Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 3 - Témoignages du 7 décembre 2004
OTTAWA, le 7 décembre 2004
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 35 pour étudier l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergeants au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : J'aimerais souhaiter aux sénateurs, aux témoins et aux membres du public la bienvenue à cette réunion où le Comité sénatorial permanent des transports et des communications poursuit ses audiences au sujet des médias canadiens d'actualité.
Le comité étudie le rôle que l'État devrait jouer pour aider nos médias d'actualité à demeurer rigoureux, indépendants et diversifiés dans le contexte des bouleversements qui ont touché ce domaine au cours des dernières années, notamment la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et concentration de la propriété.
[Traduction]
Notre premier témoin ce matin est l'éminent professeur John Miller, de l'École du journalisme, à l'Université Ryerson, qui connaît fort bien de nombreux aspects du journalisme, mais qui se spécialise plus particulièrement dans l'étude de la diversité dans les salles de presse et les journaux, ce qui devrait être un sujet extrêmement intéressant.
Bienvenue au comité, monsieur Miller. Nous vous invitons à présenter un exposé, d'une dizaine de minutes peut-être, après quoi nous vous poserons des questions.
M. John Miller, professeur, École de journalisme, Université Ryerson : Je suis particulièrement heureux d'avoir l'occasion de vous informer de certaines recherches que j'ai faites sur les quotidiens canadiens, car elles se rapportent à deux éléments de la politique que le comité étudie. Tout d'abord, les minorités visibles et les Autochtones sont-ils équitablement représentés dans les salles de presse des quotidiens?
Comme vous le savez, les stations de radio sont réglementées par le gouvernement fédéral, mais les journaux ne le sont pas, et ils ne sont pas soumis non plus à la Loi sur l'équité en matière d'emploi. J'ai trouvé intéressant de constater à quel point l'évolution de la composition du personnel des journaux avait été fidèle à la forte hausse de la proportion des minorités visibles et des Autochtones dans notre population.
Deuxièmement, de quel soutien le journalisme a-t-il le plus besoin pour assurer la diversité des voix et une nouvelle adhésion sur le marché? Je sais que vous avez entendu des témoignages selon lesquels on pourrait justifier une SRC de l'imprimé, mais ce serait extrêmement coûteux. Je vais attirer votre attention sur les petits médias locaux, qui sont un secteur particulièrement crucial qui a besoin de soutien.
Dans mon projet de recherche, j'ai entrepris de faire un certain nombre de choses pour trouver si la diversité raciale et sexuelle dans les salles de presse des quotidiens canadiens correspondait à celle des collectivités qu'ils desservent. Autre question importante, cette diversité se retrouve-t-elle à tous les échelons, non seulement chez les reporters, mais aussi chez ceux qui décident des sujets traités?
Je voulais aussi mesurer l'engagement des rédacteurs à assurer une plus grande diversité. Il est fort bien d'examiner la situation actuelle, mais il faut aussi se soucier de ce qui changera. Les tendances récentes dans l'embauche favorisent-elles une évolution et un progrès?
Les journaux sont-ils poussés à changer par leur milieu? Si oui, combien d'entre eux prennent des mesures?
La tâche semble considérable. Je m'y suis attaqué en envoyant un questionnaire aux directeurs-rédacteurs en chef des quotidiens de tout le Canada. J'ai fait la même chose en 1994 pour ce qui était alors l'Association canadienne des journaux. Elle n'a pas fait d'autre enquête depuis. Il m'a semblé intéressant de faire une nouvelle enquête dix ans après et de voir ce qui avait changé en dix ans.
Nous avons constaté que le nombre de représentants des minorités — et j'entends par là les personnes qui se désignent elles-mêmes comme des membres d'une minorité visible ou comme des Autochtones — au service des quotidiens était de 67 en 1994. On en est aujourd'hui à 72. Toutefois, un plus grand nombre d'employés des salles de presse ont été visés par l'enquête de 1994. Le pourcentage a augmenté légèrement, passant de 2,5 à 3,4 p. 100.
Les chiffres ne sont pas impressionnants, si on considère que les minorités visibles et les Autochtones représentent aujourd'hui 16,7 p. 100 de la population. Les salles de presse ont pris du retard par rapport à il y a dix ans, pour ce qui est de la représentation des minorités. Même si le pourcentage est à la hausse, il est loin d'avoir augmenté autant que la proportion des minorités visibles et des Autochtones dans l'ensemble de la population.
Selon le recensement de 1991, le pourcentage était de 11,7 p. 100; au recensement de 2001, il était de 16,7 p. 100. Nous pouvons constater que les minorités sont plus de six fois moins représentées dans les salles de presse des quotidiens que dans la population.
Comment ces chiffres se comparent-ils à la population des collectivités desservies par ces journaux? J'ai distingué trois grandes catégories de tirage. De toute évidence, les conditions sont différentes dans les grandes villes et dans les plus petites, sur le plan de la diversité démographique. La première catégorie est celle des tirages de plus de 100 000 exemplaires, correspondant aux plus grandes villes; la deuxième est celle des tirages de 25 000 à 100 000, pour les villes de taille moyenne; et la troisième est celle des tirages de moins de 25 000 exemplaires, pour les plus petits centres urbains.
Il est évident que la question de la diversité se pose dans les grandes agglomérations, mais je voulais voir si elle se posait aussi dans d'autres centres. Comme nous le savons, la diversité est un phénomène qui gagne l'ensemble du Canada au lieu de se limiter aux points d'établissement qu'ont toujours été Toronto, Vancouver et Montréal.
Voici comment se présente chaque catégorie. La colonne la plus haute corrrespond au pourcentage des minorités visibles et des Autochtones dans les villes dont les quotidiens ont répondu au sondage. On peut voir que leur représentation est de 24,7 p. 100 dans les plus grandes villes, mais qu'elle n'est que de 4,1 p. 100 dans les salles de presse de ces journaux.
Ce qui me paraît très intéressant, c'est qu'il existe un écart semblable dans les deux autres catégories de tirage. Beaucoup de rédacteurs qui ont répondu à l'enquête ont dit : « La diversité n'est pas un facteur qui compte dans notre ville », mais les chiffres vous montrent que c'est le contraire.
En dix ans, les écarts se sont creusés à cause de la croissance très marquée des minorités. En 1994, la représentation des minorités était de 4,5 fois inférieure à la représentation dans la population. Aujourd'hui, nous en sommes à plus de 6 fois. Étant donné que la représentation dans les salles perd du terrain, on aurait pu croire qu'il y aurait une détermination plus ferme à engager des représentants des minorités. Il est clair que ce n'est pas le cas. Cette constatation m'a quelque peu étonné.
Parmi les grands journaux, seulement 33 p. 100 se disent très déterminés à engager des représentants des minorités, alors que, pour la même question, en 1994, la proportion était de 45 p. 100. Le plus grand recul s'observe dans les quotidiens à tirage moyen, où le taux de ceux qui sont très déterminés est de 12,5 p. 100, alors qu'il était de 40 p. 100 en 1994.
Comme le niveau de détermination était plus élevé il y a dix ans, je m'attendais à des progrès plus marqués. Toutefois, pour quelque raison, cette détermination a fléchi, et il n'y a pas eu de progrès.
J'ai aussi posé une question que certains interpréteront comme une façon d'essayer de savoir s'il y a discrimination systémique ou si, simplement, on n'est pas conscient de certains facteurs qui peuvent expliquer ces chiffres. J'ai demandé aux rédacteurs : « À votre avis, la culture et les traditions de votre salle de presse gênent-elles le recrutement et les progrès des minorités? » La réponse presque unanime a été négative. On n'a pas l'impression que le manque de détermination ait quoi que ce soit à voir avec la culture et les traditions du journal.
Environ 59 p. 100 des journaux qui ont répondu au sondage, dont un journal d'une des plus grandes villes du Canada, ont un personnel entièrement composé de personnes de race blanche.
Pour obtenir une réponse au sondage, j'ai promis aux journaux de respecter l'anonymat, car tout ce qui m'intéressait, c'était les résultats globaux. Je n'estime donc pas avoir la liberté de divulguer la situation particulière d'un journal donné. Le taux de réponse a été inférieur à ce que j'espérais. Comme je l'ai dit, 37 journaux sur les 96 que nous avons abordés ont renvoyé le questionnaire ou répondu aux appels que nous avons faits ensuite.
Un groupe important, CanWest — je peux en donner le nom, puisqu'il n'a pas participé — a refusé que certains de ses journaux répondent au sondage. CanWest a parlé de la nécessité de respecter les renseignements personnels. Lorsque j'ai répondu que la Loi sur la protection des renseignements personnels exemptait expressément des études de cette nature, on m'a dit : « Nous ne sommes pas d'accord sur votre interprétation. » Je ne suis parvenu à rien.
La représentation des différents groupes minoritaires a également été un point intéressant. Je compare cette information avec les données de 1994 pour voir ce qui a changé.
Le nombre de journalistes chinois a augmenté, mais le groupe le plus sous-représenté est celui des journalistes autochtones. Sur les 2 000 employés, un seul était autochtone. C'est très préoccupant, et il est évident qu'il faut faire des efforts de ce côté. J'ai comparé les pourcentages de ces groupes dans les salles de presse, illustrés par la ligne foncée, et dans la population. Comme vous pouvez le constater, la minorité autochtone est la plus sous-représentée. Elle est à peine visible dans les salles de presse des quotidiens.
Les choses évoluent-elles? Vous le verrez lorsque nous examinerons les chiffres sur les deux sexes, mais il faut beaucoup de temps pour changer les grandes salles de presse. J'ai demandé aux rédacteurs quelle avait été la composition de l'embauche au cours de la dernière année. Je voulais voir si on avait engagé plus de représentants des minorités visibles, puisqu'ils sont plus nombreux à fréquenter les écoles de journalisme, qu'il y a plus de pressions de la collectivité en faveur d'une meilleure représentativité et qu'un plus grand nombre d'entreprises s'aperçoivent qu'il peut être rentable de veiller sur la diversité et de tendre la main à la partie de la population qui croît le plus rapidement.
Les tendances récentes dans l'embauche font ressortir quelque progrès. Les chiffres et les pourcentages sont plus élevés, mais surtout du côté des emplois à temps partiel plutôt que des emplois à temps plein. Dans certains journaux, on profite des programmes de stages à temps partiel pendant l'été pour assurer une plus grande diversité, mais, dans les journaux les plus importants, la diversité n'est pas une priorité pour les emplois à temps plein. Quant aux petits et moyens journaux, on n'y distingue guère de signes de diversification dans l'embauche. Les membres des minorités visibles n'ont donc pas la même chance que les journalistes blancs de suivre ce parcours de formation afin d'acquérir du métier et des compétences afin de travailler ensuite pour les journaux les plus importants. Les membres des minorités se présentent dans les grands journaux sans avoir pris de formation dans des journaux plus petits, de sorte qu'ils ont plus de mal à garder leur emploi dans les grands journaux.
Des pressions se font-elles sentir pour qu'on agisse? J'ai demandé : « Au cours de l'année qui s'est écoulée, un groupe d'une minorité raciale a-t-il demandé à votre journal de discuter de la couverture médiatique? » J'ai demandé également : « Votre journal a-t-il cherché à recruter davantage de membres des minorités et à couvrir les minorités? » On peut voir dans le deuxième groupe de transparents qu'il existe une solide corrélation entre les journaux auprès desquels des groupes minoritaires ont fait des démarches et ceux qui peuvent citer au moins une mesure prise en faveur des minorités. Les pourcentages sont à peu près semblables.
La raison la plus souvent citée pour les démarches des groupes minoritaires était la couverture, et la deuxième le manque de diversité du personnel. Dans un grand nombre de collectivités, le manque de diversité du personnel est un problème que les groupes communautaires ont inscrit à leur programme.
Gertrude Robinson et Armande Saint-Jean ont fait des études sur les écarts entre les deux sexes dans les salles de presse. La dernière remonte à 1994. Il m'a semblé intéressant de voir ce qui s'était passé depuis. La représentation féminine a progressé régulièrement dans les salles de presse pour atteindre 34 p. 100. Il existe toujours un écart par rapport au pourcentage de femmes dans la population active, mais la progression est constante depuis 1974. Depuis que je suis à Ryerson, soit 18 ans, les femmes constituent en gros les deux tiers de nos classes. Même avec la prépondérance des femmes dans les écoles de journalisme, leurs progrès dans les salles de presse ont été très lents, ce qui donne peut-être à penser qu'il faudra encore plus de temps aux minorités pour arriver à la masse critique dans les salles de presse.
Je voudrais vous soumettre quelques considérations de politique : les journaux ne sont pas réglementés et la seule idée d'une réglementation y provoque des crises d'apoplexie. Néanmoins, les milieux journalistiques ont des bons résultats en matière d'autoréglementation, lorsqu'on les pousse à agir. Assurément, les commissions Davey et Kent ont insisté pour qu'ils mettent sur pied des conseils de presse. Le Canada, grâce à ces pressions et à la réaction des milieux journalistiques, a probablement la plus importante représentation au monde dans les conseils de presse. Toutes les provinces sauf la Saskatchewan ont un conseil de presse auquel participent à peu près tous les journaux. Je faisais partie du Conseil de presse de l'Ontario lorsqu'on y a discuté de la commission Kent et de diverses politiques envisageables. Il y a eu une véritable ruée des journaux pour adhérer au conseil de presse avant que les autorités fédérales ne légifèrent, ce que, bien entendu, elles n'ont jamais fait. Et ils sont restés membres des conseils de presse.
Voilà qui montre qu'ils agissent lorsqu'on les y pousse. Ce dont ils ont besoin, c'est d'un bon rappel pour qu'ils prêtent attention et agissent dans le dossier de la diversité dans l'embauche pour les salles de presse. Pour Canadiens, les médias, notamment de l'imprimé, sont une fenêtre sur le monde extérieur. Si cette fenêtre ne leur montre pas la diversité de notre population et n'offre pas une couverture professionnelle qui n'exclut personne, il sera plus difficile d'assurer la cohésion sociale dans notre pays.
La commission Kerner de 1968, aux États-Unis, est un bon modèle. Elle a interpellé les médias parce qu'ils n'avaient pas rendu compte de certaines des conditions qui avaient abouti aux troubles qui ont eu lieu dans des villes américaines et plus particulièrement parce qu'ils répugnaient à engager des journalistes noirs, qui auraient pu faire valoir les préoccupations des noirs dans les salles de presse.
Le secteur journalistique américain déploie maintenant des efforts de diversification qui comptent parmi les plus proactifs du monde. Il y a un recensement tous les ans, on mesure les résultats et on s'engage à faire en sorte que la salle de presse soit à l'image de la collectivité.
Le gouvernement fédéral a également un certain poids. Le moyen le plus évident qu'il peut employer pour pousser les journaux à faire quelque chose est de leur faire savoir qu'ils pourraient être soumis au Programme de contrats fédéraux, de sorte qu'ils soient assujettis à la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Il suffirait de solliciter un peu les modalités d'application de ces dispositions, mais le gouvernement fédéral est au cinquième rang des plus importants annonceurs dans les quotidiens canadiens, et un accord de publicité est un contrat. Je signale cette possibilité, car il a été montré que la Loi sur l'équité en matière d'emploi était efficace pour accroître la diversité dans les salles de presse.
Les médias qui figurent sur le transparent et la Presse canadienne ont tous des pourcentages plus élevés de minorités dans les salles de presse que tous les journaux qui ont répondu à l'enquête. Je crois que c'est parce que, chaque année, ils doivent rendre compte de la composition de leur salle de presse et de leurs plans d'embauche. La question n'est même pas au programme des quotidiens.
La présidente : Je ne suis pas sûre que nous avons ce transparent dans la documentation écrite. Êtes-vous sûr que le greffier l'a reçu?
M. Miller : Oui. Je suis désolé. Je l'ai ajouté plus tard. Ces données viennent de Développement des ressources humaines Canada. Les déclarations les plus récentes sont de 2002.
Le sénateur Carney : Je ne peux pas lire.
La présidente : Vous allez devoir nous expliquer. Nous ne l'avons pas.
M. Miller : J'ai passé en revue diverses agences de nouvelles, dont CFTO, à Toronto. Dans sa salle de presse, les minorités visibles et les Autochtones représentent 13 p. 100. Chez Rogers Communication, le pourcentage de minorités visibles est de 11 p. 100; CHUM, 10 p. 100; Craig Broadcasting, en Alberta, 8,4 p. 100; CBC, 6,2 p. 100. Tous ces pourcentages sont considérablement plus élevés que ceux de toutes les catégories de quotidiens que j'ai mesurés dans ce sondage.
Toutefois, ces chiffres tiennent compte de l'ensemble des employés. Les chiffres ne sont pas directement comparables, notamment pour les employés de la salle de presse, mais ils révèlent une diversité considérable dans les entreprises qui doivent chaque année présenter au gouvernement fédéral leurs plans d'embauche visant à assurer l'équité.
Voilà pour le premier point. Je vais voir le deuxième brièvement.
Où le journalisme a-t-il le plus besoin de soutien? Selon moi, c'est au niveau local. Résultat secondaire de mes recherches, j'ai pu comparer chacune des salles de presse à dix ans d'intervalle et voir ce qu'il était advenu de la dotation. À ma connaissance, ces chiffres n'existent nulle part ailleurs. Ces tableaux illustrent les changements dans la dotation sur dix ans. C'est le deuxième tableau dans la documentation distribuée.
Dans la catégorie des plus gros tirages, celle de plus de 100 000 exemplaires, si vous comparez les totaux de 2004 à ceux de 1994, vous remarquerez le changement à l'extrême droite du tableau. Dans les plus grandes salles de presse du Canada, l'effectif global a augmenté d'environ 10 p. 100 en dix ans. C'est la hausse du nombre de superviseurs et de réviseurs qui explique en grande partie cette augmentation. Cela s'observe dans les plus grands journaux, qui prennent de l'expansion et ont plus de personnel qu'il y a dix ans.
La situation est bien différente dans les journaux moyens, ceux de la catégorie des tirages de 25 000 à 100 000 exemplaires. Le nombre de reporters a diminué du tiers. Il y a 31 p. 100 de reporters de moins dans les salles de presse et moins de réviseurs. Globalement, le niveau des effectifs a diminué de près du tiers. Ces journaux paraissent dans des villes de taille moyenne. La tendance est directement l'inverse de celle des plus grands journaux. Dans les plus petits journaux, la situation est analogue. Il y a 35 p. 100 de superviseurs de moins et l'ensemble du personnel est en baisse de 15 p. 100. Les explications sont nombreuses, mais je ne peux pas mettre le doigt sur un seul élément.
Je vais maintenant résumer mes considérations sur la politique.
Pour ce qui est de la diversité, il est clair que, dans les quotidiens, il n'y a aucune détermination à changer ni même à parler de diversité. Toutefois, par le passé, le secteur des quotidiens a montré qu'il pouvait réagir aux pressions du gouvernement fédéral, ce qui donne de l'espoir. Je vous exhorte à envisager sérieusement de faire quelque chose de cet ordre pour inciter les journaux à s'autoréglementer ou à prendre des mesures quelconques.
Deuxième question de politique, celle de la propriété locale. Les propriétaires sont trop peu nombreux sur ces marchés petits et moyens. On assiste à la montée de monopoles régionaux. Nous le voyons à Kingston. Également à Hamilton, où un seul propriétaire possède le quotidien et les journaux des localités environnantes, ce qui étouffe l'opinion locale. Il est possible de voir ce qui s'est passé. C'est peut-être un élément qui contribue à expliquer la baisse du nombre de reporters et de surveillants : les talents ont été regroupés au niveau local. Il y a donc moins de reporters qui couvrent les actualités dans ces localités. Dans certaines d'entre elles, il n'y a pas d'autres médias. Il n'y a pas de télévision locale, et la radio locale ne s'occupe pas beaucoup d'information. Ces collectivités ont donc moins de ressources pour couvrir les affaires locales.
Si vous recommandez un soutien pour favoriser l'arrivée de nouveaux propriétaires dans le monde du journalisme, je suis d'avis que vous devriez appuyer le démarrage de médias locaux indépendants. Il faut apporter du sang neuf sur le marché, et à faible coût, car il ne coûte pas aussi cher de lancer des médias locaux que des médias nationaux, de toute évidence. L'objectif de ces deux politiques serait de favoriser la diversité des voix sur le marché.
La présidente : Pour comparer votre étude d'il y a dix ans et celle d'aujourd'hui, vous n'avez pas retiré des résultats d'il y a dix ans les journaux qui n'ont pas répondu cette fois-ci. Vous avez simplement mis en regard l'univers des réponses d'il y a dix ans, et celui des réponses d'aujourd'hui. Ai-je raison?
M. Miller : Effectivement, sauf dans les comparaisons directes. Dans ce cas, je n'ai pris que les journaux qui ont répondu aux deux enquêtes.
La présidente : Je vais vous demander de consacrer cinq minutes à nos agents de recherche pour être sûre que nous comprenons tout ce que vos données font ressortir, car c'est très intéressant.
Le sénateur Tkachuk : Nous avons beaucoup entendu parler de la diversité des voix. Je ne suis pas tout à fait sûr de ce que cela veut dire. Lorsque je lis un chroniqueur, je n'ai aucune idée de son origine ethnique ou de sa couleur. C'est un simple article de journal. Des témoins nous parlent de cette notion. Qu'entendez-vous par « diversité des voix »?
M. Miller : Je veux dire, qui met les idées sur la table? Dans la littérature universitaire, il n'existe aucune thèse directe qui dit qu'une couverture juste et fidèle pour tous dépend d'une composition des salles de presse qui soit à l'image de la société. Il existe cependant une hypothèse qui me semble fondée : lorsqu'il y a plus de voix diverses autour de la table, on obtient des idées plus diverses et une couverture également plus diversifiée.
Les salles de presse fonctionnent de bien des manières différentes, mais les idées que se retrouvent dans les journaux tous les jours dépendent de ceux qui décident si un article est susceptible d'intéresser les lecteurs. Les décideurs ont-ils des contacts avec les collectivités? Si des groupes ne sont pas représentés dans la salle de presse, il arrive malheureusement qu'on les néglige ou qu'ils soient enfermés dans des stéréotypes, ce qui ne sert pas l'intérêt supérieur de la société.
Au cours des dix dernières années, nos villes ont beaucoup changé. Il y a de nouvelles communautés. L'immigration est plus forte. Si la couverture n'englobe pas tout le monde, nous courons au devant des difficultés, car certains groupes sont classés comme des fauteurs de trouble ou comme des gens qui « ne sont pas comme nous ». Ils sont marginalisés. Il y a eu assez d'analyses de contenu et d'études de cas pour me convaincre qu'une salle de presse plus représentative de tous les groupes est préférable.
Le sénateur Tkachuk : Si un journaliste engage un rédacteur noir, ce rédacteur doit-il nécessairement habiter dans un quartier noir ou couvrir le monde des affaires? Dites-vous que les salles de presse devraient non seulement engager le personnel en tenant compte de leur couleur, mais aussi leur donner des affectations en fonction de leur couleur?
M. Miller : Non, ce n'est pas ce que je dis.
Le sénateur Tkachuk : Alors, comment cela peut-il être utile? Si un journaliste noir écrit sur le monde des affaires à Toronto et sur la bourse, quel rapport, sinon qu'il écrit sur la bourse?
M. Miller : Peut-être va-t-il découvrir des choses différentes sur le marché boursier à cause de ses propres antécédents. Peut-être va-t-il contribuer à des articles qui sont en dehors de son domaine dans la salle de presse. Peut-être va-t-il progresser et devenir un superviseur, et peut-être pourra-t-il de la sorte donner des affectations à d'autres reporters et avoir des contacts ou des points de vue que la salle de presse n'avait jamais eus jusque-là.
Le sénateur Tkachuk : Nous parlons de minorités visibles, comme des Asiatiques, des noirs, des Philippins. Je faisais partie d'une minorité, mais une minorité non visible. Beaucoup d'entre nous ont travaillé en agriculture, en génie, en médecine et dans l'enseignement. Nous sommes probablement surreprésentés pour des raisons d'ordre culturel. Dans notre église, dans la famille ou ailleurs, on nous encourage dans cette voie.
Peut-être à l'exception des Autochtones, ces gens n'ont pas nécessairement connu des institutions démocratiques dans leur pays d'origine. Peut-être leur culture ne les porte-t-elle pas vers le journalisme. Il faudra peut-être une génération ou deux pour que cela se produise. Est-ce que c'est une explication ou le problème est-il dû simplement au fait que les journaux n'engagent pas de membres des minorités visibles?
M. Miller : Les écoles de journalisme peuvent-elles faire plus? Oui, mais la diversité y existe déjà. Nous rejoignons cette deuxième et cette troisième génération. Et même la première.
Un grand nombre de ces groupes ethniques viennent de pays où on lit beaucoup plus les journaux qu'au Canada. Hong Kong et l'Inde sont des marchés très dynamiques pour les journaux. La tradition est une explication qui ne tient plus. La question est très intéressante, et je suis heureux que vous l'ayez posée.
La grande raison qui explique que les rédacteurs n'engagent pas de membres de divers groupes, c'est que personne ne pose sa candidature. J'ignore s'il s'agit d'une excuse ou si c'est un simple fait, mais il faut s'intéresser au phénomène. Si une ville a une grande diversité culturelle et ethnique et si la salle de presse n'est pas à son image, il faut faire quelque chose. Il faut prendre les devants. Si j'étais rédacteur, c'est un défi que je me donnerais.
Ce n'est pas ce que j'observe. En tout cas, l'enquête ne le montre pas. Personne ne prend de mesures proactives. Dans un journal, on a parlé d'un effort spécial, mais je pense qu'il faut s'attaquer au problème.
Le sénateur Carney : Une précision. Je m'interroge sur l'utilité de données sur la diversité qui portent sur tous les employés d'une entreprise de radiodiffusion plutôt que sur la seule salle de presse. Il ne sert à rien de savoir que telle entreprise compte un certain pourcentage de son effectif provenant des minorités si nous ne pouvons isoler les employés de la salle de presse. C'est comparer des pommes et des oranges.
Deuxièmement, pourriez-vous nous en dire un peu plus long sur les 37 journaux qui ont répondu à l'enquête? Pas forcément maintenant, mais pourriez-vous communiquer ces renseignements au greffier? Vous avez dit que les statistiques ne tenaient pas compte de CanWest, qui regroupe les principaux journaux dans les grands centres. Abstraction faite de CanWest, je voudrais savoir où ces 37 journaux paraissent. Vous n'avez pas à en donner le nom. Pourriez-vous les identifier par marché et par région pour que nous ayons une meilleure idée de la validité de la réponse et de la mesure dans laquelle il est tenu compte de la diversité?
Là-dessus, nous sommes soumis aux indications de la présidence. Exception faite de CanWest, nous ne savons pas où ces 37 journaux sont publiés et nous ne pouvons pas préciser la répartition géographique ni la population des groupes minoritaires selon le recensement.
La présidente : Sans que vous manquiez à votre engagement à la discrétion, monsieur Miller, il nous serait utile que vous et nos agents de recherche étudiiez cette question et creusiez cette question autant que possible.
Je voudrais que vous précisiez une de vos réponses. Quand vous avez parlé de la position de CanWest, je n'ai pas très bien compris : avez-vous dit que, à cause de la position de CanWest, aucun journal du groupe n'avait participé ou que la plupart ne l'avaient pas fait?
M. Miller : Certains journaux de CanWest ont répondu. Le problème a surgi lorsque d'autres éditeurs et rédacteurs en ont parlé à l'administration centrale, où on a dit qu'il ne fallait plus participer.
Le sénateur Carney : Lorsque vous parlez de faire jouer la Loi sur l'équité en matière d'emploi pour faire progresser la diversité, quelle preuve avez-vous que la loi fédérale est efficace auprès des entrepreneurs? Je ne veux pas dire qu'il faut employer des moyens fédéraux énergiques pour une question comme la diversité dans les salles de presse. Il faudrait savoir dans quelle mesure ces moyens sont efficaces dans d'autres groupes. Autrement, nous pourrions proposer une politique ou une mesure législative sans efficacité. Qu'en pensez-vous?
Deuxièmement, nous savons que certains groupes, comme les Autochtones, ne sont pas représentés dans la profession pour la bonne raison qu'ils ne font pas les études nécessaires. Le sénateur Tkachuk a parlé de la culture. Eh bien, nous avons du mal à amener les Autochtones à poursuivre leurs études au-delà de la septième année.
Selon vous, quel rôle les journaux peuvent-ils effectivement jouer? Étant donné la diversité ethnique dans vos classes, à Ryerson, quels obstacles à l'entrée remarquez-vous, puisque la population étudiante ne manque pas de diversité? Les écoles de journalisme sont la façon d'accéder à de nombreux postes dans les médias. Au cours de vos 17 ans d'expérience, quels obstacles avez-vous remarqués, à l'entrée dans les écoles de journalisme, pour les groupes minoritaires?
M. Miller : Dans votre première question, vous demandez quelles preuves nous avons de l'efficacité de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Parmi les agences que nous avons étudiées, la Presse canadienne dit que 90 p. 100 de ses employés sont des journalistes. Parmi ses 317 employés, 25 appartiennent à des minorités visibles, deux sont des Autochtones, et cela donne un total de 8,6 p. 100, ce qui est assez acceptable. La proportion que représente la salle de presse est de 90 p. 100.
La preuve que l'équité en matière d'emploi donne des résultats, c'est que beaucoup de journaux que j'ai rejoints pour l'enquête ne tiennent pas ces chiffres. Il leur a fallu faire des recherches. Ils ne savent même pas qui travaille pour eux ou au moins ils ne suivent pas l'évolution. Comme nous le savons, si nous recueillons des données, le travail va se faire. S'il n'y a pas de mesures, il ne se fera probablement pas.
Le sénateur Carney : Je ne veux pas dire que les dispositions sur l'équité en matière d'emploi ne donnent rien. Au contraire. Toutefois, vous préconisez le recours aux contrats de publicité du gouvernement fédéral. Il faudrait que vous puissiez me montrer que ce moyen est efficace avant qu'on ne l'impose aux journaux. Voilà ce que je demande.
Je vous demande quels sont les obstacles qui entravent l'accès au journalisme pour certains de ces groupes. Vous êtes en mesure de nous éclairer.
M. Miller : Le problème s'est posé il y a une dizaine d'années à Ryerson. L'une des réponses à l'enquête de 1994, c'était que les écoles de journalisme ne produisaient pas des diplômés d'origines diverses. Dans ce cas, comment pouvait-on engager des représentants des minorités? C'était vrai, à l'époque.
Ryerson a pris un certain nombre de moyens pour voir s'il existait des barrières systémiques. Nous avons obtenu la permission de faire une enquête auprès des candidats, par auto-identification, et nous avons constaté que notre réservoir de candidats était assez représentatif de la diversité de la population, mais nous faisions une sélection, si on veut, ou nous n'attachions pas une grande valeur à la diversité.
L'an dernier, nous avons reçu 2 000 demandes pour notre programme de journalisme, et nous n'avons accepté que 150 étudiants. Il faut écarter énormément de candidats. Il y a dix ans, nous avons revu nos critères d'admission et nous nous sommes demandé à quels facteurs nous attachions de la valeur. Bien sûr, nous voulons retenir les meilleurs éléments. À quoi attachons-nous de la valeur? Pas à des choses comme la deuxième ou la troisième langues. Ni à l'expérience du voyage ou du travail dans les organisations locales. Nous avons cru qu'il fallait le faire, nous l'avons fait, et notre population d'étudiants est devenue plus diversifiée. Nous ne tenons pas compte que des notes, car notre expérience nous a montré que d'autres facteurs contribuaient à la qualité du journaliste.
Quant aux barrières à l'entrée dans les écoles de journalisme, le recrutement est l'une d'elles. Comme nous n'avons jamais eu à recruter, nous ne faisons pas d'efforts pour rejoindre des groupes particuliers. Pour la plupart des programmes de journalisme au Canada, il ne manque pas de candidats. Il est donc inutile de recruter, mais je crois parfois qu'il faudrait le faire, tout comme les employeurs doivent être proactifs.
Pour bien d'autres programmes, les candidats ne sont choisis que d'après les notes. Ce n'est pas le cas pour le nôtre, car nous savons quels sont les effets sur les minorités visibles et les Autochtones. Il ne devrait pas y avoir d'effets, mais peut-être y en a-t-il.
Le sénateur Carney : L'école à laquelle je suis associée a jugé qu'il était nécessaire d'avoir de bonnes bases solides en anglais, ce qui constitue un problème pour certains groupes.
Quelle est la corrélation entre l'emploi dans la presse ethnique et la presse de société majoritaire? À Vancouver, par exemple, les médias chinois sont énormément importants sur ce marché. Je ne veux pas dire que les Canadiens d'origine chinoise ne trouvent du travail que dans la presse ethnique, mais je me demande si cette presse est représentée dans ces 37 journaux.
M. Miller : Non.
Le sénateur Trenholme Counsell : Toutes ces recherches de Ryerson sont une excellente nouvelle. Le tableau sur les tendances dans l'embauche suscite chez moi une réaction très positive. On peut dire que le verre est à moitié vide ou à moitié plein, mais, lorsque je vois quel pourcentage des groupes minoritaires est engagé, j'ai tendance à dire que le verre est plutôt à moitié plein.
J'ai été impressionné par le fait que les minorités ont eu l'an dernier 21,6 p. 100 des postes à temps partiel, ce qui me semble excellent, et 10,2 p. 100 des postes à temps plein. Ce sont les chiffres des plus grandes villes. Quand on en arrive aux petites villes de 25 000 à 100 000, ce qui correspond plus au Nouveau-Brunswick — où il n'y en a pas beaucoup d'aussi importantes, le pourcentage est plus faible. Je parle de la province que je connais le mieux, mais je crois que son cas est plutôt typique. Le pourcentage des minorités dans les petites localités de 25 000 à 50 000 est très faible. Je m'inquiète du fait qu'il soit nul, dans les petites localités.
Quelle est votre réaction, si on dit que ce n'est peut-être pas si mal si, par exemple, 21,6 p. 100 des postes à temps partiel sont allés aux minorités, alors que leur proportion dans la population n'est que de 16,7 p. 100?
M. Miller : C'est certainement un signe encourageant. Au moins, ils arrivent à entrer. Toutefois, ce sont des postes à temps partiel, et les postes à temps plein m'intéressent plus parce que c'est grâce à eux que, avec le temps, il y aura plus de diversité. Il sera très intéressant de voir évoluer ce chiffre, de voir s'il augmente, mais il est sûr que la situation est encourageante dans les journaux les plus importants.
Je dois préciser qu'il s'agit ici des tirages et non des chiffres sur la population. Des journaux qui ont un tirage de 25 000 exemplaires sont publiés dans des villes qui comptent plus de 100 000 habitants.
Le sénateur Trenholme Counsell : Tout de même, le pourcentage des minorités visibles est beaucoup plus faible. Si on tient compte du marché de l'emploi, la tendance privilégie les postes à temps partiel, surtout dans les médias et les journaux. On peut espérer que certains d'entre eux, qu'un bon pourcentage d'entre ceux qui ont été engagés à temps partiel auront un poste à temps plein dans dix ans.
Le sénateur Carney vous a posé des questions sur les écoles de journalisme. Je ne crois pas vous avoir entendu dire quel pourcentage d'étudiants des minorités visibles vous avez à Ryerson. Vous avez dit par contre que le bassin de candidats était à l'image de la diversité de la population.
M. Miller : Il y a dix ans.
Le sénateur Trenholme Counsell : Quel pourcentage d'entre eux avez-vous acceptés comme étudiants?
M. Miller : Nous ne faisons pas le compte non plus. C'est le problème, dans ma faculté. Je crois que nous devrions le faire. Je ne crois pas que nous en soyons encore là où nous souhaitons parvenir. Toutefois, de façon empirique, j'observe nos diplômés et, chaque année, entre 20 et 30 p. 100 d'entre eux appartiennent à des minorités visibles.
Le sénateur Trenholme Counsell : Avez-vous de l'information sur d'autres écoles de journalisme au Canada?
M. Miller : Non, je regrette.
Le sénateur Trenholme Counsell : Qu'il s'agisse de journalisme ou d'une autre profession, je crois que ce sont les établissements de formation qui doivent déblayer de nouvelles avenues.
Vous dites que votre bassin de candidats est à l'image de la diversité de la population, mais quels efforts votre école et d'autres font-elles pour encourager et promouvoir le journalisme dans les minorités visibles?
M. Miller : Environ 50 p. 100 de nos étudiants viennent de l'agglomération torontoise. La population des écoles secondaires est très diverse. Certains des meilleurs étudiants incarnent la diversité. Nous puisons dans ce bassin. Dans un grand nombre de ces groupes, il y a une volonté de faire du journalisme.
Il nous faut faire des efforts beaucoup plus importants auprès des étudiants autochtones. Nous en accueillons quelques-uns, mais pas autant que nous le devrions. Je voudrais que nous nous concentrions là-dessus.
Le sénateur Trenholme Counsell : Nous avons eu un témoin qui représentait la presse ethnique. À la fin de la session, on avait l'impression que la presse ethnique — c'est-à-dire celle des minorités visibles — s'intéressait surtout à ses publications, que c'était la grande priorité. Estimez-vous que cette concurrence, si on veut, détourne les journalistes des minorités visibles du travail dans les journaux destinés à toute la population? À Toronto, Montréal ou Vancouver, par exemple, la presse ethnique est-elle un grand concurrent lorsqu'il s'agit d'attirer des journalistes?
M. Miller : Non. Quand on parle avec un grand nombre de ceux qui écrivent pour la presse ethnique, on constate que leur objectif de carrière est de travailler pour le Toronto Star ou le Globe and Mail.
Le sénateur Munson : Vous avez dit que la seule pensée d'une réglementation provoquait une réaction d'horreur chez les propriétaires de journaux. Vous avez aussi dit qu'il fallait agir. La loi devrait-elle obliger les propriétaires à engager un certain nombre de représentants des minorités?
M. Miller : Non, ce n'est pas ce que je préconise. Si je peux revenir à un point que le sénateur Carney a fait ressortir, je ne demande pas qu'on utilise le Programme de contrats fédéraux. J'ai dit que cela pourrait encourager les journaux à agir de leur propre initiative. Ce programme existe, et on pourrait y recourir, mais je ne crois pas qu'il faille le faire. Le secteur journalistique a montré qu'il pouvait tenir compte des préoccupations légitimes.
Le sénateur Munson : Vous avez également parlé de l'influence des autorités fédérales, disant que le gouvernement fédéral était au cinquième rang des plus importants annonceurs. Proposez-vous que, si les journaux ne respectent pas certaines exigences d'autoréglementation dans l'embauche de représentants de groupes minoritaires, le gouvernement fédéral retire à certains d'entre eux une partie de sa publicité?
M. Miller : Ce serait une mesure extrême qui ne me paraît pas encore justifiée, mais il est certain qu'on pourrait y recourir à un moment donné.
Le sénateur Munson : Vous avez parlé de la montée des monopoles régionaux. Y a-t-il un danger? Comment peut-on revenir en arrière en refusant à un entrepreneur de faire de l'argent dans le journalisme en ayant des monopoles régionaux?
M. Miller : C'est une stratégie commerciale qui est très bien, mais elle a pour conséquence d'enlever des postes à des journalistes. Chaque vague de monopolisation au niveau régional se finance par une réduction des coûts.
J'habite dans la petite localité de Port Hope, en Ontario. Un certain nombre d'enjeux locaux ne sont pas couverts parce qu'il y a seulement deux journalistes qui travaillent pour le quotidien. Auparavant, il y en avait trois et demi. Notre collectivité n'est pas servie par les médias locaux. Je crois qu'il y a place pour encourager l'émergence de nouvelles voix.
Le sénateur Munson : Comment encourager ces voix? Nous avons tous été victimes de ce dont vous avez parlé.
M. Miller : Je suis parti du témoignage que vous avez déjà entendu. Certains ont proposé que le gouvernement fédéral appuie de nouveaux propriétaires de médias au niveau national. Je dirais qu'on a davantage besoin de soutien au niveau local, peu importe de quoi il s'agit. Il pourrait s'agir de fonds de démarrage ou de prêts sans intérêts. Cela dépend entièrement de vous.
Toutefois, si vous envisagez d'accorder un soutien, vous en aurez plus pour votre argent au niveau local et vous répondrez également à un besoin avéré.
La présidente : Je voudrais revenir à la question fondamentale que le sénateur Tkachuk a soulevée plus tôt. Nous avons besoin de toute l'aide possible pour bien comprendre quelle différence cela peut faire pour le public que la composition des salles de presse soit diversifiée.
Vous avez dit que des études de contenu et d'autres travaux analogues vous avaient convaincu que cela fait une différence. Nous serions heureux d'avoir un guide pour consulter ces travaux. En guise de conclusion, pouvez-vous nous expliquer de façon concise pourquoi cela fait une différence?
M. Miller : J'ai commencé à pratiquer le journalisme à l'époque où les journaux étaient des bastions masculins. Beaucoup de choses nous échappaient. Lorsque les femmes sont devenues plus nombreuses dans les salles de presse, les jugements en matière d'information ont changé pour le mieux. C'est un excellent exemple.
Lorsque les femmes ont enrichi de leur expérience les salles de presse et sont devenues assez nombreuses pour avoir une action déterminante, certaines allusions et certaines images sont disparues pour de bon des journaux, et bon débarras. Il faut que la même chose se passe pour la diversité raciale.
Notre pays est connu de par le monde comme un modèle de multiculturalisme officiel. Comment les institutions s'adaptent-elles à cette diversité? Nous devons nous tourner vers les quotidiens, qui sont une institution clé. Elle n'a pas la réputation d'appuyer les objectifs de ce multiculturalisme officiel et tout ce qu'ils peuvent avoir de bon pour notre pays. Voilà le plus vibrant plaidoyer que je peux faire.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Miller.
Honorables sénateurs, notre prochain témoin est Mme Kim Kierans, directrice de l'École de journaliste à l'Université de King's College. Elle a fait aussi bien du journalisme que de la recherche. Elle a travaillé sur un projet intéressant dont elle va nous entretenir. Mais je ne veux pas lui enlever les mots de la bouche.
Mme Kim Kierans, directrice, École de journalisme, Université de King's College : J'ai hâte d'entendre vos questions et je vous remercie de m'avoir invitée à participer à votre étude des médias d'information au Canada.
Je suis venue aujourd'hui d'Halifax pour comparaître. J'avais vivement espéré m'entretenir avec vous dans le Canada atlantique, mais, après un an et huit mois d'attente, comme il n'y avait aucun signe que votre comité viendrait dans l'Est, j'ai eu peur de ne pas avoir cette possibilité. J'ai accepté avec beaucoup de reconnaissance de comparaître aujourd'hui à Ottawa.
Je suis venue pour faire valoir un point de vue un peu différent et parler de la nécessité de renforcer la diversité des voix dans les journaux locaux. Je sais que vous avez beaucoup entendu parler des journaux nationaux et de la convergence. Je voudrais plutôt dire un mot des journaux locaux. Ils ont toujours été des moyens importants d'échange entre les personnes et les institutions, et ils abordent des questions importantes, comme le développement, qui touchent les gens dans leur quotidien.
Les journaux locaux sont importants. Ils ne paraissent pas dans les centres urbains, et ils n'obtiennent pas autant d'attention ou de couverture que ce que peuvent donner les quotidiens à Toronto, à Halifax ou à Saint John. Les habitants d'Inverness, au Cap-Breton, de Miramichi, au Nouveau-Brunswick, ou de Montague, dans l'Île-du-Prince-Édouard, ne peuvent s'attendre à lire des articles sur des enjeux locaux dans leur quotidien ou aux informations de 18 heures, lorsqu'ils allument la télé et écoutent la CBC ou Global, car ces chaînes n'ont pas de reporters à dépêcher dans les petites localités. Les grands médias ne s'intéressent aux enjeux locaux que lorsqu'il s'agit de grandes nouvelles, et encore ne les traitent-ils que de façon limitée.
Par exemple, il y avait un problème de prospection sismique de pétrole extracôtier au Cap-Breton, et il y a eu des audiences provinciales. La CBC a envoyé une caméra pour une seule journée des trois semaines d'audiences. Le Herald d'Halifax et le Cape Breton Post envoyaient quelqu'un de temps à autre. Pour avoir une information substantielle, savoir ce qui se disait à ces audiences et connaître les réactions, il fallait consulter le journal local, The Inverness Oran, qui consacrait de nombreuses pages aux témoignages. À partir de là, il était possible de tenir un débat pour que les citoyens puissent prendre des décisions éclairées. Voilà ce qui fait la valeur des journaux locaux.
C'est le travail des journaux locaux de présenter et de débattre des idées qui aideront les habitants des localités à prendre des décisions qui ont une influence sur la vie de leur collectivité. L'hebdomadaire local a un auditoire.
ComBase a réalisé une vaste étude pour le compte de la Canadian Community Newspapers Association. Elle a constaté qu'on lisait plus les hebdomadaires que les quotidiens, ce qui est très intéressant. Cela veut dire que les journaux locaux ont une énorme influence. Les publicitaires le savent. J'espère que vous aurez la possibilité de discuter avec la Canadian Community Newspapers Association, mais certains journaux locaux ont des bénéfices qui vont jusqu'à 40 p. 100, ce qui est plutôt bon. Après le bulletin paroissial et les avis que les écoles envoient dans les foyers, les hebdomadaires sont le moyen le plus direct de communiquer dans une collectivité. Les gens d'affaires le savent, et c'est pourquoi ils achètent des hebdomadaires, surtout dans ce qu'on appelle l'« exurbia » ou la périphérie, ce qui correspond en Ontario au couloir de la 905 autour de Toronto. Ils achètent aussi les journaux des petites localités. Dans le Canada atlantique, depuis 2002, tous les hebdomadaires de Terre-Neuve ont changé de mains non pas une, mais deux fois; au Nouveau-Brunswick, 11 journaux sur 13 ont changé de main; en Nouvelle-Écosse, 10 sur 20 ont changé de mains et ont été rachetés. Dans l'Île-du-Prince-Édouard, la famille MacNeil tient bon. Elle est toujours propriétaire des deux journaux locaux.
Pas étonnant que les sociétés s'intéressent aux journaux locaux. Ils ont de l'influence et ils rapportent.
Je crois, comme vous sans doute, que la diversité des voix est un élément fondamental dans une démocratie en bonne santé. Au niveau national, je crois que la diversité existe toujours. Il y a des journaux nationaux et locaux, des radiodiffuseurs privés et publics et des agences d'information qui contribuent tous à rendre possible et à réaliser cette pluralité des points de vue.
Dans les petites localités, il est beaucoup plus difficile de parvenir à cette diversité parce qu'il n'y a pas nécessairement une station locale de télévision. La radio privée ne s'occupe pas beaucoup d'information. Le câble est très limité dans ce qu'il peut faire et Internet est à certains endroits une possibilité très difficile à exploiter. J'ai eu plus de facilité à accéder à Internet au Cambodge qu'à certains endroits dans le Cap-Breton rural. Expliquez-moi pourquoi. Le journal local peut être la dernière tribune ou la plus populaire où des opinions divergentes peuvent s'affronter.
En 1971, lorsque j'avais 15 ans, j'ai commencé à travailler pour l'hebdomadaire local, le Glengarry News, dans ma localité, Alexandria, en Ontario. Je m'occupais des abonnements et je donnais les résultats sportifs locaux. Plus tard, je suis retournée au journalisme, et j'ai travaillé pour des hebdomadaires des Maritimes, dont le Miramichi Leader, l'Eastern Graphic et l'Amherst Citizen. Je suis ensuite allée travailler pour un quotidien de l'Île-du-Prince-Édouard, mais j'ai fini par me laisser avoir : j'ai passé la majeure partie de mes 30 ans de journalisme dans les Maritimes à travailler pour le diffuseur public, la CBC, mais surtout à la radio. Depuis maintenant sept ans, j'enseigne la radiodiffusion à l'École de journalisme de la University of King's College, à Halifax, mais je pratique encore le journalisme ou je commets toujours l'acte de journalisme, comme nous aimons à le dire.
Mon intérêt pour les hebdomadaires ne m'a jamais quittée. Comme professeur de journalisme, j'ai fait des recherches sur la concentration des médias dans les hebdomadaires du Canada atlantique. J'ai remis un exemplaire de ma thèse au comité. Cet intérêt m'est venu de mon travail dans le journalisme de l'électronique et de l'imprimé. Depuis six ans, je lis chaque semaine 25 hebdomadaires du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard et de la Nouvelle-Écosse pour une rubrique que je rédige pour le Herald du dimanche, et je la faisais autrefois pour la radio de la CBC.
Je connais les journaux locaux. J'ai beaucoup de respect pour les éditeurs, les rédacteurs et les journalistes, mais j'ai vu évoluer ce secteur depuis mes 15 ans — et même ces cinq dernières années. Ce qui était autrefois un groupe d'éditeurs farouchement indépendants, est maintenant la propriété de sociétés.
Je ne suis pas ici pour faire des généralisations outrancières sur la concentration des médias ou pour dire que tous les grands propriétaires ont de mauvais journaux ou que tous les journaux indépendants sont des publications entreprenantes. Ce serait une sottise et une erreur. Ce que je dis, c'est que la diversité de la propriété favorise la diversité des idées, des sources et des approches de l'information, et le comité devrait encourager cette diversité.
Il est bon pour une collectivité qu'un éditeur cherche à produire un journal de qualité qui ne se limite pas au minimum, un journal qui présente des idées et des points de vue divers pour stimuler les débats dans la collectivité. C'est ce que nous avons vu à l'échelon national, lorsque le National Post est apparu; nous avons vu ce que cela a fait au Globe and Mail. La barre a été placée un cran plus haut. À Halifax, la concurrence entre le Herald et le Daily News a créé une tribune beaucoup plus animée pour les lecteurs. À l'époque du comité Davey, en 1970, le Herald était décrit comme l'un des pires journaux au Canada. Il est maintenant l'un des derniers journaux indépendants au Canada. Ses propriétaires viennent de consacrer plus de 20 millions de dollars à l'acquisition de nouvelles presses et à d'autres investissements. Ils croient dans l'imprimé et le journalisme.
Alors que, comme M. Miller l'a dit, d'autres journaux de taille moyenne ont réduit le nombre de reporters, le Herald a décidé de mettre sur pied une unité d'enquête. Il ne suffit pas d'avoir un beau journal. Ils veulent ajouter du contenu au journal. J'admire et je respecte cette initiative.
La diversité est excellente. Il est plus facile de l'assurer dans des centres urbains comme Halifax et Toronto. Les propriétaires des quotidiens des villes achètent les hebdomadaires des banlieues et des localités rurales. Il est plus facile de vendre de la publicité lorsqu'on a une masse critique de journaux.
La CCNA signale que neuf grandes sociétés possèdent dix journaux locaux ou plus. Sur les 709 journaux locaux qui adhèrent à la Canadian Community Newspapers Association, 350 appartiennent à des sociétés. Black domine en Colombie-Britannique, avec 66 journaux locaux. Bowes en a 63 en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, et Metroland en a 53 en Ontario.
Votre rapport provisoire d'avril signalait que la concentration des hebdomadaires locaux au Québec entre les mains de quelques sociétés était peut-être plus poussée que dans toute autre province ou région. Je signale que la province a un concurrent qui lui dispute ce titre peu enviable. À Terre-Neuve, Transcontinental possède tous les quotidiens et 16 hebdomadaires. Le Sunday Independent de St. John's est le seul journal indépendant de la province. Une seule société est propriétaire de tous les journaux et des grandes presses.
Au Nouveau-Brunswick, Brunswick News est propriétaire des trois quotidiens de langue anglaise, de dix hebdomadaires à diffusion payée et de plusieurs autres « journaux de l'acheteur » qui sont gratuits. Quatre hebdomadaires, voilà tout ce qu'il reste au Nouveau-Brunswick de ce qu'on appelle la presse indépendante. Cela limite certainement les possibilités d'emploi pour les journalistes de l'imprimé qui quittent Brunswick News. Ils doivent ou bien s'orienter vers la radiodiffusion, ou bien quitter la province.
En octobre, Brunswick News a ajouté un autre hebdomadaire, le jeune journal Here. Les fondateurs étaient tous de jeunes journalistes. Pendant quatre ans, ils se sont efforcés de donner une voix distincte à une nouvelle génération. Le journal survivait surtout au moyen de publicités de cinémas, de bars et de disques. C'était une solution de rechange à Brunswick News à St. John. À Moncton, ces journalistes ont ouvert un deuxième journal en mars 2004.
Fait intéressant, lorsque Here a lancé son journal de Moncton, Brunswick News n'a pas tardé à lancer un hebdomadaire jeunesse rival qui vendait sa publicité au quart du prix. Néanmoins, Here a réussi à se maintenir à Moncton. Il avait une stratégie et une vision particulière. Il voulait prendre l'expansion et s'implanter à Fredericton pour être présent dans les trois grandes villes du Nouveau-Brunswick. Il lui fallait cependant du capital pour maintenir ses activités à Moncton et à Saint John. Il lui fallait entre autres choses des ordinateurs.
Le mois dernier, les propriétaires ont accepté une offre de Brunswick News. Les nouveaux propriétaires mettent à niveau les ordinateurs de Saint John et de Moncton. Ils prennent de l'expansion à Fredericton, la capitale du Nouveau-Brunswick.
Le journal croîtra peut-être et il se maintiendra, mais ce qui est perdu, c'est une voix indépendante dans la province. J'espère que nous reviendrons sur la question et sur les politiques qu'on pourrait adopter pour encourager les jeunes éditeurs à continuer de réaliser leurs rêves.
L'autre défi que les éditeurs indépendants doivent relever est la concentration de la propriété des presses. La plupart des indépendants ne sont pas assez gros pour avoir leurs propres presses. Ils doivent faire imprimer leurs journaux par des fournisseurs comme Brunswick News ou Transcontinental.
Une presse couleur ultramoderne peut cracher 5 000 exemplaires d'un petit hebdomadaire en 12 minutes. Les presses d'aujourd'hui sont remarquables. Dans les Maritimes, leur nombre a diminué au fur et à mesure que Brunswick News et Transcontinental acquéraient les hebdomadaires. Ces sociétés achetaient non seulement les journaux, mais aussi les presses.
Brunswick News a fermé ses presses de Miramichi et de Woodstock. Transcontinental a fermé les siennes à New Minas et à Kentville, en Nouvelle-Écosse, et à Grand Falls, à Terre-Neuve. Les sociétés ont concentré la production sur des presses plus importantes. Brunswick News a une presse fabuleuse à Moncton. Transcontinental en a une à Borden, dans l'Île-du-Prince-Édouard, et une autre à Burnside, à l'extérieur d'Halifax.
Ce phénomène a des conséquences pour les éditeurs indépendants qui doivent faire appel à ces sociétés pour faire imprimer leurs journaux. Les choix d'imprimeurs sont limités. Lorsque l'imprimeur relève ses prix, il est difficile de chercher ailleurs. À une époque, ils pouvaient s'adresser à Advocate Printing, à Cumberland Printing, à Optipress ou à Transcontinental. Il y avait un certain choix. Il est aujourd'hui plus restreint.
L'effet peut se faire sentir nettement. Au printemps, le journal du Cap-Breton, l'Inverness Oran a sérieusement remis son avenir en question lorsque son imprimeur, Transcontinental, a annoncé un relèvement de ses prix. L'Oran s'est réorganisé rapidement. L'un des éditeurs a dit : « J'ignore combien de temps nous allons pouvoir tenir. » Pour certains journaux, il n'y a pas beaucoup de marge entre les recettes tirées de la publicité et des abonnements et le coût de production.
L'Oran, par exemple, n'a aucun centre commercial où trouver de la publicité. La région est économiquement défavorisée. Le journal survit grâce au soutien de petites entreprises indépendantes et d'un lectorat profondément loyal.
Pour conclure, j'exhorte le comité à appuyer des mesures propres à préserver la dignité des voix diverses dans les régions qui ne sont pas desservies par les médias de la société majoritaire. Comme M. Miller l'a fait observer, elles sont le point de départ pour ceux qui accèdent aux médias nationaux.
Je voudrais soumettre trois points à l'appréciation du comité, bien que je ne sois pas une spécialiste. D'abord, je recommanderais un genre de subvention pour permettre aux nouveaux petits journaux indépendants d'acheter de l'équipement et de verser des salaires. Au Nouveau-Brunswick, par exemple, Here aurait pu tirer parti de pareille subvention. Je reviens à un exemple que j'ai donné plus tôt, celui de l'Inverness Oran. Lorsque ce journal a démarré, il y a 26 ans, il a reçu une modeste subvention de 3 000 $ de la Société de développement du Cap-Breton. L'argent devait servir à acheter un nouveau duplicateur et une machine à écrire. Dans les 25 années qui ont suivi, le journal a continué à engager des employés. C'est une entreprise rentable dans un milieu qui a besoin d'emplois. De plus, elle assure un excellent service public.
Un autre exemple est celui de L'Acadie Nouvelle, quotidien francophone de Caraquet, au Nouveau-Brunswick. Il a une couverture et une diffusion provinciale. Cela a été rendu possible par un fonds de fiducie créé conjointement par les gouvernements fédéral et provincial. Voilà un autre modèle qui fonctionne très bien. Il assure la diversité des voix au Nouveau-Brunswick pour les Acadiens francophones.
Deuxièmement, le but du Programme d'aide aux publications, le PAP, est d'encourager la durabilité dans les collectivités rurales. Peut-être devrait-il y avoir une formule spéciale pour les hebdomadaires indépendants pour limiter les subventions aux grandes sociétés — il s'agirait en fait d'aider les entreprises modestes. Ce n'est qu'une idée que je lance.
J'exhorte aussi le comité à envisager des moyens d'aider les éditeurs indépendants à faire face à la concentration de la propriété des presses par des mesures incitatives. Nous pourrions peut-être verser une subvention aux journaux à faible tirage si nous tenons à préserver la diversité des voix et des opinions dans la presse des petites collectivités et faire en sorte que nous puissions continuer à échanger.
Le sénateur Tkachuk : Chez moi, à Saskatoon, j'ai remarqué quelque chose à la télévision locale par câble. Shaw possède un canal communautaire local. Des reporters font des entrevues avec des hommes et femmes politiques de l'endroit. Les manifestations communautaires sont transmises en direct, tout comme les parties de football des écoles secondaires. À mon sens, la station du câblodistributeur offre à la collectivité un service autrefois assuré par la station de télévision.
Mme Kierans : Absolument.
Le sénateur Tkachuk : Si nous éliminions une grande partie des règlements du CRTC, nous pourrions avoir dans les petites villes et localités une télévision à faible technicité. La télévision n'a pas besoin de grands studios. Il suffit d'un garage et d'un mode de diffusion.
Mme Kierans : Un émetteur.
Le sénateur Tkachuk : Effectivement. Le CRTC fait obstacle à cette évolution. Pour avoir plus de diversité, il faut plus de concurrence, et pas nécessairement des subventions.
Mme Kierans : Qui achèterait le matériel pour la station de télévision?
Le sénateur Tkachuk : À des entrepreneurs, à des gens ordinaires.
Mme Kierans : Comment ces stations continueraient-elles à engager du personnel? Le problème est identique à celui des journaux locaux. Pour y arriver, il faut trouver des annonceurs. C'est une excellente idée, je suis tout à fait en faveur de la télévision locale. La radio à faible puissance est une autre possibilité. À Chéticamp, au Cap-Breton, et à Parrsboro, en Nouvelle-Écosse, une radio locale à faible puissance fait le travail que la radio faisait autrefois en informant les collectivités.
Le sénateur Tkachuk : Nous allons laisser les affaires aux hommes et femmes d'affaires et discuter du CRTC et de tout le reste.
Nous avons le Yorkton Enterprise et le Prince Albert Herald. Ce sont des hebdomadaires diffusés dans d'autres localités, comme Wilkie, mais il est possible qu'ils appartiennent maintenant au même propriétaire. C'est tout de même un journal dans chaque ville ou localité. Comment ont-ils perdu de la diversité dans les opinions? Dites-vous que le propriétaire dicte le contenu des journaux locaux? Il me semble qu'elles avaient toutes un journal local par le passé; la seule chose qui a changé, c'est qu'il y a maintenant un seul propriétaire au lieu de trois.
Mme Kierans : La concentration des médias est un dossier compliqué. C'est pourquoi j'ai dit que le régime de propriété des sociétés n'était pas systématiquement mauvais et que tous les propriétaires indépendants n'étaient pas forcément tous bons. Ce qui importe, c'est la volonté des propriétaires de produire le meilleur journal possible. Les finances jouent souvent un rôle, car les journaux sont là pour assurer un service public, d'une part, mais, d'autre part, ce sont des entreprises qui doivent dégager des bénéfices. Comment conciliez-vous ces deux intérêts divergents? C'est difficile.
Si un propriétaire indépendant ou un propriétaire local réinvestit dans la collectivité en engageant des reporters, en faisant des articles sur la collectivité et en achetant de l'équipement, il aura de meilleures ressources lorsqu'il s'agira par exemple de soumettre des demandes en vertu des dispositions sur la liberté d'information au sujet d'enjeux locaux.
À un certain niveau, les journaux locaux continueront de couvrir ce qui se passe à l'hôtel de ville, dans les écoles ou dans les sports. Nous devons songer aux plus grands enjeux à l'égard desquels les journaux assument un rôle public en disant : « C'est notre milieu, et nous devons exercer un rôle de surveillance. »
Le sénateur Tkachuk : Dans certaines collectivités de 50 000 et plus, des services Web proposent des journaux. Cela se produit-il également dans les petites localités de 5 000, de 3 000 ou même de 2 000 habitants. Ce serait une bonne solution de rechange au journal local, n'est-ce pas?
Mme Kierans : Beaucoup de journaux locaux ont un site Web, mais il faut s'abonner et payer pour y accéder. Certains sont gratuits et donnent les principales informations également. Il y a quelques indépendants. Par exemple, le Dominion est un journal sur Internet qui fait entendre une voix différente. Le Miramichi Leader a un site Web. Si on est abonné, on peut le consulter et y trouver le contenu du journal.
Le gouvernement fédéral agit rapidement pour offrir l'accès Internet à haute vitesse dans les régions rurales. Il y a du travail à faire pour amener les consommateurs à se brancher. Une fois qu'ils sont branchés, il faut leur procurer du contenu local. Je peux trouver toutes sortes de choses sur ce qui se passe à Ottawa, à Toronto et à New York, mais que puis-je trouver sur Miramichi? C'est de ce côté qu'il manque de l'information. Internet a une multiplicité de sources au niveau national, mais il faut quelque chose au niveau local. La télévision par câble pourrait répondre à ce besoin.
Le sénateur Tkachuk : Il arrive parfois, quand on construit une route, qu'il se vende plus de voitures, n'est-ce pas?
Le sénateur Munson : Qu'est-il advenu du Campbellton Graphic? En 1958, je le distribuais. Mon père me reprochait toujours de mettre trop de temps à le lire avant de le distribuer.
Mme Kierans : Le Campbellton Tribune est le dernier journal indépendant au Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Munson : Je dois avouer ce matin que je suis en situation de conflit d'intérêts, car j'ai enseigné un an à votre école, bien que ma sœur ait fréquenté Ryerson. Nous sommes donc à égalité.
Vous avez parlé de la diversité des voix en disant qu'elle était saine pour la démocratie, et vous avez parlé des presses à imprimer. C'est la première fois que j'en entends parler. Dit-on que l'un ou l'autre de ces monopoles, dans le Canada atlantique, essaie de propos délibéré de faire disparaître les hebdomadaires indépendants qui subsistent dans le Canada atlantique? Je sais qu'ils se soucient de la bonne présentation des journaux et de leurs bénéfices, mais pense-t-on qu'ils essaient d'éliminer ces hebdomadaires?
Mme Kierans : Rien ne permet de le dire. Je sais qu'ils s'intéressent aux acquisitions. Ils ont fait des offres pour acheter encore plus d'hebdomadaires, mais rien ne permet qu'ils essaient de les éliminer.
Le sénateur Munson : Je me trouvais au Nouveau-Brunswick le week-end dernier. Dans un éditorial du Northern Light, à Bathurst, le rédacteur réagissait avec beaucoup de colère à l'idée que le propriétaire du journal s'ingère dans le contenu d'un hebdomadaire. Percevez-vous des signes qui donnent à penser que le propriétaire s'ingère dans le contenu éditorial d'un journal local?
Mme Kierans : Directement, non. Le document que j'ai remis au comité fait état d'indications selon lesquelles il y aurait autocensure et les journalistes décideraient de ne pas couvrir certaines choses.
Hidden Forest est un documentaire télévisé qui sera diffusé à The Nature of Things en janvier. Il a été lancé lors d'un festival du film au Nouveau-Brunswick. Le journal local a préféré ne pas en parler, parce qu'on trouve dans le film une certaine critique de l'entreprise forestière d'Irving. On a la très nette impression que le journal a préféré ne pas couvrir le lancement. Quoi qu'il en soit de la couverture qui est faite d'autres intérêts commerciaux mettant en cause Brunswick News et les Irving — permettez-moi de vous donner l'exemple d'une demande qui a été faite en vue de construire un Big Stop à Grand Falls, au Nouveau-Brunswick. Le journal local a alors publié un article. Il se place du côté d'Irving et dit que les eaux résiduaires ne poseront aucune difficulté et qu'il n'y aura pas d'inquiétudes sur le plan de l'environnement. L'article ne donne pas le point de vue d'autres personnes de la collectivité, de l'organisme de réglementation ni des environnementalistes pour assurer un certain équilibre des points de vue. À lire l'article, on a l'impression que le Big Stop de Grand Falls est un excellent projet et qu'Irving va prendre les problèmes d'environnement en main. On a l'impression que, lorsqu'il y a un article, il y a couverture des faits, mais il faudrait peut-être un autre point de vue.
Le sénateur Munson : Comment obtenir cet autre point de vue? J'ai posé la question à d'autres témoins en évoquant la possibilité de revenir en arrière, mais c'est impossible.
Mme Kierans : Vous avez raison. Un éditeur indépendant qui a vendu son journal à Brunswick News m'a dit : « Ils ont ouvert la porte de l'écurie, le cheval est parti, et ils ont même emporté le foin. » Je ne propose pas de revenir en arrière, car cela me semble impossible. Il doit y avoir un certain équilibre pour que des éditeurs indépendants puissent faire entendre une autre voix.
Je ne pense pas qu'on puisse imposer une réglementation. On ne peut pas dire aux journalistes ou aux rédacteurs quoi écrire. Je ne dirais jamais que les propriétaires de Brunswick News ont jamais interdit de couvrir tel ou tel sujet. J'ajouterais que les propriétaires de Brunswick News et les gestionnaires ont fait un excellent travail depuis qu'ils ont repris certains hebdomadaires. Ils ont ajouté des reporters et, comme de ce cas-ci, des ordinateurs. Il y a néanmoins une inquiétude. Comment traitent-ils les sujets qui les concernent eux-mêmes?
Le Nouveau-Brunswick est dans une situation unique. Comme vous venez de cette province, sénateur, vous êtes au courant. Comment traitez-vous les sujets qui concernent d'autres industries en cause? C'est très difficile. Ne pas en parler est-il dans l'intérêt supérieur de la démocratie et du débat? Que faites-vous?
Le sénateur Munson : Je présume que nous allons essayer de répondre à ces questions dans les quelques prochains mois.
J'ai une question à poser sur la radio privée, car je suis issu de ce milieu : 32 $ par semaine à mon premier emploi, et 65 $ par semaine à Yarmouth. Je suis passé dans la classe au-dessus à Bathurst, où je gagnais 300 $ par mois. À l'époque, nous couvrions les réunions municipales. Et, bien sûr, il y avait ingérence à l'époque aussi. Je me souviens d'avoir assuré un reportage dans lequel il ne fallait pas employer le terme « propane » en ondes. Il y avait eu une explosion de gaz avec mort d'homme. La personne qui avait un contrat de publicité à la radio a menacé de retirer sa publicité. Il fallait dire simplement qu'il y avait eu une explosion. Ce fut ma première expérience d'ingérence de sociétés et de publicitaires. Nous couvrions tous les sujets et les réunions. J'ignore à qui la faute, mais il me semble que, à certains égards, le CRTC a la responsabilité d'amener les radios des petites localités à faire leur travail.
Mme Kierans : C'est le CRTC qui a modifié les règles dans les années 70 et a donné à la radio privée la possibilité d'abandonner son rôle dans les informations. C'est déplorable, car la radio privée — en tout cas lorsque j'étais reporter à Metro — était un marché concurrentiel. Nous étions tous présents à l'hôtel de ville. Nous voulions tous avoir la meilleure nouvelle, et nous essayions d'avoir des primeurs. Nous travaillions tous pour présenter les informations de façon à attirer les auditeurs. Le marché était très animé. Ce n'est plus ainsi.
Dans certains de mes cours, je fais une comparaison. J'enregistre le bulletin d'information de deux stations de radio privées et de la CBC un même jour. Je remonte ensuite à la source. La plupart des informations viennent des journaux ou de Broadcast News. Les stations privées produisent peu de contenu original parce qu'elles n'ont pas de journalistes sur le terrain. Halifax a cinq stations de radio et en aura davantage, mais il n'y a pas un seul reporter sur le terrain.
Le sénateur Munson : Si le CRTC peut prendre des règlements et autoriser Al-Jazeera à s'implanter chez nous à certaines conditions et refuser à la RAI le droit de diffuser ses émissions de télévision chez nous, il doit avoir assez de poigne pour forcer les stations de radio à assurer une couverture locale ou leur ordonner de le faire.
Mme Kierans : J'appuie cette position. On l'observe aux États-Unis. Là-bas, on s'est détourné de l'information. On avait partout la programmation par satellite. Les Américains ont commencé à laisser tomber la radio et à écouter plutôt des CD dans leur voiture. Maintenant, la radio privée fait un retour en Californie. Elle commence à donner de l'information. Nous allons voir nos stations privées, qui réalisent de bons bénéfices, d'après Statistique Canada, recommencer à faire de l'information. Un encouragement du CRTC ne serait pas une mauvaise chose.
La présidente : Précisons pour l'auditoire que, Broadcast News est la partie de la Presse canadienne qui s'occupe des médias électroniques.
Mme Kierans : C'est exact.
La présidente : Il ne s'agit pas d'une expression générique.
Mme Kierans : Ils font de l'excellent travail.
Le sénateur Trenholme Counsell : Je viens aussi du Nouveau-Brunswick.
Professeur, vous avez décrit de façon très juste la situation des journaux au Nouveau-Brunswick.
Je voulais signaler à tous ceux qui sont présents que, ces deux dernières semaines,il y a eu deux grandes manchettes, l'une dans le Telegraph Journal et l'autre dans le Times Transcript, disant que le député de Nouveau-Brunswick-Sud-Ouest, M. Greg Thompson, remettait en question la propriété des journaux au Nouveau-Brunswick. Il s'agit de manchettes et non de texte caché quelque part dans les pages des sports.
Mme Kierans : Je ne les ai pas vues, mais j'ai vu une petite coupure du Bugle, à Woodstock, et j'espère que c'est un juste retour des choses pour le nouvel éditeur du Telegraph Journal et peut-être une certaine entreprise.
Le sénateur Trenholme Counsell : Il est tellement facile pour nous, dans notre travail et peut-être aussi dans nos impressions générales, de prendre les gros joueurs pour des méchants. Je lis beaucoup de journaux. Dans le travail que je faisais autrefois, j'en lisais presque autant que vous, mais mes connaissances ne sont pas aussi à jour que les vôtres.
Vous avez dit que, entre 2002 et 2004, vous lisiez 25 journaux par semaine.
Mme Kierans : J'ai compté.
Le sénateur Trenholme Counsell : Cela comprend tout le Nouveau-Brunswick, j'en suis persuadé. Que pensez-vous de la qualité des hebdomadaires de la province, de leur lectorat, de l'apport local, c'est-à-dire les journalistes locaux et les informations locales?
Mme Kierans : Il y a eu de grandes améliorations dans la conception, la mise en page et le style. Les journaux sont beaucoup plus beaux à voir. Des ressources ont été ajoutées pour assurer les reportages. Je songe ici au King's County Record, à Sussex, où on a ajouté des journalistes et étendu la couverture de la région. Le Miramichi Leader a donné d'excellents reportages sur l'entreprise, dont une usine de contreplaqué, reportage pour lequel il a remporté des prix.
À un certain niveau, ils assurent un excellent service communautaire. Encore une fois, mes préoccupations vont un peu plus loin. Comment ces journaux assurent-ils le compte rendu sur les autres intérêts de leurs propriétaires de façon juste et équilibrée? On a l'impression, et les faits inclinent dans ce sens, bien que des recherches plus poussées s'imposent, qu'il y a une autocensure de la part du directeur, des rédacteurs et des journalistes sur le choix des sujets de reportage et la façon dont la couverture est assurée dans les secteurs de la forêt et de la marine marchande. Erin Steuter à l'Université Mount Allison a fait beaucoup de recherches sur la couverture de la grève à la raffinerie d'Irving Oil et les caractéristiques de cette couverture.
À un certain niveau, J.D. Irving fait de l'excellent travail, mais il se passe peut-être des choses dont nous n'entendons pas parler? Qu'est-ce qui manque dans l'information? Comment peuvent-ils le faire? Une certaine culture est associée à cette entreprise.
À Terre-Neuve, les journaux étaient très forts, je veux dire les journaux de Transcontinental, lorsqu'il y avait Robinson-Blackmore puis Optipress. L'impression s'est améliorée, et les reportages sont semblables à ce qu'ils étaient.
Le sénateur Eyton : Comme le sénateur Munson, je dois déclarer un conflit d'intérêts. J'ai depuis longtemps des liens avec l'Université de King's College, dont un fils, qui a fréquenté l'établissement, et une fille, qui y a étudié le journalisme, et elle a bien réussi. Je suis fier de cette association.
Je ne suis même pas sûr que je suis le meilleur membre pour faire partie de ce comité et participer à cette étude, puisque j'habite dans la zone du 905. Je suis parmi ceux qui croient avoir trop de diversité, au lieu de pas assez. Il fut une époque où j'étais heureux de lire trois journaux, de regarder un peu les informations à la télévision et d'écouter un peu la radio. J'avais l'impression d'avoir pris connaissance des principales informations que je devais connaître sur l'actualité.
Maintenant, je lis régulièrement quatre ou cinq journaux tous les jours, et probablement plus le week-end. J'ai aussi d'autres sources d'information, dont les anciennes, comme la radio. J'écoute beaucoup CBC Radio One. J'ai aussi des chaînes de télévision par satellite et l'information sur Internet. Il y a tant de sources d'information et si peu de temps.
Il y a 10 ou 15 ans, je pouvais consacrer plus de temps à la lecture des articles et mieux comprendre. Aujourd'hui, j'ai tendance à rester à la surface des choses. Je lis les manchettes, puis les deux premiers paragraphes de l'article, et je passe à autre chose. Je dirais qu'il y a presque trop de diversité et trop de choix pour que je puisse être aussi bien informé qu'il y a quelques années.
Comme membre du comité, je me demande bien entendu ce que nous devrions faire figurer dans notre rapport et pourquoi. Vous avez été très précise et, d'après ce que j'ai compris, vous avez fait ressortir trois points particuliers. Le premier, c'est que le gouvernement devrait envisager de subventionner les journaux qui démarrent et les petites entreprises.
Mme Kierans : C'est juste.
Le sénateur Eyton : Deuxièmement, vous croyez qu'il pourrait y avoir une subvention quelconque pour les grandes entreprises, mais que nous devrions l'éliminer dans la mesure où on peut repérer ces gros joueurs. Le troisième point, c'est que les journaux devraient avoir accès à des presses à imprimer.
J'ai trois questions. D'abord, ne croyez-vous pas que les subventions de l'État sont probablement le pire moyen d'obtenir les capitaux nécessaires? Vous avez parlé de 2 500 $. Les gouvernements ne se sont pas montrés très habiles à repérer les personnes et les entreprises qui ont besoin de subventions. Au gouvernement, il faut multiplier par quatre. Autrement dit, il en coûte 10 000 $ pour étudier une subvention de 2 500 $. N'y a-t-il pas un meilleur moyen qu'une subvention gouvernementale?
Deuxièmement, je voudrais savoir quelle subvention, selon vous, est à la disposition des grandes entreprises pour qu'elles bloquent l'accès aux petites entreprises dans les localités dont vous avez parlé.
Troisièmement, y a-t-il des exemples? J'aurais été porté à croire que quiconque possède une presse capable de produire 5 000 exemplaires en 12 minutes a besoin de clients. Il doit chercher des contrats du genre que vous décrivez. J'aurais cru qu'il y avait une extraordinaire occasion de louer les presses — pour des coûts supplémentaires minimes. Sont-elles disponibles. Si elles ne le sont pas, cela m'inquiète.
Mme Kierans : Je ne crois pas avoir donné de chiffres sur les subventions, mais je sais que l'APECA aide beaucoup d'entreprises à démarrer, du moins dans notre région. Si quelqu'un a un bon plan d'entreprise et a fait ses recherches, il y a des possibilités de subventions. J'ignore si les journaux relèvent de son mandat, car je ne m'y connais pas beaucoup, mais je sais que, si on avait donné un coup de pouce à la revue Here, elle aurait pu se maintenir dans ces villes et elle aurait pu s'implanter à Fredericton et peut-être dans des villes plus petites, et elle aurait pu avoir la technologie.
Le sénateur Eyton : Y a-t-il d'autres sources?
Mme Kierans : C'est une simple possibilité que j'évoque. Je l'ignore, sénateur.
Le Programme d'aide aux publications est une formule que j'envisageais. Je ne crois pas qu'il faudrait en exclure les grandes sociétés. Elles reçoivent une aide pour les envois postaux. Le comité pourrait peut-être envisager une formule pour aider les petits journaux qui vivent d'expédients et sont moins favorisés que les grandes sociétés qui ont un immense pouvoir, lorsqu'il s'agit de s'adresser aux publicitaires. Il est très difficile pour un petit journal comme l'Eastern Graphic ou l'Inverness Oran de s'adresser aux publicitaires comme le fait Transcontinental, qui a un certain pouvoir, puisqu'elle peut dire : « J'ai 26 journaux dans deux provinces; voulez-vous faire paraître de la publicité à tel tarif? » Beaucoup de petits journaux disent qu'ils n'arrivent même pas à établir le contact pour vendre de l'espace publicitaire.
Si nous voulons garder des hebdomadaires indépendants, il doit y avoir moyen de trouver une formule pour les aider à garantir l'accessibilité; autrement, leurs propriétaires arriveront à l'âge de la retraite et vendront leur journal à Transcontinental, à Brunswick News, à Bowes, à Metro ou à une grande société. Il est certain que ces sociétés sont acheteuses. Il y a tout le temps des propriétaires qui prennent leur retraite, et ils ne transmettent pas leur journal à leur rédacteur ou à leurs enfants. Ils le vendent. C'est fort difficile pour nombre d'entre eux.
La fille du propriétaire du Miramichi Leader a été corédactrice du journal. On lui a demandé si elle voulait reprendre le journal. Elle a répondu que, si Brunswick News voulait ce marché, elle reprendrait le journal, mais que Brunswick News pourrait démarrer un autre journal. À un moment donné, il faudra qu'elle renonce parce que, dit-elle, elle n'est pas une bonne femme d'affaires, de ce point de vue là.
Un ancien rédacteur est très attaché à son journal, et il est retourné travailler pour Brunswick News et il a été rédacteur pendant des années. Il a dit qu'il n'avait pas les moyens d'acheter les presses et de reprendre le journal. Il ne pouvait pas assumer une dette aussi importante parce qu'il n'est pas un grand propriétaire. C'est un monde très différend.
La troisième question porte sur la propriété des presses à imprimer. Il est très difficile d'y répondre. À l'université, nos étudiants impriment un journal. Transcontinental ne se donne même pas la peine de retourner nos appels; notre journal, avec son tirage de 2 000 ou 3 000, est trop petit pour que cela vaille la peine. Nous finissons par nous adresser à un petit imprimeur indépendant au Nouveau-Brunswick, et il nous envoie les numéros par autocar.
Le sénateur Eyton : Pendant un petit moment, j'ai été propriétaire de quelques bulletins. Nous avons trouvé le meilleur prix qui soit pour l'impression. Nous avions probablement un tirage de 30 000 exemplaires chaque mois. Nous devions aller aux États-Unis pour les faire imprimer et les rapporter ensuite. Nous réalisions quand même des économies. Faites-vous cela?
Mme Kierans : Le Nouveau-Brunswick répond à nos besoins pour l'instant. Nous publions un hebdomadaire. Il faut aller jusqu'à Moncton, puis le produit est expédié à Halifax par autocar. Nous le recevons en une journée et nous le diffusons. Transcontinental a une presse à Burnside, à 15 minutes de voiture de notre école, mais nous ne pouvons pas recourir à ses services.
La présidente : Dans d'autres médias, les progrès de la technologie ont facilité la tâche des nouveaux acteurs modestes qui veulent s'implanter. Dans le domaine journalistique, le démarrage est beaucoup plus difficile pour une petite entreprise parce que les presses coûtent cher. Je ne parle même pas du coût du papier. Les presses elles-mêmes coûtent cher.
Il n'y aurait pas à l'horizon quelque progrès technologique qui permettrait aux éditeurs de revenir à l'époque où une petite presse permettrait de produire dans l'arrière-boutique des petits tirages de qualité acceptable?
Mme Kierans : Pas que je sache, mais ce serait magnifique.
La présidente : C'était comme cela, autrefois.
Mme Kierans : C'est comme cela que mon premier journal était publié. Nous avions une Linotype. Nous devions monter les caractères. Tout se faisait sur place. Maintenant, l'impression se fait à l'extérieur.
La présidente : Votre témoignage a été extrêmement intéressant, madame Kierans, et nous avons des exemplaires de votre thèse.
Je tiens à vous rassurer, nous avons toujours l'intention de nous rendre dans le Canada atlantique, mais, comme vous le savez, diverses activités parlementaires indépendantes de la volonté du comité ont retardé notre travail.
Mme Kierans : J'espère que vous pourrez venir au Nouveau-Brunswick, à Terre-Neuve. Dans les autres provinces aussi, mais surtout dans ces deux-là.
La séance est levée.