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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 5 - Témoignages du 16 décembre 2004


MONTRÉAL, le jeudi 16 décembre 2004

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 8 h 35 pour analyser la situation actuelle du secteur des médias canadiens, les nouvelles tendances et l'évolution dans ce secteur, le rôle, les droits et les responsabilités des médias au sein de la société canadienne, ainsi que les politiques appropriées actuelles et futures connexes.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous reprenons nos audiences publiques au sujet des médias canadiens. C'est la deuxième journée d'audience à Montréal. Le comité étudie les médias canadiens et le rôle approprié des politiques publiques pour qu'elles contribuent à faire en sorte que les médias demeurent vigoureux, indépendants, diversifiés, tout ceci sur la toile de fond des bouleversements survenus ces dernières années, tout particulièrement la mondialisation, les progrès technologiques, la convergence et la concentration accrue de la propriété.

[Français]

Nos premiers témoins ce matin sont du Regroupement des syndicats de Gesca. Leur nom et leur prénom sont indiqués dans l'ordre du jour, mais je vais quand même essayer de préciser. Si je fais des erreurs vous allez me corriger.

Il s'agit donc de Mme Monique Prince, journaliste au pupitre à La Presse et vice-présidente de la FNC (CSN) et coordonnatrice du Regroupement.

Monsieur Louis Larivière, représentant publicitaire à La Presse, président du Syndicat de la publicité à La Presse et trésorier de la Section locale 574 du SEPB (CTC-FTQ).

Monsieur Charles Côté, journaliste à La Presse et premier vice-président du Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse.

Monsieur Fernand Bélanger, journaliste à La Voix de l'Est et président du Syndicat national des employés de La Voix de l'Est (FNC-CSN).

Et enfin, monsieur Stéphane Gousse, employé de bureau au Soleil et président du Syndicat des employés du bureau du Soleil (FNC-CSN).

C'est très impressionnant tôt le matin, les journalistes n'aiment pas se lever tôt le matin, on apprécie. Vous connaissez notre format, on vous demande de faire une présentation d'une dizaine de minutes et on vous posera des questions ensuite.

Mme Monique Prince, journaliste au pupitre à La Presse et coordonnatrice du Regroupement des syndicats de Gesca : Je vous remercie, sénateur Fraser, de nous accueillir ce matin, de nous avoir invités à prendre la parole aujourd'hui.

Le Regroupement des syndicats de Gesca existe depuis huit ans maintenant. À l'époque, il regroupait les syndicats CSN et FTQ accrédités dans les quatre quotidiens appartement à Power Corporation par le biais de sa filiale Gesca, soit La Presse à Montréal, Le Nouvelliste à Trois-Rivière, La Tribune à Sherbrooke et La Voix de l'Est à Granby.

À la suite des acquisitions réalisées par Gesca, il y a quatre ans, se sont ajoutés les syndicats CSN et FTQ des journaux Le Soleil à Québec, Le Droit à Ottawa et Le Quotidien à Saguenay.

Sur une base volontaire, de deux à quatre fois par année, les représentants des vingt-six syndicats se réunissent pour échanger de l'information.

En février 2001, dans le sillage des importantes transactions Quebecor, Vidéotron et Gesca-UniMédia, le Regroupement a présenté un mémoire à la Commission de la culture, à l'Assemblée nationale du Québec, dans lequel nous exprimions plusieurs inquiétudes liées à la concentration des médias au Québec, mais aussi au Canada et au fait que Gesca, avec ses sept journaux, contrôle désormais plus de 50 p. 100 de la presse quotidienne francophone au Québec, un niveau sans précédent.

Au cours des quatre dernières années, pendant que le paysage médiatique continuait de se transformer, entraînant encore plus de grandes synergies et convergences, nos inquiétudes ne nous ont pas quittés. Aujourd'hui, nous voulons vous faire part de ce que nous avons observé sur le terrain et dans certains cas, comment nos syndicats ont dû intervenir en ce qui a trait à la diversité et à la qualité de l'information, et à la qualité des emplois et au choix de développement de Gesca.

L'indépendance et l'autonomie des salles de rédaction sont essentielles pour assurer la diversité et la qualité de l'information offerte aux citoyens. À cet égard, nous constatons que Gesca a mis tous ses oeufs dans le même panier, investissant presque exclusivement à La Presse, vaisseau amiral de son groupe de presse, pour réaliser de grands reportages partout dans le monde, pour mener des enquêtes fouillées et préparer d'importants dossiers.

La Presse dispose de ressources financières comme elle n'en a jamais eu auparavant. Ces ressources, jumelées à plusieurs embauches de journalistes, photographes, graphistes, donnent à la salle de rédaction de La Presse un réel dynamisme et font de ses journalistes des acteurs enthousiastes de la couverture de l'actualité dans tous les secteurs.

De toute évidence, le public, à qui on offre de plus en plus d'espace pour interagir et donner son opinion, apprécie les efforts consentis, puisque le lectorat de La Presse ne cesse d'augmenter.

Mais ce dynamisme qu'on observe à Montréal est absent à Québec, à Ottawa et dans les autres régions où sont implantés les quotidiens de Gesca. Au contraire, nos collègues journalistes et plus particulièrement ceux du Soleil et du Droit déplorent que leurs pages soient envahies par des textes en provenance de Montréal, un phénomène qui n'aide absolument pas à conserver le caractère distinct, la personnalité propre et la couleur locale de leur journal.

Pendant que l'éditeur de La Presse et président de Gesca, M. Guy Crevier, voit dans cette manière de procéder une façon d'améliorer la qualité de l'information en région, nos confrères parlent plutôt d'un journalisme à deux vitesses.

Dans plusieurs journaux régionaux, on observe ainsi que l'espace rédactionnel réservé à l'information locale, espace souvent limité et toujours précieux, se retrouve amputé par la publication de textes en provenance de La Presse.

De plus, plusieurs chroniques qui étaient rédigées par des journalistes ou des collaborateurs locaux, comme les chroniques sur la santé, le vin, les disques, le cinéma, l'automobile, et cetera, ont été remplacés par celles de La Presse. Ce n'est peut-être pas une catastrophe, mais c'est un glissement vers cette uniformisation des contenus que nous redoutions.

Une autre preuve que nous ne parlons pas toujours le même langage que nos patrons. Récemment nos syndicats de journalistes, qui avaient réclamé et obtenu que les articles d'opinion soient exclus des ententes de circulation de textes à l'intérieur du réseau, ont été mis devant le fait accompli : Gesca avait paraphé un contrat pour la publication simultanée d'un « columnist » appelé à commenter et à analyser l'actualité dans tous les journaux du groupe.

Après plusieurs séances de négociation et à l'issue d'une entente qui sera signée sous peu, le président Guy Crevier, admettant finalement qu'il avait contrevenu à l'esprit de la clause Gesca, a accepté d'afficher le poste conformément aux conventions collectives et s'est engagé dans une démarche d'évaluation du fonctionnement du réseau.

Un comité paritaire patronal/syndical a été mis sur pied à cet effet. Cet observatoire Gesca, comme on l'a surnommé dans nos journaux, permettra aux journalistes de faire connaître leurs griefs en matière d'information et de circulation de textes dans Gesca.

Dans tous nos journaux, les années 1990 ont été difficiles, dans les salles de rédaction, mais aussi dans les bureaux administratifs, aux ventes du journal, aux petites annonces et chez les représentants publicitaires, les retraités n'ont pas été remplacés et plusieurs emplois réguliers de qualité ont été perdus au profit d'une main-d'oeuvre à statut précaire.

Si le problème est maintenant moins criant à La Presse, il reste très présent dans les autres quotidiens du groupe, qui doivent vivre avec les décisions prises à Montréal. Lorsqu'il est question de budget, les patrons locaux n'ont pratiquement pas de marge de manoeuvre, c'est la même chose lorsqu'il s'agit d'embauche.

De plus, au cours des deux dernières années, Gesca a entrepris d'uniformiser plusieurs des outils technologiques en usage dans ses journaux, en particulier les logiciels servant à la prise d'abonnement, petites annonces, facturation et les suivis d'inventaire.

Dans cette situation, nos craintes de voir les régions perdre des emplois de qualité au bénéfice des grands centres sont plus que jamais fondées.

Au fil du temps, la famille Desmarais, propriétaire de Power Corporation, a su maintenir sa réputation de bon citoyen corporatif. Dans l'ensemble, ses employés syndiqués ont été traités humainement.

Mais l'essence même d'un groupe de presse de l'envergure de Gesca est très ouvertement de rationaliser ses dépenses de fonctionnement, de faire des économies d'échelle. Il sera difficile d'y arriver sans sacrifier de bons emplois.

Outre le fait de consolider son réseau de presse en misant sur La Presse au détriment des autres quotidiens et de rationaliser ses activités administratives, Gesca semble de plus en plus vouloir concurrencer Quebecor sur le terrain de la convergence.

En dotant sa maison-mère de filiales, d'entreprises proches parentes, comme Cyberpresse, Publications Gesca, Éditions La Presse, Presse-télé, Gesca veut élargir son champ d'action dans le domaine des communications. À cela s'ajoute un partenariat avec Radio-Canada, par lequel la société d'État et l'entreprise privée profitent de toutes les occasions pour mener des projets conjoints générant des échanges de visibilité.

Dans un tel contexte, nos craintes de voir la publicité et le divertissement envahir le terrain de l'information et engendrer la confusion dans le public exigent de nos syndicats la plus grande vigilance.

Lors du renouvellement de son contrat de travail au printemps dernier, le Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse a d'ailleurs senti le besoin de modifier une clause existante et d'en négocier une nouvelle portant sur la promotion de la matière rédactionnelle à l'intérieur du journal.

Dans le cas de Cyberpresse, le site Internet, les syndicats ont dénoncé, avec un certain succès, le fait que les citoyens des régions n'y trouvaient pas leur compte. La formule, revue et corrigée, n'est pas encore à la hauteur des espérances qu'elle portait à l'origine. Loin de faire ses frais, le site Internet ajoute à la pression économique que doit supporter tout le réseau.

Ce qui nous préoccupe encore plus aujourd'hui, de manière très sérieuse, vient d'un projet actuellement en gestation dans le domaine des ventes publicitaires. Gesca veut en effet centraliser les comptes multimarchés qui sont, par définition, de gros clients ayant des succursales partout sur le territoire québécois.

Si ce projet voit le jour, les représentants publicitaires perdront des revenus. Mais surtout les journaux régionaux, privés de ces entrées de fonds directes, verront leur autonomie diminuée d'autant et se retrouveront, malgré eux, à financer et à subir les choix de développement de Gesca qui sont déterminés à Montréal.

Notre conclusion se fait sous forme de question : Se peut-il que M. Guy Crevier, qui porte les deux chapeaux de président de Gesca et d'éditeur de La Presse, se trouve en conflit d'intérêts?

Mes collègues, avec plaisir, sont prêts à échanger avec vous sur toutes ces questions.

La présidente : Merci beaucoup. Je peux vous dire que nous allons avoir le plaisir d'accueillir M. Crevier après le Nouvel An. Entre-temps, il est très intéressant de vous entendre.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Y a-t-il des compressions importantes dans les salles de presse, c'est-à-dire est-ce qu'il y a moins de journalistes pour chacun des journaux?

[Français]

Mme Prince : Je peux répondre pour La Presse, où il y a actuellement plus de journalistes qu'il y en avait dans les années 1990, et même pratiquement plus que ce qu'on avait en 1980.

Maintenant, pour apporter des précisions en ce qui concerne les journaux régionaux, j'aimerais laisser la parole à mon confrère Fernand Bélanger.

M. Fernand Bélanger, journaliste à La Voix de l'Est et président du Syndicat national des employés de La Voix de l'Est, Regroupement des syndicats de Gesca : Madame la présidente, je vais tracer un rapide portrait. Au niveau de La Tribune à Sherbrooke, il y avait, à l'époque, des journalistes au siège social à Sherbrooke et des bureaux régionaux à Drummondville, Victoriaville et Magog, entre autres.

Tous ces bureaux régionaux n'existent plus et ont été remplacés par des correspondants. On se retrouve donc maintenant avec une salle de rédaction qui serait comme moitié-moitié : personnel régulier et des correspondants.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : S'agit-il de quotidiens et d'hebdomadaires?

M. Bélanger : Tous les journaux qui se trouvent devant vous sont des quotidiens.

[Français]

Au journal de La Tribune, il y a eu une fermeture de bureaux : une dégradation se fait donc au niveau de la qualité de l'information de ce côté. Il y a moins de ressources et moins de personnel à La Tribune.

Au journal Le Nouvelliste à Trois-Rivières, nous avions, au cours des années 1980, environ une quarantaine de personnes et de journalistes. Nous sommes rendus maintenant au début de la trentaine, soit environ 28 personnes. Des postes additionnels ont été comblés, mais certains ont été abolis depuis deux ans. Donc, tout compte fait, on est passé de 38 à 31 au fil des ans.

Au journal Le Droit, il y a aussi eu de grandes coupures de personnel de ce côté. Vous savez que le personnel de l'imprimerie a été complètement aboli il y a une dizaine d'années et le personnel de la salle de rédaction a été coupé de moitié. Le président du syndicat Paul Gaboury a eu à négocier plusieurs départs il y a quelques années.

Au journal Le Soleil à Québec, ils ont eu jusqu'à 108 ou 109 journalistes, il n'en reste maintenant que quelque 75 à 80, selon les postes à combler.

À La Voix de l'Est de Granby, le nombre de personnes reste stable depuis une trentaine d'années, mais le tirage a augmenté. Donc, la proportion de personnel n'a pas suivi l'augmentation du tirage.

Nous avons cependant, dans tous les journaux, La Voix de l'Est, La Tribune, Le Nouvelliste et Le Quotidien, une augmentation de la précarité, c'est-à-dire des gens qui travaillent 15, 25, 30 heures par semaine, qui n'ont pas de sécurité d'emploi et qui travaillent à différentes fonctions.

Donc, les secteurs géographiques de nos régions sont moins bien couverts qu'auparavant, que ce soit à La Tribune, Le Nouvelliste et La Voix de l'Est. Je connais mieux ces régions parce que ce sont des anciens journaux du Groupe GTC, qui appartiennent à Gesca, depuis la fin des années 1960, début des années 1970. Cela trace un portrait d'horizon.

La présidente : Vous avez parlé du Soleil?

M. Bélanger : Oui, j'ai parlé un peu du Soleil, il y avait environ une centaine d'employés, je dirais 108 à 110; et maintenant, c'est environ 80, entre 75 et 80.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : On le trouve dans le journal. Existe-t-il une Power Corporation; sont-ils également propriétaires de grandes chaînes de télévision?

[Français]

Mme Prince : Non. Actuellement, La Presse et ses journaux régionaux sont vraiment concentrés dans le journal quotidien. Power Corporation détenait des postes de radio, des hebdos, mais s'est départie de tout cela vers la fin des années 1990.

Actuellement, La Presse s'est dotée d'une maison de production télé, ce qui est différent, ce n'est pas un poste, ce n'est pas une chaîne, c'est une maison de production télé qui en est à ses balbutiements.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Quelle proportion des quotidiens détiennent-ils dans la province?

[Français]

Mme Prince : C'est au-delà de 50 p. 100. Je crois que le chiffre exact c'est 52 p. 100 du tirage.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : L'autre moitié est-elle détenue par Quebecor?

[Français]

Mme Prince : C'est pratiquement Quebecor, à l'exception d'un trois p. 100 qui va au journal Le Devoir, indépendant. On parle de la presse francophone, évidemment.

Le sénateur Chaput : J'aimerais que vous me parliez un peu plus du partenariat avec Radio-Canada. J'aimerais en connaître un peu plus à cet effet.

Mme Prince : C'est difficile pour moi de vous en parler en profondeur, puisqu'il s'agit d'ententes commerciales, auxquelles nous ne sommes partie.

Je sais que, par exemple, chaque année, La Presse fait un gala d'excellence, à la suite d'une publication hebdomadaire, d'une personnalité de la semaine et là-dessus, donc, il y a des ententes de partenariat, c'est-à-dire que la personnalité de la semaine est ensuite interviewée à la radio de Radio-Canada.

Le gala est télédiffusé à Radio-Canada. Donc, ce sont des ententes commerciales de promotion mutuelle. Cela touche éventuellement l'information, dans la mesure où de plus en plus les journalistes de La Presse sont invités à agir comme experts à la suite d'événements ou dans le cadre d'événements, de commenter l'actualité, et les grands congrès des partis politiques.

Donc, il y a des exclusions, c'est-à-dire que le journaliste proviendra de La Presse, plutôt que de Quebecor, par exemple.

Le sénateur Chaput : Il est dit, à la fin de votre document, que les représentants publicitaires perdront des revenus, surtout les journaux régionaux privés de ces entrées de fonds directes, et ainsi de suite. J'aimerais en savoir un peu plus, parlez-moi un peu plus de cet aspect.

Mme Prince : Sur cette question précise, je vais laisser mon collègue, représentant publicitaire à La Presse, prendre la parole.

M. Louis Larivière, représentant publicitaire à La Presse, président du Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse, Regroupement des syndicats de Gesca : Il est certain que pour les régions, on comprendra que de rapatrier des comptes multimarques dans les grands centres, Montréal en l'occurrence, cela enlève une certaine partie du budget de fonctionnement des salles de rédaction et des salles de publicité évidemment.

Cela a une incidence, si on parle, par exemple, du quotidien du Chicoutimi, d'un ordre de 10 à 15 p. 100 de budget de publicité qui est rapatrié vers le grand centre. Ce sont des revenus qui ne seront plus dans les régions pour permettre aux salles de rédaction et aux salles de publicité, une certaine autonomie de gestion et une autonomie d'embauche d'employés, ainsi qu'une autonomie de respect de l'information régionale dans ces régions, qui n'est pas nécessairement la même qu'à Montréal et dans les grands centres comme Québec.

S'il faut avoir des quotidiens dans ces régions, c'est parce que le public a le droit d'avoir une bonne compréhension de ce qui se passe dans les régions.

Le sénateur Chaput : Alors, le plus grand centre augmente ses revenus au détriment des plus petits, si je puis dire ainsi?

M. Larivière : Le plus grand centre augmente ses revenus, comme ma collègue disait si bien tantôt. On est au début de ce projet. Est-ce que cela va augmenter les revenus dans les grands centres? Peut-être que oui, on ne le sait pas.

C'est, en général, des comptes qui sont opérés en Ontario, soit à Toronto, par un bureau de représentants qui travaille pour La Presse.

Est-ce que cela amènera des budgets supplémentaires aux grands centres? On peut peut-être le penser, mais il n'y a rien de sûr là-dedans.

La présidente : Il y a plusieurs aspects très intéressants dans tout cela. Est-ce que vous pouvez décrire le comité paritaire, l'observatoire Gesca, plus en détail? Quels sont ses pouvoirs, quel est son mandat? Et s'il y a quelque chose d'écrit, on aimerait bien l'avoir.

Mme Prince : Je voudrais simplement dire que c'est un peu ce qu'on était allé réclamer lorsqu'on s'est présentés en commission parlementaire à Québec, il y a quatre ans. Les journalistes professionnels veulent avoir droit de regard sur ce qui se passe dans leur salle de rédaction.

En ce qui a trait à l'observatoire Gesca, Charles Côté, qui est ici, a participé à la négociation et j'aimerais que ce soit lui qui vous en parle.

M. Charles Côté, journaliste à La Presse et premier vice-président du Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse, Regroupement des syndicats de Gesca : J'aimerais faire une remarque introductive pour mettre les choses en perspective. On s'intéresse aux journaux, oui, pour leur importance économique, en particulier en région. Pour mettre les choses en perspective, le chiffre d'affaires du Soleil peut être comparable à celui de peut-être trois gros concessionnaires automobiles.

Alors, ce n'est pas tant pour son importance économique qu'on s'y intéresse, mais surtout pour son importance sociale et politique. C'est pourquoi c'était une cible d'acquisition depuis très longtemps pour Power Corporation, le rêve d'acheter Le Soleil, vous le savez très bien, sénateur Fraser.

Donc, ce projet s'est réalisé aussi rapidement que cela a été possible. Je pense qu'il n'y avait pas de plan très clair relativement à l'information de savoir ce que cela devait donner. On avait des informations très dogmatiques, mais sur le terrain, il s'est écoulé plusieurs années avant que les patrons s'aperçoivent qu'on n'allait nulle part avec cela.

En fait, il a fallu la bataille au sujet de la nomination de Alain Dubuc, comme « columnist » réseau, une bataille qu'on a menée dès qu'il a été nommé. On avait signé des ententes sur l'échange de textes, qui empêchaient l'échange de textes d'opinion et qui permettaient les échanges de textes de nouvelles, sauf ceux en provenance des collines parlementaires, des bureaux politiques.

Et donc, il y a eu la nomination de M. Dubuc comme « columnist » réseau, laquelle fut décriée sur la base qu'on ne pouvait pas faire par la voie d'un super pigiste ce qu'on n'avait pas le droit de faire pour un permanent, dans le domaine de l'opinion.

Il y a donc eu cet affrontement et c'est à ce moment que les patrons et les syndicats des journaux ont finalement dû s'asseoir autour d'une table pour, trois ans plus tard, réaliser qu'on s'en allait nulle part dans le domaine de l'information, on n'avait pas de plan très clair, il n'y avait pas grand-chose qui fonctionnait là-dedans, ni pour les patrons, ni pour les syndiqués.

Comme on le disait tout à l'heure, particulièrement au journal Le Droit, au Soleil, les journalistes se plaignaient de voir l'espace rédactionnel pris par les textes des journalistes de La Presse, dans des domaines où ils pouvaient très bien faire la couverture eux-mêmes.

Bref, les patrons ont compris que cela ne fonctionnait pas et ils ont proposé de répondre à notre demande d'il y a quatre ans, effectivement, pour créer un observatoire qui est composé de sept dirigeants syndicaux et sept patrons de salle de presse, peu importe l'exactitude de leur titre.

Cet observatoire a été créé pour examiner la situation qui existait avant l'acquisition de UniMédia, par Gesca. Cet observatoire devait examiner ce qui s'est passé depuis l'acquisition et apporter les correctifs nécessaires de façon à respecter les principes qui sont énoncés dans notre entente sur la circulation des textes, c'est-à-dire l'autonomie des rédactions, la qualité de l'information et la diversité, enfin, tous ces grands principes, mais à propos desquels rien n'avait été mis en place pour s'assurer que c'était respecté et encouragé.

Également, il y a le souci de Gesca d'exploiter son réseau de manière à l'aider à mieux faire son travail d'information. Je pense que cette préoccupation existe.

De mon côté, je crois qu'il y a des moyens par lesquels effectivement, on peut peut-être mieux remplir notre devoir d'information, tout en fonctionnant dans le réseau.

On peut affirmer que chacun des journaux se porterait mieux s'il était la propriété d'un propriétaire différent et autonome. C'est possible, je ne sais pas si cela va se faire, cela ne dépend pas de nous mais, en attendant, je pense que la création de cet observatoire est une bonne façon d'y arriver.

La présidente : Il y a quand même, j'imagine, des avantages de l'appartenance à une famille, une chaîne, si vous voulez? C'est impressionnant ce qu'on nous dit sur l'évolution récente de La Presse.

Si La Presse envoie quelqu'un au Darfour, ou en Afghanistan, ou en Irak et que les autres journaux peuvent en profiter, un correspondant du Québec, avec une perspective québécoise, c'est quand même utile pour les lecteurs, non? C'est un avantage, n'est-ce pas?

M. Côté : Je ne dis pas que ce n'est pas utile, mais cela vient avec des compromis du côté de la couverture qui est proche, justement. La proximité à la perspective québécoise, c'est bien, mais il y a aussi la proximité à la perspective d'Ottawa.

Par exemple, si le président George Bush vient visiter Ottawa et que dans les premières pages du journal Le Droit, ce sont tous des textes de La Presse qui sont publiés, et que les journalistes du Droit ne sont pas affectés à cette couverture, ce n'est pas à l'avantage du Droit.

Donc, oui, il y a du bon, mais il n'y a pas juste du bon, surtout pour les autres journaux que La Presse. Quant à La Presse, ce n'est pas démontré qu'elle a absolument besoin d'avoir six autres journaux dans le groupe pour faire ce qu'elle fait actuellement.

On dit que des fonds des journaux régionaux financent des activités de La Presse, mais c'est aussi La Presse qui assume une grande partie des frais de gestion du réseau. Donc, en gros, oui, j'appuie les décisions de la direction de La Presse. Il est certain que ces décisions viennent de M. Crevier et du vice-président éditeur adjoint Philippe Cantin, de faire une meilleure couverture, non seulement des événements internationaux, mais aussi de faire des enquêtes, des grands dossiers sur les sujets nationaux et régionaux.

Mais est-ce qu'on a absolument besoin des autres journaux pour le faire? Je ne pense pas que c'est démontré.

La présidente : Je vais quand même revenir à mes collègues. En ce qui a trait à la politique éditoriale et au choix des grandes informations, le « play  » comme on dit en anglais, quelle sera la grande manchette à la une, est-ce que chaque journal est indépendant? Est-ce que vous êtes confiants que chaque journal est indépendant?

Mme Prince : Je vais répondre à cette question qui n'est pas simple, parce que de plus en plus, au niveau de l'information, les décisions sont prises à Montréal.

Je vous inviterais d'ailleurs, lorsque vous reprendrez vos audiences, en janvier, à Ottawa, à inviter nos collègues du journal Le Droit. C'est complexe la couverture journalistique à la suite d'un événement ou de l'actualité en général.

De plus en plus, les décisions de toute nature sont prises à Montréal et même les décisions en information. Donc, le problème des journalistes en région, c'est justement de se sentir exclus de la décision, mais non seulement de la décision de la manchette, mais de la décision de qui fera le texte de la manchette

La présidente : L'affectation?

Mme Prince : L'affectation et l'assignation, oui.

La présidente : Je pourrais continuer, mais mes collègues veulent vous poser des questions. Je vous demanderais quand même de nous fournir, s'il vous plaît, tout ce que vous avez comme textes d'entente, de contrats, tout ce qui touche à cette question d'autonomie journalistique, de mécanisme de surveillance. Je pense que c'est une formule presque unique, qu'il faudra qu'on comprenne.

M. Côté : On a déjà fourni au secrétariat du Comité l'entente sur la circulation des textes.

La présidente : Oui. S'il y a quoi que ce soit d'autre, nous apprécierions.

M. Côté : Ce qui vous manquerait, c'est un document, qui pour l'instant, est un document interne. Je ne suis pas sûr qu'on pourrait vous le fournir, mais c'est le document sur l'observatoire Gesca. On va faire la demande à nos partenaires patronaux, ils vont sûrement acquiescer à notre demande et, dès ce moment, on s'empressera de vous le fournir.

La présidente : Ils devraient en être fiers, il me semble.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : On a déjà répondu à certaines de ces questions mais je souhaite que vous parliez davantage de l'effet de tout ceci sur la qualité de l'information que reçoivent les lecteurs et nous concentrer un peu sur les questions politiques et sociales. Donnez-nous des exemples. Par exemple, je sais que le profil démographique de Montréal est un peu différent. Je viens de l'Ouest du Canada, alors vous devrez m'excuser si je ne suis pas très au fait de la situation ici. D'après ce que j'ai lu, il me semble, du moins du point de vue politique, que les profils de vote de Montréal se démarquent de l'ensemble du Québec.

En présence de deux grands conglomérats médiatiques, et à la lumière des idées analysées par ces journaux, y a-t-il, selon vous, une assez grande diversité des points de vues politiques et des analyses? Les minorités sont-elles bien desservies? Y a-t-il assez de membres des minorités qui travaillent pour les journaux? C'est l'aspect politique et social. Pourriez-vous me donner quelques exemples de la situation actuelle ici s'il vous plaît?

[Français]

Mme Prince : Votre question est large et elle n'est pas facile pour quelqu'un qui travaille dans un journal à Montréal, où les minorités ethniques ne sont pas représentées proportionnellement à ce que leur poids démographique justifierait.

Mais La Presse fait des efforts pour refléter cette composition du tissu social. Au journal La Presse, on constate, au cours des dernières années, qu'il y a eu beaucoup de développement de l'interaction avec nos lecteurs. De sorte que nos pages s'ouvrent, dans les pages d'opinion, à divers points de vue.

Sauf que ce n'est pas suffisant en information de se fier sur nos lecteurs pour donner un portrait général de ce qui se passe dans notre société. Mais dans les régions, c'est complètement autre chose. Et là, je pense qu'on y perd en termes de diversité des points de vue qui y sont exprimés.

D'autant plus que, comme on l'expliquait, les textes en provenance de Montréal prennent beaucoup d'espace qui, normalement, devrait être réservé à de l'information locale, donc à refléter ce qui se passe dans nos régions.

Quand nos journalistes parlent de journalisme à deux vitesses, c'est un peu ce qu'ils sous-entendent. C'est-à-dire que le fait qu'ils ne puissent pas aller au fond des choses dans leur couverture régionale. Ou encore, s'ils le font, ils sont relégués — on parlait de manchettes tantôt — aux pages intérieures, loin à l'intérieur de leur propre journal. Donc, leur travail n'est pas mis en valeur et l'impression qu'ils ont, c'est que les citoyens, les communautés qui sont desservies le sont moins bien.

Je ne sais pas si mes collègues veulent ajouter là-dessus?

M. Côté : Pour ce qui est de la diversité culturelle dans la salle de rédaction à La Presse, je dirais qu'elle n'est vraiment pas très élevée. Il n'y a pas de programme pour encourager, en ce moment, une plus grande diversité.

D'un autre côté, les canaux d'embauche à La Presse sont très largement ouverts dans les écoles de journalisme qui, elles, sont très ouvertes aussi. Je ne pense pas qu'il y ait de discrimination nulle part sur la chaîne qui amène des gens à pratiquer le métier à La Presse. Mais il n'y a pas de programme positif pour remédier à cela.

Je sais que c'est un constat qu'on fait souvent, qu'il n'y a pas beaucoup de diversité en termes de provenance des communautés ethniques à Montréal. Par contre, sur la diversité des points de vue, il y a toujours un débat, on voit souvent cela revenir dans les pages d'opinion à La Presse. Évidemment, tout le monde connaît la position éditoriale de La Presse, dans le débat politique au Québec.

Pour ce qui est des lettres d'opinion qu'on publie de lecteurs ou d'experts, il y a toujours des gens qui écrivent pour dire : « Ça fait dix fois que je vous envoie une lettre pour dénoncer le fédéralisme et vous ne la publiez pas. » Donc, là- dessus, je pense que chacun peut tirer ses conclusions, mais c'est quelque chose qui revient souvent.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Hier, nous avons entendu les témoignages de représentants des hebdomadaires. Ils semblaient nous dire qu'ils servaient les régions parce que certaines des régions isolées n'étaient pas bien desservies par les grands journaux. Pensez-vous que ce système fonctionne bien? C'étaient des hebdomadaires alors ces gens-là ne reçoivent pas l'actualité.

Deuxièmement vous parliez de compression de l'effectif, alors il n'y a pas d'embauche. Est-ce qu'on embauche des jeunes pour combler l'écart des générations, car là aussi il y a un écart des générations. Les gens voient les nouvelles d'un autre œil. Est-ce qu'on n'embauche pas en raison de compressions de personnel, ou est-ce qu'on déplace du personnel? Qu'est-ce qui se passe?

[Français]

Mme Prince : Encore une fois, le portrait qu'on peut établir à ce niveau à La Presse est très différent de ce qu'on a dans les régions. À La Presse, on a effectivement un renouvellement de personnel de la salle de rédaction, on a de jeunes journalistes qui sont venus insuffler un grand dynamisme.

On a donc des gens qui partent à la retraite et qui sont remplacés. Le problème des journaux régionaux, — Fernand Bélanger pourra vous en parler aussi — c'est que les retraités ne sont pas remplacés ou lorsqu'ils le sont, c'est par des contractuels ou des surnuméraires. On fait beaucoup appel à du travail de journaliste indépendant pigiste ou de collaborateurs qui ne sont pas très bien payés, et qui, en raison de leur statut précaire, sont probablement plus malléables et corvéables.

Donc, dans ce sens, il y a vraiment un problème d'embauche. En général, il n'y a pas d'embauche dans les régions et il y a un remplacement par une main-d'oeuvre à bon marché, qui n'est peut-être pas la meilleure.

M. Bélanger : Dans un premier temps, les jeunes journalistes ne font pas souvent carrière en région. Les jeunes journalistes, une fois qu'ils ont fait un an, deux ans, trois ans, s'en vont à Montréal. Un bon nombre de journalistes de La Presse et du Journal de Montréal proviennent de La Voix de l'Est et du Droit d'Ottawa, c'est un fait connu.

Dans un deuxième temps, on doit faire face à des délais indus au niveau de l'embauche. Lorsqu'on parlait dans le mémoire des retards, du contrôle de Montréal, c'est que pour chaque nouveau poste ou chaque poste à combler, surtout chaque poste à combler, ce qui est encore plus surprenant, il faut, ce qu'ils appellent dans le métier, une réquisition de Montréal.

Il faut que Montréal autorise chaque poste, même si celui-ci est déjà existant, ce qui crée un délai de quelques mois, alors que les délais d'affichage devraient être de quelques semaines pour remplacer. Donc, on se retrouve avec une situation de précarisation des tâches pour les postes déjà existants.

Il y a aussi une précarisation au niveau des autres employés des salles de rédaction. Il ne se crée plus de nouveaux postes dans les salles de rédaction en région, à moins d'avoir des pressions au niveau des négociations.

Je mentionnais tantôt qu'au Nouvelliste, il y a eu dix postes de moins en dix ans, soit depuis 1990 jusqu'au début des années 2000. Ils ont comblé cinq postes à la dernière négociation, mais, de ce nombre, deux employés ont pris leur retraite depuis ce temps et ces postes n'ont pas été comblées. On revient donc presqu'à la case départ. C'est une lutte continuelle.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : J'aimerais revenir sur la relation entre Power Corporation et Radio Canada. Le sénateur Chaput a posé cette question et je pense que la réponse portait sur le gala. Y a-t-il davantage à dire là-dessus? S'agit-il d'une relation d'affaires quelconque? D'une relation de marketing? Est-ce une relation de partage de journalistes? De quel type de relation s'agit-il exactement? Où est-ce que c'est organisé?

[Français]

Mme Prince : Je dirais que ce sont des ententes promotionnelles. Dans un premier temps, c'est à ce niveau que cela se passe, donc beaucoup d'échanges, soient de services ou de visibilité. En ce sens, que c'est là que les journalistes sont appelés à intervenir, mais sans être probablement conscients qu'ils font partie d'une entente de promotion.

Il s'agit également de mettre en place des véhicules publicitaires qui soient capables de concurrencer ce qui se passe dans le domaine avec Quebecor et la télévision privée. Mais comme je vous disais tantôt, cela ne se passe pas au niveau de la salle de rédaction. Mon collègue me fait signe, oui, on a le téléhoraire, par exemple, Voilà, qui est un petit fascicule inséré dans La Presse, une fois par semaine et qui donne l'ensemble des horaires de télévision. Les reportages, évidemment, qui sont en couverture et qui sont annoncés ont tendance à favoriser des émissions présentées à Radio- Canada.

Je ne peux pas dire que nous, journalistes, sommes parties prenantes de ces ententes; en principe, non. Mais c'est vraiment au niveau de la guerre commerciale qui se fait au Québec, entre les empires de presse. Et dans ce sens-là, La Presse et Radio-Canada se sont positionnées partenaires pour y être présentes en fait.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Nous avons une société d'État. S'agit-il de radio et la télévision, ou seulement de la télévision?

Mme Prince : Les deux.

Le sénateur Tkachuk : La radio également?

Mme Prince : Oui.

Le sénateur Tkachuk : Donc nous avons une société de l'État qui s'est acoquinée avec une entreprise privée, la Power Corporation, et qui se mesure contre une société privée de télévision et de presse écrite. Est-ce que cela suscite la controverse? En parle-t-on? Je n'ai rien vu dans la presse anglophone, mais c'est très intéressant. Je sais que cela existe, les sociétés privées de télédiffusion existent dans le Canada anglais, avec Global et CBC, et particulièrement la relation politique, peut-être, qu'entretiennent ces deux entités. C'est une société d'État.

[Français]

Mme Prince : Vous avez tout à fait raison. J'espère que votre comité relèvera cette question. J'espère que vous en profiterez pour poser d'autres questions à d'autres groupes, à nos patrons notamment, aux gens de Radio-Canada que vous allez entendre. Je comprends que vous n'en avez pas parlé avec ceux que vous avez déjà entendus. Je sais que le syndicat de Radio-Canada, le Syndicat des communications de Radio-Canada doit se présenter devant vous en janvier. Ce sera un sujet à reprendre certainement.

Vous mentionnez le mot « controversé », c'est controversé chez nous, évidemment, dans nos salles de rédaction, dans nos syndicats. Mais sur la place publique, cela s'insère dans un paysage médiatique qui ne cesse de nous montrer ce que peut faire la convergence.

Le modèle est donc établi. Il est de plus en plus présent. Je ne crois pas que les citoyens s'en offusquent. Ce n'est pas un sujet controversé. On ne pourrait pas dire cela actuellement.

La présidente : Si ma mémoire est bonne, les représentants de Radio-Canada nous avait parlé de ces arrangements quand ils sont venus devant nous. Nous n'avons pas approfondi la question, une erreur peut-être de notre part, mais on pourra se reprendre plus tard.

Monsieur Côté voulait ajouter quelque chose et ensuite, on aura une toute petite question du sénateur Chaput.

M. Côté : Oui, j'aimerais faire juste quelques observations sur ce sujet de Radio-Canada et de La Presse. Le cahier Voilà, à l'origine, était un téléhoraire qui était produit par une société ou une compagnie qui était une copropriété de Radio-Canada et de La Presse. Donc, vous voyez.

Et on peut concevoir la stratégie de Quebecor comme une façon de fabriquer des vedettes. Ils fabriquent des vedettes musicales, ils fabriquent des vedettes de toutes sortes, puis ils fabriquent aussi des vedettes journalistiques.

Dans l'esprit de nos patrons, nous aussi, il faut fabriquer des vedettes si l'on veut faire concurrence à Quebecor et cela est impossible à faire sans la télé.

On a donc une directrice des relations publiques à La Presse, c'est une nouveauté depuis trois ans. Avant, dans les journaux, on n'avait pas besoin de relations publiques. Celle-ci passe une partie de son temps à essayer de faire en sorte que les journalistes de La Presse soient invités dans les émissions de radio ou dans les émissions de télé. Je ne pense pas qu'il y ait de contrat établi entre La Presse et Radio-Canada. Je crois que, bon, ce n'est pas illégitime de le faire, mais cela montre la dynamique qui est en place. C'est une bataille entre deux empires médiatiques qui se joue à tous les niveaux et avec tous les moyens.

Mme Prince : Mon collègue Stéphane aimerait ajouter un mot.

M. Stéphane Gousse, employé de production au Soleil et président du Syndicat des employés de bureau du Soleil, Regroupement des syndicats de Gesca : Oui, j'aimerais ajouter quelque chose aussi. Avant l'arrivée de Gesca dans le portrait du journal Le Soleil, nous produisions un téléhoraire à l'intérieur du journal, qui était très apprécié par nos abonnés.

La concentration de la propriété des quotidiens c'est aussi cela, il y a des tâches qui se regroupent à certains endroits. Il ne faut pas oublier que dans les médias, du moins au Soleil, il y a près de deux travailleurs, autres que journalistes, qui oeuvrent à l'intérieur de la boîte, que ce soit des techniciens en infographie, des traducteurs, des correcteurs, des techniciens à l'information, des représentants ou des gens qui font du service à la clientèle.

Et avec des dirigeants qui nous proviennent de la maison-mère, on se retrouve avec des gens qui ont de moins en moins d'allégeance à la boîte, donc dans notre entité. Nous craignons vraiment qu'ils aient des ordres de la maison- mère et qui, pour plaire au groupe et y faire carrière, se doivent de prendre des décisions qui ne sont pas nécessairement à l'avantage de notre communauté locale.

Si on pense au cas des représentants publicitaires, il serait triste de voir des entreprises responsables profiter d'un marché tel que celui qu'offre chacun des journaux régionaux et de ne pas en faire profiter la région et rapatrier tous ces revenus à la maison-mère, en gérant et en administrant tous ces comptes multimarchés.

C'est aussi le danger. On entend souvent parler de la vitrine que sont les journalistes, mais il y a aussi d'autres employés qui travaillent dans ces médias et qui seront peut-être les prochaines victimes de la concentration des propriétés.

La présidente : Je vous remercie. Je suis vraiment navrée, mais on a déjà dépassé nos limites de temps. Sénateur Chaput, vous voulez poser une question?

Le sénateur Chaput : Existe-t-il une forme d'autoréglementation quelconque qui pourrait aider à freiner ou à protéger, ou je ne sais pas quoi, dans tout ce que vous venez de nous expliquer, qui pourrait être instaurée?

Mme Prince : Encore une fois, voilà une question difficile pour nous. Vous parlez d'autoréglementation, on pense que vous faites référence donc à ce que les journaux pourraient par eux-mêmes se donner comme balises, comme critères, pour mieux desservir le citoyen; c'est ce qu'on comprend?

Cette question me permettrait peut-être de revenir un petit peu en arrière et de dire qu'on parlait du téléhoraire produit avec Radio-Canada. Le Soleil en avait un très bon, qui correspondait à ce que ses citoyens voulaient. Et les gens lorsqu'ils ont reçu le téléhoraire produit à Montréal, ont réalisé que les horaires des émissions des chaînes de télé étaient fait pour Montréal.

Vous savez, quand on prend notre petite « zapette », les chiffres correspondent à ce que vous avez chez vous. Toutefois, l'horaire est produit à Montréal et les gens de Québec ne s'y retrouvent pas. Les gens sont des abonnés du journal Le Soleil, on oublie ceci, ils se sont désabonnés parce qu'ils n'avaient plus le même service.

Donc, quand vous dites « autoréglementer », évidemment, il y a eu des retours. Nos patrons sont revenus sur certaines décisions qu'ils avaient prises, parce que le public ne suit pas. Et la seule autoréglementation finalement qu'ils acceptent de se donner c'est : est-ce que le public nous suit?

La présidente : Merci beaucoup. Vraiment, il est toujours frustrant quand on n'a pas le temps de tout faire. Votre présentation a été très intéressante. Vous allez nous envoyer, dès que vous le pourrez, tous les documents que vous pourrez, n'est-ce pas?

J'invite nos prochains témoins à venir à la table, il s'agit des témoins qui représentent la Fédération nationale des communications, Mme Chantale Larouche, présidente et M. Pierre Roger, le secrétaire général. Je vous souhaite la bienvenue au Comité des transports et des communications.

Mme Chantale Larouche, présidente de la Fédération nationale des communications : Merci, madame la présidente, d'avoir accepter de nous accueillir dans le cadre de cette importante consultation.

D'entrée de jeu, j'aimerais vous préciser que nous ne lirons pas le texte au complet, parce qu'on a constaté que cette lecture serait probablement un peu trop longue, alors on va essayer de s'attarder, je dirais, à un petit résumé sur l'ensemble des question ou la majorité des questions qui étaient posées par le comité.

J'aimerais d'abord vous présenter la Fédération. La Fédération nationale des communications représente 7 000 travailleurs du secteur des communications, journalistes, techniciens, employés de soutien travaillant dans les médias, presse écrite, radio, télévision, dont notamment les syndicats du Regroupement Gesca que vous avez reçus ce matin.

Notre intervention s'inscrit dans un contexte où l'efficacité des mécanismes et des règles nationales actuelles soulèvent, il faut l'admettre, de plus en plus de doutes en raison, bien sûr, de la complexité des bouleversements qui rendent de plus en plus difficile l'encadrement strict de l'ensemble des composantes du système de radiodiffusion et de télécommunication, et de l'information.

Bien qu'actuellement, seuls les médias électroniques fassent l'objet d'un encadrement formel, nous tenons ici à exprimer que les médias, dans leur ensemble, ont une responsabilité majeure à l'égard de notre société et de la démocratie.

Les médias, pour nous, ne sont pas des entreprises comme les autres et malgré l'abolition des frontières économiques mondiales, l'État doit, à notre avis, préserver les valeurs essentielles, dont l'intérêt public, l'identité culturelle, la diversité et la démocratie.

L'État devrait donc, à notre avis, jouer un rôle prépondérant pour que le développement économique en cours s'effectue de manière à assurer notamment la propriété nationale des médias, de l'identité culturelle, la diversité et le droit fondamental à l'information.

Le gouvernement canadien doit, à notre avis, adopter des orientations et des positions claires pour ensuite mettre en place les mécanismes nécessaires à leur accomplissement.

Mais pour cela, il faut que l'État ait une vision précise du rôle des médias dans notre société, pour être capable de veiller à la protection de leur mission.

Vous avez parlé un peu plus tôt ce matin d'autoréglementation, je dois admettre qu'on n'a pas une foi aveugle en l'autoréglementation, parce que dans le passé, on l'a constaté notamment avec les radiodiffuseurs, l'autoréglementation atteint rapidement ses limites, si on pense aux services en région.

Les radiodiffuseurs, notamment les télédiffuseurs ont, au fil des ans, abandonné progressivement les services en région et malgré un système d'autoréglementation, le profit, le rendement a souvent raison des droits des populations locales et régionales.

La liberté des entreprises de presse, de leurs propriétaires de transiger ne peut pas, à notre avis, enfreindre les droits fondamentaux des citoyens. Nous croyons que la notion d'intérêt public, de responsabilité des médias qui en découle, se trouve de plus en plus remise en question par des impératifs économiques.

Bien que l'État n'ait pas à exercer un contrôle sur le contenu des médias, ce que nous ne voulons d'ailleurs pas, nous croyons qu'il a quand même la responsabilité de veiller à ce que ceux-ci jouent pleinement leur rôle, notamment en matière d'information.

Pour nous, la pluralité des sources d'information demeure une clé extrêmement importante pour la démocratie. La pluralité des médias favoriserait davantage, à notre avis, l'épanouissement de l'identité culturelle.

Bien sûr, on ne peut pas blâmer les entreprises de vouloir donner un effet multiplicateur à ce qu'elles produisent dans les grands centres d'activités. Par contre, l'identité culturelle canadienne, le droit fondamental à l'information repose sur la présence de médias qui reflètent et répercutent la réalité territoriale et permettent l'expression d'opinions divergentes.

Je vous l'ai dit tout à l'heure, au Québec, nous avons assisté à une réduction importante des services aux populations locales et régionales, ce qui a même été autorisé et consenti par le CRTC.

Ce qui est plus dramatique, c'est que les stations AM ont disparu, remplacées par les stations FM; et du même coup, on a déréglementé, pour réduire le contenu obligatoire en matière d'information, de programmation locale et régionale. Cela eu un effet déterminant sur la régression des services aux populations locales et régionales, dont le CRTC était en fait complice.

Comme vous avez pu l'entendre aussi ce matin, les journaux aussi ont tendance, pour des raisons économiques et stratégiques, à centraliser et uniformiser les sources d'information.

Au Québec bien sûr, Quebecor Média apparaît comme étant l'entreprise la plus concentrée et qui cause le plus de dommages en matière de concentration, notamment en raison de sa présence en télévision autorisée par le CRTC, mais il est clair que Quebecor, grâce à une multitude de plates-formes de communication, exerce une influence extrêmement importante en matière d'information et de culture.

En fait, on pourrait penser que la vision de Quebecor, relativement à la culture, est de plus en plus imposée à la population du Québec.

Au Canada, il y a quatre grands intervenants qui dominent maintenant le marché, soit BCE, Quebecor, Rogers et CanWest Global. Nous nous inquiétons énormément de la constitution de grands conglomérats comme ceux-ci.

Lorsque ces conglomérats auront à se départir de filiales, pourront-ils le faire? Et pour être capables de revendre leurs intérêts, ils seront probablement tentés de se revendre à des intérêts étrangers capables de payer la valeur de leurs entreprises. Pour nous, cela est extrêmement inquiétant, la tendance ou le risque que les médias canadiens deviennent éventuellement propriété internationale étrangère. Il faut voir que AOL-Time-Warner et Rogers mettent de plus en plus de pression pour que nous déréglementions en matière de propriété canadienne à la fois des médias et des entreprises de télécommunication.

Pour nous, il y a là un danger réel. Si AOL-Time-Warner, qui possède des intérêts en information, en télévision et dans des journaux, est intéressée par une telle déréglementation canadienne, c'est sans doute qu'il y a un intérêt à distribuer son contenu au Canada. À notre avis, cela pourrait contribuer à une homogénéisation des contenus et voire même à une américanisation des contenus canadiens, qui sont déjà passablement concentrés dans les grands centres.

À cet égard, pour nous, la propriété étrangère des médias doit demeurer protégée de façon formelle et sans équivoque.

J'aimerais insister sur le rôle des radiodiffuseurs publics, dont Radio-Canada, TV5, Télé-Québec, qui, à notre avis, dans un contexte de concentration des médias, jouent un rôle déterminant quant à la protection de l'intérêt public, du droit du public à l'information et à la protection de l'identité culturelle.

Mais à cet égard, nous tenons à insister aussi sur le fait qu'il serait important que Radio-Canada soit davantage soutenue financièrement par le gouvernement canadien et qu'un financement stable pluriannuel lui soit consenti, de manière à favoriser une meilleure planification des opérations de cette société d'État.

J'aimerais insister aussi sur le système de production télévisuelle, le système de financement de la production télévisuelle, qui a eu un effet énorme sur la capacité des télédiffuseurs d'assumer pleinement leurs responsabilités en matière de production de contenu télévisuel.

Vous savez, il y a le Fonds canadien qui existe, Téléfilm et on a, en fait, amputé les crédits parlementaires de Radio- Canada et de Télé-Québec pour constituer ces fonds de soutien à la production télévisuelle, ce qui, à notre avis, crée une injustice énorme à l'égard des télédiffuseurs publics.

Près de 4 000 emplois de qualité ont été perdus à Radio-Canada, Télé-Québec, mais aussi chez l'ensemble des télédiffuseurs, pour transférer ces emplois à la production indépendante — ce sont des emplois précaires — et pour aussi financer des entreprises privées, qui n'ont pas de responsabilité reconnue à l'égard du système de radiodiffusion.

Pour nous, il est important de financer la production télévisuelle. Cependant, il faudrait qu'il y ait une réelle concurrence entre les télédiffuseurs et les entreprises de production de contenu télévisuel.

Quant au CRTC, nous croyons qu'il y a lieu de procéder à un réexamen de ses règles, de son fonctionnement. Nous croyons que le CRTC doit essentiellement se concentrer sur son rôle de surveillance, de réglementation, en tenant compte d'objectifs culturels clairs fixés par le Parlement.

Nous trouvons un peu particulier que ce soit le Bureau de la concurrence notamment qui, dans le cadre d'une transaction impliquant Astral, ait eu raison de cette transaction qui, selon nous, constituait une concentration extrêmement nuisible, notamment dans certaines régions du Québec.

On pense qu'il faut peut-être repréciser les rôles respectifs du CRTC et du Bureau de la concurrence.

En terminant, j'aimerais préciser que pour nous, il est clair que le gouvernement canadien a un rôle extrêmement déterminant par rapport à l'avenir des médias, du droit du public à l'information, de la protection de l'identité culturelle. Nous croyons qu'une politique canadienne en matière d'information, de culture devrait être élaborée pour consacrer la notion de service public des médias.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Vous dites que les gouvernements ont une responsabilité. Mais je ne comprends pas très bien si vous voulez dire que le gouvernement a la responsabilité de diffuser de l'information ou de protéger le droit de diffusion de l'information?

[Français]

Mme Larouche : Non, nous voulons davantage dire que le gouvernement a effectivement la responsabilité de garantir l'accessibilité à des contenus d'information de qualité diversifiée, mais il n'a pas à s'immiscer dans la diffusion du contenu de l'information cependant et dans le contrôle de ce qui sera diffusé en matière d'information.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Comment les gouvernements devraient-ils garantir ce droit?

[Français]

Mme Larouche : Nous croyons, dans un premier temps, que le gouvernement canadien pourrait adopter une politique claire en matière de rôle des médias dans une société démocratique. Comme nous le disions un peu plus tôt — et c'est sans doute plus précis dans le texte — il a, à notre avis, le pouvoir et la responsabilité d'adopter des normes, des règles qui ne visent pas à contrôler le quotidien des médias, mais bien à préciser que notre société est déterminée à protéger l'identité culturelle canadienne contre la mondialisation notamment, à protéger l'accessibilité sur tout le territoire canadien, tant en région que dans les localités, en matière de contenu, de programmation diversifiée et de qualité.

Mais il n'a pas à aller plus loin. Il pourrait cependant, par un organisme réglementaire, s'assurer que ces grandes orientations soient desservies adéquatement par l'ensemble des médias. On va même jusqu'à dire : les médias écrits. Que tous les propriétaires de médias soient contraints d'opérer leurs activités et leurs entreprises dans le respect d'une grande orientation canadienne encadrée.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Si un journal en achetait un autre ou une société achetait un journal, ils devraient en demander l'autorisation à un organe de réglementation comme le CRTC et il y aurait des audiences. C'est bien ce que vous dites?

[Français]

Mme Larouche : Nous croyons que cela pourrait aller jusque là. C'est donc dire qu'au nom de la protection de l'identité culturelle, de la liberté de presse, de la diversité de l'information et des opinions, il serait possible d'envisager qu'un organisme réglementaire ait à évaluer les limites ou les impacts de la concentration d'entreprises générée par des transactions, y compris dans des entreprises de presse écrites.

Le sénateur Chaput : J'aimerais que vous nous parliez un peu plus de la vocation de Radio-Canada, telle que vous l'entrevoyez. Vous dites dans votre document que c'est un contrepoids essentiel à la protection de l'intérêt public.

Pouvez-vous développer un peu sur ce que vous croyez que Radio-Canada doit faire? Suite aux compressions budgétaires que la société a subies, qu'est-ce qui a dû être sacrifié, d'après vous, qui fait qu'elle ne protège pas aussi bien l'intérêt public qu'il devrait le faire?

Mme Larouche : Pour nous, il est clair que le mandat de Radio-Canada est celui qui a été défini au moment de la création de Radio-Canada, c'est-à-dire d'éduquer, d'informer et de divertir.

Cependant, il est clair qu'avec les compressions qui ont été faites à Radio-Canada, cette mission qui, notamment au chapitre de l'information et de la diversité de l'information, a été considérablement réduite, si on s'attarde à ce qui est survenu dans les régions, notamment, au Québec, où il y a eu des fermetures énormes d'entreprises et des coupes importantes au niveau des effectifs journalistiques.

Nous croyons, nous, qu'en région, on a été particulièrement pénalisés par des coupes. D'autre part, au niveau des choix de programmation, il y a eu un effet aussi important, c'est-à-dire que les compressions ont bien sûr contraint Radio-Canada de se placer en concurrence avec les télédiffuseurs privés sur le marché publicitaire; ce qui rend parfois difficile le choix de programmation d'émissions qui sont peut-être un peu plus distinctives par rapport à ce qui est produit par les télédiffuseurs privés.

On ne dit pas cependant qu'il faut marginaliser Radio-Canada, parce que Radio-Canada est maintenant contrainte de faire face au marché de la concurrence publicitaire. Et à ce moment-ci, sans un financement supplémentaire, il serait extrêmement néfaste de demander à Radio-Canada de ne faire que des programmations complémentaires à ce qui est fait par les télédiffuseurs privés actuellement, puisque automatiquement, Radio-Canada se retrouverait de moins en moins pertinente et deviendrait absolument marginale.

On pense que Radio-Canada aurait beaucoup plus de possibilités, d'ouvertures à la production de contenu d'émissions et de programmation diversifiée et distincte de ce qui est fait par les télédiffuseurs privés, si les ressources financières étaient augmentées et ramenées minimalement au niveau qu'on a connu avant les compressions des années 1990.

M. Pierre Roger, secrétaire général de la Fédération nationale des communications : J'aurais peut-être un complément madame le sénateur Chaput.

Évidemment, il faut comprendre que le budget de Radio-Canada a été largement amputé. Quand on a créé les fonds d'investissement, qui ont servi à mettre en place les maisons de production indépendante, la production indépendante télévisuelle canadienne, largement, les sommes ont été récupérées dans des coupures qui ont affecté Radio-Canada.

Il ne faudrait pas l'oublier que le même phénomène s'est produit au Québec. De larges compressions à Télé-Québec ont permis des investissements dans la production indépendante. Il en est de même à Radio-Canada.

Du côté de la télévision anglaise de Radio-Canada, vous n'êtes sûrement pas sans savoir que les coupures des bulletins régionaux de nouvelles ont affecté une grande partie du pays.

La présidente : Merci. J'aurais une question additionnelle à vous poser. Les coupures, le grand changement qui disait que les émissions dramatiques et de divertissement devaient se faire au secteur privé, on n'avait jamais énoncé comme politique que les nouvelles, les informations devaient être coupées, mais ce fut le résultat.

Je devrais avoir les chiffres devant moi, mais je ne les ai pas. Les compressions budgétaires à Radio-Canada ont-elles dépassé ce qu'il fallait pour financer la production privée des dramatiques et des émissions de divertissement? Est-ce que c'était le problème?

Mme Larouche : Dans les faits, est-ce qu'il y a eu un dépassement? Je ne serais pas en mesure de l'affirmer formellement. Mais une chose est certaine, effectivement, l'argent qui a transité vers la production privée a servi à réorganiser Radio-Canada, a forcé une réorganisation en profondeur; ce qui a aussi eu un impact sur les services d'information.

La présidente : Pour toute la boîte.

Mme Larouche : Je ne serais pas en mesure d'affirmer avec certitude qu'il y a eu des choix de la direction de Radio- Canada qui ont dépassé ce qui aurait dû être fait.

Cependant, il y avait quand même des conventions collectives en vigueur et ils ne pouvaient pas non plus nécessairement sabrer dans des effectifs, n'importe comment. Mais il y a eu un impact ailleurs qu'au niveau de la programmation de dramatiques et de divertissement, c'est clair.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Comme je viens de l'Ouest du Canada, je m'intéresse à Radio-Canada. Le gouvernement peut réglementer le contenu canadien, il peut fixer les règles, mais il ne peut pas imposer à l'auditeur d'écouter Radio- Canada.

Savez-vous quel est le profil d'un auditoire de Radio-Canada au Québec? Je pense qu'il est très différent de celui de l'Ouest du pays. Dans l'Ouest, l'auditoire de la CBC est extrêmement restreint car les auditoires en général sont très fragmentés et, comparativement aux réseaux privés, la CBC a un auditoire très restreint.

Il vient un moment où on doit se demander combien d'argent il faut investir pour protéger une entité canadienne. Si le public ne l'écoute pas, il faut se demander franchement si l'argent est dépensé judicieusement. Lorsque les représentants de CBC ont témoigné devant nous, ils ont estimé à environ 500 $ par Canadien le prix de la diffusion de leur programmation. Chez moi nous sommes cinq, ce qui veut dire que je paye 2 500 $ par année pour avoir accès à cette seule chaîne. Je me demande ce qu'il en est de Radio-Canada au Québec.

Le sénateur Tkachuk : Si vous ne l'écoutez pas.

Le sénateur Merchant : Oui je l'écoute. Et j'en retire quand même un petit quelque chose.

[Français]

Mme Larouche : Contrairement au réseau anglais de Radio-Canada, le réseau français obtient l'adhésion du public québécois. On l'a vu encore ce matin, les récents sondages BBM ont été publiés, confirmant notamment que l'émission du matin, dans le marché montréalais, est l'émission la plus écoutée par les Montréalais, ce qui est quand même assez phénoménal.

Il y a eu quelques années où Radio-Canada était considérée comme la radio des intellectuels et effectivement, le public cible n'était pas aussi étendu que maintenant.

Cela étant dit, nous continuons de croire que nous ne pouvons pas évaluer Radio-Canada, TV5, Télé-Québec, simplement au niveau de la performance d'écoute. Parce que ces sociétés, à notre avis, ont en plus de la mission de divertir, une obligation d'éducation et d'information, qui crée des exigences quant au choix de programmation; des exigences qui ne viseront pas uniquement à être populaires, mais bien à contribuer au développement de la société canadienne, au plan de la culture et au plan de l'éducation.

Il faut, à notre avis, nuancer lorsqu'on parle de Radio-Canada et à choisir comment on la finance. On ne peut pas non plus marginaliser Radio-Canada au point de la rendre complètement inutile et impopulaire. Mais on ne peut pas non plus lui demander de faire uniquement ce que font les chaînes privées, pour des raisons purement économiques.

M. Roger : J'aurais un complément d'information pour madame le sénateur Merchant.

Évidemment, le public francophone est un peu plus captif que le public anglophone qui, lui, a le choix aussi de la télévision qui provient des États-Unis, un peu plus au Sud des autres provinces canadiennes, ce qui fait en sorte que du côté de la CBC, il en coûte beaucoup plus cher pour produire des dramatiques que du côté francophone, s'ils veulent être compétitifs avec les grandes productions de Hollywood. De là la nécessité de devoir maintenir un financement vraiment adéquat à Radio-Canada, si on veut qu'elle poursuive son mandat d'informer, mais également de divertir et d'éduquer comme tel.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Je parle du point de vue de l'Ouest du Canada.

Le sénateur Tkachuk : Vous avez parlé de la nécessité que le gouvernement finance la production télévisée. Lorsque je regarde la télévision, parfois j'aperçois au bas de l'écran, au générique, la mention d'organes comme Téléfilm Canada, l'Office national du film et la CBC. Voilà une société privée qui reçoit des subventions du gouvernement fédéral. Pourquoi le gouvernement devrait-il financer ce genre de choses? Qu'est-ce que le gouvernement a à faire là- dedans? Si les gens veulent produire des émissions que les Canadiens veulent regarder, pourquoi est-ce que ce n'est pas le secteur privé qui s'en occupe?

[Français]

Mme Larouche : C'est une très bonne question. On peut effectivement se poser cette question, mais il est clair que même si nous questionnons la manière dont les règles ont été établies pour financer la production, nous croyons qu'au moment où ces décisions ont été prises — la création de mettre en place ces fonds — étaient appropriées.

C'était à une époque où nous nous inquiétions sérieusement de l'impact de la pénétration des contenus étrangers, particulièrement les contenus américains, sur les marchés canadiens, avec l'avènement de la télévision par satellite.

Et à ce moment, on convenait tous au Canada qu'il y avait nécessité de favoriser l'émergence de contenu canadien de qualité, de haut niveau, capable de concurrencer les contenus étrangers.

Cela étant dit, bien que ce soit une mesure utile, il y a peut-être lieu de revoir les critères d'attribution de ces fonds publics. En fait, il y a quand même, en moyenne, 36 p. 100 des fonds publics qui sont dédiés à la production des émissions, qu'elles soient diffusées chez les télédiffuseurs privés ou publics.

On n'en a pas contre le financement, mais bien davantage contre l'utilisation des fonds publics et la manière dont ces sommes sont réparties entre les différents télédiffuseurs. Il est clair que les télédiffuseurs privés qui, souvent, reprochent à Radio-Canada et à Télé-Québec d'être trop financés, vont chercher une bonne part de ce financement et sont directement subventionnés, ce qu'ignore, je pense, la majorité des citoyens canadiens.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Vous vous dites très inquiète des conglomérats et tout particulièrement de Québécor. Nous avons entendu exprimer les mêmes préoccupations hier. Peut-on revenir en arrière? Comment les gens peuvent-ils penser que plus gros c'est mieux? Une fois de plus on en revient au gouvernement. Pensez-vous que le gouvernement pourrait intervenir et morceler ces méga fusions?

[Français]

Mme Larouche : Honnêtement, il serait extrêmement difficile de revenir en arrière, à partir du moment où ces transactions ont été autorisées. Je pense notamment à la transaction de propriété croisée impliquant Quebecor, autorisée par le CRTC.

Néanmoins, nous croyons que si le gouvernement canadien adoptait des règles claires et des orientations claires en matière d'obligation des médias dans notre société, sans revenir en arrière, il pourrait y avoir fixation d'exigences supérieures quant à la manière dont Quebecor peut se comporter tout en étant concentrée de la sorte.

Un organisme réglementaire pourrait exercer une surveillance, y compris sur la convergence qui a un impact sur les journaux, pour exiger qu'il y ait vraiment une distinction nette entre ce qui est produit dans les journaux et produit à la télévision.

Mais revenir en arrière serait absolument illusoire, j'en suis convaincue.

M. Roger : Nous avons déjà présenté, dans le passé, plusieurs mémoires à différentes commissions parlementaires ou comités de Patrimoine Canada. J'aimerais déposer ceux-ci. Je pense que ceux-ci pourraient vous être utiles. Ils sont très pertinents, concernant entre autres la concentration des médias.

La présidente : Effectivement, oui.

Mme Larouche : Si vous permettez, madame la président, mon confrère m'a rappelé quelque chose. Au moment où le CRTC, l'an dernier et l'année précédente, a eu à se prononcer sur des transactions de propriété croisée, nous avons demandé au CRTC de surseoir, comme l'avait fait le Comité permanent du patrimoine canadien, à toute nouvelle demande de propriété croisée, compte tenu des conséquences à long terme que cela pourrait avoir, notamment sur l'identité culturelle canadienne, la diversité et le droit du public à l'information et l'accessibilité à des contenus diversifiés.

Nous croyons que le CRTC est devenu un peu plus prudent relativement à ces transactions, parce que les organisations ont été nombreuses à reprocher au conseil d'avoir pris des décisions à la hâte, sans tenir compte de ce qui était en réflexion au gouvernement canadien, notamment par le Comité permanent du patrimoine.

Et là-dessus, j'aimerais insister sur le fait qu'il nous apparaît extrêmement important qu'à partir du moment où le gouvernement canadien se donne des orientations précises en matière d'identité culturelle, de diversité, de protection de la propriété des médias, tout organisme réglementaire ne soit pas complètement déconnecté de ses orientations à caractère culturel, qui sont essentielles pour notre société.

Nous avons souvent eu l'impression que le CRTC n'était pas en lien direct avec les organisations culturelles ou chargées d'évaluer le système canadien de radiodiffusion; on avait plutôt l'impression qu'il y avait une compétition entre ces organisations.

Or, à partir du moment où il y a des orientations canadiennes claires, nous croyons que les organismes, qui ont à intervenir par la suite, doivent être directement contraints aussi de respecter les orientations que nous nous sommes données comme nation.

La présidente : On vous remercie beaucoup, votre présentation était très intéressante. Vous allez nous envoyer les mémoires précédents?

Mme Larouche : Merci de votre attention.

[Traduction]

La présidente : Messieurs et mesdames les sénateurs. Nous allons faire traduire le mémoire en anglais, car il contient beaucoup d'information. Les interprètes sont vraiment formidables, mais il est toujours utile d'avoir les textes authentiques.

[Français]

Nous accueillons maintenant les représentants de Télé-Québec, le radiodiffuseur public provincial au Québec. Madame Paule Beaugrand-Champagne, présidente et directrice générale; elle est accompagné par M. Denis Bélisle, secrétaire général et directeur général des affaires juridiques et M. Jacques Lagacé directeur général des affaires institutionnelles.

Mme Paule Beaugrand-Champagne, présidente-directrice générale de Télé-Québec : J'allais nous présenter mais madame le sénateur Fraser vient de le faire très bien, alors je la remercie.

Télé-Québec est la télévision éducative et culturelle du Québec. Depuis ses débuts en 1968, elle se distingue par une programmation qui reflète et valorise toutes les formes d'expression, qui rend compte de la diversité culturelle, dépeint les réalités sociales, s'intéresse au monde vivant et à son environnement, qui favorise l'apprentissage des enfants, et instruit et renseigne un public varié dans tous les champs de l'information.

Comme diffuseur d'émissions centrées sur le savoir et l'apprentissage, ainsi que sur la création et la promotion de la culture, Télé-Québec joue un rôle majeur dans l'environnement de la radiodiffusion francophone. Cette année, elle poursuit sa mission et présente des émissions originales et différentes des autres services télévisuels au Québec.

Au cours de ces audiences, vous sollicitez des commentaires sur le rôle que devrait jouer l'État pour aider les médias d'actualités à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés dans le contexte des bouleversements qui les ont touchés ces dernières années.

Parmi vos questions clés, vous mentionnez la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration de la propriété. Dans notre présentation, nous nous concentrerons sur deux questions seulement qui font l'objet de vos préoccupations, soit : l'accès qu'ont les Canadiens à l'information sur les affaires internationales, nationales, régionales et locales, votre première question; et le rôle que doivent jouer les radiodiffuseurs publics du Canada compte tenu des nombreuses transformations du milieu des médias canadiens au cours des 20 dernières années, votre question numéro 14.

En conclusion, nous offrirons quelques réflexions d'ordre plus général reliées à ces deux questions.

La quantité et la qualité de l'information au Québec sont-elles suffisantes?

Confrontés à la rapidité et à la complexité des changements qui surviennent dans notre société, qu'il s'agisse de la remise en question du système de santé, de l'impact de la montée du dollar canadien, des prix de détail de l'électricité ou du pétrole ou encore des problèmes liés à la pollution des cours d'eau, à la pauvreté ou encore au vieillissement de la population, les citoyens ont de la difficulté à saisir les véritables enjeux en cause et à imaginer les conséquences de ces changements sur leur propre vie.

Cette difficulté à comprendre les enjeux vient-elle d'un manque d'accès à l'information? Je ne le crois pas. Ce n'est sûrement pas une question de quantité d'informations.

En effet, si nous considérons les multiples bulletins de nouvelles présentés à Radio-Canada, à TVA et à TQS, sur les deux chaînes d'information continue, RDI et LCN, auxquelles s'ajoutera dans quelques semaines LCA, le Canal Affaires; et si nous tenons compte, dans une moindre mesure, des informations présentées par des réseaux tels RDS, Météo Média ou TV5, par exemple, les Québécois n'ont jamais eu accès à autant d'information télévisée que maintenant.

C'est davantage une question liée à la manière dont on traite l'information. La multiplication des chaînes crée une pression énorme à la performance chez les diffuseurs et même les bulletins de nouvelles sont maintenant soumis aux règles de la cote d'écoute et de la concurrence.

C'est à quelle chaîne de nouvelles en continu serait la première à annoncer une nouvelle, même sans en avoir vérifié les détails ou la véracité. Or, cela peut causer de sérieux dérapages quand on pousse un peu plus loin, comme on l'a vu au États-Unis pendant la campagne électorale, avec Dan Rather et George W. Bush.

Pour capter l'attention du téléspectateur, les nouvelles sont souvent présentées de façon brute, parfois dans de courts segments de 90 secondes, qui ne permettent pas la mise en contexte. Pour la même raison, on donne une place de plus en plus importante à l'infirmation de type anecdotique ou spectaculaire.

Enfin, cette conversion de l'information en quasi-divertissement est renforcée par le phénomène de la concentration de la propriété des médias. La concentration et la convergence permettent en effet, aux groupes concernés, de créer une synergie entre les médias qu'ils possèdent pour renforcer leur marque.

Et pour y arriver, il n'est pas rare que des émissions d'information soient utilisées pour mettre en valeur d'autres produits du groupe, y compris des téléromans ou des téléséries. Cela s'est vu au cours de la dernière année sur plus d'une chaîne.

Dans un tel contexte, les émissions qui font de l'analyse de l'actualité ou du journalisme d'enquête, et les émissions d'affaires publiques qui approfondissent les sujets par le débat ou le reportage, ont de moins en moins de place à l'antenne.

Alors que la compréhension des enjeux de notre société nécessiterait une information qui allie rigueur et profondeur, on constate une réduction de plus en plus marquée de l'espace audiovisuel consacré à des émissions d'explication, d'analyse et de débats, souvent au profit de nouvelles brutes, livrées rapidement, sans mise en contexte.

Quel rôle devraient jouer les radiodiffuseurs publics? Depuis une vingtaine d'années, l'offre télévisuelle a subi des transformations majeures. Elle s'est multipliée de façon spectaculaire, passant de quelques chaînes à plusieurs centaines.

Elle s'est considérablement diversifiée en genres, s'est commercialisée et est devenue une industrie poursuivant de façon prioritaire des objectifs de rendement. Dans un tel monde, il est devenu de bon ton, même, de remettre en question la légitimité et l'utilité des télévisions publiques.

Nous croyons, au contraire, que dans ce nouveau contexte, les télévisions publiques ont un rôle plus important que jamais à jouer, parce qu'elles seules peuvent assumer des mandats qui sont peu ou pas considérés par les télévisions privées.

À titre d'exemple, mentionnons la nécessité d'offrir aux citoyens une analyse approfondie, rigoureuse et critique de l'information et la nécessité de rendre compte des enjeux régionaux à l'antenne nationale; des thèmes bien peu rentables pour des chaînes privées.

Télé-Québec, comme télévision publique a vocation éducative et culturelle, a choisi d'assumer ces mandats en privilégiant un certain nombre d'outils, des documentaires d'auteur, des émissions d'affaires publiques, d'entrevues et de débats, des magazines d'information.

Le documentaire d'auteur se présente comme un genre privilégié pour répondre à des besoins d'analyse critique des phénomènes sociaux qu'on trouve dans les nouvelles et de diversité des points de vue. Télé-Québec a choisi d'en faire un élément clé de sa programmation.

Elle fait, en effet, produire et mettre à l'antenne chaque année une trentaine de documentaires d'auteur, qu'on peut appeler aussi documentaires d'opinion, qui traitent d'enjeux sociaux de première importance. Certains ont eu un impact considérable sur la société québécoise et même entraîné des décisions gouvernementales.

L'Erreur boréale, par exemple, diffusée en 1999, remettait en cause le système de gestion de la forêt québécoise. Le débat soulevé par ce documentaire a contribué à la mise sur pied de la Commission Coulombe sur la gestion de la forêt, qui a déposé son rapport cette semaine, rapport qui devrait mener à des changements législatifs ou réglementaires. De nombreux intervenants ont souligné le rôle déclencheur de ce documentaire.

Bacon, le film a lui aussi provoqué un vif débat sur le développement de l'industrie porcine au Québec, l'année suivante. Et, plus récemment, le film Manon et l'émission de débat intitulée Le Dernier droit? qui a suivi la diffusion, ont provoqué de nombreuses interventions de citoyens sur la question du suicide assisté et sur le traitement accordé par le système de santé aux personnes lourdement handicapées ou atteintes de maladies incurables.

Moins spectaculaires, mais tout aussi importants, des documentaires traitant de la fermeture de la mine de Murdochville en Gaspésie, de la fermeture du village de Saint-Paulin-Dalibaire ou de la situation vécue par les jeunes de la Haute Gaspésie, ont permis de présenter à l'antenne nationale des problématiques qui trouvent leur écho dans plusieurs régions du Québec aux prises avec l'exode de leur population ou avec la fermeture d'entreprises reliées à l'exploitation des matières premières.

Ces voix singulières du documentaire ont, à notre avis, un impact social beaucoup plus durable que le simple traitement aux informations quotidiennes de ces mêmes problématiques.

Le documentaire n'est pas le seul genre qui permette à Télé-Québec d'offrir aux téléspectateurs des analyses en profondeur, des approches critiques et des débats susceptibles d'améliorer la qualité de la vie démocratique.

Ainsi, chaque semaine Télé-Québec met à son antenne Points Chauds, une des rares émissions de la télévision québécoise qui se consacre à la mise en contexte et à l'analyse des grandes crises qui secouent la planète, que ce soit au Darfour, en Côte d'Ivoire, en Ukraine ou en Tchétchénie.

Télé-Québec a toujours inscrit dans sa programmation des émissions qui permettaient aux citoyens de débattre des grands enjeux politiques et sociaux. Elle a maintenu à son antenne pendant 25 ans Droit de parole, un forum qui permettait à des citoyens concernés de débattre des grands enjeux du jour avec des experts ou des politiciens. Depuis septembre, une nouvelle émission animée par Marie-France Bazzo et intitulée Il va y avoir du sport, a pris la relève mais d'une autre manière.

Enfin, Télé-Québec a mis à son antenne cette année, Méchant contraste!, une émission de reportages qui rend compte de ce qui se passe dans l'ensemble des régions du Québec à de nombreux points de vue : social, économique, environnemental, municipal et culturel.

Les magazines d'information, maintenant, sont un autre genre. De façon plus large, le mandat d'une télévision publique est aussi d'offrir aux citoyens des informations nécessaires à une gestion efficace de leur vie, que ce soit sur la santé, l'alimentation, l'environnement, et ainsi de suite.

Plusieurs de nos émissions vont dans ce sens. C'est le cas de séries documentaire comme Chroniques de la violence ordinaire, qui traite des violences psychologiques au quotidien. Les artisans du rebut global, qui traite de recyclage et de développement durable. Des nouvelles de Dieu, qui traite des nouvelles réalités religieuses.

C'est le cas aussi de magazines d'information comme : Cultivé et bien élevé, qui, depuis cinq ans, décrit et explique comment sont produit les aliments que nous retrouvons dans notre assiette. À la di Stasio, qui invite à se nourrir d'une cuisine saine, originale et variée. Une pilule, une petite granule, qui propose des conseils et des recettes pour se maintenir en bonne santé physique et mentale.

En ce qui a trait à la question des régions, Télé-Québec a choisi de refléter la réalité des régions dans l'ensemble de sa programmation plutôt que d'en limiter la présence à une seule émission à thématique régionale. Et, cela depuis de nombreuses années. La dimension régionale est une priorité dans le mandat qui nous a été donné par l'Assemblée nationale.

Pour nous, la télévision publique dans le contexte actuel de l'industrie audiovisuelle, c'est une manière plus rigoureuse de faire de la télévision et la possibilité d'aller plus loin dans le domaine de l'information plutôt que de donner simplement des nouvelles.

Nous voulons également souligner le fait que ce sont les télévisions publiques qui se préoccupent des jeunes et qui offrent à la jeunesse des émissions basées sur des recherches les concernant et qui les prépare à devenir les téléspectateurs de demain de l'information et des affaires publiques.

Et si un jour Télé-Québec disparaissait, ou Radio-Canada, aucune télévision privée, pensons-nous, ne voudrait se lancer dans des genres aussi coûteux que les émissions de fond pour la jeunesse et le documentaire d'auteur, par exemple, qui sont des genres extrêmement coûteux et peu rentables.

J'ai essayé de résumer la fin et c'est avec plaisir que je vais répondre à vos questions.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Êtes-vous régi par un conseil d'administration? S'agit-il d'une société d'État? Est-ce votre modèle de structure?

[Français]

Mme Beaugrand-Champagne : Nous avons un conseil d'administration qui est nommé par le gouvernement et mon poste de présidente-directrice générale est également une nomination faite par le premier ministre.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Le conseil d'administration est-il renouvelé quand il y a un nouveau gouvernement?

[Français]

Mme Beaugrand-Champagne : Les membres du conseil d'administration sont nommés pour trois ans, leur mandat est renouvelable une fois. Mais, il est évident qu'ils peuvent être changés en tout temps. Si un gouvernement nouvellement élu décidait qu'il veut complètement changer le conseil d'administration du jour au lendemain, il en a le pouvoir.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Sous l'administration séparatiste, a-t-on exercé des pressions politiques sur ce radiodiffuseur public par l'entremise du conseil d'administration?

[Français]

Mme Beaugrand-Champagne : Que ce soit sous un gouvernement du Parti québécois ou sous un gouvernement du Parti libéral, il n'y a jamais eu de pressions politiques sur Télé-Québec. Ce qu'on appelle en anglais «  arm's length », est vraiment respecté. Le gouvernement ne se mêle pas de la programmation de Télé-Québec. Les seuls ennuis que nous avons avec les gouvernements, quels qu'ils soient, c'est le financement de Télé-Québec.

M. Denis Bélisle, secrétaire général et directeur général des Affaires juridiques de Télé-Québec : Si vous permettez, j'ajouterais qu'au niveau de la loi de Télé-Québec, la mécanique de nomination des membres du conseil d'administration est prévue et elle doit être faite en consultation avec le milieu culturel et éducatif.

Il y a également, comme membre du conseil d'administration, un employé désigné parmi le personnel de Télé- Québec, mais c'est toujours fait en consultation avec le milieu culturel et éducatif du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : On nous a parlé ce matin de la relation d'affaires entre le radiodiffuseur public, Radio- Canada, et la Power Corporation. Avez-vous des observations à faire sur cette relation et vous imaginez-vous, en tant que radiodiffuseur public, entrer dans une telle relation?

[Français]

Mme Beaugrand-Champagne : Je pense que ce qui est arrivé dans le cas de Radio-Canada, en rapport avec, par exemple, La Presse ou le groupe Gesca, c'est une sorte de réponse en défense à la convergence qui se faisait dans d'autres groupes de médias, que ce soit Quebecor ou Cogeco.

Il y a donc eu, à un certain moment, une entente au niveau de la promotion des émissions de Radio-Canada via La Presse. Dans les deux cas, qu'il s'agisse d'entreprises privées ou de gros groupes privés ou encore de la télévision publique, cela bloque, quant à nous, le chemin à une promotion de notre télévision.

Nous avons dû faire face dans le domaine de la promotion, à ce que certains appellent, évidemment, la publicité, mais il s'agit de la promotion de la chaîne, de sa programmation. Cela nous a effectivement bloqué des espaces où nous aurions pu faire valoir notre programmation.

Mais, nous ne sommes pas sans ressources et nous nous sommes battus. Et, comme on dit, la pauvreté est la mère de l'imagination, nous avons trouvé d'excellentes solutions à ces blocages. Je déplore ces convergences promotionnelles et publicitaires depuis les quelque 30 ans que c'est commencé.

Au niveau de la presse écrite, cela perdure depuis longtemps. Quand j'étais dans la presse écrite, je l'ai vécu, cela se fait à divers niveaux. Je trouve cela profondément regrettable.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : J'ai trouvé que votre exposé était des plus intéressant, d'autant plus que vous représentez un réseau de télédiffusion éducatif, et vous n'avez jamais parlé de jeunes, d'enfants, mais je suis certain...

La présidente : À la toute fin.

Le sénateur Tkachuk : J'ai dû le rater. Vous avez parlé longuement d'affaires publiques et de documentaires — et ce sont des enjeux politiques, n'est-ce pas? Présentez-vous des points de vue politiques, ou représentez-vous une variété de points de vue politiques? En tant que télédiffuseur public, comment pouvez-vous faire l'impossible?

[Français]

M. Jacques Lagacé, directeur général des Affaires institutionnelles, Télé-Québec : Télé-Québec a, pour tous les publics des jeunes, des produits spécialement conçus pour eux. Nous insistons beaucoup, à Télé-Québec, pour faire de la production originale pour les jeunes.

On a vraiment marqué des générations à travers une série de produits. Au Québec, on a une génération qui s'appelle la « génération Passe-Partout » qui a maintenant 20 ans. Ces jeunes ont été reliés, pendant dix, 12, 13ans, à une émission quotidienne de chez nous qui a servi de référence à toute une génération.

Actuellement, on a deux émissions quotidiennes, une qui s'appelle Ramdam et l'autre Cornemuse, qui donnent des référents culturels et une socialisation à l'ensemble des jeunes au Québec.

De l'ensemble du budget de programmation à Télé-Québec, environ le tiers de notre budget de programmes va uniquement aux émissions jeunesses. En termes de volume à l'écran, 40 p. 100 de notre programmation est consacré à la programmation jeunesse. Il nous apparaît donc très clair que la première responsabilité d'une télévision publique éducative, c'est la programmation jeunesse.

Je veux souligner qu'il y évidemment d'autres canaux spécialisés où vous allez retrouver des émissions jeunesses. Ce qui est l'apanage de Télé-Québec, c'est de faire travailler des auteurs, faire travailler des créateurs d'ici et aussi de produire des émissions originales qui font appel à l'imaginaire et qui sont sources de développement de l'identité même des jeunes par rapport à leur propre société.

Il y a là quelque chose d'absolument fondamental pour toutes les télévisions éducatives du Canada, soit d'avoir la capacité de développer une production originale pour les jeunes d'ici. À Télé-Québec, pour tout ce qui touche de 0 à 12 douze ans, nous sommes de loin la télévision qui a la plus grande part de marché.

Mme Beaugrand-Champagne : Est-ce que vous me permettez de répondre à la deuxième partie de la question du sénateur Tkachuk?

La présidente : Oui.

Mme Beaugrand-Champagne : La question portait sur : Est-ce que vous donnez tous les avis politiques ou est-ce que vous avez une opinion politique?

Nous n'avons pas d'opinion politique. Nous faisons place à toutes les tendances puisque nous n'avons pas de service de nouvelles. C'est pour cela que je vous ai parlé de documentaires d'auteur et d'émissions de débats ou d'affaires publiques parce que c'est notre façon à nous de faire de l'information. Et, c'est ce que nous pensons que les télévisions publiques devraient prioriser.

Comme il s'agit d'émissions d'affaires publiques où tous les avis sont demandés, il y a forcément place pour tous les avis politiques quels qu'ils soient. Est-ce que cela répond à votre question sénateur?

Le sénateur Tkachuk : Oui.

Le sénateur Chaput : Je viens du Manitoba et je suis une francophone. Lorsque j'entends tout ce que vous faites à Télé-Québec, je suis jalouse. Je voudrais avoir la même chose chez nous pour les nôtres.

Ceci dit, j'aimerais avoir plus d'information sur votre financement. Votre financement provient sûrement du gouvernement du Québec, mais est-ce qu'il y a d'autres sources? En ce qui a trait à la diffusion de vos émissions, ceci ne se passe sûrement pas uniquement dans la province du Québec? Quels sont vos liens avec les autres télévisions publiques? Avez vous des liens avec TVO? Travaillez-vous ensemble?

M. Bélisle : Au niveau du financement de Télé-Québec, on reçoit une subvention gouvernementale du gouvernement du Québec qui est aux alentours de 54 millions de dollars, soit 53,350millions de dollars.

On a également des revenus publicitaires. Télé-Québec diffuse huit minutes de publicité à l'heure. Les chaînes généralistes sont à douze minutes de publicité à l'heure. Nos revenus sont composés d'une subvention de près de 54 millions de dollars, de revenus publicitaires, et on a également ce qu'on appelle chez nous « des prestations de service ».

Télé-Québec a subi une très grosse transformation en 1995, à l'époque, elle s'appelait Radio-Québec. Il y a eu une compression de personnel importante, plus de la moitié.

Depuis cette période, on loue nos installations à des producteurs indépendants. Quatre-vingt pour cent de notre production est faite par des producteurs indépendants. Donc, nous avons le personnel des installations techniques et les locaux sont loués, ce qui apporte une autre source de revenus à Télé-Québec. Le budget global est d'environ de 75 à 77 millions de dollars.

M. Lagacé : En ce qui concerne la disponibilité du signal à l'extérieur du Québec, nous avons à plusieurs reprises insisté sur cette dimension. Notre signal est disponible pour tous les câblodistributeurs ou les autres opérateurs au Canada de façon gratuite sur l'ensemble du Canada.

On l'a répété à plusieurs reprises au CRTC et à la Commission du patrimoine, la Commission Clifford. Nous avons actuellement les droits sur nos émissions pour l'ensemble du Canada. S'il y a des opérateurs qui veulent distribuer nos émissions à travers sur le Canada, on les rend disponible.

L'autre aspect est la collaboration avec les autres télévisions. On fait partie de l'ATEC, l'Association des télévisions éducatives du Canada. Nous avons des liens quelquefois étroits et d'autres fois moins étroits, dépendant des situations dans lesquelles on est.

Nous avons été déjà très proches de TVO, par exemple. On a négocié ensemble plusieurs dossiers pour l'ensemble du Canada. Par exemple, tout ce qui était autour du 2 500 mégahertz, pour des fins éducatives, TVO et Télé-Québec ont vraiment géré le dossier pendant deux ans pour l'ensemble des télévisions éducatives, et des provinces, et des territoires du Canada.

Sur le plan de la programmation, on recommence à faire des coproductions avec TFO, qui est le pendant francophone. Nous avons eu un certain nombre de différends il y a quatre ou cinq ans, mais ceci est maintenant rétabli et les coopérations sont bonnes.

Le sénateur Chaput : Vous avez mentionné que 80 p. 100 de votre production, environ, est développée par des producteurs indépendants. Ceux-ci vont-ils chercher leur appui par l'entremise du fonds qui a été créé?

M. Lagacé : C'est les fonds qui sont disponibles pour l'ensemble de la télévision publique et les télévisions privées aussi. Donc, le fonds, le FCT, et les crédits d'impôt, soit toutes les mesures de financement régulières de la télévision québécoise et canadienne.

Le sénateur Chaput : Cela pourrait être des fonds du provincial tout comme ils peuvent provenir du fédéral?

M. Lagacé : Absolument. Et, d'ailleurs, à ce sujet, on suit très attentivement ce qui se passe comme débat au Fonds canadien de télévision, parce qu'on craint que les petites télévisions, qui représentent des points de vue indépendants, telles Télé-Québec, ou TVO, ou TFO ou d'autres télévisions, se retrouvent entre deux chaises si les grands joueurs interviennent.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Quelle est en moyenne la taille de votre auditoire, comparativement, par exemple, à l'auditoire de TVA dans un marché différent?

[Français]

Mme. Beaugrand-Champagne : Cet automne, nous avons retrouvé notre place en quatrième position sur la liste des diffuseurs pour ce qui est de la cote d'écoute.

Donc, après Radio-Canada, TVA et TQS, arrive Télé-Québec qui a atteint cet automne des cotes d'écoute qui tournent autour de quatre pourcent; ce que nous n'avions pas vu à Télé-Québec depuis une vingtaine d'années. Donc, avant les compressions de 1995 et 1996, qui ont tellement secoué la boîte, il a fallu depuis 1996 la rebâtir, quasiment, pour arriver à aujourd'hui.

Quatre pour cent pour une télévision éducative et culturelle, cela fait de Télé-Québec la télévision éducative et culturelle numéro un au monde, avant PBS, avant France 5, avant BBC Jeunes, Éducation. C'est la télévision publique qui obtient la plus grande part de marché.

[Traduction]

Le sénateur Munson : J'ai besoin de précisions à propos de ce que vous disiez sur la programmation hors Québec. Il me semble que tous les Canadiens pourraient bénéficier de votre programmation. Avez-vous mis un terme à ces activités parce que vous ne pouviez pas trouver une chaîne de câblodiffusion, ou est-ce que le CRTC temporise et refuse de prendre une décision? Ne devriez-vous pas avoir le droit de diffuser partout au pays, et de pouvoir le faire sans être assujettis à toute cette réglementation?

[Français]

M. Lagacé : Il n'y a aucune obligation pour les câblodistributeurs ou les satellites, bien que les satellites, je pense, rendent leur signal disponible sur l'ensemble du territoire. Mais, pour les câblodistributeurs, il n'y a aucune obligation de transporter le signal de Télé-Québec à l'extérieur de la province.

On le rend disponible, mais c'est vraiment selon la discrétion de chaque opérateur à l'intérieur des territoires et des autres provinces. Cela doit être gratuit. Évidemment, nous, on l'offre gratuitement.

La présidente : Est-ce qu'il y en a qui le distribue?

M. Lagacé : Au Nouveau-Brunswick.

La présidente : Au Nouveau-Brunswick?

M. Bélisle : Oui, c'est sûr que déjà par notre rayonnement au niveau de réseau d'antenne, on couvre une partie du territoire du Nouveau-Brunswick et de l'Ontario.

Au niveau de la câblodistribution ou de la distribution par satellite, je sais qu'il y avait certains fournisseurs qui offraient Télé-Québec, mais en ce moment, j'aurais de la misère à vous dire si on est diffusé en Colombie-Britannique ou pas.

On a toujours offert à ces distributeurs de diffuser le signal de Télé-Québec gratuitement. Mais, on n'a pas fait un dernier décompte sur cette question.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Diffusez-vous vos émissions à partir d'autres provinces? Avez-vous également essayé, dans la même veine que ce que nous proposons, de diffuser vos émissions dans d'autres provinces et régions du Canada? Quels efforts avez-vous déployés pour diffuser, pareillement, des émissions de l'Ouest et d'autres provinces? Et avez-vous diffusé des programmes de l'Ouest ici au Québec?

[Français]

Mme Beaugrand-Champagne : Il ne faut jamais oublier que, pour nous, le premier problème qui se pose, c'est la question de la langue. Donc, nous devons traduire les émissions que nous achetons en anglais, que ce soit dans le reste du Canada, aux États-Unis ou en Angleterre, par exemple.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Alors votre programmation est intégralement en français?

[Français]

M. Lagacé : Oui.

Le sénateur Merchant : Oui?

Mme Beaugrand-Champagne : Mais, nous avons acheté des séries, des documentaires canadiens anglais que nous avons traduits pour les diffuser sur notre chaîne.

Le sénateur Chaput : Les câblodistributeurs, évidemment, c'est selon leur discrétion. Je vais prendre le cas du Manitoba pour les francophones en situation minoritaire.

Les câblodistributeurs, lorsqu'ils ajoutent un signal, pensent en termes d'argent, je présume. Si nous ne sommes pas assez nombreux au Manitoba, j'imagine que ce ne serait pas dans leur intérêt de nous offrir le signal Télé-Québec ou est-ce que je me trompe?

M. Bélisle : Je vous dirais le contraire parce qu'on offre à ces distributeurs de l'offrir gratuitement, cela fait donc un beau bouquet à offrir à la population.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Je pense qu'il serait bon que votre programmation soit plus accessible, particulièrement, aux régions francophones. Dans notre province, nous avons de nombreux programmes bilingues à l'école. Savez-vous si les anglophones de la ville de Québec peuvent avoir accès aux émissions de l'Ontario et de la Saskatchewan? Vous savez il existe d'autres chaînes éducatives comme la vôtre dans différentes provinces. Est-ce quelque chose qui pourrait vous inspirer à collaborer? Je viens de m'abonner à la programmation numérique et je suis ébahi par tout ce qui est diffusé de complètement nul. C'est vrai. Il y en a vraiment beaucoup, et je sais que Gravelbourg et d'autres collectivités francophones aimeraient bien avoir accès à une programmation comme la vôtre.

[Français]

M. Lagacé : Il y a eu, à un certain moment, des discussions avec TVO pour de faire des pressions pour essayer de rendre les signaux des télévisions éducatives de façon beaucoup plus étendue.

Et, vous le savez, il suffit d'un changement de gouvernement, un repositionnement, on se perd de vue pendant deux, trois ans, ou encore une compression budgétaire, et des projets semblables qu'on voulait pousser davantage ont été suspendus.

Et, en plus, évidemment comme les télévisions éducatives sont des télévisions de responsabilité provinciale, l'essentiel de nos efforts est fait pour les territoires dans lesquels on oeuvre.

On avait dit au Comité du patrimoine, qui revoyait tout le système de radiodiffusion canadienne, que nous trouvions important qu'on rende disponibles nos signaux sur l'ensemble des territoires. Mais, c'est une suggestion qui est restée lettre morte.

Par ailleurs, nous avons une collection de vidéos éducatives numérisées dont on donne actuellement accès aux écoles. Nous en sommes à contacter les autres responsables de l'éducation des autres provinces pour faire une publicité à ce sujet, pour ces 2 300 vidéos numérisées en fonction des enfants à l'intérieur des écoles. On a eu des contacts avec certains ministères, entre autres, le Manitoba.

M. Bélisle : Si vous me permettez, j'aimerais ajouter, à la décharge des autres chaînes éducatives, qu'il ne faut jamais perdre de vue toute la question des droits d'auteur.

Télé-Québec a dû, au cours des années, libérer l'ensemble des droits de toute sa programmation pour les francophones à travers le Canada; il en résulte donc que pour nous, c'est plus simple de l'offrir.

Il y a un coût quand même rattaché à cela. Ce n'est pas évident que c'est la même réalité pour les autres chaînes éducatives anglophones. Parce qu'il y a une question de droits, il y a une question de territoire aussi. Mais, il y a des droits à payer pour chacun des territoires.

Je pourrais ajouter qu'il y a quelque deux semaines, on a eu une réunion de l'ATEQ et on tente présentement, au niveau de la programmation, de voir s'il n'y a pas des produits qui pourraient intéresser Knowledge Network en Colombie-Britannique ou SNC en Saskatchewan, et vice versa, afin qu'on fasse des échanges de programmation ou faire de la coproduction. C'est plus simple aujourd'hui. Présentement, on essaie de mettre cela sur pied.

Télé-Québec a, dans son service éducatif, le volet anglophone. On a un secteur réservé pour le service éducatif anglophone au Québec, en plus du secteur francophone.

La présidente : Quel est le service anglophone?

M. Lagacé : Le service anglophone, c'est un peu calqué sur le modèle du service francophone. On acquiert et on met à la disposition des écoles un ensemble de vidéos qui sont acquises sur les marchés, tel que le marché américain, mais aussi TVO qui a toujours été un gros fournisseur d'émissions pour notre service anglophone.

En plus, on fait beaucoup de captation d'émissions américaines particulièrement au niveau de la science, de la nature et cetera, qui sont diffusées sur les satellites et qui sont offertes gratuitement au système d'éducation américain, comme des trucs de la NASA et ainsi de suite.

On fait des captations à Télé-Québec et on les rend disponibles au réseau d'éducation soit littéralement par de la duplication de cassettes ou encore, la nuit, on les diffuse sur nos ondes et les gens dans les écoles peuvent les enregistrer pour les utiliser plus tard.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : C'est très intéressant car vous représentez un outil politique de taille. Pas plus tard qu'hier un des témoins se plaignait qu'à part les cultures anglophones et francophones toutes les autres cultures au Canada étaient boudées dans cette province. Maintenant je comprends mieux de quoi il parlait. Je viens d'une province où, au cours des soixante dernière années, nous n'avons eu qu'un seul parti politique. À part une période d'à peu près soixante ans, nous avons toujours eu le même parti politique au pouvoir.

Télé-Québec est financé par les contribuables de l'ensemble de la province, mais votre programmation est exclusivement en français. Il y a pourtant pas mal d'anglophones et d'allophones dans la province. Vous dites que vous avez changé l'opinion populaire par votre programmation. Vous maniez un outil très puissant, puisque c'est vous qui décidez quelles questions sont assez importantes pour mériter d'être présentées au public. Qui prend ces décisions, à savoir ce qui devrait importer à la société? Même là vous avez l'autorité de déterminer l'angle sous lequel vous allez présenter la question.

[Français]

Mme Beaugrand-Champagne : Oui, comme dans tous les médias d'information quels qu'ils soient. Il y a un rédacteur en chef ou un directeur de l'information. Dans la presse écrite, il y a même un éditeur, un rédacteur en chef, un directeur de l'information et des cadres médians.

Télé-Québec est trop petite pour avoir un rédacteur en chef. Le secteur affaires publiques dont nous avons parlé ce matin, parce que c'est le sujet qui concerne votre comité, ce secteur n'est qu'une partie de notre programmation. Quarante pourcent est consacré à la jeunesse. Il y a aussi les affaires publiques et bien d'autres émissions.

Nous sommes petits et peu nombreux, mais nous songeons, actuellement, à embaucher un rédacteur en chef ou un directeur de l'information qui pourrait suivre de plus près les émissions dites d'affaires publiques ou de débats.

Mais, actuellement, cette surveillance du choix qui est fait, des invités ou du contenu des émissions relève de la directrice générale de la programmation et de la direction générale de Télé-Québec, s'il y a lieu de remonter à un niveau supérieur. La décision finale, c'est moi qui la prends s'il y a un problème.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Ce sont des gens qui ont été nommés à leur poste. Ils sont nommés par le gouvernement de l'heure puisque vous avez dit qu'effectivement, ils changent. Je m'interroge sur le degré d'indépendance d'une personne, quand son financement dépend du gouvernement de l'heure. Je pense qu'il s'agit d'un outil très puissant car les médias jouent un rôle déterminant dans la formation de l'opinion publique.

[Français]

Mme Beaugrand-Champagne : Oui.

Le sénateur Munson : C'est la même chose en Ontario.

La présidente : On a accueilli Mme Bassett, il y a deux jours, quand on était à Toronto.

M. Bélisle : Je me permettrais de faire une distinction entre la télévision publique et la télévision d'État. C'est deux choses. On est une télévision publique.

J'ajouterais qu'à Télé-Québec sur les choix qui sont faits, il y a quand même un département de recherche important. Télé-Québec procède énormément par analyse, « focus groups », pour voir les tendances dans notre société.

Au niveau de la programmation jeunesse de Télé-Québec, on travaille en collaboration avec le ministère de l'Éducation sur ses propres préoccupations à travers toute une équipe pédagogique. Donc, Télé-Québec est quand même entourée et orientée pour les décisions à prendre et les enjeux qu'elle désire traiter dans la société.

M. Lagacé : On a quand même eu un changement de gouvernement voilà déjà deux ans. Ils n'ont touché à aucun des membres du conseil d'administration de Télé-Québec qui avaient été pourtant nommés par l'ancien gouvernement du Parti Québécois.

Depuis les années 1995, j'ai vu les conseils d'administration changer, et les gouvernements ont été, selon moi, assez prudents dans le choix des personnes qu'ils nous ont envoyées, et surtout qui répondaient bien aux besoins culturel et éducatif; ce sont des gens qui étaient respectés dans leur milieu au niveau des grands secteurs de culture et éducation. Notre conseil a une mission très importante et fait un genre d'écran qui nous aide à garder une distance par rapport à notre propre gouvernement.

Il y a maintenant 20 ans que je suis à Télé-Québec et je n'ai pas vu, depuis que j'y suis, des interventions de type politique au niveau de la programmation de Télé-Québec. Effectivement, le seul vrai problème est le celui du financement. Je me souviens, lorsqu'on a sorti L'Erreur boréale, que le ministre des Terres et Forêts du Québec était très mécontent de la diffusion de ce documentaire. On a su qu'il était très mécontent, mais on n'a pas eu d'intervention à l'intérieur de la chaîne pour empêcher d'une manière quelconque la diffusion d'un tel documentaire.

M. Bélisle : Je me permettrais d'ajouter que je suis secrétaire général du conseil d'administration de Télé-Québec. Il y a dix membres au conseil d'administration incluant la présidente Paule Beaugrand-Champagne. On a sept membres dont le mandat est terminé depuis deux ans et le gouvernement n'a pas jugé opportun de les remplacer même s'ils avaient été nommés sous l'ancien gouvernement.

La présidente : Merci infiniment, c'est fascinant. Comme toujours, on pourrait continuer pendant des heures et des heures. Vous nous avez donné de quoi réfléchir et on vous remercie beaucoup.

Mme Beaugrand-Champagne : Si vous avez des questions, vous pouvez nous les faire parvenir et nous nous ferons un plaisir d'y répondre.

M. Lagacé : J'aimerais souligner que dans le domaine de la télévision, il n'y a quand même pas beaucoup de médias que je qualifierais d'indépendants, du moins de voix singulières qui sont en dehors des grands groupes. Je pense qu'il faudrait qu'on fasse très attention par rapport à ces médias. Je pense à TVO et TFO et aux autres télévisions de ce genre, au Canada, et qui représentent des voix singulières à l'intérieur de l'univers des grands groupes qui sont en train de se constituer.

La présidente : Effectivement, une des tendances les plus intéressantes à constater, c'est l'élargissement des réseaux qui étaient, au début, purement éducatifs dans un sens assez restreint. Je me souviens d'avoir interviewé votre tout premier prédécesseur qui m'a parlé avec beaucoup d'enthousiasme de la programmation de recyclage afin d'aider les travailleurs à se recycler.

C'était la vision. Et il y a 40 ans de cela, je pense. Mais, à vous entendre aujourd'hui, c'est un autre monde. Et, vous n'êtes pas seuls, c'est la même chose chez TVO. Il y a là une évolution qui est assez intéressante à constater. Merci beaucoup à vous.

Alors, chers collègues, nos prochains témoins que j'invite à se présenter maintenant représentent la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

Bienvenue chez nous! J'aimerais faire une petite déclaration, transparence oblige : il y a des décennies, j'étais un des membres fondateurs de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

Nous accueillons donc Alain Gravel, président de la Fédération et Claude Robillard, secrétaire général. Je précise pour mes collègues que la Fédération n'est pas un syndicat.

M. Alain Gravel, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec : Madame la présidente, je viens d'être élu président de la Fédération, il y a deux semaines. Dans une autre vie, je suis animateur d'une émission d'affaires publiques à la télévision de Radio-Canada, ce qui peut se comparer au Fifth Estate et qui s'appelle Enjeux. J'enseigne aussi comme chargé de cours « Le grand reportage », à l'Université du Québec à Montréal.

Je suis accompagné de Claude Robillard, le secrétaire général, qui est un peu notre mémoire et notre conscience à la Fédération. Je vous remercie de nous accueillir et de nous entendre surtout aujourd'hui.

La Fédération professionnelle des journalistes du Québec est une association professionnelle qui regroupe, sur une base volontaire, plus de 1 800 journalistes. En sont membres, des cadres de rédaction, des salariés syndiqués ou non, des pigistes, des contractuels et même des étudiants en journalisme comme membres associés. Nous sommes la plus importante association de journalistes non seulement au Québec, mais aussi au Canada.

Nous avons déposé un mémoire dans lequel nous affichons notre préoccupation sur le phénomène de la concentration de presse principalement au Québec. Et, notre inquiétude n'est pas que théorique.

La présidente : Monsieur Gravel, pourriez-vous ralentir un petit peu pour les traducteurs?

M. Gravel : D'accord. C'est ce que mes réalisateurs me disent toujours. J'ai appris ça à CKAC lorsque je devais faire des reportages de 55 secondes avec trois clips à l'intérieur.

Cette semaine, à la Fédération, nous recevions un journal mensuel de la région de l'Estrie, de Sherbrooke, regardez- le attentivement car vous ne le reverrez plus. Vous pouvez lire en couverture « Dernier numéro ». Et, si vous allez à l'intérieur de ce journal, il y a une caricature où on voit un avion de papier écrit « VOIR, propriété de Rémi Marcoux », qui est lancé en direction de l'éditeur du journal.

Donc, faisant référence à l'incursion de VOIR dans le marché de l'Estrie. L'éditeur explique qu'après neuf ans d'efforts acharnés, il baisse les bras. Au mois d'août dernier, Recto Verso, un magazine alternatif vieux de 52 ans, fermait ses portes.

Il y a quelques semaines, le Syndicat des journalistes du Journal de Montréal déposait une plainte au Conseil de presse du Québec — vous les avez entendus hier aussi — dénonçant l'impact de la convergence sur l'information du public.

Cette plainte a trait à la promotion d'émissions de télé-réalité au réseau TVA dans les pages du Journal de Montréal, les deux entreprises appartenant au groupe Quebecor.

Tous les journalistes peuvent, à des degrés divers, témoigner de l'impact de la concentration de presse dans l'exercice de leur métier.

Dans les années 1980, je travaillais dans la salle des nouvelles de CKAC qui était la tête du réseau Télémédia à la radio. CKAC jouissait d'une très grande crédibilité dans le milieu de l'information au Québec.

Peut-être vous rappeler que c'est un journaliste de CKAC qui avait trouvé le corps de Pierre Laporte en 1970. C'est à CKAC qu'il y avait eu le fameux débat entre Robert Bourassa et René Lévesque en 1967, débat qui avait été suivi par tout le monde au Québec.

Donc, dans les années 1980, je me souviens très bien de la vive concurrence qui existait entre les différentes stations de radio à Montréal. Comme journaliste affecté au pupitre et à la lecture de bulletins de nouvelles, j'avais l'habitude d'écouter à chaque heure les bulletins de nouvelles de nos compétiteurs.

On avait un genre de poste de radio, soit ces vieilles radios qu'on retrouvait dans les voitures où on pitonnait et on se promenait d'un poste à l'autre. On voulait voir qui faisait quoi, qui était meilleur que nous et si on manquait quelque chose.

On n'en finissait plus de se promener d'une fréquence à l'autre, de CJMS-Radiomutuel, à CKVL, à CFCF-Radio, à CJAD, à CBF-Radio-Canada, CBC-radio et CKOI. Toutes ces stations appartenaient à des propriétaires différents et avaient leur propre façon de couvrir l'actualité. L'existence de cette diversité dans le paysage de l'information radiophonique nous incitait à nous dépasser et nous stimulait.

Puis, comme reporter, toujours pour le compte de CKAC, j'ai couvert de grands événements autant à Québec qu'à l'extérieur. Entre autres, j'ai couvert les différentes crises en Haïti, notamment le massacre des élections manquées du 29 novembre 1987, l'histoire des soeurs Lévesque à Rome, et de nombreuses compagnes électorales québécoises, canadiennes et même américaines pour un réseau québécois privé. J'ai couvert la campagne de Michael Dukakis en 1988.

Chaque fois, je devais me mesurer à mes compétiteurs notamment du réseau Radiomutuel. En Haïti, il y avait une journaliste de Radiomutuel qui était là en 1987. Il y avait un journaliste de Télémédia. Il y avait Radio-Canada. Il y avait CBC. Il y avait du monde du Québec. Et, donc, on était tous en compétition même si on s'entendait tous très bien.

Que reste-t-il de cette époque? Presque rien. Beaucoup de stations FM avec quelques journalistes, reformatent les nouvelles qu'ils reçoivent de d'autres sources, copient dans les sites Internet, par exemple le site de Radio-Canada, qui s'approvisionnent aux différentes agences.

Radiomutuel a été absorbée par Télémédia; CKVL et CFCF sont disparues des ondes. Aujourd'hui la salle des nouvelles de CKAC, qui regroupe une quinzaine de journalistes, est menacée de disparaître avec l'offre d'achat de CORUS. Je vous rappelle que CKAC est un de nos fleurons en information au Québec.

Les réseaux Télémédia et Radiomutuel jouissaient d'une excellente réputation. Leurs bulletins de nouvelles étaient en grande partie composés d'éléments provenant des stations affiliées des régions du Québec.

Alors, si j'étais, encore aujourd'hui, affecté à un pupitre d'une salle de nouvelles-radio de Montréal, ma tâche serait beaucoup plus simple, beaucoup plus facile, mais moins stimulante aussi.

Si la proposition de CORUS est acceptée, je travaillerais probablement pour la seule source d'information privée qui va exister à la radio, Info 690, et je n'aurais plus qu'à écouter CJAD, CBF et BCB pour voir ce que font mes compétiteurs. Inutile de vous dire que les grands perdants sont les auditeurs.

Ce qui se passe actuellement dans le paysage radiophonique montréalais ne devrait pas laisser indifférents les pouvoirs publics, pas plus que la tendance de plus en plus grande à la concentration de presse dans tous les secteurs de l'information.

Le mandat de votre comité est large. On le résume souvent en parlant d'un comité sur la concentration de la presse, mais nous comprenons aussi qu'il va au-delà de cette question.

Pour la FPJQ, les gouvernements jouent un rôle essentiel pour maintenir et améliorer les conditions de la liberté de presse. Dans une perspective traditionnelle, le rôle du gouvernement consiste simplement à ne pas agir, « à ne faire aucune loi qui brime la liberté de presse », comme le dit le premier amendement de la Constitution américaine.

Cette position de principe date de l'époque où l'État était le principal ennemi d'une presse libre. C'est encore le cas dans bien des pays. Mais, les temps changent et les nouvelles menaces qui planent sur la liberté de presse ne viennent plus seulement de l'État.

Il ne suffit plus que l'État s'abstienne d'agir. Souvent, dans d'autres domaines de la vie, ce sont les lois qui garantissent les libertés de chacun.

Au Canada, on constate que l'un des meilleurs médias d'information télévisée appartient à l'État, qui respecte son indépendance éditoriale. Il s'agit de Radio-Canada. Il existe également la Loi sur la radiodiffusion, des programmes d'aide aux magazines, des programmes de soutien aux médias communautaires et ainsi de suite.

Au Québec, la Caisse de dépôt et placement investit 2,3millions de dollars pour permettre la création de l'empire médiatique de Quebecor.

La question, pour nous, n'est donc pas de savoir si l'État doit intervenir, mais comment il doit le faire pour garantir les conditions de la liberté de presse et, par voie de conséquence, la meilleure information du public.

Vous comprenez bien que la FPJQ rejette d'emblée une nouvelle intervention de l'État dans le contenu de l'information. Nous n'entrevoyons son rôle que sur les conditions qui favorisent la liberté de presse.

La première recommandation de la FPJQ, c'est de créer un cadre législatif qui protège les sources confidentielles et le matériel des journalistes.

On ne peut pas avoir des médias forts et indépendants capables de bien informer leur public s'ils sont aux prises avec des saisies et des assignations à témoigner. Les médias ne sont pas un endroit où les policiers vont chercher leurs preuves.

La semaine dernière les policiers ont perquisitionné les courriels dans les quotidiens La Presse, Le Journal de Montréal et à CKAC. Quelques jours plus tôt, un organisme de réhabilitation demandait en cour que le réseau TVA soit forcé de révéler à Québec une source d'information confidentielle.

Il y a deux semaines, un journaliste et le Hamilton Spectator ont été condamnés à une amende de 31 000 dollars pour avoir refusé de dévoiler l'identité d'une source confidentielle.

Plus tôt cette année, vous avez eu connaissance des perquisitions chez la journaliste Judith Miller, du Ottawa Citizen. Et, la liste s'allonge sans cesse.

Ces saisies et ces menaces contre l'anonymat de certaines sources minent la confiance du public à l'égard des médias. Des gens qui détiennent des informations importantes refuseront de les communiquer aux médias par peur d'être dénoncés.

La FPJQ souhaite que votre comité demande au ministère de la Justice de modifier la Loi sur la preuve et toute autre loi pertinente pour protéger au maximum les médias des saisies et des atteintes à la confidentialité de certaines sources.

Notre seconde recommandation vise à permettre à la libre concurrence de s'exercer librement. Pour cela, il faut fixer des limites à la propriété des médias et plus spécifiquement interdire la propriété croisée des médias dans un même marché.

Il y a cinq ans à peine, TVA, le plus important télédiffuseur privé du Québec appartenait à un câblodistributeur. À l'époque, il était impensable que Quebecor, qui possédait déjà le journal le plus lu, puisse s'approprier la télévision la plus écoutée dans le même marché.

Vous connaissez la suite. Quebecor a acquis TVA. On pouvait croire qu'il était impossible d'aller plus loin. Erreur. Quebecor a ensuite tenté d'acheter CKAC, l'une des radios d'information les plus écoutées à Montréal.

Cette fois, le CRTC a refusé. Cette histoire nous enseigne trois choses. Premièrement, laissées à elles-mêmes, les entreprises de presse cherchent naturellement à accaparer la plus grande part de marché possible.

Elles ne s'imposent évidemment aucune limite. Or, la concentration de la propriété est déjà trop élevée, notamment à Montréal et Québec comme votre rapport intérimaire le souligne. Si aucune mesure n'est prise, la concentration continuera donc à s'accentuer.

Deuxièmement, la concentration de la presse et la propriété croisée donnent un pouvoir sur la formation de l'opinion publique qui est incompatible avec l'intérêt public.

La saga de l'éditorial unique de CanWest et l'imposition d'une ligne politique à tous les quotidiens de la chaîne sur certaines questions montrent que notre système n'est pas à l'abri des abus de pouvoirs de la part de propriétaires tout- puissants.

Nous avons laissé ce pouvoir se constituer, sans prévoir de contre-pouvoir en dehors de la bonne foi des propriétaires. Dans le fond, c'est au nom de la libre entreprise, de la libre concurrence des médias et des idées que nous réclamons l'équivalent des lois antitrust qui s'appliqueraient aux médias.

Troisièmement, la seule force capable de freiner la trop grande concentration est un cadre réglementaire établi par l'État. Il faudra une entente avec les provinces pour articuler une intervention cohérente dans le cas des propriétés croisées puisque la radiodiffusion et la presse écrite ne relèvent pas des mêmes gouvernements.

Nous recommandons donc d'interdire, à nouveau, la propriété croisée des médias dans un même marché comme cela a existé de 1982 à 1985.

Nous recommandons également que le Bureau de la concurrence soit obligé de tenir compte du critère de diversité des voix lorsqu'il examine une transaction relative aux médias.

Comme le Bureau nous l'écrivait le 5 mars dernier :

La question fort importante de la diversité des sources d'information ne relève pas du commissaire de la concurrence [...]

Seule la concurrence sur le marché de la publicité radiophonique lui importe. À défaut de pouvoir inclure le critère de diversité parmi les critères du Bureau, il faudra que le CRTC devienne alors seul juge des transactions liées aux médias.

Notre troisième recommandation a pour objectif central de favoriser le pluralisme des idées et la plus large discussion possible des diverses questions soulevées par la vie en société.

Dans cet esprit, il nous apparaît que le comité devra se pencher sur la création d'un tout nouveau fonds d'aide canadien destiné à encourager le pluralisme des médias.

Les deux magazines qui viennent de disparaître au cours des derniers mois montrent qu'il faut des mesures spéciales pour permettre aux petits de survivre et de croître.

Dans un contexte où quelques gros joueurs se partagent le marché et accaparent les revenus publicitaires, les petits ne parviennent pas à trouver les ressources nécessaires.

Nous avons en tête, ici, les médias voués à l'information générale du public, car il ne manque pas de revues qui poursuivent des objectifs différents. Il nous apparaît que l'information générale est celle qui est la plus porteuse de promesses d'enrichissement de la vie démocratique.

Notre quatrième recommandation est d'encourager le contrepoids à la concentration de la propriété. Le contrepoids, c'est par exemple un Conseil de presse qui entend les plaintes de citoyens contre un journaliste et un média et qui pose un jugement éthique.

Ces conseils existent sous différentes formules à travers le Canada, mais ils sont notoirement sous-financés et ainsi peu capables de jouer le rôle qu'on attend d'eux.

Des associations de consommateurs de médias, des organismes qui effectuent des recherches sur les médias, des magazines spécialisés sur les médias, la création de postes d'ombudsmans dans les médias, ce qui pourrait être rendu obligatoire à l'intérieur des licences accordées par le CRTC, voilà quelques exemples de contrepoids dont il faut favoriser l'existence.

En terminant, une petite anecdote pour vous montrer comme quoi la concentration de presse n'est pas si nécessaire et si obligatoire dans le contexte économique actuel.

En 1991, j'étais avec M. Munson, à couvrir la guerre du golfe Persique au Qatar. Je travaillais pour TVA à l'époque. TVA appartenait à Vidéotron. Donc, le groupe était quand même assez gros, mais pas aussi gros qu'il l'est actuellement.

Et, souvent on dit que la concentration de presse est importante pour consolider les groupes, donc pour avoir des moyens, par exemple au Québec, d'avoir des correspondants ou d'aller faire des couvertures à l'étranger.

Pourtant TVA était beaucoup plus petite qu'elle ne l'est actuellement, mais nécessité fait loi dans la vie et j'avais été au Qatar et on avait fait un « deal » avec CTV. C'était un échange de services.

Donc, Jim couvrait pour CTV. Je couvrais pour TVA. Nous avions chacun nos cameraman et on se partageait le monteur de CTV. Et, je partageais aussi la fenêtre de satellite que CTV achetait. Donc, TVA payait une partie de cette fenêtre pour minimiser les coûts.

Au Québec, durant la crise d'Oka, je travaillais toujours pour TVA, et on y a fait une couverture extraordinaire avec très peu de moyens, pas beaucoup d'argent. La façon de faire des groupes anglophones ou des stations anglophones, qui étaient beaucoup moins grosses qu'elles le sont aujourd'hui, Global par exemple, venaient à Oka et partageaient nos services de cameraman avec TVA sans qu'il y ait de propriété croisée.

C'était un genre de « gentleman's agreement » tout simplement. Donc, il y a moyen d'avoir une bonne presse sans nécessairement être sous la domination de ces très grands groupes.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Il y a peu d'avantages à vieillir, mais on peut dire que ce que les autres appellent l'histoire, on l'a vécu. Je me souviens que lorsque les conglomérats se formaient à la fin des années 70 et au début des années 80 tout le monde s'inquiétait de l'avenir. Au bout du compte, on a constaté que dans le fond ça n'avait pas très bien marché, et tout le monde est retourné à ses affaires. Les conglomérats ont été démantelés.

À l'échelon local on craignait la mort des centres-villes, dans les années 60, en raison de la prolifération des centres commerciaux en banlieue. On se demandait ce qui allait advenir du centre-ville. Eh bien, les centres-villes ont enfin compris que lorsqu'il fait moins trente, il vaut mieux avoir des passages de piétons et des tunnels souterrains, et ainsi ils se sont ranimés, grâce à cette concurrence.

Dans le secteur des médias, je sais que tout le monde s'inquiète de cette convergence, mais la solution est-elle dans le resserrement ou dans le relâchement de la réglementation? Si on ouvrait plus le CRTC et on permettait à tout un chacun de lancer une chaîne de télévision ou une station radio, peut-être assisterait-on à un renouveau de la radiodiffusion. Ce ne serait peut-être pas comme avant, puisqu'on ne peut jamais revenir en arrière. Il est certain que s'il n'y avait aucune entrave, on verrait renaître la créativité, l'entrepreneuriat, il y aurait plus de produits sur le marché, plus d'emplois pour les journalistes, et la compétition serait libre et ouverte, au lieu de ces monopoles protégés que nous avons aujourd'hui.

[Français]

La présidente : Je pense que la question est : Êtes-vous d'accord ou pas?

M. Gravel : En fait, je ne pense pas qu'il y ait une résurgence, entre autres, à la radio, ce qu'on appelle le « news radio ». Il y a du talk radio, qui s'appuie sur des articles de journaux le matin, qui s'appuie sur des agences de presse, qui s'appuie sur des sites Internet de grands réseaux, par exemple le site de Radio-Canada, mais il y a de moins en moins de salles de nouvelles dans les réseaux privés de radio, des salles de nouvelles qui font de l'information, qui font du contenu journalistique, selon les règles de l'art, à savoir la cueillette d'information sur le terrain, vérifiée, contrevérifiée, son montage et sa diffusion.

Il y a beaucoup de bla-bla-bla. Il y a beaucoup de « mémèring » à la radio actuellement sur le FM au Québec, mais il y a de moins en moins d'information solide et crédible. Ceci est pour la radio.

Pour ce qui est des grands groupes de presse, vous avez entendu hier le Syndicat des journalistes du Journal de Montréal, il suffit de vivre un peu à Montréal pour se rendre compte des effets de la convergence et surtout des effets de la propriété croisée.

Il y a un phénomène depuis quelques années qui s'appelle la télé-réalité, qui existe au Québec comme ailleurs au Canada, comme ailleurs dans le monde. Et, j'ai fait un reportage là-dessus il y a un an. On était en Europe, en France et on expliquait aux gens comment cela fonctionnait avec Quebecor.

Il y a un grand groupe, le groupe Endemol, un groupe des Pays-Bas qui a commercialisé avec beaucoup de succès la télé-réalité. Une branche de Endemol est en France.

Ils étaient très surpris de voir à quel point les entreprises d'un même groupe pouvaient s'aider mutuellement pour faire la promotion, le marketing.

Il suffit de se promener et de regarder les kiosques à journaux à Montréal, regarder les petits magazines à potins, tous font le front page sur la télé-réalité qui est au groupe TVA. Tout cela appartient au même groupe.

Et, par la suite, il y a Archambault Musique qui vend des disques des groupes qui ont participé à Star Académie, qui est un très grand succès au Québec.

Donc, on voit les effets aujourd'hui. Ce n'est pas que théorique. Quand je vous parle des groupes de presse, ce n'est pas vrai qu'on s'est inquiété pour rien quand on regarde la convergence, quand on regarde ce qui se passe à la radio actuellement.

Pour des journalistes, c'est catastrophique. Moi, j'ai travaillé à CKAC pendant neuf ans. C'était, vous vous en souvenez, sénateur Fraser, un joyau de la radio privée.

Et, je me souviens très bien que dans les années 1970, faire un bulletin de nouvelles à la radio privée, c'était en quelque sorte condamner un entrepreneur à faire un bulletin de nouvelles au nom de l'intérêt public.

CKAC a réussi à démontrer dans les années 1970 qu'on pouvait vendre de l'information crédible et avec beaucoup d'efficacité en couvrant les événements d'octobre, ou encore la campagne électorale qui a porté au pouvoir le Parti québécois en 1976.

Donc, CKAC a rempli le mandat de vendre l'information sérieuse et crédible. Et, aujourd'hui, avec cette possibilité d'échange entre Astral et CORUS, tout cela est menacé. Les salles de nouvelles sont menacées.

Bien sûr, il y a beaucoup de stations FM qui prennent la relève. Mais, allez vous promener le matin dans les « morning shows » de ces stations FM, vous allez voir que le journaliste qui y est, c'est un lecteur de nouvelles qui ne s'appuie pas sur une salle de nouvelles.

J'ai été faire une promotion d'un reportage, l'année dernière, qu'on présentait à Enjeux dans une de ces stations privées, l'une des plus populaires à Montréal, il y avait une journaliste qui était sur place et qui ramassait des papiers, puis il n'y avait pas de journalistes derrière, c'était des agences.

Donc, elle reformatait ou elle répétait ce que les agences lui donnaient que ce soit le site d'Internet ou autre. Éventuellement, ce sera INFO 690 qui va abreuver tout le monde. Il n'y a pas beaucoup d'apports des régions dans ces services d'information.

Ce qui était extraordinaire à Télémédia, les stations de Télémédia nous nourrissaient. La moitié de nos bulletins de nouvelles était constituée d'éléments régionaux à l'époque. Et, ça marchait.

CKAC couvrait, par exemple, en Haïti. Lors des derniers événements en Haïti, CKAC n'était pas là. Alors, on ne peut pas s'étonner comme quoi les cotes d'écoute chutent.

Évidemment, il y a tout le phénomène du AM et du FM, CBF690 qui était autrefois la station AM de Radio- Canada qui a déménagé sur la chaîne FM, bien, nous avons ce matin les résultats des cotes d'écoute, ils sont premiers dans le marché de Montréal. Et, une grande part de ce succès est liée à l'existence d'une salle de nouvelles crédible et solide.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : N'est-ce pas tout simplement l'évolution? Vous parlez du temps dans les années 70 où il avait des éditions du soir des journaux. Dans les années 70 j'écoutais la radio le matin parce que mon journal était livré en soirée. Il n'y avait pas d'émissions d'information à la télévision le matin. Maintenant j'ai des choix. Quand je me lève le matin, j'ai le choix entre le journal du matin, la radio, ou la télévision — et encore, le câble américain ou le câble canadien. Il y a beaucoup de choix.

D'après moi il existe un marché pour les émissions d'information à la radio, et si un groupe d'entrepreneurs en est également convaincu, il devrait être libre de créer une station radio. Il devrait pouvoir mettre sur pied une station radio d'information comme dans le bon vieux temps, et voir s'il peut la commercialiser, voir s'il existe un marché, et si on l'écouterait. Si personne ne doit écouter la station radio, à quoi bon la créer?

[Français]

M. Gravel : Moi, je ne vous parle pas de l'ancien temps, je vous parle des cotes d'écoute qui sont publiées ce matin qui donnent la position dominante à la radio de Radio-Canada pour la deuxième fois consécutive. Donc, ce n'est pas l'ancien temps.

L'autre chose, c'est vrai qu'il y a une diversité de journaux. Il y a une diversité peut-être plus grande de contenu en général et même de contenu journalistique. Vous allez sur Internet, il y a beaucoup de stations de radio, il y a beaucoup de chaînes spécialisées sur les câbles. Il y a beaucoup de « all news », et ainsi de suite.

Mais, il n'y a pas nécessairement une plus grande diversité de propriétaires de ces sources d'information. Si vous écoutez, par exemple, le bulletin de TVA et si vous écoutez le bulletin de LCN, LCN appartient à TVA. À LCN, il y a des journalistes qui y ont été embauchés pour reformater le matériel de TVA. La matière première vient de TVA. Donc, au net net, sur le terrain, il n'y a pas nécessairement de création additionnelle d'emplois de journaliste.

Même chose à Radio-Canada, si vous regardez les bulletins de nouvelles de Radio-Canada, vous écoutez RDI, — quoique RDI a une certaine programmation originale — mais l'essentiel de RDI comme de News World, et comme de toutes ces chaînes spécialisées, vient d'un grand diffuseur, donc de la première chaîne de Radio-Canada.

Il y a beaucoup de journaux. Il y a beaucoup de stations de radio. Il y a des chaînes spécialisées et celles-ci appartiennent, pour l'essentiel au Québec, au même propriétaire qui est Astral.

Donc, il y a des sources d'informations diverses, mais il y a de moins en moins de propriétaires. Gesca a acheté récemment le quotidien à Chicoutimi, Le Soleil à Québec. Le Soleil est une entreprise qui fonctionnait très bien autrefois.

J'ai été au Saguenay-Lac-Saint-Jean, encore là, ce n'est pas dans l'ancien temps, enfin vers la fin des années 1970. Le Quotidien était un journal indépendant qui fonctionnait très bien à la fin des années 1970 au Saguenay-Lac-Saint-Jean. On le voit de moins en moins.

Il y a de plus en plus d'hebdos locaux au Québec. Mais, il y a de moins en moins de groupes qui en sont propriétaires. C'est là où il y a un enjeu assez important.

La présidente : Question supplémentaire : Il y a de moins en moins de propriétaires. Est-ce qu'il y a de moins en moins de journalistes ou est-ce que l'effectif global reste le même?

M. Gravel : Je connais assez bien la radio. Je vais revenir à cet exemple de CKAC, parce que c'est une question assez importante. Au mois de janvier, le CRTC doit prendre une décision s'il autorise CORUS à devenir propriétaire de CKAC.

Il y a actuellement une salle de nouvelles à CKAC, qui est constituée d'une quinzaine de journalistes, postes permanents et à temps partiel. C'est un petit peu moins qu'à mon époque. Si la transaction est permise, il va y avoir trois journalistes à Info 690 parce qu'il y aura un genre d'échange. CKAC va se limiter à un mandat dans le domaine de la santé et du sport, et donc, la salle de nouvelles va disparaître. Et, il y aura trois journalistes de plus à Info 690, qui va appartenir au Groupe CORUS.

Il y aura probablement un journaliste de plus à l'ancienne station Cool, qui est le 98,5, qui n'est pas une nouvelle station mais qui a un nouveau rôle et un nouveau mandat, à l'émission du matin. Mais, dans les stations FM, ce sont des journalistes qui reformatent.

Comme chargé de cours à l'Université du Québec à Montréal, je constate que les jeunes qu'on forme quittent par la suite, ils deviennent des spécialistes en traitement de l'information. Ils vont travailler dans un petit journal, par exemple, au Journal Métro. Ils reçoivent les textes des agences qu'ils reformatent, qu'ils réécrivent. Dans les stations de radio cela se fait de plus en plus. Dans les all news, cela se fait aussi de plus en plus. Donc, c'est une partie du travail journalistique, le travail de reformatage, mais il faut aller cueillir sur le terrain. Et, c'est là où la diversité est importante.

S'il y a un journaliste qui couvre un événement et qui abreuve tout le monde, donc il y a une vision. Mais, si vous avez quinze journalistes différents qui couvrent le même événement, il y a quinze visions différentes.

Et, il faut faire le métier pour se rendre compte quand Jim Munson faisait un reportage au Qatar à CTV, et quand moi, j'y faisais un reportage, c'était complètement différent. En fait, l'angle principal était en général le même, mais l'approche était complètement différente. Le public est différent. La culture est différente.

Si vous avez encore quinze journalistes qui couvrent le même événement, mais qui appartiennent à deux groupes de presse, il y a un potentiel, il y a un danger de convergence ou de pensée unique.

Le sénateur Chaput : J'aimerais que vous nous parliez un peu plus d'une de vos recommandations qui touche la création d'un fonds d'aide au pluralisme de la presse.

D'après ce que j'ai lu, quand vous parlez du pluralisme, vous le définissez comme étant le pluralisme des sources, le pluralisme des contenus et aussi le pluralisme de représentations.

Et, c'est cette troisième définition que j'aimerais que vous m'expliquiez un peu mieux parce qu'hier, nous avons entendu un jeune homme qui est venu nous faire part de ses frustrations eu égard au fait que d'un côté il y a la dualité linguistique et de l'autre côté, il y a la diversité culturelle de notre pays.

Il ne se sentait pas nécessairement inclus dans tout cela. On lui a expliqué qu'au Canada, il y a deux langues officielles, mais il y a aussi la diversité culturelle.

Lorsque vous parlez de représentations ici, j'ai aussi lu que vous voulez donner de la place à des groupes minoritaires, ethniques, linguistiques. Alors, ce fonds a été créé en termes d'emplois, je présume, en termes de contenu, et aussi de présence pour que ces gens puissent s'y retrouver et sentir qu'ils font partie du Québec ou de la société comme telle. Est-ce que c'est bien cela?

M. Robillard : Oui, c'est cela. Notre recommandation vise vraiment à dire : Il faut faire un contrepoids au « mainstream », si on peut dire. Donc parmi les contrepoids, il faut qu'il y ait de l'argent. Dans beaucoup de pays du monde, il y a des fonds d'aide à la presse. Donc de l'argent qui permet à la presse indépendante, qui n'est pas dans les grands groupes, de prospérer.

Parmi cette presse indépendante, on peut penser au pluralisme de représentations. Notre fédération a déjà été impliquée dans de tels programmes pour favoriser, par exemple, des stages de journalistes issus de d'autres pays dans les médias ici.

En ce moment même, on est dans un autre programme à propos duquel nous aurons une rencontre très bientôt pour, de nouveau, favoriser la participation de gens d'ici qui ne sont pas des blancs francophones dans les médias québécois. Donc, il y a des mesures comme cela qui peuvent être prises.

Le fonds dont on parle vise à aider la création de médias ou encore au maintien, au développement et à la création de plans d'affaires. La fédération reçoit assez souvent des demandes de gens qui viennent de communautés culturelles.

J'en ai reçu une, par exemple, il y a quelque deux semaines : Nous voulons partir un média. Je pense que c'est un média francophone de la communauté chinoise. Ils me demandaient comment faire pour y parvenir.

Mais, là, comment faire ça? Qu'est-ce qui existe pour aider la communauté chinoise à se donner son média francophone? Je n'en ai aucune idée.

Pour répondre à la préoccupation qui a été exprimée tantôt, ce qui nous importe, c'est une information générale, une information civique, une information sur tout ce qui se passe dans la société. On ne parle pas de la décoration. On ne parle pas de la mode ou je ne sais pas quoi. On parle vraiment des questions sociales importantes. Il faut qu'il y ait plusieurs points de vue, plusieurs « inputs ». Il faut qu'il y ait des moyens. En ce moment, il y a une apparence de diversité.

On peut avoir de l'information sur absolument n'importe quoi, mais une information qui concerne notre société n'est pas si fréquente. On peut savoir ce qui se passe un peu partout ailleurs, mais pour savoir ce qui se passe à Montréal, à Québec ou à Trois-Rivières, les sources ne sont plus si nombreuses pour savoir ce qui s'y passe précisément.

Il existe des médias. Il existe déjà des petites choses, mais on estime que c'est le devoir du gouvernement de mettre des ressources à la disposition de ceux qui veulent faire entendre des nouvelles voix.

[Traduction]

Le sénateur Munson : C'est bien connu. J'aimerais qu'il soit consigné au compte rendu qu'Alain Gravel a marqué un magnifique but en 1991, pendant la première guerre du Golfe, contre les Van Doos lors d'une partie de hockey. C'était le Guy Lafleur de notre équipe et j'étais Yvan Cournoyer. J'ai eu de l'aide. Ça a été un grand jour pour nous. C'est ce que je sais du Sénat. Si je fais consigner tout ceci au procès-verbal, ce sera dans nos annales.

Devrait-on éliminer la propriété croisée? Dans l'affirmative, comment?

[Français]

M. Gravel : Je pense que oui. D'ailleurs, au cours des années 1980, de 1982 à 1985, la propriété croisée n'était pas permise par le CRTC. Je me souviens d'avoir couvert des audiences du CRTC, qui avaient empêché l'acquisition de TVA par Power Corporation en 1986, je crois, sauf erreur.

Je ne pense pas que la propriété croisée favorise l'intérêt public. Je pense que les journalistes en général, pas seulement ceux du Journal de Montréal, mais les gens s'inquiètent de cette tendance qu'un propriétaire de journal ou d'une station de télé puisse devenir propriétaire de journaux, de radios et ainsi de suite.

Le comment? Enfin, nous ne voulons pas rentrer dans les modalités comme telles. Ce qu'on voudrait, c'est qu'on puisse établir des seuils, comme cela se fait dans d'autres pays ou dans certains marchés tant en Europe qu'aux États- Unis. Qu'il soit déterminé qu'à partir de certains seuils, l'on ne puisse pas permettre la propriété croisée, ou encore qu'à un certain seuil, un journal ne puisse pas acquérir un autre journal comme tel.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Vous mentionnez dans votre rapport que les sociétés de presse écrite n'hésitent aucunement à enfreindre les dispositions des lois sur les droits d'auteur en exigeant de leurs journalistes qu'ils cèdent leurs droits d'auteurs, contre leur gré, par contrat. Pouvez-vous nous expliquer exactement ce que vous entendiez par là? Que pourrait faire notre comité pour mettre fin à ce genre de pratique?

[Français]

M. Claude Robillard, secrétaire général de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec : Sur la question des droits d'auteur, je vous dirais que ce n'est pas la spécialité de la fédération d'intervenir sur ce sujet, et c'est plutôt par le biais des organisations syndicales que le droit d'auteur se trouve à être le plus défendu.

Il y a même, en ce moment, des poursuites en cour contre plusieurs éditeurs du Québec par une organisation que vous allez entendre ou que vous avez entendue, je ne sais pas exactement, l'Association des journalistes indépendants.

Donc, ils pourront vous parler davantage de cet aspect. Nous estimons que la loi actuelle du droit d'auteur dit que les journalistes pigistes conservent leurs droits d'auteur à moins de signer une entente à l'effet contraire. Mais il y a, en ce moment, un rapport de force qui est éminemment défavorable aux pigistes en ce sens que les éditeurs peuvent dire : Bien, écoutez, si vous voulez écrire, vous renoncez, et c'est tout.

Il y a différentes modalités. Il y a des éditeurs qui sont beaucoup plus compréhensifs que d'autres. Je pense que notre recommandation veut dire essentiellement que nous appuyons le fait que les journalistes pigistes — parce que les salariés n'ont pas leurs droits d'auteur — puissent avoir une reconnaissance comme le prévoit la loi sur les droits d'auteur sans être trop vulnérables aux pressions de quelques employeurs qui ont le gros bout du bâton.

En ce moment, un pigiste travaille pour qui? Il travaille pour Gesca, il travaille pour Transcontinental. Et, déjà avec ces deux employeurs, vous venez de faire un énorme bassin de magazines. Il y a évidemment Quebecor avec toutes les publications TVA.

Vous avez trois employeurs, puis avec eux vous faites une quantité énorme de sources d'emplois pour ces gens. Donc, s'ils doivent renoncer à leurs droits d'auteur, si trois employeurs disent : on prend telle mesure ou telle politique, cela touche une quantité phénoménale de médias écrits. Donc, c'est un peu le sens.

La présidente : On a vu dernièrement, au moins une compagnie, je pense qui demande aux pigistes de céder les droits en perpétuité pour l'univers. Est-ce que c'est devenu monnaie courante aussi au Québec, dans le marché francophone?

M. Robillard : C'est cela que je vous disais. Il existe des modalités extrêmement diverses. Le magazine Protégez-vous demande une cession de droits pour 25 ans, mais il s'agit d'une cession, ce qui n'est pas exactement la même chose qu'une renonciation.

Il y a d'autres cas, tel Le Devoir, qui établit une entente faisant en sorte qu'il y a certains paiements, qui viennent de reproductions sur le site Internet. Transcontinental a une autre entente, qui est considérée plus avantageuse par les patrons de Transcontinental, mais qui est contestée par d'autres.

Chaque média a sa politique de renonciation. Mais, que certains éditeurs l'exigent, cela se pourrait tout à fait. Mais, voilà, le marché n'est pas du tout standardisé à ce sujet.

M. Gravel : Très concrètement, pendant le « lock-out » de Radio-Canada il y a deux ans, j'ai fait quelques biographies pour une compagnie de production qui vendait au Canal D, et on nous a fait signer des contrats où on cède nos droits d'auteur jusqu'à un certain point, notre concept. Alors, j'ai fait une biographie sur un animateur de télévision, Alain Montpetit, qui est décédé dans des circonstances assez dramatiques à la fin des années 1980.

J'ai été payé pour cette biographie, mais cela doit faire sept ou huit fois qu'elle repasse. À chaque fois, je rencontre quelqu'un qui dit : « Ah! c'était bon ta biographie. » — « Laquelle? » « Alain Montpetit. » — « J'ai fait ça il y a deux ans. » — « C'est repassé encore hier. » Régulièrement, à chaque deux, trois mois, elle repasse.

C'est comme quand on signe des contrats, en général, on laisse aller les droits. Ce sont les droits de suite qu'on cède. Ce sont des contrats un peu standardisés dans le milieu de la production télé, dans les petites compagnies de production télé qui produisent pour les grands diffuseurs, pour les grands groupes.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Je crois qu'un des graves problèmes aujourd'hui, c'est que nous n'arrivons pas à engager les jeunes dans le débat. Ils ne veulent pas s'intéresser aux questions qui sont importantes à nos yeux. Est-ce simplement que les jeunes ne savent pas vraiment profiter de leur jeunesse et qu'ils se ressaisiront avec l'âge, parce que la maturité semble venir plus tard de nos jours?

Quelqu'un avait proposé que le mariage ne soit pas autorisé avant l'âge de 21 ans. Les jeunes font des études. Ils ne travaillent que lorsqu'ils sont un peu plus âgés. Y a-t-il quelque chose que nous y voyons, qui explique leur refus de s'engager dans le débat politique? La presse pourrait-elle ou devrait-elle faire quelque chose pour susciter un certain intérêt chez les jeunes? En votre qualité de journalistes, avez-vous une certaine responsabilité à cet égard? Devriez-vous essayer d'encourager les jeunes à s'intéresser à l'actualité? Ou encore est-ce un problème qui a toujours existé? Vous nous avez fourni des statistiques ce matin quant au nombre de lecteurs. Pouvez-vous nous donner une ventilation par groupes d'âge?

[Français]

M. Gravel : Ces statistiques ne sont pas ventilées par âges. Sur l'engagement des jeunes, sur les grandes questions sociales, cela dépend, je vais vous dire, à quel jeune, à qui on s'adresse et où.

Je reviens un peu à mon rôle de chargé de cours à l'Université du Québec. J'avais un peu ce jugement avant. Et, j'ai été très étonné de voir qu'ils ne sont pas vraiment différents de ce qu'on était.

Dans les médias, par exemple, c'est peut-être plus difficile pour eux maintenant de se trouver un emploi comme on le faisait autrefois. Encore là, c'est vrai et ce n'est pas vrai.

À notre époque, c'était beaucoup plus facile d'avoir des emplois permanents, syndiqués mur à mur, très bien protégés par nos conventions collectives, alors qu'aujourd'hui, obtenir un emploi de ce type, c'est comme gagner à la loterie, d'une certaine façon, dans les médias en général.

Mais, en même temps, il y a énormément de travail précaire. Entre autres, dans les compagnies de production qui alimentent les grands groupes de presse. Quand on parle de l'importance de l'implication de l'État, ce n'est pas nouveau.

Le journaliste qui favorise l'aide financière de l'État, par exemple si vous produisez des documentaires au Canada ou au Québec, si vous faites un documentaire d'auteur qui va être diffusé sur une chaîne spécialisée, qui va appartenir à un de ces grands groupes de presse, c'est subventionné jusqu'à 90 p. 100 et même plus.

La compagnie, c'est une coquille d'une certaine façon qui fournit l'infrastructure et qui distribue les subventions pour une telle production. Donc, dans ces entreprises, pour les jeunes journalistes, il y a du travail, mais c'est du travail précaire par renouvellement de contrat, et ainsi de suite.

Comme je vous le disais plus tôt, souvent les jeunes journalistes d'aujourd'hui vont être davantage affectés au reformatage d'information dans les médias électroniques avant de pouvoir aller faire du terrain comme tel.

Moi, j'ai commencé en région, au Saguenay-Lac-Saint-Jean. On avait une salle de nouvelles à CKRS à Jonquière, qui est aussi menacée par l'acquisition de CORUS. Nous étions quatre journalistes à temps plein dans une salle de nouvelles pour une petite ville de 65 000 habitants.

On gagnait des prix canadiens de l'Association des directeurs d'information. J'avais 21 ans, et on avait gagné un prix national sur une histoire de viol.

De nos jours, pour un journaliste, rentrer à CKRS-Radio dans une salle de nouvelles de radio au Saguenay-Lac- Saint-Jean comme journaliste qui va aller faire du terrain, qui va couvrir des conseils municipaux, qui va couvrir un conflit de travail à la compagnie Alcan, qui va couvrir des manifestations ou la vie étudiante du cégep de Jonquière ou de l'Université du Québec à Chicoutimi, c'est de plus en plus difficile parce qu'il y a de moins en moins de postes en région.

Je vous parlais de Télémédia à l'époque. Encore là, ce n'est pas nécessairement l'ancien temps, il n'y a qu'une quinzaine d'années. Les stations régionales alimentaient, c'était des réseaux donc c'était des groupes, bien sûr, mais il y avait une interaction entre la région et la ville.

C'était une des clés de succès de Télémédia et de Radiomutuel : on avait de l'information. Quand il y avait un conflit de travail à l'Alcan, on le savait à Montréal, ce qui est beaucoup moins évident aujourd'hui.

Pour revenir à votre question, c'est plus difficile pour un jeune de commencer en région pour faire du véritable travail journalistique, donc sur le terrain, parce qu'il y a de moins en moins de postes. Il y a de plus en plus de sources d'information, mais il y a de moins en moins de collecte sur le terrain.

M. Robillard : Si je peux me permettre de compléter. Le Centre d'études sur les médias disait : Sur dix ans, soit entre 1992 et 2002, il y a 24 p. 100 moins de pages d'information dans les hebdomadaires régionaux. Et, il s'agit d'une information qui est plus légère qu'elle était dix ans auparavant, donc plus superficielle.

Ce que nous constatons à la fédération à propos des jeunes, c'est qu'il y a un énorme appétit de la part des étudiants en journalisme et des jeunes qui sont pigistes, de se rapprocher de la fédération.

Il y a beaucoup de relève à la fédération. Il y a beaucoup de jeunes qui arrivent. Au congrès, par exemple, il y a des autobus d'étudiants en journalisme qui viennent participer au congrès pour rencontrer les professionnels. Il y a donc une relève qui se fait.

Malheureusement, c'est très difficile, je crois, pour ces jeunes de faire de la nouvelle, du « hard news ». D'ordinaire, un jeune va commencer sa carrière de façon très précaire et dans des domaines qui sont en dehors de l'actualité, qui vont parler des relations de couple ou de choses semblables. Et, le « hard news », ce n'est plus les salles de rédaction permanentes qui les couvrent.

Peu à peu, on voit quand même un certain média qui renouvelle beaucoup. Il y a quand même une introduction assez importante de jeunes dans les salles de rédaction, du côté du Journal de Montréal, et de La Presse. C'est assez évident.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Je tiens à vous remercier de votre réponse. C'était tout particulièrement intéressant parce que si vous avez des jeunes journalistes, peut-être alors les jeunes écouteront-ils leurs opinions parce qu'ils sont plus proches de leur façon de voir les choses.

J'avais posé une question un peu différente. J'ai demandé comment on pouvait stimuler l'intérêt des jeunes pour les nouvelles? Est-ce que la presse doit chercher à diffuser le genre d'information qui saurait intéresser les jeunes? L'une des solutions, à mon avis est d'avoir des jeunes journalistes. Mais j'avais posé une question un peu différente. Je ne sais pas si je me suis bien fait comprendre?

[Français]

M. Robillard : Le grand défi, particulièrement des médias écrits, à l'heure actuelle c'est d'intéresser les jeunes aux affaires publiques et à la discussion des questions de société.

La fédération n'a pas de réponse à ce propos. Les médias se cassent la tête pour arriver à trouver comment un jeune va s'intéresser au scandale de La Gaspésia ou comment l'intéresser au scandale du fait que le prolongement du métro de Montréal à Laval coûte des fortunes beaucoup plus grandes que ce qui était prévu.

Il y a des questions comme celles-ci qui sont incontournables. Comment intéresser les jeunes à ces sujets? Je pense que les médias font un grand effort pour ce faire mais, en même temps, comme on le disait récemment au congrès Manon Cornellier de la Presse canadienne ou Sophie Langlois de Radio-Canada, c'est qu'à un certain moment, il y a des questions qui sont importantes, mais difficiles à comprendre et pour lesquelles il n'y a pas de truc facile. Il faut les expliquer.

Il faut que les médias aient la conscience de leur rôle, de leur responsabilité sociale, de ne pas sacrifier ces questions pour mettre des questions plus faciles, par exemple : dans quel bar faut-il faire son party de Noël? Oui, ça peut se faire, mais ça ne donne rien. Ce n'est pas une information qui sert vraiment la société.

Donc, pour attirer les jeunes, ce serait un piège que d'essayer de passer par cette avenue. Il faudrait que les audiences du Sénat intéressent les jeunes. Non, mais vous vous imaginez le défi. On n'a pas de réponse pour vous dire comment faire.

Il demeure, à mon avis, que c'est un peu scandaleux qu'au Québec on n'ait rien entendu sur vos travaux quand ils se sont passés à Ottawa. On n'a presque rien entendu.

M. Gravel : Si vous me permettez, une façon d'intéresser les jeunes, sauf erreur, les stations FM ne sont pas tenues de produire des bulletins de nouvelles. Et, on sait que les jeunes s'abreuvent énormément aux stations FM, aux émissions du matin. Ici, au Québec, il y a l'émission Les grandes gueules, et bien d'autres.

Il y a beaucoup de divertissement sur les émissions radiophoniques du FM le matin, l'après-midi et le soir.

Et, s'il n'y a pas cette obligation, une salle de nouvelles, c'est toujours un peu aride. C'est facile tenir l'antenne avec un ou deux ou trois bons annonceurs un peu spectaculaires, et remplir avec de la musique. Cela ne coûte pas très cher. Les talents peuvent coûter cher, mais cela ne nécessite pas autant d'investissement qu'avoir une salle de nouvelles solides.

Je reviens à l'ancien temps. Au début, l'information n'était pas vendable. C'est le CRTC qui obligeait les stations FM et les stations de télévision à avoir des bulletins de nouvelles. Et pour avoir vécu dans des stations privées, je peux vous dire que les vendeurs de publicité, ce n'était pas nécessairement nos amis.

Ils trouvaient que cela bouffait énormément d'argent que d'établir un bon service de nouvelles. Mais, puisqu'il fallait le faire, il y a eu des visionnaires qui ont travaillé très fort, en disant : Nous, notre mandat dans la vie, en général, c'est de rendre intéressant ce qui est important.

Donc, c'est de prendre quelque chose qui est difficilement comestible et de se creuser les méninges et prendre toutes les technologies inimaginables et les approches créatives pour faire en sorte que les gens vont s'intéresser à un budget de la Ville de Montréal ou à un rapport de la vérificatrice générale ou à un comité sénatorial, ce qui n'est pas évident toujours à faire.

On doit rendre tout cela intéressant. S'il n'y a pas cette obligation, dans les stations où les jeunes sont, à faire de la nouvelle de façon pas nécessairement comme on le faisait à notre époque, mais de façon créative, de façon nouvelle avec des approches différentes sur des questions d'intérêt public, bien, il ne se fera jamais rien parce que ça coûte cher un service de nouvelles.

Mais, si on prend les moyens, s'il y a des visionnaires qui entrent dans ces stations avec un certain cadre réglementaire les obligeant à investir dans les services de nouvelles, parce que c'est un privilège d'être sur les ondes, je pense qu'il y a là un espoir.

Moi, j'ai un fils qui a vingt ans et qui s'informe de toutes sortes de façons, pas nécessairement là où je m'informe, mais qui est très intéressé par ce qui se passe. Donc, il faut répondre aussi à ces gens.

[Traduction]

La présidente : Au nom de tous les membres du comité, j'aimerais remercier nos témoins d'être venus nous rencontrer.

La séance est levée.


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