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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 2 - Témoignages du 24 novembre 2004


OTTAWA, le mercredi 24 novembre 2004

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 18 h 17 pour examiner l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergeants au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonsoir et bienvenue au comité. Ce soir, le comité continuera à examiner le rôle approprié de la politique du gouvernement pour aider à s'assurer que les médias d'information canadiens restent prospères, indépendants et variés dans le contexte des changements considérables qui se sont produits ces dernières années — notamment la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et l'augmentation de la concentration de la propriété.

Nous entendrons les témoignages des délégués du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (SCEP), l'un des plus grands syndicats canadiens actif dans divers secteurs à travers le pays, particulièrement dans les médias d'information. Nous sommes heureux d'accueillir M. Peter Murdoch, M. Joe Matyas et M. John Spears. Vous avez la parole.

M. Peter Murdoch, vice-président, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier : Honorables sénateurs, merci de conduire les travaux du comité et de nous inviter à bavarder avec vous. Le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier est le plus grand syndicat des médias au Canada. Nous avons 20 000 membres oeuvrant dans le secteur des médias; dans toutes les stations de radiodiffusion privées au Canada, dans plupart des journaux et dans le secteur de la production cinématographique et télévisuelle.

Notre organisation est très large et représente les meilleurs et les plus brillants journalistes canadiens dans tous les domaines.

Je suis accompagné de M. Spears qui, vous l'avez mentionné, travaille pour le Toronto Star et est membre actif de notre section locale et de M. Matyas, président de notre plus grand journal local de Toronto. Je commencerai par quelques remarques préliminaires générales puis je demanderai à M. Matyas de vous présenter le point de vue de l'atelier. Il travaille à London Free Press et je pense que vous serez intéressés par les quelques données de base dont il parlera. Il mentionnera aussi certaines suggestions que nous pourrions vous soumettre humblement.

Nous savons que votre comité n'est pas le premier à étudier les médias. Il y a environ 30 ans, plusieurs comités ont étudié les médias, le dernier étant le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes. Il y a eu un certain nombre de recommandations. Hélas, je ne crois pas qu'une seule ait été appliquée. Nous espérons pouvoir vous convaincre ce soir que certaines recommandations sont faisables. Elles ne créent pas de problèmes énormes pour le gouvernement en place et abordent en même temps certains problèmes des médias.

Je vous ai donné quelques documents. Notre syndicat vient de mener une étude exhaustive sur les médias et a élaboré une politique relative aux médias. Je vous ai remis un livre dans les deux langues officielles. M. Spears parlera d'un autre document sur les normes journalistiques et sur un code de principe à l'intention des journalistes. J'ai aussi donné à chacun d'entre vous un CD, j'espère que vous le consulterez à l'ordinateur quand vous aurez le temps. Ce CD représente une carte du Canada que vous trouverez très intéressante car elle indique les niveaux de concentrations de propriété dans chaque grande ville canadienne en ce qui concerne les stations de radiodiffusion et les journaux. Nous sommes très fiers de ce CD et si pour une raison quelconque vous avez un problème avec le CD — je ne pense pas qu'il y en aura — vous pouvez visiter notre site Web à cepmedia.ca.

D'une façon générale — je ne veux pas continuer — je crois que vous êtes au courant de beaucoup de choses. Bien sûr, les médias sont très importants pour nous. Il y a seulement quelques semaines, des soldats colombiens ont investi les locaux d'une station radio publique en Colombie pour en faire sortir tout le monde. Cela a mis fin à la radiodiffusion publique dans ce pays. Dans presque tous les grands bouleversements, les médias sont essentiels car ils sont essentiels dans une démocratie. Ils jouent le rôle de messager pour la société. Les médias doivent signifier quelque chose pour la société et nous sommes ici ce soir pour essayer de donner un sens aux médias.

Je sais que le temps est limité, mais je vais faire deux ou trois autres petits commentaires. Les médias sont probablement devenus plus importants avec les élections des dernières semaines et des derniers mois. Je pense que les honorables sénateurs ont lu beaucoup de critiques sur les reportages des médias américains dans leur pays. Nous assistons à une polarisation des médias d'information aux États-unis, une polarisation des critiques, des reportages et des opinions. À notre avis, cette polarisation ne sert pas la démocratie. Avec l'arrivée de Fox News dans notre pays et d'Al-Jazeera d'ailleurs, une polarisation des médias d'information au Canada est possible. Il faut s'assurer que la polarisation, qui a atteint un certain degré et qui, à mon avis, continuera à augmenter aux États-unis ne fasse pas de même au Canada. Nous devons nous assurer qu'il y a une diversité d'opinions dans les médias canadiens afin qu'un débat puisse se tenir dans le cadre des valeurs canadiennes et d'une perspective canadienne de ce que le monde devrait être. C'est la raison pour laquelle ce comité — d'une certaine façon — est devenu de plus en plus important au fur et à mesure que le monde change.

En outre, avec l'avènement de Fox News et de plusieurs autres — je viens juste de parler à M. Christopher Waddell, un autre témoin — le changement technologique est considérable. Aujourd'hui, Bell Canada, une société de télécommunications, devient une station de radiodiffusion. On peut trouver des journaux, des films et des émissions télévisées chez Sympatico ou chez Rogers. Aujourd'hui, l'identité distincte n'existe pas. Il y a un mélange de technologies. Tous ceux qui ont plus ou moins accès à Internet ont accès à des journaux, des stations de télévision et divers autres médias.

Je soulève ce point parce qu'aujourd'hui la question de la propriété étrangère est la priorité numéro un dans notre liste. Je ne crois pas que ce soit le mandat du comité, mais je veux vous dire, notre syndicat, nos journalistes et ceux qui travaillent dans les médias à travers le pays sont très préoccupés par la possibilité de vente des moyens de radiodiffusion, de télécommunication et de câble par le gouvernement de Paul Martin à, probablement, un investisseur américain. Nous croyons que cela augmentera la polarisation et, selon le dicton, le propriétaire du messager est aussi propriétaire du message. Nous serons très inquiets à ce sujet. Je veux que tout le monde le sache. Je comprends que la propriété étrangère ne fasse peut-être pas partie de votre mandat aujourd'hui, mais cela nous inquiète beaucoup. À ceux qui croient pouvoir séparer les télécommunications ou le câble de la radiodiffusion ou des journaux, je dis que l'époque où cela était possible est révolue. Elle est finie. Aujourd'hui, tout est regroupé et tout est dans les communications ou les médias.

Permettez-moi de dire quelques mots sur la convergence des technologies. J'apprécie la recherche menée par le comité et son rapport provisoire, ils nous ont été très utiles pour l'élaboration de notre politique. Comme vous le savez, la propriété multimédia qui est permise au Canada et dans quelques autres pays — mais est interdite aux États-unis, par exemple — nous pose un grand problème, car elle augmente tout simplement la concentration de la propriété. Je veux souligner quelque chose à ce sujet. Il y a trois ou quatre ans, CanWest et CTV ont demandé une licence de sept ans et des problèmes ont apparu avec Québécor, TVA à propos de la convergence des salles de presse. Prenons par exemple CTV/The Globe and Mail. Leurs salles de presse qui étaient adjacentes feraient l'objet d'une convergence et nous aurions eu les mêmes messages. Les deux bureaux de presse communiqueraient les mêmes informations. Il y a quelques années, je peux vous assurer que si quelqu'un du journal The Globe and Mail avait passé un sujet à CTV, cette personne aurait été licenciée. Aujourd'hui, on la récompenserait. Comme le CRTC, nous sommes très inquiets et vous faisons part de nos préoccupations concernant la convergence ainsi que la gestion des salles de presse.

À cette époque, CanWest et CTV ont convenu d'adopter une sorte de code de principes qu'ils appliqueraient afin de mettre fin à la convergence des salles de presse. Les deux sociétés avaient promis de collaborer pour mettre sur pied des comités pour surveiller ces questions. À ce que je sache, CanWest n'a pas formé de comité. Si un comité a été formé, je n'en ai jamais entendu parler. CTV a formé un comité. Nous ne savons pas ce qu'il a fait. Cette situation causait beaucoup d'inquiétude chez le CRTC et dans notre syndicat qui représente la vaste majorité des journalistes canadiens, et rien n'a été fait.

Je vous exhorte au cours de votre étude des médias d'examiner pas seulement ce qui s'y trouve, mais peut-être des choses manquantes. Nous parlerons des autres problèmes liés à la propriété multimédia tout à l'heure, mais peut-être puis-je ajouter cela. Dans certaines villes — votre rapport provisoire l'indique — Vancouver étant l'une d'elles, la ville de Québec une autre, les niveaux de concentration de la propriété et du contrôle du marché sont très élevés.

Dans l'industrie de la presse de Vancouver, CanWest n'a pas seulement des quotidiens, le Vancouver Sun, le Province et le Times Colonist de Victoria, mais aussi toute une série d'hebdomadaires, une situation qui suscite de vives inquiétudes chez les habitants de Vancouver.

Un sondage mené par notre syndicat, il y a moins d'un an, révèle que la concentration de la propriété et la gestion des salles de presse inquiètent les Canadiens. Votre comité ne pourra pas se tromper en présentant quelques fermes recommandations. Les Canadiens vous appuieront pleinement et approuveront entièrement toutes les recommandations que vous présenterez au sujet de la propriété étrangère.

Voilà en gros notre point de vue. Il y a plusieurs recommandations dans le document sur la politique relative aux médias que je vous ai remis. Je termine là-dessus en espérant que vous le lirez.

Je demande maintenant à M. Matyas de vous parler un peu de ce qui s'est passé au London Free Press au cours des dernières années car ce journal qui était l'un des derniers journaux indépendants dynamiques au Canada appartient aujourd'hui à Québécor et Sun Media.

La présidente : Avant que vous ne le fassiez, je veux assurer tout le monde que notre mandat consiste à examiner la politique du gouvernement sur ces questions. L'examen de la propriété étrangère en fait évidemment partie. Nous pouvons être d'accord avec vous ou pas au sujet des recommandations que vous nous avez présentées, mais le fait que vous abordiez ces questions ne doit pas vous préoccuper.

M. Joe Matyas, président, Toronto SCEP, journaliste, London Free Press, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier : Je vous remercie de m'avoir invité. Je ne voudrais pas être à votre place pour accomplir cette tâche et j'admire le courage dont vous faites preuve dans cette mission.

Je suis sûr que la plupart d'entre vous savent que la section locale 87-M du SCEP est traditionnellement connue sous le nom de Southern Ontario Newspaper Guild. Nous avons un deuxième nom à l'intérieur de notre syndicat, c'est Southern Ontario Newsmedia Guild. Je le dis pour montrer que nous représentons des travailleurs de la radiodiffusion dans notre section locale ainsi que dans quelques portails Internet liés aux secteurs dans lesquels nous travaillons. Cela reflète la chaîne dans notre industrie. Nous ne sommes plus une section locale de corps de métier.

Notre section locale de média est la plus grande d'Amérique du Nord. Nous représentons 3 500 membres dans pratiquement tous les services possibles de l'industrie de l'information, y compris la rédaction, la publicité, la distribution, la production et ainsi de suite. Près de 1 000 membres sont des journalistes, des reporteurs, des rédacteurs et des photographes.

Nous représentons les travailleurs de la plupart des grands journaux de l'Ontario, y compris The Globe and Mail, Toronto Star, Toronto Sun, Hamilton Spectator, The Record à Kitchener et le London Free Press.

Nous sommes aussi présents dans presque toutes les chaînes importantes que vous connaissez, Torstar, Sun Media, Québécor, Osprey, Bell/Globemedia ainsi que CHUM et Corus.

C'était un peu l'historique de la section locale.

Je travaille en tant que journaliste. Je suis un reporteur et rédacteur au London Free Press. M. Murdoch voulait que je vous en parle, car, c'est un exemple des effets de la concentration des médias particulièrement en-dehors des marchés des grandes agglomérations. Ce que je vous dis du London Press, qui a appartenu pendant 144 ans à la famille Blackburn, est une indication de qui s'est passé à St. Catharines quand les Burgoynes avaient vendu leur journal à des chaînes et quand la famille Motts de Kitchener a vendu The Record à des chaînes.

J'aimerais vous dire ce j'ai vu à mon lieu de travail. Nous avons été vendus deux fois. D'abord, à Sun Media puis à Québécor qui est aujourd'hui propriétaire de Sun Media. Il y a 10 ou 15 ans, 152 personnes travaillaient dans le service de la rédaction. Aujourd'hui, il y en a 77.

Quand le London Free Press appartenait à la famille Blackburn, il avait deux fois plus de reporteurs qu'aujourd'hui. Il avait beaucoup plus de secteurs. Aujourd'hui, il n'y a plus de journalistes qui traitent de l'agriculture, des questions de consommation, de l'environnement, du monde du travail, de la religion, des services sociaux et d'autres domaines d'intérêt. Finie l'époque où le Free Press envoyait régulièrement des journalistes à des conventions et des conférences nationales.

À propos de l'importance de ces événements, prenons un exemple. Supposons que vous êtes journaliste chargé de reportage sur la police. Vous assisterez à la convention nationale des chefs de la police du Canada ainsi qu'à la convention provinciale des chefs de la police de l'Ontario.

Nous avions aussi des bureaux. Notre journal avait un bureau à Ottawa et à Queen's Park. Les bureaux n'existent plus. Ces secteurs n'existent plus.

L'époque où notre journal envoyait des journalistes en Italie, en Chine, en Russie ou même au nord de l'Ontario pour faire des reportages vus sous l'angle local est pratiquement révolue.

Nous n'avons pas l'espace. Nous n'avons plus les effectifs. Les employeurs ne sont plus intéressés au travail fait sur place.

Les journaux ont beaucoup plus de contenu provenant de chaînes. Les voix locales sont moins entendues.

À mon lieu de travail, l'une des personnes que j'admirais le plus a révisé, pendant six ans, nos pages de commentaires de fin de semaine avant ces prises de contrôle. Il a essayé de continuer à travailler pendant un an après que nous avons été achetés. Il m'a dit qu'il ne pouvait plus car il avait passé six ans à assurer une plus grande présence à une voix locale dans le journal et, tout à coup, nous utilisons les chroniqueurs de Sun Media qui semblent, inutile de vous le dire, presque tous sortir du même moule.

Voilà ce qui se passe. On le constate chaque jour de plusieurs façons. Il me vient à l'esprit l'exemple d'un reportage d'un procès. Quand nous faisions le reportage des procès importants à l'époque, le même journaliste serait présent pendant tout le procès. Aujourd'hui, les journalistes sont changés ou pire encore, ils ne sont pas toujours présents au procès. Ils écoutent seulement certains témoignages. Je pense que c'est une méthode de travail extrêmement dangereuse.

Ces changements se produisent tous les jours et de toutes les façons. Cela ne veut pas dire que les gens qui travaillent dans les journaux régionaux n'ont pas le cœur à l'ouvrage, ils l'ont encore. Ils travaillent fort. Ils sont dévoués. Toutefois, les choses ne sont plus mêmes.

Il y a environ 10 ans, un gérant m'a dit que j'étais trop méthodique et qu'il ne le fallait pas. En fait, le directeur s'en est excusé. Il a dit : « Je répugne à le dire, mais nous voulons de la quantité pas de la qualité. Nous voulons un plus grand nombre d'articles, pas un plus petit nombre d'articles de meilleure qualité. »

Il y a des pouvoirs de sensibilisation critique. Consultez les journaux et comptez le nombre de sujets d'articles que je qualifie d'entrevue de deux personnes ayant des points de vue différentes. C'est ce que l'on voit aujourd'hui. Mon employeur préfère que les journalistes fassent deux ou trois petits articles en une journée, disons de dix pouces, plutôt qu'un ou deux articles plus instructifs et plus convaincants. Nous faisons beaucoup d'entrevues présentant deux points de vue.

Les journalistes chevronnés qui ont utilisé les vieilles méthodes peuvent vous dire que parfois, il faut parler à 10, 15 ou même 20 personnes avant de comprendre le sujet du reportage.

Ce sont les répercussions des fusions et de la création de grandes chaînes. La famille Blackburn se satisfaisait d'un rendement de 10 p. 100 de leur capital investi, car elle misait beaucoup sur le produit à l'échelle locale. Elle vivait au sein de la collectivité et en était fière, elle assumait ses responsabilités et rendait compte aux gens de sa propre collectivité.

Aujourd'hui, les propriétaires vivent ailleurs, ils n'ont pas ce type de relation avec le public et font des profits considérables. Dans le cas du London Free Press, Sun Media, des rapports récents indiquent que le rendement était de 26 p. 100 en 2002 et 2003. Cet argent n'est pas réinvesti dans la collectivité, il sert à acheter d'autres médias, à financer d'autres fusions et acquisitions. L'argent n'est pas réinvesti dans la collectivité pour améliorer les médias qui en ont besoin.

Je crois qu'il faut offrir les meilleurs médias possibles à tout le monde et pas seulement aux grandes agglomérations. Par exemple, dans ma collectivité et ma région, il y a des sujets qui ne concernent que nous. Notre raison d'être est d'assurer le reportage de ce qui se passe dans notre région et si nous ne pouvons pas le faire aussi bien qu'avant ou si nous ne pouvons pas le faire aussi bien que les grands journaux dans des marchés plus concurrentiels, ce serait une tragédie.

Je ne veux pas aller plus loin. Je vous ai brossé un petit tableau de la situation. Madame la présidente, je vous remercie d'avoir éclairci ce point, puisque la propriété étrangère fait partie de votre mandat, je vous assure que si le Canada accepte la propriété étrangère, si nous permettons à des groupes étrangers d'acheter nos médias, la situation que je vous ai décrite ne fera que s'aggraver. Non seulement elle s'aggravera, mais la tyrannie ne sera même pas une tyrannie canadienne, elle sera américaine, britannique ou autre.

M. Murdoch : M Matyas parle du sentiment d'appartenance à la collectivité. L'engagement à l'égard de la collectivité a disparu. C'est ce qui se passe avec le London Free Press, mais je peux vous assurer que cette situation existe aussi dans tout le pays et les statistiques sont effrayantes.

Bien que nous ayons d'autres problèmes liés à l'absence d'engagement à l'égard de la collectivité, M. Spears va parler de la solution que nous proposons et qui pourrait être utile.

M. John Spears, journaliste, The Toronto Star, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier : Je vais dire quelques mots à propos de la reddition de comptes dans les médias. Il s'agit de la reddition de comptes des journaux et des stations de radiodiffusion envers les groupes qu'ils prétendent servir. M. Matyas a fait remarquer que son journal et d'autres journaux font preuve d'une grande responsabilité à l'égard de leurs propriétaires et que ces derniers disposent de beaucoup de moyens leur permettant d'exiger cette responsabilité. Ils peuvent recruter et licencier du personnel, établir des budgets et demander des rendements sur le capital investi.

Les médias sont aussi tenus de rendre compte à leurs publicitaires qui assurent 75 à 80 p. 100 des revenus aux journaux et presque 100 p. 100 des revenus des stations de radiodiffusion. Les médias en sont conscients et les publicitaires sont en position de force pour exiger une responsabilité des médias.

Les journaux, les stations de radio et de télévision sont aussi censés servir le public. Les moyens relatifs à la responsabilité varient beaucoup au Canada, de quelles façons les médias sont-ils responsables envers le public? À l'heure actuelle, il n'y a pas beaucoup de façons. Si vous êtes mécontent de la politique d'un journal, vous adressez une lettre à son éditeur, à ce que je sache, il n'y a pas beaucoup de journaux qui ont changé de politique après avoir reçu une lettre. Vous pouvez déposer une plainte particulière au sujet d'un article particulier chez le protecteur du citoyen ou chez un conseil de presse. Ce sont des organismes utiles, mais qui n'ont pas beaucoup de pouvoirs.

Dans le cadre de notre politique relative aux médias adoptée à notre récente convention, nous avons proposé une loi sur la responsabilité des médias. Ceux qui parmi vous ont une bonne mémoire peuvent recommander un grand nombre des éléments de la Commission royale sur les quotidiens ou du rapport Kent. La divulgation de la propriété des grands médias commerciaux et publics est une des exigences. Cependant, j'aimerais signaler un point particulier, la loi que nous proposons exige qu'ils mettent sur pied des conseils consultatifs de médias pour permettre à leurs audiences de s'exprimer.

Un contrat public conclu entre le propriétaire et le rédacteur ou le directeur de l'information constituerait une condition préliminaire de ces conseils. Les détails de la compensation ou les états financiers personnels ne seront pas dévoilés, mais on dévoilera les objectifs généraux du média et les principes et les normes établies par les parties contractantes, c'est-à-dire l'éditeur et le propriétaire. Les médias formeront chacun un comité consultatif qui veillera à ce que les obligations stipulées dans ce contrat soient remplies par les médias concernés. Les comités se composeront de deux membres nommés par le propriétaire ou par son représentant, par exemple un éditeur commercial; de deux membres nommés par le personnel du média et de trois membres du public, l'un d'eux présidera le comité. Ces comités se réuniront plusieurs fois par an pour évaluer la performance du journal ou de la station de radiodiffusion et déterminer si le contrat de l'éditeur a été rempli. Si les comités jugent qu'il y a de graves lacunes dans le contrat de l'éditeur, ils en feront part. Ils consulteront aussi le public pour savoir si celui-ci estime que le média a rempli ou non son mandat.

Chaque comité inclura ses conclusions dans un rapport annuel qui devra être publié par le média Ce rapport pourrait contenir des recommandations visant à atteindre des normes différentes ou plus élevées.

Nous savons qu'il existe une certaine liberté de la presse et qu'une station de radiodiffusion ou un journal pourrait refuser de créer un tel comité, dans ce cas ses publicitaires ne pourraient pas déclarer les dépenses en publicité comme frais professionnels. Nous avons proposé certaines limites pour ces comités, qui pourraient être coûteuses pour les petits médias ou les petits hebdomadaires qui sont vraiment des entreprises unipersonnelles. Il y a probablement des limites ci-dessous qui ne conviendraient pas à ce type d'entreprise.

Selon nous, il n'y a aucune raison pour laquelle ces dispositions ne devraient pas s'appliquer aux stations de radiodiffusion publiques, mais on peut estimer que la SRC devrait être traitée différemment. L'article 206 de notre politique relative aux médias comporte une brève description du modèle utilisé par la BBC en Grande-Bretagne qui a des conseils consultatifs locaux, régionaux et nationaux qui font rapport au conseil de la BBC.

Nous avons établi un code de principes pour mesurer la conduite des journalistes membres de notre syndicat.

Nous espérons que ce comité recherche des mesures raisonnables visant à favoriser un secteur des médias prospère et démocratique au Canada. Nous estimons que cette proposition est très faisable et devrait recevoir l'appui du public. Elle ne s'immisce pas trop dans la salle de presse et ne fait pas immiscer de façon importante le gouvernement dans la salle de presse, mais elle établit un équilibre en permettant au public de se faire entendre dans la salle de presse, ce qui, à notre avis, n'existe pas aujourd'hui.

J'espère que les organismes publics, comme ce comité, tiendront compte des préoccupations que nous avons soulignées et qui couvent depuis des générations. C'est un avis personnel de ma part car mon père était membre de la commission Kent. Je me souviens lui avoir demandé à l'époque de la commission royale s'il pensait vraiment qu'elle ferait quelque chose de bien? Il m'a répondu oui, les problèmes étaient camouflés, mais ils étaient sérieux cette fois. Malheureusement, il s'était trompé. Il a passé les dernières années de sa vie à travailler au sein de la commission et à défendre ses principes. Je ne pense pas qu'il l'ait jamais regretté, mais beaucoup de travail reste à faire. Ces questions existent depuis longtemps et j'espère que votre comité aura la détermination et le courage de prendre des mesures.

La présidente : Ne faisait-il pas aussi partie du comité Davey?

M. Spears : Oui, il en faisait partie.

La présidente : C'est lui qui m'a accueillie le jour de mon témoignage devant le comité Davey.

M. Spears : Cette commission existait 10 ans avant la Commission Kent.

M. Murdoch : Cela se rapporte à ce nous demandons à votre comité de faire. M. Graham Spry, que certains considèrent comme le grand-père de la SRC, a demandé de quel type de radiodiffusion il s'agit et on en a beaucoup parlé. Il a déclaré que la question qui se posait était : l'État où les États-Unis? Depuis, nous avons vu dans les médias la privatisation, l'escalade dans le secteur privé sans l'intervention du gouvernement en dépit des recommandations et de la bonne volonté de la commission Kent et des commissions similaires. Nous avons vu cette escalade des médias au détriment de l'intérêt public comme l'a dit M. Matyas. Aujourd'hui, l'État doit intervenir. Cela ne veut pas dire que l'on s'attend à ce que le présentateur ou la présentatrice du réseau de radiodiffusion et télédiffusion porte l'uniforme d'un colonel pour présenter les nouvelles du pays. Toutefois, le gouvernement doit intervenir, en démembrant les grandes chaînes ou en créant ces conseils consultatifs. Nous avons besoin de cette intervention, car je ne crois pas que ce soit exagérer de dire que la société démocratique est en jeu.

Le sénateur Forrestal : Ma question est courte. Je n'ai pas entendu parlé de ce à quoi vous faites allusion ou à quoi vous vous reportez, le rôle du droit du travail. Comme certains d'entre vous le savent, nous sommes confrontés aujourd'hui à une question épineuse de remplacement dans nos secteurs de services essentiels en cas de grèves. Ces secteurs ne seront pas nécessairement dotés de personnels ainsi désignés.

La question du droit du travail intervient-elle dans l'un des secteurs que vous nous présentez aujourd'hui? Pensez- vous qu'il y aura en effet à l'avenir?

M. Murdoch : Comme tous les autres syndicats du pays, notre syndicat n'est évidemment pas enthousiasmé par l'idée de travailleurs de remplacement. Je ne considère pas que votre journal du samedi soit un service essentiel. Nous avons eu un certain nombre de longues grèves et les journaux, malheureusement de notre point de vue, continuaient à être publiés. Les gens ont été servis par les gestionnaires qui, même en vertu de la Loi de remplacement, sont autorisés à le faire.

Les conventions collectives que nous pouvons négocier avec les employeurs au plan de la protection des journalistes, à part les salaires et les avantages sociaux, sont plus importantes pour nous jusqu'à un certain degré. Pouvons-nous faire quelque chose pour protéger l'intégrité des journalistes? Nous avons fait quelques petits progrès, mais je peux vous dire que les propriétaires de journaux ont une position très ferme à ce sujet et ils perçoivent cela comme une interférence de leurs journalistes dans les affaires de la gestion du journal.

Notre monde est très différent, malheureusement, que celui des infirmières qui se sont battues pour la profession des soins de santé afin que nous ayons de bons hôpitaux et de celui des enseignants qui se sont battus pour l'enseignement dans notre pays. Ces gens ont reçu beaucoup de soutien. Le moment viendra bientôt, avec toute cette concentration de propriétés et une certaine polarisation de la propriété des médias, quand les journalistes défendront avec la même fougue le journalisme canadien.

Le sénateur Phalen : J'ai un commentaire et deux ou trois questions. Comprenez-moi bien, je ne prends pas à la légère votre témoignage, surtout en ce qui concerne les conseils consultatifs des médias. Le comité a entendu le témoignage de M. Peter Kohl. Dans son témoignage, il a suggéré qu'il serait avantageux d'avoir des représentant des médias et des membres du public dans un conseil de presse, comme vous l'avez suggéré, car les membres des médias peuvent expliqué au conseil la façon dont fonctionne le système. L'inconvénient, c'est que le loup est dans la bergerie. Il existe aujourd'hui des conseils de presse provinciaux en Colombie-Britannique, en Alberta, au Manitoba, en Ontario et au Québec. L'un des problèmes avec ces conseils de presse provinciaux, c'est qu'ils sont financés par les médias, on les soupçonne donc de partialité. Votre exposé recommande des conseils consultatifs financés par les médias. De quelle façon affronterez-vous cette perception de partialité?

M. Spears : C'est un point de vue valable. Le budget des conseils consultatifs des médias serait si dérisoire qu'il sera pratiquement imperceptible. J'imagine qu'il ne servira qu'à louer une salle de réunion et une cafetière trois ou quatre fois par an dans un espace public.

Le comité proposera un forum dans lequel il n'y aura que des membres du public et pas de membre des médias, ce qui est une proposition intéressante. Je ne suis pas sûr comment vous le mettrez sur pied, mais il vaut certainement la peine d'être considéré.

Le sénateur Phalen : Ce concept a été présenté au comité à d'autres occasions et j'ai examiné des conseils de presses européens, celui qui m'a frappé le plus est celui de la Belgique. Le conseil est composé de gestionnaires, de propriétaires, d'éditeurs, de journalistes, de membres du public, de membres qui n'ont rien à avoir avec les médias et de législateurs. En ce qui concerne le financement, le syndicat contribue à 50 p. 100, ce montant est remboursé au moyen d'une subvention du gouvernement. Avez-vous des commentaires au sujet de ce genre de système?

M. Spears : C'est en réalité une subvention de gouvernement car l'argent ne provient pas du syndicat.

Le sénateur Phalen : C'est une subvention du gouvernement par l'entremise du syndicat.

M. Spears : Je pense que nous n'avons pas touché de subventions, car les propriétaires ne veulent pas que l'on croit que les médias bénéficient d'un financement public sous quelle que forme que ce soit. La liberté des médias fait face à deux menaces différentes. Dans certains pays, la menace provient des gouvernements et de gens qui portent des bottes et qui se déplacent en char pour défoncer des portes et tabasser des journalistes. La concentration commerciale et la concentration de la propriété constituent d'autres menaces à la liberté des médias.

L'argent doit venir de quelque part. Les montants pour les conseils consultatifs ne sont pas élevés. Ils pourraient influencer la perception du public, mais nous n'avons pas pu trouver une meilleure solution.

Le sénateur Munson : J'ai beaucoup de sympathie pour ceux qui sont touchés par la vente de petits journaux à des grandes chaînes. Je suis originaire du Nouveau-Brunswick où certaines stations de radio ne sont desservies que par Broadcast News. Quand je travaillais à Bathurst, à l'époque, on pouvait assurer le reportage à l'hôtel de ville et de tout ce qui se passait. Cela n'existe plus.

Parfois, je pense que le CRTC n'a pas suffisamment de pouvoir qui forcerait les stations à avoir au moins un journaliste dans votre ville pour relater l'actualité. Cette époque est révolue depuis longtemps. Cela dit, il est pratiquement impossible de revenir en arrière, n'est-ce pas?

M. Murdoch : Nous devons nous rappeler que des changements ont été apportés dans la quantité, ne mentionnons même pas la qualité, de journalistes qui traitent de l'information dans une société de plus en plus complexe. Pour que la démocratie fonctionne, il faut qu'il y ait plus de journalistes, car la société devient de plus en plus complexe et, d'une certaine façon, elle est de plus en plus menacée. La raison pour laquelle il n'y a pas de journalistes sur place n'est pas seulement idéologique, à part deux ou trois cas. C'est parce qu'un grand nombre de ces sociétés, par exemple CanWest, sont lourdement endettées.

Elles réduisent le personnel de leur salle de presse et à l'extérieur de la collectivité; elles présentent plus des informations à la collectivité, car elles ont des dettes de trois milliards de dollars, ce qui n'a rien à voir avec l'engagement pris à l'égard de la collectivité. C'est parce que nous avons permis ces fusions et ces dettes considérables. CanWest n'est pas le seul cas et aujourd'hui elle cherche des profits. Ce profit est obtenu en sacrifiant la collectivité et l'intérêt public. Pouvons-nous revenir en arrière? Je crois que nous le pouvons avec une certaine diversification.

Le sénateur Munson : Cela m'intéresse. Quelques journalistes sont venus nous dire que la convergence avait atteint le point où tout le monde recherche des règles de jeux équitables. Ils ne font donc pas partie du mouvement visant à arrêter la convergence. Cela est dans le témoignage. Jusqu'où voulez-vous que le gouvernement intervienne dans tout cela au plan de la défusion.

M. Murdoch : Nous pensons — et vous constaterez que notre politique le recommande — que nous devrions revoir de manière plus approfondie certains secteurs de la collectivité où c'est très difficile. On devrait établir des limites. Si le gouvernement des États-unis a pu, il y a quelques années, démembrer AT&T, je pense que le démembrement de Can West Global ne pose pas de problème. Est-ce faisable? Oui, c'est faisable. Existe-t-il des modèles pour ce genre de démembrement? Il en existe. Peut-on le faire sans sacrifier les profits ou la valeur pour l'actionnaire? Je pense que oui.

Le sénateur Munson : Une autre question, je joue l'avocat du diable. Par exemple, voulez-vous que quelqu'un intervienne dans la salle de presse de CTV ou dans le bureau à Ottawa du Globe and Mail? Ils ne peuvent pas se parler. Est-ce quelque chose qu'il ne faut pas faire quand on présente les informations le jour suivant? Voulez-vous qu'il y ait une sorte de brigade de la pensée entre les deux idéologies?

M. Murdoch : Je pense qu'il y en a déjà une à un certain degré. Je ne vise pas nécessairement ce réseau. Quand on constate une uniformité dans la présentation des sujets d'actualité, sénateur Munson, vous n'êtes pas seul à le savoir, à la télévision, dans votre journal et peut-être dans tous les journaux c'est donc une sorte de contrôle.

Il était convenu avec Quebecor et TVA qu'il y aurait des barrières de sécurité pour assurer cette compétition. Voilà des gens qui, d'une part, crieront « nous aimons la compétition, nous aimons le régime de libre entreprise, » mais nous voulons que la concurrence se limite au marché des médias car l'ensemble de la société en profiterait, sans parler du marché. D'autre part, ils commencent à crier. Ils étaient d'accord pour les barrières de sécurité. Ils ont accepté les comités dont j'ai parlé. Malheureusement, nous ne savons pas ce qui leur est arrivé.

Le sénateur Munson : Est-ce que le CRTC est musclé?

M. Murdoch : Comme vous le savez, le CRTC est un organisme fondé sur les plaintes. Ce n'est pas un organisme de surveillance. Vous pouvez aller les voir et leur raconter n'importe quoi, ils hocheront la tête et vous répondront : « Oui, ce serait merveilleux et ça nous plaira beaucoup. »

À moins qu'un citoyen, au courant des promesses faites par ces stations de radiodiffusion, commence à se plaindre si les promesses n'ont pas été tenues, le CRTC ne dispose pas des ressources ou du mandat pour surveiller et s'assurer que ces promesses soient tenues. Il ne peut que contrôler le contenu canadien et l'avantage qui en découle dans les émissions diffusées aux heures de grande écoute.

Le sénateur Merchant : J'ouvre une petite parenthèse. Il est fréquent de retrouver la même page de couverture dans deux journaux nationaux. Les photos sont identiques. Le titre peut-être différent. Quand vous dites que tout est tellement uniforme, c'est très surprenant qu'ils aient tout deux la même page de couverture.

Vous vous êtes aussi plaint du manque d'engagement à l'égard de la collectivité. Cette situation est symptomatique à notre époque. Toutes sortes d'organisations disent la même chose, qu'il n'y a pas le même engagement à l'égard de la collectivité. Je suis originaire de Regina, une ville de 200 000 habitants. Notre journal, le Leader-Post a changé. À l'époque, nous connaissions les gens. Les gens qui écrivaient les articles habitaient dans la collectivité et on savait ce qu'ils pensaient. C'était important pour le lecteur. Quand ils exprimaient le point de vue, on pouvait être d'accord ou non, mais on les comprenait car on les connaissait. On savait mieux interpréter ce qu'ils écrivaient.

J'ai une question à vous poser, monsieur Murdoch, car vous avez mentionné que celui qui paie les violons choisit la musique. Pouvez-vous nous définir ce qu'est la liberté de la presse? Qui jouit de la liberté de la presse? Les propriétaires? Les journalistes? L'éditeur ou les lecteurs? Qu'est-ce que ça signifie réellement?

M. Murdoch : Je vais répondre brièvement et permettre à mes deux collègues, qui sont des journalistes pratiquants, de répondre également. Il me semble que la presse, dans un certain sens, la liberté de la presse, est la propriété de chacun d'entre nous. Ce n'est pas le droit exclusif des propriétaires. Ce n'est pas le droit exclusif des journalistes. C'est la propriété des Canadiens. Ce droit est de pouvoir s'attendre à avoir des médias, une presse et une radiodiffusion équitables et équilibrés.

Je demanderais à M. Spears de donner rapidement un point de vue différent.

M. Spears : Je vais juste répéter ce qu'a dit M. Murdoch, qu'initialement, cette liberté de la presse est le droit du peuple. Ce n'est pas la propriété d'un propriétaire de média et ce n'est pas la propriété des journalistes. Malgré que l'on dise cela, les propriétaires ont souvent tenté d'en faire un droit commercial plutôt qu'un droit du public. Il y a un équilibre très fin. Parfois, les journalistes ont l'obligation de se rendre impopulaire en rapportant des histoires que les gens ne veulent pas entendre. Si on devait en décider par un vote, certaines choses ne seraient jamais traitées dans les journaux ou à la télévision, mais elles constituent tout de même des événements importants. Les journalistes doivent avoir le droit, et la liberté, d'écrire et de diffuser sur les ondes ces histoires. En même temps, c'est pourquoi nous avons proposé un code de principes pour les journalistes afin qu'ils puissent se lever, dire voici pourquoi je l'ai fait et voici le critère à utiliser pour juger mon geste, et prendre la critique.

Le sénateur Merchant : Vous savez probablement que des sondages révèlent que les Canadiens croient que l'information qu'ils reçoivent est biaisée. Croyez-vous que cela sert l'intérêt public que les lecteurs sachent, par exemple, qu'il y a une publication qui exige de ses journalistes qu'ils disent pour qui ils vont voter dans une élection? Pensez-vous qu'il y a un but à cela?

M. Spears : Je ne peux pas croire qu'il y a de nombreuses entreprises médiatiques qui disent à leurs journalistes comment voter.

Le sénateur Merchant : Alors, cela donne au lecteur certains paramètres.

M. Spears : Je vois, que les journalistes disent pour qui ils votent.

Le sénateur Merchant : Oui. Est-ce que c'est important pour le lecteur? Est-ce que le fait de le savoir inspirerait davantage confiance dans la presse, dans ce que le lecteur lit? Nous ne connaissons plus les journalistes maintenant. C'est ce que j'essaie de dire. Et ils ne font pas partie de notre cercle et nous ne savons pas vraiment pourquoi ils peuvent donner une interprétation ou une connotation aux nouvelles.

Je sais, par exemple, que dans l'Ouest, nous pensons que la Société Radio-Canada n'est pas impartiale. Vous entendez les gens de l'Ouest le dire constamment.

Le président : Sénateur Merchant, proposez-vous que l'on supprime le vote secret?

Le sénateur Merchant : Non. Je demandais ce qu'en pensent les témoins. Comme nous l'a dit un de nos témoins l'autre jour, Slate Magazine exige de tous ses employés, et même des préposés à l'entretien, qu'ils divulguent pour qui ils votent.

M. Spears : Il s'agirait d'une intrusion absolue dans le caractère privé du vote.

Lorsque nous parlons de responsabilisation, si vous dites : « Voici nos normes; voici ce que nous sommes censés faire; nous essayons de couvrir largement la collectivité et de vous faire part des questions d'un grand intérêt », cela ouvre la porte pour que le public dise : « Eh bien, nous avons la question du réchauffement de la planète; nous avons l'explosion de la population; les réserves de pétrole sont en train de s'épuiser; pourquoi un très grand journal dans une très grande ville n'a-t-il pas un journaliste spécialisé dans l'environnement? » Je parle pour mon propre journal. Nous n'avons pas de spécialiste de l'environnement.

À l'heure actuelle, il n'y a pas vraiment de mécanisme pour faire face à ce problème particulier. Ce n'est pas une question de partialité. Toutefois, on pourrait soulever une question de partialité de cette façon.

Si ces principes sont bien établis, s'ils sont accessibles au public et s'il existe un certain mécanisme permettant de les retrouver, je pense que c'est la direction dans laquelle nous voulons aller. Peut-être que cela atténue vos inquiétudes, du moins en partie.

M. Matyas : La question la plus délicate de notre section locale, à part les cotisations, bien sûr, c'est l'action politique de notre section. La raison pour laquelle il s'agit d'une question délicate, c'est parce que nos journalistes professionnels sont conscients du fait qu'ils sont des journalistes. Ils veulent être indépendants et libres de toute identification à un parti ou à un point de vue politique particulier. Nous avons un fonds d'action politique. Lorsque nous essayons d'utiliser ce fonds, nous avons des gens qui viennent assister à nos réunions pour examiner de très près ce que nous faisons. C'est parce qu'ils ne veulent pas être compromis en tant que journalistes par quelque chose que la section locale fait parce qu'elle est un syndicat.

Croyez-moi, sur le terrain, là où les journalistes travaillent, nous sommes conscients de notre devoir d'équité face au public. Cependant, si vous lisez le Toronto Star, le National Post ou le Toronto Sun sur la même question, vous savez aussi bien que moi que chacun donne sa propre interprétation du même événement. C'est bien lorsque vous avez un grand marché comme celui-là. Cependant, lorsque vous parlez d'un marché local, d'une ville qui ne possède qu'un seul journal, il me semble que l'obligation qui pèse sur cette publication d'être équitable et impartiale est plus grande que lorsque vous êtes dans un marché concurrentiel.

La présidente : J'aimerais revenir à la question des conseils de responsabilisation, je crois que c'est ainsi que vous les avez appelés. Comme le sénateur Munson, je vais me faire un peu l'avocate du diable ici. Je me souviens qu'il y a 1 000 ans, lorsque j'ai commencé dans le journalisme, je travaillais pour le journal qui occupait la deuxième place dans le marché où nous étions. Ce n'était pas un petit journal, mais c'était certainement le journal de deuxième place. Il était effectivement sensible à sa communauté. Il se devait de l'être parce que la publicité était retirée, par exemple, si vous publiiez quelque chose qui déplaisait à un annonceur important de la place. C'était un journal indépendant, propriété d'une famille. La famille était absolument acquise à l'idée que nous devions être un bon journal avec de bons journalistes. Toutefois, le journal devait composer avec certaines réalités très sérieuses liées aux pressions que pouvaient exercer sur lui les membres de la communauté. Il ne s'agissait pas uniquement des annonceurs; il y avait d'autres formes de pressions exercées par la communauté. Si vous vous mettez à dos un segment suffisamment important du lectorat et que vous êtes déjà le journal de deuxième place et que vous êtes financièrement vulnérables, vous pouvez avoir de sérieuses difficultés. La meilleure chose qui ait pu arriver à ce journal, c'est d'avoir été acheté par une chaîne qui pouvait apporter du capital, de nouvelles ressources et une solidité financière suffisante pour lui permettre de résister à ce genre de pression.

Je suis également frappée par le fait que chaque fois que quelqu'un propose la création d'un organisme consultatif communautaire, que ce soit pour les écoles, les hôpitaux ou tous ces établissements vitaux pour la communauté, avec le temps, il devient assez difficile de trouver, année après année, des gens ayant une représentativité assez étendue pour siéger au sein de ces organismes. Ils ont tendance à être noyautés par certains groupes d'intérêt ou par des professionnels, presque, si vous voulez, des genres d'activistes professionnels. Je ne dis pas que cela arrive tout le temps. Je dis que c'est quelque chose qui a tendance à arriver.

Comment diable allez-vous empêcher vos conseils de responsabilisation d'être contrôlés par les mauvaises personnes; comment pouvez-vous faire cela?

J'ai dit que je serais l'avocate du diable parce que j'ai toujours cru que les journalistes devaient être davantage à l'écoute de la communauté qu'ils le sont. Néanmoins, ce sont des préoccupations qui m'inquiètent.

M. Murdoch : Vous venez juste de raconter l'histoire d'une grande chaîne qui achète le journal de deuxième place. Malheureusement, il n'existe plus de journaux de deuxième place au pays.

La présidente : L'autre a disparu.

M. Murdoch : Je pense que je sais de quel journal vous parlez. Il ne reste plus de journaux de deuxième place.

Lorsqu'ils sont dans une situation de monopole dans une collectivité, et Regina en est un bon exemple, ils peuvent sabrer dans la salle de nouvelles, parce qu'ils n'ont pas à affronter la concurrence dont vous parlez. En fait, c'est le monde à l'envers.

J'ai quelques observations sur la question plus difficile que vous posez, mais je vais céder la parole à M. Spears.

M. Spears : Comme l'a dit M. Murdoch, le journal de deuxième place qui appartient à une famille valeureuse n'existe plus. Ma réponse initiale, c'est que vous défendez le statu quo dans lequel les éditeurs et les propriétaires portent tous les jugements et le public a le droit de faire parvenir une lettre au rédacteur. Si les membres du conseil sont choisis avec discernement, il n'y aura pas de noyautage. La question revient au mécanisme de sélection.

À cet égard, le rapport de la commission Kent propose que les représentants des journalistes et des éditeurs s'entendent sur deux personnes et que ces deux personnes en choisissent une troisième, qui occuperait la présidence. À défaut d'une entente, ces gens devraient se tourner vers le juge en chef qui nommerait quelqu'un pour choisir ces personnes.

Je pense que je n'ai pas aussi peur du public que vous.

La présidente : Qui, moi, peur du public?

M. Spears : Oui.

La présidente : Jamais de la vie. J'ai toujours été soucieuse des conséquences inattendues des mécanismes.

Votre journal, monsieur Spears, est fier, et il est reconnu pour l'être, d'être régi par un ensemble de principes connus comme les principes d'Atkinson. Théoriquement, qu'arriverait-il s'il devait y avoir un conflit entre les mandants et le conseil de responsabilisation?

M. Spears : Je peux vous dire toute de suite qu'une des choses que l'on retrouve dans les principes d'Atkinson, c'est le respect des travailleurs. Une question que le conseil consultatif pourrait poser c'est : pourquoi n'avez-vous pas un journaliste spécialiste du travail. Je dirais que ce n'est pas faire preuve d'un grand respect pour les principes d'Atkinson, mais il n'y a pas de mécanisme à l'heure actuelle pour faire quoi que ce soit à ce sujet.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous avez parlé des différences entre les journaux canadiens et américains, et plus précisément dans les élections, dans les élections canadiennes de 2004 et les élections américaines de 2004. Je sais que nous sommes préoccupés par certaines sources médiatiques aux États-Unis. Je n'en sais pas beaucoup à leur sujet, mais je pense qu'il y avait dans les élections américaines une certaine bassesse que je n'ai pas vue vraiment au Canada.

En tant que quelqu'un qui connaît la politique, je faisais partie des nombreuses personnes qui regardaient les médias et qui pensaient que si rien ne changeait, nous perdrions. Les choses ont changé dans les derniers jours. Je veux savoir s'il y a vraiment une grande différence. Je vais écarter cet élément de « bassesse » qui s'est manifesté dans cette élection américaine.

Vous avez beaucoup parlé du fait que la même histoire se retrouve dans les journaux et à la télévision à cause de la convergence. Est-ce sérieux? Pour moi, une histoire, c'est une histoire, que vous parliez de l'incendie qui a tué neuf personnes au Manitoba, de Carolyn Parrish ou des gras trans. Je lis l'histoire, habituellement très rapidement et pas du tout ligne par ligne. Ensuite, parce que je ne suis pas indifférente, je lis la page éditoriale. Chacune de ces questions a probablement été traitée dans la page éditoriale, bien qu'il n'y ait pas grand-chose à dire dans un éditorial à propos d'une tragédie causée par un incendie.

Ce sont deux réflexions que j'ai eues. Je ne sais pas si je suis préoccupée par le fait qu'un conglomérat est propriétaire du journal et de la télévision. Par exemple, à la télévision, vous regardez les nouvelles chaudes, tous ces clips sonores de 30 secondes, et cetera, et ensuite, si vous êtes intéressé par un canal, vous entendez Rex Murphy, ou si vous êtes intéressé par un autre, vous entendez Mike Duffy. Que pensez-vous de ces questions?

M. Murdoch : M. Matyas a dit que son journal avait des journalistes sur la Colline. Je peux vous parler de journaux partout au pays qui avaient l'habitude d'avoir des journalistes nationaux, et qui n'en n'ont plus. Qu'est-ce que cela signifie? Entre autres, cela signifie que, oui, ils peuvent parfois être à l'affût de la même histoire, mais ils peuvent développer des relations différemment. Je pourrais développer avec certains parlementaires une relation différente de celle que pourrait avoir, par exemple, M. Matyas. Et cette situation pourrait donner lieu à une fuite. À partir de là, je pourrais avoir une histoire différente de celle de M. Matyas. C'est ce qu'on appelle la diversité dans les nouvelles. C'est de cette façon que l'on s'assure, dans un certain sens, que l'on ne racontera pas qu'une seule histoire. Si une seule histoire est racontée, nous nous rapprochons beaucoup de l'État totalitaire.

La question, c'est que, d'une certaine façon, la tempête de neige d'Halifax sera probablement rapportée jusqu'à un certain point dans le même média et elle pourrait être plus spectaculaire à la télévision que dans la presse écrite. Sur des questions plus vastes, comme l'environnement, nos institutions démocratiques ou notre système de justice, plus il y a de gens pour couvrir ces questions, plus il y aura de versions différentes de la même histoire. Cela nous permet alors d'exercer notre choix démocratique. C'est une question absolument critique.

Sur la question des médias américains, ce qui est une préoccupation très grave, et je pense que tous ceux d'entre vous qui portez une attention aux médias américains comprennent que durant cette élection, les plus grandes agences de nouvelles et certaines des plus prestigieuses de ce pays ont été qualifiées de tous les noms, y compris probablement de communistes. Il y avait cette polarisation au sujet des médias qui disait que vous ne pouviez pas faire confiance à ces sources médiatiques que vous aviez l'habitude de croire parce qu'elles sont toutes communistes, gauchistes. Ce genre de polarisation est très dangereuse.

Je ne veux pas dire que le National Post ne devrait pas avoir son point de vue et que le Toronto Star ne devrait pas avoir le sien, mais la polarisation des médias au point où les citoyens d'une société démocratique estiment qu'ils ne peuvent plus faire confiance à l'information qu'ils reçoivent fait en sorte que nous nous aventurons en territoire très dangereux.

Le sénateur Trenholme Counsell : La situation est poussée à l'extrême aux États-Unis.

M. Murdoch : Absolument, et je suis désolé de dire qu'elle pourrait l'être ici aussi.

Le sénateur Munson : Brièvement, il y a eu certaines observations qui portent à réfléchir concernant le rapport de la commission Kent et ce qui est arrivé ou n'est pas arrivé avec ce rapport. J'ai été journaliste pendant longtemps et je ne suis politicien que depuis moins d'un an. Nous allons entendre toutes sortes de témoignages et de témoins et ensuite, nous allons présenter un rapport. Vous allez lire le rapport. Des milliers de journalistes vont lire le rapport. Qu'est-ce qui vous fait croire — et je suppose que je me demande à moi-même, rhétoriquement, qu'est-ce qui me fait croire — que nous pouvons vraiment apporter les changements que vous demandez cette fois-ci?

M. Spears : Sénateur Munson, vous êtes un législateur. Vous êtes un membre du Parlement du Canada. Le Sénat, en théorie, a des droits égaux à ceux de la Chambre des communes. Il est de votre responsabilité de proposer, de débattre et de disposer. Vous avez accepté le poste et c'est votre travail. Par conséquent, je suis un peu étonné d'entendre un législateur dire : « Eh bien, que croyez-vous que je peux faire à ce sujet? » Vous avez un pouvoir réel.

Le sénateur Munson : Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que cela a été dit la dernière fois aussi. Je veux apporter des changements et nous sommes un comité qui préconisera le changement et qui exercera des pressions pour l'obtenir.

M. Spears : La dernière fois, le Parlement avait le pouvoir, mais il a choisi de ne pas l'exercer.

Le sénateur Munson : Espérons que cela changera cette fois-ci.

M. Spears : Comme l'a déjà dit un éminent Canadien : « Vous aviez le choix ». Vous avez encore le choix.

Le sénateur Munson : Eh bien, vous n'avez qu'à nous regarder.

M. Murdoch : Je veux simplement dire, comme je l'ai dit plus tôt, que les Canadiens veulent s'assurer que nous continuions à avoir des médias démocratiques et qu'il y a des garde-fous. Pour ce qui est des politiciens, ils peuvent y trouver un certain réconfort. Ce dont nous prenons conscience — et cela peut ressembler à de la rhétorique de syndicat —, c'est que nous faisons face ici à certaines grandes entreprises très puissantes. La question est de savoir — juste pour me faire l'écho des propos de M. Spears — si les politiciens, vous et les gens de l'autre Chambre, avez la volonté de vous mesurer à ces grandes entreprises médiatiques qui ont un poids politique énorme. Nous espérons très certainement que vous l'avez et je peux vous dire que j'ai confiance qu'il sortira quelque chose de cet exercice.

La présidente : Vous avez certainement présenté une défense très vigoureuse de votre position et nous vous en remercions. À tout le moins, je vous rappellerai — non pas que je pense que les comités du Sénat n'ont pas d'effet, parce que je crois effectivement qu'ils en ont un — le principe d'Heisengerg qui dit, si ma mémoire est fidèle, que le simple fait d'être observé peut faire une différence.

M. Spears : Cela s'appelle le principe d'incertitude.

La présidente : Le principe de quelqu'un dit que le simple fait d'être observé peut faire une différence.

Honorables sénateurs, notre prochain témoin est le professeur Waddell de l'École de journalisme de l'Université Carleton. Pendant de nombreuses années, M. Waddell a été connu comme un des plus éminents journalistes du Canada. Monsieur Waddell, la parole vous appartient.

M. Christopher Waddell, Chaire Carty en commerce et en journalisme financier, Université Carleton, témoignage à titre personnel : Merci de m'avoir invité à prendre la parole ce soir. J'ai pris note des domaines précis que l'on m'a suggérés comme sujets possibles de mes observations, et je vais parler de certains d'entre eux. Évidemment, si d'autres questions sont soulevées, je serai heureux d'essayer de vous faire part de mes réflexions. J'ai également lu le rapport provisoire que le comité a publié plus tôt cette année et je suis prêt à en discuter, si les sénateurs le désirent.

Je vais parler de certaines des conséquences découlant des changements qui sont intervenus dans les médias canadiens au cours des dernières années. Je vais traiter du domaine auquel j'ai consacré le plus de temps au cours des 15 dernières années — la couverture de la politique nationale. C'est un domaine où il y a eu des changements considérables. Je vais limiter mes observations aux médias de langue anglaise, parce que ce sont les médias que je connais le mieux.

Lorsque j'ai débuté à Ottawa au milieu des années 80, la scène des nouvelles à la radio était très animée; il y avait un réseau national de radios d'information continue et plusieurs radiodiffuseurs avaient des bureaux de presse dans la galerie. Certains membres de ce comité ont même travaillé dans ces bureaux. La concurrence était vive. Aujourd'hui, il n'existe plus rien de tout cela. Le bureau de la Presse canadienne comptait quelque 36 personnes. Il en compte la moitié maintenant et fait probablement la moitié du travail qu'il faisait alors. CBC TV avait une douzaine de journalistes à son bureau d'Ottawa dans les années qui ont précédé la diffusion de CBC Newsworld. Maintenant, elle n'a que la moitié de cet effectif et elle exploite un canal d'information continue en plus de tout ce qu'elle faisait auparavant.

Beaucoup de journaux avaient des bureaux à Ottawa — des journalistes affectés à Ottawa à la couverture de la politique nationale dans la perspective de leurs collectivités : le Windsor Star, le London Free Press, le Hamilton Spectator, The Leader-Post de Regina, The Star Phoenix de Saskatoon, le Calgary Herald, le Edmonton Journal et le Montreal Gazette. J'étais à Ottawa de 1985 à 1989 pour le compte du Globe and Mail, et je suis retourné à Toronto. Au moment où je suis revenu à Ottawa en 1993 pour y travailler pour le compte de CBC TV, la plupart de ces bureaux avaient une taille réduite ou avaient disparu. Au cours des années qui ont suivi, l'érosion du nombre de journalistes s'est poursuivie. Je me suis demandé si cela changeait quelque chose.

J'ai essayé de penser à des façons de quantifier les effets, si tant est qu'il y en ait eu, de la fermeture de ces bureaux. Mon hypothèse de travail était quelque chose qui se rapproche de ceci. Qu'arriverait-il à l'assistance aux matchs des Sénateurs d'Ottawa si les médias d'Ottawa décidaient de ne plus couvrir l'équipe? Ils imprimeraient des histoires provenant des agences de presse sur les matchs, mais ils n'assureraient pas une couverture plus détaillée que cela, et pas de couverture particulière. Mon impression, c'est que l'assistance aux matchs de hockey ne tarderait pas à chuter.

Dans le domaine de la politique, la participation électorale est une façon de mesurer l'assistance et l'intérêt. J'ai fait une évaluation rapide de la participation électorale à Hamilton, Windsor et London — trois villes qui avaient auparavant des journalistes à plein temps à Ottawa. J'ai fait parvenir un exemplaire de cette analyse au greffier du comité pour ne pas avoir à répéter son contenu en détail. Toutefois, il semble que le déclin de la participation électorale dans ces collectivités a été plus accentué que le déclin de la participation aux élections provinciales dans les années qui ont suivi la fermeture, par les journaux, de leurs bureaux à Ottawa. Ensuite, j'ai regardé la participation électorale dans trois autres villes ontariennes dont les journaux n'avaient jamais envoyé de journalistes à Ottawa — Sault. Ste. Marie, Niagara Falls et St. Catharines. Dans ces villes, la participation électorale n'a pas décliné aussi abruptement qu'elle l'a fait dans les trois premières collectivités dont les journaux avaient fermé leurs bureaux à Ottawa. Il pourrait y avoir de nombreuses raisons pour expliquer cette situation, mais je soupçonne que la fin de la couverture locale de la politique nationale a joué un rôle dans le déclin de la participation électorale. Je fais valoir ce point principalement pour indiquer au comité que les décisions prises par les organismes médiatiques ont des conséquences pour nos collectivités et, dans le cas qui nous préoccupe, pour le discours politique dans ces collectivités.

Non seulement certaines agences de presse ont fermé leurs bureaux à Ottawa, mais la plupart, à l'exception du Globe and Mail, ont réduit considérablement le nombre de journalistes qu'elles avaient dans cette ville. Comme la fermeture des bureaux, cela a un effet également, amplifié par la croissance des demandes concomitantes auxquelles doivent répondrent les journalistes en place, à cause des canaux de télévision d'information continue et de l'Internet. On demande aux journalistes moins nombreux dont disposent les agences de presse à Ottawa de fournir des nouvelles plus fréquemment sur une étendue de médias plus grande et le résultat, c'est un déclin au niveau de la qualité, du contenu et de la compréhension. Cela est dû en grande partie à l'abandon généralisé du système de l'exclusivité dans les agences de presse.

On prétend qu'il n'y a pas suffisamment de journalistes pour ériger une muraille autour des personnes de telle manière qu'ils ne couvrent que certaines questions. Plutôt, de plus en plus de journalistes sont traités comme des journalistes d'affectations générales, traitant une histoire différente chaque jour. Ils peuvent traiter du mariage des conjoints de même sexe à la Cour suprême un jour, des plans du gouvernement pour respecter le Protocole de Kyoto le lendemain et des négociations fédérales-provinciales en matière de santé le jour suivant. Dans un monde comme celui- là, il n'y a jamais suffisamment de temps pour acquérir une expertise.

Je vais parler spécifiquement de la télévision pour un instant. Avec à peine suffisamment de monde pour publier une histoire tous les jours, la seule option qui reste, c'est de transformer vos journalistes en journalistes d'affectations générales. Cela signifie qu'ils suivent les mêmes histoires que les journaux, qu'ils couvrent la période des questions et qu'ils participent à des événements organisés — la publication de rapports et des conférences de presse organisées par des groupes d'intérêt. Le résultat, c'est que de plus en plus de journalistes en savent de moins en moins sur les sujets dont ils traitent. Quelles sont les conséquences de tout cela? En termes simples, je pense que cela signifie que, de plus en plus, la politique nationale, et je soupçonne qu'il en est de même pour de nombreuses autres questions partout au pays, reçoit une couverture comme si tout ce qui est arrivé ce jour-là n'est jamais arrivé auparavant et n'arrivera jamais plus dans l'avenir. Il y a un manque de contexte et de perspective dans la façon dont les événements sont rapportés dans les médias, et les exemples pleuvent. Il y a une deuxième conséquence qui est liée à la première. Peu importe votre ignorance d'un sujet donné, il y a toujours deux choses que vous pouvez couvrir : la personnalité et le conflit. Est-il surprenant que la couverture de la politique et de la politique gouvernementale par les médias soit centrée de plus en plus sur la personnalité et le conflit? On peut trouver de nombreux exemples de cela également. Je soupçonne que le résultat, c'est que nous avons un public qui en sait de moins en moins sur les questions et qui, par conséquent, est de moins en moins engagé dans le débat qui est essentiel pour façonner la politique gouvernementale et les orientations futures du pays.

Je crois qu'il y a un autre niveau de préoccupations apparenté qui est lié à la question suivante : dans quelle mesure nos médias informent-ils bien les Canadiens au sujet du monde qui les entoure? La réponse à cette question est aussi, de moins en moins. On constate que les médias canadiens et américains délaissent la couverture internationale, tendance qui est renversée aux États-Unis uniquement pour traiter des aspects de la lutte au terrorisme et du déploiement à l'étranger de troupes américaines dans des rôles de combat. Il y a moins de journalistes à l'étranger et ceux qui restent ont tendance à se regrouper dans un petit nombre de villes, prenant un vol pour aller couvrir un événement pour ensuite revenir à leur point d'attache. Cet état de choses a deux conséquences. Premièrement, cela déforme la couverture parce qu'il doit y avoir une raison pour envoyer un journaliste — habituellement un désastre. Deuxièmement, la seule façon de couvrir un événement ou une région, c'est d'être sur place et, dans la plupart des cas, les Canadiens ne sont pas là. Permettez-moi de vous donner un exemple qui n'est pas vraiment international : les États- Unis. Veuillez me corriger si j'ai tort, mais je ne crois pas qu'il y ait une agence de presse canadienne qui ait des journalistes à plein temps aux États-Unis ailleurs qu'à Washington et à New York. Le Globe and Mail et CTV avaient des journalistes à Los Angeles pendant un certain temps, mais je ne pense pas qu'ils en ont maintenant. Je crois que ces bureaux ont été fermés. Doit-on s'étonner que les Canadiens aient été surpris que George Bush ait été réélu aussi facilement lorsqu'on considère comment nos médias couvrent les États-Unis? Les États-Unis ne sont-ils pas un endroit suffisamment intéressant pour que la société Radio-Canada diffuse une émission d'une heure à son sujet toutes les semaines? Nos médias sont tout simplement absents, même des États-Unis, bien que ce soit technologiquement plus facile et qu'il en coûte de moins en moins cher de faire des reportages depuis les États-Unis.

On peut en dire autant de nombreuses autres parties du monde qui sont le lieu de naissance de plus en plus de Canadiens. Nos médias brillent par leur absence dans ces endroits aussi et, dans nombre de cas, ils ne publient ou ne diffusent rien ou presque rien en fait de nouvelles de ces régions. Cela ne signifie pas que l'information n'est pas accessible aux Canadiens parce qu'elle l'est grâce à Internet. Dans la plupart des cas, c'est encore gratuit. Le comité voulait savoir comment les Canadiens de tous les âges recevaient les nouvelles et l'information. Il ne fait pas de doute que l'Internet est en train de récupérer une bonne partie de ce qui était le domaine des journaux et de la télévision.

Je dis à mes étudiants en journalisme d'affaires que la plupart des choses qui arrivent aux États-Unis arrivent habituellement au Canada six mois à un an plus tard. Prenez certaines constatations tirées des sondages effectués par The Pew Research Centre for the People and the Press aux États-Unis au cours des dernières années sur la croissance et l'utilisation spectaculaires de l'Internet pour les nouvelles et l'information politique durant la campagne électorale américaine. Cela arrive ici aussi. Je ne peux que me faire l'écho des observations de Mark Starowicz au comité selon lequel il y aura une fusion entre la télévision et Internet par laquelle les gens regarderont la télévision sur Internet. Cela se produit déjà à l'heure actuelle.

Si vous regardez une émission comme Politics diffusée par CBC Newsworld, vous pouvez la voir sur Internet presque immédiatement après sa diffusion. Ce sera vrai de toutes sortes d'émissions que les téléspectateurs regarderont au moment de leur choix et non pas au moment qui a été programmé par le réseau. Cela se produit déjà avec les enregistreurs personnels de vidéo et la vidéo sur demande à partir des serveurs sur le Web. Ensuite, ce sera la télédiffusion sur le Web, qui fait tout juste commencer, mais qui prendra de plus en plus d'ampleur dans l'avenir. Ce n'est pas uniquement pour la vidéo que l'Internet est en train de devenir un média dominant. L'Internet fait déjà partie intégrante de la façon dont les élèves de l'école secondaire et de l'école publique étudient, font leurs recherches et conversent intimement. Je pense que tout enfant qui a un ordinateur à la maison utilise presque tous les soirs MSN Messenger, ou un système de messagerie instantanée équivalent. C'est certainement ce qu'ils font chez moi. De nombreux adolescents passent plus de temps à faire cela qu'à regarder la télévision. C'est vrai aussi bien pour les enfants de l'école publique que ceux de l'école secondaire. Pour de très nombreux élèves, l'Internet est également le principal outil de recherche, avec tous les problèmes que cela comporte. Alors que le comité demande qu'il y ait un cours d'initiation aux médias dans les écoles, je me demande si le cours le plus approprié ne serait pas un cours d'initiation aux bibliothèques, pour rappeler aux gens qu'il existe tout un univers d'information au-delà de ce que les moteurs de recherche peuvent produire dans les dix prochaines secondes.

Pour le consommateur, l'Internet ouvre le monde. Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, au Canada il y a une absence presque totale de recherches sur le changement des habitudes du public en matière de consommation des médias. Cependant, empiriquement, je crois que les Canadiens qui sont intéressés par le monde qui les entoure ou par le monde que leurs parents ou leurs ancêtres ont quitté pour venir s'installer ici et qui sont intéressés dans les affaires internationales et les débats au sujet de la politique gouvernementale ont trouvé tout cela sur Internet, dans des journaux, des sites Web et des médias situés dans d'autres pays, qu'il s'agisse du New York Times, du Los Angeles Times, du Washington Post, du Wall Street Journal, du Financial Times, du Daily Telegraph et je pourrais continuer ainsi pendant quelques minutes. Ils sont tous accessibles et habituellement gratuits étant donné que les médias ont, à l'exception du Wall Street Journal et du Financial Times, trouvé une façon de faire de l'argent sur Internet. Je soupçonne que nous avons une situation dans laquelle les Canadiens intéressés par les affaires publiques et le monde délaissent de plus en plus les médias canadiens pour les produits qu'ils peuvent trouver ailleurs, grâce à l'Internet.

Lorsque la réduction de la couverture internationale est combinée à une diminution de la couverture par une bonne partie des médias canadiens de la politique gouvernementale et de la politique à tous les paliers — national, provincial et local —, je crois que le résultat, c'est un média qui a de moins en moins d'importance, d'intérêt et de pertinence pour justement le segment de la société canadienne qui a traditionnellement mené la discussion, le débat pour l'établissement de consensus si essentiel à l'élaboration d'une saine politique gouvernementale. Et ça, c'est un problème. Ce n'est pas un problème qui, je crois, peut être résolu par la réglementation gouvernementale et j'inviterais le comité à ne pas proposer une telle approche. Je ne vois rien qui indique que la réglementation actuellement en vigueur, à l'exception du contenu de la musique canadienne à la radio, a amélioré la qualité des médias canadiens. Avec la bénédiction du système de réglementation actuel, il y a eu un abandon des nouvelles et des affaires d'actualité à la radio, une consolidation importante de la propriété et l'introduction de la propriété mixte dans les médias, sans que je ne puisse rien voir qui indique que la qualité des médias et du journalisme se soit améliorée en conséquence.

C'est ici que mon opinion diffère de celle du groupe qui a comparu avant moi. Je proposerais que le meilleur choix est de promouvoir une plus grande concurrence en éliminant une partie de la réglementation qui est en vigueur actuellement. Je proposerais d'éliminer les règles touchant la propriété étrangère des médias canadiens et d'ouvrir les portes et de laisser venir n'importe qui le désire, que ce soit de nouvelles entreprises ou par suite de l'acquisition d'entreprises médiatiques canadiennes. Si le gouvernement croit que la réglementation est nécessaire pour réaliser des objectifs publics — qui, je prétends, touche le domaine de la radiodiffusion et non de l'impression pour les raisons habituelles au sujet de la propriété publique des ondes — alors, règlementez le contenu et non la propriété. Réglementez-le avec des règles véritables, écrites avec précision et pour atteindre directement des objectifs précis, appuyées par une surveillance véritable et des sanctions véritables imposées à quiconque viole ces règles.

J'ai débuté en parlant de hockey. Laissez-moi déterminer par quelque chose qui est lié au hockey : l'alcool. Au cours des négociations sur le libre-échange avec les États-Unis au milieu des années 80, les intérêts de longue date dans les industries du vin et de la bière ont mené une campagne de lobbyisme intense. Notre industrie vinicole, nous a-t-on dit, serait détruite par le libre-échange et l'inondation de notre marché par des produits étrangers et américains. Il n'y aurait plus de Baby Duck et plus de Gimli Goose. De même, il y avait en Ohio une usine de bière qui pouvait produire suffisamment de bière pour alimenter à elle seule tout le Canada et les brasseries canadiennes se retrouveraient en faillite en un rien de temps. On a ignoré les cris des intérêts en place et où sommes-nous 15 ans plus tard? Nous avons une industrie vinicole extrêmement vigoureuse qui a créé des industries dérivées dans le domaine du tourisme dans les régions de l'Okanagan et du Niagara, et d'autres régions du pays, comme le comté de Prince Edward en Ontario, essaient de reproduire ces succès à petite échelle. Les petits établissements vinicoles sont en pleine expansion et au moins un grand établissement vinicole, Vincor, a capitalisé sur son succès dans un marché libre au Canada pour devenir un acteur majeur à l'échelle internationale dans l'industrie du vin.

Du côté de la bière, on trouve également une industrie de microbrasseries très florissante et une de ces brasseries, qui a débuté modestement, Sleemans, est maintenant devenu un acteur important dans l'industrie de la bière au pays. Où sont les deux grands bénéficiaires de toutes ces années de protection? Un est maintenant la propriété d'une combinaison d'intérêts brésiliens et belges et l'autre est sur le point de se fusionner avec une brasserie américaine. Comment cela est-il arrivé : les deux industries, celles de la bière et celle du vin, ont compris qu'il y avait un marché pour un produit de qualité et que les gens accepteraient de payer pour avoir de la qualité. Il y avait un intérêt public pour quelque chose qui dépasse le plus bas dénominateur commun, alors qu'en même temps, les coûts pour se lancer dans ces deux entreprises et pour distribuer les produits ont beaucoup diminué. Soudainement, il était devenu économiquement possible à de nouveaux concurrents de faire une percée dans un marché plus ouvert.

Ces conditions sont toutes présentes dans l'industrie des médias au Canada aujourd'hui. Il y a une demande et un intérêt pour le journalisme de qualité. Une trop grande partie de ce qui se fait au pays se situe au niveau du plus bas dénominateur commun. Jamais il n'aura coûté aussi peu pour mettre sur pied un média en termes de biens d'équipement et de distribution et les coûts continuent de diminuer. Cela me dit qu'il faut ouvrir le marché du côté de la propriété. Voyons qui veut venir et ce qu'ils veulent faire. Comme c'est le cas dans de nombreuses autres entreprises, je crois que la concurrence améliora l'étendue et la diversité des médias canadiens; et les lecteurs, les téléspectateurs et les auditeurs partout au pays en seront les bénéficiaires.

La présidente : Pour clarification, vous parlez de se lancer dans les médias électroniques, l'Internet, et ce genre de distribution.

M. Waddell : Pour lequel?

La présidente : Pour les nouveaux arrivants.

M. Waddell : Pour l'ensemble du milieu. Si des gens veulent venir dans ce pays et acheter des journaux, permettons- leur de le faire.

La présidente : Vous ne défendez pas l'idée que l'équivalent d'une microbrasserie pourrait mettre sur pied un quotidien national.

M. Waddell : Je ne sais pas si elle pourrait démarrer un quotidien national, mais il est plus facile que jamais de démarrer un journal local.

La présidente : Je voulais savoir si vous ne parliez que des nouveaux médias.

M. Waddell : Je parle des médias existants également.

Le sénateur Tkachuk : Monsieur Waddell, c'était très intéressant. Lorsque vous avez parlé du contrôle du contenu, ou je ne suis pas certain si vous avez parlé du contrôle du contenu ou si nous voyons les médias comme des véhicules pour l'édification d'une nation, vous séparez la notion de propriété avec ce que la politique gouvernementale dicterait à ces gens de couvrir ou d'écrire. Je ne suis pas certain exactement de ce que vous voulez dire par là. Comment feriez- vous cela?

M. Waddell : Je ne suggère pas qu'il devrait y avoir une réglementation du contenu des journaux. Je suggère qu'il y a une réglementation existante pour la radiodiffusion. Il y a des règles régissant le contenu canadien à la télévision, mais je suggère que ces règles ne sont pas nécessairement bien mises en application, particulièrement. Elles ne sont pas rédigées d'une manière ferme pour essayer d'y parvenir. Par exemple, s'il y a un intérêt pour promouvoir les dramatiques canadiennes sur les ondes canadiennes, alors, l'organisme de réglementation a le pouvoir de réglementer d'une manière efficace pour s'assurer qu'il y a des dramatiques canadiennes sur les ondes canadiennes, si on juge que cela est dans l'intérêt du public. Je ne crois pas qu'il devrait y avoir une réglementation du contenu des journaux.

Le sénateur Tkachuk : Vous n'êtes pas préoccupé par le fait que des Américains, ou des Européens, ou des Asiatiques deviennent propriétaires des réseaux de télévision et des journaux au pays?

M. Waddell : Non. D'autres pays permettent à des Canadiens d'être propriétaires de stations et de réseaux de télévision chez eux. Cela n'a pas entraîné l'effondrement de l'Irlande, de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie. Je ne crois pas que cela entraînera l'effondrement du Canada non plus. Le problème, à mes yeux, en est un de contenu et non de propriété. Il n'y a rien de nécessairement bienveillant dans le fait qu'il s'agisse d'une propriété canadienne.

Le sénateur Tkachuk : Pensez-vous que, peut-être, nous accordons à cette question plus d'importance qu'elle n'en a en réalité? Est-ce que cela compte, d'une façon ou d'une autre, ce que les gens écrivent, qui est propriétaire de quoi, en d'autres mots, qu'il n'y ait aucune restriction quelle qu'elle soit?

M. Waddell : Il y a beaucoup de réponses différentes à cette question. Cela nous ramène à une des questions dont le comité a parlé plus tôt, à savoir le marché des idées. En d'autres mots, y a-t-il un marché pour les idées et qu'arrive-t-il si quelqu'un contrôle une trop grande part de ce marché? La difficulté, ce n'est pas d'essayer de démêler cette pensée; c'est qu'il y a une grande variété de marchés différents des idées. Il est difficile d'écrire des règles d'une façon ou d'une autre qui garantissent un certain degré d'ouverture à un niveau ou garantissent qu'il y aura beaucoup de participants différents.

Le sénateur Tkachuk : Cela peut être contrôlé par le Bureau de la concurrence, dans ce sens que vous n'auriez pas une personne qui est propriétaire de tous les médias, les journaux, la radio et la télévision. Vous pourriez avoir une réglementation.

M. Waddell : Traditionnellement, le rôle du Bureau de la concurrence a été d'examiner la concurrence, non pas en ce qui a trait au contenu éditorial, mais en ce qui a trait à la publicité. Est-ce qu'un propriétaire ou une source médiatique contrôle une part suffisante du marché de la publicité au sein d'une collectivité pour fixer les prix et chasser les concurrents du marché? Je sais que le Bureau de la concurrence a examiné la question entourant le contenu éditorial, plus particulièrement, lorsque la même personne est propriétaire de portails Internet et d'une variété d'autres choses de ce genre. Le Bureau de la concurrence n'est pas particulièrement intéressé dans le contenu éditorial. Je ne pense pas qu'il s'intéresse du tout à cette question. Il est intéressé par le contrôle du marché de la publicité, ce qui est évidemment important, mais qui est une question différente.

Le sénateur Tkachuk : Est-ce que vous pensez que les Canadiens ont une quantité appropriée et une qualité appropriée d'informations dans la mesure où les questions internationales, nationales ou régionales sont concernées? Sont-ils bien desservis par les médias qui existent aujourd'hui?

M. Waddell : Je ne pense pas que la population soit aussi bien servie qu'avant, et ce à maints égards.

Le sénateur Tkachuk : Je ne suis pas d'accord avec vous sur ce point.

M. Waddell : Je dis ça pour les mêmes raisons invoquées par certains des autres témoins en ce qui a trait au nombre de journalistes sur le terrain. Je ne crois pas que nous soyons particulièrement bien servis relativement à la couverture des nouvelles internationales.

Nous avons accès, comme jamais auparavant, aux écrits de gens du monde entier, et ce très rapidement, par l'entremise d'Internet. Tout porte à croire toutefois qu'il y a de moins en moins de journalistes canadiens qui travaillent pour des organisations canadiennes dans le monde.

De plus, peu de mesures ont été prises pour aider les médias canadiens à s'adapter au fait qu'il y a de plus en plus de Canadiens qui sont originaires de pays n'ayant pas fait traditionnellement l'objet d'une grande couverture médiatique canadienne.

Le sénateur Tkachuk : Dans ma province, les villes n'ont toujours eu qu'un seul journal, mais différents propriétaires. À une époque, c'était les Siftons qui possédaient tout. Puis, il y a eu les Thomsons qui étaient les propriétaires des journaux locaux, et maintenant, c'est Asper, je crois. Auparavant, tout appartenait à Black. Je ne sais pas si un journal a déjà été meilleur qu'un autre, mais nous avions un journal. Peut-être était-ce l'âge d'or où tout était parfaitement à sa place. Quand j'étais jeune, en Saskatchewan, nous n'avions pas véritablement de médias, pour tout dire. La politique était locale, et les gens s'intéressaient aux affaires de la localité. On ne s'occupait pas des journaux, mais nous écoutions un poste de radio qui jouait du vieux rock and roll. Nous avions parfois un journaliste, et 80 p. 100 de la population allait aux urnes. Tout le monde participait.

Il y a des avantages à ne pas avoir de médias. De nos jours, tout le monde se croit brillant et intelligent. Tout le monde veut avoir son mot à dire dans chaque dossier. On lit un seul article sur l'Internet et on se pense spécialiste. Ça rend les politiciens fous. Je ne suis pas certain que l'ensemble des citoyens soit ainsi mieux servi.

Je ne sais pas trop où je m'en vais avec cela, mais j'essaie de lancer le débat.

M. Waddell : Je ne sais pas comment vous répondre si ce n'est pour dire que je crois que la population est mieux servie lorsqu'on l'informe davantage sur la façon dont elle est gouvernée, sur les décisions prises par le gouvernement, sur les sociétés et autres institutions et sur la façon dont ces décisions la touchent. Je crois qu'il est dans l'intérêt de la population de connaître les questions qui touchent l'environnement, les politiques sociales et de nombreux autres domaines. C'est au public de décider s'il veut s'y intéresser ou pas.

Le sénateur Phalen : Je partage l'opinion du sénateur Tkachuk quant à votre hypothèse selon laquelle la participation électorale des Canadiens serait liée à la couverture médiatique à l'échelle locale.

En 2000, aux États-Unis, la participation au scrutin a été de 51,3 p. 100. Si l'on regarde les quatre dernières élections présidentielles, la participation électorale s'élève en moyenne à 51,4 p. 100. Au Canada, lors des quatre dernières élections fédérales, la moyenne a été de 67,4 p. 100, soit 16 p. 100 plus élevée qu'aux États-Unis.

Pourtant, il me semble que les médias bombardent les Américains d'informations. Je ne sais pas si c'est la même chose à l'échelle locale; vous le savez probablement mieux que moi. Il me semble que ces statistiques contredisent ce que vous dites sur la couverture médiatique locale.

M. Waddell : Mettons les choses au clair. Il m'est impossible de prouver ce que j'avance car le manque de participation électorale est attribuable à de nombreux facteurs.

Lorsqu'un journal local, comme le London Free Press, le Windsor Star ou le Hamilton Spectator, envoie un journaliste à Ottawa, celui-ci n'a pas habituellement pour mandat de couvrir les mêmes nouvelles que la Presse canadienne. Dans le cas contraire, il ira probablement voir son député pour lui demander son opinion sur la question et les conséquences pour les gens de sa circonscription. Les journalistes de la presse locale essaient d'interpréter localement les nouvelles et les événements nationaux.

Lorsque ces journalistes ne sont plus ici — pour écrire des articles sur leurs députés ou établir des liens entre les enjeux nationaux et leur signification sur le plan local — et qu'ils sont remplacés par une agence de presse ou une chaîne de nouvelles qui présente les nouvelles de façon générale sans interprétation, les collectivités se retrouvent perdantes. Il me semble que si personne ne parle des nouvelles d'une façon qui touche les collectivités, il ne faut pas être surpris de voir que les gens n'accordent pas beaucoup d'importance à ce qui se passe ici. Mais j'ai peut-être tort.

Cela peut aussi s'appliquer à d'autres domaines. Si personne n'écrivait de critiques de film et si les journaux ne regorgeaient pas de comptes rendus sur ceux-ci, je me demande si nous irions autant au cinéma. Si tout le monde arrêtait d'écrire des articles sur la LNH et d'en parler dans les médias, les gens iraient-ils voir les matchs? Pourquoi ne serait-ce pas la même chose pour la politique?

Le sénateur Phalen : Le journal local n'obtient-il pas quand même les nouvelles nationales?

M. Waddell : C'est différent. Supposons qu'il y a un projet de loi à la Chambre ou qu'une nouvelle politique est annoncée, il y a une façon d'écrire la nouvelle de façon générique. Comme ça, elle peut paraître dans tous les journaux du pays. Si vous êtes journaliste au Hamilton Spectator, à Ottawa, vous écrivez en établissant des liens avec ce qui se passe à Hamilton et en parlant des personnalités de l'endroit afin d'expliquer les enjeux et les situer dans un contexte, ce qui permettra à un habitant de cette localité de dire, « je comprends maintenant car cela risque d'avoir un impact sur tel service social », ou, « cette route sera touchée », peu importe.

Je ne peux pas le prouver, mais il me semble que si l'on s'en tient à écrire des articles génériques, le public aura plus de difficulté à faire des liens entre ce qui se passe à Ottawa et les conséquences au niveau local.

Le sénateur Phalen : Vous dites que c'est assez récent, n'est-ce pas?

M. Waddell : Ce que je dis, c'est que ces organisations d'information avaient des bureaux à Ottawa pendant les années 80, mais qu'ils les ont tous fermés à la fin des années 80 ou au début des années 90.

Je ne suis pas absolument sûr de ce que je vais avancer, mais je crois que le Calgary Herald a un chroniqueur qui écrit pour le National Post, mais pas un journaliste attitré ici. Je pense que c'est la même chose pour le Edmonton Journal. Le président le saurait plus que moi, mais si je ne m'abuse, la Gazette de Montréal a un journaliste ici, alors qu'il en avait auparavant au moins trois, y compris un chroniqueur.

Je ne saurais en dire plus, mais, en bout de ligne, il y a de nombreuses raisons qui expliquent pourquoi les gens ne votent pas et ne s'intéressent pas à la politique. Voici toutefois une raison plausible selon laquelle, au cours des 25 années qui ont précédé 1993, le pays avait été en psychanalyse en raison d'une vaste série d'événements qui ont débuté par la crise du FLQ et qui se sont terminés par le dernier référendum sur la souveraineté du Québec, en 1995. La population ne voulait plus entendre parler de politique ni de tous les conflits afférents au sortir des chocs pétroliers, du Programme énergétique national, du libre-échange, du lac Meech, de Charlottetown, et cetera. Peut-être que ça explique la baisse de participation électorale. Je ne sais pas.

Il me semble que c'est une question intéressante à se poser. Si vous brisez ce lien avec les collectivités et cessez d'interpréter les politiques nationales en fonction de la réalité locale, cela peut-il influer sur le nombre de personnes qui s'intéressent à la politique nationale?

Le sénateur Tkachuk : Lorsque j'étais jeune, je m'intéressais beaucoup, comme la plupart du monde en Saskatchewan, à la LNH. Il n'y avait pas de journalistes locaux pour couvrir ce sport. Tout ce que nous avions, c'était la chaîne radiophonique de la CBC, qui diffusait les matchs, et les cartes de hockey avec de la gomme à mâcher. Le manque d'intérêt des gens à l'égard de la politique ne serait-il pas plutôt attribuable à la qualité de la couverture médiatique?

M Waddell : Je suis certain que la qualité joue un rôle. Parlez-vous de la qualité de la couverture médiatique de la politique?

Le sénateur Tkachuk : Oui.

M. Waddell : Dans ce cas, absolument. Dans les années 80, lorsque le bureau de la Presse canadienne comptait deux fois plus de journalistes qu'aujourd'hui, il y en avait sûrement qui assistaient à la plupart des réunions des comités. Je ne crois pas que ce soit encore le cas. Comme je l'ai dit, pour la plupart des organisations d'information, c'était un système fondé sur les affectations par domaine. Si vous aviez un bureau de nouvelles à Ottawa composé de cinq, six ou sept journalistes, vous vouliez les affecter à différents dossiers. Un journaliste pouvait s'occuper des affaires étrangères et couvrir les nouvelles touchant l'Agence canadienne de développement international, la défense et la politique étrangère. Un autre s'occupait des affaires sociales, comme l'assurance-emploi, les questions liées au travail, la santé et d'autres questions afférentes. Ainsi, les journalistes pouvaient passer du temps à approfondir leurs dossiers, rencontrer les gens, comprendre les enjeux et dégager les éléments pertinents. Comme ça, ils pouvaient rédiger des articles qui situaient les questions dans un contexte global et illustraient ce qui était en jeu.

Quand vous retirez tout cela et n'affectez vos journalistes qu'aux reportages généraux, tout change. Les journalistes se voient confier leur dossier à leur arrivée au bureau, ils rédigent leur article ce jour-là, puis rentrent à la maison à 17 heures. Leurs recherches et connaissances se limitent à ce qu'ils ont pu trouver en cinq minutes dans Internet, ce qui est un gros problème car le bouche à oreille est souvent la source des informations sur Internet. Rien ne garantit leur exactitude. Cela est également vrai pour les sites Web d'organisations d'information légitimes qui ont pu publier des articles inexacts ou comportant des erreurs qui n'ont pas été décelées ni corrigées.

La qualité de la couverture médiatique est certainement un aspect de la question, mais ce qui me frappe dans votre exemple de la Saskatchewan et de la LNH — et c'est ce qui fait toute la différence —, c'est que vous n'aviez pas une équipe en Saskatchewan qui vous a été retirée. Vous n'aviez pas de journalistes attitrés dans ce domaine comme c'était le cas à Ottawa pour la couverture de la politique nationale. C'est étrange que cela se soit passé au même moment. Peut-être est-ce pertinent, peut-être pas. Je ne saurais dire.

Le sénateur Munson : D'après moi, monsieur Waddell, lorsqu'il y a moins de journalistes dans un régime démocratique, la démocratie s'en trouve diminuée. Dans vos observations préliminaires, vous avez parlé de la fermeture des bureaux de nouvelles et de la baisse du nombre de journalistes de la Presse canadienne. Nous voyons maintenant, à Vancouver, une seule voix dans les journaux, la radio et la télévision. La démocratie est-elle affaiblie par le fait que toutes ces organisations d'information appartiennent à un même propriétaire? Nous n'avons pas ici de journalistes de la BCTV ni du Vancouver Sun. Il n'y a aucun journaliste de la Colombie-Britannique si ce n'est le journaliste national établi ici et qui sert son maître.

M. Waddell : Je ne vois aucun avantage à la propriété croisée des médias pour le journalisme. Je crois qu'il est préférable de ne pas permettre cela. La situation à Vancouver est particulière puisque la société Pacific Press a toujours été propriétaire des deux journaux, et ce depuis longtemps. Même pendant l'ère Southam, elle possédait les quotidiens The Province et The Vancouver Sun. Il faut se demander à quel moment cela devient un problème plus important que les autres.

Le sénateur Munson : En effet. D'ailleurs, d'autres témoins ont exhorté le gouvernement à mettre fin à une telle pratique, disant que cela ne pouvait pas continuer à l'échelle du pays.

M. Waddell : C'est facile pour le gouvernement de s'avancer et de dire qu'il ne faut pas autoriser la propriété croisée des médias. Beaucoup d'autres pays font la même chose. Je ne sais pas trop pourquoi nous avons changé notre politique. Je ne dis pas cela pour dénigrer le SCEP, mais l'ironie c'est que pendant longtemps nous avons eu une politique qui interdisait la propriété croisée des médias, à une grande exception près. Je crois que cette exception ne s'appliquait qu'à London et à CFPL, où la famille Blackburn possédait CFPL et la station de télévision, mais c'était jugé acceptable. Je ne pense pas qu'il y ait eu des préoccupations à ce sujet. Je ne crois pas qu'il soit préférable que nous laissions une seule entreprise détenir des journaux et des stations de télévision. Je n'estime pas que cela nous avantage au chapitre de la couverture médiatique, du nombre de journalistes sur le terrain et de la diversité des voix.

Le sénateur Munson : Sur une note plus personnelle, j'aimerais savoir ce que vous dites à vos étudiants et ce qu'ils vous disent. À quoi peuvent-ils s'attendre dans ce nouveau monde? Leur dites-vous qu'ils devront rédiger des carnets Web, aller sur Internet, faire un compte rendu au bulletin de nouvelles de 18 heures et rendre leur article pour l'édition matinale du journal. Il ne suffit plus d'être un journaliste général, il faut être très polyvalent. À quoi s'attendent-ils sur le marché du travail?

M. Waddell : Des diplômés en journalisme, environ 20 à 25 p. 100 d'entre eux veulent vraiment être journalistes. À la fin de leurs études, certains étudiants ont hâte de terminer pour enfin quitter l'université. D'autres sont convaincus que c'est une grosse erreur et veulent faire autre chose. Il y en a aussi qui se servent de ce diplôme en vue d'obtenir un diplôme secondaire. Par secondaire, je veux dire un autre diplôme, qu'il s'agisse d'une maîtrise en sciences politiques ou en affaires internationales ou dans un autre domaine. Certains s'en serviront comme un diplôme de base, puis iront étudier en droit, enseigner ou faire diverses choses comme ça.

Pour ceux qui veulent vraiment être journalistes, on essaie de les informer sur la réalité du monde du travail, et ce monde a deux côtés. Un de ces côtés est celui dont vous parliez. L'autre est un monde où il y a des occasions de faire beaucoup plus dans les nouveaux médias, qu'il s'agisse de rédaction de contenu Internet ou d'emplois afférents. Il y a de plus en plus d'occasions de faire de la pige car ce mode de travail, que ce soit pour la télévision ou la presse écrite, est beaucoup moins coûteux et beaucoup plus facile qu'avant. Il y a encore un marché pour le type de travail que l'on fait depuis longtemps, et j'encourage d'ailleurs mes étudiants à poursuivre cette voie, c'est-à-dire de travailler pour un journal d'une petite ville. Parmi mes anciens étudiants des deux ou trois dernières années, il y en a un qui travaille actuellement pour un journal communautaire à Prince Rupert et un autre à St. Paul, en Alberta. Une de mes étudiantes a eu un emploi comme rédactrice en chef du Ottawa Construction News. Dans ce poste, elle devait jouer les rôles de rédactrice en chef, de journaliste, de rédactrice de manchettes et effectuer toute autre tâche nécessaire. La personne qu'il l'a embauchée lui a dit qu'elle occuperait l'emploi pendant deux ans puis à la fin, qu'elle sentirait le besoin de faire autre chose car elle en aurait assez, ce qui est vrai.

Ce type de choses se produit encore, mais vous devez essayer de les avertir que le monde a changé. Ces personnes ont maintenant des compétences différentes de ce qu'elles avaient il y a quelques années, ce qui les rend plus adaptables et flexibles. Aujourd'hui, bon nombre d'entre elles peuvent filmer des images pour la télévision et faire du montage, si elles s'intéressent à la télévision.

Nous avons une publication sur Internet. Nous leur montrons comment publier sur Internet, et cetera. Il y a des possibilités comme cela.

Le sénateur Phalen : Savez-vous quel est le pourcentage des personnes qui deviendront vraiment des journalistes et qui ne feront pas des études supérieures?

M. Waddell : Je dirais que c'est assez partagé. Nous avons les deux types dans notre école. Pour vous donner une idée, à chaque année, nous admettons environ 200 étudiants du collège à la première année de journalisme. À la fin de la première année, il en reste environ 100. Il faut maintenir un certain niveau, sinon cela serait de la formation générale. Le nombre d'étudiants diminue et se situe entre 85 et 95 au cours de la quatrième année et parmi les finissants. Nous admettons également 20 étudiants diplômés par année, entre 20 et 25, qui suivent un programme de deux ans dans la majorité des cas. Nous diplômons environ 100 à 110 étudiants par année. En général, les étudiants ayant déjà un diplôme universitaire, puisqu'ils ont déjà étudié dans d'autres domaines — science politique, histoire, et cetera. — sont plus motivés à étudier le journalisme que les étudiants qui viennent du collège.

Une proportion importante des étudiants au baccalauréat, je dois le dire, désirent se diriger dans les affaires publiques, les communications, et ce type d'emploi. Parmi les étudiants au baccalauréat, je dirais qu'entre 20 et 25 p. 100 désirent être journalistes à la fin de leur quatrième année. Cependant, certains disent qu'ils veulent faire cela, mais veulent faire quelque chose d'autre pendant une année ou deux avant, puis ils reviennent et essaient de travailler dans leur domaine.

Le sénateur Merchant : Voyez-vous une certaine corollation entre le fait que la télévision est de plus en plus populaire et que le lectorat des journaux diminue, et pourriez-vous faire un lien avec Internet et la diminution de la participation des électeurs au scrutin? Je m'intéresse beaucoup aux jeunes. Je crois qu'environ 20 à 25 p. 100 des 18 à 25 ans votent.

M. Waddell : Je crois qu'il faut le dire, les jeunes regardent de moins en moins la télévision. Et ils ne lisent pas les journaux non plus.

Le sénateur Merchant : Ils ont l'Internet.

M. Waddell : Ils utilisent l'Internet pour d'autres choses. Ils l'utilisent beaucoup pour communiquer avec leurs amis et des choses comme cela. Certains l'utilisent pour lire, et ce type de chose.

J'ai simplement eu l'idée qu'il pourrait y avoir une relation entre les deux. C'est peut-être possible de faire une étude plus rigoureuse et plus générale qui pourrait donner des résultats. Il existe beaucoup de raisons pour lesquelles les personnes ne votent pas et c'est très difficile à déterminer. Bien des personnes disent que les jeunes ne votent pas, car ils pensent que ce qui se passe dans le domaine politique n'est pas lié à leur vie.

Le sénateur Merchant : Cela ne s'applique pas seulement aux jeunes. Les autres aussi, car la participation aux élections diminue de plus en plus.

M. Waddell : C'est vrai, mais lors des dernières élections, la participation aux élections dans certaines parties du pays, comme en Ontario, a augmenté, même si à l'échelle nationale elle a diminué un peu.

Le sénateur Merchant : Elle a augmenté en Saskatchewan aussi.

Lors des dernières élections, nous avons été témoins de quelque chose de différent, c.-à-d. que deux, peut-être trois grands réseaux de télévision avaient envoyé une caravane. Des reporters se sont déplacés dans les communautés partout au pays. Avez-vous remarqué cela? De quoi s'agissait-il?

M. Waddell : Je crois que cela a été fait surtout parce qu'on l'a fait aux États-unis; je suppose que nous avons pensé que nous devions le faire ici aussi. Et lorsque quelqu'un a décidé de le faire, tout le monde a voulu faire de même.

Je pense que ce n'est pas une bonne manière de rapporter ce que les politiciens disent et d'analyser leurs politiques et leurs impacts en vue de permettre aux électeurs de faire un choix éclairé.

Je ne pense pas non plus que ce soit une bonne méthode de mettre quelqu'un dans un motorisé et l'envoyer faire des reportages dans les rues et poser les mêmes questions aux passants. Il y a différentes personnes dans les rues. Je suppose que vous pouvez interroger quelqu'un partout, dans la rue. Il y a différentes façons de le faire. Je ne crois pas qu'à la fin, cela a réellement eu un impact.

Le problème pour les nouvelles organisations est que si vous couvrez une élection, au début d'une campagne électorale, vous ne savez vraiment pas — je parle du point de vue du gestionnaire de l'information — de quoi aura l'air la campagne électorale, tant que vous n'arrivez pas à la fin. Vous ne savez pas quand la campagne sera la plus intense. Vous ne savez pas quelles régions du pays auront le plus d'influence pour déterminer le sort des partis le soir des élections. Vous avez un motorisé, et le Canada couvre 5 000 km de long. Je ne crois pas que cela peut remplacer le vrai reportage.

Le sénateur Merchant : Je suis d'accord avec vous.

M. Waddell : C'est pour le spectacle, peut-être.

Le sénateur Merchant : Exactement. Ils auraient mieux fait de faire des reportages sur les politiciens. Le voyage est devenu l'histoire, et très peu de choses ont été faites, je pense, pour aider les électeurs à se faire une opinion ou pour leur donner assez d'informations pour qu'ils puissent prendre des décisions.

Le sénateur Trenholme Counsell : J'aimerais poser deux questions au sujet de cette recherche.

Si vous prenez la ville d'Ottawa, où il y a beaucoup de reportages sur les politiciens dans les journaux locaux, comment comparerez-vous cela avec ce qui se passe à London, où il y a eu une diminution de 5 p. 100 de ce type de couverture au cours de la période visée par l'étude, et à Windsor, où vous avez constaté une diminution de 3 p. 100?

Avez-vous comparé ces données avec ce qui s'est passé dans les villes qui sont, comme vous l'avez mentionné, des tendances pour les élections provinciales et qui pourraient avoir un effet sur vos données? Savez-vous s'il y a eu une diminution similaire, par exemple, ici même à Ottawa? Est-ce que cela se compare à ce qui s'est passé dans des villes comme London, Windsor ou Hamilton?

M. Waddell : Je n'ai pas la réponse à cette question. Ce que j'ai fait reposait sur le fait qu'il y avait auparavant des reporters dans ces trois villes qui rédigeaient des articles sur la politique nationale et qui tenaient compte du point de vue de ces villes. Il y avait un grand journal dans chacune de ces villes et chacune de ces villes avait un reporter qui y vivait et qui était affecté à temps plein à Ottawa pour rédiger des nouvelles pour ces villes. La situation est différente à Ottawa.

Le sénateur Trenholme Counsell : À Ottawa, il y a beaucoup de nouvelles locales dans les journaux. Les personnes à Ottawa n'ont peut-être pas réalisé que c'est écrit à leur intention, mais ils sont au cœur de cette tendance.

M. Waddell : Je ne peux répondre à cela. Je ne sais pas.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je me demandais si vous pouviez comparer.

L'autre question est la suivante : je note à la page 1 que vous vous parlez du vote, à savoir s'il fait une différence ou pas. Avez-vous fait des études à ce sujet? Que pouvez-vous dire au sujet du cynisme par rapport à la participation électorale?

M. Waddell : Le but n'était pas de faire une analyse détaillée de la raison pour laquelle les personnes votent ou ne votent pas. J'ai fait l'étude pour voir si cela pourrait intéresser la collectivité, car cela m'intéressait. Bien des raisons expliquent pourquoi les personnes ne votent pas. L'une des raisons, c'est parce qu'elles ne veulent pas voter. Et je dirais que c'est leur droit, aussi, de ne pas voter. Je ne crois pas que nous devrions forcer les personnes à voter si elles ne veulent pas le faire. Certaines personnes ne votent pas peut-être parce qu'elles n'aiment aucun des candidats. D'autres ne votent pas parce qu'elles sont peut-être cyniques. D'autres encore, parce qu'elles croient peut-être que tous les politiciens sont terribles.

Le sénateur Trenholme Counsell : C'est une autre question.

M. Waddell : Il y a de nombreuses raisons. Dans ce cas, il m'apparaissait intéressant de constater que ces collectivités étaient habituées à recevoir un type de nouvelle et ne le recevaient plus.

Le sénateur Trenholme Counsell : Puis-je vous demander aussi si vous avez dit qu'il serait mieux de réglementer le contenu plutôt que la propriété?

M. Waddell : Oui. Je ne crois pas que la propriété en tant que telle est nécessairement une garantie. Le simple fait qu'un Canadien soit le propriétaire d'une publication ne signifie pas que la publication sera meilleure que si le propriétaire n'était pas Canadien.

Le sénateur Trenholme Counsell : Pouvez-vous nous donner un autre exemple de ce que vous voulez dire par réglementer le contenu?

M. Waddell : Oui. Je ne parle pas des journaux. Je ne crois pas que le contenu des journaux doit être réglementé. Je parle des médias électroniques seulement, surtout la télévision, où il est question du contenu canadien dans les heures de grande écoute.

Quelle période couvre les heures de grande écoute? Est-ce de 18 heures à minuit? Les diffuseurs aimeraient que les heures de grande écoute soient de 18 heures à minuit, car ils peuvent diffuser des programmes canadiens à la limite de ces heures. La vraie période de grande écoute, vous le savez tout comme moi, c'est probablement de 19 h 30 à 22 heures. Si le gouvernement croit qu'il est important pour des raisons de politique publique d'avoir un contenu canadien à la télévision dans les heures de grande écoute, alors il faudrait établir des règlements, les faire appliquer et imposer de réelles sanctions aux personnes qui ne respectent pas ces règlements, de manière à garantir le contenu.

Si vous croyez qu'il devrait y avoir 80 p. 100 de contenu canadien dans les heures de grande écoute à la télévision, alors réglementez le contenu des heures de grande écoute entre 19 h 30 et 22 heures, par exemple, et dites à tous les diffuseurs au Canada qu'ils doivent avoir un contenu canadien à 80 p. 100 entre 19 h 30 et 22 heures.

Le sénateur Trenholme Counsell : Si la population canadienne à un moment donné est intéressée par la guerre en Irak, est-ce bien réaliste?

M. Waddell : Je ne dis pas que vous devez imposer ce type de règlement sur le contenu. Je dis que si vous êtes préoccupé au sujet des médias, je crois que la question concerne uniquement les médias électroniques. Si vous êtes préoccupé au sujet du contenu canadien et des médias électroniques, je ne crois pas que le contenu canadien soit lié à la propriété. Je crois que cela dépend du règlement mis en application au sujet du contenu.

Je ne crois pas que l'autorité chargée de la réglementation est particulièrement rigoureuse à cet égard. Je sais qu'il n'y a pas de réelles ascensions qui sont imposées aux personnes qui ne respectent pas ce les promesses qu'elles ont données à l'organisme de réglementation. Cependant, je ne dis pas une seconde que nous devrions réglementer ce qui est écrit dans les journaux. Dans ce cas, si les personnes sont intéressées, elles achètent le journal; si elles ne sont pas intéressées, elles ne l'achèteront pas.

La présidente : Je veux en revenir au système de réglementation. Mais juste avant de le faire, j'aimerais dire que votre étude effectuée presque sur le coin d'une table, comme vous le dites, au sujet de la participation électorale et des bureaux nationaux, me semble intuitivement logique en ce qui concerne au moins un des facteurs de contribution. Comme vous le précisez, il y en a bien d'autres.

M. Waddell : Je pense qu'il y en a plus qu'un.

La présidente : Cela m'amène également à poser une autre question intéressante au sujet des histoires qui ne sont pas couvertes; nous ne savons pas ce que nous avons manqué, car ces histoires n'ont pas été couvertes. Il y aura toujours une limite sur la quantité des nouvelles qui intéressera la population. Il y a une limite au nombre de reporters disponibles.

Savez-vous s'il y a eu des travaux au Canada pour étudier ce genre de choses? L'information qui est couverte?

M. Waddell : Un certain nombre de personnes ont fait cela. À l'Université Windsor, certains travaux ont été faits, de même qu'à l'Université Simon Fraser, ou à la UBC. Je vous fournirai des noms précis. Je peux trouver cela assez facilement. Divers groupes, à diverses époques, ont étudié les dix histoires les moins couvertes de l'année. Des groupes ont fait des études à ce sujet. Je ne sais pas si ces études ont été faites de manière scientifique ou si ce sont les groupes qui ont déterminé quelles étaient les questions importantes qui n'avaient pas été couvertes ou qui n'avaient pas fait l'objet d'un débat public. Il y a donc eu des études, mais je n'ai pas de détails à ce sujet.

La présidente : Je comprends. Je n'insinue pas qu'il est du rôle du Sénat d'élaborer des listes de tâches pour les journaux, mais c'est seulement un aspect intéressant du tableau.

Pour revenir au régime réglementaire actuel, dont vous avez parlé, j'ai deux questions connexes. D'abord, les autorités responsables de la concurrence devraient-elles pousser leur étude au-delà de l'impact sur les marchés publicitaires lorsqu'elles évaluent les fusions de médias? Deuxièmement, le CRTC, lorsqu'il évalue les cas de propriété multimédias, devrait-il prêter plus explicitement attention aux effets sur les journaux? Compte tenu de son mandat, il se concentre sur le système de radiodiffusion et non sur les journaux. Je pense que ces deux questions sont interreliées d'une certaine façon.

M. Waddell : C'est la grande difficulté. Dans un monde idéal, il serait génial de dire que le Bureau de la concurrence doit effectivement étudier le contenu rédactionnel lorsqu'il évalue le contenu. Mais si on essaie de le faire, on se rend compte très vite que c'est difficile. Par exemple, cela nous ramène à la réflexion sur le marché des idées. Il y a différents marchés des idées. S'agit-il d'une couverture locale, provinciale ou nationale? S'agit-il de questions locales, provinciales ou nationales? Une fusion peut n'avoir aucune incidence sur la couverture des enjeux nationaux, particulièrement à une époque où les citoyens intéressés peuvent trouver de l'information sur Internet, dans d'autres journaux ou dans des sources d'information étrangères. Elle peut toutefois avoir une très grande incidence sur la couverture des enjeux locaux ou sur le nombre de personnes qui couvrent l'hôtel de ville ou les commissions scolaires, si on s'y attarde encore.

C'est difficile à déterminer. Je ne sais pas comment on peut déterminer quels sont les enjeux, pour ce qui est du contenu rédactionnel, lorsqu'une fusion risque de réduire considérablement la concurrence sur le marché des idées. Si l'on réduit la concurrence sur le marché des idées au sujet des nouvelles municipales, comment cela se compare-t-il au fait qu'on ne le fait pas pour les nouvelles nationales ou provinciales?

C'est de la grande théorie, mais lorsqu'on s'assoit et qu'on essaie de comprendre comment on peut y arriver, il est très difficile de penser à une formule ou à une solution.

En ce qui concerne votre deuxième question, sur les journaux et les radiodiffuseurs, la propriété multimédia engendre plusieurs questions, et le comité a sûrement entendu parler de la plupart d'entre elles d'une façon ou d'une autre avant ce soir. Il y a d'abord la simple question de la diversité des voix et du nombre de journalistes différents sur le terrain. Il est logique, et pratiquement vrai, que si cinq personnes différentes couvrent la même histoire pour cinq organisations différentes, il est fort probable que certaines finissent par présenter plus d'informations que d'autres. Certains seront plus entreprenants que d'autres, et on obtiendra quatre ou cinq versions de la même histoire, des bonnes et des mauvaises. Un journaliste peut présenter un fait que personne d'autre ne présente. Si une seule personne couvre l'histoire, il y a moins de chances que cela se produise, et l'attitude de la personne jouera beaucoup; elle peut être fonceuse ou paresseuse, intéressée ou pas. C'est une chose.

Il y a une deuxième question importante à mon avis, mais je ne suis pas certain de la façon dont les organismes de réglementation s'y attaquent. Lorsque Florian Sauvageau a comparu ici, il a parlé de la promotion réciproque des journaux et des chaînes de télévision. Il est bon de se demander à quel point le contenu des journaux, lorsqu'ils appartiennent aux mêmes personnes qui possèdent les chaînes de diffusion, est conçu pour inciter les lecteurs du journal à regarder la télévision sur le réseau du propriétaire. Je peux vous donner des exemples. Je ne sais pas à quel point Canadian Idol a été un véritable phénomène, indépendamment du fait qu'il était promu par diverses chaînes de télévision et journaux appartenant au même propriétaire. Un autre exemple en est Survivor, dont les journaux de CanWest semblent parler souvent. Cela pourrait-il être lié au fait que CanWest est aussi celui qui diffuse Survivor? La question qui s'impose est de savoir si cette couverture remplace des nouvelles qui pourraient être jugées plus importantes pour les gens.

La troisième question liée à la propriété multimédia, c'est ce qui arrive lorsque le même propriétaire possède des entités réglementées par le gouvernement et des entités non réglementées par le gouvernement, comme des chaînes de télévision et des journaux. Y a-t-il lieu de s'inquiéter du fait que le contenu d'un journal, par ses articles et tout le reste, favorise le gouvernement du jour afin d'éviter de le froisser, pour que son permis de radiodiffusion soit renouvelé?

D'un point de vue plus pratico-pratique, lors de la dernière campagne électorale, l'un des partis politiques dans la course, celui des conservateurs, préconisait ou semblait préconiser l'abolition du CRTC. C'est devenu un enjeu pendant une partie de la campagne. L'un des journaux à avoir accordé beaucoup d'attention à ce dossier est The Globe and Mail. Il convient de préciser que l'élimination du CRTC aurait d'assez graves incidences sur la santé financière de la société mère du Globe and Mail, BCE. Si nous ouvrons la porte à ce qu'on appelle le marché gris ou les antennes satellites pirates, si nous abolissons la réglementation des téléphones — bien que je ne connaisse pas bien la teneur de la proposition des conservateurs... Le contexte a bien changé pour ce qui est de la propriété des médias. Personnellement, je n'y vois pas d'inconvénient, mais pour vous donner une brève analyse du monde des affaires, question de bien éclairer les lecteurs, les divers scandales de Wall Street, Bay Street et d'ailleurs ont forcé les courtiers à déclarer si leurs analystes financiers possèdent des actions dans les entreprises dont ils font la promotion ou si la maison de courtage possède des actions dans l'entreprise dont elle essaie de vendre des actions à ses clients. Peut-être en sommes-nous à une période où les journaux, lorsqu'ils sont de propriété hétérogène et qu'ils prennent des positions politiques, doivent être plus transparents et déclarer les intérêts financiers de leur société mère dans les positions qu'ils prennent.

La présidente : Encore une fois, ce serait immensément complexe à appliquer dans la pratique.

Le sénateur Munson : Monsieur, vous avez répondu en partie à la question sur le CRTC. Nous sommes véritablement entrés dans le monde de la convergence si vous corroborez les dires d'Ezra Levant, éditeur du Western Standard, sur l'ouverture à la propriété étrangère et à la réglementation. Je ne pensais jamais que je verrais un ancien de la CBC partager ce type de philosophie.

Le sénateur Tkachuk : Ce n'est pas anormal, sénateur Munson.

M. Waddell : Les médias du pays appartiennent maintenant à une seule société, dont les recettes s'élèvent à 19 ou 20 milliards de dollars par année, soit la BCE, si je n'en sous-estime pas la valeur. L'autre société a d'importants revenus elle aussi. Je n'ai pas l'impression qu'elle a besoin d'être protégée. Que protégeons-nous en ce moment?

Je pense que ce type de protection tend à empêcher de nouveaux concurrents de pénétrer le marché et à donner à ceux qui sont là une position importante. Peut-être est-ce seulement les journalistes, mais il me semble que vous tous qui êtes ici ce soir pensez qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans les médias nationaux en ce moment ou qu'il faudrait améliorer certaines choses. Nous avons les médias que nous avons, compte tenu du système que nous avons.

Pour nommer un géant qui revient toujours, qu'arriverait-il si Rupert Murdoch venait acheter des journaux au Canada? Qu'arriverait-il si The Guardian venait acheter des journaux au Canada ou si le New York Times venait acheter des journaux au Canada ou encore s'il voulait lancer un nouveau journal au Canada?

Le sénateur Munson : À la lumière de tout cela, pourquoi serait-il du ressort du CRTC de décider ce que la communauté italienne du Canada peut voir ou pas? A-t-il le mandat d'interdire à Rai de venir faire concurrence à la propriété locale de notre pays? Personne ne devrait avoir peur de Rai ou d'al-Jazira.

M. Waddell : Je serais d'accord avec cela. Dans quelques années, tout le monde pourra regarder ces émissions de sa station terminale à large bande de toute façon, donc cela ne changera plus rien.

Le sénateur Munson : Avons-nous besoin du CRTC?

M. Waddell : Ce n'est pas à moi de prendre cette décision. Je ne vois pas l'utilité d'un organisme de réglementation qui force les gens à comparaître devant lui pour renouveler leur permis tous les sept ans et qui dépense des tonnes d'argent pour le faire, ce qui enrichit les avocats et les consultants. Si nous savons tous dès le départ qu'ils vont obtenir leur permis en bout de ligne, à quoi cela sert-il?

Je ne connais pas assez la réglementation sur le téléphone pour savoir si nous avons besoin d'un organisme de réglementation sur le téléphone. Il revient aux gouvernements de décider si nous devons réglementer le contenu pour protéger le contenu canadien. Il est très convaincant de rappeler que les règlements qui ont été mis en vigueur sur la musique et la radio ont été très efficaces, parce que 25 ans plus tard, nous avons une industrie musicale internationale florissante. Cela me laisse croire qu'il pourrait valoir la peine de le faire pour la télévision aussi si nous voulons développer le contenu canadien à la télévision, ce qui serait tout à notre avantage. Vous pourriez l'imposer aux diffuseurs au Canada, qu'ils soient de propriété canadienne ou australienne. C'est une question de réglementation. Le gouvernement reste le gouvernement. Le gouvernement a le pouvoir de réglementer comme il l'entend. Il lui revient de décider quels seraient les résultats acceptables ou souhaitables de la politique publique et ce qu'il faut faire pour y arriver.

Si le CRTC ne sert qu'à renouveler à l'aveuglette des permis tous les sept ans, alors que nous savons très bien qu'il ne retirera jamais le permis de CTV lorsqu'il en demande renouvellement, à quoi sert-il?

La présidente : J'ai une autre question. En ce moment, le CRTC est presque un système binaire : on obtient un permis ou on ne l'obtient pas. Il peut fixer des conditions, mais il semble vraiment que son seul mécanisme d'application de la loi, comme nous l'avons vu récemment à Québec, c'est de dire : « Vous ne respectez pas la réglementation, donc votre permis ne sera pas renouvelé. »

M. Waddell : C'est vrai.

La présidente : Devrait-il y avoir plus de mécanismes d'application de la loi? Lesquels conviendraient?

M. Waddell : Je ne sais pas ce qui conviendrait. Je ne suis pas suffisamment spécialiste pour vous le dire.

En gros, la réponse à cette question est un oui ferme. Il n'y a aucune utilité à établir un régime réglementaire si on n'a pas l'intention de mettre les règles en application. Quel est le but? La seule façon de faire appliquer les règles, c'est de prévoir des punitions suffisamment sévères. S'il s'agit d'une amende, par exemple, ce sera mieux qu'un permis de continuer à violer les règles.

Le CRTC pourrait réglementer le contenu télévisuel canadien. Nous avons entendu tous les arguments possibles il y a 30 ans lorsque le CRTC a adopté des règles pour la radio; on craignait que cela ne génère de la radio épouvantable et que les stations radiophoniques ne fassent tourner que des chansons épouvantables et tout le reste. Peut-être que cela a été le cas pendant un bout de temps, mais il y a des gens qui ont compris qu'ils pouvaient faire de l'argent en étant un peu mieux qu'épouvantables. Dans le temps de le dire, certains sont devenus plutôt bons. Si le CRTC voulait sérieusement imposer un règlement sur le contenu canadien aux diffuseurs canadiens, nous pourrions réussir tout aussi bien.

Est-ce que cela répond à votre question?

La présidente : Tout nous aide.

M. Waddell : C'est la même chose ailleurs. Il ne semble pas plus utile qu'une foule de personnes passe son temps à rédiger des règlements, puis que personne ne subisse de sanction pour y avoir contrevenu. Je ne l'ai pas lu aussi attentivement que je l'aurais dû, mais à la lecture de votre rapport provisoire, j'ai pris connaissance de questions qui ont été posées au président sur les conditions que Quebecor devait respecter en ce qui concerne Vidéotron. Si j'ai bien lu — et veuillez me corriger si je me trompe —, le président ne savait pas si qui que ce soit s'y était conformé ou non.

La présidente : Il n'est pas faux que le président du CRTC nous a dit que l'un de ses moyens était de leur demander de revenir pour faire un suivi de ces questions. Il me semble que c'est ce qu'il a dit. Je ne veux pas le citer faussement.

M. Waddell : Je ne veux pas critiquer le président, mais cela vous en dit peut-être long sur le règlement et son succès.

Le sénateur Tkachuk : N'est-ce pas ce qu'ils font tous? Ils promettent tous tout ce qu'il faut et obtiennent leur permis, puis reviennent six mois plus tard pour dire qu'ils ne peuvent pas le faire, et le CRTC leur permet de le faire de toute façon?

M. Waddell : Si je comprends bien la position du CRTC et de son président, c'est essentiellement que la seule sanction qu'ils peuvent appliquer pour l'instant, c'est de retirer son permis à quelqu'un.

Pour reprendre l'exemple du hockey, allons-nous suspendre un joueur parce qu'il en a fait trébucher un autre ou l'envoyer au banc des punitions pendant quelques minutes pour l'obliger à se calmer? La solution consisterait peut-être à penser à une série de sanctions qui permettraient d'assurer la conformité, parce que le prix à payer en ce moment est trop grand pour que l'organisme envisage de l'imposer souvent.

La présidente : Je vous remercie beaucoup, monsieur Waddell. C'était bien intéressant, et nous vous en remercions.

La séance est levée.


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