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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 5 - Témoignages du 15 décembre 2004


MONTRÉAL, le mercredi 15 décembre 2004

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 13 h 15 pour étudier l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergents au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.

Le sénateur David Tkachuk (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président  : Bienvenue cet après-midi à la réunion du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Notre premier groupe de témoins représente l'Association des journaux régionaux du Québec.

Vous avez la parole.

M. Greg Duncan, directeur général, Association des journaux régionaux du Québec  : Je vous remercie de me permettre de me présenter au nom de l'Association des journaux régionaux du Québec, ou la Quebec Community Newspaper Association.

Je suis directeur exécutif d'une association qui représente 32 journaux de langues officielles au Québec. Fondée en 1980, l'AJRQ a été la voix et l'ouie d'une alliance unique de publications qui desservent un secteur vital de la société québécoise. J'aimerais souligner que dans le jargon du milieu on parle de « community newspaper » et parfois ici au Québec de « journal communautaire » et on semble entendre qu'il s'agit d'un journal sans but lucratif, et ce n'est certainement pas notre cas. Nous avons trois ou quatre journaux qui sont des publications sans but lucratif, mais nous représentons également des journaux généraux et de solides journaux indépendants.

Notre tirage de 357 000 exemplaires rejoint un public d'environ 700 000 lecteurs. Nos journaux desservent les milieux ruraux, les banlieues, les communautés urbaines et les communautés d'intérêts spécifiques. Je peux vous expliquer ce qu'on entend par communauté d'intérêts spécifiques si vous le désirez. Nous représentons une saine combinaison de publications hebdomadaires, mensuelles, bimensuelles, des Premières nations, « ethniques », agricoles et bilingues. Notre association et les journaux qu'elle représente sont uniques. La langue et la méthode de livraison est principalement l'anglais, pour la gamme de journaux livrés par abonnement et gratuitement.

Nos membres comptent sur l'Association pour défendre leurs intérêts et offrir des services notamment de commercialisation, de communications, d'éducation et de perfectionnement professionnel. Notre mission est d'améliorer les conditions pour notre industrie en stimulant la vitalité de nos journaux et leur environnement. Nous touchons un peu à tout et nous suivons attentivement tout ce qui se passe, et c'est pourquoi nous vous sommes reconnaissants de nous avoir invités aujourd'hui.

Comme la plupart des associations médias, nous préconisons la liberté d'expression et la Charte des droits de la personne comme faisant partie de notre constitution. Nous favorisons l'approche éthique en journalisme et en matière de concurrence et nous avons établi des critères d'adhésion fondés sur ces principes. Nous ne sommes pas officiellement un organe de réglementation en tant que tel mais nous encourageons des pratiques responsables en affaires et dans les médias. M. Bakoyannis pourra vous confirmer qu'à la table nationale et particulièrement sous les pressions du Québec, nous examinons de nombreux aspects de l'autoréglementation, et même la possibilité de la délivrance de titres, ce qui est aussi lié aux enjeux du marché.

Nos membres adoptent et respectent des critères qui vérifient et contrôlent indépendamment la circulation selon des normes reconnues par l'industrie. ComBase et CROP ont effectué des études auprès des lecteurs dans nos marchés, ce qui nous permet de représenter adéquatement nos journaux et de manière responsable devant les organismes du gouvernement, les clients et nos lecteurs. Nous faisons cela volontairement parce que nous sommes conscients du fait que les clients doivent rendre compte de leurs activités auprès de ceux qu'ils représentent.

Notre association a été fondée à priori, il y a environ 25 ans, comme un réseau de publications rurales indépendantes. Aujourd'hui, c'est une combinaison d'entités sociales et indépendantes et de petits groupes en copropriété, qu'on pourrait appeler des entreprises familiales. Notre mission n'a pas changé de point de mire malgré les nouveaux types de propriété ou méthodes de livraison de nos journaux; nous sommes passés des journaux livrés par abonnement à des journaux sous vaste contrôle distribués gratuitement.

On peut dire que malgré les nombreux défis particuliers que pose la publication dans un environnement minoritaire et dans des conditions de marché sensibles à la langue, nous avons réussi tout en préservant notre identité culturelle et historique. Les réalités démographiques du Québec posent des défis économiques à nos journaux. Nous continuons à produire des journaux de qualité parce que nous ne relâchons pas nos efforts.

Nos membres, entités sociales ou en copropriété, ont réalisé des gains d'efficience en unissant leurs efforts dans de nombreux secteurs de l'édition. Ces publications sont bien adaptées aux réalités de la concurrence et, ainsi, continuent de publier un contenu pertinent tout en assurant un équilibre raisonnable de publicité et de contenu rédactionnel.

Les indépendants se sont adaptés à cette concurrence accrue et ont adopté des approches plus agressives pour faire face à la concentration. La plupart considèrent la compétition comme étant saine et favorable à la production de meilleurs journaux. Bref, nos clients indépendants ont travaillé très fort pour suivre l'évolution du secteur, et il y a eu apparence de menaces.

Il y a eu à l'occasion certains signes que la concentration des capitaux créait des conditions potentiellement injustes sur certains marchés. Quand je dis « certains marchés », je ne parle pas de façon générale, mais plutôt des environnements où des entités multimédias existent sous la même bannière.

Jusqu'à maintenant, je n'ai pas constaté de concentration des capitaux pouvant avoir eu une incidence négative sur le contenu rédactionnel. Bien qu'il puisse être vrai que nos journaux en copropriétés publient un ratio serré de publicité comparativement au contenu rédactionnel, je ne connais aucune politique rédactionnelle négative, que ce en matière de politique ou autre, qu'appliquerait un seul propriétaire de notre groupe. Les éditeurs indépendants continuent de dicter la politique rédactionnelle à leur discrétion et dans l'ensemble, les entités sociales ont pu fonctionner dans les mêmes conditions à chacun des journaux.

Les deux modèles de propriété continuent d'émettre en temps opportun des nouvelles importantes et impartiales. Nous croyons que l'autoréglementation est un outil pratique pour l'industrie dans son ensemble et nous fonctionnons déjà selon cette optique aux niveaux national et provincial par le biais de notre affiliation à la Canadian Community Newspaper Association, la CCNA, les Hebdos du Québec, son pendant, et l'Association de la Presse francophone et d'autres groupes.

Je vous invite à visiter notre site Internet, www.qcna.org pour connaître notre association et nos partenaires affiliés. Vous y trouverez toutes sortes de documents si vous utilisez les liens hypertextes fournis.

L'ensemble de l'industrie autoréglementée représente 900 journaux régionaux et je vous invite à consulter nos collègues pour obtenir leur apport dans cet important débat. Je sais que vous le faites déjà et je vous en félicite.

En conclusion, j'aimerais insister sur l'importance d'une consultation diligente de l'ensemble de l'industrie des journaux régionaux. Comme tous les médias, nous partageons votre intérêt pour le bien-être de nos membres, de nos lecteurs et du marché. Nous souhaitons être considérés comme un important conseiller dans tout débat entourant une réglementation ou des mesures législatives éventuelles, et les médias.

[Français]

Le sénateur Chaput  : Si je comprends bien, vous représentez les journaux qui publient en anglais à l'intérieur de la province du Québec et quelquefois à l'extérieur?

M. Duncan : Oui. On a aussi quelques publications publiées en français, et des publications bilingues.

Le sénateur Chaput : Cela se compare, peut-être, à ce que nous faisons au Manitoba parce que nous sommes des francophones en situation minoritaire.

M. Duncan : Oui.

Le sénateur Chaput : C'est la même réalité. C'est ce que je pensais.

M. Duncan : C'est presque la même.

Le sénateur Chaput : Semblable?

M. Duncan : Semblable, c'est bien cela. On a eu beaucoup de discussions avec l'APF à ce sujet.

Le sénateur Chaput : Qu'aimeriez-vous recommander au gouvernement? Aimeriez-vous nous donner des conseils pour assurer que les choses qui vont très bien se continuent et pour éviter les aspects négatifs que l'on voit ailleurs? À votre avis, qu'aimeriez-vous nous suggérer ou nous recommander?

M. Duncan : Bien sûr qu'au niveau du marché même, il y a des préoccupations face à la compétition.

[Traduction]

En fait de recommandation, je pense qu'il faudrait encore consulter les journaux régionaux du pays dans l'ensemble, pour le savoir. De toute évidence, l'autoréglementation est un concept dont on discute à l'échelle nationale. Comment? Nous ne le savons pas vraiment, mais peut-être M. Bakoyannis pourrait-il vous en dire plus.

M. George Bakoyannis, président sortant, Association des journaux régionaux du Québec, et éditeur, The Chomedey News : Il est clair qu'il y a place à l'amélioration dans l'industrie, et nous devons évoluer. L'une des choses auxquelles nous nous intéressons actuellement est l'autoréglementation. C'est très important pour nous. Les gouvernements fédéral et provinciaux savent pertinemment que la publicité est achetée sans vérification du tirage. Il n'existe actuellement aucun critère à l'échelon fédéral, pas plus qu'à l'échelon provincial.

Nous cherchons à définir ce qu'est un journal communautaire ou régional; cela s'est révélé une tâche difficile, mais nous y travaillons. Une fois que nous y serons parvenus, nous proposerons au gouvernement fédéral cette définition officielle de journal communautaire ou régional et nous lui demanderons d'appuyer les journaux qui sont membres accrédités de nos associations au Canada. Je ne parle pas que de l'AJRQ, mais également des autres associations francophones comme les Hebdos du Québec et les autres associations du Canada.

Permettez-moi de vous donner quelques exemples de problèmes associés à l'absence de règlements. Très souvent on voit apparaître des journaux pendant une campagne électorale, puis disparaître six ou douze mois plus tard. Ils n'existent que pour faire de la publicité ou recueillir des sous pour financer les campagnes électorales. Ce n'est pas acceptable. Le gouvernement fédéral ne devrait pas appuyer les journaux qui fonctionnent de cette façon. C'est donc un secteur que nous serions très, très intéressés à voir réglementé.

Le sénateur Merchant : J'essaie de bien comprendre le genre de rapport que vous voulez avoir avec le gouvernement fédéral. Vous ne souhaitez pas qu'il réglemente l'industrie des journaux d'aucune façon. Votre intérêt pour le gouvernement est qu'il achète de la publicité dans vos journaux. Vous voulez en quelque sorte qu'il investisse dans vos journaux.

Les représentants des journaux ethniques ont comparu devant votre comité et ont suggéré que comme ils desservent un nombre X de personnes ils devraient recevoir un montant correspondant au service qu'ils offrent. Est-ce le même argument que vous essayez de présenter au gouvernement? Je crois avoir compris que les journaux ethniques recevaient 1 p. 100 des recettes publicitaires avant que le gouvernement ne gèle les dépenses. Ces journaux cherchent maintenant à obtenir 15 p. 100 dans le cadre d'une nouvelle entente parce qu'ils offrent le service à un large segment de la population polyglotte de l'Ontario.

Voudriez-vous convenir avec le gouvernement d'une certaine formule? Savez-vous combien vous avez ou aviez du budget de commandites du gouvernement et combien vous aurez à l'avenir?

M. Duncan : Nous ne voulons pas simplement obtenir de l'argent du gouvernement. Nous voudrions que l'on donne suite aux 12 recommandations qui ont été formulées en ce qui concerne les médias de langues officielles; il est clair que certains de ces engagements ne seront pas concrétisés d'ici le 31 mars. Nous devons communiquer les messages à nos collectivités.

Nous disons simplement que le gouvernement doit bien réfléchir avant d'acheter. Nous avons constaté que nous sommes tout aussi utiles que n'importe quel autre média et dans certains cas même encore plus qu'eux. Cet octroi de contrats à des médias non vérifiés n'est pas une façon responsable de dépenser l'argent, à l'égard des contribuables ou de n'importe qui d'autre.

Nous sommes prêts à démontrer que nous offrons un service utile. Nous avons effectué des recherches assez coûteuses et à l'instar de la majorité des autres médias nous sommes prêts à respecter des règles du jeu équitables.

Pour ce qui est des minorités de langues officielles, il est clair qu'on cherche à élaborer de nouvelles politiques et cela pourrait poser certains problèmes. Actuellement, nous avons des publications bilingues qui ne reçoivent que des annonces en français et j'ai déjà parlé de la question avec Jean-Marie Philippe de Travaux publics; des lettres seront envoyées. Ce n'était pas le cas auparavant, et nous n'arrivons pas à comprendre comment des renseignements qui sont destinés à une collectivité bilingue, officielle ou pas, ne seraient fournis que dans une langue. Nous sommes prêts à réserver les espaces nécessaires, et nous n'entendons pas par là qu'il faudra dépenser deux fois plus pour créer deux annonces de taille égale, mais seulement diffuser une annonce clairement bilingue. Nous voulons simplement avoir une bonne annonce qui puisse être lue par toute notre collectivité dans les marchés bilingues.

Nous avons dit qu'environ 5 p. 100 du budget publicitaire est dépensé dans les journaux de langues officielles. Mais pour l'ensemble du marché, au moins 9 p. 100 de tout le budget publicitaire est consacré exclusivement aux journaux régionaux, qui sont au nombre de 1 450. Huit cent cinquante de ces journaux sont accrédités, on a vérifié le tirage, des vérifications indépendantes sont effectuées, et ils sont reconnus à l'échelle nationale. Il y a lieu de se demander pourquoi l'argent est dépensé pour publier des annonces dans des journaux qui ne font pas l'objet de vérifications alors que nous avons travaillé très fort pour améliorer l'industrie et pour optimiser l'investissement de nos clients. Nous pouvons défendre nos chiffres.

Le vice-président : Qu'entendez-vous par publication qui ne fait pas l'objet d'une vérification?

M. Duncan : C'est une publication qui peut dire par exemple qu'elle a un tirage de 350 000 copies mais qui n'en a aucune preuve émanant d'un organe de vérification indépendant. Il n'y a pas de preuve reconnue. Il peut y avoir un imprimé de facture, mais les propriétaires peuvent également posséder une imprimerie. C'est très frustrant pour les membres de notre association et pour les propriétaires de quotidiens. Les quotidiens sont frustrés lorsqu'ils voient des publications ou des médias se vanter d'un tirage quelconque et obtenir ainsi un contrat de l'agence de coordination alors qu'eux ils ont travaillé très fort pour présenter un média honnête respectueux des règles déontologiques.

Cependant ce n'était pas là notre principal message et je m'excuse si je n'ai pas tout à fait répondu à votre question.

Le sénateur Merchant : Pouvez-vous me dire quelle sorte de rapport vous souhaitez établir avec le gouvernement? Dites-nous ce que vous voudriez que le gouvernement fasse pour vous appuyer et les aspects de vos activités auxquels vous ne voulez pas qu'il se mêle?

M. Bakoyannis : Puis-je ajouter quelque chose? Je crois qu'il est très difficile de fixer un chiffre, de dire que nous avons besoin de 2, de 3 ou de 5 p. 100. Je ne crois pas que ce soit réaliste.

Je crois que l'AJRQ pourrait demander par exemple d'être à égalité avec une association francophone de l'extérieur du Québec. Il y a également l'APF, l'Association de la presse francophone, qui représente à peu près le même nombre de journaux au Québec. Les membres de cette association reçoivent environ sept, huit ou dix fois plus — je ne suis pas tout à fait certain — que l'AJRQ en contrats publicitaires du gouvernement fédéral. Et il ne s'agit pas que d'une année. Cela se produit depuis plusieurs années.

J'aimerais beaucoup qu'il y ait une certaine équité à cet égard. Nous serions très heureux d'être sur un pied d'égalité avec cette association. Il n'est pas facile de publier et de distribuer un journal anglais dans une région dont la moitié des ménages sont francophones. Je sais que j'imprime 29 500 copies, et je sais que la moitié de ces journaux ne seront pas lus.

Nous avons les mêmes défis à relever que les journaux francophones à l'extérieur du Québec. Un grand nombre de nos membres voudraient bien faire l'objet d'un traitement équitable en ce qui concerne la publicité du gouvernement fédéral. Nous ne voulons pas lui demander de ne pas faire de publicité ailleurs et de n'investir que chez-nous; ce ne serait pas juste. Nous voulons simplement notre juste part du gâteau.

Le sénateur Merchant : Avez-vous dit que vous comptiez quelque 900 membres?

M. Duncan : Je m'excuse, c'est le chiffre national. L'AJRQ est un membre régional d'une association nationale. Notre association régionale représente 32 journaux minoritaires de la province.

Le sénateur Merchant : Monsieur Bakoyannis, combien d'employés comptez-vous? À quel fréquence publiez-vous votre journal? Combien compte-t-il de pages et diffuse-t-il beaucoup d'annonces des entreprises locales? Comment vous tirez-vous financièrement d'affaire? Depuis combien de temps publiez-vous ce journal?

M. Bakoyannis : Nous avons lancé deux journaux en 1993, un à Chomedey, Laval, juste en banlieue de Montréal, et un autre à Montréal, dans le quartier Park Extension. Un des journaux a un tirage de 9 000 copies et l'autre de 29 500. Les journaux comptent entre 24 et 40 pages, selon la semaine et selon l'actualité. Nous avons cinq à sept employés à plein temps et plusieurs autres à temps partiel. Nous avons souvent besoin de plus de rédacteurs et nous faisons alors appel à un rédacteur à temps partiel.

Nous publions à la quinzaine et c'est ce qui fait notre succès. Pendant les cinq premières années, nous avions un hebdomadaire, et je peux vous dire que nous avions accumulé toute une dette. Ça a été une période ardue. Il était très difficile de livrer concurrence aux grosses sociétés qui dominaient le marché. Il nous a fallu faire des choix difficiles et c'est ce que nous avons fait. Nous avons décidé de ne publier qu'en anglais, aux deux semaines. C'est ce que nous faisons aujourd'hui et je ne crois pas que nous changions notre fusil d'épaule de sitôt.

Le sénateur Eyton : Je suis fasciné par ce que vous avez dit de ce que nous appelons les publications de période électorale, qui apparaissent et disparaissent très rapidement. Pouvez-vous m'en dire un peu plus long là-dessus? Je suis peut-être naïf. Je suis un gars de l'Ontario, et je ne connais pas vraiment le monde de l'édition. Pourriez-vous m'en dire un petit peu plus?

M. Bakoyannis : Avec plaisir, et si vous voulez, je pourrais vous faire parvenir des exemplaires de ces publications éphémères. Cela se produit encore aujourd'hui lorsque les élections municipales coïncident avec des élections fédérales ou provinciales. Cette situation crée un contexte où il est très rentable de mettre sur pied un journal et d'obtenir des contrats de publicité des politiciens. Cela s'est produit par le passé et je soupçonne que ça se produira à l'avenir également.

Ces journaux font souvent état de chiffres absolument farfelus, ils clament avoir un tirage de 20 000 copies alors qu'ils n'en impriment en fait que 5 000 ou 7 000. Le tirage n'est pas vérifié, ils apparaissent un jour et ont disparu le lendemain.

Le sénateur Eyton : Vous y voyez donc une espèce de phénomène?

M. Bakoyannis : Oui.

Le sénateur Eyton : Ces nouveaux journaux sont de ceux qui ne font pas l'objet d'une vérification, dont vous parliez tout à l'heure?

M. Bakoyannis : Oui, certains d'entre eux.

Le sénateur Eyton : Certains d'entre eux?

M. Bakoyannis : Il y a des journaux qui essaient d'adhérer à notre association. Ils n'y parviennent cependant pas parce qu'ils affirment vouloir participer au programme de vérification du tirage mais ne le font pas.

Le sénateur Eyton : Ils n'existent probablement pas assez longtemps pour que cela puisse se faire.

M. Bakoyannis : Eh bien, certains d'entre eux ont existé assez longtemps. Ils tournent autour du pot depuis déjà plusieurs années. Nous avons été patients, mais nous en sommes à un point où nous annulons l'adhésion de certains membres qui ne sont pas disposés à respecter nos règles.

Le sénateur Eyton : Je crois que les gens ont beaucoup de sympathie pour les médias qui desservent les petites collectivités et diffusent l'actualité locale. J'ai l'impression qu'ils sont prêts à trouver des façons de leur permettre de prospérer, que ce soit la radio, les journaux régionaux ou tout autre média.

J'ai l'impression que les journaux éclairs des périodes électorales s'emparent d'une partie des revenus au détriment de l'autre secteur. Cela ne me semble pas très légitime.

Il faut s'efforcer d'offrir un appui approprié aux groupes qui le méritent, et d'en priver ceux qui ne le méritent pas. Nous vous serions donc très reconnaissants de nous donner quelques exemples.

M. Bakoyannis : Je ferai volontiers parvenir des exemplaires au comité.

Le sénateur Eyton : Pouvons-nous parler un peu des membres de votre association? Vous dites représenter 32 journaux, et vous avez dit lors de vos observations liminaires que vous avez commencé avec des vrais journaux, pour ainsi dire, mais que vous avez été plus loin. Vous semblez en fait représenter la nation, puisque vous représentez des journaux indépendants, des journaux établis en société, et d'autres qui appartiennent à de petits groupes.

Comment peut-on devenir membre de votre association? Y a-t-il un nombre maximum de membres? Est-ce que le Globe and Mail pourrait devenir membre de l'Association des journaux régionaux du Québec? Accepteriez-vous son adhésion?

M. Duncan : Nous avons une catégorie, celle des membres affiliés, qui appuie les médias. Pour devenir membre à part entière, il faut satisfaire à des critères spécifiques. Nous avons d'ailleurs un quotidien, le Sherbrooke Record qui est devenu membre en 1980. En fait, il est devenu membre en vertu d'une disposition sur les droits acquis. L'Association ne représente aucun autre quotidien.

Est-ce que n'importe quelle publication peut devenir membre? Certainement pas. Nous invitons les intéressés à poser leur candidature puis un comité d'examen passe en revue la demande pour voir si le journal respecte bien les paramètres établis. Nous voulons faire preuve d'inclusion, et nous voulons d'abord et avant tout que peu importe la collectivité visée, la publication soit en anglais. Ça c'est la pierre angulaire de notre association.

Le sénateur Eyton : Un point commun.

M. Duncan : C'est un élément, qui ne peut être assujetti à des règlements. Cela nous a posé certains problèmes au niveau du conseil d'administration et à titre d'association. Nous voulons être inclusifs, mais à certains égards cela nous a nui.

Le sénateur Eyton : Vous avez parlé de membres qui sont en fait des groupes de propriétaires; est-ce que ce sont de grandes sociétés? Est-ce qu'Alcan pourrait être membre?

M. Duncan : Non.

Le sénateur Eyton : Ogilvy non plus, je suppose et d'autres sociétés du genre?

M. Duncan : Mme Dore travaille pour Transcontinental.

Mme Debbie Dore, membre du conseil d'administration, Association des journaux régionaux du Québec, et adjointe administrative, The Chronicle et The Westmount Examiner : Transcontinental est propriétaire d'environ 62 hebdomadaires au Canada.

Le sénateur Eyton : Je vois.

Mme Dore : Seuls trois d'entre eux font partie de l'AJRQ, et c'est parce qu'il s'agit des trois publications d'expression anglaise au Québec.

Le sénateur Eyton : Oui, je me posais justement la question.

Oublions pour l'instant Transcontinental qui est une grosse société qui se tire très bien d'affaires; pouvez-vous nous donner un exemple de la situation d'un journal régional au Québec, et me donner une idée de son budget et des recettes qu'il pourrait générer? D'où proviendrait ce revenu, pouvez-vous m'en donner une ventilation? Quelles seraient les dépenses générales? Je veux simplement avoir une idée d'ensemble, parce que j'essaie de me faire une meilleure idée de ce que cela représente que de publier un journal régional au Québec.

M. Bakoyannis : Un journal qui génère des revenus, du genre du plus modeste des miens, réalise environ 5 000 $ par numéro. Je ne peux pas vous donner le détail des coûts en dollars, mais je peux parler de pourcentage. Cinquante pour cent des coûts, ou près de 50 p. 100, sont associés à l'impression et à la distribution, puis il y a la feuille de paie et les autres dépenses qui viennent éponger pratiquement tout le reste. Si je n'avais qu'un journal, il ne suffirait pas à me faire vivre. Je ne pense pas que je pourrais survivre et faire vivre ma famille.

L'une des raisons pour lesquelles j'ai lancé deux journaux c'est parce qu'il vous en faut deux si on veut vivre. J'ai lancé le premier journal, puis sept mois plus tard j'ai lancé l'autre, parce que j'ai rapidement constaté qu'un seul ne suffirait pas. Pour survivre dans le secteur, il me fallait un deuxième journal, et peut-être même un troisième plus tard.

Ce sont donc là les coûts. Je ne sais pas si j'ai oublié de répondre à un aspect de votre question.

Le sénateur Eyton : D'où proviennent ces 5 000 $ de revenus par numéro?

M. Bakoyannis : C'est la publicité.

Le sénateur Eyton : Exclusivement la publicité?

M. Bakoyannis : Oui, nous sommes entièrement tributaires de la publicité.

Le sénateur Eyton : Vous n'avez aucune autre source de revenu?

M. Bakoyannis : Non, aucune. Les revenus proviennent exclusivement de la publicité, et 75 p. 100 et peut-être même plus de la publicité locale; ce sont donc des entreprises locales qui achètent de l'espace pour faire de la publicité dans le journal. Une toute petite portion de la publicité, peut-être 10 p. 100, est achetée par une administration fédérale ou provinciale, ou disons simplement le gouvernement.

M. Duncan : Certains de nos journaux qui offrent des abonnements tireraient, selon leur modèle, un certain revenu de ces abonnements mais s'ils ne sont livrés qu'aux abonnés, cela représenterait peut-être 20 p. 100 du revenu.

Le sénateur Eyton : Et ce serait un cas typique?

M. Duncan : Oui.

M. Bakoyannis : C'est un journal tout à fait moyen. Dans notre association, nous avons des journaux très modestes, avec un tirage de 1 500, 2 000 ou 3 000 copies. La réalité de ces petits journaux est différente de l'un à l'autre parce qu'ils ne sont pas dans des centres urbains où il y a d'importantes sources possibles de revenu.

M. Duncan : Nous parlons du marché du détail.

M. Bakoyannis : Ils ne peuvent pas dépendre du marché du détail et leur survie est donc lourdement tributaire de la publicité du gouvernement fédéral.

M. Duncan : Ils établissent leur budget en fonction de cette situation. Nous avons un petit journal avec un tirage de 457 copies aux Îles-de-la-Madeleine. Nous avons étudié toutes sortes de modèles, mais le fait est que si une collectivité exige un journal, il faut se demander quelle sorte de format sera viable dans son contexte.

Le sénateur Eyton : Il y a Laurent Beaudoin aux Îles-de-la-Madeleine.

M. Duncan : Oui. Nous avons également certains journaux qui ont un tirage de quelque 95 000 copies, mais ceux qui ont le plus gros tirage sont habituellement des journaux qui sont distribués gratuitement.

Le sénateur Eyton : Je voudrais terminer en signalant que le Sherbrooke Daily Record a été le premier journal dont Conrad Black et Peter White ont fait l'acquisition.

M. Duncan : C'est exact.

Le sénateur Eyton : Il font toujours les manchettes.

M. Duncan : Oui. Et ils sont toujours propriétaires de ce journal.

Le sénateur Merchant : Est-ce que vos deux journaux paraissent le même jour?

M. Bakoyannis : Non, ils paraissent à deux jours d'écart.

Le sénateur Merchant : Est-ce que les mêmes journalistes travaillent pour les deux journaux?

M. Bakoyannis : Oui, la plupart du temps.

Le sénateur Merchant : Est-ce que c'est pour leur assurer un emploi à plein temps?

M. Bakoyannis : Oui, absolument.

Le sénateur Merchant : Vos journaux sont-ils gratuits?

M. Bakoyannis : Oui, ils sont distribués gratuitement. En fait, nous devons payer pour les faire distribuer à domicile.

Le sénateur Merchant : Combien vous coûte la livraison de chaque journal? Est-ce qu'ils sont distribués de porte en porte, comme un dépliant publicitaire?

M. Bakoyannis : Oui, nous passons de porte en porte. C'est Transcontinental qui en assure la distribution pour nous. Actuellement, il m'en coûte environ 50 $ pour 1 000 exemplaires.

Le sénateur Merchant : Est-ce que vous savez combien de journaux vous devez imprimer? Vous dites que la moitié seulement des journaux distribués sont lus. Est-ce que le nombre de journaux imprimés a peu d'importance, parce qu'une fois les 1 000 premiers exemplaires imprimés, les autres ne coûtent plus grand chose?

M. Bakoyannis : Non, absolument pas. Le coût différentiel est très élevé. Nous imprimons suffisamment de journaux pour couvrir certains secteurs. Nous couvrons intégralement certains secteurs, ou certains codes postaux, si vous voulez. Pour bien le faire, nous avons besoin d'une certaine quantité de papiers et c'est comme cela que nous obtenons ce chiffre de 29 500. Nous avons pu déterminer cinq codes postaux englobant notre lectorat potentiel. C'est ainsi que nous avons réussi à le joindre.

Pour obtenir des annonceurs, il faut avoir des lecteurs. Quand on a un lectorat, on a des annonceurs. Sans lectorat, pas d'annonceurs; c'est aussi simple que cela. Les annonceurs ne font de la publicité que s'ils obtiennent des résultats.

Le sénateur Merchant : Oui. Je me demande comment vous pouvez conserver vos journalistes. Est-ce que vous couvrez toutes les régions? Vos journaux ont-ils une certaine couleur politique?

M. Bakoyannis : Nous sommes très sélectifs.

Le sénateur Merchant : Très sélectifs?

M. Bakoyannis : Nous essayons de couvrir l'actualité de la collectivité. Nous ne reprenons pas les nouvelles diffusées par les quotidiens. Nous ne reprenons pas les nouvelles de la télévision ni de la radio. Nous traitons d'actualité locale, que nos lecteurs ne peuvent pas trouver ailleurs.

C'est là la force des journaux régionaux canadiens. Nous parlons de ce qui se passe dans le quartier. Ce n'est pas le Globe and Mail qui en parlerait.

Le sénateur Merchant : Ce que vous dites est exact. Vous pouvez en parler. Les journaux régionaux peuvent diffuser l'actualité et les nouvelles qui présentent un intérêt durable.

M. Bakoyannis : Exactement.

Le sénateur Chaput : J'aimerais comprendre la différence entre les journaux vérifiés et ceux qui ne le sont pas. Vos journaux sont vérifiés, et je suppose que vous devez demander un permis et respecter certains critères.

M. Bakoyannis : Oui.

Le sénateur Chaput : Et cela vous donne certains privilèges. Quels sont les vôtres? Est-ce que les journaux non vérifiés disparaissent après un certain temps? Peut-on les comparer à des dépliants distribués par certaines sociétés pour certains produits, qui disparaissent aussitôt après?

Mme Dore : Pas nécessairement. Certains journaux non vérifiés existent depuis très longtemps mais pour une raison ou une autre, ils ne souhaitent pas mesurer leur diffusion.

Le sénateur Chaput : Pourquoi devez-vous obtenir un permis et pas eux?

Mme Dore : C'est ce que nous cherchons à savoir.

Le sénateur Chaput : J'essaie de comprendre la situation.

Mme Dore : Nous essayons d'obtenir un règlement qui réservera le soutien aux journaux qui sont prêts à prouver la mesure de leur diffusion.

Le sénateur Chaput : Ils reçoivent un soutien du gouvernement, qui leur achète de la publicité; est-ce bien ce que vous entendez par « soutien »? Est-ce que vous parlez de la publicité achetée, ou d'une autre forme de soutien?

M. Bakoyannis : Il existe une liste de tous les journaux, qui indique leur diffusion et précise si cette diffusion est vérifiée ou non.

Il y a des journaux dont la diffusion n'est pas vérifiée, c'est-à-dire, en fait, qu'ils n'ont pas payé un organisme pour vérifier leur diffusion. Dans ce cas, ils doivent fournir tous les ans, tous les deux ans ou tous les trois ans une déclaration sous serment, un affidavit qui atteste de leur diffusion. Nous disons que ces journaux sont non vérifiés; on se contente de la parole de l'éditeur qui affirme que ces chiffres sont exacts alors qu'en réalité, personne n'en est sûr.

Il n'y a pas de vérification par une tierce partie. Nous avons d'autres journaux qui sont vérifiés. La Canadian Community Newspapers Association a un programme appelé VCC.

Le sénateur Chaput : S'agit-il d'un programme de vérification?

M. Bakoyannis : Oui, de vérification de la diffusion. Il y a d'autres programmes, comme l'ABC et l'ODC. Ce sont d'autres excellents programmes de vérification. Nous utilisons VCC parce qu'il a été créé par notre association et qu'il est très efficace.

La vérification est importante pour moi, parce que lorsque je vais frapper à la porte d'un annonceur potentiel, j'aime pouvoir lui dire que je suis un homme d'affaires sérieux qui tient parole.

Le sénateur Chaput : Je comprends.

M. Bakoyannis : Je ne voudrais pas embrouiller le tableau, mais il existe dans les médias ethniques un sérieux problème de vérification de la diffusion. Certains journaux ethniques font état d'une diffusion extraordinaire de 30 000, 40 000 ou 50 000 copies. Ces chiffres sont tout à fait incroyables, et pourtant, ils ne sont jamais démentis.

Le vice-président : Est-ce que les nouvelles à sensation apparaissent en dehors des périodes électorales, lorsque le gouvernement a beaucoup de publicité à faire?

M. Bakoyannis : Habituellement, le gouvernement fédéral ne fait pas de publicité dans les journaux. Il y a un moratoire d'un an, je crois, avant qu'il puisse leur donner de la publicité.

M. Duncan : Oui, il y a une période d'attente d'un an.

M. Bakoyannis : On ne peut pas lancer un journal et obtenir immédiatement de la publicité fédérale, mais cette règle ne s'applique pas aux périodes électorales.

M. Duncan : C'est exact.

M. Bakoyannis : Chacun fait paraître des annonces où il veut.

Le vice-président : Quand vous parlez d'annonces à des fins électorales, est-ce que ce sont les députés ou les partis qui font des annonces? Est-ce que les plus futés font des annonces dans des journaux non vérifiés?

M. Bakoyannis : C'est un peu les deux à la fois. On ne peut accuser personne en particulier, car tout le monde le fait.

M. Duncan : Tout le monde le fait.

M. Bakoyannis : Tout le monde fait de la publicité. Les candidats ont un certain montant à dépenser, ou ils pensent que c'est la bonne façon de faire passer leur message.

M. Duncan : On observe également le phénomène en dehors des périodes électorales. Certaines publications non vérifiées existent depuis longtemps et sont les grandes gagnantes d'un fort volume de publicité depuis des années. Tout cela est préjudiciable à notre crédibilité quand nous essayons de vérifier des chiffres, mais en outre, nous comprenons mal pourquoi le gouvernement accepte une telle pratique.

Patrimoine Canada considère que la vérification de la diffusion est un aspect important du programme d'aide aux publications. Nous considérons que la vérification devrait être imposée à tout le monde.

Le vice-président : Est-ce que les agences de publicité achètent l'espace de publicité?

M. Duncan : Élections Canada n'est pas assujetti à certains des critères en matière d'annonces parce que ce n'est pas un ministère.

Le vice-président : Vous dites que le gouvernement fait depuis 10 ans des annonces dans des publications non vérifiées, qui en tirent donc des profits. Est-ce que cela se fait directement par le gouvernement, par l'intermédiaire des agences de publicité?

M. Duncan : Par les agences de publicité, évidemment.

Le vice-président : Voulez-vous dire qu'on ne tient pas compte des vérifications, et qu'elles passent tout simplement leurs annonces dans ces journaux? Est-ce que ce n'est pas un traitement de faveur, que leur accorde ainsi le gouvernement?

M. Duncan : Dans certains cas, oui.

Le vice-président : C'est intéressant.

M. Duncan : Oui.

M. Bakoyannis : Certains journaux dont la diffusion n'est pas vérifiée existent depuis 20 ou 25 ans. Ces journaux obtiennent des annonces des autorités fédérales, provinciales et municipales. Nous souhaitons que cela cesse. Nous souhaitons que les membres de l'Association respectent certaines normes, et tout d'abord, que leur diffusion soit vérifiée. Nous travaillons aussi sur d'autres objectifs.

M. Duncan : Nous travaillons sur une forme d'autoréglementation.

M. Bakoyannis : Le domaine de l'imprimerie est aussi important que celui des médias, et c'est le seul qui ne soit assujetti à aucune réglementation. À l'heure actuelle, il nous est très difficile de nous réglementer. Nous ne pouvons pas appeler le CRTC pour lui faire des suggestions. Le CRTC connaît les mêmes problèmes pour les licences de radio et de télévision.

Un vaste secteur des médias n'est pas réglementé. Nous voudrions que toute l'industrie soit réglementée.

Le sénateur Chaput : Avez-vous dit que Patrimoine Canada suivait la situation de près et qu'il pourrait y avoir un ministère qui s'efforcera de faire que ce problème soit moins fréquent?

M. Duncan : Oui; il y a le Programme d'aide aux publications de Patrimoine Canada relativement aux subventions et au soutien par l'intermédiaire de Postes Canada et de ses publications. Autrement dit, un journal ne peut pas bénéficier du Programme d'aide aux publications s'il n'est pas vérifié.

Le sénateur Chaput : Il ne peut pas bénéficier de la livraison postale s'il n'est pas vérifié?

M. Duncan : C'est exact.

Le sénateur Chaput : C'est déjà quelque chose.

M. Duncan : Oui.

Le sénateur Chaput : Merci.

Le vice-président : Je vous transmets les excuses du sénateur Fraser, qui ne peut assister à notre séance de cet après- midi. C'est lui préside le comité, et il est désolé d'avoir dû s'absenter.

Nos prochains témoins sont des représentants de l'Association des agences de publicité du Québec.

Nous vous écoutons.

[Français]

M. Yves St-Amand, directeur général de l'Association des agences de publicité du Québec : D'abord nous voudrions remercier les membres de votre comité qui ont accepté de nous recevoir à la dernière minute. Nous sommes ici, en fait, pour vous livrer deux messages.

Premièrement, nous ne sommes pas contre la convergence média telle qu'on l'entend lorsqu'elle est bien appliquée, lorsqu'elle est bien faite. Deuxièmement, nous voulons vous sensibiliser malgré tout à un certain nombre de dommages collatéraux créés par la convergence média au Canada au cours des dernières années et ses impacts financiers, surtout des impacts dans le monde des affaires.

Présents ici aujourd'hui nous avons des représentants de deux associations, Gregor Angus, à ma droite, président de l'Association des agences de publicité du Québec, et, à ma gauche, François Vary, président du Conseil des directeurs médias du Québec.

Nous avons une opinion à vous proposer. Cette opinion a été formulée suite à une étude que nous avons réalisée au cours des derniers mois auprès de nos agences membres et des membres individuels du Conseil des directeurs médias et de notre association ainsi qu'à l'observation de l'évolution quotidienne de la situation au cours des dernières années.

Tout d'abord, quelques mots pour situer notre organisation. L'AAPQ regroupe 29 agences qui oeuvrent en communication marketing au Québec, au Canada et à l'étranger. Ces agences représentent environ 75 p. 100 du chiffre d'affaires total de la publicité réalisée au Québec.

Notre association existe depuis plus de 16 ans. Ses principaux objectifs sont de défendre l'industrie en participant activement aux activités du domaine, par exemple, en négociant l'entente collective avec l'Union des artistes au Québec; en participant à des travaux de différentes associations ou groupes comme le Conseil des normes de la publicité, Advertising Standard Canada, la Table de concertation sur la qualité de la langue française dans les médias, et ainsi de suite.

On participe également à des concours nationaux et québécois comme les CASSIES et les Coq d'or. On s'implique de façon très concrète en milieu universitaire en créant des programmes d'enseignement, notamment de premier et deuxième cycles, aux HEC Montréal, à l'Université du Québec à Montréal, à l'Université de Montréal, et d'autres.

Quant au Conseil des directeurs médias du Québec, il regroupe près d'une vingtaine de professionnels qui oeuvrent au quotidien, à créer et à proposer des offres de placement média complètes, efficaces, rentables aussi bien pour l'annonceur que pour les agences et les médias eux-mêmes.

Ces gens, je vous le souligne, doivent s'adapter à des nouveaux concepts, notamment toute la vague de placement de produits qui vient des États-Unis. Ils sont donc à la fine pointe, il va sans dire, de leur métier.

Je vais vous parler maintenant du contexte. D'aussi loin qu'on se souvienne, les médias ont été les partenaires d'affaires les plus importants de l'industrie de la publicité. D'une part, nous mettons en valeur leurs forces et leurs nombreux avantages bénéfiques pour nos clients annonceurs.

D'autre part, cette relation nous permet de tirer un bénéfice financier dans l'échange puisque, en agissant en quelque sorte à titre de revendeur d'espace et de temps d'antenne, nous sommes rémunérés au passage soit par des honoraires, soit par un pourcentage; le tout, dans les deux cas, convenu à l'avance avec le média et notre client.

Traditionnellement, cette rémunération était constituée d'un pourcentage fixe. Toutefois, on peut affirmer aujourd'hui que, d'une part, la rémunération à honoraires est en forte progression; et que, d'autre part, le pourcentage, s'il y a lieu, varie systématiquement d'un client à l'autre.

Lorsque le phénomène de la convergence média a fait son apparition, nous étions convaincus que le débat toucherait essentiellement les questions de concurrence légitime entre médias, la concentration de la presse, la liberté de presse et la libre expression des opinions.

Notre relation traditionnelle avec notre principal partenaire ne se voyait donc pas affectée. Nous avions, toutefois, une inquiétude selon laquelle les coûts pourraient augmenter compte tenu de la position de force que cela donnerait à divers groupes médias.

Malheureusement, nos constats récents sont encore plus alarmistes que nos pires scénarios. Le Conseil des directeurs médias du Québec nous a approchés, en 2003, pour nous faire état des craintes de leurs membres selon lesquelles des médias avaient commencé à solliciter directement les clients des agences.

Nous étions plutôt sceptiques au début. En effet, comment croire que notre partenaire principal, pour qui nous vendons au quotidien, répétons-le, espace et temps d'antenne, puisse, en parallèle de cette relation d'affaires, nous faire directement compétition?

Nous avons donc procédé à un audit auprès des membres des deux associations afin de documenter la situation et vérifier si elle était aussi dramatique que ce qu'on nous laissait entendre. La conclusion est simple : la situation n'est pas dramatique, elle est pire.

Ce qu'on nous a décrit, lors de notre recherche, nous interpelle au plus haut point. Premièrement, toutes les agences vivent, à différents degrés, la problématique causée par la convergence média. La majorité d'entre elles ont vu de leurs clients se faire directement approcher par les médias.

Les médias profitent de la méconnaissance de certains annonceurs pour leur vendre un service que les répondants jugent inadéquat pour les besoins de leurs marques et les orientations marketing de leurs organisations.

L'existence du phénomène de la convergence média et de ses manifestations fait visiblement l'objet d'un consensus au sein de l'industrie. Il s'agit, effectivement, d'une tendance jugée forte et en pleine croissance.

Lors de l'étude, neuf répondants sur dix étaient, d'ailleurs, persuadés que la tendance s'était accentuée au cours des dernières années, devenant de plus en plus présente au quotidien.

Huit répondants sur dix confirmaient que dans certains dossiers, les groupes médias approchent leurs clients directement. Et, presque autant, sept sur dix, avançaient qu'un média avait déjà approché un de leurs clients avec un forfait clé en main, soit une offre qui dépassait le seul placement média, incluant soit de la création, de la production, de la commandite, de la promotion ou bien des relations publiques.

Les groupes médias seraient-ils devenus astucieux au point d'offrir des services où ils ne possèdent pas d'expertise seulement pour séduire les clients, développant à leurs dépens une expertise sur le tas?

La tactique des groupes médias est simple : approcher directement le client-annonceur et lui donner une fausse impression d'économie.

En effet, en faisant directement affaires avec le média, le client a l'impression d'obtenir un placement média de qualité qui assure une visibilité à sa publicité sur de multiples supports, de réaliser une bonne affaire sur le coût d'ensemble de son placement média, d'épargner la commission prescrite et les honoraires convenus qu'il verserait normalement à une agence de publicité.

La moitié des répondants à notre recherche reconnaissaient qu'un média a déjà affirmé à certains de leurs clients que transiger directement avec le média lui ferait sauver 15 p. 100.

À ce manque d'objectivité et de professionnalisme des groupes médias s'ajoutent une série de comportements pervers, voire non éthiques, envers les annonceurs et les agences.

Des répondants ont mentionné l'application par les médias de techniques agressives pour obtenir certains contrats, tel que contacter directement le président de l'organisation.

On nous a apporté des cas où le média a contacté directement l'annonceur, même après que l'agence ait refusé son offre au nom de l'annonceur; deux répondants sur cinq confirmaient vivre cette situation de façon mensuelle.

Le plagiat des plans de placements médias par les groupes médias fait aussi partie, malheureusement, de cette liste de comportements déplorables.

Enfin, 81 p. 100 des répondants disent avoir vécu des cas où un ou des médias abusaient de leur position dominante sur le marché et lui imposaient une tarification abusive ou de l'achat forcé d'un même groupe, de plusieurs supports non nécessairement pertinents.

Cette dernière situation est particulièrement inquiétante parce qu'elle influence le placement média fait pas les agences pour leurs clients et les empêche ainsi de les servir adéquatement et nuit, éventuellement, à la relation agence- client.

On imagine assez facilement les impacts d'une telle situation au quotidien. D'abord, la tension qui est ressentie par les directeurs médias, en agence, lorsqu'ils doivent traiter avec des représentants de médias qui ont sollicité directement leurs clients.

La perte de revenus est estimée de manière très conservatrice s'élève de trois à six millions de dollars par année, au Québec seulement. Nos estimations les plus pessimistes situent cette perte à environ 13 millions de dollars pour l'année 2003.

Il y a un bris du lien de confiance traditionnel entre l'agence et l'annonceur, et l'agence et le média. Mais, il y a plus, semble-t-il.

Toutes les transactions réalisées au cours des dernières années ont permis aux grands groupes d'étendre leurs activités à de nouveaux médias, de concrétiser leur présence sur le marché en général et de se positionner comme marchands de médias.

Il en résulte que leur éventail de médias est désormais suffisamment complet, diversifié et vaste pour qu'ils offrent des services de planification médias et même de la création.

Prenons, par exemple, Astral Média qui, au cours de l'année 2003, a développé la division Astral Media Mix dont la mission est, et je cite leur propre document :

De créer, d'élaborer, de réaliser des projets commerciaux en capitalisant sur la synergie qui existe entre les diverses propriétés d'Astral Média et de générer de nouveaux revenus grâce à l'approche créative et unique de concepts et solutions proposés.

Son président, Ian Greenberg, affirmait d'ailleurs que :

Les offres d'Astral Media Mix lui ont permis d'attirer de nouveaux annonceurs, notamment ceux de l'automobile.

En tout, lors de l'exercice 2003, Astral Media Mix a réalisé 24 projets qui sont allés au-delà des objectifs fixés.

Même stratégie du côté de l'empire Quebecor. On mentionnait dans le Guide Média Infopresse que :

Dès sa création, sous l'impulsion de monsieur Pierre-Karl Péladeau, Quebecor Média allait résolument miser sur la convergence et tenter d'attirer les annonceurs en leur offrant des stratégies publicitaires intégrant des placements dans plusieurs médias du groupe.

M. Péladeau a réaffirmé la même chose lors de l'achat qu'ils ont fait sur le marché de Toronto d'une station de télévision, il y a quelques semaines de cela.

Corus aussi est entré dans la danse en créant, en 2002, la division DeepSky, se targuant d'offrir aux annonceurs une nouvelle façon d'atteindre plus efficacement plus de consommateurs par le biais de leur réseau national de stations de radios.

Il y aussi un impact pour les annonceurs. L'impact n'est pas, donc, que pour les agences, même si on fait miroiter chez ce dernier des économies importantes, celui-ci perd l'élément le plus important : l'objectivité.

En effet, lorsque le client est approché par un groupe pour une offre croisée qui impliquera la télévision, la presse écrite, les magazines, un site Internet, et cetera, cette offre ne touchera que ce groupe médiatique et forcément aucune des autres tribunes médiatiques, qui se retrouveraient normalement dans l'offre faite par les experts de l'agence.

De plus, tous les annonceurs n'ont pas à leur emploi les experts-conseils qui seraient en mesure de bien évaluer l'offre qui est faite et d'en juger la validité en termes de portée et de rendement par rapport aux sommes investies.

Donc, il y a perte d'objectivité, absence de l'expertise nécessaire pour analyser correctement l'offre effectuée et l'élimination systématique des opportunités médias offertes par les concurrents.

Étrangement, comme le mentionnaient plusieurs répondants, les annonceurs ne semblent pas réaliser que le représentant du groupe média est avant tout un vendeur et que son objectif principal demeure de vendre du placement dans ses médias et non dans ceux du voisin.

Il n'entretient aucune préoccupation objective du dossier du client. Il peut s'occuper simultanément du dossier de son principal concurrent, ce qui est pourtant considéré inacceptable chez les agences. Comment se fait-il que ce soit toléré chez les médias?

La même planification média peut même être proposée à plusieurs annonceurs et même à des concurrents directs. Et, surtout, les représentants des groupes médias n'ont souvent pas d'expertise en placement média.

La preuve est que certains répondants ont cité des cas où des clients étaient revenus à l'agence après avoir constaté que faire affaires directement avec le média constituait une erreur. Leur campagne avait été mal ciblée et leurs objectifs non atteints.

En conclusion, nous sommes inquiets et choqués. Inquiets parce que la tendance se maintient, choqués parce que ce sont des pratiques d'affaires inacceptables selon nous.

Nous reconnaissons aux groupes médias le droit légitime à faire des affaires et à vendre leurs espaces et leur temps d'antenne, que ce soit directement ou par l'intermédiaire d'un partenaire qui s'appelle une agence de publicité ou de communication marketing.

Toutefois, nous n'acceptons pas que cet exercice se fasse au détriment d'une relation d'affaires traditionnelle qui s'est avérée profitable pour tous : média, agence et annonceur, ainsi qu'au détriment de l'intérêt ultime du client dans le positionnement de sa marque.

Nous croyons que les autorités compétentes au Canada doivent prendre conscience de cette situation et s'assurer que de saines règles de concurrence soient mises en vigueur au pays.

Ce que nous n'acceptons pas non plus, c'est que nous n'en sommes plus à la seule considération du placement média. Les groupes médias se sont structurés afin d'offrir aujourd'hui la création, la production, la commandite, la promotion et même le volet des relations publiques.

La convergence média a donc des impacts autres que les menaces sur la liberté de presse, la liberté d'expression ou bien l'accessibilité à l'information locale, nationale et internationale. Elle tend à changer profondément les règles du jeu, au détriment d'une saine relation d'affaires entre des partenaires traditionnels, tout en offrant un service incomplet à des annonceurs qui ont des attentes de rendement et d'efficacité légitimes.

De notre côté, nous allons entreprendre des démarches auprès des groupes médias concernés pour tenter de trouver, avec eux, de nouvelles façons de faire qui permettront aux clients pour lesquels nous travaillons de retrouver l'objectivité et la performance désirées.

Bien que nous soyons extrêmement critiques, nous sommes d'avis que la convergence média est probablement incontournable dans le contexte mondial et économique actuel. Elle ne peut toutefois faire fi de toutes les conventions d'affaires au nom de la simple performance financière.

Le sénateur Chaput : Monsieur, j'ai regardé rapidement le petit document qui nous a été remis parce que je voulais voir si vous aviez des critères d'admissibilité pour vos membres. Tout est en règle, tout est bien développé, vous êtes une association qui représente très bien votre membership.

Je présume que vous vivez des revenus qui vous sont remis par le membership. Vous devez recevoir un per diem pour la vente de publicité que vous faites pour eux?

M. St-Amand : Non. C'est un peu différent. Nos revenus sont basés sur deux sources essentiellement : 20 p. 100 de nos revenus proviennent d'une cotisation, et, 80 p. 100 proviennent des frais de service sur la production des publicités télé et radio. Et, ce frais de service est perçu par l'Union des artistes qui, elle, en fait la distribution par la suite aux associations membres de l'Association des producteurs conjoints, l'Association canadienne des annonceurs et l'Institute of Communication and Advertising, à Toronto.

Le sénateur Chaput : Vous avez un conseil d'administration?

M. St-Amand : Oui, on a un conseil d'administration de dix personnes qui sont tous des présidentes d'agences ou des propriétaires d'agences au Québec.

Le sénateur Chaput : Vos objectifs sont, entre autres, l'amélioration de la qualité de la publicité et les règles d'un code d'éthique. Suite à ce qui s'est passé et ce qui se passe présentement, je comprends vos inquiétudes. Il y a des comportements déplorables, non éthiques, qui ne vous respectent pas, et cela fait suite à la convergence.

Selon vous, en rétrospective, maintenant qu'on voit ce qui se passe, quelle serait peut-être la solution?

M. St-Amand : Je pense que le premier élément de solution, — si vous avez du côté gouvernemental un rôle à jouer là-dedans — serait d'exercer beaucoup plus de vigilance au moment des renouvellements des licences, par exemple dans le cas des médias électroniques.

Je crois que les médias font un certain nombre de promesses de rendement — ce que je respecte — et un certain nombre de promesses de comportement, selon mon expression. Et, dans ce sens, je ne crois pas qu'on puisse tenir pour acquis les commentaires voulant qu'il n'y a pas d'impacts latéraux de la convergence média. Il y en a des impacts latéraux.

On ne les a pas vus venir. On s'aperçoit aujourd'hui que le fait que les grands groupes médias, qui profitent de cette structure, se croient tout permis. Et, c'est là, qu'on débarque du jeu. On leur dit qu'il existe une relation traditionnelle. Comme je l'ai répété même deux fois dans le texte, on n'est pas contre les médias qui vendent leur espace. C'est tout à fait louable et c'est tout à fait légitime. Sauf qu'il y a des façons de faire. Et, on trouve que d'un point de vue éthique, tout le monde y perd. Si le client qui se fait approcher est équipé pour juger de l'offre qu'on lui fait, il n'y a pas de problème. Si le client est en mesure d'en faire une bonne évaluation, cela va bien.

Mais, à partir du moment où ces médias approchent des clients qui n'ont pas cette expertise et qu'ils font miroiter autre chose que le rendement pour leur marque — parce que si tu veux annoncer tu annonces une marque, tu annonces un produit, tu annonces une idée — c'est là qu'on débarque.

Qu'on n'ait pas d'argent, à la limite, eh bien! on est en affaires, c'est une juste concurrence. Mais, en bout de ligne, nous, on est là pour défendre quoi? On est là pour défendre un client et son produit et sa marque. C'est cela notre plus grand intérêt, parce qu'on n'est pas en affaires si ces gens ne sont plus en affaires.

[Traduction]

Le sénateur Eyton : Autrefois, j'étais avocat. Je ne pratique plus depuis un certain temps, mais il reste que dans le monde entier, et en particulier au Canada et aux États-Unis, les honoraires subissent de très fortes pressions. En fait, la concurrence est telle que les agences de voyage, les avocats et les agences immobilières sont sous pression. Il me semblait qu'autrefois, les agences de publicité empochaient généralement 15 p. 100 du budget publicitaire, mais que cette situation est appelée à changer d'une manière ou d'une autre.

N'aviez-vous pas prévu que les rapports entre les agences publicitaires et leurs clients allaient subir de fortes pressions? Les agences de publicité n'auraient-elles pas dû le prévoir?

M. Gregor Angus, président de BBDO Montréal et président de l'Association des agences de publicité du Québec : Oui, et le changement s'est amorcé il y a déjà un certain temps. Je suis président depuis trois ans et avant cela, j'étais directeur et je sais que les contrats ont changé du tout au tout.

Notre groupe a été partie prenante d'un des plus gros changements que l'industrie ait connus à l'échelle mondiale. Je parle de la fusion des activités de Chrysler. Autrefois, Chrysler avait deux agences principales et de nombreuses autres agences régionales, dont le travail lui donnait pleine satisfaction, mais elle a mis en place un système de rémunération et elle a attribué un certain montant à notre compagnie. Voilà le genre de changement qui nous ont touché, tous les annonceurs, du plus petit au plus gros. Je ne pense pas que nous ayons encore de contrats prévoyant une rémunération à la commission

Le sénateur Eyton : Il me semble que dans le monde d'aujourd'hui, ce serait plus ou moins la norme.

M. Angus : Oui, et tout cela est loin aujourd'hui, on n'y pense même plus. Non seulement parce que le client exige qu'on lui rende davantage compte de la politique de rémunération, mais aussi parce que la combinaison a complètement changé. La moitié de nos activités avec un client sont d'ordre promotionnel, et donc davantage assujetties à des honoraires. Quarante pour cent du budget est attribué à la main-d'œuvre, alors que c'était 15 p. 100 autrefois. Le changement nous est donc profitable et en fait, c'est une façon beaucoup plus juste et réaliste de déterminer la rémunération.

Le sénateur Eyton : On nous a dit que les annonceurs s'adressent directement aux médias, sans passer par les agences. J'aurais pensé que c'est l'exception plutôt que la règle. Il s'agit de leur argent, et s'ils ne sont pas bien conseillés, s'ils ne connaissent pas toutes les possibilités qui s'offrent à eux, ils vont gaspiller leur argent. S'ils le gaspillent bêtement, ce sera de courte durée et ils reviendront vers les agences. Ne pensez-vous pas?

M. Angus : Oui, je suis d'accord. Il y a le problème de la concurrence et récemment, j'ai dû, pour la première fois de ma carrière, renoncer à une affaire parce que j'ai constaté la présence d'un autre grand annonceur dans la même région. Les médias vont prendre douze constructeurs automobiles et leur proposer le même plan, et à mon avis aucun d'eux ne sera bien servi, au plan de l'efficacité et de la stratégie.

Le sénateur Eyton : J'en conviens, mais ce sont eux qui dépensent leur propre argent.

M. Angus : Absolument.

Le sénateur Eyton : Je suis plus réceptif à toute la question de la concentration et de la convergence, qui m'impressionne davantage.

J'aimerais parler du comportement anticoncurrentiel et de l'information trompeuse que présentent les médias aux annonceurs. J'aimerais dire que les médias exagèrent, peut-être inconsciemment, sur ce qu'ils ont à offrir au client et sur la valeur de leurs services. D'après ce que vous dites, les groupes de presse sont suffisamment puissants pour imposer leur façon de faire.

Qu'en pensez-vous?

M. Angus : Je suis heureux de pouvoir vous dire ce que j'en pense. Certaines de nos sociétés clientes n'ont pas les ressources commerciales nécessaires pour contester la valeur stratégique des plans qui leur sont offerts. Elles peuvent peut-être contester le volume par rapport au coût, mais elles ne peuvent pas vraiment contester la stratégie des plans. Certaines d'entre elles sont incapables de négocier à un certain niveau et de comprendre qu'elles peuvent obtenir un certain volume d'espace, mais qu'elles pourraient l'avoir à 15 heures plutôt qu'à 20 heures.

M. François Vary, consultant et président du conseil des directeurs de médias du Québec : Ces conglomérats peuvent réduire leurs coûts au départ, lorsqu'ils peuvent obtenir certaines choses gratuitement, par exemple un billet pour aller à Las Vegas. Je n'exagère pas. Cela s'est fait. Les agences en font les frais parce que ce sont elles, en définitive, qui doivent rendre des comptes. C'est la première chose dont nous devons tenir compte, parce que normalement, l'annonceur entretient des relations à long terme avec l'agence. En définitive, l'agence et le planificateur des médias — c'est le groupe que je représente — doivent rendre des comptes.

Dans l'intervalle, les grands groupes médiatiques ont conçu un système intégré qui, comme vous le dites, vend des plages publicitaires à deux heures du matin, et c'est certainement un placement médiatique contestable.

M. Angus : Il est difficile de démonter ces formules forfaitaires pour demander des annonces à la radio et renoncer aux annonces dans les journaux.

M. Vary : Oui.

Le sénateur Eyton : Oui, et en particulier quand il s'agit d'un groupe important. Un an plus tard, l'annonceur constate qu'il n'a pas fait le bon choix.

J'ai une dernière question — et je ne suis certain qu'elle relève du mandat de ce comité, mais je la pose tout de même. Je ne veux pas vous embarrasser ni faire preuve d'esprit partisan, mais j'aimerais aborder le sujet de la commission Gomery, dont les travaux se déroulent actuellement à Ottawa. Comme vous le savez, elle s'intéresse à plusieurs grandes agences publicitaires du Québec. Ma question est la suivante : je suppose que certaines des agences dont le nom a été cité sont membres de votre association, n'est-ce pas?

M. St-Amand : Deux d'entre elles en étaient membres avant les événements; mais elles n'en sont plus membres aujourd'hui. C'est à peu près tout.

Le sénateur Eyton : Cela veut-il dire que l'Association s'est prononcée sur certaines allégations?

M. St-Amand : Nous n'avons pas eu à intervenir à l'époque, car les deux agences ont décidé d'elles-mêmes de retirer leur adhésion.

Le sénateur Eyton : Est-ce que vous avez pris publiquement position sur ces événements?

M. St-Amand : J'ai accordé je ne sais combien d'entrevues depuis février.

Le sénateur Eyton : Mes quelques questions ne seront donc pour vous qu'un jeu d'enfant, n'est-ce pas?

M. St-Amand : Oui. Nous avons comparu le jour où Sheila Fraser a présenté son rapport. Nous avons décidé de répondre à toutes les questions des journalistes. Nous avons expliqué qui nous sommes et ce que nous faisons, nous avons expliqué notre code déontologique et ce qui nous semblait souhaitable ou condamnable. C'est d'ailleurs ce que nous faisons encore.

M. Gomery doit venir à Montréal ces prochains mois, et nous sommes tous disposés à répondre à ses questions. Notre point de vue est très clair. Ce n'est pas le problème de l'industrie. C'est devenu un problème de perception vis-à- vis de l'industrie, mais ce n'est pas le problème de l'industrie, car elle s'est bien comportée. Ce qu'a dit Sheila Fraser, en gros, c'est que certaines personnes ont réussi à contourner un système qui, jusqu'à maintenant, a bien fonctionné.

La semaine dernière, nous avons eu un entretien avec Scott Brison, le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux. Nous avons essayé avec lui de trouver des solutions pour améliorer le système, parce qu'il y a encore moyen de l'améliorer. Nous espérons pouvoir collaborer avec le gouvernement pour apporter toutes les améliorations possibles.

Le sénateur Eyton : Je vous félicite de ce que vous faites. Comme vous le voyez, tout cela s'insère dans le contexte de notre discussion d'aujourd'hui, parce que vous avez parlé de services professionnels et de valeur ajoutée. D'après des allégations persistantes, il y a eu de nombreuses transactions dont ces deux éléments étaient absents. Donc, je vous remercie et je suis convaincu que vous faites ce qu'il faut faire.

Le sénateur Merchant : L'acheteur ne doit-il pas être sur ses gardes? Si les gens n'en obtiennent pas suffisamment pour leur argent, est-ce qu'on peut faire quelque chose pour leur apprendre à acheter plus intelligemment? J'ai beaucoup de sympathie pour vous, mais je ne vois pas comment résoudre le problème. Si les gens veulent dépenser leur argent de façon futile, ils apprendront tôt au tard ce qu'il leur en coûte.

M. St-Amand : Je comprends votre argument. Comme je l'ai dit au départ, nous ne sommes pas ici pour vous demander d'intervenir directement. Nous ne vous demandons pas de pénaliser les médias. Nous tenions seulement à vous informer de la situation, car c'est votre comité qu'elle concerne. D'autres groupes vous parleront de ses conséquences pour la presse et les journalistes, mais nous tenions à ce que vous sachiez qu'il y a cette situation parallèle qui, à notre avis, est très importante.

Nous savons que vous ne pouvez pas intervenir, vous ne pouvez pas convoquer M. Péladeau pour lui demander de cesser de faire ceci ou cela. Je ne sais pas qui aurait ce pouvoir. Cependant, nous allons rencontrer les personnes en cause — nous sommes déjà prêts à amorcer le débat avec elles — pour trouver d'autres formules. Bien que la situation évolue, nous déplorons le fait qu'on ne parle de convergence des médias que d'un seul point de vue. Nous voulions nous assurer que vous connaissiez les autres points de vue sur la convergence dans les médias.

Le sénateur Merchant : Merci, je suis très heureux que vous soyez venu nous le dire. Mais je ne vois pas comment nous pourrions vous aider directement.

Le vice-président : Il fût un temps où les agences de publicité imposaient un tarif national de 17,5 ou 15 p. 100, et il y avait aussi un tarif local. Les annonceurs acceptaient souvent le tarif national lorsqu'ils voulaient passer par une agence de publicité, dont ils appréciaient l'expertise. Mais comme vous l'avez dit, les gens ne comprennent pas toujours suffisamment les indices de couverture brute de la radio par rapport à ceux de la télévision pour faire un choix judicieux. Est-ce que cette structure existe toujours?

M. Vary : Elle n'existe plus à grande échelle. Il en reste encore quelque chose, mais l'usage s'est porté vers des honoraires et des frais qui entrent dans le cadre des 15 p. 100. Quand on ne fait que du placement médiatique, comme il existe des conseils des médias, les sociétés de conseils de médias qui ne font que du placement médiatique travaillent à 3 ou 4 p. 100. Ce n'est plus 15 ou 17 p. 100 comme autrefois. C'est une formule composite. De façon générale, les 15 à 17 p. 100 ont été compensés par un mélange d'honoraires fixes et de tarifs horaires. Certaines cartes de tarifs affichent encore un taux de 15 p. 100, car cela plaît à certains acheteurs et planificateurs, mais la plupart des transactions actuelles de publicité ne sont plus fondées sur ce tarif. Les 15 p. 100 n'ont plus qu'une valeur symbolique.

Le vice-président : Quand les grosses sociétés, dont nous tairons les noms, disent à leurs clients : « Nous allons faire une campagne, assurer la production, produire un exemplaire et planifier votre campagne commerciale », est-ce qu'elles proposent ce qui est normalement considéré comme le tarif national ou est-ce qu'elles proposent le tarif local?

M. Vary : Je suppose qu'elles proposent une formule intégrée. Selon le conglomérat client, elles vont dire : « Nous allons vous vendre du temps d'antenne et de l'espace temps. Nous allons produire vos annonces pour la télévision, pour les journaux ou pour votre site Internet ». Je suppose qu'elles appliquent un coût fixe, sans commission, en affirmant que c'est la meilleure affaire possible.

Dans une certaine mesure, ces compagnies peuvent arriver à un prix inférieur au coût net d'une agence, parce qu'elles font appel à des éléments qui ne sont pas stratégiques pour l'annonceur.

Le vice-président : Les allégations trompeuses et les ventes croisées posent un véritable problème, quand une personne force quelqu'un à accepter une formule forfaitaire de vente croisé en lui faisant croire à tort qu'il en obtiendra quelque chose, c'est là que nous pouvons y faire quelque chose. Si c'est ce qui se passe, nous voulons en être informés.

M. Angus : Je considère qu'il y a manifestement des ventes croisées.

Le vice-président : Il y a des ventes croisées?

M. Angus : Il y a des formules forfaitaires, que l'on propose de la façon suivante : « Pourquoi ne pas prendre également la radio? Vous avez déjà la télévision et les journaux. La radio est pratiquement gratuite ». L'annonceur considère l'offre et peut y voir la bonne formule pour son groupe cible, même si souvent, il ne connaît pas son groupe cible.

Nous utilisons des sociétés de production de films, et non pas de télévision, à cause de la qualité de la mise en scène et du film. Encore une fois, la valeur est une notion difficile à comprendre, car il s'agit uniquement de production et d'espace, le tout étant indissociable. Il est très difficile de dissocier les divers éléments car alors la formule se désagrège. Vous rajoutez 15 p. 100 à ce qu'ils disent, et c'est là, vraiment, ce que vous économisez : « Voici ce que cela coûte — ajoutez-y 15 p. 100 ». Si vous obtenez tout cela d'une agence, c'est déjà ça de gagné.

Mais comment s'y retrouver — et les annonceurs n'ont pas accès à nos coûts. Nous sommes parmi les plus gros acheteurs canadiens auprès des médias, et nos clients obtiennent certains contrats grâce au volume de nos achats auprès des télédiffuseurs. Ces groupes ont été formés précisément pour nous permettre de dire aux grosses sociétés des médias : « Un instant, nous aussi, nous sommes une grosse société. Nous avons douze des plus gros annonceurs au Canada. Il est temps de négocier de nouveaux tarifs de télévision ».

C'est ce que nous faisons avec Radio-Canada, et ici aussi, en même temps. Nos tarifs offrent peut-être déjà une économie supérieure aux 15 p. 100 que les médias prétendent épargner en ne passant pas par une agence. Autrement dit, il se pourrait bien que notre carte de tarif pour la télévision offre déjà plus que ces 15 p. 100 d'économie.

St-Amand : L'autre conséquence, c'est que si la société n'est plus capable d'acheter des médias à prix modique, elle ne peut pas en faire profiter ses autres clients. C'est un effet secondaire, pour ainsi dire.

Le vice-président : Je ne m'en inquiéterais pas si le client avait le choix. Mais si ce que j'ai entendu plus tôt est vrai, si certains groupes s'arrogent 50 p. 100 du marché et qu'un autre groupe se fait dire qu'il ne peut pas faire passer d'annonces télévisées s'il n'achète pas également des annonces à la radio, c'est ce qui pose problème.

M. Angus : Oui. Et en outre, la station de radio peut viser un groupe démographique totalement différent du groupe cible de l'annonce télévisée, alors que l'annonceur devrait pouvoir placer son annonce radio chez Astral et son annonce télévisée chez Quebecor.

Le vice-président : Nous avons entendu des représentants du conseil de l'Ontario, qui n'ont pas soulevé ce problème. Savez-vous s'il se manifeste sur d'autres marchés, en dehors du Québec?

M. Angus : Il n'est pas aussi grave qu'ici.

Le vice-président : Vous dites qu'il n'est pas aussi grave. Je vous demande s'il est présent ou non.

M. Angus : Je crois qu'il l'est. Il l'est certainement chez Astral, qui a des activités ailleurs qu'au Québec.

St-Amand : J'ai déjeuné avec des représentants de l'Association des annonceurs canadiens, qui m'ont parlé de situations du genre en Colombie-Britannique. Je peux vous dire qu'avec l'achat de TV1 — je n'en connais pas le nom exact — à Toronto par Quebecor, vous n'êtes n'est pas sortis du bois.

Le sénateur Merchant : Il y avait autrefois un ministère fédéral de la Consommation et des Corporations. Le consommateur qui voulait porter plainte pouvait s'adresser à ce ministère, qui faisait enquête. S'ils n'achètent pas chez vous, est-ce que les clients ont quelque part où adresser leur plainte, s'ils estiment avoir été lésés? Est-ce qu'ils ont quelque part où porter plainte?

M. Vary : À ma connaissance, il n'existe rien d'officiel, seulement le bouche à oreille, et les victimes ne sont pas portées à se vanter de leurs mésaventures.

Le sénateur Merchant : Donc pour l'acheteur, la seule façon d'obtenir satisfaction est de ne pas conclure d'affaires avec une personne en particulier?

M. Vary : C'est bien cela. Si l'annonceur ne veut pas passer par un spécialiste ou une agence, nous lui conseillons de nous soumettre son contrat pour analyse, ce qui se fait parfois. Les annonceurs n'ont pas tous des problèmes, mais ce genre de démarche permet au moins d'éviter certaines situations fâcheuses. C'est pour cela qu'on fait appel à nous. Il n'existe pas de bureau d'éthique commerciale ou rien du genre pour les annonceurs.

Le vice-président : Un groupe précédent, l'Association des journaux régionaux du Québec, nous a parlé des journaux vérifiés et des journaux non vérifiés et apparemment, certains journaux non vérifiés obtiennent un grand volume d'annonces du gouvernement, et ils ont dit que pendant les campagnes électorales on voit apparaître des tas de nouveaux journaux.

Le sénateur Merchant : Les journaux non vérifiés?

Le vice-président : C'est cela.

Le phénomène est-il fréquent, ou est-ce que nous les avons mal compris?

M. Vary : C'est un sujet très intéressant. Le phénomène est fréquent. Les journaux régionaux — il y en a 1 400 au Canada — relèvent d'une kyrielle d'organismes et de configurations différents.

En ce qui concerne la vérification de la diffusion par un organisme officiel — et des noms ont été cités, comme ABC, CCAB et ODC — je crois que c'est un excellent principe à préconiser. Dans le cas des campagnes électorales fédérales, ou même provinciales, ce sont des centaines de journaux qui prétendent chacun être le meilleur.

Le titre de publication vérifiée est quelque chose que les acheteurs de médias favoriseraient. Je me rappelle une époque où les journaux poussaient comme des champignons dans toute communauté culturelle de toutes les régions du pays. Certains d'entre eux étaient reconnus comme étant des journaux régionaux bien établis — je pense, par exemple, au Saskatchewan Community Press. Nous en avons un au Québec également. Dans les autres provinces, c'était comme un tirage au sort. Je ne veux pas particulariser les régions rurales de l'Ontario, mais il y en avait beaucoup — dans une autre vie, j'ai fait beaucoup de placements.

L'aspect de la vérification en est un où il pourrait y avoir amélioration, et cela entraînerait de bons investissements sûrs. C'est un aspect dont on tiendrait compte pour faire nos placements.

Le vice-président : Il me reste une question au sujet de la convergence. À Toronto, l'Association canadienne des annonceurs nous a dit qu'il manquait de créneaux à la télévision, qu'un plus grand nombre de chaînes locales leur serait utile — pas les chaînes nationales mais locales. Est-ce également vrai dans ce marché?

M. Vary : Serait-il souhaitable d'avoir plus de chaînes de télévision? Ou du moins pas moins de chaînes, car la concurrence a aussi du bon. Il y a quelques années, des rumeurs couraient que CBC ou Radio-Canada réduisait les annonces, ou en limitait le nombre, et il y a eu de la résistance à cette idée.

Le vice-président : Oui, c'est aussi ce qu'ils ont dit.

M. Vary : La concurrence a du bon.

Manifestement, en créant des méga-concurrents, ces gens-là essayent d'intégrer le marché.

Nous avons entendu dire que la chaîne francophone de Radio Canada commençait à rendre visite à ses clients — ils n'ont pas beaucoup de propriétés, mais ils en ont quelques-unes et ils ont des réseaux spécialisés, etc., alors même eux sont tentés. Cependant, si cette offre ou toute autre offre est restreinte, cela nous affaiblit dans les négociations.

Donc, oui, nous pourrions utiliser beaucoup, pas beaucoup plus, parce que nous ne voulons pas fragmenter l'auditoire, mais nous aimerions avoir un bon nombre de joueurs solides, qui puissent jouer selon les règles, négocier et faire en sorte que les lois du marché s'appliquent comme elles le faisaient avant.

M. St-Amand : Vous savez probablement que Télé-Québec réexamine sa situation actuelle. Nous avons recommandé il y a quelques mois qu'au lieu de huit minutes par heure, ils diffusent 12 minutes de publicité par heure, pour nous donner plus de possibilités. Bien sûr, nous leur avons dit que ce n'était pas nécessaire pour tous les genres de programmes, que ce pourrait être adapté à des situations particulières. Ainsi, nous nous accordons avec le CDMQ.

Le vice-président : Je tiens à vous remercier de votre exposé.

Nous allons maintenant offrir la possibilité aux membres du public de venir se présenter et de dire ce qu'ils pensent de notre mandat.

N'hésitez pas à vous exprimer dans la langue officielle de votre choix, nous avons d'excellents interprètes. Bien que je sois unilingue, je trouve que cela va très bien. J'apprécie la patience dont vous faites preuve à mon égard.

Nous allons commencer avec Deepak Awasti du Greater Quebec Movement. Peut-être pourriez-vous commencer par nous parler un petit peu de ce qu'est le Greater Quebec Movement.

M. Deepak Awasti, Greater Quebec Movement, à titre personnel  : Monsieur le président, je vous remercie de me donner la possibilité de m'exprimer devant ce groupe.

Le Greater Quebec Movement est une cellule de réflexion de la région de Montréal. Nous sommes un groupe d'anglophones âgés de 18 à 40 ans, qui se préoccupe des enjeux qui touchent la communauté anglophone, les questions de politique publique ou de gouvernance des entreprises. Nous sommes intervenus, par exemple, dans la révision constitutionnelle de 1998, en rapport avec les commissions scolaires du Québec, et nous avons également témoigné devant des commissions provinciales sur des questions connexes.

Aujourd'hui, en écoutant tout le monde parler de convergence, de questions de propriété et du rôle des médias, ou au moins de l'intérêt des médias, j'ai eu l'impression que la question qui se pose est : quel est le rôle des médias? Qu'est- ce qu'un contenu canadien? Quel est le rôle des médias dans l'élaboration des politiques publiques et d'une culture publique? Dans un certain sens, qu'est-ce que la culture canadienne, comment les médias la créent-ils, la développent- ils, la conservent-ils, comment les médias en font-ils la promotion?

Pour ce qui est des émissions télévisées au Canada, nous avons les Simpsons, les Osbournes et d'autres émissions du même genre, de profil surtout américain ou occidental. Si nous cherchons une programmation canadienne, rien de particulier ne nous vient à l'esprit, sauf peut-être sur la chaîne anglaise de Radio Canada et quelques émissions sur CTV, mais ce sont pour la plupart des émissions locales.

Pour ce qui est de la diversité, est-ce vraiment le cas de beaucoup de gens, qu'ils soient de différentes cultures, de différentes ethnies, de différents groupes linguistiques, d'orientation sexuelle différente, ou de perspective politique différente? Est-ce cela, la diversité? Ou bien, la diversité s'illustre-t-elle d'autres façons?

Ce sont les principales questions dont je voudrais traiter aujourd'hui ici, mais je vais commencer par celle de la culture canadienne. Établissons la distinction entre ce qu'est la culture canadienne, historiquement parlant, telle que la reconnaît le gouvernement canadien, et ce qu'est l'évolution de la culture canadienne. Les Langues officielles et Patrimoine Canada financent des activités de caractère distinctement canadien, sous l'une ou l'autre bannière, soit l'anglais ou le français. Par contre, quelque chose de moins clairement défini tombe sous la bannière du multiculturalisme. Le Quebec Community Groups Network s'efforce de définir ce qu'est un anglophone au Québec et dans le fond, la question que nous posons est la suivante : « Est-ce que la culture des langues officielles est en soi multiculturelle ou est-elle distincte du multiculturalisme? »

Dans cet esprit, est-ce que la diversité d'opinions, la diversité de notre culture canadienne se reflète réellement dans le contenu des médias? Nous répondons à cela non. À Montréal, du moins, à cause du sempiternel débat entre les communautés anglophone et francophone du Québec, l'élément multiculturel du Canada a été mis au rencard et c'est cela qui transparaît dans les médias.

Si vous regardez le contenu de The Gazette de Montréal et même si vous regardez le contenu de La Presse, vous verrez que l'aspect multiculturel n'est pas mis tellement en valeur. Si on en parle dans The Gazette, c'est dans le contexte de l'oppression des minorités et le débat se poursuit dans cette veine.

Si on regarde le Toronto Star, et j'ai examiné d'autres journaux de partout au Canada, j'ai trouvé que — à part peut- être la chaîne de journaux CanWest Global — hors Québec, le point de vue est quelque peu différent. Étant donné que l'enjeu multiculturel touche beaucoup plus de monde et que le débat linguistique n'a pas la même ampleur qu'au Québec, la culture médiatique hors Québec est très différente.

Nous devons nous demander où nous allons avec cette culture des langues officielles. Où va-t-on avec cette culture canadienne? Est-ce vers une culturel nord-américaine plus monolithique, aux racines principalement américaines? Ou sommes-nous en train de bifurquer vers une culture distinctement canadienne et distinctement multiculturelle en soi? Quel rôle cela joue-t-il dans l'élaboration des politiques publiques? Quel rôle cela joue-t-il dans notre culture publique?

Je dois dire que ce n'est que quand nous aurons déterminé ce qu'est la culture canadienne, quand nous pourrons affirmer que la culture canadienne et la culture des langues officielles sont désormais multiculturelles que nous pourrons parler de bien d'autres choses. Nous pouvons parler de l'intégration appropriée de tous ces groupes minoritaires qui ont comparu devant vous et nous pouvons les intégrer de façon appropriée dans la société canadienne. Tant que cela ne sera pas fait et que nous continuerons de faire une distinction entre la culture des langues officielles et le multiculturalisme, ce débat se poursuivra.

Enfin, en ce qui concerne la question des voix diverses dont nous avons souvent parlé — par exemple, Al-Jazeera. On a longuement débattu de la question de savoir si Al-Jazeera fait la promotion d'une perspective blessante pour une communauté particulière. Dans le contexte des règles de contenu canadien ou dans le contexte de la définition d'une culture canadienne, protégeons-nous nécessairement les intérêts du secteur des médias existant ou essayons-nous de promouvoir quelque chose de différent? En favorisant l'expression de voix différentes, en fait, nous faisons la promotion de la culture canadienne.

Je suis né en Inde et je vis au Canada depuis 35 ans. J'ai vécu deux ans au Japon, où j'enseignais l'anglais comme langue seconde. À Tokyo j'étais plus respecté que les Américains, parce que j'étais Canadien. Je n'étais pas mieux respecté que les Européens parce que, bien sûr, aux yeux des Japonais, il n'y a pas mieux. Cependant, dans un certain sens, parce que nous sommes Canadiens et non pas Américains, nous sommes perçus de façon différente. Savez-vous ce qui est le plus populaire au Japon? Anne aux pignons verts — c'est de chez nous.

Quand on me demande d'où je viens et je réponds que je viens du Canada, souvent on ne me croit pas parce qu'on ne me perçoit pas comme un Canadien. On m'a déjà dit que je n'ai pas l'air d'un Canadien.

En fait, cela signifie que nous ne faisons pas la promotion de la réalité du Canada d'aujourd'hui, ce qu'est la réalité de la culture canadienne aujourd'hui.

Le vice-président : Je dois vous demander d'abréger.

M. Awasti : Enfin, pour ce qui est d'ouvrir l'accès au Canada à d'autres voix, de permettre à d'autres médias de venir au Canada, à ce que je comprends, la Loi canadienne sur la radiodiffusion restreint l'accès d'autres médias à nos ondes en exigeant qu'un diffuseur canadien les parraine. C'est une mesure de restriction efficace, qui maintient le contrôle, mais qui limite la concurrence. Selon moi, c'est aller à l'encontre du but recherché que de limiter la concurrence à ce point. En garantissant le contenu canadien ou en garantissant la propriété canadienne, nous n'appuyons pas nécessairement la culture canadienne.

Le sénateur Merchant : En tant qu'immigrant, je sais ce que c'est que de se battre pour être Canadien et pour être accepté en tant que Canadien. Nous avons choisi de vivre ici, alors nous voulons être Canadiens.

Je pense, cependant, que vous mélangez toutes sortes de choses ici. Tout d'abord, vous avez parlé de la dualité linguistique. Maintenant, en ce qui me concerne, c'est une réalité historique de ce pays. Quiconque vient ici, quel qu'en soit le nombre, parce qu'en Saskatchewan nous avons beaucoup d'Ukrainiens ou d'Allemands, quiconque, donc, peut choisir de continuer de s'exprimer dans sa langue. Je suis très heureux, dans ce pays, de pouvoir le faire. Ainsi nous avons notre communauté.

Mais je ne confonds pas cela avec la dualité linguistique de ce pays, parce que c'est une réalité historique, c'est quelque chose... C'est l'identité du pays. Alors je ne voudrais pas que cela soit confondu ici.

Maintenant, la culture, c'est autre chose. Au Canada, nous avons permis à des cultures de s'épanouir, contrairement aux États-Unis, qui sont un creuset de fusion des cultures. Aux États-Unis, on exige que tout le monde soit un Américain et clame son américanisme. Nous n'avons pas cette exigence ici et je pense que c'est mieux. Nous avons une culture beaucoup plus multiculturelle, à facettes multiples, ici.

Par conséquent, pour que la presse le reflète, nous avons des champions et des modèles — et je ne parle pas uniquement de Ian Hanomansing qui lit les nouvelles, pour illustrer que nous avons surmonté toutes nos difficultés. Ce que nous avons entendu au cours de ces audiences à Toronto et ici à Montréal, c'est que nous avons besoin d'employer des gens de toutes les cultures dans les médias, de leur donner la possibilité de participer à la production plutôt que seulement à la livraison. C'est à cela que nous devons travailler, pour nous assurer de donner à tous une chance égale.

Qu'en pensez-vous? Êtes-vous sur la même longueur d'ondes que nous?

M. Awasti : Dans l'ensemble, oui. Mais commençons donc avec cette question de la dualité linguistique. Vous, vous n'êtes pas du Québec.

Le sénateur Merchant : Je viens de la Saskatchewan, mais je suis né en Grèce.

M. Awasti : La Saskatchewan, c'est certain, est très différente du Québec — et étant donné l'histoire du Québec, l'élément linguistique y a beaucoup plus de place que partout ailleurs. Dans un sens, au Québec — et on l'a constaté avec les minorités ethniques, certainement, et j'y engloberais la communauté anglophone — les minorités ethniques tendent à s'accrocher à leur culture et à leur langue avec bien plus de détermination que les minorités de l'Ontario, tout simplement parce que, d'une certaine façon, nous sommes perçus comme étant en lutte contre la communauté francophone. Ce n'est pas nécessairement dans ce contexte, mais nous avons une attitude beaucoup plus protectionniste que les autres du reste du Canada. Dans ce sens, notre vision de la dualité linguistique est différente.

Pour ce qui est de la question du multiculturalisme — je la pose dans le contexte des langues officielles parce que, comme je l'ai déjà dit, le Quebec Community Groups Network, qui est la principale organisation de financement au Québec, reçoit approximativement 3 500 000 $ de Patrimoine Canada et redistribue cet argent à des organisations de représentation des minorités du Québec. On tente de redéfinir ce qu'est un anglophone. Les Langues officielles ou Patrimoine Canada ont dit très clairement que, même si le QCGN se définit comme quiconque parle anglais ou a des affinités pour la langue anglaise, on n'allait pas arrêter de financer séparément les organisations de la communauté anglophone et le multiculturalisme. Ils ne veulent pas mélanger les deux. Pourtant, la communauté anglophone s'efforce de rallier les autres dans son giron.

Dans ce contexte, le multiculturalisme devient un élément de la lutte entre les communautés anglophone et francophone. Dans ce sens, il y a une guerre « intercommunautaire » relativement au rôle des minorités dans la formation de la communauté anglophone et de sa culture parce que, comme je l'ai déjà dit, si on ne peut pas être financés par les Langues officielles, à quoi sert d'en être membre? C'est là que se livre le combat. C'est pourquoi il est urgent, dans un certain sens, de déterminer si le multiculturalisme fait partie des Langues officielles ou s'il en est distinct.

Par exemple, un groupe haïtien d'Ottawa qui tentait d'obtenir un financement des Langues officielles s'est fait répondre que, comme il n'était pas un groupe francophone reconnu, même s'il parle français, son financement relevait de la section multiculturalisme. Sous un autre angle, je suis anglophone mais je ne peux obtenir des fonds des Langues officielles parce qu'on considère mes attributs culturels comme étant d'ordre multiculturel. Ce genre de mentalité n'aide pas à intégrer les gens à la société canadienne

Le vice-président : Nous sommes loin de la propriété croisée et du rôle des médias. Peut-être le sénateur Chaput peut-il nous remettre sur la voie.

[Français]

Le sénateur Chaput : J'appuie ce que le sénateur Merchant vient de dire. Mais, je vais juste essayer de préciser un peu plus pour arriver à votre dilemme.

La dualité linguistique fait partie du Canada. Il n'y a aucun doute à ce sujet.

M. Awasti : Oui, madame.

Le sénateur Chaput : Il y a deux langues officielles. La culture canadienne a toujours été une culture diversifiée. Dans un premier temps, il y avait les Autochtones, ensuite les Français et les Anglais sont arrivés. Déjà là, on avait trois cultures différentes à l'intérieur d'un même pays.

Alors, il ne faut pas mêler langue et culture pour l'instant. La culture canadienne, d'après moi, est multiculturelle dans le sens que mes filles maintenant ne définissent pas leur culture de la façon que je la définissais quand j'avais 20 ans, pour la simple raison que leur culture comprend une appréciation d'artistes autres que Français et Anglais, des autres pays et ainsi de suite.

Donc, il y a la culture et il y a les langues officielles. La commissaire aux langues officielles du Canada l'a bien dit : «  La diversité culturelle du Canada est véhiculée par nos deux langues officielles.  » J'ai trouvé cela très bien.

Maintenant, votre difficulté c'est que même si vous parlez le français, à titre d'exemple, vous n'avez pas accès aux fonds des langues officielles pour les francophones parce qu'on vous dit que vous faites partie du multiculturalisme.

M. Awasti : Oui, sénateur.

Le sénateur Chaput : C'est la façon que les programmes ont été développés. Il y a les langues officielles et il y a les autres cultures. Si vous faites partie du regroupement au Québec qui parle anglais, parce que vous êtes la minorité anglophone au Québec et que vous avez accès à des fonds par l'entremise de ce regroupement pour faire des activités, est-ce que cela vous rejoint?

Ce n'est pas vous qui allez le recevoir, mais ce sont les anglophones du Québec, n'est-ce pas?

M. Awasti : Oui, madame, mais le problème c'est que le regroupement reçoit les fonds — comme par exemple Community Group Network qui reçoit l'argent — et il décide comment disperser l'argent.

Le sénateur Chaput : Les dépenses?

M. Awasti : Où dépenser l'argent. Et, parce que les critères de dépenses sont très clairs, les communautés culturelles ne peuvent pas recevoir l'argent du commissariat des langues officielles. Sauf si le commissariat évalue qu'il y a des parties significatives qui rassemblent l'idée des langues officielles.

Le sénateur Chaput : Excusez, je vais vous arrêter là.

[Traduction]

Le vice-président : Nous sommes très loin de notre sujet.

Le sénateur Chaput : Oui.

Le vice-président : C'est comme parler du temps en Saskatchewan.

L'intervenant suivant est M. Charles Shannon.

M. Charles Shannon, de la Guilde des employés de journaux de Montréal, à titre personnel : Merci beaucoup de tenir ces audiences dans tout le pays. Vous n'êtes pas encore à l'autre bout du pays, mais j'espère que vous vous rendrez dans l'Ouest, et également plus à l'est.

Le vice-président : Nous n'y manquerons pas.

M. Shannon : Je pense que ces séances sont très importantes, vous traitez d'une question très importante.

L'enjeu touche l'un des piliers de la démocratie, soit un public informé, et c'est pourquoi j'ai de la difficulté avec la convergence, la concentration si vous voulez — c'est qu'elle gêne la libre circulation de l'information. Si, par exemple, on finit par avoir — comme CanWest l'a proposé, puis abandonné depuis — un seul journal national pour tout le pays, on élimine la diversité des voix, soit l'élément essentiel à un débat public ouvert. C'est la même chose si un article est publié de St. John's à Victoria sur un sujet particulier, les opinions exprimées ou les faits présentés seraient les mêmes pour tous, et ainsi qu'il n'y aurait aucun débat.

Quand il y avait de multiples agences et sociétés de presse qui possédaient des chaînes, on avait le choix de l'histoire ou de l'article qu'on voulait présenter dans son journal. Maintenant, c'est de plus en plus un monopole, ou quelque chose qui y ressemble beaucoup.

Il y a un autre aspect, à propos de la concentration et de la convergence : les compressions budgétaires que subit le journalisme d'enquête, qui a pour conséquence de laisser ce champs ouvert aux sociétés, aux gouvernements etc., qui ont les ressources et le talent nécessaires pour essayer de manier l'informations à leur avantage et ainsi nous, les médias d'information, délaissons largement la collecte des nouvelles à ceux qui veulent présenter l'actualité. C'est une conséquence avérée de la concentration des médias et de la convergence des médias.

Nous avons encore des médias dynamiques et diversifiés au Canada, mais je pense que nous devrions regarder au Sud pour voir ce qui est arrivé là-bas. Le problème ne vient pas tant de la concentration des médias que de l'érosion des principes journalistiques. Je comprends que le 11 septembre a tout changé, mais nous avons vu des choses comme, par exemple The New York Times qui a été forcé de présenter des excuses à ses lecteurs pour avoir accepté sans les mettre en doute les allégations du gouvernement sur les armes de destruction massive. La situation n'a pas changé rien que parce qu'ils ont reconnu leur erreur cette fois-là. Les médias américains sont toujours... Ils ont renoncé aux principes journalistiques exigeant une approche critique de l'actualité, principes qui constituaient autrefois le fondement de la presse libre américaine. Je repense à l'affaire Watergate, lorsque les médias américains ont, en fait, « dit leurs quatre vérités  », comme on dit, aux gens au pouvoir. Cela n'arrive plus bien souvent.

Je comprends que ceci déborde du champ de ce que votre comité pourrait recommander. Cependant, il y a eu un article dans The New York Times il y a deux jours sur la planification par le Pentagone de campagnes de désinformation réelle dans la presse étrangère. Je ne sais pas si certains d'entre vous l'ont vu, mais cela fait froid dans le dos. Le fait est que nous recevons beaucoup de nos informations par l'intermédiaire de nos collègues américains et s'ils comptent vraiment traiter avec ce cynisme la confiance publique dans ce que dit le gouvernement, alors beaucoup de ce que nous recevons d'eux, sur quoi nous fondons une grande part de nos nouvelles, ne sera pas digne de confiance.

L'un des problèmes des médias est que les jeunes, comme certains de nos intervenants l'ont déjà dit, les boudent, parce qu'ils ne font pas confiance aux médias. Et si nous laissons des gens nous manipuler, en partie parce que cela coûte moins cher de ne pas couvrir quelque chose soi-même et d'assister plutôt à la séance de photos ou à la conférence de presse et de simplement pomper ce qu'ils ont à nous dire, alors nous sommes en train de saboter notre propre secteur des médias.

Le vice-président : Cela n'a jamais été la force des médias américains que de... L'article concernait le fait qu'ils allaient planifier la désinformation?

M. Shannon : Oui absolument. Mais ils n'ont pas cessé. Ils continuent et vont continuer discrètement, même si nous savons qu'ils le planifient. L'information qu'on va recevoir du gouvernement américain, ou du moins l'élément militaire de cette information, ne sera pas digne de confiance.

Le vice-président : Faites-vous confiance à l'information qui émane de n'importe quel gouvernement?

M. Shannon : De moins en moins.

Le vice-président : Exactement. Moi-même, je suis parlementaire et je n'ai pas confiance.

M. Shannon : Oui. Au moins, actuellement, les représentants du gouvernement prétendent dire la vérité au public. Lorsque le gouvernement atteint véritablement le point où il fait consciemment et délibérément de la désinformation, et que nous, les médias absorbons cette désinformation, c'est là que la situation devient très grave.

D'accord, c'est quelque chose qui se passe aux États-Unis, mais ce qui s'y passe trouve souvent son écho ici et finit par devenir un problème ici également. C'est quelque chose que nous, les Canadiens, devons surveiller et la façon de le faire est, bien sûr, de nous assurer que les médias canadiens restent aux mains des Canadiens. C'est l'une des leçons les plus importantes que nous devrions tirer de choses aussi troublantes que ce qui se passe à l'heure actuelle au sud de notre frontière.

Le sénateur Merchant : Nous vivons dans un monde de chaînes multiples, nous pouvons obtenir des informations de pratiquement partout. Avec la télévision par satellite, je ne sais pas combien de temps nous allons pouvoir tenir à distance toutes ces autres chaînes.

J'ai remarqué que, en France, je crois, ils ont ouvert les ondes à Al-Jazeera, mais il y a eu une intervention et le permis de diffuser à été révoqué.

M. Shannon : C'était un réseau lié au Hezbollah.

Le sénateur Merchant : Oui j'y ai jeté un coup d'œil hier soir.

Je vois des journalistes canadiens faire des reportages de Washington. Pensez-vous que nous recevons de bonnes informations de leur part?

M. Shannon : Oui.

Le sénateur Merchant : Cette information est transmise avec une perspective canadienne, selon une interprétation canadienne.

M. Shannon : Je vois.

Le sénateur Merchant : Mais peut-être pas assez.

M. Shannon : L'un des problèmes que posent la convergence et la concentration des médias, c'est qu'il y a de moins en moins de gens pour couvrir un élément de l'actualité. Par exemple, si le reporter de CanWest Global qui est à Washington est mal renseigné, il n'y a pas d'autres voix canadiennes là-bas pour...

Le sénateur Merchant : Oui, mais il y a aussi Radio-Canada et la chaîne CTV.

M. Shannon : C'est exact.

Le sénateur Merchant : Quand je regarde le journal télévisé le soir, j'écoute les nouvelles de la chaîne anglaise de Radio-Canada à 22 heures, puis celles de CTV à 23 heures. Je ne regarde pas vraiment la chaîne Global, mais c'est parce que je l'ai choisi. J'aime toujours entendre les deux versions. Parfois, je remarque une légère différence dans l'interprétation, parfois non.

M. Shannon : Oui.

Le sénateur Merchant : Je suis d'accord avec vous. Cependant il y a de moins en moins d'occasions d'entendre un avis différent.

M. Shannon : Les grosses chaînes n'ont pas montré beaucoup d'intérêt pour l'établissement de bureaux à l'étranger. Même si elles ont des revenus considérables dans le secteur des journaux, disons, elles ne réinvestissent pas beaucoup de cet argent dans le maintien de bureaux dans le monde entier. CanWest en possède quelques-uns, mais bien peu par rapport à ce que la chaîne pourrait se permettre.

Le vice-président : Je n'ai pas présenté M. Shannon comme étant membre de la Guilde des employés de journaux de Montréal. Vous ne témoignez pas au nom de la Guilde. Cependant, vous êtes bien un membre de la Guilde des employés de journaux de Montréal.

M. Shannon : C'est exact. Je vous remercie de le faire remarquer. Je suis ici en tant qu'observateur.

J'ai également fait une longue carrière de journaliste avec The Gazette, à Montréal, mais je le répète, je ne les représente pas. Je suis ici en tant que consommateur de l'actualité, davantage préoccupé aujourd'hui par l'orientation que prennent les médias que je ne l'ai été en 40 ans de carrière de journaliste.

Le sénateur Chaput : En tant que Canadien, monsieur, j'aimerais avoir au Canada un secteur des médias dynamique et diversifié. Je le souhaite aussi en tant que parlementaire, et je suis sûr que beaucoup d'autres le veulent aussi. Je tiens à ce que ce soit la vérité que les Canadiens lisent et entendent quand ils lisent nos journaux, quand ils regardent la télévision ou écoutent la radio. Je veux qu'ils sachent la vérité.

Comment pouvons-nous empêcher que d'autres détruisent notre industrie? Quels seraient les trois principes de base ou enjeux principaux sur lesquels nous pourrions nous concentrer?

M. Shannon : C'est la question que tous ceux qui ont comparu avant vous ont eu à se poser.

Le sénateur Chaput : Oui.

M. Shannon : En tant que journalistes, nous avons toujours hésité à demander au gouvernement de réglementer notre secteur de l'industrie. C'est seulement parce que ce secteur semble si menacé à l'heure actuelle que les gens commencent à en parler, comme Enn Raudsepp, qui plus tôt disait que nous avons besoin que ce comité propose en fait des recommandations sérieuses qui... Par exemple, l'imposition d'une limite au nombre de propriétés croisées et à la concentration, devrait, selon moi, faire partie du plan général.

Il est certain que de maintenir à l'écart les propriétaires étrangers est, quant à moi, essentiel. Aux États-Unis, à l'heure actuelle, de grosses sociétés sont propriétaires de tous les réseaux et ces grosses sociétés elles-mêmes sont vulnérables aux prises de contrôle. Les Chinois sont en train de tout acheter aux États-Unis en ce moment même. La Chine ne va pas tarder à posséder un gros pourcentage des médias américains. Je n'aimerais certes pas que cela se produise ici au Canada. Je suis sûr que les Américains n'aiment pas non plus que ça se produise chez eux, mais ils y sont ouverts, ils y sont vulnérables en ce moment.

Le vice-président : Merci d'être venus nous rencontrer.

Je vais maintenant donner la parole à M. André Seleanu, un journaliste-pigiste. Vous avez entendu les deux autres intervenants, donc vous connaissez la musique. Allez-y.

M. André Seleanu, journaliste-pigiste, à titre personnel : Je suis honoré de comparaître à votre comité. Je suis heureux que vous soyez venus à Montréal entendre les points de vue de notre communauté.

Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a dit le dernier intervenant. Je lis la Gazette depuis des années. J'ai suivi l'évolution de ses propriétaires et je dois dire que j'aimais beaucoup mieux ce que je voyais au début des années 1980 et 1990 que ce que je lis depuis 1995, quand Conrad Black est devenu propriétaire de 70 ou 80 p. 100 des journaux canadiens. Ensuite, c'est la famille Asper à Winnipeg qui a repris l'ensemble et les choses sont restées plus ou moins les mêmes, avec quelques petits changements liés à des préférences ou à des prédilections personnelles en fonction du profil culturel des propriétaires.

Dans les deux cas, c'est très arbitraire. On voit où Conrad Black en est maintenant, quel genre d'individu il est. Il suffit de lire le Financial Times. On voit quel genre d'individu était propriétaire d'une grande partie des médias canadiens, et le genre d'influence qu'il a pu avoir sur ce que lisaient chaque jour des millions de personnes. C'est encore la même chose aujourd'hui. On peut résumer cela en deux mots : Citizen Kane, et bien plus maintenant encore qu'à l'époque.

Pour moi, c'est une question affective. Pendant quatre ans j'ai été journaliste pour une revue intitulée Recto Verso, une revue légèrement de gauche qui couvrait les questions communautaires et des problèmes du tiers monde que personne n'abordait. Je suis allé à Puerto Alegre couvrir le Forum social mondial, où j'étais correspondant du Devoir en même temps que de Recto Verso. En fait, j'ai fait une intervention au Sommet de Puerto Alegre en 2002. Cet été, Recto Verso, pour diverses raisons, notamment un manque de financement, a sombré et on a fait comprendre très clairement à ses dirigeants qu'ils étaient trop gauchisants. À mon avis, ce n'était pas des gauchistes, ils avaient un léger penchant sur la gauche.

Recto Verso est une revue québécoise bien connue qui tirait 90 000 exemplaires plusieurs fois — six ou sept fois — par an, et qui couvrait des questions liées à la mondialisation et au Fonds monétaire international ainsi que des questions de relations syndicales entre le Canada et le tiers monde. Vous voyez le tableau. Le magazine se concentrait sur les problèmes de libertés civiles, par exemple les lois adoptées à la sauvette — C-35, C-42 et C-36 — en 1991 par le gouvernement. Donc, dans une certaine mesure, Recto Verso essayait de couvrir les angles morts qui échappaient au regard des médias grand public, en fournissant des informations indispensables.

Le vice-président : Vous parlez de la loi antiterroriste?

M. Seleanu : Oui, tout l'ensemble.

Le vice-président : Donc ce n'était pas en 1991.

M. Seleanu : Qu'est-ce que je dis? C'était en décembre 2001.

Comment se présentent les médias tels que je les vois aujourd'hui? Il y a très peu de diversité philosophique. Il n'est pas question de philosophie abstraite ici; tout repose sur une certaine philosophie ou une certaine éthique. L'éthique qu'on nous martèle aujourd'hui, c'est l'éthique néo-libérale, l'éthique de la concurrence, la survie du plus fort, l'absence complète de solidarité. C'est le même rouleau compresseur que l'éthique de gauche stalinienne. J'estime que c'est tout aussi scandaleux.

Les médias grand public nous martèlent quotidiennement cette éthique commerciale. Il n'y a donc pas de choix du consommateur, et c'est quelque chose de beaucoup plus insidieux et plus dangereux. Je ne suis pas contre ce genre de philosophie, mais j'aimerais qu'on présente plusieurs points de vue sur les événements qui sont relatés, or ce n'est pas du tout le cas.

Le New York Times a publié une histoire qui a été reprise dans The Gazette où l'on disait que les Jésuites se préoccupaient trop de philosophie sociale ou de soutien social. J'ai pensé que pendant 2 000 ans cela avait été très important — lisez Thomas d'Aquin, Bernard Shaw, Tommy Douglas, jusqu'à maintenant. Je pensais que nos sociétés accordaient de l'importance à la solidarité. Apparemment, à en croire les médias actuels, qui y font allusion un peu partout, ce sont des choses écoeurantes qu'il faut balayer sous le tapis en regardant de l'autre côté.

Au cours des années 1980, il y a eu la commission Kent. On n'a mis en oeuvre aucune de ces recommandations.

J'en viens maintenant au groupe de réflexion. Dans La Presse, dans The Gazette, on voit une dizaine de fois par mois des articles commandés et rédigés par des groupes de réflexion. Ce sont des institutions qui n'ont pas fait l'objet d'études appropriées, mais qui existent. Il y en a 350 en Amérique du Nord. Le Fraser Institute fait régulièrement passer dans The Gazette des articles d'extrême droite. Une fois toutes les quelques semaines, il publie un article de gauche pour faire un semblant d'équilibre, mais pour un article de gauche, il y en a huit ou dix de droite.

Le C.D. Howe Institute est un de ces centres d'études et de recherche comme le American Enterprise Institute de Washington. Il y a aussi le Cato Institute et le Hudson Institute. L'un des principaux buts de ces organisations est d'influencer les médias. Ces articles paraissent à Montréal dans The Gazette et dans La Presse. Je n'ai pas d'objection à ce que ces journaux publient ces articles, mais ils n'identifient jamais ces institutions. On voit par exemple : « Institut économique de Montréal » — Montreal Economic Institute. On a l'impression que c'est l'Université de Montréal. Or c'est faux. Il s'agit d'un organisme dont l'objet est d'orienter l'opinion publique dans une certaine direction.

Pourtant, au Canada, lors des dernières élections, 60 à 70 p. 100 des électeurs se sont tournés vers les parties centriste et de gauche, les libéraux, le NPD et le Bloc québécois. Nos médias ne reflètent pas cette attitude. M. Shannon a probablement offert quelques explications à cela, dont certainement la concentration des médias.

Tout d'un coup, il y a ce phénomène extraordinaire de documentaires et d'ouvrages, un phénomène extraordinaire comme Fahrenheit 9/11 et trois autres documentaires sur l'administration Bush et les conservateurs, les néo- conservateurs, etc.

À mon avis, les documentaires et les ouvrages sur la politique ne sont pas un phénomène normal. Ils apparaissent parce que les médias du genre de Maclean's, The Gazette, La Presse, le Toronto Star, The Globe and Mail et leurs homologues aux États-Unis ne couvrent pas correctement la diversité des points de vue, notamment le problème de la pauvreté — une personne sur six à Montréal ne mange pas à sa faim, d'après le Journal de Montréal d'aujourd'hui. La mondialisation, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, l'OCDE, les problèmes du tiers-monde, tout cela est très mal présenté dans les médias grand public.

À peu près 80 p. 100 de ce qui se passe dans le monde est passé sous silence. Quand on en parle, ce sont des articles d'Associated Press qui ne donnent qu'un aperçu très fragmentaire de la question. L'information est totalement monopolisée. Il n'y a aucune diversité. Beaucoup de journalistes sont tenus à l'écart en raison de la censure; ils sont exclus à cause de ce phénomène.

Ensuite il y a le phénomène des livres et des documentaires qui viennent combler le vide laissé par les médias pour contribuer à la liberté que M. Shannon a décrite comme une fonction inhérente et nécessaire d'une société libérale et démocratique.

[Français]

Le sénateur Chaput : Monsieur, si vous aviez une baguette magique et qu'on vous disait que vous pouvez changer tout ce que vous venez de dire au sujet de ce que vous n'aimez pas et avec quoi vous n'êtes pas d'accord, quelle serait votre première action?

M. Seleanu : Je ne suis pas un expert dans le fonctionnement du gouvernement, je crois qu'il faudrait faire des lois de bonne intention avec pas trop de place libre. Donc, faire des lois qui seraient respectées, qui briseraient les monopoles des médias et qui laisseraient, par les subventions ou par une politique commerciale appropriée, la place à des publications comme cette revue Recto Verso qui était une revue avec beaucoup d'imperfections mais qui, quand même, remplissait une fonction très importante et représentait à la fois les intellectuels désenchantés.

C'est cela, justement, la beauté d'une ville comme Montréal et Paris, c'est qu'il y a des intellectuels désenchantés. Il ne faut pas les battre, il ne faut pas les frapper. Et, les pauvres gens qui n'ont pas à manger?

Donc, il faut qu'il y ait une place pour ces médias, qui sont quand même agressifs sans vraiment vouloir battre ou détruire qui que ce soit.

Il faut que tout cela existe. Il faut que la culture soit présente. Il faut aussi que des reportages d'investigations soient faits. Il faut qu'une couverture du tiers-monde soit encouragée par l'État par toutes sortes de mesures d'encouragement, par exemple, par des lois provinciales ou fédérales.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Je vois que vous êtes une personne qui a une conscience. Je peux voir que vous êtes frustré qu'on ne parle pas correctement, selon vous, d'un tas de choses. Je comprends bien ce que vous ressentez car beaucoup de gens de l'Ouest ont l'impression que les médias nationaux ne parlent pas bien de leurs problèmes. Je peux vous dire qu'il y en a beaucoup qui ont des points de vue radicalement opposés aux vôtres.

Notre pays est diversifié, et les problèmes le sont aussi. Je pense que c'est bon pour le dialogue et je crois que toutes les voix doivent pouvoir se faire entendre. Nous, dans l'Ouest — ou plutôt moi personnellement, je suis très heureux de voir une famille de l'Ouest du Canada occuper une grande place dans les médias. Je ne dis pas que c'est une bonne ou une mauvaise chose. Je dis simplement que c'est une bonne chose d'avoir quelqu'un de l'Ouest parce que nous avons beaucoup de voix dans l'Ouest. Le National Post a un vaste public dans l'Ouest.

Je ne sais pas jusqu'à quel point vous voulez réglementer, mais il y a une revue appelée Slate qui exige de ses rédacteurs qu'ils déclarent pour qui ils votent. Pas seulement les gens qui écrivent des articles, mais tous les gens qui travaillent pour cette revue. Seriez-vous d'accord avec quelque chose de ce genre?

Le vice-président : Vous êtes plus à l'aise en français?

M. Seleanu : Non, pas du tout. Je vis à Montréal, donc je suis à l'aise dans les deux langues. J'écris dans les deux langues; j'ai abondamment publié dans les deux langues. Je m'efforce simplement de bien choisir mes mots, c'est tout.

Le vice-président : En tant que politiciens, nous ferions bien de prendre exemple sur vous.

Le sénateur Merchant : Oui.

M. Seleanu : Bien franchement, peu m'importe qu'Asper soit de l'Est ou de l'Ouest. C'est juste qu'on se rend bien compte que c'est une question de gros sous contre les petits. C'est peut-être inévitable, mais je crois qu'il y a une arrogance qui va de pair avec les très gros intérêts commerciaux, une arrogance qui transparaît dans de nombreux articles et notamment en page éditoriale. C'est peut-être inévitable, mais si c'est le cas, c'est bien regrettable. Nous ne devrions pas être aussi cyniques. Je crois que dans une démocratie, on ne devrait pas être cynique.

J'ai beaucoup de sympathie pour les aspirations de l'Ouest, mais ceci n'a rien à voir avec la rivalité entre l'Ouest et l'Est. Je ne suis pas un représentant typique de l'Est — en fait, je ne pense pas être typique de quoi que ce soit.

La question que je pose, c'est sur la concentration des médias. Je crois que l'Internet n'a pas grand chose à voir avec cela car la plupart des gens, à ma connaissance, ne vont pas chercher leurs informations sur l'Internet. Il faut d'abord une certaine culture pour s'avoir où chercher les informations sur l'Internet. Il est donc important que la télévision et les journaux donnent, du moins à mon avis, un premier aperçu objectif aux gens, qui peuvent ensuite aller plus se renseigner sur l'Internet.

Cela n'a rien à voir avec la rivalité entre l'Est et l'Ouest; il s'agit simplement de permettre au centre et à la gauche de pouvoir s'exprimer avec autant de force que la droite et l'extrême droite.

Le vice-président : Vous trouvez que les chaînes radio et télévision de la SRC sont de droite?

M. Seleanu : Non.

Le vice-président : Surtout au Québec?.

M. Seleanu : Non. Le Point, par exemple, fait un excellent travail. Non, je crois que la SRC fait du très bon travail et que c'est une très, très importante institution au Canada compte tenu du contexte. Je suis profondément désolé d'entendre dire qu'on sabre constamment dans son budget, parce que cela oblige les gens — et nous revenons ici peut- être à ce dont parlait le sénateur Chaput — à avoir une attitude beaucoup plus conforme, parce qu'il y a toutes sortes de rivalités entre les journalistes quand ils apprennent ces coupures et qu'ils savent qu'on va remercier certaines personnes. Cela oblige les gens à rentrer dans le moule, et c'est la dernière chose dont nous ayons besoin de nos jours.

J'appuie tout à fait la SRC, que ce soit en anglais ou en français. Depuis 1989, quand M. Mulroney a sabré en fanfare dans la SRC, comme s'il abattait un dragon, nous ne cessons d'assister à de nouvelles coupures dans le budget de la SRC. C'est dans l'air du temps.

Le vice-président : Donc ce sont aussi bien les libéraux que les conservateurs qui « massacrent » ce dragon?

M. Seleanu : Oui, si vous voulez.

Le vice-président : C'est vous qui le dites.

M. Seleanu : Oui, je ne sais pas. Je crois qu'il est très important que la SRC exprime un point de vue indépendant. Je suis donc toujours attristé de la voir essayer de se conformer à des impératifs commerciaux en faisant de la publicité pour ses émissions, etc. Le rôle de la SRC devrait être de réfléchir et de susciter le débat, ce devrait être un rôle intellectuel. Je crois que nous ne sommes pas suffisamment intellectuels. « Intellectuel » c'est un beau mot, ce n'est pas un mot sale comme les médias néo-libéraux essaient de le faire croire.

Je suis reconnaissant à la SRC et je ne veux pas qu'on sabre dans son budget parce que je veux qu'elle continue à avoir une démarche plus profonde, plus culturelle et plus vaste.

Le vice-président : Merci beaucoup.

Il nous reste un intervenant.

M. Del Hushley, à titre personnel : Vous m'entendez?

Le sénateur Merchant : Oui.

M. Hushley : J'ai du mal à parler. J'ai perdu mes dents et je ne trouve pas de bon dentiste.

J'ai presque 90 ans. Je me suis occupé du système de santé pendant 65 ans et maintenant je vois qu'il est sous le contrôle de la mafia. C'est la mafia qui dirige notre régime de soins de santé, mais les gens ne veulent pas admettre cette vérité.

Je suis aussi en train d'écrire un livre. J'espère le finir avant de mourir. Qui connaît la vérité? Où est Dieu et qu'est-ce que Dieu? Nous disons « Dieu bénisse l'Amérique », « Dieu bénisse ceci » ou « Dieu bénisse cela », mais qu'est-ce que Dieu? C'est un mystère pour moi.

Je communique avec les morts et on me hait à cause de cela. Il y a six ans, un psychiatre a voulu me tuer à cause de cela. Il m'a dit que j'avais des hallucinations. Tu parles.

J'ai des enregistrements. Dans une incarnation antérieure, j'étais grec. Je suis donc lié à la démocratie. J'ai des enregistrements de l'époque de Socrate et de Platon. Dans une autre incarnation, j'ai été Perse. Raja Saloni était mon maître. Je les ai enregistrés, j'ai des images en couleur, j'ai tout.

Ma famille ne m'accepte pas; ils me détestent. Pourquoi? Pourquoi la vérité est-elle si difficile à accepter? Quand les gens feront-ils preuve d'ouverture? C'est un problème.

Qui contrôle les médias maintenant? Il y a deux personnes dans les médias — Michael Sabia et Can West. J'ai écrit au journal, mais ils refusent de publier ma lettre. Un journal de Montréal m'a interviewé — vous avez été rédacteur en chef à une époque, non?

Le sénateur Chaput : Dans une existence antérieure.

M. Hushley : La mémoire me fait défaut à cause de mon âge. Je me souviens d'avoir entendu autrefois des gens dire « Je ne me souviens pas, j'ai oublié ».

J'ai dîné une fois avec Ronald Reagan, en 1948. J'étais assis tout seul et quand il m'a vu, il m'a invité à me joindre à lui. Ronald Reagan. J'admirais Ronald Reagan, c'était un grand homme. Ils lui ont fait des funérailles somptueuses.

Le vice-président : Vous vous en souvenez.

M. Hushley : Oh oui. Je me souviens de certaines choses; mais j'ai des problèmes de mémoire à cause de l'âge.

Il y a un bon côté quand même, car en vieillissant on se prépare à la mort. C'est le dernier de mes soucis, ma mort; en fait, je l'attends avec impatience. La mort n'existe pas. Ce qu'il y a, c'est l'immortalité et la réincarnation, mais les gens ne sont pas prêts à accepter cette vérité.

Regardez tous les massacres autour de nous; j'en suis malade. Je ne peux plus regarder cela. Regardez Bush : tuer, tuer, tuer. Il peut tuer quelqu'un aussi facilement qu'on tue une mouche ou un moustique. Je n'ai pas de problème à tuer une mouche ou un moustique, mais à par cela, j'ai du mal. J'ai tué un lapin en Saskatchewan, où je suis né. Je l'ai blessé, et il s'est mis à pleurer comme un bébé. J'ai posé mon fusil et juré de ne plus jamais tuer un animal. Voilà ce que je ressens, mais tout le monde n'est pas comme moi.

Le vice-président : Vous venez d'où en Saskatchewan?

M. Hushley : De Vanguard, en Saskatchewan, pas loin de Gravelbourg.

Le vice-président : Je vois où c'est.

M. Hushley : Je suis né en 1915, dans une cahute en terre. J'ai des souvenirs qui remontent à 1916. C'était une prairie ouverte, et évidemment à l'époque nous avions peur des animaux, des loups et des coyotes, et le diable était très important à l'époque.

Le vice-président : Et le froid aussi, j'imagine.

M. Hushley : Oh c'était terrible. Le vent vous figeait sur place. Il fallait faire attention.

Ma vie a été loin d'être facile. Ça été un très long, un très long périple. J'espère pouvoir raconter toute ma vie dans mon livre. Je viens de commencer et je pense que je vais m'accrocher. J'aurai 90 ans le 2 mai.

Il y a quatre ans, un psychiatre m'a confiné dans une camisole de force à l'hôpital. Il m'a dit que j'avais des hallucinations. On m'a arrêté et passé une camisole.

Mais durant la guerre...

Le vice-président : Vous avez fait la guerre?

M. Hushley : Oui, pendant une brève période.

Le vice-président : La Deuxième ou la Première Guerre mondiale?

M. Hushley : Je me souviens de la Première Guerre mondiale, parce que nous n'avons pas souffert de la grande grippe. Mes parents m'ont raconté qu'il y avait des enterrements tous les jours. La grippe, c'était en 1918.

Le vice-président : Eh bien, il ne nous reste plus de temps.

M. Hushley : J'ai bien des choses à dire, mais tôt ou tard je publierai ce livre.

Le vice-président : Vous pourrez nous en envoyer un exemplaire.

M. Hushley : Qui connaît la vérité? Où est Dieu, qui est Dieu, en quoi consiste-t-il? Il faut savoir qui est Dieu.

Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Hushley.

M. Hushley : C'était un plaisir.

Le vice-président : Tout le plaisir était pour nous, monsieur.

M. Hushley : Vous aurez de mes nouvelles, sinon maintenant, plus tard quand je serai au ciel. Je n'ai pas peur de mourir. J'ai hâte d'être au ciel. Si vous voulez aller au ciel, versez-moi un acompte et je vous ferai une réservation.

Le vice-président : Merci beaucoup.

La séance est levée.


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