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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 5 - Témoignages du 15 décembre 2004


MONTRÉAL, le mercredi 15 décembre 2004

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 4 pour étudier l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergeants au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, je suis très heureuse d'entamer ces audiences à Montréal, l'une des plus belles villes du Canada. Nous poursuivons nos travaux qui ont débuté plus tôt cette semaine à Toronto. C'est la première fois que notre comité a l'occasion d'entendre les Canadiens, à l'extérieur d'Ottawa, dans le cadre de cette étude très intéressante des médias canadiens de l'information.

Nous avons recueilli beaucoup de données très utiles au cours de ce voyage et nous entendrons certes plusieurs témoignages pertinents aujourd'hui et demain ici à Montréal. Je me réjouis particulièrement du fait que nous aurons l'occasion d'entendre des membres du public aujourd'hui même, à compter de 15 h 30.

[Traduction]

Ce comité étudie la situation des médias canadiens et le rôle des politiques pour faire en sorte que ces médias conservent leur vitalité, leur indépendance et leur diversité dans le contexte des changements considérables observés ces dernières années, notamment la mondialisation, l'évolution technologique, la convergence et la concentration de la propriété.

Notre premier témoin ce matin est M. Will Straw, du Département d'histoire de l'art et des communications de l'Université McGill. Je vous remercie de vous joindre à nous en ce matin frisquet, monsieur Straw. Nous sommes très heureux de vous accueillir. Vous savez sans doute comment nous procédons : nous vous invitons à faire un exposé d'une dizaine de minutes, puis nous vous poserons des questions.

M. Will Straw, professeur associé, Département d'histoire de l'art et de communication, Université McGill, à titre personnel : Honorables sénateurs, je voudrais commencer par deux anecdotes qui, à mon avis, sont révélatrices des problèmes qui risquent de se poser à l'avenir pour les journaux canadiens. La première découle de mes fonctions d'enseignant à l'Université McGill. Au cours des dernières années, j'ai demandé aux participants à mes séminaires des cycles supérieurs en communication s'ils lisaient un quotidien. Depuis trois ans, dans des groupes de 15 à 20 personnes, pas un seul n'a répondu positivement. Ces étudiants vivent au cœur de l'information, convaincus de la nécessité d'être bien informés, ils n'ont rien contre les journaux, mais ils n'ont pas pris l'habitude de s'abonner à des journaux ou d'en acheter quotidiennement. Je pense que l'habitude est primordiale. Évidemment, ils consultent des journaux en ligne, lisent des carnets sur le Web et connaissent bien des façons de s'informer, mais ils ne s'abonnent pas à un journal et n'en achètent pas régulièrement. Je reviendrai plus tard sur cette réalité.

Le deuxième exemple est à mon sens encore plus inquiétant pour les journalistes et pour ceux qui s'intéressent aux quotidiens régionaux. Au printemps dernier, j'étais à Londres, en Angleterre, et j'ai pris le métro de l'aéroport au centre-ville. Je lisais, dans le Times de Londres, un article sur le déclin du tirage des principaux quotidiens du Royaume-Uni. L'auteur de l'article ne parvenait pas à déterminer la cause de la baisse de tirage d'un journal comme le Times. J'ai jeté un coup d'œil dans le wagon et j'ai vu que 95 p. 100 des gens lisaient un de ces journaux distribués gratuitement dans les transports publics, et qui pullulent dans tout le monde occidental depuis le début des années 90, plus précisément depuis 1992, quand ils ont fait leur apparition à Helsinki, à l'initiative du groupe Métro, qui en publie aujourd'hui dans le monde entier. J'ai alors vu très nettement pourquoi le tirage des grands quotidiens déclinait.

En ce qui concerne le tirage, on peut se demander aujourd'hui si les grands journaux font bien leur travail de contestation de l'information publiée sur l'Internet ou par la câblodiffusion, mais je pense que l'essentiel se produit subrepticement, et c'est le fait de ces quotidiens gratuits qui sont en train d'éroder lentement mais sûrement le tirage des quotidiens traditionnels.

Comme je l'ai dit, une société de Stockholm en Suède a lancé en 1992 un journal intitulé Métro et distribué gratuitement aux usagers des transports publics. Métro et ses différents clones se sont répandus dans le monde entier. Je suis alors en congé sabbatique, et je voyage beaucoup entre Berlin, Bonn, Cologne et les États-Unis. Partout, on constate une véritable métamorphose dans la façon dont les gens s'informent, notamment grâce à ces quotidiens gratuits à la présentation uniforme.

Le groupe Métro lance des quotidiens gratuits dans des villes comme Toronto ou Montréal, généralement en partenariat avec des quotidiens locaux. En général, d'autres éditeurs de journaux traditionnels lancent ensuite des quotidiens gratuits concurrents. À Montréal, Quebecor a lancé Montréal Métropolitain et Le 24 heures pour concurrencer le journal Métro d'origine suédoise, qui est publié ici en partenariat avec Torstar.

Plus d'un prétendent que l'avenir des quotidiens se trouve dans ces journaux gratuits, qui ont reconquéri de jeunes lecteurs et qu'on peut considérer comme des outils qui apprennent aux lecteurs à se diriger ensuite vers le Globe and Mail, le WashingtonPost ou Le Devoir. Je n'en suis pas convaincu. Ces journaux gratuits se vantent de pouvoir se lire en 20 minutes, ce qui correspondrait à la durée moyenne d'un trajet — selon la distance à parcourir, évidemment. Le plus souvent, le contenu de ces journaux provient de collecteurs de nouvelles internationales qui normalisent l'information pour le monde entier, ou de ce qu'on appelle les files de presse; généralement, il n'est pas rédigé par des journalistes. Ces rédacteurs n'ont pas été formés en journalisme, en éthique, etc.

Il est bien sûr facile de lever le nez sur ces journaux gratuits, mais j'aimerais en dire deux choses. Tout d'abord, les quotidiens gratuits n'emploient pratiquement pas de journalistes locaux. Quelle que soit la concentration des quotidiens traditionnels, ces derniers emploient des journalistes qui connaissent la réalité locale et qui ont été formés comme journalistes. La quasi totalité des études consacrées au journalisme au cours des dernières années montre que la plus forte influence que subissent les journalistes est le jugement de leurs pairs et non pas l'opinion politique du rédacteur en chef ou de l'éditeur. Les journalistes travaillent avec des collègues pour atteindre les normes de qualité des pairs. Pour cela, ils doivent travailler ensemble dans de grands organismes et interagir avec d'autres journalistes, notamment lors des conférences de presse.

Les quotidiens gratuits, quant à eux, écartent cette culture du journalisme de leur travail dans un sens. La nouvelle est constituée à partir d'éléments disparates fournis par des services plus ou moins uniformisés à l'échelle planétaire. La plupart du temps, ils publient des articles souscrits — critique de cinéma, potins, documents produits par un service centralisé à l'intention d'un lectorat international.

Deuxièmement, les journaux gratuits ont contraint les principaux quotidiens à un certain nivellement par le bas — c'est du moins ce que disent les journalistes qui travaillent pour eux. Depuis 10 ans, le Toronto Star et les autres ont lancé leur propre version du quotidien gratuit pour mener la concurrence sur ce marché plutôt que de la subir, mais en cédant trop facilement à l'appétit du lecteur pour un journal lu en 20 minutes, les journaux traditionnels risquent de hâter leur propre déclin dans ce que beaucoup appellent « la course vers le bas  ».

Je m'inquiète autant que vous de la concentration de la propriété, mais je ne pense pas qu'on puisse se limiter à la convergence multimédia — Bell Canada et Globe and Mail, et cetera — ou aux conglomérats multimédias comme CanWest. Si on se limite à cette conception, on passera à côté de ce qui menace l'avenir même des journaux urbains. Je pense notamment aux quotidiens gratuits produits selon un modèle mondial, qui sont le symptôme le plus frappant de cette menace.

En début d'année, dans leur rapport annuel, les éditeurs du prestigieux quotidien français Le Monde ont essayé d'expliquer pourquoi leur tirage avait diminué. L'un des motifs qu'ils invoquent me semble fort intéressant : l'essentiel de leur lectorat se composait de professionnels de la classe moyenne qui prenaient le train ou le métro pour aller travailler et qui pouvaient lire un journal pendant le trajet. Aujourd'hui, il semble que les professionnels de la classe moyenne vont travailler en voiture en écoutant la radio, qui est ainsi devenue leur principale source d'information. Ceux qui prennent le train, les commis, les secrétaires et les travailleurs manuels, lisent tous ces quotidiens gratuits. Comment Le Monde peut-il se constituer une clientèle et la maintenir dans un tel contexte de changement?

En conclusion, je dirais que l'information est actuellement soumise à deux extrêmes. L'une est celle du monde très personnalisé des « blogs », qui mettent fortement l'accent sur certaines sources d'information et sur l'information provenant de files de presse personnelles. Je pense que c'est ainsi que la plupart de mes étudiants s'informent. L'autre extrême est une information dépersonnalisée et anonyme, cette information lapidaire des quotidiens gratuits, produite par des sociétés internationales et à peine adaptée à la réalité locale.

C'est ainsi que les journaux traditionnels s'érodent aux deux extrémités. Leurs atouts, c'est leur aptitude à équilibrer la personnalité et l'autorité du journalisme en tant qu'institution, à équilibrer l'actualité locale et internationale, à équilibrer les opinions et à rapporter la nouvelle de façon plus ou moins directe. Je pense que toutes ces valeurs sont en train de disparaître et qu'on se dirige vers le monde inintéressant et sans personnalité des quotidiens gratuits et vers les nouvelles très personnalisées et partisanes que l'on trouve sur l'Internet et chez les télédiffuseurs comme Fox.

Le quotidien traditionnel est une institution, qu'il s'agisse de The Gazette, de La Presse ou du Toronto Star. Quoi qu'on puisse en penser, la diversité même de l'information qu'ils diffusent nous offre une image du monde dans lequel nous vivons. Nous pouvons y trouver des nouvelles qui ne nous intéressent pas, mais dont nous savons qu'elles sont importantes pour d'autres lecteurs. Le quotidien embryonnaire gratuit lu en 20 minutes en élimine l'essentiel, ce qui peut avoir, à mon sens, des conséquences fâcheuses sur notre mode de vie au plan local, sur notre interaction avec les autres et sur le respect de la diversité, ce dont nous devrions nous inquiéter à mesure que ces changements surviennent.

La présidente : Merci beaucoup. Voilà un exposé fort intéressant. Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Tkachuk : Je viens de Saskatoon et je ne connais pas le quotidien gratuit Métro.

M. Straw : Ça ne saurait tarder.

Le sénateur Tkachuk : Je ne sais même pas à quoi il ressemble, mais d'après ce que vous dites, ce doit être un petit tabloïde, qu'on peut lire en 20 minutes. Ce n'est pas une mauvaise idée; ça évite d'apporter son journal dans le métro. Je ne m'en inquiète pas vraiment. Si les journaux traditionnels perdent des lecteurs, n'est-ce pas parce qu'ils ont perdu contact avec la réalité? Ne devraient-ils pas faire leur examen de conscience? À part le fait qu'il existe désormais une façon plus rapide et gratuite d'obtenir des nouvelles, y a-t-il autre chose qui provoque le déclin des grands quotidiens?

M. Straw : Je pense que la plus grosse menace pour les journaux, c'est l'âge. L'âge explique le déclin de lectorat des journaux mieux que tout autre facteur. Les jeunes ne lisent pas. Dans la mesure où les quotidiens gratuits et les hebdomadaires régionaux parallèles qui existent depuis 20 ans incitent les gens à continuer à lire, il reste un certain espoir. Néanmoins, l'âge apparaît comme la principale variable à prendre en compte.

Le sénateur Tkachuk : Est-ce parce que les jeunes ne savent pas lire? De nombreux témoins du comité ont dit — même si je n'ai jamais trouvé de preuves concrètes qui corroborent leur propos, en dehors de ce que peut m'en dire ma femme, qui est enseignante — que les jeunes ne savent pas très bien lire et ne parviennent pas à se concentrer au-delà d'une certaine période. C'est pourquoi ils ont du mal à lire un long article; ils vont donc le laisser de côté. Est-ce une possibilité? Est-ce un facteur supplémentaire?

M. Straw  : Je crois que cela fait partie de l'équation. Cette difficulté de lecture ne s'applique pas vraiment à mes étudiants de troisième cycle, dont certains ont obtenu un baccalauréat dans des universités comme Harvard. Je crois que c'est avant tout une question d'habitude. Les jeunes ne prévoient pas d'habiter assez longtemps au même endroit pour s'abonner à un journal et ils ne savent même pas qu'on peut se faire livrer un journal sur un simple appel. Ils ne s'arrêtent pas au kiosque à journaux quand ils vont travailler. C'est une habitude qui se perd. Curieusement, mes étudiants ne considèrent pas l'achat d'un journal comme une bonne affaire, ce qui me paraît ridicule. On peut acheter un énorme journal pour 75 cents. Pour une raison ou une autre, cela leur paraît trop cher. C'est une question de perception de la valeur du journal. À cela s'ajoute, évidemment, l'Internet et tout le reste.

Ce n'est pas que l'Internet ou la télévision remplacent le journal, mais ils laissent moins de temps pour faire autre chose. Si l'on consulte cinq médias différents par jour, chacun d'entre eux recevra d'autant moins d'attention et paraîtra d'autant moins important. Lorsqu'il n'y avait qu'un seul journal, qu'on l'aime ou non, on passait cinq fois plus de temps à lire, parce qu'il n'y avait pas cinq autres choses à faire. Voilà donc un ensemble de questions qui, à mon sens, n'ont pas encore été bien comprises.

Le sénateur Tkachuk : Les journaux s'adaptent. Chez-moi, lorsqu'on quitte la ville pour trois jours, une semaine ou plus, on leur téléphone, et ils suspendent la livraison et la facturation. C'est une façon de s'adapter. Auparavant, ce service n'était pas offert. Pensez-vous qu'il serait utile de faire des études pour corroborer de façon scientifique les propos très convaincants que vous venez de tenir?

M. Straw : Oui. Je ne pense pas qu'on puisse se contenter de demander aux gens s'ils aiment les journaux, car tous vont répondre par l'affirmative, qu'ils en lisent ou non. En revanche, si l'on considérait l'ensemble de la consommation de médias, on ferait bien des découvertes.

Le sénateur Munson  : Bonjour. Vous avez évidemment observé certaines tendances et, si elles se maintiennent, quel va en être le résultat, dans la mesure où les jeunes ne lisent pas ce que vous appelez les journaux régionaux, qui les mettraient en contact avec leur collectivité? Quelle devrait être la situation d'ici 10 ans? Nous essayons de définir l'orientation de notre rapport.

M. Straw : Je pense qu'on va voir le Toronto Star, le Globe and Mail et les grands quotidiens investir dans les quotidiens gratuits et dans les hebdomadaires de culture et de loisirs. Pour se défendre, ils pourraient faire de ces publications leur principal domaine d'activité. Cela me semble très probable. Les jeunes et bien d'autres prennent ces journaux gratuits et les lisent; c'est donc qu'ils attendent quelque chose d'un journal. Cependant, ils sont prêts à sacrifier une grande partie de l'information et à se contenter de cette lecture rapide; je pense donc qu'il va y avoir une course vers ce genre de publication parallèle.

Le sénateur Munson : Qui a-t-il de si attrayant dans ces journaux Métro — je ne les ai jamais lus — qui intéressent ceux qu'ils veulent s'informer par une lecture rapide?

M. Straw : On y trouve des articles courts et sensationnalistes, les résultats sportifs et les recettes des salles de cinéma. Ce qu'on y trouve pas, ce sont les longs articles d'analyse ou ce que faisait Pierre Berton il y a 40 ans lorsqu'il parlait de l'activité en ville, des problèmes quotidiens, etc. On y trouve plus ce contact avec la collectivité. En revanche, on est rapidement informé de ce qui se passe dans le monde entier.

Le sénateur Munson : À votre avis, est-ce que les écoles de journalisme s'adaptent à ces nouveaux médias?

M. Straw : J'en doute, et malheureusement, elles incitent les étudiants à croire qu'ils vont travailler dans une profession bien rémunérée, considérée comme respectable, soumise à des codes d'étiques, etc. En fait, c'est une profession où l'on est très mal rémunéré; certains acceptent de travailler gratuitement comme stagiaire, avec d'infimes perspectives d'avenir. La plupart quittent le journalisme en milieu de carrière, à la recherche d'un meilleur salaire. D'autres pourraient vous parler mieux que moi de ce qui se passe dans les écoles de journalisme, mais je suppose que ce qui s'y passe est conforme à ce que je viens de dire.

Le sénateur Munson : Lorsque vous parlez du journal Le Monde et des autres journaux en déclin, pensez-vous que ces journaux prestigieux disparaîtront un jour si les nouveaux médias, les blogues et l'Internet poursuivrent leur croissance? Que nous réserve l'avenir?

M. Straw : J'aimerais bien penser que l'avenir, c'est les versions actuelles de The Globe and Mail et du National Post, une version qui représente un assez bon mélange de personnalités et de chroniques de journalistes connus, ainsi qu'un engagement à l'égard d'une certaine couverture médiatique. Cependant, je m'inquiète de leur avenir. Nous ne pourrons vivre dans un monde sans information. Nous aurons beaucoup de commentaires et de renseignements de nature très personnelle, et je ne crois pas que le mécanisme médiatique pourra filtrer comme par le passé tous ces renseignements; il y aura moins de restrictions et moins de contrôle. C'est un peu inquiétant.

Le sénateur Munson : Je m'intéresse beaucoup à The Gazette de Montréal, comme journal. À l'époque où le Star existait toujours, il y avait une vive concurrence, et nombre de journalistes s'occupaient de différents secteurs. J'ai l'impression que TheGazette et d'autres journaux partout au pays éprouvent des problèmes; il n'y a plus de journalistes affectés à un secteur particulier et il n'y a pas suffisamment de concurrence.

M. Straw : Je suis d'accord; une chaîne de journaux dira : « Pourquoi avons-nous besoin de critiques de films dans chaque ville? Les films sont les mêmes. » De cette façon, vous vous trouvez avec un seul critique pour toute la chaîne. Puis, on fait la même chose pour la musique et pour d'autres secteurs; progressivement, il n'y a plus ce lien étroit entre les journalistes, les secteurs et les collectivités. Ça s'est produit avec The Gazette, qui est un journal que j'aime plus que la majorité de mes amis.

Le sénateur Merchant : C'est peut-être simplement que les journaux ne sont pas la façon la plus rapide d'obtenir des nouvelles! Quand j'ouvre mon journal le matin, j'ai déjà entendu les nouvelles à la radio et à la télévision. Les jeunes se procurent l'information de façon différente. Peut-être les journaux ne sont plus la façon d'obtenir les nouvelles.

M. Straw : Oui, je suis d'accord, mais je ne suis pas convaincu que les gens lisent les journaux simplement pour obtenir les nouvelles. Je crois que les gens les lisent dans le métro pour passer le temps. Je lis les journaux au petit déjeuner parce que c'est agréable; je sais ce qui se passe dans le monde et dans ma collectivité.

Le sénateur Merchant : C'est vrai, mais vous dites que le journal est maintenant devenu quelque chose de différent, et peut-être les jeunes ne sont pas vraiment intéressés aux nouvelles en tant que tel. Ils semblent avoir une attitude différente à l'égard de la vie en général — ils ne veulent pas voter et ne s'intéressent pas aux choses que nous aimions à leur âge. Peut-être cela explique-t-il pourquoi, lorsque je vais à l'épicerie et qu'il y a les journaux habituels et les tabloïdes, pour être honnête, je ne regarde pas les premiers. Lorsque j'attends pour passer à la caisse, je jette un coup d'œil furtif aux tabloïdes qui parlent de vies particulièrement palpitantes. Ce n'est pas ma vie à moi, donc je suis plus intéressé. Je lis toutes les manchettes, et si j'ai le temps, j'ouvre le journal. Je ne veux pas acheter ces tabloïdes, mais ils m'intéressent, et je sais que certains journaux ont adopté ce format simplement parce qu'ils essaient d'intéresser les lecteurs.

C'est peut-être que les journaux présentent les nouvelles et que les jeunes ne s'intéressent pas vraiment aux nouvelles. Quand j'étais jeune, CBC Radio jouait toujours à la maison. Aujourd'hui, quand vous rentrez chez les gens, tout le monde fait jouer son propre genre de musique. La vie a changé, et je ne pense pas qu'on y puisse quoi que ce soit.

M. Straw : La radio et les journaux vous présentaient des questions que vous ne connaissiez pas, et vous ne saviez donc pas que ça devrait vous intéresser. Mais si vous ne pouvez pas éviter ce barrage de nouvelles, peut-être allez-vous apprendre quelque chose. Aujourd'hui, les gens peuvent trouver beaucoup plus facilement des renseignements sur ce qui les intéresse; les médias doivent donc susciter leur intérêt pour des choses qui ne les intéressent pas encore. C'est également un des avantages que présentent les journaux.

Le sénateur Merchant : Il faut beaucoup de temps pour lire un journal. Je reçois trois journaux et je n'arrive certainement pas à les lire tous les matins. Quand je reviens à la maison plus tard en journée, les nouvelles qu'on y présente sont vieilles. Je ne sais pas quelle est la solution au problème.

Le sénateur Eyton : Il faut simplement lire plus vite.

Le sénateur Merchant : Lire plus vite. Bien, ces petits journaux ont déjà traités ces nouvelles et les ont résumées en une seule ligne pour moi.

[Français]

Le sénateur Chaput : Ce que vous venez de nous dire est fort intéressant. Les jeunes n'ont pas le même intérêt que les aînés pour la presse écrite et les journaux. Je pense que les jeunes préfèrent l'information concise qui se lit rapidement. De plus, pour une raison que j'ignore, il semble que les jeunes ne s'abonnent pas à la presse écrite, soit parce qu'ils n'en ont pas le temps ou l'occasion. À mon avis, cette tendance risque d'avoir des implications sérieuses sur la presse écrite.

Devrait-on se tourner vers les écoles pour cultiver chez nos jeunes le goût de la lecture, ou est-ce plutôt la presse qui devrait adapter son contenu pour refléter les intérêts en constante effervescence de nos jeunes?

M. Straw : Je ne crois pas que le problème soit que les jeunes ne lisent pas suffisamment. L'Internet connaît une grande popularité chez les jeunes et son contenu est en grande partie sous forme de texte. Je crois que le problème se situe plutôt au niveau de la fonction des journaux. Pourquoi les jeunes ne s'intéressent-ils pas aux journaux? C'est que les journaux ne s'adressent pas directement à eux comme on le voudrait.

[Traduction]

Le problème, c'est qu'ils pensent le faire actuellement avec ces journaux qu'on peut lire en 20 minutes, et peut-être est-ce là la solution, mais je ne pense qu'un journal qu'on peut lire en 20minutes doit avoir 40 articles qu'on peut lire en 30 secondes chacun. Il pourrait y avoir 10 articles qui approfondissent plus une question, ou il y a d'autres façons certainement de faire les choses. Les hebdomadaires parallèles comme le Montreal Mirror, Voir et Ici, qui ont vu le jour au début des années 80, offraient une solution au problème; leur couverture porte souvent sur la culture ou le monde du spectacle, mais au moins, ça encourage les gens à lire ces articles. Je crois que, si le monde de la politique et des questions sociales était abordé, les jeunes liraient des articles là-dessus.

Nous traversons une période où l'on essaie toute sorte de nouvelles choses, et le journal gratuit offert aux navetteurs est simplement un essai — et j'espère que cela ne sera pas la plus grande réussite.

[Français]

La sénateur Chaput : Si je saisis bien la teneur de vos propos, lorsqu'il s'agit de la culture et des arts, les jeunes démontrent un plus grand intérêt?

M. Straw : En effet.

[Traduction]

Le sénateur Eyton : Je tiens à vous remercier, monsieur, d'être venu nous rencontrer aujourd'hui. Votre intervention était éloquente et fort intéressante. J'aimerais faire quelques commentaires.

Tout d'abord, on a comparé la radio aux journaux. La station radio qui a le plus d'auditeurs à Toronto est 680, qui ne présente que des nouvelles, des nouvelles résumées au maximum; leur devise pour la vente est « Si vous lisez la nouvelle, c'est déjà du passé. Si vous l'entendez, c'est de l'actualité. » Les représentants de cette station radio veulent nous convaincre que, si vous voulez être vraiment au courant de ce qui se passe, vous devriez syntoniser 680 et les autres stations du genre.

De plus, à Toronto, tout au moins, les journaux distribués gratuitement, ceux qui sont fournis dans le métro, n'ont pas été vraiment un succès. Quatre journaux sont offerts, et je suppose que le Sun est un format utile quand on pense à sa taille, mais il n'a pas vraiment réussi à Toronto; les gens y lisent toujours les quatre grands journaux.

Nous avons reçu une liste, et j'espère que vous saviez que l'on a cerné quatre des questions clés qu'on devrait vous poser. Je crois que j'ai entendu suffisamment de commentaires pour essayer d'y répondre. La première question était : « Les Canadiens ont-ils accès à une quantité et à une qualité suffisante d'information sur les affaires internationales, nationales, régionales et locales? » Je crois que votre réponse est oui, mais que vous vous inquiétez tout particulièrement du secteur de journaux.

La deuxième question : « Les Canadiens n'accèdent pas à l'information de la même façon, selon qu'ils sont jeunes ou plus âgés. Quelles sont les implications de cette tendance, et quel rôle, actuel ou éventuel, l'étude des médias joue-t- elle dans les écoles? » Je n'ai pas entendu de commentaires sur l'étude des médias dans les écoles. En avez-vous parlé?

M. Straw : Non, pas vraiment. Je n'ai pas saisi. Je pensais que je pouvais choisir un de ces sujets. Je m'excuse.

La présidente : Vous pouvez procéder de cette façon-là. Cependant, nous pouvons également vous poser des questions.

M. Straw : Très bien. Je vois.

Le sénateur Eyton : Pour ce qui est des écoles, nous parlons du primaire, puis du secondaire et, naturellement, de l'université.

M. Straw : Je crois que les universités essaient de comprendre ce que les jeunes font plutôt qu'essayer de les encourager à nous emboîter le pas. C'est justement un des aspects du problème. Les jeunes cherchent des renseignements et ils ont leur propre façon de faire les choses. Leur dire qu'ils doivent se lever tous les matins et lire un journal très épais ne donnera absolument rien; il nous faut donc peut-être penser aux façons de les encourager à vouloir le faire. Je suppose que vous avez des experts du domaine pédagogique qui pourront peut-être vous en dire plus long là- dessus car ils s'y connaissent certainement mieux que moi.

Le sénateur Eyton : Peut-être. Compte tenu des commentaires que vous aviez faits et le poste que vous occupez, j'aurais pensé que vous y connaissiez assez bien.

La troisième question est « Les collectivités, les minorités et les centres éloignés sont-ils bien desservis? » Les réponses sont plutôt mitigées.

M. Straw : C'est vrai. Il y a de bonnes raisons d'être optimistes. À New York, il y a environ 45 quotidiens publiés en hindi et un nombre extraordinaire de journaux paraissant dans toutes les langues parlées par les immigrants. Les journaux continuent toujours à attirer les immigrants vers la ville, et les journaux des groupes ethniques et des groupes linguistiques non dominants se tirent très bien d'affaires; ils sont toujours plus nombreux que vous ne le croiriez nécessaire. À mon avis, ce secteur joue un rôle très important.

Je crois que les journaux de grande diffusion, même s'ils essaient de le faire, ne répondent pas aussi bien aux besoins de leurs lecteurs qu'ils le devraient. Je crois que, lorsque nous passons à ces journaux qui peuvent être lus en 20 minutes, nous ne pouvons pas répondre à leurs besoins parce que les nouvelles sont simplement trop superficielles et trop spécifiques pour répondre à cette diversité.

Le sénateur Eyton : La dernière question, que vous ignorez peut-être et qui se trouve justement à côté de votre nom est la suivante : « Les récentes innovations technologiques ont-elles eu une incidence sur la diversité dans les médias d'information? » Évidemment, la réponse est clairement oui.

M. Straw : C'est exact.

Le sénateur Eyton : Vous êtes conscient du mandat du comité, qui est de procéder à une étude très générale. Vous avez vu le nom du comité. C'est parce que nous avons certaines préoccupations que nous organisons les audiences du comité à Ottawa et ailleurs. Que pouvons-nous dire? D'après vous, que devrions-nous dire dans notre rapport pour faire état de vos préoccupations? À mon avis, vous êtes un expert en communications et en histoire de l'art.

M. Straw : Plutôt en communications qu'en histoire de l'art.

Le sénateur Eyton : Je crois que ce sont des connaissances qui vous permettent de nous parler de communications. Que souhaitez-vous que notre comité recommande pour donner suite à certaines de vos préoccupations? Y a-t-il une autre région, un autre pays ou une autre situation qui pourrait nous servir d'inspiration? Est-ce qu'il y a une région qui se tire très bien d'affaires et que nous devrions chercher à imiter?

M. Straw : Je crois qu'il s'agit dans bien des cas de questions municipales. Par exemple, à mon avis, il n'est pas acceptable que les responsables du métro de Montréal décident que le journal Métro a le monopole de distribution de son journal une fois que vous avez franchi le tourniquet. Nous devons nous assurer que toutes les sources de nouvelles soient offertes de la même façon.

En France, les kiosques à journaux doivent vendre tous les journaux, ce qui, d'après les gens, complique énormément les choses, mais si tout est disponible, à ce moment-là les divers sons de cloches peuvent être entendus. Encore une fois, cela dépend peut-être plus des règlements municipaux que de la politique fédérale.

Évidemment, nous ne pouvons pas empêcher la publication des quotidiens distribués gratuitement aux navetteurs, mais je crois qu'on peut quand même s'assurer qu'ils n'obtiennent pas ainsi un avantage injuste, simplement parce qu'ils peuvent dominer certains marchés. Je ne m'oppose pas à l'orientation de la réglementation du CRTC en ce qui a trait aux nouvelles diffusées. Je crois qu'il faut être prudent lorsque Fox ou Al-Jazeera présente des propositions, mais je ne m'oppose pas aux décisions qui ont été prises; je ne crois pas que l'on puisse proposer quoi que ce soit pour régler le problème, puisque je n'en vois aucun.

Le sénateur Eyton : Que voudriez-vous voir dans notre rapport?

M. Straw : Je crois que, dans votre rapport, vous devez vous éloigner des préoccupations mentionnées dans le rapport de la Commission Kent et ceux des autres commissions d'enquête sur la concentration dans les médias. Il y a beaucoup de choses dont il faudrait s'inquiéter. Cependant, il faut à l'occasion une certaine concentration pour assurer la survie des grands médias traditionnels, que cette situation vous plaise ou déplaise. Il faut bien comprendre que les problèmes sont associés à une mondialisation qui se présente à un niveau différent, au niveau de ces petits quotidiens parallèles offerts gratuitement. Les journaux changent de toutes sortes de façon. Il y a des hebdomadaires parallèles et d'autres journaux du genre, comme je l'ai signalé, et je crois que c'est là où les changements se produisent. Il faut se défaire du paradigme qui existe actuellement, car on se contente de s'inquiéter uniquement de la concentration; il faut plutôt se demander qui lit quoi, étudier comment les autres médias livrent concurrence aux journaux, décider ce que nous voulons comme avenir pour les journaux et à quel point nous voulons assurer la survie de certains journaux. Peut- être représentent-ils un bien collectif beaucoup plus important qu'on ne l'avait cru, et méritent-ils donc une certaine forme d'appui ou de protection. Il ne sera pas facile de trancher.

Le sénateur Eyton : Oui, c'est ce qu'on nous a dit. Vous n'avez pas parlé des magazines pendant que j'étais présent, mais j'estime que toutes vos observations sur les journaux s'appliquent aussi bien sinon plus aux magazines canadiens qui sont peu nombreux et qui sont en difficulté.

M. Straw : Oui, et les magazines qui fonctionnent le mieux sont soutenus par la publicité, qu'elle soit présentée gratuitement sous forme d'encart dans les journaux ou pas. Ce sera comme en radiodiffusion c'est-à-dire que nous ne le payons pas et pourtant nous l'avons en abondance, car c'est payé par les publicités. Existe-t-il assez d'annonceurs au monde pour soutenir toutes ces publications? Cela dit, il faut savoir que le magazine canadien connaît une petite renaissance à l'heure actuelle. La rédaction est excellente, mais je n'ai jamais besoin d'aller acheter un magazine, puisqu'ils me sont présentés gratuitement de par mon indicatif régional, mon code postal ou les journaux auxquels je suis abonné. Et je pense que c'est très positif.

La présidente : Vous habitez au centre-ville, dans une région métropolitaine, n'est-ce pas?

M. Straw : Oui, c'est vrai.

La présidente : Je souhaite vous poser des questions sur les conséquences de la fragmentation des auditoires des nouvelles dont vous nous avez parlé, et de la disparition des auditoires des nouvelles dans le sens traditionnel. Et qu'est-ce que ce phénomène signifie pour l'appartenance communautaire, le sentiment de cohésion et la compréhension commune des questions importantes dans notre société? Après tout, un comité sénatorial s'intéresse aux questions de gouvernance et aux questions politiques non partisanes, mais également aux questions appartenance communautaire qui ne sont pas forcément politiques, mais qui peuvent mener à une action concertée ou à des préoccupations communes. Où nous dirigeons-nous à cet égard?

M. Straw : Eh bien, je ne suis pas le premier à affirmer que nous nous dirigeons vers un monde où l'on ne se rassemble pas autour de la fontaine du bureau pour parler de questions communes, car la veille, 20 personnes auront regardé 20émissions différentes à la télévision - sauf si American Idol ou une émission semblable jouait. Cela devient un réel problème.

Les sites Internet et les blogs Internet sont en train de regagner un large auditoire; aussi, la fragmentation des auditoires est quelque peu freinée, mais pas complètement. De plus en plus de personnes s'intéressent à diverses sortes de cultures, par exemple les raves, mais ils sont invisibles et souhaitent le rester. Fait intéressant, les personnes que je connais qui s'intéressent à la culture et autres choses de ce genre ne veulent pas nécessairement s'afficher. Ils sont heureux dans l'ombre et veulent y rester. Ça devient un problème lorsque les gens n'ont pas besoin de se faire concurrence pour attirer l'attention du public et gagner de grands auditoires. On peut dire dans un sens, qu'ils ont abandonné un certain genre d'engagement civique, et je pense que c'est dommage, même si l'on peut dire que, dans un certain sens, notre vie culturelle s'en trouve enrichie et diversifiée.

C'est donc la question de l'heure, et on ne peut plus présumer que, lorsqu'on va au travail le matin, tout le monde aura lu le même journal et parlera de la même question. Ces jours-là sont manifestement révolus.

Le sénateur Tkachuk : Estimez-vous qu'il existe un sain niveau de concurrence idéologique dans les médias de Montréal et de Québec?

M. Straw : Question intéressante. Je dirais qu'au Canada il y a plus de concurrence idéologique que jamais, grâce entre autres au National Post. Au Québec, par contre, il y en a moins. La fourchette d'opinions présentée par les médias suit une tendance médiane, c'est-à-dire qu'elle correspond à l'ensemble de la société québécoise, c'est une opinion quelque peu gauchisante et peut-être un tout petit peu droitiste.

Le sénateur Tkachuk : Y a-t-il un débat à Montréal ou au Québec au sujet des mariages de personnes du même sexe? Existe-t-il un grand débat médiatique?

M. Straw : Non.

M. Straw : Peut-être que c'est la raison pour laquelle les gens ne lisent pas le journal, n'est-ce pas?

M. Straw : Oui.

Le sénateur Tkachuk : Pourquoi écouter toujours la même voix? Pourquoi écouter une voix lorsqu'on sait d'avance le message? Est-ce même possible?

M. Straw : Oui, c'est possible, et je pense que les émissions radiophoniques stimulent la participation des auditoires comme jamais auparavant, ce qui est une tendance des plus intéressantes. Toutefois, vous avez peut-être raison : peut- être que la polémique des années 60, par exemple au sujet de l'indépendance, s'est calmée, et qu'il existe un fade consensus aujourd'hui.

Le sénateur Tkachuk : Oui. J'ai pris bonne note de vos observations sur Fox News, et je me suis dit, pourquoi pas? Pourquoi pas Fox News? Ça pourrait stimuler la discussion au Canada sur nos orientations au sujet de toutes sortes de questions qui ne semblent pas être abordées dans les médias.

M. Straw : Lorsque j'écoute la radio à Toronto, j'entends une variété d'opinions beaucoup plus diverses que ce que j'entendrais à Montréal au cours d'une année entière.

Le sénateur Munson : Je voulais revenir sur vos observations à propos du CRTC. Selon de nombreuses personnes, le CRTC n'a aucune raison d'être et nous devrions nous en débarrasser. Vous avez parlé de Fox et de Al-Jazeera. Toutefois, le CRTC semble établir des règles pour des réseaux individuels souhaitant s'implanter au Canada, par exemple la chaîne Fox; nous possédons déjà CTV; il y a des règles sur sa couverture médiatique, c'est-à-dire le moment auquel CTV peut diffuser les grandes nouvelles. Avons-nous réellement besoin du CRTC?

M. Straw : J'estime que nous en avons réellement besoin, ne serait-ce que pour décider de l'attribution des 13 premières chaînes du système de câblodiffusion. J'estime que, même si les stations n'utilisent plus les fréquences, celles- ci demeurent toutefois un bien public; donc, il n'est pas déraisonnable que le gouvernement établisse des conditions d'entrée des stations au Canada. Il y a la question de la publicité, de l'imposition et des déductions des frais professionnels ainsi que toutes sortes de questions techniques qui, en fin de compte, justifient la réglementation de la radiodiffusion au Canada. Je pense qu'il y a peut-être de meilleurs moyens de s'y prendre, mais dans le fond, j'appuie tout à fait l'idée du CRTC.

Le sénateur Munson : Donnez-nous un exemple.

M. Straw : Eh bien, si vous vous souciez de la programmation américaine — et je l'ai déjà souligné lors d'une autre audience —, je pense que le moyen de contrer cette influence est d'encourager l'entrée de nombreux services internationaux afin de créer une grande diversité au sein de laquelle la programmation américaine devra occuper une place plus modeste et plus réduite. Je ne pense pas que la solution soit de consolider artificiellement les stations canadiennes pour faire rempart contre les stations américaines. Je voudrais que nous devenions le marché le plus ouvert au monde sur le plan de l'accès aux nouvelles provenant notamment de l'Inde, de l'Asie et de l'Asie du Sud-Est.

[Français]

Le sénateur Chaput : Vous avez fait un commentaire fort intéressant tout à l'heure. Vous avez mentionné qu'il existait plusieurs petits journaux pour les minorités de d'autres langues et cultures.

Le Canada est un pays d'une grande diversité culturelle caractérisée, notamment, par ses deux langues officielles. Les journaux à fort tirage qui, semble-t-il, ne connaissent pas la même popularité chez les jeunes auraient-ils une leçon à tirer des journaux plus modestes des autres minorités culturelles?

M. Straw : Certes, il y a une leçon à tirer.

[Traduction]

Le hic, c'est qu'il faut savoir de quoi il s'agit. Si les médias se dotent d'une chronique pour chaque groupe minoritaire, bien entendu, tout le monde y perd. Toutefois, le Toronto Star, par exemple, a transformé le tableau démographique de sa salle de presse en embauchant un grand nombre de nouvelles recrues de moins de 30 ans. L'embauche de nombreuses personnes issues de minorités et leur intégration dans la couverture médiatique grand public fera en sorte de diversifier les perspectives sans les isoler les unes des autres. Je ne pense pas qu'il faille isoler les minorités ethniques dans des chroniques ethniques. Je pense que la perspective globale changera si des personnes issues de minorités sont affectées à des reportages grand public. Toutefois, il faudra du temps. De nombreux journaux sont en train d'adopter cette façon de faire, mais c'est un processus qui nécessite beaucoup de temps.

Le sénateur Merchant : Avez-vous de nombreux étudiants issus de minorités ethniques dans vos cours? Est-ce que ce sont les personnes qui rédigent les articles susceptibles d'intéresser les minorités?

M. Straw : Vous savez, notre école n'est pas une école de journalisme proprement dit, mais nous avons de nombreux étudiants, par exemple des journalistes d'Égypte, des étudiants américains, des étudiants issus de communautés culturelles et ainsi de suite. Nous n'avons pas autant qu'à Concordia ou qu'à Ryerson à Toronto, mais cela correspond peut-être davantage à l'élitisme autoproclamée de McGill... je n'en sais rien.

Le sénateur Merchant : Sans nous limiter au seul cas de l'Université McGill, estimez-vous que les écoles de journalisme diplôment un certain nombre d'étudiants qui ne sont pas francophones ni anglophones, mais qui sont issus de communautés minoritaires? Ces diplômés trouvent-ils du travail? Ce tableau démographique se reflète-il dans l'effectif des médias?

M. Straw : Je pense que mon collègue de Concordia, qui vous adressera la parole tout à l'heure, est mieux placé que moi pour répondre à cette question, car, comme je l'ai dit, nous ne sommes pas vraiment une école de journalisme. Je pense que la situation s'est certainement améliorée. Et quand j'ai étudié le journalisme, voilà 30 ans, nous étions un groupe très homogène. J'ai constaté une évolution, mais d'une certaine distance. Il n'est pas facile de se trouver du travail dans le domaine du journalisme ces jours-ci. Comme je l'ai dit, trop de gens sont prêts à travailler pour rien; on utilise de plus en plus de pigistes, d'articles souscrits. Il est vraiment dommage qu'au moment où ces tendances se dessinent et où les diplômés sont de plus en plus divers, les emplois se fassent rares.

La présidente : Eh bien, voilà l'introduction idéale pour notre prochain témoin. Monsieur Straw, merci beaucoup, ça a été très intéressant de parler avec vous, et ce fut un excellent moyen de commencer notre session de Montréal du bon pied.

Notre prochain témoin nous parlera des écoles de journalisme. Je vous présente, chers collègues, le professeur Enn Raudsepp de l'Université Concordia.

Bienvenue monsieur Raudsepp. Nous sommes très heureux de vous avoir parmi nous. Vous comprenez que nous vous demandons de faire un discours liminaire d'environ 10 minutes, après quoi nous vous poserons des questions.

M. Enn Raudsepp, professeur associé et directeur, Département de journalisme, Université Concordia, à titre personnel : Bonjour tout le monde, et merci encore de m'avoir invité à vous adresser la parole ce matin. Je vais d'abord vous donner une idée de mes antécédents. J'enseigne le journalisme à l'Université Concordia depuis 26 ans et, auparavant, j'ai travaillé pendant 10 ans pour un quotidien de Toronto et de Montréal. Au fil des ans, j'ai eu l'occasion de voir les rouages du monde médiatique depuis plusieurs points de vue, et je vais essayer ce matin de vous faire part de certaines impressions que j'entretiens au sujet des médias, et tout particulièrement de la presse écrite, puisque cette forme de média m'est plus familière que celle de la radiodiffusion.

Dans le monde d'aujourd'hui, je pense qu'on peut dire que le Canada est plus chanceux que de nombreux autres pays. Nous avons un système social et politique qui, dans l'ensemble, tient aux médias et les considère comme une pierre angulaire de la société démocratique. De plus, nous nous sommes dotés de possibilités technologiques qui font l'envie de nombreux autres pays. De ce point de vue, on pourrait dire, si vous me permettez d'utiliser une métaphore plutôt usée, que le verre est certainement à moitié plein.

Toutefois, il est vrai aussi qu'un verre à moitié plein est également à moitié vide. Par ceci, j'entends que, si nos médias en gros font du bon travail, il est vrai aussi qu'ils font preuve d'une certaine mollesse, voire de paresse, et qu'ils ne performent pas au niveau d'excellence qu'ils pourraient et devraient atteindre. Les médias d'aujourd'hui ne sont pas ce qu'ils étaient il y a quelques décennies. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, il était encore vrai que les médias étaient très ancrés dans leurs collectivités, qu'ils étaient axés sur les questions communautaires et qu'ils les défendaient. Les lecteurs et auditeurs faisaient confiance aux médias et s'attendaient à ce qu'ils les défendent.

Aujourd'hui, rare est le diffuseur qui appartient à des intérêts locaux et, malheureusement, le lien principal entre les médias et le public se situe au niveau du bête échange de marchandises entre acheteurs et vendeurs. La confiance n'a pas totalement disparu, mais elle n'est plus ce qu'elle était. La technologie, les pratiques de commercialisation du produit en fonction du plus petit dénominateur commun ainsi que la tendance soutenue favorisant les fusions, les monopoles, les chaînes, les conglomérats et la convergence ont transformé le paysage médiatique.

D'aucuns veulent nous faire croire que les choses se sont améliorées à cette ère de l'information, dans cet univers numérique composé de centaines de chaînes de télévision et de sites Web illimités. Je ne suis pas antiprogressiste, et je sais que les nouvelles technologies ne disparaîtront pas. En fait, à long terme, il est possible — en fait tout à fait possible — que la technologie porte remède à notre malaise médiatique en créant, pour la première fois de l'histoire, un forum d'idées vraiment libre, équitable et d'accès universel présentant des nouvelles et informations vraiment diverses. Toutefois, nous n'en sommes pas encore là, tout particulièrement au niveau de l'équité et de l'accès universel, et il pourra s'écouler beaucoup de temps avant que nous arrivions à cette heureuse situation.

Aujourd'hui, nous en sommes toujours à mi-chemin, dans un monde où les conglomérats restreignent l'accès à la plupart des nouvelles et informations, dans un monde où les questions de marketing et les intérêts commerciaux orientent les décisions. En gros — il y a toujours d'honorables exceptions —, on assiste à un phénomène de « nivellement par le bas » de nos médias, si vous le permettez, c'est-à-dire une tendance vers la superficialité. Nos fameux bulletins de nouvelles 24 heures sur 24 ne sont rien de plus que de courtes rafales de manchettes et de clips sensationnels qui sont joués en boucle, et non une grande variété illuminante de reportages de fond intéressants.

Nos journaux deviennent à la fois plus homogènes, en raison de l'appui à la convergence et à la propriété centralisées, et cette tendance vers la convergence, vers l'homogénéité, commence à se manifester également sur Internet. C'est-à-dire qu'on peut voir les mêmes reportages dans la presse écrite, à la télévision, à la radio et sur Internet.

Dernièrement je me suis fait opérer au dos, et j'ai été perclus pendant trois mois. Au début, je me suis dit que ce serait l'occasion idéale de me rattraper et d'analyser les dernières tendances dans les médias radiodiffusés. Toutefois, en fin de compte, j'ai très peu regardé les informations, car il est très monotone de voir les mêmes clips jouer à satiété. Je crois maintenant les gens qui me disent qu'ils ne regardent plus la télévision parce que, malgré 200 chaînes ou plus, il n'y a rien à voir. D'après mes conversations, j'ai constaté que même les férus d'information savent immédiatement qui est Paris Hilton, mais ne savent pas toujours qui est Maher Arar.

En plus de la tendance croissante vers l'infodivertissement plutôt que l'information, on affronte également le problème de la réduction des nouvelles locales. Lorsque la CBC a décidé, voilà peu, d'éliminer la plus grande partie de sa programmation locale, j'estimais qu'elle faisait erreur. Dans la presse écrite, l'ère des maquettes normalisées, qui ne permettent d'insérer qu'un contenu local très limité, est à nos portes. Et lorsqu'elle sera endémique, nous aurons tout loisir de le regretter.

Malheureusement, nous nous contentons de recycler et de répéter les informations américaines; nous sommes bien trop portés à copier leur format et leur programmation au lieu d'élaborer les nôtres, non pas parce que cette tendance s'avère la meilleure, mais parce qu'elle est la moins chère. Le pire, c'est qu'il existe de nombreux excellents journalistes canadiens, et pour peu qu'on leur donne l'occasion de briller, ils répondent souvent à toutes nos attentes. Il suffit de constater la qualité des reportages issus des salles de presse qui se font un devoir d'utiliser leur personnel et leurs rédacteurs. Il y a The Globe and Mail, certainement; il y a les nouvelles nationales de la CBC, et une ou deux autres salles de presse, qui se démarquent du peloton.

Que pouvons-nous donc faire pour encourager l'excellence des médias? J'estime pour ma part que le système médiatique vers lequel nous nous sommes tournés est responsable de l'homogénéité et de la fadeur de nos médias. La solution serait de prendre du recul et de revenir à la propriété locale des médias, qui privilégiaient les besoins de la collectivité au profit et à l'exploitation de leurs marchés à créneaux. Donc, pour améliorer la situation, nous devons revenir à l'époque où la convergence n'était pas encore à la mode et où la propriété croisée n'était pas permise. En effet, cette pratique est bénéfique aux propriétaires et non pas au public. Si nous voulons que le Canada s'épanouisse, il nous faut des médias forts et intelligents. J'estime qu'il nous reste encore les fondements pour ce genre de média, mais il faut à tout prix les préserver, voire les renforcer.

Au Québec, le comité de la Saint-Jean dont je faisais partie avait vigoureusement préconisé qu'on garantisse à la population le droit d'accès aux médias, antidote nécessaire contre le droit qu'auraient sinon les propriétaires de faire ce que bon leur semblait des médias qui leur appartiennent. Aujourd'hui, la balance penche toujours en faveur des droits des propriétaires, et on reconnaît encore très peu dans la réalité que les médias sont également un bien public dont dépend la nation pour que la population soit suffisamment informée afin de pouvoir exercer ses droits démocratiques.

Il faut d'une façon ou d'une autre rétablir l'équilibre, peut-être en rendant les activités plus transparentes ou en exigeant le respect de certaines normes professionnelles et déontologiques convenues, ce qu'on pourrait appeler, vous excuserez l'oxymoron, une exigence facultative.

La palette des correctifs va bien sûr beaucoup plus loin, par exemple des limites qui seraient imposées au nombre de médias appartenant à un seul propriétaire, l'interdiction de la propriété croisée, des mesures fiscales incitatives pour favoriser l'excellence, des contrats accordés aux éditeurs, la création d'un consortium de journalistes qui deviendraient le propriétaire d'un média en coopération, et ainsi de suite. Un certain nombre de ces mesures ont déjà été exposées dans les rapports Davey et Kent, qui vous ont précédés dans ce domaine, mais par d'autres auteurs également, de sorte que nous avons une assez bonne idée de ce qui pourrait être fait pour établir l'équilibre entre les prérogatives d'un propriétaire et les droits de la population. Tout ce qui leur reste à faire maintenant, c'est de passer aux actes.

Je suis très heureux que vous étudiiez cette question et j'espère que votre rapport va permettre au processus de démarrer.

Le sénateur Tkachuk : En quoi la convergence dans le secteur des médias a-t-elle nui par exemple au marché montréalais ou alors l'a-t-elle amélioré?

M. Raudsepp : Je ne pense pas que la convergence ait amélioré le marché. À Montréal, nous avons probablement été les témoins de certains des effets les plus radicaux de la convergence, puisque Quebecor et CanWest, qui sont tous deux représentés ici, sont parmi les protagonistes qui sont le plus avancés dans cette voie. À en juger d'après leur production, ces deux entreprises, me semble-t-il, utilisent leur participation dans les différents médias pour se valoriser au lieu de créer de meilleures émissions d'actualité ou des émissions plus intéressantes. En d'autres termes, cette convergence est, pour ces entreprises, un outil de marketing beaucoup plus qu'un outil de reportage. Pour être logique, la convergence ne favorise guère l'intérêt public, puisqu'au lieu d'avoir deux ou trois journalistes travaillant pour des maisons différentes, des médias différents, et produisant des reportages différents, ces journalistes n'en produisent qu'un seul qui est recyclé dans les différents médias. La diversité de l'information que nous obtenons en souffre donc, et je pense que cela pose un problème.

Le sénateur Tkachuk : Si un quotidien est une entreprise, ce qui est bien le cas, y a-t-il un gouvernement, qu'il soit provincial ou fédéral, qui fait obstacle, notamment, par voie de réglementation ou de politique fiscale, ou alors est-ce la faute de la conjoncture commerciale s'il n'y a pas davantage de quotidiens et si la concurrence n'est pas plus présente? À l'époque dont vous parlez, il n'y avait pas d'impôt sur les gains en capital. Peut-être est-ce la raison pour laquelle vous avez ce sentiment, n'est-ce pas?

M. Raudsepp : Je ne pense certainement pas qu'il y ait quoi que ce soit qui fasse obstacle aux journaux. D'ailleurs, je dirais que c'est peut-être cela le problème, en ce sens qu'il n'y aucune structure qui encadre le fonctionnement des quotidiens. Dans la plupart des industries, il y a une structure d'un genre ou d'un autre. Je me trompe peut-être, et je ne suis pas expert en la matière, mais par exemple, dans le domaine de l'alimentation et dans celui des médicaments, il y a des lois qui imposent des normes minimums. Nous ne saurions permettre qu'on empoisonne les gens avec des produits de ce genre.

De la même façon, je pense qu'il serait possible de créer, pour les médias de l'information, un genre de structure qui n'aurait aucune incidence sur le contenu, mais qui en aurait une sur la structure d'ensemble qui encadre l'industrie, par exemple des limites imposées à la propriété, à la propriété croisée par exemple.

Le sénateur Tkachuk : Préconiseriez-vous un élargissement du rôle du CRTC dans ce sens, ou faudrait-il confier le contrôle des médias de l'information à un autre organisme de réglementation?

M. Raudsepp : Nous n'avons pas besoin d'un autre organisme de réglementation. Moins nous en avons, mieux c'est.

Le sénateur Tkachuk : Je suis d'accord avec vous.

M. Raudsepp : Le CRTC pourrait très bien le faire. Je pense que la principale raison d'être du CRTC est de surveiller les questions de propriété croisée des médias; il ne devrait pas devoir s'occuper du contenu. Je crois à la liberté de contenu dans toute la mesure du possible.

Le sénateur Munson : Vous savez, après 35 ans dans les médias, j'ai travaillé pendant un moment pour le premier ministre comme directeur des communications; chaque matin, il me demandait : «  Qu'y a-t-il dans le National Post?  » Je lui présentais le contenu politique du National Post. Il me demandait ce qu'il y avait dans le Citizen, et je lui disais : «  La même chose, même auteur.  » «  Et dans la Gazette?  »«  Même chose.  » Il ne comprenait pas pourquoi. C'est ce qui s'est passé avec la convergence des médias; en ce sens, c'est la plupart du temps le même messager. Vous dites qu'il faut trouver un équilibre. Comment le faire sans réglementer?

M. Raudsepp : C'est la grande question, et je crois que c'est le récif sur lequel le Comité Davy et la Commission Kent ont sombré dans le passé, et le récif qui pourrait très bien faire sombrer aussi votre comité.

Je crois que s'il y a une forte volonté politique et, si le public appuie ce genre de proposition, c'est possible. Franchement, je ne vois pas pourquoi un groupe ou une personne pourrait être propriétaire de 30 p. 100 de nos médias, par exemple. À quoi cela rime-t-il? C'est peut-être logique d'un point de vue commercial, mais les médias sont autre chose qu'une simple entreprise commerciale. Ils ont une vocation publique, et je crois qu'il y a une responsabilité publique et une nécessité d'une plus grande diversité, d'une plus grande qualité dans nos médias qu'on ne pourra obtenir qu'en démantelant les conglomérats.

La commission Kent a suggéré un certain dessaisissement. Ses membres ont immédiatement été dénoncés comme des gauchistes et des communistes, à ce que je sache. C'était courir à la catastrophe, tendre la main au diable. On jetait immédiatement l'anathème sur toute forme de réglementation. Or, le marché a une tendance à la monopolisation et si on le laisse évoluer de cette façon, je pense qu'on arrive tôt ou tard à un degré extrême de concentration, bien pire que celui que nous avons actuellement, parce que le mouvement se renforce. Cela a commencé par des fusions et des rachats de divers organes médiatiques individuels, et maintenant ce sont des chaînes qui en absorbent d'autres. Donc, le processus fait boule de neige. Il risque de se poursuivre, et cela m'inquiète un peu.

Je ne suis pas contre une légère réglementation — il ne faut pas qu'elle soit excessive et je crois qu'on doit autoriser les gens à être propriétaires de quelques organes de médias, mais pas...

Le sénateur Munson : Vous voudriez que le gouvernement intervienne et légifère pour empêcher les gros d'avaler les petits?

M. Raudsepp : Oui. Cela ne me paraît pas épouvantable. Autrefois, si vous remontez 500 ans en arrière dans l'histoire des médias et du journalisme, les gouvernements étaient l'ennemi. C'était clair, les gouvernements étaient les méchants; c'étaient eux qui contrôlaient les médias, qui imposaient des licences et la censure, et qui punissaient sauvagement les contrevenants, allant même jusqu'à la peine de mort.

Tout cela a évolué au fil des ans. Je pense que nous sommes passés d'un régime autoritaire à un régime plus libertaire, plus démocratique; à mon avis, de nos jours, le gouvernement est une sorte d'arbitre chargé de trancher les différends entre divers intérêts dans la société. Le gouvernement ne doit pas nécessairement adhérer à toutes sortes de politiques, mais il doit trancher, arbitrer les différends entre divers intérêts et déterminer la meilleure façon de servir l'intérêt public. Le cas échéant, nous ne parlons pas de contrôle excessif, mais simplement de propriété, pas du contenu, et je crois qu'il faut absolument envisager cette solution.

Le sénateur Munson : Une simple question pour terminer. Qu'est-ce que la liberté de la presse?

M. Raudsepp : J'aurais bien des réponses à vous donner.

Le sénateur Munson : Est-ce la liberté de posséder? Est-ce la liberté de ne pas posséder? Est-ce la liberté de posséder beaucoup?

M. Raudsepp : Non; évidemment, il y a deux éléments dans l'équation, dont la liberté de posséder. Cependant, c'est la liberté de posséder quoi? Voilà, à mon sens, une autre question à poser.

Comme envers de la médaille, il y a la liberté d'accès. Si l'on insiste uniquement sur les droits de propriété, on risque de pénaliser nos citoyens, qui sont à la merci des médias. Autrefois, l'économie de marché était censée apporter un antidote. Si quelque chose ne plaît pas, il suffit de ne pas l'acheter; quelqu'un d'autre va proposer un produit différent, un produit meilleur qu'on pourra acheter. Pourtant, ce n'est pas forcément ce qui se passe, en particulier dans la presse canadienne, à cause de ses contraintes économiques. Il est très difficile de créer des journaux concurrents dans une collectivité à journal unique.

Ce que nous espérons tous, je pense, c'est que la technologie, qui est toujours plus accessible et meilleur marché, permettra tôt ou tard à n'importe qui de créer des journaux concurrents ou des sites Web qui présenteront d'autres points de vue. Cependant, nous n'en sommes pas encore là. Les sites Web de nouvelles les plus fréquentés sont ceux de nos médias traditionnels. Voilà ce que les gens consultent. Personne n'a le temps de naviguer sur Internet à la recherche d'opinions différentes, dont certaines ne sont pas fiables parce qu'on n'en connaît pas l'origine. On recherche toujours des formes conventionnelles d'information sur les sites Web, et je pense que la technologie devrait un jour nous permettre d'y trouver autre chose.

Je le répète, nous vivons une période de transition et je pense qu'il est essentiel, même dans la situation actuelle, de préserver les droits de nos citoyens.

Le sénateur Tkachuk : Vous avez dit au sénateur Munson que le choix est actuellement limité ou moindre. Je ne sais pas si ce sont exactement vos propos, mais je pense que c'est ce que vous vouliez dire. Dans un grand marché comme celui de Toronto, on trouve le Globe and Mail, le National Post, le Toronto Star et le Sun, soit quatre journaux.

M. Raudsepp : Oui.

Le sénateur Tkachuk : À Saskatoon, où j'ai habité à partir de mes études universitaires, il n'y en avait qu'un seul. Cependant, grâce à la technologie, je peux maintenant accéder également au Globe and Mail et au National Post, et je peux acheter tous les journaux du monde à la librairie. Je peux trouver dans ma ville beaucoup plus de journaux qu'autrefois.

M. Raudsepp : Oui.

Le sénateur Tkachuk : Comment pouvez-vous dire qu'on a moins de choix qu'avant?

M. Raudsepp : Je pense que vous avez beaucoup de chance si vous habitez à Toronto ou si vous avez accès à tous ces journaux à Toronto. Ce n'est pas vrai partout dans le reste du pays. Il reste des régions qui sont beaucoup moins bien desservies, voire qui sont très mal desservies.

Le sénateur Tkachuk : Par exemple?

M. Raudsepp : Au Québec, il existe 11 ou 12 quotidiens. En Ontario, il y en a une quarantaine, soit quatre fois plus. Il est évident que les Ontariens ont beaucoup plus de quotidiens à leur disposition que les Québécois. À la campagne, tout le monde n'est pas branché à l'Internet. Les Canadiens n'ont pas tous des ordinateurs, et il reste bien des endroits où cette forme d'information n'est pas disponible. Certaines localités n'ont pas d'ordinateurs et ne sont pas branchées à l'Internet.

À mon sens, c'est une partie du problème. Il est essentiel de permettre l'élaboration d'une infrastructure. Le gouvernement a peut-être un rôle à jouer dans ce domaine, un rôle plus important, notamment en matière de restrictions du droit de propriété, etc. Si l'on peut créer les conditions permettant à chaque citoyen d'accéder aux médias sur un pied d'égalité, on progressera dans la bonne voie.

Le sénateur Merchant : Je ne saisis pas encore très bien. Nous parlons du rôle du gouvernement. Moi aussi je vis en Saskatchewan, et je me rends à Estevan et dans d'autres petites communautés, et le matin, des journaux sont disponibles à l'hôtel, notamment le Globe and Mail et le National Post. Comme le sénateur Tkachuk l'a signalé, il est très facile d'obtenir plus de renseignements que par le passé.

Je ne voudrais pas que le gouvernement se mêle trop de notre vie de tous les jours, parce que je crois que la survie des journaux dépend du public, à savoir s'il lit ces journaux, s'il les achète et si les clients décident d'acheter de la publicité dans ces journaux. Si personne ne lit le journal, aucun client ne voudra y faire paraître sa publicité.

Le marché dictera les résultats. Peut-être y a-t-il trop de journaux. Ils ne pourront peut-être pas tous survivre, parce que le public n'obtient plus toutes leurs nouvelles dans les journaux. Les gens ne lisent plus les journaux, et je crains que nous n'essayions de ressusciter un corps mort, et ça ne sera pas possible. Je ne sais pas. Je ne comprends pas vraiment ce que vous entendez quand vous parlez du rôle du gouvernement. Nous, les résidents de l'Ouest canadien, ne voulons pas accorder un trop grand rôle au gouvernement, parce que ce dernier est très loin. Ottawa c'est très loin de North Battleford et nous nous sentons isolés. En fait, le gouvernement ne reflète pas nécessairement ce qui nous intéresse.

Le sénateur Tkachuk : Et ça vient d'une libérale.

Le sénateur Merchant : C'est vrai, je suis libérale.

Chaque matin, il y a une copie du National Post à ma porte, pas le Globe and Mail. Ici, je ne peux pas obtenir le National Post le matin. Donc, nous sommes différents. Le Canada est un pays vaste et fort diversifié pays. Alors, nous sommes loin les uns des autres, et peut-être les nouvelles devraient-elles représenter un facteur qui nous unit. Nous ne sommes pas entichés du gouvernement.

M. Raudsepp : Ce que vous dites est un peu ironique, parce qu'après tout vous êtes le gouvernement. Vous représentez les citoyens, une province, et vous êtes en mesure de prendre des décisions sur diverses questions comme celle-ci. De plus, j'aimerais ajouter que je ne pense pas que nous soyons une industrie à l'article de la mort — pas du tout. J'ai dit qu'on faisait un peu d'embonpoint, qu'il y avait eu une certaine détérioration, peut-être en raison des techniques de marketing qu'on adopte. C'est le problème à mon avis. Évidemment, la diversité est un facteur parce que tous les propriétaires des journaux appartiennent pratiquement à une couche particulière de la société. Il s'agit donc d'une représentation fort inégale.

Au siècle dernier à Montréal, il y avait beaucoup de journaux; ils représentaient divers partis ou étaient associés à des religions particulières. Le journal protestant, The True Witness, avait une orientation plutôt évangélique. Il y avait un journal catholique qui était très conservateur et ultramontain. On y exposait divers points de vue; ce journal ne paraît plus. Il existe une classe qui ne représente vraiment rien sauf l'appât du gain.

Il existe parfois une certaine limite quant à ce qui sera publié dans les journaux. L'affaire Adbusters m'intéresse vivement. C'est un groupe qui essaie de présenter sa publicité aux réseaux nationaux de télévision et dans divers journaux, mais qui n'y réussit pas. Pourquoi? Parce qu'il produit des annonces ou des messages qui essaient de dire aux Canadiens qu'ils doivent penser à l'obésité et à la violence au sein de la société et des médias; c'est un groupe qui présente McDonald's comme étant indirectement une des causes de l'obésité dans la société canadienne.

Cependant, divers médias ont refusé de diffuser ces annonces, affirmant qu'elles vont à l'encontre de leur éthos : «  Nos revenus proviennent exclusivement de la publicité, et nous ne dirons rien contre nos sources de revenu; nous n'accepterons donc pas votre publicité.  » Cela veut dire que les Canadiens n'ont pas accès à un certain point de vue, pas de la même façon que si ces annonces publicitaires paraissaient aux réseaux nationaux par exemple.

Il y a des éléments comme celui-ci et il y a d'autres exemples qui permettent d'expliquer pourquoi nous avons l'impression parfois qu'il y a une homogénéité de points de vue et d'informations. Ce à quoi je m'oppose le plus, c'est la banalité et l'homogénéité. Je crois que c'est ce que nous voulons surmonter d'une manière ou d'une autre, si nous le pouvons.

Le sénateur Merchant : Faut-il en rendre les propriétaires de journaux responsables? À la télévision américaine, la droite comme la gauche sont représentées. Je ne le vois pas vraiment à la télévision canadienne. Aux États-Unis, les gens n'ont pas peur de dire ce qu'ils ressentent. Au Canada, parfois les gens ont l'impression de ne pas être représentés. Il y a quelques jours, une théoricienne conservatrice, avec un « c » minuscule, a comparu devant le comité et nous a dit qu'elle ne pouvait pas faire connaître son opinion. Elle a essayé, mais les médias apparemment ne veulent pas parler de cela. Pourquoi nous en prenons-nous aux propriétaires? Peut-être cela a-t-il quelque chose à voir avec les journalistes auxquels vous attribuez des diplômes? Je ne sais pas. C'est aussi un des ingrédients de ce mélange de raisons. Est-ce que vos étudiants maintenant sont différents de ceux d'autrefois?

M. Raudsepp : Ils sont meilleurs qu'ils ne l'ont jamais été. Nos étudiants de deuxième cycle sont excellents, ils sont plus talentueux, plus capables que ceux des générations qui les ont précédés. Comme je le disais, j'ai enseigné le journalisme pendant 26 ans et je sais que les journalistes savent fonctionner dans un monde beaucoup plus complexe; ils sont beaucoup plus au courant de la technologie, de l'utilisation des ordinateurs. Ils peuvent s'accommoder sans problème de cette convergence.

Le sénateur Merchant : Je ne parle pas de cela cependant. Ont-ils peur de dire ce qu'ils pensent? Je ne parle pas de la technologie.

M. Raudsepp : Eh bien, non. Par exemple, nos étudiants sont sélectionnés sur une base concurrentielle. Nous ne prenons pas tous ceux qui en font la demande. Nous accueillons en gros une demande sur trois ou une sur quatre, et ces étudiants sont tous excellents. Ils pourraient être admis dans n'importe quel programme au pays. En général, ils viennent de l'école secondaire ou du cégep avec des moyennes de 85 et plus; donc ce sont des personnes intelligentes.

Cependant, ils me disent souvent que s'ils ont la chance de trouver un travail — parce que trouver un travail dans le domaine des médias n'est pas très facile de nos jours, je pense qu'on vous l'a dit —, ils n'ont pas l'occasion de mettre en pratique ce qu'ils ont appris dans les écoles de journalisme. Nous essayons de leur enseigner une vision idéaliste du journalisme, c'est-à-dire que si vous avez l'intention d'écrire un article, vous devez faire certaines recherches, vérifier les informations et parler à diverses sources, etc.

Ce n'est pas ce que la plupart des journalistes font de nos jours. On les envoie couvrir des conférences de presse, des discours, des réunions. Au moins les trois quarts des informations que vous lisez dans les journaux ne sont pas le résultat du travail des journalistes, mais on les leur a données sur un plateau. Ils n'ont pas le temps de réfléchir à l'orientation que prend notre société, au genre de société que nous souhaitons, aux reportages que nous pouvons faire qui aideront nos citoyens, nos lecteurs, nos téléspectateurs à comprendre notre société. C'est quelque chose qui se produit. Ce n'est pas quelque chose qui n'existe pas, cela se produit, mais pas aussi souvent qu'il le faudrait. Je pense que c'est cela le problème... la qualité diminue.

Ce sont les propriétaires de journaux qui ont donné le ton. Nous avons demandé : «  Est-ce une fonction de ce que font les propriétaires?  ». Oui, parce que les propriétaires peuvent décider de donner à leurs journalistes un jour, deux jours, une semaine, deux semaines pour faire des recherches sur lesquelles appuyer leur reportage. Cependant, ils ne leur donnent pas ce temps. Y a-t-il suffisamment de journalistes? Je pense que nous devrions en avoir plus, parce que nous utilisons trop le fil de presse, trop de reportages ou d'articles déjà faits, et cela est le fait des propriétaires, qui le font parce que c'est moins cher. Ainsi, ils font plus de profits.

La ligne est très ténue entre diminuer la qualité et essayer d'atteindre un point où le public est encore assez satisfait et ne boudera pas les médias, et franchir cette ligne et tuer la poule aux œufs d'or. Nous sommes peut-être sur le point de faire ce pas.

Le sénateur Eyton : Merci, monsieur, d'être venu ce matin. Vous avez fait quelques commentaires favorables à la Commission Kent et au gouvernement, agissant en tant qu'arbitre. Heureusement, la cohorte libérale à ma droite a posé ces questions et j'estime donc que je peux laisser tout cela, sauf pour dire que dans presque toutes les cas, la meilleure gouvernance que je connaisse est dans mon foyer, ensuite dans ma circonscription, mon quartier, ma municipalité, ma province et enfin au niveau fédéral, qui serait mon dernier choix, parce qu'il est tout simplement éloigné.

Je crois qu'il y a un historique d'une intervention fédérale malheureuse. La Commission Kent, par exemple, a pratiquement disparu. Elle a produit son rapport, elle a fait du bruit; heureusement, on n'y a pas donné suite et on n'en parle plus maintenant. Tout cela me réjouit et je suis heureux que mon ami libéral pense la même chose.

La présidente : Il s'agit d'une enquête apolitique.

Le sénateur Eyton : C'est ce que je vois.

Le sénateur Eyton : Deuxièmement, nous avons eu quelques entrevues merveilleuses avec de nombreuses personnes représentant tous les secteurs des médias. Je fais partie du comité et, en gros, j'estime est que nous avons de la chance d'avoir les médias que nous avons au Canada. D'après moi, il y a peu d'endroits où on pourrait dire qu'ils sont meilleurs. Je pense que les Canadiens ont plus de choix, plus de diversité, plus de médias responsables et plus d'information disponible que, par exemple, nos amis les Américains.

Je voyage beaucoup, fréquemment aux États-Unis. J'ai beaucoup de difficultés à rester informé là-bas, je suis toujours très heureux de revenir à Toronto ou, dans le présent cas, à Montréal et d'obtenir ma dose d'information locale. Il ne s'agit pas simplement d'information locale; je n'ai pas seulement les nouvelles d'ici, on me parle de ce qui se passe dans le monde, de ce qui se passe en Afrique et au Moyen-Orient, d'une manière rationnelle, intelligente.

À ce comité, j'ai pris le point de vue que les médias au Canada ne sont pas dans un État où il y a d'énormes problèmes à régler, mais plutôt que nous avons de la chance d'avoir de bons médias qui font un bon travail et qui savent comment s'améliorer. Je prends une attitude positive face à cela.

Ce ne sont que quelques commentaires personnels. J'aimerais en savoir un peu plus en ce qui concerne votre école de journalisme.

Vous avez dit que les étudiants sont meilleurs qu'ils ne l'ont jamais été. Cependant, je me demande si vous pouvez nous parler un peu plus de l'histoire de votre école, de son évolution, quand elle a été fondée, combien d'étudiants la fréquentent, d'où ils viennent, le genre de formation que vous essayez de leur donner et où ils vont une fois qu'ils ont obtenu leur diplôme.

M. Raudsepp : Bien sûr. La faculté de journalisme à Concordia a été fondée il y a 30 ans, nous allons célébrer notre trentième anniversaire. Au début, elle était relativement petite, offrant uniquement une mineure en presse écrite et, à partir de là, nous l'avons développée progressivement. Nous avons ajouté la radiodiffusion et maintenant nous offrons toute une gamme de programmes : presse écrite, radio, télévision et en ligne sur Internet. Nous accueillons 86 étudiants par année. Il s'agit d'un programme de trois ans, de sorte que nous avons à peu près 250étudiants à l'école.

Nous avons également ce que nous appelons un programme de deuxième cycle, qui s'adresse aux étudiants qui possèdent déjà un diplôme du premier cycle. Puisque ces étudiants sont plus âgés, sont plus mûrs, ils peuvent suivre à plein temps un programme très intensif d'un an, trois semestres, qui est essentiellement le même, mais peut-être à un niveau un peu plus poussé que celui que les étudiants du premier cycle font en trois ans. Nombre d'entre eux sont déjà titulaires de divers diplômes. Il n'est pas obligatoire qu'ils aient déjà étudié en journalisme. Nous avons eu des étudiants qui possédaient déjà un doctorat et nous avons eu également des chirurgiens vétérinaires, des ingénieurs, des gens d'affaires, des diplômés en musique, et j'en passe, beaucoup de gens avec une maîtrise. Récemment, nous avons accueilli plusieurs avocats au programme.

C'est le genre de qualité que, d'après moi, vous trouvez dans les écoles de journalisme aujourd'hui. L'idée, c'est de prendre ces étudiants, qui en général ont peu d'antécédents en ce qui concerne les médias et, en trois ans au premier cycle ou en un an au deuxième cycle, en faire des journalistes compétents, qui peuvent travailler dans n'importe quelle salle de presse, que ce soit pour la presse écrite, la radio, la télévision ou en ligne. D'une manière générale, cela fonctionne. Nous avons connu passablement de succès; nous avons des diplômés partout au pays, partout dans le monde. Nous accueillons des étudiants étrangers également.

C'est de plus en plus difficile, pour certains d'entre eux, de trouver des emplois maintenant, parce que le nombre de médias a diminué, mais l'intérêt ne se dément toujours pas pour le journalisme. Nous refusons des étudiants. Comme je l'ai dit, nous acceptons une demande sur trois ou quatre. Nombre de nos étudiants, s'ils persévèrent, finissent par se lancer dans les médias d'une façon ou d'une autre, peut-être en tant que pigistes. Il y a beaucoup plus de travail fait à la pige par nos diplômés qu'auparavant et, dans quelques cas maintenant, les diplômés disent que c'est ce qu'ils recherchent, une carrière de pigiste, parce qu'ils veulent pouvoir faire des reportages sur ce qui les intéresse et ce qui les touche. Parfois, il s'agit un peu d'un rêve, parce qu'ils se rendent compte qu'en tant que pigistes, il faut qu'ils suivent le marché et ils se rendent compte qu'ils ne peuvent pas toujours faire uniquement ce qu'ils veulent.

Le sénateur Eyton : Quelles sont les origines de vos étudiants? Viennent-ils de toutes les couches de la société?

M. Randsepp : Oui. Concordia n'est pas une école pour l'élite. Nous avons beaucoup d'étudiants qui sont les premiers dans leur famille à aller à l'université. En général, il s'agit plus d'étudiants d'origines ethniques différentes qu'à McGill ou que dans d'autres universités. Au cours de mes 26 ans comme professeur, les nombres ont été relativement stables en fait de pourcentage hommes-femmes, deux tiers de femmes pour un tiers d'hommes. Et c'est encore le cas. Je ne pense pas que cela déjà se reflète dans les salles de presse, où il est évident qu'il n'y a pas deux tiers de femmes. Très peu de salles de presse, s'il y en a, présentent ce genre de pourcentage.

Nous avons des étudiants d'origines ethniques différentes et des minorités visibles, de même que des minorités un peu moins visibles. C'est un mélange très sain d'après nous. Je pense qu'il y a, chez les étudiants, un foisonnement des différentes expériences, valeurs et idées. Comme vous le savez, Concordia a connu quelques perturbations publiques dernièrement.

Le sénateur Eyton : L'université a fait la une.

M. Randfsepp : Elle a fait la une. Cependant, ces perturbations ont en général fait partie d'un processus d'adaptation, à mesure que les étudiants qui viennent d'ailleurs essayent de s'installer au Canada et de s'adapter à notre style de vie, et ce n'est pas toujours une transition facile.

Le sénateur Eyton : Nous parlons de deux aspects qui sont importants et j'ai fait la distinction entre les deux. L'un est la convergence, c'est-à-dire la technologie et ce qui en découle, et l'autre est la concentration et la propriété commune.

Vous avez en fait parlé contre la convergence et parlé des besoins de séparer plutôt que de rassembler. Cependant, j'aurais pensé, que d'un point purement d'affaire, cette convergence devrait me fournir la possibilité de faire mieux, d'avoir un meilleur bilan, de faire plus d'argent et de pouvoir soutenir plus d'efforts, par exemple, des agences internationales, de meilleurs rédacteurs, une meilleure documentation, ou de meilleurs formats d'impression.

N'y a-t-il pas moyen de défendre ce que nous appelons «  la convergence intelligente  » qui fournirait un meilleur modèle d'affaire, de sorte que vous pouvez en fait mieux raconter votre histoire?

M. Randsepp : En théorie, cela peut être possible. En réalité, je ne le vois pas se produire. Je pense que beaucoup des propriétaires ont pris les économies, ont pris l'argent, et sont partis avec. Ils ne le réinvestissent pas dans l'entreprise pour l'améliorer de façon marquée, certainement pas pour ce qui est des actualités. Comme je l'ai dit plus tôt, en faisant la promotion de leurs autres programmes et de leurs autres produits, ils consacrent certainement plus de temps et plus d'efforts à la publicité multimédia des programmes des uns et des autres.

En ce moment, je crois fermement que les inconvénients de la convergence sont beaucoup plus importants que n'importe lequel des avantages ne le sera dans un avenir proche, à moins de voir un changement important.

[Français]

Le sénateur Chaput : Je suis francophone du Manitoba. Ma perspective est donc souvent celle de la minorité franco- manitobaine dont je fais partie. J'aime toutefois examiner l'aspect global d'une situation avant d'apporter des suggestions. Le gouvernement, à mon avis, a un rôle sur le plan global de la situation des médias. Sans toutefois exercer un contrôle, le rôle du gouvernement, en ce qui a trait aux médias, devrait se faire, comme vous l'avez mentionné, de façon structurée et selon un minimum de critères.

Comme nous le savons, les médias écrits ont une influence réelle et un impact sérieux. Les médias doivent respecter certaines valeurs fondamentales lorsqu'ils s'adressent aux Canadiens et aux Canadiennes. Le gouvernement a donc un minimum de responsabilité dans ce domaine.

Les médias ont, eux aussi, certains rôles et certaines responsabilités. Il ne fait aucun doute qu'ils sont libres d'assumer leur rôle en tant que propriétaires. Après tout, les affaires sont les affaires. Ils jouissent également de la liberté d'expression. Cette liberté d'expression est très importante et doit demeurer, car elle fait en sorte que les journaux reflètent vraiment la réalité. Mais, les médias ont aussi une responsabilité sociale. Ils doivent informer et le faire de façon juste, car cette information a une influence.

Les médias ont également la responsabilité de répondre aux besoins des Canadiens. Les Canadiens du futur sont les jeunes, mais les nouveaux Canadiens sont également les immigrants qui arrivent depuis plusieurs années et qui, de plus en plus, prennent leur place au sein de notre pays.

Il faut répondre aux besoins des jeunes et de cette nouvelle minorité, celle des nouveaux immigrants. À la lumière de vos propos, et de ceux de M. Straw, les jeunes se retrouvent sur l'Internet et sont attirés par les articles courts et qui se lisent rapidement. Ils n'achètent pas de journaux, mais sont prêts à payer très cher un billet de spectacle si ce dernier les intéresse. Il existe donc des besoins chez les jeunes qui ne sont pas comblés.

Pour les immigrants, on retrouve en circulation plusieurs journaux publiés dans la langue respective de ces minorités culturelles. Ces journaux sont lus en très grand nombre. Il existe donc un besoin dans ce secteur, mais il existe également un grand besoin de nouvelles internationales. Les immigrants, de plus en plus nombreux, veulent savoir ce qui se passe dans leur pays d'origine.

Cela dit, quelles seraient vos suggestions pour l'avenir de nos médias?

M. Raudsepp : Si vous permettez, il me sera plus facile de répondre en anglais.

[Traduction]

Tout d'abord, je suis d'accord avec presque tout ce que vous avez dit, en fait, pratiquement tout ce que vous avez dit. Je comprends votre préoccupation pour les jeunes et pour les néo-Canadiens, et pour savoir s'ils sont bien servis. C'est une question très difficile, parce que je trouve parfois, même parmi nos propres étudiants, qu'ils n'accèdent pas aux médias autant qu'ils le devraient. Certains d'entre eux sont de véritables accros des médias, ils lisent, ils écoutent, ils regardent tout. Cependant, il y en a aussi plusieurs qui déclarent vouloir devenir journalistes, mais qui ne lisent pas régulièrement les journaux. Ils le feront, si on le leur demande ou si c'est un devoir qu'ils ont à faire. S'ils ont ce genre de problème, qu'en sera-t-il une fois qu'ils auront quitté le monde fermé de l'école?

J'ai moi-même trois enfants adultes qui ne vivent plus à la maison, mais j'ai observé leurs habitudes face aux médias et celles de leurs amis qui n'ont rien à voir avec le journalisme, et je pense que c'est absolument vrai, comme vous le dites, et les études le prouvent, que les jeunes se détournent des médias, certainement des médias d'information, dans une très grande mesure.

Je n'en suis pas vraiment surpris parce que si vous considérez la situation à Montréal, par exemple, sur le marché anglophone, les dirigeants du journal The Gazette ont fait des efforts pour rejoindre les jeunes. Ils ont publié des pages spéciales de musique pour les jeunes, de culture pour les jeunes, etc. Ils ont fait des promotions avec des journaux dans les salles de classe. C'est quelque chose, manifestement, qui n'est pas circonscrit à Montréal. Cependant, rien de cela n'a très bien fonctionné.

Et l'une des raisons pour cela, c'est que nous avons un très grand nombre de journaux gratuits disponibles. Nos jeunes, s'ils veulent savoir ce qui se passe dans les domaines qui les intéressent, ils vont chercher Mirror, Hour, Voir ou Ici, qui sont les tabloïds hebdomadaires qui répondent à leurs intérêts et qui touchent aux questions de divertissement, il n'y a pas beaucoup de politique là-dedans. Par ailleurs, il y a une certaine mentalité de contre-culture dans ces journaux qui remet fréquemment en question les politiques et les enjeux de l'establishment.

Ils obtiennent ce qu'ils veulent. Si un évènement important survient, ils vont se tourner vers Internet plutôt que vers d'autres sources. C'est là, par exemple, qu'ils obtiendraient des informations sur le 11 septembre ou sur des choses de ce genre.

Ils ont créé une sorte de culture et une sorte de style de vie qui n'utilisent pas constamment les médias. C'est une utilisation sporadique, en fonction du besoin de savoir, plutôt qu'une habitude. Je pense que la plupart des gens de notre génération ont l'impression que leur journée n'est pas finie s'ils n'ont pas lu les journaux ou écouté les actualités du soir, parce que nous voulons savoir que tout va bien dans le monde et que nous pouvons continuer à vivre. Les jeunes ne ressentent pas cela.

Je ne connais pas la réponse; c'est une question très difficile. Je pense que cela n'augure rien de bon pour nos médias, dans une certaine mesure sans doute. Cela signifie des auditoires à la baisse, des lecteurs à la baisse, ce qui complique la production d'un produit.

En ce qui concerne les néo-Canadiens, je pense que la radiodiffusion devient le principal point d'accès. Une fois de plus, si l'on parle de notre situation locale, le journal The Gazette a une colonne hebdomadaire dans laquelle on présente quelqu'un qui écrit un article dans une langue autre que l'anglais. Cependant, je ne suis pas sûr que cela évoque plus qu'une réaction très limitée.

La radiodiffusion est la façon de rejoindre ces gens, par l'intermédiaire des stations de radio et de télévision. Je pense que le CRTC devrait simplement permettre toute cette programmation. Le CRTC a fait tout un plat au sujet de Al- Jazeera et de la chaîne italienne par satellite, le CRTC essaie d'imposer diverses conditions, essaie de laisser entendre que le marché italien est déjà desservi par une autre station, de sorte que vous ne pouvez pas avoir ce genre de concurrence. Je pense que c'est une vraie farce. Le CRTC devrait simplement autoriser la création de ces stations de radio, stations de télévision, et si quelqu'un dépasse les limites, il y a d'autres moyens légaux de composer avec ce problème. Cela ne devrait pas être une censure préventive.

La présidente : Merci beaucoup. Nous n'avons plus de temps, alors je vais faire quelque chose que nous faisons de temps à autre. Je vais poser ma question et vous demander de nous envoyer votre réponse par écrit.

Je reviens à votre suggestion, selon laquelle nous devrions recommander un certain contrôle sur la propriété des médias. Si nous avons l'intention de dire que quelque chose doit être fait, il nous faut être un peu plus précis. Je voudrais savoir, en plus de détails, ce qui, d'après vous, serait approprié, parce que tout malheur a de bons côtés et parce que chaque solution apporte ses propres inconvénients. De quoi parlez-vous? Parlez-vous d'interdire toute propriété croisée dans les médias? Parlez-vous de contrôler les propriétés croisées des médias dans certains marchés et, le cas échéant, un contrôle fondé sur quels critères — selon la taille de l'auditoire? Selon la situation géographique? En gardant à l'esprit que dans un marché libre, vous devez avoir des gens qui veulent acheter tout comme des gens qui veulent vendre, qui, selon vous, seraient des acheteurs plus acceptables si les propriétés des médias étaient à vendre : les sociétés qui se concentrent uniquement sur les médias, même si cela inclurait des médias multiples ou des conglomérats qui sont peut-être intéressés uniquement dans une branche des médias, mais qui ont beaucoup d'autres intérêts commerciaux? Vous voyez les complexités?

M. Raudsepp : Bien sûr.

La présidente : Pouvez-vous répondre à ces questions pour nous, s'il vous plaît?

M. Raudsepp : Je vais essayer.

La présidente : Nous ferons circuler votre réponse.

M. Raudsepp : Je ne garantis pas que la réponse va résoudre le problème, mais je ferai de mon mieux.

La présidente : Non, mais faites une suggestion, et je voudrais juste que dans mon esprit la nature précise de cette suggestion soit plus claire.

M. Raudsepp : Oui, c'est normal.

La présidente : Nous vous remercions beaucoup d'être venu. Cela a été intéressant et je suis désolé d'avoir à y mettre un terme. C'est la tâche difficile qui incombe à toute personne qui assume une présidence.

M. Raudsepp : Bien sûr. Merci de m'avoir écouté et je vous souhaite de bonnes délibérations.

[Français]

La présidente : Nous accueillons maintenant les représentants du Syndicat des travailleurs de l'information du Journal de Montréal. M. Martin Leclerc est président du Syndicat et M.Jérôme Dussault est vice-président.

Nous vous souhaitons la bienvenue au comité. Je vois que vous avez préparé un document volumineux, mais je crains que vous n'ayez le temps de le lire au complet.

M. Martin Leclerc, président du Syndicat des travailleurs de l'information du Journal de Montréal : Pour aider le comité dans ses travaux, nous avons jugé bon de colliger pour vous toutes les positions publiques que nous avons prises au sujet de la propriété croisée et de la concentration de la presse au fil du temps.

La présidente : Nous en sommes ravis. Je vous demanderais de limiter votre présentation liminaire à dix minutes afin que nous puissions par la suite vous poser quelques questions.

M. Leclerc : Mesdames, messieurs, distingués membres du comité, au nom des quelques 300 membres du Syndicat des travailleurs de l'information du Journal de Montréal, je vous remercie de l'invitation qui nous a été faite de collaborer aux travaux de votre comité.

Notre présence ici, nous l'espérons, vous permettra de mieux comprendre ou mieux cerner les effets négatifs des grands mouvements de propriété survenus au cours des dernières années dans l'industrie canadienne des médias, eut égard à la qualité et à la diversité de l'information que reçoivent chaque jour nos concitoyens.

Le sujet est aussi vaste que l'est devenu l'empire Quebecor. Je limiterai donc mon intervention aux effets ressentis sur le terrain, dans notre salle de rédaction, depuis l'acquisition par Quebecor du réseau de télévision TVA. Au sein de la famille Quebecor Média, nous sommes sans doute les mieux placés pour témoigner des effets de la propriété croisée et de la concentration de la presse, vus de l'intérieur.

En 1997, lorsque Quebecor s'est porté acquéreur de Télévision Quatre Saisons, notre organisation s'est présentée aux audiences du CRTC pour se prononcer en faveur de la transaction, à condition que le réseau se dote d'un comité de surveillance capable d'assurer l'indépendance de la salle de nouvelles de TQS et de la salle de rédaction du Journal de Montréal, et ce, tant au niveau de l'information que de la promotion. Le CRTC a créé un comité, doté de pouvoirs limités, qui n'a finalement jamais pu accomplir le travail qu'on attendait de lui.

En 1999, notre syndicat a déposé une plainte relative à deux interventions de la haute direction de TQS dans le contenu du Journal de Montréal pour orienter l'information concernant ce réseau. Cette plainte — dont vous trouverez copie en annexe du document que nous vous avons remis ce matin — logée auprès du comité de surveillance de TQS n'a pu être investiguée parce que les cadres du Journal de Montréal ont refusé de rencontrer les membres du comité de surveillance. On prétendait, à ce moment, que la juridiction du CRTC ne s'étendait pas aux journaux de l'empire Quebecor.

Au terme de ses travaux, le Comité de surveillance de TQS, dont M. Pierre Trudel faisait partie, avait cependant tiré deux importantes conclusions. La première de ces conclusions était la suivante, et je cite :

La question de l'indépendance des salles de nouvelles des entreprises appartenant à un groupe industriel aussi important que Quebecor concerne le public [...] Tous les partenaires de cette famille d'entreprises devraient avoir le souci de garantir effectivement, aussi bien dans la réalité que dans les apparences, l'indépendance des salles de rédaction des diverses entreprises appartenant à CQI (Quebecor).

La deuxième conclusion du Comité de surveillance était la suivante :

Des distinctions doivent être faites entre les pressions mettant en cause la liberté éditoriale et les alliances de marketing découlant des pratiques usuelles de l'industrie. Les activités de TQS et CQI (Quebecor) s'inscrivent dans une logique commerciale [...] Mais ce phénomène, tout à fait légitime dans une économie de marché, ne doit pas mettre en péril l'indépendance éditoriale des professionnels de l'information.

Constatant que l'expérience de TQS n'avait pas été concluante ni satisfaisante en ce qui a trait aux garanties offertes au public en matière de qualité et de diversité de l'information, le syndicat que je représente a choisi, en 2001, de participer aux travaux de la Commission québécoise de la culture, qui se penchait sur la concentration de la presse, et aux audiences du CRTC pour se prononcer contre l'acquisition du réseau TVA par Quebecor. Vous trouverez en annexe copie des documents présentés à l'époque.

Voici le passage qui résumait le mieux nos préoccupations, il y a trois ans. Ce passage est tiré du mémoire que nous avons déposé au CRTC en 2001.

En fait, si ce transfert était avalisé, l'emprise de Quebecor sur le monde de l'information deviendrait incroyablement tentaculaire. Une chanteuse pourrait faire la première page d'un magazine de Quebecor, passer dans une émission de télé de Quebecor, voir son spectacle produit par une filiale de Quebecor, être critiquée par le Journal de Montréal ou le Journal de Québec (Quebecor), observer des extraits dudit spectacle sur un site Internet Quebecor, puis voir sa vie racontée dans une biographie autorisée Quebecor, sa photo diffusée sur des tee-shirts Quebecor, et sa carrière relancée par un nouveau disque Quebecor. Une telle emprise sur la pensée frôlerait le totalitarisme. Et ce n'est pas parce que l'exemple concerne la culture populaire qu'il faut le prendre à la légère.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, c'est à peu de choses près la situation à laquelle on assiste présentement au sein de l'empire Quebecor.

Les jeunes chanteurs et chanteuses de Star Académie sont propulsés au rang de méga stars par le Journal de Montréal, le Journal de Québec et tous les magazines de Quebecor; ils peuvent par d'ailleurs être épiés en direct sur Internet par le truchement d'un site dont l'accès est réservé en exclusivité aux clients de Vidéotron; ils lancent des disques produits par Quebecor qui sont vendus chez Archambault Musique, propriété de Quebecor, puis donnent des spectacles en salle qui défraient à nouveau les premières pages des journaux et des magazines, ce qui a pour effet de stimuler la vente de billets, de disques et de tee-shirts.

Il y a quelques mois, fort préoccupé par ce phénomène, notre syndicat a logé une plainte auprès du Conseil de presse du Québec pour dénoncer ces pratiques. La fâcheuse tendance de Quebecor à intégrer la promotion de ses activités commerciales à l'intérieur du contenu éditorial de ses journaux est sans doute logique et peut sembler une réussite dans une perspective d'affaires. Elle demeure toutefois inadmissible en vertu des responsabilités sociales qui incombent aux propriétaires et dirigeants de médias d'information.

Sur le terrain, l'avènement d'émissions de télé-réalité comme Star Académie et Occupation Double sur les ondes de TVA a donné lieu à des initiatives sans précédent de la part de la direction de l'information du Journal de Montréal. Ainsi, à leur première année de diffusion, au lieu de s'en remettre aux services de ses chroniqueurs affectés à la couverture de l'actualité télévisuelle, le Journal de Montréal a eu recours à deux journalistes temporaires, en contravention avec les dispositions de la convention collective, pour assurer une couverture à temps complet de ces deux émissions qui bénéficiaient d'une visibilité quotidienne minimale de deux pages dans le journal. Et pour être certaine de ne rien manquer, la direction de l'information a aussi créé une chronique dont le titulaire était chargé d'épier, sept jours sur sept, les participants de ces émissions par le truchement de l'Internet.

Par ailleurs, depuis deux ans, Star Académie et Occupation Double ont fait l'objet de manchettes à la toute première page du Journal de Montréal près de 200 fois, comme s'il s'agissait des nouvelles les plus importantes ou marquantes de l'actualité municipale, provinciale, nationale ou internationale.

Clairement, l'expérience des dernières années a démontré que les activités commerciales de Quebecor peuvent grandement influencer le contenu éditorial des quotidiens de l'empire, ce qui entre en contradiction directe avec le droit qu'a le public à une information juste et exempte de toute influence extérieure. Ces pratiques, arguons-nous auprès du Conseil de presse du Québec, minent non seulement la crédibilité de notre quotidien et de nos professionnels de l'information mais aussi la confiance qu'investit une grande partie du public en l'information que nous leur transmettons chaque jour.

Il n'est plus rare, le matin en se rendant au bureau, d'entendre un animateur de radio ou un lecteur de nouvelles tourner une manchette « convergente » de Quebecor en dérision. Les allusions moqueuses à l'endroit du Journal de Montréal sont aussi devenues monnaie courante lors des grands galas télévisés qui réunissent les artisans de la chanson ou de la télévision. Même les émissions humoristiques de fin d'année s'en donnent à coeur joie.

C'est ce qui s'est produit à l'émission de télévision Ceci n'est pas un Bye Bye, diffusée sur les ondes de Radio-Canada à la fin de l'année 2003. L'humoriste Louis Morissette qui apparaissait dans les sketchs dénonçant la convergence de Quebecor, a appris quelques jours plus tard que la nouvelle émission dont il était le titulaire à TVA venait de lui être retirée. C'est également la crainte de voir ce genre de situation surgir qui nous faisait dire, en 2001, qu'une telle emprise sur la pensée frôlerait le totalitarisme.

Un empire médiatique qui possède le plus important réseau de télévision francophone et occupe près de la moitié du marché francophone des quotidiens en plus d'avoir des intérêts dans l'édition, la production et la vente de magazines artistiques, de livres et de disques, a bel et bien le loisir de faire ou de défaire des carrières.

Lors de son récent témoignage devant votre comité, le porte-parole de Quebecor, M. Luc Lavoie, a beaucoup insisté sur le fait que les dirigeants et journalistes des salles de nouvelles et des salles de rédaction de Quebecor Media sont entièrement libres de traiter la nouvelle comme bon leur semble. Nous avons beaucoup de respect pour les talents de communicateur de M. Lavoie. Il fut d'ailleurs l'un des bons relationnistes ou, comme les journalistes disent affectueusement, « spin doctor » de sa génération lorsqu'il oeuvrait sur la colline parlementaire. Toutefois, nous ne partageons pas le moindre du monde son point de vue.

M. Lavoie parle tantôt d'indépendance des salles de rédaction, tantôt de promotion réciproque de différents médias de l'empire. En bout de ligne, personne n'est dupe. Cela signifie qu'un fantôme de l'opéra, en quelque part, orchestre cette promotion croisée et qu'il n'y a donc pas d'indépendance totale du Journal de Montréal par rapport à TVA.

La stratégie de promotion croisée des entreprises de Quebecor est à ce point mise de l'avant et encouragée que le groupe a récemment lancé un magazine interne intitulé Convergence. Cette revue se veut un outil de mise en valeur des retombées qu'apporte ce type de stratégie promotionnelle. On pouvait, notamment, y lire, dans le premier numéro, sous la plume de l'éditrice de la publication :

Ainsi donc, dans ce premier numéro de Convergence, vous verrez comment les entreprises de Quebecor Media ont passé avec grande distinction le test de la convergence en faisant de Star Académie un véritable triomphe à la télévision québécoise.

De plus, la directrice des communications et des promotions du Journal de Montréal, Marie-Claude Fichault, faisait état de la contribution de la salle de rédaction en disant :

Notre support a surtout été rédactionnel. Chaque jour, on trouvait des informations sur Star Académie, que ce soit dans les pages consacrées aux arts et spectacles ou dans la chronique Internet.

Les journalistes, photographes et chefs de pupitre du Journal de Montréal sont des professionnels de l'information rigoureux et minutieux, mais les déclarations de Mme Fichault illustrent parfaitement que ce ne sont pas les salariés de la rédaction qui déterminent quels sujets feront l'objet d'une couverture dans l'édition du lendemain. Ces choix éditoriaux relèvent uniquement des cadres de la salle de rédaction.

Quand les assignations sont remises aux journalistes et photographes, chaque sujet est traité selon les règles de l'art. Mais si tout le monde est appelé à couvrir des événements qui servent les intérêts économiques de Quebecor, on se trouve en présence d'une information biaisée à la source et l'intérêt des citoyens s'en trouve bafoué.

À la fin des années 1990, Pierre-Karl Péladeau a pris les rênes de la compagnie fondée par son père et il a, semble-t- il, hérité du don paternel de recruter des cadres loyaux. Que Quebecor ne dicte pas de ligne de conduite aux dirigeants des salles de rédaction, comme l'a prétendu M. Lavoie lors de sa comparution, ne change donc rien à la situation réelle sur le terrain. Pour reprendre une vieille expression québécoise, les dirigeants des salles de rédaction savent parfaitement de quel côté leurs rôties sont beurrées.

En résumé, l'expérience des trois dernières années nous amène à croire que le laxisme du CRTC et sa décision de bénir l'union de Quebecor et TVA s'est avérée profitable pour Quebecor mais néfaste pour la diversité et la qualité de l'information au Canada.

Notre conclusion sur le sujet demeure donc la même : Dans l'intérêt public et pour le respect de ce que nous sommes, soit des professionnels de l'information, la propriété croisée des médias d'information dans un même marché devrait être interdite au Canada.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Juste pour clarifier quelque chose que vous avez dit, je crois, et je veux juste être certaine d'avoir bien compris — Quebecor possède 50 p. 100 des médias d'information, la radio, la télévision et les journaux, à Montréal?

[Français]

M. Leclerc : Oui. Au Québec, Quebecor possède la moitié du tirage des grands quotidiens et possède aussi le réseau de télévision le plus écouté. Ces données s'appliquent au Québec, mais Quebecor possède également la quasi-totalité de tous les magazines qui sont sur le marché.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : La position forte que détient Quebecor dans les médias d'information au Québec a-t-elle été critiquée par les autres journaux, par la radio ou les stations de télévision?

[Français]

M. Leclerc : En 2001, suite à cette transaction, il y eut beaucoup de protestations de la part des représentants de divers groupes de journalistes. Les journalistes du réseau TVA, divers syndicats ou regroupements de syndicats comme la Fédération nationale des communications, sont venus manifester, indiquant que cette transaction serait mauvaise pour la qualité de l'information au Canada, et au Québec plus particulièrement où le marché est plus restreint.

Pour ce qui est de la taille dominante qu'occupe Quebecor sur le marché depuis ce temps, constamment dans les médias on fait référence au traitement que reçoivent les émissions ou les intérêts économiques de Quebecor dans les journaux.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Ce Star Académie, qu'est-ce que c'est? Je ne vis pas au Québec.

La présidente : Canadian Idol.

Le sénateur Tkachuk : Est-ce que c'est Canadian Idol au Québec?

La présidente : C'est comme Canadian Idol.

Le sénateur Tkachuk : Il me semblait que c'était ça. Je voulais en être certaine parce que je pensais que c'était très drôle. Est-ce que les journalistes qui travaillent pour les journaux et la télévision ont été intimidés pour s'assurer qu'ils suivent la ligne du parti, ou bien comment tout cela fonctionne?

[Français]

M. Leclerc : Cela se déroule de façon beaucoup plus subtile que par simple intimidation. Il suffit de placer les bonnes personnes aux bons endroits et le travail se fait sans problème.

Le journaliste qui occupe un poste à la section des arts et spectacles au Journal de Montréal, par exemple, reçoit à chaque jour de la part de son supérieur ou de sa supérieure des directives précises de sujets à traiter pour l'édition du lendemain. Si on lui donne deux pages par jour à remplir au sujet de Star Académie, le journaliste va donc aller faire son travail, de façon professionnelle, et essayer de tirer les nouvelles reliées à cet item, même s'il n'y a pas grand-chose à tirer. On se retrouve alors en bout de ligne avec une couverture incroyable.

Pour vous donner une idée, à une certaine époque trois ou quatre journalistes travaillaient à la couverture de Star Académie au Journal de Montréal. Pendant ce temps, sur la colline parlementaire à Ottawa, un courriériste parlementaire couvrait toute l'actualité sur la scène fédérale, alors qu'il s'agit de sujets qui revêtent une bien plus grande importance pour les Canadiens.

À notre avis, il y a une responsabilité sociale qui n'est pas tenue de la part de Quebecor, détenteur d'un média important, le quotidien le plus lu à Québec et le quotidien le plus lu à Montréal. Il suffit de placer les bonnes personnes aux bons endroits pour que des messages clairs soient véhiculés.

Notre rédacteur en chef précédent, M. Bernard Brisset, a fait entendre auprès de la haute direction, en 2003, certains arguments sur l'importance que devait donner le Journal de Montréal à la couverture des émissions de télévision. M. Brisset n'était pas tout à fait d'accord avec l'importance qu'on voulait accorder à ces items dans les pages du quotidien. Quelques semaines plus tard, M. Brisset se retrouvait sans d'emploi.

Je travaille pour le Journal de Montréal depuis 14 ans. Durant cette période nous avons eu huit directeurs en chef, huit directeurs des sports et, si ma mémoire est bonne, quatre ou cinq directeurs des spectacles. Le roulement chez les cadres est donc très important. Et les personnes en place savent parfaitement ce qu'elles doivent faire pour garder leur emploi le plus longtemps possible : il faut obéir aux orientations qui viennent d'en haut.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Seriez-vous d'accord avec l'idée, du moins en ce qui concerne la télévision, et non ce qui concerne les journaux, parce que le CRTC n'a pas grand-chose à voir avec ça, avec l'idée d'éliminer les restrictions au Québec et au Canada imposées par le CRTC, de façon qu'il soit beaucoup plus facile pour des concurrents de Quebecor de s'introduire sur le marché?

[Français]

M. Leclerc : De notre point de vue de journalistes, toute initiative qui permettrait d'élargir le nombre de voies auxquelles le public a accès serait bénéfique et on ne pourrait que s'en réjouir.

Vous avez posé certaines questions au témoin précédent sur l'accès à diverses sources de médias par le biais de l'Internet. Cet accès est en effet souhaitable. Toutefois, lorsque ces sources médiatiques proviennent de l'étranger, elles ne sont pas toujours très accessibles au public. Les gens ne s'y retrouvent pas et sont moins portés à les consulter.

Il serait souhaitable que nous ayons un plus grand nombre de sources d'informations locales et des informations plus diversifiées. Il faudrait également que l'on facilite l'accès de nouveaux joueurs sur le marché.

Le sénateur Chaput : M. Leclerc, en 1997, lorsque la transaction a été discutée, selon votre document, l'organisation que vous représentez s'est prononcée en faveur de la transaction. Quels étaient les éléments positifs qui ont fait que vous étiez en faveur? Et si vous vous étiez prononcés contre cette transaction, est-ce que cela aurait affecté la décision finale?

M. Leclerc : En 1997, notre proposition était favorable à la propriété croisée, l'achat par Quebecor du réseau de TQS, pour deux raisons. Tout d'abord, TQS était un petit réseau naissant et balbutiant qui éprouvait de sérieux problèmes économiques. Quebecor était la seule organisation qui s'était portée volontaire pour acquérir ce réseau de télévision et le sauver.

Il nous semblait donc préférable d'autoriser la propriété croisée plutôt que d'assister à la disparition d'un réseau de télévision francophone. Toutefois, notre accord à cette transaction était conditionnel à ce qu'un comité de surveillance doté de pouvoirs réels soit mis sur pied. Ce comité aurait pour mandat de s'assurer de l'indépendance mutuelle des deux médias.

Le CRTC a alors créé un comité qui avait pour mandat d'assurer l'étanchéité des salles de nouvelles, pour faire en sorte, par exemple, qu'un journaliste ne puisse rédiger un article au Journal de Montréal qui puisse être diffusé simultanément au réseau de Télévision Quatre Saisons. Le but était ainsi d'éviter que le travail des journalistes d'une boîte n'alimente un autre média en information. Toutefois, en pratique, le comité ne disposait d'aucun pouvoir sur l'indépendance des interventions promotionnelles d'un média à l'autre ou sur les discussions que pouvait avoir la haute direction d'un média avec celle d'un autre.

Des pressions existaient sur les chroniqueurs affectés à la télévision. L'éditeur du journal exigeait de lire tout ce que les chroniqueurs rédigeaient à Télévision Quatre Saisons. Lorsqu'on a demandé au comité d'enquêter sur cette situation, des questions furent posées aux cadres de Télévision Quatre Saisons. Lorsqu'on a voulu poser ces questions aux cadres du Journal de Montréal, on a répondu que le comité formé par le CRTC n'a absolument aucune juridiction. Par conséquent, on a refusé de répondre à ces questions.

L'enquête s'est donc heurtée à cet obstacle et n'a jamais pu donner suite à la question. On s'est aperçu que le comité n'avait pas de pouvoir et qu'en pratique l'indépendance des deux médias n'était pas protégée.

Le sénateur Chaput : Lorsque vous avez exigé que l'on mette sur pied ce comité et que cette proposition fut acceptée, a-t-on mis par écrit le mandat de ce comité et sa mise en application?

M. Leclerc : Non, aucun document ne fut proposé en tant que tel. On avait toutefois insisté sur deux points précis. Nous tenions à ce que ce comité ait le mandat de surveiller l'indépendance des deux médias tant au niveau de l'information que de la promotion.

Vous constaterez dans les premiers onglets après le discours et l'organigramme du document que nous vous avons lu, les exemples de couverture de Star Académie en première page du Journal de Montréal. Il s'est produit exactement la même chose lorsque TQS, à un certain moment, a lancé sa nouvelle programmation automnale et qu'elle s'est retrouvée à la une du Journal de Montréal. La page frontispice complète annonçait la nouvelle programmation de TQS, manchette qui n'a aucun rapport avec l'intérêt public et le mandat d'informer les gens correctement.

Le sénateur Chaput : En rétrospective, si tout était à recommencer, que changeriez-vous dans le processus, sauf de prendre position contre la transaction? Car finalement c'était la survie de TQS qui a motivé votre appui de cette transaction, n'est-ce pas?

M. Leclerc : Oui, nous l'avons appuyée car la survie d'un média était en jeu. Si tout était à recommencer, sans savoir ce qui s'est passé depuis ce temps, je crois que nous aurions demandé à d'autres groupes de journalistes de se joindre à nous pour appuyer cette initiative. Nous aurions proposé qu'un document clair et net soit produit pour illustrer toutes les façons dont l'information peut influencer, au Journal de Montréal, par rapport aux intérêts commerciaux de Quebecor. Nous aurions également demandé qu'un comité de surveillance vraiment efficace soit mis en place pour surveiller le tout.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Le gouvernement devrait-il s'en mêler maintenant et casser ce monopole?

[Français]

M. Leclerc : Dans certains pays européens, lorsque le pourcentage de propriété médiatique est dépassé, on peut forcer les empires médiatiques à vendre certains actifs pour s'abaisser à un niveau de propriété voulue.

Il est permis de rêver, mais je crois qu'en pratique, pour l'instant, le mécanisme actuel serait très difficile à défaire. Il faudrait insérer une clause qui dirait que lorsque ces empires seront défaits ou morcelés on ne permettra pas qu'ils soient reconstitués; ou que lorsqu'ils seront vendus ou cédés ils ne pourront pas être vendus ou cédés en entier, ils devront être cédés à la pièce pour éviter de se retrouver face au même problème.

Pour l'instant, nous pourrions, tout au plus, créer une instance sérieuse chargée de surveiller ce qui se passe actuellement au sein de Quebecor.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Je me posais des questions sur l'intimidation. Est-ce que vous pouvez être plus précis sur la façon dont les journalistes ont été intimidés au Journal de Montréal ou à TVA?

[Français]

M. Leclerc : Comme je le disais précédemment, je ne crois pas qu'on puisse parler d'intimidation. Il s'agit de pratiques beaucoup plus subtiles.

J'ai donné l'exemple d'un jeune chroniqueur, du nom de Patrick Lagacé, que nous avions à la télévision et qui couvrait les activités de certaines émissions dont Star Académie ou Occupation Double. Il se permettait d'ailleurs de critiquer ces émissions ou d'avoir une approche critique sur ce qu'il voyait à la télévision. Puis, soudainement, il a été muté à un autre poste, dans le secteur de la nouvelle générale, parce que le discours qu'il tenait dans les pages ne plaisait pas, je présume, à la haute direction. On l'a donc remplacé par des journalistes qui faisaient une couverture d'avantage factuelle et peut-être moins portée sur la critique.

C'est ce type d'incident qui se produit. On n'a pas besoin de s'asseoir derrière un journaliste et de lui taper sur les doigts en lui dictant les mots qu'il doit écrire simplement pour orienter l'information. On n'a qu'à lui dire de couvrir tel ou tel aspect précis de l'actualité ou les activités qui se passent à Montréal.

Le document que je vous ai produit cite d'ailleurs plusieurs exemples, notamment, sur les activités de Vidéotron. Lorsque Vidéotron lance un nouveau service de chaîne gratuite sur la télé par câble, automatiquement on le retrouve dans un article du Journal de Montréal en disant qu'il est désormais possible de bénéficier de 12 nouvelles chaînes gratuites à la télé.

Ce peut être le cas également pour Archambault Musique qui est la maison de disques de Quebecor. Si Archambault Musique décide de se lancer à l'assaut du marché français, ce fera l'objet d'une série d'articles. S'ils se mettent à vendre des tee-shirts de Star Académie, ce fera l'objet d'un article dans le journal.

Il suffit donc de passer la commande à un journaliste et de lui dire de faire un article sur un sujet donné et le journaliste n'a d'autre choix que d'obéir à la commande qui lui est faite. Même si on ne lui dicte pas les mots qu'il doit écrire, s'il parle de tous les sujets qui promeuvent constamment les intérêts de Quebecor, l'information est alors orientée et biaisée à la source sans qu'on intimide les journalistes.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Je ne sais pas si c'est important ou non, mais je regardais la ventilation des finances de Quebecor, et je suis toujours curieux, car j'étais journaliste moi-même, et on indique «  partenariat mystère  ». Nous avons eu un témoin à Toronto la semaine dernière qui était en procès avec M. Black et M. Radler et il avait des difficultés parce qu'il ne savait pas qui possédait quoi.

Selon vous, de nos jours, est-ce que ce partenariat devrait être public, dans l'environnement libre et démocratique dans lequel nous vivons?

[Français]

M. Leclerc : C'est une bonne question. Je n'ai aucune idée. Je ne m'attendais pas à cette question et je ne l'ai jamais investiguée. Mais, étant donné l'importance que les médias ont dans notre société, j'imagine qu'il est souhaitable que tous les gens qui possèdent des intérêts dans ces médias soient connus du public. À notre avis, plus grande est la transparence, mieux l'intérêt du public est servi.

La présidente : Quebecor possède aussi la chaîne Sun Media.

M. Leclerc : Oui.

La présidente : Elle vient de se lancer dans la télé à Toronto.

M. Leclerc : Oui.

La présidente : Est-ce que vous avez eu des contacts avec les journalistes du côté anglophone, de Toronto ou d'ailleurs, de l'empire Quebecor? Partagent-ils ces inquiétudes?

M. Leclerc : Votre question est très intéressante. Lorsque la transaction s'est réalisée, il y a quelques années, alors que Quebecor faisait l'acquisition de Sun Media, nous avons tout de suite commencé à établir des contacts avec nos collègues. Il s'agissait d'une chaîne de journaux non syndiquée. Il y eut plusieurs mises à pied de leur côté, car ils n'étaient pas tellement protégés. Nous avons alors fait traduire notre convention collective en anglais et sommes allés les rencontrer pour leur expliquer un peu comment les choses fonctionnaient au Québec. Depuis ce temps, nos liens sont très bons et la communication est adéquate.

Le Toronto Sun a négocié sa première convention collective au printemps dernier. Aujourd'hui, le London Free Press est syndiqué et nous entretenons avec eux et le Winnipeg Sun certains liens.

Nous avons eu une rencontre, il y a environ deux mois, avec les gens du Toronto Sun pour leur exposer un peu ce qui les attendait avec l'achat de Television 1 à Toronto. Nous leur avons indiqué qu'il était possible que ce qui s'est produit avec Star Académie et Occupation Double se produise à nouveau avec cette chaîne de télévision. Ils ont été tout simplement horrifiés d'entendre nos propos. Disposent-ils maintenant de moyens pour se défendre contre cela? Je ne crois pas — pas plus que nous.

Au Québec, à Montréal, le Journal de Montréal possède une des meilleures conventions collectives de tous les quotidiens en Amérique du Nord. Notre convention collective couvre à peu près tous les aspects des clauses professionnelles. On retrouve dans notre convention collective à peu près toutes les protections imaginables. Toutefois, on n'a rien pu faire pour se défendre. Nous faisons des représentations dans ce but, notamment, auprès du Conseil de presse du Québec, qui est un tribunal d'honneur. Ces démarchent ne sont pas très contraignantes pour Quebecor, mais au moins ce tribunal d'honneur indique un peu la voie à suivre aux médias québécois.

Voilà donc où nous en sommes. Nous devons nous en remettre à des instances comme la vôtre pour faire valoir les préoccupations importantes que nous avons au sujet de la qualité de l'information.

Plus tôt, j'ai cru voir certains sourire autour de cette table lorsque je décrivais un peu ce qui se fait pour promouvoir les chanteurs et chanteuses de Star Académie. Imaginez l'impact que pourrait avoir ce genre d'attention médiatique portée sur une idée qui concernerait la scène politique ou le domaine des affaires. Sur sept millions de Québécois, plus de la moitié, soit 4.2 millions par semaine, consomment un produit d'information Quebecor. Si on se met à monopoliser l'information de cette façon, cela pourrait avoir des conséquences néfastes dans la société.

Votre comité est bien placé pour faire le bilan de cette situation. Pour notre part, nous tentons de multiplier les interventions publiques pour faire valoir nos préoccupations, car, sur le terrain, nous n'avons aucune défense contre ce fléau.

La présidente : Vous savez sans doute que des représentants du CRTC sont venus témoigner devant notre comité. Des questions leur furent posées au sujet des comités de surveillance à savoir s'ils n'existent que pour recevoir des plaintes plutôt que pour faire une surveillance active. On a aussi posé des questions au sujet de Star Académie.

En ce qui a trait aux comités, on nous a répondu que le suivi auprès du comité n'avait pas été fait, tel qu'on s'était engagé à le faire. Quebecor n'est pas le seul exemple où le CRTC a imposé ce genre de comité.

Pour ce qui est de Star Académie, le président du CRTC nous a affirmé qu'il trouvait excellente l'idée de convergence ou de publicité croisée. Il a ajouté qu'il aimerait bien voir ce même concept s'appliquer au Canada anglais, car il s'agit d'une bonne façon de promouvoir les talents artistiques au sein de la société canadienne. Je crois comprendre que vous ne partagez pas ce point de vue.

M. Leclerc : En effet.

La présidente : De quelle façon pourrait-on changer le mandat du CRTC pour mieux traiter ce problème? Auriez- vous des propositions concrètes à cet effet? J'ai noté votre recommandation au sujet de la propriété croisée. Cependant, je parle ici du mandat, de la vision imposée au CRTC. Est-ce que vous envisagez des changements à ce niveau?

M. Leclerc : J'aimerais soulever deux points en ce qui concerne le CRTC. La première difficulté est que le CRTC n'a aucune juridiction en ce qui concerne la presse écrite. Le CRTC doit se concentrer sur l'impact de la transaction sur les médias électroniques. Il faut donc élargir le mandat. Mais faut-il l'élargir afin que des considérations additionnelles soient examinées et des règles plus strictes de pourcentage s'appliquent lorsque l'achat d'une station de télévision ou d'une station de radio fait en sorte que l'acquéreur va devenir un joueur dans le monde de la propriété croisée? Pour l'instant, notre expérience sur le terrain nous montre que la propriété croisée est un échec en ce qui concerne la qualité de l'information. Que le président du CRTC trouve qu'il est bénéfique pour le public canadien de mettre en valeur le « star system » canadien, soit. Nous prétendons que si Star Académie est une bonne émission de télévision et qu'elle est regardée par trois millions de téléspectateurs au Québec, elle va être couverte de toute façon par les journalistes mais de façon plus aléatoire, selon l'intérêt du moment. Par conséquent, nul besoin de transformer les journalistes en agents de promotion, ni d'édicter des règles de deux ou trois pages de façon quotidienne dans le journal pour faire la promotion systématique de ces émissions. À notre avis, cette pratique enfreint à la responsabilité sociale qu'ont les dirigeants des médias envers le public.

[Traduction]

Le sénateur Eyton : Vous êtes manifestement préoccupé par la concentration. Je crois que la plupart des problèmes dont vous parlez peuvent être résolus par le marché lui-même. Il existe un marché pour cela et tant qu'il est essentiel et qu'il fonctionne, il trouve ses propres ses solutions. Cette notion vient de l'idée que vous devez offrir aux consommateurs des produits et des services satisfaisants, à des prix satisfaisants, et que les consommateurs feront eux- mêmes ces choix. Cela s'applique tant aux petites qu'aux grosses entreprises.

Vous avez parlé en particulier de Quebecor. Je voudrais juste vous rappeler les préoccupations qu'ont eues les Canadiens de temps à autre au sujet de la concentration. Si on retourne quelques années en arrière, et je suis sûr qu'il y a beaucoup d'autres exemples, tout le monde s'inquiétait de la famille Reitman, qui était trop grosse et qui était en train de devenir encore plus grosse et que, par conséquent, il y avait un problème d'établissement des prix et que le gouvernement devrait intervenir.

Dans le secteur des alcools, on a été préoccupé pendant longtemps parce que la famille Bronfman était trop dominante et qu'il fallait la contrôler d'une façon ou d'autre.

Dans les transports, Canadien Pacifique a été considéré comme beaucoup trop gros et avec trop d'influence et quelque chose devait être fait.

En ce qui concerne tous ces exemples, ils ont disparu, tous, au cours des 15 ou 20 dernières années, je suppose que la même chose s'appliquera aux médias. Il y a de bons exemples.

En fait de familles, si on remonte simplement de quelques années, la famille Sifton était une famille très influente dans l'édition et elle est partie maintenant. Il y a, dit-on, un jeune cousin qui a créé des journaux communautaires mais en ce qui concerne le journalisme de métropole, la famille Sifton n'est plus dans la course. La famille Thompson a entièrement quitté l'édition et, pendant un certain temps, elle a suscité quelques préoccupations. Conrad Black est un personnage très important de l'édition; il a causé de grandes inquiétudes à son sujet, mais maintenant il n'est plus là.

Par conséquent, dans un marché crucial dans lequel les consommateurs peuvent faire des choix, ce sont eux en fait qui dictent la survie ou non des grosses entreprises, si elles devraient changer de forme ou peut-être passer dans d'autres mains, j'irais jusqu'à dire que ce sont eux qui les poussent à ces changements. N'êtes-vous pas d'accord avec cette thèse générale, à savoir que le marché est le meilleur moyen de surveiller et de faire évoluer des concentrations?

Permettez-moi ajouter une sous-note à tout ceci, c'est-à-dire que je crois que le gouvernement est le pire pouvoir qui pourrait intervenir dans ce processus.

[Français]

M. Leclerc : Votre énoncé peut s'appliquer dans la mesure où il y a un grand nombre de joueurs sur le terrain. Le témoin précédent nous disait qu'il existe près de 40 quotidiens en Ontario. Je comprends alors qu'un éditeur de journal compromettant les responsabilités qu'il a envers ses lecteurs puisse subir des dommages plus importants au profit de sa concurrence.

Au Québec, la situation est différente car le nombre de joueurs est désormais très réduit. On se trouve en présence d'un duopole, ou presque. Power Corporation possède cinq ou sept quotidiens et la moitié du tirage francophone, et Quebecor possède l'autre moitié.

Est-ce que le fait que la qualité de l'information diminue au Journal de Montréal fait en sorte qu'il sera appelé à disparaître? Cela est très peu probable. Étant donné la propriété croisée et le nombre considérable de publications qu'il possède, il devient très attirant pour les annonceurs, qui font vivre les médias, d'acheter de la publicité pour avoir accès à un public sans cesse grandissant. Par conséquent, comme il y a moins de joueurs, le choix du public est de plus en plus réduit.

On parle beaucoup de Quebecor, mais il faut également se pencher sur les alliances qui peuvent se créer entre Power Corporation et Radio-Canada. De telles alliances commerciales entre une société publique comme Radio-Canada et Power Corporation ou La Presse posent de nouvelles préoccupations.

Le président du Syndicat des communications de Radio-Canada, lors d'un entretien il y a deux semaines, me racontait que le jour où le Dr. Hans Blix a présenté son rapport sur l'existence des armes de destruction massive en Irak, on a dû interrompre la diffusion de cette émission, en vertu d'une entente signée avec Power Corporation, pour présenter l'émission La Cuisine de Ricardo. On a interrompu cette émission diffusée en direct de New York pour céder l'antenne à l'émission La Cuisine de Ricardo!

On remarque également de telles pratiques systématiques à la radio. Le lundi matin, sur les ondes de Radio-Canada, on reçoit la personnalité de la semaine de La Presse. Nous sommes en présence de deux courants. On ne verra jamais, aux émissions d'affaires publiques diffusées sur le réseau TVA, un journaliste de La Presse faire entendre son opinion à titre d'invité. On fera plutôt appel, de façon systématique, à un journaliste du Journal de Montréal.

À Radio-Canada, on remarque le phénomène contraire. La SRC reçoit à 95 p. 100 des journalistes de La Presse et non du Journal de Montréal ou affiliés à l'entreprise Quebecor, car il existe des ententes commerciales à cet effet.

Je suis donc d'accord avec votre commentaire. Lorsqu'il y a un grand nombre de joueurs, celui qui n'offre pas la qualité à son public sera appelé à disparaître du marché. Toutefois, lorsqu'il ne reste que deux gros joueurs, on se trouve en présence de deux pôles importants. Que se produira-t-il si l'un de ces deux joueurs tombe? Entre quelles mains tombera-t-il et quelles seront alors ses fins? Voilà des préoccupations sociétaires importantes qui nous concernent.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Alors, quelle est la latitude qu'avait le Journal de Montréal, et je ne suis pas certain que le syndicat ait eu une position, quelle est la latitude que le Journal de Montréal aurait eue, par exemple, sur ce qui s'est passé à l'Université Concordia avec l'ex-premier ministre d'Israël qu'on a empêché de prendre la parole à l'université?

[Français]

M. Leclerc : Vous désirez connaître l'importance de la couverture médiatique qui fut accordée à ces événements?

Le sénateur Tkachuk : Oui.

M. Leclerc : Je crois me souvenir que la couverture médiatique fut tout à fait adéquate. On avait accordé une grande importance à ces événements dans nos pages. Les articles ne parurent peut-être pas en page frontispice, mais aux pages 5 ou 6 du journal. Il s'agissait d'un article prédominant avec une grande photo pour illustrer la situation.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Y avait-il une position éditoriale?

[Français]

M. Leclerc : Il n'y a pas de position éditoriale au Journal de Montréal. Nous avons des chroniqueurs d'opinion qui sont libres d'écrire ce qu'ils veulent au sujet de l'actualité politique ou autre. Par exemple, Michel C. Auger est chroniqueur d'opinion au Journal de Montréal. Il est reconnu comme étant ni souverainiste, ni fédéraliste, ni libéral, ni conservateur. Par contre, nous avons comme chroniqueur l'ex-ministre péquiste Lise Payette et l'ex-ministre libéral Jean Cournoyer.

Depuis sa fondation, avec Pierre Péladeau, la politique de neutralité éditoriale existe au Journal de Montréal. Je présume qu'elle a pour but de ne pas s'aliéner une partie de l'électorat. On laisse les chroniqueurs écrire comme bon leur semble sur leur sujet.

Ayant été courriériste parlementaire du Journal de Montréal à Ottawa durant trois années, dont la période référendaire, jamais on ne m'a assigné à un sujet en me passant une directive visant à influencer mes articles. J'ai rédigé des articles qui ont pu nuire au premier ministre Lucien Bouchard, j'en ai rédigés d'autres qui ont pu nuire à l'image du Bloc Québécois, l'opposition officielle de l'époque et j'ai critiqué certaines activités du gouvernement. Mais jamais personne n'est intervenu pour me réprimander ou me dicter l'orientation de l'information.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Vous vouliez que le CRTC serve d'arbitre. Je vais vous exposer un cas de figure. Parfois, j'ai de la difficulté à comprendre la façon dont le CRTC fonctionne parce que, tout d'abord, les conseillers du CRTC sont nommés. Très souvent, ils viennent du secteur des médias. À ce titre, en tant que conseillers, ils jugent les médias. Fréquemment, une fois que le mandat d'un conseiller est terminé, il ou elle revient dans le même secteur et travaille comme consultant dans des sociétés oeuvrant dans le domaine des médias ou, d'une façon ou d'une autre, travaille pour la société qu'il a jugée en tant que conseiller. Il y a ce type de relation très familiale.

Je ne connais pas la réponse. Peut-être devrait-il y avoir un arrangement selon lequel une fois le mandat de conseiller du CRTC terminé, cette personne peut devenir admissible à une bonne retraite ou cherche un emploi dans un autre secteur de l'industrie. Je trouve ce genre de relations très étroites un petit peu gênantes. Qu'en pensez-vous?

[Français]

M. Leclerc : Permettez-moi de vous citer une expérience que nous avons vécue avec le CRTC et qui ne fut pas du tout appréciée.

Nous avons adressé deux plaintes au CRTC sur la conduite de Quebecor. Une de ces plaintes concernait Télévision Quatre Saisons et l'autre concernait le réseau de télévision TVA. Ces plaintes furent adressées à des personnes dont le nom m'échappe mais qui devaient les acheminer au comité de surveillance pour fins d'enquête.

Fait surprenant, en regardant les pages du Journal de Montréal on a pu voir ces personnes avec qui nous transigions au CRTC concernant le traitement de ces plaintes assises à la table de Pierre-Karl Péladeau lors d'un spectacle de Star Académie à Montréal. J'ignore si cet événement fut repris par plusieurs publications, mais il témoigne certes d'un manque flagrant de jugement de la part de gens supposément neutres et dont le mandat est de trancher à titre d'arbitres. Nous percevions ces gens plutôt comme des gardiens de dernière ligne, car ils étaient les derniers joueurs que nous devions affronter avant que la transaction ne se fasse. Et voilà que ces gens, responsables de faire appliquer les règles, apparaissent, à la première occasion, dans notre quotidien, à notre journal, installés autour du président de la compagnie, à table, avec un verre de vin à la main, en train de savourer Star Académie. Quelle audace!

Et que ces gens chargés de statuer et sur qui reposait le sort de transactions se trouvent par la suite des emplois dans le milieu des médias; que les gens qui ont réalisé ces transactions puissent les embaucher par la suite, pose de réelles inquiétudes. On devrait prévoir certaines règles d'embauche ou de nomination à l'effet qu'un employé du CRTC ne puisse travailler dans le secteur des médias dans un délai de quatre ou cinq ans suite à une étude du CRTC sur ces médias en question.

Dans notre convention collective, au Journal de Montréal, il est prévu que si un journaliste désire se lancer en politique et briguer les suffrages d'une élection, pour une période de cinq ans suivant ces activités, il n'aura pas le droit d'écrire sur des sujets traitant soit de politique municipale, provinciale ou fédérale, selon le cas.

Il faut tout de même établir certaines barrières. Le fait d'avoir constaté une telle proximité entre les membres d'un organisme fédéral tel le CRTC et les dirigeants des médias fut une situation tout à fait gênante.

[Traduction]

La présidente : Sénateur Merchant, je suis désolée, mais nous n'avons plus du tout de temps. En fait, nous avons déjà dépassé l'heure, parce que cette séance a été très intéressante.

[Français]

Monsieur Leclerc, monsieur Dussault, nous vous remercions de vos témoignages ainsi que de la documentation que vous nous avez fournie. Le sujet que vous avez abordé est non seulement intéressant mais important.

M. Leclerc : Merci de votre invitation.

La présidente : Honorables sénateurs, c'est avec beaucoup de regret que je dois vous quitter. La Chambre du Sénat doit se prononcer sur le budget de notre comité et je dois assister à ce vote. Ce contretemps n'était pas prévu, mais il en est ainsi.

J'adresse également mes regrets aux membres du public. Et je puis vous assurer que je lirai attentivement la transcription des témoignages qui se dérouleront pendant mon absence. L'honorable sénateur Tkachuk assumera donc la présidence avec autant de compétence sinon plus que moi et je le remercie d'avoir bien voulu accepter cette tâche.

Nous allons faire une courte pause afin que le sénateur Tkachuk puisse prendre le fauteuil. Nous inviterons par la suite les prochains témoins à s'avancer. Je serai de retour pour l'audience de demain.

[Traduction]

Le sénateur David Tkachuk (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président : Nous souhaitons maintenant la bienvenue à des représentants de l'Association des radiodiffuseurs communautaires du Québec. Nous accueillons Mme Gagnon, la secrétaire générale, et Mme Magalie Paré, un membre du conseil d'administration.

Vous connaissez l'exercice. Vous pouvez faire un exposé de 10 minutes, puis nous passerons aux questions.

[Français]

Mme Magalie Paré, directrice générale de CINQ FM Radio Centre-Ville et membre du conseil d'administration de l'ARCQ : Honorables sénateurs, je suis directrice générale de CINQ FM Radio Centre-Ville et secrétaire trésorière de l'Association des radiodiffuseurs communautaires du Québec. Je suis accompagnée de Lucie Gagnon, secrétaire générale de l'Association des radiodiffuseurs communautaires du Québec.

L'Association des radiodiffuseurs communautaires du Québec (ARCQ) est heureuse de pouvoir s'adresser aujourd'hui au Comité sénatorial permanent des transports et des communications afin d'exprimer les préoccupations de ses membres à l'égard de la concentration de la presse et du phénomène d'uniformisation des contenus médiatiques qu'elle engendre.

En s'appuyant sur notre expérience de média communautaire, nous insisterons, au cours de cette présentation, sur l'importance de maintenir la diversité de l'information médiatique au Québec et au Canada. Nous croyons que les citoyens démontrent actuellement l'envie, et même le besoin, d'avoir accès à des ondes qui leur appartiennent et leur ressemblent, et qu'il faut soutenir ce mouvement.

L'ARCQ représente 26 radios communautaires québécoises qui diffusent plus de 3 000 heures de programmation originale par semaine, grâce à la contribution de 1 500 bénévoles et de 230 employés. Ces radios regroupent environ 18 000 membres et rejoignent chaque semaine plus de 650 000 auditeurs dans 16 régions du Québec.

La radiophonie communautaire répond à un désir de la population de se doter d'un service radiophonique qui lui ressemble et qui lui parle de son milieu. Par exemple, chez nous à CINQ FM, nous diffusons une programmation en sept langues en plein coeur de Montréal. En plus d'être engagée culturellement et socialement, Radio Centre-Ville est à l'affût des nouvelles tendances. Elle offre un éventail d'émissions qui constituent une ressource pour les nouveaux arrivants ainsi qu'un carrefour d'expression pour toutes les voix de notre société, contribuant ainsi à ce que chacun se sente chaque jour un peu plus citoyen.

Mme Lucie Gagnon, secrétaire trésorière de l'Association des radiodiffuseurs communautaires du Québec : Pour d'autres régions, comme celle des Îles-de-la-Madeleine, la radio communautaire est le seul service radiophonique local présent dans le milieu. La population compte sur cette radio de « premier service » pour l'informer, soutenir les débats locaux, donner une voix aux citoyens et faire connaître et reconnaître leur culture. Les commerces de l'endroit bénéficient également de la présence de cette radio communautaire qui diffuse leur publicité à un coût abordable et encourage le développement économique local. C'est aussi bien la radio des situations d'urgence que celle des fêtes et des événements locaux. C'est la radio des gens des Îles.

Dans tous les cas, les stations de radio communautaires naissent d'initiatives et de volontés citoyennes. Elles visent toutes une meilleure représentation médiatique locale et régionale. L'émergence de nouveaux projets de radio communautaire — on en compte actuellement une quinzaine au Québec — nous portent à croire que les radios commerciales et la radio publique ne se préoccupent plus assez du milieu immédiat des individus. Ceux-ci se voient contraints de s'approprier cette mission de diversité médiatique et d'information locale.

Les radios communautaires assument une mission de plus en plus lourde et coûteuse qui vise la diversité, l'accès aux ondes et la pertinence des contenus pour leur milieu. Elles disposent pourtant de ressources de plus en plus limitées pour le faire. Nous croyons que les grands réseaux profitent de la toile médiatique qu'ils ont créée pour accaparer une part démesurée du marché de la publicité radiophonique, compte tenu du nombre d'auditeurs. Les petites stations, comme les radios communautaires, perdent ainsi une part de plus en plus importante de leur revenu opérationnel.

Mme Paré : Dans ses rapports, le CRTC brosse un tableau positif de l'industrie de la radio, en généralisant les données de rentabilité des stations. Le rapport de surveillance de la politique de la radiodiffusion 2003, publié par le CRTC, fait état de la situation financière de la radio commerciale en comparant les stations selon les technologies de diffusion (AM ou FM). Cela ne permet pas de mettre en évidence la situation financière précaire des radios indépendantes ou encore des radios communautaires.

Notre hypothèse est simple : les réseaux vont bien, les radios hors réseau vont mal. Les dernières radios commerciales indépendantes finiront par être intégrées aux réseaux, les radios communautaires mourront à petit feu. Le contenu local disparaîtra. Qui osera regarder et mesurer cette réalité?

Selon nos données, le tiers des radios communautaires québécoises vivent des crises financières qui menacent leur survie et un autre tiers ont dû réduire leurs services de façon significative pour maintenir l'équilibre financier.

À titre d'illustration, nous aimerions rappeler que la radio privée dispose, en moyenne, de 221 $ pour produire une heure d'émission et que la radio communautaire n'a que 43 $ pour faire le même travail. La radio privée possède 17 employés en moyenne alors que la radio communautaire n'en a que neuf.

Mme Gagnon : La radio communautaire n'est pas, comme plusieurs le croient, une organisation un peu amateure qui coûte moins cher parce qu'elle repose en partie sur le travail de bénévoles. Nombre de stations communautaires opèrent dans des milieux où il n'y a pas de bénévoles disponibles. Pour produire et animer quatre heures d'émissions quotidiennes du lundi au vendredi, il faut environ un employé salarié. En milieu urbain, entre 20 et 30 bénévoles assumeront la même programmation. Mais la station devra embaucher une personne pour assumer la coordination et l'encadrement de cette équipe. Les coûts de production d'une radio communautaire ne sont pas réduits par la contribution bénévole. En fait, ce qui limite le budget d'une radio communautaire c'est le marché publicitaire dans lequel elle oeuvre, le marché du don et de l'activité de financement, ou le bénéfice, ainsi que l'importance de la population qui est desservie.

Les citoyens veulent de l'information et du contenu local. La radio est le médium idéal pour l'offrir, mais elle est devenue trop souvent une simple boîte à musique. En région, parlant de stations commerciales, les citoyens dénoncent des entreprises qui ont « planté une antenne », pour évoquer certains services de radiodiffusion qui leur sont offerts. Dans les situations typiques, les citoyens doivent se contenter de quelques heures d'émission par semaine qui sont produites localement où on leur donne la météo. Puis, on rediffuse des émissions qui proviennent de réseaux régionaux ou de réseaux nationaux. Les revenus de publicité que la station draine sont ainsi « exportés » de la région pour nourrir un réseau.

Mme Paré : Le gouvernement du Canada, dans son rôle de régulateur, doit reconnaître le travail patrimonial des radiodiffuseurs communautaires. Il doit reconnaître l'alternative qu'ils constituent au contenu médiatique uniformisé et détaché des réalités locales qu'engendrent la concentration de la presse et la propriété croisée. Dans cette perspective, le gouvernement doit reconnaître la menace, particulièrement sur le plan économique, que représente le phénomène de la concentration pour la survie des radios communautaires. Les radios communautaires constituent l'un des derniers remparts contre l'absorption des contenus médiatiques par les grandes chaînes. Selon nous, le gouvernement doit agir pour préserver cette volonté citoyenne. Il doit agir pour préserver notre contribution à la diversité et pour encourager la recherche d'une production médiatique concernée par son milieu.

Une stratégie privilégiée pour atteindre cet objectif serait de s'assurer qu'une place est toujours réservée au secteur communautaire, dans toutes les formes technologiques que peut emprunter, dans le présent et dans l'avenir, le système de radiodiffusion au Canada. Ainsi, des fréquences doivent être réservées en prévision de l'émergence des radios communautaires, afin que les intérêts locaux des communautés puissent s'exprimer. De même, les câblodistributeurs doivent mettre au service de la population un canal réservé à la télévision communautaire locale. Nous le soulignons avec force : la réglementation du système canadien est plus que nécessaire, elle est vitale pour la survie de l'identité canadienne dans toute la richesse de sa diversité tant au niveau national, régional que local.

Mme Gagnon : Par ailleurs, mesurer la diversité en termes de formules musicales disponibles, comme le fait actuellement le CRTC, renseigne peu sur le contenu verbal réel de la programmation des radios, sur la production d'information locale et sur l'accès des citoyens à des sources d'informations diversifiées. Le CRTC doit mieux remplir son rôle de surveillance en ce qui concerne le contenu verbal de la programmation des radios et la santé financière des stations qui ne font pas partie des réseaux. Notre intention ici n'est pas de créer une surveillance quant à l'indépendance éditoriale des médias, mais bien de garantir l'application de la Loi sur la radiodiffusion en matière de diversité.

Sur le plan économique, nous travaillons actuellement avec le National Campus and Community Radio Association (NCRA) à la création d'un fonds de soutien à la radio communautaire et de campus. Ce fonds pourrait s'avérer une initiative déterminante pour assurer la présence et la pérennité des activités des radios communautaires. En effet, il viserait à soutenir la production locale en compensant nos pertes de revenus attribuables à l'impact de la concentration sur nos parts de marché de publicité. Nous recommandons aux gouvernements de tous les niveaux d'appuyer et de soutenir cette démarche, pour le salut de la différence locale, provinciale et canadienne.

Mme Paré : Il nous semble à propos de citer ici un extrait du rapport du Comité du patrimoine sur la diversité culturelle produit en juin 2003 :

Le Comité craint que les services de la radiodiffusion communautaire, locale et régionale soient menacés de disparition et que plusieurs régions soient mal desservies [...] la dure réalité est que les émissions locales, sauf pour les nouvelles, sont quasi inexistantes.

Enfin, honorables sénateurs, rappelons-nous que depuis quelques années plusieurs commissions et comités d'étude se sont penchés sur le phénomène de la concentration de la presse et de la propriété croisée. Les rapports ainsi publiés ont tous souligné, d'une façon ou d'une autre, l'importance et l'urgence d'agir pour maintenir des contenus locaux et alternatifs en radiodiffusion. Aucune de leurs propositions ou recommandations n'a mené à des gestes concrets. Nous avons, malgré tout, mobilisé nos maigres ressources pour produire un mémoire et participer à cette nouvelle consultation. Nous continuons de croire à l'importance d'agir pour que les citoyens de toutes les régions puissent se connaître, se reconnaître et se faire connaître. Nous espérons que nos efforts, comme ceux de votre comité, porteront les fruits que nous attendons tous.

Le sénateur Chaput : Ma question touche les autres radios communautaires à travers le Canada. Vous représentez l'Association des radios communautaires du Québec. Comme vous le savez, la communauté francophone en situation minoritaire a aussi une radio communautaire dans plusieurs autres provinces du Canada. Il y en a une au Manitoba. Celle desservant les francophones de la Saskatchewan a connu certaines difficultés. Ces radios communautaires connaissent d'ailleurs les mêmes difficultés que les vôtres mais à un degré plus élevé à cause du fait qu'elles sont en situation minoritaire. Existe-t-il un lien entre votre association et celle qui les représente? Discutez-vous parfois de stratégies ou d'autres sujets avec ces associations?

Mme Gagnon : Historiquement, les radios communautaires francophones hors Québec sont arrivées plus tard. Les radios communautaires du Québec existent depuis 30 ans. C'est ce qui explique en partie le fait qu'il existe une association différente.

Il existe 18 radios communautaires francophones à l'extérieur du Québec. L'Alliance des radios communautaires du Canada est un des partenaires avec lequel nous travaillons en matière de représentation dans les domaines de réglementation. Par exemple, lorsqu'il est question de droits d'auteur, l'Alliance des radios communautaires du Canada, le National Campus and Community Radio Association et l'Association des radios communautaires du Québec font généralement front commun pour défendre leurs points de vue.

Il y a donc, effectivement, collaboration, mais celle-ci se fait d'avantage à l'échelle de la représentation publique qu'à l'échelle de la production.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Je suis moi-même un immigrant, né en Grèce. Vous dites que vous diffusez dans plusieurs langues. Nous vivons dans une société très polyglotte et en tant que telle, je pense que les gens comptent sur leurs propres racines. Même si je vis au Canada depuis plus de 40 ans, j'ai toujours un lien très fort avec les choses grecques et ce qui se passe dans ma communauté.

Nous avons entendu la presse ethnique — j'essaie de faire un parallèle avec la radio — et ils ont des difficultés. Quand la presse ethnique nous a présenté son exposé, elle a dit qu'une certaine partie de la publicité gouvernementale devrait lui revenir, parce qu'elle représente un certain pourcentage de la population. Ses représentants disaient que les montants consacrés à la publicité, qui devaient revenir à la presse ethnique, devraient correspondre au nombre de gens qu'ils desservaient.

Vous avez dit que vous aviez des restrictions et des problèmes financiers. Que voulez-vous du gouvernement? À quoi pensez-vous, outre la fréquence de la radio? Comment survivez-vous? D'où vient votre financement?

Je voudrais savoir si vous voyez une corrélation entre la presse écrite et la radio.

[Français]

Mme Gagnon : Dans le mémoire que nous avons présenté ce matin, nous demandons, entre autres, bien sûr, les fréquences réservées, mais nous demandons aussi le soutien à la création d'un fonds qui serait, effectivement, un soutien économique. Nous tentons actuellement de convaincre le CRTC d'appuyer ce fonds et de faire en sorte qu'une partie des revenus des radiodiffuseurs commerciaux en réseau soient versés dans ce fonds, un peu comme c'est le cas pour les fonds de production culturelle ou musicale.

En ce qui concerne la publicité, il existe déjà au Québec une norme qui fut adoptée par le gouvernement provincial en 1995, si ma mémoire est bonne, visant à s'assurer que 4 p. 100 des dépenses gouvernementales en publicité se feront auprès des médias communautaires. Ceci inclut les radios, les télévisions, les journaux ainsi qu'un certain nombre de médias diffusés en différentes langues. Toutefois, cette mesure n'est toujours pas respectée. Le gouvernement achète, bon an mal an, à peu près 2,8 p. 100 des médias communautaires au Québec. Cette proportion est, à notre avis, inférieure à ce que nous représentons comme auditoire, comme public et comme marché. Mais les achats médiatiques se font à travers les agences de publicité et en se basant sur des outils tels les sondages BBM qui sont contrôlés par les grands réseaux. Ces mesures n'ont que peu de succès jusqu'à maintenant, même si on travaille très fort pour les faire respecter.

L'Alliance des radios communautaires du Canada a travaillé auprès du Secrétariat d'État aux langues officielles pour faire appliquer une norme semblable pour les radios communautaires francophones hors Québec. Les résultats ne sont pas encore probants, mais le travail progresse néanmoins à un rythme modéré. Ces mesures visent, en quelque sorte, à compenser la faille du marché et le déséquilibre que la libre concurrence n'arrive pas à gérer. On ne réussit toutefois pas à faire respecter cette mesure. Le concept est intéressant, mais il faudrait plus qu'une volonté politique pour que soit respectée cette mesure.

En ce qui concerne les autres mesures financières de soutien aux médias communautaires, nous demandons d'être reconnus. Cette requête peut sembler évidente, mais elle ne l'est pas. Nous demandons d'être reconnus comme diffuseurs. Nous demandons d'être reconnus comme entreprise de patrimoine au Canada — ce qui n'est pas le cas actuellement. Toutes les mesures financières et tous les programmes en place actuellement au Canada pour soutenir les diffuseurs culturels ne sont pas accessibles aux radios communautaires. En demandant la reconnaissance de nos organisations comme entreprises de diffusion du patrimoine au Canada, nous demandons accès aux programmes de subvention existants, qui ont déjà des budgets, auxquels nous n'avons toujours pas accès car nous ne sommes pas reconnus comme diffuseurs. Ce sont essentiellement les mesures que nous demandons pour le moment.

Les radios communautaires au Canada sont les médias les moins soutenus de l'État. Ce fait peut paraître surprenant. Toutefois, les mesures qui existent pour soutenir les magazines au Canada et la production télévisuelle sont de loin plus importantes que pour les médias communautaires.

À titre d'exemple, il existe un programme de soutien au Québec pour les radios communautaires, ce qui n'existe pas dans les autres provinces du pays. Ce financement de l'État représente environ 20 p. 100 du budget total de ces radios communautaires, soit à peine deux millions de dollars. Une part importante de cette somme se fait sous forme d'échanges. Elle prend la forme de contrats de production avec l'État où ce dernier demande à certaines radios de produire des séries d'émissions pour des objectifs bien précis. Cela ne constitue donc pas un soutien direct au fonctionnement de ces médias mais plutôt un échange de services.

Ai-je répondu à votre question?

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Oui, et parlez-vous du gouvernement fédéral? Parlez-vous du gouvernement provincial? Vous avez effacé des distinctions ici et je ne sais pas trop de quoi vous parlez.

[Français]

Mme Gagnon : Le gouvernement fédéral ne soutient pas les radios communautaires sauf les radios francophones hors Québec. Le gouvernement fédéral n'a pas de programme de soutien. Les programmes de soutien au développement de la culture et du patrimoine canadiens ne sont pas accessibles aux radios communautaires.

Il existe au Québec un programme intitulé Programme de soutien aux médias communautaires. Ce programme verse annuellement à chaque radio communautaire entre 10 000 $ et 40 000 $.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : De la part du gouvernement du Québec?

Mme Gagnon : Oui.

Le sénateur Eyton : Je suis peut-être ignorant, mais je ne connaissais pas l'importance de la radio communautaire et de votre association ici au Québec. À prime abord, les chiffres sont impressionnants : vous parlez de 1 500 bénévoles, de 230 employés, de 18 000 membres, et j'y reviendrai dans une minute, et de 650 000 auditeurs dans sept provinces, desservant, si je comprends bien, 18 régions ici dans la province, en particulier. Ces chiffres sont impressionnants. Cela a l'air d'être une initiative appréciable, une initiative qui pourrait être consolidée ici au Québec et émulée avec une grande possibilité de réussite hors Québec.

Je voudrais avoir une meilleure idée de votre budget, c'est-à-dire, de vos revenus et de leurs sources, de vos dépenses, et essentiellement de ce que vous pourriez faire avec plus d'argent. Vous avez parlé, je crois, d'une exigence pour les gouvernements d'allouer un certain pourcentage de leur publicité aux radios communautaires, et c'est bien. Vous avez parlé d'un fonds et vous avez dit que le gouvernement du Québec fournissait 2 millions de dollars tous les ans en subventions, à l'heure actuelle. J'essaie de comprendre cela en fonction de votre budget total. Est-ce que vous pourriez faire cela, s'il vous plaît?

[Français]

Mme Gagnon : Je vais répondre en termes de moyenne pour vous permettre d'avoir une vision plus globale et vous donner une idée de l'importance relative qu'occupe la radio communautaire dans l'industrie. Dans l'ensemble de l'industrie de la radiophonie, les radios communautaires, en 2002/2003, disposaient d'un budget total de 8,5 millions de dollars. Le budget moyen d'une radio communautaire était d'environ 350 000 $ par année, dont 51 p. 100 des bénéfices venaient de la publicité tant locale que nationale, et un peu moins de 20 p. 100 provenaient de subsides gouvernementaux. Le reste provenait d'activités de financement de différents types, qu'il s'agisse de collectes de fonds, de radiothons ou encore de bingos radiophoniques. En effet, il est parfois amusant de constater que les bingos radiophoniques sont plus importants pour les radios communautaires que les revenus de l'État.

Pour ce qui est des dépenses, environ 56 p. 100 des dépenses sont consacrées aux ressources humaines — et ce chiffre est à la baisse. Il y a trois ans, les dépenses consacrées aux ressources humaines représentaient 62 p. 100 du budget annuel. Toutefois, nous avons dû réduire nos efforts en matière de ressources humaines, car les coûts technologiques, les coûts d'immobilisation et les coûts de remplacement d'équipement sont très élevés.

N'oublions pas que les radios communautaires existent au Québec depuis 30 ans et plusieurs d'entre elles doivent renouveler leur équipement. Nous sommes également dans une phase de modification fondamentale des technologies de diffusion et de production. Il y a donc des coûts importants rattachés à ces changements. Ces coûts ont forcé une réduction des ressources humaines dans l'ensemble des radios communautaires au Québec.

Par ailleurs, la réduction des revenus de publicité et l'augmentation des coûts de vente ont également provoqué des diminutions de ressources humaines. Les coupures budgétaires, depuis cinq ans, sont principalement des coupures dans le secteur de l'information. Les postes de journalistes, pour la plupart, sont coupés en premier lieu. Cette situation est précaire. De nombreuses stations se contentent maintenant de faire de l'information avec du personnel non spécialisé.

[Traduction]

Le sénateur Eyton : Juste pour avoir une idée des proportions, j'ai 8,5 millions comme chiffre, puis j'ai 51 p. 100 en publicité. Bien sûr, si vous prenez un dollar il est susceptible de provenir d'une autre poche, de la radio commerciale en particulier. Et puis vous ajoutez 20 p. 100 provenant des subventions du gouvernement.

Vous parliez essentiellement de ce 20 p. 100 et vous voulez que ce 20 p. 100 augmente. Les sources que je vois sont la publicité — et personnellement, je trouverais ça peut-être moins intéressant. Cependant, je peux voir que 20 p. 100 de votre financement vient des subventions gouvernementales et, je suppose, que pour l'essentiel cela vient de Québec. J'ai également entendu que 20 p. 100 ou un peu plus provient du bingo et là je serais davantage en faveur de cela, et le reste je suppose est constitué des droits d'adhésion d'une manière ou d'une autre, des contributions personnelles.

D'où pensez vous que des revenus supplémentaires pourraient provenir et comment les investiriez-vous? Ici, il n'y a que quatre ou cinq sources, donc c'est facile à déterminer.

[Français]

Mme Gagnon : Les budgets additionnels que nous cherchons à obtenir en créant un fonds de soutien aux médias communautaires vont nous permettre de récupérer les emplois perdus depuis quelques années en raison des problèmes économiques que nous vivons à cause, notamment, de la concentration de la presse. Nous cherchons à récupérer des emplois en information. Nous cherchons à offrir plus de services aux populations qui ne sont pas desservies ou qui sont mal desservies.

Il n'est pas normal qu'un résident de Longueuil ou de la Rive-Sud de Montréal ne soit pas en mesure de savoir ce qui se passe dans son milieu. C'est un peu la raison d'être des radios communautaires. Toutefois, une radio communautaire installée à Longueuil est incapable de vendre de la publicité, étant donné les pratiques commerciales des grands réseaux et des grandes maisons de médias. Elle se voit même dans l'incapacité de s'afficher dans le journal local. Cette ressource ne lui est tout simplement pas accessible. Il ne s'agit pas d'une question d'argent mais de volonté. Le journal local refusera la publicité. Nos médias perdent actuellement des revenus importants à cause de ce problème.

Lorsque l'entreprise Astral va chercher 60 p. 100 du marché publicitaire pour 40 p. 100 de l'auditoire, cela créé un problème et remet en question la libre concurrence. La libre concurrence ne joue alors pas son rôle. D'autre part, la libre concurrence ne peut fonctionner dans les milieux où il existe une faille du marché, c'est-à-dire lorsqu'il n'y a pas assez de monde pour intéresser une entreprise commerciale.

Les radios communautaires, et non les radios commerciales, sont premières à avoir développé des postes sur bande FM au Québec. Les radios commerciales ne croyaient pas au potentiel économique de ce genre de station. Ce potentiel n'est d'ailleurs pas énorme dans plusieurs régions.

Il n'y aurait aux Îles-de-la-Madeleine, en Gaspésie ou sur la Côte-Nord de radio communautaire sans l'existence de stations offrant un service fondamentalement payé par les citoyens. Il est donc normal que ces citoyens puissent s'attendre à ce qu'il y ait un média qui puisse, par exemple, les informer d'une catastrophe dans leur communauté.

[Traduction]

Le sénateur Munson : J'ai deux questions. Y a-t-il des leçons à tirer des radios communautaires d'autres pays, existe- t-il des réussites dans d'autres pays que nous pouvons appliquer au Canada?

[Français]

Mme Gagnon : En fait, le Canada est un exemple de succès. Par exemple, le Canada a servi de modèle pour développer la radiodiffusion en Amérique Latine, et je ne parle pas seulement de radio communautaire mais de radiodiffusion en général. Nous avons servi de modèle pour l'Amérique Latine, car ce que la radio communautaire a de particulier au Canada c'est qu'elle est une radio qui a une base de financement mixte. Les fonds proviennent en partie de la publicité, et l'État compense la faille du marché. Les citoyens ou usagers bénéficient donc du service. Cette particularité a fait en sorte qu'on a pu développer des radios communautaires dans des milieux où on ne croyait jamais être capable d'avoir des médias. Ce concept a été exporté en Amérique Latine et en Afrique. Notre modèle est donc, aujourd'hui, repris et apprécié partout dans le monde.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Cependant, en même temps, vous en avez tracé un portrait plutôt sombre. Par exemple, je lisais dans les documents qu'il n'existe pas de voix communautaires à Laval. S'il n'y a pas d'interventions, qu'adviendra-t-il, selon vous, à la radio communautaire au Québec et aux autres radios communautaires? Est-ce simplement une question de temps, la radio communautaire va devenir comme le dinosaure un jour ou l'autre ou existe-t-il un moyen par lequel la radio communautaire peut être sauvée?

[Français]

Mme Gagnon : Si rien n'est fait, effectivement, les radios communautaires seront appelées à disparaître dans plusieurs régions au Québec. En milieux urbains, les radios qui diffusent en français auront énormément de difficulté à traverser les prochaines années. Les radios situées dans les régions éloignées où le commerce est rare et où on ne retrouve pas une base économique suffisante pour les soutenir risquent de se trouver en péril.

Cette année déjà on a commencé à observer d'importants phénomènes de réduction de revenus pour les radios situées dans les marchés les mieux nantis. Certaines radios régionales accusent un retard de 40 p. 100 dans leurs revenus de publicité pour le premier trimestre. Ce déficit est énorme. Il faut donc faire quelque chose. Une des initiatives est la création du fonds de soutien aux médias communautaires. Si le CRTC accepte de soutenir ce fonds et de le reconnaître, il faudra ensuite s'assurer que des radios et des réseaux versent des fonds pour fournir une aide réelle aux radios communautaires et aux radios de campus. Voilà une des mesures qui peut être prise.

Une autre mesure importante serait de s'assurer que le gouvernement canadien soutienne la production locale. Le Comité Lincoln avait proposé la création d'un programme d'aide à la radio locale. Cette proposition a toutefois été mise de côté.

Sans pour autant créer de nouveaux programmes, il suffirait d'ouvrir les programmes existants aux médias communautaires. Ce faisant, on s'assurerait que la production locale soit financée, sans toutefois recourir à de nouveaux budgets et sans devoir créer de nouveaux programmes. Certaines mesures peuvent donc être prises dès maintenant.

Le gouvernement fédéral pourrait entrevoir la possibilité de consacrer une partie de ses dépenses de publicité aux médias communautaires et aux médias ethniques. Pour ce faire, il faudrait tout d'abord qu'il recommence par acheter de la publicité. Nous vivons en ce moment une crise financière importante qui est liée au fait que le gouvernement a cessé d'acheter de la publicité, en bonne partie suite à la crise des commandites.

Les mesures à prendre ne sont pas très compliquées. Elles sont toutefois bel et bien urgentes.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Je voudrais vous souhaiter bonne chance, parce que j'ai la radio à cœur. J'ai commencé ma carrière dans une petite station de radio. J'ai presque obtenu un travail d'apprenti rédacteur en 1965 au journal The Gazette, mais j'ai eu d'abord un appel d'une petite station de radio et ainsi j'ai commencé dans la radio. J'adore toujours The Gazette. La radio communautaire est une bonne chose et j'espère que nous pourrons aider dans une certaine mesure.

[Français]

Le sénateur Chaput : Ce que vous demandez, finalement, avec l'excellent travail que vous avez accompli, c'est d'être reconnus comme diffuseurs du patrimoine pour ainsi avoir accès à des programmes existants?

Mme Gagnon : Oui.

Le sénateur Chaput : Vous voulez recevoir votre juste part de la publicité, que ce soit au niveau fédéral ou provincial?

Mme Gagnon : Oui.

Le sénateur Chaput : Et vous voulez la création d'un fonds qui pourrait aider à long terme les radios communautaires à travers le Canada?

Mme Gagnon : Oui.

Le sénateur Chaput : Est-ce que c'est tout?

Mme Gagnon : Il manque les fréquences.

Le sénateur Chaput : Les fréquences réservées.

[Traduction]

Le vice-président : Merci beaucoup de votre exposé.

La séance est levée.


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