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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 5 - Témoignages du 16 décembre 2004


MONTRÉAL, le jeudi 16 décembre 2004

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 12 h 43 pour étudier l'état actuel des industries de médias canadiennes, les tendances et les développements émergents au sein de ces industries, leur rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous reprenons notre étude sur l'état actuel des médias canadiens et nous accueillons aujourd'hui les représentants de l'Association des journalistes indépendants du Québec.

[Français]

Il s'agit donc de madame Fabienne Cabado, journaliste indépendante, secrétaire de l'Association et de monsieur Jean-Sébastien Marsan, journaliste indépendant, pigiste, comme on disait dans le temps, qui est président de l'association.

Vous connaissez, je pense, notre format, dix minutes de présentation suivie par des questions.

M. Jean-Sébastien Marsan, journaliste indépendant et président de l'Association des journalistes indépendants du Québec : Madame la présidente, je ne veux pas répéter ce que j'ai déjà écrit dans le mémoire dont vous avez copie. Je vous ai fait parvenir de la documentation à propos de l'Association des journalistes indépendants du Québec.

Je voudrais plutôt commencer à utiliser mes dix minutes de temps de parole pour vous raconter une anecdote, c'est quelque chose qui m'est arrivé aujourd'hui même.

Il y a quelques semaines, j'ai écrit un petit article pour un magazine montréalais, qui s'appelle L'Actualité pharmaceutique. C'est une publication de Rogers Media, qui publie aussi McClean, L'Actualité, Châtelaine, et d'autres revues.

L'Actualité pharmaceutique, comme son nom l'indique, est lu par des pharmaciens. J'ai fait un article, une entrevue, en fait, avec un professeur de l'Université du Québec à Montréal, M.Marcello Otero, qui a fait des études postdoctorales sur les médicaments. C'est un professeur de sociologie qui étudie nos relations avec les médicaments.

Monsieur Otero dénonce la surconsommation de médicaments antidépresseurs au Québec. D'après lui, ces omédicaments créent de nouvelles normes sociales qui seront transmissibles. Il y a une culture de la pilule au Québec et c'est très inquiétant quand on sait que les Québécois sont les plus gros consommateurs de médicaments antidépresseurs au Canada.

J'ai proposé ce sujet au magazine L'Actualité pharmaceutique, qui n'avait jamais entendu parler de M. Otero et de ses recherches. J'avais donc quelque chose de neuf à leur proposer, une certaine valeur ajoutée, en langage d'affaires.

J'ai produit une entrevue avec M. Otero, que j'ai soumise aux gens du magazine. Mais cela toujours par courrier électronique, nous ne nous sommes jamais rencontré et je crois qu'on s'est parlé une fois ou deux au téléphone.

Ils étaient très heureux du résultat. Ils m'ont demandé de leur faire parvenir une facture, le tarif me convenait très bien. Et ce matin, dans mon courrier électronique, on m'a demandé de signer une cession de droits d'auteur, pour pouvoir être payé. C'est une cession des droits d'auteur qui ne concerne que les droits électroniques, et non les droits sur support imprimé.

Si je signe la cession de droits d'auteur, je ne toucherai pas d'argent pour la réutilisation de mes textes sur un support autre qu'imprimé. Si je ne signe pas, je crois que c'est la dernière fois que L'Actualité pharmaceutique voudra travailler avec moi.

C'est un contexte où la concentration de la presse réduit les possibilités de revendre un article ailleurs. Si L'Actualiaté Pharmaceutique avait huit concurrents à Montréal, je leur dirais : « Écoutez, je ne veux plus travailler avec vous, vos méthodes d'affaires ne me conviennent pas, je vais aller voir un concurrent qui s'appelle L'Actualité des pharmaciens ou Les Nouvelles du monde de la pilule » peu importe le nom.

Malheureusement, cela n'existe plus. Mon pouvoir de négociation avec eux est très faible, pour ne pas dire zéro. Alors, ils m'ont demandé de renvoyer la cession de droits par télécopieur et pour gagner du temps, je leur ai dit que je n'en possédais pas. C'est une façon de gagner quelques jours de répit. Mais j'ai bien l'impression que je vais perdre cette relation d'affaires avec ce magazine.

C'est, selon moi, une des principales menaces à la liberté de la presse et à la qualité de l'information au Québec. Au Québec, la liberté de la presse est menacée, mais pas de la même façon que dans les républiques de bananes. On n'a pas de gros méchant gouvernement autoritaire qui veut censurer les médias.

Nous avons plutôt des pratiques d'affaires et une précarité des conditions de travail des journalistes qui font que la qualité de l'information est fragile et, dans certains cas, menacée.

À l'AJIQ, la précarité des conditions de travail des journalistes est notre préoccupation première. Vous avez vu notre mémoire, mais on a aussi apporté un document qui s'appelle Droits Devant, un magazine qui n'a été édité qu'une fois en 2001, sur la question du droit d'auteur, mais le contenu est toujours pertinent et valable aujourd'hui, parce que le contexte légal n'a pas changé.

La précarité des journalistes indépendants au Québec et aussi de tous les journalistes à temps partiel, sur contrat temporaire, sur appel, et ainsi de suite est très préoccupante. À notre avis, à l'AJIQ, c'est une des principales menaces pour la qualité de l'information.

Pour renverser la vapeur, à l'AJIQ, nous croyons qu'il nous faut un interlocuteur unique face aux donneurs d'ouvrage, soit les patrons de presse, les médias en général. Ce peut être l'AJIQ, comme toute autre association que les journalistes voudront se donner; nous n'avons pas le monopole des bonnes idées.

Pour ce faire, il faudrait modifier les lois du travail, parce que actuellement elles ne permettent pas l'accréditation multipatronale, c'est-à-dire la possibilité de syndiquer tout un secteur d'activités d'un seul coup. Vous savez, dans le monde du travail, on syndique une entreprise à la fois, avec des accords qui sont toujours à renégocier.

Il y a quelques exceptions, comme le monde de la construction, qui était une foire d'empoigne dans les années 1960 au Québec et le gouvernement s'est fâché un jour en disant : Désormais, vous allez suivre les règlements que nous imposons par une loi d'exception.

À l'AJIQ, on ne revendique pas nécessairement une telle loi pour le Québec. On aimerait plutôt que le gouvernement permette l'accréditation multipatronale. Et pour ce faire, on s'appuie sur un document dont vous avez sûrement entendu parler, le rapport Bernier qui est cité dans notre mémoire, rapport qui a été remis au gouvernement en 2003, sur les protections sociales et juridiques des travailleurs à temps partiel, temporaires, autonomes, et autres, ce qu'on appelle les travailleurs atypiques.

Le rapport Bernier a 53 recommandations, je ne peux pas vous les résumer aujourd'hui. Mais celle qui nous intéresse le plus à l'AJIQ, c'est la recommandation qui propose au gouvernement de créer une vaste loi sur le travail indépendant au Québec, sur la base de la Loi sur le statut de l'artiste.

Autrement dit, dans tous les secteurs d'activités, les travailleurs autonomes ou travailleurs indépendants devraient pouvoir fonder une association représentative selon certains critères à respecter, en regroupant, par exemple, 50 p. 100 plus un de la masse des travailleurs indépendants dans cette association.

Et lorsque cette association est accréditée et reconnue par le gouvernement, les donneurs d'ouvrage, les entreprises, les clients ont l'obligation de créer une association patronale qui négocie un accord collectif avec ladite association.

Par exemple, dans le domaine du journalisme, ce qui serait fantastique, c'est qu'il y ait des accords collectifs qui s'appliquent à tous les médias et à tous les journalistes indépendants, qui prévoient, par exemple, un tarif minimal de base ou encore des protections sociales et juridiques. On pourrait penser à une sorte de caisse d'assurance chômage pour les travailleurs autonomes que nous sommes, à laquelle on pourrait cotiser. Il pourrait y avoir un prélèvement à chaque contrat qui irait dans une caisse, ce qui permettrait aux journalistes indépendants de compter sur une petite somme en cas de rupture de contrat ou de période creuse. On pourrait penser aussi à des régimes de retraite collectifs, et ainsi de suite.

Mais pour l'instant, c'est absolument impossible à l'AJIQ, parce que les lois du travail ne le permettent pas.

Notre seul pouvoir de négociations, en ce moment, c'est une demande de recours collectif qui a été déposée, en juin 1999, pour violation massive du droit d'auteur sur Internet. Cette demande à la Cour supérieure du Québec est toujours pendante et n'a pas encore été approuvée. C'est un processus qui est très long, certains recours collectifs durent dix ans.

Cela nous permet d'aller voir des éditeurs et leur dire que le recours collectif, les embête et nous aussi, et qu'on n'a pas envie de traîner devant un tribunal pendant dix ans et qu'on pourrait négocier à l'amiable des conditions de travail acceptables pour tous leurs collaborateurs et nos membres.

On a réussi à le faire en 2001 avec le quotidien Le Devoir. Il y a eu une entente, une licence pour les droits d'auteur.

Désormais, les collaborateurs du Devoir sont assurés de recevoir des sommes d'argent que Le Devoir réussit à dégager en réutilisant des textes sur des supports autres qu'imprimés, le site Internet du Devoir par exemple, la base de données Eureka de Cedrom-SNi et autres supports qui ne sont pas imprimés.

Ce seront mes remarques introductives et il me fera plaisir de répondre à toutes les questions que le comité voudra nous adresser.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : La question des droits d'auteur a été soulevée à plusieurs reprises, non seulement ici, mais également à Ottawa. Est-ce qu'on peut régler le problème des droits d'auteur au moyen d'une loi fédérale? Est-ce qu'on peut trouver une solution au problème des œuvres reproduites dans des pages Web et intégrées aux bibliothèques des grandes sociétés?

Je ne suis pas un expert de la Loi sur le droit d'auteur, mais il existe des droits d'édition et une loi sur le droit d'auteur pour protéger les éditeurs et les maisons de disques. Les artistes sont rémunérés à perpétuité pour leurs œuvres. Il fut un temps où ils n'étaient pas rémunérés à la pièce; ils vendaient leurs œuvres en souscription, comme cela se fait pour les émissions de télévision.

[Français]

M. Marsan : Je ne suis pas un expert de la Loi sur le droit d'auteur et je ne suis pas un juriste non plus.

Je sais, et c'est mentionné d'ailleurs dans notre document Droits Devant, que la loi canadienne stipule que le droit d'auteur appartient à son auteur, au journaliste indépendant à vie et même 50 ans après, pour tous les supports.

On ne cède son droit d'auteur que par écrit. En droit commercial, un accord verbal a autant de valeur qu'un accord écrit. Évidemment, un accord verbal est beaucoup plus difficile à défendre devant les tribunaux qu'un accord écrit, il faut des témoins et des preuves.

On ne cède que par écrit un droit d'auteur. Donc, en théorie, nous serions protégés. Dans les faits, on n'a pas de pouvoir de négociation face à des vastes conglomérats qui possèdent plusieurs médias. On a demandé dans le passé aux membres de l'AJIQ de signer des cessions de droits forcées, c'est-à-dire qu'on n'avait aucun pouvoir de négociations, c'était : Vous signez ou c'est la porte, vous ne travaillez plus pour nous.

Dans les années 1990, soit à compter de 1996, jusqu'en 2000-2001, c'était très courant dans le monde du journalisme, du moins au Québec, de forcer des journalistes indépendants à signer des cessions de droits, sous la contrainte, parce que les éditeurs étaient obsédés par l'eldorado Internet. Ils étaient convaincus qu'il y aurait énormément d'argent à faire en recyclant sans fin du contenu sur plusieurs supports numériques.

En 2000-2001, lorsque la bulle spéculative Internet a éclaté, ce sont des comportements qui ont considérablement diminué. Depuis deux ou trois ans, on ne demande plus aux journalistes indépendants de signer des cessions unilatérales de droits. Les contrats sont plus subtils, on demande de céder certains droits, les droits électroniques. Et puis les éditeurs sont un peu plus ouverts à négocier, mais c'est difficile, comme en fait foi mon aventure de ce matin.

Je sais qu'actuellement au gouvernement fédéral, il y a un processus de révision de la Loi sur le droit d'auteur. Je n'ai pas suivi cela de près. Ce que j'ai vu en revanche, c'est un document préliminaire où il était question de mentionner dans la loi que le journaliste conserve son droit d'auteur à vie pour tous les supports.

Ce n'est pas mentionné comme tel, on ne parle pas des journalistes indépendants comme tels, textuellement dans la loi. Il serait intéressant d'obtenir que la loi dise : Dans le cas des journalistes indépendants, soulignons-le, ils conservent leurs droits d'auteur à vie et même après, pour tous les supports et on ne cède ses droits que par écrit. Mais, il faut faire attention : un contrat non négocié et non négociable n'est pas un contrat légal.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Est-ce que CBC ou Radio-Canada vous oblige à signer le même contrat? Est-ce qu'on vous oblige à céder tous vos droits lorsque vous leur proposez un article?

[Français]

M. Marsan : J'ai brièvement travaillé à la Société Radio-Canada à Montréal, l'an dernier et en 2002, et je n'ai jamais entendu parler de contrat de cession de droits. CBC et Radio-Canada n'emploient pas beaucoup de journalistes indépendants purs et durs.

Ils ont beaucoup de salariés à statut précaire, soit des gens qui sont embauchés pour une période temporaire, trois mois ou six mois et leur contrat peut être renouvelé à plusieurs reprises, mais ils peuvent aussi perdre leur contrat sans aucune forme de préavis.

Mais à CBC et à Radio-Canada, il n'y a pas beaucoup de journalistes indépendants purs et durs, c'est-à-dire qui vendent un topo à la pièce. Il y en a très peu. D'après mes informations, il y en aurait quelques-uns à l'étranger.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Par apport à un employé de CBC, lorsqu'ils travaillent à contrat pour CBC, est-ce qu'ils deviennent pigistes pour six mois?

M. Marsan : Oui.

Le sénateur Tkachuk : Est-ce qu'ils ont tous les droits sur les documents qu'ils produisent pendant ces six mois?

M. Marsan : Non.

Le sénateur Tkachuk : Ils ne les ont pas?

M. Marsan : Non, ils ne les ont pas.

[Français]

M. Marsan : Parce que selon la Loi sur les droits d'auteur, un salarié cède ses droits à son employeur complètement. En vertu de son contrat de travail, il cède tous ses droits à l'employeur. Donc, tous les journalistes qui travaillent à Radio-Canada, tous les journalistes syndiqués, salariés à La Presse ou au Journal de Montréal n'ont aucun droit sur leurs textes et c'est normal; c'est ce que la loi stipule.

La présidente : Précisons que cela inclut les journalistes à contrat qui sont là, justement comme vous dites, pour une période de six mois, un an, deux ans.

M. Marsan : Oui.

La présidente : Pendant la durée du contrat...

M. Marsan : Ils n'ont pas de droits sur leurs textes.

La présidente : ... ils n'ont pas de droits sur leur produit, quoi.

M. Marsan : Effectivement.

La présidente : C'est de cela qu'il s'agit?

M. Marsan : Le travail salarié implique automatiquement que l'employeur conserve tous les droits d'auteur. Le travail indépendant, à son compte, « freelance », quelle que soit l'appellation, implique automatiquement que le travailleur conserve tous ses droits d'auteur, tout comme un artiste.

Mme Fabienne Cabado, journaliste indépendante et secrétaire de l'Association des journalistes indépendants du Québec : On pourrait peut-être faire des distinctions entre la presse écrite et la presse électronique, la radio et la télévision, où les choses sont différentes.

Je soutiens que dans le cadre de la révision actuelle de la Loi sur les droits d'auteur, les entreprises de presse sont considérées comme des entreprises culturelles. Les journalistes ne sont pas considérés comme des artistes et rien dans la loi ne les protège. Donc, il me semble fondamental d'inscrire un alinéa qui définisse les journalistes comme des artistes, comme des gens ayant des droits qu'il faut respecter et éventuellement, qu'il y ait un alinéa dans la loi qui interdise aux entreprises de presse de négocier le droit fondamental du droit d'auteur. Qu'ils n'aient même pas le droit de nous demander de céder des droits d'auteur ou enfin que ce soit vraiment très bien réglementé. Par ailleurs, il me semble fondamental aussi qu'il y ait une réflexion profonde sur l'idée que l'information n'est pas une marchandise ou à tout le moins pas une marchandise comme une autre. Pour l'instant, c'est ainsi qu'elle est traitée et c'est ce avec quoi nous devons conjuguer au quotidien en tant que journalistes indépendants.

Je trouve que c'est très grave, parce que cela met en danger non seulement toute une masse de journalistes qui sont de plus en plus nombreux et dont on ne mesure pas encore le volume, mais à terme, c'est une menace à la démocratie tout simplement.

Le sénateur Chaput : Vous dites dans votre document, que la Loi sur le droit d'auteur est très claire sur plusieurs points, soit que le journaliste est un auteur, par exemple.

Mais ceci ne reconnaît pas le journaliste comme un créateur ou un artiste, mais uniquement en tant qu'auteur. Vous dites aussi : « Ce qui est aussi clair, c'est que tout le monde semble oublier que ce droit existe pour les journalistes indépendants. »

Si la loi canadienne est claire à ce sujet, comment se fait-il que ce droit n'est pas respecté? Et quels sont vos recours? C'est de les amener en Cour?

M. Marsan : Effectivement, c'est-à-dire que les entreprises de presse, les conglomérats de presse ne respectent pas la loi tout simplement parce qu'ils nous considèrent comme de la main-d'oeuvre bon marché, corvéable à merci. On nous considère comme de simples fournisseurs de contenu, lequel contenu est une marchandise que les entreprises de presse et les conglomérats veulent reproduire sur toutes sortes de supports et utiliser au maximum à des fins commerciales.

Le sénateur Chaput : Et non pas un auteur?

M. Marsan : Et non pas un auteur, et encore moins un travailleur qui a des droits. La seule façon pour l'AJIQ, comme pour d'autres associations de journalistes au Canada anglais, aux États-Unis et en Europe, de faire respecter leurs droits, a été de déposer des demandes de recours collectifs ou d'en saisir les tribunaux.

Récemment, à Toronto, des journalistes du Globe and Mail ont obtenu gain de cause en appel contre Thompson et le journal The Globe and Mail. Le recours collectif a été déposé en 1996, c'est donc un processus qui a duré plusieurs années.

C'est mentionné dans le document Droits Devant. Partout au Canada, aux États-Unis et ailleurs, lors de recours collectifs ou des demandes semblables, ce fut de longues luttes, qui ont duré plusieurs années, mais la loi a toujours accordé au journaliste indépendant le droit de défendre son oeuvre, on se doit de l'appeler ainsi, pour tous les supports. Ceci nous appartient, mais à l'exception des tribunaux, nous n'avons pas de rapport de force.

Le sénateur Chaput : Est-ce la loi qui devrait être modifiée ou est-ce sa mise en application qui devrait être écrite ou bien les deux?

M. Marsan : Je ne suis pas un spécialiste de la loi.

Le sénateur Chaput : Mais moi non plus, pas du tout.

M. Marsan : En fait, il serait intéressant que la loi précise que les journalistes indépendants sont des auteurs et que de leur faire signer des cessions de droits unilatérales n'est pas correct. C'est ce qu'il faudrait préciser dans la loi tout simplement. Cela nous rendrait un grand service.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Savez-vous si c'est l'usage dans d'autres pays occidentaux et peut-on s'inspirer de la réglementation de ces pays pour protéger les journalistes pigistes comme vous?

[Français]

M. Marsan : Du moins, en Amérique, toutes les lois sur le droit d'auteur se ressemblent et le Canada a signé des ententes avec d'autres pays. Un journaliste est un auteur. Aux États-Unis, il y a eu la fameuse cause de M. Tasini de la National Writers Union. C'est dans le Droits Devant.

Monsieur Tasini a poursuivi The New York Times et a gagné à tous les échelons, devant tous les tribunaux, pour faire respecter son droit d'auteur. Partout où les journalistes indépendants ont poursuivi leur employeur pour obtenir le respect du droit d'auteur, la justice leur a donné raison, parce que les lois se ressemblent.

[Traduction]

Le sénateur Munson : On progresse peu à peu, d'une fois sur l'autre. Vous avez parlé de l'affaire du Globe and Mail. Je crois que c'est l'affaire Heather Robinson.

M. Marsan : En effet.

Le sénateur Munson : Ce n'est qu'un cas parmi d'autres, et on se retrouve ensuite à la case départ. Les recours en appel se succèdent. N'est-ce pas?

M. Marsan : Oui.

[Français]

Mme Cabado : Je suis d'origine française et j'ai exercé mon métier en France qui est un pays occidental, où la loi est très différente. En France, la loi est la même pour tous les journalistes, qu'ils soient salariés ou indépendants. En fait, c'est assez spécial : les journalistes pigistes, dès lors qu'ils signent un contrat, ont les mêmes droits que les salariés.

Donc, ce sont des indépendants, mais qui sont salariés ponctuellement. Et quand un journaliste pigiste travaille en France, l'entreprise qui lui paie son travail cotise à une caisse de retraite, ce qui fait que le journaliste a des avantages sociaux qui lui sont assurés.

En France, il y a même le Syndicat national des journalistes qui couvre tout le monde, ce qui n'est pas le cas ici, où chacun défend sa paroisse, où les journalistes salariés sont très bien défendus par les syndicats à l'intérieur même de leurs entreprises. Du coup, il y a non pas deux poids deux mesures, mais « X » poids « X » mesures, en fonction des entreprises.

Je reviens à l'idée que l'information n'est pas une marchandise. Il me semble que c'est impossible de négocier, c'est aberrant plus exactement, de négocier des droits différents selon les entreprises dans lesquelles les journalistes oeuvrent.

Je ne suis pas non plus une grande spécialiste, mais si cela vous intéresse, je vous invite grandement à aller voir ce qui se passe du côté français.

La présidente : Oui, effectivement, nous avons l'intention de nous y rendre, justement pour étudier cette question. J'ai l'impression que la France est un pays où la Loi sur le droit d'auteur est aussi beaucoup plus forte qu'ici.

Mme Cabado : Sans doute.

La présidente : Alors, il y aurait peut-être des choses à examiner.

Mme Cabado : Certainement.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Vous avez parlé de votre cas personnel. Il doit y avoir d'autres journalistes pigistes qui sont désespérés et à court d'argent. Connaissez-vous des gens prêts à signer parce qu'ils ont besoin d'argent? Est-ce pour cela que les empires médiatiques réussissent, parce qu'ils s'en prennent aux plus faibles en les rémunérant mal? Est-ce qu'ils les rémunèrent à 50 p. 100 de la valeur du travail fourni? Avez-vous des statistiques à ce sujet?

[Français]

M. Marsan : On ne sait pas combien il y a de journalistes indépendants au Québec. Il n'y a aucune statistique là- dessus.

Selon l'Institut de la statistique du Québec, qui prend souvent ses données de Statistique Canada, il y aurait 4 000 journalistes au Québec. L'institut ne distingue pas ceux qui sont permanents de ceux qui ne le sont pas, et ceux qui sont indépendants de ceux qui ne le sont pas.

L'Association des journalistes indépendants comprend une centaine de membres actuellement. La FPJQ a déjà fait des sondages auprès de leurs journalistes pigistes indépendants.

Selon mon expérience personnelle, je peux observer parmi mes membres, la plupart gagnent un revenu relativement faible, entre 20 000 $ et 30 000 $ par année. La plupart sont obligés de travailler dans d'autres domaines que le journalisme pour joindre les deux bouts. Il y en a beaucoup qui font de la rédaction corporative ou d'entreprise, ce qui peut poser de graves problèmes éthiques dans certains cas.

Certains vont jusqu'à faire de la publicité, ce qui est complètement à l'opposé du travail du journaliste. Il y en a qui font de la traduction, ce qui est moins litigieux ou qui travaillent dans un tout autre domaine, caissier dans un magasin, vendeur de voitures, tout est possible.

Le problème est que pour vraiment faire une belle carrière de journaliste indépendant, il faut être disponible tout le temps. Donc, travailler dans un autre domaine entraîne un manque de productivité.

Et les revenus de droits d'auteur ne sont pas très élevés. Moi-même, par année, je peux recevoir 1 000 $ ou 2 000 $ en droits d'auteur, mais surtout des droits de reproduction, parce que mes articles sont souvent photocopiés massivement par les universités, par les collèges, par les services des gouvernements qui font des revues de presse. Et tout cela est colligé par la Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction, Copibec, qui m'envoie des chèques. Ce ne sont pas des gros montants, mais j'y tiens, parce que c'est une question de droit. Céder ses droits, c'est céder son seul capital à long terme.

Mme Cabado : Plus tôt, je parlais de la démocratie en danger, mais la qualité de l'information l'est aussi, dans la mesure où un journaliste de qualité va refuser d'être payé à des tarifs qui n'ont pas bougé, dans certains médias, depuis les années 1970.

Dans n'importe quel secteur de l'économie, quand on emploie un sous-traitant, parce qu'on n'a pas la main- d'oeuvre suffisante à l'intérieur d'une entreprise, on paie généralement ce sous-traitant beaucoup plus cher que ce qu'on verse à ses salariés.

Dans le journalisme c'est l'inverse : non seulement les journalistes de qualité quittent le journalisme ou mettent leur efforts dans d'autres activités, mais cela ouvre la porte à tout et n'importe quoi, à des tas de gens qui s'improvisent journalistes et qui font de la sous-qualité. On est parfois taxés de sur-qualité, ce qui me semble complètement aberrant dans le domaine de l'information. Il me semble qu'il ne peut pas y avoir de sur-qualité, celle-ci devrait plutôt être la cote de base.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : En ce qui concerne vos problèmes en matière de fonds de pension, des représentants de la presse ethnique de l'Ontario nous ont dit qu'ils connaissaient le même problème. Nous avons entendu un témoin qui faisait ce travail depuis 20 ans et qui ne bénéficiait toujours d'aucune sécurité. C'est un problème important.

Pensez-vous que l'obligation de renoncer à ces droits risque de piéger beaucoup de jeunes journalistes? Ils ne sont pas toujours aussi exigeants lorsqu'ils commencent à travailler, parce qu'ils veulent se faire un nom. Est-ce que leur attitude ne risque pas de contrecarrer votre démarche, qui vise à faire reconnaître certains droits à votre organisme?

[Français]

M. Marsan : Personnellement, je conseille aux étudiants, aux jeunes de ne pas commencer leur carrière à la pige, c'est suicidaire. Je vais vous expliquer pourquoi.

Au Québec, malheureusement, il n'y a pas de culture de stage, les entreprises de presse n'offrent pas souvent un stage. Ils n'ont pas beaucoup de mécanismes pour aller chercher des bons finissants universitaires ou collégiaux et prendre les plus talentueux pour les encadrer, et les former à l'interne avec une équipe.

Pourtant cela serait nécessaire, car quand on commence dans le métier, travailler dans une salle de rédaction, c'est la meilleure expérience qui soit. On est encadré par des professionnels chevronnés, on rencontre plein de gens, on se fait des contacts, on apprend rapidement; et si on fait des erreurs, on se fait corriger rapidement, on peut surtout progresser relativement vite dans sa carrière.

Tandis qu'un jeune débutant qui commence à la pige sera isolé à la maison, il ne connaît personne et manque de contacts. Et, se faire des contacts demande beaucoup de temps et de déplacements.

Le débutant commet des erreurs et il ne s'en rend pas compte, celles-ci sont ensuite imprimées et se retrouvent dans les médias. Il a peu de contacts pour se faire entraîner et ainsi apprendre plus rapidement. Les conditions de travail de ces jeunes sont difficiles.

À l'AJIQ, beaucoup de jeunes étudiants viennent nous voir, ils font de la pige pendant un an ou deux après leurs études, ils ont gagné 10 000 $ par année maximum, ils sont très malheureux, ils sont isolés et ne se sentent pas valorisés et, finalement, ils quittent le secteur pour faire autre chose. Donc, ils ont étudié le journalisme pour rien, et ils ont gâché deux années de leur vie. Tout cela crée une pression à la baisse sur la qualité de l'information.

Quand on crève de faim, on ne peut pas faire un bon travail. Au Québec, selon moi, — je vais dire quelque chose d'un peu gros — le journalisme à la pige, tel qu'il est pratiqué, dans le contexte actuel, c'est presque une nuisance pour la qualité de l'information.

Dans un monde idéal, il y aurait moins de journalistes indépendants et ils seraient des gens expérimentés, qui ont déjà travaillé en entreprise, qui sont spécialisés et qui ont un excellent de réseau de contacts, qui ont l'expérience à partager, qui sont capables de produire rapidement de l'information de qualité.

Ce sont des gens aussi qui ont cumulé des économies dans leur vie, ce qui leur permet aussi de soutenir leur petite entreprise individuelle. Mais tous les jeunes, tous les gens qui sortent d'une longue période de chômage, tous les débutants, tous les gens qui s'improvisent journalistes, que de les confiner au travail à la pige, au travail indépendant à domicile, à mon avis, c'est très mauvais pour la qualité de l'information.

Mme Cabado : La réalité du marché fait que les journalistes indépendants n'ont pas le temps de se préoccuper de leurs droits. Ils sont plutôt dans une course à la pige et il y a énormément de journalistes indépendants qui font des burn-out, parce qu'ils sont toujours en train de courir.

S'ils veulent arriver à avoir un salaire décent, ils doivent travailler sans cesse, dans des conditions terribles, avec des pressions trop grandes de la part des employeurs et des exigences de performance qui sont parfois insurmontables. Il n'y a pas d'étude qui a été faite sur la question. Dans mon environnement, je connais plusieurs journalistes qui sont affligés d'épuisement professionnel. Ce point me semble très important.

En ce moment, l'AJIQ établit une liste des tarifs de pige dans les divers médias québécois. Parmi les questions posées aux gens dans le cadre de notre enquête, il y en a une sur les droits d'auteur. On pose la question suivante : « Dans chacun des médias pour lesquels vous travaillez, quelles sont les conditions qu'on vous offre concernant vos droits d'auteur? »

Les gens ne répondent jamais à cette question. Quand on les relance, ils disent : « Je ne sais pas. ». C'est donc dire qu'on est dans un système où on pare au plus urgent. J'allais faire un comparatif avec le travailleur clandestin qui travaille de nombreuses heures pour deux sous dans des ateliers clandestins, puis qui ne va pas se préoccuper d'autre chose que d'avoir l'argent en bout de ligne pour pouvoir manger. C'est très caricatural et bien exagéré, mais quelque part, il y a une similitude.

Il faut aussi noter qu'il n'y a pas de syndicat de journalistes ici. L'association qui a le plus de pouvoir, c'est la Fédération professionnelle des journalistes qui représente les salariés, qui sont défendus par les syndicats, qui ont d'excellentes conditions et qui eux-mêmes n'ont aucune conscience des réalités vécues dans leur propre métier par les pigistes.

L'Association des journalistes indépendants est une mini association qui n'a aucun pouvoir. Nous sommes 11 personnes au conseil d'administration, qui avons nous aussi des activités professionnelles et familiales et qui donnons le maximum de temps pour défendre la profession, mais le travail est gigantesque.

Il faudrait aussi trouver une façon de donner des moyens d'action à l'AJIQ, de manière à ce qu'elle puisse mobiliser et fédérer les journalistes indépendants; ce qui, pour l'instant, n'est pas possible.

La présidente : Je me souviens qu'au tout début des reproductions dans d'autres médias, l'un des problèmes, si on voulait payer des droits, c'était de prévoir les coûts et de les administrer. Parce que si on vendait l'accès, par exemple, aux archives, dans le journal et d'autant plus maintenant avec Internet, contrôler l'accès c'était contre l'idée même de vendre l'accès. Mais une fois l'accès vendu au journal, on ne pouvait pas contrôler quels étaient les textes que l'acheteur voulait reprendre. Est-ce que c'était des textes de pigiste, des textes de salarié ou des photos? On ne pouvait jamais prévoir, encore moins administrer et suivre cela pour trouver qui serait payé et combien.

Alors, à vous entendre, je vois un immense appareil administratif se dessiner devant moi et je me demande si vous avez envisagé d'autres formules comme le fonds pour la photocopie ou le fonds qui existe pour les bibliothèques, pour les auteurs dont les livres y circulent. Est-ce que cette avenue pourrait vous intéresser?

M. Marsan : Je ne suis pas un spécialiste de la gestion des droits d'auteur, mais il y a une société au Québec qui fait très bien ce genre de travail pour les supports imprimés, la reproduction, et c'est Copibec, la Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction. Elle verse des redevances pour la reproduction massive de documents imprimés.

Elle commence à le faire pour le domaine électronique. Moi-même, j'ai signé une licence non exclusive avec Copibec, pour la gestion de mes droits électroniques. Si un éditeur veut publier des articles que j'ai faits sur imprimé, je vais lui dire qu'il ne négocie pas avec moi, mais avec Copibec.

L'éditeur veut reproduire un article sur un cédérom, par exemple, ou un site Internet, parfait, je leur dit de s'adresser à Copibec. Et les gens de Copibec vont tenter d'obtenir les meilleures redevances possibles pour moi, tout en conservant quelques sous pour les frais administratifs, qui sont très faibles chez Copibec, parce que c'est un organisme sans but lucratif.

Pour ce qui est de la gestion, les gens de Cedrom-SNi exploitent plusieurs bases de données. Il y a le site Internet Eureka.cc, où on retrouve des articles archivés qu'on peut acheter à la pièce. S'ils ne sont pas capables de distinguer le texte d'un journaliste salarié d'un texte d'un journaliste indépendant, c'est leur problème de gestion et non le nôtre.

De toute façon, cela fait dix ans que les entreprises canadiennes s'excitent sur le commerce électronique, c'est un tout petit problème à surmonter, à mon avis. Je n'y vois pas de graves problèmes administratifs. Ce qu'il faut tout simplement faire, c'est établir dès le départ qu'il y a une différence nette entre le droit d'auteur d'un journaliste salarié et le droit d'auteur d'un journaliste indépendant et qu'il faut verser des redevances au journaliste indépendant.

Mme Cabado : Oui, peut-être que justement là, c'est encore la différence entre le journaliste indépendant et le journaliste salarié. À l'heure d'Internet, c'est sûr que cela va devenir de plus en plus difficile de contrôler la diffusion des textes, et en même temps, ce n'est pas ce qui est le plus souhaitable.

Si j'écris un texte, plus il va être diffusé et plus je vais être heureuse, pas parce que mon nom est diffusé, mais parce que l'information sur laquelle j'ai travaillé est diffusée.

Je ne sais pas dans quelle mesure cela peut être mis en place par une loi ou de manière concrète, mais tout à l'heure je parlais des tarifs très bas au feuillet pour les journalistes indépendants. Le journaliste indépendant n'est payé que pour ce qu'il écrit, il n'est pas payé généralement pour la recherche qu'il a faite.

Au départ, si les tarifs étaient plus élevés et s'ils correspondaient au taux horaire que touche un salarié dans une entreprise, je pense qu'on s'énerverait beaucoup moins pour nos droits d'auteur et on céderait nos textes avec joie et avec le sourire.

Par ailleurs, on pourrait mettre en place, chaque fois qu'un éditeur utilise un texte qu'il a déjà publié, — il y aurait là effectivement un aspect administratif à traiter — une déclaration qui pourrait permettre de mieux contrôler et d'évaluer ce que cela peut représenter économiquement.

M. Marsan : Vous me permettez une remarque à propos d'Internet? Dans les années 1990, j'étais partisan d'un Internet totalement gratuit et ouvert, selon l'utopie des gens qui ont créé Internet, soit un milieu totalement libre, ouvert, démocratique et accessible à tous.

Malheureusement, Internet a été siphonné par les marchands, les commerçants, par des gens qui veulent en faire une chose commerciale. Je peux bien vivre avec cela.

Si Internet est totalement gratuit, cela ne me dérange pas que tous mes textes y soient, tant que cela reste gratuit. Mais si Internet est devenu un centre commercial, je veux avoir ma part du fric qui est fait avec mes textes. C'est une question de principe.

Le sénateur Chaput : Ma question s'adresse à madame Cabado. Vous avez piqué ma curiosité quand vous avez dit tout à l'heure qu'il y a une loi qui existe en France et qui traite, si j'ai bien compris, des employés qui travaillent à la pige, et non pas uniquement des journalistes et que cette loi fait en sorte que l'employeur cotise à une caisse de retraite.

À titre d'exemple, nous avons des artistes, des créateurs. J'ai moi-même une fille qui a un studio, elle est peintre, et elle doit, pour garder son statut professionnel, produire tant de pièces en deux ans, mais en même temps, elle doit gagner sa vie. Donc, elle travaille à la pige et parce que ce sont des petits contrats, elle n'a aucune caisse de retraite.

Est-ce que cette loi s'applique chez vous à tous les créateurs ou uniquement aux journalistes?

Mme Cabado : Elle s'applique aux journalistes, j'en suis certaine parce que j'en ai bénéficié. Mais la loi est différente en ce qui concerne le travailleur indépendant. Le travail autonome tel qu'il existe au Canada n'existe pas en France.

Pour pouvoir se déclarer travailleur autonome, il faut pour ainsi dire monter une petite entreprise et payer diverses inscriptions et cotisations, telle la caisse pour la santé. Enfin, je me souviens qu'à l'époque où j'étais pigiste, je n'aurais pas pu être une travailleuse autonome en France, parce que je ne gagnais pas suffisamment pour payer les cotisations que le travail indépendant, tel qu'il est légiféré en France, m'aurait obligé à payer.

Donc, je pense que votre fille en France ne pourrait pas être travailleuse autonome et qu'elle serait éventuellement travailleuse au noir. En France, le travail au noir est beaucoup plus répandu qu'ici, entre autres, parce qu'il y a une impossibilité à être un petit travailleur indépendant.

Quand je suis arrivée ici, je pensais : Yé! l'Amérique, l'eldorado, merveilleux, je suis libre d'être indépendante. Puis en fait, je me rends compte que je suis libre d'être indépendante, j'adore cela, mais au niveau de la protection sociale, ce n'est vraiment pas une liberté, c'est un esclavage.

[Traduction]

La présidente : Chers collègues, nous passons maintenant à notre dernier témoin de la journée, qui n'est certainement pas le moindre.

[Français]

J'inviterais donc nos prochains invités, les représentants du Conseil de presse du Québec, à venir se présenter.

On se souviendra qu'il y a deux jours, nous avons rencontré des représentants du Conseil de presse de l'Ontario. Nous voici avec le Conseil de presse du Québec. Et nous accueillons M. Raymond Corriveau, président du conseil, et M. Robert Maltais, secrétaire général. Bienvenue chez nous! Vous connaissez le format : présentation de dix minutes, période de questions.

M. Robert Maltais, secrétaire général du Conseil de presse du Québec : Je vous remercie de l'invitation, d'autant plus qu'elle vient de vous comme ancienne éditrice de The Gazette, c'est un double plaisir pour nous. On va tenter de vous faire une présentation la plus brève possible. On a amené un certain nombre de documents qui répondent en partie, en tout cas, à certaines questions que la commission se pose.

Malheureusement sur d'autres points de vos intérêts, on doit dire qu'il nous aurait fallu avoir un délai beaucoup plus long. Il aurait fallu surtout des études spécifiques sur certaines questions pour pouvoir éclairer le comité, parce que vous posez quelques questions fondamentales.

On va faire notre présentation le plus brièvement possible et il nous fera plaisir de répondre à vos questions, en français ou en anglais, comme vous voulez.

M. Raymond Corriveau, président du Conseil de presse du Québec : Madame la présidente, sans plus tarder, comme vous avez une série de questions très pertinentes, je vais vous guider dans la documentation que nous avons amenée et nous allons nous attarder sur la dernière partie, parce que je crois que nous avons un point de vue, je dirais, exclusif et qui mérite attention, parce que nous n'avons jamais écrit de tels propos nulle part. Je crois qu'il est important de vous les transmettre.

D'abord, sur le fonctionnement du conseil, nous vous laissons un document qui fait la synthèse de l'année. Il y a heureusement une chronologie de l'existence du conseil, les grandes activités ainsi que les modalités de fonctionnement. Si toutefois, ultérieurement, vous aviez des questions, il nous fera plaisir d'y répondre.

La première question : « Les Canadiens ont-ils accès à une quantité et une qualité suffisante d'informations sur les affaires internationales, nationales, régionales et locales? » Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer sur toutes ces questions clés qui intéressent les membres du comité.

M. Maltais a invoqué un certain nombre de raisons. Je dois vous dire cependant que nous travaillons sur l'hypothèse de faire une tournée du Québec, mais elle n'est pas encore réalisée, donc nous aurions pu amener des éléments contributifs. Si cela se réalise avant la fin de vos travaux, nous pourrions vous envoyer d'autres documents.

La seconde question : « Les collectivités, les minorités et les centres éloignés sont-ils bien desservis? » La desserte médiatique adéquate des minorités n'apparaît pas évidente. Nous vous avons transmis deux documents. D'abord, le premier résulte d'une plainte qui a été logée chez nous et qui, en fait, démontre bien les misères, parfois, de l'information régionale.

Vous pourrez constater et remarquer comment les plaintes sont traitées chez nous. Vous avez tout l'historique, le contexte, l'analyse et le jugement par la suite.

Il y a les actes du colloque sur la presse et la réalité autochtone, un colloque qui s'est tenu à Québec, en octobre 2003. Je vous invite à prendre connaissance des recommandations émises lors de ce colloque. Il y avait trois grandes recommandations et je pense que celles-ci pourraient permettre des solutions constructives à long terme. Vous comprenez bien que ce problème doit être traité dans une perspective à long terme. Nous vous laissons ce petit document.

Il y a aussi la question : « Comment le cadre de politique actuelle a-t-il permis une telle concentration des médias électroniques à Toronto et à Montréal? »

En fait, nous ne pouvons pas formuler de réponse spécifique à cette question, nous ne possédons pas d'analyse de politique comme telle.

Par contre, vous avez en votre possession une série de documents, notamment un mémoire qui a été produit en février 2001 lors d'une commission parlementaire et qui a d'ailleurs fait l'unanimité. Je crois qu'il est important de souligner que toutes les formations politiques à Québec convergeaient dans le même sens.

Là encore, des recommandations ont été faites. J'aurais toutefois une observation à faire : il est clair qu'en l'absence de loi comme certains pays en ont, et sans cadre politique, le marché a joué comme il le voulait.

Nous voulons souligner une proposition novatrice qui avait été faite à ce moment-là, soit la création d'un fonds de développement visant à favoriser la survie et l'émergence d'organes d'information indépendants. Je crois que c'est une solution intéressante qui mérite votre attention. Les autres sont intéressantes aussi, mais nous voulions plus particulièrement vous pointer celle-ci.

Cela nous amène à parler de la question des formes d'autoréglementation. Sont-elles appropriées? Au Conseil de presse, nous pouvons faire un plaidoyer en faveur de l'autoréglementation des médias. C'est illustré par l'existence de cinq conseils de presse au Canada et par plus de 30 années d'existence du Conseil de presse au Québec.

En fait, nos activités prouvent que l'autoréglementation est possible : plus de 1 600 décisions déontologiques ont été rendues suite à des plaintes contre les médias d'information. Nous avons créé plus de 10 mémoires, 24 avis et 218 communiqués.

Notre guide déontologique intitulé « Droits et responsabilités de la presse », est accessible au grand public, à l'ensemble de la communauté journalistique, et sur notre site Web.

Nous souhaitons vivement obtenir les ressources financières pour traduire tous ces documents en anglais. Nous demandons aux médias d'effectuer une médiatisation des décisions des activités du conseil dans la sphère publique.

Cependant, notre indépendance a un coût et je pense qu'il faut en parler ouvertement, ce que nous allons faire.

À l'origine, une fondation au Conseil de presse a été instituée par les membres du public et le gouvernement, au début des années 1970. Cette fondation devait, par ses intérêts, fournir la contribution du public à laquelle s'ajoutait chaque année celle des médias.

Très rapidement, cette somme est apparue insuffisante et la contribution des médias a pris une ampleur accrue. Indirectement, le conseil est devenu de plus en plus tributaire des organismes de presse. Plusieurs stratégies furent esquissées pendant un moment. Le secrétaire général était un membre de la fonction publique rétribué par l'État. Je pense qu'il est important de souligner que certains groupes de presse, depuis des années, ont fait preuve d'une grande maturité et d'une grande fidélité au conseil. Cependant, il faut aussi dire que certains indices nous portent à croire que d'autres regroupements médiatiques utilisent la question financière comme un moyen de pression.

Au cours de notre histoire, nous avons été tellement handicapés par le manque de ressources que pendant un temps, les décisions prenaient de 12 à 18 mois avant de paraître. Actuellement, nous en sommes à quatre à cinq mois. Le seuil du quatre mois nous apparaît un seuil difficile et non souhaitable à franchir, parce que nous avons environ 500 requêtes par année qui conduisent à une centaine de jugements.

La différence entre les deux, c'est un exercice de médiation que nous effectuons. Donc, comme vous le voyez, on pourrait difficilement donner le temps aux parties de s'exprimer en moins de temps.

Tous mes prédécesseurs, incluant les deux derniers, ont lancé des cris d'alarme sur la question du financement et de l'autonomie du Conseil de presse. Je vous invite à lire ce que nous avons inscrit en toute première page, c'est le premier président du Conseil de presse, en juin 1977, qui parlait du financement comme le talon d'Achille du Conseil de presse. C'est assez émouvant de voir qu'il disait qu'on devait trouver une solution structurelle à ce problème, en raison du temps de bénévolat que les administrateurs ont donné au conseil. Nous l'avons souligné en page trois, au tout début.

L'an dernier, nous avons évité un déficit grâce à une donation spéciale de la fondation, mais comme vous avez bien compris, cela nous précarise à long terme, puisque les revenus d'intérêts s'en trouvent amoindris. Cette année, nous avons un déficit anticipé en raison du retrait d'une association vouée aux activités médiatiques.

Voilà le constat, imaginons des solutions, si vous le voulez bien. En fait, force est de constater que malgré la bonne volonté de certains groupes de presse, la contribution volontaire des médias et des organisations de presse s'est avérée, au fil des ans, plus ou moins fiable. Quand on veut gérer le Conseil de presse, il faut être capable d'avoir des flux de trésorerie sans surprise, en fait.

Le conseil étudie diverses modalités. Notre conseil d'administration va se pencher sur cette question épineuse au cours de l'hiver et du printemps prochain. Il faut évidemment qu'on trouve une solution structurelle à ce problème.

En fait, une solution qui permettrait l'étanchéité du conseil en regard des pressions financières aussi bien que politiques pourrait être la création d'un fonds compensatoire auquel les grands propriétaires des médias s'engageraient à contribuer. De sorte que si un partenaire se retire, le fonds pourrait compenser et les grands propriétaires de médias verraient, de la manière qu'ils le souhaitent, à maintenir le fonds actif de façon à ce qu'il puisse toujours assurer un financement régulier au conseil.

Le problème que l'on y voit, c'est que les grandes entreprises de presse ne sont pas un mode de collaboration, il faut bien être lucide là-dessus, ils sont en féroce compétition les uns avec les autres.

Nous avons tenté diverses pistes en ce sens, mais actuellement, on n'a pas de solution, cela ne s'est pas avéré très fiable.

En fait, le conseil possède un budget de près de 380 000 dollars par année, dont 70 000 dollars de la fondation, 200 000 dollars ou un peu plus des membres des grandes organisations de presse. Le reste, on va chercher de l'argent un peu partout. On pourrait alors se demander si l'État pourrait compenser d'environ 200000dollars, ce que les entreprises privées donnent?

Il faut dire que le gouvernement québécois est plutôt en quête de fonds ces temps-ci. Il se voit mal investir dans un secteur où des grands groupes financiers sont actifs. Ils ont plutôt tendance à dire : Il y a tellement d'argent là, peut-être qu'ils pourraient régler leur problème entre eux.

Entre la précarité financière de l'État et les situations de concurrence ontologique des médias, est-ce qu'on peut imaginer une solution hybride, c'est-à-dire par règlement que l'État pourrait veiller à ce qu'il y ait une contribution obligatoire au conseil? Il faut dire que nous avons toujours veillé à garder notre indépendance aussi bien envers l'État qu'envers qui que ce soit d'autre et il n'y a pas d'acte constitutif, il n'y a pas de loi. Nous sommes incorporés, nous sommes indépendants, mais pas plus. Il n'y a pas de loi qui a donné naissance au Conseil de presse.

Il y a toujours les solutions de réduire nos activités, mais comme l'année qui se termine plaide pour une toute autre orientation, on a vu le rôle que la société civile nous a demandé de jouer, dans le cas, par exemple, de Saint-Charles- Borromée, où on a bien vu que la société civile avait besoin d'un arbitre; rôle que nous avons joué et qui a été salué par des éditorialistes, à mon avis, prestigieux, qui ont apprécié notre travail.

Vous voyez que les avenues ne sont pas simples et nous cherchons toujours une solution au conseil. Je pense qu'il faut souligner que les administrateurs bénévoles qui proviennent de tous les horizons, que ce soit les patrons de presse, les journalistes et les citoyens, des femmes, des hommes, malgré nos difficultés financières, depuis plus de 30 ans, continuent à travailler de façon bénévole pour la survie du conseil.

On a fait une petite estimation qui est vraiment très prudente, qui exclut les temps de transport et nous en sommes à plus de 54000 heures de temps de bénévolat accordé au Conseil de presse. C'est absolument fantastique. Nos administrateurs sont des personnes absolument dévouées.

Je pense que nous leur devons une solution. C'est ce que nous avions à vous dire aujourd'hui. Nous sommes à l'écoute de vos questions.

La présidente : Juste avant de passer aux questions proprement dites, je vais vous demander de mieux décrire le cas de Saint-Charles-Borromée, parce que pour mes collègues non québécois, c'est peut-être moins connu et cela illustre bien la complexité des questions sur lesquelles il faut parfois se pencher.

M. Corriveau : Je vais laisser la parole au secrétaire général, parce que je n'étais pas en présence comme président, à ce moment-là et Robert Maltais a vraiment l'ensemble de tout le contexte.

M. Maltais : Je vous rappelle que Saint-Charles-Borromée, c'est une histoire de patients d'un centre hospitalier, des gens très vulnérables qui ont eu des mauvais traitements. L'histoire est sortie dans la presse, à la fois à Radio-Canada et dans le journal La Presse.

Le cas a été extrêmement médiatisé et au cours des tout premiers jours de l'événement, le directeur général de Saint- Charles-Borromée, M. Léon Lafleur s'est suicidé.

Or, le premier ministre du Québec n'a pas hésité à pointer du doigt les médias et à inviter ceux-ci à faire un examen de conscience. On a trouvé le premier ministre Charest un peu rapide sur la détente et on croyait nous aussi qu'il fallait faire une autocritique de l'histoire. Donc, nous avons constitué trois groupes de travail qui se sont penchés sur cette histoire, qui ont écouté une dizaine d'heures d'enregistrement audio-visuel de stations de radio et de stations de télévision et qui ont examiné le travail de tous les quotidiens du Québec, principalement. Donc, quelque 111 textes ont été analysés.

Le comité a conclu que, globalement, la majorité de la presse francophone et anglophone s'était assez bien tiré d'affaire, à l'exception malheureusement de quelques dérapages. Il y a eu des dérapages majeurs et, dans quelques cas, des dérapages mineurs.

Notre groupe de travail a trouvé des problèmes chez à peu près tous les médias, dans le cas de dérapages mineurs. Et dans le cas de dérapages majeurs, il s'agissait plutôt d'improvisation de gens à l'antenne de station de radio à travers le Québec.

Nous avons fait un travail, nous avons publié ces résultats à la suite du travail effectué par les membres de ce comité spécial. Finalement, on répondait à un certain nombre de questions.

M. Corriveau : À la page 85 de notre rapport annuel d'activités, un élément synthèse s'y retrouve si vous voulez en prendre connaissance.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Nous n'avons pas de conseil de la presse en Saskatchewan, mais à ma connaissance, ces conseils se composent de propriétaires de journaux, de journalistes et de simples citoyens. Comment ces derniers sont- ils désignés?

[Français]

M. Corriveau : Des publicités sont faites dans les médias, ceux écrits surtout, où on annonce des postes disponibles au Conseil de presse. Les gens intéressés peuvent soumettre leur candidature.

Par contre, des comités de sélection ont été créés et ils tiennent des audiences, des entrevues pour la sélection des candidats. Je ne sais pas si je résume assez bien?

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Est-ce qu'ils sont rémunérés?

[Français]

M. Maltais : Non, personne n'est payé.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Est-ce qu'ils sont tous bénévoles?

[Français]

M. Maltais : Tout le monde est volontaire, tout le monde est bénévole. Les 22 membres de notre conseil d'administration sont des bénévoles. Notre président a un modeste cachet, mais très minimal. Comme il est professeur d'université, c'est peut-être viable dans son cas.

M. Corriveau : Je le redonne à mon université.

M. Maltais : Voilà, tout le monde est bénévole, à l'exception d'une petite permanence, il y a quatre employés au conseil, trois employés qui travaillent avec moi.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : À la page 43 du document anglais intitulé « Mission, Goals and Operation of the Press Council of Québec » j'ai été intrigué par le passage suivant :

Le conseil de presse est également un lieu de réflexion et de débat permanent sur la déontologie journalistique. Il cherche à développer chez le public le goût d'une information complète, rigoureuse et authentique, inspirée par un souci constant d'intégrité professionnelle, et à le rendre de plus en plus conscient du rôle essentiel de la presse dans une société démocratique.

Je suppose que cette question de déontologie s'applique non seulement aux journalistes, mais également aux propriétaires de journaux.

[Français]

M. Corriveau : Toutes les discussions qui se tiennent au conseil, sur tous les comités, à toutes les instances, sont toujours tripartites. Il n'y a pas une instance du conseil où on ne retrouve qu'un groupe d'individus. Sur toutes les instances du conseil, à quelque niveau que ce soit, le bureau de direction, le conseil d'administration, le comité des plaintes, la commission d'appel, il y a toujours la représentation tripartite, c'est une obligation.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Est-ce qu'il arrive que la question des droits d'auteur soit abordée? Elle a été soulevée par le groupe précédent de journalistes pigistes, qui se préoccupent de leur mode de rémunération, et qui aimeraient savoir pourquoi on s'adresse à eux. Ils ont rappelé le cas d'un journaliste qui voulait être rémunéré non seulement pour l'article qu'il avait produit, mais également pour les droits d'auteur sur les utilisations futures de cet article. Une telle demande paraît normale, mais ce journaliste s'est fait envoyer ballader.

Ne serait-ce pas-là un bon sujet de débat pour le conseil de la presse? Peut-être pourrait-il intervenir avant que le gouvernement ne le fasse à sa place.

[Français]

M. Maltais : Oui, on peut dire qu'il n'y a aucune question d'ordre patronal ou syndical de salaire, ou autres, négociée au Conseil de presse, c'est non recevable. Notre juridiction ne porte que sur les actes professionnels des journalistes.

On fait une évacuation et on a un équilibre difficile à garder, parce qu'il y a des patrons et des journalistes et des gens du public. Or, les gens du public nous aident toujours à ramener et les patrons et les journalistes, sur le terrain de l'éthique des actes professionnels. Il n'est absolument pas question de discuter des salaires des journalistes. Il y a des syndicats pour cela, ce que nous ne sommes pas, puisque tout Conseil de presse au Canada joue le rôle de juge, en quelque sorte.

Nous avons à juger, sur plan déontologique, de la qualité de l'information qui est livrée. C'est ce qu'on fait. Et donc, nous évacuons toutes discussions qui n'ont rien à voir avec notre mandat et qui relèvent des conventions de travail.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Je ne parle pas du paiement, je parle du principe. Il n'est pas nécessaire de parler de la valeur du travail, mais il faut bien parler des droits d'auteur. Les propriétaires de journaux ont la même obligation que les journalistes d'en discuter et d'agir correctement.

Comment les médias pourraient-ils discuter des droits d'auteur s'ils n'ont jamais débattu eux-mêmes de la nature déontologique de leur traitement des droits d'auteur? Vous voyez ce que je veux dire?

[Français]

M. Corriveau : Je comprends bien votre question, mais nous sommes centrés sur la problématique du droit du public à l'information. Donc, si les questions de droits d'auteur ou certaines modalités organisationnelles autour de cela étaient démontrées comme un problème du droit du public à l'information, il y aurait différents mécanismes que les gens pourraient utiliser, entre autres de loger une plainte au conseil que nous étudierions à ce moment-là.

Il faut savoir que nous faisons référence souvent à notre guide de déontologie, « Droits et responsabilités ». Et la question, il faudrait voir si nous pouvons traiter de ce sujet. Selon le fonctionnement du conseil, les membres du conseil d'administration peuvent réclamer du conseil une prise de position sur une problématique contemporaine.

Il faudrait donc qu'il y ait des gens, de quelque milieu que ce soit, qui soulèvent ce point-là. Je crois qu'actuellement nous n'avons pas de précédent dans ce domaine, parce que trop souvent cela louvoie avec des modalités organisationnelles à propos desquelles nous voulons nous tenir à l'écart, étant surtout dans la problématique du droit du public à l'informatique, soit ce qui circule déjà dans la sphère publique.

Le sénateur Chaput : Si j'ai bien compris, vous avez dit au début de votre présentation que vous étiez en accord avec l'autoréglementation des médias, parce que c'est essentiellement ce que vous faites, n'est-ce pas? Il y a cinq conseils de presse au Canada et c'est ce qu'ils font aussi, si je comprends bien?

M. Corriveau : Oui, nous sommes le seul à traiter aussi bien des médias écrits qu'électroniques, je crois.

Le sénateur Chaput : Relativement à la réglementation et à la supervision des médias d'information du Canada, quel rôle, d'après vous, le CRTC devrait-il jouer, si tant est qu'il devrait en assumer un? Sous quelle forme et qu'est-ce qui serait approprié pour appuyer ce que vous faites chez vous?

M. Maltais : Vous avez d'excellentes questions, madame.

M. Corriveau : Oui, sauf que le problème est que votre question demanderait une analyse pas mal plus poussée que ce que je peux vous donner maintenant. Et ce ne serait pas vous rendre service que de vous dire quelque chose, à mon avis, qu'on n'a pas suffisamment analysée.

Il faut retenir, on peut parler de notre expérience et nous l'avons écrit dans le cas de CHOI, par exemple, que le CRTC a un rôle à jouer, c'est clair. Nous avons publié un article dans Le Devoir, qui a été repris dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec, dans lequel nous nous sommes interrogés sur ce que nous faisons, en fait, en disant : Nous avons une pénalité de proximité au Conseil de presse.

C'est-à-dire que si un animateur en ondes tient des propos qui ne sont pas acceptables en société, au Conseil de presse, nous allons loger un blâme à l'animateur.

Dans cet article, nous invitons le CRTC à réfléchir sur l'évolution des technologiques médiatiques. La base, je dirais, en langage universel on dirait la base topique, l'axe majeur, le noyau de légitimité du CRTC repose sur la précarité des ondes.

Cette question va changer au fil des années de par l'arrivée de nouvelles technologies et la base de légitimité ne pourra plus être la précarité des ondes, parce qu'il y aura accessibilité, il n'y aura plus de restriction des ondes disponibles.

Ce qui nous amenait à inviter le CRTC à réfléchir, dans une certaine mesure, à d'autres solutions plutôt que de retirer une licence, éventuellement. Présentement, c'est tout à fait légitime, en raison de la précarité des ondes. On invitait le CRTC à réfléchir sur la possibilité de pénalité de proximité, comme nous le faisons.

Cela veut dire tout un nouvel appareillage juridique. De toute façon, j'ai l'impression que nous devrons y arriver un jour. C'est en ce sens que nous invitions le CRTC à réfléchir dès maintenant à cette problématique, parce que la journée où les ondes seront accessibles en grand nombre, pour des raisons de transformation digitale, ils seront devant un tel problème. C'est un élément sur lequel on peut dire que nous avons réfléchi il y a un certain temps.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Le conseil de la presse de l'Ontario nous a dit que les ombudsmans de l'Ontario — je ne sais plus s'il s'agissait d'un journal ou de deux journaux — ont perdu leur poste pour motif d'austérité budgétaire. Que s'est-il passé au Québec? Est-ce que tous les grands journaux ont des ombudsmans qui instruisent les plaintes émanant des journalistes ou du public?

[Français]

M. Corriveau : À ma connaissance, il n'y a pas d'ombudsman pour les médias écrits.

M. Maltais : Il n'y en a plus. The Gazette en avait un. Madame Fraser en sait quelque chose, vous aviez un ombudsman. Il n'en reste qu'à Radio-Canada, CBC Radio-Canada, maintenant au Québec. Les journaux n'en ont plus.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Serait-ce une bonne chose?

[Français]

M. Corriveau : Peut-être que ces gens ont réfléchi aussi à l'historique du conseil et à l'impact du conseil. Ils ont peut- être préféré intervenir en finançant le conseil. Gesca est avec nous depuis très longtemps, mais on voit maintenant le Groupe Quebecor se rallier au conseil et nous en sommes très heureux.

Peut-être que la réflexion qu'ils tiennent, c'est qu'attendu le travail très sérieux du Conseil de presse, notre accessibilité à tout le monde, — je ne le sais pas, je parle pour eux — qu'ils jugent qu'on fait un travail suffisant pour régler les problèmes de déontologie au Québec.

M. Maltais : Une autre particularité, une différence avec nos collègues de l'Ontario, c'est que les autres conseils de presse canadiens ont pris la voie suivante, c'est-à-dire qu'ils ne s'occupent que des médias qui sont membres. Ce sont un certain nombre de journaux qui sont membres, la majorité des cas ce sont des quotidiens. C'est un peu l'ancien modèle britannique, d'ailleurs, de l'Angleterre.

Alors que nous, que les médias le veuillent ou pas, nous nous occupons d'eux, en leur disant que c'est le droit du public à l'information. Si le citoyen est brimé, que le média soit membre ou pas, il va devoir répondre à l'interpellation du Conseil de presse.

Nous en menons un petit peu plus large sur ce côté, nous sommes les défenseurs, les représentants, à la limite, de tous les citoyens du Québec. Les médias doivent répondre au Conseil de presse, qu'ils soient membres ou non.

La présidente : Vous me permettrez, c'est un peu inhabituel, mais juste pour clarifier un point, puisqu'on a parlé de ma vie antérieure. Il est vrai qu'il y a environ dix ans, j'ai aboli le poste d'ombudsman au journal où je travaillais à l'époque et ce n'était pas du tout parce que je trouvais que le Conseil de presse suffisait. Au contraire, à mon avis, il ne pouvait pas y avoir trop de mécanismes d'autosurveillance. C'était purement et simplement une question de coût. Combien de gens avait-on le droit d'avoir à notre salle de rédaction et quels étaient les plus importants à préserver? Est- ce que c'était les journalistes qui fournissaient l'information ou l'ombudsman qui jugeait de leur conduite? J'ai pris la décision, bonne ou mauvaise, qu'un journaliste était encore plus important qu'un ombudsman. Mais je ne voudrais absolument pas que ce soit interprété comme indiquant un jugement sur la valeur des ombudsmans, ni selon mon opinion de l'époque, ni celle d'aujourd'hui. Vous m'excuserez, chers collègues, de cette interruption.

[Traduction]

Le sénateur Munson : C'est parfait.

Je me demande simplement comment les lecteurs se font une opinion dans ce monde de convergence. Est-ce les journaux du Québec, comme La Presse ou le Journal de Montréal s'inquiètent de la convergence? Où est-ce que le public peut s'exprimer?

C'est très bien de recevoir une belle lettre du conseil de la presse, mais j'ai l'impression qu'il n'existe aucun organisme public qui protège les droits du lecteur.

[Français]

M. Corriveau : Je dois vous dire que votre question nous place dans une situation très inconfortable et je vais vous expliquer pourquoi.

Des membres d'un syndicat ont logé une plainte au Conseil de presse sur la question de la convergence et des effets sur l'information. À partir du moment qu'il y a une plainte qui est logée au conseil, nous devons nous abstenir de tout commentaire à cet égard, dans la mesure où nous devons, d'une part, protéger le travail du comité des plaintes, qui analyse cette plainte.

Et d'autre part, étant moi-même président de la commission d'appel, je me dois absolument de ne faire aucun commentaire à cet égard, puisque s'il y avait appel, je devrais présider la commission d'appel.

Nous avons reçu au cours du dernier mois, je crois, une plainte à ce sujet et nous allons l'analyser comme nous le faisons d'habitude.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Étant donné la nature multiculturelle et multiethnique du Canada, recevez-vous beaucoup de plaintes des groupes minoritaires quant à la façon dont la presse les représente? Je crois que depuis le 11 septembre tout particulièrement, certains groupes se sentent marginalisés et ne sont pas heureux de la façon dont on interprète ce qui se passe dans d'autres régions du monde. Il y a d'autres réseaux aujourd'hui, d'ailleurs, qui veulent avoir accès au marché canadien, et je me demande si beaucoup de citoyens se tournent vers vous pour obtenir justice, si je peux m'exprimer ainsi?

[Français]

M. Corriveau : Je vais référer une partie de votre question à la mémoire institutionnelle qui est à ma gauche.

M. Maltais : Oui, nous avons régulièrement des plaintes, on en a toujours eu. Sauf erreur, je pense que depuis les événements du 11 septembre, il y a eu une légère augmentation de plaintes de différentes communautés ethniques.

Il y a, vous le savez très bien, une frilosité plus grande de différentes communautés depuis le 11 septembre. Cependant au Conseil de presse, on se rappelle, quand on travaille que ce sont toujours les mêmes normes déontologiques et nous y portons une grande attention.

D'abord, on cherche une justice, l'équité dans les décisions qu'on rend, mais nous sommes très prudents de ne pas tomber dans l'inverse, qui s'appelle la rectitude politique qui nous fait aussi peur, parce que nous traitons spécifiquement de déontologie.

Tous les citoyens sont sur le même pied et évidemment, cela inclut les différentes communautés ethniques canadiennes et québécoises.

M. Corriveau : Je vous dirais que les communautés ethniques ont toujours été assez vives à réagir à toute forme d'injustice. Et depuis que j'y suis, soit plus de dix ans, même ayant quitté et étant revenu à la présidence, on a toujours observé une très grande vigilance auprès des communautés ethniques.

Oui, il y en a peut-être un petit peu plus, mais il n'y a rien de très nouveau à cet égard. En ce sens que peut-être que le problème perdure, s'il n'y a rien de nouveau.

Je rappelle qu'au conseil, nous n'avons pas de pouvoir juridique, ce n'est qu'un pouvoir moral. Par contre, nous demeurons accessibles à tous. Sur la question d'accessibilité, l'ex-mairesse de Sainte-Foy disait : « Une poursuite c'est 100millions de dollars, dix ans plus tard. »

Il y a très peu de citoyens qui peuvent se permettre des poursuites juridiques. Le conseil, de par sa mécanique d'accessibilité, est très à l'écoute des minorités ethniques et très accessible.

Je pense également à la question autochtone pour laquelle nous avons fait, par exemple, un colloque spécial. Et dans la tournée que nous voulons faire du Québec, c'est clair qu'il faudra aller voir les communautés autochtones, si le conseil d'administration décide et si nous trouvons l'argent nécessaire pour le faire, bien évidemment.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Est-ce que certains membres de votre conseil d'administration sont en mesure de composer avec ce genre de problèmes? Sont-ils des représentants des groupes minoritaires? J'aimerais savoir si vous comptez des représentants des groupes minoritaires parce que, parfois, ils peuvent présenter une perspective différente des choses. Ils ont une perception différente du sujet parce qu'ils ont justement vécu cette situation.

[Français]

M. Corriveau : Oui, nous avons des membres qui représentent les minorités ethniques dans notre conseil d'administration et sur les différents comités.

M. Maltais : Nous avons même le plaisir de vous dire que nous avons des gens qui sont des membres de la communauté autochtone, la communauté arabe, la communauté juive, anglophone, francophone. Finalement, je pense que ce n'est pas l'ONU, mais ce n'est pas loin, à certains égards. C'est intéressant qu'on puisse bien être représenté et généralement, peu importe la provenance des membres de notre conseil d'administration, nous n'avons jamais eu de moment de dispute, ils s'entendent bien, puisque notre terrain est toujours celui de l'éthique.

L'éthique c'est l'équité entre les êtres humains. Je pense qu'il y a toujours moyen de trouver un terrain de compromis sur cette base et c'est ce que le monde fait en général, en faisant abstraction de certaines sensibilités culturelles qui sont tout à fait légitimes. Nos membres tentent d'en faire abstraction de manière à ce qu'on puisse travailler dans le sens d'une justice la plus grande possible.

M. Corriveau : Il faut comprendre que la manière dont fonctionne le conseil, c'est que les comités, au fond, accueillent les nouveaux membres un à la suite des autres. Il y a donc une période pédagogique à l'intérieur de chacun des comités. C'est très impressionnant de voir des gens qui viennent de différents horizons et c'est absolument fascinant de voir que lorsque les gens analysent des plaintes jusqu'à quel point le corporatisme n'existe pas.

On pourrait penser que des journalistes prennent pour les journalistes, c'est absolument faux, ce n'est pas du tout comme cela que ça fonctionne. Il y a vraiment un détachement du corporatisme qui s'exerce. Pour moi, en fait, c'est la raison pour laquelle je suis revenu à la présidence, c'est une des expériences les plus impressionnantes de ma vie, je dirais, de voir fonctionner ces comités.

[Traduction]

Le sénateur Merchant : Comment les gens entrent-ils en contact avec vous? Est-ce par écrit seulement? Avez-vous des rencontres publiques où les gens peuvent intervenir? Il arrive que dans le contexte d'un groupe, les gens soient confortés dans leur résolution s'ils constatent que d'autres membres de leur collectivité vivent le même problème. Organisez-vous à l'occasion des réunions publiques, ou ces gens doivent-ils vous écrire? Comment peuvent-ils communiquer avec vous?

[Français]

M. Corriveau : Nous tenons des colloques, c'est déjà une première façon. Nous avons tenu certaines audiences sur certains sujets. Une des mécaniques, toutefois, qui demeure la plus utilisée, c'est celle de la plainte.

La diffusion des jugements rayonne vraiment dans les communautés. D'ailleurs, on veut inciter les médias d'augmenter la diffusion de certains jugements qui ont été émis au conseil.

Nous avons des revenus modestes. Donc, il y a plein de choses qu'on voudrait faire, mais il faut s'attaquer à une chose à la fois. Je pourrais vous nommer une liste des points absolument fascinants qui nous sont soumis et sur lesquels nous pourrions faire des mémoires, mais il y a une réalité financière aussi.

M. Maltais : J'ajouterais, si vous me permettez, que les attentes que nous communique le public — nous sommes quotidiennement en relation avec le public, les gens nous interpellent beaucoup — sont très nombreuses et on ne peut pas répondre à toutes. Elles sont souvent légitimes et le public s'attend à ce que la presse en général rende des comptes. On constate que malheureusement, cela ne se fait pas suffisamment, alors on est là pour faire de la pédagogie, de l'éducation, modestement dit, en ce sens.

Ces comptes au public ne se rendent pas suffisamment. Quels sont les meilleurs mécanismes? Il y a la présence du CRTC, le Conseil de presse, des médiateurs dans des médias.

Je suis un ancien journaliste, et je peux vous dire que les journalistes ont la manie, et les médias également, de dire qu'ils n'ont des comptes à rendre qu'au public. C'est un beau principe, mais cela ne se fait pas vraiment.

Nous travaillons quotidiennement pour que les médias et les journalistes rendent des comptes au public. Je dirais — et je ne suis pas sûr d'être supporté par mon conseil d'administration là-dessus — que souvent les médias sont un cordonnier mal chaussé.

C'est-à-dire qu'ils communiquent ce qui se passe à l'intérieur de la société, mais ils oublient de communiquer sur eux-mêmes, expliquer au public ce qu'ils sont et ce qu'ils font. Ils ne le font pas.

Le public a le droit de savoir, enfin, c'est un service public, dit-on. Si tel est le cas, expliquons. Ce n'est pas parce qu'on est de propriété privée que ce n'est pas un service public. Cette notion échappe malheureusement. Nous sommes là, au quotidien, pour leur rappeler.

M. Corriveau : Je crois que dans la société québécoise, au cours de la dernière année, il y a eu un film et un certain nombre d'événements, le cas Saint-Charles-Borromée en est un, d'ailleurs, où le monde journalistique a été interpellé.

Les jugements de la Cour suprême sont interpellants, sur le dossier Néron, par exemple. Je pense que dans la communauté journalistique actuellement, il y a une prise de conscience plus grande. Ils sont un peu comme nous, ils cherchent des mécanismes.

Je ne trahirais personne en disant que nous avons de bons échanges avec la Fédération professionnelle des journalistes, on réfléchit ensemble, pour voir — pour abonder dans le sens du secrétaire général — comment on peut sensibiliser les gens à une plus grande responsabilité, comment on peut mieux accompagner les gestes, la bonne pratique journalistique, comme le jugement sur l'affaire Néron le recommande.

Au dernier congrès de la FPJQ, il y a eu plusieurs interventions. Le juge Robert a signalé aux journalistes qu'ils devraient réfléchir à une corporation professionnelle ou, à tout le moins, un mécanisme pour déterminer les guides de la bonne pratique.

La cour n'aime pas beaucoup déterminer pour quelqu'un d'autre les guides de la bonne pratique. Il disait que ce serait peut-être via ce moyen. Je ne dis pas que ce doit être ce moyen, mais c'est quand même des gens très importants. Il y a eu une séquence d'événements qui interpellent le monde journalistique. Il y a un processus en cours à ce sujet.

La présidente : Je vous remercie. J'aurais deux questions à vous poser. La première : êtes au courant des travaux du Conseil de presse en Ontario et d'autres? Est-ce que vous constatez des différences de philosophie, des divergences entre les médias francophones et les médias anglophones?

M. Maltais : Il y a beaucoup de similitudes dans le travail des deux conseils de presse. Nous recevons régulièrement les rapports annuels d'activités du Conseil de presse de l'Ontario.

On peut dire certainement que cela témoigne autant d'une grande activité, avec des moyens quand même assez réduits au Conseil de presse de l'Ontario. L'activité est assez grande. Les principes déontologiques que nous défendons sont à peu près les mêmes. On n'a pas inventé les boutons à quatre trous, ce sont des principes occidentaux, en Europe comme en Amérique. Il y a beaucoup de similitudes.

Je pense que la seule vraie grande différence, c'est qu'on veut faire un effort plus grand pour aller chercher des moyens. Peut-être le font-ils également, mais notre couverture s'étend à la presse électronique.

La présidente : Voilà. C'était ma deuxième question, vous m'ouvrez la voie.

Les moyens que vous avez cherchés, vous acceptez de l'aide financière et même parfois, dans votre histoire, du personnel de l'État.

M. Corriveau : Oui.

La présidente : Cela m'a toujours semblé un peu étonnant de la part d'un organisme lié aux médias d'information. Cela ne vous a pas gênés?

M. Corriveau : Je pense que la question de l'assistance de l'État, dans la mesure où les balises sont là, est acceptable. Est-ce que les influences économiques sont pires que les influences politiques? Si nous avons des problèmes, c'est que nous avons toujours témoigné d'une indépendance.

Donc, il est clair que les représentants du public n'ont pas les moyens d'amener des contributions et c'est dans cet esprit qu'on va chercher, de temps à autre, l'aide de l'État. Cette aide n'est absolument pas liée, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de condition quelle qu'elle soit de rattachée. Nous n'accepterions jamais une condition de quelque ordre que ce soit.

Cela fait partie d'une réalité de sous-financement. C'est pourquoi je vous disais que la solution idéale que nous y voyons serait un fonds de compensation fourni par les entreprises de presse elles-mêmes, de façon à ne pas avoir la nécessité de demander l'argent à qui que ce soit.

Par contre, sur des dossiers précis, je pense à la traduction de nos documents, à titre d'exemple, est-ce que cela serait si grave que d'avoir une subvention du gouvernement fédéral?

La présidente : C'est quand même l'État.

M. Corriveau : C'est l'État, mais est-ce que de quelque manière que ce soit, cela pourrait influencer nos comités? Jamais. Ces gens sont absolument étanches.

En fait, quiconque essaierait de faire une pression sur un membre, ce serait un scandale à l'intérieur du Conseil de presse. Je me tiens à l'écart du comité des plaintes. Je ne veux absolument pas y toucher ni de près ni de loin, et je reçois, comme les médias, la liste des plaintes qui ont été logées. On est très vigilants à cet égard.

Vous soulevez quand même une bonne question, et mon président y a répondu. De façon complémentaire, l'autonomie du Conseil de presse est à protéger par rapport à nos propres membres.

La présidente : C'est certain.

M. Maltais : Non seulement l'État peut menacer l'autonomie du conseil, mais même les entreprises de presse, puisqu'elles financent majoritairement le conseil. Comment trouver un équilibre? Vous savez, le danger est multiple, il peut venir de partout.

Le sénateur Chaput : Vous avez de très bonnes réponses à toutes les questions que nous avons posées aujourd'hui.

Dans toute association, il y a certaines difficultés ou défis, pour ne pas dire problèmes. Quelle est votre difficulté? Vous ne semblez pas en avoir tellement. Il semble que ça va bien, vous avez des bonnes réponses.

M. Corriveau : En fait, la difficulté actuelle est de revoir l'ensemble de nos procédures, parce qu'on veut demander de l'argent à quelqu'un d'autre. Avant de déranger les autres, il faut se déranger soi-même. On est en train de revoir l'ensemble de nos procédures.

Nous sommes à définir de façon très pointue comment se décide la mécanique d'émettre un avis, quels sont les filtres qu'on doit utiliser à l'intérieur de notre propre organisation. Et ce sont des choses qui doivent être faites.

On a toujours du travail à faire à l'interne. Et après un certain nombre d'années, il faut se poser la question : Est-ce encore adéquat?

Par contre, c'est la question d'indépendance financière qui demeure, à mon avis, la chose à régler. Il faut absolument que nous arrivions à avoir une modalité de fonctionnement avec un montant suffisant de trésorerie, de façon à ne pas amputer la façon de fonctionner du conseil.

Depuis 30 ans, nous avons développé quelque chose qui va bien, à mon avis, grâce au nombre impressionnant d'heures de bénévolat que vous avez pu constater. Les attentes de la société civile sont de plus en plus grandes à notre égard.

Si on veut répondre à de telles attentes — et nous le devons, nous sommes là pour ça — il nous faut un mode de financement. Par exemple, nous avons une analyste junior qui détient deux baccalauréats, un en littérature et l'autre en droit, et elle termine sa maîtrise en communication, mais je ne peux pas l'embaucher à l'année, et je voudrais le faire. Nous aurions besoin d'elle à l'année.

Alors, quand je parle de problèmes, il s'agit de cela. Concrètement, cela veut dire que j'aimerais, l'an prochain, avoir un budget qui me permette d'engager cette personne à l'année.

La présidente : Monsieur Corriveau, monsieur Maltais, merci beaucoup. Votre présentation est très intéressante et très utile pour nous.

M. Corriveau : Merci de nous avoir donné le droit de parole.

[Traduction]

La présidente : Chers collègues, avant que nous n'ajournions nos travaux, je suis convaincue que vous voudrez vous joindre à moi pour remercier tous ceux qui ont contribué à faire de ce voyage en dehors des lieux sacrés d'Ottawa un tel succès. Il faut beaucoup d'organisation et une aide soutenue pour que ce genre de démarche soit fructueuse, et tous ceux qui ont mis la main à la pâte ont fait un travail absolument extraordinaire.

Joyeux Noël et Bonne Année à tous.

La séance est levée.


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