé une licence. Cette chaîne a connu une histoire plutôt mouvementée qu'il serait intéressant d'explorer. Auparavant, M. Chin travaillait à la CBC.
[Traduction]
Monsieur Chin, je vous remercie beaucoup d'être avec nous aujourd'hui. Comme vous le savez, vous disposez d'au plus 10 minutes pour vos remarques préliminaires car nous devons nous nous réserver du temps pour la période des questions. La parole est à vous.
M. Ben Chin, Toronto One, témoignage à titre personnel : Merci, madame la présidente. Je suis ravi d'être parmi vous ce matin et vous remercie de votre invitation. Je vous suis également reconnaissant du travail remarquable que vous avez fait jusqu'à maintenant. Votre rapport intérimaire, publié en avril 2004, est impressionnant. Les comités sénatoriaux sont reconnus au Canada pour le travail important et parfois innovateur qu'ils accomplissent sans la partisanerie politique que l'on retrouve dans la Chambre basse. Je dois dire que vous faites honneur à cette réputation.
Je comparais aujourd'hui devant vous car je compte 15 ans d'expérience dans le domaine des informations télévisées. Je croyais être habile sur le plan technologique, mais ce n'est apparemment pas le cas puisque je n'ai pas réussi à transmettre au greffier ma biographie par courrier électronique. Je vais donc faire un bref survol de mon expérience dans le domaine.
J'ai fait mes débuts en 1989, à Citytv, à Toronto, lorsque Moses Znaimer m'a engagé en tant que journaliste affecté aux reportages généraux. J'y suis resté pendant huit ans. Durant cette période, j'ai occupé le poste de chef d'antenne du midi et j'ai fait éclater plusieurs affaires au grand jour. Par la suite, je suis allé travailler avec le sénateur Munson, pour après le remplacer, à Halifax, en tant que chef du bureau de l'Atlantique de CTV.
Le sénateur Fairbairn : Ce fut sûrement tout un défi!
M. Chin : Vous ne pouvez pas vous imaginer tout le ménage que j'ai dû faire!
J'ai travaillé là-bas pendant un an pour le bulletin de nouvelles nationales, ce qui m'a permis de vivre une tout autre expérience que celle que j'avais eue dans le cadre du téléjournal à Citytv, qui était axé sur la région de Toronto.
Après une année, je me suis joint à la chaîne CBC et suis revenu à Toronto comme hôte du CBC Newsworld, en après-midi. Plus tard, j'ai occupé le poste de présentateur du Saturday Reports, le week-end, et j'ai remplacé à l'occasion Peter Mansbridge et Alison Smith au Sunday Report et au The National. J'ai fait l'expérience des bulletins des nouvelles nationales de la télévision d'État ainsi que ceux diffusés sur d'autres chaînes par câble, ce qui a eu, selon moi, un grand impact. Les chaînes Global et Météomédia sont probablement les seules pour lesquelles je n'ai pas encore travaillé. On peut dire que j'ai fait le tour. Je ne suis pas ici pour représenter Toronto One, la chaîne pour laquelle je travaille depuis un an, mais bien pour témoigner en tant que journaliste qui connaît le domaine.
Toronto One m'a offert une occasion unique de lancer une nouvelle chaîne de télévision à Toronto, la première du genre en plus de 30 ans et probablement le dernier défi dans ma carrière. Je n'ai pas pu résister à la tentation. Je suis content d'avoir pu contribuer au rayonnement de la station à Toronto et au développement de son auditoire.
Cela dit, j'ai pu constater, en tant que journaliste et chef d'antenne depuis 15 ans, qu'il existe un grand paradoxe dans l'industrie. Il n'y a jamais eu autant de chaînes d'information télévisée qu'aujourd'hui. Lorsque j'étais jeune, les seuls bulletins de nouvelles qui valaient la peine d'être regardés étaient ceux diffusés pendant une demi-heure, à 22 heures ou 23 heures. C'est ce que nous appelions « le monde ». De nos jours, il y a des chaînes d'information internationales et locales en ondes 24 heures par jour. Il va sans dire que cela change notre façon de travailler.
Ce qui est paradoxal, c'est que malgré l'accès aux nouvelles internationales et locales — qui ont connu une grande expansion au cours des 15 dernières années, les téléspectateurs ne semblent pas s'y intéresser tant que ça. À certains égards, les gens ne se tournent plus vers les bulletins de nouvelles comme avant. Ils ne mobilisent plus autant la société. Cela me préoccupe un peu car si nous n'avons plus de tribune commune pour lancer des débats, comment ferons-nous? Sur quoi les gens fonderont-ils leurs opinions?
Cela s'explique de diverses manières. D'abord, il y a l'augmentation généralisée du nombre de stations de télédiffusion, au-delà des chaînes de nouvelles. Vous avez déjà examiné la question de l'univers télévisuel, qui se composerait de 500 canaux. Les gens ont beaucoup d'options à 18 heures, 22 heures ou 23 heures. Vous n'avez plus à regarder le bulletin de nouvelles; c'est d'ailleurs le choix que font de plus en plus les gens.
La jeune génération des 20 à 30 ans ne regarde pas les bulletins de nouvelles, du moins pas autant que ne le souhaiterait l'industrie. Nous devons élargir les sujets à traiter pour rejoindre l'auditoire, les jeunes, et ce d'une façon qui les attire et est pertinente pour eux.
Un autre aspect est l'incroyable diversité sociale en milieu urbain, comme à Toronto. Je ne crois pas que le monde ait jamais connu une aussi grande mobilité des populations. Des gens d'un peu partout viennent s'installer ici et s'intègrent, ou non, comme on le voit dans une ville comme Toronto qui compte maintenant environ cinq millions d'habitants. Cela présente de grands défis.
J'interviens beaucoup dans les écoles. Pendant la guerre en Irak, par exemple, j'ai demandé aux jeunes dans des écoles secondaires, « Quelle est votre source principale de nouvelles? Est-ce News World à la CBC? » J'ai vu quelques mains se lever. J'ai obtenu la même réponse à ma question : « Est-ce Newsnet de CTV? ». Mais quand je leur ai parlé de CNN, la réponse a été beaucoup plus forte. Dans plusieurs écoles de quartiers où la population vient principalement d'Asie méridionale et du Moyen-Orient, quand j'ai mentionné la chaîne Al-jazeera, la plupart des jeunes dans la salle ont levé la main.
Ce n'est donc plus simplement une question d'accès aux émissions diffusées par câble, puisque l'on peut désormais obtenir des services de nouvelles par satellite. Beaucoup de parents ont probablement accès à des stations qui leur donnent plus d'informations en provenance de leur pays d'origine. Cela pourrait nuire à l'intégration globale de la société si les enfants se limitaient aux émissions que regardent leurs parents et ne se tournaient pas vers les principaux bulletins de nouvelles traditionnels du Canada.
En ce qui a trait au journalisme proprement dit, la charge de travail a beaucoup augmenté. À mes débuts, il y a 15 ans, on consacrait la plupart de sa journée de travail à une nouvelle. On allait à un endroit, on parlait aux gens, on en appelait d'autres et on passait beaucoup de temps avec eux. Même à cette époque, les gens qui s'occupaient des actualités disaient que nous ne passions pas beaucoup de temps sur nos dossiers. Nous y consacrions pourtant au moins une journée. De nos jours, en raison de la prolifération des chaînes d'information continue, la journée de travail d'un journaliste est agitée. Il faut constamment alimenter la machine. Souvent, on vous affecte à une nouvelle sur laquelle il faut faire le point à plusieurs reprises pendant la journée auprès du chef d'antenne. Prenons, par exemple, l'écrasement d'un avion. Il m'est arrivé de couvrir la nouvelle d'un écrasement d'avion sans pouvoir me rendre sur les lieux de la catastrophe avant deux jours car j'étais trop occupé à faire le point, toutes les heures, sur la nouvelle. Les producteurs s'y rendent et obtiennent des éléments d'information que nous devons ensuite préparer pour le bulletin de fin de soirée.
Ce besoin de présenter un événement sur le vif nuit à la capacité du journaliste de fournir un reportage complet et réfléchi. Il est très difficile de bien préparer un compte rendu approfondi lorsqu'il faut fournir des points d'information pendant toute la journée.
Les bulletins de nouvelles ne sont pas seuls dans l'univers télévisuel. Dans la plupart des foyers, la télévision est un théâtre, un divertissement. Les gens perçoivent les bulletins de nouvelles un peu de la même façon que les émissions de téléréalité, les jeux télévisés ou autres. Les bulletins de nouvelles sont maintenant en concurrence avec ces autres types de divertissement. Ils doivent épater et avoir la même allure que ces programmes. Même si c'est de bonne guerre, cela influe sur les décisions en matière de programmation, car il faut tenir compte de ce que l'auditoire regarde juste avant votre émission.
Je vais vous donner un exemple, mais je ne nommerai personne. Il y a quelques années, vous n'auriez jamais vu l'annonce, une heure avant le bulletin des nouvelles nationales, d'un reportage sur le mariage de Britney Spears. Voilà le genre de chose que l'on doit faire maintenant. Il faut couvrir ces événements pour essayer de rejoindre une partie de l'auditoire difficile à atteindre et qui regarde un programme américain avant le bulletin des nouvelles.
Voilà donc certaines des pressions et des difficultés que vit l'industrie. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
Le sénateur Tkachuk : Si je ne m'abuse, la chaîne Toronto One appartenait au début à Craig Media, qui ne possède pas de journaux, n'est-ce pas? Sous condition de l'approbation du CRTC, la chaîne devrait passer aux mains de Quebecor, qui est propriétaire, notamment, du Toronto Sun. Dans quelle mesure le fait d'appartenir à une entreprise qui pratique la propriété croisée à grande échelle influera-t-il votre travail?
M. Chin : Pour commencer, la proposition de Quebecor a été approuvée par le CRTC. Nous attendons seulement les signatures, le règlement des derniers détails et le contrat entre CHUM et Quebecor.
En tant qu'employé de Toronto One, je suis en faveur d'un partenariat avec le Toronto Sun. Comme vous avez pu le constater dans le cadre de vos travaux, il y a très peu de stations de télévision indépendantes. Il est très difficile pour ces stations d'acheter des programmes et d'avoir un impact sur le marché. Je ne sais pas dans quelle mesure il y aura de la convergence sur le plan éditorial, mais il y a certainement des avantages à ce qu'il y ait une convergence du marketing car le Toronto Sun a une grande force de frappe dans ce domaine à Toronto. Il pourra faire circuler la nouvelle qu'il y a une nouvelle station de télévision sur le canal 15.
Le sénateur Tkachuk : Ça ne vous inquiète pas trop?
M. Chin : Non, pas vraiment. Devrons-nous adopter les mêmes positions que le Toronto Sun? Je ne le pense pas. Quand vient le temps de créer une station de télévision et d'en assurer sa réussite — ce n'est qu'une hypothèse car tout reste à voir —, je crois que les gens d'affaires permettent, en général, aux choses d'évoluer si elles obtiennent du succès.
À Toronto One, personne ne craint vraiment l'ingérence du comité éditorial du Toronto Sun.
Le sénateur Tkachuk : Si la CBC n'était pas présente à Toronto, en ce qui a trait au bulletin des nouvelles locales, croyez-vous que le secteur privé comblerait ce vide?
M. Chin : Toronto est un marché dans lequel la station locale de la CBC ne fait pas grand-chose pour le moment. Ses cotes d'écoute sont si petites qu'elles se comparent aux nôtres, alors que notre chaîne n'existe que depuis septembre dernier. Nous sommes coude à coude.
Le sénateur Tkachuk : C'est vrai. C'est la même chose dans ma province.
M. Chin : Je me demande quel vide elle laisserait derrière elle. Dans le secteur privé, on critique constamment la CBC. Puisque j'y ai travaillé pendant cinq ans et que je crois en son mandat, je ne fais pas partie de ses détracteurs. J'aimerais que la station locale de la CBC soit prospère à Toronto et qu'elle se porte mieux.
Dans le contexte actuel, si l'on regarde le recul de la CBC depuis 10 ans, on ne peut pas dire qu'elle laisserait un grand vide. D'autres ont fait leur place dans de nombreux domaines. Je dirais que la station Citytv, à Toronto, couvre beaucoup plus l'arène politique et les affaires publiques que la CBC, et ce même à l'époque où j'y travaillais. Bien que Citytv n'ait pas l'approche de la CBC, cette station a comblé à sa façon un peu le vide qu'a laissé derrière lui l'ancien bulletin des nouvelles de 18 heures de la CBC.
Le sénateur Tkachuk : Tous les sièges sociaux des médias d'information sont à Toronto, de même que l'ensemble des chaînes par câble. Tous les volets culturels que la télévision doit promouvoir proviennent de Toronto. Comment expliquez-vous cela?
M. Chin : De toute évidence, Toronto est un centre d'affaires, et il s'agit d'entreprises de télédiffusion. Il serait aussi étrange pour une station de télévision que pour une banque de s'installer ailleurs. Je crois que c'est ça la raison, bien que je ne sois pas celui qui prenne ces décisions.
Le sénateur Tkachuk : Croyez-vous que c'est bon pour le pays?
M. Chin : Non, pas particulièrement. Il n'est pas sain, à mon avis, que le centre détermine les normes culturelles de l'ensemble du pays ou que Toronto s'empare des nouvelles régionales, les interprète à sa façon et les renvoie aux régions. Cela pourrait entraîner une vue très biaisée de ce qu'est notre pays.
Nous avons besoin de gens solides en région qui s'en sortent bien au sein des grandes organisations, mais je ne sais pas, pour être honnête, comment on peut corriger la situation; après tout, je ne peux quand même pas me lever et décider de créer une station de télévision à Halifax.
Le sénateur Tkachuk : Qu'est-ce qui vous en empêche?
M. Chin : L'argent.
Le sénateur Tkachuk : C'est l'argent, pas le CRTC?
M. Chin : Oui. Si je me présente devant le CRTC les poches pleines d'argent, tout est possible. Les grandes entreprises s'en servent maintenant pour répartir leurs coûts entre de nombreuses stations de télévision et peut-être même différents médias.
Le sénateur Merchant : Vous avez abordé beaucoup de choses qui m'intéressent, c'est-à-dire ce que les jeunes regardent, les sources d'information que recherchent les groupes ethniques ou les immigrants et la façon dont ceux-ci ont accès aux nouvelles en provenance de leur pays d'origine.
Pou revenir à ce que le sénateur Tkachuk disait au sujet de la CBC, comment croyez-vous que cette dernière, qui a des stations partout au Canada, pourrait mieux nous servir? Je viens de Regina, en Saskatchewan. Outre la demi-heure de nouvelles locales diffusées à 18 heures, nous n'avons que des actualités nationales toute la journée. Il n'y a rien de mal à cela car ce n'est pas parce que nous vivons en Saskatchewan que nous ne nous intéressons pas à ce qui se passe ailleurs dans le monde. Toutefois, nous nous sentons isolés puisque tout vient de Toronto.
La CBC est une société que nous soutenons tous, mais elle est un moyen très coûteux d'avoir des nouvelles. Avez- vous des solutions à proposer pour la CBC? Que pourrait-elle faire pour mieux répondre à nos besoins?
M. Chin : C'est d'abord au pays tout entier de se poser cette question. Je travaillais à la CBC lors du retrait des régions et du lancement de l'émission Canada Now, de la fermeture des salles de nouvelles locales et de la transformation de Canada Now en une émission qui se veut en partie nationale et locale et qui est diffusée depuis Vancouver. Il ne s'agissait pas de décisions de programmation, mais bien de décisions financières où la direction — et je comprends comment elle a pu en venir à ça — a dû regarder ses activités et leur coût et a constaté qu'il fallait faire quelque chose car ce n'était plus viable. Nous devons nous demander à quoi les Canadiens s'attendent surtout de la CBC.
Ils ont convenu qu'il s'agissait davantage de nouvelles nationales et internationales, et ont pensé qu'il valait peut- être mieux présenter les nouvelles régionales à 18 heures. Telle a été leur décision. C'était un mauvais choix ne serait-ce que pour des raisons journalistiques ou éditoriales. Je ne comprends pas vraiment le type de pressions financières qu'ils subissent.
Lorsque M. Robert Rabinovitch était devant la Chambre des communes, l'autre jour, il a dit qu'il aurait besoin d'un financement accru pour envisager la possibilité de relancer les émissions de nouvelles locales sur plusieurs marchés. Je le crois sur parole car je sais qu'il manquait d'argent, même après la baisse de la diffusion des nouvelles locales. Ce sont des décisions financières qui engagent l'argent des contribuables; c'est donc aux Canadiens de répondre à la question de savoir jusqu'à quel point cela en vaut la peine.
Il y a certainement des marchés dans ce pays où la CBC joue un rôle vital, comme à l'Île-du-Prince-Édouard, à Terre-Neuve ou en Saskatchewan. Ce sont des marchés mal desservis sur lesquels les sociétés du secteur privé ne se précipitent pas. Il faut donc assurer la présence du diffuseur national. On pourrait peut-être proposer un modèle asymétrique permettant de couvrir les collectivités mal desservies au détriment des grands centres.
Le sénateur Merchant : Je ne comprends pas bien cela parce que la CBC est un réseau de diffusion de l'information qui coûte très cher aux Canadiens. Je ne sais pas si cela tient à son mode de fonctionnement, étant donné qu'elle dépend de l'argent des contribuables. J'ai connu des journalistes ayant travaillé à la fois pour la CBC et le réseau CTV qui m'ont dit que le mode de fonctionnement de la CBC était plus coûteux. J'ignore ce que cela signifie. Lorsqu'un journaliste venait de la Saskatchewan pour couvrir un événement, il était très accompagné, mais moins que lorsqu'il travaillait pour CTV, par exemple. Toutefois, j'estime que les nouvelles de la CBC sont de bonne qualité.
M. Chin : C'est vrai.
Le sénateur Merchant : Et la qualité coûte cher.
M. Chin : De plus en plus, et c'est une critique injuste à l'égard de la CBC. C'est d'ailleurs souvent le parent pauvre du secteur. À Toronto, par exemple, la CBC est tellement démunie par rapport à CFTO et Citytv, nous, Global et tous les médias de Toronto, qu'elle est la dernière à arriver partout. Elle ne dispose pas de suffisamment de caméras pour couvrir adéquatement la ville. Elle n'a que quatre journalistes pour tout Toronto.
Il se peut que ce soit cinq, mais c'est dans ces eaux-là. Ce n'est pas vrai qu'elle dépense sans compter dans les émissions de nouvelles comme d'autres auraient pu le dire par le passé.
Une partie du problème tient au fait que l'échelle salariale n'est pas nécessairement plus élevée qu'ailleurs, actuellement. Si vous m'embauchiez comme vérificateur pour examiner les comptes de la CBC de fond en comble et trouver du gaspillage, je suis sûr que je pourrais en trouver, mais je ne saurais pas par où commencer. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'y en avait pas à mon étage.
Le sénateur Fairbairn : Monsieur Chin, permettez-moi de vous dire, avant de vous poser mes questions, que je suis l'une de ces reliques de l'histoire journalistique qui a fait ses débuts sur la Colline parlementaire il y a 43 ans, à la tribune de la presse. À l'époque, CTV et Global n'existaient pas. Il y avait la CBC — soit le grand Norman DePoe pour la télévision et Tom Earle pour la radio —, quelques radios indépendantes et CHCH Hamilton, qui avait ici un représentant. Lorsqu'il y avait des conférences de presse, les caméras n'étaient pas autorisées et l'information se transmettait essentiellement par la presse écrite. Cela a changé radicalement et je pense que c'est une bonne chose.
Certains de vos commentaires m'ont troublée. Vous avez parlé des jeunes avec le sénateur Merchant. Vous aviez dit qu'ils ne regardaient pas la télévision, mais que lorsqu'ils le faisaient, ils étaient davantage enclins à regarder CNN ou Al-Jazeera. Je suppose que par curiosité et goût de l'horreur beaucoup de gens regardent maintenant ces chaînes qu'ils captent par satellite. Avec tout l'argent et les efforts investis, les fusions et je ne sais quoi d'autre qui nous ont donné un accès très vaste à une grande variété de stations de télévision partout au pays, comment se fait-il, quand on a une télé aussi bonne que la nôtre — et je crois que c'est le cas au Canada; et j'aime aussi évidemment beaucoup la CBC — que le public, qu'il soit jeune ou vieux, regarde CNN? Qu'est-ce qui les attire tant, si au Canada on couvre le même type d'événements? Nous avons également des journalistes canadiens envoyés un peu partout dans le monde qui couvrent extraordinairement bien l'actualité. Comment se fait-il qu'il n'y ait pas cette attraction pour les diffuseurs canadiens et que nous regardions des chaînes qui nous livrent de l'information prédigérée, comme CNN?
M. Chin : J'aimerais pouvoir vous répondre, mais je ne sais vraiment pas quoi vous dire. Lorsque j'examine la situation, je me rends compte que les États-Unis ont évidemment plus de capacité et beaucoup plus d'argent et de ressources que nous. Ils peuvent couvrir une guerre, minute après minute, ce que les réseaux canadiens sont dans l'impossibilité de faire. Néanmoins, nous pouvons certainement faire un meilleur travail, même si on arrive les derniers sur place, en ayant un autre regard sur les événements, au lieu de nous limiter à faire une description des explosions et à dire laquelle a eu lieu en premier. Si c'est vers cela que se tournent les téléspectateurs, ce doit être parce qu'il y a quelque chose de plus divertissant dans la présentation et dans la couverture journalistique, comme lorsque des envoyés spéciaux des réseaux américains se sont mêlés aux troupes dans la guerre en Irak. J'imagine qu'en regardant les émissions des chaînes américaines, les gens se sentaient plus proches des lignes de front.
L'autre chose curieuse pour laquelle je n'ai pas non plus de réponse est que, lorsque je consulte le public et que je parle à des jeunes, je sens assez souvent beaucoup de cynisme à l'égard du journalisme américain que l'on trouve exagérément patriotique et partial. Pourtant, quand vous le leur demandez, ils vous disent que c'est ça qu'ils regardent. Cela doit vouloir signifier qu'il y a là une occasion unique de présenter le journalisme canadien sous un nouveau jour. Il y a une ouverture à explorer. Les gens ne sont pas satisfaits de la couverture des événements que font les réseaux américains qu'ils regardent majoritairement. Si nous pouvions simplement les faire changer de poste pour qu'ils regardent nos programmes, ce serait une occasion de redéfinir notre journalisme ainsi que la vision canadienne du monde par rapport à la vision américaine.
Le sénateur Fairbairn : C'est quelque chose qu'un de vos collègues, M. Kevin Newman, devait faire avec Global lorsqu'il est revenu de son expérience aux États-Unis. Est-ce que cela a eu un effet? Cela a-t-il permis de relever la barre? C'est vrai que Global fait les choses un peu différemment. Y a-t-il eu un intérêt renouvelé?
M. Chin : Cela a dû avoir un effet car l'émission de Kevin Newman est assez populaire partout au pays, en tout cas plus que beaucoup de gens ne l'avaient imaginé. Quoi qu'il en soit, il est pour une couverture différente des nouvelles nationales et internationales ou a une façon plus créative d'aborder les événements dans la mesure où il fonctionne avec un budget restreint et que des centaines de milliers de téléspectateurs de partout au pays regardent son émission. Il est certain qu'il a pris de bonnes décisions.
Le sénateur Munson : Le passé est garant de l'avenir. Ce jeune enfant de quatre ans que vous aviez rencontré à Halifax est maintenant en onzième année et, ce matin, il nous a engagés, ma femme et moi, dans une sérieuse discussion à propos d'un travail qu'il essayait de présenter à son professeur au sujet de la partialité dans les médias. Je ne sais pas à quoi cela tient, mais maintenant, les défis viennent même de chez moi.
La semaine dernière, quelqu'un est venu nous parler des stations de radio, des chaînes de télévision et des journaux qui étaient détenus par un seul propriétaire, particulièrement à Vancouver. Ce témoin disait qu'il croyait que le gouvernement devait intervenir et réglementer le secteur. Qu'en pensez-vous? Je crois que c'est quelque chose qui lui tenait vraiment à cœur.
M. Chin : Je n'ai pas fait partie du mouvement consistant à arrêter la convergence. Laissez-moi vous dire pourquoi. J'ai vu de grandes sociétés tout autant que de petites être mal gérées. Regardez l'union CTV/The Globe and Mail, je ne crois pas qu'on puisse dire qu'elle a été néfaste. Cela n'a vraiment pas été le cas. Le Globe and Mail s'est amélioré, à mon avis, au cours des cinq dernières années environ, en grande partie à cause de la concurrence du National Post. C'est devenu un journal davantage tourné vers ses lecteurs et il est vraiment meilleur. Les émissions de nouvelles de CTV ont également profité de cette union avec le Globe and Mail — peut-être pas autant que certaines personnes au sein de la société ne l'auraient souhaité —, grâce aux enquêtes conjointes, entre autres; mais dans l'ensemble, ces deux sociétés fonctionnent comme avant. Je ne peux pas dire, de façon primaire, que la convergence est une mauvaise chose. Je ne pense pas qu'elle se soit nécessairement révélée infructueuse.
Il est clair que nous vivons dans un pays où il faut certains types de règlements. Sans cela, les régions ne pourront pas prospérer. Il convient d'harmoniser les règles du jeu dans un pays si vaste où la population est tellement concentrée dans certaines zones. C'est vrai, mais j'hésiterais également à demander au gouvernement de s'immiscer dans ce type de transactions commerciales. J'éprouve la même ambivalence à l'égard de l'équité en matière d'emploi. Je sais que j'en ai bénéficié. Je sais aussi que c'est une excellente façon pour les différentes communautés d'être prises en compte par les chaînes de télévision. Je crois que les radiodiffuseurs doivent le faire dans leur propre intérêt, pour des questions commerciales. Il ne faut pas que ce soit une tentative minimaliste consistant à s'en tenir à la réglementation, mais plutôt une ouverture, un acte de foi destiné à prendre des risques. Je ne peux pas partager les préoccupations de l'autre témoin selon lesquelles la réglementation gouvernementale aurait pour effet de déstabiliser une société.
Le sénateur Munson : Vous avez parlé de votre charge de travail et de celle des journalistes ainsi que du fait que vous devez passer plus rapidement sur certaines choses pour vous préparer pour les émissions de midi, 18 heures, 23 heures, et cetera. Est-ce que votre charge de travail sera beaucoup plus lourde si le groupe de journaux de Sun Media s'empare de vous et que vous devez faire une colonne et une chronique Web? De quelle façon cela permet-il de servir le journalisme au sens où vous l'avez indiqué plus tôt, soit d'avoir un ou deux jours pour rédiger un article? Est-ce que cela nuirait à la qualité du journalisme dans ce pays?
M. Chin : Je pense que oui, absolument, mais je ne vois pas cela se produire sur une grande échelle dans ce pays. Il se peut que la Dre Marla Shapiro, qui a une émission sur CTV, écrive également une colonne santé dans le Globe and Mail, mais c'est un exemple de convergence coordonnée. Au quotidien, je doute que nous voyions un journaliste du Toronto Star publier un article puis présenter un reportage à la télévision. La CBC a suffisamment de mal à essayer que les journalistes de la radio et de la télévision convergent ou travaillent ensemble. Même dans les relations de partenariat auxquelles j'ai participé, où les salles de nouvelles étaient unies, les partenaires protégeaient jalousement leurs histoires, à juste titre. Le Toronto Star ne veut pas me céder de reportage ni moi non plus à lui. Je ne pense pas que nous assisterons à ce type de convergence éditoriale.
Je crois que c'était un scénario très optimiste envisagé par des comptables à la petite semaine il y a plusieurs années, qui imaginaient ce genre d'alliance contre nature; que nous n'aurions besoin que de la moitié des journalistes de la presse écrite et de la moitié des journalistes de la télévision combinés pour faire le travail des deux. Je ne pense pas que cela se soit concrétisé.
Le sénateur Munson : Vous avez parlé de la deuxième génération du baby-boom. Qui tentez-vous d'attirer? Qu'essayez-vous de faire différemment de ce que l'on voit déjà sur le marché privé à Toronto?
M. Chin : À Toronto, le journal télévisé de 18 heures n'en est pas vraiment un. C'est davantage un magazine de nouvelles qui cible directement ce groupe de personnes. L'une de nos stratégies a été d'éviter de s'en prendre aux habitudes établies des téléspectateurs au cours de la première année et de tenter d'attirer des téléspectateurs fidèles à d'autres stations de télévision. Le plus utile serait d'essayer de capter l'attention de ceux qui ne regardent pas les émissions de nouvelles à 18 heures. Nous faisons des choix éditoriaux en connaissance de cause, en nous fondant sur ce que nous jugeons important pour ce groupe d'âge et sur sa façon de voir la vie dans la ville.
Notre émission est assez différente d'autres téléjournaux. Nous ne passons pas beaucoup de temps sur les nouvelles quotidiennes. Nous nous consacrons davantage aux reportages approfondis sur la culture populaire, les tendances, l'architecture urbaine et je ne sais quoi d'autre au cours de la demi-heure à notre disposition. Franchement, le modèle de l'émission est assez attrayant. J'entends souvent des jeunes dire que le rythme est très rapide, que c'est très tape à l'œil et que ça a l'air américain. Nous essayons de faire concurrence aux chaînes de télévision du sud de la frontière qui pourraient attirer ce public.
Le président : Monsieur Chin, vous êtes à Toronto et nous, à Ottawa. Pourrions-nous vous demander de nous envoyer un enregistrement de quelques-unes de vos émissions pour que nous puissions les visionner et voir de quoi elles ont l'air?
M. Chin : Oui, absolument.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je vais regrouper ces trois questions en une seule et vous pourrez y répondre si vous le voulez. La première concerne les nouvelles. J'aimerais commencer par dire qu'à mon avis, nos écoles font un excellent travail en matière de promotion, de responsabilisation et de sensibilisation des jeunes à l'environnement. Je me demandais si notre système éducatif pouvait en faire autant pour développer le sens civique. Si c'était le cas, pensez- vous qu'il soit pertinent de faire le nécessaire pour que les écoles donnent des devoirs aux étudiants en sciences sociales et politiques, entre autres, qui leur exigeraient de suivre l'actualité canadienne?
Deuxièmement, en ce qui concerne la diffusion des journaux à 18 ou à 19 heures, est-il encore pertinent de les présenter à 18 heures? La vie change. La plupart d'entre nous venons juste d'arriver à la maison à ce moment-là. En ce qui me concerne, je trouve dommage que la plupart d'entre nous ayons laissé tomber le repas en famille. Dans bien des cas, les gens regardent la télévision pendant qu'ils sont à table. Je me demandais s'il n'était pas possible de mettre les nouvelles à 19 heures, quand les gens commencent à se détendre. Je ne sais pas si on en a parlé dans les médias.
La troisième partie de ma question concerne la personnalité des présentateurs-vedettes. Je pense que c'est essentiel. Il y a une émission, par exemple, que je regarde les dimanches midi toutes les fois que je m'en souviens ou que je peux, et c'est à cause des présentateurs. J'aime les écouter. C'est du théâtre, mais c'est aussi une bonne émission de nouvelles canadienne, au même titre que d'autres programmes auxquels je suis également fidèle.
Voilà donc ma question en trois volets.
M. Chin : Pour commencer, je répondrai à la troisième partie de votre question. Je crois que la personnalité des présentateurs est extrêmement importante, qu'il s'agisse de présentateurs-vedettes ou de journalistes. Je suis entièrement d'accord avec vous là-dessus.
Pour ce qui est du premier point concernant le système éducatif, je regrette vivement que les sciences humaines, l'histoire et la politique ne soient désormais plus obligatoires dans les cursus scolaires supérieurs. Les professeurs d'histoire de l'Ontario me l'ont d'ailleurs fait remarquer. Je ne sais pas à quoi tient ce désengagement. En général, nous n'avons jamais été particulièrement bons dans l'enseignement de l'histoire canadienne ou des affaires publiques de notre pays. Nous avons eu d'excellents professeurs, bien sûr, dans certaines écoles, mais lorsque j'étais enfant, les gens s'en plaignaient déjà.
Aujourd'hui, on dit : « Tu n'as pas besoin de prendre ce cours, ce serait mieux que tu suives un deuxième cours de mathématiques » ou je ne sais quoi d'autre. Ce choix n'est pas salutaire. J'espère, dans une certaine mesure, que les conseils scolaires et les parents réévalueront la situation. Cela fait partie de ce mouvement consistant à préparer les jeunes pour le marché de l'emploi. Peut-être que la meilleure préparation est de lire abondamment et de s'intéresser aux arts de différentes façons. Cela nous aiderait probablement à résoudre les problèmes dans bien des industries et à apprendre comment faire des liens entre les choses.
J'essaie de me souvenir de la deuxième partie de votre question.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je parlais de la présentation du journal à 19 heures plutôt qu'à 18 heures.
M. Chin : C'est une excellente remarque. Nous avons lancé notre émission, Toronto Tonight, à 19 heures, justement dans ce but. Puis nous nous sommes rendu compte que c'était une heure de grande écoute pour des programmes américains auxquels les téléspectateurs sont incroyablement fidèles. Nous diffusons maintenant à 18 heures et à 19 heures. Très souvent, nous voyons que les taux d'écoute à 19 heures sont plus élevés qu'à 18 heures. C'est probablement parce que les gens arrivent chez eux plus tard et, comme ils n'ont pas vu les actualités, ils regardent l'émission d'affaires publiques de 19 heures.
La présidente : Ceux qui sont de véritables maniaques des actualités, peuvent commencer par écouter le bulletin de 6 heures, puis tous les autres.
Le sénateur Eyton : Monsieur Chin, je vous remercie de votre présence. Toronto et la place cruciale qu'elle occupe dans le monde des médias anglophones au Canada, ont fait l'objet de passablement de critiques. Je remarque que vous êtes de Toronto et, selon moi, vous ne souhaitez pas déménager.
Croyez-vous qu'il est souhaitable au Canada qu'une grande agglomération urbaine attire les gens dynamiques et de talent qui s'influencent les unes les autres et qui s'améliorent ainsi? De quelle autre façon expliqueriez-vous le succès de New York, Los Angeles, Rome, Paris ou Londres? Il semble que chaque pays a besoin d'au moins une telle grande agglomération. Au Canada, je suppose que Montréal et Toronto pourraient particulièrement jouer ce rôle. Il me semble qu'elles ont leur propre valeur intrinsèque, ce qui rend leurs médias meilleurs, au profit non seulement de l'industrie mais aussi des Canadiens qui écoutent et qui lisent. Qu'en pensez-vous?
M. Chin : Je suis d'accord avec vous. Même les États-Unis ont New York, Washington et Los Angeles.
Le sénateur Tkachuk : Ainsi que Nashville et Atlanta.
M. Chin : Effectivement, mais les sièges de toutes les chaînes, à l'exception de CNN, se trouvent à New York. Dans un pays comme le nôtre, je ne pense pas qu'il soit particulièrement dangereux que Toronto devienne ce genre d'incubateur. Je partage également les préoccupations de la vice-présidence, selon laquelle il est dommage que nous ayons assisté à la fin des services et des programmes régionaux au fil des années. Quelle est la solution? On ne peut pas forcer les gens à aller là où ils ne font pas d'argent. Il s'agit d'une entreprise financière. Ce sont les affaires.
Le sénateur Eyton : Toronto One vient de comparaître devant le CRTC. J'ignore si vous êtes au courant de la situation, mais je vous pose néanmoins la question. La convergence des médias a-t-elle été soulevée devant le CRTC? Dans l'affirmative, est-ce là une des conditions de la licence que vous avez obtenue?
M. Chin : Je l'ignore. Je n'ai pas suivi d'assez près les audiences pour savoir si cette question a été soulevée. Depuis, les dirigeants de Québécor ont été cités dans différents articles au sujet de la valeur qu'ils attribuent à la possession du Toronto Sun et de Toronto One, mais je ne sais pas dans quelle mesure cette question a été soulevée lors de la demande de licence.
Le sénateur Eyton : Je serais curieux d'avoir une réponse à ces questions. Nous pourrions peut-être les obtenir nous- mêmes.
La présidente : Tout à fait. Je voulais aussi explorer cette question. Vous n'êtes probablement pas sans savoir que le CRTC a parfois imposé comme condition une forme de séparation dans la prise de décisions touchant la salle de presse ou la rédaction. Il est parfois un peu difficile d'en déterminer exactement les modalités. De toute évidence, les propriétaires s'engagent en espérant également tirer profit de la convergence, au-delà des conditions qu'aurait pu établir le CRTC. Êtes-vous au courant de mécanismes internes garantissant l'indépendance de la rédaction entre les journaux de Sun Media et Toronto One?
M. Chin : Nous en sommes encore tellement au début de la prise de possession que je ne suis pas à vrai dire au courant d'une tentative de séparation ou de convergence en ce qui concerne la salle de presse. Pour tout vous dire, je n'ai même pas encore pensé que cela soit possible. Je verrais très bien une situation où les chroniqueurs du Toronto Sun auraient leurs propres émissions de télévision et où nous pourrions mener de concert une enquête auprès des consommateurs. Cela serait possible. Cependant, les deux médias étant si différents quant à la façon d'obtenir et de traiter les nouvelles, il n'en a jamais été question dans nos discussions. Je n'en suis donc pas au courant.
La présidente : Vous me permettrez de citer un exemple qui nous a été donné à quelques reprises lors de nos audiences et qui continue de soulever une certaine controverse à Montréal, où Québécor, comme vous le savez, s'est construit un empire médiatique. Il s'agit du phénomène Star Académie, une émission qui ressemble à Canadian Idol. Le Journal de Montréal, qui appartient à Québécor, a accordé une couverture médiatique large et soutenue à Star Académie. Les représentants de Québécor nous ont signalé que, selon eux, c'était tout à fait formidable : c'est une forme d'autopublicité intermédia tout à fait pertinente, qu'ils se proposent de poursuivre. Certes, dans les entrevues réalisées avec ces représentants dans les pages financières, ce modèle est qualifié de valable. Selon des universitaires et des journalistes, il s'est produit une distorsion de la couverture médiatique visée et, même si Star Académie a été un phénomène que tous ont couvert, l'initiative du Journal de Montréal était tellement disproportionnée qu'elle s'est faite au détriment des autres nouvelles.
J'ignore si vous en êtes au courant ou comment vous accueilleriez un tel phénomène à Toronto.
M. Chin : J'ignore tout ce qui entoure Star Académie et le Journal de Montréal...
La présidente : Si vous le préférez, émettez des hypothèses.
M. Chin : Je crois comprendre que ce fut une émission incroyablement populaire au Québec. En ce qui concerne l'autopublicité intermédia, ils ne l'ont pas inventée. La convergence n'est pas le seul motif de l'autopublicité intermédia. Qu'il s'agisse d'un organisme de charité avec lequel une entreprise de télévision entretient des liens plus rapprochés ou autre, j'ai souvent été témoin de cette situation au cours de mes quinze années comme journaliste, certains événements recevant une meilleure couverture parce que la station les pend plus à cœur, parce qu'ils moussent son image et parce qu'ils améliorent la place de la station au sein de la collectivité.
Au-delà de la convergence entre le journal et la station de télévision, je pense que c'est la façon dont ces ceux médias fonctionnent depuis les tout débuts. Il arrive souvent que les journaux exploitent un événement que les autres n'exploitent pas parce qu'ils ont divulgué l'affaire et veulent en tirer le maximum. Ils continuent ainsi pendant des jours après que les autres ont cessé de s'y intéresser, parce qu'ils veulent tirer le maximum en laissant savoir à la collectivité que c'est leur histoire. C'est une forme de journalisme intéressée.
D'ailleurs, j'attends avec impatience les occasions où le Toronto Sun pourront nous aider à Toronto One, parce que nous occupons une grande place, mais le public n'est pas encore tellement conscient de notre existence. Nous n'avons pas pu accomplir le niveau de marketing que nous aurions souhaité au départ. Si le Toronto Sun peut nous aider dans le marketing de notre programmation, c'est très bien. Je ne vois rien de répréhensible à cela.
C'est monnaie courante. Si Québécor arrive dans le décor et si nous collaborons de cette façon avec le Toronto Sun, cela coïncide avec la collaboration entre le National Post et le réseau de télévision Global ainsi qu'entre le Globe and Mail, CTV et CFTO. Ce n'est qu'offrir les mêmes conditions aux stations de télévision concurrentes.
La présidente : Combien de journalistes votre salle de presse compte-t-elle?
M. Chin : Selon nos dernières statistiques, notre personnel d'antenne compte 15 journalistes et présentateurs, 8 rédacteurs et personnes affectées à la production ainsi que 5 ou 6 caméramans pour le reportage d'actualités électronique, ce qui donnerait un total de 30, selon moi.
Le sénateur Phalen : Je voudrais revenir à la question de la CBC/SRC. Selon un sondage effectué par Ipsos-Reid, 85 p. 100 des Canadiens souhaitent que le rôle de la CBC/SRC soit renforcé dans leurs régions. D'après un autre sondage exécuté par Ipsos-Reid, l'auditoire de la CBC/SRC est inférieur à 10 p. 100. Pourquoi existe-t-il un tel écart entre ces deux résultats?
M. Chin : Ce sont les stations de télévision américaines qui diffusent leurs émissions au Canada et les stations canadiennes qui retransmettent les émissions américaines en jumelé qui constituent le principal problème quant au nombre de téléspectateurs de la CBC/SRC.
C'est un secret de polichinelle que cette dernière peut réaliser des dramatiques canadiennes qui ne touchent pas l'auditoire comme le fait un programme montrant une enquête sur les lieux d'un crime. Il ne suffit tout simplement pas que nous fassions du bon travail pendant notre heure ou notre heure et demie. Essentiellement, vous êtes comme un grand magasin qui est obligé d'avoir d'autres produits alléchants pour attirer la clientèle. Dans les actualités, nous nous faisons souvent des illusions sur notre capacité de faire augmenter ou baisser les cotes d'écoute en fonction de notre ardeur au travail. Cependant, l'émission qui est diffusée avant la vôtre constitue à tout le moins la moitié du problème.
Parlons de l'émission The National avec Peter Mansbridge. Elle est en ondes lorsqu'entre la moitié les trois quarts des téléspectateurs syntonisent un autre canal — fort probablement une émission américaine populaire. La tâche la plus ardue consiste à convaincre les téléspectateurs de regarder la télévision canadienne non pas parce que c'est bon pour nous, mais parce que c'est bon, un point c'est tout.
Le sénateur Phalen : Je crois que la dernière fois où le mandat de la CBC a été modifié remonte en 1991. Estimez- vous que des changements sont nécessaires? Recommanderiez-vous que le mandat soit modifié?
M. Chin : Non. Je suis un peu traditionaliste lorsqu'il s'agit de la CBC. Je crois qu'elle devrait se concentrer sur ce qu'elle fait bien : les émissions sportives comme Hockey Night in Canada et le match de la Coupe Grey; les actualités locales et internationales traitées différemment des autres chaînes; les autres émissions favorisant le rayonnement du talent canadien et les dramatiques afin que nous puissions produire des émissions dramatiques que le téléspectateur moyen préférerait aux émissions américaines concurrentes.
Le sénateur Fairbairn : Revenons à la question de la convergence entre la télévision, les journaux et les maisons de sondages, particulièrement lors des campagnes électorales. Croyez-vous que la convergence exerce un effet sur le contenu des journaux et des émissions de télévision faisant partie de l'entreprise qui est également propriétaire de la maison de sondages?
Ne s'est-il pas produit un changement dramatique dans la façon dont les résultats des sondages sont interprétés et dont les questions sont posées? Existe-t-il encore une indépendance à certains niveaux?
Je sais que cette question a été posée à maintes reprises, particulièrement au cours de la dernière campagne électorale.
M. Chin : Je ne suis pas tellement un expert en matière de convergence et de sondages, mais je dirai ceci : prenons l'exemple d'un sondage de la part du Toronto Star et de Toronto One. L'année dernière, nous avions conclu une alliance stratégique avec Toronto Star. Le Toronto Star et Toronto One versaient un certain montant. Ainsi, nous avions accès à certaines questions et ils avaient accès à d'autres, l'objectif étant d'en diffuser les résultats ventilés.
À vrai dire, auparavant, si le Toronto Star commandait le sondage, les résultats de celui-ci faisaient sa première page et nous avions l'habitude de lui emboîter le pas avec un reportage.
Le problème épineux, c'est que les sondages sont devenus une partie importante de la couverture des campagnes électorales. Comme nous l'avons constaté lors des dernières élections alors que la seule chose qu'avaient prédite correctement les sondages, ce fut le changement dans les intentions de vote. Aucun sondage ne concordait tellement avec la réalité au cours des deux dernières semaines de la campagne électorale. Comme journalistes de la télévision, nous avons ce grand besoin de suivre de près les sondages parce que nous croyons avoir épuisé les sujets d'intérêt. Si un candidat est en avance de quatre points ou accuse un retard de trois points, c'est la nouvelle que nous voulons exploiter.
Deux entreprises peuvent s'allier à une maison de sondages et élaborer des questions inopportunes, tendancieuses ou provocantes. C'est une possibilité. Ce n'est que de la mauvaise gestion. Ce sont des mauvaises décisions de la part de la rédaction. Deux entreprises peuvent également s'unir et poser des questions pertinentes dans le cadre d'un sondage et diffuser toutes les deux les résultats obtenus. Il n'y a rien de répréhensible à cela.
La convergence oblige-t-elle la télévision à commenter les sondages? Non. Au cours de la dernière campagne électorale fédérale, Toronto One n'avait conclu aucune entente avec une maison de sondages. Qu'avons-nous fait? Nous avons traité des résultats de chaque sondage qui étaient publiés quotidiennement. Nous n'y avons peut-être pas eu accès en premier, mais les résultats étaient à notre disposition par la suite. Comme les gens en parlaient, nous en avons assuré la couverture. Ce n'est pas la convergence qui nous y a obligés.
Le sénateur Fairbairn : Votre auditoire était peut-être mieux informé.
Le sénateur Munson : En terminant, je voudrais poser une question sur une note personnelle : combien de fois vous êtes-vous éveillés le matin avec une excellente idée de reportage pour finalement vous retrouver dans la salle de presse où vos collègues avaient déjà lu tous les journaux et vous disaient : « Nous devons traiter de ceci, puis de cela. »
Comment l'industrie de la télévision change-t-elle ce genre de culture? Autrement dit, disposez-vous encore d'une voix indépendante dans le monde de la convergence? Vous et moi savons très bien que la salle de presse baigne dans une ambiance qui fait dire : « Si cela a fait la première page du Globe and Mail ou du Toronto Star ou d'un autre quotidien, notre station de télévision doit faire de même. » Comment peut-on mettre fin à une telle absurdité?
M. Chin : Je sais quelle est votre position sur cette question.
La présidente : Il n'y aucun préjugé.
Le sénateur Munson : Ce n'est pas une question de préjugé mais d'expérience.
M. Chin : C'est la voix de l'expérience. Je pourrais probablement compter le nombre de fois où j'ai pu traiter les idées de reportage que j'avais eues au cours des 15 dernières années. Le total ne s'élève certes pas à des centaines. C'est peut-être arrivé une douzaine de fois. Je l'ignore. En cette ère de concurrence, il y a un modèle par rapport à l'actualité. Les journaux et la télévision agissent de la même façon. Nous reprenons sans cesse les mêmes questions parce que nous surveillons ce que l'autre fait et que nous essayons de l'imiter afin qu'on n'ait pas l'impression que nous avons loupé le coche. En agissant ainsi, nous avons perdu de nombreuses occasions de faire preuve de créativité. C'est peut-être la raison pour laquelle les gens nous délaissent ou font preuve de cynisme à notre égard parce que nous traitons tous la nouvelle de la même façon. Le décor change et la présentation est différente, mais c'est toujours les mêmes histoires qu'on rabâche.
Je ne me lance pas des fleurs parce que je ne suis pas tout à fait satisfait de notre programmation d'un soir à l'autre. C'est à la fois une expérience et un défi. Nous avons des bons et des mauvais jours, mais nous avons créé une situation où le contenu du journal n'est pas important. Nous avons réellement réussi à faire durer nos rencontres de 9 heures jusqu'à 10 heures parce que tous ont trouvé des idées et que nous devons choisir quatre sujets pour notre émission quotidienne. Ce n'est pas parce que le ministre des Finances fait un exposé économique en Ontario que nous devons en faire un reportage complet. C'est ainsi que nous envisageons les choses. Nous respectons ceux qui s'intéressent à cette question, et nous pouvons traiter cette nouvelle, c'est-à-dire que je peux, à titre de chef d'antenne, en parler pendant que des images ou une séquence sont projetées. Cependant, il se peut que ce ne soit pas la manchette la plus intéressante cette journée-là.
Nous ne croyons pas que nous devons faire un reportage parce que ses propos feront la une du Toronto Star. C'est notre philosophie, advienne que pourra.
La présidente : J'attends avec impatience l'occasion de voir l'enregistrement que vous nous ferez parvenir.
M. Chin : Je ne pense pas que ce soit tout à fait l'idée que les gens se sont faite du bulletin de nouvelles de 18 heures. Ce n'est pas le cas, mais nous serons heureux de vous faire parvenir l'enregistrement.
La présidente : Notre échange de propos a été des plus intéressants. Un autre témoin attend. Nous vous remercions de votre présence parmi nous aujourd'hui.
M. Chin : Merci de m'avoir accueilli. J'espère que j'ai pu vous être utile aujourd'hui.
La présidente : Nous passons à notre deuxième témoin, M. Ezra Levant, éditeur du Western Standard, une toute nouvelle entreprise. Il faut du courage pour lancer une nouvelle entreprise. M. Levant cumule 10 ans d'expérience dans le domaine du journalisme et de la politique.
M. Ezra Levant, éditeur, Western Standard : Je vous remercie infiniment de m'avoir invité.
Comme vous l'avez mentionné, avec l'aide de 18 autres investisseurs intrépides, nous avons lancé, un peu plus tôt cette année, un nouveau magazine canadien dont l'intention est de couvrir les actualités nationales et l'actualité en général. J'ai apporté des exemplaires de notre dernier numéro et les ai remis au greffier. Par pure coïncidence, le dernier numéro comporte un article à la page 23 sur la liberté des médias au Canada. Selon un rapport légèrement subjectif, le Canada est en fait descendu dans le classement évaluant la liberté de la presse. Ce n'est qu'une pure coïncidence que cette question soit abordée dans notre dernier numéro.
Je me suis inspiré des questions que le greffier m'a demandé d'aborder, et j'y consacrerai la majeure partie du temps qui m'a été accordée. Cependant, toutes les fois que je songe à l'aide que le gouvernement se propose d'offrir aux médias, je ressens un peu d'appréhension parce que cette aide se traduit parfois par un contrôle, et je ne pense pas qu'un plus grand contrôle serait avantageux pour les médias canadiens. Les magazines sont relativement libres par rapport à la télévision et à la radio. Cependant, le gouvernement nous a imposé certaines restrictions, notamment en ce qui concerne l'investissement étranger. De plus, le gouvernement fausse la donne sur le marché en accordant des subventions ou des contrats et des publicité à certains magazines et journaux, ce qui leur procure un avantage concurrentiel par rapport aux autres magazines comme celui dont je suis l'heureux éditeur et qui ne reçoit aucune subvention ni aucun contrat de publicité.
Je vais d'abord parler des cinq sujets que le comité m'a demandé d'aborder, et je serai ravi de répondre ensuite à vos questions.
On m'a demandé d'abord si les Canadiens disposent d'une quantité suffisante d'information de qualité. Je dirais que la réponse à cette question est toujours oui parce que, à mon avis, le Canadien moyen n'a pas à investir trop de temps ou d'effort pour se renseigner davantage sur les événements et la politique du jour. Ce n'est pas dans son intérêt, à moins que ce soit un passe-temps particulier ou un intérêt personnel, comme c'est le cas pour tout le monde dans cette salle. Autrement dit, les Canadiens ne surconsomment pas et ne veulent pas surconsommer de l'information politique, parce que ce n'est tout simplement pas dans leur intérêt économique de passer des heures à chercher le détail d'une campagne politique lorsque leur vote a vraisemblablement peu de poids. À moins que ce ne soit une élection très serrée dans laquelle chaque vote compte, il ne serait pas logique que les Canadiens consomment autant d'information sur l'actualité et la politique que nous, les passionnés de politique, le souhaiterions. Les Canadiens qui veulent s'informer davantage peuvent le faire, à l'intérieur du Canada et, de plus en plus, sur Internet.
Deuxièmement, on m'a demandé si l'alphabétisation a une nouvelle importance dans l'ère de l'information. Je crois que c'est évident, en particulier si l'on tient compte de tous les écrits qui se trouvent sur Internet. Toutefois, j'éprouve certaines réserves à l'égard des soi-disant études médiatiques, laquelle expression rime, à mon avis, avec « politique », « philosophie » ou « idéologie ». Je serais très inquiet s'il fallait adopter une approche officielle en matière d'études médiatiques, parce qu'on ouvrirait ainsi la voie à la manipulation politique, soit à l'échelle nationale, soit dans la salle de classe où le professeur enseignerait les études médiatiques à travers ses propres lunettes politiques.
Troisièmement, on m'a demandé si les communautés, les minorités et les localités éloignées sont bien servies. Je crois qu'elles le sont autant qu'elles le souhaitent. Il n'y a aucun groupe ethnique au Canada dont les membres ne peuvent avoir accès aux médias qui les intéressent, s'ils le souhaitent. Je crois que nous ne devons pas imposer nos idées sur ce qu'ils devraient vouloir lire sur eux-mêmes. De nombreux membres de groupes ethniques veulent lire la même chose que les autres Canadiens et s'ils ont un intérêt particulier, ils peuvent poursuivre cet intérêt.
Tout ce que j'ajouterais, c'est que si nous voulons permettre une plus grande diversité ethnique dans nos médias, il faudrait peut-être revoir les limites fixées relativement aux investissements étrangers parce que, pour un journal en hindi, par exemple, le financement pourrait tout naturellement venir de l'Inde, mais serait freiné par les limites que nous imposons.
Quatrièmement, on m'a demandé pourquoi il y a une concentration de radiodiffuseurs à Toronto et à Montréal. Selon moi, la réponse est évidente. C'est là où la population et l'argent sont concentrés, et je ne crois pas que ce soit nécessairement mauvais. Toutefois, comme j'y ai fait allusion précédemment, cette situation a été renforcée par les subventions et les faveurs du gouvernement.
Je suis originaire de l'Ouest, et cette partie du pays n'est habituellement pas du côté du parti au pouvoir. Par conséquent, ce n'est pas surprenant que les entreprises de l'Ouest reçoivent moins de subventions à saveur partisane que les entreprises de Toronto ou de Montréal. Ce n'est pas un secret. Nous nous passons des subventions gouvernementales; cela fait partie de notre style politique et de notre style d'entreprenariat. Même si nous pouvons réussir par nous-mêmes, et j'espère que notre petit magazine réussira, ce succès est d'autant plus difficile que certains de nos concurrents de Toronto et de Montréal reçoivent un appui important du gouvernement.
Enfin, on m'a demandé quelles formes d'auto-réglementation sont appropriées. Outre certaines règles fondamentales, comme celles qui condamnent la diffamation et la fraude, je crois que n'importe quelle auto- réglementation est appropriée, parce que le marché, tant les lecteurs que les annonceurs, vont discipliner le média concerné. En notre qualité d'éditeur, nous devons nous engager suffisamment pour retenir l'intérêt de nos lecteurs, mais nous devons être assez responsables pour garder les commanditaires dans le bateau. Dans un univers de 500 canaux, chaque saveur particulière peut trouver un éditeur ou un radiodiffuseur qui s'y intéressera. Je crois que l'ère de la réglementation gouvernementale est révolue, d'un point de vue non seulement philosophique, mais aussi technologique. Je crois qu'on assiste à l'agonie de la réglementation gouvernementale, comme dans l'affaire CHOI- FM, et c'est bien ainsi. Ce n'est pas seulement imminent d'un point de vue technologique, mais je crois que les Canadiens qui consomment l'information ont assez de discernement pour faire leurs propres choix et qu'ils vont punir les diffuseurs et les éditeurs en mettant fin à leurs abonnements ou en changeant leurs habitudes de visionnement et en retirant leurs publicités.
Je me sens beaucoup plus redevable envers mes lecteurs et mes commanditaires qu'envers une quelconque autorité gouvernementale. J'ai plus à cœur de plaire à mes lecteurs ou à mes commanditaires qui me critiquent, que de plaire à un bureaucrate qui met son nez partout et qui ne s'intéresse pas à mon succès.
Voilà les réponses à vos cinq grandes questions. Je suis ravi d'être ici et il me fera plaisir de répondre à vos questions.
Le sénateur Tkachuk : Le CRTC a-t-il un rôle à jouer, selon vous?
M. Levant : Je ne le crois pas. À l'instar de beaucoup d'autres institutions créées il y a des décennies, le CRTC a perdu sa raison d'être originale, mais il prolonge son existence. Je crois qu'Internet l'a rendu vétuste. Certaines de ses récentes interventions montrent qu'il est déphasé au regard de la culture démocratique que le Canada a la chance d'avoir. Je crois qu'il n'a plus sa place.
Le sénateur Tkachuk : Est-ce que c'est le Bureau de la concurrence ou le CRTC qui devrait être chargé d'empêcher les monopoles sur les marchés, ou avons-nous besoin de l'un ou de l'autre?
M. Levant : À mon avis, nous n'avons besoin ni de l'un, ni de l'autre. J'aurais beaucoup de difficulté à trouver dans l'histoire un seul exemple de monopole qui a survécu sans aucune aide du gouvernement. En fait, si on regarde les plus grands monopoles qui ont existé dans l'histoire du Canada, on constate qu'ils n'ont pas existé naturellement. Ils ont vu le jour grâce à une certaine intervention du gouvernement.
Je crois, en fait, qu'un monopole des médias est impossible. La divergence dans l'opinion publique fait en sorte que les gens cherchent un autre point de vue. Pour dire vrai, la domination au Canada de Maclean's et de Time rend notre magazine, le Western Standard, beaucoup plus attrayant. Nous attirons ceux qui souhaitent une voie de rechange à celle de l'oligopole des magazines. La solution à une forte présence ou à un monopole des médias consiste à accroître la concurrence naturelle.
Le sénateur Tkachuk : Quel rôle devrait donc jouer CBC/Radio-Canada en tant que membre de la famille des médias du Canada?
M. Levant : CBC/Radio-Canada a des produits, des services et des programmes de qualité, et la société d'État a une histoire et une tradition suffisantes pour pouvoir maintenant être autonome. Voilà l'exemple d'un compétiteur qui reçoit des subventions. Évidemment, ce n'est pas un compétiteur très direct. Je suis l'éditeur d'un petit magazine, tandis qu'il s'agit d'un colosse national. Toutefois, le fait qu'il reçoit un peu moins d'un milliard de dollars du gouvernement chaque année et d'autres sommes d'argent de publicité nuit à la concurrence naturelle.
Je crois que la société CBC/Radio-Canada doit être libérée du gouvernement et confiée au secteur privé, peut-être même à ses propriétaires. Dans un univers de 500 canaux, il n'est plus nécessaire de donner autant à un seul canal. C'était peut-être nécessaire par le passé, mais je ne crois pas qu'elle a besoin du soutien du gouvernement. Il faut cesser de la protéger.
Le sénateur Tkachuk : Nous avons beaucoup parlé ici de la propriété réciproque — des journaux qui sont propriétaires de stations de télévision et des stations de télévision qui sont propriétaires de journaux. Croyez-vous que cette situation est préoccupante? Par exemple, on nous a dit que les journaux et les stations de télévision de Vancouver étaient dirigés essentiellement par une seule compagnie.
M. Levant : Comme je l'ai dit plus tôt, s'il existe un monopole ou un oligopole, cherchez la main du gouvernement qui l'a créé. C'est très évident que cette situation est en partie attribuable au fait que le gouvernement interdit les investisseurs et les capitaux étrangers. Il faudrait des concurrents étrangers au Canada, qui réussiraient seulement s'ils pouvaient satisfaire aux goûts des Canadiens.
On devrait me permettre de recevoir autant de capitaux des États-Unis que je le souhaite. Les stations de télévision américaines devraient pouvoir s'établir à Vancouver.
Là où il y a une concentration, si vous regardez de près, vous verrez que le gouvernement a contribué à créer cette situation.
Personnellement, à titre d'éditeur, je suis en faveur de la propriété réciproque. Pour dire vrai, pour démarrer un projet, je pourrais profiter de l'aide d'une grande compagnie de nombreuses façons. J'aimerais bien conclure tôt ou tard de grandes alliances stratégiques. Je ne voudrais pas que quelqu'un d'Ottawa me dise que, pour quelques raisons théoriques, je ne peux pas faire quelque chose qui va contribuer au succès de mon entreprise ou intéresser mes lecteurs.
Le sénateur Merchant : Je suis originaire de la Saskatchewan. Je sais que les Canadiens de l'Ouest ont leurs propres problèmes avec CBC/Radio-Canada. Vous avez dit que c'était plus difficile pour eux. Or, nous avons été témoins de belles réussites. Je pense à CanWest, Rogers et Ralco. Ralco a des stations de Vancouver à Toronto, y compris à Ottawa, et ce sont là de belles réussites. Vous pourriez peut-être vous expliquer davantage.
Deuxièmement, j'aimerais savoir si vous croyez que les médias ont des partis pris. Vous avez parlé des programmes d'études médiatiques et vous avez dit redouter que le professeur puisse façonner l'image des médias de son propre point de vue politique. Que dire des gens des médias?
J'ai lu quelque chose au sujet de Slate Magazine qui m'a impressionné. Il semblerait qu'on ait demandé à ses contributeurs en ligne de quelle façon ils allaient voter. Le lecteur sait mieux sous quel éclairage il doit considérer ce qu'il lit.
Pouvez-vous commenter ces deux points que je viens de soulever?
M. Levant : En ce qui a trait aux réussites de l'Ouest, il y a bien sûr des expériences heureuses. Je n'ai pas dit le contraire. La question posée était la suivante : pourquoi y a-t-il une concentration des médias? À mon avis, il est naturel que les médias soient concentrés là où se trouvent les marchés, où sont concentrés non seulement les téléspectateurs et les lecteurs, mais aussi les annonceurs. Je ne suis pas opposé à cela. Je ne suis pas du tout en faveur des subventions régionales des médias.
Ce que je dis, c'est qu'en plus de ce sol fertile naturel qui favorise la croissance des médias à Toronto, à Montréal et à Ottawa, il y a aussi cette sauce politique que l'on sert, un engrais supplémentaire que l'on répand sur ce sol déjà fertile. Je connais bien Ralco et les autres organisations dont vous avez parlé. CanWest s'est fièrement implanté à Winnipeg. Il y a de belles réussites dans l'Ouest. J'espère que nous nous ajouterons à celles-ci.
En ce qui a trait au parti pris des médias, je suis resté bouche bée en lisant l'article du Slate Magazine dont vous parlez. On a demandé à chaque employé du Slate Magazine, non seulement les chroniqueurs, mais aussi les stagiaires — tout le monde sauf le concierge — de dire quel candidat il appuyait durant l'élection. Disons qu'une quarantaine de personnes travaillent pour l'entreprise et de ce nombre, peut-être cinq étaient en faveur de Bush, plus de 30 appuyaient Kerry et deux autres appuyaient des candidats indépendants. J'étais estomaqué. J'aurais cru qu'il y aurait eu un meilleur équilibre.
J'ai travaillé sur la Colline du Parlement pour deux leaders de l'opposition, soit de l'Alliance canadienne et du Parti réformiste. J'ai connu un certain nombre de représentants des médias. Parmi la centaine de journalistes que j'ai côtoyés, peut-être trois seulement m'ont confié qu'ils étaient du côté conservateur. Nous en connaissons tellement qui sont du côté libéral. En fait, il existe une porte tournante qui permet parfois à nos amis des médias d'accéder à de hautes sphères à Ottawa.
J'espère qu'un jour, je pourrai profiter de cette échelle et parvenir au sommet. Je plaisante évidemment. S'il y a, un jour, un Sénat élu, je vais me lancer dans la course.
Vous n'êtes pas obligés de croire à mes anecdotes. Toutefois, je sais qu'aux États-Unis, la maison Gallup mène de fréquents sondages auprès des représentants de la presse à Washington, qui sont majoritairement démocrates. On peut dire sans se tromper qu'à Ottawa, ils sont majoritairement libéraux ou de gauche.
C'est la même chose pour les écoles de journalisme. Je suis fier de dire que, à l'exception de mon rédacteur en chef qui a fait passablement d'études, pas un seul de nos reporters n'a fréquenté une école de journalisme. Notre critère d'embauche est le suivant : savez-vous penser? Nous leur montrons à écrire. Nous ne voulons pas que nos journalistes, surtout nos jeunes reporters comme Cyril Doll qui a rédigé l'article dont j'ai parlé et qui est brillante, prennent un cours d'idéologie. C'est ce que sont trop souvent les écoles de journalisme d'aujourd'hui. On leur dit qu'ils doivent être des missionnaires ou des défenseurs, et je n'en ai rien à faire. Bien que nous ayons une saveur conservatrice, je suis fier de dire que notre magazine traite les libéraux et les néo-démocrates avec respect. Dans chaque numéro, nous présentons une entrevue, et il y en a eu avec Jack Layton et Anne McLellan. Beaucoup de libéraux et de progressistes en vue acceptent d'être interviewés par notre magazine, parce que nous avons la réputation de les traiter équitablement. J'en suis très fier. Les autres magazines et journaux du Canada qui sont du côté libéral ne réservent pas le même traitement aux conservateurs.
En ce qui a trait au parti pris de Slate Magazine dont vous avez parlé, je constate la même chose sur la Colline du Parlement. Je le constate aussi dans les écoles de journalisme. Pour dire vrai, notre petit magazine est un peu une réplique aux écoles de journalisme. Nous embauchons de jeunes personnes et nous leur montrons à écrire. Nous les garderons parmi nous aussi longtemps que nous pourrons nous le permettre. Toutefois, nous espérons les laisser aller dans le monde journalistique pour faire contre-poids et créer ce que nous croyons être du journalisme équitable.
La présidente : Lorsque vous avez parlé de votre politique d'embauche, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à M. Henry Luce qui disait, lorsqu'il a créé le magazine Fortune, qu'il avait le choix d'embaucher des économistes à qui il montrerait à écrire ou d'embaucher des poètes à qui il enseignerait l'économie. Il a constaté qu'on ne pouvait apprendre à écrire à des économistes, mais qu'on pouvait enseigner l'économie à des poètes. Je ne sais pas si c'est pertinent ou non, mais j'ai toujours trouvé que c'était bien dit.
Le sénateur Fairbairn : Le deuxième point que vous avez soulevé m'a frappée tout de suite, probablement parce que vous avez touché une corde très sensible. Je travaille beaucoup dans le domaine de l'alphabétisation au Canada et ce, depuis longtemps. Notre témoin précédent a parlé des jeunes gens qui regardaient CNN, et cetera. Vous avez ajouté quelque chose qui est très important, selon moi. Vous avez dit que les gens choisissent maintenant dans quelle mesure ils s'informent à partir d'Internet, parce qu'ils ont un ordinateur devant eux et qu'ils savent comment s'en servir.
Vous avez soulevé la question de l'alphabétisation de base. Plusieurs croyaient qu'Internet allait être le remède. Il s'agit d'un bon outil d'apprentissage, dans une certaine mesure, mais si on n'a pas les connaissances de base, on ne peut l'utiliser avec grand succès.
Pouvez-vous nous parler davantage de ce rapport entre Internet et le journalisme plus traditionnel que nous connaissons tous et dont certains d'entre nous avons fait partie? Pouvez-vous ensuite nous dire ce que vous pensez du problème d'alphabétisation? Nous travaillons beaucoup dans chaque province du pays, et à l'échelle nationale, sur les enjeux de l'alphabétisation, mais pas assez. Les gens ne croient pas vraiment qu'il y a un problème, et pourtant c'est bien vrai, et vous avez montré que vous le savez.
M. Levant : J'ai lu des rapports sur certains groupes démographiques qui montrent que le nombre d'heures passé devant la télévision est en baisse et est remplacé presque parfaitement par le nombre d'heures passé sur Internet. J'imagine qu'on passe donc plus de temps à lire des mots sur Internet, parce qu'il s'agit d'un médium qui repose essentiellement sur des textes.
Je ne suis pas un expert en matière d'alphabétisation. Personnellement, je dirais que ce domaine relève des provinces et des conseils scolaires. Je ne suis pas certain que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer à cet égard.
Le sénateur Fairbairn : La petite enfance.
M. Levant : Ceci dépasse la portée de mes commentaires. À titre d'observateur amateur, je dirais que les aptitudes de base comme l'épellation et la grammaire ont parfois accusé du recul. Je ne sais pas si Internet contribuera à corriger cette situation, mais il a permis d'accéder facilement à d'autres reportages. The Drudge Report, qui est visité environ huit millions de fois par jour, montre bien que les gens ont encore soif d'écriture. Le rédacteur en chef, Matt Drudge, établit essentiellement des liens à d'autres articles. À l'occasion, il écrit ses propres articles — il a révélé l'affaire Monica Lewinsky — mais il est avant tout un rédacteur en chef. Il choisit 20 articles dans le monde entier qui lui paraissent intéressants d'un point de vue différent.
Notre magazine a un tirage d'environ 40 000 copies papier. Notre site Web, que nous espérons développer, reçoit jusqu'à 15 000 visites par jour. Nous aimons beaucoup notre imprimé et c'est notre épine dorsale, mais notre site Web, qui contient uniquement du texte, attire beaucoup plus de lecteurs sur une période de deux semaines que notre imprimé.
Je n'ai pas de réponse savante à faire à vos questions sur la capacité de lire, mais je peux vous dire qu'Internet — c'est du moins le cas de notre entreprise — repose sur le contenu écrit et qu'il se fait beaucoup de lecture. Je suis désolé de ne pas fournir une meilleure réponse à votre question.
Le sénateur Fairbairn : C'est un concurrent aux journaux traditionnels — c'est ce que Internet est devenu. Pourriez- vous aussi indiquer si vous croyez, compte tenu de la connexion individuelle et de tout le reste, qu'Internet fait aussi concurrence aux médias électroniques, à la fois à la radio et à la télévision?
M. Levant : C'est certainement le cas pour la télévision. Pour ce qui est de la radio, beaucoup de gens l'écoutent dans leur voiture et Internet ne peut pas opposer de concurrence à cela.
Avant de conclure sur ce point, j'aimerais souligner l'existence des journaux en ligne. On estime qu'environ deux millions d'individus en Amérique du Nord ont leur propre journal en ligne, dans lequel ils publient leurs réflexions personnelles et qu'ils modifient plusieurs fois par jour. Notre propre site Web a un journal collectif qui est modifié environ 20 fois par jour. Le journal en ligne a transformé des millions de Nord-américains, y compris des centaines de milliers de Canadiens, en éditeurs, en chroniqueurs et en journalistes de plein droit. J'imagine qu'Internet incite les gens à améliorer leur rédaction, leur orthographe et leur grammaire, du moins je l'espère. Il incite en fait des millions de gens à devenir des experts des médias. Quand je dis cela, il y a des gens — NealeNews au Canada, Instapundit et d'autres aux États-Unis — qui ont une diffusion personnelle plus importante que de nombreux quotidiens. Les « journalistes en pantoufles », les gens qui tiennent un journal dans le confort de leur foyer, peuvent passer du statut de parfaits inconnus à celui de gens très influents. Je pense que c'est fantastique.
Le sénateur Munson : Quel est votre tirage?
M. Levant : Notre tirage total moyen est d'un peu moins de 40 000. Environ la moitié va à des abonnés annuels; 7 000 exemplaires sont distribués dans les salles de repos d'Air Canada et en classe affaires. Nous en avons à peu près le même nombre dans les stands à journaux, et nous avons une certaine diffusion gratuite et justifiée.
Le sénateur Munson : Nous avons eu un témoin de la revue The Walrus qui a parlé de lois fiscales qui empêchaient les organismes caritatifs d'aider les magazines d'actualité. Quelle est votre opinion à ce sujet et sur les subventions postales, par exemple? Qu'est-ce qui pourrait augmenter la diffusion de votre magazine dans le reste du pays? Il s'agit du Western Standard, mais je viens de lire deux articles et j'ai trouvé celui sur le saumon intéressant, de même que celui sur la liberté de presse. Nous ne connaissons pas assez le Western Standard dans l'Est.
M. Levant : J'ai le plaisir de signaler que même si le magazine est né des cendres de l'ancien Alberta Report et que nos premières ambitions étaient principalement régionales — comme notre nom l'indique — 22 p. 100 de nos abonnés sont maintenant de la région de Toronto. En fait, moins de la moitié de nos abonnés sont Albertains. Nous avons été agréablement surpris de constater que nous soulevions de l'intérêt partout au pays, ce qui est très gratifiant.
Vous avez posé une bonne question, et ç'en est une à laquelle nous commençons à réfléchir. Notre magazine a reçu 100 000 $ en dons, même si nous ne sommes pas un organisme caritatif. J'imagine que si nous pouvions créer une fondation pour appuyer certains secteurs de notre entreprise — par exemple, nous avons un programme de stage auquel participent quatre étudiants et que nous aimerions offrir à huit étudiants. Il s'agit d'étudiants — certains sont à l'université, d'autres viennent d'en sortir — qui travaillent chez nous pendant trois à douze mois sous la direction de notre rédacteur en chef. À la fin de leurs études, ils restent avec nous ou vont travailler ailleurs. J'aimerais beaucoup pouvoir établir une fondation pour enseigner à ces jeunes et, peut-être, pour les retirer de la liste de paye de l'entreprise.
En tant qu'éditeur, j'ai un budget réservé aux jeunes talents, mais je ne suis probablement pas en mesure de payer le prix du marché pour certains de ces jeunes rédacteurs prometteurs. Je rentre de vacances au National Review, qui dirige le National Review Institute, qui permet à la revue de prospérer et d'acquérir du financement. The Nation, un magazine de gauche, fait la même chose. Ces gens organisent des croisières d'une semaine pendant lesquelles il y a des conférences. En une semaine, le National Review a amassé environ 250 000 $. The Nation a recueilli 500 000 $ de cette manière. Ces magazines d'actualité qui affichent leur orientation politique — The Nation à gauche et le National Review à droite — réussissent grâce à des dons en provenance des États-Unis.
Je ne connais pas à fond les lois sur les organismes de charité, mais je crois que si nous pouvions créer un tel organisme qui tiendrait des activités caritatives, comme des stages pour étudiants — pour aider des jeunes à s'initier au journalisme, pas au journalisme partisan, au contraire — pour leur donner une expérience pratique en fin de formation; il ne s'agirait pas de subventionner notre entreprise, mais d'amener plus de jeunes dans notre salle de nouvelles que nous ne le pourrions normalement — cela nous serait utile.
Je suis prudent, car je ne voudrais pas donner l'impression de quémander à l'État. Toutefois, si quelqu'un souhaitait donner de l'argent pour que je puisse embaucher un finissant, et que ce don comportait un volet éducatif et caritatif, si je pouvais dire à ce donateur et aux donateurs des 100 000 $ que notre magazine a reçus que nous allons consacrer leurs dons à telle activité qui répond aux objectifs de tel programme d'études, qui pourrait même donner droit à des unités pour les étudiants qui passeraient un semestre avec nous, je serais favorable. Cela aiderait notre entreprise à alléger sa liste de paye, et cela aiderait les jeunes en leur donnant un accès. Cyril Doll, qui a rédigé cet article sur la liberté de presse, est dans la vingtaine. Nous avons eu des stagiaires qui n'avaient que 17 ans. Ce serait utile.
Le sénateur Munson : Par ailleurs, vous dites que vous ne voyez aucun rôle pour le CRTC. Quand on pense à toutes les activités de réglementation du CRTC et aux choses qui sont nécessaires — Al-Jazeera ne peut pas diffuser en direct et ne peut pas venir ici, par exemple — pourtant, vous dites qu'il faut éliminer le CRTC. Voulons-nous que les gens viennent au pays et ouvrent des stations de radio et de télévision, et des journaux, sans réglementation, qu'il y ait une jungle de propriétaires étrangers, de stations américaines, comme vous l'avez dit, à Vancouver? J'aimerais que vous m'en disiez davantage sur ce point.
M. Levant : Ça me semble très invitant. Il y aurait une véritable pluralité des idées, pas seulement une ou deux.
Le sénateur Munson : Nous n'aurions peut-être pas de pays.
M. Levant : Comment réussiraient-ils? Si une entreprise mexicaine ouvrait une station de télévision, son échec ou son succès dépendrait de nombreux facteurs. Elle pourrait réussir en s'adressant à une clientèle de Canadiens hispanophones ou d'origine mexicaine. Elle pourrait, si elle ciblait un marché local, élargir les horizons de ses auditeurs. Elle devrait faire de l'excellent travail du côté de l'actualité locale, sinon elle échouerait. Si elle dépensait son propre argent, quel mal y aurait-il? Quel éventail d'idées nous serait alors offert, plutôt que toujours les mêmes choix!
J'adore aller à New York ou à Londres et y voir l'imposant choix de journaux qui défendent un vaste éventail d'idéologies dans des douzaines de langues. C'est sain. Si un étranger veut investir son propre argent pour me plaire, à moi le lecteur, j'en suis ravi. À titre d'éditeur, si un étranger voulait investir dans le Western Standard, je serais aussi ravi, car j'aurais accès à d'autres marchés des capitaux que le marché canadien. Je crois qu'il devrait y avoir certaines règles fondamentales sur la diffamation, la fraude et le reste, mais nous avons déjà un régime de common law pour cela. Qui libérera les médias? Croyez-le ou non, ce seront des individus comme Howard Stern, qui passe par-dessus la Commission fédérale des communications et le CRTC, et qui rejoint directement les gens.
Notre magazine fait cette petite émission de radio hebdomadaire. Nous avons discuté avec des cadres de Sirius Satellite Radio, l'entreprise satellitaire de New York. Ils parlent d'une dizaine de stations de radio canadiennes d'infovariétés — de la droite et de la gauche. C'était peut-être quatre, mais c'était certainement plus qu'une. Il y en a un certain nombre, d'un bout à l'autre du spectre. Si des Américains sont prêts à payer pour recevoir des émissions canadiennes d'infovariétés par satellite, pourquoi le CRTC interviendrait-il? Qu'y a-t-il de mal à ce que des étrangers paient pour nous informer? Ou bien ces entreprises rejoignent les Canadiens et réalisent des profits, ou bien elles n'en réalisent pas et disparaissent. Ne serait-il pas merveilleux d'avoir un tel choix plutôt que quelques quotidiens essoufflés et une poignée de stations de télévision?
Les seuls à profiter de l'absence de concurrence sont les diffuseurs actuels. Le monde des médias fonctionne comme celui de la politique. Plus il y a de règles, plus elles protègent les gens en place. Je sais pourquoi mes amis des stations de radio et de télévision, et des journaux bien établis aiment la situation actuelle : elle écarte la concurrence. Je suis nouveau; je ne crains pas la concurrence. En fait, j'aimerais éliminer les règles en vertu desquelles mes concurrents sont subventionnés et avantagés comme ils le sont.
Le sénateur Trenholm Counsell : Votre témoignage est intéressant, monsieur Levant. J'ai deux questions. Premièrement, le sénateur Fairbairn et moi travaillons beaucoup dans le domaine de l'alphabétisation. Vous avez porté ma réflexion à un autre niveau quand vous avez parlé de l'importance de lire des textes dans Internet. Nous devrions peut-être en tenir compte dans nos messages. L'intérêt pour Internet est-il moins centré sur le texte que sur les idées et l'information présentées? Le texte est-il toléré parce que c'est ainsi qu'on présente l'information, plutôt qu'avec des images et des symboles? Que l'écrit suscite ou non de l'intérêt, les idées et l'information en suscitent certainement. Je reconnais que nous devrions parler davantage de la capacité de lire qu'Internet exige.
J'aimerais que vous commentiez de nouveau cet énoncé : « Le marché serait un organe de réglementation beaucoup plus équitable et rapide que n'importe quel bureaucrate : ce qui n'est pas accepté par la communauté serait abandonné par les annonceurs et les lecteurs ou spectateurs. »
En tant que Canadienne, j'ai ressenti de l'espoir du fait que, dans une certaine mesure, notre réseau — vous savez de quel réseau je parle — évoque les qualités et les valeurs associées à l'identité canadienne. Si nous ne les protégeons pas jalousement, ces qualités, ces valeurs et l'identité canadienne n'existeront plus de la manière dont j'espère qu'elles existeront pour les générations futures — du moins pour mes enfants et mes petits-enfants. Je me demande si vous partagez cet espoir envers le marché ainsi que notre grand espoir canadien pour l'avenir.
M. Levant : Il est bien évident qu'Internet contient plus que du texte : il contient aussi des photos et des vidéos. Certaines vidéos de scènes de décapitation diffusées par al-Qaïda figurent parmi les fichiers les plus téléchargés. En fait, les photos de Janet Jackson au Super Bowl de l'an dernier ont été les articles les plus recherchés pendant cette semaine- là. De plus en plus, il y aura des journaux audio — des journaux Web avec une bande sonore. La place du multimédia augmentera, mais le texte demeurera, parce que c'est le moyen pour l'utilisateur d'inscrire ses termes de recherche, par exemple. Le média évoluera, mais la capacité de lire sera nécessaire.
J'ai quelques remarques à propos des valeurs. Premièrement, il existe une propension, même si elle est inconsciente, à exercer un contrôle quand on apporte de l'aide ou un encouragement. Les politiciens, les bureaucrates et même les gens d'affaires n'y échappent pas.
J'ai ma propre idée sur ce qui devrait paraître dans le Western Standard et ce que nos lecteurs devraient y lire. Qu'avons-nous fait? Nous avons fait un grand sondage auquel beaucoup de nos lecteurs ont répondu. Ils n'aimaient pas et ne lisaient pas certains chroniqueurs que j'avais cru qu'ils aimeraient et liraient. D'autres, au sujet desquels j'avais des doutes, étaient très populaires. Je pourrais essayer d'imposer ma volonté aux lecteurs ou m'adapter, comme nous l'avons fait. Si nous voulons que les gens continuent de lire notre magazine, nous devrons leur donner ce qu'ils demandent. Nous pouvons faire preuve de leadership en leur présentant de nouvelles voix, mais le sort d'un magazine du secteur privé serait vite scellé s'il s'entêtait à ne publier que ce qui lui plaît. C'est l'une des règles du marché qui ne s'applique pas nécessairement à nos concurrents du secteur public, comme la CBC. Si les dirigeants de cette chaîne diffusaient une émission que personne d'autre ne voulait regarder, il n'y aurait pas de conséquence. Néanmoins, il y en aurait pour moi.
Avec tout le respect que je vous dois, madame, la réponse à votre question sur les valeurs, c'est que différents Canadiens professent différentes valeurs. Ottawa n'est pas Terre-Neuve, ni Calgary ni Québec. Nous ne pouvons pas dire que nous allons promouvoir et subventionner des valeurs officielles et, d'une façon ou d'une autre, omettre ou escamoter les valeurs concurrentes. Je ne dis pas que c'est ce que vous demandez, mais toute politique qui présenterait certaines valeurs comme officielles serait foulée au pied par le public, qui chercherait ailleurs le contenu qu'il exige. La CBC en est la preuve. La voix officielle du Canada n'exprime pas les valeurs que défendent des millions de Canadiens. J'imagine que si la chaîne Fox News était offerte avec l'abonnement de base au câble, elle supplanterait immédiatement CBC Newsworld. On ne peut pas imposer des valeurs aux gens.
Si vous voulez inculquer des valeurs, faites-le à l'école. Je suis favorable à la promotion de valeurs véritablement canadiennes et je sais ce qu'elles représentent : les traditions, l'éthique du travail, l'honnêteté, et ainsi de suite. Mes valeurs sont peut-être traditionnelles. Si vous voulez inculquer des valeurs, faites-le à l'école et dans les foyers, et prêchez par l'exemple, mais n'essayez pas de le faire par le truchement d'une politique gouvernementale sur les médias.
Le sénateur Trenholme Counsell : Les valeurs dont je parle sont celles qui découlent de la constitution canadienne et, surtout dans ce contexte, de la Charte des droits et libertés, qui sont deux instruments fondamentaux. J'applaudis toujours quand ils font l'objet de discussions dans les médias.
M. Levant : Je crois que ma revue et de nombreux autres diffuseurs canadiens appuient les valeurs fondamentales associées à la liberté d'expression. C'est la réponse : la pluralité des idées.
Le sénateur Eyton : Vous avez parlé de Sirius Satellite et de l'effet de la participation étrangère à l'une des trois demandes que le CRTC examine actuellement. Pour le compte rendu, j'aimerais préciser que 80 p. 100 de la version canadienne de ce service appartiendra à des Canadiens, et 20 p. 100 à des investisseurs étrangers. Un partenariat a pu être mis sur pied pour offrir le service. À l'origine, il s'agissait de dix chaînes canadiennes et, pendant le processus, ce nombre a augmenté. À mon avis, tout cela est bon.
Par ailleurs, comme l'a dit le sénateur Munson, la semaine dernière, nous avons entendu le témoignage de M. Ken Alexander, qui a lancé un magazine à Toronto intitulé The Walrus. Aujourd'hui, c'est votre tour, vous qui avez lancé le Western Standard à Calgary. Je veux vous féliciter parce que, premièrement, M. Alexander ne nous a pas remis d'exemplaire de son magazine, ni de formulaire d'abonnement. Témoignant du grand cœur des gens de l'Ouest, vous vous êtes présenté avec un exemplaire pour chacun de nous, et je vais le lire.
Je suis partisan du marché et, en général, je préfère que le marché s'adapte à notre manière de vivre. Toutefois, je me sens nerveux — et je comprends que c'est l'argument que vous défendez et que vous êtes disposé à faire des concessions — à la perspective d'un monde dans lequel le Canada, compte tenu de sa proximité avec les États-Unis et de l'étalement de sa population le long d'une étroite bande le long de la frontière, n'aurait aucun règlement et aucune restriction. Autrement dit, je suis nerveux à l'idée de laisser tout le monde faire selon son gré, surtout que nos voisins sont très nombreux.
J'ai deux exemples à donner. Vous avez parlé en termes négatifs de la CBC tout à l'heure. Pourtant, j'estime que la première chaîne de la CBC est l'une des meilleures sur les ondes. Je la crois supérieure à n'importe quelle station de radio américaine. La seule chaîne que j'estime comparable, voire meilleure, est la BBC World Service, qui, elle aussi, est fortement subventionnée d'une manière ou d'une autre.
Dans votre monde exempt de réglementation et de subventions, qu'arriverait-il à ces chaînes? Je crois qu'il s'agit d'une valeur à laquelle nous tenons. Je pensais, à titre d'exemple, à l'industrie de la musique au Canada, qui a connu un essor considérable. Il s'agit d'écriture, de production et des arts de la scène. Le Canada est surreprésenté sur la scène internationale par de talentueux artistes d'origine canadienne. Beaucoup d'entre eux sont des vedettes internationales de grand renom. Rien de cela n'existerait si ce n'était des règlements et des subventions qui leur ont permis de se lancer, puis de connaître le succès. Certains de ces talents canadiens sont maintenant à Londres, à New York et à Las Vegas, mais ils se souviennent de leurs racines canadiennes et nombre d'entre eux se produisent ici. Je m'en réjouis et je pense que tous les Canadiens y voient quelque chose de positif.
Pour ce qui est des cas préoccupants, je pense à Clear Net, qui est une radio générique sans contenu local. C'est un service qui rejoint quelque 3 000 stations aux États-Unis. Il n'est pas offert au Canada et j'espère qu'il ne le sera jamais. Ce sont là trois exemples, mais dans votre monde exempt de réglementation, de subventions et de restrictions où c'est le marché qui décide, je ne crois pas que les résultats seraient satisfaisants et que j'obtiendrais des réponses acceptables aux trois points que j'ai soulevés. Pouvez-vous me donner votre avis?
M. Levant : S'il y avait une distributrice à journaux du USA Today à côté de celle du Ottawa Citizen, sur le trottoir, je ne crois pas que le USA Today vendrait beaucoup d'exemplaires. À l'occasion, quand une nouvelle américaine ferait la une, les gens l'achèteraient. Si la Gannett Company investissait son propre argent pour installer des distributrices, je n'aurais pas d'objection. Mais je ne pense pas qu'elle puisse transplanter ses idées ici sans essayer de plaire à notre marché.
D'un autre côté, je constate dans votre rapport publié dans le Web que CNN.com et MSNBC.com sont les deux sites Web les plus populaires au Canada. Les Canadiens sont donc intéressés par ce qui se passe à l'étranger. J'imagine que la plupart des sénateurs visitent le site Web du New York Times à l'occasion. Nous devrions pouvoir faire ces choix personnels. Internet démontre que quand nous en avons la possibilité, nous faisons nos propres choix.
Sénateur, vous croyez que la première chaîne de la CBC est la meilleure en ondes. C'est peut-être vrai, tout comme il est vrai que l'opéra et la musique symphonique sont meilleurs que la musique de Britney Spears et de Christina Aguilera. Cela veut-il dire que le gouvernement devrait subventionner l'opéra et la musique symphonique, qui plaisent probablement davantage aux nantis qu'à toute autre couche de la société? Je le ne crois pas.
Les subventions ne doivent pas nécessairement venir de l'État. Pendant la Renaissance, l'essor des arts a été subventionné par de riches mécènes. Si nous nous orientions vers un marché plus libre, sur le plan idéologique, nous devrions atteindre un point où l'État se retirerait des arts et des médias, où les investisseurs privés investiraient dans les talents canadiens, ou bien de riches mécènes feraient leur part. Cela s'est déjà produit au Canada. Certains de nos grands réseaux, la famille CanWest, par exemple, ont fait d'importantes contributions financières. Après avoir réalisé des profits, ils ont subventionné les arts. Je ne pense pas que nous ayons besoin de l'État pour subventionner les artistes, même s'il est réjouissant de constater le succès de Shania Twain et d'Avril Lavigne. Seraient-elles restées dans l'ombre sans l'intervention d'un agent privé ou d'un mécène? J'ai une préférence pour le secteur privé et la philanthropie, et je suis toujours sceptique devant l'État qui tente de choisir le goût du jour.
Le sénateur Eyton : Ils établissaient un climat et un environnement, et les talents se manifestaient. C'est tout.
M. Levant : Hollywood et New York jouent le même rôle. Ce sont des incubateurs de talents artistiques encore plus importants, pas en raison des subventions de l'État, mais plutôt de la masse critique et du climat d'affaires. J'ai peut- être tort, mais je comprends votre argument.
La présidente : Puis-je supposer que votre magazine n'est pas encore rentable?
M. Levant : Vous avez raison. Le lancement a été couronné de succès, et je suis heureux de signaler que nous sommes bien en avance sur notre plan de vente de publicité. Vous pouvez voir certaines de ces publicités dans le numéro que vous avez en main. Si tout va bien, nous espérons réaliser des profits d'ici décembre 2005. Notre entreprise est indépendante; elle compte 19 investisseurs et nous, les propriétaires et gestionnaires, travaillons d'arrache-pied.
La présidente : Je n'ai pas lu tous les numéros, mais j'en ai lu quelques-uns. De fait, j'ai feuilleté le numéro que vous nous avez apporté. Je suis heureuse d'entendre que vos ventes de publicité dépassent vos objectifs actuels, bien qu'elles soient encore très modestes. Quel est le ratio de publicité payée?
M. Levant : Il fluctue. Ce numéro est notre dix-huitième, et le ratio fluctue car nous n'avons pas beaucoup de ventes récurrentes. Nous aimerions qu'il se situe entre 30 et 40 p. 100. Nous avons récemment augmenté nos tarifs de 50 p. 100, et le marché l'a toléré. Dans notre prochain numéro, il y aura pour la première fois des annonceurs d'envergure nationale. Nous commençons à recruter des annonceurs ailleurs que dans notre famille et parmi nos amis, et à nous adresser à des annonceurs nationaux qui sont attirés par la qualité de nos articles et les caractéristiques démographiques de notre lectorat, y compris par le fait que notre magazine se trouve à bord des appareils d'Air Canada, ce qui leur donne un rayonnement intéressant. C'est un domaine très stimulant, mais difficile.
La présidente : Air Canada distribue le magazine gratuitement. Qui paie? Vous ou eux?
M. Levant : Nous avons un accord selon lequel il s'agit d'une diffusion payée aux fins de la vérification.
La présidente : Quelle elle la proportion de votre diffusion qui est gratuite, justifiée?
M. Levant : Ça fluctue. Nous avons produit un numéro spécial et nous avons distribué gratuitement 70 000 exemplaires, à titre de diffusion justifiée, sur certains marchés, puis nous avons fait de la publicité. En général, notre diffusion justifiée est de 10 p. 100 ou moins.
La présidente : Pouvez-vous me dire combien de journalistes, de rédacteurs et de chroniqueurs vous employez, et combien de pigistes travaillent pour vous?
M. Levant : Nous avons quatre journalistes à notre bureau de Calgary, et quatre autres au pays. Nous avons des pigistes qui publient des articles à l'occasion. Nous avons aussi des chroniqueurs, dont certains appartiennent à des agences de presse, et notre dernière page est de la plume de M. Mark Steyn. Je veux profiter de cette occasion pour louer notre rédacteur en chef; nous sommes fiers de lui. M. Kevin Libin est notre seul rédacteur et il porte le magazine sur ses épaules. Il était auparavant au Canadian Business, où il occupait le poste de rédacteur principal quand il est revenu habiter à Calgary. Je veux souligner ses qualités, car notre succès dépend en grande partie de lui.
La présidente : Si un seul individu peut réaliser tout cela, je lui lève mon chapeau.
M. Levant : C'est un homme étonnant.
La présidente : Merci pour cette très intéressante séance. Nous vous sommes reconnaissants d'être venu.
La séance est levée.